L’info pacifiste : www.mvtpaix.org La paix en mouvement
3,20 euros / N° 543 / Été 2009
La privatisation de la guerre Dossier (P.11-16)
Iran Un nouveau printemps persan (P.20-21)
Sécurité Violences sociales et violence structurelle (P.8-9)
REGARD SUR...
Forum des comités du Mouvement de la Paix Manosque - 29 - 31 mai 2009
Participation des pacifistes à la conférence préparatoire de révision du TNP, New-York, mai 2009 (voir page 7)
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N° 543 - Été 2009 - Planète PAIX
Sommaire
l’Édito
Planète Paix n° 543 - Été 2009
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Campagne
21septembre 2009, journée internationale de la paix P.6
Le ‘‘gouffre sans fond’’ des dépenses militaires
L
Plus forte et plus belle
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a Loi de programmation militaire 20092014 a été adoptée par une majorité de députés à l’Assemblée nationale en séance de vote solennel le mardi 16 juin après une semaine de débats.
actualitÉ
Traité de non-prolifération nucléaire P.7
De nouveaux engagements Sécurité
P.8-9
Violences sociales et violence structurelle
11
dossier
La privatisation de la guerre Les société militaires et de sécurité privée
P.12-13-14
Guerre, privatisation et mondialisation Vente d’a(r)mes
P.15
Karachi, le savoir-faire délocalisé
16
‘‘ Peut-on dé-
Référence
sociétés militaires privées
P.16
Émergence d’un commerce mondial
18
penser sans compter pour
mondialiser la paix
Sri Lanka
P.18-19
La victoire des armes ne suffit pas à résoudre la crise Iran
P.20-21
Un nouveau printemps persan
22
Aurélien Amsellem Membre de la coordination exécutive du Mouvement de la Paix
livre
P.22-23
Les armes nucléaires - mythes et réalités par G. Le Guelte
Mensuel édité par 9, rue Dulcie September, 93400 Saint-Ouen Tél. 01 40 12 09 12 Fax : 01 40 11 57 87 planete.paix@mvtpaix.org
mettre au régime sec la sécurité sociale, au sens
culture
le mouvement de la paix
les armements et
large de sécurité humaine ?
’’
Directrice de publication : Annie Frison. Rédactrice en chef : Arielle Denis. Secrétaire de rédaction : Nadia Bennad Conception maquette : Chérif Beldjoudi. Rédacteur - graphiste - maquettiste : Laurence Leclert. Comité de rédaction : Nadia Bennad, Nicole Bouexel, Ben Cramer, Jacques Le Dauphin, Arielle Denis, Pierre Villard. Photos et illustrations : Tous droits réservés. Page 20 : CSaïsset Ont participé à ce numéro : Aurelien Amsellem, Michel Thouzeau, Joël Frison, Arnaud Thomas, Arielle Denis, Claude Serfati, Ben Cramer, Sakthithasan Shalini Nadia Bennad et Yves-Jean Gallas, James Buchanan. Gestion des abonnements : Nassera Macrez, tél. 01 40 12 09 12. ISSN 1773-19241. Numéro de commission paritaire : 0709G85601. Imprimeur : Midi Pyrénnées
Malgré les - nombreux- changements de dernière minute du calendrier parlementaire, la cyberpétition adressée directement aux députés pour qu’ils refusent de voter ces dépenses absurdes a recueilli plus de 5000 signatures en seulement deux semaines. C’est un chiffre « record » dans un laps de temps aussi bref. Mais, hélas, la majorité l’a votée : 185 milliards d’euros vont être dépensés pendant cinq ans pour les armées et surtout pour fabriquer nouvelles armes et nouveaux équipements : 101 milliards. Au même moment paraissait le rapport du SIPRI portant sur les dépenses militaires mondiales pour l’année 2008. Il donne un chiffre qui fait froid dans le dos : 1464 milliards US $ dépensés dans le monde par les États pour leurs budgets militaires. En 7 ans à peine, ces dépenses ont augmenté de plus de 70% passant de 845 milliards en 2002 à 1464 milliards US$ en 2008. Ces chiffres sont bien sûr à mettre au regard de l’efficacité : le monde est-il plus sûr ? La France doit-elle en faire un choix budgétaire prioritaire ? Actuellement le gouvernement nous informe que les organismes sociaux (assurance maladie, retraites, assurance chômage, allocations familiales) sont en déficit pour cette année de plus de 20 milliards d’euros. Peut-on dépenser sans compter pour les armements et mettre au régime sec la sécurité sociale, au sens large de sécurité humaine ? Pour faire face à quelle menace ? Et quelle est l’efficacité du sur-armement ? Continuons cette campagne pour peser sur les débats et préparons le rendez-vous annuel du débat budgétaire de la rentrée. Un rendez-vous à mettre en lien avec les 4èmes Journées du Désarmement Nucléaire à Caen, dans le Calvados, les 16-17-18 octobre 2009 et les mobilisations sociales qui émaillent l’actualité.
Aurélien Amsellem Bon d’abonnement à Planète Paix page 17 N° 543 - Été 2009 - Planète PAIX
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C’EST VOUS QUI LE DITES
Opinions, Suggestions, Observations ! Envoyez-nous vos messages pour qu’ils soient diffusés dans le journal et sur le site Internet du Mouvement www.mvtpaix.org. écrire à : Mouvement de la Paix 9 rue, Dulcie September, 93400 Saint-Ouen. Courriel : planete.paix@mvtpaix.org Les réflexions suivantes sont destinées au débat et n’engagent donc que leurs auteurs.
La guerre, pour quelle raison ? J’aimerais si je le pouvais vous soutenir, mais ma condition d’handicapé limite quelque peu mes « moyens ». Au sujet de la Palestine et plus particulièrement de la bande de Gaza, pourquoi les médias ne parlent jamais des causes du conflit ? L’on fait passer celui-ci sur des raisons religieuses voire
ethniques. Alors, qu’en fait, il semblerait qu’il s’agisse d’une « guerre » pour des sordides raisons de contrôle des gisements off shore de gaz situés sur la côte de la bande de Gaza. Et pourquoi ne dit-on pas que l’armée israélienne utilise des armes à uranium appauvri (interdites et semblerait-il vendues par les USA) ? Ce n’est, en fait, qu’une bataille pour des énergies fossiles que l’on a allègrement dilapidées et qui s’épuisent irrémédiablement !
Sara Alexander, l’ambassadrice de la paix, n’est plus. Shalom, salam… Sara Alexander est décédée le 28 mai 2009 à la Clinique du Parc Impérial à Nice. Née à Jérusalem, la chanteuse, auteure, compositrice, a consacré sa vie d’artiste au rapprochement entre Israéliens et Palestiniens. Sara était née à Jérusalem, avait grandi dans un kibboutz utopique et, armée d’un premier prix de violon du conservatoire de Haïfa, a fait partie de Leakat Ha Nachal, la troupe artistique la plus réputée d’Israël, durant son service militaire, au début des années 60. Dès 1965, elle connaît ses premiers succès artistiques à Tel-Aviv comme musicienne et comédienne. C’est en France, qu’elle commence à écrire son propre répertoire. Elle avait quitté Israël au lendemain de la « Guerre des 6 Jours » pour s’installer en Provence, puis à Paris.
Et pour conclure, une citation d’André Gide : « Le monde ne sera sauvé, s’il peut l’être, que par des insoumis ».
Elle s’est éteinte comme elle a vécu, en luttant avec amour et courage, entourée par sa famille et ses proches, travaillant encore quelques jours avant sa mort à la traduction en arabe d’un livre de poèmes avec le poète de Nazareth, George Farah. Sara Alexander a notamment côtoyé sur scène Joan Baez, Pete Seeger, Leonard Cohen, le libanais Marcel Khalifé, le groupe palestinien Sabreen ou le poète Mahmoud Darwich.
Cordialement,
J.P
Poème : On n’est plus autrefois, on est aujourd’hui Qui veut faire la guerre ? les arbres sont brûlés Les soldats... on est trop inquiet A l’attaque ! ça nous fait pitié 2 équipes, les foyers détruits des jaunes et des oranges... les maisons... A l’attaque ! on n’avait pas envie 300 guerriers... on n’avait pas permis A l’attaque ! plutôt envie de fruits 200 morts... mais maintenant c’est fini et il n’est pas midi 1940 et fini la belle vie! lance-flammes Adieu monde cruel tout le monde crie (tu sais comme à la télé !) canons, mitraillettes, pistolets Je veux une vie plus belle de toute son âme Je veux la paix s’il vous plaît bombes Je veux que la guerre soit finie toute la vie... Aux armées, on le crie le dieu du ciel, on le prie L’école a explosé à Madame la Colombe on le dit on ne peut plus y aller faut donner le manger aux pauvres A la guerre on guette et de l’eau il n’y a plus de fêtes et des habits pour qu’ils soient beaux ! plus rien pour qu’on achète Aux généraux, on le crie même pas pour les fillettes le dieu du ciel, on le prie la vie s’arrête à tous les peuples on le dit plus rien à manger on veut qu’ils arrivent à se parler on ne peut plus s’aimer on veut qu’ils arrivent à partager Est-ce qu’il reviendra l’été ? tout ce qu’il y a sur la terre! Il n’y a plus de jouets Sur la terre qui serait tranquille on ne peut plus créer sur la terre qui serait propre ! 4
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Sur la terre où les fusils seraient détruits les bombes et les canons aussi sur la terre sans armes ! Plus de bombes qui explosent tout près et plus de tués exprès Alors on peut secourir les malades alors dans la nature on se ballade ! Combattre les autres pour protéger sa ville c’est vraiment trop débile On pourrait faire la paix : quand y’a plus de disputes on détruit rien, c’est sûr ! n’y a même plus d’insultes. In’reste plus qu’à s’aimer et puis à discuter On est plus autrefois on n’est plus obligé on est aujourd’hui on n’est plus ennemi. Si on pense pas pareil on cherche le pourquoi si on trouve une merveille on partage comme des rois... et on peut devenir des amis et aussi se dire un vrai merci !
Matisse, Rose-Anna, Pierre, Pauline, Antoine, Maxime, Eva Marie, Tara, Lucie. Classe GS-CP-CE1 - Urzy (58)
REPÈRES ... À voir
Henri Alleg, l’homme de « la Question » Documentaire De Christophe Kantcheff Le nom d’Henri Alleg est associé au titre d’un livre : la Question. Publié en pleine guerre d’Algérie, en mars 1958, par les éditions de Minuit, immédiatement interdit en France, ce livre est aujourd’hui mondialement connu, traduit dans une trentaine de langues, sans compter les traductions pirates. Henri Alleg y raconte les sévices qu’il a subis alors qu’il était aux mains des militaires français, les parachutistes de la 10ème division, dans la prison d’El Biar. Henri Alleg, l’homme de «la Question» est le deuxième documentaire de la collection « A contre-temps », qui rassemble dix portraits de personnalités marquantes de leur discipline et de leur époque. Pour toute commande du DVD : www.groupegalactica.fr
À lire
Qui arme Israël et le Hamas ? Patrice Bouveret, Pascal Fenaux, Caroline Pailhe et Cédric Poitevin Éd. Grip et Obsarm « Qui arme Israël et le Hamas ? », écrit au lendemain de la « guerre de Gaza », de janvier 2009, analyse la provenance des armes qui offrent à l’État hébreu son écrasante supériorité militaire. Il parle également les armes du Hamas, artisanales pour la plupart, dont l’utilisation indiscriminée contre des populations civiles israéliennes est à la fois condamnable et contre-productive. Ce livre est le fruit d’une collaboration entre le GRIP, l’Observatoire des armements (Lyon) et Amnesty Belgique. Pour le commander : Tél. +32 2/241 84 20 - Courriel : publications@grip.org
EN EXPRESS ...
Le TNP en bonne voie Question à Manuel Santiago, participant à la délégation du Mouvement de la Paix à la conférence de révision du Traité de non prolifération du 2 au 16 mai 2009. Quelle est votre opinion sur les travaux de cette conférence ? Malgré l’euphorie de la première semaine suite à l’adoption de l’agenda pour 2010, nous sommes très vite retombés sur de grosses difficultés. La bonne volonté affichée par le président des États-Unis a sans conteste été un facteur de décrispation dans les discussions pour relancer les traités sur le désarmement. Mais l’escalade militaire actuelle au MoyenOrient montre les limites du TNP lorsque les acteurs majeurs ne le respectent pas. En Europe, la présence militaire de l’Otan et de ses arsenaux nucléaires ne cesse de crisper les relations avec la
Russie. Enfin, le réchauffement climatique place les États du monde devant une urgence que certains voudraient voir se transformer en un eldorado du nucléaire civil. L’enjeu de la révision du TNP en 2010 est bien celui de la paix, donc d’un engagement clair et précis vers un désarmement complet et irréversible, vers le développement de zones exemptes d’armes nucléaires et dans le développement des énergies renouvelables pour répondre au défi du réchauffement climatique.
Manuel Santiago, Strasbourg
IMAGE DU MOIS
Le chiffre... 1.464
milliards de dollars US C’est le record battu des dépenses mondiales militaires en 2008 d’après l’analyse annuelle de l’Institut SIPRI. Voir : www.sipri.org
La phrase du mois « …excuses aux Noirs américains au nom du peuple américain, pour le mal qui leur a été fait, ainsi qu’à leurs ancêtres qui ont souffert de l’esclavage et des lois Jim Crow ». Extrait du texte voté par le Sénat américain pour présenter formellement les excuses des États-Unis aux Noirs américains, le 18 juin 2009.
Juin 2009, les soldats US ont commencé à quitter l’Irak Portrait de George W. Bush, le président des ÉtatsUnis qui a ordonné cette guerre meurtrière et dont le visage est ici composé des photos des 4000 soldats US morts en Irak. N° 543 - Été 2009 - Planète PAIX
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campagne 21 septembre 2009, Journée internationale de la paix
Plus forte et plus belle Le 21 septembre est depuis 2001 « Journée internationale de la paix ». Pour 2009, les échos sont déjà très encourageants, mais il reste encore
grand nombre de
Malgré l’inertie ou les obstacles des uns et des autres, cette journée connaît un succès croissant. De nombreuses collectivités locales ou territoriales en ont fait un rendezvous important pour promouvoir la paix, la solidarité et le vivre ensemble. Cette année, alors que des millions de gens sur terre souffrent de la faim et de maladies, alors que les populations subissent de plein fouet une crise d’une ampleur inégalée, alors que la planète elle-même est en danger, il est de notre responsabilité de changer d’époque et de construire un monde de paix, de réduire les immorales et inutiles dépenses d’armement.
communes.
Donner de la visibilité au 21 septembre
quelques semaines pour amplifier ce mouvement et réunir des centaines de milliers d’amis dans un
EN SAVOIR PLUS • Commander l’affiche au 01 40 12 09 12 • www.21septembre.org • www.mvtpaix.org 6
C
ette Journée internationale est une décision de l’Assemblée générale de l’Onu, expression des peuples de la planète, pour « renforcer les idéaux de paix » et « atténuer les tensions et les causes de conflits » et il importe « de la faire connaître et observer le plus largement possible au sein de la communauté mondiale ». Cette année, le secrétaire général de l’Onu a décidé de placer la Journée internationale de la paix sous le signe du désarmement nucléaire. A quelques mois de la révision du Traité de non-prolifération nucléaire, c’est un encouragement pour les militants de la paix, afin qu’ils se saisissent encore mieux de cette journée pour lui donner un contenu particulier.
N° 543 - Été 2009 - Planète PAIX
C’est une question de justice, c’est une question de survie. Il n’y a de solution pour l’humanité que dans un monde de paix. Le 21 septembre ce n’est pas une célébration, c’est une étape qui permet de réunir très largement pour construire la paix. Chaque année, le Mouvement de la Paix a fait de gros efforts en ce sens : les comités locaux, - plus de 150 - en ont fait un rendez-vous de l’action pour la paix dans leur ville, leur département ou leur région. Planète Paix y consacre un numéro à chaque rentrée, pour promouvoir ces rendez-vous citoyens. Depuis plusieurs années, l’élaboration collective d’une affiche a permis de mettre ensemble un nombre croissant de partenaires, donnant lieu à la création du site www.21septembre.org, site sur
lequel sont répertoriées un grand nombre d’initiatives. Une campagne de presse s’attelle également à promouvoir cette journée mondiale. En 2009, cet effort d’une dynamique collective s’est intensifié. Outre les partenaires désormais traditionnels, de nouvelles associations et collectivités participeront à la création de cette affiche collective 2009 qui a fait l’objet d’un concours très ouvert sollicitant des graphistes et des dessinateurs. Le choix de l’affiche, lui-même collectif s’est fait à la fin du mois de juin. Et puis il y a un beau signe de ralliement que chacun peut d’ores et déjà suspendre à sa fenêtre : le drapeau arc-en-ciel de la paix qui avait été interdit à Strasbourg pendant le Sommet de l’Otan en avril dernier. Le 21 septembre 2009, accrochons par milliers des drapeaux de la paix sur les bâtiments publics, sur nos écoles et nos mairies et aux fenêtres de nos balcons.
Michel Thouzeau
ACTUALITÉ Traité de non-prolifération nucléaire
De nouveaux engagements
P
lanète Paix : Après les comités préparatoires à Vienne en 2007 et à Genève en 2008, vous venez de participer au 3ème à New-York. Avez-vous constaté des évolutions ? Joël Frison : Cette année l’ambiance était à l’espoir. La rencontre à Londres début avril des présidents Obama et Medvedev, leur engagement d’aller vers une réduction du nombre de leurs armes nucléaires dans le cadre d’un nouveau traité entre leurs États, le discours du président Obama à Prague le 5 avril déclarant sa volonté d’œuvrer pour le désarmement nucléaire, sont à l’origine de ce nouvel état d’esprit. Depuis 2001, toutes les réunions butaient sur des questions de procédure, cet obstacle cette année a été levé rapidement. Dès le 3ème jour l’ordre du jour de la Conférence de 2010 a été adopté. Le 1er objectif était atteint.
PP : Cet état d’esprit constructif a-t-il perduré pendant les 2 semaines ? JF : Les jours suivants ont été consacrés aux questions de fond : les groupes d’États et les États ont donné leur avis sur l’application des 3 piliers du TNP, et sur des questions particulières comme les conditions de retrait du traité. Les différends fondamentaux sont réapparus, entre les États non-dotés d’armes nucléaires emmenés par le groupe des Pays Non-alignés et les cinq puissances nucléaires. Parmi ces dernières, la France s’est montrée la plus inflexible notamment quand il s’est agi ensuite d’adopter des recommandations pour la Conférence.
PP : D’ici la Conférence, dans 11 mois, peuton espérer des évolutions positives ? JF : L’accord de réduction du nombre des armes nucléaires des États-Unis et de la Russie, la ratification du Traité d’Interdiction Complète des Essais Nucléaires par les États-Unis entraînant d’autres États à le ratifier, sont probables. Des progrès dans l’élaboration du traité d’interdiction de production de matières fissiles par la Conférence du Désarmement à Genève et dans le projet de créer une zone exempte d’armes nucléaires au Moyen Orient sont possibles.
Une délégation du Mouvement de la Paix composée d’une vingtaine de militants a participé du 4 au 15 mai au siège des Nations unies à New-York à la
PP : Quels sont les sujets d’inquiétudes, de désaccord ? JF : En matière de prolifération face à l’Iran, les États sont divisés. Ils le sont aussi face à l’Inde, au Pakistan et à Israël. Les cinq puissances nucléaires sont accusées, à juste titre, de ne pas respecter leur engagement de désarmement, de chercher à tirer profit de la vente de centrales nucléaires et de ne pas soutenir le rôle envisagé pour l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique dans ce domaine. En conclusion, il y a urgence d’abolir l’arme nucléaire. La stratégie de dissuasion n’est plus acceptée et elle est contagieuse. L’espoir ne se matérialisera pas sans l’intervention des peuples. La position rigide de notre gouvernement donne aux pacifistes français une responsabilité particulière
conférence prépa-
Joël Frison.
ratoire à la révision de 2010 du Traité de non-prolifération nucléaire. Certaines avancées ont fait naître un espoir pour le désarmement nucléaire. Joël Frison, membre de la délégation, explique ici ces évolutions. Siège de l’Onu à New-York
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ACTUALITÉ Sécurité
Violences sociales et violence structurelle Chacun perçoit une recrudescence de la violence dans/de la société, largement relayée par les médias. Cette violence accompagne un arsenal répressif sans précédent et une idéologie, une « doxa » qui tend à criminaliser toute contestation. Décryptage avec
C
omment qualifier la dégradation de la situation de millions de personnes en ces temps de crise : précarité accrue, licenciements, baisse des revenus, angoisse de l’avenir... Diriez-vous que ces personnes sont victimes de la violence de la société ?
En retour, des mouvements sociaux prennent forme pour exiger d’autres priorités et d’autres choix. Ces mouvements sont souvent réprimés avec virulence. Cette violence parfois physique à l’égard de la contestation est-elle une nouvelle donnée ? Une véritable stratégie du gouvernement ?
Arnaud Thomas : Nous assistons au développement de la précarité et du chômage. On peut définir cette déstabilisation comme une conséquence de la crise économique. Je défendrais une hypothèse inverse : la précarité et le chômage sont des outils de discrimination du salariat qui permettent de satisfaire les trois critères du capitalisme financier : productivité, rentabilité, compétitivité. En ce sens, il s’agit bel et bien d’une violence sociale que l’on impose à une partie de la population, considérée comme « surnuméraire » avec pour fonction de maintenir une pression indirecte sur les salaires, pour réduire le coût du travail. Ces violences sont structurelles, inhérentes au mode de production capitaliste qui intègre une part de violence forte. On est en train d’institutionnaliser la précarité comme un principe politique de l’organisation du travail. Si j’évacue toute catégorie morale, il n’est donc pas surprenant qu’une société violente génère elle-même la violence. Le tout est de distinguer l’insécurité civile de l’insécurité sociale et ce qu’elles entretiennent entre elles.
AT : Il n’y a là rien de nouveau. Ce qui caractérise l’État, son monopole de la violence légitime et que c’est son travail d’obtenir une forme de complicité symbolique des dominés. C’est inhérent à son rôle de culpabiliser et criminaliser les mouvements contestataires. Néanmoins, ce qui est nouveau et qui peut être inquiétant en termes d’enjeux démocratiques, c’est qu’on observe une judiciarisation contre les mouvements sociaux. Maintenant, au-delà des condamnations sur le plan idéologique, on a beaucoup plus recours aux tribunaux. L’illustration la plus claire a été ce qui s’est passé au moment des mouvements de Strasbourg où on a réanimé la flamme d’une extrême gauche en inventant une sémantique qui vise à criminaliser le mouvement. Je pourrai évoquer aussi l’« affaire » Julien Coupat qui vient de sortir de prison et pour lequel on a réinventé la catégorie de l’ultra gauche. Il y a un enjeu symbolique pour l’imposition d’un champ lexical qui contribue à criminaliser ceux qui ont des positions un peu dissidentes. En soulignant la violence phy-
Arnaud Thomas, sociologue, dont les recherches prolongent les travaux de Pierre Bourdieu et de Loïc Wacquant de manière très pertinente. 8
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Manifestation à Strasbourg, avril 2009
selon lequel ils ne peuvent s’exprimer qu’en étant violents. Il y a là une quadrature du cercle qui risque d’emprisonner le mouvement social. Deuxième angle, la vraie question n’est pas « pourquoi y-a-t-il plus de violence ? » mais plutôt « pourquoi n’y en a-t-il pas plus ? », au regard de la précarisation de la société. On ne parle des quartiers populaires que quand ils posent problème, mais au quotidien la violence sociale y est très forte or la plupart de ces habitants ont tendance à fataliser l’ordre social. Une des forces de cette doxa sécuritaire, c’est qu’elle renforce le néolibéralisme. Pour qu’un système domine, il faut qu’il obtienne la complicité des dominés. Ce qui caractérise la situation actuelle, c’est donc plus le fatalisme social.
Cette situation se traduit-elle aussi par plus de politisation, d’engagement citoyen ?
Manifestation à Strasbourg, avril 2009
sique de certaines contestations, on masque l’ensemble du mouvement social qui conteste et milite pour un projet alternatif.
Quel rôle joue la peur dans la stratégie du gouvernement ? AT : D’abord, dramatiser l’insécurité civile permet de masquer les causes socio économiques du problème. Et dès l’instant où l’on cherche à s’intéresser à ces causes, au mieux, on accuse les sociologues d’être des « pros » de l’excuse sociologique pour mieux condamner ce qui ne colle pas avec la doxa sécuritaire. Le mot à la mode est que les sociologues n’auraient pour mission que de proposer des excuses sociologiques. Le deuxième enjeu, c’est qu’en dramatisant l’insécurité civile, on légitime l’orientation du gouvernement. Son objectif n’est pas de lutter contre l’insécurité, mais de légitimer ce qui lui semble être la seule légitimité de l’État : la sécurité. Par exemple, à partir d’un fait divers dramatique mais exceptionnel : un élève à poignardé une conseillère d’éducation, on nous annonce toute une série de mesures qui sont pires que le mal, d’autant qu’elles s’appliqueront à des adolescents dont la caractéristique est justement de se confronter à l’autorité.
Dans l’ensemble, voyez-vous une certaine policiarisation de la société : caméras, fichiers croisées, multiplication d’actions arbitraires des forces de l’ordre illustrant un refus du « dialogue social » et la remise en cause d’acquis démocratiques ? AT : Je renvoie au texte de Max Weber pour qui l’État a le monopole de la violence légitime. La violence et son instrumentali-
sation ont toujours fait partie de l’histoire de la démocratie. Pour reprendre un thème qui vous est familier, il y a même une privatisation de la sécurité puisqu’au delà des enjeux politiques, il existe tout un commerce de la sécurité. Là, il faut souligner des paradoxes : depuis 2003, il existe un Observatoire international de la délinquance, l’OID, mis en place par l’ancien ministre de l’Intérieur, M. Sarkozy. L’OID est présidé par Alain Bauer qui est lui même PDG d’AB Sécurité, une entreprise dont le business est de vendre un diagnostic sécuritaire aux collectivités locales : un conflit d’intérêt qui illustre bien la politisation et la privatisation de la sécurité.
AT : Il peut y avoir une politisation mais plus avec des formes classiques. Si par politisation on entend que les acteurs sociaux se posent des questions construites politiquement, je réponds oui. Si l’on entend militants et partis politique, je réponds plutôt non. L’enjeu est justement d’inventer de nouvelles instances de la militance politique. Ce n’est qu’une impression, j’essaie d’être le plus honnête possible, ce que j’observe en face des étudiants, il y a lieu de renouveler le champ de la contestation. Ils comprennent l’idée, mais ils ne souhaitent pas l’exprimer dans les instances classiques du type syndicats ou partis politiques.
Répression contre les sans papiers
Ces tensions ne risquent-elle pas de favoriser un certain désespoir et avec le danger que ne se creusent les fossés entre différentes couches de la société ? AT : Question très compliquée. Certes, cela peut pousser à une radicalisation des mouvements sociaux. Le danger est que cette radicalisation contribue à délégitimer les mouvements. On assiste alors à l’auto-réalisation de la construction du stigmate médiatique : le mouvement existe, mais pour qu’il soit relayé par les médias, il faut trouver une forme qui les intéresse, or de par la logique du champ médiatique, la violence les intéresse, sauf que si les mouvements sociaux se radicalisent dans la violence, cela confirme le stigmate médiatique N° 543 - Été 2009 - Planète PAIX
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çA BOUGE Manouche » Bon de soutien donnant droit à l’entrée de la Fête : 18€ pour les 3 jours. En savoir plus : www.humanite.fr/fete.html
Le cynisme, discipline olympique
Le Mouvement de la Paix à la fête de l’ « Humanité » Le Mouvement de la Paix participera à la fête du quotidien l’ « Humanité » les 11, 12 et 13 septembre, stand 431, à l’Espace Fête du Parc départemental de la Courneuve (RER B - Le Bourget). Durant toute la fête animation musicale, bar, restauration légère débats, tous les produits de la boutique de la paix. Et le grand retour de la Galerie l’Art et la Paix dans le stand du Mouvement de la Paix. Les lecteurs de Planète Paix seront accueillis au stand. Toutes aides bénévoles et coups de mains amicaux sont bienvenus. Programme du stand du Mouvement de la Paix (sous réserve de modifications) : • Jeudi 10 : A partir de 18h00 animation musicale. Concert : « Rock’Have » • Vendredi 11 : 19h00 – Inauguration 21h - Concert : « Jazz Manouche » • Samedi 12 : 11h – 12h30 – Les Cafés de
Planète Paix : « Après l’élection d’Obama, le monde tournera-t-il plus rond ? » 15h – 16h30 – Les Cafés de Planète Paix : « La résistance populaire non-violente : nouvel espoir pour l’État palestinien ? » Regards croisés de différentes délégations au Proche-Orient. 17h30 / 19h – Les Cafés de Planète Paix : « Abolir l’arme nucléaire : l’utopie enfin réalisable ? » Mobiliser l’opinion publique en vue de la conférence d’examen de 2010 du Traité de non-prolifération nucléaire 21h00 – Concert : « Rock’Have » • Dimanche 13 : 11h – 12h30 – Les Cafés de Planète Paix : « Otan : pourquoi et comment (s’) en sortir ? » 13h – Repas – musical Duo Brassens (contrebasse / guitare) Réserver votre repas au 01.10.12.09.12 (12€) 15h00 / 16h30 – Les Cafés de Planète Paix : « Satisfaction des besoins humains / Dépenses militaires : quelle compatibilité ? » en partenariat avec l’APEIS 93 17h - Concert : « Jazz
La revue trimestrielle Altermondes consacre son numéro de juin sur « La longue marche des peuples » pour leur autonomie et le respect de leurs droits. Tour du monde d’une problématique (Bolivie, Géorgie, Malaisie, Niger, Palestine, Sahara occidental, Tibet, etc.), en croisant les regards de Miguel Benasayag, philosophe, de Bernard Dréano, président de l’Assemblée européenne des citoyens et de Gérard Noiriel, historien. Contact : Altermondes E-mail : altermondes@altermondes.org www.altermondes.org
Le Parlement européen demande le désarmement nucléaire complet d’ici 2020 Le 24 avril, le Parlement européen a approuvé le Modèle de Convention sur les armes nucléaires et le protocole d’Hiroshima-Nagasaki, des outils concrets pour parvenir à un monde exempt d’armes nucléaires d’ici à 2020. Ces deux documents font partie de l’ensemble du Rapport de A. Beer, une recommandation au Conseil de l’UE sur la nonprolifération et de l’avenir du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Le protocole d’Hiroshima-Nagasaki est considéré comme un complément à la non-prolifération des armes nucléaires.
Nouveaux chiffres du SIPRI sur les transferts d’armes Le SIPRI (Stockholm International Peace Research Institute) révèle une augmentation significative des transferts d’armes au Moyen-Orient. Une augmentation de 38% au cours de la période 2004-2008, par rapport à 1999-2003. Également des augmentations de livraison d’armes vers l’Asie de l’Est, du Caucase et du Pakistan. Les États-Unis restent les plus grands exportateurs mondiaux, suivis par la Russie et l’Allemagne. www.sipri.org
ça se passe près chez vous • Comité du Mouvement de la Paix d’Amiens : Kiosque de la paix, le 26 juillet, avec vente d’objets de la Galerie l’Art et la Paix, de la boutique, présentation de la brochure sur l’Otan. Participation également au festival « Groland » qui aura lieu en septembre avec la participation de Éric Biesse qui présentera son film « Bil’in, village au pied du mur ». Contact : kaczmarek.patrick@wanadoo.fr • Collectif de l’Appel des Cent pour la paix de Bordeaux : rassemblement « Pelouse de la Paix, le 6 août à 17h30, rond point avenue Garance (face au lac). Contact : an.martinez33@orange.fr 10
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• Conseil départemental des Bouches du Rhône : rassemblement le 11 août pour les commémorations des bombardements d’Hiroshima et Nagasaki, en présence de délégués qui se sont rendus au Japon, sur le Cours d’Estienne d’Orves à Marseille. Contact : regine.minetti@mvtpaix.org • Comité du Mouvement de la Paix du 4ème arrdt de Paris : participation au forum des associations, le 5 septembre. Salle des Blancs-Manteaux, rue Vieille-du-Temple. Contact : roland.blotnik@wanadoo.fr
DOSSIER
• Les sociétés militaires et de sécurité privée Guerre, privatisation et mondialisation • Vente d’a(r)mes Karachi, le savoir-faire délocalisé
La privatisation de la guerre La guerre, un marché comme un autre ? A suivre l’évolution du marché de la sécurité à l’ère de la mondialisation, on est fondé à le penser. Certes, la guerre a de tous temps enrichi les marchands de canons, mais aujourd’hui privatisation, marchandisation, et financiarisation conjuguent rapacité et opacité pour créer un véritable marché de la mort en série, avec pour objectif final le contrôle des ressources. Un dossier inquiétant qui dévoile une des pires dérives du système. N° 543 - Été 2009 - Planète PAIX
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les sociétés militaires et de sécurité privée
Guerre, privatisation et mond Depuis l’affaire « Halliburton », les sociétés de services privés se sont retrouvées sous le feu de l’actualité. Elles sont souvent qualifiées de « mercenaires des temps modernes ». Qu’en est-il exactement ? Claude Serfati, docteur ès sciences économiques, répond à nos questions sur ce phénomène d’externalisation des missions de sécurité et de défense.
EN SAVOIR PLUS • Dernier ouvrage de Claude Serfati : « Une économie politique de la sécurité ». Éd. Karthala • www.c3ed.uvsq.fr 12
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vant d’aborder la question de la « privatisation » de la guerre, pouvez-vous évoquer le rôle de la force armée dans les rapports internationaux à l’ère de la mondialisation ?
Claude Serfati : Le thème de la sécurité est aujourd’hui en train d’envahir toutes les sphères de la vie économique, sociale et on pourrait dire idéologique, bien au delà des seules questions traditionnelles de la Défense nationale et, à l’heure de l’insécurité permanente, les ennemis ne sont pas seulement militaires, ils peuvent être civils. La mondialisation marque non pas la fin de l’histoire mais une situation susceptible de produire des conflits de plus en plus violents, compte tenu des processus extrêmement inégalitaires. Derrière ce plan, les dimensions environnementales et écologiques aggravent la situation. La raréfaction des ressources donne lieu à des conflits permanents et, contrairement à la thèse de la banque mondiale selon laquelle les guerres pour les ressources auraient lieu en marge de la mondialisation, elles sont bien une des faces de la mondialisation. Comme cela a été dit par un ex- ministre britannique : « le militarisme a un bel avenir », un avenir confirmé par la crise économique et la crise environnementale qui s’aggravent.
Quel est l’impact de l’économie liée à la guerre sur l’économie globale ? CS : La question fondamentale est la souveraineté des États. Il y a encore quelques mois, on se demandait si les États existaient encore. Aujourd’hui, c’est presque une évidence : les États sont là et pas simplement pour relancer la machine quand elle est défaillante. Les États dominants n’ont pas disparu dans les années 90, simplement, dans la mondialisation, ils se sont trouvés à l’étroit avec « le marché » en général et le capital privé. C’est là que surgit la question de la privatisation dans toutes les sphères. Elle surgit dans ce qui était impensable il y a 20 ans : les fonctions régaliennes de l’État. Mais il faut tenir les deux bouts du bâton, ce ne sont pas les forces du marché qui deviennent déchaînées : elles reçoivent une délégation de l’État. Elles peuvent s’autonomiser, mais seulement jusqu’où l’État continue à leur accorder la légitimité. C’est donc un va-et-vient entre l’autono-
Blackwater, un géant de la guerre privée
mie et la délégation. La privatisation de l’armement a toujours existé, mais on est passé à une privatisation de la Défense elle-même.
Comment se développe le secteur privé de la Défense ? CS : Parmi les facteurs économiques fondamentaux qui ont bouleversé la place de la Défense, il ne faut pas oublier les facteurs idéologiques : le marché c’est a priori « mieux ». Mais, sans sousestimer le rôle des mercenaires en Afrique, dans les guerres que les États traitent directement, en Irak ou ailleurs, le secteur privé est circonscrit à des fonctions de soutien logistique. Certains économistes ultra libéraux souhaitent déléguer complètement la guerre et les opérations militaires au privé. Mais on voit les limites qui font que les États doivent exister pour imposer les règles juridiques y compris pour renforcer les plus forts contre les plus faibles, il faut quand même qu’un droit existe.
Est-ce que la frontière a été franchie entre le soutien logistique et les opérations militaires ? CS : Les officines privées ont été utilisées par les di-
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guerre
dialisation leur légitimité et tiennent à elle, y compris pour venir jouer les pompiers pour sauver le système. Il ne faut pas non plus trop jouer avec la privatisation de certaines fonctions essentielles, parce que le roi risque d’être nu.
La guerre est un marché Selon vous n’y a-t-il pas un danger à ce que se développe un « marché de la guerre », qui « favorise » les conflits comme éléments de ce marché de façon plus structurelle que le simple commerce des armes ?
rigeants de la Ve République, comme traditionnellement les espions étaient utilisés par l’armée française au XIXème siècle. Par contre dans ces guerres pour les ressources, il y a une utilisation directe des mercenaires pour garantir le fonctionnement des entreprises privées -même si le président Sarkozy tend à franchir cette barrière (Cf. son discours au Nigéria)- les armées ne sont pas encore là pour protéger les exploitations pétrolières. On a plutôt recours à des milices privées au sens littéral. En Irak, on a utilisé le privé pour les basses œuvres, mais cela revient comme un boomerang si à un moment donné les frontières sont franchies. On ne peut pas négliger non plus les résistances des états-majors. Les Défenses sont des « pré carrés ». Quand le Pentagone se met à défendre lui-même son pré carré de service public, ce n’est pas rien. Il participe aussi de la résistance à un empiétement sur son terrain militaire. Pour moi, avec quelques limites quand même, les États gardent
CS : Il y a une économie, une dynamique propre de ces sociétés militaires privées (SMP). Elle est décuplée par l’engouement qu’ont les marchés financiers pour ces questions. Dans la crise, les marchés financiers aux États-Unis et en Europe ont amplifié cette quête de rentabilité pour le service privé mais aussi pour les groupes d’armement qui ne sont pas dans la Défense proprement dite. J’ai essayé d’analyser dans un article comment les marchés financiers ont internalisé la guerre permanente de Bush et en ont fait un enjeu de valorisation financière. Certes, les marchés n’aiment pas la guerre, mais ils savent très bien s’en accommoder ! Ils ont commencé à se dire que dans ce monde d’insécurité, elle pourrait secréter des opportunités autant que des risques. De la même façon, si une multinationale au Nigéria commence à dire « je plie bagages parce qu’il y a des conflits », elle disparaît. Ce n’est pas qu’elle aime la guerre, elle doit faire avec. Il faut examiner les médiations entre les grands groupes industriels qui s’accommodent de la guerre, les groupes de l’armement qui en tirent directement profit et les groupes de mercenaires qui en tirent encore plus directement profit, Il y a une hiérarchie dans la relation à l’insécurité et à la guerre, mais tous sont dans le même bateau. Et tous sont sur cette orientation que la guerre est inévitable...
La guerre est un actif financier Si on est capable de jouer sur des ressources naturelles, pourquoi ne serait-on pas capable de jouer sur la probabilité d’une guerre ? C’est le principe des marchés financiers que d’évaluer des probabilités, de spéculer sur des processus. Cela peut être aussi vrai dans des processus de guerre. Cela m’a beaucoup frappé, un début de littérature apparaît en 2002, 2003 sur ces questions de la guerre pour elle même, de la guerre comme enjeu économique.
Si les sociétés militaires privées et l’économie liée à la Défense se comportent en tous points comme des entreprises commerciales, quelles en sont les conséquences ? CS : La privatisation à commencé d’abord essentiellement en Grande-Bretagne, où le plus grand laboratoire de recherche militaire à été privatisé, il a même été racheté par des fonds spéculatifs. Il était encore possédé pour partie par le ministère de la Défense britannique, puis il y a quelque mois, il a été mis en vente. Donc, il n’y a plus seulement des marchands de canons privés mais aussi ceux qui sont chargés d’envisager une nouvelle conception de la recherche et déve-
Mercenaires de Blackwatter N° 543 - Été 2009 - Planète PAIX
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loppement dans l’armement, un pas est en train d’être franchi. Or les industriels privés doivent faire vivre leurs actionnaires et c’est un des dangers qui est souligné dans tous les rapports sur les sociétés militaires privées : faire de la valeur pour l’actionnaire. Les risques d’instabilité, susciter ces risques -et là on retrouve aussi les marchés spéculatifsfont que les sociétés militaires privées et les industriels de l’armement sont directement intéressés à l’existence des conflits : c’est leur marché. J’ai toujours tendance à insister sur des déterminants géopolitiques, mais les acteurs peuvent jouer un grand rôle dans la perpétuation des conflits. En Afrique par exemple, dans les guerres pour les ressources, la responsabilité des sociétés militaires privées existe bien et peut expliquer cette veine mortifère sur le terreau de la décomposition.
Ces sociétés ne risquent-elles pas de tomber entre les mains de capitaux étrangers par exemple ? Cela deviendrait des armées privées au service d’intérêts privés ? CS : Absolument, c’est le cas par exemple pour la France où il y a une tradition de méfiance vis a vis des sociétés privées, reste donc la possibilité que ces sociétés soient organisées de l’extérieur, ni vu ni connu. Cela pourrait être actionné par les États ou par l’argent du crime qui a acquis sa logique dans la mondialisation financière avec les paradis fiscaux. Eux n’ont pas attendu que les États le leur demandent pour commencer à s’intéresser à ce marché. On peut imaginer que pour faire ces basses besognes, l’État préfère avoir recours à des sociétés dont il n’aura pas à rendre compte et laisser les capitaux étrangers s’infiltrer. Donc, il y a une menace de privatisation qui se double d’une absence totale de contrôle démocratique. 14
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Cependant, la crise économique et l’avènement d’une administration moins belliqueuse aux États-Unis ne sont-ils pas de nature à modifier à la baisse les budgets militaires en favorisant une certaine démilitarisation ? A quelle condition ? CS : Je viens de regarder les derniers chiffres du budget militaire des États-Unis. L’administration Obama a rendu sa demande officielle d’un budget de 533 milliards US$ pour 2010. Il s’agit d’une augmentation de 4% sur 2009, même si Barack Obama a simultanément tenu des discours sévères que Robert Gate compare à celui d’Eisenhower sur les menaces militaro-industrielles. J’ai une vision prudente des changements proposés par Barack Obama car je pense qu’il y a des facteurs structurels qui emportent les USA dans une spirale de déclin. J’ai une vision plutôt pessimiste, pas d’Obama lui même, mais de l’évolution des États-Unis quant à leur posture militaro-sécuritaire
Surveillance des installations pétrolifères
dans les prochaines années. Je pense que ce ne sera pas la guerre permanente de Bush, mais que « l’option Iran » est toujours sous le coude et qu’une initiative israélienne prétendument incontrôlée, peut mettre le Moyen-Orient à feu et à sang, sans que ce soit -même si c’est difficile de le penser- Barack Obama qui donne le feu vert. Voilà pourquoi j’ai voulu commencer par ces chiffres, car derrière les sourires du Président, la réalité actuelle est qu’il demande plus d’argent que l’année dernière. Cela dit, si je devais faire un crédit à Barack Obama, c’est sans doute la personne qui a envie de jouer un rôle historique et ce rôle c’est évidemment celui de Roosevelt. On ne peut donc pas exclure fort heureusement l’autre option qui serait celle d’une perspective plus radieuse vers l’ère de la fin du militarisme.
Interview réalisée par Nadia Bennad
de
DOSSIER
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guerre
Vente d’a(r)mes
Karachi, le savoir-faire délocalisé Deux « islamistes » on été libérés le 6 mai dernier à la demande de l’Inter service intelligence pakistanais alors qu’ils avaient été condamnés à mort pour avoir provoqué la mort de 14 personnes en juillet 2002 à Karachi : ces ingénieurs et techniciens de l’armement travaillaient à l’assemblage des sous-marins français Agosta…
A
la suite des évènements tragiques de 2002, - 11 ingénieurs français et 3 pakistanais - on nous a expliqué que le danger provenait de ces acteurs ‘‘non étatiques’’ capables de tout et n’importe quoi, les terroristes. Et pourtant, les plus incontrôlables ne sont pas ceux qu’on croit. Pour vendre des sousmarins Agosta – il a fallu bricoler juridiquement et présenter en bonne et due forme une succursale privée capable d’offrir le meilleur de la technologie. Eh oui, la DCN (Direction des Constructions Navales) à Cherbourg n’a pas vocation à jouer les exportateurs. C’est pourquoi la DCN International a vu le jour. Une filiale de droit privé + DCN Log chargé du sort d’une cinquantaine de salariés des arsenaux de Cherbourg. Tant pis pour les priorités de la nation, la ‘‘défense nationale’’ étant désormais un concept ringard et les arsenaux considérés comme aussi peu rentables que l’éducation nationale ou les prisons d’État. Au nom du libéralisme, le privé a des atouts : la filiale privée est à la DCN ce que les boîtes privées sont aux armées. En matière de ‘‘transfert de technologie’’ par exemple, les entorses à la loi sont plus ‘‘souples’’ que si elles devaient s’appliquer à des salariés de l’État. Tout comme un mercenaire sur un champ de bataille a d’ordinaire une interprétation beaucoup plus ‘‘souple’’ des Conventions de Genève. Enfin les combinaisons financières pour arroser un tel ou un tel sont plus faciles à manier et leur traçabilité plus compliquée quand l’acteur principal n’est pas l’État. Inversement, puisqu’un salarié de l’État est bien protégé en cas de missions sensibles, une protection minimale – via des officines privées – permet aussi d’économiser quelques frais pour le ‘‘service aprèsvente’’, y compris l’entretien du chantier. Mais l’appât du gain n’explique pas tout. Si l’on en croit le ‘‘Canard Enchaîné’’ du 15 mai 2002, les 3 sous-marins Agosta se seraient vendus en pure perte (la transaction portait en 1994 sur près de 5 milliards et demie de francs). Si tel est le cas, d’où vient cette sollicitude française ? Pour y voir un peu plus clair, peut-être faut-il se replonger aussi dans l’histoire chaotique de la coopération
nucléaire plus ou moins avortée entre Paris et Islamabad. Suite à un contrat de vente à la fin des années 70 d’une usine de retraitement à Chasma - pour la séparation du plutonium- les autorités françaises avaient quelques dettes sur la conscience, ayant dû faire marche arrière sous pression américaine. Dès 1992, Paris s’est alors engagé à (re)verser des centaines de millions (700 MF de l’époque) en guise de compensation pour service non rendu. En imaginant que la SGN chargée du dossier n’a pas réussi à honorer le contrat initial, certains clans au pouvoir au Pakistan étaient en position de force pour demander et des sous-marins et quelques bakchish sous la table. Cela rap-
L’attentat de Karachi en 2002
pelle d’ailleurs d’autres traquenards et attentats terroristes quand Paris a hésité à rembourser Téhéran pour l’opération Eurodif… avec, pour toile de fond, une rivalité entre deux candidats à l’élection présidentielle. Comme pour d’autres scandales, depuis Lockheed, Stehlin, Luchaire en passant par l’Irangate et les frégates de Taiwan, les politiques discrédités par le recours aux caisses noires entonneront des refrains diplomatiques pour moraliser ces ventes d’armes à l’aide de traités et conventions qui ne tromperont quasi personne ; les équipements seront rentabilisés à des fins inavouables ; quant au citoyen, il a tendance à croire que sans débouché extérieur au plus offrant, les entreprises vont finir par mettre la clef sous la porte.
Ben Cramer N° 543 - Été 2009 - Planète PAIX
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RÉFÉRENCE Sociétés militaires privées
Émergence d’un commerce mondial Souvent créées par d’anciens militaires, les société militaires privées proposent outre des prestations de logistique, des conseils militaires. Cette nouvelle industrie, plus connue sous le nom de « privatisation de l’industrie militaire » est une des plus intéressante évolution dans la guerre au cours de la dernière décennie. Elle se compte en centaines d’entreprises, en milliers d’employés et en milliards de dollars de bénéfices. Un aperçu de certaines d’entre elles. AMA Associates Limited (Grande-Bretagne)
Blackwater Worldwide/ Xe (États-Unis)
AMA Associates Limited a été fondée en 1994 par un ancien officier des forces spéciales britanniques.
Connue sous le nom de Blackwater Worldwide, elle adopte le nom de Xe en février 2009. Ce fut l’une des premières SMP à s’implanter en Afghanistan durant la guerre d’Afghanistan de 2001, ensuite en Irak en 2003.
La gestion des crises ; les enquêtes de fraude ; surveillance, contre-surveillance ; gestion de la sécurité ; contre-terrorisme et libération des otages ; sécurité aérienne ; protection rapprochée ; sécurité résidentielle.
ATCO Frontec Corporation (Canada) ATCO est une société basée en Alberta avec plus de 7000 employés opérant à travers de deux grandes divisions : Génération d’énergie (gaz naturel et distribution d’électricité) et Global Entreprises, active dans la fabrication industrielle, la technologie, la logistique et les services énergétiques. Offre ses services à l’aérodrome de Kandahar en Afghanistan pour plus de 10.000 soldats de l’Otan de la Force Internationale pour l’Assistance de Sécurité (FIAS). Ses missions : sauvetage, entretien des routes et des terrains, ingénierie, maintenance des équipements et des véhicules, opérations d’approvisionnement, de transport, livraison d’eau potable, et la gestion des eaux usées. Actuellement, en opération en Bosnie, au Kosovo, à Kaboul, au Cap Vert, et au Pakistan. La compagnie a entraîné les troupes de la Suède, du Canada, de l’Otan et de l’Onu.
Beni Tal (Israël) Société fondées en 1981 par Beni Tal, un Colonel de réserve israélien. Elle fournit des services de sécurité militaire à travers le monde avec du personnel israélien. Sécurité de personnalités, formation et ventes d‘armes. 16
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Suite à une fusillade, le 2007, ayant causé la mort de dix-sept irakiens et blessé au moins vingt autres, le gouvernement irakien a, dès le lendemain, interdit à Blackwater d’opérer sur le sol irakien. Par rapport aux deux autres sociétés militaires privées, DynCorp et Triple Canopy, présentes en Irak, Blackwater est à l’origine de plus de fusillade que les deux autres sociétés réunies. Dans son livre, « Blackwater. L’ascension de l’armée privée la plus puissante du monde », le reporter américain Jeremy Scahill dresse un tableau accablant des activités de la société. Il l’accuse notamment d’agir telle une garde prétorienne en Irak, bénéficiant d’une immunité quasi totale face aux allégations de violence envers les civils irakiens.
RISK&CO (France) RISK&CO, c’est plus de 200 missions de sûreté et d’intelligence stratégique à l’international chaque année, 15 ans d’expérience et une croissance annuelle supérieure à 25% depuis 2000. Les consultants de RISK&CO ont des profils variés et complémentaires, civils et militaires, issus du secteur privé et de l’administration. Protection des biens et des personnes, sécurité des sites et des infrastructures, sûreté maritime on shore et off shore, sécurité des systèmes d’information, continuité d’activités et gestion de crise.
On peut agir sur les causes des guerres et des violences… … surtout si on les connaît
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MONDIALISER LA PAIX Sri Lanka
La victoire des armes ne suffit pas à résoudre la crise Au Sri Lanka, le conflit entre les Tamouls et les Cinghalais a fait récemment des dizaines de milliers de victimes. Quelle est l’origine de ce conflit ? Quelles options pour sortir de la crise ? Entretien avec Sakthithasan Shalini, secrétaire générale du Comité de coordination Tamoul France.
Sakthithasan Shalini et Nadia Bennad
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ur l’île du Sri Lanka vivent essentiellement ces deux ethnies, les Cinghalais qui représentent entre 75 et 80% de la population et les Tamouls 20% . Au XVIIIème siècle, l’île du Sri Lanka était divisée en trois États souverains, autonomes : au Nord, la patrie des Tamouls et au Sud il y a deux États cinghalais. Mais l’occupation britannique en 1833 a unifié ces trois royaumes. En 1948, à l’indépendance du Sri Lanka, c’est la majorité cinghalaise qui a pris le pouvoir. Elle a établi un système de lois discriminatoires envers les Tamouls : retrait de la citoyenneté à plus d’un million de Tamouls, langue officielle unique (le Cinghalais) et la religion bouddhiste, pratiquée par les Cinghalais, est devenue religion d’État. Quand en 1972, le régime a adopté un mécanisme qui restreint l’accès à l’université des étudiants tamouls, les manifestations ont été réprimées avec violence, faisant des milliers de victimes. Certains Tamouls ont alors adopté la lutte armée (les Tigres Tamouls) en parallèle à de nombreux processus de négociations vers l’autonomie, voire l’indépendance. Aucun n’a abouti à ce jour. Mais l’offensive récente du gouvernement contre les Tigres tamouls lui a permis de remporter une victoire militaire. A quel prix ? Et pour combien de temps ?
Quelle est aujourd’hui la situation des populations civiles ?
EN SAVOIR PLUS • www.tamoulobs.com • secretariat.cctf@gmail.com 18
N° 543 - Été 2009 - Planète PAIX
Sakthithasan Shalini : Dernièrement, les violences se sont encore intensifiées, la crise humanitaire a fait de nombreuses victimes et on évalue à plus de 30 000 le nombre des civils tués depuis le début de l’année 2009. Près de 28 000 personnes sont entassées dans les camps de réfugiés et man-
quent de tout, seulement 1/5ème des besoins de la population est assuré par le Comité International de la Croix Rouge (CICR) et les ONG internationales. Dans le Nord-est du pays, la famine se répand, il y a eu des centaines de morts depuis le début de l’année, et on manque de soins médicaux, de matériel médical, cela ne fait qu’alourdir le bilan des victimes, et c’est dans ce contexte là, que l’ensemble de la diaspora tamoule, en Europe, a décidé de lancer un projet humanitaire en direction du Sri Lanka. Nous avons pu collecter environ 884 tonnes de denrées alimentaires et de médicaments acheminés par bateau.
Qu’attendez-vous de la communauté internationale ? SS : D’abord il faut absolument ouvrir un couloir humanitaire. Ces camps de déplacés ont été qualifiés de camps d’internement des Tamouls par l’Human Rights Watch, avec des sévices comme l’exécution sommaire, l’enlèvement, la torture, le viol... Les témoins de ces crimes, des médecins qui ont travaillé dans la zone de sécurité ont été placés dans des camps de détention pour qu’ils ne puissent pas témoigner devant l’Onu sur les actes et les atrocités qui ont été commis par le gouvernement sri lankais. Donc aujourd’hui, c’est vraiment un problème d’insécurité pour l’ensemble de la population Tamoule. Pas seulement celle qui est au Nord mais également celle qui est à Colombo puisque d’un côté le gouvernement fait jouer la victoire, et de l’autre, les Tamouls sont en deuil pour les victimes qu’ils ont perdues. Alors que peut faire la communauté internationale ? Nous avons lancé un appel pour que les camps de réfugiés soient sous un contrôle étroit de la communauté internationale car nous ne voulons pas que les personnes qui ont échappé aux violences soient de nouveau victimes des attaques aériennes et terrestres. Nous demandons une démilitarisation complète des régions tamoules et une solution durable et négociée pour répondre aux besoins des Tamouls et pour également garantir les droits de la minorité Tamoule Sri lankaise.
Si vos revendications ne sont pas satisfaites, quelles en seront les suites ? SS : Soit l’indépendance les Tamouls est recon-
Manifestation des Tamouls à Paris, juin 2009
nue et tout va bien, soit le problème persiste et on se retrouve face à un nouveau mouvement d’indépendance qui se répètera jusqu’à ce le peuple tamoul obtienne l’indépendance, ou soit reconnu comme citoyen sri lankais à part entière. A l’heure actuelle, citoyen de seconde classe, un Tamoul n’est pas égal devant la loi.
D’où proviennent les armes du Sri Lanka ? SS : Le gouvernement est surtout alimenté par des armes en provenance d’Asie, la Chine en particulier qui a bien contribué depuis novembre, l’Inde, le Pakistan, le Japon. Mais il n’y a pas seulement l’Asie, il y a aussi l’Europe et les États-Unis. En Europe, il y a la France, l’Italie, la Pologne, les PaysBas, la Grande-Bretagne qui a un passé historique avec les Tamouls. Il y a aussi Israël qui est le premier fournisseur notamment des bombardiers qui ont été déployés dans la zone de conflit il y a quelques mois.
Après 37 ans de conflit, ne pensez-vous pas que la population ressente une lassitude ? SS : Si l’on prend le cas d’un Tamoul vivant en France, il a au moins perdu un membre de sa famille dans les dernières offensives. Il se sent impuissant et profondément triste à cause du sort des civils et de sa famille qui est sur place. Il est difficile d’avoir des nouvelles, de savoir s’ils sont vivants ou morts. Le problème est le même pour les Tamouls d’ici et du Sri Lanka. Ils veulent que cela s’arrête, mais cela ne s’arrêtera pas si leurs
droits ne sont pas reconnus. Nous avons organisé une journée de deuil dans toute l’Europe pour se souvenir de toutes ces personnes innocentes qui sont mortes et entrepris de nouvelles démarches pour aller de l’avant.
Ces dernières semaines, vous avez fait des rassemblements qui ont réuni plus de 150 000 personnes. Peut-on déduire qu’au niveau international cette lutte pour la reconnaissance de votre indépendance est entrain de prendre une dimension nouvelle ? SS : Aujourd’hui on parle de nous parce que il y a la crise humanitaire et parce que les violences durent depuis novembre 2008. C’est vrai, il y a eu beaucoup de démarches qui ont été entreprises au niveau des Nations unies car il y a eu des résolutions qui ont été votées pour résoudre cette crise humanitaire, mais ce que l’on craint, c’est qu’une fois la guerre terminée, on passe à autre chose.
Le symbole des tamouls, le tigre, est une image agressive. Ne pensez-vous pas que cela n’aide pas à comprendre votre combat ? SS : Le tigre est le symbole des Tamouls depuis le XVe siècle, du Royaume de Jablais, royaume indien qui a réussi à coloniser le Nord-est du pays. C’est le symbole de la nation des Tamouls. Il est courageux, féroce, il représente la détermination du peuple tamoul à acquérir son droit. C’est vrai qu’il y
a eu des attentats suicides qui ont créé des polémiques en Europe sauf que, jusqu’en septembre 2001, il n’y avait pas de politique basée sur la lutte contre le terrorisme. Après le 11 septembre 2001, on a mis tous les mouvements d’indépendance dans le même lot sans même savoir si leur combat et leur cause étaient légitimes et justifiés. C’est-à-dire qu’au moment où le gouvernement sri lankais et les Tigres tamouls négociaient entre 2002 et 2006, sous la médiation norvégienne pour trouver une solution durable au conflit, les États-Unis et l’Union européenne ont mis les Tigres tamouls sur la liste noire des terroristes. A ce moment là, les Tigres tamouls avaient mis quand même en place un État de fait dans le Nord du pays pendant les négociations de paix. Ils contrôlaient tout le Nord-est en 2002. Ils avaient leur administration, instauré une justice, mis en place une police. Ils avaient leur autonomie et c‘est cette autonomie-là qu’ils avaient privilégiée lors du processus de paix qu’ils ont finalement rompu en 2006. Cela a coûté cher à l’ensemble de la population tamoule puisque les violences ont repris et, aujourd’hui, c’est la phase finale de cette guerre a fait des milliers de morts et de victimes.
Interview réalisée par Nadia Bennad et Yves-Jean Gallas
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MONDIALISER LA PAIX iran
Un nouveau printemps persan L’Iran est le centre de nombreuses tensions. Le déroulement très contesté des élections présidentielles du 12 juin dernier montre l’existence d’une forte opposition à l‘intérieur comme à l’extérieur du pays. Le cinéaste iranien Moshen Makhmalbaf exprime sa colère mais aussi l’espoir d’un Iran plus pacifique et plus démocratique, à l’instar de la prix Nobel de la paix, Shirin Ebadi qui « appelle à la tenue de nouvelles élections. » 20
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uelle est votre réaction à la vue des nombreuses manifestations qui ont succédé à l’annonce du résultat des éléctions présidentielles ? Moshen Makhmalbaf : C’est la première fois que le peuple d’Iran, un million de personnes, manifestent dans la rue sans autorisation du gouvernement, en dépit des menaces, des personnes arrêtées ou tuées. Cela fait quatre ans qu’Ahmadinejad est président et le reste du monde pense qu’il représente tous les Iraniens. Aujourd’hui, nous avons montré que nous préférions la démocratie. Plus de 700 opposants ont été arrêtés et probablement torturés et une vingtaine de personnes tuées. Les Iraniens veulent que le résultat de leur vote soit légitimé et que les élections puissent être surveillées par des observateurs impartiaux.
Un « coup d’État » Par internet, les gens ont montré au monde entier la violence de la répression. Suite à cela, la police a envahi les chambres des étudiants, a cassé les ordinateurs et frappé les jeunes. Les sms, moyen le plus utilisé pour communiquer, ont été bloqués. Le chef de l’armée a déclaré son soutien à Ahmadinejad pendant la campagne, comment pouvait-il accepter le résultat de l’élection ? C’est vraiment un coup d’État contre les supporters de Moussavi et la démocratie. Aujourd’hui, le gouvernement n’a pas de légitimité. Des millions d’Iraniens en Iran et dans le monde entier se sont exprimés massivement contre Ahmadinejad. Si Ahmadinejad avait une majorité des voix, pourquoi autant de personnes protesteraient-elles dans la rue ?
Quelles sont les raisons pour lesquelles les Iraniens n’auraient pas souhaité prolonger le mandat de M. Ahmadinedjad ? MM : Les Iraniens ne veulent pas d’Ahmadinejad pour trois raisons. La première raison est économique : durant sa présidence, nous avons perdu 280 milliards de dollars en pétrole, alors que son prix a augmenté deux fois plus que pendant la présidence de Khatami. Tous les revenus ont été dépensés pour développer le programme atomique et pour s’impliquer dans la guerre au Liban. La deuxième raison, c’est la répression des libertés. Ainsi, les filles et les garçons ne peuvent pas se promener dans la rue ensemble sans avoir peur de la police secrète. La troisième raison est l’image
Mohsen Mahmalbaf appartient à la nouvelle vague du cinéma iranien. Réalisateur, producteur, acteur, il a participé à plus d’une centaine de films dont Le silence, le cycliste, Kandahar,… et a reçu de nombreux prix.
internationale de l’Iran. Elle a été détruite par Ahmadinejad. Sous l’ancienne présidence, Khatami a parlé d’un rapprochement avec l’Occident. Ahmadinejad n’a parlé que de guerre entre civilisations. Il est toujours en train d’évoquer la lutte en Palestine. Les Iraniens ne veulent ni de cette mauvaise image sur le plan international ni qu’Ahmadinejad se focalise sur le programme atomique.
100% de dictature Quant Khatami était président, George W. Bush en attaquant l’Irak et l’Afghanistan, a défiguré la notion de démocratie pour les Iraniens. Maintenant, nous avons Obama aux États-Unis et George W. Bush en Iran. Les George W. Bush explosent le monde. Si nous ne pouvons pas sortir Ahmadinejad, nous n’aurons pas de démocratie en Iran, nous aurons seulement un dictateur. Il faut soutenir les Iraniens qui luttent dans la rue. Ils ne peuvent pas communiquer avec le monde, les journalistes étrangers sont renvoyés, Internet est censuré, les sms sont coupés et même les dirigeants comme Moussavi ne sont plus en rapport direct avec leur base. Pour se rendre compte de ce qui se passe, on doit compter sur le bouche à oreille. La présence des gens dans la rue à Téhéran, c’est plus qu’une manifestation, c’est un référendum. Les Iraniens ont demande que les pays occidentaux ne reconnaissent pas légitimite l’élection d’Ahmadinejad. Avant les élections, il y avait 80% de dictature et 20% de démocratie, depuis c’est 100% de dictature.
Traduction de James Buchanan
Shirin Ebadi appelle à l’annulation du scrutin Dans une tribune, la lauréate iranienne du prix Nobel de la paix a réclamé l’organisation d’une nouvelle élection présidentielle et « des compensations financières pour les blessés et les familles de ceux qui ont été tués ».
S
hirin Ebadi, avocate et militante des Droits de l’homme, estime que cette élection a été entachée d’irrégularités. Ainsi, dit-elle, « dans de nombreux bureaux de vote, les représentants de Mir Hussein Moussavi et de Mehdi Karoubi n’ont pas reçu l’autorisation d’être présents », permettant le truquage des urnes. Ahmadinejad « avait recueilli 14 millions de voix lors de la précédente élection », or cette fois-ci, il en a recueilli 24 millions, soulignet-elle, tandis que Mehdi Karoubi « a annoncé
que le nombre de ses voix était inférieur à celui des membres de ses permanences de campagne et du parti qu’il préside ». Les manifestations pacifiques et l’annonce par le Conseil des gardiens de la constitution que certains bulletins allaient être recomptés n’ont pas suffi à ramener la paix, constate le prix Nobel dans cette tribune. Elle appelle en conséquence à « la libération inconditionnelle de toutes les personnes arrêtées et emprisonnées pour s’être oppo-
sées au résultat de l’élection » et à ce qu’il soit donné ordre de « mettre fin aux violences contre les manifestants exercées par la police et la milice Bassidj », dévouées au président Ahmadinejad. Outre l’annulation de l’élection et la tenue d’un nouveau scrutin, « sous les auspices des organisations internationales », Shirin Ebadi demande « des compensations financières pour les blessés et les familles de ceux qui ont été tués ».
MENACES : Le vice-président Joe Biden a récemment affirmé que les États-Unis « ne peuvent dicter à une nation souveraine (Israël) ce qu’elle peut ou ne peut pas faire (…) si elle considère que son existence est menacée ». En clair, en l’état actuel des choses, Washington ne condamnerait certainement pas une attaque israélienne contre les installations nucléaires iraniennes. Inquiétante déclaration de la part de celui qui privilégie depuis longtemps une approche politique du dossier iranien, d’autant qu’elle intervient au moment où l’on apprend qu’un sous marin nucléaire israélien a traversé la Mer rouge avec l’aval de l’Égypte. Alors que le Sunday Times révèle, lui, que l’Arabie saoudite aurait donné son accord à un survol de son espace aérien pour des avions israéliens, qui se lanceraient dans une attaque anti iranienne. Contestation du résultat électoral de la présidentielle en Iran, juin 2009
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CULTURE Livre
Les armes nucléaires Mythes et réalités par G. Le Gue « Les armes nucléaires ne sont pas seulement plus puissantes que les autres, elles sont d’une autre nature ». Le Guelte ne donne pas dans la confusion des genres, ce à quoi nous avait entraîné une certaine administration américaine à partir de 1994 pour justifier une panoplie de ripostes, un amalgame qui a servi l’hystérie anti-terroriste. Pour lui, aucun point commun entre armes chimiques, biologiques et armes nucléaires. 22
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L
e traité de non-prolifération en perdition ? Dans le registre des raccourcis, Le Guelte survole l’enjeu et le tour de force qu’a représenté l’extension indéfinie du TNP. Rien sur les méthodes américaines pour imposer l’extension indéfinie du TNP. (1 ligne page 274). Alors même que le Japon s’y opposait, sans parler des pressions, menaces et chantages sur les gouvernements mexicain et sud-africain. Mais le chercheur de l’IRIS connaît son sujet. Il rappelle au passage que la construction d’une usine d’enrichissement de l’uranium ou d’un réacteur à eau lourde ne constitue pas une infraction au TNP. Il n’oublie pas de mentionner quatre États - Afrique du Sud, Brésil , Japon, Pays-Bas – qui exploitent des usines d’enrichissement d’uranium capables d’être converties pour produire de l’uranium enrichi à plus de 90%. Enfin, il n’est pas convaincu que l’avenir du régime de non prolifération soit assuré (page 314). Au lecteur qui s’attendrait, de la part d’un ancien responsable au Commissariat à l’énergie atomique (CEA), puis à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), à des révélations sur les « trous dans la raquette » de l’AIEA, il restera sur sa faim. Nulle mention dans ces 300 pages sur ces aventures nucléaires que l’Agence n’a pas décryptées (Taïwan, Corée du Sud) ou ignorées, la disparition des dossiers sud-africains (de programmes détruits) et le mystère Abdul Qader Khan. Il y aurait, selon Le Guelte, des trafics qui « échapperaient à la compétence de l’agence « comme elle échappe aux service de police et de douanes ». C’est tout.
Les premiers rôles Le Guelte retrace la « genèse » comme il dit des armements nucléaires, l’addiction au ‘‘toujours plus’’ et le trucage dans la comptabilité des vecteurs et ogives entre Washington et Moscou. Mais en se focalisant sur les Deux Grands, il néglige le jeu des tiers. Il croit que l’entrée en vigueur du CTBT dépend de la ratification des 5 états nucléaires déclarés. (*). Il affirme aussi que l’URSS ‘‘met fin au moratoire décrété en mars 1958’’, sans rappeler que ce moratoire a volé en éclats à cause de l’essai Gerboise Bleue de février 1960. S’il simplifie à l’extrême les jeux de pouvoir
internes entre les ‘‘extrêmistes’’ (traduisez les faucons ou va-t-en guerre) et les politiques (p. 129, 131, 142, 285, 311), qui n’ont pas la gâchette facile, il montre le degré d’irresponsabilité de ‘responsables’ qui jouent à se faire peur. Le Guelte nous apprend qu’en 2001, les présidents russe et américain signent un document prévoyant la création à Moscou d’un centre de détection américano-russe. Objectif : identifier conjointement des informations qui sembleraient anormales. Mais ce centre n’a jamais été construit. (page 286). A l’heure des mythes sur cette ‘‘arme absolue’’ qui nous aurait épargné tant de malheurs depuis Hiroshima, le bilan n’est pas rose : « la fin de la guerre froide n’a pas provoqué de transformations profondes dans l’évolution des arsenaux nucléaires ; Les armements ont été renouvelés et modernisés au même rythme que par le passé » (page 201).
elte
Les tricheurs Le Guelte évoque la façon singulière avec laquelle les États-Unis ont ratifié le traité d’interdiction des essais atmosphériques (PTBT) de 1963. Ils ont ajouté une clause, imposée par les militaires ; celle-ci a permis le maintien de toute une infrastructure (sites d’essais en veille avancée) pour une éventuelle reprise et ce jusqu’en 1993, avec budget conséquent à l’appui. (page 143). Bref, comme pour le TNP avec son article 10, comme avec l’Avis de la Cour Internationale de Justice, les protagonistes les plus futés se réservent souvent une porte de sortie ‘‘si les impératifs de la défense nationale l’exigent’’.
Les acteurs oubliés Dans ce manuel, version ‘‘sciences po’’, où
il est beaucoup question du « vainqueur et du vaincu de la guerre froide » (?!), la société civile dans son ensemble et les ONG en particulier sont plutôt absentes. Si l’on en croit Michel Rocard, qui préface l’ouvrage, « la naïveté virile des opinions publiques » (page 22) serait (avec les intérêts industriels et militaires) le principal obstacle au désarmement nucléaire. Étonnante analyse de la part de l’un des rares signataires français de la Commission de Canberra (le seul avec Cousteau). A se demander s’il décrypte souvent les sondages. En tout cas, lors de la gestion de l’introduction avortée des euromissiles, la parenthèse de la bombe à neutrons, l’effondrement du Mur de Berlin, (p. 249) pourquoi faire l’impasse sur les aspirations de vastes franges de la population ? Sur la défense anti-missiles, Le Guelte écrit « la défense anti-missiles doit être déployée non pas lorsque les États-Unis en auront besoin mais quand elle sera disponible ». C’est juste de rappeler la force d’inertie du complexe militaro-industriel à l’affût de tout
commerce de la peur. Mais là encore, les populations exposées n’ont pas dit leur dernier mot. Les gouvernants prêts à se prostituer pour accueillir des radars devront affronter leurs opinions publiques. Dans le cas de la convention contre les mines anti-personnel, par exemple, les diplomates ont avoué eux-mêmes qu’ils ont pris le taureau par les cornes car l’opinion publique était en faveur de leur élimination et qu’ils se devaient d’en tenir compte.
Ben Cramer * il faut 44 signataires dont l’Inde et le Pakistan…
EN SAVOIR PLUS • ‘‘Les armes nucléaires – mythes et réalités’’ de Georges Le Guelte avec préface de Michel Rocard Éd. Actes Sud, 25 € N° 543 - Été 2009 - Planète PAIX
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