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Guadeloupe
Ci-dessus : le chantier d’enlèvement du remblai illégal en janvier 2022. (© BMJ)
RESTAURATION D’UNE ZONE HUMIDE REMBLAYÉE ILLÉGALEMENT : QUELS ENSEIGNEMENTS EN TIRER ?
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Dans la commune des Abymes, le Conservatoire du littoral a restauré une zone humide,dont une importante superficie avait été dégradée par des travaux de remblaiements. Retour sur cette affaire épineuse et les conclusions à en retenir.
En Guadeloupe, le Conservatoire du littoral protège près de 6 000 hectares de zones humides constituées de mangroves, de forêts marécageuses ou prairies humides, principalement sur les pourtours du Grand Cul-de-Sac marin. Ces zones humides jouent un rôle majeur pour la protection du littoral, la prévention des inondations, l’épuration des eaux en provenance du bassin versant ou encore la conservation de la biodiversité. Cependant, elles font l’objet de pressions multiples : dépôts de déchets, pollutions, modifications du fonctionnement hydraulique, remblaiements…
C’est ainsi qu’en novembre 2019, des agents du Parc national de la Guadeloupe constatent que d’importants travaux de remblaiement d’une zone humide à partir d’un mélange de terre, de tuf, de gravats et de déchets sont en cours sur la commune des Abymes. Le remblai s’étend sur environ 10 000 m ² à cheval sur une propriété privée et sur la parcelle limitrophe acquise par le Conservatoire du littoral en 1999. En décembre 2019, le Conservatoire met en demeure l’auteur des faits de stopper les travaux et de supprimer le remblai déjà réalisé. Constatant un mois plus tard que les travaux n’ont pas cessé, le Conservatoire décide de poursuivre le contrevenant devant le Tribunal administratif pour occupation illégale du domaine public. Il met en œuvre pour cela une procédure dite de « référé mesures utiles » permettant d’obtenir une décision rapide du juge en raison de l’urgence à agir.
Par ordonnance du 6 avril 2020, le juge condamne l’auteur des faits à libérer les lieux et à supprimer le remblai illégal dans un délai de 30 jours. Faute d’avoir pu obtenir l’exécution du jugement par le contrevenant lui-même, le Conservatoire du littoral procède en janvier 2022 à l’évacuation des remblais installés illégalement sur sa propriété, soit environ 10 000 m 3 répartis sur 3 000 m². Le coût, de l’ordre de 200 000 €, sera refacturé au contrevenant. À titre de comparaison, ce coût de la restauration de la zone humide, encore susceptible d’augmenter s’il s’avère nécessaire à l’avenir d’intervenir pour contrôler le développement d’espèces invasives, est déjà plus de 100 fois supérieur à celui de l’acquisition !
Ce dossier fait apparaître les limites des dispositifs de protection et de contrôle qui auraient dû éviter cette destruction d’une zone humide patrimoniale. D’une part, la protection règlementaire des zones humides peine à s’appliquer en outre-mer dans l’attente de la publication d’arrêtés permettant d’en donner une définition juridique précise. D’autre part, le défaut d’autorisation d’urbanisme n’a pas été poursuivi. Enfin, le remblai a été constitué au moins pour partie (et à moindre coût !) à partir des déblais du chantier de construction du nouvel hôpital de Guadeloupe situé à proximité, sans que les contrôles sur la destination de ces déblais n’aient permis d’éviter qu’ils aboutissent en dehors d’un site dûment autorisé.
Une combinaison de facteurs favorables a cependant permis une intervention efficace bien que partielle (puisque seule la partie publique de la zone humide patrimoniale détruite a pu être restaurée) : la maîtrise foncière et la forte protection juridique conférée par la domanialité publique des acquisitions du Conservatoire du littoral, la surveillance de terrain et la capacité à constater l’infraction – ici par le Parc national de la Guadeloupe – et la capacité opérationnelle et financière du Conservatoire à intervenir en justice puis à exécuter d’office l’ordonnance rendue par le tribunal administratif.
Cet exemple, qui n’est malheureusement pas un cas isolé, vient confirmer l’adage selon lequel, en matière de protection des espaces naturels, « mieux vaut prévenir que guérir ». Au-delà de la valeur d’exemple, ce type d’intervention difficilement reproductible à plus grande échelle met en lumière la nécessaire sensibilisation à réaliser auprès des propriétaires ou occupants des espaces naturels.