Point de Vue

Page 1

HISTOIRE

HISTOIRE

Tour de France

PREMIÈRE ÉTAPE ROYALE À UTRECHT Comme chaque été – sauf pendant les deux guerres mondiales – les forçats de la route écrivent la légende de la Grande Boucle. Cette année, Willem-Alexander et Maxima des Pays-Bas donneront, le 4 juillet, à Utrecht, le coup d’envoi de cette 102e édition. Par Jérôme Carron et Philippe Delorme

64

PlINT DE VUE

Du 2 au 5 juillet, Utrecht pavoisera à la couleur jaune du Tour de France. Le roi WillemAlexander sera présent sur place le samedi 4 juillet, pour le départ de la première étape contre la montre, durant laquelle les coureurs parcourront 13,7 kilomètres à travers la cité.

PlINT DE VUE

65

© ADOC-PHOTOS, PIETER STAM DE JONGE/VI IMAGES/ PRESSE SPORTS, ACTION PRESS / BESTIMAGE

C

’est la sixième fois de son histoire que le Tour de France prend son essor des PaysBas, royaume du vélo! Samedi 4 juillet, le prologue contre la montre aura lieu à Utrecht, d’où sera donné, le jour suivant, le départ de la première étape en ligne. Le temps est bien loin où le Tour de France, fondé en 1903 par le journal L’Auto, s’inscrivait dans les frontières de l’Hexagone. Le premier vainqueur, Maurice Garin, ancien ramoneur d’origine italienne, avait empoché la jolie somme de 3000 francs-or, après avoir rallié Paris, Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux et Nantes en dix-huit jours, à une moyenne de 25 km/h. « Du geste large et puissant que Zola, dans La Terre, donne à son laboureur, L’Auto, journal d’idées et d’action va lancer à travers la France dès aujourd’hui les inconscients et rudes semeurs d’énergie que sont les grands routiers professionnels. » Henri Desgrange, créateur du Tour, a été bon prophète. Au fil de ses 102 éditions, l’épreuve mythique s’est peu à peu affranchie de ses limites nationales, multipliant les escapades en Europe, de Berlin-Ouest à Saint-Sébastien, Cambridge ou Dublin. C’est en 1947 que les champions font leur première halte dans une capitale étrangère, en l’occurrence Bruxelles. Le 8 juillet 1954, la course s’élance d’Amsterdam, première ville non-française à avoir ce privilège. À l’époque, le Breton Louison Bobet est à l’apogée de sa carrière, tandis que Diên Biên Phu vient de tomber aux mains du Viêt-minh et que Jean Gabin s’illustre dans Touchez pas au grisbi… Le succès est au rendez-vous, comme le constate un journaliste: « Toute la Hollande semblait s’être donnée rendez-vous sur les routes de Wassenaar, de Delft, de Rotterdam, de Breda, des villes et des villages que le Tour traversait hier.» Avec Utrecht, les coureurs découvriront une cité au passé flamboyant. Plus ancienne qu’Amsterdam, elle a le charme des villes intemporelles. Décorée de ses fameuses maisons hollandaises, elle est parsemée de canaux. Déjà utilisés par les Romains pour entreposer des marchandises, les quais et les anciennes caves, inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco abritent de petits bars et terrasses où la bière coule à flots. La ville doit son essor à sa position géographique centrale, mais également au missionnaire anglais Willibrord qui entreprend, en 695,


HISTOIRE

HISTOIRE

Ci-dessus : le traité d’Utrecht, le 11 avril 1713, met fin à la guerre de Succession d’Espagne (gravure de l’almanach royal pour 1714). À droite : les quais d’Utrecht vers 1875… et le même endroit aujourd’hui. Ci-contre : Henri Desgrange (1865-1940), le créateur du Tour.

66

PlINT DE VUE

d’évangéliser la région. Centre névralgique, la ville obtient une charte municipale dès 1122, mais demeure sous la férule de ses évêques. Ses ruelles lui confèrent un charme gothique, renforcé par l’immense tour du Dôme, la plus haute des Pays-Bas. Commencée en 1257, elle abrite quatorze cloches, qui sonneront pour saluer le peloton. À l’origine, elle faisait partie de la cathédrale SaintMartin d’Utrecht, dont la majeure partie a été détruite au cours d’un ouragan en 1674. Mais ce sont les deux traités signés en avril et juillet 1713, entre la France, la GrandeBretagne et l’Espagne, qui ont inscrit le nom d’Utrecht dans l’histoire européenne. Mettant fin à la guerre de Succession d’Espagne, ces accords confirment le petit-fils de Louis XIV, Philippe V d’Anjou, sur son trône madrilène, au prix d’amputations territoriales, et à la condition qu’il renonce, pour lui et ses descendants, à tout droit sur la couronne de France. La ville ne pouvait pas échapper au Tour de France. Avec 90000 cyclistes présents dans la cité chaque jour – 84 % des sujets de Willem-Alexander possèdent une bicyclette – la circulation à deux-roues dépasse

les déplacements en automobiles. À Utrecht, chaque rue possède sa piste cyclable et des feux spécifiques sont installés à chaque carrefour. La ville a installé des parkings, où d’ingénieux systèmes de rampes et de rangements hydrauliques permettent de garer son vélo sans effort. À la fin de 2015, un parc de 12 500 places sera terminé non loin de la gare, offrant à Utrecht le plus grand parking à vélos du monde. Comme en 1954, la deuxième étape en ligne du Tour partira d’Anvers, le 6 juillet. Avec plus d’un demi-million d’habitants, la métropole flamande est la ville la plus peuplée du pays du roi Philippe et le deuxième port d’Europe après Amsterdam. Les Anversois ont d’ailleurs une telle estime pour leur cité qu’ils la surnomment « ’t Stad », la Ville ! Bâtie vers 900 sur un terrain surélevé – aanwerp – surplombant l’Escaut, Anvers a prospéré dès le Moyen Âge comme place commerciale et financière, rivale de Bruges. À l’époque moderne, le négoce vers les Indes et les Amériques renforce son rayonnement. Cœur culturel et artistique des Pays-Bas espagnols, elle connaîtra les affres de la guerre

© THE ART ARCHIVE / MUSÉE DU CHÂTEAU DE VERSAILLES / DAGLI ORTI, ADOC-PHOTOS, MICHEL GARNIER / EPICUREANS, ALBERT HARLINGUE / ROGER-VIOLLET, PRESSE SPORTS

189,5 kilomètres dans des paysages, théâtre des batailles de la Somme. au cours du XVIe siècle. La paix rétablie, Anvers s’enrichit de la présence des grands peintres Rubens, Van Dyck ou Jordaens, ainsi que d’imprimeurs, facteurs de clavecins et diamantaires. Après la Révolution et l’occupation française, elle sera rattachée au royaume des Pays-Bas puis à la nouvelle Belgique. Les matières premières, importées de la colonie africaine du Congo, ne tarderont pas à ranimer sa prospérité. Le lendemain 7 juillet, la caravane du Tour repartira de Seraing, ancien centre industriel, aux portes de Liège. Haut lieu du charbonnage et de l’industrie sidérurgique wallonne, en lisière des Ardennes, Seraing apparaissait aux yeux de Victor Hugo comme une image du Tartare de Virgile ou de l’Enfer de Dante: «Toute la vallée semble trouée de cratères en éruption. […] On croirait qu’une armée ennemie vient de traverser le pays, et que vingt bourgs mis à sac vous offrent à la fois dans cette nuit ténébreuse tous les aspects et toutes les phases de l’incendie…» Après avoir traversé la localité de Gognies-Chaussée, qui présente la particularité d’être coupée en deux par la frontière franco-belge, les coureurs arriveront à Cambrai, patrie de Fénelon et de Blériot, mais davantage connue pour ses

«bêtises». C’est vers 1830 qu’un confiseur de l’endroit, Émile Afchain, aurait mélangé par erreur de l’arôme de menthe à une préparation de berlingot. Cette « bêtise » ayant rencontré l’assentiment du public, elle est devenue une spécialité locale. Quant au Tour, les Cambrésiens ont dû attendre le IIIe millénaire pour l’accueillir… Enfin, mercredi 8 juillet, les sportifs parcourront 189,5 km d’Arras à Amiens, dans les paysages qui ont été, il y a un siècle, le théâtre des batailles de la Somme, durant la Première Guerre mondiale. Ville de foire à l’époque médiévale, Arras s’enorgueillit de sa Grand-Place, classée au patrimoine de l’Unesco. Quant à la capitale picarde, dont les environs étaient déjà peuplés au paléolithique, l’antique Samarobriva de Jules César, elle aurait reçu dans ses murs Clodion le Chevelu et Mérovée, les rois francs ancêtres de Clovis, si l’on en croit une douteuse tradition. Ravagée par les deux conflits du XXe siècle, Amiens s’est relevée de ses cendres, autour de sa cathédrale NotreDame, la plus vaste de France, joyau du gothique miraculeusement épargnée par les bombardements. l

Le 7 juillet 1954, à Amsterdam, l’équipe de France s’apprête à parcourir les 4 656 kilomètres qui les conduiront en 23 étapes jusqu’à Paris où Louison Bobet (le premier à gauche) arrivera en vainqueur.

En savoir plus : Office néerlandais du Tourisme et des Congrès, holland.com Le Tour de France, letour.fr

PlINT DE VUE

67


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.