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Contents | Sommaire Cover photo : Walter Ruhlmann – Beach Boys in Motion, Saint-Pair/Mer, Manche, France. Inside illustrations : Norman J. Olson Texts Yvette Vasseur Bruno Tomera Thierry Piet Thomas Vinau Pierre GuÊry Marie-Eve Guillon Ludovic Kaspar Alain Crozier



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Yvette Vasseur Des anges et des hommes

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Avant-propos Comment écrire tout ce qui fait parti du passé et qu’il vaut mieux oublier Toute écriture est vouée à la tentative mais aussi à l’interprétation Comment dire sans exprimer l’horreur la folie mais juste se souvenir sans colère sans désespoir Juste prendre de la distance, Regarder dans le rétroviseur et prendre de la distance sur le passé Juste garder le souvenir avec moins de souffrance Tenter de dire, pour témoigner, risquer encore une fois de se faire cataloguer de « Poète en poésie brute », ce que je ne considère pas comme exacte, j’ai toujours écrit depuis l’école primaire et je ne considère pas mon écriture comme particulièrement liée à une quelconque maladie mentale. Je considère ce petit recueil comme un témoignage Même si pour certains, il y a des états dont on ne sort jamais. Je sais que la vie continue et qu’elle seule vaut la peine d’être vécue, même si il faut se battre pour tout, surtout s’il faut se battre pour tout. Les poètes et les mots Mes mots ont déserté les yeux De ceux qui auraient pu les lire Et n’ont fait que les voir Mes mots Mon deuxième sang Mon deuxième sens Sont partis se cacher Avalant mon chagrin Et toute l’impuissance A se faire aimer pour ceux qu’ils sont Mes mots disaient les choses simples Tricotées sans jacquard Disaient la vie D’une femme du peuple Qui voulait se monter Telle qu’elle est Sans ce jeu de miroir Qui, à l’autre laisse croire Et laisse à tant rêver Que je n’existe pas

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Existe-t-il une place Pour la réalité Celle qui continue à exister Même quand nul ne prend La peine d’y croire ? Pavillon Dieulafoi Qu’elle est le sens de cette prière De damné ? Chercher sa route au milieu Des catacombes d’idées Le temps d’une étincelle Trouver son âme pour la présenter à l’ange Qui ouvrira la main fermée en poing En main tendue En main ouverte Pour la caresse à l’autre… Mais après combien de bleus au cœur Et combien de chutes des rêves ! Correspondance L’impuissance à dire la souffrance du monde La communion au chemin de croix Permanent Des peuples crucifiés Sans Rédemption Loin des yeux de l’occident… Et le martyr d’un seul D’une seule Au fond d’une cellule D’où ne s’évade jamais Que des oiseaux de l’alphabet !

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Ange déchu L’or au bout des doigts Tellement haut Tellement beau Ca n’est que le souvenir d’un rêve Tellement puissant Qu’il fait marcher sur un fil Au dessus du volcan « Si tu y crois J’y crois » À se brûler les ailes À tomber de si haut Et n’être plus que des rampants Et la moitié de soi-même Compassion Dans un monde narcissique La compassion arrive toujours trop tard Avec les regrets et les remords Ne pas comprendre l’autre Parce que l’on croit tout savoir… Le monde se rétrécit sur sa douleur Sur son désespoir Son impossible mue de serpent volant…

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Souvenirs S’inscrire dans la mouvance D’une décennie D’une époque D’un siècle Grain de poussière Avoir l’audace de croire Qu’un seul être qui s’élève Et c’est toute l’humanité Qui s’élève Par le truchement de l’amour Celui aux racines puissantes Aux fleurs renouvelées Celles qui poussent quand même Sur les tombes abandonnées… Souffrance Attente et douleur La spirale qui s’enroule Et entraîne vers l’œil du cyclone Le vortex avaleur de vie Celle qui vous avale Celle qui vous dévore Celle qui vous crache A la face du monde Avec le baiser de l’ange Pour passeport…

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Destins Vouloir être guerrière pour l’humanité Et béquiller sa vie Des repères du quotidien Accrochée au téléphone Ou aux rires d’un enfant Vouloir être guerrière pour l’humanité Et ne plus s’accrocher qu’à l’image D’un seul que l’on espère Sauver de la famine Pour le prix D’un pain par jour ici… Les rêves Que reste-t-il de rêve Quand on a que des souvenirs ? Quelle espérance de vie ? Pour soi, Pour les autres ? Les rêves des autres Sont-ils les nôtres ? A quoi sert le rêve Quand il n’est pas intime ? Continuer à s’aimer En essayant d’aimer les autres…

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Coïncidences La solitude et le chant du monde Avec ses ondes Celles que l’on nous assène Ou celles que l’on génère Font danser la ronde Des coïncidences Rassemblent les êtres Faire naître des vœux La couvaison des cieux Hôpital psychiatre Quel est ce monde Où l’homme n’est pas plus Considéré Qu’un rat de laboratoire ? Ce monde blanc Loin de tout paradis Néant de sollicitude Personne n’écoute personne On peut mourir D’un ulcère à l’estomac Gavé de neuroleptiques…

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La parallèle du sage et du fou Il arrive épuisé On l’attache sur la croix Il arrive avec sa torpeur On l’attache sur le lit Ils creusent les reins Ils raidissent les jambes Et poussent des cris de désespoir Ils cherchent du fond de leur délire Des raisons à la férocité des hommes A leur bannissement Dans leur nuit de douleur Ils appellent Les anges et les dieux Dans leur nuit de torpeur Ils voient s’écrouler les temples Et les prisons Au bout de la nuit Ils ont gagné d’autres rives Pour y faire pousser Des fleurs contre le désespoir

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La gloire La gloire est une supercherie Pour mal aimer Où donc puiser sa source Quand tant d’eau est répandue Dans la passion des cyclones A force de soulever les montagnes Ne retombe que cendre Quand l’arbre pousse trop haut Fragile sont les racines… Beau Beau Comme l’immensité du ciel Qui épouse L’immensité de la mer Sur le fil du rasoir De la ligne d’horizon Le bleu Envahit tout Et dissout tout Ce qui n’est pas lui Et vous éclaire Et vous soulève Comme une bulle Comme un oiseau

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Ange Les points cardinaux Ont crucifié Tes ailes argentées… Témoin éternel De l’ombre de nos vies Jaloux aussi… Je glisse mes doigts Dans le duvet de ton aile Bonne nuit l’ange…

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Bruno Tomera

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Sur une promenade à Barcarès Des préfets les ont parqué sur des plages exsangues eux dont l'esprit est trop vaste. Le soleil brûlait leur corps ils se battent pour d'autres lumières. Il creusaient le sable pour une eau croupie et saumâtre eux qui abreuvent les consciences. Ils mâchaient des cordes eux qui partagent les festins. Leurs habits s'éparpillaient en lambeaux leur peau est de fierté et de courage. Ils comptaient les pas des vagues aux barbelés eux qui dénient les frontières. Ils voyaient les camarades mourir eux si instruit de la vie. Un discret monument des combattants d'Espagne sur une promenade à Barcarès. Stèle du silence de tous les camarades sans noms, ceux de CNT FAI, du poum, des communistes, des brigades internationales, des républicains et puis d'autres pour le simple fit d'être humain. Ces femmes ces hommes à qui je dois la joie d'une partie de mon existence, la chance de ne pas être de Barbarie sont reparties vers d'autres résistances. A n'y prendre garde, le pire de nous même détruit le plus beau. Voilà 70 ans et rien n'est fini.

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Un monde dans un monde dans un monde dans un mo....... Quand nos heures fixes ne tiennent plus au garde à vous. Quand les théorèmes prennent la tangente des libertés. Quand les langages expriment le souhait. Quand la somme d'un salaire est la somme d'un désir. Quand vouloir n'a plus la terminaison du Pouvoir. Quand la réalité n'est pas un faire part mensonger des télécommunications. Quand nous ne laissons pas nos vies orchestrées par des shows men. Quand nos matins n'acceptent pas les contrefaçons du jour. Alors les minutes ne sont plus des acomptes versées à la mort. Les géométries enjambent le court chemin de l'espoir à la réalisation. Les désirs sont une caresse de parole. la parole passe partout de l'imagination. L'imagination se taillant un costard dans l'abstraction. L'abstraction un puzzle passionnant éparpillé par le vent. Cela est puisque je l'ai nommé et déjà plus que frissonnant, impatient amoureux, dans le matin qui s'étonne.

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Le meilleur coup de la terre. Elle arrive de loin, du fin fond grouillant clinquant de la rue piétonne, enveloppe flottante de tissu noir avec dessus un bonnet jaune troué, les gens affairés ou nonchalants s'écartent désorientés par cette apparition évadée d'une craquelure d'une toile de Jérôme Bosch. - T'as une clope et une petite pièce ? Elle pue elle n'a pas d'âge antiquaire d'elle même elle transbahute le présent défraîchi dans deux sacs éreintés par le poids de l'essentiels capharnaüm de l'inutilité. Je lui donne la clope et tire de ma poche un bifton de cinq euros. - Sympa, mon gars, tu veux t'en siffler Un ? - je veux bien. Elle sort de son cabas 2 gobelets plastique cradots et un litre entamé - Bois , mon gars, beau temps aujourd'hui... Nous buvons le picrate acide sous le soleil au milieu de l'agitation. Je trinque avec la barmaid des enfers et c'est bon. " J'aurais vingt piges de moins, je t'aurais fait ton affaire... J'étais belle, ça ma connaissait les beaux mecs... O des beaux gars... Qu'elle rajoute - j'en doute pas, madame. Elle sourit, des souvenirs clairsemés et joyeux doivent se superposer sur les capricieux écrans de sa mémoire. - Faut que j'y aille, j'ai des affaires à régler. Qu'elle dit d'un coup, le regard gelé et perdu dans la nuit d'un hiver instantané. Elle se barre, trottinant instable sur les pavés vers une aléatoire prolongation de l'existence. Je la rattrape; lui colle une bise sur la joue et lui dit - Sûr madame, Vous êtes le meilleur coup de la terre.

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Thierry Piet Je partirai…je laisserai tout… la maison, le travail, les amis… je ferai le voyage… Parfois on vous pose la question : - qu’emporteriez-vous pour vivre seul sur une île déserte ? Moi, ce sera quelques disques choisis dans la collection Le Chant du Monde ceux qui transportent, ceux qui soulèvent, ceux qui élèvent… car la musique, ça doit vous faire décoller. Une île déserte… je la vois déjà je la fais exister Elle est là elle existera Elle surgira Une cloche tinte… mais où est-elle ? que fait-elle ? il n’est pas midi ! Elle m’appelle, m’attire, je le sens, elle me cherche, sans aucun doute. A moins que ce soit moi qui cloche… Serait-ce l’heure du départ ? du grand décollage? Je ne sais pas, je ne sais plus.. je suis perdu… Le temps n’est plus rien pour moi, ma vie n’a plus de saisons,. mon histoire n’a plus d’horizon. Et je suis là assis sur le quai fictif de mes élans figés à regarder avec interrogation ce que le vent du désert emporte 17


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et que la mémoire restitue avec courage et désespoir La tête entre les mains, il me devient difficile de penser. Je suis là sans y être. sorti de moi, face à moi. La cloche qui chantait légèrement devient lourde et son chant plus grave, plus écrasant, plus étouffant comme si elle me coiffait. J’en deviens prisonnier. Au secours ! Je ne peux pas sortir ! Je ne peux pas partir ! C’est demain que je pars et demain c’est bientôt ! S je ne pars pas, on ne pourra pas dire de moi : Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage ! Je veux sortir ! je veux partir ! Mais qu’ont-ils tous ces gens vêtus de blanc à me regarder comme ça, à s’apitoyer sur moi ! Dans quel bateau, quel train, quel avion sont-ils ? et moi dans quelle galère ? Ils marchent, ils courent, ils s’agitent avec leurs cahiers, leurs crayons, leurs gants et leurs seringues ! Entendent-ils la cloche ? C’est décidé, je pars. Je vais envoyer la cloche au ciel et je prendrai un vrai chapeau 18


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mon chapeau rouge Je deviendrai l’homme au chapeau rouge personnage de Magritte, dessin de Folon ou un héros quelconque tombé d’un livre bien malade. C’est décidé je pars, je m’envole… Demain on dira de moi : où est-il le figurant ?

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Thomas Vinau On pourrait presque disparaître à tant vouloir s’éparpiller on pourrait presque disparaître c’est bien ce qu’on cherche après tout Eclater en millier de miettes minuscules se décentrer s’atomiser se dissoudre jusqu’à ne faire plus qu’un avec les minuscules particules du vide On pourrait presque disparaître et si la matière n’est que de l’énergie organisée on voudrait se dématérialiser pour redevenir de l’énergie pure Eclaté Défoncé Démonté Ravagé Jusqu’à ce que la cervelle redevienne une idée abstraite Jusqu’à ce que le corps traîne derrière soi jusqu’à ce que le devant culbute le derrière jusqu’à ce que le dedans carnage le dehors Courtiser l’explosion de cette IMMENSE PEUR du vide du vivre de cette immense honte de soi de dépit, de défie, de dégoût, de tendresse On pourrait presque disparaître retourner dans le ventre s’y vautrer de vertige on pourrait presque être plus libre de cette disparition on pourrait presque être plus fort dépecer sa peur la vomir la dissoudre on pourrait presque en faire des chaussures de sa peur et marcher avec tranquillement sur la tête une chaussure à tête 20


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pour disparaître on pourrait presque la souhaiter à qui de droit on pourrait presque la prêcher perché nu sur un tonneau percé on pourrait la clamer jusqu’à ce que la foule jouisse unilatéralement de cette saine et commune explosion on pourrait en faire des vêtements pour tous les enfants nus du monde pour tous les ventres pour toutes les plaies pour toutes les ombres on pourrait la boire jusqu’à plus soif cette obscène liqueur de perte ça ferait un peu de lumière l’explosion On pourrait presque renaître on pourrait presque en vivre de cette disparition

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Pierre Guéry Quatre heures quarante-quatre du matin Je ne vois rien de la vie des êtres qui ne pénètrent pas dans la mienne. A quelque distance de mon cœur mais suffisamment proches pour occuper mes yeux, ils ne sont que des palettes de couleurs, des gammes d’odeurs… Sans se lasser ma main suit tout son corps, à ses épaules s’attarde et s’attache. Du bout de l’index je sinue un chemin de sang couleur d’ecchymose, qui mène droit là où ça bat. Toute son anatomie n’est qu’un poumon qui bruisse doucement, se gonfle et puis se vide, à la cadence d’une pompe à eau. Ma balade à son torse doit se caler à son tempo : la chair monte, se suspend un instant puis se perce en souffle tiède. A sa peau je veux coller la mienne. Besoin. Sentir. Manger par la paume de mes mains. Lui dévorer son ventre. Deviner les images qui s’installent sous les cils, m’inviter à ce qui défile sous les yeux clos, forcer le barrage de ses rêves, courir avec eux dans mes ruines. Symptômes de faim. Que dissimule cet ange endormi, cette petite gueule d’amour sans âme en moi ? C’est la nuit noire, et dans sa nuit le lit exhale des parfums de corps absents que je ne connais pas. Je voudrais oh je voudrais ici rester, ne plus bouger loin de ce corps et contempler. Céder à la concupiscence qui me manque. Me rouler dans ces traits, si familiers et si étranges. Me vautrer dans leurs dessins, me reposer dans leur image. Adorer cette statue qui sommeille, inconscience minérale d’un marbre chaud et vivant. 22


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Je ne connais même pas son nom et cette idée me fait à nouveau désirer son étreinte précise, mesurée de feinte violence, d’une assurance qui ne sied pas à la douceur de son visage. L’avoir à moi encore une fois, avant que le jour ne fasse fuir cette chimère. Je devrais me résoudre à partir tandis que ses yeux sont ailleurs, hors de portée, incapables de me poursuivre et de m’interroger. Mais je reste là comme l’enfant que j’étais, fasciné par la vitrine d’un magasin de jouets, entre désir et à quoi bon. Ses mains s’agitent, le front se plisse un songe passe. Y suis-je, pas sage dans ses images ? J’aimerais le croire pour apaiser mon trouble ; hanter moi aussi, de l’autre côté des paupières. Sa respiration change, la bouche s’entrouvre. Maudit soit ce sommeil si profond, si paisible et dont je ne suis pas. J’aurais voulu que ma présence l’empêche de s’y rendre. Du dépit, déjà ! Mon ventre tiraille. Le désir et sa crainte. Ma peur est tapie mais prête à fondre sur moi, à s’y répandre. A me tacher. A m’effacer. Que nous sommes-nous dit avant nos gestes ? Je ne retrouve pas ces mots qui d’habitude ont un écho. Ces purs extraits de rencontre que l’on garde en soi gravés comme des gages de vérité, comme signes que l’échange a existé. Comme si les premiers mots étaient plus vrais. Je ne revois que ses yeux fouillant dans les miens. Pas un de ces regards qui en disent long, non. Un regard qui prend sans rendre rien comme si c’était sien, un regard qui déshabille sans hâte, et qui laisse naturellement nu sans l’once d’une opposition. Viol consenti d’une inaliénable proie.

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Cette observation immobile et futile me donne envie de secouer ce corps en son lit incrusté ; lui demander quelques comptes sur ce tour de magie, noire et blanche à la fois. Je n’en fais rien car ne puis me résoudre à briser le cristal de cet instant de grâce. Je retiens mon souffle, un ange passe… Ailleurs, avant, durant des heures je glissais mon regard le long des nervures du bois, scrutant longuement les nœuds de la frise au plafond. De grandes prunelles sombres étaient alors témoin de mon absence. Le bois est hypnotique : un labyrinthe végétal pour une énigme sentimentale. Le bois est hypnotique, la chair aussi. La fascination que suscite la blancheur extrême d’une peau, marbre lisse ou poche de lait ; l’éclat particulier d’un iris au milieu de millions d’yeux sans étoiles. J’aime y errer parfois : c’est une activité sérieuse que d’ainsi perdre son temps, de l’égarer. Mais là je le crains je me fourvoie. Quelle heure est-il ? Quatre heures quarante-quatre du matin. Avoir une idole pour la nuit… Ma capture fut si facile ; aucune résistance de ma part, non plus de la sienne. Au plaisir d’être proie j’ai cédé, délicieusement. C’est arrivé si vite, un souffle. Intensité saisissante, tendue d’un désir sans heurt, comme si tout avait été des deux côtés préparé : regards, mots, gestes. Et nous avons fait l’amour. Non. Nous n’avons que bellement baisé. Pourtant, j’aurais bien dit… Cette créature qui ronronne me révèlera -t’elle jamais si elle a partagé mon émoi ? Et maintenant si près, si seuls… Ma trouille se mêle à mon chagrin. Un mal très à l’aise en moi s’insinue. Si je sortais. Si j’allais jusqu’à la plage. L’air marin me ferait du bien. Mais est-il

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certain que je garde alors en moi son image, que j’y accède à souhait ? Ce serait beau, pourtant, de voir son visage sur une constellation. Une constellation qui porterait son nom, même si je ne le connais pas. Ce visage s’éclipsera je le sais. Sa découpe ne sera plus que souvenir d’un improbable réel. Je ne peux plus rester. Son réveil pourrait trahir une déconvenue. Mélange amer de fatigue et de nausée, imbroglio d’alcools et de hontes. Gifle en pleine face et estime de soi piétinée, je préfère ne pas assister à cette triste scène. Miroir serti de ma déraison, et j’en serais la cause. Mieux vaut m’enfuir. Une quelconque tendresse nous serait à présent incongrue. Le sexe a clos marivaudages et griseries. Nos corps ont absorbé l’ivresse, consumé l’excitation. Il n’y aurait plus que déplaisir et dégoût sans couleurs. Mes mâchoires se crispent. Elles déchirent l’air à défaut de broyer un cœur. Je n’ai rien à attendre de plus, juste prendre le plaisir offert et partir, sortir du cadre. Je repousse les draps, cherche dans la pénombre mauve mes habits jetés tout à l’heure à la hâte. Mon cœur tape si fort qu’on doit l’entendre au dehors, crier qu’il ne veut pas s’en aller. Je regarde à nouveau l’ombre de ma dépouille qu’est son corps, d’un peu plus loin maintenant. Ce spectacle me glace, un frisson court sur ma nuque et me tire tant la peau que ma bouche se fend et grimace. La poignée gémit sous mes doigts. Un dernier coup d’œil ; je sors. La porte se referme sur moi dans un son de baiser sur le cou.

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Marie-Eve Guillon Pas d’ascenseur pour l’échafaud ! Dans l’escalier, Dès l’entresol, Elle les engloutit Goulûment Et croise mon regard. Comme pour excuser Son geste déplacé Elle m’avoue : « En ce moment, c’est pas la joie ! » Les enfants sont charmants Mais fatigants, Voilà son alibi En chair et en os : « Je suis éprouvée Par toutes ces années Quand on bande trop l’arc Il finit par craquer… » Ses yeux noircis me supplient Silence offert sans concession Témoin muet : Taire la tare sacrée Fermer les yeux Et la laisser Gravir les degrés Qui mènent au plafond De la retraite. Demi tour ! Ne pas suivre ces aînés Agrégés. Fuir ce double, Ma future silhouette Privée d’avenir. Refuser de souiller Mes sens Encore éveillés, Préserver mes nerfs Des agressions scolaires. 26


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Le squelette flageolant Me sourit. Il éponge, de sa main osseuse, Les débordements salins, Cataractes marines, De ses orbites bleutés. Agrippée à la rampe, L’enseignante progresse Dans son ascension Fatale. Un sale rictus. Elle déglutit enfin Les gélules pastelles. Sauvée, croit-elle Par ces douces molécules Qui s’éclatent bon train Sur le voile du palais, Caressent sa langue, Electrisent sa salive Et assoupissent ses sens. Fuir ! Descendre ces quelques marches Vitales, Refuser ce ghetto, Cette tour infernale ! « Crachez ces bonbons Flingueurs ! Prenez plutôt Des carambars ! » Elle me regarda Bizarre ! « Non, pas les standards Qui vous clouent Sur la chaise dentaire Mais ceux aux fruits, Lumineux, acidulés De soleil… La vie, je vous promets Ne sera plus pareille ! » 27


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Ludovic Kaspar

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Civilités Là ou ailleurs... Ca commence par une erreur. Jack et Lyn, mes créateurs, préparaient le rituel BBQ des dimanches estivaux et je révisais ma brasse dans la piscine peu profonde. Je portais mèche blonde de droite à gauche au gré des rafales du vent puant comme l’haleine d’un vieux dingo - des carcasses d’animaux en putréfaction jonchaient les pelouses du lotissement. Jack me surnommait « Mein führer! » à tout bout de champ et Lyn renonçait à m’emmener chez le coiffeur depuis perpette car cette blague pressurisait ses zygomatiques dépressifs comme un rail de mauvaise coke. Grimaces et dentition refaite. Les voisins ne tarderaient pas à rapporter la bidoche, un kangourou bien vivant à cramer à vif. Le cri du kangourou immolé, assez feutré, excitait ce petit monde de banlieue à l'Est de Sydney sans que personne ne s’offusque. Coutume. Comme à son habitude, Jack tenait à organiser un pugilat à mains nues contre la bestiole avant de la trancher encore rose dans l’assiette. C’était l’occasion de parier et de s’amuser un peu, les dimanches sont plutôt creux en Australie, vaste désert insulaire. A chacun ses combats de coqs, sa pétanque, ses partouzes. Seulement, ce jour-là, William, un anglais à peine emménagé, crut bon d’offrir son chat persan à bouffer ! Quel manque de tact ! Manger du chat domestique est LE tabou de cette bonne société australe ! Jack, Lyn et les autres devinrent blêmes, tombèrent dans les pommes comme l’aborigène ivre mort chute de son boomerang. Au bord de la piscine, mes six ans murmurèrent : une bonne solution finale.

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Sale garde de petit prince Heureusement, il pilotait comme un manche… Insane réveil. Je l’envoie valdinguer : l’énergie de la fatigue rompue comme une baguette en deux. Sûr qu’il a son compte loin de mes tympans. Une clope, un café, de la zique… Mon crâne est un bunker explosed. Une murge de plus, c’est tout. Seul comme un roi noyé sous son lavabo sec, il faut quand même se soulever. Pas que je doive bosser ! Je lutte au RMI pour la rédemption du Petit Prince. Si j’avais un métier : body-guard de Petit Prince. Dans la réalité, je me lève par hygiène. On peut se défoncer avec un minimum d’autodiscipline, sinon c’est cuit. Tu deviens un radis fondu. Le Petit Prince s’en remettrait pas. Pas envie d’être un radis pour des prunes… déjà que ma dernière brune me traitait de navet au pieu… Ha, mes burnes! Khaled tourne sur la platine, morceau calme et solaire : Caméléons. Je ne me sens plus si mal. Vive le bédo de dix heures ! La tasse de café renversée sur mes jambes nues brûle ma peau sans douleur. Tout passe comme une pierre à la poste. Lavage à l’Éléphant Bleu vitesse grand V. Habits en vrac, dépareillé. Prêt à sortir toutou. Je me souviens à temps que j’en ai pas. Pas de souci puisqu’il faut sortir amen. J’attrape une cordelette, me la noue autour du coup et je sors alléluia. Me promener seul en jappant au croisement d’une caniche. Inch allah. Un grand reu-noi tente de faire le pitt avec son collier à pointes. Je pisse deux trois gouttes sur son rêve ; pas digne d’un petit prince sans doute… mais je garde que son corps. Quel con protège encore son âme, petit?

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Alain Crozier Poèmes extraits de La cité des clés

Illustration de Catherine Perret

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Le rêve éternel Triptyque du rêve éternel. Le car, Le lycée, Les filles. Toutes les possibilités ont été rêvées. Hiver, été, Aube, matinée, Retard, déviation dans la nature, Âmes aimées ou désirées, Actes manqués ou regrets. Par sa fréquence, Récurrente, Ce rêve semble éternel. L'épisode unique D'un feuilleton Qui se réécrit Souvent. La peur ou L'angoisse Enveloppe Le scénario. Il semble appartenir Définitivement à Mes nuits, Caché, endormi, Pouvant ressortir N'importe quand, Et presque tout le temps.

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Lune du lac Lune mélancolique, Une mélancolie, Dans le lac. Revenant chez moi, Revenant de chez la confidente, Je longe la longueur du lac. L'espoir plein la tête, La tête pleine de messages. Lune sombre, N'effaçant pas encore, La perte récente, Connue seulement, De la confidente. Liverpool, si loin, si proche. On noierait pour un peu, Le spleen dans la lune.

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mgversion2>datura ISSN: 1365 5418 mgv2_ edited by: Walter Ruhlmann Š mgversion2>datura & the contributors mgversion2datura@gmail.com http://mgversion2datura.hautetfort.com

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