unef.fr
APFEE
Association pour la Formation des Elus Etudiants
Le mensuel d’information des élus étudiants N° 141 - Juin 2008 - 0,15 Euros
p. 7
Fiche pratique
Dossier
Interview
Les droits du stagiaire
Vers l’unification de l’enseignement supérieur
Christian Margaria, président de la CGE
p. 4 - 5
SOMMAIRE
Edito
Actualités locales • INSA de Lyon : la charte européenne de la recherche signée • INSA de Toulouse : un fonds d’aide à la mobilité • Dauphine : le scandale des frais d’inscription • IEP : réforme du concours d’entrée
p. 2 Actualités nationales • Lutter contre le bizutage • Classes prépas : le chantier de l’intégration dans les universités
Perspectives
p. 8
p. 3
Bonjour à tous, Universités, ENS, INP, écoles d’ingénieurs, IEP…. Le service public d’enseignement supérieur français connaît une fragmentation importante à laquelle la Lettre des Elus consacre un numéro spécial ce mois-ci. La spécificité française que constitue la séparation universités – grandes écoles revient régulièrement dans le débat concernant l’enseignement supérieur et intrigue bien souvent les observateurs internationaux. Les rapprochements qui sont en cours traduisent la volonté de parvenir à un système plus fort et plus lisible au plan national comme à l’étranger. Mais le cloisonnement entre ces deux univers pose aussi d’autres questions relatives à la démocratisation des formations des grandes écoles et aux inégalités entre étudiants. L’intégration des classes prépas aux universités, l’ouverture sociale des grandes écoles, la professionnalisation des cursus universitaires sont autant de dossiers qui ne manqueront pas d’être soulevés dans les mois à venir. Vous trouverez dans ce numéro les réflexions de vos élus « UNEF et associations étudiantes » sur l’ensemble de ces dossiers. Enfin, la Lettre des Elus donne ce mois-ci la parole à Christian Margaria, Président de la Conférence des grandes écoles (CGE), qui revient sur la place des grandes écoles dans l’enseignement supérieur et leurs relations avec l’université, ainsi que sur l’ouverture sociale de ces établissements. Bonne lecture,
• L’ouverture sociale des grandes écoles
p. 6
Thierry Le Cras, élu au CNESER
Une publication mensuelle de l’UNEF et de l’APFEE. N° de Commission Paritaire : 0108G82659 - ISSN : 1761-1547 — Directeur de publication : Victor VIDILLES Rédacteurs en chef : Gabriel SZEFTEL, Hélène PASQUIER — courriel : universitaire@unef.fr — Tél : 01 42 02 25 55 — Impression : imprimerie Grenier RCS Créteil B 622.053.189
Actualités locales IEP
de Paris. Les propositions des élus « UNEF et associations étudiantes » pour la démocratisation du concours.
La réforme des concours, un enjeu pour la démocratisation des grandes écoles
L’INSA de Lyon signe la charte européenne du chercheur En juillet dernier, l’INSA de Lyon était la première école d’ingénieurs française à signer la
l’application des dispositions de la charte dans les établissements membres.
charte européenne du chercheur et le code
La charte européenne du chercheur a été
de bonne conduite en matière de recrutement.
adoptée le 11 mars 2005 par la Commission
Alors que de nombreuses universités et orga-
européenne. Elle énonce notamment le principe
nismes de recherche (CNRS, INSERM…) ont
d’une reconnaissance professionnelle des étu-
déjà signé cette charte, les grandes écoles qui
diants de 3ème cycle : c’est à dire qu’ils peuvent
développent des laboratoires et accueillent des
prétendre à une véritable rémunération ainsi
doctorants accusent un certain retard dans l’har-
qu’à la protection sociale (maladie, chômage,
monisation européenne des conditions de travail
retraite…). Cet effort de réglementation doit être
des chercheurs. L’INSA de Lyon ayant franchi le
salué mais on peut regretter que l’application de
pas, il faut désormais que d’autres écoles, sous
la charte ne constitue pas une obligation pour les
l’impulsion des élus étudiants, prennent la même
Etats membres.
Les grandes écoles se distinguent par
initiative. La Conférence des Grandes Ecoles
une sélection pédagogique à leur entrée
(CGE) doit également être signataire et veiller à
Sébastien Louradour, élu au CNESER
qui se traduit bien souvent par une sélection sociale des étudiants. Nous l’avons particulièrement remarqué à l’institut des études politique (IEP) de Paris. En effet, on observe que 78,5% des admis sont issus de familles aisées alors qu’ils ne représentent que 32% de la population universitaire. Loin de nous satisfaire de ce simple
Frais d’inscription à Dauphine : une remise en cause des droits étudiants
constat, nous avons publié des propositions de réforme du concours pour en diminuer l’injustice sociale. Nous avons notamment proposé que le programme du concours soit clarifié, en fixant des objectifs précis et hiérarchisés, publiés sur le site de l’IEP, pour les candidats. De même nous avons proposé la création de centres de concours en province pour éviter la sélection géographique et les dépenses de déplacement et d’hébergement. En effet, on remarque qu’un parisien a 2,3 chances de plus d’être admis à l’IEP qu’un étudiant de province. En février dernier, le conseil d’administration
une réforme qui peut conduire, en renonçant
Ces propositions ont déjà été en partie
de l’université Paris 9 Dauphine a voté le prin-
aux diplômes nationaux, à brader la qualité des
mises en œuvre par d’autres IEP, comme
cipe d’une hausse des frais d’inscription de 800
diplômes de Dauphine et à une diminution, voi-
celui de Grenoble qui a décidé de concen-
euros en moyenne par étudiant, notamment en
re à une suppression de sa dotation publique.
trer les épreuves du concours sur le milieu
renonçant à délivrer des diplômes nationaux.
Le président de l’université a finalement
de journée pour éviter les frais d’héberge-
Cette hausse ne pouvait être justifiée par un
renoncé à son projet devant l’avis du Conseil
ment et de doter l’épreuve de culture géné-
manque de moyens : en 2007-2008, Dauphine
d’Etat qui est intervenu pour interdire à l’uni-
rale d’un programme précis. Un exemple à
a connu une augmentation de 20% de son bud-
versité de requalifier ses diplômes nationaux
suivre.
get, et son financement a été assuré à 85% par
en diplôme d’établissement (DU). En effet, en
des fonds publics. Les élus « UNEF et asso-
tant qu’établissement public financé majoritai-
Gwendoline Lafarge,
ciations étudiantes » se sont mobilisés contre
rement par l’Etat, Dauphine ne peut se dégager
élue au conseil de direction de l’IEP de
cette réforme injuste socialement, et qui aurait
de ses missions de service public en mettant fin
Paris
eu pour conséquence de limiter l’accès aux étu-
à ses diplômes nationaux.
des pour les étudiants les plus modestes. Nous sommes également intervenus pour dénoncer
Juliette Griffond, élue au CNESER
La Lettre Des Élus n°141 - Juin 2008
Actualités nationales Bizutage. Les élus « UNEF & associations étudiantes » s’engagent dans le Comité National Contre le Bizutage (CNCB).
Bizutage : une réalité qu’il faut continuer de dénoncer Le premier contact avec un nouvel établis-
ciations étudiantes » participent, se mobilise
sement d’enseignement est un moment tou-
pour mettre fin à ces pratiques : campagne
jours un peu stressant pour un étudiant. Réus-
d’information, intervention auprès des établis-
sira-t-on à s’intégrer et donc à bénéficier de la
sements…
solidarité ? Cette période peut même devenir dangereuse dans certains établissements ou
L’enjeu est aujourd’hui de responsabiliser
certaines filières. En effet, bien qu’interdit par
les directions d’établissement pour qu’elles
la loi depuis 1998, les weekends et soirées
soient informées et valident avec les élus
d’intégration se traduisent encore trop souvent
étudiants les programmes et contenus des
par un bizutage en règle des nouveaux. Le
weekends et soirées d’intégration. Le poids
bizutage n’est certes plus affiché en tant que
des élus étudiants est extrêmement important
tel mais les humiliations persistent : gavage al-
puisque c’est aussi la légitimité de ces prati-
coolique forcé, actes ou simulation sexuelles
ques, vues comme des traditions d’établisse-
contraints, humiliations publiques... Toutes ces
ments, qu’il faut remettre en cause. Une charte
pratiques mettant en jeux une relation de do-
de l’accueil des nouveaux étudiants peut être
mination doivent être fermement dénoncées.
adoptée comme à l’ENSAIT de Rouen. A la
D’autant plus que le refus de se soumettre au
tradition d’intégration par la soumission nous
bizutage se traduit bien souvent par une exclu-
devons opposer celle de l’accueil et de la mise
sion de l’étudiant par ses camarades.
en confiance des nouveaux étudiants.
Chaque année le Comité National Contre
Anna Melin,
le Bizutage, auquel les élus « UNEF et asso-
élue au CNESER
CPGE.
Alors que le système classe prépa est devenu incontestablement un outil de reproduction sociale, le débat sur leur intégration aux universités est relancé.
Classes préparatoires : le chantier de leur intégration aux universités doit aboutir Le système des classes préparatoires aux
de licence. Un autre chiffre permet d’illustrer
minorité de lycées, localisés le plus souvent
grandes écoles est devenu incontestablement
la sous représentation des catégories les
en centre ville, est un puissant frein à cette
l’outil de la reproduction sociale des élites
moins favorisées : alors que l’enseignement
démocratisation. Un étudiant sortant d’un
et cette tendance va en s’accroissant. De
supérieur compte 30% d’étudiants boursiers,
lycée sans prépa réduit considérablement ses
nombreux acteurs, à l’instar de Jacques
la moyenne s’établissait à 19% pour les CPGE
chances d’accéder à une CPGE. L’intégration
Legendre sénateur et auteur d’un rapport sur
pour l’année universitaire 2005-2006.
des classes prépas au sein des universités
les CPGE, s’élèvent désormais pour dénoncer la « consanguinité » des élites formées en classes prépa et demander leur ouverture aux catégories sociales les moins favorisées.
Le maintien des CPGE au sein des lycées conforte les inégalités
Le constat est sans appel : si l’université
constitue à cet égard un levier important pour faire évoluer leur composition sociale. Mais elle permettra également de sortir du « tout grande école » auquel se résume bien souvent les années en CPGE en ouvrant aux étudiants
s’est incontestablement démocratisée ces
L’ouverture sociale des CPGE est aujourd’hui
des poursuites d’études universitaires en cas
dernières décennies, il n’en va pas de même
indispensable et la qualité de ces formations
d’échec aux concours.
pour les CPGE. En effet, 54 % des étudiants
doit
de prépas sont issus des catégories sociales
des catégories les moins favorisées. La
« favorisées » contre 29% dans un cursus
concentration des CPGE au sein d’une
aussi
profiter
aux
étudiants
issus Gabriel Szeftel, élu au CNESER
La Lettre Des Élus n°141 - Juin 2008
Dossier
Service public. La partition historique de l’enseignement supérieur pose aujourd’hui de nombreux problèmes e supérieur est plus que jamais d’actualité.
L’unification de l’enseignement supérie L’enseignement supérieur compte aujourd’hui plus de 2,2 millions d’étudiants mais tous ne sont pas logés à la même enseigne. Car le service public français d’enseignement supérieur conserve aujourd’hui sa partition historique entre les formations relevant de l’université et les autres, qui ne se rassemblent pas dans un groupe homogène. Cette spécificité française constitue aujourd’hui un frein puissant à une véritable démocratisation des études supérieures en excluant les étudiants issus des milieux modestes de certaines formations. Mais, dans un contexte de mondialisation du savoir et de concurrence accrue entre les espaces d’enseignement supérieur, la partition du système français conduit aussi à sa propre fragilisation. Car la dispersion actuelle des formations est source d’illisibilité des diplômes et entraîne des difficultés dans la reconnaissance des qualifications sur un marché du travail qui ne connaît plus de frontières. Aussi, la question de l’unification du service public d’enseignement supérieur se pose de façon urgente aujourd’hui et les pouvoirs publics doivent se saisir du dossier et faire face aux conservatismes traditionnels.
L’éclatement de l’enseignement supérieur est le fruit de l’histoire La dispersion des formations supérieures est le fruit de l’histoire et constitue aujourd’hui une exception dans le paysage de l’enseignement supérieur mondial. Seule la France s’est dotée d’un système bipartite cloisonné entre universités et grandes écoles. Au cours des décennies, de nouvelles structures d’enseignement ont été
créées par les pouvoirs publics en dehors de l’université et parfois même en dehors de la tutelle du ministère de l’enseignement supérieur. Aujourd’hui, la majorité des grands ministères sont la tutelle directe de nombreux établissements sur lesquels la politique du ministère de l’enseignement supérieur n’a pas d’influence (Industrie, Défense, Agriculture, Culture, Santé…). Ces nouveaux établissements ont souvent eu pour origine la nécessité de répondre à des nouveaux métiers naissants, ce que l’université facultaire et mandarinale était dans l’incapacité de faire. Désormais, l’université est davantage tournée vers l’insertion professionnelle et s’est ouverte à de nouvelles formations. Plus rien ne s’oppose donc à ce que l’université soit celle de tous les métiers. Conséquences : sur les 2,2 millions d’étudiants que compte l’enseignement supérieur, 63% seulement poursuivent leurs études au sein d’une université. Les autres sont dispersés au sein d’une multitude d’établissements au statut bien disparate : les grands établissements, les classes prépas, les formations comptables, les universités de technologie, les écoles paramédicales et sociales…
La partition de l’enseignement supérieur n’est pas sans conséquence pour les étudiants L’éclatement des formations pose les problèmes de lisibilité des diplômes, de diversité des droits étudiants, de qualité des formations... Autant d’éléments qui vont à l’encontre de la démocratisation des études supérieures et de l’insertion professionnelle des jeunes.
Universités/grandes écoles : la reproduction sociale joue à plein
Parmi la multitude d’établissements hors
caractéristique commune de ces établis-
université, les situations sont bien diffé-
sements est la sélection des étudiants à
rentes : établissement privé ou public,
l’entrée de ces formations, qui participent
établissement relevant du ministère de
de la reproduction des élites. Alors que
l’enseignement supérieur ou d’un autre
les cadres et professions supérieures re-
ministère (Industrie, Défense, Agricul-
présentent 11% de la population française,
ture…), établissement délivrant ou non
leurs enfants pèsent 47% des effectifs des
un diplôme national reconnu par l’Etat….
grands établissements et 51% de ceux
La partition de l’enseignement supérieur
des classes Prépa. A l’opposé, les enfants
conduit aujourd’hui à ce que de nombreu-
d’ouvriers sont représentés à hauteur de
ses formations ne soient pas délivrées par
3% (grands établissements) et 5% (classes
l’université et ne soient accessibles qu’aux
Prépa) alors que leur pourcentage s’élève
étudiants des classes favorisées. Car la
à 25% dans la population française.
La Lettre Des Élus n°141 - Juin 2008
L’illisibilité du système Une fois passé le baccalauréat, les jeunes sont confrontés à un système fragmenté dans lequel il est difficile de se retrouver. C’est d’abord le statut des établissements et les diplômes qu’ils délivrent qui pose problème. Car la montée en puissance de l’enseignement supérieur privé et de sa communication agressive ces dernières années a conduit à ce que de nombreux étudiants soient trompés sur la « marchandise » en poursuivant des formations qui ne sont reconnus ni par l’Etat ni dans les conventions collectives des entreprises. Ensuite, ce sont les modalités d’accès qui différent fortement : absence de sélection à l’université, sélection sur concours pour certains, sur dossier pour d’autres, passage obligatoire ou non en CPGE, recrutement post-bac, à bac +2…. Un vrai parcours du combattant.
L’inégalité des droits La principale conséquence de la partition de l’enseignement supérieur est l’inégalité des droits étudiants d’un établissement à l’autre. Car si la Lettre Des Elus s’adresse, comme son nom l’indique, aux élus étudiants, de nombreux établissements délivrant des formations supérieures n’ont pas d’organes démocratiques permettant l’association des usagers et personnels aux décisions. Il s’agit bien souvent de ceux relevant d’un autre ministère que celui de l’enseignement supérieur. Ces inégalités s’expriment aussi pleinement en matière d’examens où les droits étudiants sont loin d’être harmonisés sur des questions concrètes : anonymat des copies, compensation annuelle des notes,
Dossier
en termes de lisibilité des formations et d’inégalité entre les étudiants. Avancer vers l’unification de l’enseignement
eur en question avec des promotions d’étudiants suffisamment petites qui permettent notamment une interaction poussée entre étudiants et enseignants. Il en va aussi de la professionnalisation des cursus et du suivi de l’insertion professionnelle des étudiants : l’enseignement des langues, l’accès aux nouvelles technologies de l’information, ou encore l’accomplissement obligatoire d’un stage sont autant d’éléments où les grandes écoles bénéficient d’une longueur d’avance. Ainsi, 82% des étudiants trouvent un emploi moins de 2 mois après l’obtention de leur diplômes1.Il en va enfin de la mobilité internationale qui n’est pas encore véritablement intégrée à la culture universitaire. Plus que la sélection, ce sont ainsi les caractéristiques et les moyens accordés aux grandes écoles qui font la qualité de leurs formations. possibilité de redoubler. Enfin, les inégalités s’expriment pleinement en matière de droits d’inscription qui sont bien souvent différents d’un établissement à l’autre, entraînant ainsi une sélection sociale, et disciplinaire accrue.
La qualité des formations La dispersion de l’enseignement supérieur a conduit aussi à ce que tous les établissements ne soient pas soumis aux mêmes critères permettant de définir le contenu et les modalités d’une formation de qualité. Il en va du volume horaire, de la répartition des enseignements entre CM et TD, ou encore de la place respective du contrôle terminal et du contrôle continu. Mais beaucoup d’établissements échappent également à l’obligation d’un adossement de leurs formations à la recherche, gage de qualité.
Vers l’unification l’enseignement supérieur
de
L’unification complète de l’enseignement supérieur ne se réalisera pas d’un coup de baguette magique car ce processus se heurte à des pesanteurs culturelles et au conservatisme de certains. Pour autant, les pouvoirs publics ne sauraient se complaire dans l’immobilisme alors que la concurrence internationale impose d’aller vers un service public unifié aux établissements de statut identique et de taille suffisante. Cette unification doit se réaliser par le haut, autour du modèle universitaire, en intégrant les points forts des grandes écoles. Car à de nombreux égards, les grandes écoles ont un temps d’avance sur les universités. Il en va des méthodes pédagogiques et de la pluridisciplinarité,
Intégrer les classes prépas aux universités Avant d’envisager le rapprochement au niveau Master, où l’identité des établissements est la plus forte, il s’agit d’abord d’intégrer les classes prépa au sein des universités. Cela permettra bien sûr une plus grande ouverture sociale de ces formations qui sont devenues aujourd’hui l’instrument privilégié de la reproduction des élites. Mais il s’agit aussi de sortir les classes prépas des lycées où elles sont confinées pour les faire accéder au rang de véritables formations post-bac et les intégrer ainsi à l’espace des formations du supérieur.
Développer les outils de coopération entre établissements Le mouvement de coopération que l’on observe depuis deux ans doit se poursuivre. En effet, de nombreux établissements se sont associés aux universités pour constituer des PRES2 et des RTRA3. Il s’agit des outils créés en 2006 par la loi de programmation pour la recherche permettant la mutualisation de moyens en direction de projets de recherche partagés. A bien des égards, les PRES et RTRA sont sujets à critique : structures faiblement démocratiques, concentration des moyens sur certains projets au détriment de la recherche dans sa globalité, opacité des décisions… Mais ces outils permettent aussi le développement d’une culture et de pratiques communes entre les universités et les autres établissements, préalable à une intégration plus poussée. Si ce mouvement doit se poursuivre, il ne faut pas non plus que l’unification se réalise sur l’autel de la dé-
mocratie universitaire et de la participation des étudiants aux décisions.
La cohabilitation des diplômes, moteur de l’unification La pratique de la cohabilitation des diplômes entre une université et un autre établissement s’est fortement développée ces dernières années. Elle permet d’aller plus loin que le développement de la culture commune évoquée plus haut car il s’agit de formations définies et construites par les établissements concernés et répondant ainsi à des critères communs. A terme, il s’agit d’aller vers le modèle des ENS, où les étudiants suivent une double scolarité, pour partie dans l’établissement, pour l’autre à l’université, et se voient délivrer un diplôme national universitaire qui bénéficie de la reconnaissance de l’Etat. Si l’éclatement de l’enseignement supérieur français est le fruit d’une histoire que l’on ne peut effacer d’un coup de baguette, il est urgent d’agir pour travailler à l’unification du service public. Ce qui est en jeu c’est bien sûr la démocratisation des études supérieures car cette partition sert aujourd’hui la reproduction des élites et il n’est pas acceptable qu’une frange entière de la population n’ait pas accès à certaines formations. Mais ce qui est en jeu c’est aussi l’harmonisation des droits étudiants et des critères définissant le contenu et les modalités d’une formation supérieure de qualité. Il s’agit aussi de construire les outils d’une évaluation des formations objective et partagée par l’ensemble des acteurs. En l’absence de ce référentiel commun c’est la concurrence qui va jouer à plein et qui se traduit surtout par une course au marketing des établissements au détriment de la qualité des formations et des droits étudiants.
Maria Cotora, élue au Conseil de Direction de l’IEP
1 : Enquête de la Conférence des grandes écoles, juin 2007 2 : PRES : Pôle de Recherche et d’Enseignement Supérieur 3 : RTRA : Réseau Thématique de Recherche Avancée
La Lettre Des Élus n°141 - Juin 2008
Perspectives Démocratisation. Le système classes prépas - grandes écoles sert aujourd’hui la reproduction sociale au sein de l’enseignement supérieur. L’ouverture sociale de ces filières doit être une priorité.
Pour une ouverture sociale des grandes écoles Alors que les universités ont connu une démocratisation progressive au cours des dernières décennies, il n’en va pas de même pour les grandes écoles. De nombreuses études notent qu’après un effort d’ouverture sociale des années 40 aux années 60, le mouvement s’est retourné et les inégalités d’accès se sont accrues depuis les années 80. Seules certaines catégories de la population accèdent aux formations d’ « élite » délivrées dans les grandes écoles alors que l’université accueille tous les publics. Comment changer la donne ?
L’état des lieux de la diversité sociale dans les grandes écoles La porte d’entrée aux grandes écoles est très étroite, compte tenu de leur degré élevé de sélectivité : en effet, seuls 5 % des élèves entrés en 6e y accèdent chaque année, soit 110 à 120 000 élèves. Mais ce sont surtout les très fortes inégalités d’accès qui sont les plus marquantes. Ainsi, la probabilité d’intégrer une grande école est de 20 % pour un fils de professeur ou de profession libérale contre 5 % pour un élève issu de milieu intermédiaire et 1 % seulement pour un enfant d’ouvrier qualifié. Une étude menée en 2005 mettait en exergue la « spécificité » de la composition sociale des grandes écoles. Alors que les étudiants les plus favorisés (cadres supérieurs et professions libérales) qui représentent 11 % de la population, pèsent 45 % des effectifs des 3èmes cycles universitaires, ils comptent pour 62 % des effectifs des grandes écoles. A l’inverse, les filles et fils d’ouvriers et d’employés, qui représentent 43 % de la population, sont présents à hauteur de 11 % dans les grandes écoles contre près de 16 % en 3ème cycle universitaire. La composition socialement marquée des grandes écoles trouve son origine dans les modalités du recrutement en classes prépas. Le schéma de recrutement se résume à « prendre les meilleurs pour en faire les meilleurs ». Ainsi, en 2005, 84 % des bacheliers entrant en classes prépas avait une mention alors que ce n’est le cas que de 36 % des lauréats du baccalauréat général et technologique. Mais, à niveau scolaire égal, les bacheliers issus des milieux populaires sont moins nombreux à se retrouver en classes prépas : 30 % des bacheliers ayant eu une mention entrent en classes prépas quand ils sont issus de milieu enseignant ou supérieur, alors que ce n’est le cas que de 12 % des élèves issus de milieu populaire.
Les grandes écoles doivent s’ouvrir à tous les publics De nombreuses pistes pour lutter contre cette inégalité manifeste doivent être explorées. Ainsi, 100 écoles sont impliquées dans une opération « ouverture sociale ». Inauguré par l’Essec en 2002, le programme « une grande école, pourquoi pas moi ? » a été mis en place dans 30 écoles. Ces dispositifs, si ils ont le mérite de contribuer à la lutte contre les phénomènes d’auto-censure, sont insuffisants pour changer véritablement la donne et les pouvoirs publics doivent engager des réformes plus profondes.
lariant, le volume horaire et le rythme des formations en grande école (à l’instar des IUT) ne le permet pas. Aussi, certains étudiants sont poussés à s’endetter durablement pour suivre de tels cursus. C’est pourquoi une réforme d’ampleur du système d’aide social est nécessaire pour permettre aux étudiants issus des milieux populaires de poursuivre leurs études en grande école.
Loïc Lucas, élu au CS de l’INSA de Rouen
Réduire les frais d’inscription aux concours Les frais d’inscription aux concours des grandes écoles constituent une véritable barrière sociale pour nombre de bacheliers. Aux frais des banques d’épreuves, qui rassemblent plusieurs écoles, s’ajoutent les frais spécifiques à ces écoles. Ainsi, pour les écoles d’ingénieurs, le montant acquitté par les bacheliers peut s’élever jusqu’à plus de 300 € et varier ensuite selon le nombre d’écoles présentées. Les oraux des concours entraînent également un coût supplémentaire pour les étudiants en raison des dépenses liées aux déplacements dans les écoles. L’ouverture sociale des grandes écoles nécessite l’harmonisation et la réduction des frais liés aux concours.
des
ZOOM sur la réforme du concours de l’IEP Grenoble
Les concours d’entrée aux grandes écoles privilégient la culture des élites dominantes et ferment ainsi leurs portes aux enfants des catégories populaires. Il faut faciliter l’accès aux concours (frais d’inscription, concours communs…) mais aussi retravailler en profondeur pour écarter les biais sociaux : clarification et publication des programmes de révision, amoindrir le poids des épreuves socialement discriminantes (les dissertations notamment), faire plus de place à l’oral et aux entretiens individuels afin de mettre en avant les projets d’orientation des étudiants…
Le concours d’entrée en première année de l’IEP de Grenoble aura lieu cette année selon de nouvelles modalités. Cette démarche consiste notamment à « ouvrir socialement » le concours d’entrée en première année. Ainsi, les épreuves d’une durée totale de 5 heures, sont regroupées en milieu de journée. Cela permettra d’éviter les frais d’hôtels pour beaucoup de candidats qui pourront faire le déplacement dans la journée. Malheureusement les frais de concours sont maintenus à 100€, ce qui constitue encore une source de discrimination importante, notamment pour les étudiants qui ne sont pas boursiers (ces derniers sont exonérés des frais de concours) mais dont les parents ne peuvent pas les financer.
Réformer concours
Augmenter étudiants
le
les
contenu
aides
aux
Alors qu’à l’université un étudiant sur deux finance tout ou partie de ses études en se sa-
La Lettre Des Élus n°141 - Juin 2008
Fiche pratique
Les droits des stagiaires Les cursus des étudiants en grande école comprennent bien souvent une période de
au stagiaire en fonction des objectifs de formation,
stage à la différence des filières universitaires
• Les dates de début et de fin du stage,
où cette pratique est encore loin d’être
• La durée hebdomadaire maximale de
généralisée. Le stage, qui permet de travailler en amont à l’insertion professionnelle des futurs diplômés, est un « plus » indéniable qui ne doit pas non plus faire oublier les nombreux abus constatés en la matière.
présence du stagiaire dans l'entreprise, • Le montant de la gratification versée au stagiaire et les modalités de son versement, • La liste des avantages offerts, le cas échéant,
par
l'entreprise
au
stagiaire,
DERNIERE MINUTE : stages dans la fonction publique Le gouvernement a annoncé le 27 mai dernier, que l’ensemble des stages effectués dans la fonction publique à partir de 2009 seraient défrayés, et que les stages de réalisation seraient rémunérés à hauteur du SMIC. Les élus «UNEF et Associations Etudiantes» seront vigilants sur la mise en oeuvre de cecs annonces.
Car les stages sont aussi devenus une
notamment en ce qui concerne sa restauration,
nouvelle forme de travail : détournés de leur
son hébergement ou le remboursement des
objectif pédagogique initial, ils sont devenus
frais qu'il a engagés pour effectuer son stage,
En théorie, la durée d’un stage n’est
bien souvent un mode d’embauche, et la
• Le régime de protection sociale dont
pas réglementée. Dans la pratique, c’est
convention une forme de contrat abusif. Ce qui
bénéficie le stagiaire, ainsi que, le cas échéant,
l’établissement de formation qui la fixe. Il
permet à de nombreux employeurs de profiter,
l'obligation faite au stagiaire de justifier d'une
faut distinguer selon que le projet est ou non
avec des contraintes minimales, d’une main
assurance couvrant sa responsabilité civile,
intégré à un cursus pédagogique :
d’œuvre importante, peu chère et disponible,
• Les conditions dans lesquelles les
• un stage non intégré ne peut excéder six
composée d’étudiants et de jeunes diplômés.
responsables du stage, l'un représentant
La Lettre Des Elus revient sur la réglementation
l'établissement, l'autre l'entreprise, assurent
actuelle en matière de stage.
l'encadrement du stagiaire,
mois, renouvellement compris. • un stage intégré n’est soumis à aucune durée maximale
La convention de stage :
attestation de stage " et, le cas échéant,
• Les conditions de délivrance d'une " les modalités de validation du stage pour
Les différents textes réglementaires et législatifs concernant les stages sont : la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances et le décret du 29 août 2006 modifié par le décret
l'obtention du diplôme préparé,
Y a-t-il une rémunération minimum obligatoire des stagiaires ?
• Les modalités de suspension et de résiliation du stage, • Les
conditions
Le stagiaire n’a pas droit à un salaire dans
lesquelles
le
puisqu’il n’est pas lié à l’entreprise par un
du 31 janvier 2008 relatif à la gratification
stagiaire est autorisé à s'absenter, notamment
contrat de travail. En revanche, l’employeur
et au suivi des stages en entreprise. Ces
dans le cadre d'obligations attestées par
peut décider de lui verser une somme appelée
textes encadrent le contenu minimal de la
l'établissement d'enseignement,
« gratification ». Lorsque la durée du stage
convention de stage et concernent tous les
• Les clauses du règlement intérieur de
est supérieure à trois mois consécutifs, il
stages, obligatoires ou non, sauf s’ils relèvent
l'entreprise applicables au stagiaire, lorsqu'il
est désormais obligé de le faire à hauteur de
de la formation professionnelle continue.
existe.
30% du SMIC dès le premier mois de stage
Ainsi, une convention de stage doit contenir
obligatoirement
les
éléments
suivants :
Quelle est la durée maximale d’un stage ?
(décret du 31 janvier 2008). Thierry Le Cras, élu au CNESER
• La définition des activités confiées
Pour une véritable réglementation des stages Le décret du 31 janvier dernier sur la gra-
tion aucun lien avec une formation initiale
être garanti.
tification des stages ne permet pas d’en-
et ne sont ni suivis par un enseignant,
cadrer sérieusement les nombreux abus
ni évalués. Ils doivent être interdits pour
• Une rémunération minimale à 50% du SMIC
relevés. C’est pourquoi, les élus « UNEF et
qu’ils ne remplacent pas des emplois sa-
Les stages doivent faire l’objet d’une
associations étudiantes » demandent au
lariés.
contrepartie financière qui prendra en
gouvernement de légiférer pour mettre en
compte le niveau d’études, la durée du
• Mettre fin aux stages « photocopiecafé »
stage et la qualification du stagiaire. La
Le stage doit avoir un objectif pédagogi-
premier mois de stage doit être de 50% du
Pour éviter le remplacement d’un emploi
que identifié au sein de la formation. Un
SMIC.
salarié par un stagiaire, un quota maximal
encadrement pédagogique au sein de
de stagiaires par entreprise doit être fixé.
l’établissement d’enseignement supérieur
Les propositions existent, il n’appartient
Les stages hors-cursus n’ont par défini-
et au sein de l’organisme d’accueil doit
qu’au gouvernement de s’en saisir...
place une véritable réglementation.
• Interdire les stages hors cursus
rémunération minimale garantie, dès le
La Lettre Des Élus n°141 - Juin 2008
Interview 3 questions à Christian Margaria, Président de la Conférence des Grandes Ecoles Qu’est ce que la CGE ? Interlocuteur des pouvoirs publics, la Conférence des Grandes Écoles, créée en 1973, comprend aujourd’hui 215 établissements membres, dont 146 écoles d’ingénieurs, 36 écoles de management et 21 écoles de spécialités diverses et 12 établissements étrangers. Rencontre avec son président…
La Lettre Des Elus : La proportion d’étudiants des grandes écoles issus des milieux modestes est faible. Comment favoriser la diversité sociale des étudiants dans les grandes écoles ? Christian Margaria : Contrairement problèmes
aux
idées
d’ouverture
reçues,
sociale
ne
les
LDE : Depuis plusieurs années, de nombreux établissements ont expérimenté des dispositifs d’ouverture sociale, quel bilan tirez-vous de la mise en place de ces dispositifs ? Est ce la solution aux problèmes de démocratisation des grandes écoles ?
sont
CM : Les coopérations entre écoles et universités se développent depuis 20 ans. Ainsi beaucoup de masters recherche sont co-habilités par les écoles et les universités, les grandes écoles participent à des écoles doctorales de site, les échanges d’enseignants sont nombreux.
malheureusement pas spécifiques à la filière
CM :
L’enseignement supérieur français ne peut
« classe préparatoire-grande école ». S’il est
Les dispositifs tels que les « Conventions
gagner sur le plan international qu’en incitant
exact que les enfants de cadres représentent
Education Prioritaire » (CEP) de l’IEP de Paris
les universités et les écoles à oeuvrer
un pourcentage important des élèves des
sont une solution partielle, car les mesures
ensemble et en tirant le système vers le
grandes écoles (63%), ce phénomène est
de discrimination positive ne s’attaquent
haut. Cette démarche ne doit pas reposer sur
aussi présent, dans une moindre mesure,
qu’aux conséquences et non aux causes
une fusion/acquisition d’une des filières de
dans les 3ème cycles universitaires (54%). Par
des inégalités. Les CEP de l’IEP permettent
l’enseignement supérieur par l’autre, mais sur
ailleurs, si l’on prend le nombre de diplômés à
d’obtenir des résultats à court terme et
un cadre dans lequel chacun des acteurs doit
bac+5 des grandes écoles et des universités
leur médiatisation peut donner des idées
conserver sa légitimité. La diversité est source
(et non pas le nombre d’étudiants inscrits en
à d’autres lycéens. Mais la seule façon de
de richesse ! Cultivons la nôtre et ne nous
1er cycle), la proportion des enfants de cadres
traiter le problème de fond, est d’agir sur les
enlisons pas dans des idéologies réductrices
(72%) est la même.
représentations
sous prétexte de simplification.
Si l’accès à l’université paraît plus ouvert,
enfants des milieux défavorisés et du corps
La logique des PRES devrait rendre notre
les étudiants y atteignent moins souvent le
professoral. Plus de 100 écoles de la CGE
enseignement supérieur et notre recherche
diplôme escompté. Ces inégalités précèdent
participent à une expérimentation dans les
lisibles depuis Boston ou Singapour… Si
l’entrée dans l’enseignement supérieur : les
collèges et lycées et accueillent des lycéens
l’objectif est en voie d’être atteint en régions,
tests d’aptitudes d’entrée en 6ème montrent
pour travailler sur leurs projections dans
nous en sommes encore loin en Île-de-France.
que les enfants de cadres ayant accès à
l’avenir et leur orientation.
Les structures actuelles sont donc des versions
mentales
collectives
des
la culture et aux loisirs grâce à la situation sociale de leurs parents ont une plus grande capacité d’apprentissage et réussissent mieux que les autres. Le travail doit donc se faire bien en amont, car ces inégalités entraînent des
comportements
d’autocensure
chez
les élèves qui s’interdisent certaines filières « par principe », blocages aggravés par des censures du corps professoral. Intervenir à l’articulation entre la classe de 3ème et la 2nde est essentiel. L’aide à l’orientation et à l’information est une responsabilité des écoles.
sont les rapprochements possibles entre les grandes écoles et les universités ?
provisoires qui devront être reconfigurées
LDE : La mise en place des PRES (pôle de recherche et d’enseignement supérieur), les projets de fusions d’universités, bouleversent la carte universitaire et posent la question de la place des grandes écoles dans le système d’enseignement supérieur et de recherche français. Quels
La Lettre Des Élus n°141 - Juin 2008
au fil du temps… Comment expliquer à des partenaires étrangers que des établissements sont membres fondateurs de deux PRES, ou membre fondateur d’un PRES et membre associé d’un autre ?
Propos reuceillis par Gabriel Szeftel, élu au CNESER