13 février 2015 - 00:39
Les joyaux de La Haye
Le sublime Mauritshuis montre trente-six oeuvres de la Frick, la fameuse collection américaine. Il était une fois Henry Clay Frick (1849-1919), un entrepreneur américain, roi de l'acier, qui comme nombre de ses voisins new-yorkais particulièrement prospères de la 5e Avenue, décide qu'à sa mort son exceptionnelle collection d'art serait montrée au public. Son palais qu'il fait construire en 1913 et 1914 occupe tout un pâté de maison sur l'avenue la plus prisée de la ville. Il le destine à être un musée. Cependant cette décision généreuse est assortie d'une condition sine qua non : les Rembrandt, Vermeer, Bellini ou Watteau devront rester sur place pour toujours. Frick décède en 1919 et presque un siècle plus tard la Frick Collection est toujours un des joyaux de l'art à visiter à New York.
Croisements dans l'histoire de l'art Sans aller si loin, jusqu'au 10 mai, on peut voir un joli digest en trente-six oeuvres de cette collection exceptionnelle à La Haye. C'est le Mauritshuis, un des plus beaux petits musées du monde, qui reçoit l'exposition. Les voeux de feu M. Clarck ont, cependant, été respectés. A sa mort, sa fille a continué à enrichir la collection pléthorique et des dons ont été faits à l'institution. C'est une sélection de ce groupe d'oeuvres qui est montrée, de Cimabue à Ingres. L'accrochage permet des croisements dans l'histoire de l'art, tout en reconstituant l'atmosphère du palais newyorkais. Parmi les pièces extraordinaires qui ont fait le voyage de New York, il y a deux sculptures du Moyen Age qui ressemblent à des oeuvres Art nouveau. Vers 1471, le très rare artiste croate Francesco Laurana a modelé dans le marbre le portrait de Béatrice d'Aragon : ovale parfait du visage, petit nez et grands yeux baissés : tout exprime la pureté et la grâce modeste chez la fille du roi de Naples. A l'autre bout de la salle, un ange de bronze fondu en 1475 garde lui aussi les yeux baissés : 113 centimètres de hauteur devenus le symbole de la collection américaine. Il a été imaginé par Jean Barbet, un Lyonnais surtout connu comme fabriquant de canons ! La sculpture consiste en une cascade savante de plis qui forment sa robe sur laquelle sont accolées d'immenses ailes. Les commissaires ont mis côte à côte un grand paysage de Jacob Van Ruisdael de 1652 et un autre daté de 1819 signé de l'immense peintre anglais John Constable, manifestement inspiré de son aîné.
Les perles du musée rénové Mais surtout, le voyage à La Haye est nécessaire pour voir ou revoir, dans le bâtiment rénové et agrandi l'an dernier, les collections exceptionnelles de l'institution hollandaise qui contiennent plus de dix Rembrandt, dont la célèbre « Leçon d'anatomie », et deux des Vermeer les plus appréciés, « La Jeune Fille à la perle » et « La Vue de Delft » dont le petit pan de mur jaune est décrit avec force émotion par Marcel Proust. Pour conclure de manière littéraire, c'est aussi au Mauritshuis que se trouve le fameux « Chardonneret », ce volatile délicat mais enchaîné, peint
de manière hyperréaliste en 1654 par Carel Fabritius, héros du dernier roman de l'écrivaine américaine Donna Tartt. Judith Benhamou-Huet Lire le blog de Judith Benhamou-Huet sur blogs.lesechos.fr/