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À Utrecht, toute l’année, quand tombe la nuit, Trajectum Lumen met en lumière la ville, colorant ici le canal Oudegracht et soulignant les reliefs de la tour du Dôme.
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PAYS-BAS
LA HAYE // UTRECHT // HAARLEM
LE SIÈCLE
D’OR Il s’épanouit au XVIIe siècle à La Haye, Utrecht et Haarlem notamment, favorisé par une richesse commerciale sans précédent. Marchands et capitaines, dont les portraits fixent le visiteur, y jouèrent un rôle prépondérant. Signés Rembrandt, Frans Hals, Vermeer, ils émeuvent les foules. Au XXe siècle, Escher et Rietveld retiennent à leur tour l’attention. De nos jours, le charme discret des villes hollandaises rayonne. TEXTE DANIELLE TRAMARD - PHOTOS FRÉDÉRIC REGLAIN
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SCHEVENIGEN, IMMENSE PLAGE, ÉVOQUE L’ATMOSPHÈRE BRUMEUSE DES TOILES DE RUYSDAEL ET VAN DE VELDE
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La station balnéaire de Scheveningen. Au centre, le Grand Hotel Amrâth Kurhaus, Belle Époque, contemple les immenses plages de la mer du Nord.
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PAYS-BAS En face du musée Frans Hals, Groot Heiligland à Haarlem. Les façades des habitations pour vieillards faisaient partie de l’ancien hospice Sainte-Elisabeth.
TÉMOIGNAGE DE L’INFLUENCE HOLLANDAISE : DE LA BALTIQUE JUSQU’À SAINT-PÉTERSBOURG, LES MAISONS ADOPTENT LES PIGNONS À REDENTS
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PARCOURUE DE CANAUX OÙ BOURDONNENT LES RESTAURANTS, CES CITÉS OFFRENT UN BONHEUR DE VIVRE DISCRET.
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Deux niveaux de quais, l’un au ras de l’eau, caves voûtées servant d’entrepôts reliés aux maisons, l’autre au niveau de la rue, font le charme unique d’Utrecht. Tous deux noirs de monde dès que le soleil brille.
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ans la rue silencieuse, un léger cliquetis. Une femme, dos droit, pédale dans un léger balancement du corps. À La Haye, Haarlem, Utrecht, la bicyclette est reine. Et leur nombre ne fera qu’augmenter au fil des jours. Siège de la plus grande université du pays, Utrecht grouille de bicyclettes. Décorées d’accessoires : fleurs, sacoches, paniers, cageots, sièges de bébé, pour se distinguer des milliers qui attendent, appuyées au parapet des quais. Les précèdent un cliquètement grinçant si elles sont rouillées, un frottement léger sur la brique qui pave les rues, assumant diverses positions pour guider le pied sur la chaussée réservée à la petite reine, sur la voie piétonne plus étroite, ou sur le bas-côté transformé en parking à vélo. Passent un peloton riant, deux commères roulant de front ou, pur bonheur, un jeune papa poussant un petit carrosse oblong où des yeux bleus ravis regardent la ville. Canaux, maisons à pignon, carillon donnent le sentiment de pénétrer dans le tableau d’un grand maître. Pas de boutique dite « branchée ». La Hollande efface la modernité et se donne à voir dans son authenticité pure et simple, savoureuse et tranquille, sûre de ses secrètes beautés. Un siècle, le XVIIe, l’a forgée. Son Âge d’or ouvre la porte à l’époque contemporaine, les Pays-Bas préfigurant l’Europe d’aujourd’hui. La guerre fait rage entre la très catholique Espagne de Charles Quint et la Hollande sur le point d’embrasser la Réforme. Guillaume d’Orange dans son discours du Nouvel An 1564: «Je ne puis approuver les souverains qui veulent régner sur la conscience de leurs sujets et les priver de liberté religieuse. » En 1573, il choisira le calvinisme. En 1581, les Provinces lui emboîtent le pas, refusant de se soumettre à Philippe II, fils de Charles Quint. Mais,
dilemme, la majorité est catholique. Le pragmatisme dicte un compromis. Les catholiques pourront pratiquer dans leurs églises pourvu qu’elles soient cachées. D’où ces églises clandestines mais cependant connues de tous. Un brin d’hypocrisie pour beaucoup de tolérance… L’Âge d’or ne fut pas exempt de guerres, le conflit avec l’Espagne se poursuivant jusqu’en 1648. Mentionnons une stratégie qui favorisa la victoire : alignés sur sept rangs, les soldats tiraient puis reculaient pour recharger leur arme, laissant la place à d’autres, ce qui donnait un feu quasi continu. L’immigration, importante, soutint l’économie. Les Flamands ressuscitèrent l’industrie du drap à Haarlem et établirent un réseau international de marchands. « Sans ces immigrants, la République ne serait jamais devenue la puissance économique qu’elle fut et l’Âge d’or aurait été moins doré », écrivent Hans Goedkoop et Kees Zandvliet, historiens auteurs d’un livre passionnant, The Dutch Golden Age, d’où nous tirons ces informations. La flotte joua un rôle primordial. Les Pays-Bas approvisionnaient la Baltique, l’Europe, et étendaient leurs échanges jusqu’à Batavia, antique nom de Jakarta, alors siège de la VOC, la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, pendant presque deux siècles, de 1619 à 1799. Nos auteurs la considèrent comme la première multinationale aux actions négociées en Bourse ! À la fin du XVIIe, leur valeur avait quintuplé. Enfin, ultime témoignage de l’influence hollandaise, l’architecture : autour de la Baltique et jusqu’à Saint-Pétersbourg, les maisons adoptent les pignons à redents. Idiosyncrasie propre à ce petit pays, les deux provinces le long de la côte, Hollande septentrionale et méridionale, où sont situées LaHaye et Haarlem, constituent la Hollande, les autres provinces avec Utrecht, les Pays-Bas.
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/ LA HAYE / ROYALE De prestigieux musées, dont le Mauritshuis rénové, ont fait la renommée de cette ville cosmopolite, élégante et cultivée.
Le quartier des ministères dresse fièrement son architecture contemporaine. À gauche, Hoftoren, achevé en 2004, abrite celui de l’Éducation, de la Culture et de la Science. Ses lignes blanches futuristes sont l’œuvre d’un cabinet new-yorkais. Puis viennent les ministères de la Justice, de la Santé ainsi que de l’Intérieur et des Affaires royales. De dos, la statue de Guillaume le Taciturne, prince d’Orange, sur Het Plein, dans la vieille ville.
HÔTEL DES INDES Un portrait en pied de Mata Hari, d’Isaac Israëls, vous accueille. Bienvenu dans ce palais construit par un baron en 1858, puis devenu palace pour rois et chefs d’État participant notamment à la Conférence internationale de la Paix, en 1899. Historique donc, élégant, son aggiornamento ayant été confié au brillant décorateur Jacques Garcia.
Le Jour des Princes, le carrosse doré du roi Willem-Alexander et de son épouse Maxima s’engage dans Lange Woorhout pour se rendre au Parlement.
Ces chefs-d’œuvre du Mauritshuis, palais XVIIe devenu musée en 1822, éclatent sur la soie française rouge de la salle de l’Escalier.
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LaHaye, bourgeoise autant qu’aristocrate, ouvre le bal. Ainsi apparaît le palais royal, bâtisse crème à un étage et fronton central autour d’une cour fermée de grilles. En son centre, une couronne et un écusson avec la devise « Je maintiendrai », la Cour, au XVIIIe siècle, comme d’autres monarchies européennes, parlant français. Ici travaille le roi. Tout au long de Noordeinde, bow-windows, fenêtres à guillotine, disent l’essence patricienne de la rue. Car si Amsterdam enfile le costume de capitale, La Haye abrite le Parlement, le gouvernement, la famille royale, les ambassades et la Cour de justice internationale qui lui donnent un petit air cosmopolite. La Haye apparaît sur la carte au XIIIe siècle quand le comte de Hollande fait construire un pavillon de chasse qui deviendra le château autour duquel grandit Sgravenhage, le «village du comte». Il attire au fil du temps l’aristocratie et, aujourd’hui, les diplomates dont les résidences occupent les belles villas de Hollandais enrichis dans le commerce avec l’Asie. Aussi donne-t-on à La Haye le nom familier de «veuve de l’Indonésie»… Autour du Hofvijver, l’étang de la Cour, le Parlement, Binnenhof ou « cour intérieure » entourée de bâtiments de différentes époques, où le roi prononce, le troisième mardi de septembre, Jour des Princes, le discours du Trône écrit par le Premier ministre, ouvrant ainsi la session parlementaire. Le Mauritshuis et, à sa gauche, une tour discrète, le bureau du Premier ministre. Le Jour des Princes, un carrosse doré emmène les souverains du palais de Noordeinde au Parlement. Une foule bon enfant se presse derrière les barrières, agitant des drapeaux orange, près des soldats l’arme au pied. Sous les arbres de Lange Voorhout défilent les régiments jouant de la musique militaire, un détachement de cavaliers en uniforme chamarré, la maison royale et, finalement, le roi et la reine dans leur carrosse construit en 1898 pour Wilhelmine. Le premier roi des PaysBas était français. Louis-Napoléon, frère de Napoléon Bonaparte. Lui succédèrent trois rois prénommés Guillaume (Willem) et trois reines, Wilhelmine, Juliana et Beatrix, avant, aujourd’hui, Willem-Alexander qui a épousé Maxima, une roturière argentine très populaire.
Mauritshuis le « palais de Maurice », incarne la grâce, la dignité, la douleur. Et la vérité. Voyez l’Autoportrait de Rembrandt : depuis des siècles, le maître du clair-obscur nous regarde, une lueur d’inquiétude au fond des yeux. Rembrandt et ses cent nuances de noir. Les spécialistes vous parleront de ses empâtements au couteau, une technique avant-gardiste en faveur aujourd’hui. Regardez aussi, avec les yeux du cœur, Rubens et sa Vieille femme et Garçonnet aux bougies (1616-1617), aussi attentivement que, de Vermeer, La jeune fille à la perle (1666) et, si calme au matin, la Vue de Delft (1660), ville natale du peintre représentative des villes hollandaises. Admirez le captif Chardonneret (1654), de Carel Fabritius, sans oublier les natures mortes, un art national maîtrisé. En totale rupture voici, dans un ancien palais XVIIIe de la reine Emma, le délire géométrique d’Escher, le maître des métamorphoses. Le monde d’Escher est fait de trompe-l’œil, il donne le vertige avec ses perspectives audacieuses, ses transformations, déformations convexes et concaves qui se jouent de la diffraction du verre. Au troisième étage, démonstration dans une pièce au sol en échiquier noir et blanc, ses couleurs. Au loin, maisons serrées les unes contre les autres sous les flèches d’églises perçant un ciel floconneux. À nos pieds Scheveningen, sable jonché d’épaves, bateaux de pêche échoués, travailleurs de la mer réparant leurs filets. Des chevaux attendent patiemment sous le soleil, les ombres se profilent sur le sable. Une scène comme le pays en a connu tant. Le panorama Mesdag, peint en quatre mois, en 1881, est un faux glorieux, un trompe-l’œil réussi. Peu de temps après, la photographie fit son apparition, les panoramas périclitèrent. Heureusement, subsiste celui-ci. Scheveningen, immense plage du nord, évoque l’atmosphère brumeuse des toiles de Ruysdael et de Van de Velde. En hiver, frissonnant dans l’air vif qui rougit les joues, poussez la porte d’un café. Le chocolat brûlant aura plus de saveur. Ce jour-là, des villageois de Staphorst en costume traditionnel évoquaient les dames en longues robes de jadis… Précision : aujourd’hui, c’est Rotterdam qui gagne l’argent que l’on dépense à La Haye, élégante et cultivée.
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/ HAARLEM / BUCOLIQUE La ville de Frans Hals séduit par le charme intime et discret émanant des hofjes et du musée de ce jovial artiste, son peintre emblématique.
Villageoise, bon enfant, la ville de Frans Hals était, au Xe siècle, un bourg de pêcheurs au bord de la rivière Spaarne rendu prospère, aux XVIe et XVIIe, par la construction navale, le textile et le brassage de la bière. Non sans influence sur le peintre de la joie de vivre. L’un de ces bourgs ceints de murs, avec des portes que l’on fermait le soir, entouré de terres agricoles fournissant nourriture, combustible – la tourbe – et eau. Négociants, drapiers et brasseurs font la fortune de Haarlem quand le comte de Hollande y installe sa résidence, au XIIe siècle. Il fait construire sur Grote Markt, la Grand-Place, un pavillon de chasse devenu hôtel de ville, patchwork de styles intéressants. Retenons, à l’angle, un édifice marqué d’un cartouche blanc : ici était imprimé le Haarlem Dagblag, premier journal de la ville. Il existe toujours. Sur cette même place où avaient lieu les joutes, les habitants élevèrent en cent cinquante ans, de 1370 à1520, la Grote Kerk ou église Saint-Bavon, de style flamboyant, dotée d’un orgue du grand facteur Christian Müller : cinq mille soixante-huit tuyaux, trois claviers, un pédalier et soixante-cinq registres que firent sonner Haendel en 1740 et 1750, Mozart en 1766 et, plus tard, Mendelssohn, attirés par sa renommée. Achevé en 1838, après quatre années de labeur, c’est l’un des cinq plus grands au monde. Le buffet d’orgue à dorures, en bois de pin teinté acajou, est dominé par deux lions portant les armes de la ville. Au sol, de grandes dalles usées : les pierres tombales. Dans le chœur est enterré Frans Hals : une simple dalle noire à son nom et deux dates. Particularité de Haarlem, les hofjes, anciens hospices pour vieilles dames, enclos de charme, des béguinages en somme. Imaginez une pelouse et un bassin gazouillant entourés de maisons de poupées. Maisons vraiment petites – quelque vingtcinq mètres carrés – mais si soignées. Une habitante vous fera peut-être visiter son logis aménagé avec goût de façon à ne point perdre de place. Hofje Van Bakenes fut fondé en 1395, mais la plupart datent du XVIIe siècle. Sur la quarantaine des origines, il en reste vingt, propriété de la ville ou regroupées en associations. Pieter Teyler, homme des lumières, lègue sa fortune à sa ville afin qu’elle soit consacrée à la science.
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Six ans plus tard, en 1784, le Teylers Museum ouvre. Il est resté en l’état, si bien que, fait rarissime, le visiteur contemple un musée du XVIIIe siècle, éclairé à la lumière naturelle afin de garder son atmosphère d’origine. Premier achat, l’Encyclopédie de Diderot, puis tous les livres importants de l’histoire naturelle des XVIIIe et XIXe siècles. Dans les domaines les plus divers : astronomie, géologie, physique, botanique… Et des instruments scientifiques anciens. Mais aussi, à l’abri de la lumière, les dessins, trop fragiles pour être montrés. Aussi des fac-similés de croquis de Michel-Ange ou de Rembrandt ont-ils été tirés. La Fondation, qui gère le musée, a notamment acquis les collections de dessins d’une grande érudite, la reine Christine de Suède. Fraise blanche, habit noir et cordon rouge, ils posent. Tous ne regardent pas le peintre. Ils viennent de faire bombance ces joyeux drilles aux joues rougies par le vin. L’on aura reconnu le Banquet des officiers du corps des archers de Saint-Georges (1616). Dans le fond, un drapeau aux couleurs de leur compagnie. La visite se déroule au son des carillons posés dans les salles, devant ces hommes et ces femmes, calvinistes sans doute, en noir, contrastant avec les scènes villageoises débordant de gaieté. Frans Hals (1580-1666), né à Anvers, vécut à Haarlem, aussi est-ce justice que son musée soit ici. Une maison de poupée richement décorée donne une idée précise d’un intérieur hollandais au XVIIIe siècle. Pourquoi ce goût effréné du noir ? Modestie, simplicité ? Non. Le noir était un signe de richesse car il devait subir plusieurs bains pour obtenir un reflet profond. Garnitures et accessoires d’un blanc éclatant et raide étaient en lin, en laine peignée, les broderies extrêmement fines. Vers 1630, avec l’opulence vint l’attrait pour les couleurs chatoyantes. Le rouge, le jaune, l’or remplacèrent le noir omniprésent. Pour les mettre en valeur, l’extravagance des châles, des ceintures à nœud bouffant, des chapeaux à plumes et larges bords tenus négligemment à la main par de fiers patriciens… La guerre s’éloignant, vint le temps de rire, de boire, de patiner sur les lacs gelés. C’est tout cela que Frans Hals donne à contempler dans l’étonnant musée qui porte son nom.
Grote Markt, la Grand-Place, délimitée par l’église SaintBavon et, ici, l’hôtel de ville de Haarlem, ancien pavillon de chasse du comte de Hollande.
HARLEM - NEW YORK
ÉMIGRATION FÉCONDE Difficile d’imaginer que cette petite ville paisible est à l’origine d’un quartier branché au nord de la Grosse Pomme. Et pourtant ! Le premier comptoir hollandais fut établi dans le sud de Manhattan et le village de Harlem fondé en 1658 par le gouverneur Pieter Stuyvesant qui emprunta le nom de cette ville des Provinces-Unies.
Canal scintillant, le Bakenessergracht fermé, au fond, par l’ancienne brasserie De Olyphant, l’Éléphant, construite sans doute au XVIIe siècle au bord de la rivière Spaarne. Deux maisons jumelles, en brique décorée de pierre, signe de richesse, et pignons à redents, toujours très en faveur.
Le Banquet des officiers de la Garde civique de Saint-Georges, de Frans Hals (1616), dont les noms et grades sont précisément connus, et la reconstitution d’une table d’époque.
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/ UTRECHT / SÉDUISANTE La plus importante université des Pays-Bas fait de cette cité du Moyen-Âge une ville jeune et dynamique dont les églises rayonnent.
Du sommet de la tour du Dôme, contempler la ville ancienne : Oudegracht, le vieux canal, et le clocher de Buurkerk abritant le musée de la musique.
GRAND HOTEL KAREL V Il porte le nom de Charles Quint qui y séjourna à l’hiver 1546, hôte de l’ordre des Chevaliers teutoniques. Son architecture à toit plongeant évoque les puissantes bâtisses de ForêtNoire. Tout, ici, est vaste, élevé, grand. Une aile XVIIIe abrite les chambres. Que demander d’autre si ce n’est un parc centenaire où l’on déjeune quand brille le soleil.
Joyau de la ville, l’église cachée Saint-Willibrord, premier évêque d’Utrecht. La finesse du décor de cette beauté néogothique éclate au premier regard.
Catharijneconvent, le très beau musée du couvent SainteCatherine, dédié à l’art religieux et à l’histoire chrétienne mouvementée des Pays-Bas, expose dans un monastère médiéval statues polychromes et peintures sur bois qui émeuvent le visiteur, fût-il incroyant. Guide pratique pages 93 et 94.
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Avenante et joyeuse, voici Utrecht, siège de la plus grande université du pays, quelque quarante mille étudiants nourrissent son effervescence. Au début du XVIe siècle, c’était la plus grande ville des Pays-Bas du Nord, environ vingt-cinq mille âmes. Car Utrecht est fille du Moyen-Âge : ses édifices en couvrent la plus grande superficie. Ses canaux sont uniques au monde. Un ingénieux système médiéval utilisant la différence de niveaux entre les rues et les quais reliait entre elles les caves voûtées immenses servant d’entrepôts. Il faut y circuler pour comprendre que Oudegracht, le vieux canal central nord-sud, était un véritable port en usage jusqu’au XIXe siècle. Trois kilomètres d’eau verte bordée, de chaque côté, par les caves des maisons à l’étage supérieur. Parallèle, Nieuwegracht, le nouveau canal, et enfin un canal défensif entourant la ville. Sur leurs rives se sont construits quelques-uns des monuments marquants d’Utrecht. Ainsi, dans la courbe voluptueuse de l’Oudegracht, l’hôtel de ville historique est composé de sept maisons du Moyen-Âge, dont deux ceintes de murs néoclassiques. En face, le Winkel van Sinkel, statues néoclassiques de 1840, devenu grand café d’où l’on observe la vie qui va. En bas, les quais sont noirs de monde. Sur la rive, les grandes halles des maisons de riches marchands telle Drakenborch aux pignons à redents, en tuf à l’origine, la façade ayant parfois été modifiée au Siècle d’or. Une immense bâtisse de quatre étages, Oudren, se distingue par ses caves de 1300. Quittant les quais, gagner la vaste place Neude, colonisée par les terrasses de cafés, contempler l’ancienne Poste, un édifice dans le style de l’École d’Amsterdam, ses milliers de briques disposées en motifs. Au sud le quartier des musées, calme, avec le campanile en son centre. Domtoren, la tour du dôme, la plus haute (112 m) des Pays-Bas et icône de la ville, est reliée par une arche à Domkerk, la cathédrale Saint-Martin. Las, en août1674, une tornade détruisit cette arche sauvant ainsi la tour. De la cathédrale subsistèrent le transept et le chœur, gothiques, d’une hauteur vertigineuse. En prendre la mesure en allant à l’extérieur, derrière le chœur, admirer les arcs-boutants soutenant la
croisée d’ogive. Au-delà, la zone piétonne, très animée. Willibrordkerk nous laisse un souvenir impérissable. Cette église catholique, cachée, construite en 1875, est la plus belle de style néogothique des Pays-Bas. La place disponible étant étroite, les architectes lui donnèrent vingt-sept mètres de hauteur. Tout ce qui fait un lieu d’exception est ici réuni : une féerie de couleurs sur les murs, un décor médiéval, des boiseries sculptées et des vitraux qui filtrent la lumière. Quand le chant grégorien s’élève lors de l’office du dimanche ou lors d’un concert, le visiteur est transporté par ce « secret véritablement céleste ». Elle est dédiée à saint Willibrord, premier évêque d’Utrecht, au VIIIe siècle. Au Museum Catharijneconvent, le musée du couvent Sainte-Catherine, condensé de l’histoire religieuse mouvementée des Pays-Bas, point n’est besoin d’être croyant pour être touché par la grâce de Vierges délicates, le magnifique tableau du Christ crucifié (1490), les objets du culte en or, et amusé d’apprendre que, sur les tableaux qu’ils avaient commandités, les donateurs se faisaient représenter. Ô surprise, ce musée abrite un Rembrandt coloré, daté de 1626, le peintre avait alors vingt ans ! Excentrée, décalée, sous le patronage du Centraal Museum qui présente une collection de tableaux de maîtres de la ville, la maison Rietveld Schröder, porte les noms de son commanditaire et de l’architecte qui la réalisa. Membre du mouvement artistique De Stijl – le Style –, Gerrit Rietveld dessina en 1924 une maison étonnante, aux cloisons modulables qui s’ouvrent et se referment, privilégiant les couleurs primaires, le noir et le blanc. Inscrite au patrimoine mondial, elle préfigurait déjà l’avenir. Utrecht, fin du voyage, qui résume si bien la Hollande, ces villes de silence où cliquettent les bicyclettes, où s’éparpillent soudain les notes d’un carillon, nous a séduits. Parcourue de canaux, de quais au ras de l’eau chatoyante, de rives moussues sous les grands arbres. Au niveau supérieur tournoient, silencieuses, affairées, des milliers de bicyclettes. Au niveau inférieur bourdonnent les tables des cafés, des restaurants frôlant l’eau. Une femme chante, la lumière des réverbères tremble sur l’onde. Un bonheur de vivre, discret, sans effusions inutiles.
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