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Interco' Outre-mer

SORTIR DE L’INDIVISION POUR RELANCER LES PROJETS FONCIERS EN OUTRE-MER

Interco’ Outre-mer s’implique concrètement sur le sujet de l’indivision. En effet, en raison de successions non réglées, une partie des terres d’outre-mer reste bloquée en indivision, souvent depuis plusieurs générations. Ces situations qui semblent inextricables génèrent leurs lots de dégradations paysagères, conséquences sanitaires et pollutions de l’environnement.

Les territoires d’outre-mer subissent fortement les effets d’indivisions que l’on peut qualifier de « complexes ». Il s’agit principalement d’indivisions de nature successorale pour lesquelles le règlement s’avère compliqué, soit du fait d’une absence de titres prouvant la propriété ; soit du fait de difficultés comme les indivisions qui se superposent et se perpétuent, de confits entre coindivisaires, d’obstacles dans l’identification ou pour retrouver les coindivisaires… « Le problème de l’indivision nous appelle à poursuivre une réflexion commune, profonde, argumentée et efficace pour résoudre cette question difficile, mais incontournable », déclare Lyliane Piquion-Salomé, présidente d’Interco’ Outre-mer. Une indivision qui fonctionne mal peut porter atteinte à l’environnement et au paysage : enfrichement des parcelles non entretenues, multiplication de dents creuses ; biens à l’abandon favorisant l’insalubrité, maisons fermées ou dégradées...

Dans la commune de Sainte-Marie en Martinique, la parcelle 0270 illustre bien le phénomène de l’indivision avec une multitude de constructions sur un même terrain, certainement sans permis de construire.
© DR

Ainsi il est rare de voir une commune d’outre-mer qui ne présente pas de situation foncière dégradée ayant pour cause une indivision. Dans un autre registre, l’indivision va freiner la production de logements et le développement urbain alors que, particulièrement dans les outre-mer, les besoins sont énormes.

Chacun peut amener sa pierre à l’édifice. La participation des différents acteurs est cruciale et Interco’ Outre-mer plaide pour des rencontres régulières entre offices notariaux et collectivités, de façon à partager les éléments du désordre foncier dans le territoire. Certaines intercommunalités, à l’instar de l’Espace Sud Martinique, mènent des actions concrètes et ciblées pour tenter de sensibiliser les administrés et les inciter à accélérer le règlement des indivisions par le biais des outils existants. Si les adaptations au droit commun ont permis des avancées, les enjeux fonciers sont tels qu’il faut aller plus loin sur plan législatif soit en innovant, soit en se rapprochant d’adaptations existantes sur d’autres territoires comme la Corse ou la Polynésie française. C’est tout le travail que mène actuellement Interco’ Outre-mer en rassemblant ses adhérents autour de propositions et de temps de travail en commun, en faveur du règlement de l’indivision dans les outre-mer.

QU’EST-CE QUE LA LOI LETCHIMY ?

La loi Letchimy du 27 décembre 2018 facilite la sortie de l’indivision afin de relancer la politique du logement en outre-mer 1. En effet, grâce à cette loi, dans le cadre des successions bloquées depuis plus de 10 ans, l’unanimité n’est plus requise pour vendre ou partager un bien. Dorénavant, la majorité suffit pour procéder à un acte de vente ou de partage chez son notaire. Cette loi permet aussi de conclure des actes patrimoniaux pour les personnes détenant au moins 51 % des droits indivis.

INTERVIEW

Sébastien Tripet

MAÎTRE SÉBASTIEN TRIPET, NOTAIRE EN MARTINIQUE

• Quel regard portez-vous sur les indivisions en Martinique et notamment sur leurs impacts environnementaux ?

- Ici dans certaines communes, plus de 70 % des habitants n’ont pas de titre de propriété ! L’île compte par exemple de nombreux terrains dont les anciens propriétaires sont décédés il y a très longtemps et qui n’avaient pas d’héritiers, ou bien dont les héritiers ne sont pas identifiés. Si personne ne revendique ces parcelles en friche, qui causent des dégradations du paysage, on ne peut rien faire.

D’autres terrains en indivision sont occupés par plusieurs maisons construites sans aucun titre de propriété et peut-être même sans fosses septiques, avec des eaux usées qui se déversent directement dans les ravines... Les contrôles en matière d’assainissement sont certes réalisés par les quatre intercommunalités de l’île au moment des ventes, mais par la suite peu de contrôles sont effectués. Les impacts sont écologiques mais aussi sanitaires. Il est fréquent par exemple en Martinique de voir le long des routes des maisons à l’abandon faites en fibres-ciment et dont le lent délabrement est susceptible de disperser de la poussière d’amiante.

Maison à l’abandon sur un terrain en indivision en Martinique.
© Sébastien Tripet

• Qu’en est-il des outils pour régler l’indivision ?

- Il existe des outils en effet, mais c’est là où le bât blesse. Depuis 2018, la loi Letchimy permet les partages et les ventes à la majorité des indiviseurs. Mais comment voulez-vous réaliser ces partages et ces ventes en l’absence de titres de propriété et si les héritiers ne sont pas connus ? Au-delà de cette loi, il faudrait effectuer des recherches poussées sur les titres de propriété, avec le concours de généalogistes, de géomètres, de notaires... Pour cela, le groupement d’intérêt public (GIP) « Sortie de l’Indivision et Titrement Martinique » a été créé en 2022. Or un unique dossier a été traité aux Antilles depuis. Il n’y a pas eu de mise en place concrète de cette organisation.

Autre exemple de maison à l’abandon sur un terrain en indivision en Martinique.
© Sébastien Tripet

• Comment alors, selon votre expérience, tenter de trouver une solution à l’indivision ?

- On ne donne pas à boire à un âne qui n’a pas soif... L’indivision profite à beaucoup de gens, qui échappent ainsi à la taxation foncière notamment. Il faut un changement global d’état d’esprit. Les notaires sont à la disposition des personnes, qui doivent venir les plus nombreuses possibles – parfois il y a 60 héritiers ! L’information obtenue devant son notaire peut être un fait déclencheur pour convaincre les autres héritiers de sortir d’un conflit et de régler la situation. Car disposer d’un titre de propriété permet de vendre, d’avoir un prêt bancaire, etc. Il faut communiquer surtout sur la transmission aux enfants, pour ne pas leur laisser en héritage toutes ces difficultés.

Rédaction et interview : Caroline Cunisse | Stéphanie Castre

La loi Letchimy, du nom de Serge Letchimy, ancien député martiniquais et actuel président du conseil exécutif de la Collectivité territoriale de Martinique, s’applique dans les départements et régions d’outre-mer, ainsi qu’à Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon.

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