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Mensuel du Mouvement Jeunes Communistes N°124 - JUILLET 2006 - 1,55 € N° ISSN 0750
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AVANT-GARDE N°124 - JUILLET 2006
Journal du Mouvement Jeunes Communistes 32 rue Jean-Jaurès - 93 200 SAINT-DENIS Tél. : 01 40 40 12 45 - Fax : 01 40 40 11 46 Rédactrice en chef : Nadhia Kacel • Comité de rédaction : Milène Aubert, Vincent Bordas, Kamel Brahmi, Maxime Carliez, Cédric Clérin, Gaël De Santis, Elsa Dimicoli, David Dumortier, Scarlett Dupuy, Pierre Garzon, Gabriel Gau, Julien Iborra, Valère Lambré, Romain Marchand, Deniz Oztorun, Benoît Pradier, Guillaume Quashie-Vauclin • Direction artistique: Frédo Coyère • Mise en page : Bertrand Bourn • Edité par SARL Société Nouvelle des Editions de l’Avant-Garde • Dépôt légal Juillet 2006 - N° 124 • N° de commission paritaire 0909 I 86549 • Directeur de publication : Pierre Garzon • Imprimerie MIP 0140039660 • Publicité: Comédiance • Prix du numéro : 1,55 € • Abonnement: 1 an 15,25 €, soutien 30,50 €, étranger 22,90 €.
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CONSTRUIRE DES SOLIDARITÉS
NATIONALES ET
INTERNATIONALES Ca y est les vacances sont enfin arrivées. Cette année elles auront un goût de fête, avec les 70 ans des congés payés. Malheureusement de moins en moins de gens ont les moyens de partir en vacances. Au mieux on propose de reconduire à la frontière des enfants sans-papiers scolarisés en France. Le Réseau Education Sans Frontières a mis en place un numéro (08 20 20 70 70) et une adresse mail (reseaudeveille@no-log.org ), pour aider les familles sans-papiers en difficulté. Après la longue mobilisation victorieuse contre un Premier ministre et sa proposition de CPE qui persiste a essayé de faire croire qu’il faisait cela pour le bien des jeunes, l’heure n’est pas au repos car le premier supporter des Bleus, Jacques Chirac, pourrait profiter de leur victoire pour nous faire passer une petite réforme discrètement. Expliquer l’histoire des pays du Sud, celle de la colonisation, savoir que dans d’autres continents des recherches d’alternatives politiques sont en cours… Tout cela permet de comprendre la situation des immigrés, les luttes que nous devons mener pour d’autres coopérations entre les pays, en s’appuyant sur ce qui existe comme l’ALBA en Amérique Latine, pour la paix au ProcheOrient qui semble reculer avec les agressions d’Israël, et pour la démocratisation des institutions internationales… Valère Lambré
● P.4-5 Amérique latine > Quand les pays d’Amérique Latine se rebiffent, ils créent l’ALBA ● P.6 Amérique Latine > Qui est Cuba ? ● P.7 Afrique > Partir ou mourir ● P.8-9 Afrique > « Un développement endogène pour l’Afrique » ● P.10 Europe > L’Europe libérale reste sourde ● P.11 Europe > L’Europe des peuples n’a pas dit son dernier NON ! ● P.12-13 Asie > Vietnam, le prix de la liberté ● P.14-15 Moyen-Orient > Du berceau de l’humanité au bourbier du Moyen-Orient
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AMERIQUE LATINE AMERIQUE LATINE Quand les pays d’Amérique Latine se rebiffent,
ils créent l’ALBA ALBA > Les richesses de l’Amérique Latine ont pendant longtemps été entre les mains d’une minorité capitaliste. Et les Etats-Unis jouissait jusqu’à présent d’une facilité dans les échanges en sa faveur et d’une mainmise politique qui est bouleversée depuis plusieurs années. L’ALBA est une offensive anticapitaliste qui fait la preuve que la coopération peut se faire à la faveur de tous les partis. ALCA (Area de Libre Comercio de las Americas), la ZLEA en français (Zone de libre-échange des Amériques), est un accord soutenu par les Etats-Unis. L’économie des Etats-Unis a augmenté d’une manière disproportionnée en consommant 30 % de la production mondiale alors que sa population ne représente pas 5 % du total mondial. Tout le pays est entré, depuis plusieurs années, dans un processus de lent effondrement, vivant chaque fois plus du crédit et dépendant de manière croissante de la richesse des autres (en termes de ressources matérielles et d’injection financière). Maintenir son hégémonie signif ie pour Washington maintenir un niveau de vie qui n’est déjà plus soutenable.
© Rob Elcante
L'
USA : maintenir son hégémonie C’est dans ce contexte, cherchant à créer des zones de domination qui leur permettraient de conserver leur rôle hégémonique, qu’apparaît la stratégie de l’ALCA. Ce projet visait à établir un ordre légal et institutionnel à caractère supra-national donnant au
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marché et aux transnationales nord-américains une totale liberté d’action. Les pays auraient alors du « constitutionnaliser » les accords émanant de ce texte, voyant ainsi leur capacité de négociation affaiblie et obligés de renoncer à
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leur souveraineté. L’ALCA devait s’ouvrir dès 2005 de « l'Alaska à La Terre de Feu » selon Bush. Cependant, elle a été bloquée, essentiellement par l'opposition du Brésil, qui reproche à Washington de pratiquer un protectionnisme outrancier tout en exigeant des autres pays une plus large ouverture aux produits et services en provenance des Etats-Unis.
Coopération de tous pour le développement de chacun Contre l'ALCA, Hugo Chavez a proposé l'ALBA (Alternative bolivarienne pour les Amériques), inspirée historiquement de la lutte de Simon Bolivar pour l'indépendance de l'Amérique du Sud. Celle-ci a été présentée officiellement par le président vénézuélien Hugo Chávez à l’oc-
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AMERIQUE LATINE AMERIQUE LATINE © Rob Elcante
© Rob Elcante
Exemple de coopération La PDVSA entreprise de pétrole vénézuelienne publique et son homologue cubaine Cuba Petroleo étudieront ensemble l'exploration pétrolière dans le golfe du Mexique et achèveront une raf f inerie que les Soviétiques avaient commencé à construire dans la province de Cienfuegos, au sud de Cuba. Du brut vénézuélien y sera traité et les produits raff inés approvisionneront les pays des Caraïbes. La vente à Cuba, depuis l'année 2000, de pétrole vénézuélien à prix préférentiel et avec facilités de paiement porte à 90 000 barils par jour. Le Venezuela fournit aussi du brut à prix préférentiel aux autres pays des Caraïbes et voudrait
rapprocher, via la création de Petrosur, la PDVSA vénézuélienne de la Petrobras brésilienne, de l'Ecopetrol colombienne et de leurs homologues argentine et uruguayenne. En échange de l'aide du Venezuela, Cuba a déployé dans ce pays 30 000 médecins et inf irmiers, ainsi que des milliers d'éducateurs qui soutiennent les programmes sociaux, notamment d'alphabétisation, lancés par Hugo Chavez. A Cuba même, de nombreux Vénézuéliens jouissent gratuitement d'une formation universitaire ou d'interventions chirurgicales.
L’ouverture à d’autres pays d’Amérique Latine Chavez et Castro souhaitent attirer d'autres pays à la faveur d'élections présidentielles en
Amérique latine. L’arrivée d’Evo Moralès en Bolivie permet à ce pays de participer à L’ALBA. La signature en avril 2006 d’un “Traité de Commerce des Peuples” (TCP) par les présidents Fidel Castro, Hugo Chavez et Evo Morales a débouché sur l'incorporation formelle de la Bolivie à l’ALBA. Cet accord se veut plus politique que commercial. L’ALBA a permis la signature de 26 accords commerciaux entre le Venezuela et le Brésil, le troc de pétrole vénézuélien contre du bétail et d'autres produits argentins et la vente de pétrole vénézuélien à prix préférentiel à un nombre croissant de pays d'Amérique Latine. Nadhia Kacel
Pour continuer à vous informer ■ LatinReporters.com ■ RISAL (Réseau d'information et de solidarité avec l'Amérique latine) : http://risal.collectifs.net/ ■ Le monde diplomatique et ses dossiers sur l’Amérique Latine : www.monde-diplomatique.fr
RÉCAP’ L'ALCA : Area de Libre Comercio de las Americas la ZLEA Zone de libreéchange des Amériques L'ALBA : Alternative bolivarienne pour les Amériques TCP : Traité de Commerce des Peuples TLC : Traité de Libre Commerce
Sucession d’élections présidentielles en 2006 En Colombie, le président conservateur Alvaro Uribe a été réelu mais la campagne a été ponctuée par la montée dans les sondages de Carlos Gaviria, candidat de gauche du PDA (Pôle Démocratique Alternatif), hostile à la ratification de l'accord de libre-échange avec les Etats-Unis. Au Pérou, aussi le 28 mai, Ollanta Humala, allié d'Hugo Chavez et d'Evo Morales, a crée la surprise contre le social-démocrate Alan Garcia. L'appui explicite d'Hugo Chavez à Ollanta Humala et les insultes échangées entre MM. Garcia et Chavez a provoqué une crise diplomatique entre Lima et Caracas. Au Mexique, Andrés Manuel
Lopez Obrador, candidat du Pa r t i d e l a R év o l u t i o n Démocratique (PRD, gauche) a perdu de peu face au conservateur Felipe Calderon, candidat du Parti de l'Action Nationale (PAN) du président Vicente Fox. En Equateur, on votera le 15 octobre. Précandidat à la présidentielle, l'ex-ministre de l'Economie Rafael Correa, très critique des Etats-Unis, négocie avec les communautés amérindiennes une alliance qu'applaudirait Hugo Chavez. Le ministre bolivien des Finances, Luis Arce, a exprimé au journal équatorien El Comercio son “espoir d'un changement de gouvernement
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casion du III e sommet des chefs d’Etats et de gouvernements de l’association des Etats des Caraïbes en décembre 2001. Les principes recteurs d’une intégration latino-américaine et caribéenne basée sur la justice et la solidarité entre les peuples y ont été tracés. L’ALBA se fonde sur la création de mécanismes visant à créer des avantages coopératifs entre les nations qui permettraient de compenser les asymétries existantes entre les pays de l’hémisphère. Elle se base sur la création de fonds compensatoires pour corriger les disparités qui placent en désavantage les nations les plus faibles face aux principales puissances ; elle accorde la priorité à l’intégration latinoaméricaine et à la négociation en blocs sous-régionaux en cherchant à identifier, non seulement des espaces d’intérêt commercial, mais aussi des points forts et des faiblesses pour construire des alliances sociales et culturelles.
Ollanta Humala en compagnie d’Hugo Chavez.
au Pérou et en Equateur" qui pourrait ranimer la CAN. Le 29 octobre, Luiz Inacio Lula da Silva briguera sans doute un second mandat présidentiel au Brésil. Une ingérence ouverte peu probable dans la politique intérieure du géant sud-américain ne servirait sans doute pas les intérêts d'Hugo Chavez, qui sollicitera, lui, sa réélection le 3 décembre. N. K.
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AMERIQUE LATINE AMERIQUE LATINE
Cuba ?
e pays a vécu en un siècle une multitude d’évènements le bouleversant et le destabilisant. Son histoire a influencée l’Amérique et le monde. La Révolution cubaine représente avant tout pour les Cubains un rêve réalisé : l’indépendance et ce, en se révoltant contre la première puissance mondiale, dans un contexte qui aurait pu déboucher sur une guerre sans précédent pour l’humanité. Aujourd’hui, alors que le régime castriste résiste aux Etats-Unis depuis 47 ans, Cuba se trouve encore une fois au cœur de la politique internationale et des révolutions en Amérique Latine. Maintenant plus que jamais il faut se demander comment considérer et analyser la société cubaine.
C
Que représente Cuba ? Le débat reste ouvert. Doit-on considérer ce pays comme une dictature sans étudier son évolution et ce que la Révolution a apporté à la population ? Doiton au contraire parler de Cuba solidaire et internationaliste dont les 25 000 médecins (plus que tous les pays occidentaux
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D.R.
D.R.
CUBA > Perçue pendant longtemps comme l’exemple du « socialisme sous les tropiques » alliant l’esprit révolutionnaire à un cadre de vie idéal pour les uns, fustigée par les autres, Cuba est depuis 1959 l’objet des plus vifs débats.
D.R.
Qui est
réunis) sillonnent le monde pour venir en aide aux peuples défavorisés ? On ne peut pas comprendre Cuba avec nos régimes politiques occidentaux, avec nos valeurs. Cuba en France est le plus souvent diabolisée, en Amérique Latine elle a toujours représentée l’espoir révolutionnaire et anti-impérialiste. D’autre part, considérer Cuba comme un résidu de l’URSS ne permet ni de comprendre comment elle fonctionne ni pourquoi elle a survécue envers et contre tout.
Le blocus des USA Depuis la prise du pouvoir par les Barbudos en 1959 et la fuite du dictateur Batista, les USA font peser sur Cuba un blocus. Dans ce contexte, Cuba a choisi une alliance avec l’URSS. A la chute du bloc soviétique, on observe une insuff isance alimentaire grandissante et une chute des importations et exportation permettant sa survie : c’est le début de « la période spéciale ». Face à ça les USA renforcent le blocus avec la loi Toricelli de 1992 puis HelmsBurton en 1996. Quelles sont les conséquences
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de ce blocus sur la société cubaine ? Les conséquences sont évaluées à 79 325,2 millions de dollars et sont ressenties dans tous les secteurs de la société. Malgré tout, Cuba a toujours fait des hommes sa principale ressource en éradiquant l’analphabétisme, en développant l’éducation, le secteur de la santé... Aujourd’hui, alors que l’espoir de lendemains meilleurs renaît en Amérique Latine, Cuba a de nouveaux alliés qui lui permettront peut-être de sortir de son autarcie. Le 1er janvier 2005, Hugo Chavez et Fidel Castro signent des accords historiques : l’Alba, reprenant le rêve de Simon Bolivar et José Marti de voir se lever l’aube sur une seule et même nation latino-américaine. Cuba vit dans un état de guerre, imposé par les USA, depuis 1959. Comprendre cela c’est comprendre l’enjeux des accords avec les autres pays d’Amérique Latine : sortir de la « période spéciale » et pallier aux conséquences du blocus permettra peut-être à l’Ile une ouverture sur le plan politique. L’Internationalisme et la lutte contre l’impérialisme sont deux notions clés du projet communiste et de la société cubaine. Si Cuba n’est pas celle que la
vision occidentale veut nous imposer, elle n’est pas n’ont plus un modèle auquel il faudrait envers et contre tout défendre. Charlotte Balavoine
José Marti José Martí est l'homme le plus glorif ié par le peuple cubain. Il naît à la Havane le 20 janvier 1853. Il s'engage très vite dans la lutte anti-coloniale : à quinze ans, il fonde un journal nationaliste, à 16 ans il est arrêté pour trahison et condamné à six ans de travaux forcés. Libéré six mois plus tard, il est déporté en Espagne durant quatre années. Son exil se poursuivit en France, en Angleterre, au Mexique. Une amnistie des prisonniers politiques lui permet de revenir à Cuba, où il est de nouveau arrêté et de nouveau renvoyé en Espagne. Il s'installe ensuite à New York, où vivaient de nombreux exilés cubains, et durant les quinze années qui suivent il se consacre à l'activité politique au sein du parti révolutionnaire cubain. Il débarque sur l'île en 1895, et est tué lors de sa première bataille contre les Espagnols, le 19 mai 1895. Il laisse derrière lui une œuvre littéraire et poétique considérable qui inspire encore aujourd’hui F.Castro.
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AFRIQUE AFRIQUE
Victimes de l’émigration
Partir ou Mourir EMIGRATION > Au cœur de l’agenda européen depuis une dizaine d’année, la question migratoire est pourtant loin d’être réglée. 500 000 clandestins arriveraient chaque année en Europe, en provenance des pays d’Afrique et de l’Est. Victimes à la fois de la pauvreté chez eux et des politiques répressive sur le Vieux continent, ils tentent le tout pour le tout pour rejoindre cet eldorado.
© Dux Garuty
Lutter contre la fuite des cerveaux
epuis que le gouvernement espagnol a renforcé les mesures de sécurité à Ceuta et Melilla en octobre 2005, l’archipel ibérique, considéré comme la première porte d’accès en Europe, fait l’objet de toutes les convoitises. En cinq mois, ce sont près de 9 000 Africains, toutes nationalités confondues, qui y auraient déjà accosté. A la clé de cette aventure : l’espoir de rejoindre le continent et d’y trouver un emploi. Avec l’exploitation abusive des passeurs à l’égard des candidats à l’exil, ce sont des hommes qui s’y entassent, par centaines, moyennant environ 800 euros, un voyage que les familles n’hésitent pas à finan-
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cer en vendant tous leurs biens personnels et immobiliers. Et ce malgré le risque. « On préfère mourir loin, que rester pauvre ici », lance Mamadou, un jeune Sénégalais candidat à l’exil. « Dème ba dé », précise-t-il en wolof, la langue nationale : « partir ou mourir ». Le poids de la dette empêche l’Afrique de pouvoir se développer, et notamment de répondre à l’énorme enjeu autour de la formation professionnelle. Pour les jeunes rejetés par le système scolaire, aucune perspective d’avenir ne pointe le bout de son nez, la majorité part donc à la recherche de meilleures opportunités économiques dans les pays du Nord.
C’est aussi la dette qui explique la fuite des cerveaux vers les pays du Nord. De nombreux pays africains ne possédant pas d’institutions, ont envoyé leurs étudiants se perfectionner dans les universités et centres de recherche des pays du Nord afin d’accélérer la formation des ressources humaines. Mais la majorité d’entre eux ont choisi d’y rester une fois leur formation terminée. Afin de réduire cette migration internationale préjudiciable à leur développement, de nombreux pays d’Afrique se sont engagés dans un processus de création d’universités et de revitalisation d l’enseignement supérieur. Néanmoins, tout sera encore très difficile tant que le poids économique et moral de la dette pèsera sur les épaules du continent. Dans le même temps, l’Europe forteresse se met en place sans aucune considération de sa dette morale vis-à-vis de l’Afrique : fermeture des frontières, contrôles accrus de celles-ci, centres de détention ou de rétention provisoire dans des conditions extrêmes. Bref, la politique d’immigration du vieux continent devient de plus en plus répressive et de moins en moins efficace. En effet , les premiers à “subir”
l’émigration sont ces hommes et ces femmes que la misère et l’extrême pauvreté, l’oppression, voire la terreur poussent à “choisir" l’exil et l’éloignement... Maxime Carliez
CHIFFRES 25 millions c’est le nombre de citoyens n’ayant pas la nationalité du pays dans lequel ils vivent pour les 25 pays de l’Union Européenne, soit 5,5 % de la population totale
500 000 immigrés clandestins vivant et travaillant en Italie vont être régularisés par le nouveau gouvernement Prodi. L’an dernier, l’Espagne en avait régularisé 600 000.
20 millions c’est le nombre de travailleurs immigrés dont l’Europe aura besoin d’ici 2025 afin de compenser son déficit démographique et de maintenir son niveau économique et social.
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AFRIQUE AFRIQUE
«Un développement en d INTERVIEW > Moustapha Gueye, membre du réseau migration – citoyenneté du Conseil national du Parti communiste français a longtemps travaillé sur les questions de développement. Avant-Garde s’entretient avec lui de l’histoire de l’Afrique, et de son futur.
■ Avant-Garde : Où en est l’Afrique avant la colonisation ? Moustapha Gueye : Avant le début de la colonisation de l’Afrique au 16e siècle, l’Afrique suit un rythme de développement naturel avec un développement de l’agriculture, de l’économie et des échanges entre les différentes régions africaines. Entre l’Afrique subsaharienne et l’Afrique du Nord existe le commerce de produits agricoles, d’or, de sel. Le continent connaît un phénomène d’accumulation. Les déplacements de population, les échanges commerciaux permettent à l’Afrique d’avoir un développement endogène. Le continent n’est pas fermé puisque par l’intermédiaire de l’Afrique du Nord, il commerce avec l’Europe. Au niveau économique, l’agriculture et l’extraction prédominent et permettent d’atteindre une certaine autosuffisance. Il existe cependant des famines, dues aux incidents climatiques. ■ A.G : L’Afrique n’est quand même pas sans problèmes, comme les relations entre populations nomades et sédentaires ?
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M.G : Il existait des empires, il y avait bien sûr des conflits entre populations, que les colonisateurs ne se sont pas privés d’instrumentaliser. Mais avec la colonisation, on a mis ensemble des populations qui n’avaient rien à voir. La domination est venue de l’extérieur de l’Afrique. Les colonisateurs ont imposé une hégémonie culturelle et ont cherché à diviser les populations entre elles. Il y a toujours eu des nomades : les Touaregs, présents au Mali, en Algérie, les Maures, les Peuls, peuple d’éleveurs, et les relations s’organisaient différemment. ■ AG : Pouvez-vous nous éclairer sur le processus de colonisation ? M.G : Il faut commencer par la « traite négrière ». Les Européens viennent d’abord en Afrique pour chercher des « bras valides ». En échange, ils offrent des produits de base à certains chefs africains. Des millions de « bras valides » sont prélevés. L’Afrique se retrouve ainsi exsangue de sa force de travail, qui lui aurait permis de se développer davantage. En revanche, en Europe, des villes
comme Bordeaux et Nantes se sont développées grâce à la traite.D’abord, les comptoirs s’installent sur les côtes pour entrer dans des territoires. Ensuite est advenue la colonisation de peuplement. Alors, un phénomène d’extraterritorialité a été imposé par les pays colonisateurs. La France vivait sous la IIIe République en régime démocratique. Pourtant, le Parlement n’avait pas droit de regard sur les territoires des colonies. C’était le Ministère de la France d’Outre-Mer qui gérait. Ils installaient des gouverneurs, et ceux-ci dirigeaient de main de fer les colonies. ■ AG : Et au niveau économique ? M.G : Le pouvoir militaire a permis l’appropriation des territoires. L’exploitation des ressources minières se faisait par des entreprises de la métropole. Au niveau agricole, on avait avant une polyculture. Ce système a été aboli. Des monocultures ont été mises en place pour répondre aux besoins des colonies. La division administrative permettait aux gouver-
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AFRIQUE AFRIQUE
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n dogène pour l’Afrique » neurs d’étendre leur pouvoir sur tout le territoire via des commandants de cercle. Les gouverneurs avaient un rôle militaire, et économique : ils géraient le budget des colonies, un budget au service de la métropole. La part des investissements était, elle, réduite. Et parmi ces investissements, une grande part était réservée aux investissements de maintenance, peu aux investissements publics, en infrastructures. Une grande partie du budget était consacrée au paiement des salaires. Les recettes provenaient des impôts sur la population locale. ■ AG : Y a-t-il eu résistance à la colonisation ? M.G : Oui, dès le début des révoltes ont été organisées, mais bâillonnées. Les administrateurs coloniaux ont vaincu les chefs locaux, les leaders de révoltes – l’Afrique avait déjà une organisation territoriale –. La répression a été sanglante. ■ AG : Après la colonisation, les pays du Nord ont réussi à perpétuer la domination par d’autres moyens…
M.G : Dans les années 60, est venu le temps des « indépendances octroyées », suite à des luttes. La France a quitté ses colonies en sauvegardant ses formes de domination pré-existantes. Elle a poussé à mettre en place des États dirigés par des personnalités sous domination française et en général issues de la bourgeoisie locale. La France y est parvenue parce qu'existaient des divisions internes. Des chefs d’État , comme le Guinéen Sékou Touré, se sont battus pour une véritable indépendance, y compris économique. En face, des hommes comme Léopold Sedar Senghor n’ont pas voulu pousser jusqu’au bout la colonisation. Au final c’est ce type de dirigeants qui a gagné. Ensuite, le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque mondiale (BM) ont pris le relais. Le libéralisme marque sa domination en procédant à une expérimentation dans les pays dominés. La dette joue un grand rôle dans cette domination. Après la décolonisation, on est dans une période où les pétrodollars s’accumulent. Il faut les placer. Les pays africains reçoi-
vent donc des prêts des pays du Nord. Avec l’augmentation des taux d’intérêts, le coût de la dette s’envole. Aujourd’hui, le volume de la dette a largement été payé. Les pays du Nord utilisent la dette pour faire subir à l’Afrique des politiques d’ajustement structurel. ■ AG : Quelle politique préconisez-vous pour l’Afrique? M.G : Il faut affirmer que « cette dette a été payée. Si elle est abolie, on peut repartir sur d’autres bases. Au plan international, il faut un autre ordre que celui imposé par les dominants. L’ordre présent ne permet pas aux pays dominés d’avoir leur place. Ce monde est géré comme un « casino planétaire ». De nouveaux types de relations internationales doivent être développés, avec un autre rôle pour le FMI, la BM, ou l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Pour l’instant les règles de l’OMC répondent aux besoins des pays dominants : le libéralisme à outrance. L’Organisation des Nations Unies doit être démocratisée. Le veto des membres permanents du Conseil de
sécurité doit éclater. Tous les pays doivent avoir la même voix. L’Afrique doit rompre avec le modèle de développement en vigueur dans le monde. Elle ne peut rattraper les pays du Nord avec le même mode de croissance. L’essor industriel par accumulation ne peut être appliqué. Un système de développement endogène doit être inventé. Il doit prendre en compte l’économie, mais aussi les liens sociaux. La culture est un élément fondamental. L’économie informelle occupe aujourd’hui une place importante. On doit trouver comment faire pour que cet informel fonctionne avec des règles qui fassent avancer l’aspect qualitatif et non plus seulement quantitatif de ce type d’économie. L’Afrique a d’énormes ressources minières. Le développement ne peut plus fonctionner pays par pays. L’Union africaine a été mise en place, mais ce n’est pas suffisant. Propos recueillis par Gaël De Santis
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L’Europe libérale reste sourde
es 15 et 16 juin derniers, la France et l’Allemagne ont réussi à jouer à la passe à dix et ont obtenu les prolongations. Non, il ne s’agit pas d’un match de la coupe du monde de football. Réunis en sommet, les 25 de l’Union européenne étaient arrivés au terme du « temps réglementaire » de réflexion sur le devenir du traité constitutionnel européen. Temps de réflexion qu’ils s’étaient fixés un an plutôt après les refus référendaires de la France un certain 29 mai 2005 et de la Hollande. Ils s’accordent tous sur un point : le match pour la ratification du traité n’est pas terminé. Ils sont actuellement quinze à l’avoir ratifié et à souhaiter le voir s’appliquer au plus vite.
L
Tentative de passage en force Angela Merkel, la chancelière allemande, a proposé dans un premier temps la solution miracle : refaire voter la France
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pas question d’une constituante, ni de donner aux eurodéputés la possibilité d’en être auteurs. Et ne parlons même pas des citoyens ! Les négociations à venir ne porteront pas plus loin que sur ce qui doit être gardé ou non dans le traité actuel. Les préoccupations qui ont conduit les refus des peuples français et hollandais que sont, entre autres, le chômage, la précarité et la démocratie ne sont nullement à l’ordre du jour.
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Elections à venir : signe de changements ? D.R.
CONSTITUTION EUROPÉENNE > L’Europe libérale des 25 refuse d’enterrer la Constitution européenne et engage un nouveau processus loin des attentes des citoyens pourtant claires depuis le 29 mai 2005.
Les 25 enfoncent un peu plus l’Europe dans une crise politique où l’écart entre les peuples et les gouvernants s’agrandit. A Chypre et en Slovaquie qui sont de nouveaux membres de l’UE, la gauche antilibérale vient de gagner les élections. Dans de nombreux pays, les luttes grandissent et les partis de gauche radicale montent en puissance comme le Link Partei en Allemagne. Un an avant la présidence française de l’UE en 2008, auront lieu les élections présidentielles et législatives. C’est l’occasion pour la France d’ouvrir le débat sur une véritable alternative à l’échelle européenne et de mettre en place une nouvelle majorité clairement antilibérale qui mettra entre les mains des citoyens le débat sur l’Europe nous voulons.
Voilà, l'Europe reprend ainsi sa marche en avant. Elle avait connu une période d'incertitude, de crise. Jacques Chirac au conseil européen.
et la Hollande après avoir tout simplement changer le nom de la constitution. Mais les choses ne sont pas si simples. Par exemple en Finlande, au moment où les instances politiques semblaient prêtes à valider la constitution, un sondage de la population indiquait que seulement 22 % la ratifieraient contre 48 %. Un sondage, datant d’il y a quelques mois, indiquait également qu’une large majorité de Français ayant rejeté le texte ne le regrettait pas. Et c’est sans compter sur l’impopularité croissante partout en Europe des instances de l’Union Européenne (l’UE). Cependant, les loups sont entrés dans la
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bergerie et les moutons noirs ne sont pas à leur goût. Loin de l’enterrer, ils ont espoir de faire valider un texte qui serait le plus proche possible de celui existant , autrement dit la « concurrence libre et non faussée » n’est pas prévue d’être mise sur le banc. Le sommet a conclu sur le calendrier proposé par Paris et Berlin : ouverture de négociations sous présidence allemande de l’UE début 2007 et clôture et décision sous présidence française fin 2008. Et cette décision s’accompagne d’une détermination des chefs d’Etats et de gouvernements à garder la maîtrise du processus. Autrement dit il n’est
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L’Europe des peuples n’a pas dit son dernier
Non !
MOBILISATIONS SOCIALES > De Paris à Varsovie, en passant par Athènes, l’Europe ne se soumet pas à la domination capitaliste et se construit un autre avenir en rupture avec Bruxelles.
Solidarité entre l’europe de l’Ouest et de l’Est C’est une autre idée de l’Europe qui est en train de se bâtir. Face aux politiques libérales, à la mise en concurrence exacerbée des pays, des salariés, des jeunes, les citoyens répondent de plus en plus par une Europe unif iée, solidaire. Le FSE d’Athènes, avec les nombreux partages et les créations de réseaux qui y ont eu lieu, en fut un bon exemple notamment entre l’Ouest et l’Est. L’Est reste particulièrement touché par la pauvreté et la précarité. L’entrée dans l’UE de nombreux pays ne leur a pas permis de se développer. Par exemple, le salaire moyen de ces pays reste encore très inférieur à la moyenne à l’Ouest, soit près du quart. Les luttes des uns ne sont plus isolés, mais sont solidarisés et réappropriés par les autres luttes.
Le danger de l’extrême droite Mais cette Europe-là garde un ennemi mortel. A l’Est, l’extrême droite fait des progrès importants et dans certains pays est récemment entrée dans les gouvernements ou en force dans les parlements. En France, on connaît la dérive droitière notamment de Sarkozy, et récemment avec la loi sur l’immigration. On a connu également Jörg Haider en Autriche et les politiques de Berlusconi associées au parti de Mussolini en Italie. Partout en Europe, l’extrême droite récolte les fruits des politiques libérales et de la mise en opposition des peuples. Alors, il faut maintenant que cette Europe mette en échec les projets libéraux et construise une alternative politique capable de répondre aux besoins de solidarité, de partage des richesses, de démocratie auxquels aspirent toutes les luttes. Benoît Pradier
P. Leclerc
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de nombreux pays déclenchant de nouvelles luttes.
Photos Patrice Leclerc
l existe une autre Europe. Mais elle ne se situe pas dans une galaxie très lointaine, comme on voudrait le faire croire. Elle est bien ici. C’est l’Europe des solidarités, l’Europe des citoyens, de ceux qui luttent et qui brisent les frontières pour se construire un avenir commun. C’est l’Europe qui a dit Non à la constitution européenne à travers la France et la Hollande. C’est cette Europe que l’on retrouve lorsque des salariés français luttent avec des salariés polonais sous-traités en France, contraints de travailler plus pour un plus bas salaire. Bel exemple de solidarité qui bat en brèche la mise concurrence des Européens. C’est aussi l’Europe où des retraités ont tenu des manifestations partout en Europe pour protester contre leur appauvrissement. On peut également rappeler les solidarités créées partout en Europe entre les jeunes lors du mouvement contre le CPE en France, et les répercussions qu’il a eu dans
Les étudiants en colère !
En France, nous avons connu en 2003 un mouvement étudiant très fort contre l’autonomie des universités et la réforme LMD (Licence-MasterDoctorat). Au printemps, le mouvement s’est répandu dans toute l’Europe. Au Danemark, en Slovénie, en Hongrie ou en Allemagne, les étudiants se sont mobilisés contre les frais d’inscription ou la remise en cause d’aides sociales. Mais c’est en Grèce que le mouvement fait le plus écho. Des dizaines de milliers d’étudiants se sont mis en grève et ont manifesté pour refuser la réforme de la constitution grecque et une loi-cadre permettant la libéralisation des universités. Soutenus par l’opinion, ils ont obtenu le gel du processus. Le Traité de Bologne d’harmonisation et de mises en concurrence des universités européennes est plus que jamais mis à mal.
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Le prix de la VIETNAM > Du tumulte assourdissant de Ho Chi Minh ville au calme des pagodes de Hanoi, le Vietnam est une terre de contrastes. Les jeunes lancés à toute vitesse sur leurs motos dernier cri ont remplacé l’image d’Épinal des dames élégantes se déplaçant à vélo. Et c’est en partie dans l’histoire originale du pays que se trouvent les racines de cette étonnante vitalité.
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chronique de la colonisation : les Vietnamiens sont privés de droits élémentaires comme la liberté d’expression et, bien sûr, exclus du pouvoir par l’administration coloniale. Mais une élite politique formée en France se développe et voit émerger un homme, Nguyen Ai Quoc qui deviendra bientôt Ho Chi Minh.
Ho Chi Minh, l’homme de la paix Nguyen Ai Quoc fait ses études à Paris où il côtoie rapidement les milieux marxistes. Il observe les injustices de la « métropole » et gagne peu à peu la conviction que la question sociale est indissociable de la libération nationale. Dès lors, il est obsédé par l’unique objectif qui guidera sa vie : La libération du Vietnam. En 1918, lors du traité de Versailles, il présente un « Appel pour le droit du peuple annamite à disposer de luimême ». Sa vie durant, il cherche
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e la domination chinoise à la colonisation française, jusqu’aux guerres contre la France et les EtatsUnis puis le Cambodge et la Chine, l’histoire du Vietnam est faite de domination étrangère, de résistances, de luttes sociales, de guerres parfois. Déjà, en 1774, le prince Nguyên Anh fait appel à un corps expéditionnaire français pour revenir au pouvoir dont les siens avaient été chassés par la révolte paysanne des Tay Son. Déjà l’impérialisme se mêle à la question sociale et à l’intervention étrangère. Dès lors, les Français s’installent peu à peu, de comptoirs en exploitations agricoles, jusqu’à ce que Napoléon III prétexte des persécutions contre les Français et les milieux catholiques pour prendre Danang en 1858. Il faudra 30 ans à la France pour achever sa domination coloniale. Ce qui suit constitue la triste
à éviter les guerres et à libérer son pays par tous les moyens. C’est dans cet objectif qu’après avoir participé au congrès de Tours qui voit la naissance du PCF, il part à Moscou suivre la formation du Komintern et contribue en 1930 à la création du Parti Communiste Indochinois.
Ceux qui vivent totalement libres savent ça : ils peuvent changer de direction grâce à la force de leur volonté, comme le vent. Bao Ninh « Les souffrances de la guerre »
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Malgré la violente répression de l’administration coloniale et l’arrestation de Ho Chi Minh à Hong Kong, l’idée de libération nationale gagne en puissance grâce aux efforts des communistes indochinois. L’occupation japonaise provoque le départ de la France et permet la création du Viet Minh (front pour l’indépendance nationale), organisation nationaliste où les communistes sont les plus influents. Ils organisent la résistance à l’occupant mais œuvrent aussi à nouer des relations avec les alliés présents
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sur le théâtre des opérations. C’est ce qui permet à Ho Chi Minh de déclarer l’indépendance de la République démocratique du Vietnam après la défaite des Japonais, sans effusion de sang et avec la bénédiction des Américains. Le Viet Minh gagne triomphalement les élections de 1946 et il faudra toute la détermination des Français à reprendre en main leur empire colonial, par la force suite à des négociations non respectées pour plonger le Vietnam dans 30 années de guerre.
De Oncle Ho au Doï Moï (renouveau). La suite est plus connue, le Vietnam est plongé dans la tourmente : la terreur de la guerre française puis américaine, l’édification du socialisme au Nord Vietnam sous les bombardements quotidiens, les relations difficiles entre la Chine et l’Union Soviétique mais surtout, la résistance et la détermination de tout un peuple à gagner son indépendance malgré tout. Malgré les bombes (entre 2 à 4 fois le tonnage de bombes de toute la seconde Guerre Mondiale, soit l'équivalent de 450 bombes atomiques d'Hiroshima) et l’horreur de l’agent orange, ce défoliant utilisé par l’armée américaine qui voit aujourd’hui naître sa troisième génération de victimes. Les morts se comptent par millions, parmi lesquels Ho Chi Minh qui n’as-
sistera pas à la réunification du pays en 1975. Il faudra ensuite aux Vietnamiens intervenir au Cambodge pour mettre fin à la sanglante dictature de Pol Pot et repousser l’invasion chinoise de 1989 pour connaître enfin la paix. Une paix toute relative puisque les dégâts causés par la guerre sont immenses et posent de lourdes contraintes de développement. C’est ce qui pousse les Vietnamiens, constatant que « les Russes sont des Américains sans dollars », à entreprendre une expérience originale d’ouverture à une « économie de marché à orientation socialiste » avec le Doï Moï (littéralement « changer pour faire du neuf »). Le Vietnam est aujourd’hui un pays d’enthousiasme et de contradiction. La pauvreté recule avec le risque de voir les inégalités se développer. L’expérience d’ouverture au marché se poursuit avec des résultats qui étonnent même l’OMC dans un pays qui ne connaît pas (encore ?) les terribles déséquilibres de la Chine moderne. Quel espace reste-t-il pour un pays en développement se réclamant du socialisme dans un XXI e siècle écrasé par le capitalisme mondialisé ? Reste l’enthousiasme d’une jeunesse très largement majoritaire. Restent les espérances d’un peuple tout entier qui a toujours su traverser d’immenses
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Liberté défis et trouver des solutions qui lui sont propres. Reste l’énergie débordante d’un pays toujours en lutte. Reste la conquête de la modernité qui ressemble parfois à une course folle semblant oublier le vieux conseil d’Ho Chi Minh aux cadres du parti « Il faut plus de temps pour former un homme que pour planter un arbre. » Aymeric Seassau
EXTRAITS DES CARNETS DE PRISON D’HO CHI MINH Exhortation à l’adresse de soi même Sans le froid de l’hiver, sans le deuil et la mort, Qui verrait le printemps dans sa douce splendeur Le hasard me remet au creuset du malheur, Pour me rendre l’esprit et le cœur fort
L’air d’un soir La rose s’ouvre et la rose Se fane sans savoir ce que rose Fait. Il suffit qu’un parfum S’egare dans un maison d’arrêt Pour que hurlent au cœur de l’enfermé Toutes les injustices du monde
VIETMAN > CE QU’IL FAUT SAVOIR Population : environ 80 millions d'habitants Superficie : 332 000 km2 Capitale : Hanoi Langues : vietnamien, langues des ethnies minoritaires (khmer, cham, thaï, sedang, miao-yao, chinois), anglais et français Monnaie : dông (Dg) - 1 euro = environ 19 000 Dg Nature du régime : communiste, parti unique Economie : Economie de marché à orientation socialiste Indice de developpement humain (IDH) 2004 : 0,704 (108e rang) Chef de l'Etat : Tran Duc Luong Premier ministre : Phan Van Khai
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MOYEN-ORIENT MOYEN-ORIENT
Du berceau de l’ h au bourbier du M o TERRE DE PASSAGE > Le Moyen-Orient n'existe pas, la définition géographique du Moyen-Orient est surtout géopolitique. Ce qu'on appelle le Moyen-Orient aujourd'hui a pendant, très longtemps, été un pont formidable de rencontre des peuples avant de devenir le centre des enjeux stratégiques qui en fait une zone de violence permanente. n terme géographique, le Moyen-Orient se partage entre l'Asie, l'Europe et l’Afrique. Le terme est anglosaxon et a été élaboré vers la fin du XIXe siècle pour différencier l'Orient hindouiste de l'Orient à majorité musulmane. Il s’agit avant tout d’une définition faite sur un soi-disant point commun qui est la religion. Cette région partirait de l'Egypte jusqu'au Pakistan actuel en englobant la péninsule arabique et le plateau anatolien. Bien sûr, cette déf inition ne prend pas en compte les diversités de cultures, de langues et même de religions qui découlent de l'histoire complexe de cette partie du monde.
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Un pont de rencontre
© Damien Lafargue
Son emplacement a fait de ce territoire un lieu de passage obligatoire dans les relations entre l'Europe, l'Asie et l'Afrique.
Les civilisations du vieux monde se sont croisées, rencontrées et enrichies sur ce pont de l'humanité. Qui dit diversité, dit échange tout aussi marchand que culturel, avec les convois de marchands, des littératures, des philosophies, des diplomaties ont été à l'origine d'un échange de richesse jamais égalé ailleurs. Des grands trajets comme la route de la soie mais aussi celle des épices traversaient cet ensemble de territoire. Pendant des siècles et peut-être même des millénaires cet ensemble a constitué le pont commercial le plus grand du monde. L'importance commerciale et stratégique du lieu a poussé tous les Etats et empires à asseoir leurs dominations. Le nombre d'Etats, de civilisations, de religions qui ont vu le jour sur ces territoires est incalculable tout autant que le nombre de guerres. Par sa géographie
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même ce territoire n'a jamais été stable durablement. Même après la découverte du Nouveau monde (Amériques, Océanie) et les progrès maritimes, ce territoire a gardé une certaine importance. Et l'ouverture du Canal de Suez en 1869 a réaffirmé sa portée stratégique qui en fait , en partie, un bourbier depuis au moins deux siècles.
L’eau et le pétrole : enjeux des conflits Depuis le XIXe siècle le MoyenOrient fait face aux problèmes qui sont dus à ses richesses comme les conditions et les ressources naturelles, l'origine historique de ses nouveaux Etats… En effet , la carte du Moyen-Orient a été refaite après la Première Guerre Mondiale où les Ottomans ont vu s'effondrer leur empire. La plupart des frontières des Etats du Moyen-Orient sont issues de cette date. Après la guerre, les Français et les Anglais se sont partagés ces territoires qui sont devenus ensuite des zones d'influences. À cette date débute également la vague d'immigration massive des Juifs vers la Palestine, avec le soutien du gouvernement anglais, qui se concrétisera avec la création de l'Etat d'Israël en 1948. Par exemple les territoires où vivent les Kurdes sont partagés entre la Turquie, l'Irak, l'Iran et la
Syrie. Les démarches pacifiques ou violentes des Kurdes n'ont toujours pas abouti à un règlement de problème dans les pays concernés. Les relations tendues entre l'Irak et le Koweït sont un autre exemple malheureux que nous connaissons déjà. Les problèmes frontaliers sont toujours et encore sujets de conflits majeurs entre plusieurs pays de cette région. Avec les difficultés frontalières, le problème de l'approvisionnement en eau devient particulièrement important. La Turquie utilise l'Euphrate comme arme de guerre contre l'Irak et la Syrie. Cette dernière a aussi des problèmes semblables avec l'Israël et la Jordanie. Un des points importants de conflits entre l'Israël et la Palestine est aussi l'approvisionnement en eau potable d'Israël qui se fait par des sources qui sont en Cisjordanie. Nous ne nous étonnerons donc pas de découvrir que la plupart de ces sources se trouvent dans les colonies juives de la Cisjordanie. Bien entendu, la découverte du pétrole en abondance dans cette région a attisé toutes les puissances que l'on a citées mais après la Seconde Guerre Mondiale ce sont les Américains qui prennent le relais et influencent le Moyen-Orient. Les enjeux sont clairs. Il faut contrôler cette région qui a la source pre-
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MOYEN-ORIENT MOYEN-ORIENT
© Vincent Verhaeren
© Vincent Verhaeren
© Yarldor
Joss Dray
’ humanité M oyen-Orient
mière d'approvisionnement, de réserves en pétrole mondiale (68 % des réserves prouvées, 43 % des exportations dans le Golfe) et la régulation du marché des hydrocarbures à des marchés régionaux potentiellement intégrables par leurs géographies. La configuration post-coloniale qui a prédominé, a été un mélange de populisme et de contre-révolution. La création de l'Etat d'Israël qui se renforce (notamment avec les guerres de 1948, de 56 et de 68 contre les pays arabes) donne un appui important aux Etat-Unis. L'alliance anti-communiste avec la Turquie, le soutien et le contrôle du régime wahhabite de l'Arabie Saoudite donne la place primordiale à ce dernier. Les mouvements comme celui du nationalisme arabe de
Nasser avec une influence de gauche n'ont pas pu tenir tête longtemps contre l'hégémonie américaine et ses alliés. L'opportunité de l'emprise américaine a été l'invasion soviétique de l'Afghanistan et la révolution iranienne qui ont inquiété les régimes monarchiques de la région qui se sont mis sous protection américaine, mais aussi le traité de paix entre Israël et l'Egypte d'après Nasser (Camp David 1979) qui a entraîné l'alignement de l’Egypte.
Instrumentalisation de la religion Les Etats-Unis et leurs alliés occidentaux n'ont jamais hésité à utiliser l'intégrisme religieux contre les influences socialisantes. Les divisions religieuses et le retour aux
traditions claniques et tributaires sont même encore soutenus, comme dans le cas d'Irak ou la péninsule arabique, par la répression et les manipulations sociales organisées par les bureaucraties mises en place avec l'aval de la puissance états-uniennes. Ces gouvernements limitent alors les droits aux organisations politiques, syndicales, à la grève, dans certains cas, ils les interdisent. L'alphabétisation reste à un niveau bas et même très faible chez les femmes (50 % environ). La religion n’est pas le problème mais l’outil le plus formidable, l'arme de guerre la précieuse des Occidentaux dans cette partie de la planète. Ne serait-ce qu'en Israël et en Palestine, on arrive à faire oublier qu'il y a des Palestiniens druzes, chiites,
sunnites et de plusieurs branches du christianisme qui ne se battent que pour avoir leurs terres en faisant la paix. Au lieu d'avouer le caractère stratégique à des fins impérialistes du conflit israélo-palestinien ou de la guerre civile en Irak (entre chiites et sunnites) les puissances capitalistes occidentales préfèrent alimenter la haine diffusée par le Hamas ou les intégristes juifs. Utiliser l'islamisme intégriste ou d'autres types d'intégrismes religieux et le nationalisme, voire le tribalisme et le clanisme, pour éviter la recherche de démocratie, de justice et de paix ne saurait arrêter à long terme les populations exploitées qui s'organiseront. Deniz Oztorun
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