Madagascar, nocturnes

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Né en 1973 en France, Rija Randrianasolo, dit Rijasolo, commence la photographie en autodidacte en 2000. En 2004, il amorce un travail photographique déambulatoire intitulé Miverina, qu’il achèvera en 2009 et qui témoigne de sa difficulté à retrouver un rapport intime avec Madagascar, son pays d’origine. En 2006, il suit une formation en photojournalisme à Paris et fonde le collectif Riva Press avec quatre photographes ; il collabore avec la presse quotidienne et magazine française. Son travail a fait l’objet d’une dizaine d’expositions dans le monde. Il est lauréat du prix Leica 35 mm Wide Angle pour son reportage sur Ilakaka. Il vit et travaille à Antananarivo.

Madagascar : 45 000 Ar - France : 18 €

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Rijasolo Madagascar, nocturnes

R ijasolo • Madagascar, nocturnes

Rijasolo • Madagascar, nocturnes

Dans les rues ou dans les bars, en brousse ou en ville, Rijasolo explore un autre Madagascar ; celui des gens qui sortent quand tous rentrent chez eux, de ceux qui ne peuvent ou ne veulent dormir : le Madagascar de la nuit où se côtoient travailleurs et oisifs, prostituées et jouisseurs, déshérités et fêtards. Les nuits de Rijasolo sont comme des scènes primitives. La beauté qu’elles offrent tient à une perpétuelle hésitation entre violence et apaisement, entre pudeur et crudité. En choisissant d’appeler nocturnes les photographies qui composent ce recueil, Rijasolo invite le lecteur à les envisager comme autant de poèmes sortis de la nuit, comme autant de méditations sur ce que les lieux, les hommes et les femmes deviennent lorsque la lumière se fait plus rare et plus fragile.



Madagascar, Nocturnes


DU MÊME AUTEUR • Madagascar, une culture en péril ?, no comment® éditions, Antananarivo, mai 2012 (textes de Sylvain Urfer). • « Famadihana », portfolio, in revue Zmâla, l’Œil Curieux n° 4, Paris, septembre 2012. • « Ilakaka, la ville saphir », portfolio, in revue Zmâla, l’Œil Curieux n° 1, Paris, septembre 2009. • « Brest - Diego Suarez : ports du bout du monde », portfolio, in Gérard Alle et Narcisse Randriamirado, Regards croisés, Finistère-Antsiranana, Conseil général du Finistère, Brest, 2005.


Rijasolo

Madagascar, nocturnes

PrĂŠface de Pierre Maury


ISBN 979-10-90721-06-7 © no comment® éditions, mars 2013 2, rue Ratianarivo – Antananarivo 101 – Madagascar www.nocomment-editions.com


Préface Les apparences sont trompeuses. Les nuits de Rijasolo, ou plutôt celles où il entre comme par effraction avec l’objectif de son appareil, ne sont pas en noir et blanc. Elles vibrent, sous le grain de la photo, de teintes estompées dans l’obscurité et dont une flaque de lumière, parfois, ravive les couleurs. Des couleurs qui n’ont pas besoin d’être montrées. Nous savons qu’elles sont là, prêtes à surgir en même temps que les mouvements, les bruits, les odeurs. Les nuits de Rijasolo nous racontent des histoires qu’il reste à écrire. Dans l’espace entre la photographie et le récit qu’elle pourrait engendrer, notre cinéma mental fonctionne à plein, rapproche deux séquences probablement sans rapport réel, monte et coupe, ajoute une bande-son. Et des taches de couleur. Vertu d’images qui n’aplatissent pas le réel en fonction de critères esthétiques préconçus mais le donnent à voir dans son état brut, avec même une sorte de brutalité primitive. Une brutalité humaine au sens le plus élémentaire, pour le dire autrement. Comme les meilleurs reporters d’images – porteurs d’images happées d’un côté du monde où nous ne sommes pas, et rapportées de ce côté-ci où nous les recevons comme des bribes d’ailleurs –, Rijasolo n’a pas besoin de sujet. Ils sont partout, les sujets, il suffit d’ouvrir les yeux pour les saisir dans un cadrage rapide qui ne ment pas. Comme les meilleurs reporters d’images, Rijasolo est pourtant capable de travailler sur un sujet donné. Les saisissants portraits de jeunes prisonniers pour une double page du quotidien Libération en décembre 2012, par exemple. Mais laissez-le s’ébrouer en totale liberté et il vous rapporte la matière de ce livre, construit autour d’un thème plutôt que d’un sujet. Ce sera donc cette fois la nuit et son désordre subtil. Les débordements y côtoient des moments d’apaisement. On se perd dans l’humide et on découvre qu’on était au fond d’une bouteille. La commune mesure entre les photographies, c’est l’homme – et la femme. Leurs enveloppes de chair qui n’entrent pas toujours en entier dans la surface imprimée. Danseuses perdues (éperdues  ?) dans une sorte de transe à laquelle ne se devine ni commencement ni fin. Ou corps gisant, approché sous

un angle inhabituel, précédé d’un visage qui n’est pas le sien et auquel la cigarette qu’on allume donne un relief singulier. Contrastes entre les photos, à l’intérieur même d’une photo. Ailleurs, c’est une maison isolée et noyée d’un flou que nous n’avons pas l’intention d’appeler « flou artistique », selon l’expression consacrée et galvaudée qui dénote surtout l’absence de tout projet artistique. Les mots sont aussi trompeurs que l’apparence des nuits de Rijasolo. Cette maison, ne la quittons pas tout de suite, n’est plus que formes et volumes, œuvre quasi abstraite pourtant née d’une construction purement utilitaire faite par l’homme et pour l’homme. Ailleurs encore, un bar dont l’inclinaison nous parle autant d’ivresse que le fait la fille allongée sur le sol, occupée à dormir ou à cuver et sur laquelle un consommateur attablé ne jette pas un œil, concentré sur le récipient d’où il tire quelque plaisir, ou quelque oubli, ou les deux. Les bars, car il y en a d’autres, sont des lieux où l’on se réfugie la nuit pour partager le rituel de la boisson et ce qui l’accompagne, où l’on se perd dans l’espoir toujours postposé de se retrouver soi-même, en compagnie d’autres personnes, peut-être inconnues, peut-être familières, en tout cas réfugiées, perdues elles aussi. On imagine… Que veut-il nous dire, ce jeune homme, tête penchée et main sur le cœur, dont les reflets sur les lunettes cachent un œil ? On imagine encore, on ne peut qu’imaginer. La tentation est là, irrépressible, devant la manière dont la réalité nous saute aux yeux, de poursuivre le chemin à travers les photographies. Mais il est nécessaire d’y résister : pourquoi imposer à tous une lecture personnelle d’un livre ouvert sur tant de possibilités ? Ainsi que s’ouvre, sur des possibilités aussi variées, la nuit quand on en fournit les clés sans le mode d’emploi. Il appartient à chacun de conduire une exploration tâtonnante, d’avancer des interprétations hasardeuses, de tracer un parcours de biais. Rijasolo nous y invite. Pierre Maury

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Un concert de musique mafana, en plein air. L’ambiance est montée tout l’après-midi, dans la poussière et la chaleur. Quand la nuit tombe, beaucoup sont ivres. Sur le rythme effréné du salegy, la soirée commence.

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Les nuits dans les boîtes de nuit de Tana… ambiance survoltée, pétage de plomb collectif… on participe ou on s’ennuie. Ici, quelqu’un partage à sa façon sa bouteille de champagne.

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C’est l’effervescence en ville. Depuis quelques jours, Antananarivo accueille les Jeux des îles de l’océan Indien. Des touristes se font photographier avec la mascotte de l’événement : une tête verte avec des feuilles de ravinala en guise de cheveux.

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Une panne de taxi brousse, en route vers le grand Sud, dans ce hameau perdu. Pour passer le temps, les passagers parlent de dahalo, de sorcières et de fantômes. Je m’imagine vivre ici, dans cette maison, observant ces voyageurs en difficulté.

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Tuléar, à une époque où il était déconseillé de traîner la nuit. L’air est chaud et je ne peux m’empêcher de penser à Tana, à la fraîcheur de ses nuits. Les palmiers m’escortent.

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Une cérémonie traditionnelle de circoncision (didi-poitra). Les hommes chantent et courent, un pied de canne à sucre à la main. Je les suis à travers champs, je n’arrive pas à composer mes photos, je cherche un point fixe. La Lune apparaît. Un homme passe, svelte et élégant.

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La clientèle de ce bar déborde largement sur la rue. Les gens crient, éclatent de rire, racontent des histoires sans queue ni tête. Au milieu d’eux, cette vieille dame joue des coudes : elle voudrait juste passer.

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J’aime la guitare basse. En général, on n’y fait pas attention, sauf quand on ne l’entend plus. Une belle ligne de basse dans un morceau, c’est comme une belle composition dans une photo.

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Je suis une opération « nettoyage » organisée par la Communauté urbaine d’Antananarivo et la police municipale : ils font le tour des quartiers du centre-ville pour « ramasser » les 4’mi qui dorment sur les trottoirs. On les entasse de force dans des fourgons. Il y a peu d’hommes. Les femmes supplient, leurs enfants dans les bras. Un policier s’approche et me hurle d’arrêter de photographier.

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Tana, Mahamasina, Zoma mahafinaritra, le « vendredi magnifique », est arrivé. Brochettes, sauce voanjo, bière et bières encore… Des grappes d’« agents gargotiers » s’agglutinent aux bagnoles et supplient les occupants d’acheter leurs masikita. Les voitures les mieux équipées passent vitres ouvertes et musique à fond. Ça sent la pisse, là-bas, près du gros arbre, malgré la vigilance des gars du fokonolona armés de matraques. C’est vendredi, jour d’énorme décompression, et on se sent bien.

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