MPS n°7 - AU CAFÉ

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MPS MEN PORTRAITS SERIES n° 7 Septembre 2020

AU CAFÉ menportraits.blogspot.com © Francis Rousseau 2011-2020


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Joueurs de dés dans une Popina 1 Mosaïque et 2 fresques Via di Mercurio, 1er siècle, Pompéi

Le café tel que nous le connaissons aujourd’hui en Occident est probablement le résultat d’origines croisées entre établissement orientaux antiques (et notamment Perses) et certains modèles de tavernes ou popinae de la Rome impériale. Le moins que l’on puisse dire est que les origines occidentales sont, sans nul doute, moins poétiques que les origines orientales ! En effet dans la Rome impériale, les popinae avaient plutôt très mauvaise réputation ! Elles étaient associée à la fois à la restauration, aux beuveries et aux jeux mais aussi et surtout à la prostitution. Horace qualifiait les popinae de « Lieux immondes et crasseux, envahis par la fumée et les mauvaises odeurs qui se dégageaient des fourneaux ». On y trouvait des plats préparés, exposés aux regards dans des bocaux en verre remplis d'eau qui avaient non pas un effet rafraichissant sur la nourriture comme on pourrait le croire, mais un effet grossissant! La plupart de ces plats se composaient de bas-morceaux de viande rarement frais et toujours épicés à l’extrême. Galien rapporte même que parfois « On servait de la chair humaine en guise de porc ». Comme on peut le voir sur les documents ci-contre, les clients s’asseyaient sur des tabourets, des chaises ou simplement des bancs disposés autour de tables, lesquelles étaient soit hautes pour consommer, soit basses pour jouer. À la différence des cauponae, où l'on pouvait se procurer du vin à emporter, les popinae proposaient uniquement du vin à consommer sur place. On y venait pour boire et manger (éventuellement), mais surtout pour jouer aux dés et pour s'encanailler. Les fouilles de Pompéi ont révélé que certaines popinae comportaient, en plus de la cuisine et de la salle de restauration, plusieurs petites pièces à l'étage, ornées de scènes érotiques inspirantes, où il était fréquent que le client entraîne une prostituée (le plus souvent fournie par l’établissement). Juvénal a évoqué dans une de ses Satires le genre de clientèle qui fréquentait les popinae : « Colporteurs, muletiers, croque-morts, matelots, esclaves, truands, fugitifs ». Sous l'Empire, il n’était pas rare que de riches aristocrates se mêlent à la plèbe. Selon Suétone, Néron avait même pris l’habitude de faire la tournée des popinae à la tombée de la nuit, affublé d'une perruque. Dans sa folie, il encouragea le développement de ces établissements avant de jubiler en les voyant brûler lors du célèbre grand incendie de Rome le du 18 juillet 64.


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chus est sans doute le premier patron de istrot rencontré dans l’Histoire des cafés occidentaux ! D’ailleurs, dans ses représentations picturales, il est souvent ssis confortablement sur LE symbole par excellence de sa fonction : un tonneau de vin. La toile de Velasquez représente Bacchus mme le dieu qui offre aux hommes le vin va les libérer (temporairement) de leurs blèmes. D’ailleurs, la littérature baroque dans son ensemble considère Bacchus comme le libérateur de l'homme face à l'esclavage de son quotidien ! ci des ivrognes aux mines patibulaires, à œil goguenard et aux visages marqués et abîmés par les beuveries, invitent le spectateur à participer à leur fête, sans aucune forme d’ idéalisation. quelle libération du genre humain s’agit il là ? semble questionner ce Velasquez assez troublant, qui représente le patron de la gargote comme un personnage à la peau d’une blancheur presque virginale et au regard légèrement pervers ! emblant douter lui-même de la libération en question, le peintre donne à sa composition un aspect caricatural, presque surréel.

DIEGO VELÁSQUEZ (1599-1660) El triunfo de Baco (Los Borrachos), 1628 Le Triomphe de Bacchus (Les Ivrognes), 1628 Museo del Prado, Madrid


MEN PORTRAITS _____________________ AU CAFÉ Le café s’est établi, à l’origine, au Moyen Orient en passant de l'Éthiopie à l'Arabie et à l'Égypte, puis à l'ensemble du monde musulman. En Perse où l’usage du café était très ancien, les cafés s’appelaient qahveh-khaneh (maison de café en langue farsi). Le mot farsi « Quaveh » constituant la racine orientale de notre mot « Café ». Il s’agissait de lieux de socialisation où les hommes (exclusivement) se rassemblaient pour boire du café, écouter de la musique, lire, jouer ou entendre la lecture du Shâh Nâmâ ( Le Livre des Rois) un poème épique écrit par Dersowsi au alentours de l’an 1000 et retraçant l’Histoire de la Perse depuis la création du monde jusqu'à l'arrivée de l’Islam. Les Qahveh-khaneh se trouvaient souvent situés dans les Caravansérails (Karvansara en persan et Fondouk en arabe), ces lieux fortifiés essentiellement réservés aux marchands et où les caravanes chargés de trésors faisaient halte entre deux étapes et pouvaient s'abriter des brigands. Dans les Caravansérails, les riches marchands qui menaient leur caravanes à travers les déserts y trouvaient des écuries pour leurs chevaux et chameaux, des magasins, des chambres… et les Qahveh-khaneh pour la détente proprement dite. Dans l’Iran moderne, les Qahveh existent toujours et sont toujours fréquentés exclusivement par des hommes, même s'ils ont troqué la lecture et la musique… contre la télévision.

Miniature persane

Le repos au caravansérail Période Safavide, vers1598


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Miniature persane Un Qahve khaneh (Une Maison de café)

XVIe siècle

Il est généralement admis que le tout premier Qahve Khaneh (Café) a ouvert ses portes dans la ville de Qazvin (Perse), au XVe siècle avant de connaitre une très forte expansion sous la dynastie des Safavides (1501-1736). Il faut cependant attendre le règne d’Abbas le Grand (1588-1629), 5è shah Safavide pour que le nombre des Qahve Khaneh augmentent de façon significative dans les grandes villes comme Téhéran, Tabriz, Ispahan et Rasht. Ils deviennent dès lors très populaires avec pour fonction principale d’être des lieux de rencontres entre des hommes issus des plus hautes classes de la société persane et des poètes, des écrivains ou des artistes.

Des invités royaux y sont reçus. On sait par exemple que Shah Abbas le Grand avait l’habitude de se rendre dans différents cafés de sa ville, toujours à l’improviste et toujours déguisé. Les Shahs Safavides considéraient les cafés comme des lieux très importants pour leur art de gouverner, car ils permettaient de recueillir informations et rumeurs tout en entretenant un contact direct avec les élites artistiques du royaume. Ainsi dès son origine, le café n’est pas seulement un lieu de détente et de loisirs, mais aussi d’échanges artistiques, littéraires et politiques importants. C’est un rôle qu’il retrouva au XIXe siècle en Europe mais qui fut toujours le sien en Orient jusqu’à très récemment.

Aujourd'hui, les cafés de Téhéran ne ressemblent plus tout à fait à ce qu'ils furent, ne serait-ce que sous le dernier Shah Mohammad Reza Pahlavi (1909-1980). Depuis son abdication, les cafés se sont séparés en deux catégories : les Qajar et les Qahve Khanehs. Les Qajar ou salons de thés sont les lieux de prédilection de réunion des hauts dignitaires du régime religieux. Les Qahve Khanehs, eux, sont réservés à la classe ouvrière, qui y fume de la chicha ou s’ y alimente à bas prix. Les femmes n’ont jamais été admises dans les cafés perses et elles le sont encore moins en Iran, sous le régime actuel des Mollahs. Tout alcool, strictement prohibé par la religion musulmane, est interdit dans ces établissements.


MEN PORTRAITS _____________________ AU CAFÉ Le premier café ouvert en Europe l’a été à Belgrade (Serbie) en 1522, peu après que Soliman Le Magnifique ne s'empare de la ville. Sarajevo suivit en 1592. Puis la passion gagna Venise en 1615. En Autriche, l'histoire des cafés commence avec la bataille de Vienne et la déroute des armées Ottomanes. C’est l’aristocrate polonais et héros national Franciszek Kulczycki qui aurait ouvert le premier café de Vienne en 1683, utilisant les fèves de café abandonnées par les Turcs dans leur fuite. Dans cette peinture du XIXe siècle, on voit d’ailleurs Kulczycki (en costume turc) servir lui-même le café aux bourgeois viennois dans son Café appelé Hof zur Blauen Flasche (Maison à la bouteille bleue) qui se trouvait près de la cathédrale. Son établissement devint très rapidement l'un des endroits les plus populaires de la ville. Des sources plus récentes suggèrent cependant que le premier café Viennois aurait été ouvert par un Arménien, Johannes Théodat en 1685. À Londres, c’est aussi un jeune arménien, Pasqua Rosée, qui ouvrit le premier café dont le nombre augmenta rapidement pour atteindre plus de 2000 au XVIIIe siècle. En France c’est à Marseille puis à Lyon (et non à Paris) que les premiers cafés ouvrirent, dès 1660.

Imagerie populaire anonyme, 1890 Hof zur Blauen Flasche Dorotheum, Vienne


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ADRIAEN VAN OSTADE (1610-1685) Paysans festoyant dans une taverne National Gallery of Art, Washington .

ADRIAEN VAN OSTADE (1610-1685) Scène de taverne. Saint Louis Museum of Art

ADRIAEN VAN OSTADE (1610-1685) Scène de taverne avec violoniste Art Insitute of Chicago .

Les tavernes représentées de très nombreuses fois dans les tableaux du peintre hollandais Adriaen van Ostade sont héritées des Tavernae et des Popinae de l’antiquité romaine. Des paysans bavardent assis autour de grandes tables, buvant et se nourrissant à la lueur de chandelles ou dansant devant des cheminées qui ronronnent. Un musicien est quelquefois présent qui, de son violon, tente de recouvrir les cris d’ivrognes (cf. en bas à droite) Dans ces tavernes européennes (appelées Locanda en Espagne et Bouges en France) que l’on qualifierait aujourd’hui volontiers de lieux conviviaux, on aperçoit souvent des enfants blottis dans les jupes de leur mère. Les animaux domestiques entrevus ici et là (surtout des chats) s’invitent pour finir les restes et chasser les « nuisibles »… La taverne se substitue alors au domicile, une cabane humide, au toit de chaume, peu étanche, au confort sommaire, dans laquelle se développent toutes sortes de maladies et de fièvres mortelles. La taverne est peu ou prou, un remède à l’insalubrité des habitats paysans aux sols en terre battue et aux minuscules ouvertures. La Taverne est le véritable ancêtre du café- restaurant moderne.

On ne peut pas vraiment dire que l’hygiène des tavernes ait été exemplaire (les nombreux détritus qui jonchent le sol sur tous les tableaux le montrent assez !) mais au moins les paysans y trouvaient plus de chaleur, plus de lumière et moins d’humidité que dans leurs chaumines insalubres. La paille qui jonchait le sol et qui pouvait absorber les diverses matières (et les odeurs) était changée une fois par jour. Dans les bonnes maisons !


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JEAN STEN (1626-1679) Dans la taverne, 1660 Rijksmuseum

La Renaissance rétablit l’usage des tavernes que le Moyen-Age ses guerres interminables, sa misère endémique, ses épidémies constantes et ses religions intolérantes avaient relégué dans l’oubli. Comme dans la Rome impériale, les tavernes sont des lieux de débauches où les rixes sont fréquentes entre ivrognes, soit pour une fille, soit pour une dette de jeu, soit pour une tricherie, soit simplement parce que la désinhibition de l‘alcool aidant, la tête de l’autre finissait par devenir insupportable ! Mais quelquefois au beau milieu de ces antres du crime, un poète réussissait à élever la voix et à calmer l’ambiance avec son chant et ses mots choisis... Certes il avait plutôt intérêt DAVID TENIER LE JEUNE (1610-1690 ) La rixe dans la taverne à être très bon s’il ne voulait pas finir battu par la foule ou jeter dehors par la force ! Ces as de la rime ou de la mélodie portaient ainsi les plus beaux des arts dans les bouges les plus improbables de la Terre, véritables troubadours des gueux.


MEN PORTRAITS ____________________ AU CAFÉ Dès la fin du XVIIe siècle, les cafés du passé perdent rapidement leur fonction conviviale et retourne à la fonction antique de popinae en redevenant des lieux de perditions, repaires des joueurs, des tricheurs, des filles dites de mauvaise vie, des criminels en fuite et des personnages les plus louches. Le Caravage, Pasolinien avant l’heure, adorait fréquenter ses mondes interlopes et n’hésitait jamais à y prendre des modèles pour ses Christ ou ses Jean Baptiste ! Caravage peintre d’église, menait en réalité une vie de débauche absolue dans les bas-fonds de Rome, dont ce célèbre tableau décrit un épisode quotidien. On a voulu voir dans ce tableau une allégorie de la jeunesse, victime de sa naïveté devant les dangers du jeu, peinte dans le but d'instruire. Quoiqu’il en soit ce tableau popularisa dans l’Europe entière le thème du tricheur que l’on voit ici (à droite) sortant d’un pli de sa culotte une carte appropriée pendant qu’un comparse détourne l’attention du jeune joueur. En 1606, Caravage après avoir été plusieurs fois emprisonné à Rome y causant de multiples scandales de mœurs, dut s’exiler à Naples.

LE CARAVAGE (1571-1610 Les Tricheurs, 1597 Kimbell Art Museum, Fort Worth


EN PORTRAITS ____________________ AU CAFÉ C’est bien le thème popularisé par Caravage qui inspira à Georges de La Tour, ses deux versions des Tricheurs. Il en reprend non seulement le thème mais aussi le même personnage de trois-quarts dos, sortant une carte de sa ceinture. Il est positionné à droite chez Caravage, à gauche chez Latour. Le tableau tire précisément son titre du personnage de gauche. Son coude droit posé sur la table révèle son jeu au spectateur : trois cartes, dont deux carreaux visibles, un sept et, en toute logique, le six qu'il a rangé derrière lui. De la main gauche, il tire de sa ceinture l'as de carreau qui y est glissé, en laissant l'as de pique en réserve. La lumière frappe son dos, mais aussi ses cartes, dont la blancheur est ainsi révélée. Il porte un justaucorps en peau de buffle comme les militaires de l'époque, ce qui trahit qu’il est sans doute un militaire en goguette. Sa ceinture, suffisamment large pour y cacher plusieurs cartes est également noire. Une autre version de ce tableau existe avec l’as de trèfle à la place de l’as de carreau. Les amateurs de versions comparées peuvent la voir aujourd’hui au Kimbell Art Museum de Forth Worth (USA).

GEORGES DE LA TOUR (1593-1652) Les Tricheurs à l’As de Carreau, v.1635-1638 Musée du Louvre, Paris


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Plans d’un café anglais au 18e siècle

WILLIAM HOLLAND (1809-1883) Edouard Lloyds’ coffee house in London

Intérieur d’une coffee-house de Londres au 17e siècle

Dès la fin du 17e siècle, les anglais structurent un peu plus les cafés, à travers la Coffee house (Maison de Café). Plus ordonnée (on remarque du mobilier et des tableaux), moins bouges (grandes ouvertures vitrées sur l’extérieur), sols en parquet de chêne ciré, toujours propres par contraste avec les sols jonchés de détritus du XVIe siècle), la coffee house veut être un lien plus respectable. La présence de plusieurs serveurs portant tablier et d’une caissière plutôt vêtue comme une nonne que comme une gourgandine, l’attestent… si besoin était. Pas tout à fait club d’aristocrates, la Coffe House reste un lieu propice et aux jeux mais avec un flegme et un self control qui va devenir, sous l’ère Victorienne, la marque indéniable des cafés d’Albion bien que le sordide persiste dans le bas fonds de Londres.

Désormais avant d’aller au café, on met son plus bel habit, on poudre sa perruque, on se chausse, on se parfume... La coffee house devient un lieu de dégustation de boissons exotiques stimulantes pour le corps et l’esprit comme le café ou le chocolat ; on note d’ailleurs sur cette gravure, les quatre cafetières dûment maintenues au chaud devant l’âtre, ainsi que le serveur au premier plan qui verse le café dans la tasse à la façon orientale, en le faisant mousser. Avec la coffee house, le café devient aussi un lieu duquel les propos de soudards et les rixes sont bannis. La coffee house est un lieu de conversations raffinées, d’échanges littéraires, artistiques et commerciaux ; voyez par exemple ici, comment le marchand vante, à la lueur d’une bougie, à un éventuel acquéreur, les beautés d’un tableau de paysage accroché au mur. Le café moderne est né là, à ceci près que les femmes en étaient exclues (sauf à la caisse!)


MEN PORTRAITS _____________________ AU CAFÉ Avec cette magnifique gouache de Gustave Doré, on est assez éloigné de l’atmosphère feutré des Coffee House ! Ici, c’est dans une Tavern du quartier très mal famé de White Chapel, dans une ambiance proche des romans de Charles Dickens, que Gustave Doré entraine le spectateur. La lumière est si absente que l’on ne distingue presque rien si ce ne sont quelques silhouettes de miséreux qui se détachent de chaque boxe. Rangés là comme dans une écurie, ils regardent entrer les lords « chapeautés » de la société Victorienne venus s’encanailler. Accompagné de policiers de Scotland Yard, Doré fit, lors d’un séjour de travail à Londres, le tour complet de la ville, du quartier ouvrier de l’East End à ce quartier de mendiants de White Chapel, réalisant de nombreux croquis sur le motif. Ces croquis et gouaches ont été utilisés comme illustrations dans l’ouvrage « Londres, un pèlerinage " (1872) de Blanchard Jerrold.

GUSTAVE DORÉ (1832–1883) Taverne à Whitechapel, 1869 Gouache, Encre indienne et blanc Musée de l’Hermitage, St. Petersbourg


MEN PORTRAITS ___________________ AU CAFÉ Le café de plein air - la guinguette – où se réunissent les sportifs du dimanche (baigneurs et canotiers) est un des grands thèmes de la peinture de la fin du XIXe siècle, largement repris par les impressionnistes et surtout par Auguste Renoir. Emile Friant (comme Gustave Caillebotte) pratique beaucoup les sports nautiques. Il représente ici des camarades partageant un repas après avoir pratiqué le canotage. Mais en choisissant exactement treize personnages, il se serait amusé, selon le Musée de Nancy qui conserve cette œuvre, à évoquer la Cène, ce dernier repas pris par le Christ avec les 12 apôtres. Ce clin d’œil curieux à la peinture religieuse se confirme par la présence du pain et du vin au premier pla . On est tenté aussi de voir dans cette joyeuse scène de repas entre camarades du club nautique, le reflet de l’émulation fertile de ce groupe de jeunes artistes qui bousculait alors le monde de l’art nancéien et le monde de l’art en général.

ÉMILE FRIANT (1863-1932) Les Canotiers de la Meurthe, 1888) Musé́e de l’É́cole de Nancy


MEN PORTRAITS _____________________ AU CAFÉ Le thème du café social, ou associatif et même politique apparait en peinture un peu après le milieu du XIXe siècle, non pas en France mais… en Allemagne. Dans ce tableau de Hodler il s’agit d’un banquet de gymnastes. La profusion de drapeaux souligne le caractère plutôt nationaliste de cette scène de fête populaire. Les « Fêtes de la gymnastique » (Turnfeste) nées en Allemagne en 1860 furent imitées en France, en Suisse, puis un peu partout en Europe dès 1875. A la lumière de travaux franco-allemands récents, il apparait que les Fêtes de la gymnastique étaient conçues dans un double but. Elle visait, d'une part, à renforcer les liens entre gymnastes, à accroître leur ardeur patriotique et à leur inculquer un idéal politique et, d'autre part, à

faire des adeptes dans le public mais aussi à se signaler postivement aux autorités civiles et militaires. Le développement de la gymnastique comme activité éducative et hygiénique évolua peu à peu vers un ancrage plus militaire et politique, dont le Café devint le centre d’expression priviliégié.

FERDINAND HODLER (1853-1918) Das Turnerbankett, 1878 Kunsthaus Zürich


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C’est à la 5e Exposition Impressionniste que Caillebotte a présenté cette scène de café, peinture de la vie moderne. Un personnage masculin grandeur nature, domine la composition. C’est un modèle que Caillebotte a peint à de multiples reprises et que l’on retrouve ici dans des vêtements flasques, le col de chemise ouvert, un peu débraillé pour l’époque et posant de façon assez désinvolte, les mains dans les poches et le regard perdu dans le vague. Avec son air désabusé et son chapeau melon démodé vissé à l’arrière de la tête comme le faisait les « mauvais garçons », il est planté devant le miroir tel un pilier de brasserie, coupé de son entourage. Le jeu de miroirs montre à l’arrière plan, mais pourtant devant lui, un pardessus pendu au crochet du lambris et deux chapeaux accrochés à une barre en cuivre, dont un haut de forme, signe d’appartenance à la bonne pour ne pas dire la haute société. Sous les chapeaux : deux hommes sont en train de jouer aux cartes ou aux dominos, un univers à l’époque exclusivement masculin. Comme l’attestent (toujours dans le miroir), le feuillage ensoleillé et le store à rayures rouges et blanches, la scène se place vers midi, dans un bel établissement des grands boulevards parisiens.

GUSTAVE CAILLEBOTTE (1848-1894) Au Café́, Rouen,1880 Musée des Baux Arts, Rouen

Les banquettes en velours rouge, les lambris décorés à l’or fin et le mobilier en acajou confirment, si besoin était, qu’il ne s’agit pas d’un bouge, mais d’un café élégant, peut être même du très chic Café de la Paix, place de l’Opéra… La question est donc posée au spectateur de savoir ce qu’un personnage aussi interlope que celui-ci (et visiblement dans un état second), peut faire dans un café aussi élégant des boulevards ? La réponse se trouve sur la table juste derrière lui. On y voit quatre soucoupes de faïence blanche devant la silhouette caractéristique d’un verre à absinthe. Degas et Van Gogh peignirent aussi ces pauvres erres (issu de toutes le classes sociales) littéralement rongés par cette drogue et effondrés devant leur verre. Cette peinture peut donc être considérée comme un manifeste de Caillebotte contre la libéralisation des débits de boisson, entérinée par la loi du 17 juillet 1880, alors que l’absinthe étendait ses ravages… Manifeste impressionniste aussi, dont le sujet, la touche vibrante, la lumière claire, agissant sur les matières qu’elle pénètre, les jeux de reflets simultanés rappellent le propos de Caillebotte : « Et puisque nous accolons étroitement la nature, nous ne séparons plus le personnage du fond d’appartement ni du fond de rue. » … »


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C’est le tableau le plus célèbre de Renoir, celui des beaux dimanches au bord de l’eau, attablés entre amis dans une Guinguette, une forme de café très français, indissociablement lié aux sports nautiques et au bord des fleuves. La Guinguette qui est peinte ici est la Maison Fournaise, à Chatou sur les bords de la Seine. Charpentier de bateau, Alphonse Fournaise avait installé son atelier sur ces rives où les jeunes parisiens pratiquaient le canotage. Puis en 1860, il eut l’idée d’ouvrir un caférestaurant, de louer des bateaux et d’héberger les artistes de passage. Très rapidement la Maison Fournaise devient un lieu incontournable de la vie parisienne. Ainsi sur ce tableau on peut voir au premier plan à gauche (avec le chien) Aline Charigot qui devint l’épouse de Renoir ; debout derrière elle, c’est le patron : le père Fournaise. En face, à droite, avec son canotier et son débardeur blanc, c’est Gustave Caillebotte écoutant vaguement la célèbre actrice Ellen Andrée sur laquelle se penche un directeur de journal trop curieux ! Au second plan : à gauche, la belle jeune fille accoudée à la rambarde, est Alphonsine Fournaise, la fille du patron, qui fut un des modèles préférées des peintres impressionnistes. A sa droite, au fond habillée en noir, l'actrice de la Comédie Française Jeanne Samary se bouche les oreilles ! Au fond encore en haut de forme, discutant avec le jeune poète Jules Laforgue, c’est le banquier Charles Ephrussi qui acheta cette toile à Renoir et la conserva dans son hôtel particulier du 11 de l’Avenue d’Iéna.

PIERRE-AUGUSTE RENOIR (1841-1919) Le déjeuner des Canotiers, 1880-81 The Phillips Collection


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EDOUARD MANET (1832-1883) Au Café́ Concert, 1879 Walters Art Museum

TOULOUSE-LAUTREC (1864-1901) Au café - Le client et la caissière Kunsthaus, Zurich

ÉDOUARD MANET (1832-1883) Chez le Père Lathuille, 1879 Musée des Beaux Arts de Tournai

Les tableaux de café représentant des scènes (plus ou moins) galantes vont intéresser tous les grands impressionnistes français dès le milieu du XIXe siècle. Les deux grandes tendances sont alors le rendu romantique et le rendu réaliste. Manet, dans les nombreuses scènes de café qu’il a peintes, a illustré les deux tendances: à gauche la tendance réaliste et à droite la tendance romantique avec cette touchante scène de flirt, réalisée peu de temps avant sa mort dans le célèbre cabaret-restaurant du Père Lathuille où il se rendait souvent. Cet établissement était situé juste derrière la barrière de Clichy (pour échapper aux taxes parisienne sur le vin !) à l'emplacement de l’actuelle salle de cinéma au 7, avenue de Clichy précisément. Dans ce tableau vantant le cadre verdoyant du restaurant-jardin, on voit un jeune homme affable et souriant s’empresser auprès d’une jeune femme et lui faire la cour, coupe de champagne au bout des doigt et œil de braise en bandoulière! Moins aimables sont les représentations de Toulouse-Lautrec qui, dans ces deux silhouettes saisies sur le vif dit tout : un gros monsieur très laid en costume de bourgeois et une jolie blonde anémique qui, quoique que caissière au Grand Café, est prête à tout pour se faire payer un repas ou … une absinthe.

Plusieurs révolutions ont secoué le monde, des religions sont nées pour tenter (en vain) de moraliser la vie des hommes, les clubs et les ordres de toutes obédiences ont proliféré, mais finalement peu de choses ont évolué dans la pratique des cafés depuis l’époque des Popinae de la Rome impériale et des bouges du Moyen-Age. Seuls les décors et les costumes ont changé… comme dans une comédie de théâtre de boulevard… La Comédie Humaine si bien dépeinte par Balzac dont le Café est devenu le lieu d’expression privilégié.


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C’est dans les cafés de la Nouvelle Orléans (qui furent aussi des bordels) que naquit la musique de jazz, renouant ainsi (à sa façon) avec les racines culturelles orientales du Kavhe. The Bone Player a été peint par Mount sur commande des imprimeurs Goupil and Company pour deux lithographies de musiciens afro-américains, destinées à être vendues sur le marché européen. C’est le dernier d'une série de cinq portraits de musiciens que Mount exécuta entre 1849 et 1856. En intitulant sa composition The Bone Player, il indique ainsi que c’est plutôt le talent musical de son modèle qui l'intéresse que son identité. Les os sont, joués par deux, un instrument de percussion (ou de concussion) résonnant par lui-même. La technique a été introduite aux Etats-Unis par des immigrants irlandais qui remplaçaient souvent les os par des petites cuillères en métal frappées l’une contre l’autre. Des traces très anciennes de cet instrument se retrouvent un peu partout à travers le monde en Chine, Égypte, Grèce, Rome, Inde du Nord ou Afrique. Au 19e siècle, les os ont contribué à l'enrichissement et quelquefois à l'émergence de nombreux genres musicaux, comme les minstrel shows,

WILLIAM SIDNEY MOUNT (1807-1868) The Bone Player, 1856. Museum of Fine Arts, Boston

le blues, la musique irlandaise traditionnelle, le bluegrass, le zarico, la musique québécoise et celle de l'île du Cap-Breton. Le claquement des os produit un son très sec, beaucoup plus marqué que celui de la planche à laver (autre instrument de concussion apparu à La Nouvelle-Orléans). Mount qui lui-même jouait du violon et adorait la musique avait le sens des affaires et savait que les tableaux de musiciens afroaméricains se vendraient mieux que les autres : ces musiciens séduisaient à la fois les Européens en raison de leur "exotisme" et les Américains parce qu'ils étaient considérés comme distinctement américains. Mount n'était pas abolitionniste, mais qu'elles qu'aient été ses idées politiques, il a soigneusement éviter de caricaturer le physique de son sujet et s’est livré plutôt à une description d’un individu réellement rencontré, avec ses pommettes hautes, ses dents blanches, sa moustache soignée… et sa joie de faire de la musique dans un café. Mount s'inscrit ainsi à l'opposé des représentations des afro-américains dans la peinture de genre de son époque souvent caricaturale. La taille, grandeur nature, du tableau, facilite encore plus l'approche humaine individuelle de ce personnage.


MEN PORTRAITS _____________________ AU CAFÉ L’endroit fut et reste encore de nos jours l’un des plus élégants de Paris. Restauré à l’identique de ce qu’il fut à ses origines, ce café a véritablement contribué à asseoir les standards du café chic ! Tout y a été copié et surtout son innovation majeure : la terrasse sur la rue ! Avec sa terrasse, pour la première fois, le café s’exposait au regard extérieur et permettait d’observer le mouvement de la foule et de la rue, érigé au rang de véritable spectacle. La terrasse était luxueusement meublée de tables rondes en marbre cerclées de cuivre avec piètements en fonte ouvragée. Elle était protégée des intempéries par plusieurs dais amovibles de toile, réglables selon les heures de la journée, le comble du modernisme. Les terrasses étaient régulièrement arpentées par les garçons de café ! Ceux du Café de la Paix furent parmi les premiers à porter un uniforme professionnel qui devait être toujours impeccable. Il consistait en un costume noir, une chemise blanche fermée par un nœud papillon blanc et surtout par un long tablier blanc descendant de la taille jusqu’au sol. Une serviette amidonnée et pliée sur l’avant-bras gauche accompagnait le plateau rond sur lequel étaient posées les consommations et… l’addition. Le style Café parisien était né.

CONSTANTIN KOROVINE (1861-1939) Le Café de la Paix à Paris, 1939 Collection particulière


MEN PORTRAITS _____________________ AU CAFÉ Aux Etats-Unis la fonction du Saloon est différente de celle d’un simple Bar mais assez proche de celle d’un café et d’un club à l’anglaise. Ce sont des lieux de camaraderie et de complicité masculine. C’est précisément l’apologie de ces deux « valeurs », que le peintre John Sloan fait dans cette toile, heureux, par la même occasion, de pouvoir illustrer sa théorie favorite selon laquelle « Le véritable artiste doit trouver la beauté dans les choses les plus communes ». Sloan s'arrêtait souvent dans ce Bar de New-York, fasciné par « l'étendue des qualités humaines qu’il voyait s’y déployer en toute occasion ». Le lieu est propre, la bière semble y couler à flot ; des images et des masques sur les murs rappellent des souvenirs aux uns et aux autres ; la pendule donne l’heure et le garçon de café porte le même traditionnel tablier long et immaculé que les garçons de café européens. Il y a dans ce bar un côté british que tous ne possédaient pas. Les dérapages y étaient fréquent et à mesure que l’on s’enfonçait dans les profondeurs de l’Amérique, du côté du Far West par exemple, l’ambiance était tout à fait différente et les rixes fréquentes avec une utilisation intempestive du Colt ! Le Bar représenté dans ce tableau existe toujours aujourd‘hui à New York au 15 E 7th St. Il a conservé sa même humeur joviale et son caractère convivial mais avec un changement notable : il n’est plus exclusivement réservé aux hommes ! En 1970, le saloon s’est ouvert aux dames et depuis 1980 c’est une femme qui a remplacé l’homme au nœud papillon qui trônait fièrement derrière le bar… mais elle porte aussi le nœud papillon !

JOHN SLOAN (1871-1951) McSorley’s Bar, 1912 Detroit Institute of Art


MEN PORTRAITS _____________________ AU CAFÉ

VINCENT VAN GOGH (1853-1890) Le Café de nuit Yale University Art Gallery

Le tableau est mythique. Il a même permis à un faux Café de Nuit monté par de peu scrupuleux cabaretiers locaux de prospérer à Arles pendant des années auprès de touristes ébahis mais néanmoins abusés. Vincent van Gogh imagina ce tableau dès le mois d'août 1888. Il en évoqua l’idée dans une lettre datée du 6 adressée à son frère Théo :

« ... Aujourd’hui je vais probablement entreprendre l’intérieur du café où j’ai une chambre, le soir sous l’éclairage au gaz. Ici, ils appellent cela un « Café de nuit » (ils sont plutôt nombreux ici), i-e ouvert toute la nuit. Les « rôdeurs nocturnes » peuvent y trouver refuge s’ils n’ont pas d’argent pour se loger ou s’ils sont trop ivres pour rentrer ». C’est donc le café des désespérés et des rejetés qu’il illustre avec ces tables abandonnées, ces chaises dispersées et ces silhouettes inexpressives qui dorment ou attendent. Pourtant, à côté d’un couple d’amoureux attablé dans le fond : l’espoir avec, sur le buffet verdâtre, un bouquet de fleurs, éclatant, incongru, consolant. Le 8 septembre1888 le tableau est terminé. Aussitôt après, il l'expose dans sa chambre de la Maison Jaune et le commente ainsi :

« ... Je viens de terminer une toile qui représente un intérieur de café la nuit éclairé par des lampes. Quelques pauvres rôdeurs de nuit dorment dans un coin. La salle est peinte en rouge et là-dedans sous le gaz le billard vert qui projette une immense ombre sur le plancher. Dans cette toile il y a six ou sept rouges différents depuis le rouge sang jusqu'au rose tendre faisant opposition à autant de verts pâles ou foncés. »

1892 - The MET Museum, New York


MEN PORTRAITS _____________________ AU CAFÉ

Le peintre grec Yannis Tsarouchis a beaucoup peint les marins et les cafés, le sujet même de son œuvre étant constitué par des nus masculins. Installé à Paris à partir de 1967, il continua à peindre inlassablement ces marins attablés dans les bars à matelots du Pirée ou d’ailleurs. Ici le marin tente d’écrire une lettre à sa famille - s’il en a encore une - ou à l’être qu’il a laissé dans le dernier port visité (s’il n’est pas déjà en train de l’oublier). Visiblement il n’est pas très inspiré et son regard semble être parti à son tour à la dérive pour une autre navigation au long cours !

JOHN CRAXTON (1922-2009) Three Sailor

Les cafés de ports ne sont pas comme les cafés des villes. Ce sont des lieux dans lesquels les marins en escale se réunissent comme dans les films de Jacques Demy, Les Demoiselles de Rochefort, ou Lola ou dans le film de Jules Dassin Never on Sunday. Les marins en escales sont souvent plus surprenants et moins frustres que ceux de John Craxton qui ne pense qu’à boire, manger et festoyer…conforme au refrain de la chanson populaire : Allons dans les bars à marins De Recouvrance à Saint-Malo On oublie le goût du bon vin Et des filles à matelots

YANNIS TSAROUCHIS (1910-1989) Marin attablé, 1950


MEN PORTRAITS _____________________ AU CAFÉ Le journaliste et peintre norvégien Christian Krohg a érigé, à travers ses tableaux, les marins de son pays au rang de héros nationaux, toujours victorieux des situations les plus difficiles. Ce statut héroïque devait alors servir d’exemple aux intellectuels, aux politiciens et aux syndicalistes, dans un pays en quête d’indépendance jusqu’en 1905. La mission humaniste que Krohg donnait à son art se confirmait aussi dans des portraits de personnages publics célèbres ou des scènes de défilés politiques ou syndicalistes. Une série étonnante de tableaux montre notamment une dizaine de portraits de marins, souvent en pleine action, luttant avec une mer déchaînée, parfois meurtrière. Krohg scrute le moindre détail trahissant le journaliste qu’il est, spécialisé dans le documentaire : chaque coin du bateau est hardiment découpé, tandis que le barreur, sortant à mi-corps de l’entrepont et accroché au gouvernail, fixant fébrilement l’horizon de la mer et du ciel. Tard dans sa vie, Krohg reprend inlassablement le thème du duel de l’homme et de la mer comme motif, surtout pour sa sa valeur symbolique et non plus pour sa valeur exclusivement sociologique (ce qui était le cas pour ses œuvres réalisées entre 1879 et 1894 à Skagen, village côtier au nord du Danemark),

CHRISTIAN KROHG (1852-1925) Losen Tar Seg en Røyk, 1912 (Marin aspirant une bouffée) Lillehammer Kunstmuseum, Norvège

Parfois, ses « marines » peintes en Norvège s’inscrivent dans le registre de la fiction, et mêlent passé et présent. Comme le marin vêtu de toile cirée jaune et coiffé du suroît, près d’un moussaillon, qui inspira à l’artiste Leif Eriksson découvrant l’Amérique. Dans la toile ci-contre, c’est évidemment encore une marin qui a la vedette. Un marin qui s’octroie un moment de repos, en aspirant une bouffée de sa pipe cachée dans le creux de sa main, comme pour se protéger du vent qui pourrait en éteindre le foyer ; la boîte d’allumettes est apparente et de la fumée sort de ses deux mains croisées. Il a réussi ! Et Krohg semble dire une fois de plus au spectateur : « Voyez comme les marins luttent même pour obtenir le droit à un moment de repos « Tout est tendu vers ce geste et son succès : point ici de regard indicateur (les yeux sont fermés) ou d’expressions lisibles sur les lèvres (la bouche est cachée)…. La scène se passe non pas sur le pont d’un bateau mais dans un café, dans de un ces bars à matelots nés dans les ports du nord de l’Europe et qui regorgent d’individus entre deux escales (au sens propre comme au sens figuré). C’est la force de l’habitude et la distraction du relâchement qui fait adopter au marin cette position familière de lutte contre les éléments pour allumer sa pipe… même dans un bar.

1892 - The MET Museum, New York


MEN PORTRAITS _____________________ AU CAFÉ Nighthawks (Oiseaux de nuit) est l’œuvre la plus célèbre d’Edward Hopper. Cette célébrité n’est pas usurpée tant les prouesses de compositions de cette toile sont immenses. En effet dans ce tableau, nous sommes à la fois dedans et dehors. Et pourtant, ces personnages sont très loin de nous, Inatteignables, enfermés dans ce bar comme dans un aquarium géant. Il y a bien une porte derrière le barman, mais c’est plutôt un sas de service qu’une porte. Dans ce bar, ni entrée, ni sortie ne sont suggérées. Même le barman semble prisonnier, entouré par les murailles de son comptoir triangulaire. Et puis il y a cet exploit pictural cent fois signalé par lequel Hopper réussit à estomper la paroi vitrée..; progressivement, donnant l’illusion qu’il n’y a plus de vitre dans le fond du tableau ! Jusque dans les plus petits détails, le peintre accorde à son œuvre une dimension profonde avec une touche très maîtrisée. Ce « café vitrine » serait irréel s’il n’y avait les deux percolateurs attachés au mur comme une pièce d’identité ! Devenu mythique, ce café dont Hopper assurait qu’il existait réellement n’a jamais pu être retrouvé par personne. Beaucoup ont tenté de savoir où il se situait, l’ont cherché à New-York dans Greenwich Avenue et ailleurs… en vain. Peut être était-il présent uniquement dans la seule imagination d’Hopper. Et c’est sans doute mieux ainsi. Ce café, vu par Hopper, est devenu l’expression suprême de la solitude de l’homme (et de la femme) moderne.

EDWARD HOPPER (1882-1967) Nighthawks, 1942 MoMA


MPS MEN PORTRAITS SERIES n° 7 ©Francis Rousseau 2011-2020 htpp : //menportraits.blogspot.com Septembre 2020

C’EST FINI… à bientôt pour le suivant menportraits.blogspot.com © Francis Rousseau 2011-2020


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