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MATHILDE AUVILLAIN

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VICTOR GROS

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COLLECTION PERSONNELLE

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Du Vatican à l'Aquarius

Il est des itinéraires de vie étranges. Celui de Mathilde commence dans la ferme familiale de Saint-Maur, petit village perché au-dessus de Lons et se termine une quinzaine d’années plus tard, dans le village de Macornay, plus bas au pied du Revermont. À peine la distance d’une balade à pied. Et pourtant… Ü

IIL Y A EU LONDRES, BRUXELLES, PARIS, ROME, CATANE ET SURTOUT L’AQUARIUS, le bateau mythique de SOS Méditerranée… Autant d’escales qui ont jalonné la vie de Mathilde Auvillain, Jurassienne aux rêves de grand journalisme, de voyages et de rencontres. Elle est là, assise sur le canapé, presque étonnée… On la croirait sage, mais peut-on parler véritablement de sagesse? Plutôt de sagacité. À 38 ans, elle n’a rien d’une baroudeuse,

on ne l’imagine pas sac au pied, toujours partante pour le scoop. Plutôt l’inverse. On perçoit une réserve, une pudeur, une recherche du mot juste. Du parler vrai: « journaliste, c’est un état d’esprit, une façon de regarder les choses, de voir plus loin. En ce sens, je reste journaliste, mais je ne vois pas où je pourrais désormais exercer ma profession pour que je m’épanouisse. J’ai un peu bifurqué. J’ai voulu passer à l’action, je me suis tournée davantage vers la communication pour des ONG. Quand on a fait ce choix, je crois qu’il est difficile de revenir en arrière. Je suis pasIl est des itinéraires de vie étranges. Celui sée de l’autre côté. » Et pourtant, le journalisme, c’était de Mathilde commence dans la ferme familiale son rêve. Elle a tout donné pour en de Saint-Maur, petit village perché au-dessus faire son métier au plus haut niveau, ou de Lons et se termine une quinzaine d’années presque. C’est d’ailleurs sur le chemin sinueux des hauts diplômes qu’elle a pris plus tard, dans le village de Macornay, plus bas pour la première fois conscience de son au pied du Revermont. À peine la distance ancrage rural: « Mes parents ont repris d’une balade à pied. Et pourtant… Ü Ü une ferme laitière à Saint-Maur, on habitait au-dessus de l’école, j’ai grandi au

Mathilde Auvillain à bord de l'Aquarius, le navire de l'association SOS Méditerranée qui a secouru 30 000 migrants, avant d'être immobilisé et remplacé en juillet 2019 par un nouveau navire, l'Ocean Viking.

COLLECTION PERSONNELLE

milieu des bottes de foin carrées, des petits veaux. Je n’ai jamais vécu en ville, on était des ruraux, des crotteux et c’était dur à porter quand il a fallu choisir ma vie. Mon père est devenu journaliste à Voix du Jura, je le suivais, je voyais les clavistes, j’étais presque en stage et, en seconde, j’ai voulu en faire mon métier, mais pas pour lui faire plaisir. Je voulais faire les grandes écoles, mais il faut passer des concours et entrer en compétition avec des urbains préparés sociologiquement. Quand j’ai préparé khâgne à Dijon, j’ai compris que ce système très élitiste était réservé à une certaine partie de la population. »

L’AQUARIUS, UN SYMBOLE

Laissons de côté les dix années de journalisme pour le bateau orange de SOS Méditerranée, symbole de l’aide aux migrants. La rencontre a lieu à l’automne 2016. C’est un choc alors que Mathilde Auvillain a décidé de se poser quelque temps en Sicile après de sinueuses pérégrinations médiatiques. À ce moment-là, dans sa tête, est-elle encore journaliste? Sans doute pas. En pleine réflexion, elle vient de coécrire un premier livre, Visages de la crise, une série de portraits d’Européens du Sud, « pauvres et fainéants. » Elle a vécu Lampédusa, le déshonneur de l’Union européenne qui abandonne les migrants à leur sort. Elle ne veut plus regarder, elle veut agir: « J’ai décroché un CDD de chargée de communication. Mon rôle était de faire en sorte que tout ce qui se passait à bord et avec l’Aquarius soit dit à l’extérieur. Plus qu’un job, c'était un engagement où je pouvais mettre au service de ces gens tout ce que je savais faire après dix ans d’expérience à Rome et dans les médias internationaux. » La première mission dure six mois. Des centaines de vies sauvées, mais des morts aussi. Beaucoup de morts. Une aventure humaine qu’elle fera connaître au monde entier. Après cet épisode, alors qu’elle s’apprête à rentrer en France, l’association lui propose un emploi en CDI. Évidemment, elle accepte: « C’était artisanal, une équipe de cinq ou six personnes liées par des valeurs très simples, mais l’Aquarius avait atteint un tel degré de visibilité qu’on a commencé à être

Mathilde Auvillain à bord de l'Aquarius.

instrumentalisés. J’ai pu voir le cynisme de la politique, des médias, des ONG et du public. En juin 2018, Matteo Salvini, alors Premier ministre italien, a fermé les ports, l’Aquarius a été détourné sur Valence par des bateaux militaires. J’étais à saturation, j’habitais la Sicile et j’ai pu voir monter la bête noire du racisme, de la xénophobie, de l’extrême droite. »

ÊTRE LÀ OÙ ÇA SE PASSE

2018, année très forte. À Agrigente, Mathilde Auvillain donne naissance à la petite Nuhr. Avec son mari Hassan, elle revient alors dans le Jura: «Ma famille, c’est ici. C’est stable, j’y ai mes racines.» Mais quelques mois plus tard, Médecins Sans Frontières la contacte pour une mission de six mois à Tunis pour gérer la communication de la mission humanitaire auprès des migrants enfermés dans les centres de détention en Libye. Démission de SOS Méditerranée et départ avec un bébé de six mois. La jeune mère y reste presque un an: « Ce n’était pas aussi simple que je le pensais, je n’ai pas pu aller en Libye et quand j’ai été sur le point d'obtenir un visa, il y a eu la pandémie. Je suis restée confinée à Tunis, Hassan était à Marseille. On a pu rentrer en France en juin 2020 et on s’est posés dans une petite maison à Macornay. » Et avant? Retour sur une belle expérience journalistique. Mathilde Auvillain a échoué aux concours de Sciences Po, mais son rêve est intact: devenir correspondante pour France Info à Bruxelles. Elle a vingt ans et part pour la faculté de Lyon, elle en sort avec une maîtrise de sciences politiques. Son stage, elle le fait à RCF (Radios Chrétiennes en France) sur la colline de Fourvières. Premier job en contact permanent avec Radio Vatican, la « maison mère ». Son niveau d’anglais est insuffisant? Elle va passer neuf mois à Essex, « un campus des années 1960, loin de Londres, au fond de nulle part ». Ensuite, petit bond à Bruxelles pour un DESS de journaliste européen avec un stage qui l’amène six mois à Paris: « J’avais un copain là-bas, mais je n’ai jamais beaucoup aimé cette ville, j’avais pris goût à l’étranger… » Après, tout va très vite. Un poste se libère à Radio Vatican. La Jurassienne connaît la rédactrice en chef, Ü

En 2018, les marins de l'Aquarius au secours de naufragés en mer Méditerranée. Après des années à raconter la marche du monde, la Jurassienne est passée à l'action.

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