PERMANENCESD’URBANITÉ DE PARME À CLERMONT-FERRAND, LE RÔLE DE LA PLACE PUBLIQUE DANS LA CONSTRUCTION D’UN NOUVEAU SAVOIR-VIVRE ENSEMBLE
|EVAN| Mémoire de fin d’étude Nicolas MATHEVON
Enseignant encadrant Alessandra MARCON Membres du Jury Julie JOUVENEL Luc LEOTOING
C’est avec grand plaisir que je réserve ces quelques lignes à toutes les personnes qui ont contribué de près ou de loin à l’élaboration de ce travail d’étude. Je tiens à remercier en premier lieu Alessandra Marcon pour ses conseils, ses références, et ses suggestions pertinentes qui m’ont permis d’écrire ce mémoire. Je remercie aussi Géraldine Texier-Rideau qui a largement inspiré mon travail au début de l’élaboration de cet écrit. Je remercie aussi vivement Maria Melley, Carlo Mambriani et Oronzo Brunetti (professeurs à l’Università di Parma) qui m’ont aidé dans la recherche de documents lors de mon année à l’étranger dans la ville de Parme. Je tiens aussi à remercier mes parents qui m’ont conseillé dans la rédaction ainsi que mes amis pour leurs conseils et leur soutien.
PERMANENCES D’URBANITÉS ? DE PARME À CLERMONT-FERRAND, LE RÔLE DE LA PLACE PUBLIQUE DANS LA CONSTRUCTION D’UN NOUVEAU SAVOIR VIVRE ENSEMBLE Comment, dans un contexte de ville toujours plus fragmentée et exclusive, tenté par le repli sur soi, s’hybride l’urbanité ? Comment réinterroger et réinventer la place publique dans les nouveaux enjeux de la ville durable ?
UN PROFOND DÉSIR D’URBANITÉ MIS À L’ÉPREUVE PAR LA FRAGMENTATION URBAINE 1.1. >> UNE URBANITÉ MISE À L’ÉPREUVE .............................. 23 1.2. >> LE PROCESSUS DE RECONQUÊTE DES ESPACES PUBLICS : LA «MARKÉTISATION» DE L’ESPACE URBAIN ..................... 27 1.3. >> L’AILLEURS ITALIEN, ENTRE PLACE RÉVERSIBLE ET URBANITÉ SUBSISTANTE ........................................................................... 33 PARME, MODÈLE D’URBANITÉ, OU RÉSULTANTE D’UN MODÈLE DE VILLE EUROPÉENNE 2.1. >> « CE N’EST PAS LA TERRE QUI EXPLIQUE L’HOMME,
MAIS L’HOMME QUI EXPLIQUE LA TERRE » ........................................... 41 2.2. >> CRITÈRES DE QUALITÉ PERMETTANT DE CONSTRUIRE LA VILLE D’AUJOURD’HUI : LES LEVIERS DE L’URBANITÉ 49
2.3. >> LE MODÈLE PARMESAN, RÉVÉLATEUR D’UNE
URBANITÉ POSSIBLE OU MODÈLES DE TISSUS URBAIN ? ....................... 76
LA RECONQUÊTE DE « L’ESPACE ENTRE LES CHOSES » : LE SOL COMME RESSOURCE DE NOTRE VILLE 3.1. >> LE SOL URBAIN : UNE RESSOURCE RENOUVELABLE
DANS LA CONSTRUCTION D’UNE URBANITÉ CONTEMPORAINE .......... 83
3.2. >> EXPÉRIMENTATION ET PROJET SELON LES PRINCIPES DE SOL ET FONDEMENTS DE L’URBANITÉ CONTEMPORAINE ............................................................................................. 88 ÉPILOGUE
SOMMAIRE
PREMIERS REGARDS >> AVANT-PROPOS >> MISE EN CONTEXTE >> LEXIQUE >> INTRODUCTION
La ville est faite de rêves et nous risquons bien de laisser à nos descendants les squelettes urbains qui témoigneront de notre incapacité à rêver. Chris Younès, Elements pour une introduction à l’architecture des milieux, 2010
AVANT PROPOS LA PRATIQUE D’UN TERRITOIRE ÉTRANGER
PREMIERS REGARDS
La discipline architecturale est un domaine vaste, si riche, à la fois tellement général et si spécifique, que l’apprentissage de l’architecte n’a pas de fin. C’est très certainement l’un des domaines où celui qui décide de s’y consacrer avec rigueur ne cessera jamais d’apprendre, au fur et à mesure des années qui passent. L’entièreté des choses qui nous entourent sont reliées à cette discipline. Parmi cette diversité qu’offre la discipline architecturale, l’urbanisme, la sociologie, l’histoire sont des domaines auxquels je porte un intérêt très particulier. A chaque espace que je traverse, j’ai toujours cette envie de comprendre comment l’architecture a donné et donne un sens au lieu qui l’entoure. Cela fait maintenant plus d’un an, avec les prémices du rapport d’étude, que je me consacre à cette question : comment un usager s’approprie un espace public, espace hérité ou créé et quels sont les ressorts de l’architecture qui favorisent cette appropriation ?
L’urbanité face aux nouvelles formes urbaines Beaucoup d’urbanistes, de géographes ont tendance à dire que la ville d’aujourd’hui est condamnée à rester figée, que la vie urbaine n’existe plus 1. En effet, les pratiques sociales, de la ville ont beaucoup évoluées ces cinquante dernières années. Les morphologies des villes ont été largement bouleversées avec la généralisation de l’automobile, les changements des modes de consommation. Aujourd’hui, les réseaux sociaux ont eux aussi complètement changé notre manière d’appréhender la rencontre au sein d’un espace. Tandis que la définition propre de l’urbanité correspond à désigner le caractère d’une ville, l’altérité et l’aménité apparaissent aujourd’hui comme les qualités ultimes à obtenir pour la ville. Nombreux sont les scientifiques évoquant la perte de celle-ci, que la notion d’urbanité ne reste plus pertinente à l’heure du règne de l’urbain et de la ville mondialisée. Les rapports sociaux dans les centres-villes sont souvent rattachés à des pratiques de consommation portées à l’extrême. Néanmoins, je ne souhaite pas aborder cette problématique de la ville avec fatalisme. Bien au contraire, c’est dans une perspective inverse que je souhaite développer ma réflexion. Il convient alors de comprendre comment l’urbanité peut-elle faire sens, comment réinterroger l’espace public qui doit porter ces enjeux d’interactions humaines, comment réinventer la place publique ? Quelles sont les méthodes à adopter ? Ce sont toutes ces questions qui motivent l’écriture de cet ouvrage.
L’expérience urbaine, une volonté d’écrire Et pourtant, nos villes en ont connu des périodes riches en urbanité, mais comment rendre compte de celle-ci à notre ère contemporaine ? La reconquête de l’espace public est-elle source d’urbanité, ou faut-il se rattacher aux décors, tissus de nos villes, soit réinterroger nos espaces publics afin de mieux les réinventer.
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Chaque ville, lieu, est porteur de qualités qui lui sont propres. On retrouve depuis un peu moins de deux décennies ce profond désir d’urbanité dans les nombreuses reconquête d’espace public comme si l’Homme cherchait toujours à retrouver ces qualités urbaines liées à la flânerie et cette construction sociale collective dans la vie quotidienne qui existaient encore au XVIIIième siècle avant l’arrivée des premières révolutions industrielles. L’urbanité semble être devenue un mythe à réactualiser. L’urbain des dernières décennies l’a phagocytée au point de la rendre tout juste légère, serviable. Heureusement, on retrouve quelques lieux où l’urbanité subsiste, qui rend attractifs ces espaces, l’accumulation humaine et matérielle. C’est pourquoi je décide d’étudier ce sujet au travers d’un lieu spécifique, d’une expérience que j’ai vécu tous les jours : la ville de Parme, au centre de l’Italie : située sur la voie romaine mythique de l’Emilia. Une ville moyenne, d’environ 180 000 habitants, où tout le monde semble ne pas se connaître et se connaître, où les relations sont plus ou moins intenses, voire même riches. Le sujet se développe sur un ailleurs qui, bien entendu, n’a pas pour but de mettre dans une position inférieure une autre ville, mais plutôt d’étudier un ailleurs pour faire un contrepoint avec un territoire de l’ici : Clermont-Ferrand, ville que je vis chaque jour depuis maintenant 4 ans. L’objectif final n’est pas de prendre parti pour un modèle ou pour un autre mais plutôt de comprendre comment le modèle de l’ailleurs peut-il inspirer dans la manière de concevoir un espace à partir des divergences et points communs qui émergent dans cette comparaison d’ici et d’ailleurs. C’est donc aussi l’expérience quotidienne de Parme, qui me pousse à écrire ce mémoire dans cette perspective de reconquête de la ville.
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MISE EN CONTEXTE PARME, VILLE INTÉGRANTE DU MAILLAGE DE LA PÉNINSULE ITALIENNE Parme, ville de 180 000 habitants se situe dans un contexte particulier, possédant des similarités avec la ville de Clermont-Ferrand, mais aussi de nombreuses différences. À environ 120 kilomètres de la métropole économique de Milan, Parme possède une position stratégique sur la péninsule italienne. En effet, elle vient tisser le territoire avec la Via Emilia qui la traverse : une ancienne voie romaine reliant Milan à la mer Adriatique constituant l’un des plus grands axes structurants du réseau urbain régional et national. Il est marqué par son caractère linéaire et par la présence de nombreuses villes moyennes. Aujourd’hui ce réseau urbain est l’un des plus importants de l’Italie avec la présence de 5 agglomérations industrielles, culturelles, et économiques se complétant toutes entre elles (Piacenza, Parma, Reggio Emilia, Modena, Bologna en allant vers le Sud). Comme l’on peut voir sur la figure 1 : Parme dans la plaine du Pô (p.10 & 11), ces villes possèdent un cadre de mise en place identique : entre les contreforts des Apennins et la fertile plaine padane, toutes sont traversées par un important axe
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Citation H. MENDRAS
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routier et ferroviaire permettant des dynamiques entre elles, mais aussi entre Europe de l’Est et celle de l’Ouest. Connaissant une importante indépendance communale à l’époque du Moyen Âge et de la Renaissance, ces agglomérations ont toutes connues un rapide développement économique grâce à l’industrialisation de l’agriculture. Nous nous intéresserons plus particulièrement au territoire urbain de Parme dans cet ouvrage, ville la plus à gauche sur la figure associée.
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Fig. 1 - Parme dans la plaine du Pô - Le système urbain de la Via Emilia © Nicolas Mathevon
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LEXIQUE PROBLÈMES DE VOCABULAIRE Avant d’entamer la lecture de cet ouvrage, il parait légitime de clarifier quelques notions récurrentes de vocabulaires afin de mieux comprendre ce mémoire et son déroulement.
INTERACTION
D’après le Centre National de Ressources Composé de l’élément formant : Textuelles et Lexicales (CNRTL) c’est l’Action inter- et action, emprunté à l’anglais réciproque qu’exercent entre eux des êtres, des personnes et des groupes. C’est aussi tous interaction (Etym.) les échanges (de matières, de personnes, d’informations) entre producteur et client, entre partenaires, ou au niveau agrégé entre des Villes et des régions (Denise Pumain, article pour Hypergéo). Dans le cadre du mémoire il s’agit ici de comprendre comment les individus interagissent entre eux au sein d’un espace public. Comment l’espace public favorise-t-il cette interaction, qui participe à créer l’urbanité d’une ville ?
INTÉGRATION
Emprunté au bas latin integratio qui signifie « renouvellement, rétablissement », dérivé du latin integrare : Intégrer (Etym.)
D’après le CNRTL c’est l’Action d’incorporer un ou plusieurs éléments étrangers à un ensemble constitué, d’assembler des éléments divers afin d’en constituer un tout organique ; passage d’un état diffus à un état constant ; résultat de l’action. Dans le domaine de la sociologie, l’intégration d’un individu correspond à l’insertion de celui ci dans un nouveau groupe ou nouvelle communauté déjà créé qui lui est totalement étranger. Le latin integrare, soit rendre complet, nous rappelle que l’intégration opère un geste vers l’achèvement. L’intégration est alors travaillée par les notions d’altérité et d’identité. Par exemple, en géographie, le terme d’intégration peut s’appliquer à différentes échelles : l’intégration d’une périphérie à un centre est travaillée comme un nouveau territoire qui est la somme de ces deux derniers (F. Gipouloux, article pour Géoconfluences). Dans le cadre de mon sujet, l’intégration possède diverses perspectives : celle de l’intégration d’un tissu urbain vers un autre étranger (enjeux de connections) et celle de l’intégration d’un individu au sein d’une société (enjeu de l’espace public : créer des relations sociales superficielles).
PREMIERS REGARDS
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Il est emprunté au dérivé urbanitas qui signifiait « cette politesse d’esprit, de langage et de matières attachées spécialement à la ville de Rome ». (Encyclopédie. Dictionnaire raisonné des sciences des arts et des métiers, 1751-1772). Aujourd’hui, selon le Robert, urbanité désigne « les relations entre habitants d’une ville ». Autrement dit, l’urbanité désignerait une manière de faire société. Mais les avis sur le terme urbanité sont divers. L’urbanité possède de nombreuses caractéristiques comme l’hétérogénéité, la densification d’une population urbaine. Elle fait appel à différentes notions comme la figure du cosmopolite, la figure de l’acceptation de l’autre… Aujourd’hui, elle semble varier selon les contextes spatiaux, culturels et historiques. Elle raconte la ville, elle semble être « l’essence même de la ville » 1. L’urbanité fait-elle la qualité d’une ville ? Comment l’urbanité doit répondre aux enjeux contemporains durables de la ville d’aujourd’hui ?
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URBANITÉ
Venant du latin urbs, urbanité signifiait dans l’Antiquité romaine la « ville d’entre toutes les villes ».
La marge peut être vue sous différents angles : MARGE comme une limite géographique d’une ville, d’un Du latin margo qui signifie bord continent, d’un ensemble, ou comme un espace délaissé (un espace dit marginal) entre la limite de deux choses se côtoyant (CNRTL). Le sujet de ce mémoire sert à montrer comment la place, cette pièce urbaine, articule ces différentes limites, marges pour y connecter différents tissus urbains. D’après le CNRTL, c’est l’action d’adapter quelque APPROPRIATION chose à un usage déterminé. Par exemple, Emprunté au bas latin appropriatio emménager dans un appartement, y choisir qui signifiait : « assimilation par ses meubles, ses tableaux qu’on y accroche l’organisme » (Etym.) correspond à l’action de s’approprier un espace. Rendre l’espace nouveau selon soi, selon son identité. L’usage de cette expression dans les sciences humaines et sociales est à situer dans une généalogie marxiste où l’appropriation s’oppose à l’aliénation : elle est la réappropriation de soi par la praxis, le travail (Fabrice Ripoll, article pour Hypergéo). Henri Lefebvre écrit en 1974 dans l’ouvrage « La production de l’espace » : « D’un espace naturel modifié pour servir les besoins et les possibilités d’un groupe, on peut dire que ce groupe se l’approprie ». On cherchera dans le mémoire, comment l’usager domine l’espace public, comment il se l’approprie pour en faire le sien. PREMIERS REGARDS
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Hannerz, sociologue, écrit : l’urbanité, apparaît alors, à la limite, comme «l’essence d’une ville».
POLITIQUES URBAINES ET PATRIMONIALES
Ce concept n’est pas introduit avant les années 1970. Il n’est pas introduit par des politistes, Terme scientifique relatif à mais bien par des sociologues et géographes. Ce terme est abondamment utilisé dans les écrits l’histoire de la ville. des sociologues des années 1970 cherchant à comprendre les aménagements urbains, et territoriaux des années d’après-guerre (années 1950-60), notamment les grands ensembles de logements locatifs. Ces sociologues cherchent aussi à mieux comprendre les quartiers anciens vétustes des centres villes où les problèmes sociaux liés à la précarité et l’emploi s’accumulent. Enfin, ils en tirent des conclusions puis des objectifs. Ainsi une politique de la ville est constituée. (Yankel Fijalkow, article pour Hypergéo). Dans mon mémoire, je cherche à comprendre comment ces politiques ont modifié les pratiques des citadins au sein des espaces publics des centres villes français et italien.
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PREMIERS REGARDS
INTRODUCTION L’ÉTONNEMENT, MA VILLE, NOTRE VILLE, UNE VOLONTÉ D’ÉCRIRE
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La ville contemporaine.
Ce sont sans doute ces deux notions qui sont revenues le plus régulièrement au cours de ces cinq années au cœur de l’école d’architecture. Deux notions associées dans un temps, mais que je qualifierai finalement d’oxymore dans leur définition de perspectives. La ville correspond étymologiquement à des valeurs collectives et de vie politique. Rappelons l’étymologie identique de « civilisation », « cité » et « citoyen », toutes liées à la ville (étym. citas). Elle permet, au travers d’un ensemble d’espaces, de faire émerger une société hétérogène où l’anonymat prime. En revanche, contemporain, qui définit l’ère à laquelle nous vivons, nous rappelle toutes les évolutions depuis les années 1960 que la société et la ville ont subies. Des évolutions souvent controversées, accompagnées par une fragmentation urbaine, conduisant la ville à se développer en une multitude de polarités fonctionnelles. Les dernières décennies, ont été marquées, par des politiques souvent engagées sur la problématique des transports afin de lier tous ces archipels de pôles. Ces évolutions modernes, voire contemporaines, mettent dans une position tangente l’identité de la ville et sa défintion. L’urbanité, soit ce qui faisait le caractère, la qualité d’une ville semble disparaître laissant place à des pratiques sociales tout justes serviables. En effet, ces pratiques ont considérablement changé ces dernières décennies au sein de l’espace public. Celles-ci sont de plus en plus numériques, liées à des modes de consommations. La ville contemporaine apparaît alors comme un oxymore où ces deux notions semblent s’opposer dans les définitions de regroupement (ville) et d’éclatement (contemporain). La ville traverse très clairement une crise identitaire. Cependant, un retour à la ville dense et identitaire du XIXième siècle est-il nécessaire et permet-il de trancher pour répondre aux enjeux de cette nouvelle ville ? Je ne le pense pas. L’idée serait plutôt de s’intéresser aux usages banals, presque quotidiens, aux décors urbains et architecturaux afin de reconcevoir des espaces déjà construits qui portent une mémoire commune des citoyens. Alors que la ville semble avoir gagné la quasi-totalité de son territoire, et perdu son urbanité, on retrouve néanmoins cette volonté de reconquête de l’espace public dans l’optique de construire un nouveau savoir-vivre ensemble, en quête de nouvelles formes d’urbanités. La ville contemporaine est toujours plus contestée. Henri Mendras (sociologue français), écrit en 2002 dans son ouvrage « La France que je vois » : « la ville n’existe plus, nous ne sommes pas arrivés à créer un nouveau savoir-vivre ensemble » 1. Les centres-villes semblent avoir laissé la place aux périphéries. Nos centres commerciaux seraient-ils devenus nos nouveaux centres villes ? Ô quelle misère urbaine ! Certains sociologues et géographes parlent même aujourd’hui de « désurbanisation » pour qualifier le déclin urbain. Cependant, ne faisons pas de généralité, les centres villes européens ne se sont pas tous désertifiés ces 5 dernières décennies au profit d’un capitalisme toujours plus exacerbé. N’abordons pas cette thématique comme ces quelques géographes, sociologues, urbanistes, PREMIERS REGARDS
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Citation H. MENDRAS
qui l’aborde avec fatalisme. L’Homme doit rêver, construire sa ville. Il existe encore, en Europe, quelques villes qui nous ré-enchantent où une forme d’urbanité subsiste, et c’est d’ailleurs, cet étonnement qui fait naître l’écriture de ce mémoire.
L’étonnement des pratiques urbaines : une curiosité à développer C’est l’étonnement. L’étonnement de la pratique des villes qui me donne l’envie d’écrire. Tout a commencé il y a un an, lorsque j’ai l’occasion d’arpenter quotidiennement un nouveau territoire, appréhender une nouvelle culture : celle italienne, et plus précisément celle de la ville de Parme : ville située en plein centre de l’Italie, de 180 000 habitants qui vient tisser le territoire de la péninsule sur les tracés de l’ancienne route commerciale emblématique, la via Emilia. Lorsque je suis arrivé dans cette ville, j’ai été frappé par la manière dont l’usager vit dans l’espace du centre-ville. En effet, quand nous arrivons dans la ville de Parme, nous sommes contraint de passer par la périphérie qui laisse plus qu’à désirer : des espaces abandonnés liés entre eux par des terrains vagues. Nous arrivons ensuite dans le centre-ville où la plupart des rues et bourgs sont interdits pour les voitures, où la voirie semble être respectée et partagée entre piétons, automobiles, cyclistes, et transports en commun. J’observais tout ce monde qui discute, attend, marche, ou encore joue de la musique. Les personnes échangent entre elles, entre commerçants, entre générations. Les citadins m’interrogeaient brièvement dans la rue pour savoir qui j’étais, d’où je venais. Des commerces partout, des marchés chaque jour de la semaine, les gens y vont pour discuter, pas forcément pour réaliser la fastidieuse tâche des courses quotidiennes… Bref l’urbanité au sens strict de l’acception. Jamais à Clermont-Ferrand, je n’ai ressenti ça, ni dans le centre-ville et encore moins dans la périphérie. Il apparaît qu’à Clermont-Ferrand, l’espace public possède des tracés plus définis pour des usages plus cadrés, les activités sont moindres, et les usages de la place publique semble se résumer à la consommation ou à la mobilité pour aller d’un point A à un point B.
2 FIJALKOW Y. 2017. Sociologie des villes, La découverte, Collections repères Sociologie
Citation E. DURKEIM
MAMOLI M., TREBBI G. 1988. Storia dell’urbanistica. L’Europa del secondo dopo guerra, Laterza, Roma
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Chapitre XVIII
Cet étonnement a fait émerger cette volonté de comprendre pourquoi l’urbanité est si différente d’une ville à l’autre et en particulier de Parme à Clermont-Ferrand. Emile Durkeim nous disait : « ce n’est pas la Terre qui ex« Ce n’est pas la plique l’Homme mais l’Homme qui explique la Terre » 2. La ville nous raconte une histoire, une culture, un Homme. Terre qui explique Bien sûr, chaque ville possède ses propres particularil’Homme mais tés. Le développement urbain, les politiques urbaines l’Homme qui ont donc bien changé la manière de vivre, la culture des explique la Terre » centres villes. Parme et Clermont-Ferrand ne sont pourtant pas si différentes l’une de l’autre, elles possèdent certaines similarités comme leur inscription géographique dans une plaine agricole, proche des montagnes de basse altitude. Dans leur configuration du centre-ville, elles sont semblables : un noyau médiéval qui s’est développé au XVIIIième et XIXième siècle jusqu’à l’apparition des boulevards remplaçant les remparts. Néanmoins, ce sont bel et bien les politiques de reconstruction, de l’après-guerre des années 1950 qui les différencient : la périphérie de Parme s’est développée autour de l’essor de la copropriété 3 dans les années PREMIERS REGARDS
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1960 et celle-ci reste très compacte sur un modèle de forme urbaine unique tandis que le modèle Clermontois s’inscrit dans ce modèle de ville presque diffuse où la périphérie s’est développée selon différentes formes urbaines où l’on retrouve un territoire urbain entre ville et campagne constitué de pavillons familiaux rejoignant des communes rurales. Le rôle de l’industrie Michelin est incontestable dans le développement de la périphérie. Aujourd’hui celle-ci semble avoir pris le dessus sur le centre-ville. Néanmoins, il faut quand même souligner le choix des collectivités pour l’installation de ce centre commercial atypique dans les années 1970 en plein centre-ville permettant aux relations sociales et commerçantes de subsister dans le vieux Clermont-Ferrand donnant un caractère commerçant à la ville héritée. Parme et Clermont-Ferrand semblent alors s’opposer dans deux modèles de ville : la ville diffuse et la ville compacte. Les politiques urbaines du dernier siècle, et l’expansion des dernières décennies, largement différentes d’un pays à l’autre, ont donc eu un impact considérable sur la culture et la physionomie de ces villes.
La reconquête de la ville au travers de l’espace public Tentatives de faire face à une condition globalisée de la ville
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Aujourd’hui, entre architectes et services d’urbanismes, les jeux d’acteurs dans la création de nouveaux espaces urbains sont très similaires entre ces deux villes : les architectes, paysagistes dessinent les lieux icônes de nos villes. De plus en plus, on observe la tentative de trouver de nouveaux modes de fabrications de l’espace public au travers d’une diversité des acteurs. Ces tentatives s’inscrivent dans ce mouvement de « réinventer la ville » où les collectivités essaient de faire dialoguer acteurs publics, privés et citoyens. Cela passe au travers de la reconquête souvent piétonnière des espaces publics. Le programme lancé par Anne Hidalgo à Paris : Réinventons nos places 4 fait figure de pionnier dans ce domaine de reconquête. La participation, et l’improvisation semblent de plus en plus au cœur des préoccupations comme le montre divers plans d’aménagement. La co-conception avec les citadins semble être la clef d’une nouvelle forme d’urbanité (plus contemporaine) où chacun peut alors exprimer sa propre opinion. Ces grands plans d’aménagements comme Réinventons nos places ou Paris Plages 5 s’inscrivent dans cette perspective de reconquête de la ville à la recherche d’urbanité. On cherche à donner de nouveaux usages à des espaces. Néanmoins ces tentatives apparaissent paradoxales lorsque que l’on compare les résultats obtenus et les objectifs annoncés au début : cela se résume souvent à un timide élargissement de parvis, à une renaturation de l’espace public. Les budgets sont souvent dérisoires, et les collectivités sont alors souvent contraintes à vendre leur part aux acteurs privés qui agissent au coup par coup sans penser à un tout urbain et aux conséquences liées aux sociétés et à la ville. Ils privilégient souvent la valeur d’échange face à la valeur d’usage de l’espace public. La ville subit clairement la pression des acteurs privés. Ces aménagements sont toujours plus tournés vers la consommation dans les zones piétonnes de nos villes où l’espace public nous est « vendu » en l’affublant « d’agora ». Beaucoup ne comprennent pas ce terme d’urbanité. L’urbanité va au-delà des pratiques sociales et urbaines. Et pourtant nombreux sont les concepteurs qui s’en emparent aujourd’hui à titre commercial pour sa connotation distractive et agréable - comme dans les projets d’EuropaCity ou Reinventing Cities -, bien que personne ne la comprenne. Nous l’avons compris, la fabrique de l’urbanité est au cœur des réflexions dans les PREMIERS REGARDS
REINVENTONS NOS PLACES est un projet initié dans le programme d’Anne Hidalgo en 2015 4
PARIS PLAGES illustre bien ce propos, le projet cherche à fabriquer la ville autrement. Au travers de l’événement touristique, il développe des perspectives urbaines dans l’aménagement des berges de la Seine 5
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Thomas Sieverts caractérise les nouvelles urbanités de fictives et fragilisées.
processus de reconquête de la ville. Néanmoins, peut-on fabriquer une nouvelle urbanité au sens strict, absolu, une urbanité digne d’un temps antique de la polis grecque ? L’Homme d’aujourd’hui est nostalgique d’un temps. L’urbanité recherchée est souvent associée à celle de la ville du XIXième siècle où les relations sociales dans les espaces publics étaient nombreuses, riches, parfois pertinentes, ou impertinentes. Cependant le terme d’urbanité évolue avec le temps : l’urbanité de ce temps est révolue dans la plupart des centres villes européens, mais elle a su trouver de nouvelles formes. A Parme, on retrouve cette forme d’urbanité que l’on qualifie de plus traditionnelle. La reconquête de nos villes contemporaines doit se détacher de ces clichés et ne doit pas chercher une urbanité « nostalgique ». Elle doit pouvoir créer de nouvelles formes d’urbanités, différentes, plurielles. C’est pourquoi certains sociologues parlent d’urbanités chimiquement pures comme Thomas Sieverts 6, relatives à l’événementiel : une urbanité presque factice. Ces urbanités fragilisées sont productrices de nouvelles relations humaines, de partages, mais souvent au sein de groupes déjà créés. L’urbanité semble alors se décliner selon les temps de l’histoire. Elle se décline aujourd’hui en gradients. Certains auteurs vont parfois jusqu’à parler d’urbanités privatives en opposition avec celles publiques. La pertinence de la notion nous interpelle : détermine-telle encore la qualité d’une ville ? Ou décrit-elle seulement un caractère de ville ? Alors que les fondements de l’urbanité semblent être définis par la densité d’une population et l’hétérogénéité de celle-ci, il convient finalement de se poser la question suivante : Comment, dans un contexte de ville toujours plus fragmentée et exclusive, tenté par le repli sur soi, s’hybride l’urbanité ? Comment réinterroger et réinventer la place publique dans les nouveaux enjeux de la ville durable ?
18 Méthodologies et protocoles d’analyses : espaces publics comparés
C’est au travers d’écrits emblématiques sur l’urbanité et la reconquête des espaces publics, de redessins, d’analyses des tissus urbains, d’une classification et superposition des données que nous répondrons à cette question. Dans un premier temps, je retrace une approche plus théorique de la notion d’urbanité jusqu’à nos jours afin de comprendre sa fabrication, ses hybridations au cours du temps jusqu’à aujourd’hui. Nous essaierons ensuite de mieux comprendre les divers processus de fabrication des espaces publics. La notion d’urbanité est confrontée à la problématique de la reconquête de la ville en France, mais aussi en Italie. Un site d’étude est donc choisi afin de répondre à la question : la Piazzale della Pace, communément appelée « La Pilotta » entre parmesans. Sa position stratégique à la limite de la forma urbis (ville héritée) lui permet d’être l’une des places les plus attractives et vivantes de la ville. Elle est encore aujourd’hui, sous les feux des projecteurs, des différents débats urbains entre les différentes collectivités de la ville. Cette place est intéressante à étudier du fait de sa position : c’est une place publique, bien délimitée par des tracés, mais avant tout, un espace de passage qui lie deux quartiers. A travers l’étude de la Piazzale della Pace, place stratégique pour la ville parmesane, il s’agira de comprendre comment la place publique répond aux enjeux contemporains d’une ville européenne et comment s’hybride l’urbanité dans ce processus de reconquête d’espace public pour la ville ? En quoi cette place publique parmesane permet-elle de redéfinir les conditions d’une nouvelle urbanité ? PREMIERS REGARDS
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C’est tout le sujet de l’ouvrage qui se développe dans ce second temps : comprendre cette urbanité subsistante : une urbanité composée par des qualités urbaines. Pour cela, nous élaborons un protocole d’analyse comprenant l’espace public et son tissu urbain voisin. Ce protocole est développé en contrepoint avec Clermont-Ferrand. Evidemment, il ne s’agit pas de comparer la ville de Parme et de Clermont-Ferrand - une comparaison qui apparaîtrait plus qu’ambiguë lorsque l’on prend en considération le poids de l’histoire et de la mémoire dans ce type de débat - mais surtout de comprendre le modèle urbain parmesan qui maintient une urbanité, apparemment plus marquée, et de savoir comment ce modèle peut redéfinir les conditions d’une nouvelle urbanité à travers le prisme de sa reconquête actuelle. C’est pourquoi nous décidons de travailler avec pour contrepoint, la place Jaude qui elle aussi correspond à une place publique, espace de passage, à la limite de la forme urbis. Il a fallu alors dans un premier temps, énoncer, des qualités, caractères qui permettent de construire la ville et qui répondent à ses enjeux. La pertinence de la notion d’urbanité pose la problématique de son utilisation. C’est pourquoi nous préférons parler de qualités dites « leviers de l’urbanité contemporaine ». Cette caractérisation est déterminée à la suite de lecture de documents, conférences ou autres types d’ouvrages sur les fondements de l’urbanité. Il en ressort six : des métriques 7 pédestres importants (c’est-à-dire une marchabilité forte accompagnée de dispositifs de transports en communs utilisés à bon escient), un bon équilibre de densité (entre densité bâtie et espaces de flânerie : ville dense, avec des espaces ouverts pour tous), un partage de la voirie équitable entre les différentes mobilités, une mixité sociale forte (appropriation de l’espace, acceptation de l’étranger), une mixité fonctionelle diversifiée, et l’hospitalité de l’espace public (qualité du mobilier, capacité d’appropriation). Au cours de nos lectures, nous avons identifié trois fondements à l’urbanité contemporaine : « l’urbanité et la citoyenneté » 8 (par O. Mongin), « l’urbanité et la mobilité » 9 (par J. Lévy), « l’urbanité et l’hospitalité » 10 (par Anne Gotman). Il apparait alors indispensable de comprendre, après analyse effectuée, si ces qualités répondent à ces trois enjeux. Nous verrons au cours de cet ouvrage que malgré leur configuration similaire de morphologie urbaine, de place publique, de types d’urbanité, qu’il n’existe pas un modèle de ville à suivre. D’une part, le modèle de société, inscrit dans la mémoire et la culture, contribue largement à la formation d’un type d’urbanité. D’autre part, aujourd’hui, l’urbanité semble être largement influencée par les mobilités que la ville choisit, l’un des trois enjeux énoncé plus précédemment. La ville et sa réinvention semblent demander une attention plus large que celle de l’espace public. En faisant l’hypothèse que la mobilité est l’un des fondements les plus importants de l’urbanité contemporaine, il paraît alors légitime de comprendre comment l’architecte peut s’emparer de cette question contemporaine. Il s’agit alors dans ce dernier temps de comprendre comment les politiques urbaines et l’architecte peuvent répondre de cette question.
PREMIERS REGARDS
LA MÉTRIQUE : La métrique est un mode de mesure et de traitement de la distance entre des unités spatiales (J. Lévy, 2013, Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés). 7
MONGIN O. 2005. La condition urbaine, la ville à l’heure de la mondialisation 8
LÉVY J. 05 janv. 2006. Conférence : « Quelle mobilité pour quelle urbanité ? » 9
FORET C. 01 mars 2010. Urbanité : une manière de faire société mise à l’épreuve par la fragmentation urbaine. Grand Lyon. Millénaire 3 10
Entretien avec A. GOTMAN
« Dans un âge où la politesse n’est plus ni innée ni enseignée, le seul éducateur, et combien puissant, reste la dignité du décor urbain, la courtoisie des belles places, l’aménité des routes, le bon ton des monuments, et la vie dans l’agglomération urbaine doit faire naître chez ses habitants ce respect d’autrui et de soi-même qui s’appelle d’ailleurs, à juste titre, l’urbanité » Jean Giraudoux, « Discours prononcé le 22 septembre 1941 dans le cadre de la XVe foire-exposition de Marseille »
UN PROFOND DÉSIR D’URBANITÉ MIS À L’ÉPREUVE PAR LA FRAGMENTATION URBAINE Une urbanité mise à l’épreuve ................................................................
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La notion d’urbanité, une notion historique, complexe et floue ............. Perdition, persistances et réinventions dans le temps ............................. Urbanités plurielles et factices .................................................................
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Le processus de reconquête des espaces publics : la «markétisation» de l’espace urbain ....................................................................................
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Un retour qualitatif au piéton, mais à quel prix ? ....................................
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La condition urbaine française : l’acteur public et la valeur d’usage face à l’acteur privé et la valeur d’échange ......................................................
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L’Ailleurs italien, entre place réversible et urbanité subsistante..............
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Histoire d’une place publique comme palimpseste ....................... Une condition urbaine généralisée, l’espace public en crise .........
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Retrouver un espace pour tous ................................................................ L’exemple Parisien, le lieu icône comme bien de consommation.............
PARTIE 1
L’Urbanité, toujours plus populaire. L’urbanité n’est pas un néologisme permettant de vendre les projets des promoteurs immobiliers. Bien au contraire, cette notion apparaît dès l’antiquité en tant que caractère propre de la ville. Elle connaît de nombreuses réinventions dans le temps : après avoir disparu de la littérature scientifique, elle réapparait au XVIIième siècle à l’ère des lumières. Aujourd’hui, la notion d’urbanité n’apparait plus comme absolue, mais à tendance à se décliner en gradients traduisant des urbanités au sens pluriel (Jacques Lévy & Michel Lussault). Les dernières décennies, marquées par des politiques très orientées vers la problématique des transports, sont le reflet d’une urbanisation en secteurs où les liaisons entre ces espaces ont été trop peu pensées mettant à l’écart les interactions entre les citadins, critère principal à l’urbanité. On parle aujourd’hui de fragmentation urbaine : une ville controversée, se développant en archipels et polarités, changeant nos pratiques. Les rues et faubourgs, lieux d’interactions humaines et porteurs d’urbanité, se sont transformés en autoroutes et boulevards laissant place à l’automobile grouillant dans nos centres urbains. La place, lieu de rassemblement politique, s’est transformée en terrain de passage laissant place à des relations toujours plus numériques. Elle accueille le temps d’un instant, un rassemblement festif créant quelques relations sociales au sein de groupes ethniques déjà formés. Ces nouvelles formes urbaines mettent la définition de l’urbanité à l’épreuve. Elles ne permettent pas de re-créer un tissu social cohérent, comme l’a montré d’ailleurs Henri Lefebvre il y a plus de 30 ans : « L’urbanisme n’a pas accédé au statut d’une pensée de la ville […] Il n’a su produire qu’une conception étroitement instrumentaliste de l’urbain. Pour les Grecs, la cité est un instrument d’organisation politique et militaire. Elle devint au Moyen Âge un cadre religieux, pour accéder par la suite au statut de reproduction de la force de travail, avec l’arrivée de la bourgeoisie industrielle. Seuls, jusqu’ici, les poètes ont compris la ville en tant que demeure de l’Homme » 11. L’urbanité au sens absolu, c’est-à-dire au sens strict de l’acceptation du terme, telle qu’elle existait encore il y a deux siècles, semble avoir quasi disparue, et pourtant, on observe aujourd’hui une nouvelle image de cette dernière qui se décline sous
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diverses formes. L’Homme semble nostalgique de cette urbanité ancienne à laquelle on associe flânerie et bien-être en ville. Le désir est profond. Exprimée alors sous un angle populaire, dans les nombreux programmes d’aménagements urbains où l’on nous vend les espaces publics en les affublant du nom « d’agora », l’urbanité semble plus artificielle que jamais. La pertinence de celle-ci fait débat. Cette première partie aborde le sujet mettant en confrontation un point de vue théorique de l’urbanité et sa mise en pratique dans les processus de reconquête des espaces publics. Il s’agit alors d’étudier la condition urbaine française pour ensuite la confronter à celle de Parme afin de savoir si les modes de productions de l’espace public sont si différents de l’autre côté de notre frontière.
EL YAMANI M. 1995. De ma ville à notre ville : les enjeux d’une urbanité plurielle. Théologiques, 3(1), 43 - 60. Erudit 11
Citation H. LEFEBVRE
1.1. UNE URBANITÉ MISE À L’ÉPREUVE
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Nombreuses sont les personnes qui pensent l’urbanité comme une invention récente de sociologues, de géographes ou encore d’anthropologues lorsque l’on observe sa présence systématique au cœur des débats autour du développement urbain depuis quelques décennies. L’Urbanité est complexe, ambiguë ; il s’agit alors de mieux comprendre ce concept, de lui faire perdre cette connotation de mot valise.
La notion d’urbanité, une notion historique, complexe et floue Le mot urbanité vient du latin urbs, qui désignait dans l’antiquité romaine sa capitale Rome comme « ville d’entre toutes les villes ». Il est emprunté au dérivé latin urbanitas, qui signifiait « cette politesse d’esprit de langage et de manières attachées spécialement à la ville de Rome » (Encyclopédie. Dictionnaire raisonné des sciences des arts et des métiers. 1751 – 1772). Actuellement, le Robert définit l’urbanité de la manière suivante : « désigne les relations entre les habitants d’une ville et par extension le caractère des habitants des villes » 12. Le mot est régulièrement utilisé dans la littérature scientifique pour montrer une manière spécifique de faire société : soit une forme de sociabilité. L’Urbanité est donc largement associée à la manière dont on fabrique la ville et ce savoir vivre ensemble. Un savoir vivre ensemble qui semble disparaitre, lorsque l’on observe les fragmentations socio-spatiales dans nos villes. Les politiques planificatrices françaises de la seconde moitié du dernier siècle ont mis à l’écart les classes populaires des centres villes pour laisser l’élite au cœur de ces derniers. Et ces politiques n’ont pas changé en 40 ans si l’on regarde les processus de gentrification à l’œuvre dans la plupart des nouvelles métropoles française. Néanmoins, n’abordons pas cette notion d’urbanité avec fatalisme. Il convient de se détacher de cette vision marxiste et revenons-en à la genèse du mot. Depuis l’antiquité, le mot urbanité est utilisé par divers auteurs de manière à indiquer :
COLLECTIF. 28 juin 2018. Robert de la Langue française. 2880 p. 12
- L’intensification des échanges provoquée par la concentration d’Hommes en un même lieu, soit la densité d’une population ; - L’hétérogénéité de la population rassemblée en ce lieu.
13 FORET C. 01 mars 2010. Urbanité : une manière de faire société mise à l’épreuve par la fragmentation urbaine. Grand Lyon. Millénaire 3
Lewis Mumford cite un rhéteur antique dans son ouvrage «La Cité à travers l’Histoire» à propos de la civilisation commerciale dans la formation des villes
Naturellement, la notion d’urbanité apparait comme intrinsèquement liée à la civilisation commerciale. Toutes les villes anciennes n’ont pas été à dominante commerciale bien évidemment ; néanmoins, l’apport de cette civilisation aux villes anciennes a induit le citadin à accepter l’autre (l’étranger pour son commerce), et semble avoir joué un rôle décisif dans ce type de sociabilité qu’on appelle urbanité. La fonction commerciale, favorise les échanges et est à l’origine de nombreuses cités. A ce propos, Lewis Mumford cite dans son ouvrage « La cité à travers l’Histoire », le rhéteur Libanios (360 ap J.-C.) 13 :
« … On remarque en parcourant ces rues, les longues séries d’habitations particulières où, de temps à autre, s’intercalent des édifices publics : ici, un temple, plus loin un établissement de bains que fréquentent les habitants de tout un quartier et dont la façade se trouve dans cet alignement de colonnades. Mais direz-vous, pourquoi une aussi longue description ? Voyons l’un des plus vifs agréments de la vie citadine, et dont nous pouvons tirer le plus grand profit, ne le trouvons pas dans les possibilités de rapports humains divers et multiples, et, par Zeus, voilà par excellence une cité faite pour nous les procurer. » Cit. Rhéteur Libanios dans « La cité à travers l’Histoire », p. 275.
EL YAMANI M. 1995. De ma ville à notre ville : les enjeux d’une urbanité plurielle. Théologiques, 3(1), 43 - 60. Erudit 14
L’auteur cite H. LEFEBVRE
L’urbanité désigne : un savoir vivre ensemble, une manière de fabriquer la ville ensemble. Qui dit hétérogénéité de population dit aussi diversité de population. Le cosmopolitisme apparait alors naturellement comme autre critère propre à l’urbanité. A ce propos, nous ne pouvons que convoquer les mots de Louis Wirth : sociologue de l’École de Chicago, qui définit la ville comme « un melting pot de races de peuples et de culture ». Richard Senett, sociologue, lui aussi américain, affirme que la figure du cosmopolite est associée à la notion d’urbanité en affirmant que l’urbanité se fait lorsque la ville est le lieu de constitution d’un « public urbain diversifié ». Plus récemment, le domaine de la théologie s’intéresse lui aussi aux fondements de l’urbanité contemporaine à travers les comportements des citadins et l’acceptation de l’étranger dans la ville. Myriam El Yamani observe dans nos villes un déni de « l’autre », des pratiques d’évitement, une « invisibilité de l’étranger ». A ce propos, Henri Lefebvre écrit : « le citoyen et le citadin ont été dissociés. Être citoyen, cela voulait dire séjourner longuement sur un territoire. Or, dans la ville moderne, le citadin est en mouvement perpétuel. Il y circule. S’il se fixe, bientôt il se déprend du lieu ou cherche à s’en déprendre. [...] Le citadin et le citoyen doivent se rencontrer sans pour autant se confondre. Le droit à la ville n’implique rien de moins qu’une conception révolutionnaire de la citoyenneté » 14. Les fondements de l’urbanité contemporaine semblent être alors en partie définis par ce cosmopolitisme où l’espace public doit négocier entre « gens du pays » et « gens d’ailleurs » comme dirait le poète Gilles Vigneault. En revanche, au vu d’une ville contemporaine toujours plus exclusive où l’étranger est rejeté sans cesse, est-il encore possible de fabriquer l’urbanité dans nos villes démesurées ? La vie publique semble se dérouler dans des espaces toujours plus fermés entre seulement certains groupes d’individus de la société. L’urbanité en tant que notion absolue, c’est-à-dire notion faisant caractéristique de la ville et de PARTIE 1
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sa société, se révèle alors en perdition. Les scientifiques d’aujourd’hui s’emparent du mot, le remanie, pour le réinventer et l’adapter à de nouvelles situations.
Perditions, persistances, et réinventions dans le temps Au début du XIXième siècle, seulement 3% de la population est dite urbanisée. Aujourd’hui, on compte plus de la moitié de la population mondiale vivant dans des aires urbaines : en 2017, selon le World Factbook, 54,9% de cette population est urbaine. Ce phénomène concerne tous les états du monde, non pas seulement le Nord. Les villes ont connu une explosion de leur croissance urbaine dès le début du XXième siècle. Ces croissances urbaines sont révélatrices d’un urbanisme souvent non maîtrisé produisant des effets sur les sociétés souvent inattendus comme l’a montré l’ère moderne avec le développement de périphéries souvent absurdes. Ce changement d’échelle spatiale des villes a posé et pose encore aujourd’hui un certain nombre de questions, d’autant plus que ce changement apparait dans les nombreux cas irréversible. Pour reprendre cette métaphore des sciences environnementales, l’urbain compacte du XIXième siècle s’est phagocyté en archipels : pour cause, un mouvement anti-urbain prôné par l’ère moderne. Cette nouvelle ville du XXIième siècle, souvent fragmentée en pôles d’activités, met à l’épreuve l’urbanité au sens propre du terme.
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Dans cette nouvelle entité urbaine, où l’urbanité au sens absolu - c’est-à-dire l’urbanité comme un modèle, notion - semble en perdition, il convient alors de la remodeler et lui donner de nouveaux sens. C’est en partie pour cela que l’urbanité a refait surface dans les débats contemporains, puisqu’on ne parle plus d’urbanité au singulier mais d’urbanités au sens pluriel (Fig. 2 - Du sens singulier au sens pluriel). Même si Jacques Lévy et Michel Lussault, géographes, font apparaître ce concept de gradients d’urbanités où l’urbanité apparait alors comme relative, il est définit bien plus tôt par un anthropologue suédois. Ulf Hannerz écrit en 1983, dans son ouvrage « explorer la ville » : « Il y a différentes sortes de villes ; chacune d’elle abrite plusieurs sortes d’habitants et chacun d’eux entretient différentes sortes de relations […] Ce qu’il faudrait admettre et analyser plus attentivement, dans les relations sociales en ville, c’est leur capacité à varier […] A mi-chemin des traditions spécifiques de régions culturelles, et de l’idée de Ville, on peut sans doute chercher des types d’urbanités élargis ». Ulf Hannerz dans « Explorer la ville », 1983, p. 105 15 Ainsi, l’urbanité semble se décliner au sens pluriel selon le paysage et les pratiques urbaines. L’urbanité apparait alors comme « l’essence d’une ville ». La définition, antique, proposée précédemment de l’urbanité en tant que notion absolue faisait appel au caractère de la ville. Cette urbanité décomposée en gradients d’urbanités correspond elle aussi au caractère d’une ville, d’une enclave socio-spatiale. Par opposition, ruralité fait caractère de l’espace rural. Par référence à ce temps antique, l’urbanité devient une qualité ultime de la ville. On observe alors différentes urbanités qui permettent de comprendre les différents caractères d’un espace. Par exemple, Augustin Berque, géographe, grand passionné des villes japonaises définit un type d’urbanité pour l’espace architectural japonais. Jérôme Boissonade, sociologue, lui définit une urbanité de confrontation pour les espaces intermédiaires PARTIE 1
FORET C. 01 mars 2010. Urbanité : une manière de faire société mise à l’épreuve par la fragmentation urbaine. Grand Lyon. Millénaire 3 15
Citation d’Ulf Hannerz sur l’essence de la ville et l’urbanité qui se décline en gradients.
URBANITÉ AU SENS SINGULIER
Désigne la no�on dans son caractère le plus absolu
Perdi�on de l’urbanité lié à un changement de ville, de modèle de société
URBANITÉ AU SENS PLURIEL
Désigne la no�on en gradients d’urbanités pour qualifier le caractère d’une emprise socio-spa�ale
Urbanités priva�ves
Urbanités citadines
RECONQUÊTE DE LA VILLE
Des tenta�ves de nouveaux modes de fabrica�ons des espaces publics face à la condi�on urbaine globalisée (contexte de mondialisa�on)
[2]
Fig. 2 - Du sens singulier au sens pluriel Évolution de l’urbanité © Nicolas Mathevon dans les cités banlieues. Certains sociologues vont même jusqu’à parler d’urbanités privatives opposant celles citadines. Cela apparait très paradoxal, l’urbanité au sens pluriel devient valise, et va même jusqu’à l’encontre de la définition initiale du mot : une hétérogénéité et la densité d’une population pratiquant l’échange social. Malgré cette déclinaison, l’Homme reste très nostalgique d’un temps où les rapports sociaux foisonnaient en ville et cherche sans cesse à retrouver une urbanité au sens bien singulier.
Urbanités plurielles et factices Cette déclinaison interroge sur la pertinence de cette notion : ne souhaitons pas seulement la garder dans les dictionnaires scientifiques car elle fait le sens de la ville ? L’urbanité est en souffrance, fragilisée, mais est-ce vraiment seulement la conséquence d’un urbanisme mal pensé du siècle dernier ? Le modèle de société n’a-t-il pas évolué vers un modèle où l’amélioration des conditions de logements, de travail, qui nous permettent de tout faire depuis chez soi où l’on prône tristement la vie dans le canapé ? Pour certains auteurs, comme Henri Mendras, la fragmentation urbaine aurait signé la mort de l’urbanité et nous ne serions pas arrivés « à construire un nouveau PARTIE 1
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savoir vivre ensemble » 16. Selon lui, anthropologiquement parlant, la ville n’existerait plus. Fort heureusement, l’Homme de nos jours, n’est pas à ce point pessimiste. Toujours en quête d’urbanité, et nostalgique d’un temps où celle-ci était plus que présente, il cherche à recréer des rapports sociaux dans la ville au travers de projets d’aménagements divers et variés. La fabrique de celle-ci est devenue durant les deux dernières décennies, un enjeu majeur pour les collectivités comme le montre certains grands projets : l’île de Nantes, le Grand Paris, etc. A ce propos, Thomas Sieverts estime nécessaire de différencier l’urbanité ancienne (dont est nostalgique l’Homme) de celle chimiquement pure 17 produite par les divers concepteurs et aménageurs. Cette urbanité énoncée précédemment est très problématique car elle se fait indépendamment des citoyens : elle ne se produit pas d’elle-même. C’est le grand paradoxe que pose la reconquête de la ville au travers d’espaces publics souvent icônes et idéalisés. L’urbanité doit pouvoir trouver un nouveau sens sans pour autant oublier sa définition initiale.
FORET C. 01 mars 2010. Urbanité : une manière de faire société mise à l’épreuve par la fragmentation urbaine. Grand Lyon. Millénaire 3 16
Henri Mendras sur la fragmentation urbaine et l’urbanité dans La France que je vois, 2002 17
Ibid
Thomas Sieverts sur les nouvelles urbanités.
1.2. LE PROCESSUS DE RECONQUÊTE DES ESPACES PUBLICS : LA MARKÉTISATION DE L’ESPACE URBAIN
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Reconquérir la ville ou plutôt reconquérir l’espace public est un processus urbain récent. Il s’inscrit dans la discipline du renouvellement urbain mais dans une perspective nouvelle : celle de trouver de nouveaux modes de fabrication lié à la « réinvention » : un mode de construire l’espace public qui passe par la concertation, la co-conception entre acteurs privés et publics. Afin de mieux comprendre sa genèse, il faut remonter un peu le temps dans l’histoire de la ville et revenir aux prémices d’un urbanisme au modèle progressiste.
Retrouver un espace pour tous La seconde moitié du XIXième siècle est marquée par la volonté, le besoin d’agrandir la ville dans des perspectives d’hygiène, de développement des espaces publics, d’une meilleure gestion des flux, d’une mise en relation des espaces de la ville à l’échelle territoriale. Si le baron Georges Haussman (préfet de la Seine sous le Second Empire) apparait comme l’incontestable précurseur de ce modèle d’urbanisme à grande échelle, Ildefonso Cerda est le premier à théoriser un urbanisme d’extension de la ville lors de la mise en place du plan iconique en grille de Barcelone en 1858 prônant une ville aux espaces « homogènes pour éviter toute ségrégation, facilitant les relations sociales au travers d’une circulation aisée » 18. Haussmann, lui n’a jamais souhaité théoriser son action sur Paris, mais son apport pour les urbanistes modernes, qualifiés souvent de progressistes, est immense. Bien que l’urbanisme progressiste puise ses racines dans ces démarches rationnelles, il se détache assez rapidement de ces modèles lors de l’époque architecturale moderne au début du XXième siècle. Il devient dominant à partir des années 1920, après la Première Guerre Mondiale. Très vite, il apparait légitime pour les grands architectes européens faisant partie du mouvement moderne de se regrouPARTIE 1
MERLIN P. 2013. Urbanisme. Presses Universitaires de France. Collections Que Sais-Je ? 18
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Ibid
per au sein d’une structure afin de développer des idées communes sur un nouveau modèle d’urbanisme et d’architecture. Les Congrès internationaux d’Architecture Moderne (CIAM), fondés en 1928, ont servi d’instrument à ce regroupement. On y retrouve les grandes figures iconiques du mouvement moderne comme Mies Van der Rohe, Walter Gropius, Gerrit Rietveld, Charles-Edouard Jeanneret connu sous le nom du Corbusier ou encore Lucio Costa, urbaniste de Brasilia. Ces congrès sont théorisés en 1933 dans la Charte d’Athènes, qui sera réinterprété 10 ans plus tard sous les directives de Le Corbusier. Très vite, le mouvement devient international et la plupart des grandes villes du monde que l’on connait aujourd’hui vont se développer sous l’influence de ce modèle urbanistique prônant une ville fonctionnelle, rationnelle et sectorisée en pôles de fonctions. On parle alors d’urbanisme progressiste lié à un modèle qui se veut rationnel et fonctionnel, lié au progrès (naissance de grandes écoles d’Architecture comme le Bauhaus) où les enjeux principaux sont « habiter, travailler, circuler, se cultiver » 19. La théorie de ce modèle va parfois jusqu’à nier la culture, la mémoire d’un espace, les interactions entre les citadins. Ce mouvement reflète un modèle de société qui a complètement changé de visage en l’espace d’une cinquantaine d’année : une société où aller plus vite et consommer furent les deux points cruciaux. L’urbanisme du XXième siècle n’est pas ce qu’il croit être : alors qu’il semble vouloir apporter une réponse à des problèmes nouveaux – ville productive, demande de logements en quantité, etc – il apporte de nouveaux problèmes. La ville ne semble plus s’exprimer sous ses convictions politiques et pratiques sociales mais telle une entité spatiale que l’on peut définir par urbain. Les villes que l’on observe aujourd’hui sont souvent la résultante de ce modèle progressiste. Les années 1960 correspondent au moment de la mise en place de planification urbaine affirmant la puissance étatique. Entre triomphe de la banlieue pavillonnaire, et constructions de grands ensembles au coup par coup en périphérie, l’Etat dessine la « ville nouvelle » autour de pôles urbains accentuant les fragmentations sociales et urbaines. L’urbanisme va longtemps suivre ce modèle : une ville se développant en pôles urbains où les liaisons entre ces espaces ne servent qu’à la circulation. Dans une ville où la vitesse demeure toujours plus primordiale, où l’urbain se décline sous des formes toujours plus diverses, l’usage de la voiture semble intrinsèquement fondamental à ce modèle. La voiture a gagné nos centres urbains. On finit par détester nos villes, en regrettant ce temps de la ville marchable du XIXième siècle qui elle rêvait d’un progrès toujours plus grandissant. En réaction à cette période d’hégémonie automobile des années 1950, les politiques d’aménagements, tentent de redonner plus de place aux piétons en villes depuis les années 1980.
DELARC M. 20 janvier 2016. Quelle prise en compte des «usages» dans la conception des espaces publics urbains ? Le cas de la place de la République. Métropolitiques.
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La ville subit depuis trop longtemps la pression de la voiture. Par reconquête de l’espace public, les politiques publiques d’aménagement entendent « que le piéton doit pouvoir reprendre ses droits sur la voiture dans le partage de l’espace public » 20. Elle s’inscrit dans la discipline du renouvellement urbain ou du « recupero urbano » (littéralement récupération urbaine) en Italie. Elle se construit par des étapes bien précises dans le temps, et les interventions sont dans la plupart des cas, locales, à l’échelle du quartier afin de revaloriser un fragment de ville. Ces politiques de reconquête sont nostalgiques d’un temps où les pratiques urbaines et sociales étaient essentiellement liée à ville marchable : en effet, la marche à pied est bien le mode de mobilité permettant le plus d’interactions entre les citoyens et citadins. Elles tentent – les politiques – de retrouver l’urbanité de ce temps au travers de nouveaux modes de fabrications, alliant la co-conception entre acteurs privés et PARTIE 1
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acteurs publics. Elles essaient tant bien que mal de donner une place au citadin pour qu’il puisse dessiner sa ville, penser sa vie de quartier, s’approprier l’espace public, mais n’est-ce pas un peu tard pour penser à cela quand l’automobile s’est déjà bien installé dans nos centres urbains. Et pourtant, nombreux sont les scientifiques ayant dénoncé ces politiques de villes, et non depuis les années 1980 (premières prise de conscience du piéton dans la ville). Henri Lefebvre, défendait déjà la place de l’usager dans la conception de l’espace public dans son ouvrage « Le droit à la ville » : « Que la réalité urbaine soit destinée aux usagers et non point aux spéculateurs, aux promoteurs capitalistes » 21. Une vision très engagée politiquement, mais juste. Il aura fallu attendre plus de 30 ans avant que l’on voit la participation prendre place dans les projets urbains et cela reste souvent loin des objectifs annoncés. Cette reconquête de la ville pose alors plus largement trois questions : à qui appartient l’espace public ? Pour qui aménage-t-on l’espace public ? Ainsi, cette reconquête permet-elle réellement la production d’un nouveau caractère urbain diversifié et hétérogène, c’est-à-dire fabrique-t-elle une nouvelle urbanité ?
L’exemple Parisien, le lieu icône comme bien de consommation
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La ville de Paris fait figure de pionnière dans cette perspective de reconquête de la ville au travers de l’espace public. Ces nombreux projets très médiatisés comme « Réinventons nos places » ou « Paris plages » mettent à l’œuvre de nouvelles manières de conception de l’espace public, en proposant des projets dits « innovants » et en « rupture ». Ces projets s’inscrivent dans un modèle d’urbanisme de processus et de gestion souvent paradoxaux.
ÉTUDE DE CAS RÉINVENTONS NOS PLACES, 2015 UN PROJET LOIN DE SES OBJECTIFS ANNONCÉS
Le projet Réinventons nos places est un projet initié dans le programme d’Anne Hidalgo en 2015. Depuis les années 1970, les politiques d’aménagements urbains restent très timides dans la capitale française : sous le mandat de Jacques Chirac, quelques espaces publics emblématiques sont requalifiés à grande échelle. En 1996, Jean Tiberi, cherche à donner plus de places aux circulations douces ; mais c’est Bertrand Delanoë qui approfondira réellement cette politique de la ville marchable en étendant les zones 30 et en créant des espaces civilisés. Il faut attendre 2008, année où les politiques d’aménagements prennent un tournant radical dans la ville suite au réaménagement de la place de la République : l’idée est alors de désengorger les grandes places du XVIIième siècle de l’automobile en s’inspirant du travail réalisé sur la place République mené par l’agence TVK. Le projet concerne alors sept places emblématiques : Bastille, Nation, Panthéon, Italie, Gambetta, Ma-
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LEFEBVRE H. 1968. Le droit à la ville. Economica. 3e Edition. 21
Chapitre 13 : Perspective et prospective
22 Site internet du projet Réinventons nos places.
https://www.paris. fr/services-et-infospratiques/urbanismeet-architecture/ projets-urbainset-architecturaux/ reinventons-nosplaces-2540 Extrait de la note d’Anne Hidalgo, à l’attention de Jean-Louis Missika
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24 FLEURY A. WUEST L. 18 mars 2016. Vers de nouveaux modes de production des espaces publics à Paris ? réflexions à partir du projet ‘‘Réinventons nos places’’. Métropolitiques.
25 PRADEL B. 10 juillet 2013. Sous les pavés, Paris Plages. Métropolitiques.
deleine, Fêtes. Les objectifs sont les suivants comme énoncés sur le site internet 22 du projet : « désencombrer les places, donner plus d’espace pour des usages diversifiés ; Faciliter les cheminements cyclistes et piétons ; Favoriser l’accès aux transports commun et l’intermodalité ; Végétaliser les places en créant des espaces verts conviviaux ; Mettre en valeur l’architecture et l’histoire des places ; Faciliter le sport, les activités culturelles et artistiques »… La concertation semble être le point principal de la production d’un nouvel espace public permettant de « fabriquer la ville ensemble » 23 en collectif grâce à divers « diagnostics partagés et marches commentés ». L’idée est de remplacer le « placemaking », par un « placekeeping » soit transformer la place dans un temps long avec des usages plus réversibles en rapport avec l’évolution des modes de vie. Le budget est très réduit : 30 millions d’euros pour toutes les places confondues soit le budget de la place République à elle seule en 2013. Il s’agit alors de ne pas faire d’appel à concours, sans reconfiguration lourde. On fait alors appel à plusieurs acteurs : la direction des voiries et des déplacements (DVD) travaille en collaboration avec la direction des espaces verts et de l’environnement (DEVE). D’un autre côté, un comité s’occupe de coordonner et d’arbitrer les différents programmes des projets avec la collaboration de l’APUR (Atelier Parisien d’Urbanisme). Outre cette co-conception en interne, les citadins, riverains, usagers des places sont aussi invités au débat au travers du collectif BazarUrbain où sont proposées activités culturelles, partages, discussions liées au projet de la place. Néanmoins, on remarque un large manque de transparence sur les propos des citadins lorsque l’on se rend sur le site internet du projet. A ce propos, Antoine Fleury écrit dans un article pour Métropolitiques : « les ateliers participatifs sont peu nombreux et suivent des thématiques très larges […] leurs processus de développement et de concertation mis en œuvre jusqu’à aujourd’hui restent encore loin de leurs objectifs annoncés » 24. Paris Plages, autre projet de la municipalité, s’inscrit lui aussi dans ce processus de reconquête de la ville au travers de l’espace publique. Ce projet, transforme chaque été le boulevard Georges Pompidou en côte d’Azur durant plusieurs jours. Depuis 2013, ce projet s’agrandit et offre à la population de Paris des vacances dans une mise en scène quasi théâtrale : Benjamin Pradel, qualifie cet aménagement d’une « mise en scène balnéaire ». La mise en scène en contrebas, sur les berges de la Seine, offre un dépaysement incroyable où la volonté principale semble correspondre à se couper du chaos urbain. Au-delà de l’évènement, l’objectif est aussi d’amorcer des projets d’aménagements afin d’articuler la ville à la Seine afin de retrouver cette qualité de vie urbaine à connotation agréable, flânerie. Paris Plages permet alors de fabriquer la ville autrement, au travers de l’événement temporaire, créant des urbanités aussi « festive que factice » 25 : des urbanités chimiquement pures comme dirait Thomas Sieverts. On retrouve ici aussi cette volonté de fabriquer de nouveaux usages réversibles de la ville en proposant sur un lieu non adapté, une nouvelle fonction, un nouvel usage presque factice. La question de l’événement dans la reconquête de la ville pose alors la question suivante : permet-elle de faire caractère de la ville ou celui-ci est-il seulement destiné à se faire dans un temps long ? Ces nouvelles manières de fabriquer la ville sont souvent très loin de leurs objectifs annoncés : la part des débats participatifs (avec les citadins) reste très moindre et doit toujours faire face à la prévalence des acteurs privés (promoteurs immobiliers). L’espace public, appartenant à tous, usagers, collectivités, est souvent vendu aux spéculateurs qui prônent une valeur d’échange et qui accentuent les fractures sociales au sein des centres villes. Cette commercialisation de l’espace PARTIE 1
30
public est dénoncée par Bernard Landau (architecte dans les services d’urbanisme de Paris pendant près de 30 ans) et d’autres architectes dans une tribune publiée par Libération le 7 février 2018 : « La Seine n’est pas à vendre ». Ils dénoncent le projet mené par la Mairie de Paris consistant en la construction de 3 passerelles sur la Seine qui ne s’inscrivent pas dans les règlements des PLU de la ville : un projet carte postale pour les JO qui se dérouleront en 2024 dans la capitale. D’une part, ils insistent sur le fait que la ville de Paris n’a absolument pas besoin de franchissements supplémentaires 26 – étant donné que la ville fait déjà figure d’exemple avec un franchissement tous les 500 mètres –, mais aussi que ces projets sont réalisés sous la pression des acteurs privés : des ponts habités avec des immeubles de 7 étages bardés de végétation grimpante, de bureaux, de commerces et de logements privés. Malgré cette décision courageuse de reconquête, cela pose la question de la privatisation « d’une des plus belles avenues de la ville : la Seine » et de la valeur d’usage dans les projets qui semble toujours plus liée à des pratiques de consommation sur les berges du fleuve. Bernard Landau nous dit à ce sujet dans un entretien : « Je pense qu’en terme culturel, Paris rayonne énormément dans le monde ; si les seules choses qu’on a à vendre sur le plan culturel, c’est d’aller prendre un Moka ou un café pour montrer qu’on a un pont habité sur la Seine, je trouve qu’on est un peu en deçà de ce que historiquement Paris porte » 27. Ces manières de fabriquer la ville semble toujours plus tournées vers la consommation où l’usage, primordial dans la définition de ces aménagements, apparait toujours plus ludique et destiné à une classe de population. Mais qu’en est-il de l’aménagement urbain dans les nouvelles métropoles françaises et plus particulièrement celles dans un ordre d’échelle refletant Clermont-Ferrand ?
31 Un retour qualitatif au piéton dans les nouvelles métropoles mais à quel prix ? Il parait légitime de se détacher de l’exemple Parisien, qui peut parfois nous perdre dans la lecture de processus de reconquête de l’espace public. Malgré les belles et courageuses tentatives de Paris à trouver de nouveaux modes de fabrications de l’espace public mais souvent peu abouties, je pense notamment à quelques reconquêtes urbaines réussies dans nos nouvelles métropoles françaises. La première reconquête que l’on peut citer est celle de l’aménagement des berges du Rhône : projet lancé à la fin des années 1990, aboutît en 2006. Les berges, porteuses de parkings à pertes de vues, se sont transformée en une longue voie verte rendant un nouvel espace au public proche de l’eau offrant des qualités de vies urbaines agréables. Néanmoins, les usages apparaissent une fois de plus encore ludiques et les péniches accueillant moments de fêtes une fois le soleil couché, montrent des usages toujours plus tournés vers la consommation. Autre projet, plus petit mais très intéressant dans son processus de reconquête est celui de l’agence Obras mené sur la place Saint Michel à Bordeaux. Les architectes ont su nous révéler l’histoire d’un quartier, et la mettre en valeur au travers d’un sol libre laissant place à des usages multiples et variés et non-définis. Le travail du nivellement est mené de manière extrêmement fine et permet ainsi l’accessibilité de tous à la place (critère principal de l’urbanité dans l’hétérogénéité de la population). Ici aussi, on observe ce retour à la voie piétonne où l’on prend le temps de pratiquer l’espace. Néanmoins, ce genre de projet coute extrêmement cher aux collectivités publiques : le projet de la place Saint Michel à Bordeaux a coûté près de 12 Millions d’Euros. L’architecte peut alors « se détacher de la valeur d’échange pour construire PARTIE 1
Tribune publiée dans le Libération du 7 février 2018 26
Entretien pour Regards.fr 27
La midinale. 05 mars 2018
LEFEBVRE H. 1968. Le droit à la ville. Economica. 3e Edition. 28
une œuvre urbaine laissant place à une véritable valeur d’usage » 28. La reconquête de la place Jaude apparait aussi comme une belle réussite en 2003. Le travail d’un sol uniforme où les nivellements sont extrêmement bien travaillés, confère à la place ce rôle de véritable centralité au cœur de la nouvelle métropole clermontoise. Néanmoins, une fois de plus ici, le coût de la rénovation n’est pas moindre.
La condition urbaine française : l’acteur public et la valeur d’usage face à l’acteur privé et la valeur d’échange Ces formes d’aménagements s’inscrivant dans ce processus de reconquête de l’espace public visent à redonner plus d’espace au piéton, créer de nouveaux usages récréatifs, réversibles mais elles posent le paradoxe suivant : elles visent à fabriquer la ville ensemble, à partir d’une co-conception, et pourtant les rendus finaux semblent encore exclure d’une part de la population. Ce mouvement prône, la création de nouveaux usages, mais ces derniers semblent toujours tournés vers la consommation. Paris Plages en est l’exemple même : une mise en scène balnéaire propice à la consommation. Ces aménagements s’apparentent de plus en plus à de l’événementiel, proposant des aménagements temporaires liants activités culturelles et artistiques le temps d’une journée, ou d’une semaine.
29 FLEURY A. WUEST L. 18 mars 2016. Vers de nouveaux modes de production des espaces publics à Paris ? réflexions à partir du projet ‘‘Réinventons nos places’’. Métropolitiques.
Citation dans l’article de l’un de ses entretiens
Ces projets sont souvent traités en interne avec les acteurs privés. Il est donc très difficile pour les citadins, les riverains de s’imprégner pleinement du débat. Certes les réunions entre acteurs privés et citadins permettent à une population de définir des idées, ou contester certaines. Néanmoins, ces échanges ont-ils une réelle influence sur un travail en interne ? Un travail qui manque cruellement de transparence lorsque l’on s’approche de plus près : les rapports des réunions entre acteurs privés et publics sont souvent introuvables, si l’on réussit à les obtenir, il est difficile de trouver l’opinion publique sur ces aménagements. Fabriquer la ville ensemble, dans une perspective de fabrique d’urbanité, c’est aussi fabriquer la ville avec un public hétérogène et diversifié et non pas à partir d’un public d’élites. Si l’on s’approche du cas de Paris Plages, malgré un objectif louable et intéressant qui offre de belles perspectives pour l’avenir et un espace de retrait à ceux qui n’en ont pas les moyens, je doute encore que le public soit très diversifié sur les plages du boulevard Georges Pompidou. Le projet s’apparente d’ailleurs plus à une attraction touristique qu’à une nouvelle forme d’aménagement urbain. La reconquête de la ville ne semble pas réussir à atteindre ses objectifs : fabriquer la ville ensemble. Néanmoins elle propose une nouvelle manière de fabriquer la ville en rendant l’espace à l’individu anonyme qui marche en ville. Il y a alors la nécessité de nuancer cet urbanisme de gestion, de processus et de comprendre quelle est la place de l’architecte, de l’anthropologue, du sociologue, ou même de l’historien dans les débats ? Au final, ces nouvelles formes que propose la reconquête de la ville vendant une urbanité nouvelle, ne semblent rien proposer de plus qu’auparavant : « Quand on regarde ces photos, on voit des espaces verts on se dit : ‘’Ah, c’est merveilleux ; c’est un endroit où les gens vont pouvoir aller se promener, se rencontrer’’, et on se rend compte à l’usage que ce n’est absolument pas le cas Difficile pour l’architecte de se frayer un chemin » 29. La reconquête de la ville propose, certes, une nouvelle manière de fabriquer la ville mais à l’égard pour participer du sens absolu de l’urbanité : on ne fabrique pas à ce nouveau la ville ensemble. Elle produit de nouvelles formes « monopoly urbain » d’urbanités que l’on pourrait presque qualifier de PARTIE 1
32
privatives. Néanmoins, il faut aussi accepter le contexte de la crise dans laquelle nous vivons actuellement : les collectivités ont peu d’argent à dépenser dans la conception de nouveaux espaces publics. La conception est donc souvent dirigée par les grands groupes de travaux publics et ce, depuis déjà une bonne décennie : il apparait alors difficile pour l’architecte de se frayer un chemin pour participer à ce nouveau « monopoly urbain ». La tentative de « fabriquer la ville ensemble » ne semble pas fonctionner dans la perspective d’une urbanité contemporaine au sens absolu du terme. Fabriquer la ville, au prisme de la place publique est-elle la solution ? Ne faut-il pas plutôt s’attacher à un des fondements de l’urbanité contemporaine : la mobilité douce ? Nous l’avons observé, et l’on observe encore aujourd’hui : la ville où l’on marche existe, il faut réussir à se détacher de la voiture. Certaines villes nous le montrent, où l’urbanité semble subsister : Parme et sa place singulière la Piazzale della Pace en est l’exemple, elle est porteuse d’une reconquête de son espace public, qu’en est-il de la condition urbaine italienne ?
1.3.
33
L’AILLEURS ITALIEN, ENTRE PLACE RÉVERSIBLE, ET URBANITÉ SUBSISTANTE Alors que la fabrication des espaces publics sur le territoire français semble de plus en plus dépendante des acteurs privés liée à un manque de moyens des collectivités, il parait légitime de comprendre et de savoir ce qu’il en est à l’étranger. Afin de répondre à cette interrogation, nous décidons de convoquer l’expérience de l’ailleurs. Un ailleurs connu, au travers d’un espace spécifique, subissant lui aussi un processus de reconquête. C’est le territoire urbain de Parme, en Emilia Romagna, qui est choisi : un territoire arpenté quotidiennement durant plus de 10 mois au cours de mon année de mobilité. Cette ville est très particulière : 180 000 habitants, un tissu urbain très dense, une périphérie compacte. Le cadre de vie y est très agréable, où l’on prône cette culture de la slow city. Comme la plupart des villes italiennes, elle propose des espaces publics de qualité, souvent dessinés, agréables où les pratiques sociales et urbaines ne sont pas à regretter comme nous l’avons parfois observé précédemment. Parmi tous ces espaces publics, un se démarque des autres pour son intérêt d’étude dans la démarche de ce mémoire : la Piazzale della Pace faisant face au Palais de la Pilotta, témoignage historique d’une richesse du Cinquecento (seizième siècle en italien). La Piazzale della Pace est le résultat de diverses transformations, destructions du tissu urbain au cours du temps. Il parait alors nécessaire, dans un premier temps, de retracer cette évolution du quartier.
Histoire d’une place comme palimpseste La Pilotta, complexe titanesque et austère, en limite de la ville héritée, témoigne d’un temps où le comté de Parme était l’un des plus importants d’ItaPARTIE 1
1588 1618 1944
1813
[3]
2001
BOTTA M. Trad : Je vois dans la situation actuelle de la Pilotta «non finie», une situation très intéressante et suggestive pour le tissu urbain de la ville de Parme.
lie lors de la présence des Ducs de Farnèse au XVIième siècle. L’influence des Farnese, est sans doute l’une des plus importantes pour la ville de Parme. Nombreux sont les lieux, encore dédiés à cette famille. Le point de départ de cet ouvrage architectural correspond à la nécessité de faire lien entre la forteresse voisine au niveau du fleuve – il torrente – et le palais des ducs (autrefois aligné sur l’actuelle Strada Garibaldi en bordure de place). Cet espace résultant de cette nécessité, appelé « il corridore », est construit en 1588. Cet espace, aux dimensions déjà démesurées, donnera l’échelle des futurs ouvrages annexés. Très vite, avec la richesse grandissante, accompagnée d’une puissance du comté au Seicento, il y a le besoin de créer d’agrandir cet espace afin d’y implanter la bibliothèque ainsi qu’une immense galerie d’art dont la famille sera les mécènes. Ces espaces venant s’ajouter en 1618, viendront s’accrocher au tissu urbain comme le montre la figure 3 : Evolution d’un tissu urbain. En 1813, sera ajouté un grand cloître à l’édifice et démolie l’église voisine. En 1944, la ville de Parme connait la Seconde Guerre Mondiale, elle subit de terribles bombardements qui détruisent une grande partie de son patrimoine historique dont le palais des Ducs et les édifices voisins. Cette période marquante de l’histoire, fait naitre, au cœur de la ville, un gigantesque espace vacant, qui inspirera de nombreux architectes tel que Carlo Aynonimo, Guido Canali ou encore Aldo Rossi. Il faut attendre plus 50 années avant qu’un premier projet remette en cause la situation « Riconosco nella de ce vide faisant parking. C’est condizione attuale après 20 ans de dédi non finito della bats urbains que la construction d’une Pilotta une situazione di grande interesse e place démarre sous la directive du suggestione all’interno célèbre architecte dell’attuale tessuto suisse : Mario Boturbano della citta di ta qui travaillera en Parma » partenariat avec les services d’urbanismes de la ville. En 1996, les travaux débute pour laisser place finalement, en 2001, à une grande étendue verte permettant de mettre en Fig. 3 - Évolution du tissu urbain © Nicolas Mathevon PARTIE 1
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valeur les éléments magistraux de la Pilotta à la manière du « Campo dei Miracoli » à Pise. Cette étendue verte est accompagnée d’éléments architecturaux qui retracent l’histoire comme la fontaine annexée au complexe de la Pilotta reprenant la forme de l’ancienne Eglise San Pietro Martire détruire en 1813 sous l’empire de Napoléon. Au milieu de l’étendu, on retrouve un passage permettant d’accentuer le rôle de la Pilotta comme espace pivot dans la ville. Tout comme au XVIIième siècle, cet espace fait figure de représentations. La place a résolu l’un des problèmes urbanistiques les plus importants de la ville : lié le complexe de la Pilotta au centre-ville historique. La place, accompagnée de son complexe, propose aujourd’hui dans le tissu urbain de la ville héritée, un espace perméable permettant la liaison de deux quartiers : celui de l’Oltretorrente où l’on retrouve le parc des Ducs et la ville du XIXième siècle, et celui de la ville historique avec la place du Duomo (Cf. 2.2. Critères de qualités permettant de construire la ville aujourd’hui : les leviers d’urbanités).
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Fig. 4 - Il Piazzale della Pace dans son état actuel © Nicolas Mathevon Cette place est l’hôte de nombreuses manifestations temporaires comme Il Settembre Gastronomico qui transforme une urbanité – faisant qualité de l’espace public, une urbanité au sens strict de l’acceptation –, à l’état d’urbanité festive. Cela entraîne de nombreuses dégradations, qui apparaissent de plus en plus problématiques pour des questions d’entretiens. La place suit, tout comme nous l’avons observé précédemment, ce processus de reconquête où l’on cherche à redonner une place au piéton. Elle est en passe de reconversion dans le but de lier d’autres espaces stratégiques dans la ville liés à des mobilités plus douces : la gare PARTIE 1
[4]
30
BOTTA M. 04 aout 2017.
Mario Botta dénonce le projet dans un article de La Gazzetta di Parma : « Ils n’ont pas réussi à maintenir l’ordre de l’étendue verte »
au centre-historique. Cette reconversion, menée par les services d’urbanismes, et réalisée par entreprises sous-traitantes, pose problème : il va à l’encontre du projet initial. Mario Botta s’est exprimé récemment sur le sujet en dénonçant le projet mené actuellement : « Non sono riusciti a mantenere il prato all’inglese » 30. En effet, le projet prévoit de découper la place en deux entités afin de créer un espace de passage bien identifié laissant place à un mobilier urbain timide architecturalement parlant. Pour certains architectes, comme Stefano Storchi, ancien directeur des services d’urbanisme, c’est une atteinte à la culture de ne pas faire appel à l’ancien architecte. On détruit son œuvre et l’on construit par-dessus. Le contexte de la crise économique se fait ressentir aussi en Italie et l’acteur privé semble prendre le dessus en privilégiant des « questions simples et efficaces ». Il vient construire directement sur un espace historique, un espace public des citadins, résultant de l’histoire de la ville. La Piazzale della Pace apparait alors dans une dimension plus large comme un « palimpseste » où les opérations de l’Homme se succédèrent les unes sur les autres dans le temps, rappelant histoire ou détruisant celle-ci.
Une condition urbaine généralisée, l’espace public en crise L’espace public est en crise. La ville du XXième et XXIième siècle met à l’épreuve les valeurs urbaines, ainsi que ses espaces porteurs de pratiques sociales riches. La société, quant à elle, a évolué vers un modèle de plus en plus individualiste où l’espace public semble se résumer de plus en plus à un espace banal de passage où l’on peut consommer son moka en terrasse pour retrouver le temps d’un instant quelques amis. La fabrication de l’espace public apparait comme étant encore plus en crise. Alors que la concertation et la participation apparaissent comme l’ultime solution pour remplacer l’architecte, les acteurs privés remplacent ceux publics afin de compenser les manques de fonds. Ils font pression pour produire de l’espace toujours plus vite et la valeur d’usage est rarement prise en compte. Il semblerait que la situation soit réciproque entre Italie et France. Le contexte de la crise, et de la ville mondialisée en font une condition urbaine généralisée. Il n’y a donc pas un mode de construction de l’espace public à la française ou à l’italienne à notre ère contemporaine. Les enjeux sont souvent les mêmes : retrouver une mobilité plus douce, donner plus de confort à l’usager, et créer de nouveaux usages. Néanmoins, on observe en Italie, sur le cas appliqué de la Piazzale della Pace des pratiques sociales et urbaines qui ne sont pas forcément liées à cette société individualiste de consommation. Les usagers s’y retrouvent pour se reposer, pour discuter, manger le midi, lire, faire jouer les plus jeunes, faire la fête une fois le soleil couché. Véritable espace tampon, la Piazzale della Pace semble porter encore des valeurs urbaines et une urbanité – relevant presque de la polis grecque – qui fait d’elle un véritable espace de qualité au sein de la ville. Alors que la condition urbaine de la ville mondialisée apparait de plus en plus généralisée sur le territoire européen, la curiosité, cette heureuse essence de l’Homme, m’amène à vouloir comprendre : pourquoi l’urbanité, au sens le plus strict du terme, subsiste-t-elle encore dans certains espaces publics ? Est-ce lié à un modèle de ville ? A un type de société ? Ou même à un type de politique ? Afin de répondre à toutes ces interrogations, je décide de poursuivre ce travail sur l’ailleurs italien et réinterroger son espace public et plus largement l’évolution de son tissu urbain qui l’englobe afin de comprendre comment s’hybride l’urbanité de manière contingente.
PARTIE 1
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PARME, MODÈLE D’URBANITÉ OU RÉSULTANTE D’UN MODÈLE DE VILLE EUROPÉENNE « Ce n’est pas la Terre qui explique l’Homme, mais l’Homme qui explique la terre » ....................................................................................
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Deux territoires urbains similaires ............................................................ L’influence des politiques urbaines d’après-guerres ................................
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Critères de qualité permettant de construire la ville d’aujourd’hui : les leviers de l’urbanité ........................................................................
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Une figure urbaine à grande échelle : résultat d’un aménagement local De Parme à Clermont-Ferrand, des qualités qui composent l’urbanité ... La Piazzale della Pace : une place qui fait encore son temps dans la construction de l’urbanité .........................................................................
Le modèle Parmesan, révélateur d’une urbanité possible ou modèles de tissus urbain ? ..................................................................................... 3 fondements de l’urbanité contemporaine ...................................... Un modèle d’urbanité lié à un type de ville .............................................
49 52 75
76 76 78
PARTIE 2
L’appréhension de la ville, sa pratique, la curiosité de comprendre cette urbanité subsistante. Malgré un anonymat toujours plus grandissant, les pratiques de la vie quotidienne dans la ville de Parme m’apparaissent subjectivement plus urbaines, plus riches socialement, plus intéressantes, plus lentes, et surtout agréables. Une urbanité que l’on ressent, qui donne cette envie, profonde, de pratiquer la ville et de ne plus la quitter. Le cas de Clermont-Ferrand m’apparaît fondamentalement différent. Et pourtant, ce sont bien deux villes – Parme et Clermont-Ferrand – qui n’apparaissent pas l’une si différentes de l’autre. Seulement 600 kilomètres, une frontière les séparent. Le modèle de société n’est pas aussi tant constrasté. Alors existe-t-il une culture de la pratique de la ville propre à chaque société ? Personnellement, je ne pense pas. Les pratiques urbaines ne différaient pas tant d’une ville à l’autre au XIXième siècle, les anciennes photographies, l’art de cette époque le démontrent. Il apparait clairement, que dans l’histoire de nos villes, il y ait eu un bouleversement touchant les villes de l’Europe occidentale. En effet, « l’essentiel de la croissance urbaine s’est déroulé après la moitié du XIXième siècle » 31 dans les villes d’Europe. Une croissance qui aura eu un impact considérable sur les sociétés et leurs pratiques. D’ailleurs, on observe encore aujourd’hui que le moindre aménagement urbain est vecteur de modification des pratiques sociales au sein d’un quartier. Cette différence d’urbanité, que l’on peut ressentir entre Parme et Clermont-Ferrand semble alors s’expliquer par des disparités de politiques, de modes de fabrications de la ville lors de la grande vague d’expansion qui a eu lieu au cours du dernier siècle. A voir cette urbanité subsistante parmesane, qui peut d’ailleurs faire rêver plus d’un, tout porte à croire que les grandes figures de l’urbanisme italien n’ont pas été tant influencées par le mouvement moderne dans cette construction de la ville nouvelle. Néanmoins, au-delà de l’explication de ces politiques d’extension et d’aménagement, il convient aussi de comprendre comment le tissu morphologique influe cette différence d’urbanité que l’on retrouve dans nos centres villes ; en l’occurrence ici, Clermont-Ferrand et Parme. Comment rendre compte scientifiquement de cette différence d’urbanité ? Cette seconde partie aborde ces différences au travers d’une remise en situation de ces deux villes, et de ces deux territoires d’études, entre l’ailleurs parmesan et l’ici Clermontois. Quelques exemples nous permettront de mettre en évidence les
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différences de politiques de la ville et leur mise en application sur le territoire de l’ailleurs et de l’ici. Il conviendra alors de comprendre leur résultat sur la ville, son économie, mais surtout sur sa morphologie et sa société. Alors que l’urbanité et sa pertinence posent des problématiques d’utilisation de la notion, il convient finalement de parler plutôt de qualités urbaines constituant des leviers d’urbanité. Viendra alors dans un second temps, une longue analyse sur l’efficience du tisu urbain et de l’espace public au travers d’une décomposition des tissus morphologiques, de données sur le confort de celui-ci qui nous permettrons de comprendre comment se construit et s’hybride l’urbanité.
MERLIN P. 2013. Urbanisme. Presses Universitaires de France. Collections Que Sais-Je ? 31
2.1. « CE N’EST PAS LA TERRE QUI EXPLIQUE L’HOMME MAIS L’HOMME QUI EXPLIQUE LA TERRE »
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Il n’y a pas une ville. Les villes ne se ressemblent pas. Certes, elles ont toutes quelque chose en commun, mais elles ont toutes des histoires variables, qui parfois peuvent se ressembler. L’Homme a toujours cherché à se sédentariser soit pour pouvoir développer des pratiques marchandes, collectives, sociales ou individuelles. La ville peut naître d’une action collective, ou d’un dessin sur le papier, puis évolue constamment avec l’évolution des modes de vie. Elles possèdent toutes une urbanité différente, à un gradient différent qui est à redéfinir sans cesse, mais dans ce contexte où l’urbanité perd de sa pertinence dans cette condition de ville mondialisée, elle devient alors un enjeu, une qualité qu’il faut réussir à acquérir. A ce propos, Emile Durkheim, père incontestable de la discipline sociologique, écrit sur la sédentarisation et l’évolution des pratiques sociales et urbaines : « Ce n’est pas la Terre qui explique l’Homme, mais l’Homme qui explique la Terre » 32. Ainsi, l’Homme façonne sa ville et son identité. Quant à la ville, elle, nous raconte l’histoire de cet Homme. L’ailleurs et l’ici, Parme et Clermont-Ferrand, malgré leur différences et similarités dans un contexte similaire, nous racontent l’évolution d’une société au travers de l’histoire de la ville.
FIJALKOW Y. 2017. Sociologie des villes, La découverte, Collections repères Sociologie 32
Citation E. DURKEIM
Deux territoires urbains similaires ? Afin de rendre compte des différences d’urbanités, de comprendre l’hybridation de celle-ci, ce mémoire décide de continuer son chemin sur l’ailleurs, celui de Parme pour pouvoir faire ce contrepoint avec ce territoire vécu : Clermont-Ferrand. PARME La ville de Parme, appelée « la Piccola Parigi » (littéralement le petit Paris) pour sa richesse inégalée, son cadre de vie très agréable 33, et son dialecte semblable au français, se situe au Nord de l’Italie dans la dynamique de la Via Emilia (figure 5 : la Via Emilia) qui traverse les quelques grandes villes de la région : Piacenza, Modena,
Une chronique dans Reppublica à montrer récemment que Parme était l’une des ville d’Italie avec la meilleure qualité de vie en arrivant en 6ième place 33
Bologna et Rimini. Cet axe routier – la Via Emilia – datant de l’époque Romaine, a permis à toutes les villes de la région de l’Emilia de bénéficier pendant longtemps d’une autonomie commerciale. Aujourd’hui, ce réseau routier est l’un des plus importants d’Italie et permet de s’inscrire dans une dynamique d’échanges européens voire internationaux. Parme doit sa notoriété à la vallée dans laquelle elle s’inscrit : la food valley, gigantesque plaine agricole (la plaine du Po) qui lui permet d’être connue mondialement grâce à ses quelques produits régionaux (Prosciutto di Parma AOC, Parmigiano Reggiano, etc.). Son économie vit aujourd’hui grâce au secteur agroalimentaire. La ville s’inscrit en tant que pionnière dans la recherche et dans le développement de ce secteur.
Ferrare Ravenne
Modène
Parme Plaisance
Fidenza
Bologne Faenza
Reggio Emilia
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Fig. 5 - La via Emilia © Nicolas Mathevon CLERMONT-FERRAND Après une période sombre à l’époque du Christianisme au IVième siècle, la ville connait un renouveau au Moyen Âge. La ville de Clermont-Ferrand naît de l’union de deux villes rivales au XVIIième siècle : Clermont et Montferrand. Aujourd’hui, la ville ne fait qu’un. Malgré sa situation que l’on peut considérer comme celle « d’arrière-pays », elle accède au rang de métropole le 1er janvier 2018. Néanmoins, il faut souligner l’importance du développement de Michelin dans la ville à la fin du XIXième siècle qui remplacera le secteur agricole alors en crise. Pendant presque un siècle, Michelin contribuera au développement de la ville et de ses activités jusqu’en 1990 lorsque la crise touchera l’enseigne, au profit d’un nouveau développement du secteur tertiaire et agroalimentaire. Ces deux territoires, malgré les quelques 600 kilomètres qui les séparent, possèdent de nombreuses similarités. Tout d’abord, la première similarité que l’on peut observer est celle de l’inscription géographique (figure 6 : inscription géographique de l’ailleurs et l’ici) : ils s’inscrivent tous les deux à proximité de contreforts de montagnes de basse-altitude bien que le territoire Clermontois se soit étendu au-delà de ces derniers joignant des communes rurales. On remarque aussi cette inscription à grande échelle dans une plaine agricole, que ce soit celle de la Limagne ou celle fertile du Po : deux plaines s’inscrivant à l’échelle européenne. Leur climat est aussi similaire : très tempéré, continental, avec de très grosses chaleurs PARTIE 2
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PARMA
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CLERMONT-FERRAND Fig. 6 - Inscription de l’ailleurs et de l’ici 1.75 000 - © Nicolas Mathevon PARTIE 2
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en été et des températures très froides l’hiver. Leur configuration urbaine est aussi semblable : noyau central s’étant développé à l’époque médiévale jusqu’aux boulevards au XVIII et XIXièmes siècle. En revanche, ce qui les différencie le plus, est leur expansion urbaine depuis la révolution industrielle du XIXième siècle.
Paternalisme, déf : D’après le CNRTL : «Attitude du chef d’entreprise qui, de sa seule initiative, octroie à son personnel des avantages sociaux dans le but d’affermir son autorité; comportement bienveillant et autoritaire du patron envers ses salariés» 34
35 PFIRSCH. T. 19 septembre 2014. La banlieue «ordinaire» italienne : voyage dans les immeubles collectifs des classes moyennes. Métropolitiques.
36 BONOMO. B. CARAMELLINO. G. 2013. Storie di case. Abitare l’Italia del Boom. Donzelli Editore, Roma
Clermont-Ferrand a développé sa périphérie autour de l’activité Michelin, ou c’est d’ailleurs plutôt Michelin qui a développé la périphérie autour de la ville et de ses industries. Au début des années 1920, l’enseigne développe alors tout un système de cités ouvrières répondant aux objectifs du paternalisme 34 permettant un contrôle social du personnel. Cela permet aussi de faire face à l’augmentation de la population – elle passe de 52 000 à 82 000 en moins de 20 ans – à Clermont-Ferrand. Ce système développe un étalement urbain se caractérisant par l’explosion du pavillonnaire avec des espaces qui présentent une faible densité – une maison et un jardin privatif par foyer – par rapport à un immeuble. Cette première expansion urbaine avant la Seconde Guerre Mondiale était alors d’ordre plus privée. C’est seulement après la guerre que la périphérie se développe selon des directives étatiques, au travers d’une planification urbaine d’ordre publique. La périphérie de Clermont-Ferrand a connu un étalement urbain sans précédent que Françoise Choay qualifie de ville qui « vole en éclat » où l’on retrouve un territoire découpé en zones fonctionnelles (des quartiers populaires, des zones d’activités industrielles, des zones commerciales). Ce développement s’est fait au dépend de son centre-ville qui lui, a vu un véritable mouvement migratoire des activités économiques, de services et de loisirs. Néanmoins, la ville de Clermont-Ferrand a su sauvegarder une activité commerciale en centre-ville avec la transformation du quartier de Jaude dans les années 1970 et par la création d’un gigantesque centre commercial qui ouvrira ses portes en 1980. Le développement de la périphérie de Parme est lui, nettement plus homogène. A l’instar d’autres grandes villes italiennes du Nord, comme Turin ou Milan, Parme connait une augmentation de sa population dans les décennies suivant la Seconde Guerre Mondiale. On observe toute une vague migratoire d’italiens qui fuient la crise et la pauvreté du Sud de l’Italie. On assiste dans les années 1950 et ’60 à un essor de la copropriété en Italie. Nombreuses sont les villes du Nord et notamment celle de l’Emilia Romagna marquées par ces vastes paysages de condomini (littéralement copropriété). Les périphéries des villes comme celle de Parme se développent selon ce modèle de copropriété dessinant cette « banlieue ordinaire » 35 italienne. Ces unités sont diverses architecturalement parlant et reflètent toute une époque d’un laisser faire par l’État n’ayant pas eu les qualités et instruments nécessaires pour développer des politiques d’accession au logement public à la sortie de la Seconde Guerre Mondiale. Il faut alors remercier les acteurs privés pour leur rôle fondamental dans l’accession à la propriété malgré la spéculation immobilière contrôlée par quelques propriétaires de terrains agricoles. Au final, c’est sur ce modèle que Parme développe sa périphérie de condomini développant « una cultura condominiale » 36 créant une identité collective entre les habitants, où l’on peut retrouver tous les services dont a besoin chaque quartier. Outre ces copropriétés, on observe ainsi une périphérie compacte, homogène, créant une seconde ceinture à la ville, où l’on ne retrouve pas tant cet urbanisme sectoriel dont semble souffrir la ville de Clermont-Ferrand encore aujourd’hui. Ces deux types d’expansion urbaine, reflète aussi l’évolution démographique des sociétés en question. Aujourd’hui, Parme compte un peu moins de 200 000 habitants dans un tissu urbain beaucoup plus dense tandis que Clermont-Ferrand, PARTIE 2
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compte actuellement presque 500 000 habitants dans un tissu beaucoup plus diffus où l’automobile est intrinsèquement prévalent dans les modes de transports quotidiens. Néanmoins, comment expliquer cet attachement que les citadins italiens ont avec leur centre-ville ?
L’influence des politiques urbaines d’après-guerre
On peut observer à Parme, aujourd’hui, dans le vieux centre, soit dans la ville héritée, une population nettement plus hétérogène, diversifiée, où les pratiques urbaines et sociales sont dignes d’une urbanité presque traditionnelle de la ville du XIXième siècle. L’histoire nous permet d’expliquer cette situation au travers des politiques de la ville des années 1970.
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Alors que la France s’instaure dans les années ‘20 comme véritable nation porteuse de valeurs intellectuelles en termes d’aménagement, d’architecture et d’urbanisme grâce à l’expression du mouvement moderne, à l’aube de sa reconstruction et de son développement urbain dans les années 1940, elle ne dispose toujours pas d’une organisation administrative compétente à la hauteur de ses ambitions. La France connait à cette période une grande vague migratoire de population qui fuit la campagne vers les centres villes. Néanmoins, le patrimoine immobilier des grandes villes est dans un état désastreux à la sortie de la Seconde Guerre Mondiale et la plupart des logements restent encore dans des états d’insalubrité. Un événement secoua alors la France et son administration, mais une fois de plus, il a fallu attendre que l’extraordinaire se produise. Alors que des centaines de personnes meurent de froid dans les rues lors de l’hiver 1954, l’Abbé Pierre appelle à ce que l’État réagisse et prenne de sérieuses décisions en terme d’aménagement et d’accession à la propriété. Ce légendaire « coup de gueule » éveille les consciences et fait émerger de premières politiques sur la planification urbaine mais sans grandes réformes. Une première date marque l’histoire de la planification urbaine en France : 1962. C’est l’année de création de la loi Malraux (sous la directive d’André Malraux). Cette première « loi urbaine » est votée en réaction à la destruction des centres anciens aux profit d’immeubles de bureaux, de centres commerciaux. Néanmoins, avec un gouvernement trop occupé avec la guerre d’Algérie, il faut attendre réellement 1967 afin que de véritables plans réglementaires soient lancés. Deux documents sont élaborés à la suite de la loi LOF (Loi d’Orientation Foncière) de 1967 afin de planifier les villes nouvelles : - Le Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme (SDAU) qui sera remplacé par le SCOT en 2000 ; - Le Plan d’Occupation des Sols (POS) qui lui aussi sera remplacé en 2000 par le PLU lors de la loi Solidarité et Renouvellement Urbain (SRU). Ces plans suivent la méthodologie du zonage et très vite la ville se développe au coup par coup autour de pôles urbains définis et dessinés par l’Etat. On assiste à cette floraison des grands ensembles d’ordre public, au triomphe des banlieues pavillonnaires, aux « villes nouvelles » en périphérie de Paris. On voit aussi la mise en place des ZAC et des ZUP où l’on retrouvera les grandes masses populaires qui seront mises à l’écart des centres urbains. Très vite, cette forme d’urbanisme sera dénoncée par de nombreux auteurs comme Henri Lefebvre dans le « droit à la ville ». Il faudra attendre 2000, lors de la loi SRU (Solidarité Renouvellement Urbain) pour que l’on pense la ville un peu plus dans son ensemble afin de retrouver une cohérence terriPARTIE 2
37 SCOT, déf : Schéma de Cohérence Territoriale : il permet de voir des stratégies pour la ville dans sa globalité (à l’échelle de l’agglomération)
MAMOLI M., TREBBI G. 1988. Storia dell’urbanistica. L’Europa del secondo dopo guerra, Laterza, Roma
38
Chapitre XVIII
toriale comme le montre la revisite du SCOT 37. Une grande partie de la planification urbaine italienne, suivra aussi cette méthodologie de zonage pour dessiner la ville nouvelle et son expansion. Son principal outil sera « il Piano Regolatore Generale » (littéralement le Plan Régulateur Général). Instauré en 1942 à la sortie de la Seconde Guerre Mondiale afin d’adopter des politiques claires de reconstructions et d’expansion, c’est le même outil qui sert à la ville aujourd’hui pour l’aménagement. Il est spécifique à chaque territoire. Tout comme s’est illustré son homologue en France, ce plan n’a pas porté ses fruits dans ses débuts car les administrations n’étaient pas compétentes dans ce nouveau domaine des arts urbains. En revanche, ce plan a été modifié au cours du temps par de nombreuses figures emblématiques de l’urbanisme italien comme Bernardo Secchi, Giancarlo De Carlo qui permettront de nuancer ces applications de zonages et d’en influencer différentes méthodes de constructions. C’est par le projet architectural mais plus particulièrement par le dessin du sol – comme nous l’a montré Bernardo Secchi dans un article intitulé Projet du Sol publié en 1986 dans Casabella – que les architectes et urbanistes italiens vont considérablement modifier leur manière d’appréhender la ville : la composition urbaine à grande échelle ne suffit plus. Finalement, après avoir tenté de s’inspirer de la Charte d’Athènes de 1941 qui engendra de graves problèmes d’ordre de répartition des ressources sur le territoire, on retrouvera une dizaine d’année plus tard le mouvement des architectes de la Tendenza qui tentera de résoudre ces problèmes en intervenant sur l’offre des services et des équipements en suivant la méthodologie du zonage. L’une des plus grandes expressions de cette étape sera le programme INA-CASA 38 (1949 - 1963): un programme conciliant projet urbain et projet social. Il est basé sur la représentation du quartier entre espaces individuels et publics. Ce programme représente l’une des plus belles œuvres urbaines des architectes de la Tendenza. C’est à partir des années 1970 que les architectes et urbanistes italiens vont réellement modifier leurs travaux et théories sur la ville en abandonnant ce travail de composition urbaine à grande échelle. Le nihilisme de l’époque moderne (pour reprendre le titre de l’ouvrage Nihilismo et Progetto de Massimo Cacciari), par ses défauts, indique l’importance du sol et de la conception de la ville en tant qu’« espace habitable » dans des enjeux urbains et sociaux. Les grands architectes italiens, tel que Vittorio Gregotti, ou encore Bernardo Secchi portent alors leur attention sur le projet du sol, sur l’étude des tissus urbains et le projet social. Elle s’exprima par le maintien de populations populaires dans les centres historiques, la revalorisation du patrimoine architectural et parfois jusqu’à même tenter de ralentir le développement urbain pour éviter des croissances de villes trop anarchiques : le tout dans une volonté de construire une ville hétérogène, hybride, faite de porosité et proximité. Les villes de l’Emilia Romagna ont fait et encore aujourd’hui font figure d’exemple en termes de planification urbaine. Elles suivent pour nombreuses d’entre elle ces nouveaux travaux de projets de sol et social. C’est le projet d’un architecte, pour toutes les grandes villes de la région Emilia Romagna : l’architecte et urbaniste Pierluigi Cervellati (1936- …). Cette figure emblématique de la région, en termes de planification urbaine sur les villes de Ferrara, Modena, sera directeur des services d’urbanisme de la ville de Bologne pendant près de 20 ans. Il en profitera pour expérimenter diverses actions sur la revalorisation du centre historique. Jusqu’à sa fin de carrière, il a fait de Bologne un laboratoire urbain expérimental qui a longtemps servi aussi de « vitrine de propagande » au communisme qui gérait la ville, qui était d’ailleurs un idéal de vie à respecter. Il a su apporter, à l’ensemble des classes sociales d’une ville, une réponse face aux problèmes urbains. Pierluigi Cervellati a su aussi se détacher des autres politiques urbaines consistant à faire du centre historique PARTIE 2
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un musée culturel, souvent synonyme d’exclusion des classes populaires hors des centres villes. L’expérience de Bologne est apparue dans les années 1980, pour un grand nombre d’architectes – de gauche comme de droite – comme un cadre à suivre.
ÉTUDE DE CAS LE CAS DE BOLOGNE UN EXEMPLE DE PLANIFICATION URBAINE À SUIVRE DANS LES ANNÉES 1980
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C’est le contexte socio-politique qui fait émerger ce plan de revalorisation du centre historique de Bologne. Alors que les artisans et commerçants, souvent propriétaires de leur boutiques constituaient une forte part électorale, le but était d’offrir à ces classes sociales un cadre de vie qui leur permettrait de maintenir leur activité. De plus, la population ouvrière du centre-ville souhaitait toujours se déporter en dehors de la ville à cause de la qualité des logements souvent insalubres pour rejoindre des quartiers propices à leurs nouveaux modes de vies.
De cette lutte contre ce processus d’exclusion des couches sociales les plus pauvres, est né ce plan de revalorisation du centre historique (Piano per il Centro storico) en 1969 sous les directives de l’architecte Pierluigi Cervellati. Selon lui, le projet social et la prise en compte du citoyen dans le projet est indispensable. Le plan prolonge alors le Piano Regolatore Generale et développe une mise en valeur du centre historique par : la création d’équipements dans des édifices existants, la réhabilitation de bâtiments prestigieux en partenariat avec le privé, le développement de l’activité touristique, le maintien des couches sociales dans les centres historiques et la mise en place des consigli di quartiere (littéralement conseils de quartier) permettant une participation du citoyen dans l’aménagement de son quartier. Cela a permis de développer une « Ici bourgeois et conscience urbaine chez les citadins mais aussi de contribuer à dessiner une nouvelle société plus communistes, c’est du hétérogène socialement parlant comme l’exprime pareil au même , ils vont Valerio Monteventi, militant de la Nuova Sinistra : dans les mêmes cafés, « Ici bourgeois et communistes, c’est du pareil au les mêmes restos, même , ils vont dans les mêmes cafés, les mêmes restos, s’habillent à l’identique et d’ailleurs souvent s’habillent à l’identique ce sont tout simplement les mêmes personnes ». et d’ailleurs souvent ce Ce projet n’a pas suivi d’idéologie architecturale. sont tout simplement les Il s’inscrit comme un modèle dans la discipline du mêmes personnes » recupero urbano ou du renouvellement urbain. Ce projet a permis alors, dans le cadre de cette étude, une sauvegarde d’une certaine urbanité au cœur d’une métropole de plus de 500 000 habitants qui tend à porter encore de vraies valeurs urbaines. Plus tard, Pierluigi Cervellati accompagnera Stefano Storchi (ancien directeur des services d’urbanisme de Parme) dans la réalisation du plan d’aménagement et de renouvellement urbain du centre-ville de Parme durant les années 1980. L’idée est la même, suivre l’exemple bolognais : limiter l’exclusion des classes sociales à l’extérieur des centres urbains. Néanmoins, le projet se fait cette fois-ci sans les citadins : les investisseurs privés, trop nombreux, n’ont pas laissé de place à la participation citoyenne. Ils ont donc du fixer des règles très précises à respecter. Ils ont PARTIE 2
« Espace ouvert » est une image, concept spatial, qui a traversé les écrits de Secchi, Damonà et Dematteis. (Définition de Monica Bianchettin Del Grano dans Le projet du sol et l’espace entre les choses publié dans Le sol des villes (2016)
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40 SECCHI B. 1986. Progetto di Suolo, Casabella n° 521
alors décidé d’étudier tout le tissu urbain de la ville et d’analyser chaque bâtiment du centre-ville selon les thèses et méthodes des architectes de la Tendenza, afin de voir quels usages étaient possibles à transformer dans un temps long. Pour cela ils ont classé chaque bâtiment par typologie pour définir des modalités d’usages à répéter pour les investisseurs. Le choix d’une réhabilitation des tissus anciens est apparu naturellement comme un élément culturel, par ce fort attachement que les habitants avaient avec leur centre-ville. Au final, « Il me semble que le l’expérience sur la ville de Parme montre assez vite les limites du processus de l’architecte bolognais. projet d’urbanisme Stefano Storchi, et Pierluigi Cervellati se rendent est en grande partie le compte que le centre-ville ne permet pas de réprojet de sol. générer tout un espace en termes d’équipements et mixité sociale, mais que les espaces publics eux Il prend son «sens» dans le permettent. Ce tournant dans la planification un projet social plus urbaine de Parme reflète intensément cette attenample et acquiert sa tion finalement portée au vide urbain : à « l’espace «valeur» par le projet ouvert » 39. Les architectes ressentent cette impord’architecture. » tance de la ville en tant qu’espace habité par tous, et porteuse d’un véritable projet social au travers d’un projet de sol. Ce sont là les propos convoqués par Bernardo Secchi dans l’article Progetto di Suolo (Casabella n°521) : « Il me semble que le projet d’urbanisme est en grande partie le projet de sol. Il prend son «sens» dans un projet social plus ample et acquiert sa «valeur» par le projet d’architecture. » 40 Toute l’attention des urbanistes, se tournera alors vers l’un des plus grands espaces vacants de la ville : la future Piazzale della Pace. Une place qui permettra de redéfinir les leviers d’une nouvelle urbanité propre à la ville de Parme.
Sur la couverture, une carte du XVIIième siècle du vieux Prague. Cette représentation très figurative (avec des éléments volontairement déssinés en plans/élévations) illustre les proximités et porosités entre les espaces publics, leur liens : un projet urbain en tant que ville comme espace habitable en avance sur son temps.
Fig. 7 - Couverture du Casabella n°521 (Janvier/février) © Casabella
[7]
L’histoire de ces villes entre ailleurs et ici, de leurs politiques et de leurs planifications urbaines nous raconte bien deux types de modèles qui s’opposent entre eux : la ville compacte, homogène de l’ailleurs et la ville diffuse de l’ici. Deux modèles qui ont modifié les pratiques urbaines et sociales de la population. On le voit clairement, les italiens de Parme, ou même de Bologne ont gardé un contact et un fort PARTIE 2
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sentiment d’appartenance avec le centre-ville. En revanche, la ville diffuse a fait émergé elle, de nouvelles centralités : des hyper-lieux (M. Lussault) jouant le rôle de nouveaux centres villes sans relations entre citadins. Le centre-ville, s’étant, lui, transformé en musée culturel et commercial.
2.2. CRITÈRES DE QUALITÉ PERMETTANT DE CONSTRUIRE LA VILLE D’AUJOURD’HUI : LES LEVIERS DE L’URBANITÉ
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Nous avons vu que les politiques d’expansion, les planifications urbaines des années 1950 à 1980, ont considérablement changé nos manières de vivre. Elles ont évolué selon le progrès technique, un type de société. Au-delà de ces politiques et de leur modification des pratiques quotidiennes des citadins, il s’agit alors de comprendre quel rôle joue l’espace public au sein de la ville, et comment cet espace peut redéfinir l’urbanité de son tissu urbain. Autrement dit, il s’agit de comprendre comment l’espace public et son tissu urbain contribuent à redéfinir des pratiques sociales riches et diversifiées, un public hétérogène, etc. Mon analyse se poursuit donc sur la place stratégique de l’ailleurs italien, la Piazzale della Pace, tout en gardant un parallèle avec la ville de Clermont-Ferrand. Afin de garder un ordre d’échelle pertinent dans l’analyse, nous nous attacherons à développer celle-ci en contrepoint avec une place semblable dans les usages et la fonction. Nous choisissons la place Jaude, qui elle aussi, apparait stratégique dans l’usage et dans la liaison des tissus urbains de sa ville.
Une figure urbaine à grande échelle : résultat d’un aménagement local La Piazzale della Pace a finalement résolu l’un des plus grands enjeux urbains de la ville. A défaut de ne pas avoir de fleuve comme la plupart des villes italiennes, Parme se dote d’un torrent, asséché l’été, et tumultueux le reste de l’année. Ce torrent vient découper la ville en deux, séparant le centre historique (ville héritée) de la ville dessinée à partir du XVIième siècle (partie de la ville appelée l’Oltretorrente, qui veut dire littéralement au-delà du torrent). L’enjeu est alors le suivant : connecter les deux parties de la ville au travers d’un lieu icône, pouvant créer une nouvelle centralité à la limite de la ville héritée. Comme expliqué précédemment (Cf. 1.3. L’ailleurs italiens, entre place réversible et urbanité subsistante), c’est Mario Botta qui se chargera de résoudre cette énigme urbaine au travers d’une simple étendue verte qui permet de mettre en évidence ce macrocosme du palais farnésien : une étendue qui permettra tout aussi bien de relier le palais farnésien au reste de la ville, jusqu’alors délaissé par les habitants. Le rez-de-chaussée perméable de cet espace - l’ancien palais farnésien - permet alors une traversée d’Est en Ouest de la place (figure 8 : un espace perméable). La perméabilité de celui-ci est accentuée par un cheminement s’inscrivant dans l’étendue verte qui permet finalement de donner une direction orientée et stratégique à la place. Au travers de cette nouvelle centralité, permettant de rassembler les citadins en un point, permettant de redonner un nouveau souffle culturel à la ville, se dessine un gigantesque axe urbain qui traverse la ville d’Est en Ouest reliant ainsi la ville héritée à la nouvelle ville. Cet axe apparait essentiellement piéPARTIE 2
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Fig. 8 - Un espace perméable RDC du complexe de la Pilotta © Nicolas Mathevon
PARTIE 2
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Fig. 9 - Une figure urbaine traversant la ville intramuros Š Nicolas Mathevon
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PARTIE 2
ton et permet de traverser la ville intramuros sans être gêner par un flux incessant d’automobiles au travers la liaison de différents parcs urbains qui viennent dessiner une véritable figure urbaine entre la ville ancienne et la ville nouvelle (figure 9 : une figure urbaine traversant la ville intramuros). De plus, se traduit ainsi au sein de la ville, une marchabilité plus forte, un des principaux critères de qualité de l’urbanité. En effet, la mobilité piétonne favorise la rencontre au sein de l’espace, permet une traversée plus lente, qui donne un aspect de flânerie à la ville. Les critères qui fabriquent la mobilité se développent ainsi grâce à l’espace public mais dans une dimension plus large. Afin de mieux les énoncer, mieux comprendre tous ces critères (des critères de qualité finalement), il apparait légitime d’étudier l’espace public dans une dimension plus large, en prenant compte de son tissu urbain environnant.
De Parme à Clermont-Ferrand, des qualités qui composent l’urbanité La construction de l’urbanité est souvent la conséquence de caractères qui répondent aux enjeux de sa ville. Nous pourrions qualifier même ces derniers comme des qualités urbaines qui composent l’urbanité. De plus, nous l’avons vu, la pertinence de l’utilisation du terme d’urbanité dans la ville contemporaine apparait ambiguë lorsque l’on évoque des gradients. L’utilisation du terme de qualité urbaine et donc tout à fait appropriée. Comment la Piazzale della Pace permet de redéfinir ces qualités qui composent l’urbanité ? Il s’agit alors de faire émerger six qualités qui répondent aux enjeux de la ville de Parme mais aussi de la ville contemporaine en général. Ces caractères sont établis à la suite de différentes lectures, ouvrages, comme le « Droit à la ville » d’Henri Lefebvre ou encore la conférence de Jacques Lévy « Quelle mobilité pour quelle urbanité ? », etc. Ces six caractères qui avaient déjà été énoncés en introduction (Cf. Premiers Regards – Introduction) sont les suivants: des métriques pédestres importants (1), un bon équilibre de densité (2), un partage de la voirie « équitable » entre les différentes mobilités (3), une mixité fonctionnelle diversifiée (4), une mixité sociale forte (5), et une hospitalité de l’espace public (6). Ces caractères, qualités urbaines, confèrent à la ville une certaine aménité ; or, il est logique que lorsque la ville est « plus agréable, publique », nous sommes plus exposés à rencontrer l’ensemble du spectre de la société. C’est de cette manière que se construit l’urbanité au travers d’interactions citoyennes et citadines. Au delà de désigner des pratiques urbaines riches et diverses, l’urbanité est bien finalement ce savoir vivre ensemble. Tous ces caractères sont représentés scientifiquement de différentes manières mais dans un cadre d’étude constant sur la base d’un rayon de 500 mètres autour de la Piazzale della Pace et de la Place de Jaude, correspondant à 10 minutes de marche à pied, distance apparaissant comme pouvant être effectuée par une grande partie de la population. L’objectif étant de comprendre comment ces qualités urbaines permettent la construction d’une nouvelle urbanité contemporaine et l’hybridation de celle-ci, dans un contexte plus large autour de la place. Quel rôle joue finalement l’espace public dans un tissu urbain plus large ? Ce protocole d’étude est très inspiré par celui d’Umberto Napolitano et Benoit Jallon, mené dans le cadre d’une exposition au pavillon de l’Arsenal sur la ville du Paris haussmannien. C’est ainsi que je mène l’étude sur un cadre d’étude constant où chaque levier, chaque qualité urbaine qui compose l’urbanité, est analysée. PARTIE 2
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[ ANALYSE DES QUALITÉS URBAINES ] INTERLUDE
CADRE D’ANALYSE
LA PIAZZALE DELLA PACE EN CONTREPOINT AVEC LA PLACE DE JAUDE
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PIAZZALE DELLA PACE
44° 48′ 16″ N - 10° 19′ 39″ E
PARTIE 2 - ANALYSE
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LEVIER 1
LEVIER 3
MÉTRIQUES PÉDESTRES IMPORTANTS
PARTAGE DE LA VOIRIE ENTRE LES DIFFÉRENTES MOBILITÉS
- CLASSIFICATION DU VIAIRE - NOMBRES D’INTERSECTIONS (CAD) * - PART DE VOIE ACCESSIBLE AU PIÉTON * - DÉCOMPOSITION DES VOIRIES EN FONCTION DU PARTAGE DE LA CHAUSSÉE * (1)
- COUPES SCHÉMATIQUES & DÉCOMP. (1) - ZONES DE STATIONNEMENT *
Les métriques pédestres, notion inventée par le géographe Jacques Lévy, ne concernent pas seulement la marche à pied mais aussi tous les autres moyens de transports en commun. Autrement dit, une métrique pédestre existe lorsqu’il n’y a pas l’usage de son véhicule personnel. Bien que la marche à pied soit le moyen de transport le plus lent, il apparait comme le plus propice à une fabrique certaine de l’urbanité. Il permet une traversée de l’espace plus lente, des interactions avec les citadins et citoyens plus sures. Si l’on regarde l’espace public comme une construction collective sociale, c’est bien ce type de métrique qui crée l’espace public. Par opposition, l’automobile, elle, privatise l’espace (J. Lévy). L’analyse sera ici conduite au travers d’une cartographie à différentes échelles. Dans un premier temps, nous décomposerons le maillage urbain (viaire tertiare, secondaire et primaire) à l’échelle de la ville intramuros. Dans un second temps, sur le cadre d’étude de 500 mètres de rayons, nous calculerons le nombre d’intersections, synonyme de nœuds propices à la rencontre et aux interactions citoyennes. Enfin, pour terminer, il conviendra de regarder la part de voiries accessibles aux piétons au travers la décomposition des voiries en fonctions du partage de la chaussée et le calcul du linéaire de voirie exclusivement piétonnière à moins de 500 mètres à pied de l’espace public.
Il conviendra alors de mettre en évidence, ici, par la coupe (de manière schématique), les différents types de voiries et comment les usagers la partagent en fonction de leur mobilité. Ce caractère qualitatif rejoint celui des métriques pédestres. Nous mettrons en évidence, en parallèle, les principales zones de stationnement pour les véhicules afin de comprendre dans quelles positions se situent les espaces publics vis-à-vis de l’automobile.
LEVIER 4 MIXITÉ FONCTIONNELLE FORTE - NOMBRES DE SERVICES ACCESSIBLES À MOINS DE 500 M À PIED * - TYPE DE SERVICES ET INFLUENCE *
La mixité fonctionnelle est souvent synonyme d’une ville où ses activités commerciales et économiques fonctionnent. Plus cette mixité fonctionnelle est élevée dans une proximité proche, plus cela favorise la pratique de la marche à pied et donc des interactions entre les citadins plus faciles. Cette mixité sera représentée dans le cadre d’étude de 500 mètres où l’on calculera le nombre de service accessible dans ce cadre. Nous mettrons en évidence les types de services et leur influence sur la ville et son territoire urbain.
LEVIER 2
LEVIER 5 & 6
ÉQUILIBRE DE DENSITÉ BÂTIE
MIXITÉ SOCIALE
- POURCENTAGE D’EMPRISE BÂTIE *
- ENTRETIENS - APPROPRIATION ET MOBILIERS URBAINS
Il s’agit ici de comprendre comment l’espace autour de la Piazzale della Pace est distribué entre espace privé et espace public. Un bon équilibre de densité est souvent synonyme d’une bonne qualité urbaine et révèle la fragmentation du tissu urbain. Il s’agira alors de calculer sur le même cadre d’étude le pourcentage d’emprise bâtie au sol afin de comprendre le ratio public/privé. L’idée est bien aussi de rendre compte des différents espaces de respiration de la ville.
Ces deux caractères qualitatifs ne vont pas l’un sans l’autre. Souvent l’hospitalité d’un espace public permet une mixité sociale plus forte au travers de sa construction collective. Alors que ces deux caractères apparaissent comme les plus constructeurs d’une urbanité, ce sont les plus difficiles à représenter de manière scientifique. Nous essayerons alors de déterminer cette mixité au travers d’extraits d’entretiens menés sur place.
PARTIE 2 - ANALYSE
CAD : Cadre d’analyse, lorsque le type d’analyse est suivi par une «*», cela veut dire qu’elle est réalisée dans le cadre des 500 mètres de rayon autour de l’espace public en question *
LEVIER 1 MÉTRIQUES PÉDESTRES IMPORTANTS - CLASSIFICATION DU VIAIRE - NOMBRES D’INTERSECTIONS (CAD) * - PART DE VOIE ACCESSIBLE AU PIÉTON * - DÉCOMPOSITION DES VOIRIES EN FONCTION DU PARTAGE DE LA CHAUSSÉE *
Dans cette première qualification de la voirie, on décide de la décomposer en trois catégories : le réseau primaire correspondant aux principaux axes de la ville, où le piéton et le vélo ont des tracés bien définis ; le réseau secondaire, lui, correspond aux routes moins importantes où le partage de la voirie est effectué entre les différents usagers (piétons, vélos, voitures) sans qu’un tracé leur soit destiné ; le réseau tertiaire correspond aux bourgs, et ruelles, où seuls les piétons ont accès. On observe un maillage urbain semblable selon les villes. En revanche, celui de Parme est nettement mieux structuré, et bien plus dense.
MAILLAGE URBAIN PRIMAIRE MAILLAGE URBAIN SECONDAIRE MAILLAGE URBAIN TERTIAIRE
PARTIE 2 - ANALYSE
56
57 PARME INTRAMUROS
44° 48′ 16″ N - 10° 19′ 39″ E
[10] CLERMONT-FERRAND INTRAMUROS 45° 46′ 35″ N - 3° 04′ 56″ E
PARTIE 2 - ANALYSE
LEVIER 1 MÉTRIQUES PÉDESTRES IMPORTANTS - CLASSIFICATION DU VIAIRE - NOMBRES D’INTERSECTIONS * - PART DE VOIE ACCESSIBLE AU PIÉTON * - DÉCOMPOSITION DES VOIRIES EN FONCTION DU PARTAGE DE LA CHAUSSÉE *
RÉSULTATS OBTENUS NOMBRES D’INTERSECTIONS
PARME : 147 / CLERMONT : 97 POURCENTAGE DE VOIRIE ACCORDÉ AUX PIÉTONS
PARME : 46,3 % / CLERMONT : 47,7 %
On décide ici de mettre en évidence la densité de maillage au travers des intersections. Chaque intersection constitue un point de rencontre ; plus les intersections sont rapprochées, plus l’usager a tendance à utiliser la marche à pied comme moyen de transports. En effet, plus sont nombreuses les intersections, plus vous avez la possibilité de croiser une densité hétérogène de la société. On compte 147 intersections pour le tissu urbain environnant la Piazzale della Pace contre 97 pour celui de la Place de Jaude. Comme l’a montré précédemment une classification du viaire, le maillage urbain de Parme apparait nettement plus structuré dans cette dynamique Est-Ouest au travers de la Piazzale della Pace. Il en est de même pour le linéaire de voirie dédié au piéton. Néanmoins, on remarque que ce sont bien deux villes où la marche à pied domine avec une part des voiries accordées aux piétons d’à peu près 45 % .
58 DENSITÉ DE MAILLAGE INTERSECTIONS LINÉAIRE DE VOIRIE ACCORDÉ AUX PIÉTONS
PARTIE 2 - ANALYSE
59
PIAZZALE DELLA PACE
44° 48′ 16″ N - 10° 19′ 39″ E
147 INTERSECTIONS 46,3 % DE VOIRIE POUR LES PIÉTONS
PLACE DE JAUDE
45° 46′ 35″ N - 3° 04′ 56″ E
97 INTERSECTIONS 47,7 % DE VOIRIE POUR LES PIÉTONS PARTIE 2 - ANALYSE
[11] [12]
LEVIER 1 MÉTRIQUES PÉDESTRES IMPORTANTS - CLASSIFICATION DU VIAIRE - NOMBRES D’INTERSECTIONS * - PART DE VOIE ACCESSIBLE AU PIÉTON * - DÉCOMPOSITION DES VOIRIES EN FONCTION DU PARTAGE DE LA CHAUSSÉE *
Nous décidons de procéder à une décomposition du viaire afin d’observer comment celui-ci est partagé par les usagers. Nous l’avons décliné en quatres catégories (Cf. levier 3) : les voiries avec des tracés définis qui ne sont pas partagés entre les usagers ; les voiries réservées à un type de mobilité ; les voiries où il existe des tracés mais qui reste partagé entre les usagers ; et les voiries où les tracés sont inexistants, où le partage de la voirie est à son apogée. A première vue, la ville de Parme possède des voiries plus partagées.
On remarque à Parme plus de voiries réservées à un type de mobilité. En revanche, cette caractéristique (De Parme à ClermontFerrand) est souvent liée à une contrainte technique.
VOIRIES RÉSERVÉES À UN SEUL TYPE DE MOBILITÉ
Malgré la centralité de la Place de Jaude, on voit que celle-ci n’aide pas à rendre des voiries plus partagées dans ces alentours.
VOIRIES AUX TRACÉS DÉFINIS MAIS PARTAGÉS
On voit clairement ici, que la Piazzale della Pace permet de faire transition entre ville nouvelle et ville héritée au travers de sa centralité. Malgré cette impression d’un nombre de voiries plus partagés sur Parme, il en existe tout autant à ClermontFerrand.
VOIRIES SANS TRACÉS OÙ LES USAGERS SE PARTAGENT L’ESPACE
PARTIE 2 - ANALYSE
VOIRIES AUX TRACÉS DÉFINIS MAIS NON PARTAGÉS
Une fois de plus, on observe un maillage nettement mieux organisé du côté de Parme avec des voiries au tracés définis qui ne sont pas partagés à l’extérieur de la ville héritée.
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61
PIAZZALE DELLA PACE
44° 48′ 16″ N - 10° 19′ 39″ E
PLACE DE JAUDE
45° 46′ 35″ N - 3° 04′ 56″ E
PARTIE 2 - ANALYSE
[13]
LEVIER 2 ÉQUILIBRE DE DENSITÉ BÂTIE - POURCENTAGE D’EMPRISE BÂTIE *
RÉSULTATS OBTENUS POURCENTAGE D’EMPRISE BÂTIE
PARME : 46,5 % / CLERMONT : 52, 5 % 40
LÉVY J. 05 janv. 2006. Conférence : « Quelle mobilité pour quelle urbanité ? »
Un bon équilibre de densité bâtie et d’espaces extérieurs, est souvent décrit comme critère de l’urbanité. En effet, une ville plus dense et équilibrée en densité permet, une plus grande accessibilité à la société et à ses services. Par exemple, si l’on prend deux cas extrêmes (deux des plus grandes villes du monde) : Tokyo (30 millions d’Hab.) et Los Angeles (15 millions d’Hab.), la ville la plus dense et celle la plus étalée du monde. A Tokyo, en 1 heures de transports en commun, vous avez accès a 24 millions de citadins ; à Los Angeles, avec le même taux horaire, vous avez accès à environ 8 millions de citadins 39. Hors l’accessibilité est souvent définie comme fondement de l’urbanité. Néanmoins, n’oublions pas qu’un bon équilibre, ce qui n’est pas le cas de ces deux derniers exemples, est aussi nécessaire car il procure de bonnes qualités urbaines. Parme et Clermont-Ferrand semble respecter ce critère à la perfection puisque le pourcentage d’emprise bâtie est d’environ 50 %. Parme apparait sur le papier plus dense ; néanmoins le Parco Ducale sur l’Oltretorrente et l’espace du torrent vient ramener son coefficient à un taux plus bas.
PARTIE 2 - ANALYSE
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63
PIAZZALE DELLA PACE
44° 48′ 16″ N - 10° 19′ 39″ E
46,5 % D’EMPRISE BÂTIE
PLACE DE JAUDE
45° 46′ 35″ N - 3° 04′ 56″ E
52,5 % D’EMPRISE BÂTIE PARTIE 2 - ANALYSE
[14]
LEVIER 3 PARTAGE DE LA VOIRIE ENTRE LES DIFFÉRENTES MOBILITÉS - COUPES SCHÉMATIQUES & DÉCOMP. (1) - ZONES DE STATIONNEMENT *
RÉSULTATS OBTENUS PLACES DE STATIONNEMENTS (APPROX.)
PARME : 1350 / CLERMONT : 960
VOIRIES AUX TRACÉS DÉFINIS MAIS NON PARTAGÉS
On observe à Parme, un partage de la voirie plus «respecté» entre les usagers. En dehors de la ville historique, on remarque que les voiries sont divisées par des tracés bien définis pour chaque type de mobilités ; en revanche, dans le centre historique, souvent les voiries sont pavées, sans aucuns tracés définis, et le partage de ces dernières y est presque anarchique. La Piazzale della Pace s’inscrit dans ce partage avec son espace de passage central où l’on retrouve une population à bicyclette ou à pied. A Clermont-Ferrand, la place de Jaude est sectionnée en 3 parties par deux voiries où les automobiles, transports en commun y ont accès. Néanmoins, le sol libre de la place permet une appropriation des piétons de ces deux voiries. Au delà de ce partage de la voirie, on observe des espaces de stationnements liés à la place bien plus présent à Clermont-Ferrand avec la Place de Jaude, évidemment liés au caractère commercial de la place.
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VOIRIES RÉSERVÉES À UN SEUL TYPE DE MOBILITÉ
Viale Arturo Toscanini
Via Giosue Carducci
VOIRIES SANS TRACÉS OÙ LES USAGERS SE PARTAGENT L’ESPACE
VOIRIES AUX TRACÉS DÉFINIS MAIS PARTAGÉS
Strada Giuseppe Garibaldi
PARTIE 2 - ANALYSE
Strada Cavour
Parco di San Paulo
65
PIAZZALE DELLA PACE
44° 48′ 16″ N - 10° 19′ 39″ E ENVIRON 960 PLACES DE STATIONNEMENT
PLACE DE JAUDE
45° 46′ 35″ N - 3° 04′ 56″ E ENVIRON 1350 PLACES DE STATIONNEMENT
PARTIE 2 - ANALYSE
[15] [16]
PIAZZALE DELLA PACE
COUPE AU 23, STRADA G. GARIBALDI STRADA G. GARIBALDI
TROTTOIR PIAZZALE DELLA PACE
66
RAPPORT LIBRE À LA PLACE Si l’on s’attache à regarder le rapport entre la place publique et son bâti voisin, on observe que le rapport à la place est bien plus libre aux abords de celle-ci en comparaison avec la place de Jaude. La présence de végétation de manière abondante permet de retrouver un espace apaisant au sein de la ville et de faire lien entre l’échelle du bâti et celle de la place. Ce sol libre permet un parcours plus libre de l’usager.
PARTIE 2 - ANALYSE
PLACE DE JAUDE
COUPE AU NIVEAU DE L’HÔTEL DU LION TRAMWAY
ACCÈS RÉSERVÉ
TROTTOIR PRIVATISÉ
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RAPPORT RÉGLÉ À LA PLACE Malgré un sol relativement libre, on observe que celui-ci est nettement plus défini pour des usages précis. En premier lieu, on retrouve les terrasses qui privatisent le trottoir ; dans un second temps on retrouve la route permettant les accès pompiers, taxi et livraisons. Enfin, on retrouve la voie du tram. Cette multitude d’espace sectionne l’espace public et guide l’usager dans son parcours.
PARTIE 2 - ANALYSE
[17] [18]
LEVIER 4 MIXITÉ FONCTIONNELLE FORTE - NOMBRES DE SERVICES ACCESSIBLES À MOINS DE 500 M À PIED * - TYPE DE SERVICES ET INFLUENCE *
RÉSULTATS OBTENUS NOMBRES DE SERVICES DANS LE CAD
PARME : 180 / CLERMONT : 220 TYPE D’INFLUENCE GLOBALE
PARME : VILLE / CLERMONT : TERRITOIRE
Cela est incontestable, de Parme à Clermont-Ferrand, une diversité, une mixité de services est offerte aux citadins. On en compte un peu plus à Clermont-Ferrand, dû à son statut de nouvelle métropole et de capitale adminsitrative. A ce propos, d’ailleurs indéniable, les services proposés par la ville de Clermont-Ferrand s’inscrivent dans une échelle plus territoriale. Ainsi la place de Jaude s’inscrit aussi dans cette dimension qui lui offre un aspect presque commercial. On y trouve toutes les grandes enseignes de commerces. La place presque sur-dimensionnée devient alors un espace très circulé. En revanche, à Parme, les commerces s’inscrivent dans une dimension de proximité, à l’échelle de la ville proposant de petits commerces de quartier et, souvent de luxe, liés à un modèle de société très riche ; et d’autres, plus petits, où on y retrouve les quelques personnes agées des quartiers qui viennent pour se retrouver, jouer aux cartes, ou lire le journal.
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LÉGENDE INFLUENCE DU SERVICE
INFLUENCE TERRITOIRE > VILLE > QUARTIER TYPE DE SERVICE
COMMERCES SOCIAL - ADMINISTRATION CULTURE - ENSEIGNEMENTS
PARTIE 2 - ANALYSE
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PIAZZALE DELLA PACE
44° 48′ 16″ N - 10° 19′ 39″ E ENVIRON 180 SERVICES
PLACE DE JAUDE
45° 46′ 35″ N - 3° 04′ 56″ E ENVIRON 220 SERVICES
PARTIE 2 - ANALYSE
[19]
PIAZZALE DELLA PACE ABORDS DE LA PLACE
Strada Giuseppe Garibaldi
70
Ponte Giuseppe Verdi Sont figurés sur ces croquis les abords des deux places. La place de Jaude est marquée par son caractère à dominante commerciale avec des enseignes ou franchises internationales (proposées dans le centre Jaude ou dans ses abords) comme le montre le croquis de la rue du 11 novembre avec la présence de McDonalds. A l’inverse, les abords de la place italienne se dotent d’un certain protectionnisme vis-à-vis de ces grandes enseignes. PARTIE 2 - ANALYSE
PLACE DE JAUDE
ABORDS DE LA PLACE
Centre Jaude
71
Rue du 11 novembre
PARTIE 2 - ANALYSE
[20] [21]
LEVIER 5 & 6 MIXITÉ SOCIALE - ENTRETIENS - APPROPRIATION ET MOBILIERS URBAINS
Ces deux dernières qualités, que représentent la mixité sociale présente et l’hospitalité de l’espace public, sont donc analysées au travers d’entretiens semi-dirigés (Cf. Annexes). Pour cela, nous avons réalisé deux entretiens où le thème principal abordé était l’appréhension d’un usager sur l’espace public ; celle-ci, comparée entre la Piazzale della Pace et la Place de Jaude. Les personnes interrogées ont donc eu, au moins une fois, l’occasion de se rendre sur chacune des places. Le premier entretien est réa-
lisé avec une personne ne connaissant pas le domaine de l’architecture. Le second est réalisé, au contraire, avec une personne travaillant dans le domaine de l’architecture. Lorsque les problématiques d’hospitalités sont abordées, l’aspect du sol revient de manière récurrente : malgré l’absence de mobilier en abondance, la grande étendue verte de la Piazzale della Pace semble posséder des qualités en termes d’hospitalités. La dimension plus réglée, moins sur-dimensionnée, de la place italienne offre ainsi une meilleure hospitalité. Sa « neutralité », par opposition au caractère commerçant de la place de Jaude, permet aussi une meilleure appropriation de celle-ci où finalement toutes les classes sociales peuvent se retrouver.
ACCÈS SERVANT D’ASSISES
72
Fig. 22 - Accès et mobilier aux abords de la Piazzale della Pace 1.30 - © Nicolas Mathevon PARTIE 2 - ANALYSE
« ...Pour moi, une place publique dans une ville, c’est un espace d’échanges où tout le monde peut se croiser, tout le monde peut y avoir accès. Donc un espace d’échange qui regroupe les citoyens de la ville on va dire, dans le sens où ça doit être un petit peu un endroit apaisant, où on doit tous pouvoir se sentir bien, où on doit pouvoir passer du temps ; aussi bien en s’arrêtant qu’en y passant juste. Pour moi du coup, il faut qu’il y ait des bancs, de l’herbe, …où on pourrait vraiment y passer du temps. » « A la Pilotta, il y a cette dimension de verdure, d’herbe, d’arbre, où tu peux t’asseoir, te poser un moment. Alors que la place de Jaude, je la vois plus comme un lieu de passage, malgré les bancs. Comme il y a le centre commercial qui est à côté, ça fait vraiment ville dynamique où peut-être tu as moins envie de t’arrêter. Elle est bordée de cafés et restaurants, donc tu as peut-être plus envie de t’arrêter dans les cafés que sur la place en ellemême. Alors que la place Pilotta est plus dans la nature, du coup tu peux plus facilement t’asseoir dans l’herbe. »
73
« Alors la place de Jaude, je dirais que c’est un immense espace. Je dirais du coup que son inconvénient c’est d’être très circulé finalement. A la fois par le tram, mais ça ce n’est pas le plus gênant, mais aussi par les voitures qui viennent recouper la place ; ce qui est un peu dommage. Du coup, on en perd un peu ses limites. La place Pilotta, moi ce que j’ai trouvé fantastique c’est la question d’un ou plusieurs arbres, et dont un qui me parait majestueux et qui offre l’ombrage nécessaire l’été. Ça c’est vraiment le côté positif. Et puis j’aime beaucoup aussi le traitement finalement enherbé, qui est plus exceptionnel et que l’on ne retrouve plus aujourd’hui dans la ville généralement. » « Je pense encore une fois que c’est encore la place Pilotta qui me semble la plus hospitalière. Pourquoi ? parce que de par ses dimensions déjà, parce que la place Jaude est peut-être surdimensionnée finalement, un peu comme la place Bellecour. Finalement, quand ça devient trop grand, on y perd un peu ses limites et du coup on est moins «cocooné» par le bâti. Donc je dirais plutôt la Pilotta qui me parait la plus hospitalière. Même si finalement, il y a beaucoup moins de vie tout autour parce que finalement il n’y a pas beaucoup de commerces qui la bordent, à part d’un côté me semble-t-il. » [22]
PARTIE 2 - ANALYSE
SYNTHÈSE SUR LES LEVIERS D’URBANITÉS PIAZZALE DELLA PACE
PLACE DE JAUDE
44° 48′ 16″ N - 10° 19′ 39″ E
45° 46′ 35″ N - 3° 04′ 56″ E
147
97
46,3 %
47,7 %
MÉTRIQUES PÉDESTRES - NOMBRES D’INTERSECTIONS - DÉCOMPOSITION DES VOIRIES EN FONCTION DU PARTAGE DE LA CHAUSSÉE NOMBRES D’INTERSECTIONS POURCENTAGE DE LINÉAIRE DE VOIRIE ACCORDÉ AUX PIÉTONS
ÉQUILIBRE DE DENSITÉ BÂTIE - PLEINS ET VIDES - POROSITÉS URBAINES
74 POURCENTAGE D’EMPRISE BÂTIE
46,5 %
52,5 %
1350
960
180
220
VILLE / QUARTIER
VILLE / TERRITOIRE
PARTAGE DE LA VOIRIE ENTRE LES DIFFÉRENTES MOBILITÉS - DÉCOMPOSITION DES VOIRIES EN FONCTION DU PARTAGE DE LA CHAUSSÉE - ZONES DE STATIONNEMENT NOMBRE DE PLACES DE STATIONNEMENT LIÉES À LA PLACE PUBLIQUE (APPROX.)
MIXITÉ FONCTIONNELLE EN PROXIMITÉ - TYPE DE SERVICE PAR FAMILLES - INFLUENCES DE CES SERVICES
NOMBRE DE SERVICES (APPROX.) TYPE D’INFLUENCE (VILLE/TERRITOIRE/QUARTIER)
PARTIE 2
La Piazzale della Pace : une place qui fait encore son temps
75
La Piazzale della Pace et la Place de Jaude présentent incontestablement des situations spatiales et des tissus urbains similaires. Tout d’abord, elles s’inscrivent toutes les deux dans cette dynamique de pivot permettant de lier la ville dite « nouvelle » à celle héritée, en offrant un espace de respiration à celles-ci, de véritables « poumons urbains » (pour reprendre l’expression de Chris Younès dans un article pour PortiQue, Mille milieux, 2010). L’observation, et le calcul de l’emprise bâtie analysée dans le cadre d’étude, démontrent de manière irréfutable deux villes denses, ponctuées par des espaces libres. Néanmoins, un regard simple, presque naïf, fait émerger un aspect très intéressant de cette densité : la ville de Parme apparait bien plus dense « sur le papier » mais offre des espaces de respirations nettement plus structurés grâce à des espaces verts connectés par des places stratégiques dans la ville. Le maillage urbain du centre-ville de Parme est lui aussi plus dense et plus structuré comme le montre le dessin des intersections. Les voiries sont également mieux organisées en fonction du partage de celle-ci ; et pourtant le centre-ville de Clermont-Ferrand montre des voiries également bien partagées par les usagers mais nettement moins structurées de manière spatiale dans une dimension plus large. Si l’on regarde l’hospitalité des espaces publics, ainsi que la mixité sociale – même si l’étude de ces deux qualités apparait très subjective et difficile à démontrer –, on observe que la Piazzale della Pace est porteuse de cette qualité au travers de son sol uniforme et totalement libre où les assises n’existent presque pas. La bordure de la place joue ce rôle d’assise, en complément de deux autres dispersées sur la place (une première assise à l’angle de la place bordant le monumento del partigiano et une seconde au Nord, mettant en exergue un monument dédié à Giuseppe Verdi). Le sol libre, la grande étendue verte choisie par Mario Botta, Stefano Storchi, et les autres acteurs, joue finalement elle aussi ce rôle d’assise, de passage, d’accueil à des événements artistiques et culturels. Elle confère finalement à cet espace stratégique un rôle réversible où réunir toute une société devient alors possible. La «neutralité» de la place, face au caractère commerçant de la place Jaude, ses dimensions réglées, permettent une pleine appropriation par tous. La place de Jaude possède elle aussi cette caractéristique de sol libre avec peu d’assises où souvent les bordures servent elles aussi d’assises comme à proximité du centre-commercial. Ses abords apparaissent, eux, fondamentalement plus réglés, sans liberté de mouvement : le trottoir privatisé par les cafés, la voie de tramway, les rues découpant les sols, font de la place, un espace extrêmement circulé. De plus, sa dimension plus « territoriale » ne lui permet pas une telle hospitalité comme celle que porte la Piazzale della Pace. Comme nous le montre l’étude de la mixité fonctionnelle sur les contours de la Place Jaude, les services proposés sont destinés à une échelle plus large, à celle d’un grand territoire où le grand public vient seulement pour consommer. Ainsi, la place clermontoise, s’inscrit dans cette dimension commerciale mais permettant d’assurer une certaine vitalité économique au sein du centre-ville. Ces places jouent toutes les deux un rôle essentiel dans la ville ; et pourtant, malgré des situations spatiales et des qualités urbaines semblables, elles s’inscrivent bien dans deux contextes différents. La Piazzale della Pace répond finalement à cet enjeu contemporain d’intégrations. Elle fait converser les divers tissus urbains entre ville héritée et ville « nouvelle » ; elle permet également les interactions entre citadins et citoyens, entre étrangers et gens d’ici. Les qualités urbaines parmesanes apparaissent alors respectueuses d’une urbanité où l’on peut retrouver PARTIE 2
40 PAQUOT. T. 1990. Essai sur l’urbanisation du monde et des mœurs, Éditions du Félin
L’Homo Urbanus est l’Homme qui vient en ville pour consommer et qui habite à la campagne.
cette « civilisation urbaine » propre à la ville. En revanche, la place de Jaude et ses qualités urbaines s’inscrivent dans cette perspective du règne de l’urbain où l’on retrouve ce fameux homo urbanus 40 qui oublie toute politesse avec l’autre, calculant temps et monnaie qui lui restent pour finir ses cadeaux de Noël. Si l’on reprend finalement Marc Augé et Michel Lussault, les deux places s’inscrivent et s’opposent dans les définitions contemporaines de lieu et d’hyper-lieu (respectivement la Piazzale della Pace, et la Place de Jaude) opposant une place de « construction sociale » et une place que l’on pourrait dire « marketing ». Bien que la place de Jaude reste elle aussi initialement une construction sociale, comme la plupart des places européennes ; si l’on s’attache à regarder la construction d’une urbanité contemporaine au travers de qualités urbaines, la Piazzale della Pace semble, à la différence de la place de Jaude, faire encore son temps et répondre à des enjeux contemporains.
2.3. LE MODÈLE PARMESAN, RÉVÉLATEUR D’URBANITÉ POSSIBLE OU MODÈLES DE TISSUS URBAIN ? Nous avions énoncé en introduction trois fondements de l’urbanité contemporaine ; trois fondements qui avait déjà été énoncés dans un article de Catherine Foret écrit en 2010 (Foret, Urbanité, une manière de faire société mise à l’épreuve par la fragmentation urbaine, mars 2010, Millénaire 3) : la mobilité piétonne (J. Lévy), l’hospitalité et l’acceptation de l’autre (A. Gotman), et la constitution d’une scène politique dans l’espace public (O. Mongin). Reprenant les qualités urbaines étudiées précédemment sur la Piazzale della Pace et ses tissus urbains, il semblerait, au travers d’un premier regard et du travail d’analyse réalisé antérieurement, que la place italienne semble répondre à ces trois enjeux. Afin de mieux comprendre ces derniers, il parait légitime de revenir dans un premier temps sur les écrits, ouvrages qui les définissent. Ensuite, nous réinterrogerons la Piazzale della Pace au travers de ces trois enjeux et des qualités urbaines étudiées précédemment pour finalement essayer de comprendre si la forme de la ville et ses tissus morphologiques n’influencent pas tant la construction de l’urbanité ? 41 FORET C. 01 mars 2010. Urbanité : une manière de faire société mise à l’épreuve par la fragmentation urbaine. Grand Lyon. Millénaire 3
Citation Jean Métral Mongin O. 2005. La condition urbaine, la ville à l’heure de la mondialisation
42
Troisième partie, exigences politiques p. 258
Trois fondements de l’urbanité contemporaine La ville est certainement l’une des notions qui a le plus évolué dans le temps ; néanmoins, aussi loin que l’on remonte dans le temps, la ville est une construction sociale, politique, autour d’un ensemble de lieu. Ces deux paramètres semblent s’être effacés au cours des deux derniers siècles. « L’expérience politique est Constituer la ville ensemble, comme « phénodésormais prioritaire, elle mène politique » 41 ne semble plus aller de soi. permet seule, de recadrer Olivier Mongin plaide pour la création d’une scène politique au sein de la ville et de ses esdes lieux urbains comme paces publiques. Selon lui, l’urbanité contempodes lieux rendant possible raine et l’expérience urbaine ne peuvent exister sans cette condition. Il écrit dans la « Condition la vita activa » 42 PARTIE 2
76
urbaine » : « L’expérience urbaine, si on ne veut pas en jouir sur le seul mode du repli, a une condition préalable : la constitution d’un ensemble politique cohérent et légitime. C’est la condition a priori de l’expérience urbaine, une condition rarement remplie aujourd’hui » 43. Selon Mongin, c’est l’une des seules manières pour faire face à « l’éclatement territorial » de notre ville contemporaine. D’autre part, la scène politique rassemble les citoyens, citadins, au sein d’un lieu pour constituer un nouveau savoir vivre ensemble : condition principale de l’urbanité. La Piazzale della Pace, comme nous l’a montré l’étude de la mixité sociale et de l’appropriation, semble répondre à cet enjeu. On ne retrouve pas de scène politique ; néanmoins, la place est en capacité de la faire émerger. Son sol libre, libre à tout type d’appropriation permet la mise en place de manifestations temporaires où souvent sont organisés divers débats sur la vie publique dans la ville ou encore sur l’actualité politique italienne et européenne. La reconquête récente de son espace de passage central (Cf. 1.3. L’ailleurs italien, entre place réversible et urbanité subsistante), permet d’une part d’accentuer la voie piétonne entre la ville « nouvelle » et celle « héritée », mais surtout de pouvoir améliorer l’accueil des diverses manifestations politiques ou culturelles comme nous l’explique le directeur des services d’urbanisme, Alinovi : « créer un lieu pouvant accueillir diverses manifestations » 44. La place de Jaude est elle aussi en capacité de créer le support de cette scène politique. Elle l’a d’ailleurs démontré avec les événements politiques des denières années ou des dernières semaines comme Nuit Debout, les marches pour le climat ou dernièrement les manifestations des Gilets Jaunes.
77
L’hospitalité et l’acceptation de l’étranger est aussi un autre fondement à l’urbanité contemporaine, c’est ce que défend la sociologue française Anne Gotman. Selon elle, la politique doit inviter l’étranger en ville, et l’inviter à participer aux débats de la ville. Anne Gotman nous raconte dans un entretien avec Marie Raynal (in Diversité. Ville, école, intégration, N°153, 2008) : « Il s’agit de permettre à ceux qui arrivent en terrain étranger d’être autonomes, donc de leur donner toutes les ressources d’informations, de donner la clé de l’endroit pour pouvoir le comprendre. […] Il faut expliciter les règles de la communauté, en donner l’ambition, engager à y participer » 45. Hors, selon Anne Gotman, ce processus d’intégration ne peut se faire que s’il existe « des espaces qui ne sont pas entièrement occupés, qui laissent une place à l’autre ». L’acceptation de l’autre, de l’étranger reste compliquée, voir problématique selon certaines villes. Les politiques actuelles des villes, semblent tourner le dos à cette question et la tentation d’un repli sur soi toujours plus présent n’aide pas en la matière. Néanmoins, en termes de spatialité, la Piazzale della Pace semble une fois de plus remplir la fonction avec cette grande étendue verte accessible par tous, où chacun semble le bienvenu. Au cours d’un entretien réalisé dans le cadre de ce mémoire, on me disait : « Je pense qu’il faut que toutes les populations dans les diversités puissent s’y retrouver, donc que ce soit des personnes atteintes de handicap, et même d’autres, enfin il ne faut pas qu’il y en ait qu’ils soient exclus. Donc c’est sûr que s’il y a que des magasins de luxe tout autour, certains pourraient penser que la ville n’est pas forcément pour eux. Donc c’est pour ça qu’une certaine neutralité doit être mise, de ce point de vue-là. » Malgré l’aspect subjectif de l’arpentage, j’ai pu personnellement ressentir cette mixité sociale au sein de la place. Tout le monde y est accepté : l’étranger, l’étudiant, le senior, l’enfant en bas âge, etc. L’espace public permet appartient à tous et permet une fois de plus de négocier entre citadins et citoyens, entre « gens d’ici » et « gens d’ailleurs » : une prouesse qui lui permet de redéfinir les conditions d’une urbanité contemporaine.
PARTIE 2
Ibid p.257 43
Article La Repubblica Parma. 30 mai 2018. Piazzale della Pace, riaprono i trottaoi 44
Citation de Alinovi, directeur des services d’urbanismes
FORET C. 01 mars 2010. Urbanité : une manière de faire société mise à l’épreuve par la fragmentation urbaine. Grand Lyon. Millénaire 3 45
Citation d’un entretien
LÉVY J. 05 janv. 2006. Conférence : « Quelle mobilité pour quelle urbanité ? » 46
Pour terminer, la mobilité est désignée par Jacques Lévy, géographe incontournable de notre ère contemporaine, comme intrinsèquement liée à la fabrique de l’urbanité. Dans une conférence pour l’Université de tous les savoirs, il affirme à plusieurs reprises : « Un modèle de mobilité est toujours un modèle d’urbanité » 46. Afin de prouver son affirmation, il compare deux modèles de villes : Johannesburg et Amsterdam où il montre « Un modèle de mobilité finalement que la ville compacte est nettement plus est toujours un modèle propice à des mobilités dites douces. Selon lui, la d’urbanité » métrique pédestre correspond à la construction de l’urbanité. En effet, c’est le piéton qui rend public l’espace. Par opposition, l’automobile, elle, le privatise. En effet, c’est en étant piéton que l’on rencontre un plus large spectre de la société. La marche à pied apparait alors comme fondatrice dans le développement d’un savoir vivre ensemble pouvant composer une urbanité contemporaine. Finalement, ce 3ième fondement de l’urbanité contemporaine s’inscrit donc dans une dimension plus large : celle de la ville, celle du territoire de l’agglomération. Il apparait alors légitime pour les politiques de la ville de prendre en considération cette question contemporaine, et pourtant qui ne date pas d’hier. Si l’on regarde à l’échelle de la Piazzale della Pace, on voit clairement qu’elle joue ce rôle fondateur dans cette dynamique piétonnière entre la ville nouvelle et celle héritée. D’autre part, lorsque l’on se situe sur la place, l’automobile reste marginale dans le partage de l’espace. Seulement une rue à sens unique lui permet de passer à proximité, laissant finalement la place à des métriques pédestres importantes. Finalement, la Piazzzale della Pace, notre ailleurs italien, répond à ces trois fondements de l’urbanité contemporaine. Il est clair que la place en tant que pièce morphologique de la ville, possède encore clairement un rôle à jouer dans la construction d’un savoir vivre ensemble, d’une urbanité au sens strict de l’acceptation ; et ce, dans toutes les villes européennes. Néanmoins, rappelons le fait que nous n’avons pas voulu prendre en compte dans l’analyse l’aspect trop subjectif de l’arpentage et de la culture de la société italienne, qui pourrait d’ailleurs, faire l’objet de nombreuses recherches scientifiques. L’objectif n’étant pas cela, il apparait tout de même légitime de ne pas oublier le rôle de cette culture italienne souvent très liée au collectif et à l’acceptation de l’autre, qui semble aussi aider à remplir les fonctions de ces trois enjeux de l’urbanité contemporaine.
Un modèle d’urbanité lié à un type de ville Si la mémoire d’une culture, un modèle de société semble indéniablement aider à la construction de l’urbanité, il apparait que la morphologie d’une ville en tant que territoire urbain, aide aussi à la construction de cette dernière. Jacques Lévy, insistait déjà il y a une dizaine d’année : « Un modèle de mobilité est toujours un modèle d’urbanité ». En effet, la marche à pied crée des relations alors que l’automobile nous rend plus individualiste. Mais faut-il encore que les politiques nous encouragent à utiliser « nos jambes » pour se déplacer d’un point A à un point B ? La ville de Parme – en tant que type mais aussi en tant que modèle qui possède des qualités idéales – nous montre l’efficacité de la ville compacte. La mobilité, et plus particulièrement celle pédestre, apparait comme l’un des fondements les plus importants de l’urbanité contemporaine car il permet aux citadins et aux étrangers PARTIE 2
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de se rencontrer, de prendre le temps, d’accepter les aspects de la vie quotidienne dans un temps long. En effet, c’est la base des deux autres fondements : les personnes d’une société doivent pouvoir se rencontrer dans un premier temps. Et c’est d’ailleurs ce que semble promouvoir la ville de Parme, une slow city 47 où le rythme de vie est ralenti afin de garder une vie paisible et solidaire entre citadins. A ce propos, nous ne pouvons qu’évoquer Milan Kundera qui écrivait en 1995 dans La lenteur : « Le degré de la vitesse est directement proportionnel à l’intensité de l’oubli ». Une belle morale qui démontre l’importance de l’acceptation d’une mobilité plus lente au sein de la ville. Toutefois, le modèle de ville parmesan est idéal à la mobilité pédestre contrairement à la ville de Clermont-Ferrand. Ce modèle de ville compacte, avec un centre-ville très dense favorise la marche à pied et donc les interactions humaines au sein de la ville. La compacité de la périphérie permet aussi le développement d’un réseau de transport en commun efficace et donc très utilisé par les citadins. L’urbanité parmesane est alors aussi liée en grande partie à cette dimension plus large : celle de la ville dense. Si l’on regarde à l’échelle de la place la mobilité est aussi une question primordiale : les diverses reconquêtes menées actuellement sur la Piazzale della Pace relèvent de questions de mobilités piétonnes pour mieux lier les différents espaces stratégiques de la ville.
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La question de la mobilité apparait alors comme une question essentielle à notre ère contemporaine lorsque l’on parle de reconquête de la ville. D’une part les défis écologiques apparaissent de plus en plus importants et semblent ne plus pouvoir attendre. D’autre part, la construction d’ une urbanité contemporaine,peut apparaître comme « salvatrice » de notre société dans laquelle nous vivons actuellement. Il est alors nécessaire de se détacher de cet individualisme, de ce repli sur soi. La communication, l’entente entre tous, est sans aucun doute la réponse à tous nos problèmes sociétaux, politiques. Une ville collective. Pour reprendre le titre d’un article de Myriam El Yamani dans Théologies, il apparait alors important, non plus de construire « ma ville, mais notre ville ». Il est donc urgent pour les collectivités, les politiques, mais aussi l’architecte, l’urbaniste, celui qui construit la ville de s’emparer de cette question de la mobilité. Or le projet du sol semble répondre à cette question : la reconquête de « l’espace entre les choses » 48 apparait fondamentale pour redessiner notre nouvelle ville contemporaine entre porosité et proximité d’espaces publics. Les débats actuels le démontrent comme la dernière biennale de Venise dont le thème portait sur les qualités d’espaces libres. Finalement, il convient de comprendre comment l’architecte peut s’emparer de cette question traitant du sol à une échelle plus locale, et des mobilités à une échelle plus territoriale ?
SLOW CITY : Mouvement politique italien « Cittaslow » promouvant des usages de la vie quotidienne plus lents 47
BIANCHETTIN DEL GRANO, M. 2016. Le projet du sol et l’espace entre les choses. Une nouvelle pensée et un nouveau langage pour l’urbanisme contemporain 48
in Le sol des villes, ressource et projet (Panos Mantziaras et Paola Vigano)
PARTIE 2
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Fig. 23 - Gli Atti Fondamentali : Vita (Supersurface) 1971 - 1972 Š Superstudio
LA RECONQUÊTE DE « L’ESPACE ENTRE LES CHOSES » : LE SOL COMME RESSOURCE DE NOTRE VILLE Le sol urbain : une ressource renouvelable dans la construction d’une urbanité contemporaine .........................................................................
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Un sol méritant une toute nouvelle attention ..........................................
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Construire la ville contemporaine comme un « espace habitable » : L’architecture du lieu .................................................................................
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Expérimentation et projet selon les principes de sol et fondements de l’urbanité contemporaine .......................................................................
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Le genius loci urbain de la ville contemporaine ........................................ Nous, citadins, acteurs et rêveurs de la ville contemporaine ...................
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« En réécrivant les lieux, ils aident à changer la société : en dessinant la transformation physique, ils reconceptualisent et restructurent les relations sociales » Giuseppe Dematteis, 1964
PARTIE 3
Le sol, comme milieu matériel, vivant, semble apparaître comme une ressource éternelle. Depuis toujours, l’Homme a architecturé les sols : il a construit sur des terres fertiles, inventé ses infrastructures (architecture technique souvent liée à la question des transports : autoroutes, chemin de fer, canalisations hydrauliques, etc). Et pourtant, le dernier siècle montre que l’Homme, dans sa frénésie de construire a souvent oublié que le sol était une ressource finie et qu’il était nécessaire de la préserver. Les pratiques de composition urbaines, fonctionnalistes, presque parfois simplistes, ont tendance à avoir réduit l’architecture au règne de l’édifice oubliant le support sur lequel il est lui-même relié. L’ère moderne, sa machine à habiter, son industrie et sa technique, a anthropisé une grande partie des écosystèmes, urbains et ruraux. Les sols de nos villes sont devenus souvent imperméables, appauvris par une expansion urbaine ne pensant peu aux connections, porosités, qui conféraient à l’espace urbain de véritables qualités. D’une dimension abondante, le sol a évolué vers une ressource précieuse qui fait fantasmer ces quelques urbanistes, géographes, et architectes qui construisent la ville. Il enchante la recherche scientifique. Le « Projet du sol », comme l’appelle Bernardo Secchi dans Progetto di Suolo publié en 1986 dans Casabella, semble offrir la réponse aux disparités de la ville contemporaine, homogénéisant ses espaces, rendant une véritable cohésion entre vides et pleins, entre citadins et citoyens. L’espace ouvert, porteur de sol à projet, est de nouveau au centre des débats, à l’heure où les préoccupations urbaines traitent de la marge urbaine et de la relation toujours plus complexe entre la ville et la campagne. Il est en capacité de répondre aux enjeux environnementaux que posent la ville d’aujourd’hui. On le retrouve d’ailleurs dans les nombreux débats actuels. Freespaces, thème de la 16ième Biennale d’architecture internationale de Venise, traite de l’espace ouvert, et des mouvements de l’usager dans celui-ci. Dans une dimension plus large, il s’agit de comprendre si l’architecture contemporaine ne doit pas construire plutôt des lieux que des bâtiments
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? 49 La discipline architecturale et sa recherche ne semble pas trouver de fin dans une époque où l’expérimentation est encore sans cesse à redéfinir. Entre nouveaux lieux de coexistence sociale ponctuels, et connectivités à échelle territoriale, le projet de « l’espace entre les choses » 50 avec le sol comme ressource renouvelable, apparait comme un véritable remède à la crise que subit la ville contemporaine. Bien commun, porteur de qualités urbaines, ce sol, levier d’une nouvelle urbanité contemporaine, et répondant à des enjeux contemporains de la pensée environnementale semble indéniable à étudier. Cette troisième partie permet alors de clôturer idéalement ce mémoire par la question du sol et de son aménagement. Partant de la réflexion menée par différents auteurs dans un ouvrage intitulé Le Sol des villes (recueil d’articles confrontés), de Panos Mantziaras et Paola Vigano, nous verrons dans un premier temps, comment le sol apparait comme une ressource renouvelable dans cette dimension de vide urbain. Enfin, pour terminer, nous mettrons en lumière ces questions étudiées précédemment sur les différents espaces publics vus dans le mémoire : à savoir l’ailleurs italiens et l’ici Clermontois. Finalement, comment l’architecte peut-il s’emparer de cette question vis-àvis d’une nouvelle urbanité dans une ville conçue comme un véritable « espace habitable » 51 ?
C’est la démarche portée par le Collectif Encore Heureux dans le projet Lieux infinis 49
BIANCHETTIN DEL GRANO, M. 2016. Le projet du sol et l’espace entre les choses. Une nouvelle pensée et un nouveau langage pour l’urbanisme contemporain 50
in Le sol des villes, ressource et projet (Panos Mantziaras et Paola Vigano)
51
Ibid, p. 229
Bernard Huet conçoit la ville contemporaine comme un espace habitable.
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3.1. LE SOL URBAIN : UNE RESSOURCE RENOUVELABLE DANS LA CONSTRUCTION D’UNE URBANITÉ CONTEMPORAINE Le sol est un milieu vivant, se renouvelant dans un temps extrêmement long, porteur d’organismes. Au fur et à mesure du temps, l’architecte semble avoir oublié tout rapport avec celui-ci. L’architecture moderne, par ses leçons innocentes, simplistes a rendu le problème du sol encore plus intense. L’hypothèse du Corbusier illustre le paroxysme de cette époque : « le terrain idéal est une surface parfaitement neutre, aplanie et dépourvue de toute caractéristique morphologique naturelle » 52. D’une part, les théories architecturales et urbaines du dernier siècle, ignorant le projet de sol, ont eu des répercussions considérables sur l’environnement : l’imperméabilisation des sols fut l’une des premières conséquences de l’accroissement des risques liés à l’eau (remontée de nappes phréatiques, ruissellement des eaux des villes polluant les cours d’eau, inondations plus subites et longues) et de destruction des organismes vivants dans ces derniers. D’autre part, ces théories, pensant peu aux connections entre les différents lieux identitaires de la ville, construisant de véritables cohésion sociales au sein de celle-ci, ont contribué à la mort des valeurs de la ville en tant que regroupement social et expression des citadins. Le sol est remodelé sans cesse par l’Homme. Alors précieux, matière presque luxueuse car vue seulement du point de vue de la spéculation, il mérite une tout autre attention. C’est le débat mené depuis plus de 30 ans par Bernardo Secchi et d’autres architectes. L’espace vide, ouvert, oublié, délaissé devient un enjeu fondamental pour les acteurs de la ville. Alors que celui-ci devient rare, que les
52
Ibid. p. 228
L’auteure cite l’hypothèse du Corbusier.
préoccupations écologiques semblent à leur apogée, le projet du sol devient une nouvelle manière de concevoir la ville contemporaine où tout le monde doit finalement pouvoir s’y retrouver.
Un sol méritant une toute nouvelle attention
SAMPAIO, S. 21 décembre 2012. «Chaque seconde, 26m² de terres agricoles disparaissent en France» in Économie -La Tribune 53
HAVLICEK, H. 2016. Le sol urbain : surface inerte ou capital naturel ? 54
in Le sol des villes, ressource et projet (Panos Mantziaras et Paola Vigano) p. 19
Le sol est à prendre en compte dans son épaisseur. Il est vécu en dessous par des êtres vivants, des plantes, des micro-organismes qui contribuent aux cycles des écosystèmes. Si ce milieu souterrain, en tant que milieu vivant, était amené à disparaitre, cela aurait des répercussions considérables à la surface. Et nous l’observons déjà dans certaines régions du globe, dans ces quelques villes qui subissent cette dérégulation des cycles naturels comme celui de l’eau où les inondations apparaissent de plus en plus répétées. Il se doit être le support de l’agriculture urbaine permettant d’une part de nourrir les citadins en rapprochant les lieux de production avec les consommateurs et d’autre part en favorisant le lien entre l’Homme et la nature. Le sol en tant que surface, est celle de l’Homme, de sa construction, de son anthropisation. Il est porteur d’échanges, de pratiques urbaines, de coexistences sociales. Le sol de l’époque anthropocène est donc cette double épaisseur, dont celle inférieure semble s’effacer au profit de celle supérieure lorsque les sédentarisés s’en servent pour la production agricole, l’extraction de matières premières (graviers, sables), et le support de leur urbanisation. Olivier Razemon, écrit dans un essai intitulé La Tentation du bitume (2012) : « tous les dix ans, c’est l’équivalent d’un département français qui est urbanisé dans le monde (soit 6000 km²) ». Et pourtant, la Terre, son sol, sont de véritables enjeux à la demande alimentaire qui s’accroît chaque jour que nous vivons. Les Hommes se sont installés sur des terres fertiles. Le temps passant, ils ont grignoté et grignotent encore leurs meilleures terres agricoles. On compte en France, chaque seconde, 30 m² de terres agricoles qui disparaissent 53. On observe dans certains pays du monde, que le sol est devenu une ressource épuisée, au point de créer de véritables tensions entre les acteurs privés et publics. De plus, la disparition prometteuse du pétrole propulse les agrocarburants au sommet de la production agricole, il faudra donc en produire encore plus et la demande de terres arables risque d’exploser. D’autre part, la pression de l’urbanisation engendre des conséquences indéniables sur la conservation de la biodiversité, elle, contribuant au bon fonctionnement de nos écosystèmes. Sommes-nous sur le point de bâtir une nouvelle terre faite d’un seul écosystème urbain ? La rareté de ce sol pose donc la question de son utilisation. La vie en autarcie n’est surement pas la solution. En revanche, il est primordial de porter une toute nouvelle attention à ce dernier, en tant qu’épaisseur et non pas comme surface aplanie, neutre, dotée uniquement de constructions et d’infrastructures. Alors « absent de la perception quotidienne du citadin » 54, l’architecte contemporain doit pouvoir concentrer sa recherche sur la question du sol urbain et de son projet. Il s’agit alors de regarder le sol non plus comme simple ressource mais comme un milieu servant déjà et pouvant resservir. Fonder un nouveau type de compacité pour la ville contemporaine, par la problématique du projet de sol, semble donner les réponses à la crise que subit celle-ci actuellement. Par exemple, l’agence d’urbanisme et d’architecture parisienne TVK (connue pour sa belle reconfiguration de la place République à Paris), invite les architectes à repenser le rapport de l’édifice avec le sol en prenant l’exemple de l’infrastructure à contrepied : PARTIE 3
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« L’infrastructure est ainsi d’une certaine manière une formulation extrême de ce que peut être l’architecture du sol : à la fois une architecture (au sens d’édifice) et un sol (au sens de site). Une attention pour le sol appelle donc logiquement une attention pour l’infrastructure, mais en ne prenant plus seulement ce mot pour ce qu’il désigne communément (autoroutes, canaux, voies ferrées, et autres lignes qui équipent le territoire) mais aussi pour sa capacité à représenter un couple indissociable entre le sol et sa construction… ». Equipe TVK Il s’agit alors d’imaginer le sol urbain d’une nouvelle manière, comme une ressource renouvelable, palimpseste, conservant la mémoire d’un espace, construisant de nouveaux usages au travers du sol. Il ne s’agit plus de construire un édifice, où seule la forme architecturale donne de la valeur au site. « Faire de l’architecture, c’est construire un lieu » 55 écrivait Vittorio Gregotti. La pensée architecturale contemporaine doit donc s’inscrire dans la « Faire de l’architecture, construction du lieu, lieu de coexistence sociale, c’est construire un lieu » de pratiques diverses, de diversité, habité par tous.
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Finalement, le sol et son projet architectural s’inscrit pleinement dans la thématique de « Réinventer la ville » dans ses enjeux économiques, écologiques, sociaux, à la recherche d’une nouvelle urbanité. Nous avions fait émerger en première partie, la reconquête des espaces publics pour des problématiques de mobilités. La valeur réversible de la place pour des usages divers et variés était apparue comme une bonne réponse à cet aménagement au travers d’une certaine neutralité et uniformité du sol mais souvent à des prix exorbitants. La question du sol et du vide urbain, elle, fait émerger, cette dimension plus sociale et d’aménagement de l’espace ouvert à l’échelle de la ville interconnectant les lieux.
BIANCHETTIN DEL GRANO, M. 2016. Le projet du sol et l’espace entre les choses. Une nouvelle pensée et un nouveau langage pour l’urbanisme contemporain 55
p. 233
Construire la ville contemporaine comme un « espace habitable » : L’architecture du lieu En 1984, Bernard Huet propose une nouvelle vision de la ville contemporaine. Il faut penser cette entité urbaine comme un véritable « espace habitable » en rétablissant « la dialectique entre unité et fragment, la continuité et la discontinuité, l’identité et la différence » 56. Ce rétablissement passe par le projet du sol, un projet urbain pensant au tout : l’idée est bien de reconcevoir les sols urbains dans un temps long afin de retrouver des proximités entre les espaces porteur de cohésion sociale et de dimension « publique-éthique » 57. L’architecture qui construit la ville doit donc se concentrer sur la création de lieu qui permet d’habiter la ville par tous, des lieux où la dimension du sol est prise en compte, où le sol relie ces derniers. Cette dimension de l’architecture est celle portée par le collectif Encore Heureux lors de la Biennale Internationale d’Architecture de Venise en 2018. La démarche du collectif suit celle de Vittorio Gregotti qui consiste à construire des lieux s’inscrivant dans une échelle plus large. Lieux infinis, c’est le nom du projet : il propose 10 espaces qui sont « des lieux pionniers qui explorent et expérimentent des processus collectifs pour habiter le monde et construire des lieux communs » 58. Lieux infinis, caractérisent ainsi l’aspect du lieu non finis, où l’on retrouve une infinité de possibles. Ce sont des lieux d’expérimentations éphémères, mais, qui PARTIE 3
56
Ibid. p. 230
Citation de Bernard Huet 57
Ibid. p. 240
Collectif Encore Heureux, définition donnée sur le site internet de l’agence. 58
LE 6B
SAINT DENIS
L’HÔTEL PASTEUR
RENNES
LA FERME DU BONHEUR
NANTERRE
LA CONVENTION
AUCH
LA FRICHE DE LA BELLE DE MAI
MARSEILLE
LE CENTQUATRE
PARIS
LA GRANDE HALLE
COLOMBELLES
LE TRI POSTAL
AVIGNON
LES GRAND VOISINS
PARIS
LES ATELIERS MÉDICIS
CLICHY-SOUS-BOIS-MONTFERMEIL
PARTIE 3
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réinterrogent dans un temps long la complexité de la ville contemporaine, l’instauration de nouveaux projets urbains, et la création d’un véritable savoir vivre ensemble avec un public hétéroclite. La plupart de ces expérimentations s’inscrivent dans des espaces ouverts, oubliés par le monde post-moderne. Par exemple, on retrouve parmi ces 10 lieux investis celui intitulé Les grands voisins : tout un quartier est requalifié. Le collectif profite de l’oubli et l’absence d’usage de ce dernier pour y instaurer des usages variés comme l’installation d’un centre d’hébergement social, des espaces de travail pour des jeunes créatifs, un camping urbain accompagné de bains chauds. Tous ces acteurs contribuent à rendre une nouvelle dimension conviviale au quartier en créant un véritable savoir vivre ensemble. Par cette réalisation et les neuf autres, le collectif Encore Heureux explore une multitude de nouvelles pratiques pour concevoir une urbanité contemporaine au travers de lieux d’entente sociale avec un public urbain diversifié. On retrouve l’un des 3 grands fondements de l’urbanité contemporaine dans chacune de ces réalisations : l’hospitalité du lieu. Le lieu étant vu comme un véritable espace public de cohésion sociale.
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Selon Bernardo Secchi, le projet urbain passe par « le dessin du sol et de l’espace public », et par l’investissement « des espaces résiduels que la vie moderne a, d’une certaine façon rejetée » 59. Il caractérise ces espaces comme « espaces ouverts », lieux de pratiques sociales en marges. Je décide de poursuivre l’axe de réflexion de Secchi mais en y intégrant une dimension plus concrète de l’investissement de ces lieux. Selon moi, l’architecte contemporain doit pouvoir construire des lieux dans des « espaces ouverts » à une échelle locale et doit pouvoir les connecter au travers d’un projet de sol plus territorial intégrant la question de la mobilité : fondement de l’urbanité contemporaine à l’échelle territoriale et locale. Le sol du lieu construit par l’architecte doit pouvoir offrir une liberté de déplacement de l’usager. Celui des espaces connectant, doit permettre et offrir au citadin la possibilité d’utiliser des métriques pédestres. Et cela ne veut pas dire diviser l’espace de circulation. Comme l’a montré les abords de la Piazzale della Pace à Parme, partager la rue, ce n’est pas la diviser. Il faut rendre possible la rencontre, et cela ne veut pas dire non plus privatiser le trottoir par la création de commerces et de cafés. Le citadin doit pouvoir s’approprier l’espace et se déplacer librement. Les politiques des collectivités doivent changer le paradigme du « tout voiture » et avoir des visées audacieuses pour accompagner les projets urbains. La rue n’est pas l’espace appartenant à la voiture, mais l’espace habité par les citadins, les riverains. Alors que les politiques et projets étudiés en première partie s’attachaient souvent à reconquérir l’espace public et ses usages, le sol, son projet urbain, nous indique la nécessité d’aller au-delà. Le vide urbain est donc essentiel, car il constitue aujourd’hui la possibilité de rendre à la ville d’authentiques valeurs urbaines. Malgré un caractère un peu « cerise sur le gâteau » ou « sauce à la crème ajoutée au dernier moment » pour la communauté architecturale, nous pouvons tout de même déjà saluer l’engouement populaire récent pour l’agriculture urbaine. Ces espaces de nos villes permettent de créer des lieux où chacun peut s’y retrouver, autant dans les pratiques liées à la culture, que dans le regroupement social. Ces lieux s’inscrivent aussi dans des perspectives écologiques (comme la reconquête des délaissés à Détroit). Au-delà de la production alimentaire de proximité, les sols de ces lieux « quasi naturels » permettent à l’eau de s’infiltrer, mais surtout une régulation climatique comme l’explique Elena Havlicek dans un article intitulé Le Sol urbain : surface inerte ou capital naturel ? 60. La Piazzale della Pace semble Fig. 24 - Les 10 lieux infinis du collectif encore henreux 2018 © Jochen Gerner PARTIE 3
BIANCHETTIN DEL GRANO, M. 2016. Le projet du sol et l’espace entre les choses. Une nouvelle pensée et un nouveau langage pour l’urbanisme contemporain 59
p. 236 - Citation de B. Secchi. 1993. Un urbanistica degli spazi aperti, Casabella 597
HAVLICEK, H. 2016. Le sol urbain : surface inerte ou capital naturel ? 60
p. 19
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s’inscrire une fois de plus dans cet aspect climatique au travers de son projet de sol. Nous l’avons tous remarqué, il fait toujours plus frais dans un parc urbain grâce à l’évapotranspiration des végétaux. C’est de cette manière que l’architecte doit concevoir la ville d’aujourd’hui selon les théories de Bernard Huet, en pensant au tout urbain, au travers de la reconquête de « l’espace entre les choses », qui acquiert une toute nouvelle dimension publique lorsque l’on entretient une nouvelle vision de ce dernier. Nous avions mis en avant dans les premières pages de cette partie une illustration du collectif italien Superstudio. Nous connaissons tous la volonté de ce groupe de renverser la pratique architecturale vers une pratique iconoclaste et conceptuelle de cette dernière. Ce collage est l’un des premiers de la collection « Gli atti fondamentali » qui s’intitule Vita (1971). Il illustre, comme le reste de la collection, l’essence de la vie humaine, soit les pratiques banales du quotidien. Chaque usager représenté dans chaque scène de la collection, est ainsi libre de ses usages et reflète un espace habité. C’est par cette pratique conceptuelle, que l’on peut aussi qualifier la nouvelle ville contemporaine comme un « espace habitable » au travers de la construction du lieu.
3.2. EXPÉRIMENTATION ET PROJET SELON LES PRINCIPES DE SOL ET FONDEMENTS DE L’URBANITÉ CONTEMPORAINE Alors que les politiques de « Réinventer la ville » à Paris s’impliquent dans la reconfiguration des grandes espaces publics icônes (places royales) du XVIième et XVIIième siècle, et peinent à faire face à la pression des acteurs privés prônant une valeur marchande, certaines nouvelles métropoles montrent un bel investissement dans des projets urbains traitant de véritables problématiques urbaines comme le Grand Paris dirigée par l’agence de Paola Vigano et Bernardo Secchi, ou le projet de l’Île de Nantes qui a fait émerger de nouveaux concepts pour la pratique architecturale de grande échelle comme le plan guide. Néanmoins, ces projets, malgré des qualités tout à fait louables et ambitieuses, montrent encore un certain oubli de la reconfiguration de l’existant à grande échelle. Le sol, et son projet urbain, nous l’a montré précédemment : c’est l’ensemble de la ville contemporaine qui doit être conçu comme un espace habitable par tous, une équation d’infinité de lieux connecté entre eux créant un nouveau genius loci urbain. Afin de conclure ce mémoire, il s’agit, selon les principes de sol étudiés auparavant, les trois fondements de l’urbanité, les six qualités urbaines énoncées, de projeter, rapidement, un projet idéal pour la ville et ses espaces publics. L’objectif n’étant pas de créer un modèle – étant donné que le modèle de ville n’existe pas et que chacune d’elle doit assumer son urbanité –, mais plutôt de faire émerger des formes concrètes d’aménagements qui répondent à la construction d’une urbanité contemporaine. Ce travail est bien entendu, inspiré des différentes actions vues dans ce mémoire et tente de mettre en lumière les différentes questions vues précédemment. PARTIE 3
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Le genius loci urbain de la ville contemporaine Au vu des questions de projet urbain, de projet de sol étudié précédemment, il apparait clairement deux échelles dans la conception de la nouvelle ville contemporaine. Le projet urbain semble s’inscrire à deux échelles : celle locale, et celle territoriale. Néanmoins, un projet abouti, rigoureux, pour une ville contemporaine conçue tel un espace habitable, repose sur le croisement de ces deux échelles. L’échelle locale traite généralement du projet architectural. L’architecte ne doit pas s’arrêter à penser la forme mais bien l’avenir du lieu qu’il va créer avec une pluralité de programmes qui vont donner un nouveau caractère au site. C’est bien l’initiative portée par l’agence d’urbanisme et d’architecture TVK : penser l’architecture comme une infrastructure et non pas comme une juxtaposition d’objets, et de formes. Cette nouvelle manière de faire l’architecture modifie le site et ses alentours. Elle crée un nouveau lieu. Ce projet d’ordre plus local doit penser les répercussions sur un projet territorial, en y intégrant des problématiques de projet de sol qui vont permettre de connecter la petite échelle à la grande. L’architecture du lieu contribue largement à donner une nouvelle urbanité. Il doit offrir la possibilité au citadin de s’investir pleinement dans le lieu ; sans cette appropriation, l’architecture du lieu n’est pas aboutie et le lieu n’existe pas. Le lieu doit regrouper, respecter une certaine hospitalité, accessibilité pour tous. L’architecte doit penser le lieu chaleureux, comme un espace qui invite au partage. Un espace polyvalent, où le citadin devient acteur et non plus spectateur.
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L’échelle globale regroupe toutes les interventions qui vont permettre de connecter ces différents projets locaux. L’architecture du lieu, le projet du sol sont encore à l’œuvre. Ces interventions doivent présenter une infinité de possibles pour ceux habitant les futurs lieux, mais surtout dans le but de générer des interactions entre les citadins. Ces lieux, à l’inverse de l’échelle locale, plus définie, ne sont pas contraints par des programmes donnés. Ces interventions relèvent d’espaces ouverts, d’espaces déjà investis par l’Homme mais à réinvestir comme dans le cas de la reconquête des espaces publics à Paris, ou d’espace non investis à investir comme des friches urbaines, toujours dans un but de sociabiliser des lieux qui ne l’étaient plus ou qui l’ont été du moins. Ces lieux ont pour objectif de créer la grande échelle du projet urbain, montrer les différences et l’hétérogénéité que porte ce dernier. Ils relèvent de l’espace habité par tous, d’espaces publics. Parmi tous ces espaces connectant les échelles locales, on retrouve les grands espaces publics créant de véritables porosités, ouvertures dans la ville. Des « poumons urbains » permettant au citadin de se ressourcer au sein de cette dernière. Pour rappel, Olivier Mongin plaidait pour l’instauration d’une scène politique au sein de la ville. L’espace public doit répondre à cette demande, en proposant, par le projet du sol, une possible scène politique, où ce dernier est alors conçu comme un véritable lieu de représentation pour chacun des citadins. L’espace public doit aussi apparaitre comme un lieu icône, symbole au même titre que les monuments qui forgent l’identité de la ville : en effet, si la technique anthropise notre écosystème urbain, c’est bien le symbole qui peut l’humaniser comme l’écrivait Augustin Berque dans la préface de Fudô 61. Ce dernier, par un projet de sol uniforme, neutre, doit proposer une infinité de possibles : la valeur réversible de l’espace est indéniable dans l’architecture du lieu. C’est d’ailleurs ce que nous montre ce collage conceptuel représentant la place République à Paris lors de la reconfiguration par l’agence TVK (fig. 25 – Collage représentant l’infinité des possibles sur PARTIE 3
BERQUE A. 17 février 2011. Préface de Fûdo : Le milieu humain. Cnrs. 336 p. 61
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62 FORET C. 01 mars 2010. Urbanité : une manière de faire société mise à l’épreuve par la fragmentation urbaine. Grand Lyon. Millénaire 3
Lewis Mumford cite un rhéteur antique dans son ouvrage «La Cité à travers l’Histoire» à propos de la civilisation commerciale dans la formation des villes
la place). Au-delà de ces espaces publics, on retrouve le rôle de la rue, souvent oubliée dans les politiques de « Réinventer la ville », qui doit être conçue comme un véritable lieu de cohésion sociale, habitée par l’Homme et non pas comme un simple espace servant à la circulation. Il s’agit alors de repenser les mobilités à l’échelle locale et territoriale. Cela passe par les politiques des collectivités mais aussi par le projet du sol qui doit donner l’opportunité au citadin de se déplacer selon des métriques pédestres : l’un des fondements les plus important de l’urbanité contemporaine car c’est celui qui amène un «frottement» entre les citadins et qui permet de rendre publique la ville, et donner l’opportunité de fabriquer de nouveaux savoir-vivre ensemble. Sans parler des mobilités, la reconquête de la rue passe aussi par la diversité de son front bâti. C’est alors diversifier les fronts de rues, pour retrouver un équilibre de l’espace privé et celui public. Les rues à colonnades de la ville de Bologne, ou de Parme, démontre ces belles imbrications entre espaces privés et publics. Souvenons-nous de ce que nous racontait le rhéteur Libanios sur sa ville Antioche 62 : «…On remarque, en parcourant ces rues, les longues séries d’habitations particulières où, de temps à autre, s’intercalent des édifices publics : ici, un temple, plus loin un établissement de bains que fréquentent les habitants de tout un quartier, et dont la façade se trouve dans cet alignement de colonnades. Mais, direz-vous, pourquoi une aussi longue description ? Voyons l’un des plus vifs agréments de la PARTIE 3
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Fig. 25 - Collage représentant l’infinités des possibles sur la place 2012 © Martin Etienne - TVK vie citadine, et dont nous pouvons tirer le plus grand profit, ne le trouvons-nous pas dans les possibilités de rapports humains divers et multiples, et, par Zeus, voilà par excellence une cité faite pour nous les procurer. » Concevoir un genius loci urbain, c’est rendre la ville publique, abandonner tous les aspects qui la privatisent, telle que l’automobile. C’est aussi retrouver une imbrication de services traitant à l’échelle territoriale et locale. De fait l’équilibre de mixité fonctionnelle est important à respecter. Par ailleurs, une articulation des mobilités est nécessaire sans pour autant diviser les voiries, le tout par une imbrication des interventions croisant petite échelle et grande échelle. On dit souvent que le détail fait la perfection, mais je dirais plutôt que le détail traite tout autant le grand territoire que l’architecture en elle-même. L’espace habitable de la ville contemporaine doit aussi respecter une certaine neutralité. Une neutralité permettant de rendre l’espace hospitalier, accessible à tous. La neutralité ne voulant pas dire banalité, au contraire, l’objectif étant bien de créer des conditions, des supports suscitant l’appropriation des citadins et citoyens, de toutes classes sociales. Le genius loci urbain, c’est aussi la ville marchable, répondant à des problématiques écologiques, par la renaturalisation de certains espaces, par PARTIE 3
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l’augmentation des ripisylves de nos rivières, par l’acceptation d’un nouveau modèle de société. Le genius loci, c’est « réinventer la ville », mais pas seulement les espaces publics déjà symboles de nos villes, c’est penser au tout urbain, et faire face à la condition de la ville contemporaine que nous énoncions en première partie. Le genius loci urbain, c’est l’architecture du lieu, entre échelle territoriale et locale, créant un savoir vivre ensemble, acceptant tout public, dans ses différences et ses communs. Le genius loci urbain, c’est l’urbanité au sens strict de l’acceptation.
Nous, citadins, acteurs et rêveurs de la ville contemporaine Malheureusement, ce genius loci, presque idéal, est difficile à mettre en œuvre dans notre ville contemporaine dû à une condition toujours plus globalisée. Nous l’avions énoncé précédemment, en fin de deuxième partie. Il n’existe pas un modèle d’urbanité, ni un modèle de ville. Chacune doit se forger et assumer sa propre urbanité. Néanmoins, l’ailleurs italien, nous avait montré, qu’au-delà d’un tissu morphologique favorable à une certaine urbanité comme notion absolue, le modèle de société jouait aussi largement en la faveur de cette dernière. Derrière un modèle de société, se cache souvent un modèle de politiques. Avec des politiques souvent occupées sur des sujets extérieures à la ville, liées à l’économie marchande, la ville subit elle-même un certain oubli en termes de pensée et de changements audacieux. Et les potentiels de la ville possèdent une infinité de possibles. Au cours de l’histoire, les grandes figures de l’urbanisme ont toujours démontré que la ville et ses modifications pouvaient réformer toute une société. Il est donc nécessaire, que l’Homme rêve sa ville contemporaine, et que chacun de nous prenne des initiatives. L’architecte, lui, ne peut que donner le support offrant des possibilités de changement. A l’heure de préoccupations internationales sur l’effondrement possible de la société, les politiques doivent prendre un véritable tournant dans leurs idées. Il s’agit de ne pas voir par la négative ce futur effondrement, mais plutôt d’en voir les possibles. Giuseppe Dematteis, écrit à ce propos, les Métaphores de la Terre (Metafore della Terra) en 1985 où il propose de regarder la géographie différement, entre le «mythe» et la «science». Selon lui, c’est dans ces nouvelles facultés imaginatives que l’Homme doit puiser pour ré-écrire la science de la géographie. C’est un peu le principe de résilience qui s’impose à nous ici et que nous devons explorer dans cette nouvelle architecture du lieu. Il s’agit alors de regarder les possibles de la contraintes au travers d’un urbanisme de narration. C’est bien le prisme du projet urbain. Ce ne sera pas le promoteur qui réinventera la ville dans ses manières de concevoir. Ce ne sera ni les politiques publiques. Ce ne sera pas aussi l’architecte. C’est à nous tous, architecte ou non, citoyens et citadins de changer la ville, de créer notre nouveau savoir vivre ensemble, de trouver une nouvelle urbanité contemporaine. Oublions l’idée d’aller vivre en dehors de nos villes. Une périphérie qui s’étend constitue le noyau même de la crise que subit la ville contemporaine. Fondons notre propre anthropologie, et soyons partisans d’une nouvelle ville compacte, intégrant l’étranger, la différence. Vivons en harmonie, et changeons nos modes de vies. Henri Lefebvre l’écrivait déjà dans le droit à la ville : c’est notre lieu à nous, c’est notre droit, et notre devoir. Nous ne savons plus ce qu’est habiter ou un espace habitable. Habiter ne doit pas se résumer à son appartement, à sa maison ou à son jardin. Si la rue est un espace banal, c’est bien là qu’il faut s’investir pour l’habiter. PARTIE 3
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Habiter la ville, c’est en quelque sorte rêver son devenir et le devenir de celle-ci. Le remède même de la ville contemporaine, est que nous acceptions qu’elle soit habitée par tous. Un petit pas dans la conception de « notre ville », mais un grand pas pour le retour à l’urbanité.
EPILOGUE, OUVERTURES ET COMPLÉMENTS Conclusion : vers un réinvestissement du patrimoine marginal ............
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Bibliographie ........................................................................................... 100 Annexes complémentaires ..................................................................... 104 Entretiens semi-dirigés ............................................................................. 105 Évolution de la ville de Parme - Cartographies ......................................... 113 Reportage photographique ...................................................................... 125
Index des figures ..................................................................................... 132 Table des matières .................................................................................. 134
CONCLUSION
Cela est indéniable, la ville contemporaine suit la crise politique, économique, sociale, environnementale que la communauté internationale subit actuellement. Nous commençons seulement aujourd’hui à comprendre les bouleversements, les dérèglements qui ont engendré cette crise urbaine. Cette ville nouvelle, apparait comme un véritable défi pour les architectes, urbanistes, géographes. Par ses caractéristiques d’hétérogénéité, de différences, par ses mélanges d’éléments qui nous paraissent toujours plus étrangers, par son évolution frénétique, elle semble nous échapper. Elle semble rejeter toute planification, et tant mieux. Les innocentes leçons de composition urbaine, d’extension, de l’époque moderne nous ont montré des résultats inquiétants sur la ville, ses formes et sa société. D’une entité forte, elle s’est transformée en une multitude de petites entités fragiles. Le scientifique, celui qui fabrique la ville, recherche alors sans cesse de nouvelles manières pour la préserver, la contenir et lui donner de nouvelles formes. L’expérimentation ne semble plus avoir de fin dans ce nouvel exercice infini qui nous démontre encore les difficultés imposées à la pratique architecturale. Malheureusement, on entend souvent parler aujourd’hui, de la ville contemporaine par la négative. Certains l’enterrent dans son cercueil, ne croyant plus en la ville, trop dépassée par le monde moderne et la technique. Et pourtant, étonnamment, on retrouve un profond désir de ville. A chaque coin de rue, on réclame la ville, en tant que structure sociale. Le besoin social, de proximité, de commerces, est comblé. L’Homo Urbanus de Thierry Paquot aurait-il compris la leçon de vie ? Voyons-nous en la ville, le point crucial pouvant sauver notre société en crise ? Ce désir est-il lié à un espace devenu toujours plus prisé, presque devenu une nouvelle mode dans la manière d’habiter ? Finalement, nous commençons à comprendre, vivre en dehors de la ville, c’est en quelque sorte s’exclure de la société. Et n’allez pas dire : « Mais les jeunes des cités qui vivent ensemble dans leur banlieue possèdent bien leur propre société ! ». La construction des grands ensembles illustrent justement parfaitement ce problème d’émergement d’une société parallèle, à huit clos, et leurs répercussions.
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Nostalgique d’une ville ancienne, croyant en le devenir de notre ville, le citadin, le scientifique, exprime un profond désir d’urbanité. Au tel point que l’urbanité, dans cette volonté de réemplois successifs, malgré une disparition progressive, a perdu de sa signification et est devenue un véritable fourre-tout. Nous l’avons vu, la pertinence de l’utilisation de cette notion peut interroger. C’est d’ailleurs, naïvement, que j’ai longtemps cru à un retour impromptu de l’urbanité en tant que notion absolue décrivant une ville du savoir-vivre ensemble. Mais cela apparait finalement plus utopique quand on étudie le sujet en profondeur. La ville contemporaine défie le modèle de ville du savoir-vivre ensemble. Elle renonce à un exemple parfait, idéal. L’urbanité s’est hybridée au point de devenir tout juste serviable. N’est-il pas judicieux de parler plutôt de qualités urbaines avant de parler même d’urbanité ? Réinterroger cette notion, et le retour d’un savoir-vivre ensemble possible n’est donc pas tant incohérent.
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La ville est sans doute la forme qui évolue, qui a évolué et qui évoluera encore le plus dans le temps. Il existe différentes villes, chacune appartenant plus ou moins à un modèle, l’épaisseur historique rentrant en jeu. Chacune d’entre elle reflète un type de société. Et derrière chacune d’entre elles, il existe aussi un modèle de politique. Dans des formes toujours plus variées, étrangères, la ville contemporaine ne peut plus se conformer à un modèle type. C’est d’ailleurs ce que nous a montré cette confrontation de l’ailleurs et de l’ici. A notre ère contemporaine, l’utopie urbaine porte donc bien son nom. La ville d’aujourd’hui est dans l’incapacité la plus totale de se conforter à un modèle type. Chacune d’entre-elles doit donc assumer son urbanité. Finalement, l’Histoire a démontré, une fois de plus, que les politiques possédaient un rôle considérable dans l’hybridation de l’urbanité au cours du temps. L’architecte s’est, malgré lui, réduit à un simple acteur créant un support architectural pour le citadin. Il apparait donc impératif que l’architecte prenne des positions politiques engagées dans sa pratique et ses mises en application. Néanmoins, la condition urbaine d’aujourd’hui, nous a aussi montré qu’il était difficile pour l’architecte de se frayer un chemin dans ce « monopoly urbain » contemporain où les groupes de travaux publics et promoteurs privés possèdent toutes les parts du marché allant du Boulevard de Belleville à la rue de la Paix. Dans cette logique de capitalisme exacerbé, ils sont d’ailleurs devenus les nouveaux fabricants de nos villes. Paradoxalement, on observe de nombreuses politiques qui tentent de reconquérir leur ville. Des reconquêtes souvent en demi-teintes qui affublent leur reconfiguration d’espaces publics « d’agora ». Elles tentent de donner l’opportunité aux citadins de rêver une nouvelle urbanité contemporaine en y intégrant de nouveaux modes de fabrications qui s’inscrivent dans ce mouvement dont on entend parler à toutes les heures de la journée : « Réinventer la ville ». La participation du citadin est au cœur de la production comme si les politiques avaient enfin compris une vraie démocratie dans la manière de construire la ville. Malheureusement, comme la définition du mot tentation l’indique, le rêve ne reste qu’un espoir. La condition globalisée de la ville contemporaine ne va pas en la faveur des politiques urbaines des collectivités, souvent louables pourtant. Le manque de fonds, ne permet plus de faire appel à l’architecte possédant lui les outils nécessaires pour réaliser de véritable projet réussissant la grande échelle que nous impose la ville d’aujourd’hui. La place publique est sans cesse réinterrogée comme si elle seule pouvait rendre aux citadins l’urbanité qu’ils avaient perdue. La plupart des projets traite au coup par coup et ne pense toujours pas aux coexistences avec le grand territoire. Les budgets, souvent dérisoires, rendent les aménagements
presque plus pauvres qu’ils ne l’étaient auparavant. N’est-ce pas un mythe de croire à l’aménagement urbain sans faire appel à des architectes qualifiés ? Les services d’urbanismes subissent clairement une pression de la part des politiques et des acteurs privés qui ne leur permettent pas d’entamer des réflexions et des projets ambitieux sur le long terme. La place publique possède encore clairement un rôle à jouer pour la ville contemporaine, cela est indéniable, mais n’est-ce pas réducteur de croire qu’un mouvement comme « Réinventer la ville » peut se conformer seulement au réaménagement de la place publique car elle reflète en elle les valeurs propres de la ville comme la quintessence du lien social ? Réinterroger la place publique et la réinventer ne semble plus suffire. Et pourtant, c’est bien ce que nous a montré Bernardo Secchi il y a plus de 30 ans dans son article Progetto di Suolo (Casabella 521) qui traitait la discipline de l’urbanisme tel le projet urbain que nous connaissons aujourd’hui dans le écoles d’architecture. Ce qu’il faut retenir de cet essai, c’est que « réinventer la ville » ne peut se réduire à la reconfiguration des grands espaces publics phares de la ville. C’est toute la ville qu’il faut concevoir comme un espace habitable, habitée par tous. Et pourtant, cela, nous le savons depuis plus d’une quarantaine d’années, lorsqu’Henri Lefebvre écrit le Droit à la ville en 1968. C’est d’ailleurs peut être l’un des défauts de cet ouvrage, qu’il n’ait pas été à destination de ceux qui habitaient la ville en majorité, soit le grand public. Le remède de la ville contemporaine est finalement, une fois de plus, dans la problématique de l’habiter. Concevoir la ville telles les pensées de Bernard Huet, Henri Lefebvre, ou Vittorio Gregotti, c’est habiter dans la ville ce qui nous parait parfois le plus inhabitable. Cela relève des devenirs d’un espace en tant qu’espace appropriable. Rappelez-vous, Heidegger, philosophe allemand écrivant dans Bâtir, Habiter, Penser en 1951 : « Habiter pour être ». Le devenir de l’urbanité apparait donc certain dans la notion d’habiter, dans celle de l’acceptation et de la différence. Qui dit habiter l’inhabitable, revient bien à habiter les espaces que personne ne veut habiter, ou l’espace le plus banal qui nous semble impossible. Et encore une fois, la discipline architecturale a beaucoup à devoir à la pratique du squat, se rapprochant presque de l’architecture vernaculaire, spontanée, éphémère. Réapparaît alors dans le débat, la friche urbaine. Dès que l’on évoque ces espaces urbains, tout un imaginaire s’impose à nous. Ils peuvent relever de l’urbain, du péri-urbain, du milieu rural. Ils sont partout, ils nous entourent. Mais les endroits où l’on les retrouve le plus souvent restent quand même à la marge de nos villes. Les marges urbaines, en tant qu’épaisseur spatiales, apparaissent alors comme un territoire d’enjeux pour l’architecte, l’urbaniste et les collectivités. Ces espaces suscitent un intérêt très particulier comme l’a montré, les dernières années, le réinvestissement de friches par plusieurs collectifs comme celui de Plateau Urbain ou celui du collectif Encore Heureux dans le cadre de la Biennale de Venise de l’année 2018. Ces espaces sont porteurs de véritables enjeux, ils suscitent des mises en scènes bien plus ambitieuses que dans des espaces formatés. Ils apparaissent comme les lieux de tous les possibles de demain. Ils ne sont pas contraints par le monde extérieur. A eux seuls, ils possèdent le pouvoir de nous réinterroger sur le reste de la société. C’est d’ailleurs, ce que cherche à faire la plupart des pratiques sociales marginales comme la rave party ou les squats artistiques, mais eux, à la différence de l’architecture, souvent militants. Finalement, faire de l’architecture, c’est un peu « être » comme écrivait Heidegger. L’architecte doit proposer un lieu polyvalent, proposant une multitude de destina-
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tion où le citadin peut s’approprier l’espace. Il doit travailler sur l’acceptabilité des personnes en difficulté et souvent marginalisées de la société. L’architecte doit créer, par l’architecture du lieu, le support de conditions de rencontres, pouvant former un savoir-vivre ensemble. Aujourd’hui, l’investissement n’est qu’éphémère, mais l’architecte de demain fera du patrimoine oublié, un véritable enjeu contemporain. L’investissement du patrimoine, de l’espace ouvert est un enjeu indéniable. Un réinvestissement qui fait vivre ce dernier. Lui seul, avec le travail d’une reconquête à grande échelle, de la rue, de l’espace public, du sol, est capable de recréer une société du savoir-vivre ensemble avec l’appui de l’architecte, puis du citadin.
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Alors que l’avenir de la ville est porté sur la Smart City, comme le montre l’actualité des débats, les investissements des grands groupes internationaux (Google, IBM, Huawei, Bouygues, etc.), il apparait nécessaire de se poser la question des répercussions de la ville connectée sur notre société. Qu’en sera-t-il du savoir-vivre ensemble que nous réclamons tant aujourd’hui ? Un savoir-vivre ensemble qui semble pourtant s’imposer comme un remède à la crise que subit la ville contemporaine. La Smart City demande comme préalable que toute la population puisse avoir un accès à la technologie. Mais quelles sont les parts de la population ayant accès à cette dernière, ou la fracture numérique devient criante. Les réseaux sociaux sont-ils nos espaces publics d’un nouveau genre ? Comment le citadin peut-il s’approprier ces espaces formatés par les Gafa, lui-même n’étant vu que comme une ressource de données engrangées à des fins mercantiles. Si la ville connectée facilite les relations entre les citadins, répond à des problématiques environnementales, il n’est pas certain que l’avenir de la ville contemporaine soit cette nouvelle ville connectée qui exclue ou manipule, par la technologie, une grande partie de la population, et qui signe d’évidence une mort certaine de l’urbanité.
BIBLIOGRAPHIE
L’annexe de ce mémoire présente une variété d’ouvrages, d’études, d’articles qui ont été utiles au développement et à la connaissance de mon sujet. Bien entendu, ces écrits présentés dans la liste qui suit cette page n’ont pas tous fait l’objet d’une lecture ou d’un travail approfondi. Ils ont cependant tous nourrit l’inspiration de ce mémoire. Naturellement, les premières lectures ont traité de domaines plus larges. L’évolution des villes, le rôle de la place publique, furent les premiers thèmes abordés dans la démarche d’écriture de ce mémoire. Très rapidement, j’ai orienté mes lectures sur le thème de l’urbanité, de la mise en pratique de celle-ci. Naturellement, et avec l’aide de Géraldine Texier Rideau, qui a largement contribué à l’inspiration de ce mémoire, j’ai très vite abordé le thème de la reconquête de la ville et des espaces publics au travers d’articles. La plupart de ces articles apparaissent comme des études de cas. Néanmoins, c’est cette question contemporaine, de reconquête à la recherche d’une urbanité, qui nourrit l’approfondissement de ce mémoire. Ainsi, de nombreux écrits d’urbanistes, de géographes, de philosophes ont été consultés afin d’approfondir cette notion d’urbanité et de ses enjeux. Mais c’est bien Alessandra Marcon, que je remercie, qui guidera en grande partie cet écrit. Par ses conseils pertinents, j’ai fini par aborder la notion de sol, qui selon moi, permet de clôturer idéalement cet intense débat sur la recherche d’urbanité. On peut donc regrouper par catégorie les différents écrits de cette liste bibliographique, allant de la problématique générale sur l’évolution des villes, à celle de l’aménagement des espaces existants. Dans un premier temps, sont exposés des ouvrages généraux traitant de l’évolution des villes et des espaces publics eu Europe Occidentale. Ensuite, sont présentés les écrits spécifiques à l’Italie qui m’ont permis de mieux comprendre l’évolution des villes italiennes depuis le Moyen-âge jusqu’à notre ère contemporaine. Dans un troisième temps, c’est le thème de l’urbanité qui est présenté au travers de nombreux ouvrages (articles, conférences, livres) permettant de mieux comprendre ses définitions, son évolution, ses persistances, et sa recherche constante aujourd’hui. Enfin, pour terminer, les derniers écrits présenteront des études de cas sur les divers processus de reconquête de la ville.
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Ouvrages généraux - FIJALKOW, (Yankel), Sociologie des villes, Editions La Découverte, Collections Repères Sociologie, 2017, 128 p. - MANGIN, (David), La Ville Franchisée, Paris, Éditions de la Vilette, 2004, 398 p. - KOOLHAAS, (Rem), Études sur (ce qui s’appelait autrefois) la ville, Editions Payot, 2017, 249 p. - AYMONINO, (Aldo), MOSCO, (Valerio Paolo), Spazi Pubblici contemporanei, Architettura a volume zero, Milano, Editions Skira, 2006, 396 p. - GIOVANNONI, (Gustavo), Vecchie città ed edilizia nuova, Editions CittàStudi Edizioni, 1995, 354 p. - MERLIN, (Pierre), L’urbanisme, Editions Presses Universitaires de France, Collections Que Sais-Je, 2013, 127 p. - LEFEBVRE, (Henri), Le droit à la ville, Editions Economica, Collection Anthropologie, 1968, 135 p. - TOPALOV, (Christian), COUDROY DE LILLE, (Laurent), DEPAULE, (Jean-Charles), MARIN, (Brigitte), L’aventure des mots de la ville, à travers le temps, les langues, les sociétés, Editions Robert Laffont, Collection Bouquins, 2010, 1489 p.
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- MONGIN, (Olivier), Vers la troisième ville ?, Editions Hachette, Collection Questions de société, 1995, 140 p. - MANTZIARAS, (Panos), VIGANO, (Paola), Le sol des villes, ressource et projet, Editions MetisPresses, 2016, 254 p. - PAQUOT, (Thierry), Homo Urbanus : essai sur l’urbanisation du monde et des mœurs, Editions du Félin, 1990, 177 p - JALLON, (Benoit), NAPOLITANO, (Umberto), BOUTTE, (Franck), Paris Haussman, Modèle de ville, Editions du Pavillon de l’Arsenal et Park Books, 2017, 256 p.
Écrits (Articles et Ouvrages) sur les villes italiennes et Parme - MAMOLI, (Marcello), TREBBI, (Giorgio), Storia dell’Architettura & dell’Urbanistica, L’europa del Secondo dopoguerra, Roma, Ed. Laterza, 1988, 538 p. - CAPELLI, (Gianni), Parma, La città Storica, Parma, Ed. Cassa di Risparmio di Parma, 1978, 358 p. - PFIRSCH, (Thomas), «La banlieue « ordinaire » italienne : voyage dans les immeubles collectifs des classes moyennes», Métropolitiques [en ligne], mis en ligne le 19 septembre 2014
- BONOMO, (Bruno), CARAMELLINO, (Gaia), DE PIERI, (Filippo), ZANFI, (Federico), Storie di case. Abitare l’Italia del boom, Roma, Ed. Donzelli, 2013, 526 p.
Écrits (Articles et Ouvrages) sur l’urbanité - RAYMOND, (Henri), «Urbain, convivialité, culture», Les annales de la recherche urbaine, [en ligne], n°37. Plans et projets, 1988, p. 3-8 - LEVY, (Jacques), «Urbanité : à inventer. Villes : à décrire», Les annales de la recherche urbaine, [en ligne], n°64. Parcours et positions, 1994, p. 11-16 - EL YAMANI, (Myriam), «De ma ville à notre ville : les enjeux d’une nouvelle urbanité plurielle», Théologiques [en ligne], n°3/1, 1995, p. 43-60 - FORET, (Catherine), «Urbanité : une manière de faire société mise à l’épreuve par la fragmentation urbaine», Millénaire 3, Grand Lyon [en ligne], mis en ligne le 01 mars 2010 - GEHL, (Jan), Life between Buildings : Using Public Space, Island Press, 2011, 216 p. - MONGIN, (Olivier), La condition urbaine, la ville à l’heure de la mondialisation, Éditions du Seuil, 2005, 339 p.
102 Écrits (Ouvrages et articles) sur la reconquête de la ville - FLEURY, (Antoine), WUEST, (Louise), «Vers de nouveaux modes de production des espaces publics à Paris ? Réflexions à partir du projet « Réinventons nos places »», Métropolitiques [en ligne], mis en ligne le 18 mars 2016 - BAILLY, (Emeline), MARCHAND, (Dorothée), « La ville sensible au cœur de la qualité urbaine », Métropolitiques [en ligne], mis en ligne le 20 avril 2016 - ORDUNA-GIRO, (Paula), JACQUOT, (Sébastien), «La production participative d’espaces publics temporaires en temps de crise. Le projet «Pla Buits» à Barcelone», Métropolitiques [en ligne], mis en ligne le 7 novembre 2014 - PRADEL, (Benjamin), « Sous les pavés, Paris Plages », Métropolitiques [en ligne], mis en ligne le 10 juillet 2013 - DELARC, (Morgane), « Quelle prise en compte des « usages » dans la conception des espaces publics urbains ?. Le cas de la place de la République à Paris », Métropolitiques [en ligne], mis en ligne le 20 janvier 2016. - BIANCHETTIN DEL GRANO, (Monica), «Le projet du sol et l’espace entre les choses. Une nouvelle pensée et langage pour l’urbanisme contemporain » in Le sol des villes, ressource et projet, MANTZIARAS, (Panos), VIGANO, (Paola), Editions MetisPresses, 2016, 254 p.
- HAVLICEK, (Elena), «Le sol urbain : surface inerte ou capital naturel ?» in Le sol des villes, ressource et projet, MANTZIARAS, (Panos), VIGANO, (Paola), Editions MetisPresses, 2016, 254 p. - SOULIER, (Nicolas), Reconquérir les rues, Editions Ulmer, 2012, 286 p.
Articles de revues architecturales - PERRY, (Francesca), WRIGHT, (Herbert), LANG, (Ruth), TUCKER, (Johnny), «Freeform - the 16th Venice Architecture Biennale», BLUEPRINTS 359, 2018, p. 40-66 - Journal d’Architectures, été 2005, «Urbanité», FACES 59 - LUCAN, (Jacques), «L’espace public en éclat(s)», Le Moniteur Architecture 57, 1994, p. 62 -65 - SECCHI, (Bernardo), «Progetto di Suolo», Casabella 521, Janvier/Février 1986
Conférences et interview
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- LEVY, (Jacques), «Quelle mobilité pour quelle urbanité ?», Université de tous les savoirs [en ligne], 5 janvier 2006 - TEXIER-RIDEAU, (Géraldine), «L’esprit de la ville ou la place parisienne comme réinvention perpétuelle», Cité de l’architecture et du patrimoine [en ligne], 15 mars 2017 - LANDAU, (Barnard), « À Paris, on est dans l’idée d’une libéralisation de la façon de fabriquer la ville. », La Midinale [en ligne], Regards.fr, 2018
Webographie - COLLECTIF, «La Seine n’est pas à vendre» URL : https://www.laseinenestpasavendre.com/ - MARIO BOTTA ARCHITETTI, «Piazzale della Pace, Giardino della Pilotta, Parma», Città e Territorio, consulté en avril 2018 URL : http://www.botta.ch/it/CITT%C3%80%20E%20TERRITORIO?idx=15 - GAZZETTA DI PARMA, «Piazza della Pace, parla Botta», Riqualificazione, 04. 08. 2017 URL : https://www.gazzettadiparma.it/news/news/452322/piazza-della-paceparla-botta.html - REPPUBBLICA, «Piazzale della Pace, riaprono i trottatoi», 30. 05. 2018 URL:http://centro-parma.blogautore.repubblica.it/2018/05/30/piazzale-della-pace-riaprono-i-trottatoi/
ANNEXES COMPLÉMENTAIRES
Cette seconde partie d’annexes propose un complément d’information au lecteur. On y retrouve dans un premier temps deux entretiens, réalisés au cours de l’écriture de ce mémoire, ayant pour objectif d’apporter un point de vue extérieur sur l’appréhension de l’espace public. Ces entretiens abordent le thème de l’hospitalité de l’espace public, le rôle de celui-ci pour la ville. Le premier entretien est réalisé avec une personne ne connaissant pas le domaine de l’architecture. Le second est lui, réalisé, au contraire, avec une personne pratiquante dans le domaine. Ces entretiens ont servi afin de rendre compte de l’hospitalité des espaces publics de l’ailleurs italien et de l’ici clermontois. Il est présenté dans un second temps une dizaine de cartographies anciennes qui permettent de mieux comprendre l’évolution de la ville de Parme depuis le moyen-âge. Ces cartes n’ont pas été extraites des archives en Italie. Je remercie encore Carlo Mambriani, professeur d’histoire de l’art moderne, pour me les avoir diffusées au cours de mon année de mobilité à Parme. On y retrouve des dessins, des croquis d’essais, les premiers plans d’expansion de la ville au XXième siècle. Pour terminer, est présenté un court reportage photographique sur la Piazzale della Pace et ses alentours. En effet, l’une des intentions premières, lors de la réalisation du mémoire, fut de rendre compte du sujet avec un minimum de photographies afin de conférer à l’ouvrage un véritable aspect scientifique et graphique. La présence de ce reportage photographique en annexe apparait donc tout à fait pertinente, car elle permet au lecteur de pouvoir s’approprier pleinement le sujet de l’ailleurs italien, à savoir, celui de la Piazzale della Pace, et de ses environs dans la ville de Parme.
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[ ENTRETIENS SEMI-DIRIGÉS ] L’ICI ET L’AILLEURS CONFRONTÉS
PROTOCOLE DEUX EXPÉRIENCES, DEUX ESPACES PUBLICS, L’ICI ET L’AILLEURS
Thématique d’entretien Dans le cadre du mémoire, nous cherchons à comprendre l’appréhension d’un usager dans l’espace public et son rapport avec celui-ci. Le thème principal sera l’hospitalité, et l’accessibilité de la Place Jaude et de la Piazzale della Pace.
Questions 1. Quel rôle joue la place publique dans la ville et pour les citadins ? 2. Quelle représentation avez-vous de la place ? Selon vous, quel serait la place publique parfaite au sein de la ville : quels objectifs doit-elle remplir afin de répondre à votre place idéale ? 3. La place doit-elle être nécessairement un lieu de rassemblement, et d’interactions entre citadins et citoyens ? 4. Vous vous êtes déjà rendu sur la place de Jaude et la Piazzale della Pace ? Pouvez-vous me les décrire ? 5. Ce sont deux places possédant cette caractéristique de pivot dans la ville, c’està-dire qu’elles permettent de faire lien entre deux quartiers ? Avez-vous ressenti cette situation de lieu de passage ? 6. Ces deux places vous semblent-elles accessibles pour tout type de personnes ? 7. Laquelle des deux vous semble la plus hospitalière ? C’est-à-dire, qui vous donne l’envie de vous y arrêter ? Pourquoi ? 8. Y a-t-ils des dispositifs mobiliers qui vous donnent plus envie de vous arrêter ? 9. Comprenez-vous le terme de mixité sociale ? Si oui, veuillez m’en donner votre définition. 10. Ressentez-vous une mixité sociale différente d’une place à l’autre ? 11. La caractéristique commerçante de la place Jaude donne-t-elle plus d’interactions entre les citadins ? Ou celle-ci tend à les éloigner ? Certaines questions ont évolué au cours des deux entretiens. Parfois, les personnes interrogées répondaient directement à deux questions. Nous avons donc adapté les deux entretiens.
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ENTRETIEN N°1 IRENE (F) 22 ANS LE 03 NOVEMBRE 2018
Q1. Quel rôle doit jouer la place publique dans la ville et pour les citadins selon toi ? R1 : Alors, pour moi, une place publique dans une ville, c’est un espace d’échanges où tout le monde peut se croiser, tout le monde peut y avoir accès. Donc un espace d’échange qui regroupe les citoyens de la ville on va dire, dans le sens où ça doit être un petit peu un endroit apaisant, où on doit tous pouvoir se sentir bien, où on doit pouvoir passer du temps ; aussi bien en s’arrêtant qu’en y passant juste. Pour moi du coup, il faut qu’il y ait des bancs, de l’herbe, …où on pourrait vraiment y passer du temps. Et puis aussi le côté esthétique, parce que généralement ça demande de la place, donc que ça dégage tous les immeubles des villes. Et du coup qu’il y ait plus d’espace, autant au niveau de la structure de la ville qu’au niveau « psychologique » pour les individus.
Q2. Ok. Bon du coup tu as déjà un peu répondu à la deuxième question, mais quelle représentation tu as de la place ? Enfin quelle serait une place parfaite pour toi au sein de la ville ? Quels objectifs elle devrait remplir ?
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R2 : Vraiment, la cohésion du peuple ; donc qu’elle soit accessible à tous. Et aussi que ça dégage la ville… enfin dans la notion de place pour moi c’est un espace où on doit pouvoir voir plus loin que 10 mètres, que ça aère la ville en gros !
Q3. Très bien. Est-ce que la place, pour toi, doit être forcément un lieu de rassemblement ou d’interactions entre les citadins et citoyens ?
R3 : Pas forcément, c’est-à-dire qu’il ne va pas y avoir tout le temps du monde, tous les jours à n’importe quelle heure. On n’y va pas juste pour se rassembler, comme je disais on peut juste passer par ici et puis voilà… Du coup je ne dirais pas que c’est le but premier, mais le but second : que c’est un lieu de rassemblement, qu’on peut y passer du temps ou juste s’assoir sur un banc. Du coup pas forcément la notion de groupe, mais même tout seul pour soit. Mais elle doit pouvoir rassembler quand même.
Q4. Du coup, tu t’es déjà rendue sur la place de Jaude et la place Pilotta, est-ce que tu peux me les décrire rapidement ?
R4 : Alors la place de Jaude, je décrirais plutôt un grand espace rectangle, encadré d’immeubles, enfin des grandes structures tout autour et sans verdure, même pas du tout. Il y a des fontaines un peu partout sur la place (enfin si un peu de verdure aussi mais ce n’est pas de l’herbe au sol, c’est plus des plantes). Après il y a des fontaines donc ça c’est bien ! Et puis des pavés par terre. Et la place de Parme, la place Della Pace… il y a de l’herbe partout déjà, il n’y a pas cette dimension rectangle, hyper carré et fermé. C’est plus un espace de verdure, avec des arbres ; enfin c’est un peu plus déstructuré. C’est un peu un patchwork.
Q5. Très bien. Ces deux places elles disposent la caractéristique de pivot dans la ville, c’est-à-dire qu’elles permettent de faire dialoguer différents quartiers, de permettre des liens entre deux quartiers différents. Est-ce que tu as ressenti cette situation de passage pour la place de Jaude et la place Pilotta ?
R5 : Pour la place Pilotta, oui. Parce que déjà il y a le bâtiment, le musée Pilotta qui est assez imposant, donc tu passes à travers et après tu as la place avec un quartier qui fait plus ancienne ville, que l’autre côté où c’est plus moderne on va dire. Donc là, oui il y a vraiment cette dimension de passage, de dialogue entre deux quartiers, par ce passage à travers ce grand bâtiment. Mais pour la place de Jaude, je l’ai moins ressenti. Mais c’est vrai qu’en y pensant maintenant si, mais je l’ai moins ressenti parce que j’ai l‘impression que toute la ville est un peu plus moderne, que toute la ville tourne un peu autour de cette place.
Q6. Est-ce que ces deux places te semblent accessible pour tout type de personne ?
R6 : Oui complètement ! Enfin peut-être un peu moins la place Pilotta parce qu’il y a plus d’herbe donc je pense aux fauteuils roulants mais dans l’ensemble oui elles me paraissent accessible par tout le monde. Ce sont des places qui sont plates en plus, donc accessibles oui…
Q7. Selon toi, quelle place est la plus hospitalière ? celle qui te donnerait le plus envie de t’y arrêter ? et pourquoi ?
R7 : Pour moi, c’est la place Pilotta parce qu’il y a cette dimension de verdure, d’herbe, d’arbre, où tu peux t’asseoir, te poser un moment. Alors que la place de Jaude, je la vois plus comme un lieu de passage, malgré les bancs. Comme il y a le centre commercial qui est à côté, ça fait vraiment ville dynamique où peut-être tu as moins envie de t’arrêter. Après elle est bordée de cafés et restaurants, donc tu as peut-être plus envie de t’arrêter dans les cafés et tout que sur la place en elle-même. Alors que la place Pilotta est plus dans la nature, du coup tu peux plus facilement t’asseoir dans l’herbe. Après je ne sais pas si c’est aussi la nature des italiens qui ont tendance à sortir dehors en permanence, qui fait que l’on ressent plus ça aussi par rapport aux français…
Q8. Du coup, il y a clairement du dispositif mobilier qui te donne envie de t’y arrêter ?
R8 : Pas forcément du dispositif mobilier, parce qu’en soit la place Pilotta elle n’est pas beaucoup équipé (enfin tu n’as pas beaucoup de banc) mais c’est que c’est plus un parc (enfin ça me fait plus penser à un parc) du coup tu as envie de t’y arrêter et de t’assoir un peu n’importe où. Alors que la place de Jaude, comme justement ce sont des petits pavés, que tu as moins cette dimension de parc « naturel », tu as moins envie quoi. Donc mobilier pas forcément, je ne dirais pas ça. Après c’est vrai que s’il y a avait plus de bancs sur la place de Jaude, on n’aurait peut-être plus tendance à s’y arrêter.
Q9. D’accord. A voir alors. Est-ce que tu comprends le terme de mixité sociale ? R9 : bah oui, c’est quand tu as plusieurs cultures qui se mélangent.
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Q10. D’accord. Est-ce que tu ressens cette mixité sociale, différente d’une place à l’autre ?
R10 : Alors, pas du tout. Je ne fais pas assez attention à ça, par rapport au type de population. Justement pour moi, la place c’est vraiment le lieu où tout le monde peut se regrouper, donc le lieu où il peut avoir une mixité sociale. Comparé à des quartiers, où il va y avoir des quartiers de riches et des quartiers de pauvres ; donc c’est vraiment le lieu pour moi où tout le monde peut se mélanger. Mais après est-ce que je l’ai ressenti en allant sur ces places ? Pas forcément, mais je ne sais pas si c’est parce que je n’y ai pas fait attention parce que justement pour moi une place ça a une dimension culturelle où tout le monde se mélange, ou alors c’est parce qu’il n’y avait pas de mixité. Mais, pour moi, si je pense qu’il y avait de la mixité, c’est juste je n’ai pas dû faire attention.
Q11.D’accord. Et simple question, est-ce que la caractéristique, enfin le caractère un peu commerçant de la place de Jaude, est-ce que ça tend à donner plus d’interactions entre les citadins ou au contraire ça a plutôt tendance à les éloigner ?
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R11 : Alors c’est paradoxal. C’est bien qu’il y ait des magasins parce que ça donne une dynamique, c’est un lieu où tu es forcément amené à t’y rendre, parce que quand tu veux aller dans un certain magasin, tu vas passer par cette place et du coup ça attire les gens. Et en plus elle est vraiment au centre de la ville, donc t’es obligé d’y aller pour te rendre dans les magasins du coup ça attire. Mais après pour la place en soit, c’est sûr que t’as pas envie de t’assoir un moment, puisque c’est entouré de magasin donc c’est tout le temps dynamique, il y a des gens qui passent sans cesse, … Du coup ça l’attire dans le sens où oui tu vas y aller parce qu’il faut que tu te rendes aux magasins qui se trouvent autour mais pas dans le sens où ça attire les gens pour la place en elle-même. Par exemple, la place Pilotta, tu n’as pas un centre commercial à côté donc tu ne passes pas forcément par-là dans ce but. Enfin ce n’est pas le même but, tu n’y passes pas forcément pour les magasins, t’y passes plus pour prendre du temps pour toi ou avec des amis. Donc oui ça attire, mais est-ce que ça attire dans le bon sens ? je ne sais pas.
ENTRETIEN N°2 QUENTIN (M) 23 ANS LE 04 NOVEMBRE 2018
Q1. Selon toi, quel rôle doit jouer la place publique dans la ville et pour les citadins ? R1 : Un espace de rencontre ! La quintessence du vivre ensemble.
Q2. D’accord. Alors quelle représentation tu as de la place ? et selon toi quelle serait la place parfaite au sein de la ville ? Quels objectifs elle devrait remplir ?
R2 : Alors, la vision que j’ai de la place parfaite ça serait plutôt la vision de la place comme on a dans les bastides, c’est-à-dire une place plutôt carrée, bordée des quatre cotés. Pourquoi pas avec des arcades tout autour. [Hésitation] La place parfaite pour moi, c’est celle qui est à la fois accessible à tous (c’est-à-dire même au PMR), qui il y ait une certaine matérialité, c’est-à-dire que ce soit un sol qu’il nous raconte des choses. Et ensuite, un endroit aussi où il s’y passe des tas de choses. Pas une place vide mais une place vivante, donc avec des tas d’usages du quotidien ou plus évènementiel, comme les marchés, les fêtes, … des choses comme ça. Un peu comme la place de Sienne, la place Del Populo il me semble.
Q3. Oui je vois ! Donc, selon toi est-ce que la place doit être nécessairement un lieu de rassemblement, comme au temps de l’Agora ?
R3 : Oui elle a ce rôle-là, pour que la société s’y retrouve et puisse flâner, échanger, pourquoi pas des discours politiques comme on avait avant.
Q4. Un espace politique aussi donc. Ok très bien. Du coup tu t’es déjà rendu sur la place de Jaude à Clermont Ferrand et la place Pilotta à Parme. Est-ce que tu peux me les décrire rapidement ?
R4 : Alors la place de Jaude, je dirais que c’est un immense espace. Je dirais du coup que son inconvénient c’est d’être très circulé finalement. A la fois par le tram, mais ça ce n’est pas le plus gênant, mais aussi par les voitures qui viennent recouper la place ; ce qui est un peu dommage. Du coup, on en perd un peu ses limites. La place Pilotta, moi ce que j’ai trouvé fantastique c’est la question d’un ou plusieurs arbres, et dont un qui me parait majestueux et qui offre l’ombrage nécessaire l’été. Ça c’est vraiment le côté positif. Et puis j’aime beaucoup aussi le traitement finalement enherbé, qui est plus exceptionnel et que l’on retrouve plus aujourd’hui dans la ville généralement.
Q5. D’accord. Et est-ce que ces deux places te semblent accessible pour tout type de personne ? R5 : Oui les deux. Complètement.
Q6. Ok, très bien. Laquelle des deux te semble la plus hospitalière et pourquoi ?
R6 : Je pense encore une fois que c’est encore la place Pilotta qui me semble la plus hospitalière. Pourquoi ? parce que de par ses dimensions déjà, parce que la
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place Jaude est peut-être surdimensionnée finalement, un peu comme la place Bellecour. Finalement, quand ça devient trop grand, on y perd un peu ses limites et du coup on est moins coucouné par le bâti. Donc je dirais plutôt la Pilotta qui me parait la plus hospitalière. Même si finalement, il y a beaucoup moins de vie tout autour parce que finalement il n’y a pas beaucoup de commerces qui la bordent, à part d’un côté me semble-t-il.
Q7. Du coup est-ce qu’il y aurait des dispositifs mobiliers qui te donneraient plus envie de t’arrêter sur une certaine place, sans forcément parler de la Pilotta ou de Jaude ? ou c’est plus une qualité de sol ?
R7 : En termes de mobilier… Ou plutôt une diversité de sol, ouais peut-être ! Après c’est sûr que voilà, on a envie de s’arrêter quand le regard amène des choses positives. La présence de l’eau peut être un élément qualitatif par exemple aussi. Je ne sais pas une fontaine, un ruisseau, …
Q8. Ok. Est-ce que tu comprends le terme de mixité sociale ? j’imagine que oui. Est-ce que tu peux m’en donner ta définition alors s’il te plait ?
R8. Pour moi, la mixité sociale c’est justement la diversité tant sociale (donc les différentes origines sociales) que les origines ethniques (des blancs, des noirs, des riches, des pauvres, ...).
Q9. D’accord. Est-ce qu’il y a un dispositif architectural qui peut la permettre à ton avis, ou c’est vraiment une question de politique ou de société ?
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R9. Je pense qu’il faut que toutes les populations dans les diversités puissent s’y retrouver, donc que ce soit des personnes atteintes de handicap, et même d’autres, enfin il ne faut pas qu’il y en ait qu’ils soient exclus. Donc c’est sûr que s’il y a que des magasins de luxe tout autour, certains pourraient penser que la ville n’est pas forcément pour eux. Donc c’est pour ça qu’une certaine neutralité doit être mise, de ce point de vue-là. Que ce ne soit pas un quartier à connotation riche, mais à connotation finalement assez diverse aussi.
Q10. Ok, très bien. Est-ce que tu ressens cette mixité sociale d’une place à l’autre ou c’est quelque chose auquel tu ne fais pas attention ? R10 : Là, entre Jaude et Pilotta ? Non je dirais que la ville semble être mixte. Enfin si sur la Pilotta il me semblait qu’on retrouvait la question des migrants qui étaient dessus et qu’on ne retrouve pas forcément sur de Jaude.
Q11. Ok très bien. Alors la dernière question. Est-ce que la caractéristique commerciale de la place de Jaude, ça donne plus d’interaction entre les citadins ou ça a tendance à les éloigner ?
R11 : Un peu oui, finalement le paroxysme du commerce qui aurait peut-être tendance à les éloigner. Parce que si déjà tous les pieds d’immeuble sont uniquement des commerces, et justement des commerces de luxe, bah forcément ça peut éloigner une partie de la population. Plus la privatisation de l’espace public en toute partie, avec les rez-de-chaussée et les restaurants ou les cafés, ça peut aussi entrainer une certaine exclusion d’une partie de la population.
[ ÉVOLUTION DE LA VILLE DE PARME ] CARTOGRAPHIES
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[26]
Fig. 26 - G.B. Belluzzi, Plan des fortifications de Parme, 1540, Encre sur papier. Florence, Bibliothèque Nationale de Florence, II.I.280, c. 69r.
115
Fig. 27 - Projet des fortifications en 1551, Gravure, in F. De Marchi, Dell’architettura militare, Brescia 1599, t. XXIX.
[27]
116
[28]
Fig. 28 - S. Smeraldi, Ebauche du plan de Parme, 1589-1592, Encre sur papier. Archives d’État de Parme, Cartes et dessins, vol. 2, n. 87.
117
Fig. 29 - G.P. Sardi, Plan général de la ville, de son château et de son parc [...], 1766, Encre et aquarelle sur papier. Musée Archéologique de Parme, dep. n. 41
[29]
118
[30]
Fig. 30 - A. Sanseverini, Plan de la ville et château, 1808, Aquarelle. Archives d’État de Parme, Cartes et dessins, vol. 2, n. 27.
119
Fig. 31 - Plan de la ville de Parme, 1899 Archives historiques de la ville de Parme, Cartes et Dessins.
[31]
120
[32]
Fig. 32 - Plan régulateur, adopté le 08.04.1936, approuvé le 13.09.1938 n. 1777, converti en loi le 30.01.1939 n. 405 et décret le 17.05.1940). Archives historiques de la ville de Parme, Cartes et dessins, Casier 4, T. 18
121
Fig. 33 - Plan régulateur général, 1963. Approuvé le 16.07.1957. Table VIII, Schéma de viabilité dans le territoire Archives historiques de la ville de Parme, Plans régulateurs généraux, Cartographies
[33]
122
[34]
Fig. 34 - Plan régulateur général de la ville, 1974. Approuvé le 29.07.1974. Table 6.1.5. Archives historiques de la ville de Parme, Casier PRG Parma 1969 n. 4.
[ REPORTAGE PHOTOGRAPHIQUE ] PHOTOGRAPHIES
126
[35]
Fig. 35 - Vue sur le complexe imposant de la Pilotta 2008 Š Denis Mathevon
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Fig. 36 - Photographie après les premières reconquêtes de la place 2018 © Nicolas Mathevon
[36]
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129 Fig. 37 - Photographie du complexe de la Pilotta depuis la via dei Farnese 2018 © Mathilde Saix
[37]
Fig. 38 - Photgraphie depuis le «cloitre intérieur» 2018 © Mathilde Saix
[38]
[39]
Fig. 39 - Photographie depuis la via Carlo Pisacane 2018 Š Nicolas Mathevon
[40]
Fig. 40 - Photographie du Duomo depuis sa place 2018 Š Nicolas Mathevon
130
131
Fig. 1 - Parme dans la plaine du Pô - Le système urbain de la Via Emilia © Nicolas Mathevon .............................................................................................. 10 Fig. 2 - Du sens singulier au sens pluriel - Évolution de l'urbanité © Nicolas Mathevon .............................................................................................. 26 Fig. 3 - Évolution du tissu urbain © Nicolas Mathevon .............................................................................................. 34 Fig. 4 - Il Piazzale della Pace dans son état actuel © Nicolas Mathevon .............................................................................................. 35 Fig. 5 - La via Emilia © Nicolas Mathevon .............................................................................................. 42
INDEX DES FIGURES
Fig. 6 - Inscription de l’ailleurs et de l’ici - 1.75 000 © Nicolas Mathevon .............................................................................................. 43 Fig. 7 - Couverture du Casabella n°521 (Janvier/février) © Casabella ............................................................................................................ 48 Fig. 8 - Un espace perméable - RDC du complexe de la Pilotta © Nicolas Mathevon .............................................................................................. 50 Fig. 9 - Une figure urbaine traversant la ville intramuros © Nicolas Mathevon .............................................................................................. 51 Fig. 10 - Classification du Viaire - Levier 1 © Nicolas Mathevon .............................................................................................. 56 Fig. 11 - Nombres d'intersections - Levier 1 © Nicolas Mathevon .............................................................................................. 58 Fig. 12 - Part de voie accessible au piéton - Levier 1 © Nicolas Mathevon .............................................................................................. 58 Fig. 13 - Décomposition des voiries en fonction du partage de la chaussée - Levier 1 © Nicolas Mathevon .............................................................................................. 60 Fig. 14 - Equilibre de densité bâtie - Levier 2 © Nicolas Mathevon .............................................................................................. 63 Fig. 15 - Coupe schématiques de partage - Levier 3 © Nicolas Mathevon .............................................................................................. 64 Fig. 16 - Zones de stationnement - Levier 3 © Nicolas Mathevon .............................................................................................. 65 Fig. 17 - Rapport à la place libre (Parme) - Levier 3 © Nicolas Mathevon .............................................................................................. 66
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Fig. 18 - Rapport réglé à la place (Clermont-Ferrand) - Levier 3 © Nicolas Mathevon .............................................................................................. 67 Fig. 19 - Mixité fonctionnelle et type de services - Levier 4 © Nicolas Mathevon .............................................................................................. 68 Fig. 20 - Mixité fonctionnelle à Parme - Croquis - Levier 4 © Nicolas Mathevon .............................................................................................. 70 Fig. 21 - Mixité fonctionnelle à Clermont-Ferrand - Croquis - Levier 4 © Nicolas Mathevon .............................................................................................. 71 Fig. 22 - Accès et mobilier aux abords de la Piazzale della Pace- 1.30- Levier 5 & 6 © Nicolas Mathevon .............................................................................................. 72 Fig. 23 - Gli Atti Fondamentali : Vita (Supersurface) - 1971 - 1972 © Superstudio ........................................................................................................ 80 Fig. 24 - Les 10 lieux infinis du collectif encore henreux - 2018 © Jochen Gerner .................................................................................................... 86 Fig. 25 - Collage représentant l’infinités des possibles sur la place 2012 © Martin Etienne - TVK .......................................................................................... 90
133
Fig. 26 - G.B. Belluzzi, Plan des fortifications de Parme, 1540, Encre sur papier. Florence, Bibliothèque Nationale de Florence, II.I.280, c. 69r. 114 Fig. 27 - Projet des fortifications en 1551, Gravure, in F. De Marchi, Dell’architettura militare, Brescia 1599, t. XXIX. ............................................................................................ 115 Fig. 28 - S. Smeraldi, Ebauche du plan de Parme, 1589-1592, Encre sur papier. Archives d’État de Parme, Cartes et dessins, vol. 2, n. 87. ............................................................................. 116 Fig. 29 - G.P. Sardi, Plan général de la ville, de son château et de son parc [...], 1766, Encre et aquarelle sur papier. Musée Archéologique de Parme, dep. n. 41 ........................................................ 117 Fig. 30 - A. Sanseverini, Plan de la ville et château, 1808, Aquarelle. Archives d’État de Parme, Cartes et dessins, vol. 2, n. 27. ............................................................................. 118 Fig. 31 - Plan de la ville de Parme, 1899 Archives historiques de la ville de Parme, Cartes et Dessins. ................................................................................................. 119 Fig. 32 - Plan régulateur, adopté le 08.04.1936, approuvé le 13.09.1938 n. 1777, converti en loi le 30.01.1939 n. 405 et décret le 17.05.1940). Archives historiques de la ville de Parme, Cartes et dessins, Casier 4, T. 18 .......................................................................... 120
Fig. 33 - Plan régulateur général, 1963. Approuvé le 16.07.1957. Table VIII, Schéma de viabilité dans le territoire Archives historiques de la ville de Parme, Plans régulateurs généraux, Cartographies ......................................................... 121 Fig. 34 - Plan régulateur général de la ville, 1974. Approuvé le 29.07.1974. Table 6.1.5. Archives historiques de la ville de Parme, Casier PRG Parma 1969 n. 4. ............ 122 Fig. 35 - Vue sur le complexe imposant de la Pilotta - 2008 © Denis Mathevon ............................................................................................... 126 Fig. 36 - Photographie après les premières reconquêtes de la place - 2018 © Nicolas Mathevon ............................................................................................ 127 Fig. 37 - Photographie du complexe de la Pilotta depuis la via dei Farnese - 2018 © Mathilde Saix .................................................................................................... 128 Fig. 38 - Photgraphie depuis le «cloitre intérieur» - 2018 © Mathilde Saix .................................................................................................... 128 Fig. 39 - Photographie depuis la via Carlo Pisacane - 2018 © Nicolas Mathevon ............................................................................................ 130 Fig. 40 - Photographie du Duomo depuis sa place - 2018 © Nicolas Mathevon ............................................................................................ 131
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PREMIERS REGARDS >> Avant propos - La pratique d'un territoire étranger ........... 8
L'urbanité face aux nouvelles formes urbaines ....................................... 8 L'expérience urbaine, une volonté d'écrire ............................................. 8
Interaction ................................................................................................ 12 Intégration ................................................................................................ 12 Urbanité ................................................................................................... 13 Marge ....................................................................................................... 13 Appropriation ........................................................................................... 13 Politiques urbaines et patrimoniales ....................................................... 14
>> Mise en contexte - Parme, ville intégrante du maillage de la péninsule italienne ........................................................................ 9 >> Lexique - Problèmes de vocabulaire ....................................... 12
TABLE DES MATIÈRES
>> Introduction - L'étonnement, ma ville, notre ville, une volonté d'écrire ............................................................................ 15
L'étonnement des pratiques urbaines : une curiosité à développer ...... 16 La reconquête de la ville au travers l'espace public : Tentatives de faire face à une condition globalisée de la ville .............................................................. 17 Méthodologies et protocoles d'analyses : espaces publics comparés .... 18
UN PROFOND DÉSIR D’URBANITÉ MIS A L’ÉPREUVE PAR LA FRAGMENTATION URBAINE 1.1 >> Une urbanité mise à l'épreuve ........................................... 23 1.1.1. La notion d'urbanité, une notion historique, complexe et floue .. 23
1.1.2. Perdition, persistances et réinventions dans le temps .................. 25 1.1.3. Urbanités plurielles et factices ....................................................... 26
1.2 >> Le processus de reconquête des espaces publics : la «markétisation» de l’espace urbain ............................................. 27 1.2.1. Retrouver un espace pour tous ..................................................... 27 1.2.2. L’exemple Parisien, le lieu icône comme bien de consommation 29 1.2.3. Un retour qualitatif au piéton, mais à quel prix ? ......................... 31 1.2.4. La condition urbaine française : l’acteur public et la valeur d’usage face à l’acteur privé et la valeur d’échange .............................................. 32
1.3 >> L’Ailleurs italien, entre place réversible et urbanité subsistante .................................................................................... 33 1.3.1. Histoire d’une place publique comme palimpseste ...................... 33
1.3.2. Une condition urbaine généralisée, l’espace public en crise ........ 36
PARME, MODÈLE D’URBANITÉ OU RÉSULTANTE D'UN MODÈLE DE VILLE EUROPÉENNE 2.1 >> « Ce n’est pas la Terre qui explique l’Homme, mais l’Homme qui explique la terre » ................................................................. 41
2.1.1. Deux territoires urbains similaires ................................................ 41 2.1.2. L'influence des politiques urbaines d'après-guerres .................... 45
2.2.1. Une figure urbaine à grande échelle : résultat d’un
2.2 >> Critères de qualité permettant de construire la ville d’aujourd’hui : les leviers de l’urbanité ...................................... 49
136
aménagement local ............................................................................................... 49 2.2.2. De Parme à Clermont-Ferrand, des qualités qui composent l’urbanité ............................................................................................................... 52 Analyse des qualités urbaines - Interlude ........................................ 53 2.2.3. La Piazzale della Pace : une place qui fait encore son temps ...... 75
2.3 >> Le modèle Parmesan, révélateur d’une urbanité possible ou modèles de tissus urbain ? .......................................................... 76
2.3.1. Trois Fondements de l'urbanité contemporaine ......................... 76 2.3.2. Un modèle d’urbanité lié à un type de ville ................................. 78
LA RECONQUÊTE DE « L'ESPACE ENTRE LES CHOSES » : LE SOL COMME RESSOURCE DE NOTRE VILLE 3.1 >> Le sol urbain : une ressource renouvelable dans la construction d’une urbanité contemporaine ........................... 83
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3.1.1. Un sol méritant une toute nouvelle attention ............................. 84 3.1.2. Construire la ville contemporaine comme un "espace habitable" : L'architecture du lieu ............................................................................................ 85
3.2 >> Expérimentation et projet selon les principes de sol et fondements de l'urbanité contemporaine ................................ 88
3.2.1. Le genius loci de la ville contemporaine ...................................... 89 3.2.2. Nous, citadins, acteurs et rêveurs de la ville contemporaine ...... 92
ÉPILOGUE, OUVERTURE ET COMPLÉMENTS >> Conclusion .............................................................................. 96 >> Bibliographie ........................................................................... 100 >> Annexes complémentaires ...................................................... 104 Entretiens semi-dirigés .......................................................................... 105
Évolution de la ville de Parme ................................................................ 113 Reportage photographique .................................................................... 125
>> Index des figures .................................................................... 132 >> Table des matières ................................................................... 134
Impression : MAGE Gravure, impression numérique Imprimé en France