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UN HOMME HORS DU TEMPS
MONTRES | EMMANUEL BREGUET
UN HOMME HORS DU TEMPS
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Le 28 septembre, les Ambassadeurs Luxembourg recevait Emmanuel Breguet, Vice-président de la Maison Breguet, en charge de son patrimoine et de son développement stratégique. Rencontre avec un homme hors du temps. Par David bail et Anne Ciancanelli
L'homme à l'élégance toute parisienne se tient face à nous dans l'un des salons chics de la boutique Les Ambassadeurs Luxembourg. Il incarne les traditions de cette Maison fondée en 1775, synonyme d’excellence horlogère, que les plus grandes figures de l'histoire ont porté.
PREMIUM : Vous êtes historien de formation, quel
est votre rôle au sein de la maison Breguet ?
Emmanuel Breguet : Je travaille pour une maison qui n’appartient plus à ma famille depuis fort longtemps. Mon rôle est de veiller sur le patrimoine de l’entreprise, qui est tout à fait exceptionnel. Le fondateur de la maison est un grand homme de l’horlogerie, tous les historiens le disent depuis longtemps et le disaient de son vivant. Il possède une oeuvre majeure, le rêve pour un historien ! Il y a énormément d’éléments et de matériaux pour étudier son oeuvre. Je travaille donc sur des archives privées de famille et d’autres plus publiques. Elles retracent toute sa vie, et sont incroyablement fournies : on sait ce qu’Arnaud Breguet faisait chaque jour de sa vie, avec quelles personnes il était en contact... Néanmoins, certaines archives datent de l’époque de la Révolution Française, durant les premières années de sa carrières à la fin du XVIIIe siècle, et ont malheureusement disparu. Elles sont conservées Place Vendôme à Paris, et il est possible de venir les observer ! Dans ce rôle d’historien, j’ai eu la chance de débuter lorsque la maison a été rachetée par le groupe Swatch, dirigé par son patron charismatique, Nicolas Ayec, qui est un immense personnage de l’horlogerie Suisse. Nicolas a d’ailleurs prononcé ces mots, « devant une histoire pareille, on doit faire un musée ». Pour lui, cela signifie représenter des pièces qui honorent à la fois le génie du fondateur et la longévité de à maison. J’ai eu la chance de créer ce musée, c’est à dire de racheter dans des ventes aux enchères tout ce qu’on avait envie d’acheter et le présenter au public. C’était la volonté principale de monsieur Ayec, pour qui cette collection n’a de sens que si il y a un partage et une immédiateté. C’est pour ces raisons que des trésors de l’horlogerie sont présents dans la boutique conventionnelle au premier étage du musée. Ce sont des pièces majeures incroyables à étudier lors d’une visite (simple ou guidée). Mon rôle est d’écrire cette belle histoire, d’écrire des livres, de voyager, et de la raconter dans tous les pays où nous sommes implantés. En gros, c’est très intéressant et je ne m’ennuie pas (rires).
PREMIUM : J’ai entendu dire que vous avez participé à des enchères pour retrouver ces archives, avezvous utilisé d’autres moyens (des rencontres avec des collectionneurs ou des anciens propriétaires) ? Pour écrire l’histoire de Breguet, j’ai utilisé les archives de la maison, les quelques unes qui sont encore dans la famille, et qui jouent un rôle majeur. J’ai été dans toutes les institutions, les bibliothèques et les centres d’archives où Breguet est mentionné. Arnaud Breguet a énormément marqué son époque, son nom est donc présent dans les archives nationales, dans les académies des sciences, au British Museum... Il y a des choses partout, en Russie, aux Etats-Unis, c’est impressionnant ! J’ai également eu la
Le musée Breguet de Paris au premier étage de la boutique sur la Place Vendôme, présente une centaine d’objets prestigieux parmi les quelques 200 pièces historiques que possède Breguet. Il s’agit de la plus grande exposition permanente de pièces Breguet au monde.
chance de mettre la main sur des objets placés en vente, que j’ai pu racheter. Il y a un patrimoine extrêmement riche à exploiter, sur lequel je pourrai encore beaucoup écrire. J’estime que ce que j’ai fait est bien mais il reste encore beaucoup à faire, et il y a de la matière pour d’autres historiens après moi.
PREMIUM : Quelle est la pièce qui vous tient le plus
à coeur dans ces archives ?
Nous avons racheté plus de 300 pièces. Ce que nous voulions faire en reconstituant la collection, c’est illustrer les différentes facettes du génie du fondateur ainsi que la longévité de la maison. Le défi était de ne pas racheter de pièces d'avant uniquement les années 1800 et 1830, mais également des pièces du milieu du XIXe et de l’entre deux guerres, du courant 'art déco'. En ce moment, nous rachetons des pièces de l’époque dite 'vintage', datant des années 1950 à 1970. C’est très intéressant de poursuivre la collection et de continuer à prouver le génie du fondateur, mais aussi comment la maison parvient à traverser les siècles, avec des produits qui illustrent chaque époque.
PREMIUM : Y-a t il une découverte que vous ayez
faite vous même durant cette recherche sur l’histoire du fondateur ou de la marque ?
Oui, bien sûr ! Avant moi, des études sur Breguet sont parues concernant le côté technique de ses créations, des collectionneurs ont écrit des livres sur leur collection personnelle, certains écrivent sur la dimension scientifique de la création d’Arnaud Breguet... En tant qu’historien, ce qui m’intéresse et qui constitue un chapitre central dans mes écrits, c’est la diffusion de l’oeuvre. Breguet possédait trois grandes qualités qui lui ont permis d’exercer son influence : il est à la fois un grand ingénieur, technicien et scientifique, mais il était aussi un réel pionnier dans le domaine artistique, et il a finalement su intégrer les codes qui lui ont permis d’avoir autant de clients de multiples origines. Mes écrits se sont donc orientés sur la manière dont il a fait pour être présent dans autant de pays, en tant qu’horloger suisse vivant à Paris. C’est cet aspect qui m’a passionné, j’ai donc mis en lumière par quel moyen quelqu’un de l’époque pouvait se faire connaitre en Russie, en Turquie, en Angleterre, en Italie... J’ai découvert la manière dont Breguet s’y est pris : il s’est entouré d’amis (professionnels ou non), mais il a également rencontré des ambassadeurs d’Alexandre Ier en Russie, qui ont eu un rôle capital dans l’expansion de sa marque. Pour rappel, les ambassadeurs, en voyageant, faisaient remonter les normes et les modes étrangères dans leur pays d’origine. C’est le comment qui me tient à coeur et que je tente d’exploiter autant que possible.
PREMIUM : Quelles sont vos méthodes pour recueil-
lir autant d’informations de ces archives ?
A force de tourner les pages des registres, il y a des faits que j’ai mis en lumière, et qui étaient oubliés. C’est le cas de la première 'montre bracelet' pour Caroline Muras, la soeur de Napoleon Ier et la Reine de Naples. C’est le travail d’un long dépouillement d’archives systématique. J’ai également mis les compétences traditionnelles d’un historien à profit : j’ai regardé ce que j’avais à disposition avec intérêt, j’ai énormément lu, sans pour autant dénicher systématiquement la perle rare. J’ai également trouvé les travaux d’Antoine-Louis Breguet, fils du fondateur, sur le bouton de remontoir. Comme pour la Reine de Naples, nous trouvons les premières traces d’un fait ancien documenté, qui débouche sur une invention trop novatrice tombée dans l’oubli. Le bouton de remontoir qui remplace la clé s’est généralisé plus tardivement, 50 ans après son invention. C’est très satisfaisant de découvrir ce genre d’archives, elles sont tant dissimulées que leur secret est réservé aux gens qui cherchent. On tombe également sur des détails oubliés, qui n’ont pas connu la réussite recherchée. L’oeuvre de Breguet était très largement connue avant que je l’écrive, mais si j’ai pu apporter une contribution, j’en suis très honoré ! J’ai aussi beaucoup étudié Breguet sur le plan humain, ce qui a rendu sa connaissance possible. Sa vie est une aven-
ture humaine, auparavant jamais décryptée ; j’ai essayé de le faire du mieux que possible. Les archives permettent d’observer qu’une certaine élite communique beaucoup, les frontières étaient débridées et cela a eu un impact capital sur la popularité internationale de la marque.
PREMIUM : Qu’est ce qui permet de reconnaitre
immédiatement une montre Breguet ?
Certains signes distinctifs ont été crées par le fondateur, qu’on retrouve encore aujourd’hui. Je porte par exemple une montre aux caractéristiques d’une signature esthétique nettement identifiable. Certes, on retrouve un cadrant guilloché et excentré, une certaine disposition des fonctions, des carrures cannelées... Mais le style Breguet, c’est un tout : il est sobre, élégant, discret. On reconnait les montres Breguet par un ensemble de choses qui ont presque 250 ans, notamment le guillochage et le cadran à email blanc qui traversent les siècles sans vieillir. Breguet a simplifié l’esthétique des montres, aujourd'hui on appellerait ça le design. Il y a un coté minimaliste dans le style Breguet, il a été à l’essentiel.
PREMIUM : Quels sont les plus illustres clients de la
maison Breguet ?
Breguet vit presque 77 ans, ce qui est assez âgé pour un homme de sa génération. Une de ses clés pour réussir assez rapidement, c’est la Cour de France. Louis XVI et Marie Antoinette sont devenus ses clients fidèles. Il était celui qui dictait la mode, et les plus puissants s’arrachaient ses créations. Napoléon achetait aussi des montres et des pendules signé Breguet bien avant d’être empereur, puis sa famille également. C’est tout à fait fascinant d'observer son influence chez les classes privilégiées. Il y a l’idée d’un réseau international, d’une dimension hors des frontières, mais aussi des relations franco-suisses qu’il entretenait. Breguet a su se défaire des contraintes de sa double-nationalité ; ce n‘était pas évident pour des monarques et des empereurs de porter au poignet un objet de collection d’un créateur franco-suisse ! A son époque, l’horlogerie anglaise était très avancée : il est parvenu à apporter quelque chose que les plus grands horlogers anglais n’avaient pas, et son originalité a plu au roi d’Angleterre et à ses prédécesseurs. La vente de montres Breguet aux familles royales et aisées sont très documentées, on sait exactement la date à laquelle il a contacté les rois, quand il a été payé, et quand ses clients ont reçu leur commande. Cela relève de l’exceptionnel, pour l’époque. Les diplomates et scientifiques de renoms portaient également ses créations, tout comme le Tsar de Russie, Winston Churchill... C’était une impulsion qui ne s’arrêtait pas, tous les souverains d’Europe succombaient à la mode Breguet. Pour l’anecdote, Churchill a porté toute sa vie une montre Breguet, retrouvée dans l’héritage d’un de ses grands oncles. C’était une montre compliquée, chronographe et à répétition minutes. Il a toujours refusé d’acheter d’autres montres neuves, et insistait pour qu’elle soit entretenue uniquement par la maison Breguet.
PREMIUM : Quel avenir imaginez-vous pour l'horlo-
gerie ?
Je suis persuadé que les gens seront toujours sensibles à la haute horlogerie. C’est une sorte de résumé de science, de techniques et d’art. Il y a très peu de domaines qui sont à ce point à la rencontre des arts décoratifs et des sciences techniques. La haute horlogerie, c’est tout à la fois. Elle n’est plus dans l’âge utilitaire, mais on la porte pour le plaisir, parce qu’elle représente quelque chose de culturel et qu’elle représente des siècles de recherche. C’est de la micro mécanique aussi bien que de l’ingénierie, de mécanique et du design. L’horlogerie est ce que les philosophes appelaient au XVIIIe siècle un microcosme, une représentation minuteurisée de l’univers. Le goût pour l’horlogerie ne peut que se perpétuer, il est très parlant, et je ne suis pas inquiet pour son devenir. L’horlogerie traditionnelle continuera à parler aux gens, Breguet en particulier avec l’art de la technique et du design qui est perpétué avec un style bien particulier et singulier.
Montre de souscription Breguet no. 1287 vendue en 1803. AbrahamLouis Breguet a créé les montres les plus simples de son temps. Un succès commercial qui attira de nouveaux clients qui acquirent ensuite des pièces plus compliquées.