24°3'55''N 5°3'23''E est un travail dans lequel je reviens sur les essais nucléaires français effectués dans le désert algérien. C’est le point zéro de l’accident Béryl (du nom de code de l’essai), survenu dans la matinée du 1er mai 1962, à In Ekker, à environ 1800 km au sud d’Alger – c’est le deuxième test, sur les treize tirs nucléaires souterrains opérés au mont Taourirt Tan-Afella, selon l’appellation targuie. En effet, l’essai de l’AN-11, première bombe stratégique française au plutonium, provoque une profonde fissure dans la montagne. Le traumatisme géologique et environnemental qui s’ensuit, instantané et durable, s’accompagne de celui, moins mesurable, de la souffrance humaine qui perdure jusqu’à aujourd’hui. La violence de l’acte lui-même laissera des traces indélébiles dans les mémoires individuelles et collectives, dans les corps et dans les mémoires, et dans le plus fragile des écosystèmes. Elle témoigne aussi de la logique des secrets d’États sacrifiant homme, faune et flore, et sur des générations. Une violence qui polluera également les rapports de force postcoloniaux autour de la nécessaire construction d’une mémoire commune. Une mémoire otage, encore une fois, de la raison d’État entre Paris et Alger. J’ai entamé la réflexion autour de ce cataclysme silencieux alors que je participais à une résidence d’artiste dans le nord de la France (Le Favril), un espace agricole verdoyant, tourné vers la culture bio et l’engagement écologique, terre d’accueil et de mixité, et si riche en eau. J’ai été saisi par l’absolue contradiction symbolisée par ces deux territoires antagonistes : Le Favril d’un coté, In Ekker de l’autre. Des haies vertes/de fantomatiques grillages ensablés ; la générosité de la graine/ l’arrogance meurtrière de l’atome ; l’eau qui donne la vie/l’eau contaminée depuis plus de soixante ans rampant comme un serpent sous la rocaille saharienne. Deux faces de l’humanité séparées par une frontière invisible que je voulais rendre tangible en m’immergeant dans cette plaie inguérissable, alors que les hommes continuent à en payer le prix et continueront à le faire pendant des siècles : là, dans ce lieu du désastre, ils ont puisé les matériaux pour construire leurs maisons ou alimenter leur petit trafic de ferrailles, éparpillant les radiations aux quatre coins du Sahara et au-delà… Je voulais également souligner la responsabilité des États, algérien et français, précise et diffuse, tout comme la vanité des hommes qui dénaturent l’espace et violent ses lois naturelles. Je voulais fixer en quelques regards cet espace éternellement agonisant, comme le remake de nos trop nombreuses erreurs à répétition. Ammar Bouras
Du 24 mars au 15 avril 2017 Espaco Gallery
Ammar Bouras