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de Lukas Hofer

de Lukas Hofer

GÉOGRAPHIE LE GRAND-BORNAND : LE « MONACO » DES BIATHLÈTES

PRIVÉS DE LA MANCHE FRANÇAISE DE COUPE DU MONDE LA SAISON PASSÉE EN RAISON DE LA CRISE SANITAIRE, LES TRICOLORES ONT LE RENDEZ-VOUS D’ANNECY-LE GRAND-BORNAND ET SON AMBIANCE UNIQUE DANS LE VISEUR.

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Ostersund pour une double étape en ouverture fin novembre, Hochfilzen, puis viendra le tour d’Annecy - Le Grand-Bornand. Si la crise sanitaire ne bouscule pas à nouveau le calendrier de l’IBU, après la Suède et l’Autriche, la France accueillera donc la quatrième étape de la coupe du monde de biathlon. Le rendez-vous est fixé du 16 au 19 décembre. La saison dernière, il était passé à la trappe. La Fédération internationale, sous la contrainte de la pandémie de la Covid-19, avait réduit le nombre de sites devant accueillir les épreuves. Les biathlètes avaient ainsi pu être isolés dans des bulles sanitaires par séquences de quinze jours. Ne pas retrouver les Aravis avait été un crève-cœur pour l’équipe de France et la caravane en général, tant cette ‘’jeune’’ étape, organisée pour la première fois en décembre 2013, a pris une place à part dans la saison. Cet hiver, neuf sites figurent au calendrier international, dont Le GrandBornand. À l’inverse d’Oslo (Norvège) ou Ruhpolding (Allemagne), après trois éditions, la Haute-Savoie ne fait pas encore figure de passage quasiincontournable, mais elle pèse de plus en plus lourd. « Nous sommes très content d’y revenir après l’annulation de l’année dernière », assure Felix Bitterling, directeur sportif à l’IBU. Le stade Sylvie-Becaert est en tout cas le seul du pays à disposer de la licence A, sésame indispensable pour prétendre recevoir la crème de la crème. « C’est un site particulier, souffle Quentin FillonMaillet. Les étrangers apprécient cette ambiance avec le public tout au long de la piste. Le stade ressemble à une arène qui fait beaucoup de bruit. On retrouve aussi cette ferveur à Ruhpolding et Nove Mesto (République tchèque), mais, là-bas, les spectateurs ne sont pas présents partout. » Auteur de trente-quatre podiums, championnats et coupe du monde confondus depuis ses débuts, le Jurassien avait été le héros en 2019. « Au Grand-Bornand, les émotions sont décuplées. Dans le dernier tour, quand tu sais que tu vas être sur le podium, c’est un régal. Mes podiums [troisième du sprint et deuxième de la poursuite, N.D.L.R.] font partie des émotions fortes de ma carrière. »

Manzoni/Nordic Focus

Il ne fait pas beau ce 22 décembre 2019 au Grand-Bornand. Mais Émilien Jacquelin peut compter sur le soutien du public pour gravir les marches du podium de la mass-start. Par-delà le risque d’une seconde annulation si la situation sanitaire l’exige, les Bleus n’imaginent pas évoluer dans un stade Sylvie-Becaert privé

des fans. « On s’attend encore à de nombreuses contraintes, anticipe le Jurassien, mais on espère un minimum de public pour profiter des sensations. Je n’ai pas envie de revivre la situation de la saison pas-

Ce qui fait la particularité de l’étape française, c’est qu’elle se déroule au cœur même de la station.

sée où, lors des cérémonies, on faisait seulement face à une cinquantaine de photographes et cameramen. » En cette année olympique, les tricolores ont un besoin viscéral d’adrénaline sur la route de Pékin. « Du biathlon sans spectateurs, on a vu ce que ça donne à la télé la saison passée. Il n’y avait pas la chaleur habituelle, observe Yannick Aujouannet, le coordinateur général de la coupe du monde d’Annecy-Le Grand-Bornand. On a un stade particulier, très compact et semblable à un chaudron. Organiser cette étape à huis clos n’aurait pas de sens. »

grand jeu dans la station bornandine pour enthousiasmer

la foule. Dans les Aravis, il y a de la magie dans l’air. Il se passe toujours quelque chose! En 2013, Martin Fourcade, en route vers le deuxième de ses sept gros globes de cristal, avait pris la troisième place du sprint, mais surtout eu la confirmation qu’un Norvégien aux cheveux roux serait son grand rival des années à venir. Johannes Thingnes Boe, impérial sur les sprint et poursuite, avait justement obtenu les deux premiers succès de sa carrière en coupe du monde, à seulement vingt ans. En 2017, le match entre les deux hommes avait mis le feu au stade. Que ce soit sur le sprint, la poursuite ou la mass-start, les deux premières places ne leur avaient pas échappé. Au Scandinave les deux premières épreuves, et au Français la dernière. « Ma victoire était sans doute une de mes plus grandes émotions de sportif », confie le grand champion. Toujours en 2017, Antonin Guigonnat avait relancé sa carrière avec sa troisième place sur le sprint et la mass-start avait permis à Justine Braisaz d’inaugurer son palmarès en très haut niveau. « Ça ressemblait à ma dernière sélection en coupe du monde et à une fin de carrière que j’ai réussi à transformer pour faire une meilleure carrière », sou-

lignait, en amont de l’édition 2019, Antonin Guigonnat, natif d’Ambilly, à une quarantaine de kilomètres du Grand-Bornand. Enfin, il y a deux ans, en plus des exploits de Quentin-Fillon-Maillet, Émilien Jacquelin s’était glissé entre les frères Johannes et Tarjei Boe sur le podium de la mass-start, une semaine après son premier top 3 en coupe du monde sur la poursuite de Hochfilzen (3e). Avant Noël, à qui le tour de faire battre le cœur des fans?

Ces derniers ont hâte de retrouver l’ambiance surchauffée des

trois opus précédents. L’annulation de la saison passée n’a pas frustré que les athlètes. Présente en 2013, 2017 et 2019, Marie, étudiante en journalisme à Tours, veut enclencher la quatrième. « En décembre 2011, la première édition de la coupe du monde d’Annecy-Le Grand Bornand avait déjà été annulée, mais c’était en raison du manque de neige. Cela avait été une grosse désillusion car j’avais mes billets », se souvient la jeune femme. Deux ans plus tard, elle avait vu de près le gratin mondial. « J’avais des étoiles plein les yeux. J’avais pris 1 500 photos par jour! » C’est dire que Le Grand-Bornand a un cachet qui n’appartient qu’à lui. « Cette étape a la chance d’être située en ville et pas perdue au milieu de nulle part, décrit-elle. Quand tu te promènes le soir, tu peux croiser des athlètes, comme Sebastian Samuelsson. En 2019, l’hôtel des Suédois était situé sur la place du village. » « On n’est pas un stade comme Hochfilzen qui est une caserne militaire et peut vivre en vase clos, prolonge Yannick Aujouannet. Notre particularité, c’est l’imbrication du stade avec les habitations et les voies d’accès. » Le Jurassien Oscar Lombardot, 21 ans, fera peut-être partie des tricolores en lice en décembre. L’athlète a découvert la coupe du monde la saison passée lors de la double étape de Hochfilzen, qui s’était substituée… au Grand-Bornand. « Sur le coup, je n’y avais pas pensé, mais en rentrant d’Autriche avec un kiné, il m’avait fait remarquer qu’on aurait dû être au Grand-Bornand à cette période! » Le rendez-vous de mi-décembre est dans un coin de sa tête: « Tous les athlètes du groupe B pensent à cette sixième place en coupe du monde, qu’on a occupé à tour de rôle la saison passée [c’est-à-dire avec Émilien Claude et Martin Perrillat-Bottonet, N.D.L.R.]. Celui qui l’occupera au Grand-Bornand sera chanceux, mais aura surtout réalisé un sacré début de saison! » En 2017, Oscar Lombardot était de l’autre côté de la barrière. Il avait assisté à la poursuite en famille. « L’ambiance était incroyable. Cela m’a rappelé celle du Summer Tour d’Arçon (Doubs) en puissance dix. Sur le pas de tir, il n’y avait pas le moindre bruit entre chaque balle et tout d’un coup, les cris du public résonnaient dans la vallée. »

La ferveur entourant l’étape française n’est pas sans rappeler celle du Tour de France dans les cols alpins ou pyrénéens.

Un parallèle évoqué il y a quelques semaines par Quentin Fillon-Maillet avec Aurélien Paret-Peintre et Benoît Cosnefroy, cyclistes professionnels chez AG2R-Citroën. À l’invitation de

Dans les tribunes, les spectateurs sont emportés par les exploits des athlètes.

la Chaîne L’Équipe, les trois hommes s’étaient retrouvés pour pratiquer et échanger sur leurs disciplines. « Ils m’ont raconté l’émotion qu’ils vivent aux sommets des cols avec le public très proche d’eux. Cela m’a rappelé ce qu’on vit au Grand-Bornand », précise Quentin Fillon-Maillet. Proche de ses fans, le Jurassien a hâte de renouer avec ce climat électrique qui lui a tant manqué depuis l’apparition du coronavirus, même s’il faudra encore jongler entre l’aspect sportif et les sollicitations extérieures. « Tout le monde veut un petit bout des champions français. Entre les photos et les autographes, les sollicitations des partenaires, des médias et de la fédération, nos plannings sont très chargés. On essaie d’anticiper pour ne pas être débordés et se focaliser sur nos performances. C’est avant tout cela qui fait parler de nous. » Il y a quelques mois, l’IBU, qui planifie ses saisons longtemps à l’avance, a validé la présence des meilleures biathlètes de la planète en France en décembre 2022, 2024 et 2025. 

Pour Véronique Claudel (à gauche, aux côtés de Corinne Niogret et Anne Briand), l’émotion la plus forte a été la remise de médailles au village olympique.

Alain Landrain/Presse Sports

VÉRONIQUE CLAUDEL « C’ÉTAIT UN ÉTAT DE PLÉNITUDE »

14 FÉVRIER 1992. AUX JEUX D’ALBERTVILLE, CORINNE NIOGRET, VÉRONIQUE CLAUDEL ET ANNE BRIAND SONT SACRÉES CHAMPIONNES OLYMPIQUES.

Cette photo a été prise juste après le relais. Je ne me souviens pas vraiment de ce que j’ai ressenti sur ce podium d’après course, parce que l’émotion la plus forte, c’est quand on a eu la médaille après, au village olympique. Sur le site, il y avait des gens de mon village, de La Bresse, donc je l’ai d’abord vécu avec eux. Et après, une fois qu’on s’est retrouvées entre nous, avec Coco [Corinne Niogret] et Nanou [Anne Briand], on s’est dit « on l’a fait ! », et c’était super sympa. Quand on est sportive, ce qu’on veut le plus, c’est déjà d’aller aux Jeux. Alors, avoir une médaille, c’est vraiment le comble. Mais on n’avait pas l’impression vraiment que c’était les Jeux olympiques puisque c’était en France et que tout le monde parlait français. Je pense qu’on l’a plus vécu comme une médaille de la France plutôt qu’une médaille à nous trois. On avait un peu de pression en arrivant aux Jeux, parce qu’on avait gagné un relais quinze jours avant en coupe du monde, donc on savait qu’on pouvait faire un podium et que la gagne était possible. À l’échauffement je n’ai pas changé mes habitudes, mais il y avait un petit stress. Et puis on était sollicitées par des gens qu’on connaissait. C’est difficile de rester dans sa bulle quand on comprend tout ce qui se passe autour. On a fait la course comme on devait la faire. On n’a pas dû lutter contre quelque chose. Coco devait bien lancer l’équipe et elle est revenue aux avant-postes. Moi, j’avais les meilleures dans mon relais, donc je devais rester à peu près au contact et ne pas trop décrocher. Et puis Nanou a fini. Sur son dernier tir, elle est sortie derrière l’Allemande. Mais on savait que Nanou skiait plus vite. Donc au pire, on savait qu’on était médaillées. Avoir une médaille olympique, c’est déjà bien, donc tout ce qu’il pouvait y avoir en plus n’était que bonus. Et quand on a vu qu’elle partait très peu derrière après le dernier tir, on s’est dit « c’est bon ! », on savait que c’était gagné quoi ! Quand on a vu Nanou arriver, c’était un sentiment particulier. Ce n’est même plus être contentes ou satisfaites, c’est plus fort que tout cela. C’est un état de plénitude. Il y a une phrase qu’on retiendra toujours, c’est celle que nous a dite le directeur des équipes de France à l’époque, David Moretti : « Elles nous l’ont fait, les salopes ! » C’était très amical, dans un sens où c’était tellement fort pour lui et tellement incroyable qu’on le fasse qu’il était bluffé. Et puis voir notre coach Francis [Mougel, N.D.L.R.] qui pleure, alors là c’était le summum. Cette médaille a fait découvrir le biathlon au grand public. Le fait qu’on soit des filles a aussi, je pense, changé l’image du biathlon. Des filles avec une arme, ce n’est pas pareil que des gars avec une arme. Il y a beaucoup de filles qui se sont mises au biathlon après. Et depuis, il y en a plein qui ont repris le flambeau. J’espère que les filles vont être titrées aussi cet hiver. On verra si au bout de trente ans, elles partagent à nouveau la médaille sur le relais. Ce serait génial ! 

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