Bienvenue à Wonderland (extrait) Mickaël IVORRA www.chasseursdereves.com www.ysambre.com
La tortue des Galapagos dégueule chaque jour son poids en planctons. C’est un fait établi. En tout cas, là où je vis. Ici, on ne sait jamais trop à quoi s’attendre. Des hippopotames en tutu dansent la Macarena dans les rues de la ville, et l’escouade des Terribles Ornythorinques Electriques terrorise la population nocturne. Pirates informatiques ou Corsaires de pacotille, fumeries d’opium ou drogues virtuelles : tout ou presque se trouve, se vend et s’échange ici. Bienvenue à Wonderland, le pays où tes rêves les plus fous peuvent être exaucés. Si tu te trouves du bon côté de la barrière, bien sûr... *** Nuit lourde et poisseuse, bruyante et animée, bref, un soir d’été comme on les aime à Wonderland. Dans mon petit deux-pièces, isolé de la faune nocturne par une cloison leucémique, j’achevais l’invocation du Mailer Demon. Avec un craquement sec, mon crocodile empaillé décida brusquement de se désolidariser du plafond, atterrissant sur le moniteur du PC et déversant la cire des bougies sur le chat. Un long miaulement de protestation et deux corolles de fumée s’ensuivirent, tandis que l’écran affichait en lettres vertes clignotantes l’inévitable message : “Mailer Demon error 415 : returned mail – host unknown”. Je pouvais dire adieu à tous mes mails et tenter de rebooter. Heureusement, le PC, je connaissais. Pour payer l’appartement et nourrir le chat, je désenvoûtais les ordinateurs du voisinage et des innombrables appareils ménagers “powered by Windows”. Malheureusement, les petits prospectus que je déposais dans les boites aux lettres n’attiraient plus grand monde ces derniers temps - aussi je complétais mes revenus par des piges pour plusieurs revues de jeux vidéo, le seul élément stable de ces dix dernières années. La magie ne se révélait pas toujours efficace contre les crises de folie des appareils informatiques. Il y a dix ans, les tabloïdes accusaient Microsoft de conspirer avec les extra-terrestres, et d’avoir conçu Windows pour générer un chaos propice à l’invasion ET. Evidemment, le Grand Basculement et le bordel qui suivit le débarquement des véritables Aliens n’avaient pas amélioré la situation – mais cela avait au moins clarifié une chose : si les ordinateurs étaient doués d’intelligence, c’était une forme d’intelligence sadique et autonome. Découragé, je mis vaguement de l’ordre dans ma tignasse et mes vêtements fripés, puis descendis l’escalier branlant pour aller chercher des pièces de rechange chez le quincaillier du coin, ainsi qu’un nouveau poulet sacrificiel pour rebooter Windows. L’informatique était une profession salissante et risquée, mais au moins elle payait. Et j’aurais tout fait pour éviter de devenir un de ces déchets humains qui encombraient les porches et les escaliers de chaque immeuble, perdus dans leurs rêves artificiels.
Sitôt la porte d’entrée poussée, il fallait endurer la cacophonie des klaxons et des vendeurs à la criée, se frayer un chemin entre pousse-pousse, passants et voitures. Le quartier exhalait une odeur bien particulière, oscillant entre le Kebab aux algues modifiées et le caoutchouc brûlé (qui entrait d’ailleurs peut-être dans sa composition). J’enfilai le masque à gaz, esquivant de justesse un cyclopède qui m’injuria copieusement au passage.
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