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Conseil départemental de Mayotte
LE PROJET D’USINE DE DESSALEMENT QUI INQUIÈTE LES ASSOCIATIONS ENVIRONNEMENTALES
Le 14 décembre 2023, afin d’augmenter la ressource en eau, la préfecture de Mayotte a déclaré une procédure d’urgence civile pour la construction d’une usine de dessalement à Ironi Bé, dispensant le projet d’étude d’impact et d’évaluation environnementale. Rencontre avec les représentants des principales associations mahoraises de défense de la nature.
INTERVIEW
MICHEL CHARPENTIER, PRÉSIDENT DES NATURALISTES DE MAYOTTE
• Comment expliquer que Mayotte ait subi ces derniers mois autant de coupures d’eau ?
- L’année 2023-2024 a été particulièrement déficitaire en pluie, avec -24 % par rapport aux moyennes, mais ce n’était pas non plus si extraordinaire. Nous avons connu au moins trois années – 1979, 1993 et 1997 – de pluviométrie encore plus faible. La différence, c’est qu’aujourd’hui il y a beaucoup plus de monde à Mayotte et donc plus de besoins. Après la dernière crise de l’eau de 2017, qui aurait dû nous alerter, aucune nouvelle campagne de forage n’a été faite et les Eaux de Mayotte n’ont pas mis en place de système annuel de recherche de fuites. Des experts venus sur l’île en septembre 2023 ont montré que 30 % de l’eau potable se perdait alors en fuites dans le réseau, ce qui est considérable. Nous n’avons pas été préparés au mieux à cette nouvelle crise de l’eau et avons subi les conséquences d’un manque d’anticipation.
• Pourquoi le projet d’usine de dessalement à Ironi Bé, le deuxième de l’île, vous inquiète-t-il ?
- En 2017, la principale mesure de l’urgence a été de porter la première usine de dessalement de Mayotte, en Petite-Terre, à 5 000 m3/jour. C’était un effet d’affichage immédiat pour répondre à la demande en eau qui était très forte. Je me suis dit “pourquoi pas” ; je ne suis pas opposé aux usines de dessalement et ce sera probablement indispensable d’en créer pour faire face à la croissance démographique. Mais que ce soit pour Petite-Terre en 2017 ou à présent pour Ironi Bé, avec mes confrères de MNE et de la FMAE, nous regrettons l’absence à la fois de concertation avec les acteurs de la société civile et d’étude environnementale.
Le projet à Ironi Bé ambitionne un bien plus gros débit qu’en Petite-Terre. On nous annonce une mise en service en 2025 avec, dans un premier temps, une production d’eau de 10 000 m3/jour, sachant que l’usine sera conçue pour 50 000 m3/jour 1 (sachant que les besoins quotidiens en eau à Mayotte sont estimés à 42 000 m3, NDLR). Là encore, je dis “pourquoi pas”, mais quelles vont être les incidences environnementales ?
Le site retenu à Ironi Bé avantage les Eaux de Mayotte en termes de distribution d’eau, du fait de sa proximité du réseau. Mais tout d’abord, pour installer les canalisations de l’usine, il faudra trouer la mangrove, un habitat fragile où vit par exemple le crabier blanc, oiseau en danger d’extinction...
Ensuite, et j’en viens à notre principal sujet d’inquiétude, quel sera l’impact des rejets de saumure, cette eau sursalée, sous-oxygénée, sur les organismes et animaux marins du lagon ? Il n’existe pas d’études à ce sujet, car aucun pays n’a installé d’usine de dessalement dans un lagon fermé. Je précise que l’usine de Petite-Terre rejette la saumure hors du lagon, au large. Si le site d’Ironi Bé est maintenu, il faudrait à minima déverser la saumure loin de la barrière de corail, dans un lieu de brassage. Nous appelons à la prudence, pour ne pas dégrader davantage les richesses inestimables du lagon.
+ d’info ici : Lettre aux ministres et élus (7 mars 2024)
TÉMOIGNAGE
ALI MADI, PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION MAHORAISE DES ASSOCIATIONS ENVIRONNEMENTALES
« L’usine d’Ironi Bé ne poserait pas de problème si elle était bien faite. Or il n’y a eu ni étude d’impact ni enquête publique. Les citoyens ont un droit de regard sur ce projet. Quand les autorités font seules, c’est l’échec... Nous sommes des facilitateurs des politiques publiques et mettons à disposition notre expertise. Il faut que nos partenaires saisissent cette chance. Nous souhaitons un dialogue et comptons sur le nouveau préfet et ses équipes pour écouter notre cri du cœur sur ce dossier.
Par ailleurs, la réutilisation des eaux usées traitées a l’avantage de s’assurer du bon traitement des eaux, de protéger le lagon nourricier pour les familles mahoraises et le tourisme, car le système est souvent très défaillant et des eaux sales achèvent leur course dans le lagon. Les eaux de toiture pourraient être plus utilisées dans les écoles notamment pour les chasses d’eau, ce que font déjà la Caisse de sécurité sociale de Mayotte (CSSM) et Météo-France. Enfin nous pourrions, au lieu de rendre l’ensemble de l’eau potable, en distribuer une partie à l’agriculture et au BTP, qui n’ont pas besoin d’eau propre à la consommation. Innovons et partageons l’eau ! »
TÉMOIGNAGE
HOULAM CHAMSIDINE, PRÉSIDENT DE MAYOTTE NATURE ENVIRONNEMENT
« J’ai bien peur que les solutions rapides – comme la récupération des eaux de pluie et de ruissellement, les générateurs atmosphériques, voire les usines de dessalement sous réserve d’études d’impacts préalables – ne suffisent pas. En complément, le reboisement doit être au cœur de nos actions. Mayotte subit depuis bien trop longtemps une déforestation à grande échelle qui amoindrit la pénétration de l’eau dans la terre. Dans son cheminement vers le lagon, l’eau de pluie ruisselle, ce qui accélère l’érosion des sols et emporte des pollutions qui asphyxient les coraux et nuisent aux poissons, aux tortues, etc.
Pourquoi ne pas s’inspirer du plan « 1 million d’Arbres pour La Réunion » du Département de La Réunion ? Cela pourrait se faire ici, chaque étudiant, chaque élève de Mayotte pourrait planter un arbre. Il faudrait travailler les zones tampons, entre crêtes protégées par la Réserve naturelle nationale des forêts de Mayotte et zones agricoles. La pluie captée dans les sols reboisés pourrait alors recharger les nappes phréatiques, qui alimentent nos rivières, elles-mêmes sources de biodiversité... »