Mise en ligne dossier expo

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Tout au long de cette année, le musée de la marine de Loire va abriter, dans sa cour, un chantier de construction de bateau.

Un bateau ? Plus précisément un fûtreau de Loire, de 1 0 m de long sur 2,5 m de large, construit par la Communauté des Mariniers de la ville. Heureux d’accueillir ce chantier, le musée a voulu s’associer à cette aventure, en proposant aux visiteurs une exposition sur le thème de la construction des bateaux de Loire.

Cette exposition souhaite faire découvrir au plus grand nombre les principes de la navigation fluviale, les techniques de construction, les différents métiers liés à cette activité ou encore les principaux types de bateaux ligériens. Elle a également pour ambition de faire le lien entre la navigation de loisir actuelle et la batellerie ancienne. Elle s’appuie pour beaucoup sur les travaux de François Beaudouin, premier conservateur du musée de la Batellerie de Conflans-Sainte-Honorine et père de l’archéologie nautique fluviale.


Piautre de toue 1 7 e s.

coll. musée de la marine- St Clément des levées


EAU , FLEUVES , RIVIÈRES ET VOIES NAVIGABLES


L’eau occupe la plus grande partie de la surface de notre globe terrestre, sous forme d’océans, de mers et de cours d’eau (fleuves, rivières, ruisseaux…). C’est le milieu idéal pour se déplacer, grâce au bateau. La surface de l’eau est plane et horizontale tandis que sur terre, les reliefs et la végétation gênent les déplacements. L’art de naviguer, de se déplacer sur l’eau, diffère selon les milieux : la haute mer, les eaux côtières, les fleuves ou les canaux. Chaque milieu a ses particularités. Les fleuves et les rivières, quelle que soit leur taille, ont tous en commun une faible profondeur et un courant orienté dans la même direction. Longue de 1 020 km, la Loire est navigable sur 730 km. Elle bénéficie de deux avantages : depuis la mer, elle peut être remontée à la voile jusqu’à Orléans grâce aux vents de secteur Ouest. La navigation se fait alors à un coût peu élevé comparé à d’autres fleuves (la Seine ou le Rhône). Second avantage : elle pénètre profondément à l’intérieur du territoire, reliant les bassins atlantique et méditerranéen. Si la Loire a des atouts, elle présente également de nombreux inconvénients. Sa pente est très importante, le courant est donc toujours fort, compliquant la navigation. La Loire charrie aussi énormément de sable qui se dépose en bancs. Ces amas de sable se déplacent régulièrement, modifiant constamment le chenal (la partie la plus profonde du lit du fleuve), ce qui nécessite un entretien et un balisage permanents et coûteux. Son régime est en outre irrégulier. En période de basses eaux (11 2 jours/an), la Loire ressemble à un maigre cours d’eau composé de bassins profonds (les « mouilles ») et de hauts-fonds. Le fleuve connaît le plus grand battement d’Europe, c’est-à-dire la plus grande amplitude entre les basses eaux (l’étiage) et les hautes eaux. La navigation n’est permanente que de Nantes à Angers. Aujourd’hui, seule cette section est officiellement classée comme navigable.

CONTRAINTES ET ADAPTATION Toutes ces contraintes naturelles influent sur les techniques de navigation et la forme des bateaux. Les charpentiers, mariniers et négociants ont dû et su adapter leur flotte à ce fleuve capricieux. Certaines caractéristiques des bateaux ligériens sont communes à d’autres flottes fluviales : les fonds plats (la « sole »), les levées permettant d’accoster les berges … D’autres sont, en revanche, plus spécifiquement ligériennes comme la structure souple et légère de la coque (grâce à la construction à clin), le gouvernail, « la piautre », réglable en hauteur, le treuil appelé « guinda », des voiles très hautes pour capter le vent au-dessus des digues.


C OMMENT FLOTTENT ET NAVIGUENT LES BATEAUX

Le bateau est une « construction creuse et étanche permettant […] de se déplacer à la surface des eaux », François Beaudouin, Le Bateau, 1 990. Pour se déplacer, le bateau doit flotter. La flottabilité d’un bateau dépend de son poids, de sa forme, de la densité de l’eau et de la poussée d’Archimède (c’est la force qui dans l’eau porte le bateau). Un bateau peut porter un poids bien supérieur à son propre poids, il a donc un excellent rendement. Soutenu par la masse d'eau, il transporte ainsi des matériaux lourds dans une structure bien plus légère et plus grande qu’un véhicule terrestre soumis, lui, entièrement à la gravité.

Chargement de poteries sur deux bés de cane accolés fin du 1 9 e siècle tirage photographique

coll. MML


Pour naviguer, le bateau dispose d’une grande diversité de moyens de propulsion (naturels et artificiels) : - en haute mer, la propulsion à la voile (grâce au vent) - en milieu côtier, la voile, le courant de marée et la rame (propulsion en prenant appui sur l’eau) - en milieu fluvial, la voile (en Loire, le vent permet de remonter le fleuve), le courant (pour descendre le fleuve), la rame ou la pagaie (appui sur l’eau), la perche maniée par le marinier et enfin le halage humain ou animal du bateau depuis la berge (propulsion par appui sur le sol).

LA POUSSÉE D ' ARCHIMÈDE

La propulsion par appui au sol François beaudouin

in « Le Bateau», Cahiers de la batellerie, hors-série, 1 990


EVOLUTIONS TECHNOLOGIQUES D E LA PIROGUE AU CHALAND « Le bateau est en devenir, il se transforme,[…] le bateau et les techniques nautiques naissent et se développent en se complexifiant » François Beaudouin, le Bateau, 1 990. Depuis le Néolithique, les populations fabriquent des bateaux dans des troncs d’arbres. A l’aide d’outils tranchants, l’herminette pour creuser la cuve et la hache pour façonner les flancs, ils réalisent de grandes pirogues qui servent à la pêche, au transport des hommes et des marchandises. Ces pirogues sont taillées d’une seule pièce dans un tronc (pirogues dites monoxyles). Faciles à réaliser et durables, elles ont été utilisées pendant très longtemps, parfois jusqu’à la fin du 1 9e siècle. Ces bateaux sont maniés à la bourde, de grands bâtons à bout ferré avec lesquels on prend appui sur le fond du fleuve. La principale limite de ces bateaux est bien évidemment leurs dimensions qui ne peuvent dépasser celles du tronc. Une des solutions est d’élargir la pirogue à l’aide de planches, des pièces débitées et rapportées. La pirogue est alors coupée en deux dans le sens de la longueur. Une ou plusieurs planches sont rajoutées au niveau du fond plat (en violet sur le dessin). L’assemblage est renforcé par des pièces de liaison transversales, les râbles. Une étape supplémentaire est franchie avec l’embarcation assemblée où le bateau est constitué seulement de pièces débitées, assemblées entre elles. Pour rigidifier l’ensemble des équerres en bois appelées courbes sont rajoutées.

Plan et coupe de la pirogue de Noyen-sur-Seine époque carolingienne

in Daniel Mordant, " La barque monoxyle de Noyen-sur-Seine", Archaeonautica, vol 1 4, 1 998



D U CHALAND CLASSIQUE AU BATEAU NANTAIS Le chaland de Loire primitif, à fond plat, muni de deux levées (à l’avant et à l’arrière) et construit à clin, apparaît à la fin du Moyen Âge. Les flancs du chaland s’évasent ensuite, de droits, ils prennent un angle de 1 20°. Le bateau prend alors une forme de navette qui lui assure une meilleure tenue sous voile. Il garde cette forme jusqu’à la fin du 1 8e siècle. Son gouvernail, la piautre, n'est encore qu'un aviron de queue, appuyé sur le bord du bateau. Il sert à la fois à diriger le bateau et à le propulser. Aux 1 7e et 1 8e siècles, la taille des chalands augmente et la piautre se modifie, elle s’allonge et se verticalise. Au 1 9e siècle, le chaland atteint sa forme classique et sa plus grande taille. Cette évolution répond à la nécessité d’augmenter la capacité de charge c’est-à-dire le volume du bateau. Pour cela, le fond s’élargit et les bords redeviennent droits. Puis, pour supporter le poids de la piautre devenue de plus en plus lourde, la levée arrière se redresse. Elle prend la forme d’un tableau (partie plane), d’abord bombé puis de plus en plus vertical, offrant une meilleure résistance mécanique. Enfin, au milieu du 1 9e siècle, le chaland moderne inspiré des bateaux de mer fait son apparition. La piautre est abandonnée au profit du gouvernail axial. Le guinda est lui remplacé par deux treuils. A l’avant, la levée est supplantée par une étrave arrondie. Ce chaland moderne aboutit à la fin du 1 9e siècle au bateau nantais, dernier avatar du grand chaland de Loire.

Plan de chaland de Loire François Beaudouin 1 972

coll. Musée de la Batellerie -Conflans Ste Honorine


L' INFLUENCE NORDIQUE Longtemps, on a vu la persistance d’une influence viking (conséquence des invasions des 9 e -11 e siècles) dans la construction des bateaux ligériens. L’élément le plus significatif et récurrent en est la construction à clin. Toutefois, Eric Rieth, chercheur au LAMOP UMR 8589-Musée National de la Marine, questionne ce supposé héritage scandinave. Des indices techniques et linguistiques permettent en effet d’envisager une influence nordique. Le « boitas » ligérien (tige de bois qui écarte l’angle inférieur de la grande voile carrée) est identique au « beitas » des marins scandinaves. Il en va de même des « gueurdes » (cordages qui permettent de soulever la partie inférieure de la voile), terme proche du mot danois « görding ». Le système de fixation des haubans (cordages maintenant le mât) par aiguilles serait également d’origine nordique. Toutefois, les modes de construction scandinaves et ligériens sont très différents. Il semble que le mode de construction ligérien « sur sole » (fond plat) soit beaucoup plus proche d’une tradition hanséatique (venant des villes commerçantes des bords de la mer Baltique) que de la construction sur quille des navires vikings. D’autre part, le système de calfatage à la mousse des bateaux ligériens est très différent de celui en usage sur les bateaux scandinaves. Il semblerait donc que les modes de constructions ligériens aient été influencés par des techniques diverses venant du nord de l’Europe (scandinave mais aussi hanséatique) et ce, à diverses époques.

Chronique illustrée du lucernois Diebold Schilling Ce détail du manuscrit représente deux pêcheurs en train de relever leur filet. On remarque que leur barque est un bateau monoxyle assemblé. On distingue la planche qui a été rajoutée pour augmenter la hauteur du bord. © Luzern, Korporation Luzern, S 23 fol., p. 630 – Chronique illustrée du lucernois Diebold Schilling (Luzerner Schillling) (http://www.ecodices.unifr.ch/fr/list/one/kol/S0023-2)


LES BOIS DE MARINE

La construction d’un bateau, quelle que soit sa taille, nécessite l’établissement d’un devis. Ce document est signé entre le charpentier et le commanditaire, le plus souvent un marinier. Ce devis décrit avec précision les matériaux à employer, les dimensions des diverses pièces ainsi que toutes les finitions et agrès (matériel servant à manœuvrer). Certains contrats comprenaient même des clauses d'exclusivité. C’est à partir de ce document qu’étaient calculées les quantités de bois nécessaires. Le géographe Claude Caron, dans son « Traité des Bois servans à tous usages » de 1 676, estime que les plus grands chalands, de 1 2 toises et demi (environ 24 m) nécessitent pour leur construction 1 76 pièces de bois. Une sapine, quant à elle, nécessitait l’abattage d’au moins 1 0 grands sapins, sans compter les pièces courbes aux formes spécifiques. Les essences de bois utilisées pour la construction des bateaux de Loire sont principalement le chêne et le sapin. Le chêne est un bois dur et résistant qui peut être ployé à chaud. Il est utilisé pour les chalands, toues et fûtreaux. Le sapin est, lui, réservé aux bateaux auvergnats telles que les sapines, salembardes et rambertes. Ce bois souple, léger, abondant et économique, était particulièrement intéressant pour des bateaux ayant une durée de vie très limitée ou transportant des matériaux peu onéreux. Le pin, l’acacia, l'orme étaient également employés pour des pièces particulières, telles que les différentes pièces d'accastillage (poulies, bâtons…). Le bois mis en œuvre était vert, fraîchement coupé, non séché. La construction à clin autorisait un retrait du bois dû au séchage progressif des planches, ce qui n’aurait pas été possible avec une construction à franc-bord (bord à bord).

Doloire et herminette pour équarrir les troncs


Dans un premier temps, les zones forestières sont au plus proche de l’industrie batelière. Les arbres sont abattus à la cognée en prenant soin de ne pas abîmer les branches les plus fortes. De ces branches, en effet, étaient tirées les courbes à forte valeur marchande. Un acte notarié mentionne la vente de plusieurs milliers de courbes débitées et stockées par des forestiers. Les arbres coupés étaient stockés dans des dépôts où ils étaient vendus aux charpentiers de marine. Les arbres étaient ensuite amenés jusqu’au port ou au chantier de construction, par charrois (sur chemin de terre) ou par flottage. Les longues pièces de la sole (fond plat du bateau) et des bordés sont découpées dans le tronc. Les pièces courbes proviennent d’embranchements, entre le tronc et une branche ou entre le tronc et une racine. Guillaume Imbault (entrepreneur de Châteauneuf au 1 9e siècle) précise par exemple dans ses mémoires qu’il a acheté des sapins en Suisse. Arrivés à Briare par le train, puis à Châteauneuf par la Loire, ils étaient hissés sur le quai pour y être débités par des scieurs de long. Payés à la tâche, ces derniers sciaient le tronc en planches selon les directives du charpentier. Parfois, le charpentier achetait des planches de bord déjà préparées par les forestiers (comme cela est attesté pour la réalisation des sapines).

GABARIT MENTAL Les charpentiers n’utilisaient pas de plans. Les dimensions des pièces de bois étaient définies par leur expérience et les dimensions choisies par le commanditaire. Les seuls instruments de mesure ont longtemps été le bâton de charpentier, le compas et la corde à 1 3 nœuds. Le charpentier utilise une surface de référence. L’implantation même du chantier sur lequel est construit le bateau reproduit un carré de référence. Ce carré de référence permet de déterminer les rapports de longueur, largeur et profondeur du bateau.

Traité des bois servans à tous usages, contenant les ordonnances du Roy touchant les règlemens des bois Claude Caron 1 676


LES SCIEURS DE LONG Le sciage se faisait à l’aide de tréteaux ou d’une « chèvre à longue queue ». Le tronc était hissé en équilibre, dépassant à moitié dans le vide. Il était maintenu fermement avec une chaîne et des coins. Les traits de scie étaient ensuite marqués à la ligne à tracer (corde trempée dans un mélange d'eau et de cendres ou de noir de fumée).

Planche Marine, chantier de construction (détail) Encyclopédie Diderot et d'Alembert 1 779 coll. MML


La scie de long est une grande scie, à cadre et lame fine. Elle est maniée par 2 hommes, le premier (le «chevrier») debout sur le tronc dirige la coupe en suivant les traits, le second (le «renard») en dessous tirant sur la scie. Une fois la première moitié débitée, les scieurs faisaient tourner la bille de 1 80° sur son axe et coupaient la seconde moitié du tronc.


LE CHANTIER Le chantier désigne le lieu mais aussi le support de montage de la coque. L’implantation du chantier se fait autant que possible sur une surface longue et plane, près du cours d’eau, afin de faciliter l’acheminement des troncs et la mise à l’eau du bateau. L'installation du chantier est toujours la même, quel que soit le type de bateau ou sa taille. François Beaudouin, créateur du musée de la Batellerie de Conflans-Sainte-Honorine, a précisément décrit les étapes de construction d’un bateau nantais. Il s’est appuyé pour cela sur le témoignage de M. Gandon, dernier charpentier à avoir construit un bateau nantais en 1 929, à Montjean-sur-Loire. Ce type de description, très détaillée, manque pour la construction des chalands ou des sapines. Toutefois, le mode de construction des bateaux nantais s’inscrit dans une tradition, reprenant des savoir-faire plus anciens. La première étape consiste à installer le « chantier » c’est-à-dire le support qui recevra le bateau. Des coëttes, traverses de bois de 5 m de long, sont ainsi disposées tous les 3 m, sur une longueur de près de 27 m. Les coëttes sont elles-mêmes placées sur des billots de bois. A Saint-Rambert, sur le cours supérieur de la Loire, les chantiers qui produisaient les sapines s'étendaient sur la grève, le long de la Loire. Les bateaux en cours de montage étaient disposés perpendiculairement au fleuve. Le chantier reposait sur deux longues pièces de bois parallèles sur lesquelles on disposait des coëttes ou encore des rondins, afin de faciliter la mise en eau. Il semblerait, qu'à partir du 1 8e siècle, les chantiers de construction aient été plus nombreux dans la partie haute de la Loire qu'en aval. L'habitude est prise d'acheter les bateaux de l'amont et de les réutiliser en aval. Au point qu'en 1 733, les négociants d'Orléans remarquent qu'il " ne se construit point de bateaux à Orléans, les mariniers achètent ceux de Roanne dont ils se servent pour descendre aux pays bas". Henri Chevaleau, garde-port à Neuvy, ne mentionne en 1 834 qu'un seul chantier en Anjou, à Montjean, 5 entre Tours et Châteauneuf-sur-Loire, les autres étant tous situés en amont.

Le port de Roanne fin du 1 9 e s. coll.MML



ASSEMBLER La deuxième étape voit la pose des planches de la sole (fond plat). Les planches sont retravaillées à la doloire afin de s’ajuster parfaitement entre elles. Puis, elles sont assemblées à l’aide de chevilles en bois (gournables). Intervient ensuite la technique du ployage à chaud. Pour les bateaux avec une levée (chaland classique, sapine…), les planches de la sole sont relevées. Pour les bateaux à étrave arrondie (chaland moderne, bateau nantais…), ce sont les planches du bord qui sont courbées. Pour ce faire, un feu est entretenu pendant plusieurs heures dans une caisse en bois, sur un lit de sable humide. Sous l’action de la chaleur, le bois humide et chaud s’assouplit suffisamment pour être ployé et redressé jusqu’à obtenir l’angle ou la courbure désiré(e). Les bords sont ensuite mis en place. Partant du bas, les planches sont assemblées à clin, c’est-à-dire en se chevauchant sur quelques centimètres. Les planches sont serrées les unes contre les autres à l’aide de gros serre-joints avant d’être fixées définitivement par des chevilles. bordé à clin

Les chevilles peuvent être en chêne, en acacia ou en bois d’aulne. L'aulne est un bois souple qui supporte les compressions et rétractations. Les chevilles ont une forme hexagonale, adoucies à la plane. Un trou est préalablement réalisé à l’aide d’une tarière, puis les chevilles enfoncées à force. Enfin un coin est inséré pour bloquer la cheville. Près de 5000 chevilles sont nécessaires pour la réalisation d'une sapine. Sur les bateaux nantais, les clous remplacent les chevilles. Pour les bateaux nantais, une fois réalisé le palâtrage de la sole et des bords, les membrures (râbles et courbes) sont installées. Les courbes renforcent l’assemblage fond/bordé et les râbles rigidifient la sole.

Bateau nantais sur le chantier Fresneau, à Varades, en 1 898 tirage photographique

in La batellerie bretonne, Vie quotidienne des mariniers de l'Ouest, le Chasse-Marée, Ed. de l'Estran 1 988


CALFATER Un bateau, constitué de planches, doit être étanche et ce d'autant plus qu'il transporte des charges lourdes ou des matériaux craignant l'eau. Diverses techniques existaient pour étanchéifier les bateaux, elles dépendaient principalement des modes de construction. assembler Les bateaux à franc-bord étaient calfatés à l’étoupe. Des fibres de chanvre étaient enfoncées au maillet dans les interstices puis recouvertes de poix ou bray (goudron végétal). Les bateaux construits à clin utilisaient une autre technique déjà utilisée à l'époque gallo-romaine, et répandue sur de nombreux bassins fluviaux en France et en Europe : le calfatage à la mousse. Cette mousse récoltée par les femmes et les enfants en forêt, était roulée en longs cordons. Elle était ensuite enfoncée à force entre les planches du fond ou des bords. Une fois tassée, la mousse était maintenue par un « palâtre », petite latte de bois de chêne, d’acacia ou de châtaignier cloutée.

cric, maillet et calfait coll. MML

Cette technique permet d'utiliser toute pièce de bois, même si elle présente des fentes et défauts, elle autorise en outre les déformations mécaniques dues à la souplesse des bateaux. Enfin, elle permet de reprendre le calfatage depuis l'intérieur du bateau pour des réparations à flot. Le calfatage à la mousse disparaît à la fin du 1 9e siècle, remplacé par des bandes de feutre recouvertes de longues bandes de métal cloutées, produites industriellement. La coque du bateau était passée au goudron, du moins à partir du 1 9e siècle, afin de protéger le bois de l’eau et des insectes. Pour cela de petits chaudrons étaient utilisés pour chauffer et ramollir le goudron. Les planches étaient ensuite recouvertes de goudron à l’aide d’un guipon, sorte de brosse à long manche.


ASSEMILLAGE Au cours de leur évolution, les bateaux de Loire, et tout particulièrement le chaland, ont connu une spécialisation de leurs appareils de propulsion et de direction. Ces innovations sont liées à la difficulté de naviguer sur la Loire (cours irrégulier, hauteurs d'eau variables, fort courant, vents) ainsi qu’à la nécessité de déplacer des chargements de plusieurs centaines de tonnes.

LES AIGUILLES Les aiguilles sont des pièces en bois en forme de quille permettant de tendre les haubans (cordages maintenant le mât) et de les détacher très rapidement.

LE GUINDA Le guinda est un treuil horizontal installé à l'arrière du chaland. Il sert principalement pour les manœuvres nécessitant une force importante : abaisser et relever le mât, monter ou descendre la piautre, relever l'ancre ou haler le bateau sur une ancre. Il se compose d'un fût cylindrique de fort diamètre, équipé de deux barres traversantes et monté sur deux pièces verticales fixées sur les bordés, appelées « moules », « meules » ou « joues ». Il est extrêmement dangereux car il ne dispose d'aucun dispositif de blocage.

guinda coll. MML


LA PIAUTRE La piautre est le gouvernail du chaland. Cet appareil est spécifiquement ligérien. La piautre dérive de l’aviron, une rame positionnée sur la levée arrière, proche des "patouilles", ces grandes rames utilisées sur les sapines et les trains de bois. Cet appareil fonctionnait par balayage en déplaçant le bateau latéralement. Peu à peu, cet aviron a évolué, s’est redressé jusqu'à prendre la forme caractéristique de la piautre. Le safran (partie immergée du gouvernail) s'est allongé, sa taille a augmenté. La piautre est alors soutenue par 2 pièces de bois assemblées en croix, les « ménicles ». La piautre fonctionne alors en rotation autour de son bras oblique. La piautre est d'une redoutable efficacité pour diriger des bateaux de plusieurs centaines de tonnes dans une rivière à faible profondeur et à courant rapide. Elle est maniable et ce, malgré un poids et un encombrement conséquents (jusqu'à une tonne sur les grands chalands). En effet, l'enfoncement de la piautre était facilement réglable grâce à un jeu de cordes de maintien et au réglage des « ménicles ». Le gouvernail à étambot ou axial, d'inspiration maritime, qui remplace la piautre dans la seconde moitié du 1 9e siècle est beaucoup moins efficace car il est fixe et de plus petite dimension.

Mariniers et chaland Charles Pensée 1 9 e s. coll. MML


LES CHARPENTIERS

On possède très peu d'informations sur les charpentiers de marine de Loire. Cette profession ne transmettait son savoir que de manière orale et a disparu assez rapidement à la fin du 1 9e siècle. Toutefois, quelques rares témoignages ont été collectés au cours du 20e siècle et nous permettent d'imaginer les derniers chantiers. On peut évoquer messieurs Gandon et Leduc de Montjean-sur-Loire, interviewés par François Beaudouin; Joseph Glaidu de Gennes, Robert Fresneau à Varades ou encore Paul Joubert de Juvardeil, parmi quelques autres. On peut citer également les mémoires rédigés par Guillaume Imbault qui construisait pour son compte bateaux et dragues sur les quais de Châteauneuf-sur-Loire au début du siècle ou encore André Grange de Saint-Just-Saint-Rambert qui a vu son père construire les dernières rambertes à la fin du 1 9e siècle. Guillaume Imbault, charpentier de marine de Chateauneuf-surLoire début du 20 e siècle

Les charpentiers de Saint-Just-Saint-Rambert étaient payés à la tâche et non à la journée. En 1 81 8, un bateau leur rapportait entre 25 et 30 francs, mais ils devaient fournir les outils et la mousse pour le calfatage. La plupart n'exerçaient pas cette activité à temps plein et connaissaient comme les mariniers des périodes d'inactivité. Les chantiers ne devaient fonctionner guère plus de sept mois par an, interrompus par la saison hivernale et les périodes de travaux agricoles. Il apparaît qu'ils se liaient généralement par contrat à un marchand de bois, s'engageant à travailler exclusivement pour lui, pour une période déterminée ou une quantité de bateaux à livrer. coll. MML


" Lesdits charpentiers promettent et s'obligent à travailler sans discontinuer de leur métier de charpentier en batteaux pour le compte dudit sieur Berry-Labarre pendant une année consécutive [...] sans pouvoir travailler pour d'autres et, de sa part, ledit sieur Berry-Labarre promet et s'oblige de leur fournir pour les ateliers audit port Saint Rambert, tous les bois et clous nécessaires pour la construction desdits bateaux et de leur payer, la somme de trente livres, sans pouvoir les diminuer sous quelque prétexte que ce puisse être" Convention pour construction de bateaux consentie entre sieurs Pierre Berry-Labarre, marchand et Louis Lièvre et consorts charpentier en bateaux. (1 7 août 1 752), in Jean Renaud, Les Corporations de métiers de la marine de Loire.

[...] Le dernier bateau, on l'a fait pour un entrepreneur de Varades. C'était toujours le travail de dans le temps. Les membrures du bateau n'étaient pas boulonnées mais chevillées. C'était des chevilles avec des coins en acacia. Pour faire l'étrave et l'arrière, il fallait cintrer les pièces de bois. On les installait sur des chevalets, on aspergeait d'eau, on faisait du feu dessous et on chargeait pour que ça ploie." Robert Fresneau, in J. Guillet, La batellerie bretonne, vie quotidienne des mariniers de l'Ouest.


LES BATEAUX SOUS LES TOITS La durée de vie des bateaux est variable, elle dépend de la nature et de la qualité des matériaux employés. Les sapines, par exemple, n’étaient pas conçues pour durer. Descendant la Loire ou l’Allier où elles avaient été assemblées, elles étaient revendues arrivées à destination. A Paris, en Loire moyenne ou basse, elles pouvaient alors être réutilisées comme allèges. Elles finissaient toutefois par être déchirées (démontées et détruites) et leur bois était réutilisé. Ainsi, à Paris, le bordage des sapines servait au cloisonnage des caves. Les bateaux en chêne, comme les chalands, plus solides, de meilleure qualité, pouvaient, eux, durer une dizaine d’années. En fin de vie, le destin de ces bateaux était varié. Ils pouvaient être remployés comme allèges sur la Seine ou ses affluents, coulés volontairement pour consolider un ouvrage (digue, bâtis…) ou déchirés à leur tour. Les bateaux étant assemblés avec des chevilles, celles-ci pouvaient facilement être retirées à l'aide d'une herminette fine, le passe-partout. Il était ainsi possible de démembrer complètement les bateaux. Leurs matériaux étaient alors réutilisés pour la construction. Le remploi des matériaux répondait d’abord à un souci d’économie. Combien de monuments (châteaux, édifices religieux) ont servi de carrière pour de nouvelles constructions ? Ce remploi, banal pour la pierre, est moins connu pour le bois. Pourtant les bordés, les planches de la sole, les râbles pouvaient être réutilisés tout comme le gréement (mât, vergue), le guinda ou les bâtons … Ces éléments provenaient du déchirage de bateaux ou plus simplement de leur désarmement. En quittant la Loire pour emprunter les canaux, les bateaux se délestaient du matériel servant à la manœuvre. Sur les canaux, en effet, la navigation se faisait grâce au halage. La voile, le mât, la vergue… n’étaient alors plus utiles. Selon leur taille, les bois étaient réutilisés comme piliers, linteaux, cloisons ou dans la charpente (comme poutres ou solives). Les pièces pouvaient être reprises telles quelles, resciées dans la longueur (un mât rescié en plusieurs solives) ou coupées en tronçons. Le remploi des bois de bateaux servait pour la construction de maisons de mariniers et de bâtiments utilitaires (hangar à bateaux, grange…), les belles maisons bourgeoises dédaignant ces matériaux de seconde main.

Hangar à bateaux, Combleux (Loiret). Ce hangar, ayant appartenu à une famille de charpentiers de marine, est constitué de pièces de bateaux récupérées. coll. MML


Vue de Blois, d'après Mandar. le détail montre une scène de déchirage sur la grève. huile sur toile 1 7 e s.

coll. MML

passe-partout 1 9 e s. coll. MML


LE RENOUVEAU DE LA MARINE DE LOIRE Tout (re)commence à la fin des années 1 980, grâce à des amoureux du fleuve, des passionnés qui tirèrent les bateaux de Loire de l’oubli. Plusieurs bateaux, devenus depuis des emblèmes du renouveau de la marine de Loire, sont construits à cette époque : La PascalCarole (chaland réalisé en 1 990 par Jacques Robin dit « Vent d’Travers », le Val de Vienne (une toue cabanée par François Ayrault en 1 989) et La Montjeannaise en 1 989 (réplique d’un chaland de Loire de 1 830 construit par Philippe Boursier). Les plans de La Montjeannaise ont été réalisés par François Beaudouin à partir de maquettes anciennes, de pièces de bateaux trouvées dans la Loire et de témoignages d’anciens charpentiers de marine. Malgré tout, il ne s’agit pas d’une reconstitution à l’identique : si le bateau est en chêne, la voile, elle, n’est pas en chanvre mais en tissu synthétique … Bien d’autres chantiers vont ensuite suivre, menés par les nombreuses associations de mariniers qui voient le jour au tournant des années 1 990-2000. Ces associations s’inspirent de la batellerie traditionnelle pour concevoir des toues, des fûtreaux, conçus pour un nouvel usage : la navigation de loisir. Pour gagner en efficacité, le pin douglas (à la croissance plus régulière) remplace désormais le sapin voire le chêne, les écrous et les boulons, les chevilles en bois. L’ajout d’un moteur permet aussi de naviguer plus facilement. Certaines associations se lancent de véritables défis : la réalisation de gabarot, de flûte berrichonne, voire d’un bateau médiéval, le « scute ». Ces projets plus ambitieux sont alors l’occasion d’ouvrir au public leur chantier, d’organiser des animations et des festivités. Enfin, pour faire vivre leur association et entretenir leurs bateaux, un certain nombre d’associations organisent des balades sur la Loire et font partager au public leur passion de la Loire. Tous les deux ans, ces bateaux se retrouvent à Orléans, pour le Festival de Loire, devenu un rendez-vous incontournable de la marine fluviale.


Remerciements Cette exposition souhaite faire découvrir au plus grand nombre les principes de la navigation fluviale, les techniques de construction, les différents métiers liés à cette activité ou encore les principaux types de bateaux ligériens. Elle a également pour ambition de faire le lien entre la navigation de loisir actuelle et la batellerie ancienne. Elle s’appuie pour beaucoup sur les travaux de François Beaudouin, premier conservateur du musée de la Batellerie de Conflans-Sainte-Honorine et père de l’archéologie nautique fluviale.

Cette exposition a été rendue possible grâce à la générosité de nombreux prêteurs institutionnels et privés, qu’ils en soient ici remerciés : - Archives départementales de la Loire - Archives départementales du Loiret - L’Association diocésaine de Blois - Cap Loire, Montjean-sur-Loire - Château royal de Blois - Département du Maine-et-Loire, Direction de la culture et du patrimoine - Musée historique et archéologique de l'Orléanais, Orléans - Musée de la Batellerie et des voies navigables, Conflans-Sainte-Honorine - Musée de la Loire, Cosne-Cours-sur-Loire - Musée de la Faïence et des Beaux-arts, Nevers - Musée Loire et Métiers, Saint-Clément-des-Levées - Monsieur Jean-Michel Hervé - Monsieur Jean-Raoul Vuillermet Cette exposition a été réalisée par le musée de la marine de Loire, avec le concours de la Ville de Châteauneuf-sur-Loire, de ses services techniques et administratifs. Nous tenons également à remercier pour leur soutien la Direction régionale des affaires culturelles du Centre - Val de Loire, le Département du Loiret et l’Etablissement public Loire.


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