L’info pacifiste : www.mvtpaix.org La paix en mouvement
3,20 euros / N° 585 / Octobre 2013
Persistance et horreur des armes chimiques
Film
‘‘Depuis que je suis né’’ (P.23)
Chili : hommage à Salvador Allende Mourir pour ses idées (P.6/7)
Dossier (P.11-16)
Marseille (13)
REGARD SUR...
21 Septembre - Journée internationale de la Paix Paris (75)
Vénissieux (69)
Albertville (73)
2
N° 585 - Octobre 2013 - Planète PAIX
Saint Martin d'Hères (38)
Tremblay-en France (93)
Vitry-sur-Seine (94)
Sommaire
l’Édito
Planète Paix n° 585 - Octobre 2013
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Syrie : enfin les voies diplomatiques ? Actualité
Chili : hommage à Salvador Allende
L
P.6/7
Mourir pour ses idées Les libertés fondamentales
P.8
Big brother is watching you Les rendez-vous de l‘histoire
P.9
Rencontres incontournables
11
dossier
Persistance et horreur Des armes chimiques La guerre chimique
P.12/13
Histoire, droit international et réalités Les accords et traités
P.14
Les leçons de l’Histoire Destruction des armes chimiques
P.15
Le casse-tête syrien
18
‘‘ L’option
mondialiser la paix
Syrie
militaire cède la
P.18/19
Organiser l’aide humanitaire Les richesses culturelles et historiques P.20
La musique plus forte que la barbarie !
21
place à la voie de la négociation et l’Onu retrouve son rôle, prenant
Histoire
Bertha von Suttner
P.21
L’arme atomique selon la pacifiste
22
Nicole Bouexel Membre du Bureau national du Mouvement de la Paix
à contrepied tous ceux qui désespéraient d’une possibilité
culture
L’agenda 2014 du Mouvement de la Paix P.22
Petit format et place aux Grands Film
de négociation. ’’
P.23
‘‘Depuis que je suis né’’ BD/documentaire
Gitanie, Carnet de voyage
Mensuel édité par le mouvement de la paix
9, rue Dulcie September, 93400 Saint-Ouen Tél. 01 40 12 09 12 Fax : 01 40 11 57 87 planete.paix@mvtpaix.org
Directeur de la publication : Guillaume du Souich Rédactrice en chef : Nadia Dorny-Bennad Conception maquette : Chérif Beldjoudi Graphiste - maquettiste : Laurence Leclert. Comité de rédaction : Raoul Alonso, évelyne Aymard, Nicole Bouexel, Grégoire Desclaux, Nadia Dorny-Bennad, Annie Frison, Pierre Villard, Jean-Paul Vienne. Photos et illustrations : Tous droits réservés - Onu Ont participé à ce numéro : Nicole Bouexel, Nadia Dorny-Bennad, Jeannick Leprêtre, José Guadalupe, Jean-Paul Vienne, Raoul Alonso, Fathia, Annie Frison Gestion des abonnements : Nassera Macrez, tél. 01 40 12 09 12. ISSN 1773-19241. Numéro de commission paritaire : 0317G85601 Imprimeur : Compédit Beauregard - 61600 La Ferté-Macé
e Conseil de Sécurité de l’Onu a adopté le 27 septembre la résolution 2118 ouvrant la voie d’un accord pour éliminer les armes chimiques de la Syrie, et propose un processus de paix. L’option militaire cède la place à la voie de la négociation et l’Onu retrouve son rôle, prenant à contrepied tous ceux qui désespéraient d’arriver à une solution négociée. Elle valide notre analyse sur la possibilité d’un règlement pacifique des conflits. L’opposition de l’opinion publique à ces projets guerriers, les actions qui ont eu lieu un peu partout dans le monde ont fortement contribué au renoncement à l’option militaire. La résolution qualifiée d’« historique » affirme avec fermeté la nécessité de l’application du droit international et définit des actions et un calendrier. Elle cite la Convention sur les armes chimiques adoptée en 1997 et elle peut permettre des avancées non seulement en Syrie mais aussi au Moyen-Orient. Et Ban Ki Moon ajoute « Nous ne devons jamais oublier que le catalogue des horreurs se poursuit en Syrie. Le plan visant à éliminer les armes chimiques n’est pas un permis de tuer avec des armes conventionnelles ! » La résolution prévoit un processus politique qui devrait arriver à instaurer la démocratie. Il doit être conduit par les Syriens eux-mêmes afin de mettre fin à un conflit qui a fait des milliers de morts, de réfugiés ou déplacés. La résolution doit se concrétiser par la conférence internationale « Genève 2 » à la mi-novembre avec tous les acteurs concernés. Ces dispositions sont une avancée majeure et le dégel constaté lors des pourparlers de Genève de la part d’États concernés (l’Iran par exemple) est prometteur et peut nous faire espérer une baisse des violences au Moyen-Orient. Mais soyons lucides. Les intérêts, les antagonismes sont puissants. La destruction de la société et les souffrances de la population syrienne vont laisser des séquelles durables en Syrie et dans les pays voisins (réfugiés). Un risque de sanction militaire est prévu si le régime syrien ne tient pas ses engagements. Le processus de « transition démocratique » doit être mené avec toutes les composantes de la société civile, dont la Coalition nationale et pas récupéré par la composante islamiste. Cela réclame notre vigilance, notre intervention et notre aide à la société syrienne.
Bon d’abonnement à Planète Paix page 17 N° 585 - Octobre 2013 - Planète PAIX
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Courrier des lecteurs
Livres conseillés par les abonnés de Planète Paix Mesdames, messieurs, Étant adhérente au Mouvement de la Paix depuis la guerre du Golfe, je souhaiterais vous faire connaître le livre Heures fauves qui décrit le vécu des classes d’un lycée professionnel, établissement le plus difficile de l’Académie de Lyon. Le professeur essayait de mettre en pratique la culture de paix. Je vous demanderais de mettre l’information dans Planète Paix. Je vous remercie de votre attention. Mme Mazard (05)
fesseur, ce témoignage s'adresse à tous ceux intéressés par l'éducation et les relations adolescents/ adultes. Éd. L’Harmattan
Résumé : À Vénissieux, le nouveau lycée professionnel industriel rassemblait les exclus des établissements scolaires de l'académie de Lyon. Certains jeunes soumis à leurs pulsions récurrentes, sont fascinés par la force, le fric et la frime. Dans des classes de 35 adolescents, l'agressivité des élèves rendait la cohabitation difficile. Fruit du récit d'un ancien élève, retranscrit et complété par son pro-
La bataille de Leipzig (16, 17 et 18 octobre 1813) Un petit article que j'ai voulu rédiger sur le bicentenaire de la bataille de Leipzig (octobre 1813). En Allemagne et en Europe Centrale, on en a fait des tas de livres et d'émissions de télévision. Cet événement est suffisamment important pour être mentionné dans notre journal. On s’apprête, en Allemagne et en Europe Centrale, à commémorer de manière imposante le bicentenaire de l’une des batailles les plus sanglantes de l’histoire de l’humanité (guerres du XXème siècle comprises !), la bataille de Leipzig, qu’on nomme làbas plus volontiers la Bataille des Peuples. Elle opposa les armées de Napoléon, avec les quelques alliés qui lui restaient encore, aux armées coalisées de Russie, d’Autriche, de Prusse et même de Suède (ces dernières sous la direction de Bernadotte, un ancien général de Napoléon !). La coalition anti-Napoléon, qui avait décidé d’en finir une fois pour toute, avec l’Empereur des Français, avait mis les moyens : 365.000 hommes et 1500 canons pour affronter les 190.000 hommes et 690 canons de Napoléon, soit au total près de 600.000 hommes. Du jamais vu. Le résultat de ces trois jours de combats ininterrompus fut un carnage sans pareil : on compta quelques 92.000 tués à l’issue de la bataille, en réalité plus de 130.000 si on inclut les innombrables blessés qui ne survécurent pas à leurs blessures dans les jours qui suivirent. Cette terrible bataille, encore plus épouvantable que toutes les autres de l’ère napoléonienne, marqua durablement les consciences de l’Europe, encore davan4
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Chers amis, Voici un livre excellent. La dernière nuit de Claude Eatherly qui mérite d’être mentionné dans Planète Paix et son auteur d’être invité lors de manifestations du Mouvement de la Paix. M. Dubois (59) Résumé : Texas, 1949 : photographe-reporter débutante, Rose Calter est jolie, ambitieuse et obsessionnelle. Dans le petit tribunal de Sherman, elle croise un certain Claude Eatherly, un jeune vétéran de l’armée de l’air. Après enquête, elle découvre que cet ancien pilote a ouvert la route d’Hiroshima au premier bombardier atomique de l’histoire. C’est le début d’une relation mystérieuse et trouble de trente ans entre la photographe et l’ancien as de l’aviation qui a
sombré dans la délinquance et la boisson, alternant prison et hôpital psychiatrique. Le beau pilote, qui fascine journalistes et intellectuels du monde entier, reste une énigme. Transformé par les médias en icône mondiale du pacifisme et en Dreyfus de l’ère nucléaire, est-il sincère ou cherchet-il à s’emparer de la lumière noire d’Hiroshima afin d’entrer dans la postérité ? Éd. Plon
tage peut-être que la calamiteuse Campagne de Russie de l’année précédente. Elle est considérée comme le moment fondateur des nationalismes allemand, puis européens (dont les effets ravageurs affectèrent notre continent pendant 150 ans), mais aussi comme le point de départ d’une réflexion et action organisée (bien plus lentes) contre la guerre, que l’on a appelée plus tard le pacifisme. Nos amis pacifistes allemands ne s’y trompent pas en organisant rencontres et colloques sur la paix à cette occasion. Jean-Paul Vienne (38)
La Bataille de Leipzig par A.I. Zauerweid
REPÈRES ... Livre
‘‘La rage et la lumière Un prêtre dans la révolution syrienne’’ Les Éditions de l’Atelier
Installé au monastère de Mar Moussa (80 km de Damas) depuis les années 1980, Paolo Dall’Oglio est un jésuite italien fortement engagé dans le dialogue islamo-chrétien. Il a pris parti pour la révolution syrienne en mars 2011 et ses idéaux de liberté. Expulsé de Syrie en juin 2012 par le régime de Bachar Al Assad, il a pu quitter le pays grâce à l’escorte du nonce apostolique avec un fort sentiment d’impuissance et de colère. C’est en témoin que Paolo Dall’Oglio se situe dans cet ouvrage : un témoin solidaire qui raconte la volonté et les espoirs du peuple syrien en lutte pour sa liberté, le durcissement du combat, le rôle de l’islamisme dans le mouvement révolutionnaire, le positionnement des chrétiens, la détermination des jeunes à vaincre malgré la torture et les assassinats, les silences ou l’impuissance de l’Occident. Une solidarité qui fait tenir, et puis la colère, sourde, violente - au risque du cynisme contre lequel il faut sans cesse lutter - devant cette guerre qui tragiquement ne trouve pas de solutions et conduit la population syrienne au désespoir voire à la haine. Un récit fort et tendre, à l’image de son auteur, pour mobiliser les consciences sur le drame syrien et rappeler les nécessaires liens de fraternité au-delà des frontières et des traditions. Un livre qui est aussi, surtout, un hommage à tous ces jeunes Syriens, musulmans et chrétiens, qui ont dépassé leur peur pour se lancer dans la bataille en criant Horriya, Liberté ! Le père Paolo Dall’Oglio est retourné en Syrie, à Raqqa, pour négocier la libération d’otages et tenter d’engager une médiation entre Kurdes et islamistes. Il n’a plus donné signe de vie à son éditrice depuis le 28 juillet dernier (NDR).
Livre-DVD
‘‘Collection Afrique 50’’ de René Vautier et
‘‘De sable et de sang’’ de Michel Le Thomas Éd. Mutins de Pangée
En 1949, la Ligue de l'enseignement propose à René Vautier de réaliser un film montrant « comment vivent les villageois d'Afrique occidentale française ». Ce film est destiné à être montré aux élèves des collèges et lycées de France. Il doit ramener des images sur la réalité africaine, puis en faire un montage. Vautier arrive donc en Afrique à 21 ans, sans idées préconçues. Cependant, de son périple africain, sortira le premier film anticolonialiste français. Sur le sol africain, Vautier est accompagné par le gouverneur. Cedernier tend à conseiller à Vautier de filmer les ananas du jardin de l'Office du Niger, alors que le documentariste était plus intéressé par les galériens noirs qui manœuvraient à bras les vannes d'une écluse d'un barrage qui alimentait en électricité les maisons des blancs, mais pas le barrage : les Nègres coûtent moins cher... Vautier est révolté par le vrai visage du pouvoir colonial. Pendant près d'un an, il parcourt le Mali, la Haute Volta, la Côte d'Ivoire, le Ghana, le Burkina Faso. De nombreuses péripéties marquent le tournage. René Vautier, qui réalisera plus tard « Avoir 20 ans dans les Aurès », raconte l’aventure extraordinaire du tournage d’Afrique 50. Le pamphlet époustouflant d’un jeune cinéaste de 20 ans qui voulait témoigner de ce qu’il voyait en Afrique et qui le révoltait. Le livre de « De sable et de sang », récit trépidant et plein d’humour, accompagné de textes d’historiens et d’illustrations de l’époque, nous amène à réfléchir sur l’héritage, la colonisation et le rôle fondamental du cinéma. Livre 134 pages - illustrations couleurs - carnet photos.
Livre ‘‘Tsiganes et Gitans’’. De Hans Silvester et Jean-Paul Clébert Éd. de La Martinière
Messagers entre l’Asie et l’Europe, peuple migrateur sur les routes d’Asie centrale, les Gitans, Tsiganes ou Manouches, réunis autour d’une même culture Romani, ils sillonnent le monde depuis plus de mille ans. On ne sait rien d’eux, ni de leurs déplacements depuis les rives de l’Indus jusqu’au cœur de l’Europe il y a plus d’un millénaire maintenant. Cette « dispersion non conquérante » reste encore aujourd’hui un mystère. Ce peuple sans patrie a toujours refusé de se faire enfermer dans des frontières, vivant par ses propres moyens au milieu des populations étrangères. C’est cela même qui met aujourd’hui sa culture en péril. Dans les années 1960, Hans Silvester, séduit par ce peuple nomade, a décidé de les suivre sur la route. Il a partagé le quotidien des Tsiganes et Gitans d'Europe et d'Amérique du Nord. Il brosse dans cet ouvrage, avec l'écrivain Jean-Paul Clébert, un portrait humaniste.
Il offre un témoignage inestimable de cette culture méconnue. Un livre, magnifique qui donne un regard neuf et loin des clichés sur ces hommes qui se nomment "Rroms" entre eux : "êtres humains". Né en 1938 en Allemagne, Hans Silvester fait ses premières photos à l’âge de douze ans. Défenseur inconditionnel de la nature, il publie en 1960 un livre remarqué sur la Camargue avec un texte de Jean Giono. N° 585 - Octobre 2013 - Planète PAIX
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ACTUALITÉ Chili : hommage à Salvador Allende
Mourir pour ses idées En 1973, l'armée du Chili, avec le soutien secret des États-Unis, a fait un coup d'État et a bombardé le palais présidentiel à Santiago. En quelques heures, le chilien Salvador Allende, premier président socialiste, démocratiquement élu, y trouva la mort. Quarante ans après, les idées qu’il défendait sont à nouveau portées aujourd'hui par les Chiliens.
Commémoration de la mort de Salvador Allende à Santiago, Chili, 11 septembre 2013
L
ongtemps occultée par la dictature, l’œuvre de l’Unité Populaire reste largement méconnue au Chili. Ceux qui en furent les acteurs se battent pour raviver sa mémoire. Salvador Allende a fait preuve jusqu’au bout d’un constant patriotisme. Les conditions de vie du peuple chilien, qu’il connaît en tant que médecin, sont à la base de son engagement. Né en 1908, il créa en 1933 le parti socialiste chilien. Dans un discours au Parlement en 1937,
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juste après le triomphe du Front Populaire aux élections législatives, Salvador Allende proclamait : « Le Chili est une masure, une seule et grande masure qui abrite un seul malade : tout le peuple chilien (….). Ce peuple a besoin d’une législation qui soit appliquée intégralement et qui descende jusqu’aux substrats les plus profonds des maux sociaux dont il pâtit, d’une législation qui en finisse une fois pour toute avec l’agiotage et la spéculation et rompe avec l’indifférence du Gouvernement devant tous
les grands problèmes d’intérêt national qui étranglent les classes moyennes et tous les secteurs capables de propulser le pays vers le progrès ». Cet attachement à l’intérêt national opposé à l’intérêt d’un secteur de la population est sans doute un héritage de la Révolution française dont les idées républicaines avaient été introduites au Chili au milieu du XIXème siècle par Santiago Arcos. Salvador Allende le réaffirma en 1944 lorsqu’il définit le but ultime du travail de la gauche comme « la conquête du bien-être et de la grandeur du Chili ». Lorsqu’il perd les élections présidentielles de 1958, Salvador Allende persiste dans cette même ligne et, dans un discours au Sénat, parle d’un des grands thèmes de sa campagne, la réforme agraire, non comme d’un impératif idéologique mais comme d’une nécessité à laquelle aucun parti, aucun gouvernement ne peut se soustraire : « J’avais un intérêt tout particulier, en étant le candidat des partis populaires, à proposer au pays la réforme agraire. Cette réforme est un fait social et économique qu’on ne peut éluder. Je le propose en homme responsable qui a étudié avec ses compagnons cette question à fond : nous sommes convaincus que l’économie du Chili réclame une réforme agraire et que la réalité sociale de notre pays l’exige.
Salvador Allende quitte le palais de la Moneda le 11 septembre 1973, date de sa mort.
J’ai répété à satiété que nous dépensons des millions de dollars pour importer des aliments que nous pouvons produire, et j’ai proposé cette réforme parce que je connais, en tant que médecin, les déficits alimentaires dont souffre la population ». L’indépendance économique et la justice sociale allaient devenir les leitmotive de Salvador Allende et du parti socialiste chilien. A de multiples reprises Salvador Allende dénonça l’influence américaine Le président Salvador Allende a été porté au pouvoir par une coalition. La « voie chilienne au socialisme », renforcée par la dynamique du combat des ouvriers, des paysans, des pobladores, n’est, bien sûr, pas exempte de contradictions. Ainsi, ce mouvement agit sur la direction de la Centrale unique des travailleurs (CUT) dominée par le Parti communiste, premier parti ouvrier du pays et force qui représente au sein du gouvernement l’aile la plus réaliste. La centrale s’affirme comme une courroie de transmission de l’exécutif en prenant en charge le « système de participation des travailleurs » au sein des entreprises nationalisées, l’« Aire sociale de production ». Cependant, la grande majorité des sala-
riés se trouve hors cette influence directe, car sans droit de se syndiquer et surtout sans perspective d’intégration au système de participation allendiste. Lorsqu’en 1970 il accède à la présidence de la République Salvador Allende subira jusqu’au coup d’État la pression des firmes, pour la plupart étrangères qui s’élevaient contre l’intérêt général et l’intérêt national. Sa mort dans la Moneda en flammes est l’expression finale du lien solide qui l’unissait à la nation. Jamais auparavant un gouvernement n’a été aussi près de réussir à imposer au pays les éléments essentiels c’est-à-dire un pacte entre les secteurs politiques de la société pour assurer une éducation publique de qualité, un système de santé accessible à tous, des logements décents, un minimum social de la meilleure qualité possible afin d’assurer l’avenir du pays, de son développement, de son enrichissement et l’épanouissement de ses citoyens. Le peuple doit se défendre et non pas se sacrifier, il ne doit pas se laisser humilier, il doit aller de l’avant sachant que bientôt s’ouvriront de grandes avenues où passera l’homme libre pour construire une société
meilleure. J’ai confiance dans le Chili et dans son destin. Il ne faut pas oublier que, comme le disait Salvador Allende : « le peuple uni ne sera jamais vaincu ». José Guadalupe Coordinateur en France des commérations du coup d'État au Chili
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ACTUALITÉ Les libertés fondamentales
Big brother is watching you* Edward Snowden est un informaticien américain et ancien collaborateur de la NSA* et de la CIA. Le 31 juillet dernier, il révélait qu’un programme secret de la NSA surveillait toutes les activités des internautes. Il est accusé d’espionnage et de vol du bien de l’État par les procureurs fédéraux. Aujourd’hui, il vit à Moscou où il a obtenu l’asile politique.
*Agence de sécurité nationale
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L
es médias du monde entier se sont posé la question de savoir si Snowden est un traître qui mérite les peines les plus sévères que les États-Unis veulent lui imposer ou un authentique héros américain qui a sacrifié une vie confortable pour dévoiler la façon dont le gouvernement américain fouille dans la vie privée de tous. Rappelons que les divulgations de Snowden ne révèlent rien sur les méthodes que la NSA* utilise pour la surveillance, ni les groupes ou individus qui sont la cible de l'Agence ou sur l'identité des agents américains. Elles ne contiennent rien non plus sur les plans militaires américains, sur les échanges entre des officiels américains ou étrangers. Comme l’a indiqué Glenn Greenwald, l'un des journalistes qui a révélé l'affaire, « il ne s’agit pas d’un dépotoir de données, Snowden a passé des mois à étudier minutieusement tous les documents (…) il n'a pas simplement procédé à des téléchargements sur Internet. » Alors qu’ont révélé ces fuites ? Tout d’abord, elles ont confirmé que le gouvernement américain, sans mandat judiciaire, recueille régulièrement des relevés téléphoniques de millions d’Américains qui n’ont pas grand-chose à voir avec le terrorisme. La deuxième révélation est que la NSA, en ciblant des suspects étrangers, montre sa capacité à accéder à de vastes quantités de données d’utilisateurs de logiciels informatiques tels que Yahoo, Google, Facebook, Skype… En pistant les communications de militants ou des officiels étrangers et les personnes qui communiquent avec eux, la NSA balaie un grand nombre de données en ligne sur les Américains. En mars 2013, seul « The Gardian » a rapporté que la NSA a collecté 97 milliards d’éléments d’information provenant de réseaux informatiques mondiaux
dont 3 milliards provenaient des réseaux américains. Quelles que soient les motivations de Snowden, il a joué un grand rôle, c’est un homme de conscience : « Je ne veux pas vivre dans un monde où tout ce que je fais et dis est enregistré. Ce n'est pas quelque chose que je suis prêt à soutenir ou à vivre » a-t-il expliqué à Greenwald. Alors, quel est le véritable crime de Snowden ? Comme Ellsberg, Vanunu et Bradley Manning, condamnés lourdement, avant lui, il a découvert des activités douteuses que le pouvoir aurait préféré garder secrètes. C'est le rôle précieux que jouent ceux que l’on appelle « les lanceurs d’alerte » dans une société libre. Dans des situations particulières, il faut bien sûr penser au danger potentiel que certaines révélations peuvent causer, mais ce n’est pas le cas de Snowden. Daniel Ellsberg, qui a été qualifié de traître pour avoir révélé au monde entier que le Pentagone savait dès le début que la guerre du Vietnam était perdue, a estimé légitime l'action menée par Edward Snowden. Il a indiqué que les programmes de surveillance de la NSA constitueraient une « activité dangereuse et anticonstitutionnelle », et que « cette invasion massive de la sphère privée des Américains et des citoyens étrangers ne contribuerait en rien à notre sécurité » et « mettrait en danger les libertés mêmes que nous tentons de protéger. » Snowden a mis en évidence des informations importantes qui méritaient d’être mises sur la place publique, sans nuire à la sécurité nationale de son pays comme on veut le faire croire. Nadia Dorny-Bennad *Big brother vous surveille (référence à l’ouvrage de G. Orwell)
ACTUALITÉ Les rendez-vous de l‘histoire
Rencontres incontournables La 16ème édition des Rendez-vous de l’histoire de Blois se déroule du 10 au 13 octobre 2013 avec pour thème fédérateur ‘‘la guerre’’.
C
e grand événement culturel, véritable université ouverte, est un espace de rencontre privilégié où les historiens peuvent exposer l’état de leurs réflexions dans le cadre d’une manifestation populaire. Il représente aussi pour les enseignants un fructueux moment de formation continue salué par l’Éducation nationale. Les rencontres ne se limitent pas à l’« histoire-bataille », elles présentent des aspects multiples qui touchent au droit, à la technologie, à l’histoire des genres, bref la guerre dans tous ses états. La devise de l’édition 2013 des Rendez-vous de l’histoire pourrait être « si tu désires la paix, étudie la guerre1 » car le fracas de la guerre, aujourd’hui, n’a pas cessé. Nul doute que les pacifistes devraient y trouver raisons de questionner la culture de guerre et la culture de paix. Les Rendez-vous de l’histoire, ce sont pendant quatre jours : un grand salon du livre d’histoire, plus de 300 débats, conférences et communications ainsi qu’un cycle cinéma ; des formes d’interpellation plus inattendues et moins conventionnelles : expositions, cafés historiques, découvertes gastronomiques (dîners historiques), spectacles, des ateliers ludiques pour tous les âges, un espace jeunesse et des rencontres pédagogiques en direction des lycées et collèges. Bertrand Tavernier présidera le festival, Chantal Thomas présidera le salon du Livre et Marc Ferro présidera le cycle cinéma. Cette initiative dont le quartier général est la Halle aux Grains, investit de nombreux espaces dans la ville ; outre le château, ce sont
aussi les cafés, le cinéma, l’université, ou la gare qui accueilleront les participants. Dans ce fourmillement lecteurs, auteurs, historiens, se croisent, se rencontrent, se questionnent, trouvent des réponses, pour éclairer le présent à la lumière du passé, et comprendre la construction des mémoires historiques qui structurent les identités sociales et culturelles. Les pacifistes pourront ainsi y puiser des ressources et, espérons le, y trouver les arguments toujours plus convaincants pour que la culture de guerre, que d’aucuns voudraient
inéluctable, laisse enfin la place à la culture de paix puisque l’histoire nous l’apprend : la guerre, comme la paix, sont aussi une histoire de culture. Jeannick Leprêtre 1
Giusto Traina, professeur d’Histoire romaine à
l’université Paris Sorbonne-Paris IV.
EN SAVOIR PLUS • www.rdv-histoire.com/-Edition-2013,906-.html
Un petit aperçu des débats L’impotence de la puissance : l’Occident peut-il encore faire la guerre ? Jean-Marc Huissoud, directeur du Centre d’études en géopolitique et gouvernance. La CGT et la guerre. Et le pacifisme alors ! Syndicalisme, pacifisme, internationalisme. Jean-Pierre Page, ancien responsable international de la CGT. Enfants en temps de guerre et littératures de jeunesse. Catherine MilkovitchRioux, maître de conférences à l’université Blaise Pascal Clermont-Ferrand, Jacques Vidal- Naquet, directeur du centre national de littérature pour la jeunesse. Les armes nucléaires protègent elles de la guerre ?1. Pierre Villard, auteur, professeur, pacifiste. Viol des femmes et purification ethnique en Bosnie, d’après le roman de Janine Matillon, Les deux fins d’Orimita Karabegovic. Par Marie-Anne Clément, Planning familial.
Guerre et paix en poésie. Un regard poétique de femmes et d’hommes sur le monde d’aujourd’hui, s’intéressant surtout à la grande quête de la paix : Rêve de paix. Débat de la revue L’Histoire : La guerre juste existe-t-elle ? Henri Bentegeat, JeanBaptiste Jeangene Vilmer, Valérie Hannin, Isabelle Heullant-Donat, Nicolas Offenstadt, Laurent Theis. Débat d’Actualité : l’historien et la journaliste, regards croisés sur la guerre en Syrie. Débat avec Florence Aubenas, Pascal Ory et Maurice Sartre organisé par la SCAM. De la culture de la guerre à la culture de paix, du
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danger de la guerre nucléaire à la connaissance des conséquences humanitaires de l'arme nucléaire ; il est de la responsabilité des hommes d'inscrire la paix durablement dans l'histoire. Le Mouvement de la paix y animera un échange dans la catégorie "communication" le samedi 12 octobre.
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Au jour le jour Israël Les bombes atomiques
Iran : libération anticipée de l’avocate
Le très sérieux Bulletin Of the Atomic Scientists affirme qu’Israël a cessé de produire des bombes atomiques depuis 10 ans. Depuis les années 60, l’État hébreu avait produit 80 de ces bombes. Israël qui refuse de signer le Traité de non-prolifération des armes nucléaires a toujours maintenu le flou sur l’existence de cet arsenal.
Nasrin Sotoudeh
Israël bis. Les étudiants, pantins du gouvernement ?
Avocate spécialisée des droits de l'homme et Prix Sakharov en 2012, Nasrin Sotoudeh, condamnée, emprisonnée
Benyamin Netanyahou va mobiliser des centaines d’étudiants israéliens pour lancer des campagnes d’explication de sa politique sur les réseaux sociaux. Selon le quotidien national Haaretz, le gouvernement offrirait une bourse à une centaine d’étudiants à la rentrée pour redorer son blason sur Internet. Selon une déclaration du cabinet du Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, les étudiants des campus israéliens recevront des bourses complètes ou partielles pour combattre l'antisémitisme et les appels au boycott d’Israël en ligne. À l’origine de ce projet, Daniel Seaman, un membre du gouvernement en charge de promouvoir l’image d’Israël sur Internet. Le plan est « tout à fait répugnant », d’après Alon Liel, ancien membre du ministre des Affaires étrangères israéliennes. Ce dernier juge que « les étudiants devraient être éduqués à penser librement. Lorsque vous achetez leurs esprits, ils deviennent une marionnette du gouvernement israélien ». Ajoutant : « on peut donner des bourses pour un travail social ou pour l’enseignement, mais non pour faire de la propagande gouvernementale sur des questions politiques controversées ». 10
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injustement, est définitivement libre avec au moins 11 autres militants politiques iraniens. Arrêtée en septembre 2010, Nasrin Sotoudeh est sortie de la prison d'Evin, située dans le nord de Téhéran, après avoir purgé la moitié de sa peine pour "atteinte à la sûreté nationale" et "propagande contre le régime". Cette libération survient alors que la veille, sept prisonnières politiques ont été également mises en liberté avant la fin de leur peine. Parmi elles, figurent la journaliste Mahsa Amrabadi et la militante féministe et
membre de la campagne d'un million de signatures, demandant la fin des discriminations infligées aux femmes iraniennes, Mahboubeh Karami. Les sites iraniens qui ont relayé cette information n'ont pas précisé la raison de ces libérations anticipées. L'élection à la présidence de la République du modéré Hassan Rohani, le 14 juin, a suscité un grand espoir dans la société civile iranienne. Ces attentes ont été d'autant plus importantes que pendant sa campagne, M. Rohani, appuyé par les réformateurs, appelait à une réconciliation nationale.
Les Marionnettes s'engagent pour la Paix Le 21 septembre à Charleville-Mézières l'UNIMA, Union Internationale des Marionnettes, a organisé une première étape du concours de la remise des prix du concours lancé par les ONG de l'Unesco du groupe « Les Marionnettes s'engagent pour la Paix », en présence de M. Dadi Pudumjee, président de l'UNIMA, de Jacques Trudeau, secrétaire général et président du jury, Maryse Florès, maireadjointe à l'enfance et la jeunesse, Joëlle Barat, vice-présidente du Conseil régional de Champagne-Ardennes, Michel Thouzeau, président du groupe des « Marionnettes pour la paix » à l'Unesco, de nombreux marionnettistes présents au Festival international et de plusieurs ONG. Le prix de l'Originalité de la Proposition a été décerné à Thien-Nhi-UJVF pour « Thuy An, Messagère de la Paix ». Le prix du travail d'ensemble pour « Le tambour de l'Union pour la Paix » de Soro Bodrisso de la Côte d'Ivoire. Le prix de la mise en scène aux « Enfants du Danube » de Paris 19ème pour « Petites histoires pour la paix ». La lithographie reproduction de « Ronde de la jeunesse1961 » de Pablo Picasso a été offerte par la Galerie l'Art et la Paix du Mouvement de la Paix à Thien-Nhi. Une marionnette indonésienne a été offerte aux deux autres lauréats. Madame Irina Bukova, directrice générale de l'Unesco et Monsieur Patrick Gallaud, président du Comité de liaison ONG/Unesco empêchés avaient envoyé des messages de soutien. Cette manifestation pour la Journée internationale de la paix résulte d'un travail d'éducation à la paix de 47 équipes d'amateurs et de professionnels du monde entier. Elle sera le point de départ pour une grande journée pour la paix en septembre 2014 à l'Unesco. • Pour visionner tous les films réalisés : http://vimeo.com/user16438782 • Pour la genèse du projet et les ONG organisatrices : www.marionnettesdelapaix.org • Pour mieux connaître la journée de la paix : www.21septembre.org
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Persistance et horreur des armes chimiques
• La guerre chimique
Histoire, droit international et réalités
• Les accords et traités
Les leçons de l’Histoire
• Destruction des armes chimiques
Le casse-tête syrien
R Bien que les produits chimiques aient été utilisés comme instruments de guerre pendant des milliers d’années ; flèches empoisonnées, goudron bouillant, fumée de l’arsenic…, la guerre chimique moderne a trouvé son origine sur le champ de bataille de la Première Guerre mondiale. Au milieu du XXème siècle, la capacité des armes chimiques, déjà effrayante, s’est accrue par le développement de munitions sous forme d’obus d’artillerie, de projectiles de mortier, de bombes aériennes… Depuis l’entrée en vigueur de la Convention sur l’interdiction des armes chimiques, la fabrication, le stockage et l'emploi des armes chimiques sont interdits. Mais certains États dotés de ces armes et n’ayant pas signé la convention, ceux qui permettent leur fabrication, l’héritage des armes chimiques anciennes ou abandonnées présentent toujours un énorme danger pour les populations. N° 585 - Octobre 2013 - Planète PAIX
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La guerre chimique
Histoire, droit international et réalités La guerre chimique (et même biologique) ne date pas d’hier. C’était une technique de guerre connue dès le Moyen-âge (et sans doute bien avant), lorsque le siège d’un château-fort commençait à durer
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’est la Première Guerre Mondiale qui vit apparaître un usage massif et assez systématique des gaz de combat. Les grandes puissances militaires de l’époque avaient entrepris des recherches en ce sens dès la fin du XIXème siècle. Ce sont les Allemands qui, forts de leur puissante industrie chimique (la firme IG Farben, notamment qui fabriqua par la suite le gaz Zyklon B utilisé dans les camps d’extermination nazis), produisirent les premiers gaz opérationnels… et en firent usage sur le front. C’est en avril 1915, du côté d’Ypres (Belgique), alors que le front s’était figé depuis longtemps en une guerre de tranchées, que l’armée allemande attaqua les soldats de l’armée britannique avec un gaz suffocant à base de chlore. Résultat : des centaines de morts et des milliers de handicapés à vie (les gazés). Les Britanniques ne tardèrent pas à répliquer de leur côté avec une attaque au gaz en septembre 1915. Par la suite, les Allemands perfectionnèrent leurs techniques
de combat au gaz, développant le sulfure d’éthyle dichlorée (ou gaz moutarde), qui n’agit pas immédiatement, mais attaque gravement enfermant les gaz dans des obus. C’est en juillet 1917 qu’ils inaugurèrent leur nouvelle technique, à nouveau contre les Britanniques, moins pour percer le front que pour user et démoraliser l’adversaire (technique dite de l’attrition). Des gaz de combat sont également mis en œuvre sur le front russe. Seule parade possible : le masque à gaz (bien illustré par Tardi), qui rend la vie du fantassin encore plus incommode. Le bilan total des victimes (tués et handicapés à vie) des gaz de combat s’élève, pour la 1ère Guerre Mondiale, à 500.000 sur le front occidental et 200.000 sur le front de l’est, soit 3% des pertes totales. C’est peu, diront certains. Mais cela a suffi pour rendre les gaz de combat caractéristiques de ce premier conflit planétaire et afficher un degré supplémentaire dans l’horreur des guerres. C’est pourquoi la guerre terminée, les diplomates
trop longtemps, que de brûler un immense tas de bois (vert) pour enfumer et intoxiquer les assiégés.
Palettes d'obus d'artillerie contenant de l'ypérite à Pueblo Depot Activity, (Colorado, USA) lieu de stockage des armes chimiques
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Les experts des Nations unies tiennent des sacs en plastique contenant des échantillons des armes chimiques utilisées à Damas, Syrie, septembre 2013
se sont employés à en interdire l’usage. Cela aboutit au « protocole concernant la prohibition d’emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques », signé en juin 1925 à Genève (siège de la Société des Nations), à la vérité non contraignant. Du coup, les Espagnols ne se privèrent pas d’en faire usage dans la Guerre du Rif, ainsi que les Japonais lors de l’invasion de la Chine, et les Italiens à l’occasion de leur conquête de l’Éthiopie. On sait aussi que les Américains versèrent des tonnes d’ « agent orange » et de défoliants sur le Vietnam, tuant, brûlant et intoxiquant des milliers de civils. On n’a pas oublié non plus que le dictateur syrien Hafez el Assad (le père) gaza massivement la population (civile) de la ville rebelle de Hama en février 1982, faisant entre 7.000 et 35.000 victimes selon les sources, ni que l’autre dictateur de la région, l’Irakien Saddam Hussein gaza les Kurdes de la ville d’Halajaba (dans son pays) en mars 1988, faisant également des milliers de victimes (civiles) et ne se gêna pas non plus pour les employer lors de la guerre irako-iranienne. Tout cela, à l’époque, il faut le dire, dans la quasi-indifférence des chancelleries. Mais tout de même : sous l’égide de l’Onu,
la très grande majorité des États se décide à signer, en janvier 1993, à Paris une Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’usage des armes chimiques et sur leur destruction. Cette convention qui a, cette fois-ci, une valeur en principe contraignante, a été ratifiée par tous les États du monde, sauf sept : l’Angola, Israël, la Birmanie (Myanmar), la Corée du Nord, l’Égypte, le Soudan du Sud…et la Syrie. La nouvelle utilisation des gaz, probablement le gaz sarin, dans une banlieue de Damas, Douma, de la Ghouta, le 21 août dernier, (faisant quelques 1500 victimes - des civils, à nouveau) est clairement en infraction avec la législation internationale. Ce cas relève donc désormais de la Cour Pénale Internationale de La Haye qui devrait faire comparaître les responsables de ce crime de guerre. La Syrie vient d’accepter de ratifier enfin cette convention dans le cadre du récent accord, avec divulgation de l’ensemble des arsenaux chimiques et de nouvelles inspections d’ici la mi-novembre. Pour que la Convention ait une portée universelle, il faut contraindre les six autres États à la ratifier et l’ensemble des signataires à appliquer les clauses de non fabrication et de destruction des stocks existants. Tous les efforts di-
plomatiques de la France et des autres pays doivent tendre vers cet objectif, vital pour l’humanité. Jean-Paul Vienne et Raoul Alonso Sources : • Revue ‘‘Hérodote’’ : La guerre chimique (5 septembre 2013) • Paul Quilès : ‘‘Menace chimique : Comment contraindre Damas à désarmer ?’’ (Marianne - 10 septembre 2013) • La Grande Guerre chimique 1914/1918 - thèse d’Olivier L’épic (PUF, Histoires)
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Les accords et traités
Les leçons de l’Histoire
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Réception par le Secrétaire général de l'Onu du rapport sur les armes chimiques utilisées en Syrie. 15 septembre 2013
La Convention sur les armes chimiques a fait l’objet de 20 ans de négociations pour aboutir. Il est utile de comprendre pourquoi un tel traité était nécessaire et quelles en ont été les étapes depuis des siècles.
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l’instar des autres armes de destruction massive, la communauté internationale a longtemps cherché à se prémunir contre l’utilisation militaire des produits chimiques. Le premier accord international remonte à 1675 et fut signé à Strasbourg par l’Allemagne et la France. Ce traité visait à interdire l’utilisation de balles empoisonnées. Dans le cadre d’un traité concernant les lois et coutumes de la guerre, la Convention de Bruxelles interdit en 1874 l'emploi de poison ou d'armes empoisonnées et l'emploi d'armes, de projectiles ou de matériel causant des souffrances inutiles. Cet accord fut complété en 1899 par un accord interdisant l'emploi de projectiles chargés de gaz toxique, accord signé lors d’une conférence internationale de la paix à La Haye. Malgré ces accords, la première guerre mondiale fût le théâtre des premières utilisations massives d’agents chimiques sur les champs de bataille. Une prise de conscience mondiale du risque que faisaient courir ces armes, tant pour les militaires que pour les populations civiles, a conduit la communauté internationale à redoubler d’efforts pour interdire l'emploi des armes chimiques. L’aboutissement de ces réflexions fut la signature du Protocole de Genève de 1925 concernant la prohibition d'emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques. Cependant ce Protocole souffrait de véritables lacunes : les interdictions se limitaient à l’emploi d'armes chimiques et bactériologiques. Il n'était absolument pas interdit de mettre au point, de fabriquer ou de posséder de telles armes. De plus la volonté des pays signataires d’interdire complètement les armes chimiques n’était pas totale : de nombreux pays signèrent le Protocole avec des réserves leur permettant d'utiliser des armes chimiques contre des pays n'ayant pas adhéré au Protocole ou de riposter de la même manière en cas d'attaque à l'arme chimique. L’évolution des mentalités et l’apparition de nouvelles armes de destruction massive aboutit, en 1971,
à la négociation par le Comité des dix-huit puissances sur le désarmement (devenu depuis la Conférence du désarmement) du texte de la Convention sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques (biologiques) ou à toxines, communément appelée la Convention sur l'interdiction des armes biologiques. Ce traité interdisait aux États parties de mettre au point, de fabriquer ou de posséder des armes biologiques, mais ne prévoyait aucun mécanisme permettant de vérifier le respect de ces interdictions par les États parties. La Convention prévoyait également que les pays signataires s'engageaient à négocier un traité international interdisant les armes chimiques. Après le « dégel » de 1988, de nombreuses négociations ont lieu à Genève pour obtenir la signature d'un traité d'élimination et d'interdiction crédible. A la Conférence de Paris (du 7 au 11 janvier 1989), les négociations de la Conférence du désarmement sont relancées et accélérées. Le 3 septembre 1992, le comité spécial a soumis à la Conférence du désarmement le texte de la Convention sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l'emploi des armes chimiques et leur destruction, plus communément appelée la Convention sur l'interdiction des armes chimiques. Cette Convention, qui inclut pour la première fois un régime de vérification, a été ouverte à la signature à Paris le 13 janvier 1993. Elle fut par la suite déposée auprès du Secrétaire général de l'Organisation des Nations unies, à New York. D'après les termes de la Convention sur les armes chimiques, celle-ci entre en vigueur les cent quatre-vingtième jours qui suivent la date de dépôt du soixante-cinquième instrument de ratification. Fin 1996, la Hongrie devenait le 65ème pays à ratifier la Convention et le 29 avril 1997, avec 87 États parties, la Convention sur l'interdiction des armes chimiques entrait en vigueur et acquérait force exécutoire au regard du droit international. Sources Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire
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Destruction des armes chimiques
Le casse-tête syrien Les États-Unis et la Russie sont confrontés à des obstacles importants dans la mise en œuvre de l’accord sur les armes chimiques de la Syrie. Leur destruction doit suivre les principes et méthodes des obligations de la Convention sur les armes chimiques. Cela est-il possible dans un pays en guerre ?
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elon les dispositions de la Convention sur les armes chimiques (CAC), un État Partie peut choisir et appliquer les méthodes de destruction appropriées pour ses armes chimiques. Toutefois, il convient de noter que, dans le processus de destruction des armes chimiques, le déversement dans un plan d'eau, enfouissement ou combustion à ciel ouvert ne sont pas autorisés en vertu des dispositions de la CAC. Il existe aujourd’hui deux technologies de destruction d'armes chimiques : l’incinération et la neutralisation par injection d’agents chimiques (hydrolyse). Ces technologies nécessitent des équipements sophistiqués. Les substances doivent être détruites dans des infrastructures construites spécifiquement sur place et doivent être sécurisées et respecter l’environnement. Il faut des années pour mettre au point ces équipements, les tests et les ajustements peuvent prendre des années également, ensuite la destruction des agents toxiques peut prendre trois ans au moins. A titre de comparaison, les USA ont détruit 90% de leur arsenal. Sur les 10% restant, 8% seront détruits en 2019 en utilisant un procédé biotechnique, et 2% seront neutralisés par ce que les Américains appellent « l'oxydation hydrothermale supercritique » d’ici à 2023. Presque trente ans pour éliminer leurs armes chimiques et cela leur a coûté près de 35 milliards de dollars en 20 ans. Les États Unis possédaient 30.000 tonnes, la Russie, 40.000. Ils ont commencé à détruire leur arsenal chimique à la fin des années 90. Aujourd’hui, ce processus n’est toujours pas fini. L’accord conclu par les ministères des Affaires étrangères russe et américain appelle à la destruction de toutes les armes chimiques de la Syrie en neuf mois. Comment respecter ce délai ?
Des garçons jouent autour d’un tank détruit de l’armée syrienne au nord-ouest d’Alep
Le plan visant à mettre les stocks d'armes chimiques de la Syrie sous contrôle international devra faire face à d'immenses défis - sans aucune garantie que le président Bachar al-Assad remette tout son arsenal aux inspecteurs, trouver une façon de détruire les toxines mortelles au milieu d'une société où la guerre civile fait rage. Les armes chimiques de la Syrie sont estimées à 1.000 tonnes. Il s’agit principalement du gaz sarin, de VX et de gaz moutarde, ou ypérite, un composé asphyxiant utilisé lors de la Première Guerre mondiale, les stocks les plus importants du Moyen-Orient. Leur destruction ne sera pas simple. Le président Assad devra donner le détail de son stock pour la première fois, établir un plan d’élimination des armes et des équipements de production. Avant que le stock ne soit contrôlé, il faudra réaliser l’inventaire. En cas de coopération d’Assad, les inspecteurs, à condition qu’ils acceptent de se rendre dans une zone de combat, devraient parcourir toutes les parties du territoire tenues par l’armée régulière, il leur faudrait des mois pour tout inventorier. La Syrie n’ayant pas les infrastructures pour détruire ses armes chimiques, Il faudrait les construire.
Cela demandera des années. Les transférer vers un autre pays ? Les agents chimiques sont trop vulnérables pour être déplacés sur n’importe quelle distance sauf dans des conditions extrêmement stables. Même dans les installations robotiques américaines, les munitions sont déplacées à raison de 3 ou 4 km/heure. Reste la solution de l’utilisation d’unités mobiles de destruction qui peuvent être en place rapidement. Mais comment mettre en œuvre un tel processus en zone de guerre ? Ce serait une grosse opération, il faudra donc un cessez-le- feu entre les factions belligérantes pour permettre ce genre d’opération. Le maintien des armes en place et essayer de les démonter au milieu d'une guerre civile serait très dangereux. Des voix suggèrent de transporter les armes syriennes et de les détruire dans des structures existantes. La Convention sur les armes chimiques qui interdit le « transfert, directement ou indirectement, des armes chimiques à qui que ce soit », aurait à faire une exception à ses règles pour permettre que de telles armes soient retirées de la Syrie. Nadia Dorny-Bennad N° 585 - Octobre 2013 - Planète PAIX
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RÉFÉRENCE Les gaz les plus répandus Le gaz sarin Incolore, sans goût et quasiment inodore, le sarin pénètre dans le corps par voie respiratoire ou contact avec la peau. La dose létale est de 50 milligrammes pour un adulte. Ce gaz provoque l’étouffement en dix minutes à peine. Le sarin peut être diffusé dans les airs, mais il peut aussi servir à empoisonner l’eau ou la nourriture. Des vêtements entrés en contact avec des vapeurs de sarin de façon continue peuvent contaminer d’autres personnes pendant encore une demi-heure après l’exposition. Le sarin a été développé en Allemagne en 1938 en tant que pesticide, mais il s'est avéré beaucoup plus meurtrier. Produit comme une arme militaire, il n'a jamais été utilisé par les Allemands.
Le gaz moutarde Visqueux et jaunâtre, l’ypérite a été utilisé pour la première fois lors de la Première Guerre mondiale. Il peut tuer mais sa principale fonction est d’être fortement immobilisant. Il aurait été mis au point vers 1860. Il tient son nom d’une forme impure du produit chimique ayant l’odeur de moutarde. Il est aussi appelé Ypérite, en référence à la ville d’Ypres, en Belgique, où il fut pour la première fois utilisé au combat le 11 juillet 1917. Cinq variantes du gaz moutarde existent. Toutes incolores et inodores. Le gaz moutarde pénètre dans la peau en 3 à 5 minutes. Il attaque les voies respiratoires et provoque de graves brûlures chimiques des yeux et de l’épiderme. Il reste plusieurs jours dans l’environnement. Le Gaz VX Dix fois plus mortel que le sarin, le gaz VX a été inventé dans un centre de recherche britannique en 1952. Incolore, son mode d’absorption est le même que pour le sarin, à savoir l’inhalation ou le contact cutané. Sa production, son stockage et son emploi sont interdits depuis 1997 par la convention internationale sur les armes chimiques. Il provoque la mort en s’attaquant au système nerveux. La dose létale est de 10 milligrammes par minute et par mètre cubes.
Le gaz tabun Comme le sarin, le tabun est un gaz neurotoxique dangereux par inhalation ou contact épidermique. Il se présente sous la forme d’un liquide incolore ou brun selon son degré de pureté et a une odeur légèrement fruitée. Le tabun s’attaque au système nerveux et respiratoire. C’est la paralysie du système respiratoire et le resserrement des bronches qui provoquent la mort en l’espace d’une vingtaine de minutes. Il reste plusieurs jours dans l’environnement. Le cyanide Le cyanure d’hydrogène est un agent hémotoxique qui bloque l’absorption d’oxygène dans le sang et entraîne la mort par asphyxie. Incolore et fortement volatile, il pénètre dans le corps par inhalation ou contact avec la peau. Il a notamment été utilisé sous sa forme gazeuse dans les chambres à gaz des camps d’extermination nazis. 16
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L’utilisation des armes chimiques : les atrocités aériennes • 1915 : l’Allemagne est le premier pays à utiliser des gaz toxiques lors de la deuxième bataille d'Ypres (6000 morts) • 1915-1918 : du gaz est déployé par les forces allemandes et alliées (90.000 morts) • 1935 : l’Italie utilise le gaz moutarde en Éthiopie (15.000 morts) • 1937-1945 : le Japon utilise différents gaz en Chine (le nombre de morts n’est pas connu, mais il y a eu plus de 2000 attaques). • 1962-1967 : les États Unis emploient des herbicides et le gaz lacrymogène au Vietnam, considéré par certains comme une infraction au protocole de Genève. • 1980-1988 : - la secte AumShinrikyo lance du gaz sarin lors d’une attaque du métro de Tokyo (13 morts). - Le régime irakien de Saddam Hussein utilise les armes chimiques contre les Kurdes irakiens dans la ville de Halabja, (environ 5000 personnes), puis contre les troupes iraniennes vers la fin de la guerre Iran- Irak. • 2013 : le peuple syrien est attaqué avec des armes chimiques (1000 morts).
On peut agir sur les causes des guerres et des violences… … surtout si on les connaît
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MONDIALISER LA PAIX Syrie
Organiser l’aide humanitaire La résolution prévoyant l’élimination des armes chimiques et un processus de paix vient d’être adoptée par l’Onu. Si elle suscite un grand espoir de voir enfin cesser le calvaire de la population syrienne,
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ans la confusion qui règne actuellement en Syrie, l’aide humanitaire manque cruellement. L’aide humanitaire est largement insuffisante. Le gouvernement syrien limite fortement l’accès des organisations internationales en Syrie. L’insécurité et la violence compliquent la distribution de l’aide. Quelques organisations humanitaires et des réseaux d’activistes apportent de l’aide de façon clandestine ou à travers les frontières avec les pays avoisinants. Dans une tribune de Médecins sans frontières, des médecins dénoncent le fait que l’essentiel de l'aide humanitaire internationale, celle des Nations Unies et du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), transite par Damas et est distribuée selon le bon vouloir du régime qui interdit l'acheminement de toute assistance en zones rebelles soumises à des bombardements intensifs. Les témoignages qui nous arrivent sont terribles et de nombreuses associations se sont créées pour apporter leur solidarité à la société civile.
Le CODSSY1 est l’une d’entre elles. L’association a été créée en 2012 à l’initiative du CSPS2, organisme à vocation humanitaire regroupant 38 organisations françaises. Nous avons rencontré Fathia, une de ses porte-paroles, très amère sur le peu d’aide internationale apportée à la résistance, démocratique et pacifique qui était née en 2011. Elle dénonce comme MSF, le fait que l’aide des Nations unies passe par le canal des structures du régime de Bachar Al Assad. Elle pense que celui-ci ne veut pas la négociation et que c’est la menace de l’intervention militaire qui a fait bouger les choses.
Planète Paix : Pourquoi cette association ? Fathia : Nous essayons de construire des projets concrets en particulier dans les zones « libérées », qui ne sont plus sous le contrôle du régime, où l’aide humanitaire ne peut pas parvenir. Nous ne travaillons qu’avec des partenaires de la société civile qui est complètement lâchée. Sur le terrain, il existe des réseaux laïques, des comités populaires
elle ne permet pas dans l’immédiat d‘améliorer sa situation.
EN SAVOIR PLUS • http://codssy.org 18
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Le camp de Syriens de déplacés dans le village d’Atma au nord du pays
« La Caravane » se consacre aux travaux de divertissement, de formation et d’éducation des enfants des « déracinés » de la ville de Saraqueb et de ses environs.
locaux travaillant pour l’éducation, l’humanitaire. Pour le financement, nous faisons appel aux dons des particuliers, des associations partenaires. Des groupes locaux se sont créés dans le 14ème arrdt de Paris, à Vitry, Malakoff, Rouen. Le syndicat Solidaires a financé le projet de « la caravane magique ». Un partenariat est en train de se monter avec le CCFD3. Il n’y a pas d’aide des grandes organisations et pas de travail avec le Croissant rouge qui passe par le gouvernement. Il y a eu un peu d’aide de la France.
multiconfessionnelle. Tout le monde s’est mis ensemble. Des professeurs recommencent à donner des cours. Nous essayons de scolariser les enfants. Nous avons en projet un centre de soutien psychologique pour les enfants dans le camp de réfugiés du Liban.
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lucratif, indépendante, non-partisane et non-gouvernementale, http://codssy.org/?p=1662 2
CSPS collectif de secours à la population syrienne créé
en 2011. 3
Propos recueillis par Nicole Bouexel
Collectif du développement et du secours syrien. Le
CODSSY est une association humanitaire à but non-
CCFD Comité catholique contre la faim et pour
le développement
PP : Quels sont vos réalisations, vos projets ? Fathia : Nous avons conçu des projets pour la création de boulangeries artisanales en finançant l’achat de fours à pain traditionnels, de farine, pour fournir de nouveau du pain à la population après la destruction de boulangeries industrielles par les bombardements. Certains de ces micro-projets peu coûteux ont été mis en place dans des quartiers de Damas. La caravane de la liberté, la « caravane magique » se déplace dans une zone à l’Est de la Syrie avec des artistes et enseignants et organise des activités pour les enfants déscolarisés. Nous avons aussi réalisé un projet pour une école primaire
L’accueil des réfugiés syriens au Moyen-Orient N° 585 - Octobre 2013 - Planète PAIX
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MONDIALISER LA PAIX Les richesses culturelles et historiques
La musique plus forte que la barbarie !
«
Festival Musique au desert, à côté de Tambouctou, Mali 2012
Face à l’instabilité, les conflits, la musique sert de profond vecteur d’unification culturelle. Elle joue un grand rôle dans le maintien de la paix et pour rassembler les peuples. De nombreuses populations luttent pour garder la musique en vie tel l’exemple du Mali et de l’Afghanistan. 20
N° 585 - Octobre 2013 - Planète PAIX
La musique adoucit les mœurs » c’est un lieu commun pour nous… Les groupes extrémistes islamistes qui veulent appliquer la Charia ne s’y trompent pas. L’interdiction de la musique et de la culture est une constante des régimes qu’ils prétendent instaurer. Ils l’appliquent à la lettre, punissant cruellement les contrevenants et détruisant les instruments de musique, vouant ainsi la population à la tristesse… Au Mali et en Afghanistan la musique a triomphé de ces injonctions. En Afghanistan un grand concert a eu lieu cet été dans un lieu hautement symbolique : la plaine de Bamyan, là où, en 2001, les talibans avaient détruit les grands bouddhas, datant de plus de 15 siècles, vestiges d’un centre religieux prestigieux durant le premier millénaire de notre ère... Au Mali, le festival « Musique au désert », interrompu par la guerre en 2013, va avoir lieu à Tombouctou en 2014. Ce festival a lieu chaque année depuis 2001 à Essakane aux environs de Tombouctou avec la participation de grands musiciens maliens1, africains et internationaux. Depuis 2012, la population du nord du Mali a vécu une période noire lorsque des rebelles touaregs, avec des groupes armés de l’AQMI2 se réclamant d’un islam extrémiste, ont pris le pouvoir, et se sont livrés à des exactions criminelles au nom de la Charia. Dans ce pays où la musique fait partie de la vie de tous les jours, les instruments de musique ont été brulés ! En janvier 2012, malgré le danger, le festival s’est tenu à Tombouctou avec plusieurs milliers de personnes bravant les menaces d’assassinat et d’enlèvements et affirmant clairement leur engagement contre le
terrorisme. La participation du chanteur Bono du groupe U2 lançant à la foule « nous sommes tous des frères ici ! » a créé l’évènement. En 2013, la tenue du festival dans la zone où se déroulaient les combats, n’a pas été possible. Mais, en février, la « Caravane des artistes pour la paix et l’unité nationale » a été organisée. Elle a traversé le Mali, le Burkina Faso, le Niger… Un festival alternatif a aussi eu lieu à Florence en juillet 2013. Le festival 2014 est d’ores et déjà programmé en janvier. En Afghanistan, la musique a été interdite pendant toute la période sinistre où les mollahs ont été au pouvoir à partir de 1994. Si la vie courante s’est sans nul doute améliorée, les talibans ont encore du pouvoir et tentent toujours de faire régner la terreur de leurs lois mortifères, malgré 10 ans de guerre occidentale censée apporter sécurité et démocratie au peuple afghan. En août 2013, Aryana Sayeed, se produisant avec d’autres artistes afghans, a été la vedette d’un grand concert organisé avec le concours de l’Onu devant les niches vides des bouddhas à Bamyan. Aryana est une chanteuse très connue dans le pays, star de la télévision, elle incarne la résistance aux talibans avec un grand courage. Elle a fait des études à l’étranger et a vécu longtemps loin de son pays. Mais maintenant, elle y revient, décidée à apporter l’espoir aux femmes de son pays. Elle vit à visage découvert, refusant la burqa qui cacherait sa beauté. Certains de ses concerts sont réservés aux femmes qui ont toujours des difficultés pour être mêlées aux hommes dans le public ! Les mollahs avaient demandé l’annulation du concert de Bamiyan. Perdu ! Aryana, superbe princesse dans sa longue robe rouge traditionnelle, est venue quand même, accompagnée d’une escorte armée. Les spectateurs ont aussi bravé les menaces des talibans : 5000 personnes, dont des femmes, pour l’acclamer. Magnifique message de paix et d’espoir que ce concert qui, espérons-le, sera suivi par beaucoup d’autres, à Bamiyan ou ailleurs... Nicole Bouexel 1
Parmi les créateurs du festival, le grand guitariste malien
mondialement connu Ali Farka Toure décédé en 2006 2
Al Qaida au Maghreb islamique
HISTOIRE Bertha von Suttner
L’arme atomique selon la pacifiste Bertha von Suttner (18431914), a été une figure de proue du mouvement pacifiste à la fin du XIXème siècle en Europe. Elle avait encouragé son ami Alfred Nobel à créer le Nobel de la Paix. Son approche était visionnaire. Elle avait prédit la Première Guerre mondiale, ses millions de morts, et la fabrication de la bombe atomique.
e viens de faire une découverte à l’occasion d’une exposition qui fut consacrée à Bertha von Suttner à l’Université de Düsseldorf (Allemagne). J’avais toujours cru, jusque là, que l’idée de la possibilité technique d’une bombe atomique remontait à la fin des années 30, Frédéric Joliot-Curie, ayant été l’un des premiers à la formuler, au demeurant de façon très abstraite. Et bien, à nouveau, il faut en revenir aux extraordinaires facultés visionnaires de Bertha von Suttner (lesquelles ne devaient rien à des dons de Pythie, mais seulement à l’actualité et la précision de ses informations scientifiques et politiques, ainsi qu’à son intelligence qui lui permettait toutes les déductions techniques possibles). C’est ainsi qu’elle put envisager, dès 1890, presque jusque dans les moindres détails, le déroulement de la Première Guerre mondiale, en durée, en intensité, en quantifier les pertes à l’avance, en prévoir les conséquences sociales, politiques et économiques. C’est ainsi qu’elle put aussi annoncer la montée des fascismes (des dictatures, disait-elle), des persécutions racistes qui déboucheraient sur une autre guerre mondiale, encore plus effroyable que la première. Mais j’ignorais encore qu’elle vit venir l’arme atomique. C’est dans l’un de ses derniers ouvrages « Les hautes pensées de l’Humanité », paru en 1911 qu’elle
décrit ainsi le potentiel de destruction contenu dans le radium tel qu’il pourrait être mis en œuvre dans un conflit et mener à l’anéantissement total : « Il est ainsi placé dans nos mains un pouvoir pour lequel il nous manque encore la capacité d’appréhension. Nous avons à notre disposition un potentiel d’énergie qui peut multiplier par un facteur cent, un facteur mille, un facteur cent mille toute force de travail. […] On a inventé le condensateur à radium. C’est désormais un jeu d’enfant que de détruire les flottes et les armées ennemies en quelques minutes avec des faisceaux de rayons de radium jetés à hauteur de nuages. Et réciproquement. Quarante huit heures après « l’ouverture des hostilités » (comme on dit), les deux parties belligérantes pourraient bien s’être vaincues l’une l’autre, et ne plus rien laisser debout et plus rien de vivant dans le pays ennemi » (p. 395 de l’édition originale). On sait qu’elle suivait de très près l’actualité scientifique et était parfaitement au courant des travaux de Marie Curie (qu’elle admirait beaucoup). En 1912, elle publiait une brochure « La barbarisation de l’air » qui annonçait la guerre aérienne. à méditer. Jean-Paul Vienne
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CULTURE L’agenda 2014 du Mouvement de la Paix
Petit format et place aux Grands
L
a surprise se lit immédiatement sur le visage de la personne qui prend l’agenda dans ses mains : c’est un beau produit ; le portrait stylisé de Jean Jaurès est agréable à regarder et les spirales rouges apportent ce petit rien d’élégance harmonieuse à l’ensemble. Et en le feuilletant, en prenant le temps de le découvrir, de regarder les illustrations de chaque semaine « nous cheminons aux côtés des pacifistes du début du 20ème siècle qui ont œuvré tout au long de leur existence pour un monde de paix et de solidarité » comme l’écrit la Rédaction en page 1. Alors ne boudons pas notre plaisir et remercions les concepteurs d’avoir aussi fait figurer Victor Hugo « la guerre est mise en accusation » dira-t-il en 1878 à la mort de Voltaire. Les deux grands défenseurs de la Paix qui travaillèrent ensemble, Jean Jaurès et Bertha Von Suttner débutent et terminent la galerie de portraits : Bertha morte d’épuisement en juin 1914 et Jaurès assassiné, la guerre pouvait commencer… La liste n’est pas exhaustive (il manque notamment Rosa Luxembourg) mais elle permet de montrer le courage et le chemine-
Graphe de Kalouf sur un transformateur EDF, Guérigny (58)
ment de quelques militants pacifistes comme Henri Barbusse, pourtant engagé volontaire à 41 ans dans l’infanterie, auteur du célèbre roman « Le Feu » en 1916 et cofondateur de l’ARAC1 en 1917. Initiatrice de la Journée internationale des Femmes pour leurs droits, Clara Zetkin fit des séjours en prison à cause de ses prises de position contre la guerre. Écrivain reconnu, influent et riche, Anatole France participa à la LDH2 dès sa fondation et dénonça les guerres et la violence.
Théodore Ruyssen, philosophe, présida pendant 50 ans l’association de la Paix par le Droit et en 1913, prononça des discours pour le rapprochement franco allemand, ce qui déchaîna une violente campagne de presse contre lui, à l’instar de celle subie par Jean Jaurès. Pour nous, berrichons, un sentiment de justice nous envahit avec la page consacrée à Louis Lecoin né à Saint Amand Montrond dans le Cher qui passa 12 années de sa vie en prison pour avoir dit non à la guerre. Ces quelques portraits nous donnent envie de chercher, dans les archives départementales notamment celles des Bourses du Travail alors récemment ouvertes, les engagements d’hommes et de femmes moins illustres qui ne voulaient pas la guerre en 1914, qui ne partaient pas « la fleur au fusil » comme veulent nous le laisser supposer les cérémonies officielles du centenaire de la guerre 14/18 qui se préparent. L’agenda 2014 est un outil pouvant contribuer à motiver pour populariser une image plus réaliste de cette époque. Annie Frison ¹ Association Républicaine des anciens combattants
Détail de la fresque du collège Jean Jaurès de Saint-Vit (25) réalisée en 2012 par les graffeurs de l’association Couleurs de Rue.
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et victimes de guerre ² Ligue des Droits de l’Homme
CULTURE Film
‘‘Depuis que je suis né’’
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EN SAVOIR PLUS • www.depuis-que-je-suis-ne.com/?page_id=26 • La sortie en salle du film de Laura della Piane est prévue en mars
amer, un gamin de 11 ans n’a pas de chance. Il est né en Palestine dans un camp de réfugiés. Dans son univers, il y a trop de murs, de barbelés. Tamer joue à l’Intifada avec ses copains mais il rêve de « s’échapper du camp pour voir la grande mer » la Méditerranée, à 40 km, rendue inaccessible par le mur… « Depuis que je suis né » raconte l’histoire de cet enfant et de sa famille. Son père, Nacer, a été résistant et a fait de la prison à l’âge de 15 ans. Il veut que son fils ait une autre enfance que lui, fasse des études. Pour lui maintenant, la résistance ce n’est plus la violence, mais simplement la vie dans son pays avec sa famille. Et il veut réaliser le rêve de son fils. Laura della Piane, jeune réalisatrice de 30 ans a déjà à son actif plusieurs documentaires. Elle a fait la rencontre - décisive pour elle - de Tamer dans le camp de Deisheh. Depuis, elle a consacré tout son temps, son énergie, pour tourner son histoire. Pour elle c’est sa première œuvre véritablement personnelle. « Je
prends ma caméra et tout part de la nécessité de raconter » dit-elle… Elle veut nous « entrainer dans une histoire » et faire un film qui soit beau, qui « sublime le réel », on entre en effet dans le quotidien de la famille « On a vécu avec eux et ils ont participé à la réalisation » nous confie Laura. Pas de dialogue écrit « On parlait, je proposais un sujet et je filmais. » Il en résulte un film sensible et poignant, centré sur Tamer, si attachant, le regard parfois lointain, fixé sur son rêve d’évasion. Laura ne se considère pas comme une militante, elle n’a pas d’analyse politique. Elle nous fait ressentir toute la grisaille des murs, la sensation d’enfermement de cette famille, son quotidien de patience, de courage, la vie, difficile, mais éclairée par l’inébranlable espoir qui habite tous les Palestiniens depuis 60 ans. Nicole Bouexel
BD/documentaire
Gitanie, Carnet de voyage
A
lors que les relents « anti-roms » nous reviennent de tous bords telle une litanie, ce documentaire nous offre un agréable voyage au cœur de la « Gitanie ». Il s’attache à déconstruire quelques préjugés sans créer une image idéalisée. Il nous donne à comprendre l’histoire, la culture des Gitans. Manouches, Yeniches, Roms, Tsiganes, les nomades pensent que la terre est à tout le monde et qu’ils peuvent y voyager partout, alors que les sédentaires considèrent que la terre doit toujours appartenir à quelqu’un. Face au constat que le monde entier est parcouru de Tsiganes, et que ceux-ci sont mis à l’écart et victimes de discrimination, auteurs et illustrateurs ont rivalisé d’imagination pour nous faire découvrir leur quotidien. L’illustration, mixant photographies et dessins,
complète avec humour et quelquefois un peu de malice, le cheminement d’Emmanuel Garcia. Après un retour sur l’histoire, le lecteur appréhende les formalités administratives, le rapport à l’éducation, au travail, à la religion et le sens de la vie communautaire. Tout au long de l’ouvrage, un petit dictionnaire est essaimé pour que la connaissance fasse progressivement place à la compréhension et la reconnaissance. En bouclant le documentaire sur un volet « culture », le lecteur est aspiré dans une dynamique inclusive et valorisante. Un bel ouvrage, à lire dès 8/10 ans, édité par une petite maison d’édition régionale, « Mama Jossefa », agrémenté d’un poster / Nouvelle de Didier Daeninckx. Jeannick Leprêtre
EN SAVOIR PLUS Édition Mama Jossefa N° 585 - Octobre 2013 - Planète PAIX
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