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Contents | Sommaire RĂŠgis Belloeil Alexandra BougĂŠ Pradip Choudhuri Eric Dejaeger Georges Elliautou Denis Emorine Cathy Garcia Patrice Maltaverne Norman J. Olson Eric Rocard Bruno Tomera Yvette Vasseur Harry R. Wilkens
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Régis Belloeil Oubli (extait de Le long rêve du mort éditions Le manuscrit) Le temps est long Avant d’enfin comprendre Le sens de ce pêché Plus de question sans réponse Tout est clair désormais La bête s’éveille, rugit, s’apprête à bondir Puis tente de se dévorer elle-même Plongée dans des ténèbres Qu’elle est seule à habiter Le loup, depuis longtemps en cage, Redoute désormais la liberté La société l’a fabriqué à son image Insensible, vindicative Une seule petite différence Ce cruel manque d’hypocrisie A petits pas, le loup se distrait de cette fin Qu’il sait approcher L’excès de vitalité est intolérable Aux gardiens de l’ordre honni Le fou au service de sa folie Ignore tout de ce funeste destin Lui qui pleure en levant les yeux Vers le ciel étoilé Certaines vérités Ne sont pas saines à détenir Heureux les aveugles, Ils ignorent tout du combat Que la bête a mené Bientôt, elle tombera à terre Dans l’espoir de trouver Dans l’absence d’au-delà Ou dans la nuit barbelée Sa seule liberté 3
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Alexandra Bouge Une nuit à Belleville Je regarde le temps qui explose à l'infini des bulles à tout va il s'oxyde et blute des gouttes du temps des histoires de l'eau et je m'étire dans le temps pour un peu je lui cracherai j'ai le vent en poupe pour un bon bout le temps qui se sépare; il s'amène fara încetare et s'emballe il m'amène au bout j'amène des objets, je ramène ce qu'il aime les gens regardent à peine le temps s'étire les gens s'en emparent; il sape le temps mon temps est fini et j'ai le vent en poupe et l'on se prépare au combat les rues sont calmes les gens passent chinuiti, se chinuie; les gens passent dans le rues on morfle on passe dans les rues, calmes on morfle, les rues sont calmes les gens amènent, ils amènent les restes les gens n'aiment pas ils marchent, on s'amène tous pour délirer un coup... les gens s'amènent ils m'embarquent on s'amène dans les rues calmes on s'amène dans les rues, on regarde par les deux bouts dans les rues les gens morflent, ils me prennent par les deux bouts sur l'asphalte mouillé de ton sperme qui vont dans le camp de mon enfance qui mouille le trottoir déshabillée, habillée pénétré sur la route 4
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au trottoir mouillé de ton sperme enculée, enculée tu l'a remise dans ton pantalon et j'ai remis ça avec des clients de passage pour un peu de sous j'ai remis ça je la lui rentre et la lui sort pour dix sous j'ai sa braguette dans le nez ou la nuit le jour "comme tu veux" je suis la pute de belleville la nuit le jour, je mords des queues, la je suis toujours là j’ai belleville ds la peau nuit et jour je me ballade, je fais la pute je fais la pute dans belleville avec des clients de passage dix balle la passe je fais la pute à belleville; je leur prends les sous pour un bonheur je morfle des queues, ils me font mal, par une nuit solaire dans un intrînd la nuit je me fais peur je me fais sauter pour 3 balles seulement la nuit belleville ronfle. Les gens marchent dans les rues les rues sont vides on est mort la rue les gens prient on y va les rues de belleville les gens ont peur on marche dans les rues, belleville est frageda on s'attend à pire belleville est morte les gens viennent la rue est calme on fait le trottoir à belleville on morfle, la rue les gens morflent, on morfle, on regarde la rue les gens sont morts la rue est vide la lune est livide le gens se pâment la rue est livide, les gens, la rue est livide la nuit est livide les rues sont calmes les rues sont amovibles, les rues sont calmes on s'calme, les rues s'calment j'ai trois roues et de la came j'ai de la merde dans mon sac, t'en veux ? belleville est rance belleville est rance la rue est chaude, les gens morflent, la rue est livide belleville est chaude 5
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les putes se font rares tout le monde est chez soi, Belleville dort la rue est calme là l'aurore les putes se font rares, la nuit est blême, les routes sont autoferées, elles sont calmes la route est une pute la route se pâme la nuit est blême la nuit de belleville, la rue est blême, la route est blême belleville morfle la nuit est blême, les rues comptent leurs morts la nuit est calme la nuit est blême, belleville est morte la rue est livide, les rues se pâment les nuits à Belleville on morfle dans les rues on marche, les rues sont calmes, les rues livides, la nuit blême, la rue est vide la nuit belleville est morose belleville est morte la rue est blême belle les gens morflent, on passe, on coupe, elle a le visage blême la nuit est morte la nuit est belle sous les coups belleville la morte se pare de son voile irradiant la nuit est tumultueuses la nuit est morte la nuit morte on morfle, la rue est blême la rue est morte les gens se pâment sous les coups, regard révulsé la femme est blême sous les coups; la rue est livide, les gens morflent, les gens se pâment, la rue est livide la rue est livide; elle est livide u blême les années passent; la nuit se asterne sur belleville la nuit est livide, la route est livide; les routes coupent sont coupées, elle irradient la rue est blême les routes irradient d'un rouge incandescent; la route est noire à belleville la nuit est blême elle est incandescente la route est calme; la nuit est brève dans ses pantalons, je regarde la nuit qui passe, elle embarque Belleville diaphane il la nique; belleville regarde la nuit et une fille la nuit est une belle fille, elle est livide, les gens se pâment, et la nuit est 6
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déserte on ramasse les morts belleville la terne b se pâme elle lèche le trottoir la nuit passe; belleville est livide, la nuit amène son lot de consolations la nuit noire est une morte sous son voile diaphane; belleville irradie dans une maison de santé enfermé belleville est morte se pâme sous les regards étrangers la rue est livide, belleville est sous la mort; les gens marchent dans les rues les gens se pâment les rues sont désertes par la nuit du meurtre; par cette nuit de meurtre les gens sont partis loin belleville mène la danse la rue est livide, belle ville est morte les gens ont pris la fuite la nuit est blonde; la vie rasufla à la surface; la nuit est livide, les nuits n'ont pas de fin, dans belleville l'âcre; belleville se pâme, la ville est blanche la nuit est blême; la nuit est diaphane; les rues dans belleville sont mortes, belleville est livide, les rues de belleville sont livides les rues sont livides, les gens morflent, la nuit est déserte, la route est livide, les routes livides, s'éclate ils morflent, les gens morflent Belleville morfle c'est calme la nuit la nuit se pâme les gens s'amènent, belle est vide, la nuit c'est calme à belleville les rues de belleville sont calmes la rue de belleville, la nuit est blême; livide, la nuit est blême, la nuit est blême, la nuit blême la nuit est de glace, les gens s'éclatent la route de belleville est calme, la nuit, diaphane, la nuit est diaphane; la route est livide cette nuit est de fer la nuit est diaphane cette nuit est de glace; la nuit est blême; la nuit est calme, la nuit dans la belleville les gens sont blêmes, les routes sont cassées la came se spulbera la route on regarde la route, la nuit se déchire belleville est blême la nuit se déchire le gens m marchent la nuit; la nuit est belleville; la nuit était limpide; belleville est calme la nuit belleville est à feu et à sang, la nuit belleville était calme 7
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la rue est livide, la nuit est livide, la nuit est livide la nuit est calme, les gens sont livides les routes sont violettes les routes sont diaphanes; les gens sont livides, la route est blême les routes sont coupées, les gens morflent, la rue est vide dans les rues de belleville, les gens chantent, les gens regardent la télé, ils marchent blêmes dans la rue, les rues sont des impasses, la nuit les gens marchent Un homme est triste, il regarde les gens, (la mère est fraîche, ils matent la nuit qui s'étale) un homme marche, les étoiles s'étalent fines dans la nuit, dans les ombres portocali ces jours de friche il bat la campagne la camp est triste la campagne vide un homme est sur la route la route, rue est blême, il est morose, mon âme est de cire, (les gens émettent ) - fara încetare : en roumain se prononce "fara înnetchétaré" : sans cesse - chinuiti, se chinuie : en roumain se prononce "quinouïtzt, sé quinouïé" : tortuirés, ils souffrent - intrînd : en roumain se prononce "inetrînede" : impasse - frageda : en roumain se prononce "ferathéda » : tendre - se asterne : en roumain se prononce "sé acheterené" : se dépose - rasufla : en roumain se prononce "rassoufela" : souffle - se spulbera : en roumain se prononce "sé spoulebera » » : se disperse, - portocali : en roumain se prononce "poretoqualï" : oranges
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Pradip Choudhuri L'essence et l’arôme des asphodèles aux enfers (extraits, traduit du bengali par Béatrice Machet) Premier mouvement ... Bon, mais après, tu es évidemment un bohémien; aujourd'hui tu me détourneras, tu pirateras tous mes bourgeons et mes racines de tes effusions agressives, et demain tu disparaîtras certainement dans la magie d'un vide unique… Quel est le pourcentage, ô dis-moi, de notre relation physique comparée à l'étendue de notre AMOUR ? Je suis sûre d’avoir une connaissance pratique de ce calcul absurde… et puis tu laisseras derrière toi ton adorable passé pour répondre à l'appel sans but, incertain, du voyage... Il me semble que tu es resté avec moi longtemps, depuis très longtemps, depuis ma vie antérieure peut-être… Je peux me souvenir de notre vie à Calcutta, mais comme s'il s'agissait seulement d'un rêve... Parfois, j'ai du mal à me souvenir de ton visage... Il m'apparaît; sans cesse, il m'apparaît... comme si nous avions vécu des siècles ensemble… (Lettre de Gouri) 1. L'animal que je désirai N'avait pas réussi à descendre sur cette terre J'entends toujours ses pleurs incessants Alors que je suis assis seul Dans cette cabane Sous un arbre Hors des murs colorés et des ponts colorés de la vie Sois musique, ô nuit Pour que son sommeil éternel Puisse prendre son envol Jusqu'à ce théâtre-autel du côté lointain de l'existence ... Ils sont là, les personnages lustrés et lubriques Avec leurs instruments de musique dont la gloire a foutu le camp Ils attendent une dame immaculée Fraîchement sortie d'un océan de sperme Intègre-toi, mon Noyau Intérieur, un océan… dans mon poing Pour que ses songes innombrables soient autorisés à rêver Les yeux ouverts et puissent aussi voir 9
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Comment son amant encore une fois pose ses mains Sur la verte chair de la Terre Sois une voix, ô ciel, Qui autorise le comptage De chaque étincelle Jaillie de sa forme étonnante Et… ô regarde ! Comment une horde d'étoiles par dessus le ciel Se penche sur son visage endormi Avec l'intention de contempler leurs faces Dans le miroir unique de la sienne. Monde, ô monde – sans yeux! Etend toi tel un chemin sans fin C'est sûr, un jour elle se dressera Dans le feu et les tas de cendre Et un matin blanc elle t'emmènera à travers Les villes au delà du temps et de l'espace Occupée seule à regarder l'espace intersidéral Les têtes droites Terre-Mère, donne-lui un morceau de pierre solaire, prie, Pour que son éternité demeure illuminée... pour toujours Les dessins primitifs des humains, Connus et inconnus, Qu'ils puissent te guider vers ta propre demeure 2. Regarde, s'il te plaît, Dans l'air de votre Nuit amoureuse Comment les feuilles blanches de ton carnet Se tournent Automatiquement Maintenant, il est temps pour toi de poser ton crayon Ô malheureux poète, cette nuit Permets-moi de lancer quelque pourboire Sur les poèmes que tu es en train d'écrire De même que de tes inventions imaginaires futiles 10
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Débarrasse-toi de tes lunettes colorées - avec soin et déterminationPourquoi ton visage doit-il être aussi brûlé et absent ? Allez, secoue ta fatigue Tu n'es qu'un adolescent, alors que Je suis une femme accomplie ... c'est ce que je suis Regarde encore comment les blanches pages Sont sur le point de s'envoler, rythmiquement... Possibles uniquement à partir des mots branchés, les chants, Nos baisers prolongés Au-delà d'un temps et d'un espace imaginaires Poète, c'est exaspérant pour moi de supporter cette pulsion informe Permets à présent aux bouts de feuilles de papier blanc de voler Comme ils le veulent Ta seule œuvre d’art consiste à prendre mon corps sans pesanteur Sur tes genoux-Ce coït magique, en fait, EST la poésie, celle que tu as voulu écrire Toute ta vie Parce que tu sais que mon amour n'a jamais cédé à aucune Rime ou ponctuation, Délimité par aucune formule piteuse Ecoute encore, poète ! Tu as participé au processus de réincarnation Depuis le moment même de ta naissance--inconscient! & C'EST ainsi QUE J'AI DEPOSE MES MOTS D'AMOUR Passion sans rime sans ponctuation Assise dans l'obscurité entourée de la lueur des étoiles Amoureux fou, grand fou et poète déçu Il n'y a aucun rôle quel qu'il soit pour les mots en poésie L'amour est poésie ... même pour les arbres et les oiseaux A présent il est temps d'enfin jeter ton carnet stérile Je n'ai plus de mondes invisibles, plus d'éternité ... .. Comme un fluide parfumé je coule dans tes veines, Poète ! C'est le moment, chéri, Tu as appris à faire la part entre désirs charnels De l'amour des femmes Je suis ta préférée, compagne de lit, Nuit, Saraswati ... Source de ton inspiration, ... ton insondable Chute, mais oui ! 11
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Eric Dejaeger Le gynécologue Le gynécologue y perdait son latin de salle d’obstétrique. Il avait devant lui une femme qui, à vue de ventre, devait être enceinte de six ou sept mois. Ce qu’elle confirmait: vingt-sept semaines. Pourtant, l’échographie ne montrait absolument rien. Il avait rapidement vérifié son appareil, qui était en parfait état. Mais le moniteur restait vide de trace de vie, l’utérus demeurait désespérément inhabité. Quand la dame lui révéla qu’elle était l’épouse de l’homme invisible, il comprit l’énorme nœud du problème. Repas de fête Lorsque le cours de l’or dégringola au point que la valeur du métal jaune s’en trouve réduite pratiquement à rien, le propriétaire de la poule aux œufs d’or s’offrit un excellent bouillon suivi d’un succulent vol-au-vent. Les implants Grand spécialiste des implants chirurgicaux, il révolutionna la mode. Pour des sommes faramineuses, il implantait un peu – ou beaucoup – de plomb dans la cervelle de riches gogos. L'inattendu L’infirmière coucha le nourrisson sur le ventre de l’accouchée et lui expliqua comment s’y prendre pour allaiter le bébé. Elle poussa un cri d’effroi en voyant un liquide rouge sortir du téton de la jeune maman. Madame Dracula s’était fait admettre à la maternité sous son nom de jeune fille. Le retard Il consulta de nouveau sa montre : le train avait maintenant dix minutes de retard. À refaire, il aurait bien pris un oreiller. Sa nuque qui reposait sur les rails commençait vraiment à le faire souffrir.
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George Elliautou Les poètes immortels ont souffert mille morts. La vie n’est rose que pour les nourrissons. Sois nu comme un ver pour écrire des poèmes. Plaire à tout prix c’est chercher à se vendre. Il est prudent de ne rêver que d’un œil. Il a une rage dedans. Les amoureux de l’ordre ont l’esprit dérangé. La femme est égale en droit et supérieure en courbes. Le souvenir est une source qui alimente les regrets. L’illusion est cruelle lorsqu’elle nous quitte. Le coup de foudre peut n’enflammer que de la paille. On ne tolère vraiment que ce qui nous indiffère. On est bien plus humain lorsqu’on est incertain.
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Denis Emorine Le Sacre de la vestale Lorsqu'il me téléphona ce soir-là, ce fut pour me dire d'une voix craintive et anxieuse à la fois qu'il devait me voir, que c'était important, vital même pour lui. Par moments, il s'arrêtait net, laissant la conversation en suspens, et je le sentais désarmé, en proie à une angoisse croissante. Je finis par l'inviter chez moi lorsqu'il me prévint avec réticence qu'il ne pouvait s'étendre plus longuement sur un sujet aussi délicat. Dans l'intervalle, je ne laissai pas de m'interroger sur cette démarche inattendue: je connaissais G... depuis trois ans et nos relations suivies s'étaient clairsemées un an et demi auparavant, pour devenir plus rares, voire occasionnelles. Pourquoi cette hâte à me rencontrer et en même temps cette contrainte au silence qui le faisait hésiter sur des phrases pourtant préparées avec soin, lui si habile rhéteur il y a trois ans ? Quel autre changement cette métamorphose présageait-elle en lui, en moi...? * La sonnette stridente, inquisitrice, me tira de l'embarras. C'était lui. Physiquement, il était resté le même : mince, les cheveux bruns, fous et raides, une grande mèche tumultueuse balayant le front haut… jusqu'aux lunettes qui ne quittaient guère le bout de son nez. Nous étions l'un face à l'autre, quelque peu gênés; nous n'osions nous regarder dans les yeux. D'une main tremblante -m'a-t-il semblé- il a pris la mienne, l'a serrée un peu mollement. " Alors c'est chez toi..." a-t-il prononcé enfin, semblant par la banalité de ces propos envisager une ouverture lointaine. Il attendait visiblement que j'ouvre le feu mais l'attente est une de mes qualités; je masque mon impatience 14
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et reste imperturbable lorsque les circonstances l'exigent. Je l'observais comme le chat guette la souris. J'étais en position de supériorité. Comment quelqu'un de si détendu dans la conversation, auparavant, pouvait-il se cloîtrer ainsi dans le silence ? Il s'est résolu à céder, son regard soudain a accroché le mien pour ne plus le lâcher: "Depuis quelque temps, un rêve étrange et pénétrant (je reconnaissais bien là ce passionné de littérature) m'obsède, m'enferme en moi -du moins je m'enferme en lui, je ne sais, et ce rêve te concerne directement, étroitement, te met en cause..." L'attaque. Je l'attendais, la pressentais; je savais qu'il ne se laisserait pas longtemps poser le pied sur le corps dans l'attitude suppliante du vaincu. Il allait et venait dans la pièce maintenant, plus détendu; la parole, bien qu'un peu maladroite encore, reprenait ses droits. G... redevenait celui que j'avais connu, qui m'avait attiré par cette supériorité intellectuelle tranquille et justifiée qu'il affichait lorsqu'il prenait position. J'étais bercé à nouveau par ces phrases filées de certitude dans lesquelles le fond et la forme s'équilibraient sans cesse. Ne disait-il pas toujours: "La forme habille le fond. Reste à savoir si l'on souhaite être bien vêtu ou en haillons". Il avait retrouvé le costume seyant et distingué des premiers jours. Brusquement il s'arrêta, au bord de l'embarras. La révélation essentielle lui coupait le souffle:" Il s'agit de quelque chose d'inattendu; à chaque fois, je rêve que je me livre à une sorte de spectacle devant toi qui en es le témoin silencieux, approbateur". Le grincement de nouveau. La rupture. Je le regardais d'un air plutôt bienveillant, l'encourageant à parler. "Il s'agit d'une sorte de révélation... Oui, c'est cela, je me révèle à toi d'une manière renouvelée, et à chaque fois dans les mêmes conditions, dans cet
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appartement-là..." Je ne comprenais pas, ou avais-je peur de comprendre ? Il finit par se mettre la corde autour du coup:" Tu comprendrais peut-être mieux cette attitude de la part d'une femme… Encore faut-il faire la part de préjugés moraux, intellectuels, donc sociaux". La porte bâillait, s'entrouvrait sur sa vérité intérieure, son obsession même, mais je désirais un aveu dussé-je le provoquer par un subtil jeu moiré de questions-réponses. - Je suis le spectateur ? - Oui, tu es le spectateur d'une pièce, de ma pièce dans laquelle j'ai tout prévu, y compris les décors...les costumes... Il s'arrêta à nouveau, la confusion au bord des lèvres et habillant ses joues. G... avait buté sur le mot "costumes", du moins ce terme avait-il abordé un système de références intérieures qui semblait le charger de culpabilité. Que faire ? Je décidai d'en finir:" Allons, il faut conclure". Alors nettement, en articulant et détachant exagérément les syllabes, il avoua:" Je rêve fréquemment que je me déshabille devant toi; peut-être ce dépouillement physique cache-t-il, symbolise-t-il une révélation plus profonde mais je crois qu'il me faudrait satisfaire ce désir pour en être à jamais débarrassé et rassuré. (Il redevenait prolixe.) Je ne cherche pas à expliquer les mobiles de cette envie; il me faut la satisfaire... Acceptes-tu...?" Comment ne pas acquiescer à cette demande. J'étais, je l'avoue, intrigué, curieux même d'assister au déroulement de cette "pièce de théâtre" qui s'apparentait plus à un numéro d'effeuillage de cabaret qu'à autre chose, du moins à ce qu'il paraissait. Mon coeur battait un peu. Je laissai G... diriger les opérations à sa guise, choisir la scène, disposer les éléments du décor. Soudain, il me fixa de nouveau:
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- Il faudrait un fond musical. - Est-ce à moi de choisir ? - Oui. Je réfléchis... Une musique sensuelle, légère, irréelle conviendrait certainement. - Jeux et le Prélude à l'après-midi d'un faune de Debussy. - Très bien. Je me calai dans mon fauteuil, en l'occurrence le divan unique que recelait mon appartement. J'étais au spectacle, j'attendais la "suite des événements". La musique me surprit, me tira de mes réflexions. Je me laissai bercer par les arabesques de Debussy. Pour un peu, j'aurais fermé les yeux, mais le spectacle était aussi visuel. Il se tourna vers moi: "Eclipse-toi au maximum; je ne veux ni te voir, ni t'entendre, tout en te sachant présent". Fort de cette ultime recommandation, je me tins coi, aux aguets pourtant. Il avait ôté sa veste, puis son pull-over, les mouvements s'enchaînaient, gracieux, aériens, dans une chorégraphie inattendue. Enfin son torse apparut et la chemise glissa sur une peau blanche, lisse, et reflétant la lumière du projecteur dirigé sur lui. Ses gestes se firent plus précis, ses mains glissaient sur son corps et le frôlaient parfois; il tournait sur place très lentement en offrant ce corps à mon attention. Sa peau jouait avec la lumière en un jeu d'ombres et de reflets mouvants, étrange, surréel, complice. Il retira son pantalon très lentement en pivotant pour me faire face. Par moments, G... fermait les yeux en proie à l'extase. Ses vêtements, feuilles mortes silencieuses, tombaient, ou plutôt se posaient, exsangues et inanimés dès qu'ils ne tournoyaient plus autour de son corps. *
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G... était en slip maintenant, ondulant doucement, de dos, puis de face, effleurant ses cuisses, ses fesses, son bas-ventre, faisant mine d'enlever ce qui l'empêchait de se révéler tout à fait. Puis le slip découvrit très légèrement ses fesses, le haut de ses fesses, la cambrure des reins plutôt. Ses mains parurent hésiter, remontèrent vers la base du cou, les épaules qu'elles caressaient en descendant vers les hanches. Le slip glissa encore un peu. La musique se déployait en circonvolutions subitement chargées d'un sens éloquent. G... l'illustrait en lui restituant sa fonction sacrale et sensuelle. Ses mains s'insinuaient entre les formes cachées par le tissu importun qui s'éclipserait enfin. La peau bombée se révélait davantage, cernée par la nudité croissant à mesure que s'ouvrait l'enveloppe protectrice. Ses fesses jaillirent soudain, très blanches, au galbe prononcé et saturé de lumière, éblouissant de lumière. Il les dirigea vers moi, se pencha très lentement en avant, puis se retourna en pivotant toujours très lentement. Ses gestes, d'hésitants qu'ils semblaient, se précisaient davantage, le faisant apparaître comme le maître de son art. Une mousse noire surgit à quelques centimètres du nombril, échouée on ne savait comment sur le rocher mouvant de son corps; elle semblait croître à chaque inspiration, à chaque geste. Je ne pouvais en détacher les yeux, elle me fascinait. Il était devant moi, la peau frémissante, et son slip baissé quelque peu moulait son bas-ventre. G... écartait les jambes, cambrant les reins pour mettre en valeur ses mouvements et ce secret naissant, noir de mystère et d'ombre. La forme de son sexe se dessinait plus ou moins nettement au gré des plis mobiles et capricieux; il découvrait de plus en plus ce réceptacle intime. Cette ombre noire, frisée, croissait, ondulait, indépendamment de la blancheur qui la cernait et la questionnait de toute part. Enfin, petit à petit, par mouvements très doux, presque huilés, le slip
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descendit, s'échappa de l'entrejambes et des cuisses, et, lorsque l'éphèbe découvrit ce sexe enfin ouvert, offert, tendu vers moi, canalisé par la lumière, lorsqu'il entrouvrit les jambes en fléchissant vers l'arrière, les bras et l'extrémité des doigts tendus vers le sol, prêt à l'envol suprême, je compris que je le désirais.
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Cathy Garcia M'aimes-tu? quand je suis l'eau roule galets hanche qui bondit remous secrets eau sable lumière qui t'envahissent la bouche fauve aux griffes d'air ciel fendu terre foulée avec des crocs des serres à déchirer le cour d'un soleil baiser serpent flamme fumée la chanson le parfum qui te font pleurer chatte de gouttière vagabonde folle de lune rêve tordu fugue éclopée semeuse d'espoir sur laine de verre et quand je suis là et que je n'y suis pas quand j'entends des violons qui n'existent point que j'oublie les mots les gestes 20
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qui bafouillent je t'aime quand je naufrage au revers d'un alcool de brume ma robe est noire mes yeux brûlés des accents nomades me font couler quand je ris sans savoir pourquoi quand j'ai peur de tout de vivre de moi quand je rage de ne pouvoir fuir encore et encore faire tourner le monde à l'envers quand je trépigne et cabriole sans bouger d'un cil d'un fil quand je dis le convenu le superflu et omet l'essentiel quand mes sourires tournent grimaces que je tremble et grince que le vent se lève tempête dans ma tête gicle à mes lèvres un jus noir amer quand tes mots ne m'atteignent pas plus qu'explosent les ponts les piliers de compréhension 21
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et qu'un samouraï délirant à la douceur assassine s'arrache les entrailles pour dérouler à tes pieds l'histoire d'une vie ratée ma vie m'aimes-tu dis m'aimes-tu encore ?
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Patrice Maltaverne Tête fichue dans un corps sain Une harpie s’est assise là pour que je pique du nez ou autre chose. Sa petite famille d’ahuris la protège de loin pendant qu’elle sort des toiles d’araignées des latrines. Son regard compatit à force de voir l’ordure qui croupit en elle. Heureusement que l’eau ne peut laver son corps. Je me ferais guépard pour arracher sa tête et la mettre à mon compteur qui pique ses aiguilles dans mes yeux. Harpie du midi ou du Nord. Tu n’es pas là par hasard. Sur les routes je fuis toujours en solitaire. Loin de la margelle du puits où tirer avec tes cordes une tête hors de la vase lorsque dans la pénombre l’amour reste invisible avec sa lumière sur le visage.
Avoir des grandes oreilles Ami des lames de fond qui le talonnent depuis sa jeunesse, le vieux monsieur regarde le mur blanc de l’hôpital. Depuis que ce monde a blêmi sur la chapelle des mystères assemblés, un monstre peut surgir de n’importe quel mur. Rien ne bouge dans le crâne du vieil éléphant, hormis ses oreilles. Bien sûr, la vision est grotesque mais l’animal n’existe pas. Ses oreilles suffisent à le rendre intelligible à son enfant qui est ce vieillard muet. D’autres descendants presque drôles dans leur graisse lui reprochent même son attitude pontifiante comme s’il s’agissait du curé du village. Hélas, nul ne connaît ses lieux d’incertitude. Tous les hommes, puisqu’ils tirent leur vie de l’enfer parallèle, savent qu’un éléphant ne parle pas, sauf miracle, lorsqu’il se sent épié.
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Le dératiseur I Le chat puant de la poésie vient d’être relevé dans la brume. Certains y voient la fin de tous les combats. Mais d’une boule de nerfs ne s’échappe pas toute la densité de la vie. Les nerfs des rats sont les seules racines qui remontent à la surface des hommes en cas d’inondation. Avant de s’effrayer de la largeur des semelles de dératiseur, il faut prier pour qu’il ne s’agisse pas d’un fantôme. Les cauchemars agrandis ont vite fait d’empoisonner la cervelle des retraités assis devant leur téléviseur. Il ne manquerait plus qu’elle soit aquatique. Imaginez un instant que les survivants de l’émission s’observent dans des tableaux de grands maîtres. En déménageant du confort des étoiles de mer sales les tableaux sortent de l’écran pour habiller les corps à l’intérieur de paravents disgracieux. Dans les flaques du salon l’habitant ne peut plus montrer son sexe sans que les monstres s’indignent. Le dératiseur doit tout débrancher, depuis les fils de télévision jusqu’aux remparts de la création dressés contre son propre fantasme d’incréé. Il serre les rongeurs sur son établi et en collectionne plusieurs autres qu’il enferme dans une boite. Le jour le dératiseur prend la casquette du laitier qui ne se gène pas pour entrer pieds nus dans le salon asséché. Ses pieds surtout se voient. Seule trace des rats sortis de la brume. Il faut prier pour que la langue du dératiseur dérobe au pied levé les images dans la cervelle du propriétaire qui est partagé entre ses actions de grâce et un gros colis de pudeur.
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Eric Rocard Ma vie blessure jamais cicatrisĂŠe telle la nuit au visage balafrĂŠ par l'insomnie
Norman Olson
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Bruno Tomera Remuer le silence jusqu'à ce qu'il bascule dans un vacarme assourdissant et me perdre dans la tendresse de ton repos quand les vagues de bombes s'apprêtent à calmer définitivement nos rages de dents quand les prisonniers fabriquent des cordes pour se pendre sous le dernier rire d'un lever de soleil quand les enfants sont prêts à être programmés dans les fichiers d'une invraisemblable justice scientifique quand les humains parmi d'autres humains sont emmurés dans le coma éthylique de la solitude absolue quand les êtres humains sont incapables d'être bons Remuer le silence jusqu'à ce qu'il bascule dans un vacarme assourdissant et me perdre dans la tendresse de ton repos, ma Belle. Duo déséquilibré dansant sous des éclats de lune nous connaissons les hôpitaux psy et les regards désenchantés quémandant une autre intuition du monde nous connaissons les cages des flics et l'incompréhension les bagarres sordides et les gueules de bois burinées sous les coups de la haine et l'invention de l'amour dans les théories cupides de bras étouffants nous connaissons l'offense du mépris nous connaissons le rejet des animaux abandonnés et les bouts de nous-mêmes écrasés sur la route des fous Remuer le silence jusqu'à ce qu'il bascule dans un vacarme assourdissant et me perdre encore dans la tendresse de ton repos pour que le calme s'agenouille enfin près de nos âmes qui ne demandent rien à la vie et encore moins à la mort Me perdre encore dans la tendresse de ton repos ma main posée sur ton ventre ma figure enveloppée de ta chevelure rouge ma chair sensible contre ta chair sensible mon sourire écho de ton sourire Me perdre encore dans la tendresse de ton repos et puis repartir Remuer le silence jusqu'à ce qu'il bascule dans un vacarme assourdissant
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Yvette Vasseur Souffrance Attente et douleur La spirale qui s’enroule Et entraîne vers l’œil du cyclone Le vortex avaleur de vie Celle qui vous avale Celle qui vous dévore Celle qui vous crache A la face du monde Avec le baiser de l’ange Pour passeport…
Ange Les points cardinaux Ont crucifié Tes ailes argentées… Témoin éternel De l’ombre de nos vies Jaloux aussi… Je glisse mes doigts Dans le duvet de ton aile Bonne nuit l’ange… « Souffrance » et « Ange » extraits du recueil Des hommes et des anges.
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Harry R. Wilkens Hebron (extrait de Zombies, éditions Clapàs, traduit de l'américain par Frédéric Maire) Magnifiques filles françaises & russes & orientales, en mitraillettes prêtes à tuer non à baiser, incapables de s'imaginer faire l'amour avec un beau garçon arabe au lieu de coucher avec leurs complices tarés et calottés et autres vermines en mitraillettes se déversant sur cette terre bénie
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mgversion2>datura ISSN: 1365 5418 mgv2_10ann | 07_06 edited by: Walter Ruhlmann Š mgversion2>datura & the contributors mgversion2datura@gmail.com http://mgversion2datura.hautetfort.com