Quelle citoyennete pour les minorites

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Mohamed ben Moussa ‘’Justice transitionnelle, droits humains et réconciliation’’ –– Tunis du 12 au 15 juin 2015

Quelle citoyenneté pour les minorités ?

1.

INTRODUCTION...................................................................................................................... 2

2.

QUELLE CITOYENNETE POUR LES MINORITES ? .................................................................. 2 a) Evolution du sens donné à citoyenneté ..................................................................................... 2 b) Sens donné à minorité ............................................................................................................... 4 c) Qu’en est-il de la réalité tunisienne ? ....................................................................................... 4 d) Janus-faced ............................................................................................................................... 5

3.

MATURATION COLLECTIVE ET CULTURE DE LA COEXISTENCE .......................................... 5 a) Le principe d’unité de l’humanité / Unité de la société – le dilemme de l’altérité –– nous (vs) eux 6 b) Quelle culture pour la coexistence ? ....................................................................................... 6

4.

CONCLUSION : ....................................................................................................................... 7

5.

TRAVAUX CITES..................................................................................................................... 8


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1. Introduction Soulignons de prime abord, que, dans la constitution du 26 janvier 2014, l’effort accompli en matière de respect des droits de l’homme est dignes d’éloges. Il n’empêche que beaucoup d’avancées restent à réaliser. Pour ce faire, et afin d’orienter les améliorations pouvant être apportées, interrogeons et pesons cette constitution à l’aune de la citoyenneté. Evaluon-la aussi sur le plan des droits accordés aux minorités. Nous soulignons avec Carens J. (The Ethics of Immigration, 2013) que la plupart des gens s’accorderaient à dire qu’il est moralement et éthiquement inconvenant de priver un individu de son appartenance à sa communauté nationale en le privant de son droit de cité. Et pourtant, c’est ce que vivent beaucoup de minorités en Tunisie qui ne sont pas reconnues, n’ont ni statut légal, ni droit au plaidoyer. Mais l’heure n’est pas aux revendications partisanes, elle est à la construction. Il s’agit de diagnostiquer le dysfonctionnement et d’apporter sa contribution à la solution.

2. Quelle citoyenneté pour les minorités ? Nous allons voir tout le long de ce papier, que nous sommes au cœur d’un débat profond indispensable sur la citoyenneté. Nous dirons même, que ce qui est mise à l’épreuve est quelque part l’ordre social, juridique et moral de notre société. Avant de tenter une réflexion sur « quelle citoyenneté pour les minorités », une question s’impose : quel sens donner à la citoyenneté ?

a) Evolution du sens donné à citoyenneté 

À Athènes, une femme ne peut être citoyenne parce qu'elle reste mineure toute sa vie ; ni même les étrangers et les esclaves d’ailleurs.

À l'origine, le droit de cité, c’est-à-dire la reconnaissance de la citoyenneté, est réservé aux hommes libres inscrits dans les tribus de la ville de Rome et de son territoire limitrophe. Après il est étendu à tous les hommes libres d'Italie ; trois siècles après il est accordé à tous les hommes libres de l'Empire romain.

A Médine, à travers le doustour de Médine, une multi-religiosité est envisagée.

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Bien évidemment, à l’époque contemporaine –– la théorie de la complexité oblige, flux migratoire, déclarations des droits de l’Homme, égalité homme femme, Convention des Droits de l’Enfant, –– moult définitions, tant en sciences sociales que politiques ont été avancées ; et les annales en regorgent. Par exemple :  Jayal Niraja G. (Citizenship and its Discontents : an Indian History, 2013), nous explique que la conception contemporaine de la citoyenneté –– comme mode d’organisation entres individus, société et institutions –– est le fruit de l’interaction du nationalisme, de la démocratie et de l’Etat moderne ;  À nos yeux, la citoyenneté est cette relation et ce liant qui rattache l’individu, verticalement à son Etat, et horizontalement à sa communauté nationale à travers une appartenance et une identité commune ;  C’est selon Smith Rogers ("Citizenship and the politics of people building", 2001) aussi le fait pour un individu ou pour un groupe, d'être reconnu officiellement comme citoyen, et d’avoir un droit de cité. À un niveau basique, cela correspondrait à une adhésion (Membership) à une « communauté politique » ;  Partout dans le monde, y compris dans les états démocrates, et en dépit des droits accordés aux citoyens, où égalité et justice pour tous ont pu gagner du terrain, beaucoup reste à faire, en témoignent les incidents et les exactions par-ci et par-là dans beaucoup de contrées du monde. Il n’empêche, que selon Marshall Thomas, une expansion des droits a été couronnée d’avancée en matière de justice tentant de transcender les privilèges de classes, de races, de religion et de sexe, afin atteindre plus de droits pour tous les concitoyens (Citizenship and Social Class., 1950 [1963]) ; Il serait intéressant alors d’assoir un cadre conceptuel à la citoyenneté, et de profiter du

cadre théorique marqué d’avancées en sciences sociales et politiques contemporaines. Il est clair que selon Marshall Thomas (Citizenship and Social Class., 1950 [1963]) –– au vu du développement du sens contemporain de la citoyenneté –– la tendance est qu’elle devienne de plus en plus universelle, en tout cas garantissant plus d’égalité pour tous les concitoyens.

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b) Sens donné à minorité Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), une minorité est : « Un groupe numériquement inférieur au reste de la population d’un État, en position non dominante, dont les membres – ressortissants de l’État − possèdent du point de vue ethnique, religieux ou linguistique des caractéristiques qui diffèrent de celles du reste de la population et manifestent même de façon implicite un sentiment de solidarité, à l’effet de préserver leur culture, leurs traditions, leur religion ou leur langue. » 1 Mais la question cruciale est : Avons-nous une sincère volonté de coexister, d’accepter les différences de l’autre, de partager et d’échanger avec lui ? Ne sommes-nous pas, quelque part, partisans de l’anecdote qui dit : qu’un chauffeur, se trouvant dans une situation de ne pas pouvoir freiner, aurait alors à choisir entre, tuer, en bout de parcours et s’il va tout de droit, 5 ouvriers ; sinon 1 seul s’il vire rapidement à droite. Que choisir ? Tuer cinq personnes ou tuer un seul. Quelle est la décision la plus juste ? Hélas, les minorités semblent être, à chaque fois, le maillon faible à sacrifier.

c) Qu’en est-il de la réalité tunisienne ? Rappelons que, dans les débats qui ont précédé à l’écriture de la constitution, certains députés2 ont voulu faire mention, noir sur blanc, des droits des minorités, mais ils ont été confrontés à une opposition farouche de la majorité qui, voyant que la citoyenneté est le garant de l’égalité pour tous, ont refusé toutes mentions de ces droits spécifiques. Il est clair, que derrière ce débat une certaine compréhension limitée de la citoyenneté et par là même de la justice est sous-jacente et cela en dépit de la reconnaissance de l’Etat tunisien des droits garantis par la Déclaration universelle des droits de l’homme, cautionnée par la communauté des nations et ratifiée par le gouvernement tunisien.

Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), Droits des minorités: Normes internationales et indications pour leur mise en œuvre. Nations Unies, New-York et Genève 2010. 2 Interview accordée à Khémais Ksilla, député de l’assemblée constituante. Voir le site : http://www.federalhotel-tunisie.com/fr/actualite/2141-pour-une-loi-protegeant-les-droits-des-minorites.htm. La députée Salma Baccar a parlé de sa peur à l’égard des minorités marginalisées et à qui on n’accorde pas un droit de parole. Voir lien http://fikraforum.org/?p=2458&lang=ar#.VXGZZs9_Oko. 1

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Pire encore, certains articles de la constitution marquent bel et bien cette volonté discriminatoire à l’égard des concitoyens. Les conséquences sont vécues au quotidien. Force est de constater que, dans la complexité de l’époque, nos anciennes conceptions, tant de l’Etat, que de la citoyenneté ne sont plus suffisantes comme le mentionne si bien Benhabib Seyla (Borders, boundaries, and Citizenship, 2005) dans sa citation suivante : « We are like travelers navigating an unknown terrain with help of old maps, drawn at different time, and in response to different needs »

d) Janus-faced Dans cette conception de la citoyenneté nous sommes, comme le dit Hampshire James (2013, p. 107), dans une logique « Janus-faced » ; inclusive pour certains citoyens et exclusive pour d’autres. Dans notre pays, les citoyens semblent ne pas être tous à pied d’égalité. Certains restent de seconde zone. Ces citoyens, bas de gamme, sont dignes que d’être sacrifiés au seuil d’une pseudo unité nationale, brandie assez souvent (vulnérable et en danger constant) mise, assez souvent, en exergue et présentée comme à la fois finalité et alibi légitimant toutes les exactions.

3. Maturation collective et culture de la coexistence A l’âge de la transition collective dans laquelle nous sommes, un autre concept clef serait de mise, celui de la maturation collective. En effet, cette maturation est le lot de tous, majorité et minorités confondues. Il est clair, qu’au-delà d’une justice transitionnelle, c’est un état de conscience qui est visé consistant, en symbiose avec l’air du temps. Force est de constater que, dans la complexité de notre époque, nos anciennes conceptions, tant de l’Etat, que de la citoyenneté ne sont plus suffisantes comme le mentionne si bien Benhabib Seyla (Borders, boundaries, and Citizenship, 2005) dans la citation suivante :

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« We are like travelers navigating an unknown terrain with help of old maps, drawn at different time, and in response to different needs »

a) Le principe d’unité de l’humanité / Unité de la société – le dilemme de l’altérité –– nous (vs) eux Il découle du diagnostic précédent que l’unité, en accord avec la justice pour tous n’existe pas au sein de notre société tunisienne. A nos yeux l’humanité (comme la société d’ailleurs), constitue un seul être et un seul individu. Il est bien évidemment clair, que ce concept n’est pas assumé par les sociétés contemporaines et leurs modes de fonctionnement qui ne cessent de cultiver l’individualisme, l’égocentrisme et les discriminations de toutes sortes. Si on analyse l’argument qui est assez couramment avancé afin de rejeter l’autre, on voit qu’il est rattaché à l’identité de soi-même. L’autre, cet inconnu qui nous fait assez souvent peur, présente un danger à notre bulle. Les identités brandies sont, en général, rattachées à des distinctions du genre, de race, de classe, de région, de religion, de profession, de corporation... Ces appartenances légitimes, sont toutes des constructions sociales et culturelles qui façonnent notre (ou nos) identité(s) et nos rapports aux autres. Ces identités sont à coup sur source de richesse ; mais risquent aussi de devenir, comme le dit si bien Amin Maalouf, des identités meurtrières. L’enjeu serait alors de considérer nos différences non point comme obstacle à aller vers l’autre mais plutôt un enrichissement mutuel. Dans ce sens, un dénominateur commun s’impose : c’est notre identité humaine qui va inévitablement nous rallier et nous souder. En effet, l’âme humaine n’a ni sexe, ni couleur, elle nous embrasse tous dans une même perspective. Finalement, l’ultime identité humaine est une ; elle est spirituelle.

b) Quelle culture pour la coexistence ? Il est clair que cette conception de la justice ne peut plaire à tout le monde et altère, inévitablement, le vivre ensemble. En conséquence, la réalisation de la coexistence au sein d’une société est tributaire de l’accomplissement d’une justice qui dépendrait d’une participation universelle et équitable de tous ses membres et de toutes ses structures. 6


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Force est de constater que, l’état actuel du pays et de ses déchirures démontre la difficulté d’assoir une coexistence qui rimerait avec justice sociale et citoyenneté ; en témoignent les discriminations que nous vivons à savoir : laïcité/religiosité, régionalisme, discrimination raciale, classes sociales… À l’heure de l’exclusion ou de la fracture sociale, beaucoup de disparités sont ressenties en matière de développement, de droits de l’homme, entre régions, citoyens, minorités, riches et pauvres… En conséquence, beaucoup de nos concitoyens se sentent marginalisés.

4. Conclusion : Nous sommes au cœur d’un débat profond indispensable sur la citoyenneté. Nous dirons même, que ce qui est mise à l’épreuve est, quelque part, l’ordre social, juridique et moral de notre société. C’est un carrefour décisionnel et comme ça été dit, un éveil de la conscience. Il est urgent et comme l’a fait dans sa « théorie de la justice » John RAWLS, reconsidérer « la justice » avec une conscience citoyenne. Ainsi, chaque individu sera une valeur en soi - pareillement chaque région, minorité, enfant, femme… Se situer à ce niveau-là nous engage à trouver un mode de vie non-sacrificiel qui n’assure pas le bien-être de certains par le malheur des autres. Il nous est clair, que, même si le plaidoyer et le revendicatif sont nécessaires, il n’empêche, qu’ils restent insuffisants si un état de conscience collectif citoyen ne suit pas. Pour ce faire, c’est au niveau de l’éducation des générations à venir, et l’abolissant les préjugés qu’on pourra prétendre mette les bases d’une société unie et sans discriminations. Pour conclure, nous disons avec Linda Bosniak (The Citizen and the Alien: Dilemmas of Contemporary Membership, 2008) que la citoyenneté est un tissage démocratique accompli collectivement et menant vers un processus de gouvernance démocratique, où tout un chacun est engagé activement dans la construction communautaire. Elle est inclusive ou elle ne l’est pas.

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5. Travaux cités

Benhabib, S. (2005). Borders, boundaries, and Citizenship. Political Science and Politics , pp. 673-677. Bosniak, L. (2008). The Citizen and the Alien: Dilemmas of Contemporary Membership. New Jesey: Priceton University Press. Carens, J. (2013). The Ethics of Immigration. Oxford University Press. Hampshire, J. (2013). The Politics of Immigration - contradictions of the liberal state. Polity. Jayal, N. G. (2013). Citizenship and its Discontents : an Indian History. Harvard University Press. Marshall, T. H. (1950 [1963]). Citizenship and Social Class. Cambridge. Smith, R. (2001). "Citizenship and the politics of poeple building". Citizenship Studies 5.1 , pp. 73-96.

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