Catalogue De la Loire à la mer, les mariniers au service du Roi

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CHÂTEAUNEUF-SUR-LOIRE

EXPOSITION

MUSÉE DE LA MARINE DE LOIRE


Si naviguer sur le fleuve capricieux qu'est la Loire peut sembler bien différent de la navigation en mer, ces deux activités si proches et pourtant si éloignées de par leur technicité et leur exigence, vont être liées l'une à l'autre à un moment de notre histoire. De mariniers de Loire ou pêcheurs de Loire, ces hommes vont devenir marins de mer quand ils vont être enrôlés dans la marine royale puis républicaine à la fin du XVIIIe siècle. En effet, pendant la guerre d’Indépendance américaine, le besoin d'hommes d'équipage pour la marine de guerre se fit si pressant que le recrutement des marins côtiers ne fut plus suffisant et que l’enrôlement s’étendit aux bateliers et pêcheurs de Loire. C'est cet épisode de notre histoire que le musée de la marine de Loire et du Vieux Châteauneuf a décidé de mettre en lumière à travers l’exposition « De la Loire à la mer, les mariniers au service du roi ».

AVANTPROPOS

Cette exposition est donc l'occasion pour bon nombre d'entre nous, de mieux comprendre certaines scènes de navigation en mer représentées sur des faïences dites de « marine de Loire ». Marqués par leur passage dans la marine française, les mariniers ont fabriqué des girouettes, des ex-voto... en forme de navire de guerre. Cette exposition en 2015, est aussi l'occasion d'un clin d’œil à l'Hermione, réplique de la frégate grâce à laquelle La Fayette apporta le soutien de la France aux indépendantistes américains en 1780 et qui a fait cette année son "GRAND départ Transatlantique ". Ainsi, c'est avec plaisir que je vous invite à naviguer à travers cette exposition, fruit d'un long travail de toute l'équipe du musée et parfaite illustration de la politique culturelle développée par notre équipe municipale. FLORENCE GALZIN Maire de Châteauneuf-sur-Loire

Rédaction : A.Chatton, F. Godelaine, P. Villiers et D. Plouviez Conception et réalisation : www.agame-graph Impression : SIC imprimerie, Châteauneuf-sur-Loire ISBN 978-2-9515602-6-0 dépôt légal 4e trimestre 2015

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CHAPITRE UN Louis est ensuite levé et envoyé au port de Brest, le 25 septembre. Il est inscrit sur le rôle d’équipage du Vaillant, vaisseau de 74 canons. Il retrouve à son bord huit autres castelneuviens, tous matelots à « 13 » soit 13 livres par mois, leur solde. Les mariniers mobilisés, originaires d’une même paroisse, étaient vraisemblablement rassemblés sur les mêmes navires afin de rendre leur séjour à bord plus supportable…. Louis Picasnon est débarqué après un service de plus d’un an, en juin 1782.

une histoire de vie… Louis Picasnon Au travers des documents d’archives conservés au musée de la marine de Loire et aux Archives nationales, nous avons pu reconstituer le parcours d’un marinier de Loire castelneuvien, Louis Picasnon. Le récit de ce parcours sert de fil conducteur à l’exposition.

La guerre d’Indépendance américaine fait alors rage et la France est engagée auprès des insurgés depuis 1778. Le Vaillant relève alors de l’escadre de l’amiral de Grasse, chargé par le roi Louis XVI d’accompagner un convoi de cent cinquante navires, destinés à ravitailler les Antilles, puis de harceler la flotte britannique. Les vingt vaisseaux de l’escorte et le convoi appareillent le 22 mars 1781. Arrivé en Martinique, de Grasse gagne la bataille de FortRoyal contre l’escadre anglaise de Samuel Hood, permettant au convoi d’arriver à bon port.

© D. Charron

Né le 1er mars 1761 à Châteauneuf sur Loire, Louis Picasnon embrasse le métier de son père, Jacques Picasnon, voiturier par eau. Au début du mois de septembre 1780, à l’âge de 19 ans, Louis est inscrit sur les registres de rôle du quartier d’Orléans, commune de Châteauneuf-Rohan sous le numéro 937. Il est décrit comme célibataire : « garçon », de petite taille, le « poil » blond.

ANTHONY CHATTON Adjoint au directeur Commissaire de l'exposition

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Extrait du registre de rôle du quartier d’Orléans Imprimé - Inv. MAR/C/4/217 Coll. Archives nationales © Archives nationales, Paris.

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Lettre de congé Imprimé - Inv. M2177 - Coll. MML © MML

À cela s’ajoutent les maladies, les accidents, les combats… Son neveu François Picasnon, novice, meurt à bord du Zélé, en avril 1794, lors d’une escarmouche, dans la Manche, avec la flotte britannique commandée par l’amiral Howe

En 1783 puis en 1794, parti sur la Loire pour une « descente » à bord de son chaland, Louis est absent lors de la notification de la levée. Il est alors classé comme « fuyard, absent sans motif ». Il est vrai que les conditions de vie à bord des bateaux de guerre sont exécrables et la paye est rarement versée en temps et en heure. Ainsi, sa solde, pour son engagement à bord du Vaillant en 1781-1782, ne lui est payée qu’en juillet 1784.

Début août, l’escadre gagne Yorktown1 et la baie de Chesapeake sur les côtes nord-américaines, forte de vint-huit navires, quatre frégates et 15000 hommes (dont 3000 soldats). Le Vaillant est envoyé avec deux autres navires (le Triton et le Glorieux) en amont sur la rivière York pour bloquer l’estuaire et ainsi, l’arrivée de secours éventuels. Cette bataille décisive, le 5 septembre 1781, contre le contreamiral britannique Thomas Graves permet la prise de Yorktown par les armées de Georges Washington et du comte de Rochambeau2 et aboutit à l’Indépendance américaine. Louis Picasnon est de retour à Rochefort le 9 juin 1782. Son frère Jacques, son aîné, a également été levé pour Brest, en avril 1782. Il est parti sur un troisponts de 110 canons, la Bretagne, (un des deux seuls trois-ponts de la marine royale).

Acte mortuaire de Francois Picasnon Imprimé - Inv. M2182 - Coll. MML © MML

de Riga », sous le commandement du lieutenant de vaisseau le Chevalier de Menou. Il est alors matelot à « 15 ». L’escadre quitte Brest pour le port de Riga en Russie, elle doit ramener des mâts à l’arsenal de Brest. En effet, les bois résineux russes sont très prisés par les arsenaux pour la fabrication des mâts et des espars. Les troncs des plus hautes futaies sont embarqués dans le port de Riga. Les plus grosses pièces mettent parfois deux ans à arriver des montagnes des confins de l’Ukraine. En cours de route, à cause du mauvais temps, le bateau de Louis Picasnon éperonne la gabarre l’Utile et casse son mât de beaupré. La Lourde s’en sort heureusement sans dommage et poursuit sa route à bon vent, au point d’arriver quatre jours avant le reste de l’escadre. Après un mois d’escale, employé au chargement des gabares, la Lourde reprend sa route, en contournant le Danemark. Elle arrive à Brest le 22 septembre 1785. Louis Picasnon est congédié six jours plus tard.

A nouveau appelé, Louis Picasnon est levé le 12 mars 1785 pour Brest. Il sert six mois sur la Lourde, flûte de transport appartenant à la « 2e division des gabarres

1.où sont concentrés 8 000 soldats anglais, soit le tiers des forces britanniques / 2.Georges Washington (1732-1799), commandant en chef de l’Armée continentale pendant la guerre d’Indépendance puis premier président des Etats-Unis. Jean-Baptiste-Donatien de Vimeur, comte de Rochambeau (1725-1807), lieutenant général des troupes françaises.

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CHAPITRE DEUX

Classés pour le service de l’Etat ! Des « marins d’eau douce » sur les vaisseaux du roi (XVIIe siècle-XVIIIe siècle) FLORENT GODELAINE Doctorant Université Lyon-II LARHRA UMR 5190 & médiateur du patrimoine Conseil départemental de la Vendée

Au début du XVIIe siècle, le cardinal de Richelieu décide de constituer une marine digne du roi de France. Dans les années 1630-1640, les échanges maritimes avec les colonies s’intensifient. Le cardinal crée les Compagnies des Indes en charge de l’exploitation des ressources pour le commerce avec la métropole. Si son impulsion sur un plan économique dynamise le commerce maritime, sur le plan de la marine, le cardinal, malgré la création de Brouage et de La Rochelle, peine à recruter un personnel pouvant servir sur les vaisseaux du roi. Dès lors, il imagine de recruter les marins parmi les hommes des fleuves et rivières. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, Colbert devenu principal ministre de Louis XIV veut doter la France d’une flotte digne d’elle. Il engage un important programme de création de frégates et vaisseaux et reprend l’idée de son prédécesseur pour le recrutement des marins. A la fin du XVIIe siècle, les ordonnances visant le recrutement des hommes du fleuve sont promulguées. La France est en pleine guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697) et en mai 1692, le maréchal de Tourville est défait à La Hougue1. Le besoin en marins se fait ressentir. Comment ses hommes du fleuve (bateliers et pêcheurs) accueillent ce recrutement ? Ces marins selon l’administration, sont sensés pouvoir servir sur mer, puisqu’ils savent naviguer sur les fleuves et les rivières. Hormis d’être des hommes du fleuve, quels sont les critères de recrutement des mariniers ? Devenu inéluctable, le service pour l’Etat se structure à la fin du XVIIIe siècle. En 1780, alors en pleine guerre d’Indépendance américaine (1775-1783), le ministre de la Marine systématise le recrutement des bateliers et des pêcheurs. Reprenant le système initié par ses prédécesseurs, il généralise les classes en établissant une administration chargée du recrutement. Le recrutement est-il systématique ? Les critères ont-ils évolués ? Quelle est la perception des mariniers face à cette nouvelle pratique ? Comment appréhendent-ils cette intrusion dans leur quotidien bouleversé ?

En 1629, le cardinal de Richelieu esquisse le projet d’étendre le recrutement des marins aux gens des fleuves et rivières. En réalité, le ministre-duc souhaite doter l’Etat d’une marine digne du roi de France.

AUX ORIGINES DU SYSTÈME : LE CONCEPT DE RICHELIEU…PROLONGÉ PAR COLBERT…. De 1627 à 1628, préoccupé par le siège de La Rochelle2, le cardinal perçoit la faiblesse navale de la France. Or, Louis XIII s’intéresse peu aux choses maritimes. Il polarise son intérêt sur les frontières continentales. La marine lui paraît secondaire. Richelieu essaye de combler ce manque.

L’absence de moyens financiers et humains fait abstraction d’une marine concordante aux ambitions et au rayonnement de la France. Le roi poursuit l’efficace pratique de la guerre de course, pour

1.Anne Hilarion de Cotentin, comte de Tourville (1642-1701) / 2.10 septembre 1627 - 28 octobre 1628.

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Le système commence par la région située entre Loire et Gironde. Les bateliers sont dénombrés puis classés4. En réalité, le roulement doit s’effectuer un an sur trois. A partir de 1672, le système des classes est généralisé à l’ensemble des côtes. À partir de la guerre de la Ligue d’Augsbourg, le système est réellement institué, sans être grandement opérationnel5. L’ordonnance de 1689 concerne les côtes maritimes. Or l'Etat s'efforce de généraliser le système également aux… rivières6.

laquelle il dote les corsaires d’une lettre de course. Les bateaux manquent cruellement. La marine royale est exsangue3. Le recrutement des marins s’avère difficile. La formation du personnel administratif et des marins fait défaut. L’ambition politique manque. Pourtant, même la France tourne le dos à l’océan, Richelieu esquisse la politique navale du XVIIe siècle. En 1624, il crée officiellement la Marine royale et supprime la fonction d’amiral de France. Il crée à son profit la charge de Grand-maître, chef et surintendant général de la navigation et commerce de France. Il envisage le développement de Brouage, proche de ses possessions. Il pense le système du recrutement et de ce fait envisage les classes. Le programme est esquissé. Cependant, Mazarin et surtout Colbert étoffent, appliquent et ambitionnent ce projet. Pour autant, le recrutement des marins manque de fiabilité. Les marins font toujours défaut…

Sceau de la Marine royale, Anonyme, XVIIIe siècle - Laiton Inv. N-5738 - Coll. Musée Dobrée-Nantes © C. Letertre - Musée Dobrée et sites patrimoniaux Grand Patrimoine de Loire-Atlantique

…TESTÉ PAR JEAN-BAPTISTE COLBERT MARQUIS DE SEIGNELAY (1683-1690) ET LOUIS PHÉLYPEAUX MARQUIS DE MAUREPAS (1690-1699) En novembre 1692, le secrétaire d'Etat à la marine Pontchartrain souhaite que « les classes se fassent sur les principales rivières de son royaume, de même que sur les côtes de mer »7. Déjà, le 1er décembre 1691, les garçons bateliers de la Maine, Sarthe et Loir sont enregistrés8. Les bateliers doivent compléter les effectifs de la marine royale, en servant un an sur les vaisseaux du Roi. Sous Pontchartrain9, les classes de bateliers s'étendent dans le département de Nantes jusqu'à Ingrandes10. Angers envoie également ses garçons bateliers11. Dans les années 1701-1705, les bateliers servent « aux isles ». Entre 1703-1708, certains sont prisonniers en Angleterre. De 1726 à 1727, les bateliers nantais comme Joseph Dyé enregistrés comme matelots servent à « La Martinique ». La durée du service avoisine les 25 à 30 ans à l’exemple de Louis Bonnet, batelier de Bréhémont qui sert de 1701 à 1730. En 1702, il sert sur le Capable. En 1705, René Bonsergent, batelier nantais sert sur le Formidable, puis en 1707 sur l’Agréable. En 1702, Jean Renaud sert sur le Bourbon. Durant les 25 à 30 ans de service, les bateliers entrecoupent leur devoir envers l’Etat en servant sur les bateaux de bateliers. En 1703, Cornille Martin est « dit a Orléans sur le batteau de Pierre Grand ». Jean Goupil, batelier nantais navigue de 1700 à 1702 dans « le bateau de son père ».

Assiette - Anonyme, 2e quart du XIXe siècle Faïence de Nevers - Inv. M1389.2 - Coll. MML © A. Chatton, MML Sur cette assiette, des palmiers côtoient un chaland de Loire. Ils font référence aux Antilles, théâtre de nombreuses batailles navales.

Les quatre bateliers d’Angers, novices en 1751-1757 servent sur La Catherine, l’Auguste (qui se trouve au Cap). Parmi les quarante-huit bateliers de la basse Loire servant de 1700 à 1775, seul Julien Hervouet, batelier de Pilmy déserte en 1714. Matrice de sceau de la Marine de la République Française - Anonyme, fin du XVIIIe siècle - Cuivre Inv. 903.847 - Coll. Musée Dobrée-Nantes © C. Letertre Musée Dobrée et sites patrimoniaux Grand Patrimoine de Loire-Atlantique

Il s’agit du début du recrutement des bateliers pour le service de l’Etat. Les rôles d’enregistrement s’avèrent lacunaires, épars et incomplets. Même si près d’une centaine de bateliers sont classés, le chiffre est sept fois inférieur à ce qu’il sera quelques quatre-vingts ans plus tard. À la mort de Louis XIV, le 2 septembre 1715, Philippe duc d’Orléans, fait casser le testament du roi Soleil. Il devient Régent de France au nom de Louis XV, encore mineur. En réaction à la politique de Louis XIV, le Régent cherche la paix. En 1717, il s’allie aux Provinces-Unies et à l'Angleterre. Il mène campagne contre Philippe V d’Espagne. En 1720, le roi espagnol renonce à la couronne française. Pendant, les huit années de Régence, la France connait peu de guerres. Cependant, à partir des années 1740 -1748, la France entre en guerre contre l’Autriche sans générer d’enrôlement des bateliers. La guerre de Sept Ans (1756 - 1763) mobilise également peu de mariniers. Seule la guerre d'Indépendance américaine impose un recrutement de bateliers aptes à servir la Royale.

/ 3.Godelaine F., « Marchands voituriers par eau, commanditaires et approvisionnement naval des arsenaux ponantais : relations, réseaux et ascension sociale d’un « groupe » au service de l’Etat (XVIIe-XVIIIe siècles) », PUPS, RHM, n°22, L’économie de la guerre navale de l’Antiquité au XXe siècle, 2015. / 4.ACERRA M., ZYSBERG A., Essor des marines de guerre européennes, 1680-1790, Sedes, 1997, p. 156. / 5.Ibid., p. 156. / 6.Ibid., p. 156 / 7.Ibid., p. 156 / 8.AMA BB 99 fol 57-58, 65-67, 70-72 - Les bateliers des rivières de Maine, Sarthe et Loir sont classés pour servir un an sur les vaisseaux du Roi (1er décembre 1691-1er avril 1692). / 9.Louis Phélypeaux comte de Pontchartrain (1643-1727) fut secrétaire d'Etat à la marine de 1690 à 1699 / 10.ACERRA M., ZYSBERG A., op. cit., p. 157. / 11.Toutefois, aucun registre d'enrôlement n'était encore établi.

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Etats-Unis d'Amérique. Cette guerre se déroule en Amérique et aux Indes. Les bateliers ligériens sont mobilisés pour ces campagnes. Les ports d'embarquement et de débarquement des bateliers précisent les destinations25.

NOMBRE DES MATELOTS LIGÉRIENS A titre de comparaison, de 1780 à 1787, les Pontsde-Cé envoient cent vingt-six matelots16. De 1780 à 1789, Saint-Clément-de-Trèves en fournit cent vingt17. Enfin, de 1780 à 1794, la ville d'Angers envoie cent vingt-deux bateliers18. Les grandes villes comme les plus petites paroisses fournissent à la Royale des bateliers. Bruno Moix avance le chiffre de cinq cent soixantequinze bateliers classés en basse Loire en excluant Angers19. Cette estimation forte mérite une nuance puisque certains, même s’ils sont recensés, sont déclarés « hors service ». Les bateliers sont également classés comme mousses ou novices. Certains le restent. D’autres parviennent à devenir matelots.

Ordonnance du 12 juin 1780 Imprimé - Inv. MAR/A/1/127 Coll. Archives nationales © Archives nationales, Paris.

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AGE DES MATELOTS

à ce que l’ordonnance exige d’eux, & qu’ils ne peuvent aucunement se dispenser, sous quelque prétexte que ce puisse être, de se rendre à la revue indiquée. Leurs représentations seront écoutées, & la justice sera rendue à chacun. Il est bon de leur annoncer, que parmi ceux de 18 à 40 ans, qui doivent être employés au service des vaisseaux du roi, il n’en sera pris que le moins possible, & que ceux, maîtres de bateaux, ou indispensablement nécessaires à leur famille, leur servant de soutien, ou, enfin, qui auroient des terres en propriété ou à ferme, & dont ils tireroient la majeure partie de leur subsistance, en seront exceptés.»14

…INSTITUÉ LE 12 JUIN 1780….PÉRENNISÉ À LA RÉVOLUTION ET SOUS LE CONSULAT En 1780, la France entre dans la guerre d’Indépendance aux côtés des États-Unis d'Amérique contre les Anglais. Ce conflit nécessite des recrues pour la marine. Le 12 juin 1780, Louis XVI légifère en ce sens. Sartine, reprend le système des classes et l'étend aux gens des fleuves12.

ENGAGÉS SUR LES VAISSEAUX DU ROI L’ENRÔLEMENT Le 27 juillet, le Corps de Ville impose la création de rôles mentionnant les âges, noms et demeures des bateliers13. Le 4 août 1780, l’ordre est donné de faire connaitre aux mariniers « aux premières messes & au Prône de la messe paroissiale » combien « il est très essentiel au service du roi » de se conformer :

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Les soutiens de famille sont exclus de service15.

12.Antoine-Raymond de Sartine (1729-1801), secrétaire d'Etat à la Marine (1774-1780) / 13.AMA BB 129 fol 34 - Marine royale - Bateliers et pêcheurs (27 juillet 1780) / 14.AMA EE 20 - Ordre de convocation pour la revue générale des bateliers et des pêcheurs de la rivière de Loire (4 août 1780) / 15. AMA EE 20 - Ordre de convocation pour la revue générale des bateliers et des pêcheurs de la rivière de Loire (4 août 1780) / 16.GAUTIER A.C., Les Hommes et la Loire aux Ponts-de-Cé, 1750-1789, mémoire de maîtrise sous la direction de monsieur Jacques Maillard, Université d'Angers, juin 1996, p. 139. / 17.DEZANNEAU B., Les Hommes et la Loire à Saint-Clément-des-Levées, étude économique, sociale et démographique, 1750-1789, mémoire de maîtrise, Université Catholique de l'Ouest, 1990, p. 103 / 18.ADLA 7R 3, 7R 4 - Matricules des officiers mariniers et des matelots de service - Registres du quartier d'Angers (1780-1791) (IX-X) / 19.MOIX B., Gens de Loire au XVIIIème siècle, Hérédité professionnelle et niveau de vie, mémoire de maîtrise sous la direction de monsieur Yves Durand, Université de Nantes, 1983, p. 42.

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Ports d'embarquement de débarquement Brest 72 25 Nantes 3 5 Toulon 6 Rochefort 6 6 Marseille 1 Lorient 2 La Rochelle 2 Bordeaux 1 Total 83 46 Ports d'embarquement et de débarquement des matelots d'Angers (1780 à 1793)

À Angers, comme à Saint-Clément et aux Ponts-deCé, les jeunes recrues de 20 à 29 ans dominent20. La classe des moins de 20 ans et celle de 30 à 39 ans semble équivalente. Ainsi, le service de l'Etat engage peu de pères de familles et de jeunes. Aux Ponts-de-Cé, des hommes de plus de 40 ans servent21. La ville d’Angers en exclut. Les commissaires des classes tentent de respecter les critères d'âge de sélection, de 20 à 40 ans. A la Révolution, les bateliers servent plus longtemps. En effet, enrôlés en 1780, certains servent encore en 1791, voire même plus longtemps22. Les classés de 1780, de 1784 et ceux de 1790 servent jusqu'en 180123. Lors des campagnes de la Révolution, les anciens bateliers servent en continu. La relève manque. Les bateliers enrôlés finissent leur carrière entre 30 et 60 ans.

Brest est le principal port d’embarquement. Repéré par le Cardinal de Richelieu, ce port est aménagé par Colbert et Vauban. Des bateliers servent dans les casernes. D’autres apprennent le métier de canonnier à l'école de Brest. Cependant, peu de destinations sont connues. Les plus nombreux obtiennent des permis pour Nantes, pour faire campagne de commerce. Parmi eux, certains font du cabotage le long des côtes bretonnes26. En 1784, Jacques Lefrançois sert « sur l'Artezain venant de l'Inde où il a servit 32 mois et 24 jour ». La même année, Julien Boizard obtient son congé à « Saint-Pierre de la Martinique »27. Les bateliers naviguent entre les comptoirs français des Indes et la métropole et servent dans la Royale.

LEVÉES ET CAMPAGNES LE SERVICE

Les campagnes restent incertaines. Les dates d'embarquement, de débarquement, les vaisseaux, les éventuels combats, les morts et les congés s’avèrent souvent lacunaires. Les dates d'incorporation, quand elles sont indiquées, sont riches d’informations24. Les bateliers sont levés majoritairement dans les premières années des classes. Les années 1780 et 1781 correspondent à la guerre d'Indépendance des

Les rôles de matricules des officiers mariniers et matelots de service conservés aux archives départementales de la Loire-Atlantique précisent également les bâtiments sur lesquels servent les mariniers. Lorsqu’ils ne servent pas l’Etat, les greffiers mentionnent la situation des bateliers. Un déclare avoir « 6 batteaux a lui pour son compte », un autre en a trois.

20.DEZANNEAU B., op. cit., p. 102., GAUTIER A.C., op. cit., p. 141 / 21.GAUTIER A.C., op. cit., p. 141 / 22.7R 7/3 – Matricule de 1780. Matricules des officiers mariniers et matelots de service. – 1780-1791 / 23.7R 7/4 – Matricule de 1780. Matricules des officiers mariniers et matelots de service. – 17801791 / 24.7R 7/3-5 – Matricule de 1780. Matricules des officiers mariniers et matelots de service. – 1780-1806 / 25.7R 7/3-5 – Matricule de 1780. Matricules des officiers mariniers et matelots de service. – 1780-1806 / 26.7R 7/3-5 – Matricule de 1780. Matricules des officiers mariniers et matelots de service. – 1780-1806 / 27.7R 7/3 – Matricule de 1780. Matricules des officiers mariniers et matelots de service. – 1780-1791

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Les bateliers angevins sont particulièrement frappés par des infirmités et autres blessures, les rendant inaptes au service36. Les bateliers aux membres démis sont nombreux. Trois peuvent attester de blessures de guerre, dont une s'est produite durant la guerre d'Indépendance. Un autre est blessé lors des guerres de Vendée. Ces maux attestent de la dureté des manœuvres sur les vaisseaux du roi. Sur cent vingtquatre bateliers en 1794 ayant effectué leur service, vingt-deux sont infirmes, blessés ou même malades.

Un marinier de Montrelais « commande le bateau La Pêche dont il est propriétaire »28. Les registres mentionnent pour quelques bateliers les bâtiments hauturiers sur lesquels ils servent. En 1780-1783, les bateliers de Montrelais servent sur la Fidélité, la Baleine, la Friponne, le Petit Hannibal. A Montjean, un batelier sert sur le Téméraire. À Chalonnes, un autre sert sur l’Invincible, ou sur le Formidable29.

Brick de course, ex-voto Anonyme, début du XIXe siècle - Bois et fibres Inv. D 1998.3.1 - Coll. Musée du Berry-Bourges © A. Chatton- MML

LA DURÉE DU SERVICE Établir la durée moyenne du service s’avère complexe. Si les dates de la première incorporation figurent sur le registre, les dates des secondes levées sont souvent absentes. La durée du service varie souvent, de six mois à six ans30, atteignant même onze ans31 voire plus. Entre temps, la plupart des bateliers angevins classés servent pour un à deux ans entrecoupé de trois mois de congés. Cependant, certains sont enrôlés durant trois à quatre ans, mais la fréquence en est moins élevée32. Lors des conflits, comme celui de la guerre d'Indépendance ou celui de la Révolution, les matelots servent plus longtemps. Manquant d'effectifs, l'Etat doit conserver ses matelots, et en appeler d'autres. Le service long augmente les risques de mort et d'infirmité.

DE MAUVAIS SUJETS…POURTANT BIEN NOTÉS Les règles de la discipline sont souvent transgressées. À Angers37, six bateliers désertent, dont un en 1791. Les registres en mentionnent six autres comme mauvais sujets. Deux désobéissent. Pire, un batelier va jusqu'à tuer son maître d'équipage. Les maîtres de bateaux sont exemptés, en vertu du nombre de bateaux qu'ils possèdent et doivent faire naviguer pour les besoins du commerce. À Angers, seulement quatre sont concernés par ce dispositif. Jacques Cretin, Pierre Gautier, René Picault et Jean Phelipot, bateliers angevins qui désertent durant l’an 1238. D'une manière générale, les déserteurs sont repris puis envoyés en prison. Ceux-ci ressortent quelque temps après. Certains n'eurent pas ce privilège. Prisonniers lors des combats navals opposant la flotte anglaise, à la flotte de la République naissante, les bateliers angevins sont envoyés en prison en Angleterre39. À partir de l’an IV, les bateliers prisonniers sont libérés. Le nouveau régime, pour faire front contre les anglais, utilise les moyens mis en place par la monarchie. Quelques bateliers sont pourtant bien notés40. Quatre méritent de l'avancement. Un est employé dans l'état-major.

SERVIR L’ÉTAT : LA MORT ET LES INFIRMITÉS Durant la guerre d'Indépendance, sept mariniers angevins meurent, soit à l'hôpital, soit au combat, soit le plus souvent chez eux. En 1782-1783, quatre matelots décèdent à leur retour de la guerre d'Indépendance des Etats-Unis33. Les matelots blessés survivent peu à leurs blessures. Les combats navals ou les suites de maladies en sont les causes. De même, durant les années 1792-179334, six meurent chez eux. De 1782 à 179435, trente et un bateliers angevins classés trouvent la mort sur les vaisseaux ou chez eux. Néanmoins, les infirmités sont également fréquentes.

Depuis le XVIIe siècle, l’État se construit et se dote d’un système administratif répondant à sa volonté de centralisation. Le système des classes établi à la fin de l’Ancien Régime donnant satisfaction à l’État

28.7R 7/3 – Matricule de 1780. Matricules des officiers mariniers et matelots de service. – 1780-1791 / 29.7R 7/47 – Matricule de 1780. Classement par paroisses : Oudon, Champtoceaux, Ancenis, Liré, Anetz, Le Marillais, Saint-Florent-Le-Vieil, Varades, Montrelais, Ingrandes, Montjean-sur-Loire, Chalonnes-sur-Loire, Saint-Georges-sur-Loire. – 1780-1791 / 30.DEZANNEAU B., op. cit., p. 105 / 31.ADLA 7R 3, 7R 4 - Matricules des officiers mariniers et des matelots de service - Registres du quartier d'Angers (1780-1791) (IX-X) / 32.Etude sur 36 cas. 22 servent de un à deux ans, 9 de trois à quatre, et trois plus de cinq ans / 33.7R 7/3 – Matricule de 1780. Matricules des officiers mariniers et matelots de service. – 1780-1791 / 34.7R 7/4 – Matricule de 1780. Matricules des officiers mariniers et matelots de service. – 1780-1791 / 35.7R 7/3-5 – Matricule de 1780. Matricules des officiers mariniers et matelots de service. – 1780-1806 / 36.7R 7/3-5 – Matricule de 1780. Matricules des officiers mariniers et matelots de service. – 1780-1806 / 37.ADLA 7R 7/3, 7R 7/4, 7R 7/5 et A.D.M.L. 1 L 639 / 38.ADLA 7 R 34 – Déserteurs – an XII. / 39.ADML 1 L 639 - Marine - Quartier d'Angers - Liste des noms, prénoms et résidence des marins du quartier d'Angers, provenant des prisons d'Angleterre, de retour du service par congé (28 floréal an IV) / 40.7R 7/3-5 – Matricule de 1780. Matricules des officiers mariniers et matelots de service. – 1780-1806.

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Volontaire ou subi, ce terme désigne désormais leur nouvelle réalité, un quotidien déterminé depuis le XVIIIe siècle par l’influence maritime jusque dans le vocabulaire.

pour le recrutement de la Royale, les gouvernements successifs en conservent la pratique. Pourtant, cette ouverture aux cultures maritimes et aux nouvelles pratiques, modifie le mode de vie des bateliers. Comment ces hommes du fleuve appréhendent-ils cette modification de leurs codes culturels et cette irruption d’une culture maritime inconnue et inattendue pour eux ? De retour de « leurs classes », ces marins du fleuve ramènent des souvenirs, rêvent de leurs « aventures », réalisent des ex-voto, commandent des services de faïence, dessinent des graffitis. Cette ouverture au monde se manifeste aussi dans un nouveau vocable. Le terme de marinier, jusqu’alors employé par les marins côtiers intègre leur quotidien en désignant leur activité batelière.

Comment les mariniers perçoivent-ils ce tournant entre l’Ancien Régime et une époque contemporaine, en phase d’internationalisation, déjà initié déjà au XVIIIe siècle ? Au moment où les débuts de la révolution industrielle et les différents progrès techniques secouent des modes de vie presque deux fois millénaires, comment appréhendent-ils cette évolution ? En sont-ils conscients ? Finalement, quelle est la perception de ces hommes du fleuve aspirés dans leur quotidien par ces nouvelles réalités intrusives dans leur mode de vie ? 13


CHAPITRE TROIS

La flotte de guerre française à la fin du XVIIIe siècle : l’outil industriel, stratégie et tactiques PATRICK VILLIERS Professeur des Universités, CRHAEL-HELLI Université du Littoral-côte d’Opale, Boulogne-sur-mer

La notion de vaisseau de ligne qui se met en place au milieu du XVIIe siècle s’inscrit au fil d’une longue histoire à la fois technologique, stratégique et humaine. Les années 1660 - 1715 voient l’affirmation des marines françaises et anglaises aux dépends des marines ibériques et surtout de la marine des Provinces-Unies. La séparation du navire de guerre et du navire de commerce est définitive avec son corollaire une marine de guerre permanente basée dans des ports arsenaux. Seules les nations les plus puissantes peuvent financer un tel investissement. Cependant aux côtés de l’outil industriel, la stratégie et les tactiques sont également déterminantes.

les vaisseaux sans leurs canons et sans leurs vivres, le complément se faisant au large de l’île d’Aix. À la veille de la guerre d’Indépendance et jusqu’à la fin de l’Empire, cette situation perdurera. Le Havre et Dunkerque perdent au XVIIIe siècle leur fonction d’arsenal. Si Lorient est racheté par le roi après la faillite de la compagnie des Indes, son rôle reste très limité de 1778 à 1815. Lorsque Louis XIV décide de construire une marine de guerre capable de rivaliser avec les deux premières marines de guerre des années 1660, celle de l’Angleterre et celle des Provinces-Unies, il lui faut disposer de près de cent-vingt vaisseaux. Si la France dispose de très nombreux chantiers navals marchands, ils ne sont pas capables de construire des navires de guerre. La première marine de Louis XIV compte de nombreux navires importés mais également de vaisseaux construits à Brest et à Toulon avec l’aide de charpentiers de marine étrangers. Avec Seignelay puis les Pontchartrain se constituent dans les arsenaux français des dynasties de maîtres-constructeurs qui vont construire la seconde marine de Louis XIV puis les vaisseaux de Louis XV.

L'OUTIL INDUSTRIEL : CONSTRUIRE ET ENTRETENIR UNE FLOTTE DE GUERRE À la différence de la Royal Navy qui n’hésite pas à faire construire ses vaisseaux par des chantiers privés, réservant ainsi à ses arsenaux la gestion et la réparation des navires de guerre, la marine française fait construire pour l’essentiel ses navires dans ses arsenaux. Sous l’influence de Duquesne et de Colbert1, la jeune marine française fait le choix d’un vaisseau à la forte batterie basse ce qui implique un fort tirant d’eau. Ainsi un 80 canons hollandais peut entrer au Havre ou à Dunkerque alors que les vaisseaux français de 64 canons en sont incapables. Ces choix seront poursuivis par Tourville et Seignelay2 et continués par les Pontchartrain3. En dépit de la construction des arsenaux du Havre et de Dunkerque par Louis XIV, les puissants vaisseaux français ne peuvent être accueillis en Manche. Seul l’arsenal de Brest est capable d’accueillir la flotte du Ponant et celui de Toulon celle du Levant. L’arsenal de Rochefort bien protégé au fond de la Charente ne peut recevoir que

1.Abraham Duquesne (1610-1688), officier de la marine de guerre française - Jean-Baptiste Colbert (1619-1683), un des principaux ministres de Louis XIV / 2.Jean-Baptiste Colbert de Seignelay (1651-1690), fils du précédent, secrétaire d’Etat à la Marine (1683-1690) - Anne Hilarion de Cotentin, comte de Tourville (1642-1701), vice-amiral et maréchal de France / 3.Louis Phélypeaux, comte de Pontchartrain (1643-1727), secrétaire d'Etat à la Marine (1690-1699). Jérôme Phélypeaux, comte de Pontchartrain, secrétaire d'Etat à la Marine (1699-1715).

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Henri-Louis Duhamel du Monceau (1700-1782) Chevalier Sgr du Monceau et de Vrigny de l’Académie Royale des sciences et Inspecteur général de la Marine P.E Motte - Estampe - Inv. M174 - Coll. MML © A. Chatton, MML

permet à la marine de constituer des stocks avant la déclaration de guerre. Le vaisseau est un outil complexe qui nécessite des approvisionnements très différents mais tous indispensables pour que le vaisseau soit opérationnel.

des ingénieurs constructeurs. Son ouvrage Élémens d’architecture navale ou traité pratique de constructions des vaisseaux est traduit en anglais et devient la bible de tous les ingénieurs constructeurs européens. Il crée sur ses propres deniers à Paris dans une annexe du Louvre la « petite école », ancêtre de l’École du Génie maritime où il enseigne le calcul infinitésimal. La construction navale française devient la meilleure du monde et cherche à réaliser le rêve de Colbert : la construction en série des vaisseaux sur un plan unique, le plan type. Ce sera chose faite à partir de 1785. Les plans du constructeur brestois Sané5, choisis après concours pour les vaisseaux de 74 canons, 80 canons et 118 canons, seront la norme jusqu’à la fin de l’Empire. Pour maintenir l’innovation, les ingénieurs continuent de concourir pour les plans des frégates. Ainsi les frères Chevillard à Rochefort établissent les plans de l’Hermione et de six autres frégates tandis que les plans de Sané et Coulomb sont retenus pour Brest et Toulon.

Pour des raisons d’indépendance militaire mais également pour limiter les coûts, Colbert et ses successeurs vont tout faire pour disposer d’une réelle industrie nationale des fournitures navales. Jusqu'à la guerre de Succession d'Autriche (17401748), les entreprises privées purent concilier les commandes civiles et militaires mais la guerre de Sept Ans (1756-1763) désorganisa un système d'approvisionnements très complexe. De Choiseul à Sartine7, chaque secrétaire d’Etat à la Marine va tenter de rationaliser cette gestion. En 1777, un vaisseau de 74 canons déplaçait à pleine charge plus de 3 000 tonneaux dont 1 500 tonneaux pour la coque seule. Les qualités demandées au bois pour la coque ou pour la mâture étaient si différentes qu’il fallait deux essences inconciliables : le chêne pour la coque, le pin et surtout le sapin pour la mâture. Un 74 canons demandait l'abattage d'environ 2 400 chênes centenaires, soit 82 000 pieds cubes (ou 3 000 m3 environ). Compte-tenu de l’importance de ses forêts, la France était globalement auto-suffisante mais la localisation de ces forets ne coïncidait pas avec celle des arsenaux. En outre, entre l'abattage et l'utilisation du bois, il fallait un temps minimum de deux ans de séchage et d'évacuation de la sève.

A la suite de la désastreuse guerre de Sept Ans (17561763) qui a vu la perte de dix-huit vaisseaux et trentesept frégates, seuls quarante vaisseaux et dix frégates restaient disponibles. Avec l’argent venu du « don gratuit », Choiseul6 engagea la construction de quinze vaisseaux neufs qui, pour l’essentiel, combattirent pendant la guerre d’Amérique. La décision de Louis XVI de soutenir d’abord secrètement les « Insurgents » américains, puis officiellement à partir de février 1778, est suivie par une forte dotation budgétaire qui

Le Zélé, vaisseau de 74 canons - Coulomb, 1762 Dessin à l’encre - Inv. D1 66, n°8 - Coll. Service historique de la Défense © Service historique de la Défense, Vincennes

Il revient à Duhamel du Monceau (1700-1782), né à Paris mais dont la famille de petite noblesse tire sa richesse du safran de Pithiviers, de systématiser l’utilisation des mathématiques notamment pour déterminer à priori le centre de gravité des futurs vaisseaux. Maurepas4, après avoir favorisé son élection à l’Académie des Sciences, le recrute dans la Marine et le nomme en 1739 Inspecteur général des constructions navales. Il préside jusqu’à sa mort en 1782 le jury de recrutement 4.Jean-Frédéric Phélypeaux, comte de Maurepas (1701-1781), secrétaire d'État à la Marine (1723-1749).

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5.Jacques-Noël Sané (1740-1831), ingénieur naval / 6. Etienne-François, comte de Choiseul (1719-1785), secrétaire d’Etat à la Marine (1761-1766) / 7.Antoine-Raymond de Sartine (1729-1801), secrétaire d'Etat à la Marine (1774-1780).

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