La patrimonialisation des centres anciens

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LA PATRIMONIALISATION DES CENTRES ANCIENS Le cas de Nîmes, entre politique de l’image et autogestion du délaissement

Mémoire de fin d’étude présenté par Naomi Garay Sous la direction de Andrés Martinez - ENSAM 19/20



Mémoire de fin d’étude Cycle master 2 École Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier

LA PATRIMONIALISATION DES CENTRES ANCIENS Le cas de Nîmes, entre politique de l’image et autogestion du délaissement

présenté par

Naomi Garay

Soutenance le 21 janvier 2020

Membres du jury : Andrés MARTINEZ : Architecte et urbaniste, docteur en architecture. Maître de conférence en TPCAU à l’ENSAM Hélène GUERIN : Docteur en histoire de l’art contemporain. Maître de conférence en HCA à l’ENSAM Jean-Paul LAURENT : Architecte et ingénieur Maître de conférence en STA à l’ENSAM Ilaria AGOSTINI : Architecte, docteur en architecture. Maître de conférence HDR en Architecture et Urbanisme à l’Université de Bologne



Ce mémoire marque la fin de cinq années d’études riches en expérience. Il n’aurait été possible sans le soutien de mes proches et de mes enseignants qui ont su m’accompagner chacun à leur manière. Parmi ces personnes je souhaiterai remercier en particulier : Andrès Martinez qui a su m’accompagner tout au long de ce travail de recherche en m’offrant la possibilité d’en faire un travail personnel. Vincent Bouget, Cedric Crouzy, Janie Arneguy ainsi que l’ensemble des habitants qui m’ont offert leur témoignage afin de nourrir ma recherche de leur connaissance sur la ville de Nîmes et ses quartiers. Mes amis et ma famille qui sans s’en apercevoir ont été d’un soutien inconditionnel tout au long de ce travail. Enfin je tiens à remercier tout particulièrement Charles Claron pour ses nombreuses relectures ainsi qu’à sa présence dans les moments où j’en avais le plus besoin.



Avant-propos

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Introduction

1

I. La considération des centres anciens comme patrimoine

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1.1. La notion de centre ancien

7

1.2. Le centre ancien comme centre-ville

14

1.3. Une politique de revalorisation du centre

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II. La métamorphose du cœur de Nîmes

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2.1. Vers une modernité perpétuelle

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2.2. Des choix révélateurs pour promouvoir le centre ancien

49

2.3 Aujourd’hui, l’image de la ville au détriment de la vie locale ?

65

III. La patrimonialisation d’un quartier délaissé

75

3.1 Des quartiers patrimoniaux hors de l’intérêt politique

75

3.2 L’état actuel du quartier Gambetta

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3.3 Habitants et associations source de patrimonialisation du quartier

97

Conclusion

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Bibliographie :

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Table des figures :

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Glossaire :

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Annexes :

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Note d’observation

122

Retranscription des entretiens

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Cartographies / Images

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Avant-propos Le souvenir de mes années d’enfance est profondément marqué par deux villes où j’ai vécu et me suis épanouie. Chacune avec une identité et des caractères affirmés, mais deux villes bien différentes. Buenos Aires, où j’ai passé mes premières années et où je retourne souvent, est une ville contrastée : elle abrite une forte diversité d’influences architecturales d’où se dégage une impression de liberté. A Nîmes, où je m’installai quelques années plus tard et avec qui j’ai grandi, j’ai été frappée, au contraire, par le contrôle de l’esthétique urbaine. De manière plus générale, ma sensibilité m’a conduit à porter un regard critique sur la logique de conservation, quasiment obsessionnelle, de leurs identités qui anime la plupart des villes de France que j’ai côtoyé (principalement dans le sud). Par contraste avec l’audace architecturale que j’apprécie à Buenos Aires, j'ai souvent pensé que ce parti pris esthétique contraignait beaucoup la créativité architecturale et la possibilité de s’approprier l’espace urbain. Dès le début de ce travail de mémoire, mon attention s’est donc portée sur l’identité des villes françaises. Je me suis intéressée à la genèse des paysages urbains, et aux éléments éthiques et esthétiques qui construisent la ville et gouvernent son évolution. Ces premiers questionnements m’ont naturellement conduit à envisager la thématique du patrimoine. Car en effet les éléments patrimoniaux dressent la plupart du temps l’identité d’une ville et ce sont sur ces objets (bâtiments ou quartiers) que se concentrent les logiques de conservation que je viens d’évoquer. D’une certaine manière le patrimoine détermine fortement l’évolution esthétique et la métamorphose de nos villes en se plaçant comme symbole identitaire.
 Dès le départ, je me suis demandée comment questionner cette esthétique - due au conservatisme - qui harmonise les villes sans trop laisser sa place à l’identité de la société actuelle. Finalement pourquoi juge-t-on nécessaire de conserver le patrimoine urbain ? Obligeons-nous la société à se regarder dans le miroir du passé en lui imposant ce « devoir de mémoire » ? Enfin la conservation patrimoniale ne risque-t-elle pas d’actualiser un passé si présent qu’il n’y a déjà plus de futur possible ? La notion de patrimoine recouvre un large champ de définitions. L’aborder dans son entièreté aurait été difficile. Ici, cela m’a forcé à affiner mon sujet. Il m’a alors semblé que les centres historiques - considérés comme patrimoine majeur - sont les lieux même de l’interaction entre le patrimoine urbain et les modes de vie contemporains. Ce sont des lieux où s’articulent différentes temporalités : entre conservation de la ville ancienne et création du


dynamisme d’un centre-ville, entre vestiges passés et besoins présents. Ainsi, c’est autour de la thématique des centres anciens que j’ai souhaité articuler mon mémoire. Plus précisément j’ai souhaité étudier comment elle met en confrontation deux entités qui a première vue s'opposent mais qui réussissent à cohabiter : centre historique et centre-ville. Pour aborder la question de la patrimonialisation des centres anciens j’ai donc souhaité étudier le cas de la ville de Nîmes, afin de comprendre et analyser la façon dont les municipalités successives (à partir des années 1980) sont intervenues afin de faire de son centre ancien un cœur de ville qui concilie patrimoine et dynamique urbaine. Mais que penser réellement de la revalorisation du centre-ville de Nîmes ? Ces différentes opérations urbanistiques ne se sont-elles pas faites au détriment de l’identité de la ville ? C’est en tout cas le ressenti qui a été le mien à mesure que j’ai vu cette partie de la ville évoluer et se transformer. Je ne souhaite pas cacher au lecteur que j’ai toujours eu du mal à adhérer aux nombreux travaux qui pour moi transforment l’identité de la ville de Nîmes. C’est cette gêne qui m’a motivé à approfondir les tenants et les aboutissants de ces opérations pour mieux en saisir les intentions réelles ou dissimulées. Par conséquent ce mémoire est avant tout l’opportunité de comprendre comment la conservation du patrimoine et nos modes de vie cohabitent et se nourrissent l’un de l’autre. Prendre conscience de cette réalité m’est apparu comme une nécessité afin de pouvoir par la suite le remettre en question et revenir à mes premières impressions en m’appuyant sur deux facettes distinctes de la ville de Nîmes. Je voudrais terminer cet avant-propos en disant combien il m’a été difficile, au travers de mes recherches, de prendre du recul et laisser de côté mes intuitions et mes ressentis pour porter un regard objectif sur le sujet. C’est avec plaisir que je me rends compte, que ce mémoire a été l’occasion de mieux comprendre d’où viennent ces intuitions et d’éclaircir et affirmer mon positionnement vis-à-vis de l’évolution dites positive de ma ville.


Introduction

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En France, nos villes disposent d’une richesse patrimoniale non négligeable. Depuis les années 1980, le pays est marqué par une véritable considération du patrimoine et une omniprésence du concept de préservation de cette richesse1. L’enjeu de la conservation du patrimoine urbain suscite de nombreuses interrogations sur le développement des villes et sur la capacité d’interaction entre le tissu ancien et la ville contemporaine. La conservation de l’ancienne ville est-elle vraiment pertinente ? Quel impact cette conservation a sur le fonctionnement du centre-ville et sur la société urbaine ? Comment réussir à conjuguer un tissu ancien et les modes de vie actuels ? Depuis de nombreuses années l’articulation entre les enjeux de la protection du patrimoine et les enjeux des centres ville suscite une attention croissante et s’insère dans les réflexions menées par les politiques publiques au sujet de la requalification des centres anciens. En effet, les centres anciens, lieux de concentration de bâtiments patrimoniaux, témoignent de l’histoire de la ville et sont générateurs d’une identité urbaine. De leur temps les centres anciens étaient le symbole d’une attractivité commerciale et d’un dynamisme économique accueillant tout type de populations et d’activités. Peu à peu l’effet de métropolisation et d’étalement urbain déplace ce dynamisme vers les quartiers périphériques en mettant en place des centres d’activités commerciales qui décentralisent les pôles économiques. Les centres anciens, dépourvus d’attractivité, connaissent un exode urbain et les logements se dégradent petit à petit. Nous assistons à une volonté de reconquête des centres anciens qui provient d’une évolution dans la manière de penser la ville. Comme l’explique Sara Muller dans son article « Patrimoine et revitalisation des centres anciens »2 , durant les Trente Glorieuses la réponse à la vigoureuse croissance économique se transcrivait par la planification de construction de grande ampleur en périphérie des villes. Les grands ensembles et banlieues pavillonnaires qui apparaissent alors entrainent une extension du tissu urbain sur les campagnes et transfèrent la population dans ces nouvelles zones. En parallèle, c’est à cette même période qu’apparait la loi LE HEGARAT Thibault. « Un historique de la notion de patrimoine » 2015. (en ligne : https://halshs.archivesouvets.fr/halshs-01232019) 1

2

MULLER Sara, « Patrimoine et revitalisation des centres anciens : le modèle français confronté aux villes du sud » in « Techniques Financières et Développement », Épargne sans frontière 2015 2


Malraux3 qui met en place les premières actions d’envergures en faveur du patrimoine. Il s’agit, pour la première fois, de préserver les centres anciens à valeur patrimoniale des démolitions en réponse à la rénovation urbaine. Avec la montée en puissance de la notion de réhabilitation (dans les années 1970) l’urbanisme prend une toute autre tournure. L’idée de « reconstruire la ville sur la ville » devient un concept qui se démocratise afin de combattre la paupérisation des centres anciens. Les actions favorisent le renouvellement de la ville sur elle-même, on passe « d’un urbanisme d’expansion à un urbanisme de transformation »4. Une réponse qui semble être évidente aujourd’hui, compte tenu des objectifs de développement durable et de remise en valeur du patrimoine. L’élargissement de la notion de patrimoine est aussi l’une des explications à ce phénomène. Passant de l’objet patrimonial à la considération du patrimoine immatériel, le patrimoine englobe tout chose « qui mérite d’être transmis du passé, pour trouver une valeur dans le présent »5 . Cela devient alors un objet de mémoire qui converge avec une politique de la promotion de l’identité urbaine et de la qualité du cadre vie. Les centres anciens, générateurs de cette identité urbaine, connaissent une attention nouvelle autant par les acteurs économiques qui contribuent à orienter le patrimoine urbain vers des biens de consommations que par l’individu à la recherche de support mémoriel pour la construction de son identité. De ce fait, à travers ce mémoire j’essaierai de démontrer que la conservation du patrimoine dans les centres anciens répond à un désir de dynamisation. En effet elle est davantage portée sur son évolution dans un territoire habité que sur l’objet patrimoine en luimême. A cet égard j’observe d’un côté le développement d’une forme de « marketing patrimonial » - alimenté essentiellement par le tourisme – et, de l’autre, l’attachement des individus à habiter le patrimoine. Ces deux exemples illustrent bien l’idée que le patrimoine se révèle de plus en plus comme un objet socialement construit, ce qui pour moi justifie cette évolution vers une gestion dynamique du patrimoine.
 Les centres anciens ne sont donc plus patrimoine, mais deviennent objet de patrimonialisation. Cette notion de patrimonialisation je la définis comme un processus qui permet l’attribution d’une valeur patrimoniale à un lieu ou un paysage urbain. D’après sa définition exacte, ce processus s’applique d’ailleurs aussi bien à un objet qu’à une réalité immatérielle. Qu’il soit socio-culturel, juridique ou politique, ce processus permet la reconnaissance et la mise en valeur d’un espace, d’un bien, ou d’une pratique, le transformant en objet du patrimoine. À la 3

Loi décrétée le 4 aout 1962

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Ibid. p. 22

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Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés de Jacques Lévy et Michel Lussault 3


lumière de ces quelques réflexions, nous pouvons pourtant nous demander si attribuer une valeur patrimoniale ne reviendrait pas à attribuer une valeur économique. C’est sur la ville de Nîmes que j’ai décidé de porter mon attention. Etant la ville où j’ai vécu de nombreuses années et étant dotée d’un patrimoine remarquable, elle a inspiré, sans que je m’en aperçoive, nombre de mes questionnements et intuitions au sujet de la patrimonialisation. L’ayant toujours pris comme exemple pour appuyer mes propos, il m’a semblé naturel et opportun d’en faire mon cas d’étude afin d’enrichir mes réflexions. La ville de Nîmes connait depuis ces dernières années une métamorphose de son centre-ville, qui, à mes yeux, bouscule le cadre de vie des habitants. Dans ce contexte j’ai trouvé intéressant de m’interroger sur l’origine et les conséquences que ce changement induit sur l’image de la ville et le mode de vie des habitant. Nîmes est incontestablement une ville séduisante et la beauté de son centre ancien y contribue beaucoup. Ce cœur de ville patrimonial témoigne d’un riche passé et transmet l’image d’une cité qui a su adapter son tissu urbain au travers les époques. La population qui habite le centre y a toujours exprimé une fierté et une adoration d’appartenir à une ville chargée d’histoire. Ces dix dernières années j’ai vécu dans la ville de Nîmes et l’ai vu évoluer. Au cours de cette période, différentes interventions urbaines et architecturales, ordonnées par la municipalité, se sont enchainées, transformant le cadre urbain afin de la rendre plus agréable à vivre. Je m’interroge à travers ce mémoire sur les réelles motivations d’un tel renouveau urbain. Au-delà des objectifs esthétiques et qualitatifs énoncés, quelles sont les autres répercussions sur la ville ? L’âme de ville a-t-elle disparu pour être remplacée par une image de la ville comme objet de séduction ? Ici la gestion municipale semble avoir sa part de responsabilité, basant son discours sur la nécessité perpétuelle d’une modernité, et sur des interventions issues d’une volonté d’attractivité faisant du centre ancien un outil promotionnel. En parallèle Nîmes possède en son centre des quartiers délaissés et exclus de l’attention municipale malgré leur proximité avec les quartiers touristiques. Le quartier NordGambetta est l’un d’eux. Néanmoins, malgré son aspect vétuste et populaire, ce quartier connait depuis quelques années une image de moins en moins négative. Dans un premier temps quelques actions ont été envisagées dans le cadre d’une requalification et d’un réinvestissement urbain. En 2006 le dispositif OPAH-RU (Opération programmée de l’amélioration de l’habitat et Renouvellement Urbain) se met en place dans le quartier regroupant différentes procédures tel que PRI ou RHI afin de redynamiser le tissu urbain. Aujourd’hui je constate au travers de mes enquêtes de terrain que les interventions se sont avérées insuffisantes, le quartier reste caractérisé par une relative insalubrité, qui contraste 4


avec le soin porté à la revalorisation du cœur historique de la ville. Dans ce contexte, une nouvelle dynamique – à l’échelle du quartier - s’accroche à l’envie de revaloriser ce lieu de vie pour le rendre plus agréable. Associations et habitants se mobilisent pour faire vivre leur patrimoine en favorisant le lien social au quotidien. En m’appuyant sur le quartier Gambetta, j’émets l’hypothèse que l’absence d’interventions de la municipalité, a permis au quartier et à ses habitants de conserver la possibilité de définir une identité qui lui est propre. Ici le patrimoine urbain est avant tout un lieu de vie et d’expression pour ceux qui l’habitent. Par conséquent ce quartier, à première vue délaissé, n’est-il pas, lui aussi quoique sous d’autres formes, objet de patrimonialisation ? Tous ses questionnements sur la manière d’agir dans le centre de Nîmes ont pour objectifs de mettre en avant la manière dont, de nos jours, la gestion patrimoniale a un impact sur l’image de la ville. La gestion du patrimoine génère un patrimoine « exceptionnel » avec des interventions qui visent de plus en plus souvent en une labellisation plus qu’une protection du patrimoine comme lieu de vie. À l’inverse, en l’absence de gestion patrimoniale, la possibilité est laissée aux habitants d’interpréter leur façon d’habiter le patrimoine et de faire patrimoine leur valeur immatérielle.
 Dans un premier temps, je mettrai en lumière pourquoi et comment les centres anciens français sont devenus objet de patrimonialisation de nos jours. Je m’intéresserai ensuite au centre-ville de Nîmes afin de montrer dans quelle mesure les interventions municipales dans le centre historique démontrent une gestion de ce patrimoine comme un atout d’attractivité touristique. Pour cela j’essayerai d’éclaircir les volontés enfouies de la métamorphose urbaine perçue ces dernières années et comment cela a eu des conséquences sur l’identité urbaine. Enfin, afin de pousser ma réflexion, je m’intéresserai aux quartiers délaissés par la politique patrimoniale, afin de mettre en avant comment l’absence de l’action publique permet de générer un processus de patrimonialisation « par le bas ». Je m’appuierai sur le quartier Gambetta, qui depuis quelques années dévoile son identité propre grâce à l’initiative habitante.

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I. La considération des centres anciens comme patrimoine Pourquoi et comment en sommes-nous venus à sauvegarder et valoriser les centres anciens créant un dialogue entre patrimoine urbain et pratiques urbaines du XXIème siècle.

1.1. La notion de centre ancien L’évolution de la notion de patrimoine La notion de patrimoine, qui pourrait paraitre simple au premier abord, se révèle bien plus complexe à comprendre dans sa globalité car elle est en permanente évolution, englobant des domaines de plus en plus vastes. Le patrimoine, du latin patrimonium, dont les prémices datent du XVIe siècle, désignait à l’origine l’objet précieux transmis entre générations, souvent non aliénable. En d’autres termes il était utilisé pour parler des biens et richesses d’une communauté identifiés comme digne d’être transmis de génération en génération, que l’on appelle aujourd’hui héritage. Dans l’ouvrage Un historique du patrimoine6, Thibaut Le Hégarat explique que suite à la révolution française, on commence à identifier les monuments comme patrimoine de la nation permettant de garder en mémoire le passé. Paradoxalement, cette période bien connue pour les nombreuses dégradations de bâtiments anciens qui s’y sont produit, a aussi donné naissance à une véritable politique de conservation et de transmission des biens pour leur intérêt historique pédagogique, scientifique et artistique. Cette vision politique s’est d’abord incarnée par la création du « Conseil des bâtiments civils » qui avait la responsabilité de se prononcer sur l’ensemble des interventions architecturales publiques entre 1795 et 18487. Une part importante des monuments religieux et monarchiques sont ainsi identifiés comme biens patrimoniaux et nationalisés afin d’être rendus public et accessible à tous. Les premiers dispositifs de protection apparaissent au XIXe siècle, favorisant la restauration du patrimoine afin de conserver un bâti dans l’époque. Pour cela, on voit apparaitre la naissance d’une administration en charge du patrimoine afin de recenser les bâtiments devant être 
 6

LE HEGARAT Thibault. Op.cit.

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Site internet du ministère de la culture: https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Monuments-historiquesSites-patrimoniaux-remarquables/Presentation/Les-monuments-historiques 7


Figure 1 : La Basilique Saint-Sernin à Toulouse restauré par Viollet Le Duc ; En 1995 la basilique fût «dé-restaurer» afin de le débarrasser des ajouts «infligés» par le grand architecte.

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protégés et restaurés. Corinne Langlois dans son ouvrage Le patrimoine territorial en projet8, rappelle qu’à cette époque pour accéder au statut de patrimoine un édifice doit « représenter l’identité nationale et témoigner de caractères stylistiques ou monumentaux ». Pour faciliter cette classification, des « dictionnaires stylistiques » sont confectionnés pour identifier ce qui relève ou non du patrimoine ; des doctrines de restauration sont élaborées au fil du siècle. A la demande de l’inspecteur général des monuments historiques – Prosper Mérimée – la première « liste des monuments historiques » est ainsi établie en 1840 ; elle comprend 1082 monuments dont 934 édifices9. Cette liste constitue le début d’un travail d’inventaire qui ne cessera plus de s’étendre, en France, comme à l’international à travers la création et l’engagement, plus d’un siècle plus tard, de l’UNESCO (Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture). Eugène Viollet le Duc, architecte du XIXème siècle (1814-1879), marque son époque en proposant des modalités d’interventions sur le patrimoine fondées sur le principe de l’épuration stylistique. Son idéologie s’appuie sur une restauration homogénéisée. Pour lui « restaurer un bâtiment ce n’est pas le préserver, le réparer ou le reconstruire, c’est le replacer dans un état complet qui n’a pu ne jamais exister à une époque donnée. »10 La beauté doit prendre le dessus sur l’authenticité du monument. Il approuve la destruction des bâtiments pour recréer un vocabulaire stylistique adapté à l’époque dans un simple but esthétique, sans conserver les traces du passé. Cette doctrine de E. Viollet a fait l’objet de vives controverses, de nombreux architectes du monde entier s’y opposent. Les pierres de Venise et le Sept Lapes de l’architecture parut en 1853 sont des ouvrages écrits par John Ruskin architecte anglais, dans lesquels il développe une logique de conservation opposée à celle de Viollet le Duc. Il y préconise de conserver les bâtiments anciens dans l’état où ils nous sont parvenus, et de réaliser seulement des travaux d’entretien lorsque c’est nécessaire, même si cela ne suffit pas à la pérennité. Quant à Camillo Boito, architecte italien, il préconise une restauration conservatrice de « l’histoire du lieu ». Dans Conserver ou Restaurer (1893), il explicite la pertinence de la conservation dans le respect de l’authenticité du bâtiment, qui est pour lui la dimension essentielle de ce qui doit être transmis. Il est le premier à mettre en œuvre la réhabilitation des bâtiments anciens pour des usages contemporains. Malgré ces nombreuses oppositions à la doctrine de Viollet le Duc, elle 8

FAUVEL Marie-Mathe et LANGLOIS Corinne, « Le patrimoine territorial en projet » édition Gallimard, collection Alternatives, 2015 p.144 9 10

https://fr.wikipedia.org/wiki/Monument_historique_(France)#La_naissance_des_«_monuments_historiques_» Le Monde, Faut-il reconstruire les monuments détruits ? reportage du 26 décembre 2018 9


ne fut contestée officiellement que des années plus tard avec la Charte d’Athènes qui appuie la nécessité de restaurer en préservant les caractéristiques historiques de l’édifice. En 1931 elle sera officialisée par l’UNESCO et appliquée dans le monde entier. En 2015 en France pas moins de 43 600 immeubles sont protégés au titre des monuments historiques.11 Au XXème siècle la notion de patrimoine s’élargit de manière considérable. Eloignée de la vision monumentale qui a primé en France jusqu’à la moitié du XXème siècle, la notion finit par englober « la totalité du système urbain hérité du passé »12 . En effet le patrimoine se défini à cette période comme l’ensemble des éléments qui font l’identité d’un lieu et identifié comme digne d’être transmis aux générations suivantes. On fait face à une notion regroupant des valeurs plurielles puisqu’elle recouvre des biens à la fois matériels et immatériels à caractère culturel, naturel, architecturale ou historique. Les monuments et leurs abords sont protégés, ainsi que les paysages naturels, les pratiques quotidiennes et les savoir-faire traditionnels. Il est question de préserver ces biens communs, de les valoriser et de les faire vivre au travers des générations. Pour aller plus loin dans la complexité de cette notion, Corinne Langlois vient même affirmer que « Le patrimoine n’existe pas en soi : c’est un projet de mise en relation des générations entre elles. »13 . Le simple acte de léguer constitue déjà un geste patrimonial. Le patrimoine va jusqu’à désigner le simple fait de transmettre en prenant soin de ce qui est « déjà-là » et en l’intégrant à la vie quotidienne. La notion du patrimoine est sortie de sa dimension dite « classique » et recouvre désormais une multitude de domaine. Cette diversité, Nils Deverons, auteur et chargé des missions de l’agence française de développement (AFD), la décompose en trois catégories « qui peuvent s’intégrer, se juxtaposer ou se superposer »14 : le patrimoine naturel et paysager, le patrimoine historique et archéologique et le patrimoine immatériel. Chacune de ses dimensions possède ses propres textes législatifs de valorisation et de protection, et des outils de protection spécifiques.

Site internet du ministère de la culture: https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Monuments-historiquesSites-patrimoniaux-remarquables/Presentation/Les-monuments-historiques 11

12

GREFFE Xavier. « Le patrimoine comme ressource de la ville. » Les Annales de la recherche urbaine, N°86, 2000. Développements et coopérations. p.29-38 13

FAUVEL Marie-Mathe et LANGLOIS Corinne, Op.Cit. p .12

14

DEVERNOS Nils, LE BIHAN Gérard, MULLER Sara « Gestion du patrimoine urbain et revitalisation des quartiers anciens : l’éclairage de l‘expérience française » Agence française de développement, A savoir n°26, septembre p.19 10


Cette extension de la notion, qui eut lieu au cours du XXème siècle, est résumé par Jean Yves Andrieux dans une énumération significative d’une notion plurielle et complexe que je citerai pour conclure cette partie. « [...] le patrimoine recouvre à la fois le temporel (le palais de l'Elysée) et le spirituel (le Sacré Cœur de Montmartre), le réel (le monument aux morts) et l'immatériel (la cérémonie du 11 novembre), le multiple (la langue) et l'unique (le sceptre de Charles V ou la chapelle-reliquaire de La Martyre), l'industriel (la fonte Art nouveau) et l’artistique (la maison de Victor Horta à Bruxelles, 1898), le tout (la Grande Guerre) et la patrie (Verdun), le genre (le patrimoine naturel) et l'espèce (le paysage), le signe (la cathédrale de Reims, le Panthéon) et le sens (la monarchie, la république). On pourrait décliner longtemps les formes de sa variété. »15

La considération du patrimoine urbain Comme nous venons de voir le patrimoine a d’abord longtemps été considéré comme sous son acception « monumentale » : les dispositifs de protections, déployés aux XIX et XXème siècles, concernaient uniquement l’édifice sans prendre en compte l’ensemble du tissu urbain. Selon Françoise Choay, dans les années 1920, l’architecte italien Giovannoni est le premier à employer le terme de centre historique et à « considèrer la ville ancienne comme monument historique à part entière »16. Il exprime la nécessité d’intégrer les tissus anciens dans les plans urbanistiques pour articuler les aménagements en considérant le tissu urbain comme patrimoine. A travers ses écrits, il plaide pour une transformation de la ville ancienne sans démolition qui dénote des doctrines architecturales de l’époque. Cette réflexion autour du cadre urbain est aussi remarquée en France, par le savant Marcel Poëte qui revalorise la structure ancienne de la ville de Paris afin de s’opposer aux destructions massives générées par les travaux Haussmanniens. La commission du vieux Paris de 1897 qui soutient cette opposition ne réussit pas à se faire entendre pour faire valoir l’ancienne ville. Toutefois, cette considération du cadre urbain plus largement n’a abouti, dans un premier temps, qu’à la protection des abords des monuments historiques. La loi de 1913 sur les monuments historiques stipule qu’un périmètre de 500 mètres minimum autour des édifices classés monument historique doit être pris en compte pour les actions de protection afin de

ANDRIEUX Jean Yves, cité dans « Penser la ville ancienne sur la ville contemporaine » sans auteur. (consulté en ligne: https://duportland.wordpress.com/travail-pratique-2-_-penser-la-ville-contemporaine/( 15

16

CHOAY Françoise, « Le patrimoine en question, anthologie pour un combat », Editions du seuil, 2009 p.205 11


préserver le champ de visibilité ».17

Cette innovation législative permet le passage de la

protection de monuments isolées à une logique plus large de protection urbaine. On peut assimiler cette protection comme une préservation du cadre bâti plus qu’une préservation du tissu urbain, dont on ne reconnait pas encore la valeur patrimoniale. C’est seulement dans les années 1960 que l’on verra apparaitre la notion de patrimoine urbain. Période marquée par la politique d’Andres Malraux, les initiatives de protection et restauration s’étendent au-delà de l’architecture monumentale. Cette considération du tissu urbain s’officialise grâce à la loi du 4 août 1962 sur les secteurs sauvegardés (loi Malraux) : le périmètre des actions de préservation est élargi pour englober les centres anciens dans leur totalité. Cette loi engendre une rupture importante avec le dispositif « ponctuel » et ouvre à la gestion d’un ensemble urbain, générant des problématiques sur la capacité d’interaction entre la ville ancienne et ville contemporaine. Ces problématiques patrimoniales s’incluent dans le champ de la gestion urbanistique d’une ville. De nouveaux enjeux émerge de ce dialogue : comme ceux de l’amélioration du cadre de vie, de confort, et de mise en valeur. Initiative de l’extension du champ de protection patrimoniale - du monument architectural au tissu urbain - la loi Malraux est reconnue comme une étape significative dans le passage d’une temporalité à une autre. En effet cette transition entre deux périodes de l’histoire du patrimoine est marquée par la prise en compte de l’héritage monumentale dans l’organisation des villes. La loi Malraux est l’aboutissement de ce débat souvent soulevé sur l’importance de l’intégration des monuments patrimoniaux dans leur paysage. En 1964, cette conception est consacrée par l’adoption- à l’échelle mondiale - par l’assemblée de l’ICOMOS, de la Charte internationale sur la conservation et la restauration des moments et des sites, connue sous le nom de la Charte de Venise. Actant sa création, le Conseil international des monuments et sites (ICOMOS) propose ainsi une définition de la notion de monument historique qui « comprend la création architecturale isolée aussi bien que le site urbain ou rural qui porte témoignage d'une civilisation particulière, d'une évolution significative ou d'un événement historique »18. En soi, la Charte de Venise souligne l’importance de conserver tout autant l’œuvre d’art (les monuments) que le témoin de l’histoire (les sites).

Site internet du ministère de la culture : https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Monuments-historiquesSites-patrimoniaux-remarquables/Presentation/Focus/Centenaire-de-la-loi-de-1913 17

18

ICOMOS, « Charte internationale sur la conservation et la restauration des moments et des sites » IIe Congrès international des architectes et des techniciens des monuments historiques, Venise, 1964 12


François Tomas dans son ouvrage, Les temporalités du patrimoine et de l'aménagement urbain19 nous invite à questionner le mérite donné à la loi Malraux, Il y développe l’idée que la notion de secteurs sauvegardés défendue dans cette loi ne s’inscrit pas forcément en rupture avec l’urbanisme fonctionnel qui prime à cette époque. Les documents urbanistiques sont constitués de sujétions traitées de manière isolés ce qui, selon lui, ne les situe pas encore tout à fait dans une approche globaliste et intégrative de l’espace urbain. Il en résulte une conception du patrimoine urbain, centrée sur le bâti, parfois oublieuse des relations diverses et inévitables que ce dernier tisse avec les habitants. Ainsi les restaurations mises en place dans le sillage de cette loi se sont certes appuyées sur des déclarations d’utilité publique mais leur impact sur la société est relativement ignoré, il ne fait en tout cas l’objet d’aucune étude. Françoise Choay fait un constat similaire, en affirmant que la loi Malraux eut tendance à « figer les centres et tissus anciens tels qu’en eux-mêmes. »20. Dans les années 1970, la montée en puissance de la notion de réhabilitation participe à renouveler profondément les pratiques de l’urbanisme. Il se produit, à cette période, une évolution dans tous les domaines de la société que François Tomas interprète comme « un changement de civilisation »21 . Dans un contexte marqué par l’effondrement du fonctionnalisme et l’influence « d’une nouvelle culture urbaine » le patrimoine urbain fait face non seulement à une extension du champ des protections mais un renouveau des procédures d’interventions. Rénovation, restauration et réhabilitation induisent de nouvelles manières de restructurer l’espace. La création de l’ANAH (Agence Nationale de l’Habitat) en 1971 - qui met en œuvre les politiques d’amélioration des logements - ajoutée à la mise en place de premières opérations d’amélioration du bâti, marque un tournant important vers une politique plus en cohérence avec la dimension humaine. Sur le plan international, le patrimoine urbain considéré en tant qu’ensemble à préserver se confirme à travers la conférence générale de l’UNESCO à Nairobi en 1976. Elle officialise dans le langage universelle la notion de patrimoine urbain et réclame «la sauvegarde des ensembles historiques ou traditionnels et leur rôle dans la vie contemporaine »

22.

L’essor du concept de

patrimoine immatériel à cette même période témoigne aussi d’une prise de conscience TOMAS, François, « Les temporalités du patrimoine et de l'aménagement urbain », Géocarrefour, vol. 79 2004, p. 197-212. 19

20

CHOAY Françoise, Op.Cit. p.205

21

TOMAS François Op.Cit. p. 200

22

UNESCO. « General Conference, 19th », Nairobi,1976 (en ligne : http://ulis2.unesco.org/images/ 0011/001140/114038EO.pdf) p.138 13


collective de la nécessaire préservation de la ville ancienne. En effet, « l’immatérialité » qui est évoquée à cette occasion caractérise le savoir-faire et les pratiques d’une société, des réalités imprégnées dans les formes de la ville ancienne. Le patrimoine immatériel est ainsi compris comme un élément porteur de l’identité d’un lieu. Plus d’un territoire et des édifices notables, c’est toute une manière de vivre et une culture qui peuvent être transmis en sauvegardant les quartiers anciens des villes. La Charte nationale des villes historiques de 1987 propose la définition de patrimoine urbain, toujours en vigueur aujourd’hui, et insiste sur la nécessité de protéger la « qualité de ville » en tenant en compte de tout ce qui la constitue et qui, par ailleurs, constitue la mémoire du passé. De ce fait, l’ICOMOS décrète que « toutes les villes du monde, qu’elles résultent d’un choix délibéré ou d’un mouvement spontané, sont les expressions matérielles de la diversité des sociétés à travers l’histoire et sont de ce fait toutes historiques » 23.

1.2. Le centre ancien comme centre-ville Avant d’éclaircir les enjeux de la superposition entre le centre ancien (ville ancienne) et le centre-ville (ville contemporaine), et de comprendre comment ces deux notions sont étroitement liées et complémentaires, il faut, au préalable, rappeler les définitions de ces deux dernières. La notion de « centre ancien » fait référence à l’ancienneté de son centre. Souvent plus ancien que le reste de la ville, il se traduit dans l’urbain par des rues tortueuses et étroites et des immeubles anciens. En navigant sur les dictionnaires, le centre ancien est souvent assimilé au centre historique dont le tissu urbain s’est façonné avant 1945 et qui de ce fait possède une mémoire patrimoniale à considérer. Quant à la notion de centre-ville, elle désigne le quartier « le plus central et le plus animé d’une ville. »24 Dans la Revue Géographique, Jean-Paul Lévy soutient que le centre-ville, ainsi identifié comme l’espace au cœur de la ville, est avant tout caractérisé par son animation. Il est le théâtre des activités urbaines dynamiques dites « centrales »

25

sous-entendu les fonctions

urbains et économiques d’une ville. Dans le dictionnaire de la géographie, Roger Brunet définit

23

DEVERNOS Nils, LE BIHAN Gérard, MULLER Sara Op.Cit. p.32

24

Dictionnaire Larousse 2019

25

LEVY Jean-Paul. « Quartiers anciens et centre-ville : nouveaux enjeux d'une politique de réhabilitation. » Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, tome 54, 1983. Toulouse p.103 14


le centre-ville comme « la partie vive que l’on montre de la cité ». Le centre-ville apparait aussi comme l’espace reconnaissable et identitaire d’une ville. A première vue centre ancien et centre-ville sont difficilement associables. On peut notamment remarquer que le dynamisme attaché aux centres-villes peut être incompatible avec le caractère obsolète du centre ancien. Selon Jean Paul Lévy, le bâti vieilli et ancien comme héritage patrimonial à conserver ne peut répondre aux pratiques urbaines contemporaines. Pourtant, à Montpellier, Toulouse, Nîmes, Avignon (et l’énumération pourrait être longue) c’est dans ces décors anciens que se développent les centres villes. Centre-ville et centre historique sont alors confondus en un même lieu, et cette « co-présence » pose un défi à l’action publique car il s’agit d’articuler les deux logiques qu’ils supportent. Comment réussir cette cohabitation et qu’est-ce que cela génère pour la société et l’image de la ville ? C’est à ces questions que je vais tacher d’apporter des réponses dans les paragraphes qui suivent.

Les enjeux du centre ancien comme centre-ville Comme nous venons de le voir, le centre-ville est un lieu d’activité où dynamisme et attractivité sont au cœur de sa définition. Dans certaines villes contemporaines ils cohabitent avec les centres anciens. Cette double réalité des centres soulève des questionnements sur la gestion de ces espaces ; le défi est de répondre aux pratiques urbaines de la société actuelle sans manquer au devoir de sauvegarder le patrimoine. Avec l’essor de l’étalement urbain et de la périurbanisation dans les années 1970, une part significative des activités économiques et commerciales, localisées en centre-ville, migrent en périphérie des villes. De ce fait, ces lieux, plus accessibles et fonctionnels (du point de vue de l’automobiliste), attirent la population qui s’y installe pour fuir l’inconfort et l’insalubrité des centres anciens. Ceux-ci s’en trouvent progressivement paupérisés. Cet appauvrissement des centres-villes préoccupe les gestionnaires de sauvegarde du patrimoine. Lieu à l’abandon de vie sociale, ils ne reflètent pas la dynamique du centre-ville qu’ils sont censés incarner. Selon Claude Richard, qui participe à la deuxième conférence régionale des villes du patrimoine mondial, cette disparition de vie sociale n’a pas comme « unique conséquence de rendre cette cité humainement morte, mais également de générer une fragilité extrême du bâti ».26 Le manque d’entretien dû à la diminution de l’occupation 26

RICHARD Claude, « Entre culture et économie, la réhabilitation comme langage sociale » O.V.P.M, 2ème conférence régionale des villes du patrimoine mondiale, « Vieux quartiers, vie nouvelle, la réhabilitation en milieu historique », Actes du colloque de Tunis, juin 1997 p23 15


régulière de certains édifices par la population engendre une dégradation du bâti patrimonial à sauvegarder. Les dynamiques d’étalement urbain ont ainsi généré des difficultés face auxquelles les collectivités tentent de s’adapter et de réagir. Les aménageurs urbains répondent à cet enjeu d’attractivité en mettant en œuvre des projets d’aménagement global sur les centres anciens. L’objectif est de reconquérir le centre en proposant des alternatives à l’urbanisme fonctionnel. Car le dynamisme du centre tient à son animation, à ses activités, à ses commerces, mais aussi et surtout à ses usagers. Ainsi, pour raviver l’attractivité, il est question avant tout de s’adapter aux modes de vies actuels et aux nécessités des habitants ; comme nous le rappelle Claude Richard, ce sont eux qui sont la source de vitalité d’un lieu. La réhabilitation des logements devient une des priorités politiques pour créer des logements sains et confortables afin d’amener la population à s’y installer. L’ANAH, que nous avons évoqué précédemment, a précisément la charge de conduire les politiques gouvernementales à ce sujet, en proposant son expertise aux collectivités locales. Pour attirer la population, le patrimoine doit donc se « réinventer » et s’ancrer dans une époque qui n’est plus la sienne afin de répondre à des besoins et modes de vie qui ne cessent d’évoluer. Quels sont, justement, les aspects distinctifs et originaux dans la façon d’appréhender l’espace de la société française contemporaine ? Selon Vincent Kaufmann, auteur de L’urbanisme par les modes de vie, outils d’analyse pour un aménagement durable, « l’une des caractéristiques les plus avancées pour décrire notre société contemporaine est celle du mouvement et de la mobilité. »27 La mobilité de l’individu est devenu centrale à la fois dans l’espace géographique grâce au développement des infrastructures de transport (publique et privé) mais aussi de manière virtuelle, grâce aux nouvelles technologies. Ces propos sont aussi appuyés par MarieMathe Fauvel dans son ouvrage Patrimoine territorial en projet, qui qualifie notre société de « mobile (et) bouleversée dans le temps en dans l’espace »28 ce qui vient impacter notre manière de vivre. Par exemple notre rapport entre habitat et travail s’enferme de moins en moins dans des périmètres définis, la proximité du lieu de travail ne devient plus une priorité. Nos besoins sont davantage basés sur des qualités de vies quotidiennes et l’accessibilité à nos besoins. D’après Ricardo Bofill ce que l’on nomme aujourd’hui qualité de vie se rapporte à la notion de « local [qui] répond pour les plus intégrés aux besoins de proximité, à l’attente ou à la

KAUFMANN Vincent, RAVALET Emmanuel, « L’urbanisme par les modes de vie, Outils d’analyse pour un aménagement durable » Métis Presses, 2019, p.70 27

28

FAUVEL Marie-Mathe et LANGLOIS Corinne, Op.Cit. p.4 16


jouissance de la relation proches »29. Pour générer l’attractivité il est aussi important de repenser les échanges à l’intérieur du centre ancien. J’entends par échange ces interactions qui évitent l’isolement des lieux et qui permettent l’accessibilité. Ainsi, les interventions dans les centres villes visent à améliorer son fonctionnement selon de deux logiques mis en évidence part Clara Bottiglione dans sa thèse intitulée La revitalisation des cœurs de ville30. D’une part d’après une « logique centrale » qui permet de créer une centralité afin de les rendre plus moderne et dynamique. Et d’autre part selon une « logique de quartier » qui permet d’améliorer cadre de vie des habitants. Mathieu Dormaels souligne que le défi principal pour la préservation des centres anciens se trouve dans la conservation de « la fonction du bâti patrimonial et les pratiques et traditions associées, même si cela implique des adaptations rendues impératives par l’évolution des modes de vie. »31. De ce fait le devenir de centre ancien constitue un enjeu politique, culturel, social et économique pour les municipalités qui veulent requalifier leur centre-ville et le rendre attractif. La prise en compte des enjeux pour une cohabitation entre ces deux notions explique l’adaptation de l’aménagement urbain dans le temps pour répondre aux besoins d’une société en perpétuelle évolution. Ainsi les centres anciens - compris comme véritables lieux de vie, de mémoire collective et de patrimonialisation – participent en grande partie à créer l’identité de nos cœurs de ville.

La question de l’image de la ville Comme je l’ai énoncé précédemment, la survie et la pérennité des centres anciens, est rendue possible grâce à la mise en œuvre des actions globales d’aménagement par la Ville32. Les enjeux de ces interventions reposent essentiellement dans l’amélioration du cadre de vie et la sauvegarde du patrimoine. Jean Barthelemy remarque à cet égard que « le patrimoine urbain, envisagé selon sa conception élargie contemporaine, est (aussi) un extraordinaire levier de

29

BOFILL Ricardo, « L’architecture des villes », Editions Odile Jacob, mars 1995, p.72

30

BOTTIGLIONE Clara. « La revitalisation des cœurs de ville: la nouvelle approche de l’espace public dans les projets urbains. Le cas du centre ancien méditerranéen de la Seyne-sur-Mer. » Sciences de l’homme et Société. 2014 p.13 31

DORMAELS Mathieu, « Repenser les villes patrimoniales : Les paysages urbains historiques », Téoros, 2012, p.112

32 32

Ici, et dans l’ensemble du mémoire, Ville avec un « V » majuscule, comprend l’espace physique d’une ville, mais également ses dimensions sociale, politique et économique. 17


Figure 2 : Les images de villes françaises associées aux centres anciens De gauche à droite: Toulouse, Montpellier, Uzès, Bordeaux

18


relance sociale, économique et culturelle »33. Si on analyse ses propos, les actions patrimoniales du centre ancien n’ont pas seulement pour objectif de préserver ce qui doit être légué, mais elles visent aussi à le mettre en valeur pour favoriser ce que l’on appelle l’image de la ville. Ce travail sur l’aspect extérieur et cette volonté de donner à voir, se révèle être ainsi comme l’un enjeu majeur de l’articulation entre centre ancien et centre-ville. En tout cas il devient progressivement l’un des objectifs poursuivis par les collectivités territoriales et les municipalités, qui cherchent et y voient un moyen de s’adapter à une société en quête d’images et d’identité. Les initiatives publiques construisent de ce fait l’image de la ville au travers du patrimoine urbain dans leur but encore d’être plus attractif, dynamique et accueillant. Cela revient de nouveau à dire, et cela est explicité par Luc Bossuet dans Habiter le patrimoine au quotidien, que la durabilité du patrimoine dépend de son intégration dans la société et de la capacité de cette dernière à habiter ses lieux patrimoniaux. Habiter le patrimoine renvoi à la fois à « un mode de vie qui se nourrit d’une relation privilégiée avec le passé » mais aussi à « la possibilité de profiter, durablement ou non, d’un cadre qui par ses caractéristiques historiques, (…) attire des individus sans lien préalable avec le bien considéré »34. Afin de rendre cela possible la question de l’image de la ville, véhiculée en partie par son patrimoine, devient un atout d’attractivité primordial. Les qualités esthétiques et architecturales des centres sont mises en avant afin d’en faire, de nouveau, des lieux prisés et valorisés par les visiteurs et les habitants. L’espace qui se vit quotidiennement est de nos jours très fragmenté puisqu’on ne se situe plus dans une unité sociale et géographique. Parce qu’ils sont un support d’histoire, les centres-villes permettent à l’habitant de se raccrocher à un lieu afin, de s’identifier. En effet, nous nous trouvons face à une société qui a besoin d’un rapport intime à un lieu qui lui est cher, permettant de construire son identité. François Tomas nous explique qu’au-delà de la valeur esthétique et d’usage que l’on associe aux centres anciens, le patrimoine qu’ils possèdent est « chargé d’une valeur identitaire irremplaçable aux yeux non plus seulement des spécialistes, mais aussi et surtout des habitants »35. En effet, ce sont nos particularités en 33

BARTHELEMY Jean, cité dans « Penser la ville contemporaine sur la ville anciennes », sans auteur (consulté en ligne : https://duportland.wordpress.com/travail-pratique-2-_-penser-la-ville-contemporaine/) BOSSUET, Luc. « Habiter le patrimoine au quotidien, selon quelles conceptions et pour quels usages ? » In : GRAVARI-BARBAS, Maria. Habiter le patrimoine : « Enjeux, approches, vécu. » Presses universitaires de Rennes, 2005 p.27 34

35

TOMAS, François, Op.Cit. p.200 19


termes d’espace habité, que nous cherchons à mette en évidence afin de construire notre identité. La conservation des villes anciennes permet de forger cet aspect et suscite selon Marie-Claude Rocher, « un sentiment d’appartenance de la population, une fierté, une prise en charge de celle-ci »36 . La conservation de son histoire et héritage du passé permet ainsi de s’identifier dans un lieu et de s’y ancrer. S’appuyer sur cet effet permet aux politiques urbaines d’assurer la pertinence et la durabilité des interventions. Un centre-ville qui valorise son histoire permettra à l’habitant de s’identifier à un lieu qui lui sera propre et dont il en sera fier. Marcel Roncayolo affirme que « la ville est toujours la ville de quelqu’un »37. Ce « quelqu’un », qu’il soit identifié ou pas, porte son propre regard sur la ville et méconnait, le plus souvent, les constats émis par les spécialistes. Ce propre témoignage que l’individu se crée malgré sa subjectivité, cette relation spécifique, ne contribue-t-elle pas également à forger le patrimoine immatériel ? Je crois que ce lien entre l’habitant, et plus largement l’usager, et la ville est également une valeur à transmettre et qu’elle participe à la construction de son image. De ce fait l’habitant doit se reconnaitre dans sa propre ville afin de la faire perdurer. On aperçoit ici, l’un des enjeux de l’esthétique urbaine d’un point de vue sociétal. Selon Ricardo Bofill « la perte de l’identité urbaine provient d’abord d’une perte d’identification entre la ville et ses habitants ». Cette relation entre les habitants et leur ville est primordiale pour forger l’identité urbaine et faire vivre les lieux. Par conséquent il est nécessaire de refléter une belle image de la ville pour que l’habitant se l’approprie et s’y identifie d’où l’importance accordée à l’esthétique urbaine. Je m’arrête un instant sur une remarque que je me suis faite quand il s’agit de parler d’une ville. Inévitablement lors que l’on évoque une ville et que l’on a besoin de l’identifier visuellement, les premières images qui nous apparaissent sont celles de son centre. De manière spontanée, l’image de la ville est souvent assimilée à celle de son centre historique. Il est plus rare, en effet, que les villes se distinguent par leurs périphéries car les paysages périurbains sont relativement homogènes d’une ville à l’autre : ils ont été forgés selon des déclinaisons de modèles standards qui rendent une identification plus difficile. C’est par ce constat, qui pourrait paraitre insignifiant, qu’il faut comprendre l’importance accordée à ces centres anciens et à l’image qu’ils délivrent. En effet, ce premier aperçu de la ville qui vient imprimer des images dans nos esprits justifiera par la suite notre volonté de la découvrir et de ROCHER Marie-Claude dans « Penser la ville contemporaine sur la ville ancienne » (en ligne: https:// duportland.wordpress.com/travail-pratique-2-_-penser-la-ville-contemporaine/penser-la-ville-contemporainesur-la-ville-ancienne/) 36

37

RONCAYOLO Marcel, « De la ville et du citadin »,Editions Parenthèses, Marseille, 2003 p. 53 20


rendre par conséquent la ville attractive. L’image de la ville devient ici un objet de promotion et le centre-ville le support et le sujet de ces images. Peu à peu les centres villes deviennent de ce fait un outil stratégique, un avantage comparatif dans un archipel urbain compétitif. Comme nous l’explique Patrice Noisette et Franck Vallerugo dans leur ouvrage Le marketing des villes, cette stratégie est basée sur « la maitrise des dynamiques qui les orientent et de celles qu’ils impulsent afin de permettre à une ville de mieux se situer par rapport aux autres »38 dans l’objectif d’améliorer la qualité et l’attractivité de la ville dans son environnement concurrentiel. Dans un premier temps il s’agit pour la Ville d’inciter des acteurs locaux à agir et à développer une économie locale cohérente afin de « favoriser toutes les synergies possibles entre ce qui intéresse occasionnellement le visiteur et ce qui profite quotidiennement aux citadins »39 . Dans un second temps, la Ville utilise l’image du centre patrimonial comme objet promotionnel et source d’attractivité. Un surinvestissement appuyé par la politique de préservation est source de commercialisation des lieux, il devient « un véritable outil marketing pour la ville »40 . De ce fait le bâti devient une monumentalité qui conduit certes à une économie favorable pour la ville mais qui exclut les fonctions quotidiennes du lieu favorisant des usages inappropriés Cette stratégie se traduit majoritairement par le tourisme urbain devenu une activité importante pour les villes françaises, puisqu’en effet la France est l’une de première destination touristique mondiale. En matière de tourisme urbain, Patrice Noisette et Franck Vallerugo mettent en avant comment « la stratégie municipale doit en tout premier lieu s’appuyer sur l’identité de la ville »41. En effet l’identité des villes françaises basée sur leur patrimoine est la raison d’un tel engouement touristique. En m’appuyant sur les propos énoncés un peu plus haut, l’identité de la ville reflète la mémoire collective et patrimoniale créant ainsi l’image de la ville. Néanmoins, avec l’avènement d’une certaine « course aux touristes » les Villes choisissent avant tout d’ancrer leur stratégie sur l’aspect esthétique, utilisant le patrimoine comme vitrine assimilée à un produit de consommation. L’image de la ville vient ici s’appuyer sur la valorisation de son patrimoine et son articulation avec l’espace urbain dans le but d’en faire un objet touristique aménagé et mis en valeur pour satisfaire le visiteur.

NOISETTE Patrice, VALLERUGO Franck, « Le marketing des villes. Un défi pour le développement stratégique » Editions d’Organisation, 1996 p.309 38

39

Ibid. p. 310

40

FAUVEL Marie-Mathe et LANGLOIS Corinne, Op.Cit. p.250

41

NOISETTE Patrice, VALLERUGO Franck Op.Cit. p.311 21


De ce fait, cela engendre du point de vue des collectivités une nécessité de s’attacher au « développement de l’accueil du non-résident, pour quelques heures ou plusieurs jours »42 . Cette logique conduit à mener des actions sur le centre-ville qui sont essentiellement adressées à un public ciblé, dans l’optique de rendre la visite agréable et de rallonger la durée du séjour. Pour que cela soit rendu possible, un développement urbain va être imaginé par les collectivités utilisant la ville comme outil de marketing promotionnel. Patrice Noisette et Franck Vallerugo désigne ces projets d’aménagement, spécifiquement adressées aux non-résidents comme des « événements ». Un projet urbain peut de ce fait devenir un événement permanent associé à un lieu emblématique, lieu qui accueille à son tour des événements plus occasionnels. Pour que ces événements aient un impact, ils doivent s’attacher à une dynamique urbaine afin de participer à la notoriété de la ville et à son image. Par conséquent, si l’on revient du point de vue de la stratégie promotionnelle mise en place par les municipalités, les événements vont aussi être utilisé pour communiquer avec les habitants, comme outil de transmission du patrimoine matériel et immatérielle où ils sont situés. Le patrimoine urbain du centre-ville est porteur de valeurs diverses qu’il faut transmettre de manière cohérente et respectueuse de son histoire. Cette transmission permet de faire perdurer des savoirs d’une génération à une autre. Le centre-ville porte aussi l’image d’un lieu d’apprentissage. Perçu comme des lieux de visites « l’espace urbain est donc à la fois enseignement et découverte. »43 Marcel Roncayolo déclare que tout centre-ville est apprentissage, il n’est pas seulement un objet urbain mais « un acte éducatif, éducation sentimentale, éducation de la sensibilité, apprentissage du territoire. Mais plus encore, apprentissage de la ville, apprentissage de la vie »44 La municipalité s’attarde à conserver le patrimoine pour maintenir la transmission d’une culture, mais elles participent aussi à la mise en place « d’événement » comme explicité auparavant qui participe aussi à l’aspect éducatif que le centre-ville veut donner à travers son histoire. Le musée de la Romanité de Nîmes me vient à l’esprit, tout comme les Grands Jeux Romains qui se déroulent dans le courant du mois de mai et qui permettent d’instruire mais aussi d’animer, de valoriser et de promouvoir l’exceptionnel patrimoine romain de Nîmes.

42

Ibid. p.309

43

RONCAYOLO Marcel, Op.Cit. p.62

44

Ibid. p.63 22


Cependant j’ai du mal à mon positionner sur les vraies raisons de tel investissement, est ce que les habitants s’en emparent vraiment ? L’objectif d’une politique culturelle pour les habitants ne se transforme-t-elle pas en une politique de divertissement pour les touristes ?

1.3. Une politique de revalorisation du centre

Les deux caractéristiques des centres anciens (éléments de patrimoine et centre-ville) sont au cœur des préoccupations qui président aux opérations d’aménagement de ces espaces. Les politiques de revalorisation sont ainsi motivées par deux logiques à première vue antagonistes : conservation et réhabilitation. Une bonne compréhension de la multiplicité des dispositifs d’interventions sur les centres anciens permet d’analyser la politique de préservation du patrimoine. Dans la partie qui suit, je présenter et définir les outils et les acteurs qui rentrent en compte dans la gestion patrimoniale pour révéler la complexité d’intervenir de manière juste et cohérente dans les centres anciens. L’ouvrage de Nils Deverons, Sara Muller et Gérard Le Bihan intitulé « Gestion du patrimoine urbain et revitalisation des quartiers anciens : l’éclairage de l‘expérience française »45 a été le manuel qui m’a guidé dans la compréhension de cette politique patrimoniale. Je m’appuierai essentiellement sur cet ouvrage pour développer cette sous-partie.

Des acteurs à différentes échelles Les acteurs intervenants dans la gestion du patrimoine urbain sont nombreux. En effet on a souvent tendance à limiter ces acteurs à ceux qui s’occupent exclusivement de patrimoine, oubliant les autres acteurs, notamment ceux liées à la gestion urbaine. Depuis le XIXème siècle, l’Etat joue un rôle majeur dans la gestion du patrimoine à travers son administration centrale. Elle repose aujourd’hui sur un certain nombre d’institution emblématique - dont les origines remontent au XIXème siècle - tel que la Commission nationale des monuments historiques (CNMH - crée en 1937) ou, plus récemment, la Commission nationale des secteurs sauvegardés, élaborée avec la loi Malraux (1962).

45

DEVERNOS Nils, LE BIHAN Gérard, MULLER Sara Op.Cit. 23


D’après Nils Deverons, ce monopole d’Etat historique dans le champ patrimonial est justifié par le caractère de « bien public » attribué aux éléments du patrimoine. Comme les routes, la distribution du courrier ou les chemins de fer, le patrimoine, qu’il soit privé ou public, participe à l’intérêt général et à ce titre il doit être pris en charge par des institutions étatiques afin d’assurer sa protection et sa conservation aux yeux de la nation. En France, l’Etat endosse des missions d’identification, de protection et de mise en valeur du patrimoine. Il demeure à travers les activités législatives, l’acteur central de la protection des monuments historiques et des ensembles urbains dont il identifie et prononce la valeur patrimoniale. En effet le service du patrimoine, qui constitue un des grands services dans la direction générale de l’Etat, se compose de diverses commissions nationales - des monuments historiques, des secteurs protégés, de l’Inventaire Général - qui sont chargées de l’étude, de la protection, de la conservation des monuments historiques et des espaces protégés au titre du Code du patrimoine et de l’urbanisme. Ce service de l’Etat élabore les textes législatifs et réglementaires relatifs à ces domaines et contrôle des actions visant à la protection du patrimoine. Ainsi, la sauvegarde du patrimoine dépend essentiellement des choix établis par l’Etat à travers sa politique à l’égard de la ville historique. Dans un contexte, où depuis 1983, les compétences de l’Etat sont décentralisées, les collectivités territoriales s’affirment de plus en plus en tant que gestionnaires de leur patrimoine à mesure qu’elles se voient confier de nouvelles responsabilités. En effet, en vue de l’élargissement de la notion de patrimoine, une diversification des éléments patrimoniaux se développe englobant un patrimoine culturel et local dans la gestion duquel l’implication de l’Etat parait moins évidente. Au même moment, les communes s’affirment en vue du renforcement de leurs compétences urbanistiques et patrimoniales et de leur proximité avec leur territoire. L’implication des communes devient de plus en plus évidente puisqu’elle va de pair avec une nouvelle manière d’envisager le patrimoine : longtemps considéré comme un élément d’identité nationale, le patrimoine s’impose de nos jours au niveau local « comme une ressource pour la construction et le développement des territoires »46. Dans ce contexte les stratégies locales des aménagements urbains s’entremêlent avec les enjeux patrimoniaux. De ce fait le patrimoine peut être mobilisé par les acteurs locaux comme moteur du développement urbain. L’attribution des responsabilités patrimoniales aux collectivités locales prend alors tout son 46

LANDEL Pierre-Antoine, SENIL Nicolas, « Patrimoine et territoire, les nouvelles ressources du développement », Développement durable et territoires, 2009 (en ligne : http://journals.openedition.org/developpementdurable/7563) 24


sens. Cette situation conduit à une nouvelle répartition des rôles entre l’Etat et les collectivités locales affirmant la décentralisation du pouvoir patrimonial. Cette évolution dans la conception du patrimoine comme élément de valorisation d’un territoire a aussi conduit à un phénomène que certains n’ont pas hésité à qualifier « d’inflation patrimoniale ». Puisque les collectivités locales voient dans les éléments du patrimoine des éléments de différenciation et d’attractivité, elles sont incitées à patrimonialiser le plus d’éléments possibles. La France compte aujourd’hui plus de « 40 000 monuments classés et inscrits, auxquels s’ajoutent plus d’une centaine de secteurs sauvegardés, près de 8 000 sites classés et inscrits et 600 ZPPAUP - Zones de Protections du Patrimoine Architectural, Urbain, et Paysager »47 . Chacun de ces objets ou zone possède ses particularités liées au territoire et à l’histoire dans lequel il s’inscrit. Par ailleurs cette multiplicité croissante des éléments de patrimoine fait peser une charge financière importante que l’Etat central ne peut pas supporter seul. Au-delà des raisons liées aux particularismes locaux, partager les coûts d’entretien et de conservation liés au patrimoine avec les communes, départements et régions était devenu une nécessité. Les collectivités territoriales deviennent alors elles aussi acteurs de la valorisation du patrimoine urbain et peuvent désormais mettre en œuvre, indépendamment de l’Etat, « des politiques volontaristes à l’égard du patrimoine »48. Les communes jouent un rôle central dans les projets de renouvellement urbain. Même si le service est fortement encadré par l’Etat, elles possèdent le rôle d’initiateur de projet et assume le financement des opérations. Un premier dispositif de protection voit le jour en 1983 (date marquante de la décentralisation) sur un principe de « gouvernance partagé »49 entre l’Etat et les collectivités locales : le ZPPAUP (Zones de Protections du Patrimoine Architectural, Urbain, et Paysager). Les ZPPAUP ne peuvent pas être imposés aux collectivités locales s’opposant de cette manière aux secteurs sauvegardés. Ces zones de protection sont définies à l’initiative des collectivités locales, pour défendre et mettre en valeur ce qu’elles identifient comme leur patrimoine local. Ce dispositif facultatif est le premier à faire l’objet d’une concertation entre les élus et les fonctionnaires d’Etat pour sa mise en place. La gestion des secteurs sauvegardés a aussi évolué en faveur de l’implication des collectivités locales. Le fonctionnement des PSMV (Plan de sauvegarde et de mise en valeur - attribué au secteur sauvegardé) a été repensé dans la foulée de la loi de décentralisation de 1983. 47

Ibid. p.76

48

DEVERNOS Nils, LE BIHAN Gérard, MULLER Sara Op. Cit. p.80

49

Ibid. p.79 25


Auparavant imposé par l’administration centrale aux documents locaux d’urbanisme il a évolué afin de devenir un document de collaboration entre l’administration centrale et collectivités locales. Pour assurer la cohérence des interventions, il était, en effet, devenu essentiel d’associer les autorités locales à la confection de ces documents de protection et d’articuler le PSMV avec les documents d’urbanisme locaux notamment le PLU (Plan local d’urbanisme). À la suite de la mise en place de ces dispositifs à l’échelle locale, les collectivités locales initient leurs propres inventaires urbains au sein de leurs documents urbanistiques afin de répertorier l’ensemble des éléments du patrimoine local remarquables et non protégés et de faciliter leur prise en compte et leur mise en valeur dans les politiques d’aménagement urbain. Au même titre d’importance que le rôle des collectivités, deux « démembrements » de l’Etat ont conduit à la création d’institutions importantes dans l’ensemble des acteurs de la gestion du patrimoine urbain que l’on pourrait qualifier d’opérateurs partenaires des collectivités : L’ANRU et l’ANAH. Ces derniers interviennent donc dans l’exécution et le financement des projets urbains en cohérence avec les politiques patrimoniales. L’Agence nationale de la rénovation urbaine (ANRU) établissement public crée en 2004, a pour mission d’initier des actions d’envergures pour rénover et créer de la mixité sociale dans les quartiers dits sensibles. Sans reproduire les destructions massives des années 5050 , l’ANRU collabore avec les collectivités locales pour mener au mieux ses actions de rénovation. Dans le même registre, l’Agence nationale de l’amélioration de l’habitat (ANAH) devient un acteur central pour la lutte contre la dégradation notable du parc immobilier privé. En 1970, lorsque émerge cette prise de conscience, l’Etat met en place l’ANAH afin d’agir face aux problématiques de dégradation et d’insalubrité que connaissent notamment les centres anciens. Plus récemment c’est aussi cette agence qui s’est attaquée à la question de la vacance des logements51 Enfin, la période « d’exaltation patrimoniale » que connait la France depuis les années 70 s’est accompagnée de la montée en puissance du secteur associatif. Engagées dans la protection d’un patrimoine de proximité, les associations marquent une nécessité de se mobiliser pour un patrimoine d’ordre social et identitaire qui s’inscrit comme « symbolique du territoire ». Au Le concept de rénovation urbaine en France date juridiquement de la fin des années 1950. À l'époque, il s'agit de lutter contre l'habitat ancien insalubre, et la rénovation urbaine désigne alors la démolition globale de ces îlots pour permettre la construction de logements neufs et la création de tissu urbain adapté à la ville moderne. C’est dans seulement à partir des années 1970 que grâce au nouveau regard porté sur la patrimoine, que la rénovation urbain se défini autrement. 50

51

Rapport de l’ANAH « Vacances des logements, stratégies et méthodes pour en sortir. » (en ligne: https:// www.anah.fr/fileadmin/anah/Mediatheque/Publications/Les_guides_methologiques/Guide-Vacance-deslogements.pdf) 26


départ cela s’est fait à travers des fédérations nationales (historiquement anciennes) qui ont permis « un vaste mouvement d’ouverture aux grands publics » ce qui a engendré par la suite une augmentation du nombre d’adhérent dans ces structures associatives. De ce fait de nombreuses associations patrimoniales diversifiées52 émergent en parallèle de la répartition des compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales, et sont perçues comme des « facilitateurs de la valorisation de patrimoine local ». En matière d’identification du patrimoine - souvent en partenariat avec l’Inventaire Générale du service de l’Etat - elles permettent de forger l’identité locale autour de la considération d’un bien patrimonial. Elles jouent aussi un rôle important dans la « défense du patrimoine sur le terrain » afin d’exercer une influence sur les pratiques et les politiques publiques.

Les outils de la gestion du patrimoine urbain
 Les outils et dispositifs au service du patrimoine sont nombreux afin de s’adapter à la diversité des situations auxquelles nos villes anciennes font face. Cependant, deux logiques cardinales se distinguent dans la manière d’intervenir sur l’espace urbain patrimonial et chacune est associée à une panoplie d’instruments répondant à ses objectifs. J’expliciterai brièvement ces deux logiques ci-dessous avant de revenir plus en détail sur les instruments politiques et urbanistiques qui les accompagnent. Il y a d’une part une logique de conservation qui conduit l’Etat ou les collectivités locales à préserver un patrimoine d’exception qui contribue (ou sera amené à contribuer) à faire l’identité de la ville. Ces politiques de conservations se traduisent essentiellement par des outils réglementaires et législatifs sur lesquels s’appuient les pouvoirs publics pour mettre en œuvre des restrictions pour la protection du patrimoine. D’autre part, une logique de requalification du patrimoine urbain s’est développée afin de prendre en compte la nécessité d’un confort urbain pour générer une dynamique urbaine. S’appuyant sur le constat que la protection n’est pas suffisante pour la sauvegarde du patrimoine, elle poursuit des objectifs de lutte contre la vétusté et de mise en conformité du bâti ancien, plus que de construction de l’identité. Cette réhabilitation du patrimoine s’accompagne d’outils qui sont principalement d’ordre opérationnel, afin d’engager des actions concrètes sur le patrimoine et de le faire perdurer en l’intégrant à la dynamique des centres-villes. 52

Des exemples de ces associations sont : L’Association nationales villes et pays d’art et d’Histoire et des villes à secteurs sauvegardés et protégés (ANVPAH et VSPP), la Fédération nationale des associations de sauvegarde des sites et ensemble monumentaux (FNASSEM), les Vieilles maisons françaises (VMF), etc… 27


La panoplie de dispositifs qui réponde à la logique de conservation du patrimoine s’est diversifiée au fil du temps et évolue à mesure de l’élargissement du champ du patrimoine et de l’implication croissante des acteurs locaux. L’année 1913 voit la première loi relative à la protection des monuments historiques, elle est complétée de la loi de 1943 pour la préservation des abords de ses même monuments. Un périmètre de protection de 500m autour du monument est défini, à l’intérieur duquel aucune intervention modifiant l’aspect peut avoir lieu sans autorisation. Ces premières dispositions permettent d’assurer la protection d’édifices ou monuments remarquables, et en particulier ceux qui avaient été inscrits et classés sur les « listes des monuments historiques » au XIXème siècle. En 1962, la loi Malraux autorise la définition des secteurs sauvegardés (SS) créés par prescription et régit par un document d’urbanisme spécifique (qui se substitue aujourd’hui au PLU dans les zones où il s’applique) : le Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur (PSMV). Ce document à vocation patrimoniale est extrêmement précis et contraignant : il vise à permettre l’application des règles existantes de protection du patrimoine tout en s’appuyant sur une étude approfondie du tissu urbain et les prescriptions architecturales particulières, liées au Secteur Sauvegardé concerné. Puisqu’il s’applique à un périmètre, et pas uniquement à des édifices, le PSMV règlemente autant les manières de restaurer les bâtiments que celles d’occuper et d’aménager le domaine public (enseignes lumineuses des magasins, dissimulation des systèmes de fermetures des commerces …). Comme nous l’avons évoqué précédemment le processus de décentralisation s’est accompagné d’une extension du champ des acteurs de la gestion patrimoniale en direction des institutions locales (collectivités, associations …). La création des ZPPAUP par la loi de décentralisation de 1983 offre ainsi le pouvoir aux collectivités locales d’être à l’initiative de la définition de périmètres de protections de patrimoine en cohérence avec les réalités locales. Les ZPPAUP sont définies par la loi comme une « servitude d’utilité publique », elles permettent d’assurer une mise en valeur du patrimoine historique, architectural et urbain dans un esprit qui associe protection et projet et vise ainsi plus à promouvoir un aménagement respectueux du patrimoine qu’une conservation stricte. Enfin les restrictions qui s’inscrivent au sein du PLU pour la préservation du patrimoine urbain se développent aussi dès 198053. 53

A partir du mouvement de la décentralisation, les documents urbanistiques connaissent des améliorations pour mieux appréhender le patrimoine local : la loi de 1976 pour « traiter plus finement la réhabilitation des centres anciens » ; loi de 1993 qui élargit le champ patrimonial à des éléments paysagers ; loi de 2000 pour protections appliquées aux ilots et espaces publiques pour leur mise en valeur et leur requalification. 28


Sara Muller désigne ces différents outils et dispositifs de protection du patrimoine comme des « défenseurs » : ils répondent essentiellement à la logique de conservation. Cependant, il convient de rappeler que le patrimoine urbain est constitué d’édifices historiques majoritairement des logements - qui pour se préserver doit maintenir la population et s’intégrer dans notre société. Pour cela divers outils permettent la mise en œuvre d’actions de réhabilitation du patrimoine, en vertu de la logique de requalification que nous avons décrite. Le plus souvent il s’agit d’outils opérationnels, complémentaires des outils règlementaires de protection, qui visent à restaurer le bâti dégradé et initier une dynamique nouvelle. Par exemple le périmètre de restauration immobilière (PRI) est un outil qui permet de contraindre les propriétaires à réaliser des travaux pour la requalification et la mise en valeur de leur bien. Ils peuvent être couplés aux secteurs sauvegardés, et l’articulation entre ces deux outils a d’ailleurs fait l’objet de dispositions réglementaires. Conscient du coût élevé des réhabilitations pour des bâtiments au sein d’un secteur sauvegardé, un dispositif fiscal - la fiscalité dite Malraux - offre la possibilité d’emprunter selon les déficits induits par les travaux prescrits par le PRI afin d’accompagner les propriétaires dans la revalorisation de leur bien. Cette fiscalité Malraux a permis de favoriser la réhabilitation des centres anciens. En donnant une part d’attractivité à ces logements anciens, la dynamique du centre-ville se déplace vers ses quartiers historiques. Néanmoins des limites sont constatées par Sara Muller, selon qui ce couplage a tendance à aller en « défaveur de la population résidente initiale »54 les obligeant généralement à migrer dans des secteurs plus abordables : le phénomène de gentrification. Les ZPPAUP qui se développent plus tardivement, s’articulent la plupart du temps avec des opérations programmées de l’amélioration du l’habitat (OPAH). Cet outil développé par l’ANAH, en collaboration avec les collectivités locales et l’Etat, permet d’engager des interventions lourdes de requalification du tissu urbain, dans les territoires où des besoins sont identifiés (insalubrité, obsolescence du bâti). Cette opération vise à améliorer les conditions des ménages des centres anciens selon un principe de mutualisation des aides. A la différence de la fiscalité Malraux - plutôt dédiée à des propriétaires fortunés - ces aides ont la vertu de constituer un instrument plus favorable au maintien de la composition sociale. L’OPAH est un puissant outil pour la réhabilitation des centres anciens faisant levier pour la revitalisation des quartiers historiques. En parallèle à la réhabilitation des bâtiments, elle contribue aussi à faire évoluer les espaces et équipements publiques. Ainsi, son efficacité est 54

DEVERNOS Nils, LE BIHAN Gérard, MULLER Sara Op. Cit. p.159 29


telle qu’elle constitue aujourd’hui l’un des principaux outils d’interventions dans les centres anciens. A Lyon et Marseille, par exemple, des dizaines d’opérations de ce type ont été déployées depuis les années 70. En 2002, une nouvelle génération « d’opérations programmées » se créent pour répondre à des besoins plus spécifiques tel que OPAHCopropriété dégradé ou encore OPAH-RU pour le renouvellement urbain. La connaissance des instruments d’actions publiques portés par des groupes d’acteurs spécifiques permet généralement de mieux saisir les tenants et aboutissants de la gestion du patrimoine. En effet comme nous l’explique Mathieu Gigot, dans son chapitre « Patrimoine en action(s), un regard sur les politiques »55 , les dispositifs mis en place sont « en lien logique entre le problème traité et les objectifs d’une politique publique ». A la lumière de ce que j’ai exposé précédemment je pourrais d’ailleurs rajouter que selon les dispositifs utilisés ce ne sont ni les mêmes acteurs, ni les mêmes logiques d’interventions qui seront priorisées dans la mise en valeur du patrimoine. Ainsi, la question du choix des outils et de leur articulation est déterminante dans l’élaboration de la politique patrimoniale et représente même « [son] enjeu majeur » d’après Mathieu Gigot.

Les limites de la patrimonialisation Comme nous venons de le voir, les instruments à la disposition des acteurs locaux pour gérer la patrimonialisation de l’urbain sont de plus en plus nombreux, et tous n’ont pas les mêmes effets, ni demande la même implication. Ainsi, comme le souligne Sara Muller, « Le succès des opérations dépend alors de la faculté des responsables de l’urbanisme d’identifier parmi l’éventail d’outils disponibles, les meilleures combinaisons »56 pour un juste équilibre entre conservation et réhabilitation. Néanmoins c’est le mauvais dosage entre ces deux logiques attribuées au patrimoine qui est la cause de la plupart des faiblesses dans la sauvegarde du patrimoine urbain. Force est de constater, que le processus de patrimonialisation est aujourd’hui engagé dans la plupart des villes françaises, conduisant à une généralisation des politiques patrimoniales. Cela s’explique en partie par le phénomène de labellisation mis en place par l’UNESCO

GIGOT Mathieu, « Patrimoine en action(s), un regard sur les politiques » p. 401-421 in. Le patrimoine, oui, mais quel patrimoine ? Actes Sud, Paris, 2012 55

56

MULLER Sara, « Patrimoine et revitalisation des centres anciens : le modèle français confronté aux villes du sud », p. 21-34 in Épargne sans frontière « Techniques Financières et Développement » n° 118, 2015. p.27 30


attribuant le titre de patrimoine mondial. La sauvegarde du patrimoine est dans une sens « dictée par un système mondialisé »57, ce qui aurait tendance à standardiser les interventions sur le patrimoine urbain. D’après Ricardo Bofill « La standardisation des procédés de constructions va dans le sens d’un style international en architecture, et les aménageurs en ont souvent déduit que la ville doit, comme l’architecture, être partout identique. »58 De ce fait, les acteurs locaux produisent des espaces urbains pour gagner cette reconnaissance mondiale, oubliant les particularités locales. Malgré l’effort de valorisation, les acteurs locaux ont tendance à chercher une continuité visuelle autour de l’aménagement des centres historiques qui est souvent la source de la perte d’identité : les mêmes pavés, les mêmes mobiliers, les mêmes matériaux etc. Le risque ici est de faire face à une patrimonialisation qui reflète davantage les représentions occidentales que celles des habitants. Au-delà de cette uniformisation causée par l’effet de labellisation mondiale, le processus d’identification du patrimoine français peut aussi avoir des effets néfastes. Le fonctionnement actuel pour la préservation du patrimoine français distingue deux formes de patrimoine lors de son identification : patrimoine majeur et patrimoine mineur59. Incontestablement cette distinction possède des contrariétés qui engendre des effets pervers sur le patrimoine. Mathieu Gigot va jusqu’à opposer ce processus de reconnaissance à « une simple mise en vitrine du centre-ville »60. Dans un premier temps, cette distinction ne prend pas en compte les aspects fonctionnels et sociaux. Comme l’exprime très bien Corinne Langlois dans son ouvrage « Le patrimoine territoire en projet »61 : un bâtiment ne possédant aucune fonction sociale peut être considéré comme patrimoine majeur. Il possède donc un titre de monument sans rôle structurant ce qui amène à sa mise en lumière de manière artificielle. Les soins particuliers pour la mise en lumière des monuments du patrimoine majeur engendrent alors un surinvestissement notable. Ce surinvestissement appuyé par la politique de préservation est source de commercialisation des lieux, et devient un véritable outil marketing pour la ville. Ici le patrimoine est utilisé comme vitrine, en fonction des considérations économiques. De ce fait l’investissement dans la mise en valeur du patrimoine court le risque d’être priorisé vers des

57 GIGOT Mathieu, Op. Cit p. 402 58 BOFILL Ricardo, « L’architecture des villes », Editions Odile Jacob, mars 1995, p.177 59

Le patrimoine majeur qui bénéficie d’une conservation non négligeable administré par l’Etat et dont sa conservation dans le temps engendre des contraintes qui peuvent être contestées. Le patrimoine dit mineur était généralement laissé aux collectivités locales représentant le petit patrimoine. 60

GIGOT Mathieu, Op. Cit p. 412

61 FAUVEL Marie-Mathe et LANGLOIS Corinne, Op.Cit.

31


Figure 3 : La ville de Venise en oublie sa fonction de ville submergée par des vagues touristiques. « Victime de son immense succès, la cité des Doges est en train de devenir une ville-musée. »

32


monuments qui favorisent le tourisme au détriment des édifices patrimoniaux remplissant des fonctions ordinaires inappropriables par le tourisme. Par conséquent, lorsque l’accent est mis de façon trop importante sur les logiques de conservation cela génère des villes musées qui deviennent « des lieux humainement morts ». En effet, d’après Claude Richard « une ville musée n’est plus un lieu d’interactions sociales quotidiennes »62 puisque la vie sociale à tendance à disparaitre dans ces lieux touristiques. Dans le cas de ces villes musée, la réhabilitation s’adresse généralement au bâti, sans prendre en compte l’équilibre social qui donne vie au patrimoine et c’est en ça que les faiblesses sont notables. Claude Richard appuie le cas de Venise comme étant un exemple révélateur d’un « charme empoisonné » pour les vénitiens. Ainsi, ce phénomène de conservation détruit généralement le tissu urbain originel de la ville et transporte la population ailleurs. Concrètement ce sont les effets de la fiscalité Malraux dont j’ai abordé auparavant, associé au PSMV centré essentiellement sur la valorisation des éléments patrimoniaux qui se voient être la cause.

Ici, le processus de patrimonialisation sans la prise en compte de la composante

sociale génère de manière inévitable le phénomène de gentrification. Ce phénomène témoigne de la difficulté des politiques patrimoniales à contrôler les puissances dispositifs de valorisation et conservation mis en place dans le cadre de la réhabilitation des quartiers centraux. Ces propos sont appuyés par Sara Muller qui affirme que « les actions de réhabilitation ne peuvent, par ailleurs, faire l’économie d’un important accompagnement social. »63. Par conséquent, une bonne intervention sur le patrimoine urbain dépend aussi de « la maîtrise des mutations engagées sur le tissu social »64 . L’expression habitante elle aussi semble être la source de la patrimonialisation, dans une époque où la notion de patrimoine recouvre des dimensions immatérielles telle que des cultures, des pratiques et savoirs faire. Dès lors, le maintien de la composante sociale est essentiel afin de faire perdurer ces éléments au cœur des éléments de patrimoine matériel (ville, quartier, bâtiments …) où ils trouvent leur sens. Jean Davallon met en lumière la patrimonialisation comme n’étant plus liée « à la découverte de « choses » faisant patrimoine, mais [qui] prend la forme d’une reconnaissance de l’importance d’un élément de sa culture »65. 62

RICHARD Claude, « Entre culture et économie, la réhabilitation comme langage sociale » p.23-26 in « Vieux quartiers, vie nouvelle, la réhabilitation en milieu historique », Actes du colloque de Tunis, juin 1997 p.23 63 MULLER Sara, Op.Cit p. 27 64 Ibid. p. 27 65

DAVALLON Jean. « À propos des régimes de patrimonialisation : enjeux et questions. » in Patrimonialização e sustentabilidade do património: reflexão e prospectiva, Lisboa, Portugal, 2014. p.13 33


Néanmoins dans ce domaine il ne semble pas exister de recette à suivre pour réussir. Il faut porter l’attention à l’observation de terrain et prendre en compte les habitants dans les décisions patrimoniales. Je remets ici en question la légitimité des acteurs actuelles à prendre les décisions étant généralement éloignés des réalités locales de ceux qui y vivent. Pour la suite de ce mémoire je m’intéresserai à l’analyse du processus de patrimonialisation selon deux de ses manifestations différentes au sein d’un même centre-ville. Je tâcherai ainsi de montrer comment ces deux exemples illustrent la diversité d’approches, d’acteurs, et des manières concrètes de faire patrimoine, afin de dévoiler leurs effets sur le tissu urbain et leur population.

34


II. La métamorphose du cœur de Nîmes Nîmes est une ville que je connais bien et qui m’a vu grandir. Comme j’ai pu l’expliquer dans mon avant-propos, cette connaissance intime de la ville a été le motif principal de ma volonté de la traiter comme cas d’étude. Cependant un autre événement, qui a piqué ma curiosité, a été déterminant dans mon choix : le refus de l’UNESCO de classer la ville au patrimoine mondial de l’humanité en 2018. Cette décision intervient au terme d’une longue période de revalorisation du centre-ville et des monuments historiques qui, visiblement, n’a pas suffi à créer un projet et une vision du patrimoine nîmois qui emporte l’adhésion de cette institution internationale. Dans cette deuxième partie je propose une lecture de la revalorisation du centre-ville qui s’inspire des réflexions théoriques sur la patrimonialisation. Mon objectif est de déchiffrer quelle vision particulière du patrimoine a été promue par les aménagements à l’initiative de la municipalité et quelles en sont les répercussions.

2.1. Vers une modernité perpétuelle

De la ville romaine à celle du commerce de soie, la ville de Nîmes a su conserver son héritage sans cesser de se tourner vers l’avenir. D’après Jean-Pierre JOUVE, architecte en Chef des Monuments Historiques, spécialisé dans la ville de Nîmes « Oublier le passé, c’est déshériter l’avenir »66. Arènes, Jardins de la Fontaine, Maison Carré, Tour Magne etc.., ces monuments et sites sont les symboles incontestables d’une ville qui n’a cessé de se moderniser sans effacer les traces de son passé. Dès le milieu des années 1970, les bouleversements consécutifs à la transition postindustrielle conduisent les collectivités locales à redéfinir leurs politiques urbaines. Dans un contexte de compétition territoriale, les modes de gestion urbaine se modifient sous l’influence de cette quête d’attractivité. La ville est marquée par une nécessité de se moderniser afin de ne pas tomber dans l’oubli face à l’essor de ses villes voisines, et notamment de Montpellier qui avait toujours été une ville de taille équivalente jusqu’ici.

66

JOUVE Jean-Pierre, « Le secteur sauvegardé de Nîmes » dans Ville de Nîmes, Guide pratique. Dossier officiel de la ville, 2007 p.1 35


Figure 4 : Cartes anciennes de la ville de Nîmes marquant son évolution au XVIIIe siècle. De haut en bas : Plan de la ville et du fort Nîmes sous le règne de Henri IV, 1744 ; plan de la ville et de ses embellissements, par J.-A. Raymond, 1785

36


Les équipes municipales successives se donnent ainsi pour objectif de faire de Nîmes une ville moderne. Cette volonté est lisible dans les discours des élus de la ville et toutes les actions entreprises par les équipes municipales successives seront basées sur cet enjeu. Encore aujourd’hui l’idéal de modernisation reste présent dans les politiques municipales, mais à quel prix ?

Une évolution explosive Bien que connue pour ses monuments antiques, Nîmes est longtemps restée une ville de moindre importance, elle doit sa richesse essentiellement à l’explosion de l’industrie textile au XVIIIème siècle. Dans le sillage de la révolution industrielle, Nîmes fait l’effet « d’une ville qui explose »67 et le secteur textile offre un monopole à la ville et une économie prospère, qui fera d’ailleurs la renommée de la ville puisqu’elle donne son nom à ce qui deviendra l’une des toiles de tissu le plus utilisé au XXIème siècle le jean denim (de Nîmes). Aux prémices de cet essor économique, la ville se développe au sein de l’enceinte romaine de 30 hectares accueillant environ 1300 maisons. Le plan de la ville sous le règne de Henri IV montre un tissu urbain resserré dans ses enceintes avec très peu de vides urbains. L’entassement du bâti exclut la présence de places publiques et d’espace vert. Cet enfermement rend la ville insalubre et invivable, comme de nombreuses cités moyenâgeuses construites sur ce modèle. Au début du XVIIIème siècle, le développement de l’industrie textile crée énormément d’emplois et place la ville de Nîmes au centre d’un réseau commercial aux ramifications mondiales. Cet essor économique entraîne incontestablement un renouvellement important des structures sociales des habitants de la ville. D’après les données extraites de l’ouvrage Urbanisme et société : l'exemple de Nîmes aux XVIIe et XVIIIe siècles de Line TeisseyreSallmann, Nîmes devient une ville attractive et connait une hausse démographique importante : sa population triple en l’espace de 60 ans. De plus, Line Teisseyre-Sallmann affirme que « l’industrie accélérée juxtapose une nouvelle société et une incontestable modernité »68 .

En effet, en cette période marquée par un essor industriel important, les

changements socio-démographiques qui s’en suivent et l’apparition d’une nouvelle société

TEISSEYRE-SALLMANN, Line. « Urbanisme et société : l'exemple de Nîmes aux XVIIe et XVIIIe siècles. » dans Annales, économies, sociétés, civilisations, 1980. p.965 67

68

Ibid. p.971 37


Figure 5 : Schématisation de la croissance urbaine de Nîmes D’une cité ancienne à une ville ouverte

38


influencent en retour le développement de la ville. Nîmes est contrainte de se redéfinir spatialement et de se moderniser, pour faire face à ces nouvelles contraintes. Au cours du siècle « les conditions du remodelage de l’espace urbain sont définies »69 afin de répondre aux besoins d’une société tournée vers de nouveaux idéaux. L’opération de renouvellement urbain et du plan d’embellissement de la ville est confiée à l’architecte JeanArnaud RAYMOND qui, conciliant l’utilité et l’esthétique, propose un plan d’urbanisme « qui ouvre la ville sur son territoire et qui n’ignore ni le thème essentiel de la représentation du pouvoir royal en province, ni l’idée d’un urbanisme utile affranchi des tracés anciens, ni l’ancrage dans la filiation antique. » 70 Le tissu urbain connait ainsi une évolution explosive. A travers les cartes historiques datant de cette période, on constate que la ville est à la recherche d’espace et commence à s’étaler aux abords de l’enceinte romaine. De nouveaux quartiers se déploient au-delà des remparts afin de fuir l’insalubrité et d’offrir à la population des conditions de vie plus agréables. Cette extension progressive des limites de la ville aboutit naturellement à la mise en cause de l’enceinte romaine. Négligée et laissée à l’abandon, elle finit par être démolie en 1785. On pourrait en déduire que cette démolition est l’acceptation d’une nouvelle urbanisation de la ville puisqu’en effet au travers du XVIIIème siècle la dualité entre la cité et les faubourgs s’efface sous le poids de l’industrie et de l’arrivée en masse de cette nouvelle population. Il est donc nécessaire de penser l’espace urbain en fonction des nécessités d’échanges et de circulations. Ce dynamisme conquérant fait de Nîmes une des villes industrielles les plus remarquables en France. Les nouveaux quartiers qui émergent à cette occasion apportent à la ville sa réputation de « ville ouverte »

71.

Le rapport entre la cité ancienne et ses faubourgs fait place

progressivement à une nouvelle unité urbaine : un ensemble composé de différents quartiers hiérarchisés intégrant une véritable modernisation de la conception de la ville. Lors de cette révolution industrielle, le patrimoine urbain est perçu comme source de contrainte qui est dépassée par l’extension hors les murs. La ville se modernise sans remettre en cause le patrimoine.

69

PUJALTE-FRAUSSE Marie-Luce. « Nîmes à la fin du XVIIIe siècle : une ville éprise de son histoire. » Le projet de Jean-Arnaud Raymond, architecte des États de Languedoc, 2010. p.149-157. p.149 70

Ibid. p.152

71

TEISSEYRE-SALLMANN Line, Op. Cit, p.979 39


La ville se voit redéfinie de manière « idéologique ». L’essor industriel conduit à une nouvelle ville qui s’éloigne de la ville médiévale. Chaque quartier a son importance, « les faubourgs perdent leur vocation rurale pour une fonction de production nécessaire à la ville urbaine »72 . La cité romaine, conserve un rôle administratif, politique et commercial compte tenu de sa centralité. Les nécessités d’une ville sont chamboulées, les pôles d’activités définissent l’urbanisme et l’architecture est perçue comme « un art par lequel les besoins les plus importants de la vie sociale sont remplis »73. Au fil du siècle la croissance et l’aménagement de la ville se poursuivent sous l’essor de ce dynamisme commercial. La ville se déploie répondant à une politique de grands travaux et aux besoins d’une société plus contemporaine. Néanmoins au début du XXème siècle, la croissance démographique stagne, ce qui se traduit sur le plan spatial par l’immobilisation de projet d’urbanisme. L’effet de métropolisation et d’étalement urbain déplace ce dynamisme vers les quartiers périphériques en mettant en place des centres d’activités commerciales qui appauvrissent le centre ancien. Comment la ville de Nîmes a-t-elle réagit pour faire perdurer son centre historique ?

1980, La modernité comme nouveau langage politique Le géographe et théoricien de l’urbanisme Marcel Roncayolo s’est beaucoup intéressé à l’évolution des villes. Selon lui, la fin du XXème siècle est pour la France une période « de recomposition du discours de la ville et de ses pratiques »74. En effet à cette période les villes se questionnent sur la nécessité de requalifier et de régénérer l’espace urbain. Comment concilier l’architecture moderne avec un tissu patrimonial ? Comment recréer un cadre de vie agréable tout en conservant la richesse patrimoniale des villes ? Comment tendre vers plus de modernité dans des villes pleine d’héritage du passé ? Ces problématiques caractéristiques de l’urbanisme des années 80 feront l’objet d’une attention particulière à Nîmes qui connaitra une importante évolution urbaine. Au début des années 80 la ville - comme tant de lieux emblématiques de la révolution industrielle – connait un déclin important de son activité économique, Jean-Paul Volle dira

72

Ibid. p.978

BOULLÉE, Etienne-Louis. « Considérations sur l'importance et l'utilité de l'architecture, suivies de vues tendant au progrès des beaux-arts », Paris, 1780-1790, p.52. 73

74

RONCAYOLO Marcel, « Préface », dans Patrizia Ingallina, Le projet urbain, Mayenne, Que sais-je ?, 2010. p.5 40


qu’elle est marquée par « un affaiblissement industriel de la ville qui en avait fait sa richesse »75 . Les conséquences sur l’organisation de la ville et sur la vie des habitants se feront remarquer permettant l’arrivée à la mairie d’une équipe municipale présidée par Jean Bousquet. En opposition totale avec ses prédécesseurs, Jean Bousquet, homme d’entreprise, donne, au cours de ses 12 ans de mandat, une toute nouvelle direction à la gestion de la ville de Nîmes. « A 51 ans, ce leader de l'industrie de l'habillement découvre la politique avec fougue, voire avec une certaine naïveté. »76. En effet, alors qu’il est encore à la tête de l’entreprise Cacharel, il est élu en 1983 et découvre le monde de l’administration municipale « avec une réelle surprise, mais aussi un grand intérêt »77. Avec son slogan « Vendre Nîmes comme une entreprise », il défend l’idée que l’on peut comprendre et administrer une ville comme on gère une entreprise. Dans un entretien, particulièrement instructif, publié par la Gazette des communes en 1986, il interpelle le lecteur sur la pertinence de « refuser de s'inspirer des concepts fondamentaux de l'entreprise qui, dans le cadre des compétences élargies de la commune, font désormais de celle-ci un acteur économique privilégié ». Pour lui, en dépit de ce qui peut être dit, ces deux mondes sont beaucoup plus proches qu’ils n’en ont l’air ce qui justifie l’application d’une logique gestionnaire dans le domaine de l’administration d’une ville. Il est intéressant de remarquer qu’il livre ici, sans détour, sa vision de ce que signifie « gérer une ville ». Cette vision est évidemment directement inspirée de son expérience personnelle : il a été à l’initiative de la création d’une marque de prêt à porter, fondée à Nîmes, qui a connu un grand succès, en France et à l’international. Sa compréhension et sa maitrise de l’arsenal des techniques de management ont permis à sa marque d’émerger et de s’imposer. Il s’est fait remarquer, notamment, par des méthodes de communication innovantes qui ont fait de lui un précurseur dans la « publicité » et qu’il a su utiliser par la suite pour son mandat. Jean Bousquet symbolise la modernité comme un support « idéologique d’un mode de gestion de la ville »78. Ses discours s’appuient sur cette notion afin de séduire ses électeurs de l’époque. Catherine Bernier développe dans son ouvrage Nîmes, le choc de la modernité, une analyse très convaincante lorsqu'elle montre que « la modernité de Nîmes se confond avec la notion de 
 VOLLE Jean-Paul, « La croissance urbaine de Nîmes » Bulletin de la Société Languedocienne de Géographie n°4 d’octobre-novembre p.196 75

76

HOFFMANN-MARTINOT Vincent. « Gestion moderniste à Nîmes : Construction d'une image de ville. » In: Les Annales de la recherche urbaine, N°38, 1988. Villes et Etats. p.95-103; p.95 77

La Gazette des communes, 15 septembre-5 octobre 1986 : p59-60.

78

BOCKLANDT Fanny, « “Expérience Nîmes” : de l’art de la ville à sa représentation », dans Éléonore Marantz (dir.), L’atelier de la recherche. Annales d’histoire de l’architecture, Paris, site de l’HiCSA, mis en ligne en mars 2019, p.55 41


Figure 6 : Photographie aérienne de la ville de Nîmes en 1980

42


mouvement, de relève, et de renouvellement. »79 En effet, en m’appuyant sur ses propos, la modernité peut traduire une régénération de l’urbain et une volonté de tendre vers le changement. Cette évolution qu’amène la modernité est aussi le synonyme de dynamisme pour ceux qui provoquent ce changement vers quelques choses de plus proche de nous. Ce changement peut alors être perçu comme l’engagement de la municipalité à entreprendre des projets qui rendent la ville plus actuelle. Dans son article Expérience Nîmes80, Fanny Bocklandt analyse un certain nombre de discours électoraux de Jean Bousquet81. Elle y relève ce qu’elle prend la liberté de nommer « une inflation sémantique » de la nouveauté dans sa manière d’agir : nouveau souffle, pour parler d’une zone d’activité par exemple, nouvelles frontières, ou encore nouveau pouvoir pour répondre à une nouvelle attitude. Cette récurrence dans le langage politique marque la volonté de centrer ses propos sur la notion de modernité vue comme un changement vers une ville nouvelle. De plus, cette mise en place progressive d’une nouvelle forme urbaine s’accompagne d’un discours valorisant la notion de mouvement. Je relève dans l’article de Fanny Bocklandt des extraits du discours Jean Bousquet : à Nîmes, l’audace, ça marche ! où ses propos sont explicités par le maire : « L’espace urbain tout entier est aujourd’hui saisi d’un mouvement perpétuel, signe de changement et de dynamisme » Ce nouvel élan donné à la politique d’aménagement et de conception urbanistique se traduit par l’arrivée de nouvelles formes d’architectures au sein du cœur de ville. La politique municipale qui s’affirme alors entend monter d’un cran en faisant de l’architecture du centreville, une architecture contemporaine et exclusive. A cet effet, la ville fait appel à plusieurs architectes internationaux de renom, pour s’inscrire dans le club des villes qui comptent. Normal Foster, par exemple, est désigné pour concevoir une médiathèque et un Centre d’Art Contemporain (aujourd’hui appelé Carre d’Art) face à la Maison Carré. A l’origine, la volonté de Jean Bousquet était que ce lieu devienne « le Beaubourg Nîmois »82 . Cela montre bien que sa volonté de « moderniser » passe aussi beaucoup par l’application de modèles qui ont pu fonctionner dans d’autres lieux. La modernité (en tout cas dans la vision promue par Bousquet) est assez opposée à l’idée d’identité ou d’authenticité défendue par le patrimoine. Notamment parce que dans les années 80, l’image de la modernité est intimement liée à la mondialisation, ce qui en fait une notion

79

BERNIER_BOSSARD, Catherine, « Nîmes, le choc de la modernité, » Paris : L'Harmattan, 1993

80

BOCKLANDT Fanny Op.Cit p. 51-66

81

Source non identifiée

82

HOFFMANN-MARTINOT Vincent, Op. Cit. p.100 43


Figure 7 : Photographie de Olivier Mouton de l’inauguration du Carré d’Art, le 8 mai 1993

44


uniforme à grande échelle. Ce qu’on appelle « modernité » c’est accéder au progrès technique incarné par la voiture, le pétrole, l’électroménager … A l’échelle des villes, cette vision du progrès se traduit par des innovations architecturales qui produisent un modèle quasi unique de ville globale, à une époque particulière. Et ce modèle a largement « colonisé » l’esprit de Bousquet. Les projets architecturaux qui marquent cette époque, le Carré d’art, mais aussi l’aménagement des arènes et réhabilitation du fort Vauban ont été très exposés grâce à la médiation importante et quasi constante de ces différentes interventions. Le CAUE du Gard explicite cette démarche en expliquant rétrospectivement qu’il était question pour le maire de « lancer un vaste programme de “grands projets” [afin de] porter l’image médiatique de la ville et celle de son maire »83. Cette communication est-elle l’impulsion nécessaire pour donner à la ville et à sa municipalité un image moderne et dynamique ?

Ville médiatisée, ville moderne Comme la plupart des villes qui, à cette époque, s’inscrivent dans une dynamique de modernisation, Nîmes axe sa stratégie de promotion sur la communication de masse. Un recours important aux images et aux slogans dont le but est de mettre la ville en valeur et de la distinguer notamment dans le contexte de la rivalité qu’elle entretien avec la ville voisine de Montpellier – également engagée dans une modernisation rapide. Fanny Bocklandt, qui traite du sujet, nous explique que « avec la révolution d’image qui accompagne l’évolution de la société, certaines collectivités locales augmentent leurs dépenses publicitaires. »84 . Là encore, son propos s’appuie sur une analyse du discours municipal qui a évolué très rapidement, à la fois « dans ses contenus, [mais] également dans la forme »

85,

essayant de séduire et

d’atteindre au maximum l’attention de la population, résidente ou non. Pour Nîmes la communication est donc devenue une nécessité pour instaurer une image positive de la ville et favoriser ainsi un développement économique basé essentiellement sur le tourisme et la culture. Pour Jean Bousquet, toutes actions de développement de la ville se doivent d’être accompagnées par une communication structurée donnant une visibilité interne et externe : « si ce n’est pas médiatisé c’est que ça n’intéresse personne. ». J’apprends dans

83 CAUE 30 - Conception, « Architecture et pouvoir, l’exemple de Nîmes » mars, 2002, p.23

BOCKLANDT Fanny, « “Expérience Nîmes” : de l’art de la ville à sa représentation », dans Éléonore Marantz (dir.), L’atelier de la recherche. Annales d’histoire de l’architecture 2016 Paris, site de l’HiCSA, mis en ligne en 2019, p.58 84

85

Ibid. p. 58 45


l’article de Fanny Bocklandt que lors des campagnes électorales, les slogans tel que « J’aime Nîmes » ou encore « On y va ! » propres à Jean Bousquet sont « placardés partout dans la ville et deviennent sa signature »86 .

Par ces mots, le futur maire montre l’importance et la

détermination de s’investir dans la ville utilisant l’outil marketing entrepreneurial pour ses discours politique. En effet sa campagne électorale est facilement assimilée à une campagne publicitaire. Ici de nouveau, on perçoit la faible frontière entre la gestion municipale, et celle de l’entreprise que Jean Bousquet ne cesse de maintenir diffusant sa politique comme un produit commercial. De ce fait Nîmes sait très bien parler d’elle. Utilisant les vices de la publicité, elle nous convainc qu’à Nîmes tout ce qui est entrepris est bien et participe à rendre le cadre de vie des habitants meilleur. Nîmes devient avec Grenoble une des villes françaises les plus médiatisées de l’époque et expose son évolution au grand public. Pour Vincent Hoffmann, grâce aux nombreuses apparitions qu’il fait dans les médias Jean Bousquet « parvient à diffuser (…) une image de gestion municipale hautement innovatrice et dynamique. »87. En plus de faire valoir la ville moderne que devient Nîmes, c’est aussi l’action et les méthodes de l’équipe communale que Bousquet parvient à valoriser. De ce fait, Jean Bousquet prend soin d’accompagner l’image de la ville par une bonne image de la municipalité investie et impliquée dans la vie des habitants. Chaque démarche s’appuierait sur une volonté de s’enraciner dans les réalités locales afin d’être soutenus par les habitants dans chaque opération, nécessaire pour faire perdurer sa politique. On perçoit ici une stratégie politique. Au-delà d’offrir un cadre de vie agréable à sa population, les enjeux résident dans la promotion de l’image de la ville. Comme l’explique Maria Gravari-Barbas « Si rendre la ville plus belle a toujours été une préoccupation essentielle pour nombre d'acteurs locaux, les années 80 correspondent à un tournant important »88. A cette époque le concept d’esthétisation urbaine est généralisé et dévie dans un sens radicalement différent de celui des grands projets d'embellissement urbain des XVIIIème ou XIXème siècles. De nos jours le cadre urbain ne se doit pas seulement d’être beau, mais avant tout d’être séduisant. « L’esthétique des villes prise

86

Ibid. p.58

87

HOFFMANN-MARTINOT Vincent. Op. Cit. p.96

GRAVARI-BARBAS, Maria. « Belle, propre, festive et sécurisante : l’esthétique de la ville touristique ». Norois 178, nᵒ1 (1998) p.175‑93. p.176 88

46


dans la spirale de la communication et du marketing urbains »89 devient alors l’une des préoccupations nouvelles pour les élus locaux. A Nîmes, la communication omniprésente de la municipalité dévoile un outil d’attractivité économique afin de séduire de manière ambitieuse. « Dans le sens où elle dépasse les résidents [et potentiels résidents] de la ville pour s’adresser à un public plus large et beaucoup moins défini au travers d’un développement du tourisme. ».90 Ainsi, à partir des années 80 la volonté de modernisation portée par Bousquet se focalise beaucoup sur « l’image de la ville ». Soit elle oublie le patrimoine pour lui préférer de nouvelles opérations de constructions emblématiques de cette modernité (comme le Carré d’Art), soit elle considère le patrimoine comme un objet à promouvoir et fait de son histoire un élément de marchandise. L’architecture et le patrimoine sont mobilisés au service d’une stratégie de promotion de la ville, notamment sur la scène touristique. Il en ressort que le patrimoine de la ville de Nîmes, puisqu’il devient de plus en plus un élément de vitrine pour les potentiels touristes, appartient de moins en moins à ses habitants. Encore aujourd’hui cette communication omniprésente est utilisée par la municipalité. Jean Paul Fournier, maire actuel de Nîmes, maintient cette image « positive » sur la ville qu’il diffuse dès que l’occasion se présente. En début de l’année 2019, des publicités souhaitant la bonne année de la part l’équipe communale circulent dans la ville91. Cette attention soignée accordé à sa population est suivie de phrases fortes tel que « Imaginer une vie meilleur », « Rayonner audelà des frontières », « Partager la fierté d’être Nîmois » appuyant le constat d’une ville qui utilise la communication avec détermination pour séduire et convaincre.

89

Ibid. p.176

90

BOCKLANDT Fanny, Op. Cit p.60

91

voir l’image p.138 de l’annexe 47


48


2.2. Des choix révélateurs pour promouvoir le centre ancien

Cette vision de la ville de Nîmes portée par Bousquet (et les municipalités suivantes), s’est transcrite à travers les actions sur l’ensemble urbain en mobilisant des outils juridiques et règlementaires bien spécifiques. Dans cette deuxième sous-partie je m’intéresse aux nombreux aménagements qui ont favorisé l’image de la ville afin de promouvoir le centre ancien Ces vingt dernières années, le changement fût considérable. L’amélioration du cadre urbain et la revalorisation de plusieurs lieux emblématiques du centre-ville ont généré une nouvelle manière d’arpenter le patrimoine urbain. Néanmoins il me semble intéressant de démontrer que derrière cette image soignée construite par la gestion patrimoniale, les actions révèlent une volonté de marchandisation du centre.

Un cœur de ville sous protection Selon Vincent Hoffman92, c’est à la suite d’une étude sur le centre-ville commandé par la municipalité (intitulé « Réa-Nîmes ») que l’opération d’amélioration de l’habitat est lancée, conduisant en 1985 à la création d’un secteur sauvegardé. Dans ce mouvement plusieurs opérations verront le jour pour réhabiliter le patrimoine bâti en y associant des logements, du commerce et de l’artisanat. La rénovation de l’ilot Littré en est un bon exemple puisque, c’est l’un des premiers îlots à connaitre une réhabilitation de son patrimoine bâti, en offrant à la fois une amélioration de l’habitat, et un dynamisme urbain par l’installation des commerces. Le Secteur Sauvegardé de Nîmes est conçu comme un instrument juridique de protection du centre ancien contre la dégradation. D’après Jean-Pierre Jouve « aucun quartier qui a été vivant du Moyen Âge au XVIIIème siècle ne peut espérer survivre jusqu’au XXIème siècle sans une restauration, une réhabilitation, une restructuration profonde »93 . Comme Nîmes, plusieurs villes de France marquées par un patrimoine historique important, ont recours à cet instrument. C’est par exemple le cas d’Avignon, qui instaure l’un des plus grands secteurs sauvegardés de France (1991) ou encore d’Arles où le périmètre du secteur sauvegardé (instauré

92

HOFFMANN-MARTINOT Vincent. Op. Cit. p.99

93

JOUVE Jean-Pierre, Introduction « Le secteur sauvegardé de Nîmes » Op.Cit. ; p.1 49


Figure 8 : Éléments du PSMV, identification et restrictions. De haut en bas : élément de façade faisant paraitre les caractère remarquable à conserver / Plan officiel du secteur sauvegardé (PSVM)

50


en 1962) connait une extension importante en 1993 suite à une valorisation conséquente du bâti patrimonial alentour. A Nîmes le périmètre du Secteur Sauvegardé comprend principalement l’ancienne cité médiévale, aujourd’hui centre historique, dénommé L’Ecusson. En comparant avec des cartes datant du XVIIIème siècle, on remarque que ce centre est ceinturé de larges boulevards aménagés sur l'emplacement des anciens remparts. La zone d’intervention des opérations de restauration englobe donc le tissu le plus ancien de Nîmes, d’une superficie de 41ha. Secteur protégé par le Plan de sauvegarde et de mise en valeur, l’Ecusson regroupe de nombreuses architectures patrimoniales tels que des hôtels particuliers, la cathédrale Notre-Dame-et-Saint Casto, des chapelles et de nombreux détails d’époque ornant les façades soigneusement restaurées. Le centre, propice à la ballade, livre au promeneur ses places et placettes à l’esthétique méditerranéenne et ses ruelles typiques animées par des commerces. En s’appuyant sur des études cartographiques effectuées par l’Agence d’Urbanisme94 de Nîmes on peut s’apercevoir que cette zone de la ville n’a pas été concernée par les travaux Haussmanniens du XIXème siècle. Le tissu urbain qui s’y déploie a conservé les caractéristiques d’un centre médiéval : ruelles étroites et une forte densité d’occupation au sol. A l’époque, comme aujourd’hui, cette densité est source de problème d’ensoleillement et d’aération. Le plan de sauvegarde et de mise en valeur actualisé en 2007 entreprend une démarche active dans la conservation et la revalorisation du patrimoine du centre ancien. Toute démolition partielle ou totale d’un bâtiment doit être soigneusement examinée et doit obtenir le permis relatif à l’Article R 421-26 à R 426-29 du Code de l’Urbanisme95. Ce document, précis et contraignant, donne lieu à des prescriptions très spécifiques à respecter lors des travaux d’extérieur comme d’intérieur. Néanmoins, des données INSEE de 2013, extraites d’une publication A’U96, permettent d’affirmer que la mise en place de ces réglementations n’a pas été, en pratique, trop contraignante étant donné la hausse significative des réhabilitations et restructurations du parc de logement du centre-ancien durant les 25 dernières années. À

94

A’U Agence d'Urbanisme et de Développement des Régions Nîmoise et Arlésienne « Diagnostic des quartiers centraux de Nîmes. Tome 3 : Approche patrimoniale, Étude préalable pour valoriser les quartiers patrimoniaux », 2002, p.107 95

Ville de Nîmes « Le secteur sauvegardé de Nîmes », Guide pratique, dossier officiel de la ville, 2007 p.28; p.9

96

A’U Agence d'Urbanisme et de Développement des Régions Nîmoise et Arlésienne « Site Patrimonial Remarquable, Population et logements », Septembre 2017 51


Figure 9 : Photographié de la place du Marché où chacun des rez-dechaussée est accaparé par le commerce

52


travers le dossier officiel du Secteur sauvegardé 97 les réglementations des travaux de façades mettent en avant une volonté d’unification esthétique visant à valoriser l’aspect historique du tissu urbain. Les différentes restrictions imposent un vocabulaire architectural identique dans l’ensemble du centre ancien qui n’est pas sans faire débat. Nîmes, consciente de son riche patrimoine, engage à travers le plan de sauvegarde et de mise en valeur de nombreux travaux, certes onéreux, mais permettant d’investir à long terme sur le centre-ville. Comme le précise le dossier officiel du secteur sauvegardé « En dehors des considérations d’ordre esthétique, le ravalement des façades est l’occasion d’une amélioration sanitaire de l’immeuble. »98, par conséquent l’intérêt réside non seulement dans la revalorisation du patrimoine historique mais aussi dans l’harmonie et la qualité de l’ensemble des édifices et des espaces qui composent le centre ancien. Cependant, ces actions sont traitées de manière isolées oubliant la plupart du temps les relations qu’il existe entre patrimoine et habitants. Ici le document urbanistique fige l’ancienne cité médiévale dans son époque en ignorant les répercussions sur la société. Comme je l’ai évoqué dans la première partie le patrimoine a comme vocation d’être un outil de promotion attirant autant les commerces en centre-ville que le tourisme culturel, moteur de l’économie locale. Ici le secteur sauvegardé est utilisé pour rendre le centre ancien attractif comme dans la plupart des villes françaises -. Face à ce constat, afin de booster le dynamisme du centre ancien, la municipalité organise l’investissement des rez-de-chaussée des immeubles par les commerces. Cela permet d’animer les rues, de requalifier les espaces publiques et de favoriser l’installation et la réfection des appartements au-delà du R+1 afin d’offrir un confort de vie aux habitants (ensoleillement, aération, moins de nuisance sonore, moins de visibilité sur la rue). A cet égard, l’exemple de la place du Marché appuie cette configuration et organisation des fonctions en favorisant le commerce touristique. Si ces opérations de restauration du vieux Nîmes contribuent à créer une image favorable de la ville, elles participent surtout à « rendre aux Nîmois ce sentiment vivant de leur histoire »99 . Tout l’enjeu pour la municipalité est de défendre une conception de la ville où la dynamique urbaine moderne doit s’appuyer sur la ville existante. Parvenir à « faire la ville sur la ville ». Si la société se retrouve dans son patrimoine elle y accordera de l’importance et générera cette 97 98 99

Ibid. p.1 Ville de Nîmes « Le secteur sauvegardé de Nîmes », Op. Cit. p.11 JOUVE Jean-Pierre, Op.Cit. p.1 53


dynamique. Mais pour cela, il faut la laisser s’exprimer, les restrictions engendrées par le PSMV n’offrent pas cette liberté. Après plusieurs années d'études, une révision du secteur sauvegardé et son règlement, le Plan de Sauvegarde et de mise en valeur, est approuvé par un arrêté préfectoral en juin 2007. Le 7 juillet 2016, le secteur sauvegardé devient « Site Patrimonial Remarquable » avec la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture, et au patrimoine. Le passage de l’intitulé « Secteur Sauvegardé » à celui de « Site Patrimonial Remarquable » modifie significativement la considération des centres anciens. Ils ne sont donc plus patrimoine à sauvegarder, mais deviennent objet de patrimonialisation en le qualifiant comme porteur d’un patrimoine remarquable. La mise en avant de son patrimoine sous-entendu d’exception n’encouragerai-til pas à faire de ce titre un outil de marketing ?

Une métamorphose en l’espace de vingt ans Depuis 1990 le quartier de l’Ecusson enregistre une forte croissance démographique témoignant d’un quartier attractif et de la qualité du cadre de vie qu’il offre. D’après l’étude réalisée par l’Agence d’Urbanisme de Nîmes100 sur ce secteur, le quartier accueille en majorité des couples dynamiques sans enfants ayant un statut social aisé, généralement cadres, chefs d’entreprise ou de professions intellectuelles. Cet embourgeoisement du quartier s’est accompagné d’un renforcement des inégalités dans le centre-ville de Nîmes. Dans un premier temps le caractère protégé du secteur engendre des restaurations d’immeubles offrant des appartements agréables justifiant donc la hausse des prix du parc de logements. En effet un trois pièces de 65 m2 coûte en moyenne 75 000 € à Gambetta face à 135 000 € dans le secteur du Carré d’Art101. De ce fait, un déséquilibre exclu la population à faible revenu qui s’installe dans des quartiers plus dégradés donnant lieu une « ségrégation spatiale ». Marcel Roncayolo va jusqu’à parler de « note scolaire » accorde aux quartiers ou aux voisinages comme « l’un des facteurs essentiels des choix résidentiels et l’une des mécaniques majeures de la ségrégation »102.

100

A’U Agence d'Urbanisme et de Développement des Régions Nîmoise et Arlésienne « Site Patrimonial Remarquable, Population et logements », Septembre 2017 A’U Agence d'Urbanisme et de Développement des Régions Nîmoise et Arlésienne « Quartiers de faubourgs. Population et logements », Décembre 2018 101

102

RONCAYOLO Marcel, Op. Cit. p.68 54


Figure 10 : Photographies satellites avec environ 15 ans d’écart. De haut en bas : photographie de 2000-2005/ photographie de 2018

55


Figure 11 : Cartographie superposant les nouvelles interventions, l’ancien Site Patrimonial Remarquable et le périmètre pour la candidature de l’UNESCO

56


Depuis quelques années ces quartiers prennent une importance nouvelle dans les politiques de requalification urbaine menées par la municipalité. Comme le fait remarque Jean Paul Fournier, maire actuel de Nîmes, à travers un article dans la revue Vivre Nîmes « Rome ne s’est pas fait en un jour, dessiner Nîmes de demain est aussi un travail de longue haleine. » En effet en comparant des images satellites datant de 2000, et celle d’aujourd’hui, force est de constater que les quartiers de l’Esplanade, du Carré d’art ou encore celui de la Placette connaissent une évolution urbaine considérable. Vincent Kaufmann explique dans son ouvrage, l’urbanisme par les modes de vie, outils d’aménagement durable, que « les différents lieux ne sont plus connus dans une perspective fonctionnaliste de la circulation, mais comme des objets urbains à valoriser et dont la qualité doit être soigneusement considérée. » 103 . Il a fallu à la ville de Nîmes presque vingt ans pour repenser le centre-ville selon cette idéologie basée sur la valorisation et qualité de vie urbaine. En situant les interventions d’aménagement du centre-ville durant ses 20 dernières années, on constate que la commune de Nîmes manifeste à travers elle une volonté de revaloriser le périmètre qui ceinturent le Site Patrimonial Remarquable. L’élaboration de l’extension de ce secteur, que j’expliciterai par la suite, est un des éléments qui justifie cette volonté. De ce fait, une grande partie du centre ancien « élargi »104 connait un élan de transformation et s’équipe de manière significative sous l’impulsion des collectivités locales. L’enjeu se trouve dans la reconsidération de ces espaces urbains afin de convertir les voiries envahies par les places de stationnement en des espaces mettant en scène le patrimoine. Ainsi le centre de Nîmes se transforme à mesure que les interventions s’enchainent, il offre progressivement des qualités urbaines qui d’après Irène, habitante de Nîmes depuis 20 ans, étaient jugées absentes auparavant. « Nîmes c’est une ville qui respire (…) avant c’était plutôt l’air des pots d’échappement que l’on respirait, il y avait des voitures partout on ne pouvait pas profiter de notre ville. »105. En comparant des photographies des années 2000 extraites d’un magazine106 faisant une rétrospective sur Nîmes et des photographies actuelles, l’évolution de certains espaces urbains

KAUFMANN Vincent, RAVALET Emmanuel, «L’urbanisme par les modes de vie outils d’analyse pour un aménagement durable » Métis Presses, 2019, p.139 103

104

Terme utilisé par l’Agence d’Urbanistique A’U afin de parler de la nouvelle extension du SPR

105

D’après un échange avec Irène, habitante du centre Nîmes, 26 octobre 2019

106

La Ville de Nîmes, « On s’était dit rendez-vous dans 10 ans » édition de Nîmes 2011 p.107 57


Figure 12 : Photographies avant/après des interventions de requalification du centre ancien. De haut en bas de gauche à droite : l’avenue Jean Jaurès / l’Avenue Feuchères / le Parvis des Arènes

58


- désormais emblématiques de Nîmes - ne peut être négligée. C’est le cas, par exemple, du quartier de l’Esplanade dont l’image a été transformée à la suite de la revalorisation de sa place historique - qui offre son nom au quartier - et de l’avenue Feuchères qui la relie à la gare SNCF. La voiture (et les espaces de stationnement) auparavant omniprésente, s’est effacée pour laisser la place aux piétons et à sa déambulation. Elle est passé d’un lieu de circulation à un lieu de promenade. Cependant, il est intéressant de constater que le soin apporté à la requalification de cet axe peut être justifié par sa fonction. Etant la première vision que l’on a de la ville lorsque l’on arrive en train, il semblait nécessaire de la soigner afin de donner une image positive du centre-ville dès son arrivée. Dans un rapport sur l’amélioration de l'usage des espaces publics dans les villes européennes, Fernande Barreiro souligne que les conflits d’usages apparents ne sont pas toujours uniquement négatifs. D’après lui « ils donnent l’opportunité de provoquer des changements, de reconsidérer les usages actuels (…) et de trouver des solutions pour que les espaces urbains soient plus conviviaux et leurs usages plus divers »107. En analysant de plus près le cas de l’Esplanade et de l’avenue Feuchères, les enjeux énoncés par Fernande Barreiro ont été le fil conducteur des interventions de requalification de ces zones urbaines afin de « satisfaire les besoins des usagers en termes de confort, de déplacement, de découverte »108 . Sur le plan architectural, les besoins cités ci-dessus, sont retranscrit par une classification et un séquençage de l’espace. A travers une propre analyse effectuée sur l’avenue Feuchères et sur d’autres aménagements urbains, des séquences se ressentent qui définissent l’espace selon des fonctions, et permettent d’offrir des lieux agréables répondant à des besoins identifiés. Ici sur l’aménagement de l’avenue Feuchères on identifie une zone de « passage » pour répondre à la fonction de cette avenue109, une zone en « retrait » pour permettre des moments de pause et de contemplation, et des zones « tampon » à l’aspect naturel (cours d’eau, ou bande végétale) comme barrière physique, pour définir les différents espaces et se mettre en retrait de la circulation. Ce schéma d’aménagement s’étend dans l’ensemble de la ville afin de valoriser le tissu urbain du centre-ville de Nîmes. Chaque revalorisation du tissu urbain tend à structurer la vieille ville 
 107

BARREIRO Fernando « Améliorer l'usage des espaces publics dans les villes européennes » USER, GrenobleAlpes Métropole, avril 2015 p.70 ; p.6 108

Ibid. p.6

109

qui est de desservir la gare SNCF, ou inversement d’accueillir la population arrivante pour accéder à la ville. 59


afin de dynamiser le secteur. Cette attention amplifie la mise en valeur de ces espaces afin de maintenir et glorifier le caractère patrimonial. Cependant la répétition identique de ce type d’intervention sur le secteur identifié peut avoir des effets néfastes sur le centre-ville. Malgré ce portrait positif il ne faut pas exclure les réelles motivations de l’attention portée sur le secteur. Certes ses interventions ont favorisé la qualité du cadre urbain, mais leurs positions géographies sont finalement révélatrices des intentions de la municipalité.

Une volonté de labellisation Comme nous l’avons vu précédemment le tissu urbain compris dans le périmètre du Site Patrimoniale Remarquable a fait l’objet de plusieurs opérations de revalorisation. Ces opérations ont permis de mettre en valeur le patrimoine et d’offrir un cadre de vie agréable aux habitants et autres usagers de la ville. En parallèle, à cette même période, la municipalité (avec le soutien de l’Etat) a candidaté pour être inscrite sur la liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO. Cette ambition a marqué une nouvelle étape importante dans la patrimonialisation de la ville : à travers la mise en valeur de son patrimoine c’est désormais une reconnaissance mondiale à laquelle Nîmes aspire. En lisant une étude110 réalisée par A’U, on apprend que depuis 2011 la ville de Nîmes constitue son dossier de candidature à l’UNESCO et souhaite proposer un périmètre qui va au-delà de celui du Site Patrimoniale Remarquable. Ce périmètre ayant été validé en 2015, la Ville réalise une étude d’extension en articulation avec cette candidature afin d’agrandir le secteur protégé. Un an plus tard la Commission Nationale des Secteurs Sauvegardés accorde un avis favorable à l’extension du périmètre mais des études complémentaires doivent encore être conduites afin d’avoir l’approbation finale du Ministère de la Culture. Afin de valoriser et de protéger le patrimoine autour du Site Patrimoniale Remarquable ces études permettent de faire un travail de repérage patrimonial sur le nouveau périmètre sélectionné - celui faisant suite à l’élargissement -. Ce repérage a permis à la ville de lancer des opérations de revalorisation en milieu patrimonial, qui ont participé à la métamorphose du centre-ville111. Par conséquent, on remarque que la ville s’intéresse particulièrement à la revalorisation de ce périmètre, dans le but d’inscrire la ville comme Patrimoine Mondial.

110 111

A’U « Site Patrimonial Remarquable, Population et logements » Op. Cit. Ici je fais référence au sujet traité dans la partie précédente « Une métamorphose en l’espace de vingt ans » 60


En 2018 la candidature de Nîmes est présentée au Comité du Patrimoine Mondial. Cependant le rapport d’évaluation des propositions d’inscription112 de l’ICOMOS113 juge la candidature de Nîmes insuffisante et son inscription au patrimoine de l’Unesco est finalement refusée. Qu’est-ce qui a manqué à l’ensemble urbain historique de Nîmes pour être recalé, quand Arles, le Pont-du-Gard ou Orange ont le label depuis les années 1980 ? C’est à travers des lectures de revue de presse, et une analyse du rapport de l’ICOMOS que j’ai pu trouvé des réponses qui appuient d’autant plus mes ressentis sur le centre de Nîmes. Le refus de l’UNESCO a suscité l’attention nîmoise à la recherche d’explication sur ce rejet inattendu. Le rapport de l’ICOMOS justifie sa décision en soulignant que certains aspects essentiels pour devenir Patrimoine mondial de l’Unesco sont jugés insuffisants. Le caractère exceptionnel de la ville, par exemple, est remis en question considérant que celle-ci « ne se distingue pas suffisamment d’autres villes aux origines romaines similaires ». De plus, certains projets d’aménagements emblématiques de la « modernité nîmoise » tels que la requalification des axes urbains ou encore le musée de la romanité faisant face aux arènes, sont jugés comme « une menace grave pour l’intégrité du bien proposé pour l’inscription et l’authenticité du tissu historiques ». L’organisation internationale estime que ces réalisations ne présentent pas les caractéristiques d’une continuité avec l’ancienne Nîmes. Le rapport conclue ainsi : « L’ICOMOS considère que les conditions d’intégrité et d’authenticité n’ont pas été remplies pour la justification proposée de la valeur universelle exceptionnelle. »114 Ces propos, fort de sens, pointent des faiblesses sur les décisions d’aménagements du centre ancien et sur le manque de pertinence des réponses municipales dont le maire évite de parler. En effet d’après une note publiée dans l’article de presse de 20 minutes, Jean-Paul Fournier, maire de Nîmes exprime son optimisme et évoque le seul aspect jugé positivement dans le rapport. « Si nous sommes évidemment déçus de ne pas l’emporter du premier coup, ce qui est souvent le cas lors d’une première présentation, nous avons le sentiment du devoir accompli car Nîmes, embellie et transformée, a su mettre l’accent sur la rénovation de son patrimoine, à travers les campagnes de restauration des édifices romains ou par l’extension de son secteur sauvegardé ». Il est vrai que l’ICOMOS considère que l’état de conservation des monuments romains est approprié et qu’il est conseillé d’étendre cette conservation sur l’ensemble des bâtiments patrimoniaux considérant la mise en œuvre bien appropriée. Néanmoins cette 
 112

Rapport de l’ICOMOS pour le Comité du patrimoine mondial, « Évaluations des propositions d’inscription des biens culturels et mixtes » ; 42e session ordinaire, Manama, 24 juin - 4 juillet 2018 ; p.355 113 114

International Council on Monuments and Sites (Conseil International des Monuments et des Sites) Ibid.p. 233 61


Figure 13 : De haut en bas: vue aérienne datant de 1990 / Vue aérienne futuriste du quartier des Arènes, avec la présence du musée de la romanité qui a été critiqué par l’ICOMOS, et le futur Palais des Congrès. Ici on ressent comme ses projets menacent l’authenticité du centre ancien et ne sont pas en continuité avec le tissu historique

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absence d’authenticité critiquée au préalable ne remet pas en question la protection du patrimoine mais justement la gestion urbaine de cette protection patrimoniale. Un dernier point du rapport, sur une pratique municipale pouvant avoir des « effets potentiellement néfastes sur le bien » a attiré mon attention. L’ICOMOS insiste en effet sur le risque potentiel induit par la « pression touristique excessive qui modifie la nature du centre urbain en transformant les résidences permanentes en locations de vacances de courte durée »115. Ces usages du centre-ville constituent une contrainte sur l’identité de la ville et ses habitants. Il s’agit là d’un aspect que nous avons évoqué précédemment. La revalorisation du centre ancien portée par les politiques municipales tend, certes, à améliorer la qualité urbaine de la ville patrimoniale. Mais à qui est destiné cette qualité ? L’ICOMOS souligne ici que l’instrumentalisation du patrimoine pour promouvoir l’image de la ville et attirer les touristes s’est faite au détriment des principaux usagers : les habitants. Malgré ce premier refus, la ville de Nîmes ne perd pas espoir et a déjà prévu de présenter un nouveau dossier de candidature pour l’édition de 2021. De ce fait « Nîmes entend bétonner sérieusement sa candidature »116 d’après les propos du maire, puisqu’en en effet « Il faut entièrement restructurer la candidature, car elle n’a pas passé la barre. » constate Laurent Stéfanini, ambassadeur de France à l’Unesco. Cet acharnement pour atteindre cet objectif de labellisation engendre des erreurs de gestion patrimoniale, qui en oublie la nature de ce centre.

115

Ibid. p.235

116

MERIOT Johan « Nîmes au patrimoine mondial de l'Unesco : ce n'est pas encore gagné ! » article de presse, France 3 Occitanie publié le 15/05/2018 63


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2.3 Aujourd’hui, l’image de la ville au détriment de la vie locale ?

« Les villes se ressemblent beaucoup, toutes arbitrent les mêmes fonctions et les mêmes populations au moins à première vue. Et cependant chacune a un caractère propre, presque toujours bien marqué et radicalement spécifique. »117. Selon Ricardo Bofill toute ville est marquée par une image forte qui la caractérise et qui la définit : son identité. Ici Nîmes se caractérise dans un premier temps par son patrimoine exceptionnel, qui a su être conservé au fil du temps. La revalorisation de ce patrimoine et la manière d’intervenir sur le tissu urbain définit par la suite son identité contemporaine et l’image qu’elle laisse voir. De ce fait, quelle image a-t-on donné à la ville de Nîmes ? Incontestablement les opérations ont participé à embellir et améliorer le cadre urbain : Nîmes offre désormais de grands espaces publics où le piéton trouve sa place. Pourtant à mesure que j’ai vu cette ville évoluer j’ai toujours eu le sentiment qu’elle perdait un peu de son authenticité qui faisait son identité. La cohérence entre le patrimoine bâti et le tissu urbain peut être discutée tout comme la place du résident face à la pression touristique. Comme nous l’avons vu, le rapport de l’ICOMOS met en grade la ville sur ce sujet. Quelles ont été, précisément, les erreurs dans la conservation du patrimoine urbain nîmois ?

L’esthétique de la ville avant tout. Nîmes a toujours été considérée comme une belle ville. L’attention porté à l’esthétique urbaine donne l’image d’une ville où l’on revalorise le tissu urbain en favorisant la mise en valeur de son riche patrimoine. D’après Richard Flandin, adjoint au Maire et délégué aux aménagements urbains, « le caractère historique d’un lieu oblige à apporter un soin particulier au projet et à son évolution »118. Dans un entretien accordé à Vivre Nîmes il explicite les choix entrepris par les urbanistes de la ville pour valoriser l’ensemble architectural de Nîmes, donnant une cohérence esthétique à l’ensemble des travaux. Cette esthétique se traduit tout d’abord par des interventions qu’il qualifie de « volontairement sobres et homogènes » pour laisser la place au patrimoine exceptionnel nîmois. Des restrictions dans le choix des matériaux sont imposées pour intervenir dans l’espace patrimonial. Richard Flandin dans ce même entretien les énumère lorsqu’il parle des travaux

117

BOFILL Ricardo, « L’architecture des villes », Editions Odile Jacob, mars 1995, p.293 ; p.176-177

118

FLANDIN, Richard, « La ville de Nîmes fait peau neuve » article de la revue VivreNîmes, avril 2019, p. 31 65


Figure 14 : L’esthétique de l’aménagement publique « sobre et homogène ». De haut en bas: quartier de l’Esplanade ; avenue Victor Hugo ; place de l’Église des Carmes.

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aux abords du temple historique de la Placette à Nîmes. Pour assurer la mise en valeur du temple il explique que « le sol en pierre et béton calcaire clair remplace le sable salissant (…) les clôtures sont changées (…) jardinières, bancs et blocs de pierre anti-intrusion complètent l’ensemble »119. Ainsi la revalorisation aux abords des monuments suit des règlementations spécifiques en termes de matériaux et de mobiliers utilisés. Ces réglementations, approuvées par la municipalité, sont justifiées par la volonté de donner « une cohérence esthétique à l’ensemble des travaux réalisés. ». Toutes les interventions sont ainsi mises en place pour permettre d’admirer le patrimoine et mettre le centre-ville en valeur. Ici, l’image de la ville devient un outil de marchandisation marqué par le souhait d’exposer son plus grands atout -le patrimoine- pour rendre la ville attractive sur un plan économique (principalement touristique et commercial). Lors de ma déambulation dans le centre de Nîmes, cette esthétique de l’aménagement publique je l’ai perçue sans aucune difficulté. Il se dégage une certaine homogénéité du cadre urbain, en particulier dans le centre historique, qui a tendance à se substituer à l’historicité du lieu. Malgré la conservation exemplaire des bâtiments patrimoniaux, le tissu urbain nous offre un nouveau langage quitte à exclure son authenticité. En effet, comme l’illustrent mes photographies de ces nouveaux aménagements du centre historique, il est difficile de distinguer les caractères uniques des lieux emblématiques de la vieille ville qui ont tous connu un aménagement homogène. On est tenté de dire que la seule chose qui les distingue encore est la présence du monument historique que ces espaces servent. Il résulte de ces choix d’aménagement un effet de banalisation : rendre standard un lieu que l’on efforce de valoriser. Ainsi la volonté de maîtriser l’esthétique patrimoniale a conduit, à Nîmes, à dématérialiser l’identité de la ville. L’authenticité se trouve enfouie sous la volonté de modernité et d’innovation décidée par les institutions. Catherine Bernier-Bossard souligne judicieusement que Nîmes a pour objectif de s’intégrer dans le rythme des villes voisines. En vue de l’accélération de son évolution elle a accumulé les marques de modernité et d’innovation qui « finissent désormais par envahir et saturer le paysage urbain. »120. Cette cohérence esthétique unifie le cadre urbain et l’identité de la ville : chaque lieu revalorisé ressemble de plus en plus à tous les autres. Mais cela peut aller au-delà de la ville en elle-

119

Ibid. p. 31

120

NICOLAS LE STRAT Pascal. BERNIE Catherine « Nîmes, le choc de la modernité, 1993. » In: Les Annales de la recherche urbaine, N°67, 1995. Densités et espacements. p. 148 67


Figure 15 : Des espaces surdimensionnés en manque de vitalité. De haut en bas: le parvis de Arènes ; la place de l’Église des Carmes ; l’Esplanade

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même. Cette mise en valeur du patrimoine traduit la volonté de rendre la ville attractive à travers son histoire. Cette esthétique urbaine permet à la ville de Nîmes de rentrer en concurrence avec des villes similaires. Mais alors qu’est-ce qui différencie encore Nîmes des autres villes patrimoniales ? Prenons l’exemple de Montpellier, ville qui possède aussi un centre historique au caractère patrimonial marqué, qui a connu de nombreuses opérations de requalification. Hormis les bâtiments particuliers hérités de l’histoire, en quoi son centre-ville diffère-t-il de celui de Nîmes ? Finalement, Nîmes ne cherche-t-elle pas à imiter les villes voisines dans l’espoir d’atteindre la notoriété ? Ce qui s’apparente à une volonté de rayonner face aux territoires voisins, fini sans retour, par dégrader l’identité de Nîmes.

Priorité aux touristes Au-delà de l’uniformisation des aménagements urbains, il m’est apparu de façon flagrante lors de mon enquête de terrain que les espaces urbains sont faiblement peuplés. En effet, la plupart de mes photographies, malgré le fait qu’elles soient prises un samedi, sont vides de vie et témoignent d’une absence d’utilisation ou d’un surdimensionnement des espaces. Selon Ricardo Bofill, cela est la cause de la dégradation de nos espaces publique qui perdent de leur cohérence. Il affirme que les espaces publiques de nos jours ont perdu « le sens de l’échelle humaine et en même temps celui de la diversité, qui faisaient leurs richesses à des époques antérieures. » 121 . La métamorphose du centre de Nîmes témoigne de ce constat. Les trottoirs très larges, des grands parvis devant les monuments d’exception, des espaces de promenades aux abords des sites patrimoniaux participent de ce tableau général. Ces actions très ambitieuses de revalorisation du tissu urbain semblent particulièrement destinées à l’accueil d’une population touristique attirée par les monuments nîmois. A une époque où le tourisme de masse s’est développé, et où l’automobile rend les villes plus accessibles, ces aménagements semblent tout à fait taillés pour les masses et les foules. Pour continuer dans ce sens, Richard Flandin lors de l’entretien cité auparavant, explique ce phénomène de surdimensionnement par la volonté d’offrir « aux promeneurs tout le confort nécessaire pour une balade en centre-ville »

122 .

Dans ses propos, l’utilisation de mot

« promeneur » ne laisse aucune ambiguïté sur la population cible de ces aménagements. Un 
 121

BOFILL Ricardo, Op. Cit. p.234

122

FLANDIN, Richard, « La ville de Nîmes fait peau neuve » article de la revue VivreNîmes, avril 2019, p. 31 69


examen rapide du dictionnaire des synonymes nous rappelle qu’un promeneur pourrait être assimilé à un flâneur, à un chaland mais aussi et c’est ici ou cela devient intéressant « le promeneur » équivaut aussi à un passant, un spectateur, voire même un touriste. Richard Flandin emploie ainsi un terme significatif, qui révèle un peu mieux les objectifs principaux des aménagements entrepris. La Ville cherche à séduire et cela au-delà de ses résidents. Cette volonté de séduction à l’échelle nationale, voire même internationale permet d’amplifier l’attractivité de la ville. Comme l’affirme le maire de la ville dans un interview extrait de l’Express : « Ceux qui ne voient pas que la culture est, pour l'économie, déterminante, n'ont rien compris » Il poursuit et explique que l’objectif est de maintenir le touriste le plus longtemps possible, et que pour cela, il est opportun de favoriser un cadre urbain agréable. Toujours dans cet entretien, il expose clairement ses ambitions pour la ville : « Nîmes reçoit 2.500.000 touristes par an, qui passent, en moyenne, deux heures et demie chacun. Quand ils resteront douze heures, nous aurons gagné »123. Ici, le maire actuel montre bien que l’attraction touristique est l’un des objectifs prioritaires pour faire vivre le centre ancien. C’est certainement cette instrumentalisation du patrimoine qui gêne l’ICOMOS, et qui au fond m’a frappé quand j’ai vu la ville évoluer. La gestion municipale met en place un cadre urbain qui est bien plus destiné à être contemplé et parcouru rapidement (« douze heures ») qu’à être vécu et habité.

Une nécessité de réappropriation exprimée

A la recherche d’un point de vue extérieur au mien je me suis entretenue avec Vincent Bouget124 , un habitant de la ville de Nîmes engagé dans la politique afin de discuter de la situation actuelle du centre-ville. Conscient de sa fierté d’être Nîmois et de son attachement à la ville, il se présente volontiers comme un « vieux nîmois »125 ou « nîmois depuis toujours ». Cette justification laisse entrevoir comment, d’après Vincent, son attachement à la ville est en mesure de fausser les réalités 123L’Express,

entretien avec le maire de Nîmes, revue du 25 avril-1er mai, 1996

Vincent Bouget, 40ans habitant de Nîmes « depuis toujours », entretien du vendredi 08 novembre 2019 à 15h. durée de 26min 124

125

Cette citation, et celles qui suivent dans ce même paragraphe qui font parler Vincent Bouget, sont extraits de l’entretien tenu le vendredi 08 novembre. voir l’annexe p.124-126 70


urbaines. En prenant du recul sur notre discussion, je constate que ses propos sont divisés entre ce que pense le nîmois, fier de sa ville et le politicien, conscient d’une gestion patrimoniale à discuter. Pour avoir côtoyer beaucoup de nîmois de longue date, je trouve ça intéressant de voir comment Vincent Bouget réussi à faire la part des choses afin de se détacher de son rapport avec la ville, ce qui est rarement le cas chez un nîmois. En effet, Vincent est conscient que le centre malgré son caractère agréable, est en proie à des transformations qui mettent en péril son authenticité. De manière naturelle, il énumère les dysfonctionnements qu’il semble percevoir au sein de l’aménagement urbain du centre historique. Très vite il m’affirme qu’il semble évident que « l’aménagement est fait pour le regard extérieur » excluant l’avis et les besoins de ceux qui habitent le centre. Leur réussite dépend donc, d’après Vincent, de la capacité de s’emparer de ces espaces là en tant qu’habitant - comme cela semble être le cas sur l’avenue Feuchères -. Il insiste à plusieurs reprises que le rôle de la ville tend à être oublié en appuyant le constat, qu’aujourd’hui, le centre de Nîmes à comme vocation d’être « un centre commercial à ciel ouvert ». La gestion patrimoniale tend davantage à faire de sa ville une ville marchande qu’un lieu de vie. Il me parait intéressent d’introduire des propos d’une autre habitante, Fabienne Valladier126 très attaché elle aussi à sa ville, avec qui j’ai pu discuter. A travers notre échange j’apprends que dans son entourage beaucoup de personne se plaignent du centre qui « se meurt ». La questionnant davantage sur le sujet elle justifie ses propos par le fait que si le centre s’appauvrit c’est dû à la population qui préfère aller en zone active pour consommer. De ce fait, amener des lieux de consommation dans le centre-ville est un bon moyen pour le faire vivre, et que cela va de pair avec un embellissement du cadre urbain. Néanmoins elle insinue avec difficulté que les aménagements qui ont participé à l’amélioration de l’espace urbain ont dénaturé leur fonction et que l’enjeu réside maintenant dans la réapparition de ces lieux. En effet, les erreurs commises sont difficilement effaçables, afin de les atténuer, l’objectif exprimé par ces deux habitants réside dans la réintégration des habitants dans leur lieu de vie. Socialement Vincent Bouget qualifie le centre-ville de cloisonné faisant de la ville, une ville « de réseau ». Comme le confirme mon expérience personnelle, il est vrai qu’en son centre un ensemble de personne qui se connaissent bien entre eux et expriment leur attachement à la ville, génère un dynamique dans le centre. Mais ce groupe de personne demeure très restreint et exclusif mettant à l’écart le reste de la population. L’objectif selon Vincent Bouget est

126

Fabienne Valladier, 59ans habitante du quartier la Placette depuis plus de 20ans, entretien informel du vendredi 15 novembre 2019. voir annexe p.133 71


de réintéresser les habitants à la pratique quotidienne de leur ville et de les réintroduire pour qu’ils s’y sentent bien. Il m’expose un exemple qui me parut très intéressant sur la capacité à se sentir nîmois et de ce fait, habitant de cette ville. En effet le centre-ville ne mélange pas nécessairement tout le monde, et quand on parle de nîmois ce ne sont pas seulement les usagers quotidiens de l’espace central de la ville. Les habitants de Pissevelin, quartier de la ville de Nîmes exclu de l’attention municipale, différencient leur quartier du centre-ville qu’ils considèrent comme une ville à part entière, et par conséquent qui n’est pas la leur. Vincent Bouget s’engage dans la politique et s’est porté candidat pour les élections municipales de 2020. « Nous avons besoin de renforcer le vivre-ensemble. Nous voulons que chaque habitant, se sente pleinement Nîmois, partie prenant de la vie de la Cité, quelle que soit son ancienneté dans la ville, quel que soit son lieu de résidence. Il est temps que les Nîmois se réapproprient leur ville, se réapproprient leur vie »127 . Son discours électoral est basé essentiellement sur le besoin que chaque habitant se sente pleinement Nîmois en se réappropriant sa ville. Dans ses discours cette nécessité est qualifiée d’urgente pour faire perdurer le centre ancien. Son programme ne se base plus sur un modèle d’attractivité territoriale – qu’il juge « dépassé » - mais sur un modèle faisant du patrimoine urbain un lieu de vie, un milieu à habiter ! Cette conception « dépassée » du patrimoine perçu dans le centre-ville de Nîmes est, comme nous venons de le voir, essentiellement imposée par une institution locale (mairie). Au sein de cette conception, le patrimoine est utilisé comme un atout pour la promotion de la ville. Il est instrumentalisé et mis en scène pour répondre aux besoins des touristes, ce qui s’est fait au détriment du lien qui unissait les habitants à son centre historique. 
 
 En voulant capitaliser sur le patrimoine la politique municipale a encouragé l’uniformisation du centre-historique avec l’aménagement des places emblématiques, l’accès et la déambulation des touristes. Cela a incontestablement conduit à des améliorations, tel que l’aménagement de l’avenue Feuchères que j’ai évoqué au sein de ma recherche. Néanmoins la poursuite de ces objectifs dépossède peu à peu les habitants de leur centre historique et le centre historique de son authenticité. Cette dynamique a d’ailleurs été perçue par l’ICOMOS qui, dans le rapport qu’elle a produit pour justifier le refus de classer la ville au patrimoine mondial de l’UNESCO, a

127

BOUGET Vincent, programme électorale, Nîmes Nouvelle Page, https://nimesnouvellepage.wordpress.com/ 72


pointé du doigt les aménagements du centre historique et l’afflux de touristes comme des menaces à l’authenticité de son patrimoine. Les quartiers qui sont exemptés de cette conception patrimoniale favorisant la mise en tourisme, développent une nouvelle manière d’intervenir sur le patrimoine générée par ceux qui habitent ce patrimoine. Ces quartiers sont-ils détenteurs de la clé pour réussir à faire de la gestion patrimoniale une gestion durable ?

73


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III. La patrimonialisation d’un quartier délaissé

Dans cette partie je souhaite analyser la gestion du patrimoine sous un angle différent, en tachant de montrer qu’elle peut aussi être animée par d’autres motifs et portées par d’autres acteurs. Je conduis cette analyse en m’appuyant sur un deuxième cas d’étude, situé lui-aussi à Nîmes. La plupart des politiques de valorisation du patrimoine que nous avons évoqué dans la partie II se sont concentrées sur certains quartiers emblématiques du centre-ville de Nîmes : d’abord l’écusson puis, plus récemment le « centre ancien élargi » (SPR). Dans d’autres quartiers du centre qui n’ont pas bénéficié de la même attention, une dynamique intéressante émerge aujourd’hui pour combler le vide laissé par ce délaissement politique. Ce faisant les habitants participent à faire changer les regards sur ces quartiers et initient, probablement inconsciemment, le phénomène de patrimonialisation. C’est cette patrimonialisation « par le bas » que je souhaite décrire dans cette partie, à partir d’une analyse personnelle de la revalorisation actuelle du quartier Gambetta. Nourries essentiellement d’enquête de terrain et d’entretien avec les habitants et membres associatifs, mes recherches m’ont amené à comprendre comment l’authenticité d’un lieu peut générer une attention nouvelle et comment l’habitant en est la source principale. Enfin, je tâcherai également d’évoquer les répercussions que cela peut avoir sur le quartier et ses habitants.

3.1 Des quartiers patrimoniaux hors de l’intérêt politique

Les faubourgs du centre-ville de Nîmes font partie de la ville la plus ancienne. La trame viaire et la morphologie urbaine de ces faubourgs sont directement issues de l’histoire de l’évolution urbaine de la ville de Nîmes. Les quartiers patrimoniaux du centre-ville s’inscrivent dans une couronne de faubourgs qui se développe autour de la cité médiévale à partir du XVIIème siècle et qui de nos jours se superposent partiellement aux secteurs patrimoniaux reconnus. Si les orientations d’aménagement municipale des quartiers historiques que nous avons décrit précédemment visent à préserver les caractéristiques patrimoniales et à affirmer l’identité du 
 75


Figure 16: Effacement de la limite entre faubourgs et cité médiévale suite au développement de la ville au XVIIIe siècle.

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cœur historique, des inégalités de traitement sont notables qui créent des disparités entre les différents quartiers du centre. Dans cette partie je cherche à comprendre les raisons de cette inégalité, en me focalisant particulièrement sur les quartiers exclus de la gouvernance patrimoniale. Je m’intéresse d’autant plus à la réaction face à ces inégalités ce qui m’amènera par la suite à introduire le quartier sur lequel je m’appuie.

Développement des faubourgs Le dynamisme conquérant qu’a connu la ville de Nîmes au XVIIIème siècle s’est traduit par un étalement urbain qui a pris la forme de nouveaux quartiers aux abords de la cité médiévale. Ces faubourgs, caractéristiques de l’époque industrielle, font aujourd’hui partie du « centre ancien » de la ville. Line Teisseyre-Sallmann, à travers son ouvrage « Urbanisme et société : l'exemple de Nîmes aux XVIIe et XVIIIe siècles »128 , distingue trois générations de faubourgs qui caractérisent les enjeux urbains de l’époque et permettent de mieux comprendre le développement de la ville : les faubourgs campagnards, les faubourgs fonctionnels et les faubourgs industriels. Au XVIIème siècle, le faubourg Gambetta (appelé auparavant faubourgs des prêcheurs) est l’un des premiers quartiers qui émerge. Situé au Nord de la ville, aux abords des collines, il regroupe essentiellement des paysans, travailleurs de la terre. Né de manière spontanée ce faubourgs représente, à cette époque, une excroissance de la ville qu’elle a du mal à inclure dans son tissu. Dans le même temps, la ville se tourne vers sa périphérie pour répondre à d’autres problèmes qui se pose à elle : l’entassement et l’insalubrité. Afin de donner une meilleure hygiène à la ville un espace vert est aménagé : l’Esplanade. Ouvertes sur les plaines, elles offrent à la population des lieux de distractions et de détente hors du chaos urbain. L’évolution des systèmes défensifs de la ville de Nîmes fut déterminante dans l’intégration et l’assimilation du faubourg Gambetta. Jusqu’au XVIIème siècle, la défense de la ville repose essentiellement sur les remparts et tant qu’il en est ainsi toute extension ou aménagement de la vieille ville est impensable. A la fin du XVIIème siècle, aux prémices de la révolution industrielle qui transforma profondément la vie des nîmois et la morphologie de leur ville, la tactique militaire évolue, l’administration de l’époque estime que la défense n’a plus besoin d’être assurée par les milices urbaines. Le faubourgs Gambetta se développent et accueille la Citadelle, lieu d’administration défensive. L’agrandissement des murailles englobe ce nouveau

128

TEISSEYRE-SALLMANN, Line. Op.Cit. p.970 77


quartier qui bénéficie d’aménagements notables tel que l’embellissement du cours (aujourd’hui boulevard Gambetta) devenu lieu de promenade et espace planté. L’apparition de la caserne fait d’ailleurs naitre un nouveau faubourg qui se déploie au Nord-est de la ville, que l’on nommera le faubourg Richelieu. Néanmoins, dans un premier temps, ces aménagements ne sont dus qu’a des préoccupations défensives, pas encore d’inclusion de ces nouveaux quartiers dans la ville. Au cours du XVIIIème siècle les faubourgs se développent de manière fulgurante à cause de l’occupation industrielle. L’essor économique et la nouvelle société qu’elle engendre font progresser les quartiers périphériques de la ville de manière très rapide.

Le faubourg de

Richelieu et celui de La Fontaine en sont de très bons exemples : ils sont l’objet des premiers plans programmés d’urbanisme générant une trame régulière perceptible. De grandes rues suivant l’alignement urbain apparaissent, offrant des vides urbains à ces nouveaux quartiers. Près des Jardins de la Fontaine, le faubourg de la Madeleine et le faubourgs Saint Antoine voient le jour et se développent également grâce à la prospérité industrielle. Un nouvel axe est défini afin de mettre en valeur les jardins de la Fontaine. Ces divers plans d’alignement au sein du tissu urbain permettent de relier les quartiers évitant les irrégularités. Cette régularité tant recherchée par les interventions urbaines de cette époque évoque la volonté de créer une unité de ville. Ces actions permettent de relier entre eux les faubourgs qui sont développés autour de la ville historique, et d’intégrer ces différents espaces dans un ensemble cohérent, actualisant la ville. Ainsi, au travers du XVIIIème siècle, la limite entre la cité et les faubourgs, auparavant marquée par les remparts, s’efface sous le poids de l’installation d’une nouvelle population qui investit ces faubourgs pour répondre aux besoins du travail humain qui accompagne l’industrialisation. Ces faubourgs perdurent dans le temps et s’acclimatent à l’évolution des besoins de notre société. Malgré leur importance historique et patrimoniale dans la construction de la ville, aujourd’hui ces faubourgs devenus des quartiers du centre-ville sont plus ou moins valorisé. Certains qui ont joué un rôle important dans le développement de la ville ne semblent pas participer - de nos jours - à en faire son identité. La valeur patrimoniale de ces faubourgs est-elle reconnue à sa juste valeur ? Nous verrons par la suite que cela dépend essentiellement des acteurs et de leurs actions.

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Des inégalités de traitement De nos jours, les quartiers limitrophes au Site Patrimonial Remarquable, un peu plus exclu de la magnificence que possède le cœur de ville, alimentent aussi l’image de la ville par leurs caractères patrimoniaux. Anciennes banlieues d’une ville industrielle - comme le met en avant Jean Paul VOLLE dans son ouvrage La croissance urbaine de Nîmes129 - elles font aujourd’hui partie intégrante du centre-ville. Au fil du temps ces faubourgs se sont affirmés dévoilant chacun leurs propres caractéristiques, souvent induites par leurs histoires particulières et par la considération que la ville leur porte. D’après le PLU130 de la ville, approuvé le 8 juillet 2018, les quartiers entourant et prolongeant le plan de sauvegarde et de mise en valeur sont délimités par la zone III UB. Cette zone est composée principalement de quartiers correspondants à l’inclusion dans la ville d’anciennes extensions et contient des quartiers différents ayant chacun leur propre identité. La moindre intervention est donc soumise au contrôle des restrictions émit par le P.L.U. Des articles de réglementation sur la nature de l’occupation, sur l’emprise au sol et sur les hauteurs des bâtiments sont définis pour guider les interventions. Le P.L.U contrôle aussi l’aspect général et le style des constructions, allant des éléments de façades aux détails de menuiserie. Ces quartiers sont donc soumis au contrôle d’un document d’urbanisme qui identifie leur caractère patrimonial et imposent des restrictions différenciées pour leur conservation. Cette zone III UB représente la centralité de l’agglomération de Nîmes et se prête à des opérations de renouvellement urbain. Elle comprend deux secteurs dont les interventions varient selon leur titre. Le secteur III UBa regroupant les faubourgs patrimoniaux et le secteur III UBb une zone d’intérêt architectural et patrimonial autour du centre ancien, ce qui constitue de nos jours l’extension du SPR. Les faubourgs patrimoniaux sont donc divisés en deux secteurs urbanistiques qui marquent une première différenciation dans le traitement. Dans un rapport récent l’agence A’U131 montre qu’au cours de ces 25 dernières années des évolutions des quartiers de faubourgs dans le secteur III UBb ont été constaté. Hausse des petites typologies - T1 et T2 - et du locatif, baisse de la part des familles et des personnes âgés

129

VOLLE Jean-Paul, « La croissance urbaine de Nîmes » Bulletin de la Société Languedocienne de Géographie n°4 - d’octobre-novembre 1968 Révision du PLU, approuvé en 2018, Ville de Nîmes : https://www.nimes.fr/fileadmin/directions/urbanisme/PLU/ 30189_reglement_20180707.pdfleger.pdf 130

Agence d'Urbanisme et de Développement des Régions Nîmoise et Arlésienne « Quartiers de faubourg. Population et logements » Ville de Nîmes, publication A’U, Décembre 2018 131

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Figure 17 : Délimitation des zones IIUB dans l’espace, d’après le document officiel du PLU

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au profit des jeunes, recul de la durée d’occupation du logement. Ce faisceau de phénomène a participé à une relative dégradation du vivre ensemble en faveur à la marchandisation. Cette même étude affirme que les travaux d’embellissement du centre-ville et de ces quartiers de faubourgs -inscrits dans le secteur III UBb- ont contribué à leur attractivité touristique et à l’amélioration du cadre de vie, mais se sont essentiellement cantonnés à des secteurs bien précis : ceux des quartiers du Carré d’Art, des Arènes ou encore de l’Esplanade, où la présence de monuments historiques remarquables est identifiée. Les quartiers Gambetta et Richelieu – qui composent le secteur III UBa – n’ont pas bénéficié du même soin de la part des municipalités récentes. Ce sont pourtant les plus anciens faubourgs de la ville, et la déconsidération dont ils sont l’objet engendre une dégradation de leur cadre historique. Je me suis longuement interrogée sur cet aspect afin de trouver les raisons de ce constat qui me parait paradoxale. Pourquoi les faubourgs les plus anciens de la ville de Nîmes, sont-ils aussi négligés malgré leur caractère patrimonial ? Et de ce fait, pourquoi la Ville n’y trouve pas d’intérêt à revaloriser ces anciens faubourgs ? Au-delà de l’attribution des titres urbanistiques, des caractéristiques très différentes entre les quartiers font que les inégalités se creusent. Une dualité au sein du centre-ville se perçoit entre les quartiers aisés et les quartiers populaires marquant les inégalités de requalification de l’espace urbain. Là encore, l’étude réalisée par l’agence A’U132 sur le secteur des faubourgs du centre-ville est instructive. Il s’avère que les quartiers essentiellement délabrés se trouvant dans la zone III UBa, accueillent des ménages à bas revenus et une population dite populaire. Lors de ma discussion avec Fabienne Valladier133, j’ai aussi appris que les quartiers Gambetta Richelieu dans les années 70 ont connu une mutation notable de leur population. La présence du marché aux puces à cette époque-là a beaucoup influencé l’attractivité du quartier et le profil des habitants de ce secteur. Les commerces renommés par les nîmois se sont vu replacés par des commerces de bouche et épiceries maghrébines. Ces quartiers se sont trouvés « envahis »134 par une population plus précaire.

Agence d'Urbanisme et de Développement des Régions Nîmoise et Arlésienne « Quartiers de faubourg. Population et logements » Ville de Nîmes, publication A’U, Décembre 2018 132

133

Fabienne Valladier, entretien informel, Op.Cit. voir annexe p.133

134

A caractère péjoratif l’emploi de ce terme par Fabienne Valladier (annexe p.134) dévoile comme cela a été perçu comme négatif à l’époque et l’est toujours aujourd’hui. 81


Figure 18: Classification des quartiers selon leur caractéristique socio-démographique

82


Les quartiers patrimoniaux qui s’intègrent dans le secteur du centre-ville présentent des caractéristiques socio-démographiques très différentes. Les quartiers la Placette, Richelieu ou encore Gambetta en sont la preuve. Accueillant généralement des populations à bas revenus, on constate que la municipalité y accorde moins d’importance dans la requalification de ces quartiers. Si la précarité des habitants de ce quartier pourrait être un facteur explicatif de l’inégalité de traitement de ces anciens faubourgs elle ne me semble pas être la seule. En effet la stratégie municipale est aussi motivée par des objectifs d’attractivité, comme nous l’avons décrit dans la partie II. Sans vraiment m’y attendre l’entretien avec Vincent Bouget135 sur lequel je me suis appuyée dans la partie II.3 m’a révélé quelques informations qui m’ont permis d’avancer dans mes réflexions au sujet de ses inégalités de traitement urbain. En s’appuyant sur le constat que l'équipe municipale actuelle développe une politique de divertissement - ce qu’il perçoit comme négatif -, Vincent Bouget évoque la nécessité d’accompagner les actions sur le centre-ville d’une politique basé davantage sur la culture et l’animation urbaine incluant les habitants (politique qu’il juge absente de nos jours à Nîmes). En effet l’intérêt municipal dans cette politique de divertissement se construit par rapport à l’attractivité touristique : à partir de la transformation de la ville engagée par Jean Bousquet dans les années 80, l’intérêt de la municipalité pour les différents quartiers variait selon le potentiel de ces derniers à être dédiés aux touristes. Les espaces patrimoniaux emblématiques du cœur du centre-ville ont été incorporé dans ces pratiques de loisirs à l’échelle de l’agglomération. Or, la partie nord du centre-ville, c’est à dire le quartier Gambetta, et celui de Richelieu ne sont pas des quartiers très prisés des touristes. Ils n’abritent aucuns « monument remarquable » ou vestiges de l’époque romaine qui font la renommée de la ville. Pour Vincent Bouget ils sont tout bonnement « hors du circuit touristique », ce qui expliquerai l’engagement minimal des municipalités passées dans leur valorisation. Si la municipalité n’y trouve pas un intérêt touristique au sein de ses quartiers, qui va de sens avec une intérêt économique, pourquoi s’investiraient-ils à améliorer le cadre de vie de ces quartiers. Ils ne se sentent donc pas concernés.

135

BOUGET Vincent, entretien, Op.Cit. voir annexe p.124-126. 83


Figure 19: Inventaire des bâtiments patrimoniaux du centre ancien « élargi »

84


On peut s’étonner que la proximité géographique au Site Patrimonial Remarquable n’ait tout de même pas suffit comme raison à la municipalité -surement aveuglée par l’absence d’intérêt économique- pour investir dans ses quartiers. Hormis des interventions pour maintenir ses quartiers face à la dégradation aucuns processus institutionnels de mise en valeur du patrimoine est de nos jours remarqués. Néanmoins ce manque d’attention politique semble offrir la possibilité aux acteurs locaux, plus proches des réalités locales, de s’exprimer générant ainsi une nouvelle forme de reconnaissance patrimoniale.

Un processus de patrimonialisation « par le bas » Ces quartiers « hors du circuits touristiques » se voit donc livrés à eux-mêmes dans la valorisation de leur patrimoine urbain et développent une image propre au quartier et notamment à ceux qui l’habitent. En effet, je constate que l’absence de considération du patrimoine « monumental » - et par conséquent l’absence d’interventions sur l’architecture et son contexte - préserve davantage l’authenticité des modes de vie et des pratiques des habitants qui constituent le patrimoine immatériel de ces quartiers. Si l’on se penche sur la définition du terme authenticité, d’après le dictionnaire Larousse, il se caractérise « quant à la conformité avec la réalité ». Pour conserver une part d’authenticité du lieu il faut être capable de conserver une spontanéité et une réalité de la situation. La présence de l’habitant en est généralement la source. A la suite de sa définition, j’apprends que l’authenticité correspond aux tendances, aux sentiments profonds de l'homme, qui traduit son originalité en particulier, et à sa « valeur profonde dans laquelle un être s'engage et exprime sa personnalité ». Ici la notion d’authenticité qui a souvent été source de débat dans la conservation patrimoniale semble s’incarner - en m’appuyant sur la première partie de ce mémoire - dans ce que l’on appelle aujourd’hui le patrimoine immatériel. De nos jours, considéré comme patrimoine à préserver et à transmettre, ce sont dans les quartiers exclus de la valorisation du patrimoine urbain que l’on peut observer un processus de patrimonialisation ciblé sur les valeurs immatérielles. En effet l’authenticité observée dans ses quartiers exclu de l’attention municipale peut faire l’objet de patrimonialisation dû à des initiatives en réaction à ce manque de considération.

85


D’après Laurier Turgeon136 dans ces quartiers, nous sommes ainsi « passés d’un régime patrimonial soucieux de la conservation de la culture matérielle et de la contemplation esthétique de l’objet dans sa matérialité à un régime qui valorise la transformation des pratiques culturelles, la performance de la personne et l’expérience sensible de la culture. »

Ce schéma offre donc la possibilité aux acteurs locaux - habitants et structures associatives de s’approprier leur patrimoine et en lui offrant une nouvelle valeur d’usage. Des actions de revalorisation et de revitalisation peuvent être entreprises par les habitants et les associations qui dans l’objectif de générer une dynamique au sein du quartier font aussi valoir leur patrimoine.

Ses actions participent à faire changer les regards sur ces quartiers jugés

« ordinaires », pour leur reconnaitre une valeur esthétique et sociale supérieur. D’après Jean Davallon137 ce changement dans l’intérêt porté à un objet constitue le premier geste du processus de patrimonialisation. Par conséquent la patrimonialisation de ces objets s’appuie essentiellement sur l’intérêt du groupe social à son égard. Si on peut affirmer que ces objets font patrimoine c’est d’abord pour et par un groupe social. En effet « Sans une mobilisation forte de ce groupe et sans reconnaissance de leur importance dans la vie sociale du groupe, ils risquent de rester des objets en déshérence et en voie de déchéance. »138

Les habitants, et le secteur associatif sont ici les acteurs principaux dans ce processus de patrimonialisation, de ce fait, il me semble intéressant de qualifier cette patrimonialisation de patrimonialisation « par le bas ». En effet, j’entends par là, une patrimonialisation initiée par un groupe d’habitant et d’usagers de la ville et pas par une institution (municipale, régionale ou nationale). Cette réaction des habitants-usagers se manifeste par des actions collectives qui traduisent l’authenticité de leur expérience du patrimoine. Puisqu’en effet, l’habitant dans son rapport, son regard et sa pratique du quartier est celui qui témoigne et incarne le mieux sa valeur patrimoniale. Je perçois donc l’énergie employée par les habitants et groupe d’habitants comme un nouveau processus de patrimonialisation qui relie les individus, leur culture, leur pratique et savoir-faire autour de la reconnaissance de la valeur patrimoniale qui seront en mesure de transmettre aux générations futures.
 136

TURGEON Laurier « Introduction. Du matériel à l'immatériel. Nouveaux défis, nouveaux enjeux ». Ethnologie Française, Vol 40, 2010 p. 389-399. (en ligne: https://doi.org/10.3917/ethn.103.0389) DAVALLON Jean. « À propos des régimes de patrimonialisation : enjeux et questions. » in Patrimonialização e sustentabilidade do património: reflexão e prospectiva, Lisboa, Portugal, 2014. 137

138

Ibid. p.11 86


3.2 L’état actuel du quartier Gambetta

Pour évoquer cette dynamique de patrimonialisation « par le bas », j’ai décidé de m’intéresse au quartier Gambetta. Ce quartier faubourg XVIIIème siècle à caractère patrimonial n’a pas reçu la même considération des équipes municipales que le centre historique. Il ne fait pas partie du périmètre du Site Patrimoine Remarquable (1985) ni de celui de son extension la plus récente en 2007. Le quartier Gambetta n’est donc pas un élément de l’image de la ville qu’ont constitué patiemment les équipes municipales successives (à partir des années 80) pour promouvoir Nîmes sur le plan économique et touristique. De façon tout à fait intéressante, l’absence d’interventions publiques importantes semble avoir laissé place à une forme d’expression de la part des habitants qui induit le processus de patrimonialisation Le quartier est le théâtre de modes de vie et d’habiter qui lui sont propres et qui le distinguent du reste de la ville. Ce sont ces modes de vie qui ont retenu mon attention et qui sont la source de mon intérêt pour le quartier. Le fait de revitaliser un quartier semble à défaut toujours être assimilé à une revalorisation du cadre de vie par les interventions publiques. Ici la population se voit répondre à cette absence d’intervention en dynamisant leur lieu de vie à leur échelle. En particulier, le quartier commence à connaitre une évolution qui voit les habitants s’engager pour se l’approprier. Mais cela est-il suffisant pour revaloriser et sauvegarder son caractère patrimonial ?

Un premier portrait de Gambetta Quartier pourtant si proche de l’Ecusson, c’est un lieu que je connaissais très peu. Longtemps considéré comme un quartier malfamé (quartier de « la drogue et des prostitués ») j’avais à son propos un apriori négatif. Je le percevais même comme « dangereux » si bien que je ne m’y étais jamais vraiment aventurée avant de commencer ce travail de mémoire. Pour Ricardo Bofill « La perception mentale de la ville découpe celle-ci en quartier marqué chacun par une personnalité urbaine spécifique »139. En ce qui me concerne, pour le dire avec ses mots, je m’étais forgée une perception mentale très marquée de ce quartier, d’où s’enracinaient mes préjugés. Cette perception subjective construit donc une identité de quartier basée sur des ressentis et intuitions qui m’étaient propres. Néanmoins en me rendant régulièrement aux abords du quartier par le boulevard Gambetta – axe routier faisant frontière 
 139

BOFILL Ricardo, « L’architecture des villes », Editions Odile Jacob, mars 1995, p.191 87


Figure 20 : Mon arpentage dans les rues de Gambetta. Un portrait photographique qui transmet cette sensation de « village » Entre revalorisation et délaissement urbain.

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entre le quartier et le secteur sauvegardé- j’ai toujours ressenti au travers des ruelles étroites et insalubres un quartier « sale » et négligé. En analysant des cartes anciennes de la ville, j’ai appris que le quartier Gambetta était l’un des plus anciens faubourgs de la ville, appelé auparavant le faubourg des prêcheurs, qui au XVIIIème siècle était protégé par les murailles médiévales. Le quartier Gambetta est donc l’une des premières extensions de la ville ancienne ce qui explique sa morphologie particulière -en certains points semblables à celle d’un village-. Malgré le caractère historique que présente le quartier, il a connu pendant de nombreuses années une dégradation notable lui donnant une image insalubre, et hétéroclite. Ruelles étroites, espace publique restreint, emprises au sol importantes, imposent au quartier une qualité de vie médiocre caractérisée par un manque d’ensoleillement et d’aération. De plus le quartier accueille une population dite « populaire » est relativement précaire puisque le taux de pauvreté en 2013 est estimé par l’INSEE à 45% (contre 25% pour l’unité urbaine de Nîmes). La même note de l’INSEE donne une indication du profil des ménages : 82% de locataire et une majorité de ménage seul (6 sur 10)140. Enfin il est à noter qu’il s’agit du quartier de la ville comprenant le plus de logements vacants (15%)141. Néanmoins, lors de mes premiers arpentages142 du quartier Gambetta j’ai été agréablement surprise part l’ambiance qui s’en dégage. Je me balade à travers des ruelles étroites et est rapidement la sensation d’être dans le centre ancien d’un village qui m’est inconnu. Je n’arrive plus à distinguer l’état des immeubles tellement les ruelles me procurent une sensation de confort. Je remarque de manière ponctuelle quelques restaurations de façades tout en m’étonnant de croiser autant de personnes. Des habitants à leur fenêtre, sortant de chez eux, ou occupant les rues, tous très aimables me saluent et m’observent. La population est très diversifiée, j’aperçois des anciens qui promènent leur chien, des adolescents qui rentrent du lycée, des jeunes actifs sortant de chez eux à vélo, des familles au complet jouant dans les rues. En effectuant une boucle vers le sud du quartier je remarque que les restaurations sont de plus en plus récurrentes. Je traverse l’avenue Clérisseau, un axe important où le passage de la voiture est omniprésent, pour atteindre l’est du quartier. Ici l’ambiance est plus calme, les 140

Chiffre de l’Institut Nationale de la Statistique et des Etudes Economique. Disponible sur https://www.insee.fr/fr/ statistiques/fichier/3586564/lm_ind_07_UU_Nimes.pdf. 141

voir l’image p.139 de l’annexe

142

le mardi 28 mai 2019 de 13h à 16h30 et mardi 30 mai 2019 de 15h à 17h (voir annexe p.122-123) 89


restaurations sont toujours aussi fréquentes mais les rues plus dessertes. En continuant mon chemin, la présence de graffitis dans l’ensemble du quartier me fait comprendre que le quartier est aussi porté par un mouvement d’art de rue. En retranscrivant ma première journée je constate que je parle finalement très peu de l’aspect vétuste du quartier que j’avais en tête avant de m’y rendre. L’agréable surprise d’avoir découvert un lieu charmant a pris le dessus. L’image négative s’estompe avec cette première visite, mais je décide néanmoins d’y retourner afin de prendre un peu de recul sur ces premières impressions. Malgré l’aspect insalubre - que je remarque davantage cette fois-ci - je garde l’image de village historique toujours en mémoire. Dans l’ensemble du quartier la proportion d’immeubles délabrés et rénovés semble s’équilibrer. Si j’émet l’incertitude en utilisant le mot « semble » c’est parce qu’il m’a été difficile de qualifier si une rue était revalorisée ou non. Délaissée par qui et revalorisée par qui ? Sans m’en apercevoir j’étais en train de découvrir ce que j’ai nommé aujourd’hui la patrimonialisation « par le bas ». Pour expliciter ces propos, je décide de faire une carte sensorielle sur mes ressentis en termes de revalorisation lors de cette déambulation. J’ai relevé à travers cette carte sensible que le quartier Gambetta a plusieurs facettes. Un cœur où les bâtiments sont relativement plus délabrés et la vacance notable ; mais néanmoins un espace urbain que les habitants du quartier s’approprient. De ce fait cette zone m’apparait tout à fait agréable. A l’est du quartier je constate une majorité d’immeubles rénovés offrant un cadre urbain esthétiquement plaisant et calme mais présentant une moindre vitalité. Entre ces deux zones, j’aperçois des ruelles délabrées, occupées par une population essentiellement masculine. Je ressens finalement - et seulement dans cette zone sud - cette perception d’un quartier « sensible », que je généralisais auparavant à l’ensemble du quartier. Au fil des mon travail d’arpentage, les identités diverses du quartier Gambetta m’apparaissent, influencées par des interventions urbaines à l’initiative de la population ou des collectivités locales. En effet je ne peux négliger l’influence de certaines interventions réalisées par la Ville pour réinvestir le quartier et c’est pour cela que je décide de m’y intéresser davantage.

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Figure 21 : Identification personnelle d’éléments caractéristiques du quartier. Carte sensible: Repérage et ressentis au sein de Gambetta.

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Figure 22 : Photographies personnelles de la dégradation du quartier, encore perçut aujourd’hui malgré l’intervention des collectivités locales

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Une réponse à l’insalubrité par les collectivités locales. En dépit de son caractère historique, le quartier Gambetta a connu pendant de nombreuses années une dégradation lente transformant le quartier en un ensemble urbain insalubre occupé par une population fragilisée. En 2009 la Ville de Nîmes décide de réinvestir le quartier en s’appuyant sur un diagnostic des dysfonctionnements urbains et de la dégradation importante du quartier. A mes yeux la proximité du quartier avec le cœur de ville est aussi l’une des raisons probables de cette attention. Etant situé aux abords du secteur sauvegardé, l’ancien faubourg Gambetta est aussi susceptible de dévoiler un aspect dégradant pour son centre-ville, son maintien est donc nécessaire. Néanmoins une étude urbanistique réalisée en 2003 propose des actions publiques à mener relatives à la mise en œuvre et au financement des opérations de l’habitat insalubre, cette étude est celle qui justifiera cette prise de décision par la municipalité. De ce fait, une première action importante est engagée par la Ville sur la rue Clérisseau afin d’aérer le tissu urbain et reconstruire de part et d’autre du nouvel axe un bâti qui répondra aux normes de confort d’habitation. De nos jours cette percée est bien connue et bien pratique puisqu’elle sert de voie de circulation pour les voitures afin de traverser le nord du centre-ville. Néanmoins cela n’a pas été suffisant pour assainir le quartier, puisque l’ensemble du tissu urbain est dans le besoin d’une revitalisation importante. A ce titre une réflexion sur une amélioration globale de quartier est lancée avec le cofinancement de l’Agence National de l’Amélioration de l’Habitat (ANAH) qui a permis de mettre en évidence certains besoins et thématiques dont lesquelles OPAH-RU fût la réponse opérationnelle la plus adapté. En m’appuyant sur la convention de mise en œuvre de l’opération OPAH-RU143 j’essaye de comprendre les intentions municipales sur le quartier et les objectifs à atteindre sur une durée de quatre ans. Les enjeux de l’opération reposent sur deux axes d’interventions. D’une part sur une projet d’ensemble de réinvestissement du quartier en matière de fonctionnement urbain, de l’autre une amélioration de l’habitat en matière de lutte contre l’insalubrité. D’une manière générale, à travers cette opération, la municipalité vise à requalifier durablement le quartier Gambetta en accompagnant les propriétaires dans la réalisation de travaux de réhabilitation et en engageant une démarche de renouvellement urbain. Des aides financières sont attribuées à des propriétaires d’un logement habité ou inoccupé situé dans le 
 143

Convention de Mise en Œuvre, Agence Nationale de l’Habitat, « Opération programme d’amélioration de l’habitat renouvellement Urbain, Ville de Nîmes faubourgs nord Gambetta » Octobre 2008 - https://www.anah.fr/fileadmin/programmes/ Convention%20030OPA011.pdf

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Figure 23 : La percée Clérisseau qui est bordée de logements neufs dû aux opérations publiques. Ici le caractère historique du quartier n’a pas été préservé

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périmètre de l’intervention. Ces aides concernent aussi bien l’aménagement et l’équipement des logements au niveau du confort que la protection et la mise en valeur des immeubles par des travaux de requalification de façade dans l’hypothèse où la partie habitable est saine. D’après les données de L’INSEE de 1999144 , le quartier Gambetta possédait au totalement 2756 logements dont 2229 des résidences principales. Les relevés parcellaires dénombraient 291 présumés indécents, 123 immeubles présumés insalubres et 8 immeubles en ruines. Au total ce sont 1220 logements dégradés soit 42% du parc immobilier. Malgré ces données la convention de mise en œuvre annonce un objectif d’amélioration de 275 logements sur les cinq années soit le quart de l’ensemble des logements dans le besoin.145 Après une discussion sur le sujet avec Fabienne Valladier, habitante du quartier La Placette, j’apprends qu’étant propriétaire de sa maison elle a profité de l’OPAH pour la rénovation de sa façade et a bénéficié d’une aide de 30% sur le coût de ses travaux. Quelque chose m’interpelle dans ses propos quand elle exprime la nécessité que « les gens soient au courant du mouvement, et qu’ils aient les moyens ».146 Effectivement, malgré l’aide financière apportée par l’ANAH pour la réalisation des travaux, une part significative reste à la charge des propriétaires et ne sont accessibles à tout le monde. Dans le quartier comme Gambetta où la majorité des ménages ont des faibles revenus, cela pose problème. Sur un des prospectus de la ville de Nîmes pour informer de l’OPAH, il est écrit sur le recto en guise de titre « Propriétaires, bénéficiez d’aides pour financer la réhabilitation de votre habitat »147 , ce qui confirme une de mes interrogations. Ces aides, destinées aux propriétaires, incitent surtout les propriétaires qui occupent leurs biens.

Dans la majorité des cas, le propriétaire vivant dans le quartier va

entamer plus facilement la démarche puisqu’il se projette et s’investi dans son lieu de vie. En revanche, les locataires - ne pouvant pas être à l’initiative cette démarche - doivent espérer que leurs propriétaires puissent et veuillent investir dans le logement. De ce fait, dans le quartier tel que Gambetta où la majorité des ménages sont locataires et/ou précaires l’OPAH apparait comme une solution nécessaire mais certainement pas suffisante. Pour revenir sur le document officiel de cette opération, je remarque qu’à l’encontre de la préservation du bâti patrimoniaux la municipalité décide de mettre en place des actions complémentaires à l’OPAH dans le cadre des missions publiques. L’opération de Résorption de 144 145

Source : https://www.insee.fr/fr/recherche/recherche-statistiques?q=nimes&taille=100&debut=200&theme=7 voir carte officiel de l’OPAH, p.141 de l’annexe.

146

VALLADIER Fabienne, entretien Op.Cit. voir annexe p.133

147

voir image p.140 de l'annexe 95


l’habitat insalubre (RHI) est ainsi lancée dans le quartier et engendre la reconstruction de 30 logements à partir de 60 logements démolis dans l’optique de protection et d’amélioration des conditions de vie allant totalement à l’encontre de la préservation du patrimoine. Néanmoins, un outil destiné à favoriser la réhabilitation complète des immeubles est mis en place comme alternative à la démolition. Appelé le périmètre de restauration immobilière (PRI), les propriétaires sous peine d’expropriation ont l’obligation d’effectuer les travaux de remise en état déclarés comme d’utilité publique par la Ville. Ces deux interventions dans le quartier sont de nos jours notable, puisqu’elles ont abouti à l’apparition d’un bâti neuf au sein d’un quartier à caractère historique. Cette attention portée par les collectivités a permis d’éviter la dégradation totale du quartier par des interventions nécessaires pour maintenir le patrimoine urbain. Les outils utilisés dans une logique de réhabilitation démontrent que l’attention porté sur le quartier n’était pas en faveur de la mise en valeur de son patrimoine mais plutôt pour sa préservation. Si je reviens à mon expérience personnelle lors de mes enquêtes de terrain, l’expression propre à chaque lieu découle à la fois du maintien des immeubles par les travaux de requalification (engendrés de ce fait par l’OPAH) et mais surtout dû au processus de patrimonialisation généré par les habitants qui dévoile des valeurs propres au quartier. Marcel Roncayolo m’interpelle dans un passage de son livre De la Ville et du Citadin148 . Il y explique que dans les quartiers populaires, des revalorisations dans le sens de la lutte conte les taudis et de l’amélioration du cadre urbain sont souvent tentées mais que en réalité elle cherche avant tout une volonté de diversification sociale. La diversification sociale peut sousentendre de déloger certaines populations pour en accueillir des nouvelles afin de créer une mixité. Cette diversification est-elle seulement négative ? Dans les quartiers populaires elle peut permettre de briser le sentiment d’exclusion des personnes défavorisées. L’enjeu est alors de créer une certaine forme de mixité sans engendrer un mouvement de gentrification, d’accueillir une nouvelle population en maintenant celle déjà présente. Parce qu’elles revalorisent l’habitat, les actions portées par l’OPAH ont attiré une nouvelle population et favorisé cette diversification. Comment les habitants actuels vivent-ils cette diversité ? En sont-ils victimes ou en font-ils leur force ?

148

RONCAYOLO Marcel, Op. Cit. p.68 96


3.3 Habitants et associations source de patrimonialisation du quartier

D’après une publication de l’A’U sur les quartiers des faubourgs149 de Nîmes une enquête sociale réalisée sur le quartier Gambetta a permis de récolter quelques données sur les ménages du quartier. Par le biais de cette enquête trois principaux profils de ménages se sont distingués : les jeunes primo arrivants, des personnes isolées en situation de précarité et des personnes âgées résidents de longues dates. Durant mon enquête de terrain, j’ai eu l’opportunité de m’entretenir avec des représentants de chacun de ces profils d’habitants, mais aussi avec des acteurs associatifs. A travers leur témoignage j’essaye de démontrer comment, au-delà des interventions des collectivités locales, leur dynamique sont initiatrices d’une nouvelle identité du quartier mais surtout d’un processus de patrimonialisation bien diffèrent de celui remarqué dans la partie II. Marcel Roncayolo dans son ouvrage De la ville et du citadin nous amène à réfléchir sur la légitimité à attribuer aux acteurs politiques le titre de concepteur de la ville. Certes, « leur fonction institutionnelle et leur compétence technique et esthétique » justifie cette reconnaissance mais de ce fait sont-ils les seuls initiateurs de l’identité urbaine ? A travers mes entretiens, les individus me transmettent sans le savoir ce qui aujourd'hui est la source de la patrimonialisation du quartier Gambetta.

Dénoncer la dégradation du patrimoine et revaloriser le cadre urbain. La quartier Gambetta malgré ses aspects encore négligés se donne la réputation d’un quartier qui réinvesti son patrimoine urbain. Différentes initiatives associatives et habitantes se donnent pour mission d’améliorer le cadre urbain. L’une des plus actives dans le quartier est l’association du Spot, qui génère une dynamique nouvelle au sein du quartier par la promotion du street-art et du graffiti. Afin de mieux comprendre leurs intentions, j’ai rencontré Cédric Crouzy, président du Spot, qui a accepté de m’accorder un entretien150.

Agence d'Urbanisme et de Développement des Régions Nîmoise et Arlésienne « Quartiers de faubourg. Population et logements » Ville de Nîmes, publication A’U, Décembre 2018 149

150

Cédric Crouzy président du Sport, entretien du jeudi 7 novembre à 10h; durée de 29min. voir annexe p.127-130 97


Figure 24 : L’art de rue présent sur les immeubles vacants. Des îlots entiers peuvent être recouvert de ces graffitis, leur apportant un nouveau regard.

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La posture que l’association tient depuis maintenant huit ans est pour eux « un combat »151 . Afin que cela perdure, ils se sont imposés avec convictions en dépit des aléas budgétaires administratifs et législatifs. En reprenant ses propos, Cédric m’explique que dans un premier temps l’association avait pour objet de « promouvoir et développer les cultures alternatives. » La culture alternative est une notion très large mais volontairement utilisés par Cédric pour ne pas se limiter dans les idées. L’objectif étant de « montrer des choses qui sortent de l’ordinaire qui éveillent l’esprit, qui amènent les gens à sortir de leur zone de confort et de voir leur environnement d’une façon différente afin de proposer des solutions ». Cette phrase m’interpelle puisqu’elle résume en tout point la nécessité de faire évoluer la situation du quartier en faisant valoir leur pratique. Cette volonté du Spot se traduit par un premier événement intitulé L’Expo de Ouf. Cet événement annuel est un premier levier dans leur démarche permettant à travers l’art de rue de redonner une vitalité au quartier. Leur action ne s’arrête pas là, créant un parcours de graffitis au travers du quartier, Cédric m’explique que l’Expo de Ouf soutient aussi un discours politique. Leur idée était justement « de mettre les projecteurs sur ces quartiers pour que ça bouge », Insistant sur les aberrations architecturales et urbaines du quartier perçues par la vacance immobilière et la dégradation des bâtiments laissés à l’abandon, je comprends à travers notre discussion que les nombreux graffitis du parcours ont pour volonté de pointer du doigt les nombreux immeubles vacants et délaissés par la Ville, en espérant provoquer une réaction municipale, voire même un soulèvement habitant. Dans l’article « A chaque édition, on se dit que ce sera la dernière » les membres de l’association essaye de transmettre des valeurs communes, incitant chacun à agir. « Que ce soit par phase ou en continu, à son échelle, avec ses moyens, chacun fait sa part » En incluant les habitants et en les sensibilisant aux problématiques du quartier, le Spot croit en leur capacité à faire bouger les choses, et transformant leurs actions en objet à préserver. En effet sans vraiment s'en apercevoir les graffitis offrent une nouvelle attention aux immeubles délabrés transformant un acte ordinaire en une pratique propre au quartier chargée de valeurs sociales dont chaque habitant s’approprie. Conscients que leurs actions ne sont pas suffisantes pour résoudre l’ensemble des problèmes d’insalubrité et de dégradation patrimoniale que connait le quartier, Cédric exprime à plusieurs reprises la nécessité pour le quartier de recueillir l’attention municipale pour faire réellement 
 151

Cette citation, et celles qui suivent dans ce même paragraphe qui font parler Cédric Crouzy, sont extraits de l’entretien tenu le jeudi 7 novembre dans les locaux de l’association. voir l’annexe p.127-130 99


Figure 25 : La pancarte se situe à l’entrée de la rue Robert, la majorité des façades sont camouflés par la végétation, la photographie ci-dessus en est une parmi tant d’autre.

100


avancer les choses.

Néanmoins il évoque l’importance de « faire parler de ce quartier et

montrer que ça bouge » puisque malgré la négligence municipale c’est grâce à l’opinion publique qu’il espère attirer l’attention, et faire de ce quartier une priorité. Cette considération tant rechercher permet par la suite de valider le caractère patrimonial des actions engagés, et d'entamer une procédure de conservation de ses valeurs propres au quartier et à ses habitants. Cette vision des choses est aussi défendue par les habitants qui agissent face au délaissement municipal. La rue Robert, et le rue Gautier, par leur étroitesse et le manque de restauration urbaine, incarnent l’exemple parfait d’une appropriation et d’une revalorisation de l’urbain à travers l’action des habitants. Ces deux rues se trouvent au cœur de la zone qui regroupe la majorité des bâtiments vacants ou insalubres du quartier, où le tissu très resserré ne favorise pas un cadre aéré et par conséquent agréable. Néanmoins ce sont les rues les plus appréciables par la végétation et l’aménagement léger qui habillent l’espace. D’après un entretien informel avec Lise, habitante du numéro 23 de la rue Robert, il a été question pour les habitants « de reprendre les choses en main » pour redonner un visage agréable à leur rue. Ils ont décidé de fleurir les rues pour embellir l'espace, le rendre attractif et lui enlever sa mauvaise réputation. Lise a initié le mouvement en installant une jardinière en bas de chez elle. L’initiative a inspiré les voisins qui ont fait de même et ainsi de suite « ils s’y sont tous mis ». Sans le vouloir ces actions ont eu un impact sur l’image du quartier. En valorisant le tissu urbain, les habitants ont participé à la requalification de ces ruelles étroites et à la valorisation de leur caractère patrimonial. En discutant avec Christine une habitante depuis plus de 10 ans dans la rue Puits Couchoux152, elle m’apprend que cette initiative avait aussi été entreprise dans sa rue mais que par manque d’investissement des voisins cela n’avait provoqué le même phénomène viral. Christiane qui a un discours assez négatif sur l’évolution du quartier m’apprend que « la majorité des immeubles ont été rachetés par des gens qui spéculent et qui mettent des locataires » Par conséquent, il y a une rotation importante de locataires qui ne restent pas longtemps ce qui participe à la détérioration du quartier à ses yeux. Lors de mon entretien avec Cédric Crouzy, nous avons également abordé ce sujet. Ce sont généralement des personnes sous tutelles qui sont placées dans les appartements de ce quartier. Les propriétaires sans scrupule louent des appartements insalubres et malgré leur précarité les locataires demandent rapidement à changer de logement. De ce fait, d’après 
 152

Christine, 67 ans, habitante du 5 rue Puits Couchoux. Entretien informel du jeudi 7 novembre entre 11h et 12h ; durée d’environ 8 minutes, voir annexe p.130 101


Cédric « beaucoup d’habitant ne s’impliquent pas dans le quartier, que ce soit pour sortir les poubelles ou faire attention à son bout de trottoirs, ils ne le font pas donc les rues se dégrades »153 . Il y a un manque d’implication de ces personnes qui ne se projettent pas dans le quartier parce qu’elles n’ont pas choisi d’y habiter. Ce sujet me laisse perplexe, et je comprends petit à petit la difficulté de traiter un tel sujet. Dans un quartier si diversifié en terme de population, personne n’a les mêmes priorités, ni la même volonté d’investissement. Finalement la dynamique habitante que j’ai pu remarquer, n’est-elle pas le fruit d’une population privilégiée qui cherche à réinvestir le quartier ? Notre discussion avec Christine renforce mon intuition. Elle justifie l’investissement des habitants de la rue Robert par le simple fait que tous ceux qui y vivent y sont propriétaires. Malgré le fait qu’il semblerait que ce dynamisme soit essentiellement généré par ceux qui se projettent dans le quartier, agissent-ils pour l’intérêt du quartier et de la population existante, ou pour leur propre intérêt ?

Une volonté de vivre ensemble Lors de mes déambulations dans le quartier j’ai aperçu à plusieurs reprises des discussions de voisinage. Des personnes se croisent, se reconnaissent, s’interpellent puis prennent des nouvelles, et finissent par poursuivre leur chemin. Ce schéma classique a été une de mes premières interpellations. Par ces courtes discussions de voisinage, les habitants du quartier témoignent de l’importance à ceux qui habitent leur quartier. De manière informel, j’ai pu discuter avec Paul154 , jeune arrivant dans le quartier, où il a investi pour vivre avec sa famille. Alors que je l’interpelais au pas de sa porte, il m’accorde un peu de temps pour m’exposer son point de vue sur le quartier. A deux reprises il me parle de la convivialité entre voisins pour qualifier le quartier de Gambetta. Cette insistance me parut significative pour comprendre son expérience de ce quartier, d’autant qu’elle correspondait bien à ce que j’avais pu entrevoir en l’arpentant. Installé depuis seulement 18mois dans la rue Gautier, il se sent très bien accueilli, et a confiance en la solidarité du quartier entre voisins. « Ma fille peut jouer dehors, je me fais pas de soucis » a été la phrase qui a conclu son portrait

153

CROUZY Cédric, Entretien, Op.Cit. annexe p.129

154

Paul, 36 ans habitant dans la rue Gautier depuis 18mois. Entretien informel du jeudi 7 novembre entre 11h et 12h durée d’environ 10 minutes. voir annexe p.130 102


du quartier. Pourtant insignifiante cette phrase dévoile beaucoup sur l’esprit collectif qui règne dans le quartier entre les habitants Malgré ses propos très expressifs sur le vivre ensemble dans le quartier, cela m’a été démontré par l’interruption du voisin de l’immeuble d’en face dans notre discussion. Le temps de quelques minutes je me suis initiée dans une discussion de voisinage. Bienveillant l’un envers l’autre, ils s’intéressèrent aussi à ma présence dans quartier. Dans mon échange, furtif, avec Pascal155 (le voisin de Paul) cet aspect du quartier fût à nouveau exprimé. Après avoir qualifié le quartier de lumineux, il m’a en effet expliqué qu’il le trouvait très agréable « grâce au lien entre les gens, malgré les différents profils d’habitants ». Cette bienveillance entre voisins j’ai pu aussi la ressentir à mon égard, pourtant seulement de passage. « Avez-vous besoin d’aide ? »156 a été une des phrases qui m’a été adressée à plusieurs reprises lors de mon arpentage dans le quartier. Ayant une posture d’observatrice, ma présence au sein du quartier interpella plus d’un. Beaucoup de regard se posèrent sur moi sans exprimer aucune méfiance. Bienveillant beaucoup d’entre eux m’ont salué et m’ont souhaité une bonne journée comme si nous étions familiers. Cette sensation me surpris au premier abord, allant même jusqu’à m’intimider lors de ma première balade dans le quartier. Au fil de mes visites, je me suis prise au jeu, et me suis sentie de plus en plus à l’aise et légitime à me soucier d’eux à mon tour. Ces échanges affectueux ont été significatifs de la convivialité et l’entraide que dégage ce quartier. Dans le quartier ce vivre ensemble se traduit aussi à travers des lieux emblématiques initiés par des associations. Le café Chez Mémé est l’un deux. Il a été pensé par le Spot comme un lieu « qui correspond le plus aux attentes des habitants »157. Ouvert à tous, l‘objectif de ce café est d’inclure un maximum l’habitant afin qu’il se l’approprie. Chez Mémé est devenu un lieu favorisant la rencontre et le partage. Installé dans le secteur du quartier le plus précaire identifié lors de mon enquête de terrain cumulé aux études auparavant évoquées - Le Spot donne la gérance du lieu « aux habitants qui habitent autour de Chez Mémé »158 pour incarner le fait que cet espace leur est avant tout dédié. Lieu ou l’ensemble des habitants se sente

Pascal 58 ans , voisin de Paul. Entretien informel du jeudi 7 novembre entre 11h et 12h - durée d’environ 5 minutes. voir annexe p.131 155

156

Extrait du compte rendu de mon enquête de terrain du mardi 28 mai 2019 de 13h à 16h30 voir annexe p.122-123

157

CROUZY Cédric, Entretien, Op. Cit. annexe p.130

158

Ibid. annexe p.127 103


légitimes d’y mettre les pieds, Chez Mémé devient un café qui engendre la rencontre entre des habitants de profil divers. Le café Chez Mémé a favorisé la légitimité d’habiter son quartier et de s’exprimer. En effet le vivre ensemble permet de générer un sentiment d’intégration et d’acceptation de la personne. C’est en m’appuyant sur une anecdote racontée par Fabienne Valladier, que j’ai pu en déduire cela. Professeur des écoles, maintenant à la retraite, elle travaillait à l’Ecole de la Tour Magne, école de secteur des enfants du quartier Gambetta. Un de ses parents d’élève, résident dans le quartier, lui a un jour exprimé sa satisfaction de vivre dans le quartier de Gambetta, proche de toutes commodités. Vivre dans ce quartier inclus dans le centre-ville permet à « ses filles d’aller dans des bons collèges […] pour que ses filles puissent s’intégrer »159 Conscient de la mixité présente dans le quartier, il le compare à la ZUP, (banlieue de Nîmes) dans lequel il se sentait exclus « sans offrir la possibilité [à ses filles] de s’ouvrir à d’autres cultures »160. Le caractère cosmopolite du quartier permet à une population souvent mise à l’écart de s’intégrer dans la dynamique urbaine du centre-ville. M. Metizi, un habitant que j’ai interpellé dans la rue a exprimé des idées comparables. Résidant dans le quartier depuis seulement un an, il semble très satisfait du quartier sans vraiment réussir à m’expliquer pourquoi. Il est très reconnaissant de vivre dans ce quartier, et il estime « qu’il n’a pas à se plaindre » puisqu’il vit dans « un quartier vivant »161. Un quartier vivant, qui comme nous l’avons vu depuis le début, est le résultat d’une initiative habitantes et associatives. Ensemble, ils participent au processus de patrimonialisation, afin de transmettre une pratique de l’espace urbain qui leur est propre et une valorisation de leur cadre vie qui s’inscrit dans un tissu historique. Leurs actions génèrent depuis quelques années maintenant une nouvelle manière de percevoir le quartier, l’exposant davantage aux regards de tous.

Une nouvelle identité pour le quartier Depuis l’implantation de l’association Spot qui a initié les premières actions, les habitants ont pris conscience de leur capacité à renouveler le quartier et à donner de la valeur à leurs actions. Se projetant dans l’espace « sans mécanisme »162, ils initient un mouvement faisant 159

VALLADIER Fabienne, entretien Op. Cit. p.134

160

Ibid. annexe p.135

M.Metizi, 60ans environ, père de famille, nationalité maghrébine. Entretien informel du jeudi 7 novembre entre 11h et 12h - durée d’environ 7minutes. voir annexe p.132 161

162

RONCAYOLO Marcel, Op. Cit. p.67 104


de leur quartier un lieu d’expression et de valorisation non des bâtiments eux-mêmes (comme décors) mais des modes de vie et des coutumes qui s’y sont déployés, faisant référence ici à la patrimonialisation par le bas ciblée sur des valeurs immatérielles. De nos jours, Gambetta est perçu comme le quartier artistique du centre-ville. La présence des lieux culturels comme le Spot, le théâtre du Périscope, ou le Lavoir (lieu de représentation artistique) mais aussi les nombreux ateliers d’artistes que j’ai pu apercevoir participent grandement à faire la nouvelle richesse du quartier Gambetta. Comme l’affirme Cédric Crouzy, à travers des actions à différentes échelles, les acteurs culturels de Gambetta « utilisent l’art comme un moyen de faire bouger les lignes et remettre les projecteurs sur ce quartier un peu délaissés. »163 . Le quartier de Gambetta estompe la division entre un beau quartier et un quartier populaire.

L’habitant participe à l’embellissement du quartier, et en fait un quartier

remarquable offrant à leur actions une valeur patrimoniale. Comme l’affirme Marcel Roncayolo, « Les lieux prennent la valeur des conduites individuelles fortement agrégées »164. L’union des différents acteurs qui génère cette valorisation du quartier permet de travailler de façon collective pour « poursuivre le travail sur l’image du quartier et éviter de parler uniquement des dysfonctionnements »165. Néanmoins les dysfonctionnements sont bel et bien présents. Un des plus notable réside dans le manque d’implication de la municipalité dans le quartier et la délégation de la conservation du quartier à des structures généralement bénévoles. Isabelle membre du comité de quartier, me confirme qu’ils n’ont pas d’aide financière pour les nombreuses initiatives entreprises ce qui n’empêche pas les élus locaux d’être « bien contents que l’on agisse, comme ça ils n’ont pas à s’en occuper eux ». Néanmoins on constate que cette délégation a permis de développer une nouvelle manière d’agir sur le patrimoine et de le mettre en valeur, chose qui est plus difficile à mettre en place lorsque les acteurs institutionnels s’en emparent. Ainsi le processus de patrimonialisation par les habitants du quartier a permis de changer les regards et les impressions sur ce quartier, de révéler ses potentiels, sans que l’on puisse attribuer ce mérite à la politique municipale. De ce fait ce ne sont pas seulement les institutions politiques qui ont le pouvoir d’identifier un objet patrimonial ou d’attribuer cette 163 164

CROUZY Cédric Op.Cit annexe p.129 RONCAYOLO Marcel, Op. Cit. p.72

165

ROUBEAU Yann, président du comité de quartier de Gambetta. « Nîmes / Gambetta : la nouvelle équipe du comité joue collectif» , article du Midi Libre, 2016 https://www.midilibre.fr/2016/11/04/la-nouvelle-equipe-du-comitejoue-collectif,1075791.php 105


valeur. Cela m’offre un exemple qui me permet de répondre par la négative à la question posée par Marcel Roncayolo : « Le pouvoir est-il alors le véritable initiateur de la matérialité de la ville et de la vie urbaine ?166 . Gambetta en est un exemple très révélateur de la potentialité de l’action habitante pour générer une identité de quartier, un tout autre pouvoir que le pouvoir politique. A ce stade de mes recherches sur le quartier, j’en viens à m’interroger sur ce que cela induit véritablement au sein du quartier. Cela touche-t-il l’habitant dans sa vie quotidienne, ou favorise-t-il simplement l’image de quartier à l’échelle du centre-ville ? Peut-on vraiment affirmer que l’ensemble de ses actions ont permis aux habitants d’améliorer leur lieu de vie, ou ont-ils simplement ouvert les portes à une population extérieur au quartier ? Lorsque j’interroge Cédric Crouzy sur ce qu’il pense de l’évolution du quartier il la qualifie de très positive puisque beaucoup de chose ont changé notamment l’image du quartier. Comme il me l’explique, les problématiques d’insécurité, de drogue et d’insalubrité que connait le quartier sont toujours présentes, mais elles se mêlent aux actions qu’ils entreprennent afin d’offrir au quartier une autre identité. De ce fait ils ont « changé l’appréhension que les gens avaient du quartier ». Depuis quelques années une population extérieur vient s’intéresser au quartier « qui dévoile un aspect culturel et cosmopolite »167 . Vincent Bouget, candidat aux élections municipales de 2020, qualifie également la transformation du quartier comme positive. Il m’explique que « Gambetta est un quartier populaire dans lequel on rentre, on y vient même quand on n’y habite pas »168, chose qui était difficile à concevoir. « L’intérêt se construit par rapport au tourisme et donc quand il n’y a pas de potentiel on ne s’y intéresse pas. ». Si je reviens un instant sur les propos de Vincent Bouget qui m’ont permis de justifier le manque d’attention municipale porté sur le quartier, à ce stade de mes recherches l’envie me vient de le remettre en question. Ici le quartier Gambetta grâce au maintien de sa population et à son inclusion dans la dynamique a généré un processus de patrimonialisation offrant une identité propre au quartier qui de nos jours en fait sa richesse. D’après Patrice Noisette, «la mise en valeur d’un patrimoine

166

RONCAYOLO Marcel, Op. Cit. p.67

167

CROUZY Cédric, Entretien Op.Cit. annexe p.128

168

BOUGET Vincent, Entretien Op.Cit. annexe p.125 106


Figure 26 : Une photo qui, dans ses détails, résume le portrait de Gambetta.

107


authentique même s’il n’a rien d’exceptionnel est un facteur d’attractivité »169 .

En effet la

patrimonialisation « par le bas » que connait le quartier de Gambetta a suscité de nouveaux intérêts aux yeux de la Ville, qui pourrait y voir un potentiel à investir dans le lieu. Le patrimoine urbain ici est mis en valeur et est rendu remarquable grâce aux actions habitantes. Le patrimoine de Gambetta est considéré en lui attribuant une valeur sociale qui devient source de dynamisme et d’attractivité. Des articles de presses sont de plus en plus nombreux à parler du quartier. « Un esprit collectif »170 , « habitants qui redorent l’image du quartier »171, « Quartier branché à l’avenir »172 sont autant de termes utilisés par les journalistes pour définir ce nouveau quartier qui suscite l’attention de tous. Le quartier acquiert ainsi une nouvelle visibilité au sein du centre-ville, certain même ont pour volonté de s’inspirer de Gambetta pour revitaliser leur centre. Le cas de la ville de Vauvert, voisine de Nîmes, ou un article173 a été écrit à ce sujet. Enfin je découvre que depuis le 2 octobre 2018, la ville de Nîmes met Gambetta en avant sur son site officiel. Chose qui était impensable auparavant, le quartier est qualifié de « coin de la ville plus le propice à la vie de quartier »174 . A travers ce travail sur Gambetta, je constate, et je pense qu’à l’heure où j’écris la municipalité elle aussi s’en est rendu compte, que le maintien des habitants dans ces quartiers contribue à une forme de patrimonialisation lié à l’affecte capable de génère un phénomène d’attractivité. L’expression de l’habitant dans son lieu de vie, offre une part d’authenticité qui semble manquer dans certains quartiers historiques de la ville, et qui peut attirer touristes et promeneurs. Par conséquent l’intégration et la prise en compte des besoins des habitants et de leur vision du quartier historique a un effet globalement positif sur l’ensemble urbain.

NOISETTE Patrice, VALLERUGO Franck, « Le marketing des villes. Un défi pour le développement stratégique » Editions d’Organisation, 1996 p.323 169

170ARNAUD

Fabien, article de presse, Midi Libre, novembre 2016 /site internet: https://www.midilibre.fr/2016/11/04/lanouvelle-equipe-du-comite-joue-collectif,1075791.php PAYAN Camille, article de presse, France Bleu Gard Lozère, juillet 2017 /site internet: https://www.francebleu.fr/ infos/societe/les-habitants-du-quartier-gambetta-de-nimes-fleurissent-leurs-rues-1500917096 171

172

BOUDES Richard, article de presse, Midi Libre, mai 2016 / site internet: https://www.midilibre.fr/2016/05/25/unautre-regard-sur-le-quartier-gambetta,865489.php « Vauvert, la ville va-t-elle s’inspirer du quartier Gambetta ? » article Objectif Gard, juillet 2017 / site internet : https://www.objectifgard.com/2017/07/28/vauvert-ville-va-t-sinspirer-quartier-gambetta-de-nimes/ 173

174

« Dans les rues de Gambetta », article sur le site officiel de la Ville de Nîmes /site internet: https://www.nimes.fr/ index.php?id=3796&tx_ttnews%5Btt_news%5D=63685&cHash=09973b5ab06cc49514a57c0d67e23bae 108


J’aperçois dans le nouveau Plan de Valorisation de l’Architecture et du Patrimoine approuvé en 2018 que l’un des enjeux pour le quartier Gambetta, porte sur la considération de la composante sociale dans la rénovation du quartier. Il est écrit je cite « rénover le bâti sans perdre le caractère populaire et historique du quartier »175. Par conséquent les documents d’urbanisme commence à prendre en compte le caractère socio-démographique du quartier lors des interventions dans le secteur afin de maintenir la population habitante et ses modes de vies.
 
 Je finalisera cette partie en m’appuyant sur la définition de Jean Davallon qui définit la patrimonialisation comme « le processus par lequel un collectif reconnaît le statut de patrimoine à des objets matériels ou immatériels, de sorte que ce collectif se trouve devenir l’héritier de ceux qui les ont produits et qu’à ce titre il a l’obligation de les garder afin de les transmettre. » En effet, en investissant le quartier, en y développant des projets sociaux et culturels les habitants provoque ce processus. Ils permettent à la fois de faire reconnaitre la valeur symbolique du quartier et de ses modes de vie. Cette reconnaissance dépasse d’ailleurs les frontières du quartier comme nous l'avons remarqué dans les articles de presse évoqué auparavant. Grâce aux structures associatives, les projets sociaux et culturels produisent aussi des savoirs et des pratiques nouvelles au sein du quartier qui seront transmissent dans le temps. Ainsi, ce processus initié par la population habitante permet la reconnaissance du quartier comme un lieu de patrimoine pour le collectif l’habitant, et facilite son appropriation, son usage, et cela au plus grand nombre, puisque le quartier devient de plus en plus visible. 
 
 Dans la partie II nous avions vu que ce processus était conduit par les équipes municipales, avec l’appui d’administrations étatiques centrales. Ici ce sont bien les habitants et les usagers du quartier, qui sont ici à l’initiative de cette patrimonialisation mettant en valeur le quartier historique de Gambetta.

175

Direction de l’Urbanisme, Ville de Nîmes, Orientation d’Aménagement et de Programmation, révision du PLU / source internet: https://www.nimes.fr/fileadmin/directions/urbanisme/PLU_Reglement/OAP_version_finale_v2.pdf 109


110


Conclusion

111


En abordant ce travail de recherche j’ai voulu expliciter l’étonnement qui m’a toujours saisi devant l’importance des logiques de conservation du bâti et de préservations de « l’identité » qui contraignent les décisions d’urbanisme et d’architecture des centres-villes en France. Par rapport à Buenos Aires, où j’ai vécu plus jeune, il m’a toujours semblé que nos villes – et en particulier Nîmes où j’ai aussi grandi – souffraient d’un manque d’audace et de liberté architecturale. J’ai considéré qu’une des différences importantes entre les politiques urbaines d’Argentine et de France s’incarne dans la place fondamentale donnée à la notion de patrimoine dans notre pays. Ainsi j’ai souhaité faire porter mon mémoire sur le lien entre les centres anciens et le patrimoine ; afin de comprendre pourquoi identifie-t-on des éléments de patrimoine à préserver dans les centres anciens et comment ce processus gouverne l’évolution des villes ? Dans la première partie, j’ai souhaité répondre à ces questions sur le plan historique et théorique. J’ai conduit mes recherches dans le but de comprendre pourquoi et comment sommes-nous aujourd’hui venu en à considérer les centres anciens en tant que patrimoine à conserver. La notion de patrimoine s’inscrit dans une histoire ancienne qui ne cesse d’évoluer en englobant de nouvelles réalités. D’abord mobilisée pour défendre des monuments remarquables au XIXème siècle, elle s’est peu à peu étendue pour désigner plus largement des ensembles urbains et, plus récemment, des pratiques culturelles avec l’apparition du patrimoine immatériel. Cet élargissement de la notion du patrimoine a contribué en grande partie à la reconnaissance des centres anciens comme objet à conserver et à transmettre de génération en génération. Dans un contexte où nos besoins évoluent eux aussi de manière fulgurante, la politique patrimoniale ne cesse d’articuler ses réflexions autour non seulement de la conservation, mais aussi de la requalification de notre patrimoine urbain. Les centres anciens sont générateurs d’une identité urbaine et cela favorise l’image de la ville et l’attachement des habitants. Ce sont donc autant les acteurs économiques qui contribuent à orienter le patrimoine urbain vers des biens de consommations que l’individu à la recherche de support mémoriel pour la construction de son identité. La question de la gestion du patrimoine est donc un sujet complexe et délicat. L’intervention dans les centres anciens doit donc tendre vers un certain équilibre pour mettre en valeur le patrimoine : il faut éviter d’en faire 112


un outil exclusivement économique à destination des consommateurs, mais aussi fabriquer un lieu de vie pour les habitants. Ainsi, la manière de mettre en œuvre cette politique patrimoniale dévoile certaines stratégies d’intervention sur les centres anciens, pourtant difficile à percevoir sur le plan théorique. En explicitant la diversité des outils et acteurs intervenants dans la revalorisation du patrimoine j’ai souhaité montrer les modalités de mise en œuvre de la patrimonialisation et comment le choix dans la panoplie d’instruments patrimoniales peut être révélateur d’enjeux à la fois politiques, économiques, et aussi sociaux. Dans un second temps, pour comprendre les raisons qui font que nos centres-villes sont gouvernés par la puissance patrimoniale et ce que cela engendre sur l’identité urbain, j’ai souhaité concentrer mes recherches sur le cas de la ville de Nîmes. Ce travail d’analyse du centre-ville de Nîmes a été l’occasion de démontrer que la patrimonialisation ne s’opère pas de façon uniforme au sein d’une même commune. En effet, le contexte, les acteurs et les outils employés définissent différentes formes d’intervention sur le patrimoine urbain qui peuvent avoir des répercussions négatives comme positives sur nos centres-villes. Pour illustrer cela j’ai étudié le centre-ville de Nîmes sous deux angles différents Dans l’écusson, cœur historique du centre-ville, les municipalités successives sont intervenues depuis les 1980 pour mettre en scène le patrimoine monumental hérité des époques romaines et médiévales. Les interventions ont été calculées pour "vendre la ville comme on vend une entreprise" (Jean Bousquet 1984) et améliorer l’attractivité touristique de la ville de Nîmes, en la réduisant à ce quartier remarquable. On peut dire qu’il s’agit d’une patrimonialisation institutionnelle, qui court après des objectifs économiques, et une reconnaissance symbolique. La stratégie de marchandisation du patrimoine nîmois a donc été la cause principale de son uniformisation au détriment de l’authenticité de la ville, de la population résidente et de l’appropriation dont celle-ci aurait pu faire preuve. C’est d’ailleurs en partie ce que l’ICOMOS a pointé du doigt dans le rapport que l’institution a produit pour justifier le refus d’inscrire Nîmes au patrimoine mondial de l’UNESCO. En parallèle, n’abritant aucun patrimoine remarquable, le caractère patrimonial du quartier Gambetta n'a jamais été reconnu (ou à minima) et pris en charge par la municipalité. Aujourd’hui quartier du centre-ville, il s’agit pourtant d’un des plus anciens faubourgs de la ville, et son histoire est intimement liée à celle de l’époque industrielle qui a fait la richesse et le prestige de Nîmes aux temps modernes. On recense quelques programmes de maintien de 113


l'état des bâtiments patrimoniaux, mais aucune action de mise en valeur du tissu urbain a été envisagée par les collectivités façonnant le caractère défavorisé du quartier. Résultat, cette absence d'intervention a laissé à d'autres acteurs la place d'initier à leur tour un processus de patrimonialisation : les habitants et les associations locales. Ils ont peu à peu investi le quartier pour le valoriser eux-mêmes, tout en conservant et en mettant en valeur les modes de vie, les coutumes et la culture populaire du quartier. Plus que sur des bâtiments ou édifices notables, ce sont plutôt des éléments immatériels ont ici impulsé le processus de patrimonialisation, conservant le caractère authentique du rapport entre l'habitant et son quartier. Avec, cependant, le risque que cela déclenche la gentrification du quartier et finissent par chasser, à moyen terme, ses habitants actuels. A ce stade de ma réflexion il m’aurait paru pertinent de poursuivre mes recherches sur les mutations sociales dont la patrimonialisation peut être la cause. Ayant côtoyé ce sujet tout au long de ce travail, et arrivant à la fin de ce temps de recherche, je me soucis notamment de l’avenir du quartier Gambetta et de sa vulnérabilité face au phénomène de gentrification, m’appuyant sur l‘hypothèse que la plupart des quartiers du centre-ville l’ai déjà subi. En arrivant à terme de ce travail porté sur la patrimonialisation des centres anciens, il m’est forcé de constater que l’analyse de l’application concrète du concept de patrimonialisation sur le centre-ville de Nîmes a permis de nourrir sa définition théorique. Au-delà de l’apport instructif de l’histoire du patrimoine urbain, et de sa relation dans notre société et dans nos villes contemporaines, mes cas d’étude ont en effet grandement participé à la compréhension de cette notion complexe qu’est la patrimonialisation. Guidée par mes intuitions et hypothèses sur le sujet, ma recherche avait pour objectif d’élucider ce que le processus de patrimonialisation provoque sur nos centres-villes. Malgré la difficulté à me détacher du rapport intime que j’entretiens avec la ville de Nîmes, ce travail m’a offert la possibilité de démontrer avec une analyse étayée, ce qui me paraissait si évident de prime abord : les villes françaises sont gouvernées par une gestion patrimoniale qui influence l’esthétique urbaine, guidée par des intérêts politiques et économiques propres aux centresvilles. La revalorisation des centres anciens reste une opération délicate, qui nécessite des considérations qui vont au-delà des incitations financières et des décisions autoritaires. La réussite, finalement, tient aussi au fait que les habitants se réapproprient les lieux, qu’ils éprouvent eux même la nécessité d’en améliorer l’apparence, mesurant le bénéfice qu’ils en 114


tireront. La revalorisation de ces lieux doit être perçue comme un processus de patrimonialisation collégial, guidé par l’intérêt collectif. Le maintien des habitants dans les centres historiques permet non seulement leur conservation, mais les rend aussi plus attractif pour les touristes qui, aujourd’hui, cherchent une certaine « authenticité », émergeant de l’expression de ceux qui habitent le patrimoine. On peut néanmoins constater que cette collaboration avec la population est très peu mise en place dans les politiques patrimoniales et la consultation des habitants semblerait apporter une richesse aux réflexions menées autour de la gestion patrimoniale. On peut notamment prendre pour exemple les méthodes de conceptions participatives, de plus en plus communes dans le logement, mais qui n’ont pas encore été utilisées, ou très peu, dans le domaine du patrimoine. L’inclusion des habitants et des locaux dans la conception apparait donc comme une approche pertinente pour développer des projets « en situation »176. Je conclurai ainsi avec cette citation de Claude Richard « En d’autres termes, rendons au centre-ville sa fonction. Celle-ci lui convient mieux que celle de musée ou de lieu de divertissement ou encore de carte postale. Les centres anciens ne deviennent patrimoine qu’avec la vie de l’homme. »177

Ici je fais référence au domaine d’étude « Situations » récemment paru à l’ENSAM qui nous sensibilise à agir en prenant en compte des réalités sociales et territoriales ainsi qu’en façonnée notre réflexion sur le site, avec ceux qui y habite. 176

177 RICHARD

Claude, « Entre culture et économie, la réhabilitation comme langage sociale » Op.Cit. p.25 115


116


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LANDEL Pierre-Antoine, SENIL Nicolas, « Patrimoine et territoire, les nouvelles ressources du développement », Développement durable et territoires, 2009 (en ligne : http://journals.openedition.org/developpementdurable/7563) LE HEGARAT Thibault. Un historique de la notion de patrimoine. » 2015. (en ligne : https : //halshs.archives-ouvets.fr/halshs-01232019) LEVY Jean-Paul. « Quartiers anciens et centre-ville : nouveaux enjeux d'une politique de réhabilitation. » Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, tome 54, Toulouse, 1983

MULLER Sara, « Patrimoine et revitalisation des centres anciens : le modèle français confronté aux villes du sud » in « Techniques Financières et Développement », Épargne sans frontière 2015 NOISETTE Patrice, VALLERUGO Franck, « Le marketing des villes. Un défi pour le développement stratégique » Editions d’Organisation, 1996 O.V.P.M, 2ème conférence régionale des villes du patrimoine mondiale, « Vieux quartiers, vie nouvelle, la réhabilitation en milieu historique », Actes du colloque de Tunis, juin 1997 PUJALTE-FRAYSSE Marie-Luce. « Nîmes à la fin du XVIIIe siècle : une ville éprise de son histoire. » Le projet de JeanArnaud Raymond, architecte des États de Languedoc. In : Bulletin Monumental, tome 168, n°2, 2010. p. 149-157 ROCHER Marie-Claude, SEGAL André. « Le traitement du patrimoine urbain. Intégration, intégralité, intégrité. » Actes du Colloque Mons-Québec Québec, 1996 RONCAYOLO Marcel, « De la ville et du citadin », Editions Parenthèses, Marseille, 2003 TEISSEYRE-SALLMANN, Line. « ‘Urbanisme et société : l'exemple de Nîmes aux XVIIe et XVIIIe siècles. » In : Annales. Economies, sociétés, civilisations. 35e année, n°5, 1980. p. 965-986 TOMAS, François, « Les temporalités du patrimoine et de l'aménagement urbain », Géocarrefour, vol. 79, 2004 TURGEON Laurier « Introduction. Du matériel à l'immatériel. Nouveaux défis, nouveaux enjeux ». Ethnologie Française, Vol 40, 2010 VOLLE Jean-Paul, « La croissance urbaine de Nîmes » Bulletin de la Société Languedocienne de Géographie n°4 d’octobre-novembre 1968 OUVRAGE UNIVERSITAIRE : BOTTIGLIONE Clara. « La revitalisation des cœurs de ville : la nouvelle approche de l’espace public dans les projets urbains. Le cas du centre ancien méditerranéen de la Seyne-sur-Mer. » Sciences de l’homme et Société. 2014 DOSSIERS : Agence d'Urbanisme et de Développement des Régions Nîmoise et Arlésienne « Diagnostic des quartiers centraux de Nîmes. Tome 3 : Approche patrimoniale, Étude préalable pour valoriser les quartiers patrimoniaux » Ville de Nîmes, Agence d’Urbanisme, région nîmoise et arlésienne, publication A’U, Septembre 2002 p.107 Agence d'Urbanisme et de Développement des Régions Nîmoise et Arlésienne « Site Patrimonial Remarquable, Population et logements. Connaissance des territoires et des modes de vie. » région nîmoise et arlésienne, publication A’U, Septembre 2017

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Agence d'Urbanisme et de Développement des Régions Nîmoise et Arlésienne « Quartiers de faubourg. Population et logements » Ville de Nîmes, publication A’U, Décembre 2018 Convention de Mise en Œuvre, Agence Nationale de l’Habitat, « Opération programme d’amélioration de l’habitat renouvellement Urbain, Ville de Nîmes faubourgs nord Gambetta » Octobre 2008 (en ligne: https://www.anah.fr/ fileadmin/programmes/Convention%20030OPA011.pdf) ICOMOS, « Charte internationale sur la conservation et la restauration des moments et des sites » IIe Congrès international des architectes et des techniciens des monuments historiques, Venise, 1996 Rapport de l’ICOMOS pour le Comité du patrimoine mondial, « Évaluations des propositions d’inscription des biens culturels et mixtes » Manama, 24 juin - 4 juillet 2018 (en ligne : https://whc.unesco.org/archive/2018/whc18-42cominf8B1-fr.pdf) UNESCO. « General Conference, 19th », Nairobi, (en ligne : http://ulis2.unesco.org/images/0011/001140/114038EO.pdf) Ville de Nîmes « Le secteur sauvegardé de Nîmes » Guide pratique. Dossier officiel de la ville, 2007 Révision du PLU, approuvé en 2018, Ville de Nîmes: (en ligne: https://www.nimes.fr/fileadmin/directions/urbanisme/ PLU/30189_reglement_20180707.pdfleger.pdf) SITE INTERNET : Site officiel de la ville de Nîmes : http://www.nimes.fr Site sur l’histoire de Nîmes : http://www.nemausensis.com/Nimes/AccueilNimes.htm Site officiel du ministère de la culture : https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Monuments-historiquesSites-patrimoniaux-remarquables/Presentation Site officiel de INSEE : https://insee.fr/fr/accueil AUTRES : « Penser la ville contemporaine sur la ville anciennes » source : https://duportland.wordpress.com/travail-pratique-2-_-penser-la-ville-contemporaine/ Le Monde, Faut-il reconstruire les monuments détruits ? reportage du 26 décembre 2018 JEUDY Pierre Henri, » Histoire et Patrimoine », conférence du 14 mars 2018 source : https://www.youtube.com/watch?v=bT7wm0ERWuY&t=847s MERIOT Johan « Nîmes au patrimoine mondial de l'Unesco : ce n'est pas encore gagné ! » article de presse, France 3 Occitanie publié le 15/05/2018 FLANDIN, Richard, « La ville de Nîmes fait peau neuve » article de presse VivreNîmes, avril 2019,

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Table des figures : Figure de la première de couverture : Le Moniteur Architecture « Nîmes » n°26, novembre 1991 Figure 1 : https://www.histoire-image.org/fr/etudes/viollet-duc-restauration-monumentale Figure 2 : source : google image. Figure 3 : https://www.laquotidienne.fr/les-touristes-vont-ils-arriver-a-faire-couler-venise/ Figure 4 : http://www.nemausensis.com/Nimes/AccueilNimes.htm Figure 5 : Diagnostic des quartiers centraux de Nîmes. Tome 3 : Approche patrimoniale, Étude préalable pour valoriser les quartiers patrimoniaux, A’U Figure 6 : http://www.nemausensis.com/Nimes/cacharel/CACHAREL.html Figure 7 : « Nîmes, Les vingt ans du secteur sauvegardé 1985-2005 », Errance, Paris, 2012 Figure 8 : « Nîmes, Les vingt ans du secteur sauvegardé 1985-2005 », Errance, Paris, 2012 / « Le secteur sauvegardé de Nîmes » Ville de Nîmes, Guide pratique. Dossier officiel de la ville, 2007 Figure 9 : https://mapio.net/s/40932210/ Figure 10 : https://remonterletemps.ign.fr/comparer/basic Figure 11 : Cartographie personnelle d’après les données récoltées. Figure 12 : « On s’était dit rendez-vous dans 10 ans » édition de la Ville de Nîmes, 2011 Figure 13 : Images extraites de la page Facebook « Souvenir de NIMES d'hier et d’aujourd’hui » Figure 14 : Photographies personnelles Figure 15 : Photographies personnelles Figure 16 : Re-dessin personnelle d’après une ancienne carte datant de 1789 Figure 17 : Carte personnelle d’après le document officiel du P.L.U Figure 18 : Carte personnelle d’après l’étude de l’AU « Diagnostic des quartiers centraux de Nîmes Tome : Approche patrimoniale » Figure 19 : Carte personnelle d’après l’étude de l’AU « Quartier de faubourg : Population et logements » Figure 20 : Photographies personnelles Figure 21 : Carte sensible confectionnée suite à ma déambulation dans le quartier Figure 22 : Photographies personnelles Figure 23 : Photographie personnelle Figure 24 : Photographies personnelles Figure 25 : Photographies personnelles Figure 26 : Photographies personnelles

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Glossaire :
 Liste d’abréviation : ANAH : Agence Nationale de l’Habitat
 ANRU : Agence nationale de la rénovation urbaine. 
 AVAP : Aire de mise en Valeur de l’Architecture et du Patrimoine
 CNMH : Commission nationale des monuments historiques
 CNSS : Commission nationale des secteurs sauvegardés
 ICOMOS : International Council Of Monuments ans Sites
 OPAH: Opération Programmée d’ Amélioration de l’Habitat 
 OPAH-RU : Opération Programmée d’ Amélioration de l’Habitat et de Renouvellement Urbain 
 ORI: Opération de restauration immobilière 
 ORT: Opération de revitalisation du territoire 
 PLU : Plan local d’urbanisme
 PRI : Périmètre de Restauration Immobilière (ou ORI)
 PSMV : Plan de Sauvegarde et Mise en Valeur
 RHI : Résorption de l’Habitat Insalubre
 SPR : Site Patrimoine Remarquable 
 SS : Secteur Sauvegardé
 UNESCO : Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture.
 ZPPAUP : Zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager Requalification : action qui permet de redonner une certaine qualité de vie à un quartier Revalorisation : action de rendre son ancienne valeur à un quartier, de le remettre en valeur Revitalisation : ensemble d'actions menées afin de redonner vie à un quartier par l'installation de services, de centres culturels, ... Réhabilitation : action d’effectuer d’importants travaux dans un bâtiment existant afin de le remettre aux normes d’habitabilité (sécurité et confort) actuelles. Vu comme une alternative à la rénovation urbaine. Rénovation urbaine : ce terme renvoie initialement aux opérations de destructions conduites dans les centres anciens au nom de la lutte contre l’insalubrité.

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Annexes : Note d’observation Compte rendu de l’observation du quartier Gambetta n°1 du 28 mai de 13h à 16h30 Balade au sein du tissu urbain Je commence ma déambulation par l’Eglise Saint Charles qui borde le boulevard délimitant le quartier Gambetta et l’Ecusson. Cette église est négligée, elle ne semble pas avoir fait l’objet de restauration récente. La façade tombe en lambeau, tout comme l’intérieur. Ce monument historique passe inaperçu et se fond dans le décor. A côté de cette église une placette que je traverse pour m’enfoncer dans le quartier. Une placette sans vie, recouverte d’un sol de pierre lisse laissant à peine place à quelques arbres. Lieu peu végétalisé et peu approprié par les habitants. Je remonte la fameuse rue Bachalas afin d’arriver sur l’ilot qui accueille des constructions neuves : les logements du CROUS, et ceux de « un toit pour tous ». Gros contraste avec les ilots limitrophes qui sont, non pas délabrés, mais carrément à l’abandon. De nombreux graffitis sont présents sur ces immeubles, de véritables œuvres artistiques qui camouflent les façades en lambeaux. Je me balade au travers des ruelles étroites et j’ai rapidement la sensation d’être dans le centre ancien d’un village qui m’est inconnu. L’appropriation des rues par les habitants embellit cet ensemble d’ilots. Je n’arrive plus à distinguer l’état des immeubles tant les ruelles me procurent un confort. Néanmoins je remarque de manière ponctuelle quelques restaurations de façades. J’effectue une boucle pour me rendre au sud-ouest du quartier Gambetta, l’accumulation de façades rénovées est notable, j’aperçois même certains immeubles en rénovation. Je parcours la rue Clérisseau pour me rendre à l’est du quartier. Rue très fréquentée par les voiture, et plutôt bruyant . On constate un aménagement de la voirie offrant une place aux piétons et une percée notable au niveau des nouveaux logements. Cette percée aère le tissu urbain dans une zone centrale où le passage est fréquent (entre voitures et piétons). Tout au long de ma déambulation j’aperçois de nombreux graffitis. J’arrive à la partie Est du quartier qui semble plus tranquille, et bien plus populaire ; les interventions sont partielles mais un équilibre est installé. Les rues sont propres et calmes, je ne perçois pas d’immeubles à l’abandon. Les larges rues sont vides, plus on monte au Nord plus le tissu urbain est dégagé, j’aperçois même des jardins cachés. Tout au long de ma déambulation je croise des habitants, accoudés aux fenêtres, sortant de chez eux, déambulant dans les rues. Tous très aimables ils ,me saluent, parfois même m’observent. Je ne pourrai pas définir le profil de l’habitant type du quartier. Il s’y mêle à la fois des anciens qui promènent leur chien, des adolescents qui rentrent du lycée, des jeunes actifs sortant de chez eux à vélo, des familles se promenant dans le quartier, et aussi me semble t’il, des touristes photographiant tout comme moi les œuvres d’art réalisés par les graffeurs. Le quartier Gambetta a plusieurs identités dont chacune dégage une ambiance différente. Du quartier populaire au petit village médiéval, de la rénovation urbaine à l’investissement des habitants, de la façade rénovée aux graffitis sur des immeubles condamnées. Observations / Analyses : Observation : Tout au long de la journée je croise des personnes de toutes générations, et de toutes classes. Analyse : es différentes identités urbaines ressenties dans le quartier Gambetta semblent favoriser la mixité sociale puisque chacun se reconnait et s’approprie sont espace tout en partageant avec son voisin. Observation : Au sud-ouest du quartier les rénovations d’immeubles s’accentuent. Beaucoup de façades sont revalorisées ou alors sont en cours de revalorisation.

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Analyse : La proximité de cette zone avec l’université Vauban peut être la raison de la revalorisation des immeubles dans cette zone. Attractif pour les étudiants mais aussi proche d’un patrimoine remarquable qu’est l’enceinte de l’université. Observation : Des ruelles très étroites donnent la sensation d’être au cœur d’un village médiéval. Analyse L’histoire de ce quartier ressort dans son tissu urbain. Ce faubourg faisait partie de l’enceinte médiéval. Observation : L’appropriation des habitants est telle que l’on ne distingue plus si les immeubles sont délabrés Analyse : Malgré l’apparence négligée des immeubles, les habitants essayent d’offrir un cadre de vie agréable à leur quartier. Ils essayent de valoriser leur quartier pour montrer qu’ils s’y sentent bien. Observation : Des graffitis présents sur les immeubles à l’abandon ; sur les fenêtres et portes condamnées, les façades délabrées. Analyse : Les différentes interventions des artistes qui s’approprient les murs donnent une sensation de cache misère, une nécessité d’embellir son quartier de ses propres mains.

Compte rendu de l’observation du quartier Gambetta n°2 du 30 mai de 12h à 15h Balade au sein du tissu urbain En relisant mes écrits, je constate que je parle très peu de l’aspect vétuste du quartier. Les nombreuses surprises lors de ma première déambulation ont pris le dessus face à cet aspect du quartier. Je décide donc d’y retourner une deuxième fois pour confirmer ou non mes premières impressions. Cette balade est plus rapide, connaissant mieux le quartier, je m’y repère plus facilement. Je photographie de nombreuses façades dégradées et constate qu’elles se trouvent à proximité des ruelles rappelant l’imaginaire du village. Ne photographiant que des façades je me pose la question de ce qu’il se passe à l’intérieur. Il est possible que ce soit un souci de restauration de façade mais que l’intérieur de l’immeuble soit restauré. Le quartier me parait toujours aussi agréable, je sens que j’intrigue les habitants avec mon appareil photo, mais je n’ose toujours pas les aborder. Mes ressentis restent les mêmes, je me rends mieux compte néanmoins que la part d’immeuble encore vétuste est importante. Cela en fait son charme, l’action des habitants dans leur rue montre un attachement de leur part. Je garde en tête le comité de quartier que j’avais découvert lors de ma première visite, et cela me réconforte sur le fait que les habitants sont optimistes sur l’évolution du quartier. Je finis ma balade sur une place que je découvre, à l’image d’une cour d’immeuble à grande échelle. Sur cette place peu engageante des enfants jouent, et des personnes « trainent ». Je remarque beaucoup de jeunes qui zonent, des poubelles dans les rues, des gens qui urinent dehors. Lorsque je m’apprête à photographier cette place, les personnes qui s’y trouvent, me demandent d’arrêter tout de suite. Ils ne sont pas favorables à l’idée d’être pris en photo par « des gens comme moi ». Ils me disent que je suis inconstante, que je pourrais tomber sur des personnes bien plus violentes à l’idée d’être photographiées. Je m’excuse et leur prouve la suppression des quelques clichés. En partant je m’en veux de ne pas avoir engagée la discussion. Pourquoi ne veulent-ils pas être photographiés? Pour une population qui se plaint d’être négligée pourquoi repousse-elle ceux qui s’intéressent à eux ? Est-ce l’accumulation « de gens comme moi » qui les insupportent ? Peut-être ne suis-je pas la première. Observations / Analyses : Observation : L’aspect insalubre ne prend pas le dessus dans le quartier hormis sur des ilots ponctuels. Analyse : Certes l’action de la ville a amélioré le confort de nombreux immeubles du quartier, mais les habitants fournissent beaucoup d’énergie eux aussi, afin de revaloriser leur cadre de vie. Observations : Autour de cette place, je remarque plein de jeunes qui zonent dans les rues, des poubelles dans les rues, des gens qui urinent dehors. Analyse : Cette place étant proche de l’avenue Gambetta, elle constitue la première image que l’on peut avoir du quartier lorsqu’on ne le connait pas et qu’on essaye d’y rentrer. Néanmoins une fois rentré dans son centre on remarque une toute autre image. Cela est surement à l’origine des nombreuses appréhensions des habitants de Nîmes sur le quartier. Autres : Découverte d’un Comité de quartier de Gambetta, qui écoute les besoins des habitants et propose des événements pour favoriser le partage et la rencontre au sein du quartier.

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Il défend aussi des injustices et des inégalités du quartier.

Retranscription des entretiens Entretien n°1 avec Vincent Bouget, habitant de Nîmes, engagé dans la politique Vendredi 08 novembre à 15h Durée : 26min07 Bonjour, pouvez-vous vous présenter. Je suis Vincent Bouget, je suis nîmois depuis toujours. Ma famille est nîmoise, j’avais un arrière-grand-père menuisier rue Fresque. J’ai toujours vécu à Nîmes, sauf pendant dix ans ou j’ai étudié à Paris. Je suis revenu en 2009, je suis du quartier Gressant.

1. Pratiquez-vous régulièrement le centre-ville ? Oui, à pied en voiture pour sortir ou pour travailler.

2. Que pensez-vous du centre-ville de Nîmes ? Moi je me sens chez moi, mais c’est personnel. Il y a eu des travaux récemment d’embellissement du centreville, quoi qu’on en pense après sur la qualité enfin sur l’esthétique, en tout cas il y a eu beaucoup de moyens qui ont été mis sur les boulevards, sur l’Esplanade, sur le parvis des arènes, c’est un centre-ville qui a connu beaucoup d’investissements et dans le même temps on sent aussi notamment sur certaines parties du centreville une forme de déprise autour du boulevard Gambetta, les quartiers les plus pauvres en réalité du centreville. Après c’est un centre-ville en difficulté commerciale, qui a l’air agréable pour les touristes où il y a quelques endroits de vie locale mais qui semble en difficulté, donc c’est un peu à part. Après je ne peux pas dire que le centre est délaissé au contraire, mais il est victime de plein de choses mais qui ne sont pas propres à Nîmes c’est le cas dans les centres des villes moyennes Avec l’évolution du commerce notamment internet, avec des loyers qui sont élevés, et les commerces qui disparaissent. Pour moi ça reste un lieu agréable de vie et de sociabilité mais en même temps quand on connait la ville, c’est une centre-ville qui ne mélange pas nécessairement tout le monde. Quand on parle des nîmois ce ne sont pas des usagers quotidiens dans l’espace central.

3. Quand vous parlez des aménagements que le centre-ville a connu récemment comment vous les qualifiez? Qu’est-ce que cela a engendré dans la manière de vivre le centre ? Il y a des lieux dans les aménagements qui ont été positifs parce que les habitants s’en sont emparés, comme l’Esplanade et Feuchères. Le fait que ça soit rendu comme espace publique, accessible, propre. C’est visiblement devenu des lieux de vie nouveaux. Par contre je suis plus sceptique sur le tour des boulevards, je ne vois pas la plus-value dans l’utilisation de ces grands espaces par les habitants et pourtant on sait qu’il y a eu beaucoup de moyens qui ont été mis pour que ça devienne très chic. Le musée de la romanité c’est un beau musée, mais est ce que les nîmois s’en emparent vraiment ? je n’en suis pas sûr. Moi ce dont j’ai l’impression que c’est un centre-ville dont l’aménagement est fait pour le regard extérieur. Pour que quand on arrive de la gare il y ait le regard du touriste, de l’investisseur. Après est ce que les gens qui habitent le centre-ville et qui l’utilisent ont été consultés ou associés à son évolution je ne suis pas sûr.

4. Dans le point de vue d’un habitant comme on se positionne face à cette mise en valeur du patrimoine dans le centre-ville ? En soi c’est plutôt agréable puisque ça donne une sorte de visibilité et de fierté et en même temps on sait que quand on sort du centre-ville on voit une différence énorme entre l’attention qui a été portée sur ces travaux là (les aménagements urbains du centre-ville) et sur l’attention qui est portée sur d’autre quartier de la ville. 124


C’est très bien mais on sent les inégalités de traitement sur le centre-ville. après on ne peut pas dire aujourd’hui que le centre-ville ne soit pas beau. Le risque aussi c’est la muséification, après certains aiment bien.

5. Et justement est ce que vous arrivez à vous approprier l’espace du centre-ville. ? Oui mais moi je suis un vieux nîmois, je suis un nîmois de toujours. Je pense que beaucoup de nîmois ne sont pas de mon avis. Moi la rue Fresque quand j’y passe je sais que ce sont mes origines familiales. Je trouve qu’il y a des créations d’espaces qui ont été bien pensées, mais ce ne sont pas seulement les projets actuels, ce sont ceux qui ont 20ans. Après de l’autre côté, la partie nord du centre-ville est en vrai difficulté, on le sent mais c’est la partie dans laquelle ne vont pas aller les touristes.

6. Pourtant, le quartier Gambetta, on commence à en entendre parler. Moi je parlais plutôt au-dessus de la rue Général Perrier, nord de l’Ecusson, avant le boulevard Gambetta.

7. Ah oui d’accord, et à quoi est due cette difficulté dans cette partie comme vous dites ? Je pense que c’est hors des circuits touristes, et puis il y a une paupérisation de ces lieux en terme d’habitation. C’est moins l’objet d’attention. Après si on parle de Gambetta, c’est vrai qu’il y a une autre dynamique, qui se créée notamment autour du Spot, mais aussi qu’il y a un tissu associatif très actif. C’est sûr que ça donne une autre dynamique, mais qui reste contradictoire parce que ça apporte une partie des réponses mais pas toutes. La population est très précarisée, il y a des trafics qui pèsent sur les populations et pour le coup qui sont totalement désinvesties par la municipalité qui ne s’en occupe pas de ces quartiers-là. Alors on sent qu’il y a une dynamique, mais est-ce qu’elle touche véritablement les habitants du quartier ? Oui un peu, mais dans leur vie quotidienne ... En revanche c’est un quartier ou l’on peut venir de l’extérieur, ils ont réussi ça, c’est à dire que c’est un quartier populaire dans lequel on rentre. (contrairement à Richelieu, les gens n’y vont pas) A Gambetta on y vient même quand on n’y habite pas.

8. Sachant votre investissement dans la vie politique de Nîmes et vous intéressant à l’avenir de Nîmes, quelles serait votre point de vue, sur les raisons du délaissement de ces quartiers ? Je pense que c’est un quartier populaire et que globalement la municipalité actuelle ne s’y intéresse pas autrement qu’à des fins électoralistes. Il y a pour eux pas d’intérêt puisque c’est en dehors de tous les circuits. Ils ne se sentent pas concernés, ils fonctionnent à la question de l’attractivité. On fait tout par rapport au regard extérieur, pour faire venir des gens, des investisseurs, des touristes. Donc l’intérêt se construit par rapport au tourisme et donc quand il n’y a pas de potentiel on ne s’y intéresse pas.

9. Si j’ai bien compris en ce moment vous êtes en train de constituer une liste électorale pour les prochaines élections. Sur ces questions-là qu’est-ce qu’il serait nécessaire de changer ? Nous on veut réintégrer le regard des habitants de la ville et comment on fait pour pratiquer la ville. Est-ce que le centre-ville aujourd’hui a vocation d’être qu’un centre commercial à ciel ouvert, on a peut-être autre chose à faire dans le centre-ville. D’un point de vu plus général donc moi j’ai proposé qu’il y ait une agence publique d’urbanisme qui traite de ces questions, qui permettent des consultations et des constructions communes avec les habitants. Il y a toute la question des transports, de l’accessibilité du centre. Il y a la question des logements, notamment dans le quartier Gambetta avec beaucoup de logements vacants. Des loyers qui ne sont pas rentables pour de la location.

10. J’ai relevé une phrase dans votre discours « Il est temps que les nîmois se réapproprient leur ville, se réapproprient leur vie » ça résume en quelque sorte ce que l’on vient de dire. Mais qu’est ce qui fait qu’aujourd’hui ce ne soit pas le cas ? Il y a un processus de privatisation à la fois politique avec des équipes qui sont en place depuis longtemps et qui ne sont pas en construction avec les populations pour ce qui peut être leur ville. Ça tombe d’en haut et ça n’a pas véritablement de sens, la question de comment on gouverne de la ville ensemble. De cette manière on veut re-intéresser les gens à la pratique quotidienne de leur ville. 125


Moi je ne crois pas à l’attractivité, c’est un vieux modèle. Il faut que les gens se sentent bien dans leur ville. Ce sont des combats sur des services publiques de proximité qui animent des lieux pour éviter de tout concentrer. Des quartiers entiers de la ville sont délaissés par les services publics. Comment on remet des services publics en collaboration avec des associations ?

11. Cette phrase qu’est-ce qu’elle insinue de ce fait ? Une volonté de réintroduire tous les habitants dans le centre-ville, puisque Nîmes est très cloisonnée. C’est une ville de réseau, où il y a un petit monde qui dirige et qui se connait, mais il y a des milliers de personnes qui sont exclues et qui ne sont pas dans le réseau. On a besoin de créer des lieux publics agréables pour que les gens se croisent. La ville est livrée aux promoteurs, qui rendent les lieux inaccessibles, on a besoin de logements sociaux. Les gens de Pissevelin quand ils viennent dans le centre ils disent qu’ils viennent à Nîmes, pour eux ce n’est pas la même ville. La question des priorités est cruciale, aujourd’hui on préfère s’intéresser aux quais de la fontaine, c’est très joli les quais de la fontaine hein (rires).

Entretien n°2 avec Janie Arneguy, membre de comité de quartier de Gambetta Lundi 09 décembre à 14h Durée : 29min03 Pouvez-vous vous présenter et me parler du Comité de quartier de Gambetta.

Moi je suis Janie, professeur à la retraite. J’ai aussi été conseillère municipale d’opposition à Nîmes de 1995 jusqu’en 2008 et de nouveau depuis 2016 jusqu’à aujourd’hui. On a emménagé de ce quartier en 1981, ou on a acheté une maison très ancienne, datant du XVIIIe. Dans le quartier il y a de très belles maisons qui ne donnent pas à voir ce que l’on a vraiment derrière les façades, avec des cours, et des jardins. Je suis dans pas mal d’associations depuis que je suis arrivée. je m’y suis intéressée en 1981, (comité qui datent de 73) Le comité est très vaste, il va des quais de la fontaine, à la rue Monfa, rue Enclos Rey et au nord de la rue National, c’est pour ça que l’on appelle le comité Gambetta, Révolution. Ce qui est important au niveau de la mixité puisque l’on accueille différentes populations. Le comité accueille environ 200membres, qui cotisent 20 euros par mois, ou alors sont bénévoles, notamment les commerciaux. Le comité de quartier représente la défense des intérêts des habitants. Et on publie notre petit journal pour diffuser les informations. Dès qu’il y a de nouveaux commerçants on les fait apparaitre pour montrer que notre quartier s’enrichit. 
 Le coté plus offensif presque tous les lundis, on envoie aux différents élus des mails en ce qui concerne les besoins du quartier. Les chaussés à réparer, les lieux dégradés.

Vous envoyez donc des mails aux élus pour les faire réagir ?

Exactement, il y en quelques-uns qui réagissent très vite, notamment l’adjoint à la sécurité. Faut dire que dans le quartier il y a des endroits un peu chauds, dès qu’on lui signale, il nous répond et essaye de réagir au plus vite. Pour ce qui concerne les voiries, c’est plus compliqué. On est de toute manière très peu écouté en général. Par exemple pour nous loger, rien que ça c’est compliqué ; on est en train de demander le local de Chez Mémé, pour une quinzaine d’associations. Mais bon pour le moment ce n’est pas fait.

Qu’est-ce que vous cherchez à générer à travers le comité de quartier ?

Nous on essaye d’abord de prouver que le quartier est un quartier qui bouge bien, et qui se rénove. Dans le passé il y a eu une OPAH, c’était quand la gauche était élue (rire). Mais bon si les propriétaires ont très peu de moyen, même si on donne des aides c’est toujours trop cher pour eux. On veut montrer aux gens qu’ils ne sont pas isolés dans leur coin, donc quand on passe pour distribuer notre journal, ou qu’on informe pour l’assemblée générale on essaye d’inclure tout le monde.

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Pouvez-vous me parler de l’évolution du quartier Gambetta.

Nous on a acheté en 1981, on faisait d’autres activités, des lotos ou des vide-greniers. Pour créer de la convivialité, des rencontres avec les gens des gens d’ici et d’ailleurs. Ce qui est bien, c’est qu’il y a le Spot qui s’est créé ; ils font pas mal d’activités, souvent on travaille ensemble, à la rue porte d’ales il y a la Verrière qui fait des actions tournées vers le quartier. Il y quelque chose de très important, on fait ce qui s’appelle les points rouges. Les artistes du quartier, et on se rend compte qu’il y en a énormément, ouvrent leurs ateliers, ce qui crée tout un circuit. Un peu comme l’Expo de Ouf, qui d’ailleurs attire beaucoup de personnes, c’est incroyable. Même en dehors des événements on voit des gens qui viennent voir les graffitis.

D’un point de vue de la qualité de vie, de la population qui y vit, qu’est-ce que vous pouvez en dire ?

En majorité la population qui y vit est modeste, voir pauvre pour certaines rues, où les propriétaires, quand ils ne sont pas habitants sur place, ne font pas vraiment beaucoup d’efforts pour rénover etc. Il y a des endroits un peu tristes. Néanmoins l’action OPAH il y a eu pas mal de rénovation, après bon il faudrait que la ville s’intéresse un peu plus au quartier, pour les voiries par exemple. En période préélectorale il y a eu quelques voiries qui ont été refaites. Grace à nous la rue Aquitaine a été refaite, on avait fait participer les habitants à un questionnaire. En en majorité des gens ont voté pour perdre une 30ème de place de stationnement pour pouvoir avoir des trottoirs convenables. Il y a quelques années la Ville avait vendu les ilots qui sont dégradés de nos jours. Avant 2001 la percée Clérisseau a été créée et puis les bâtiments plus rien. Ils s’étaient engagés à casser pour reconstruire. Le quartier est très très abandonné par la municipalité.

Vos actions elles servent à quelque chose face à cet abandon ?

Oui bien sûr, nous on est le lien. La rue Robert ce sont les habitants qui ont commencé à végétaliser, et il y a deux mois après des demandes que nous avions formulées on a enfin le permis de végétaliser par exemple. Il y a un gros problème dans ce quartier c’est le suivi de propreté. Nous on se bat avec la municipalité pour avoir des campagnes de sensibilisation, l’adjoint de la ville nous promet plus de choses qu’ils ne font pas. C’est très angoissant pour le quartier, c’est dégueulasse. Les coins de rue sont envahis de poubelles. Les gens ici ils déménagent beaucoup, il y a un turnover pas possible. S’il n’y a pas d’info, bien sûr qu’ils ne font rien. Le quartier progresse, à mesure que le quartier s’anime, avec des commerces qui apportent de la lumière. Ici ça vit.

Si vous deviez qualifier le quartier en quelques mots, vous choisiriez lesquels ?

C’est un quartier convivial, de proximité et confort d’accessibilité et enfin riche de sa diversité Par exemple nous au comité de quartier, on accueille tout types de population et on montre que tout le monde à son mot à dire au sein du quartier. On informe tout le monde, et on invite tout le monde, pour s’enrichir de chacun.

Entretien n°3 avec Cédric Crouzy , président de l’association du Spot Jeudi 07 novembre à 10h Durée : 29min03 1. Pouvez-vous vous présenter et présenter votre association ?

Moi c’est Cédric Crouzy, à la base je suis porteur de projet à l’initiative de l’Expo de Ouf qui a donné naissance au Spot, puis ensuite à Chez Mémé, puis à l’Archipel depuis maintenant huit ans L’association le Spot avait pour but principal de gérer son bâtiment et les activités qu’il y a à l’intérieur, principalement culturelles. On avait une autre association que l’on met en dormance pour se concentrer que sur le Spot. Si je dis ça c’est qu’à l’heure d’aujourd’hui le Spot au lieu de gérer que son bâtiment va aussi gérer le développement d’autres projets. En parallèle on a créé depuis mars dernier une société coopérative d’intérêt collectif, une SIC qui s’appelle Le Spot qui a pour but de professionnaliser nos actions et développer des projets de plus grandes envergures. 127


Ce qui me salarie officiellement à l’heure actuelle c’est d’être médiateur pour les quartiers Gambetta et Richelieu, c’est l’association qui m’embauche, avant je n’étais pas salarié.

2. Quelle était l’objectif de votre association au départ ?

La première association qu’il y a eu avait pour objet de promouvoir et développer les cultures alternatives. quelque chose de très large, l’idée était d’avoir une structure pour laisser libre court à nos envies. Perso, je suis issu du milieu du skate c’est ça qui m’a forgé, et je l’ai retranscrit dans les directions de l’association sans pour autant se mettre dans une case et se limiter dans nos idées. Culture alternative c’est montrer des choses qui sortent de l’ordinaire qui éveillent l’esprit, qui amènent les gens à sortir de leur zone de confort et de voir leur environnement d’une façon différente afin de proposer des solutions.

3. Pourquoi avez-vous choisi de vous implanter dans Gambetta ?

Alors, c’est principalement par l’opportunité du lieu et aussi des autres piliers du lieu habitant dans le quartier depuis toujours. Nîmes ce n’est pas très grand ce sont des quartiers que l’on connaissait déjà.

4. Est-ce que la situation du quartier explique cette opportunité ? Est-ce que vous auriez imaginé vous implanter autre part ?

Je ne pense pas, ce qui nous porte dans le projet c’est d’être dans ce quartier et qu’il y ait du sens à nos actions. Je sais pas. A l’heure actuel c’est quelque chose qui me stimule d’être dans ce quartier. Sur Nîmes de manière générale il y a beaucoup à faire, mais sur ces quartiers là encore plus. Mais c’est une grosse nécessité par rapport à des aberrations architecturales et urbaines avec la vacation immobilière dont des bâtiments étaient laissés complètement à l’abandon, certains en étaient même dangereux. Ce n’était pas possible de laisser ça comme ça et affirmant que c’était un quartier politique prioritaire de la ville.

5. Est-ce que la mairie s’intéresse au quartier ?

Je n’ose pas imaginer comment ça doit être difficile de gérer une ville et essayer de faire au mieux. Après à travers nos actions et la relations qu’on a avec la mairie j’ai appris ce que ça voulait dire prendre parti. C’est à dire qu’elle pourrait prendre le parti de prioriser les quartiers Gambetta et Richelieu et ce n’est pas leur priorité clairement après ils font des actions et nous notre idée était jugement que ça touche aux médias et au grand public. C’est l’opinion publique qui va faire bouger les lignes. Faire parler de ce quartier et montrer que ça bouge pour qu’enfin ils se décident à faire quelque chose. Ça on le ressent. Alors ce serait prétentieux de dire que c’est par notre action que ça bouge un peu. On a de bonnes relations avec eux, mais comme n’importe qui on aimerait qu’ils s’y intéressent un peu plus.

6. Comment décrire l’évolution du quartier depuis que vous y êtes.

Il y quelques choses qui est sûr c’est le changement de l’image du quartier. On a changé l’appréhension que les gens en avaient. Les problématiques en terme d’insécurité, de drogue, violence sont toujours là, mais elle se mêlent avec nos actions. On arrive à dévoiler une autre identité en mixant la population. Avant les gens n’osaient pas foutre un pied dans ce quartier, c’était le quartier qui craignait. Aujourd’hui c’est toujours en quelque sorte le quartier qui craint, mais qui devient cosmopolite, et qui dévoile un aspect culturel. Cela a permis de redorer le blason du caractère populaire du quartier. Ce qui fait que des gens de l’écusson voir même plus large viennent s’intéresser au quartier et se mélangent à la population, ce qui amène une mixité sociale comparé à avant. Ça c’est sûr et certain.
 Dans le fond ça évolue dans l’immobilier, le quartier commence a suscité de l’intérêt, puisque c’est l’un des quartiers moins cher du centre-ville. Les gens investissent dans le quartier en vue de son évolution

7. Il y a-t-il une nouvelle population qui s’installe dans le quartier ?

On voit des jeunes de notre âge acheter des trucs par ici, parce que justement c’est accessible financièrement, ce qui change le profil du quartier. On a ressuscité l’intérêt pour ce quartier c’est évident, on peut s’octroyer ça. On a fait un colloque sur les tiers lieux où la question de la gentrification est venue sur le tapis. On se disait que si gentrification il y a on pourra se le dire dans 20 ou 30 ans, puisque ce sont des procédures à long terme et c’est loin de tenir qu’à une seule association qui faire de l’art urbain. Il y a besoin d’un processus d’urbanisme de promotion immobilière qui doit être mis en œuvre par la municipalité

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8. Vis à vis de l’implication des habitants au sein du quartier que pouvez-vous en dire ? Sur Gambetta il y a une belle dynamique avec beaucoup d’acteurs, plein de petits assos, dans le quartier et pour le quartier. Sur Richelieu c’est beaucoup plus compliqué, il est plus éloigné et du coup il se sent encore plus délaissé ne bénéficiant pas de la proximité directe avec l’écusson. Les habitants de Richelieu nous ont demandé de venir vers chez eux parce qu’en arrivant à Gambetta on a mis un bon coup de pied dans la fourmilière et ce que l’on fait est visible. En terme de mobilisation citoyenne on le ressent beaucoup sur Gambetta

9. Cela vient d’un investissement dans le quartier ?

Oui le comité de quartier est très dynamique du moins depuis que je suis par là. Le président n’est pas très âgé il est architecte et très actif. Cela y joue beaucoup. Sur Richelieu le comité de quartier date depuis les inondations de 88, pour se faire valoir des droits. Il y a eu un projet de requalification du quartier Richelieu avec le maire Bousquet. Le comité a fait barrage pour pas perdre l’identité du quartier. C’est toujours les mêmes qui avaient beaucoup fait à l’époque et depuis le changement municipal, avec un parti de droite le comité s’est effondré puisqu’ils n’ont plus eu aucunes subventions. Depuis ce coup dur ils n’entreprennent plus d’initiative et sont prêts à passer la main.

10. La population plus populaire du quartier se sent-elle plus impliquée ?

Ce qui est super compliqué c’est que dans ce quartier il y a beaucoup de passages. Beaucoup de personnes sont placées ici, c’est à dire elles sont sous tutelle, et sont placées dans des appartements ici qui ne sont pas chers. Il y a beaucoup d’insalubrité au niveau des logements et beaucoup de vendeurs de sommeil, des gens sans scrupules qui louent des appartements pourris. Les gens malgré leur précarité demandent à changer d’appartement. Du coup ils ne s’impliquent pas dans le quartier, que ce soit pour sortir les poubelles ou faire attention à son bout de trottoir, ils ne le font pas donc les rues se dégradent. Il y a un manque d’implication parce que beaucoup de ne se projettent pas dans le quartier parce qu’ils n’ont pas choisi le quartier. Beaucoup de passages, ce qui est un gros problème pour le quartier Ils constatent ce que l’on fait et sont agréablement surpris mais ils ne s’impliquent pas pour autant. C’est compliqué de demander à des gens de beaucoup s’impliquer quand ils ont une vie active. Les personnes que l’on mobilisent sont soit des gens au chômage soit des associatifs déjà engagés soit des retraités. Les actifs c’est dur pour eux de donner de leur temps dans le quartier. Au comité de quartier on ressent les difficultés de monter des projets qui demandent beaucoup d’investissement pour ces raisons-là. Beaucoup de personnes sont sensibles à la dynamique de quartier mais ne peuvent pas y prendre part malgré leur envie. Ce n’est pas donné à tout le monde d’avoir du temps. Il revient souvent à parler de Richelieu puisque cette dynamique est moins percevable, c’est pour cela que depuis un an ils ont décidé de s’installer dans ce quartier, pour essayer d’apporter leur impulsion au sein de ce quartier.

11. Lors de notre dernière rencontre vous m’aviez parlé du café de Mémé, pouvez-vous m’en dire davantage ?

Chez Mémé c’est devenu Chez Mémé l. Au tout début, c’était un autre lieu d’expo, avec des appartements pour des artistes résidents. Il y a eu quatre cinq expos, mais on a remarqué que ça ne répondait pas au besoin du lieu. On s’est dit qu’avec la belle dynamique de Gambetta, s’ils n’étaient pas dans le réseau, ils ne seraient pas au courant de ce qu’il se passe. Malgré leurs idées, ils ne savent pas comment l’entreprendre pour les réaliser. On s’est dit qu’on allait créer un lieu d’accueil bienveillant pour informer les habitants, les aiguiller et les accompagner. L’idée était de les impliquer sans leur faire peur avec ses images de réunions officielles mais autour d’un espace agréable avec un café à la cool pour que ce soit plus attractif et chaleureux de faire ça. Le lieu était géré par des habitants et des services civiques qui cadraient un peu le lieu. Chaque personne qui amenait une idée pouvait la développer, on a eu des cours de couture, de salsa ... Il y a eu aussi l’atelier Vélo qui a eu beaucoup de succès. On arrivait à la fin de la convention pour le local, le bailleur social qui mettait ça à disposition commençait à s’intéresser au bâtiment qui ne rapportait pas beaucoup d’argent afin de le récupérer. Cet élément, cumulé à une fatigue de ma part dans la gestion de ce lieu - étant seul salarié-, on a dû arrêter Chez Mémé. 
 Par contre ce dont je suis très très fier, c’est que dans ce bâtiment vacant, dans lequel il ne se passait rien, normalement il va y avoir autre chose qui va prendre la suite. Soit le centre social qui en fait une annexe, soit le

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comité de quartier qui essaye de garder le local pour faire perdurer notre initiative et proposer un lieu pour les associations. Chez Mémé aura duré trois ans.

12. J’ai déroulé un peu les points que je voulais aborder, je ne sais pas si vous souhaitez échanger sur d’autres points.

Chez Mémé il y a une dimension que je ne t’ai pas dite et vachement importante. L’aménagement de la place attenante qui a énormément de problématique. Au niveau urbanistique il y a de gros problèmes puisque c’est une caisse de résonance et avec la population qui l’utilise : entre les gamins, les alcooliques qui crient … tout le monde s’en plaint. Beaucoup de squats sur cette place. On avait pris l’initiative de revaloriser cette place, en faisant participer les habitants dans la création de mobiliers urbains, avec des réunions avec les habitants. L’idée était qu’ils se réapproprient la place, qu’ils la réoccupent. On a essayé mais ça n’a pas duré, les habitants accusaient le mobilier comme la source de bruits sur cette place. On a dû l’enlever. Il y a eu plusieurs animations sur cette place, une de nos volontés c’était d’avoir un lieu attenant à cette place pour la faire vivre et l’aménager mais ça n’a pas fonctionné.

Entretien avec des habitants dans la rue 
 Jeudi 7 novembre entre 11h et 12h durée environ 5minutes Christine 67 ans 5 rue Puits Couchoux habite dans le quartier depuis plus de 10ans ». Femme seule retraitée, pas de revenus très élevés. Très ouverte à la discussion. Paul 36 ans rue Gautier habite le quartier depuis 18mois, et Nîmes depuis un peu plus de 3ans Jeune couple de primo arrivant dans le quartier. Dynamique. Pascal 58 ans, voisin de Paul, artiste musicien. Mr. Metizi, 63 ans 7bis rue Imbert depuis 1 ans et demi. Classe populaire, ménage avec deux enfants, revenus faibles, situation sensible

Bonjour pouvez-vous vous présentez en précisant combien de temps vous vivez dans le quartier Pouvez-vous me parler de votre quartier ? Que pensez-vous du quartier ? Qu’est-ce qu’il fait qu’il soit agréable/ ou non agréable ? Comment évolue le quartier ? A quoi cela est dû ? Pouvez-vous me comparer votre quartier a celui de l’Ecussons ?

Habitants

Citations lors de l’entretien

Commentaires

Paul

« On vivait avant avec ma femme et ma fille dans le quartier de Jeune couple qui s’installe Vincent Faïta, et on a acheté ici. En vue de la différence entre le prix dans le quartier. des loyers et le prix d’achat à Nîmes on avait plutôt intérêt à Dynamique acheter. » « Le quartier est très bien » « Je connais pas mal de monde qui habite dans le quartier depuis un moment, je ne sais pas si le quartier a vraiment évolué, mais il a changé »

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« Le quartier est calme, on est très peu touché par le bruit de la Semble ignorer totalement circulation, on est très proche de l’hyper centre, on n’a pas de jardin le caractère plus populaire mais ce sont des petites maisons de ville très agréables, très vite on du quartier. connait les voisins. Ma fille peut jouait dehors, je ne me fais pas de soucis, c’est très agréable » « Nous on est rentré en communication avec les dealers du quartier que l’on a rencontré au Chez Mémé, pour leur dire de faire attention ou ils planquent la drogue, mais une fois la communication passée ça va »

conscient de la situation, mise sur la communication pour pouvoir vivre ensemble

« Il y a néanmoins un problème de gestion des ordures, des crottes Remarque que le quartier de chiens et tout ça et là pour le coup c’est un peu limite » est limite sur certains aspects

Pascal

« Le quartier est devenu plus lumineux, dans tous les sens du Une très bonne entente au termes » sein du quartier, qu’il « le quartier est agréable, grâce au lien entre les gens, malgré les semble résumer à la rue différents profils » Robert et Gautier.

Christine

« Je suis tombée amoureuse de la maison quand je l’ai visité la première, je m’y plais mais le quartier a énormément changé »

Une des premières choses dites par Christine avant même que je l’interroge davantage. constat que le quartier a énormément changé

« Avant c’était un quartier où il y avait des personnes âgées, des gens qui étaient là depuis toute leur vie, c’était calme, maintenant c’est une horreur » « la mixité social c’est vraiment pas top » « il y a de l’alcool des bagarres, du bruit et j’en souffre beaucoup » « ça s’est dégradé depuis deux ans à cause des vendeurs de drogues » « c’est dû que les immeubles ont été rachetés par des gens qui spéculent et qui mettent des locataires, il y a un passage énormément de locataires qui ne restent pas longtemps et qui s’en foutent » « c’est une population plus jeune et plus fragile qui s’installe, comme ma voisine elle reste jusqu’à trois heures du matin, elle boit elle gueule, elle se dispute » « on a essayé de faire des choses, on a essayé de fleurir tout a été détruit, brulé » « on a essayé de faire comme la rue Robert, mais je sais pas pourquoi ici ça n’a pas marché » « j’ai essayé de m’investir ça n’a pas marché » « si tu veux la rue Robert il y a plus de propriétaires donc ils font plus attention que lorsque ce sont des locataires et qu’ils ne veulent pas s’investir »

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Si ça n’a pas marché c’est simplement parce qu’a la rue Robert il y a une majorité de propriétaires qui se projettent dans leur quartier, contrairement à cette rue comme nous le fait remarquer Christine.


« je ne fais pas partie du comité, mais je connais des gens qui sont et qui me disent que la municipalité parle beaucoup mais ne fait pas grand chose » « c’était un joli quartier, et il ne manque pas grand-chose pour qu’il redevienne un joli quartier » « je ne suis pas la seule à le dire » « les gens se disaient bonjour on faisait même des petits apéritifs entre voisins que je ne ferai plus maintenant parce que ça va dégénérer » « Le quartier l’écusson est très bruyant dû aux touristes » « j’ai une amie qui habite l’écusson et qui se plaint de ça » « mais bon c’est plus propre, il n’y a pas de crotte de chiens » « il y a une inégalité totale des traitements des quartiers parce que l’Ecusson c’est touristique donc on y fait attention » « Le prix de ma maison a baissé en vue du quartier, je ne peux plus partir » Mr. Metizi

« je trouve le quartier tranquille et sympa on n’est pas dans le centre-ville mais pas loin » « on a toutes les commodités à côté » « c’est un beau quartier, c’est vieux mais c’est normal » « il n’y a pas trop d’attention sur nous, sauf le centre social qui s’occupe des petits pendant les vacances et il y a le spot, les petits y vont » « le spot donne un plus aux petits au niveau culturel et social, c’est bien » « c’est la première fois que j’habite dans le centre et ça va » « je n’ai pas à me plaindre, les écoles sont proches, il y a la coupole, les marchands j’ai tout ce que j’ai besoin » « il y avait une fête pour Halloween pour les enfants sur la place organisée par les associations, c’était une belle dynamique » « rien avoir ce n’est pas égalitaire, mais cette question faut la poser aux politiciens »

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Elle semble étendre les problèmes rencontrés dans sa rue à l’ensemble du quartier. Est-ce vraiment le cas partout ?


Discussion avec deux habitantes du centre-ville de Nîmes Vendredi 15 novembre, de 11h à 13h

Fabienne Valladier, 59ans habitante du quartier la Placette depuis plus de 20ans, ancienne enseignante de l’école la Tour Magne, accueillant des enfants du quartier Gambetta. Isabelle Poussier, 62 ans habitante au-dessus du quartier Gambetta depuis 10ans, membre du comité de quartier de Gambetta.

Habitant

Citations lors de l’échange

Commentaires

Fabienne

Vivre dans le quartier Gambetta pour les populations plus défavorisées permet de s’intégrer dans la dynamique du centre-ville et bénéficier d’un mélange social. « C’est vrai que dans ces quartiers des populations plus Une volonté de vivre ensemble, de aisées commencent à s’installer. Mais c’est des gens qui partager. Mais cela est-il vraiment veulent se mélanger, pour les aider » « c’est comme de réussit ? l’empathie »

Isabelle

Fabienne

« Gambetta c’est le quartier dans lequel je circule » « on essaye de tisser des liens entre les différents profils du quartier. Socialement c’est très mixte ce quartier, en bas de Gambetta c’est une population plus précaire, plus on monte plus on voit des personnes bien plus aisées » « c’est l’idée d’apporter une mixité au quartier pour être ensemble et donner à ce quartier une vie. »

Le comité de quartier qui lutte pour le vivre ensemble au sein de Gambetta

" Il y a plein de collectifs d’artistes, plein d’associations mais il n’y a pas du tout d’impulsion donnée par la maire » « Par contre ils sont contents que nous on dynamise et on offre une nouvelle image au quartier parce que eux ils vont pas le faire » « Mais on a aucune aide financière, cette année on a eu 300e pour l’année je crois »

Le délaissement de l’attention municipale.

« en même temps toutes les rues ne sont pas du tout entretenues, il y en a que pour l’Ecusson en faite que pour la vitrine, après c’est mon avis, mais je pense que c’est le choix de la mairie »

Comparaison avec l’Ecusson. La mise en avant des priorités de la mairie.

" On se plaint beaucoup à Nîmes que le centre se meurt, puisque les gens vont en zone active, plus de diversité de commerce et les gens peuvent se garer. Malgré tout quand les gens vont en centre pour consommer les gens font vivre le centre Je trouve ça un peu normal d’embellir le centreville pour attirer les gens. Bon maintenant qu’ils ont aménagé les boulevards j’ose espérer qu’ils vont commencer à rayonner »

Espoir sur le fait que malgré les aménagements conséquents sur le centre, il va y avoir un élan d’appropriation

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« Moi j'ai profité de l’OPAH, j'ai fait un dossier qui était conséquent et j'ai bénéficié de 30% sur mes travaux » « mais pour ça il faut que les gens soit au courant, et qu’ils aient les moyens »

C’est généralement lorsque les propriétaires vivent dans leur bien que cette démarche est entamée. Puisqu’ils investissent dans leur lieu de vie. Le locataire ne pouvant pas faire cette démarche doit espérer que son propriétaire puisse investir dans le logement

" Le comité de quartier a bonne réputation auprès des habitants. Ils s’investissent dans nos événements » " A l’intersection du quartier Gambetta et Richelieu quand j’étais petite il y avait les puces. Et petit à petit les commerces plus prestigieux sont partis de ce lieu » « Il y a eu des mutations, ce quartier est devenu de plus en plus populaire »

L’évolution de ces quartiers de par l’arrivée du population plus populaire

Isabelle

" La place saint Charles ils l’ont requalifié, mais ils ont tout bétonné, ils bétonnent tout dans Nîmes on a plus d’arbres »

Unification du centre-ville

Fabienne

" ils enlèvent les arbres parce que les racines détruisent les trottoirs »

Isabelle

" J’adore le quartier Gambetta parce qu’il y a plein de trucs qui se passent »

Fabienne

" Les nîmois ne sont pas contents qu’ils veulent couper les arbres du centre-ville » « Ils disent que les platanes sont trop vieux et qu’ils veulent les replacer par des arbres mouchoirs » « Mais les arbres mouchoirs ce n’est pas le patrimoine de Nîmes, le platane c’est une identité nîmoise » « A Richelieu pendant les inondations c’était la même chose, ils ont voulu tout rénover avec des promoteurs, mais les habitants étaient trop attachés à leur quartier, et ils ont refusé » " sur la place autour de l’église, il y avait le marché aux puces, du dimanche matin. Je pense que c’est ça qui a amené les maghrébins dans le quartier. Et petit à petit tous les commerces qui sont le boulevards Gambetta, qui étaient très prisés, avec des magasins très prestigieux, ont disparus. On voit maintenant beaucoup de commerces maghrébins on est envahi. Il y a eu des mutations de populations, c’est notable »

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Encore une fois attaché à l’histoire de la ville.


Cartographies / Images

1. Éléments fait à la main pour définir les termes du centre-ville de Nîmes, soit de mes cas d’étude

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2. Cartographie personnelle issue de la superposition des cartes extraites de l’étude de l’A’U : « Diagnostic des quartiers centraux de Nîmes. Tome 3 : Approche patrimoniale, Étude préalable pour valoriser les quartiers patrimoniaux »

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3. Schémas extraits du magazine Le Moniteur Architecture « Nîmes » n°26, novembre 1991 Requalification des places de Nîmes, avec comme projet d’organiser les rez-de-chaussée pour y accueillir des commerces

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4. Affiche découverte sur la quatrième de couverture du magazine « Vivre Nîmes », décembre 2019

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5. Informations extraites des études de l’A’U : « Site Patrimonial Remarquable, Population et logements. Connaissance des territoires et des modes de vie. » et « Quartiers de faubourg. Population et logements »

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6. Prospectus pour l’opération OPAH de Gambetta trouvé aux archives de Nîmes.

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7. Carte originale des interventions de l’OPAH du quartier Gambetta obtenue grâce au Comité de quartier de Gambetta -En pointillé la zone de démolition pour la RHI et d’aménagement de la percée Clérisseau.-

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