Lettre de l'Odéon n°13

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anton tchekhov / luc bondy

OD ON

tchekhov ou l'invention d'un monde

I V A NLettre O V N 13 o

les bibliothèques de l'odéon

albertcédaire d'albert cohen

le décrochage scolaire

remettre la vie dans le bon sens

Odéon-Théâtre de l’Europe

janvier 2015


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sommaire p. 2 à 6 et p. 11

tchekhov ou l'invention d'un monde Ivanov Anton Tchekhov / Luc Bondy

Tchekhov ou l'invention d'un monde entretien avec Luc bondy

p. 7 à 10

les bibliothèques de l’odéon albertcédaire d'Albert Cohen petits platons deviendront grands Les petits Platons à tous ceux qui aiment lire

p. 12 à 13

remettre la vie dans le bon sens trois questions à Chantal Ahounou une pédagogie de la question agir dès les premières failles

p. 14

la musique et ses publics AVANTAGES ABONNÉS Invitations et tarifs préférentiels

p. 15

ACHETER ET RÉSERVER SES PLACES p. 16

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Son Tchekhov, Luc Bondy le place sans hésiter entre Shakespeare et Beckett. La «petite musique» ou l'«atmosphère» tchékhoviennes ne doivent pas faire oublier l'essentiel : dans ses pièces, c'est tout un monde qui se déploie. Une semaine après avoir réuni, salle Serreau, la distribution de son Ivanov au grand complet pour une toute première lecture, le directeur de l'Odéon nous parle de sa passion pour Tchekhov, mort à 44 ans et qui «toute sa vie sera resté un jeune auteur». Daniel Loayza : à quand remonte votre intérêt pour Tchekhov ? Luc Bondy : J’avais monté Platonov à Berlin en 1978 et à vrai dire, c’était plutôt un désastre… Il y a déjà tout son théâtre dans cette pièce-là, ce qui ne veut pas forcément dire que ce soit par elle qu'il faut commencer ! J'ai attendu 2002 pour mettre en scène La Mouette, et là, les Russes m'ont décerné le prestigieux prix Stanislavski. Je suis allé à Moscou. De là j'ai fait le voyage jusqu'à Mélikhovo, un petit village à une heure de la capitale. C’était plutôt impressionnant de se rendre là-bas. C'est un lieu paisible où Tchekhov a fait construire des écoles et une petite maison, celle où il a écrit La Mouette. Quand on s’approche aujourd’hui de Mélikhovo, le lac et ses abords sont jonchés de milliers de sacs en plastique. Un endroit idyllique dans un paysage cauchemardesque, apocalyptique. Deux visions contradictoires. La sensation qu'elles provoquent explique la fascination qu’éprouvent les gens de théâtre pour Tchekhov. D. L. : Comment décririez-vous cette sensation ? L. B. : Alors qu'on parle d'«univers shakespearien» ou de «monde beckettien», pour Tchekhov, on se contente trop souvent d'invoquer une certaine «atmosphère tchékhovienne». Cela suggère que

Ce qu'on appelle aujourd'hui un burn-out. Tchekhov serait un inventeur moins puissant, que sa création serait en quelque sorte plus légère. C'est totalement faux. Tchekhov, c'est aussi tout un cosmos, où s'unissent le no man's land beckettien et la lande shakespearienne, avec ses cris et ses sanglots. Tchekhov s’approche d’un monde beckettien, un monde du début ou de la fin. Il est la résultante d’un monde classique ou baroque soudainement mis à nu. Une querelle de ménage devant un verger au clair de lune devient aussi déchirante qu’une scène de Shakespeare. Les élucubrations ivres de Chabelski dans l’orphelinat d’Ivanov font penser au fou du Roi Lear, voire à Lear lui-même, et annoncent en même temps la naissance d’Estragon et Vladimir. Le génie de Tchekhov lui a permis de créer des personnages que personne d'autre n'aurait pu imaginer. Qui d'autre pouvait inventer Nina ou les trois sœurs ? Et ces personnages, il les rend éternels plutôt qu’épisodiques et littéraires. Ils ne sont pas examinés seulement à travers une loupe passéiste. Ce sont des êtres qui ont existé et qui vont exister. Ils regardent le passé tout en étant plongés dans un monde que nous ne connaissons pas encore. D. L. : Est-ce qu'Ivanov est une pièce qui pose des problèmes particuliers ? L. B. : Pour un metteur en scène, la grande difficulté, c'est qu'il n'y a pas un Ivanov mais deux, celui de la création à Moscou en 1887 et celui de la recréation à Saint-Pétersbourg en 1889. Tchekhov a retouché sa pièce pour répondre à deux critiques. La première portait sur l'étrangeté du caractère d'Ivanov. La deuxième,

sur sa curieuse façon de mourir. En 1887, le héros succombe sans un mot. En 1889, Tchekhov propose un second Ivanov beaucoup plus explicatif. Il donne des clefs sur la négativité et la dépression de son héros. Cet Ivanov-là, c'est celui qui se tire une balle dans la tête. Il a largement inspiré la lecture que fait Léon Chestov de l'œuvre de Tchekhov : l'homme, parvenu à un certain degré de lucidité, n'a pas d'autre ressource que de se taper la tête contre les murs. L'interprétation de Chestov est fascinante. Mais plus j'avance dans le travail, plus j'y réfléchis, et plus cette lecture me pose de problèmes. Après tout, Tchekhov avait qualifié sa première version de «comédie».

D. L. : Et les femmes ? L. B. : Tchekhov était très fier de ses rôles féminins ! Zinaïda, la femme de Lébédev, est une sorte de madame Harpagon. La seule idée de dépenser la terrifie. Quand Ivanov lui demande un délai pour rembourser ses dettes, elle est prise d'une sorte de panique... C'est très bien vu et très féroce ! Sa fille Sacha, on pourrait croire qu'elle est faite pour Ivanov. Elle est aussi une jeune personne plutôt ordinaire. Elle rêve d'une passion romanesque mais au bout d'un an, elle n'en peut plus de son fiancé...

D. L. : Comment voyez-vous le personnage principal ?

D. L. : Il y a aussi une intrigue secondaire : la petite comédie nuptiale que Borkine essaie d'organiser...

L. B. : C'est une sorte d'«homme de trop», comme disaient les Russes de l'époque. à trente-cinq ans, il dit déjà non à la vie. Il avait pourtant beaucoup à faire, il s'intéressait à la gestion rationnelle de ses domaines, à l'instruction des enfants des environs, comme Tchekhov lui-même à Mélikhovo – et tout à coup, il traverse une crise, ce qu'on appellerait aujourd'hui un burn-out. Il ne croit plus en lui-même, il ne croit plus en l'amour. Il ne comprend pas ce qui lui arrive. Et pourtant, c'est autour de cet être psychiquement épuisé, presque amorphe, que Tchekhov organise sa pièce.

L. B. : C'est une des deux grandes leçons que Tchekhov a retenues de Shakespeare. La première, c'est qu'un personnage, par exemple Ivanov, n'a pas besoin d'être tout à fait compréhensible pour être intéressant – c'est même plutôt le contraire. La deuxième, c'est l'art de soutenir l'action principale par un contrepoint. Là aussi, il y a de belles figures : Babakina, la riche veuve d'un commerçant qui rêve de devenir comtesse, et Avdotia, entremetteuse depuis trois générations. Elle a l'air sortie d'un conte populaire russe !

D. L. : De quelle façon ?

D. L. : Comment voyez-vous le mouvement d'ensemble de la pièce ?

L. B. : D'abord, il y a sa femme. Sarah est d'origine juive, et c'est très important. Elle s'est convertie au christianisme par amour pour Ivanov et pris le nom d'Anna Petrovna. Ivanov pouvait espérer qu'Anna aurait une belle dot, mais elle est reniée par ses parents qui ne lui pardonnent pas sa conversion. Ivanov ne touche donc pas un sou. Est-ce qu'il a vraiment épousé Anna par calcul ? Pratiquement tout le monde le croit ou fait semblant de le croire, dans cette petite société provinciale où tous se connaissent... Il le sait sans doute et il en souffre. L'antisémitisme alimente les ragots et fournit un prétexte pour parler tout le temps d'Ivanov sans admettre qu'en fait, on est fasciné par lui. D. L. : Comment les autres personnages tournent-ils autour de lui ? L. B. : Ils ont tous quelque chose à lui demander. Il y a Lébédev, le propriétaire foncier alcoolique et sentimental qui prête de l'argent dans le dos de sa femme Zinaïda. Lui a démissionné, il a fui dans son alcoolisme, et il voudrait qu'Ivanov vive à sa place. Il y a Borkine, l'intendant brutal, l'homme d'affaires boute-en-train, jamais à court d'idées pour gagner de l'argent de façon douteuse. Il souhaite qu'Ivanov lui donne des moyens ou au moins qu'il lui laisse les mains libres. Il y a Chabelski, l'oncle d'Ivanov, un personnage étrange, déjà beckettien, un mélange d'aristocrate et de clochard, un pique-assiette distingué. Il n'en peut plus de payer son séjour chez son neveu en étant condamné à rester enfermé avec Anna Petrovna pour lui tenir compagnie. Et puis il y a le jeune docteur Lvov, l'adversaire d'Ivanov. C'est le type même de personnage que Tchekhov détestait, un homme à principes et à bonne conscience. Il critique sans cesse Ivanov pour sa manière de vivre, sa conception de l'amour, son laisser-aller. Lui-même est sans doute amoureux d'Anna Petrovna, mais s'il l'est, il est de toute façon trop rigide pour oser se l'avouer.

L. B. : Tchekhov a écrit ses quatre actes comme autant de nouvelles. Chaque fin d'acte est accentuée par une situation très forte, très surprenante. Au premier acte, Ivanov part à la fête d'anniversaire de Sacha en laissant sa femme toute seule. Ce n'est pas la première fois. Mais ce soir-là, brusquement, Anna Petrovna décide de le rejoindre là-bas, et on sent que c'est dangereux. Au deuxième acte, Anna Petrovna arrive chez les Lébédev et surprend son mari dans les bras de Sacha, juste à l'instant où il commençait à croire qu'il pourrait recommencer une vie nouvelle. Quinze jours après, au troisième acte, Anna sait que Sacha est venue voir Ivanov. Cette visite provoque une dispute horrible entre les époux. C'est tellement atroce qu'Ivanov finit par la traiter de «sale Juive», puis lui révèle qu'elle va mourir bientôt. Au quatrième acte, il

Tchekhov était très fier de ses rôles féminins. y a un an qu'elle est morte. Et c'est là qu'il faut faire son choix : ou bien le suicide dramatique, ou bien cette fin si originale. D. L. : Alors, de quoi meurt Ivanov ? L. B. : Pour moi, c'est encore ouvert. Mais je ne suis pas tellement adepte du suicide. Le deuxième Ivanov, avec son coup de pistolet, c'est comme un point final très abrupt qui s'impose à l'action. C'est comme si Tchekhov s'était dit : puisque le public a besoin d'une sorte de résolution, on va la lui

servir ! Mais c'est un coup de force. Tandis que dans la première version le personnage s'éteint. Il finit et c'est tout. Nous sommes déjà très proches de Beckett. Un personnage qui se suicide, c'est psychologique. Un personnage qui finit, c'est ontologique !

16 janvier – 28 février 8 – 29 avril 2015 Odéon 6e

D. L. : Qu'est-ce donc qui le tue dans la version de 1887 : l'insulte de Lvov ?

texte Anton Tchekhov mise en scène Luc Bondy création

L. B. : Une sorte d'épuisement mortel. Cela ne s'explique pas par l'apathie. Ivanov n'est pas un personnage «oblomovien». Il succombe plutôt par excès d'intelligence. C'est comme s'il s'était radiographié lui-même et s'était brûlé en le faisant. Sa lucidité a détruit tout ce qui est du côté de la vie. Mais personne ne s'aperçoit qu'il meurt. Tout à coup il n'est plus là, il s'est pour ainsi dire effacé, éclipsé hors du monde. Quand les autres s'en aperçoivent et le cherchent, c'est trop tard... Cette fin est vraiment difficile à régler. Mais le reste de l'acte va nous aider à faire les choix. Les réponses à ces questions-là viennent du plateau, dans le travail avec les comédiens. Je veux que ce soit un pandémonium, un finale cauchemardesque, infernal, comme si tous les personnages se décomposaient sous l'effet de la vodka. Comme si la musique, au milieu de l'acte, quittait l'harmonie classique pour devenir du Webern ou de l'Alban Berg. Jusqu'à cette fin si anti-théâtrale, si audacieuse. Je la sens comme un arrêt sur image de la situation. D. L. : Un mot de conclusion, à ce stade du travail ? L. B. : Toute sa vie, Tchekhov est resté un jeune auteur. Il est mort à 44 ans ! Il avait le génie des individus, des singularités, et cette fraîcheur-là, il l'a gardée jusqu'au bout. Il est toujours capable d'accueillir les contradictions de ses personnages. Il ne part jamais de thèses qu'il faudrait illustrer. Il sait faire coexister tous les points de vue. Il veut certainement qu'on donne raison à Ivanov contre Lvov, mais cela ne veut pas dire que Lvov se trompe complètement. Ce serait trop facile. Tchekhov est un auteur assez puissant pour remettre en cause des figures comme le justicier et la victime. Dans un théâtre plus classique, quand les personnages ne détiennent qu'une partie de la vérité, c'est au spectateur qu'il appartient de faire la synthèse, depuis l'extérieur, dialectiquement. Mais avec Tchekhov, comme chez Shakespeare, ce point de vue «extérieur» est également porté à la scène. Il est inclus dedans. à un moment, Ivanov dit au docteur que lui, Lvov, du dehors, le comprend peut-être mieux que lui-même, Ivanov, ne peut se comprendre de l'intérieur. Mais sur ce point, Ivanov fait erreur, car l'observateur extérieur se trompe, lui aussi. Et c'est pareil pour nous autres spectateurs. Nous qui sommes au-dehors, il n'est pas sûr que nous comprenions les personnages plus ni mieux qu'ils ne se comprennent euxmêmes. Nous sommes de plain-pied avec eux. Nous sommes exactement la même humanité. Propos recueillis par Daniel Loayza Paris, le 28 octobre 2014

IVANOV

version scénique Macha Zonina Daniel Loayza Luc Bondy d'après la première version d'Anton Tchekhov et la traduction d'Antoine Vitez

décor Richard Peduzzi costumes Moidele Bickel lumières Bertrand Couderc musique Martin Schütz maquillages / coiffures Cécile Kretschmar collaborateur artistique à la mise en scène Jean-Romain Vesperini conseiller artistique Geoffrey Layton avec Marcel Bozonnet Christiane Cohendy Victoire Du Bois Ariel Garcia Valdès Laurent Grévill Marina Hands Coco König Yannik Landrein Roch Leibovici Micha Lescot Chantal Neuwirth Nicolas Peduzzi Missia Piccoli Fred Ulysse Marie Vialle (distribution en cours) production Odéon-Théâtre de l’Europe créé le 16 janvier 2015 à l'Odéon-Théâtre de l’Europe cinéma en partenariat avec le Nouvel Odéon Carte blanche à Luc Bondy programme précisé ultérieurement : nouvelodeon.com theatre-odeon.eu


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Apprendre à aimer l'irréversible entretien avec étienne Klein

à l'occasion de la création de Luc Bondy à l'Odéon, étienne Klein, physicien au CEA, professeur à l'école centrale et spécialiste de la question du temps en physique, a bien voulu se prêter avec nous à un jeu inédit : découvrir trois extraits de la correspondance de Tchekhov et engager librement la conversation autour d'Ivanov à partir des réflexions impromptues qu'ils pourraient lui inspirer. I. Lettre de Tchekhov à Grigorovitch, 5 février 1888 (Tout ce que Tchekhov

a voulu dire sur le théâtre, trad. Catherine Hoden, L'Arche, 2007, p. 75) Toute l'énergie de l'artiste doit être dirigée vers deux forces : l'homme et la nature. D'une part la faiblesse physique, la nervosité, la maturité sexuelle précoce, la soif passionnée de vie et de vérité, les rêves d'une action large comme la steppe […] ; d'autre part la plaine infinie, le climat rigoureux, le peuple gris, rude avec son histoire dure et froide […]. La vie russe oppresse l'homme russe à tel point qu'il disparaît sans laisser de trace, elle l'oppresse comme le ferait une pierre de 1000 pouds [environ 16 tonnes]. En Europe occidentale, les gens périssent parce qu'ils sont trop à l'étroit et étouffent, ici ils périssent parce qu'ils ont trop d'espace... Il y a tant d'espace que le petit être humain n'a pas la force de s'y orienter... Voilà ce que je pense des suicides russes...

étienne Klein : Magnifique... Ce que Tchekhov décrit là n'est pas sans rapport avec l'entropie, qui était liée au problème de l'irréversibilité. C’est un sujet qui passionnait les gens, car elle posait la question de la mort thermique : non pas la dépression individuelle, mais la dépression de l'univers ! On en parlait jusque dans les journaux. Ce ne serait pas si étonnant que Tchekhov, qui en tant que médecin a aussi reçu une formation scientifique, en ait entendu parler. Cela dit, est-ce qu'à l'époque il était «bien connu» qu'on se suicidait en Russie Ci-dessous, de gauche à droite : Marcel Bozonnet, Micha Lescot, Marina Hands, Yannik Landrein, Marie Vialle, Victoire Du Bois, Christiane Cohendy © Thierry Depagne

plus qu'ailleurs ? Et d’une façon différente qu’en Europe occidentale ? J'aimerais bien le savoir ! Tchekhov explique ici les suicides russes par des effets d'entropie. Il part de l'homme russe et de la nature russe, donc d'un certain type de systèmes de particules plongées dans un certain espace. Cet espace est tellement vaste que ces systèmes n'ont pas trop le choix : ils sont confrontés à des états extrêmement divers sans qu'il y ait de guide ou de critère qui permette de choisir un état plutôt qu'un autre. C'est frappant : Tchekhov parle d'un problème d'orientation... Les trajectoires sont désordonnées. Cet espace froid manque d'ordre au sens thermodynamique du terme, il y a un défaut d'organisation des systèmes... J’ai connu le désespoir et bien sûr la tristesse, mais jamais la dépression au sens clinique du terme. J’ai tendance à la mettre en rapport avec l'incapacité à redoubler le réel par autre chose que lui-même. Clément Rosset en parle très bien dans Le Réel et son double. Les êtres humains ont en général du mal à voir les choses telles qu'elles sont, à supposer que ce soit possible. Ils les habillent d'interprétations, d'illusions, qui permettent de vivre. Il leur faut des stratagèmes pour embellir le réel insupportable, pour le rendre fréquentable. Mais parfois, le réel perce à travers le voile... Ici, on a «d'une part», dit Tchekhov, «les rêves d'une action large comme la steppe» ; donc, c'est bien le réel qu'il pose «d'autre part» avec le «climat rigoureux», l'«histoire dure et froide»... D. L. : Revenons à la dépression d'Ivanov... E. K. : Je note d'abord que curieusement, Tchekhov parle aussi de cette

«dépressurisation russe» comme d'un écrasement : 1000 pouds, seize tonnes, ça fait quand même beaucoup !... Le poids de ce néant de vie qui est pourtant si oppressant, cela me ferait plutôt penser au burn-out. J'en ai parlé récemment avec un sociologue. Il a mené une enquête d'où il ressort que le burn-out n'a pas grand-chose à voir avec la dépression. La dépression a une histoire, elle se prépare, elle mûrit, alors que le burn-out est un effondrement instantané. Un collapsus. L'effondrement gravitationnel qui finit en trou noir... Le corps et la psyché, sous pression, réagissent d'un coup, avec une violence extrême, à ce qu'ils étaient contraints d'accepter. Ce n'est pas forcément une question de suractivité, plutôt de concurrence entre tâches différentes, voire contradictoires. Quand on se sent pris sous les tirs croisés de contraintes paradoxales, irréconciliables entre elles, c'est que le burn-out n'est pas loin...

on peut être à la fois hyperactif et désœuvré ! Difficile de trouver la bonne formule... En en parlant, je me demande si ce genre de questions s'est posé surtout au XIXe siècle – s'il s'est passé quelque chose, à ce moment-là, d'un point de vue sociologique ou économique, pour que les gens commencent à se poser ce type de problème. Est-ce qu'il y aurait un lien avec les questions d'énergie, de coût, de rendement, telles qu'elles ont commencé à être formulées à cette époque ?... II. Lettre de Tchekhov à Souvorine, 4 juin 1892 (p. 110) J'ai un sujet intéressant pour une comédie, mais je n'ai pas encore trouvé la fin. Celui qui imaginera de nouvelles fins pour une pièce, inaugurera une ère nouvelle. Ces maudites fins donnent du fil à retordre ! Soit le héros se marie, soit il

ait trouvé cette fin incompréhensible. Mais après tout, pourquoi on devrait comprendre la fin ? Pourquoi un auteur devrait-il satisfaire comme cela l'attente des spectateurs ? D. L. : On pourrait dire qu'il y a, du temps de Tchekhov, un certain horizon d'attente de son public moyen, qui lui impose deux fins génériques possibles, et seulement deux : la comique et la dramatique. Cela implique que le sens même des événements d'une pièce est en fait dicté d'avance par le point vers lequel ces événements convergent. Ce sens n'est donc tout à fait lisible qu'après coup, par une sorte de mouvement rétrograde... à partir de là, on peut imaginer toutes sortes de ruses : une pseudo-tragédie qui finit bien, par exemple Mesure pour mesure, de Shakespeare, ou au contraire une comédie très drôle qui se conclut sur une mort, comme le Dom Juan de Molière...

se tire une balle. Il n'y a pas

D. L. : Ce qui fait penser, en effet, au personnage d'Ivanov ! Il serait donc un mélancolique frappé de burnout, autrement dit un dépressif en surpression ?

d'autre issue. […] Je ne commencerai

E. K. : Si vous n'avez rien à faire, ou que rien ne vaut la peine d'être fait, c'est l'anti-burn-out, et c'est la dépression qui guette – par contre, si vous voulez en faire trop, ou si trop d'obligations vous tombent dessus en même temps, c'est le burn-out qui menace. C'est affaire d'équilibre. Dans le dialogue entre soi et la nature, entre ses rêves et la grande steppe froide, il faut trouver la bonne distance, la bonne périodicité... La juste mesure, entre le vide et le trop-plein d'activité. Ce qui ne veut pas dire que ces états soient toujours distincts. Ils peuvent être superposés :

E. K. : Soit se marier, soit se tirer une balle... soit les deux ! Mort plus mariage égale «moriage»... Ça c'est quantique ! On superpose deux états et on en obtient un troisième ! C'est un peu ce que Tchekhov a fait dans la première version de sa pièce, non ? Le dernier acte, c'est la mort et le mariage, le même jour ! D'ailleurs on ne voit pas le mariage, puisqu'il a lieu entre les deux tableaux, et on ne voit même pas la mort, alors même qu'elle se produit sous nos yeux, puisqu'elle passe absolument inaperçue... Pas étonnant que le public de l'époque

pas à l'écrire tant que je n'aurai pas trouvé une fin aussi ingénieuse que le début. Quand j'aurai la fin, j'écrirai la pièce en deux semaines.

E. K. : Hegel dit quelque part que le commencement est un commandement, qu'il est un Dieu qui détermine d’emblée tout ce qui va suivre. Mais là, c'est le contraire. Les écrivains commencent par la fin – j'aime beaucoup cette façon qu'a Tchekhov de reconnaître qu'il lui faut la fin pour vraiment commencer, une «fin aussi ingénieuse que le début» : donc, en fait, c'est la fin ou le but qui est commencement ! Et la fin sème son propre germe dans le début. Cela me fait penser en effet au fameux «mouvement rétrograde du vrai» dont parle Bergson. Mais si philosophie et littérature sont comme deux mouvements dialectiques, l'un commençant plutôt par le début, l'autre plutôt par la fin, on devrait s'amuser à se demander en quel point ils se rencontrent...


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© Thierry Depagne Pour en revenir à Ivanov, quelle est la bonne version ? Est-ce qu'il y a suicide ou non ? Personnellement, je préférerais ne pas trop le savoir. Mais à vrai dire, même si on veut l'ignorer, on se fait toujours rattraper et comme aspirer par la fin. J'ai consacré un livre à la vie d'un physicien génial encore assez peu connu, Ettore Majorana, pour qui la même question s'est posée. J'ai suivi son dernier chemin, je me suis embarqué dans le même

de s'exalter au plus haut point, mais très brièvement, si chaque excitation est suivie d'une apathie plus grande encore... On peut représenter cela ainsi :

Comme vous voyez, la descente ne se fait pas selon une pente inclinée, mais un peu autrement. Sacha parle

Mort + mariage = «moriage»... ça c'est quantique ! bateau Naples-Palerme... Quand on regarde une photo de quelqu'un qui a disparu ainsi, on ne peut pas s'empêcher de rétro-projeter : ce regard-là, est-ce celui d'une personne qui a déjà pris sa décision ? Est-ce qu'il a voulu et planifié sa mort ou n'était-ce qu'un coup de tête ? Y a-t-il continuité ou discontinuité de la volonté ? Les deux se défendent, pour Majorana comme pour Ivanov. III. Lettre de Tchekhov à Souvorine, 30 décembre 1888 (p. 173) La lassitude […] ne s'exprime pas seulement par des gémissements ou une sensation d'ennui. La vie d'un homme las ne peut pas être repré-

de son amour. Ivanov, enthousiaste, s'écrie : «Une nouvelle vie !», mais le lendemain matin, il croit autant à cette nouvelle vie qu'au dieu lare (monologue du troisième acte) ; sa femme le blesse, il sort de ses gonds, s'échauffe et l'offense cruellement. On le traite de lâche. Si cela n'anéantit pas son cerveau fragile, il s'échauffe et prononce sa propre condamnation.

E. K. : Tiens ! Ce deuxième graphique, c'est typiquement un profil de bipolaire : chaque palier est un peu plus bas que le précédent. D. L. : Vous ne pensez pas à l'entropie ? E. K. : Non. Plutôt à la réduction du paquet d'ondes en mécanique quantique. L'entropie, elle, ne peut que croître. D. L. : Oui, mais pour un système fermé, ce qui n'est pas le cas ici. Regardez par exemple cette première pointe : cela pourrait être la fin de l'acte II, quand Sacha lui propose d'envisager une vie nouvelle avec elle. Et celle-ci pourrait correspondre à la crise très violente entre Ivanov et Anna, à la fin de l'acte III, lorsque la colère l'aveugle... et plus Ivanov avance, plus il est épuisé...

philosophe qui a été lu par presque tous les fondateurs de la mécanique quantique, celui qui a fasciné Schrödinger... Là, au sommet de ces pointes, on est au comble du désir, dans l'illusion, dans l'ivresse et la passion ; et là, sur ces plateaux toujours plus proches de zéro, c'est la désillusion, la vanité, la chute vertigineuse. Le voile de Maïa se déchire et devient brusquement un parachute qui se met en torche... Quand Majorana, après son article sur la découverte du neutron, a été envoyé par Fermi à Leipzig pour travailler avec Heisenberg, qu'est-ce qu'il a fait ? Il a lu Le Monde comme volonté et comme représentation ! Et à son retour à Rome, quelques mois après, il est allé vivre chez ses parents et il est resté enfermé chez eux pendant quasiment quatre ans. Pour le sortir de là, ses amis lui ont obtenu un poste de professeur à Naples. à ce moment-là, il a eu un sursaut. Il a recommencé à écrire, à vouloir publier. Il a rejoint son poste. Trois mois après, il avait disparu... Mais vraiment, ce genre de tracé me fait davantage penser à ce qu'on appelle la réduction du paquet d'ondes en physique quantique. Le système évolue, le paquet d'ondes s'élargit, puis vous faites une mesure – instantanément, parmi tous les possibles, le hasard n'en retient qu'un seul et tout s'effondre en un seul point. Puis ça repart : les couleurs de l'arc-en-ciel se déploient jusqu'à la prochaine mesure, qui referme à nouveau l'éventail d'un seul coup et le réduit à un seul trait monochromatique... D. L. : Pour conclure, que retenez-vous du personnage d'Ivanov ?

sentée ainsi : Elle est très irrégulière. Tous les gens las ne perdent pas la capacité

E. K. : Ah ! Je vois. Dans ce cas, ça me ferait plutôt penser à Schopenhauer, le

E. K. – Pour moi, le problème est le suivant : si on aime la vie, comment

ne pas être dépressif à l'idée qu'on va mourir ? Et si on ne l'aime pas, c'est qu'on est déjà dépressif ! Or Ivanov, au fond, se croit déjà mort, et cette croyance est auto-réalisatrice... De ce point de vue, il est mort depuis le début de la pièce, et c'est bien son malheur. Pour le dire autrement : vous savez que vous n'avez qu'une vie à vivre. Vous savez qu'à la fin ça se termine mal. Cela posé, la question est : jusqu'à quel point intégrezvous cette information certaine dans votre façon de vivre ? Est-ce que la

phrase de mon livre Les tactiques de Chronos : «il faut apprendre à aimer l'irréversible». Bon, à vrai dire, deux ans plus tard, je me suis demandé : «Mais l'irréversible, ça veut dire quoi ?» Et c'était reparti pour deux ans de travail... Propos recueillis par Daniel Loayza Paris, 31 octobre 2014

Ivanov serait-il un dépressif en surpression ? mort vous hante déjà tout au long de votre vie, ou est-ce que vous êtes intégralement vivant aussi longtemps que vous n'êtes pas mort ? C'est une sacrée ligne de clivage. D'un côté, on a Heidegger ; de l'autre, Emmanuel Lévinas ou Bergson. J'ai été fasciné, il y a vingt ans, par La mort et le temps. Lévinas y écrit que quand on vit, on est entièrement en vie. La mort n'est pas quelque chose de déjà là qui corrode la vie du dedans, c'est un événement qui n'est absolument pas là tant qu'il n'est pas intervenu. C'est un point qui ne peut pas figurer sur ce tracé de Tchekhov... La vie doit être «vitalisée» en rebondissant sur l'idée de la mort, une mort qui reste toujours au-dehors. Comme disait épicure, elle n'est «rien pour nous». C'est cette lecture de Lévinas qui m'a inspiré la dernière

étienne Klein Physicien, directeur de recherches au CEA et docteur en philosophie des sciences. Il dirige le Laboratoire de recherche sur les sciences de la matière du CEA (LARSIM). Il est aussi professeur de physique et de philosophie des sciences à l'École centrale de Paris. Lauréat de nombreux prix, il est membre de l’Académie des technologies. Tous les jeudis matins, à 7h17, il anime une chronique sur France Culture, «Le monde selon Étienne Klein».


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Ivanov dans le texte une rencontre avec Macha Zonina Depuis La Mouette mise en scène par Kontchalovski en 1988 et la «saison russe» programmée à l'Odéon par Lluís Pasqual en 1993-1994, Macha Zonina n'a jamais cessé de faire l'allerretour entre la France et la Russie, au service des œuvres et des artistes. Quand elle n'est pas accaparée par le théâtre, elle traduit, seule, des auteurs contemporains français vers sa langue maternelle, ou fait passer dans la nôtre des œuvres russes avec l'aide de collaborateurs comme Jean-Christophe Bailly, Jean-Pierre Thibaudat ou Catherine Guetta, entre autres. Luc Bondy lui a donc tout naturellement demandé de réviser la version d'Ivanov qu'avait signée Antoine Vitez à la fin des années 1950. Par modestie, et faute de voir combien son expérience et son regard peuvent intéresser un public privé d'accès direct à la langue russe, il lui semble qu'elle n'a rien de particulier à dire du texte tchékhovien. Mais c'est toujours un plaisir de l'entendre détailler à haute voix les valeurs de tel vocable, la qualité expressive de telle tournure, passant sans cesse de la restitution littérale à la recherche de l'équivalent français le plus juste. à titre d'exemple, voici comment elle m'a commenté, pendant nos séances de travail, une phrase de Borkine à propos d'Ivanov. – Daniel Loayza Macha Zonina – Chaque mot de Borkine élargit le champ, fait entendre d'autres résonances. меланхолия, сплин, melankholiya, splin, sont évidemment des emprunts à l'Occident et sont plus littéraires. En les retraduisant, on perd forcément leur sonorité «importée» et l'effet qu'elle produit en russe. Inversement, хандра, khandra, est parfois traduisible par «spleen» ! Pouchkine s'en amusait déjà dans Eugène Onéguine : Недуг, которого причину Давно бы отыскать пора, Подобный английскому с п л и н у, Короче: русская х а н д р а . . . Cette affection due à des germes Que nul docteur ne comprendra (En anglais, spleen est le bon terme, Les Russes la nomment khandra...) Avec le verbe correspondant, он хандрит, on khandrit, on obtient une expression très courante, qui signifie à peu près «il est déprimé»... La khandra peut faire penser au blues. C'est le mot dont Pasternak s'est servi dans une très belle version de Verlaine : quand il traduit «Quelle est cette langueur / Qui pénètre mon cœur ?», c'est khandra qui traduit la «langueur» verlainienne, et c'est parfait. Тоска, toska, c'est plutôt l'ennui ou le cafard que l'angoisse. Je peux me tromper, comme une russophone parlant français. Mais l'angoisse, pour moi, suggère quelque chose de plus physique, une oppression dans la poitrine ; et il me semble qu'elle implique une certaine dimension de peur ou de crainte. Alors que toska, c'est plutôt là, dans le cœur ou dans l'âme (là aussi, cela dépend des habitudes de traduction de chacun)… C'est le même mot dont Ivanov va se servir pour décrire ses souffrances à sa femme, trois scènes plus loin, et tenter de lui faire comprendre pourquoi il lui est insupportable de rester chez lui le soir. On traduit parfois par «ennui», dans certains contextes, mais ici ça ne convient pas. Il faut réserver «ennui» pour rendre un mot qui n'est justement pas employé ici : скука, skouka. La différence, c'est d'abord que toska est plus abstrait. Ce sont des mots qui évoquent beaucoup d'images...

Anton Tchekhov assis sur les escaliers de sa maison à Mélikhovo, 1897 © Bettman / CORBIS (détail)

Un exemple. Tu es dans le train MoscouSaint-Pétersbourg, en novembredécembre, vers la fin de l'après-midi, disons 16 heures. Il fait déjà presque nuit. Tu regardes par la fenêtre, et tu vois les plaines interminables, blanches ou boueuses. C'est une image qu'on a dû citer comme exemple mille fois... mais bon, ça me reprend à chaque fois que je voyage dans ce train... Ailleurs aussi, en plein air, «quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle»... De temps en temps, tu entrevois quelqu'un dans cet espace qui n'en finit pas, une forme humaine. Et tu te dis : heureusement que je ne fais que passer !... c'est ça, toska. Cet état d'âme. J'ai l'impression que c'est du même genre chez Tchekhov. Mais aussi chez Pouchkine, Platonov, Gogol… Je ne veux rien garantir, ni m'aventurer dans des discussions savantes... En tout cas, c'est un terme très banal, quotidien, encore employé couramment aujourd'hui. Ces notions tchékhoviennes n'ont rien perdu de leur charme ! Toska a une valeur abstraite, mais en sortant d'un spectacle, par exemple, on peut aussi s'exclamer какя тоска, kakaïa toska, même si on dit aussi bien какя скука, kakaïa skouka, quel ennui ! Là, on est dans une zone confuse où les deux valeurs se touchent. Pour le sens, on

pourrait rendre ça par «déprime», mais la toska n'a rien de clinique. C'est intéressant que ce soit la première racine slave dont Borkine se sert pour faire son petit portrait d'Ivanov.

Посмотрите: на что он похож? Меланхолия, сплин, тоска, хандра, грусть…

Le dernier de la série, грусть, groust', pose moins de problèmes : «chagrin, tristesse». En fait, on a un petit groupe de termes qui ne sont pas synonymes, mais qui pointent plus ou moins dans la même direction. Leur juxtaposition suggère qu'il y a un point commun, qui est évoqué sans être nommé. D'ailleurs, si on s'en parle entre russophones, on ne dégagera peut-être pas toutes les nuances. Ce petit portrait d'Ivanov – «à quoi ressemble-t-il ?» – construit une énigme en proposant des solutions partielles...

Regardez-le : de quoi il a l'air ? Mélancolie, spleen, cafard, bourdon, tristesse... Ivanov, acte I, scène 3

Ici le mot скука, skouka, n'est pas prononcé. Ce terme-là, ou d'autres qui lui sont apparentés, est d'abord employé par Anna Petrovna à la scène 4, puis par Chabelski à la scène 6, quant il insiste pour sortir et passer la soirée n'importe où, sauf avec elle ! La skouka, c'est vraiment quand on voit le temps passer... En russe, l'adjectif dérivé a des emplois très larges : скучная история, skoutchnaïa istoria, c'est le titre de cette nouvelle de Tchekhov que Luc Bondy aime tellement et qu'on traduit par «une banale histoire», mais il ne s'agit pas que de banalité. Skouka, c'est aussi l'existence sans but, la vie vide, négligée, sans occupation intéressante, la routine, le retour du quotidien sans intérêt. On en parle à propos d'un livre, d'un spectacle, d'une personne... Tu sens le temps passer. Il y a un très beau texte d’Alexandre Vvedenski, un membre de l'Obériou, sur le temps en prison, quand les notions de «plus tôt» et «plus tard» perdent leurs sens. ça, je dirais que c'est skouka, mais en même temps toska, et bien plus encore. Mais ça peut être très banal, sans rien de dramatique.

Propos recueillis par Daniel Loayza Paris, le 10 novembre 2014


les bibliothèques 7

janvier – février 2015

Portrait d'Albert Cohen © Gérard Dubois / Costume 3 Pièces

OD ON


Albertcédaire 8

Après le «petit abécédaire» en l'honneur de Romain Gary dont David Bellos nous a gratifiés dans la Lettre de l'Odéon n° 10, voici celui que Tobie Nathan, non moins généreusement, consacre à son cher Albert Cohen, auteur du «plus beau roman d'amour en langue française»... Comme Amélie da Costa, une cantatrice célèbre. Elle a 26 ans ; lui en a 15. Elle vient le chercher au lycée dans un fiacre tiré par deux chevaux. Imaginez la scène ! On est en 1910. Depuis, ses condisciples l’appellent «le roi Mystère». Première d’une longue série de femmes qui l’aiment à la folie, qu’il aime à les écrire… Mais «A» comme Allergie, aussi. Il en souffrira toute sa vie. Sa personnalité est allergique. Pour lui, n’importe qui, n’importe quoi est un autre… Alors, les femmes, plus encore !

Comme Bella, sa troisième épouse, qui mit enfin un peu d’ordre en son cœur, comme Belle du Seigneur, le plus beau roman d’amour en langue française, «le chef d’œuvre absolu» écrit Joseph Kessel. Paru en 1968, en pleine révolution sexuelle, ce roman mûri durant plus de trente ans, devient en quelques mois le livre des amoureux. Il raconte Solal et Ariane, pris au piège de la passion, à jamais, comme Roméo, comme Béatrice, comme Tristan…

comme Corfou où Albert est né et où il a passé ses premières années. Corfou, qui deviendra, dans ses livres, l’île de Céphalonie — sans doute «de sa tête». L’île de Céphalonie existe, pourtant, à peine plus grande que Corfou, mais plus proche d’Ithaque, la patrie d’Ulysse.

Lorsque, devenu vieux, il s’amuse d’une journaliste venue l’interviewer, il lui confie que sa profession est «Don Juan». Sans doute la trouvait-il charmante. Maître en la matière, dans Belle du Seigneur, il fournit, en expert, tout de même, les «dix manèges du sale jeu de la séduction». Alors D… comme Don Juan, bien sûr !

comme Einstein qu’il rencontra à deux reprises au temps de la Revue Juive. Albert l’écrivain raconte Albert le savant. Ils déambulent sur le quai Wilson, à Genève. Un enfant fait une cabriole, se rate, tombe et éclate de rire. Et Einstein rit de l’exact même rire. Innocence du génie des sciences, fixé au même stade que l’enfant, celui de la chute sur les fesses et de l’éclat de rire.

Albert a vécu avec les femmes ; son être se nourrissant de leur présence, de leur admiration, de leur amour… Et son fantasme : «Oh, réunir toutes les femmes de ma vie… dans une villa louée exprès… et aller de l’une à l’autre…» Raymond Aron, se demandait comment cet homme discret, timide et farouche avait fait pour si bien écrire la volupté. F… pour Femmes, donc !

Les réalisateurs et les producteurs rêvent d’adapter Belle du Seigneur. Albert Cohen n’est pas chaud, mais il est pauvre. Il consent à la vente des droits. Catherine Deneuve et Brigitte Bardot rêvent d’incarner Ariane ; Cohen verrait bien BHL dans le rôle de Solal. Producteurs peu scrupuleux, contestations des ayants droit, les choses trainent. En 1994, un jeune réalisateur brésilien, Glenio Bonder, réalise un documentaire magnifique sur Albert Cohen. La machine se met en marche. Il faudra encore seize ans avant le début du tournage. Et au début du montage, Bonder, gravement malade, meurt sans avoir vu achevée l’œuvre de sa vie. Alors «G»… pour Glenio !

comme holocauste. À la fin du XIXe siècle, il y avait environ 5000 juifs à Corfou. En 1940, il en restait 2000. 1700 seront raflés par les nazis. Les Mangeclous, les Saltiel, les Salomon, Michaël et Mattathias, le valeureux petit peuple des romans de Cohen a disparu dans les fours d’Auschwitz. Aujourd’hui, il reste une cinquantaine de juifs à Corfou.

«I»… On sait peu qu’Albert Cohen fut un militant passionné de la cause sioniste. Il a fondé la Revue Juive en 1925, a travaillé au BIT de Genève à promouvoir le sionisme dans les instances internationales, a collaboré avec l’Agence juive pendant et après la guerre. Mais lorsqu’en 1957 on lui propose le poste d’ambassadeur d’Israël, il refuse. Alors I… comme Israël, où il ne s’est jamais rendu de toute sa vie.

comme Juif. Car c’est sa principale question. Ses premiers textes sont bibliques : Paroles juives, Ézéchiel, La farce juive. Son rival y est Moïse, peut-être même Dieu. Sans doute est-ce aussi une provocation face à l’antisémitisme ambiant… Dans la Déclaration de la Revue, en des temps où il fallait du courage, il écrit : «Nous aurons une esthétique puisque nous sommes une race. Une race est une idée faite chair.»

pour Joseph Kessel qui se bat pour qu’on lui attribue le prix Nobel de littérature. Se joignent bientôt d’autres voix : Simone Veil, François Mitterrand… Mais ce fut Saul Bellow, puis Singer, puis Elias Canetti, en 1981, l’année de la mort d’Albert. Au mois de mai de cette année, il répond au Nouvel Observateur : «j'ai quatre-vingtcinq ans et je vais mourir bientôt, dans deux ans ou un an ou le mois prochain. Mais que je suis heureux d'aimer ma femme en ma vieillesse et d'être aimé par elle en ma vieillesse… Oui, être aimé et aimer à quatre-vingt-cinq ans et rire de bonheur alors que je sais que je vais mourir est ma seule réponse à votre lettre. Tout le reste est poussière soulevée par le vent.»

Le contrepoint de ses «occidentales passions», à Corfou, le 2 octobre 1894, Louise Judith Ferro, fille du notaire royal, épouse Marco Coen, négociant en savon. On l’a mariée et elle a accepté. Puis, écrit Albert Cohen, «… l’amour biblique est né.» L’amour comme une nature ; l’amour comme une alliance contre la méchanceté du monde. Plus d’ailleurs l’amour pour son fils que pour son mari… Mais quelle différence ? Alors «L»… pour Louise ; pour l’éternel Livre de ma mère.

comme Marcel Pagnol, bien sûr, le condisciple des classes élémentaires et du collège, l’ami de toujours ! Pagnol témoigne : «Il a été mon meilleur ami et moi, j’ai été son meilleur ami»… «Je suis Cohen», lui disait Albert, c’est-à-dire prêtre. Alors, j’ai le droit de bénir. Lorsque Pagnol était ennuyé, dans la rue, n’importe où, Albert étendait la main, les doigts séparés deux par deux, et le bénissait. Sacré Albert !

Albert Cohen n’écrivait pas ; la plupart du temps, il dictait. Il dictait ses livres à des femmes qui l’admiraient, qui l’aimaient… Solal a été dicté à Yvonne Imer ; Belle du Seigneur à Bella… C’était la condition de sa littérature. Peut-être aussi l’application de sa neuvième règle de séduction… «N»… pour «Neuvième manège, proche du septième, la sexualité indirecte. Dès la première rencontre, qu'elle te sente un mâle devant la femelle.» Le machisme solaire d’Albert Cohen…

Robe de chambre à pois, monocle et chapelet d’ambre… Albert est un Oriental, dans son être même. Pour lui, la vérité n’est pas l’inverse de l’erreur ou du mensonge… Octobre 1920, il quitte Genève pour Alexandrie, laissant une jeune épouse sur le point d’accoucher. En Égypte, il peut enfin vivre son Orient, son Cher Orient, titre du poème qu’il tirera de ce voyage. Alors O… pour l’Oriental !

Comme prophète qu’il se voulait — rien de moins ! Comme le prophète que sa première femme, Élisabeth, vit en lui lorsqu’elle lut son premier livre : Paroles juives. «J’ai compris ce que tu étais. Il n’y avait plus de prophètes. Toi, tu es venu, leur frère véritable, leur égal…»

pour «Quel monstre !» C’est le cri que pousse François Nourissier dans Les Nouvelles littéraires du 12 septembre 1968 lorsqu’il reçoit Belle du Seigneur. «Quel morceau ! Quel monstre ! 845 pages, 32 francs et à peu près autant d'heures de lecture que de francs : on est terrorisé.» Il fut conquis…

comme Revue Juive. Le 15 janvier 1925, paraît le premier numéro, édité par Gallimard. Albert Cohen a 29 ans. Il en est le directeur. Au comité de rédaction, rien moins que Albert Einstein, Sigmund Freud, Charles Gide (l’oncle), Haïm Weizmann ou Martin Buber… Dans les premières pages, la Déclaration d’Albert.

comme Solal. Comment faire autrement ? N’est-ce pas le prénom récurrent des héros d’Albert Cohen. Mais on ne peut que tiquer : Cohen et Solal… Les deux noms sont accolés, reliés par un trait d’union dans le nom de famille «Cohen-Solal». Solal n’est pas Cohen ; il est son ombre. Solal, en hébreu, du verbe lisslol, qui signifie «aplanir la route». Laquelle trace la route de l’autre, l’ombre ou la chair ?

Les écrivains cultivent une «scène primitive», un événement de l’enfance, figé en tableau, érigé en mythe des origines. Celle d’Albert Cohen est une humiliation, le jour de ses dix ans. Il rentre de l’école, s’arrête devant un camelot qu’il admire et l’autre le regarde et le réduit à son altérité : «Toi, tu es un sale Youpin, hein ? me dit le blond camelot aux fines moustaches que j’étais allé écouter avec foi et tendresse à la sortie du lycée.» Alors «T»… pour «Tu es un sale Youpin, hein ? Je vois ça à ta gueule...»

Le crime du roi David. Il désire Bethsabée, mais elle est mariée. Il expédie au front son mari, Urié le Hittite, et demande à son général de se retirer pour l’abandonner seul face à l’ennemi. Dans Belle du Seigneur, Solal, le patron, expédie Adrien Deume en mission à l’étranger. Pendant son absence, il séduit Ariane, sa femme. Deume ne meurt pas en voyage mais à son retour, voyant Ariane lui échapper, il se suicide. Alors «U» pour la référence biblique : Urié !

comme Visions, un inédit d’Albert Cohen, écrit juste après le décès d’Élisabeth, sa première épouse. Max Jacob l’a lu et a écrit : «Vous avez la candeur du génie, la simplicité du génie, les habiletés visibles du génie… la timidité et l’audace du génie…» Lorsqu’à la fin de sa vie, il a été question de le publier, Albert s’y est opposé : «C’est un fou qui a écrit cela». Après sa mort, le manuscrit a été détruit.

En 1940, réfugié à Londres, Chaïm Weizmann, président de l’Organisation sioniste mondiale, en fait son représentant personnel auprès du gouvernement français en exil. Mais le projet le plus audacieux du rêveur amoureux, est celui d’une «légion juive» de 400 000 hommes. S’il n’y avait eu l’opposition des Anglais, Albert aurait pu même être chef de guerre… Alors, «W»… pour Weizmann !

Quelle est la principale activité d’un diplomate à la Société des Nations, à Genève, dans les années 30 ? «Faire des vents enfantins avec les lèvres…» Cruauté d’Albert Cohen envers la diplomatie internationale qu’il connut fort bien… «X»… pour Chapitre X de Belle du Seigneur où cette cruauté atteint son apogée.

Élisabeth avait une amie qui lui ressemblait, une âme sœur. Elle s’appelait Yvonne Imer. On les disait jumelles. Durant la maladie d’Élisabeth, Yvonne était si proche. Après son décès, elle a consolé l’époux éploré. Peu à peu est née une nouvelle passion qui a permis à Albert de reprendre goût à la vie. Solal, son premier roman a été dicté à Yvonne, l’admirative amante. Alors Y… comme Yvonne !

Tobie Nathan Né au Caire en 1948, Tobie Nathan a poursuivi ses études en France. Psychologue, élève de Georges Devereux avec qui il a passé sa thèse de doctorat, il a créé la première consultation d’ethnopsychiatrie, en 1979, à l’hôpital Avicenne de Bobigny. Il a fondé en 1993 le Centre Georges Devereux d’aide psychologique aux familles migrantes, au sein de l’Université Paris 8, où il est professeur. Diplomate, il a été Directeur du Bureau régional de l’Agence Universitaire de la Francophonie à Bujumbura, puis Conseiller culturel à Tel-Aviv et à Conakry. Il a exposé ses travaux théoriques tout au long d’une vingtaine d’ouvrages dont : L’étranger ou le pari de l’autre (Autrement 2014), Philtre d’amour (Odile Jacob, 2013), ou L’influence qui guérit (Odile Jacob, 1994). Romancier, il a publié Qui a tué Arlozorff (Grasset 2010), Mon patient Sigmund Freud (Perrin 2006) et de nombreux romans policiers aux éditions Rivages — le dernier paru : Les nuits de Patience en 2013. Il est aussi l’auteur, avec Isabelle Stengers et Lucien Hounkpatin, d’une pièce de théâtre : La damnation de Freud, jouée à Avignon en 2001 et à Bruxelles en 2004. Il a récemment rendu compte de son parcours dans Ethno roman (Grasset), couronné par le prix Femina de l’essai en 2012.

Grande salle

Exils

présenté par Paula Jacques

Albert Cohen / Tobie Nathan lundi 19 janvier / 20h textes lus par Bruno Abraham-Kremer

Pour finir, une devinette. Où trouve-t-on l’éloge le plus enflammé d’Albert Cohen ? Dans un journal allemand, paru à Berlin, le 12 mars 1933, quelques semaines après l’élection d’Adolf Hitler. À propos de Solal, qui venait d’être traduit, on peut lire qu’Albert Cohen, dans des scènes dignes de Richard III de Shakespeare, nous révèle le véritable visage de l’homme. Alors «Z»… pour Vossische Zeitung. L’année suivante, le livre est interdit.


Petits Platons deviendront grands

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Fondateur des petits Platons, livres de philosophie pour enfants que leurs parents sont souvent les premiers à lire, Jean Paul Mongin a eu un parcours à la Houellebecq «moins le côté glauque», passant de l'étude du néoplatonisme puis d'un DEA sur Aby Warburg à la vente de shampoings en grande surface... et retour ! Comment passe-t-on de Denys l'Aréopagite à l'adaptation de Kant pour les plus jeunes ? Réponse ci-dessous à cette question et à quelques autres ! Daniel Loayza : Jean Paul Mongin, les volumes des petits Platons dont vous signez les textes proposent trois lignes succinctes de présentation de l'auteur qui ne sont jamais tout à fait identiques d'un titre à l'autre. Et quand on cherche à se renseigner sur internet, on tombe parfois sur une «biographie secrète» plutôt inattendue... Jean Paul Mongin : Qu'est-ce qu'on y raconte ? D. L. : Que vous avez obtenu un DESS de conseiller éditorial, travaillé pour le Centre des Hautes études Militaires, puis pour une multinationale que vous avez quittée en 2008... Et la philosophie, dans tout ça ? J. P. M. : ça alors !... Tout est exact dans cette biographie, y compris les omissions ! J'ai eu ce DESS, c'est vrai. Je n'ai jamais tout à fait compris quelle compétence on me reconnaissait comme «conseiller éditorial», mais le jury me l'a accordé très gentiment. Parallèlement, j'ai aussi passé un DEA de philosophie sur l'historien de l'art Aby Warburg. Auparavant, j'avais aussi travaillé sur un néoplatonicien, Denys l'Aréopagite... D. L. : Vous avez eu un parcours à la Houellebecq ! J. P. M. : Oui, mais le plus souvent, les expériences que vivent les personnages de Houellebecq ont une teinte glauque. Cela n'a pas été le cas pour moi.

D. L. : Et comment ce chemin conduit-il à la fondation d'une collection de livres de philosophie pour les enfants ? Eh bien, à l'occasion d'un plan social, j'ai eu la chance de me faire licencier ! La marque de shampoing sur laquelle je travaillais a été une priorité pendant deux ans, jusqu'au jour où elle a cessé de l'être... La marque ayant été arrêtée, je me suis retrouvé désœuvré. J'ai dû réfléchir à l'opportunité de travailler à mon propre projet. Et là, j'ai pensé à un catalogue pour les enfants... Il y avait déjà une belle offre dans ce domaine, qui aurait pu me décourager. Mais tous les titres proposés avaient une approche thématique : qu'est-ce que le bonheur ? A-ton le droit de ne pas aimer aller à l'école ?... Il s'agissait toujours de traiter des questions. Ce qui présuppose que parmi les questions qu'on se pose, certaines sont philosophiques et d'autres non... Ce qui est sûr, c'est qu'il y a une histoire de la philosophie. Je me suis donc demandé : pourquoi ne pas parler de Descartes, de Kant, de Socrate à des enfants, d'une façon qui ne serait pas uniquement biographique, de façon à restituer la saveur d'un univers philosophique ? Pour moi, il était évident qu'il fallait raconter la philosophie en partant des fictions que les philosophes eux-mêmes ont produites. Dès Platon, le discours philosophique ne cesse de passer d'une modalité dialectique à une modalité fictionnelle.

le lieu où la raison confie à l'imagination le soin de proposer des conjectures. Le mythe de la caverne, chez Platon, est comme un conte : c'est une histoire formidable pour des enfants, et en même temps il leur permet de saisir ce qu'est une théorie de la connaissance. De même, le malin génie, chez Descartes, permet de penser le doute hyperbolique, mais il est aussi la figure d'une histoire qu'on peut raconter. D. L. : L'identité visuelle de la collection est d'une qualité remarquable... J. P. M. : Je n'avais aucun regard par rapport à l'illustration contemporaine, c'est tout un monde auquel il a fallu qu'on m'initie. J'avais une connaissance qui dessinait bien, je lui ai proposé de s'y mettre, et nous avons appris chemin faisant. Les premiers essais étaient à l'ancienne, très représentatifs... Après avoir péniblement accouché d'un premier titre, et avec l'aide d'une amie qui a un œil très acéré, y compris en matière typographique, nous avons réuni des illustrateurs qui savent que le dessin d'idées consiste à suggérer et à animer plutôt qu'à paraphraser. Aujourd'hui, nous en sommes au vingt-quatrième titre, et nous sommes traduits dans plusieurs langues... D. L. : Comment envisagez-vous la suite ?

D. L. : Les fameux «mythes»... J. P. M. : Oui. Ces mythes ne sont pas là pour faire joli. En termes kantiens, il sont

L'exercice consistant à passer du concept à l'imagination est difficile et très salutaire. Sortir de l'abstraction pour mieux la retrouver et l'éclairer, cela demande un certain tact d'écriture. Un philosophe n'en est pas forcément pourvu... Moi-même, j'ai un mal, vous n'imaginez pas !... Ensuite, comme éditeur, mon ambition est de donner la parole à des gens bien plus qualifiés que moi. Nous faisons appel à de vrais spécialistes, soucieux de fidélité à la pensée de l'auteur. J'aime aider ces grands intellectuels à trouver l'approche et le ton justes. Et le troisième point concerne la diffusion de la philosophie dans l'école et hors d'elle. Je n'ai pas oublié quel traumatisme l'institution scolaire a été pour moi. Je ne m'imaginais pas du tout que je travaillerais un jour sur des contenus scolaires. Je m'intéresse d'autant plus, aujourd'hui, aux questions d'éducation. Le fait de pouvoir lire nos livres à mes propres enfants m'a amené à formuler les choses autrement ! De nombreux enseignants nous ont demandé de mettre au point des contenus pédagogiques, d'organiser des rencontres... Nous avons déjà mis en place des actions communes avec différents partenaires, dont l'Odéon. Nous travaillons notamment à Sarcelles avec Chiara Pastorini et Chantal Ahounou, qui a organisé un atelier philosophique avec des enfants dits «décrocheurs»*. Ce sera l'occasion de montrer, si besoin est, qu'il n'y a rien de plus concret que la philosophie. * Lire les articles pp. 12-13

J. P. M. : Dans l'immédiat, il y a trois choses. À titre personnel, je compte bien continuer à écrire des «petits Platons».

Propos recueillis par Daniel Loayza Paris, le 16 octobre 2014

à tous ceux qui aiment lire Libraire-gérant de l'Atelier (2 bis, rue du Jourdain, dans le 20e arrondissement), GeorgesMarc Habib est aussi directeur de la publication de Page des libraires. Pour ce lecteur aux convictions communicatives, les vraies librairies, comme les théâtres, sont des lieux d'échange culturel irremplaçables et bien vivants. Rencontre avec un artisan passionné de la rencontre et du partage. Page des libraires, qu'est-ce que c'est exactement ? Page des libraires est une revue qui a été fondée par mon père il y a tout juste un quart de siècle. Je suis moimême libraire depuis vingt-trois ans, et j'ai hérité de la passion paternelle. C'est une publication qui est aussi un réseau de rencontre et d'échange entre amoureux des livres : lecteurs et libraires indépendants – je veux parler d'indépendance de pensée et d'esprit plus que d'indépendance économique. Comme son nom l'indique, le réseau Page des libraires fédère des personnes de chair et de sang, et qui ont le métier dans la peau.

ci-dessus : couvertures issues de la collection «Les petits Platons»

Ce métier, comment le voyez-vous ?

salon Roger Blin

les petits platons à l'odéon à partir de 8 ans La mort du divin Socrate samedi 24 janvier / 15h avec Jean Paul Mongin

érasme et le grelot de la folie samedi 7 février / 15h avec Claude-Henri Rocquet

photographies des librairies : Le Genre urbain (20e), Millepages et Millepages Jeunesse (Vincennes)

La base, c'est l'amour des livres, le plaisir de les lire, de les défendre, de les faire découvrir à d'autres. Le libraire partage avec ses clients le goût de la lecture. Il a vocation à passer du temps avec eux : une vraie librairie est un commerce de proximité. Elle souffre donc des difficultés qui frappent actuellement ce type d'activité. Dans tous les domaines, la tendance est à la disparition des commerces indépendants, remplacés par des franchises de grandes chaînes. On retrouve partout les mêmes vêtements, les mêmes offres de service... Et pourtant, quand elle n'est pas

assommée par des loyers ou des charges excessifs, la librairie résiste relativement bien. Aujourd'hui, les librairies sont devenues de vrais lieux de vie culturels, dédicaces, débats et un accès direct aux ouvrages... Comme au théâtre, rien ne remplace la rencontre réelle, le face-à-face. Aucune librairie ne peut plus se permettre de n'être qu'un simple lieu de distribution. Page est donc aussi une manière de promouvoir le métier de libraire ? Pour nous, évidemment, Page est inséparable d'une certaine conception du travail du libraire. Mais le but n'est pas de partager des points de vue sur le métier : il est tout simplement de l'exercer pleinement. Nous ne nous adressons pas aux confrères comme tels, mais à tous ceux qui aiment lire. Notre geste de résistance, c'est l'amour du livre. D'où l'idée de montrer aux clients que les libraires ne font pas leur métier par hasard, et qu'ils sont bien plus que des relais passifs de distribution. Qui sont les collaborateurs de Page ? Un millier de libraires passionnés travaillant dans toute la France, prêts à conseiller, à discuter, à orienter.  suite page suivante

La France compte environ

15000 commerces de livres, (dont 3000 sont entièrement dédiés au livre). C'est le plus dense réseau de librairies au monde. Une librairie pour 22000 habitants.

La France est le seul pays européen a avoir une politique d'aide aux librairies.


janvier – février

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Ce sont eux qui élaborent tout le contenu de la revue. Tous sont rémunérés pour cela en qualité de pigistes. Ils lisent des publications en amont, font leur sélection et écrivent pour tous, libraires ou non. Page est la caisse de résonance de leur appétit de découverte et de partage, et fait entendre leur voix partout dans le pays. La sélection des ouvrages n'est donc pas purement «parisienne», ni même urbaine. Une libraire du fin fond de la Bretagne peut transmettre ses impressions à un lecteur de Marseille ou de Lorraine. Pourquoi un partenariat entre Page et l'Odéon ?

Grande-Bretagne

salon Roger Blin

l’épreuve de la haine animé par Marc Crépon

33 %

des librairies indépendantes ont fermé depuis le milieu des années 2000. Il y a aujourd'hui une librairie pour 61000 habitants en Grande-Bretagne. La vente sur internet représente 33 % du chiffre d'affaires de l'édition.

Les amis du livre et ceux de la scène ont tout pour s'entendre. Ce sont d'ailleurs souvent les mêmes personnes ! Ils savent qu'internet ne remplacera jamais l'expérience concrète de la rencontre. Théâtre et librairie sont deux points de rendez-vous pour les amateurs de culture vécue. Ceux qui les visitent sont aussi cinéphiles, écoutent de la musique, vont au musée ou au spectacle... Quand on aime lire, on aime aussi la culture en général.

1914, l’indépendance de l’esprit à l’épreuve de la guerre vendredi 16 janvier / 18h

en présence de Frédéric Worms, lecture de textes de Romain Rolland et Alain

La lutte pour les droits civiques aux USA vendredi 6 février / 18h en présence de Marc Crépon, lecture de textes de Martin Luther King

salon Roger Blin

L’europe inspirée animé par Martine Méheut

L’Europe – berceau du roman. Lieu de liberté, lieu d’intranquillité samedi 17 janvier / 17h

en présence de Pascal Lamy lecture de textes de Stefan Zweig, Romain Rolland, Fernando Pessoa, Romain Gary, Thomas Mann par Anne Alvaro studio Gémier

XXIe scène / nouvelles voix contemporaines une proposition de Sophie Loucachevsky avec la participation des acteurs de l’ESAD

Sam Holcroft et Allistair Mac Dowell lundi 19 janvier / 18h Grande salle

79 %

Allemagne

des librairies vendent maintenant des e-books et des e-readers. 15 % du marché du livre est contrôlé par Amazon.

Propos recueillis par Daniel Loayza et Juliette Caron Paris, le 3 novembre 2014

Exils

présenté par Paula Jacques

Albert Cohen / Tobie Nathan lundi 19 janvier / 20h

textes lus par Bruno Abraham-Kremer

Kateb Yacine / Mohamed Kacimi lundi 9 février / 20h textes lus par Jean-Damien Barbin

salon Roger Blin

à quoi tenons-nous vraiment ? animé par Catherine Portevin

Papier, écrans, un nouveau vagabondage jeudi 22 janvier / 18h en présence de Françoise Benhamou

Le prochain numéro de PAGE paraîtra le 30 novembre 2014

Le cogito gourmand jeudi 12 février / 18h en présence de Corine Pelluchon

Les cycles philosophiques Politique de la pensée et Les petits Platons à l'Odéon sont programmés les mêmes jours au même horaire. Pendant que Raphaël Enthoven philosophe pour les adultes en grande salle, les plus jeunes sont accueillis pour philosopher au salon Roger Blin. Venez donc en famille !

Espagne

Politique de la pensée

préparé et animé par Raphaël Enthoven

Platon : en haine de la démocratie samedi 24 janvier / 15h

en présence de Fulcran Teisserenc

Machiavel : les vertus du cynisme samedi 7 février / 15h

en présence de Jean-Louis Fournel salon Roger Blin

les petits platons à l'odéon à partir de 8 ans

La mort du divin Socrate samedi 24 janvier / 15h avec Jean Paul Mongin

érasme et le grelot de la folie samedi 7 février / 15h avec Claude-Henri Rocquet

Grande salle

Au cours des cinq dernières années, les ventes de livres ont chuté de 20 %.

27 %

Pays-Bas

des livres sont vendus sur internet. La librairie indépendante n'y existe quasiment pas.

Suède photographies des librairies : Atout Livre (12e), Le Comptoir des mots (20e), La Manœuvre (11e), L’Atelier (20e)

Grande salle

comme aux Pays-Bas, les commerces de livres, largement détenus par des chaînes, sont en crise, et 22 % des livres sont désormais vendus en ligne. sources : foire du livre de Francfort, Livre Hebdo, Rencontres nationales de la librairie 2013, Le MOtif

voix de femmes

présenté par Jean Birnbaum Linda Lê lundi 2 février / 20h salon Roger Blin

Lire le théâtre

animé par Jean-Yves Tadié Numance mardi 3 février / 18h de Miguel de Cervantès en présence de Jean Canavaggio / texte lu par Martin Juvanon du Vachat salon Roger Blin

Voyages en littérature Au cœur des Himalayas mercredi 4 février / 18h

d'Alexandra David-Néel texte lu par Claire Sermonne salon Roger Blin

Ma bibliothèque idéale

animé par Daniel Loayza Le cosmopolite mardi 13 janvier / 18h en présence de Dany Laferrière, de l'Académie française

Les grands pieds mardi 10 février / 18h en présence de Céline Minard salon Roger Blin

Mythes et épopées à partir de 9 ans

Le Chant du Rossignol Brigand mercredi 14 janvier / 15h

byline russe d’après «Ilia Mouromietz et le rossignol brigand» d’Elli Kronauer Par Magda Lena Gorska : récit, chant, accordéon

Les Lions du Sassoun mercredi 11 février / 15h épopée arménienne d’après «David de Sassoun» par Christine Kiffer, accompagnée de Girayr Haroutiounian (chant et tar) tarifs Grande salle Plein tarif 10€ / Tarif réduit 6€

CARTE LES BIBLIOTHÈQUES DE L’ODÉON Carte 10 entrées 50€

Salon Roger Blin Tarif unique 6€

date limite d’utilisation : 30 juin 2015

XXIe scène entrée libre sur réservation daniele.girones@orange.fr

(à l’exception de Gainsbourg, poète majeur et Bestiaire d’amour)

01 44 85 40 40 theatre-odeon.eu suivez-nous @Bibliodeon


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«le russe aime se souvenir...»

ENTRETIEN AVEC FRÉDÉRIC WORMS «Une nouvelle vie !» s'écrie Ivanov dans les bras de Sacha. Mais recommencer sa vie, est-ce toujours retrouver la nouveauté ? Frédéric Worms pose son regard de philosophe sur le cas Ivanov, typique de son époque et de la nôtre.

Daniel Loayza : Frédéric Worms, vous êtes l'auteur de Revivre, dont le soustitre, «éprouver nos blessures et nos ressources», suffit déjà à indiquer combien le personnage d'Ivanov pouvait retenir votre attention. Tout récemment, vous avez co-organisé à l'École Normale Supérieure, avec Marie Gil, un colloque intitulé Vita Nova. Il s'agit là d'un titre de Dante, dont l'œuvre majeure s'ouvre sur l'évocation du «milieu du chemin de la vie». Or Tchekhov, alors qu'il écrit sa pièce, se sent parvenir à maturité, et donne à son protagoniste l'âge de 35 ans. Mais Ivanov s'éprouve comme déjà fini, épuisé sans remède... Frédéric Worms : C'est vrai, toute la pièce tourne autour de la dernière chance qui reste à Ivanov d'accéder à une nouvelle vie, à une «vie nouvelle». Sacha lui tend cette perche, comme

Tchekhov prend les âmes et les corps ensemble. sa première épouse, Anna Petrovna, avait dû la lui tendre auparavant. C'est tout à fait frappant à la fin de l'acte II : Sacha propose explicitement à Ivanov de recommencer sa vie. Et c'est à l'instant même où elle lui fait cette proposition qu'Anna surgit et surprend les amants enlacés. Comme si Ivanov était condamné à ne faire que l'expérience négative du recommencement – comme si pour lui, revivre ne pouvait signifier qu'une répétition mortifère et non le début d'une existence neuve. Car «revivre» a bien ces deux sens, et pas seulement en français, dans notre vie. Mais revivre, pour Ivanov, finit toujours par un mouvement de retombée. Comment se fait-il qu'une promesse de vie nouvelle se renverse en retour d'une perte préalable, d'un échec, d'une mort ? Le texte soulève ces questions. C'est ce qui rend la pièce impressionnante. Nous sommes ici, en surface, dans le drame bourgeois, dans l'intimité de l'univers familier, avec le cercle d'amis, les proches, le médecin, mais ce qui se joue concerne la vie, le monde, l'histoire. Tchekhov, au début de l'acte II, fait parler ses personnages des tensions entre la France et l'Allemagne,

mais ils en parlent tout en échangeant des recettes de zakouskis... La petite cuisine, la dépression individuelle, l'état de l'Europe, tout se mélange très finement. Le monde entier entre dans les relations, et l’état des relations dit celui du monde.

D. L. : Tchekhov a donc recueilli les symptômes de quelque chose qui se passait dans l'époque, en décrivant la liquidation finale d'un certain rapport romantique ou postromantique au mal de vivre, qu'il dépouille définitivement de tout prestige ?

D. L. : Vous venez de parler de «dépression». Au sens psychologique ou moral, le terme est de création relativement récente : Littré, en 1877, ne relève pas cette acception dans son dictionnaire. Baudelaire, dans ses écrits esthétiques, semble avoir été le premier à parler de «dépression d'âme». Tchekhov, qui était médecin, déploie une gamme lexicale très large pour dire le chagrin, l'angoisse, la mélancolie, le cafard, l'accablement, voire la psychopathie ou le spleen. Il était aussi médecin et dresse un tableau clinique qui fait irrésistiblement penser à la dépression, mais le mal n'est pas encore désigné nommément...

F. W. : C'est très juste. Il n'y a plus de sublimation esthétique. Ou alors c’est une autre sublimation. Car il n'y a pas non plus chez lui simple médicalisation. Aucune étiquette simple n'est apposée sur Ivanov. C'est là que le théâtre est important. Le problème retentit subjectivement, non pas sur le seul sujet affecté, mais autour de lui, relationnellement. C'est très frappant. à cet égard, j'ai trouvé la référence à Hamlet très intéressante. Ivanov refuse d'être assimilé au prince du Danemark, mais en même temps, par son refus même, il invite le spectateur à se poser la question : que serait donc un Hamlet d'aujourd'hui ? Il serait tout à fait autre chose que le héros de la tragédie shakespearienne. Mais pour ne pas être prince, il n'en est pas moins important. Il y a déflation de la dépression. Mais en même temps, dans cet état minimal, Tchekhov revendique le maximal. Il a l'art extraordinaire de concentrer la plus haute intensité dans la suggestion la plus discrète. «Suggestion» est d'ailleurs encore un terme de l'époque... On retrouve ce genre de préoccupation, et les termes pour les réfléchir, chez d'autres dramaturges contemporains, à commencer par Strindberg.

F. W. : En fait, la médicalisation du «mal du siècle» date à peu près de la même période. En France, c'est autour de Pierre Janet que la réflexion s'est organisée. Sa thèse date de 1889, l'année même de la deuxième version d'Ivanov – qui est aussi d'ailleurs celle de la thèse de Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience. Janet lance le terme de «psychasthénie», qui ne tarde pas à céder la place à celui de «neurasthénie». Ce qu'on pourrait appeler la «scientifisation» du spleen a rencontré un large écho en France. Proust, par exemple, est très vite au courant de ces débats. Puis Freud intervient et va remporter la bataille des idées, en donnant un autre contenu psychique à un mal qu'il analyse en termes dynamiques. Janet est sous influence schopenhauérienne, comme tant d'autres intellectuels des années 1870-1880 – Nietzsche étant l'un d'entre eux. Je ne sais pas si Tchekhov l'était également, mais je crois que pour lui, les individus comptaient trop pour qu'il se laisse entraîner très loin dans cette voie... Pour en revenir à Janet, son idée est que l'on est mû par une sorte d'énergie, qu'on peut appeler «volonté» ou autrement, et qui peut subir des variations d'intensité, des hauts et des bas. La neurasthénie, la «faiblesse de la volonté», est un fléchissement de l'adaptation au réel. Pour le dire vite, il n'y a chez Janet que le principe de réalité, là où Freud introduit aussi le principe de plaisir.

D. L. : à propos de contemporains, vous avez certainement remarqué que Bergson, dont vous êtes un spécialiste reconnu, est à un an près l'exact contemporain de Tchekhov. F. W. : Pour moi, le rapprochement est très clair. En relisant Tchekhov, j'ai été frappé par quelque chose dont Bergson ne parle jamais, mais que Jankélévitch a pointé très vite en développant sa pensée, et que j'ai mis une vingtaine d'années à comprendre moi-même : il y a une souffrance qui naît du sentiment explicite du temps. L'ennui n'est donc pas une souffrance parmi d'autres. Il relève, si je puis dire, du régime de la double peine. Le rapport explicite au temps est toujours douloureux. Attendre, patienter, s'ennuyer sont des souffrances spécifiques qui viennent s'ajouter à d'autres souffrances sousjacentes. Quand on est malade, on va souffrir aussi de l'urgence, ou de la tension, ou de la perspective de la mort... Le temps intervient explicitement dans

la vie souffrante. Dès qu'on voit le temps passer, on en souffre. Inversement, tout bonheur est oubli du temps, suspension de son vol. Le bonheur réel est temporel de part en part, mais comme le montre Bergson, il se produit un chiasme extraordinaire : quand on est dans le temps on ne le voit pas, et dès qu'on le voit, c'est qu'on n'y est plus. Ce paradis-là ne peut être qu'inconscient, ou perdu. Tchekhov en a un sentiment extrêmement aigu. Il y a chez lui une nostalgie d'une expérience du temps qui serait réellement temporelle précisément parce qu'elle ne le serait ou plutôt ne le saurait pas. D. L. : Ce que vous dites me rappelle quelques phrases de La Steppe, l'une des plus longues nouvelles de Tchekhov, à laquelle il travailla entre les deux versions d'Ivanov. Permettez-moi de vous les citer : «à les écouter parler Iégorouchka conclut que ses nouveaux compagnons, si différents par l'âge et le caractère, avaient tous un trait commun qui les rendait semblables : ils avaient tous eu un passé merveilleux et leur présent à tous était détestable. Tous sans exception parlaient de leur passé avec émerveillement et de leur présent avec horreur. Le Russe aime se souvenir, il n'aime pas vivre.»1 F. W. : Cette mélancolie et cette ironie vont au plus loin, non seulement de la vie individuelle mais aussi d’une époque historique. «Tous sans exception», cela fait penser au temps «hors de ses gonds», dans Shakespeare, comme si les époques aussi, qui avaient conscience de l’histoire, n’osaient plus la faire (pour le meilleur et pour le pire)... Tchekhov est le poète de cette expérience de la nostalgie et de l'ennui. Dans Ivanov, elle permet de regrouper les personnages en deux classes : ceux qui s'ennuient – Ivanov, Anna Petrovna, Lébédev, Chabelski... et les autres. Deux grandes pensées du temps s'affrontent, y compris au XXe siècle, autour de cette question précise : est-ce que l'ennui nous révèle la réalité du temps ou sa perte ? Pour Heidegger, l'ennui, l'angoisse, l'êtrepour-la-mort, sont censés nous révéler la réalité du temps. Pour Bergson, c'est le contraire. à ses yeux, l'ennui est un signe qui marque qu'on n'est pas dans le temps réel. Quand on travaille vraiment, on est «dans» le travail, on ne voit pas le temps passer et on n'éprouve pas l'ennui. De ce point de vue, l'ennui est une marque négative, un creux. Comme le temps perdu chez Proust, il renvoie à une dispersion, à du non-réel, à une mécanisation ou à une perte. Et Tchekhov, tout autrement que Proust mais avec lui, est

l'un des grands peintres de ce sentiment-là. Il y ajoute l'intuition que les ressources ne sont pas loin, mais où ?... Si on s'aimait ? Si on faisait ceci ou cela ? Aucune solution n'est tout à fait bonne, et en attendant, on souffre. D. L. : Ce que le théâtre tchékhovien montre pour faire oublier que le temps passe, c'est précisément le temps qui passe. Et pour nous arracher à l'ennui, il nous propose un ennui concentré, exaspéré... F. W. : On ne s’ennuie pas en voyant les personnages s’ennuyer. C’est comme un miracle. Il nous fait voir et oublier notre ennui en nous faisant voir et ressentir celui des autres. C'est un artiste prodigieux. Il avait sous-titré son premier Ivanov «comédie»... Il ne faut jamais oublier le sourire de Tchekhov. Il a le sens pascalien du divertissement mais il en joue, comme pour répondre à Pascal. Son divertissement, au lieu de nous éloigner du centre, nous y ramène. Chez lui, l'ennui n'est jamais gratuit. Il ne se laisse pas fasciner par lui. Il déchiffre toujours, derrière lui, une autre souffrance, réelle, vitale, qu’il redouble ou dans laquelle il s'enracine : maladie, séparation, méchanceté ou malheur, entre les êtres. Tchekhov a su échapper à deux grands risques. Il ne minimise pas l’ennui – il sait que l'ennui en dit beaucoup sur notre existence. Il ne le maximise pas non plus. L'ennui n'a pas à être esthétisé, il cache autre chose. Tchekhov refuse toute mystique de l'ennui. Il est trop positif, trop médecin pour cela. Il prend les âmes et les corps ensemble. La maladie, il la connaissait du dehors comme du dedans. Du coup, résister d’un côté, c’est aussi renaître de l’autre. C’est bien de revivre qu’il s’agit, aujourd’hui encore. 1

Anton Tchekhov : La Steppe, trad. Olga VieillardBaron, Paris, Flammarion, coll. GF, 1992, p. 93

Propos recueillis par Daniel Loayza Paris, 15 octobre 2014 Frédéric Worms Professeur de philosophie à l'école Normale Supérieure, il dirige le Centre international d'étude de la philosophie française contemporaine. Après des études sur Bergson, sur les «moments» de la philosophie en France, et sur le soin, il a publié récemment Revivre, éprouver nos blessures et nos ressources (Flammarion, coll. sens propre, 2012), La vie qui unit et qui sépare (Payot, 2013) et Penser à quelqu'un (Flammarion, coll. sens propre, 2014). Frédéric Worms sera l'invité, au salon Roger Blin, de L'ÉPREUVE DE LA HAINE, cycle des Bibliothèques de l'Odéon, le vendredi 16 janvier / 18h


Remettre la vie dans le bon sens 12

Depuis plusieurs saisons, l'Odéon mène des actions d'éducation artistique et culturelle destinées à des enfants ou à des adolescents n'ayant pas eu l'occasion de découvrir le théâtre ou confrontés à des difficultés particulières. Cette année, un nouveau projet conçu pour des jeunes en situation de décrochage scolaire est mis en place, avec le soutien de la municipalité de Sarcelles, de l'Alliance des mécènes et de la Fondation Deloitte pour l'éducation. Enseignante d'histoire-géographie pendant quatorze ans au collège Jean Lurçat de Sarcelles, Chantal Ahounou a mis toute son énergie, son expérience et son humour dans la balance pour rendre possible ce nouveau partenariat avec Les Bibliothèques de l'Odéon et Les petits Platons.

Trois questions à Chantal Ahounou Alice Hervé : Pourquoi cet engagement avec des jeunes «décrocheurs» qui va au-delà de votre rôle d'enseignante ? Chantal Ahounou : Mon «rôle d'enseignante», je ne l'ai jamais conçu sans cet «au-delà». Quand on s'engage, quand on veut ouvrir d'autres horizons aux enfants, on explore toutes sortes de pistes. Si je veux conduire les adolescents vers l'épanouissement et les aider à réussir, je dois être prête à enseigner autrement ! De ce point de vue, la culture, et le théâtre en particulier, sont des biens communs, des ressources qui invitent à des pratiques différentes. Les liens entre l'Odéon et le collège Jean Lurçat remontent à dix ans. Toutes sortes d'intervenants, dont des artistes, sont venus dans l'établissement, et inversement, les élèves ont pu franchir le seuil d'un grand théâtre parisien. Ces allersretours entre la classe et la scène ont transformé leur rapport à l'art et à la vie. L'Odéon est devenu progressivement pour eux un lieu plus familier, une maison à laquelle ils découvraient qu'ils avaient droit. Et ce lieu n'est pas que théâtral. Il est un carrefour de rencontres ouvrant à des expériences inédites.

photos prises lors de la séances de travail du 5 novembre 2014 © Ketchup Mayonnaise

Chaque année, 143 000 jeunes sont des «sortants sans diplômes» (en interrompant leurs études au bout de la première année, ils n'ont obtenu aucun diplôme ou ne sont munis que du seul brevet des collèges). Ce chiffre représente 17% à 18% de ceux qui quittent définitivement le système éducatif.

L'Odéon, avec ses Bibliothèques, est donc le partenaire idéal pour s'attaquer au problème du décrochage. C'est un fléau social terrible, qu'il faut attaquer à la racine. A. H. : En quoi ce projet répond-il au problème du décrochage scolaire ? C. A. : Les causes du décrochage sont multiples, mais j'en retiens une, que tous les enseignants connaissent. Les jeunes, et pas seulement les adolescents, sont en quête de sens. Or quand on ne trouve pas de sens, quand on a le sentiment qu'il n'y a aucun sens à rien, alors à quoi bon ? Cette demande de sens, parfois informulée, n'est pas toujours facile à entendre. Et même si on l'entend, il peut être difficile de la satisfaire : le sens, ce n'est de toute façon pas quelque chose qu'on peut dicter ou mettre en formules. Il arrive ainsi que les jeunes, à force d'avoir le sentiment de ne pas être écoutés, finissent par ne plus écouter eux-mêmes. Ils s'enferment dans leur coquille, ils lâchent prise. Chaque année, cent quarante mille jeunes quittent le système scolaire sans aucun diplôme. C'est un drame. Chaque année, je suis

confrontée à des élèves qui risquent de «décrocher», et cela me donne le vertige... Je suis persuadée que si on répond mieux à la demande de sens, ne serait-ce qu'en l'aidant à s'exprimer, nous ferons déjà un grand pas. Je crois aux vertus de la philosophie dès le plus jeune âge. Personnellement, je ne connaissais pas Les petits Platons, une collection particulièrement innovante. Je l'ai moi-même découverte grâce aux Bibliothèques de l'Odéon ! L'interrogation philosophique est une activité à la fois très personnelle et très collective. Elle amène à énoncer ses opinions, à les examiner, à s'ouvrir à celles des autres et à les discuter en commun. Bien conduite, elle peut être une véritable libération. Avec ce projet, ensemble – et je tiens absolument à remercier ici Guilène Bertin-Perri, secrétaire générale de la Fondation Deloitte pour l'éducation, et Laurence Piccinin, déléguée générale de l'Alliance des mécènes, sans qui rien n'aurait été possible –, nous allons faire en sorte que ces enfants se réparent et retrouvent l'estime d'eux-mêmes. Chaque année, des ateliers d'éducation artistique et culturelle offriront aux jeunes «décrocheurs» la possibilité de se reconstruire et

d'envisager l'avenir autrement, y compris en leur ouvrant les portes de l'entreprise. A. H. : Comment va se dérouler ce programme ? C. A. : Les ateliers de philosophie ont lieu les mercredis après-midi de 14 à 16 heures, à la maison de quartier «Les Vignes Blanches», grâce à la municipalité de Sarcelles, qui soutient les partenariats avec l'Odéon depuis 2004. J'y serai présente. Les douze jeunes participants se sont inscrits volontairement. Au cours de l'année, ils visiteront le Théâtre de l'Odéon dans le 6e arrondissement, où ils assisteront à des lectures des Bibliothèques de l'Odéon. Ils découvriront aussi la Fondation Deloitte pour l'éducation. Enfin, le samedi 20 juin 2015, le public du théâtre pourra découvrir le travail réalisé dans ces ateliers : une lecture publique sera présentée au salon Roger Blin, dans le cadre de la programmation des Bibliothèques. Cette reconnaissance symbolique du parcours accompli par les enfants est évidemment d'une importance capitale. Propos recueillis par Alice Hervé Paris, le 14 octobre 2014

Le décrochage est un processus qui conduit un jeune en formation initiale à se détacher du système de formation jusqu'à le quitter avant d'avoir obtenu un diplôme. La France s'inscrit dans la stratégie européenne de lutte contre le décrochage. Objectif : pas plus de 9,5 % de décrocheurs de 18-24 ans en 2020.

UNE PéDAGOGIE DE LA QUESTION Une séance avec Chiara Pastorini, intervenante des petits Platons Docteur en philosophie et collaboratrice occasionnelle à Philosophie Magazine, Chiara Pastorini anime des ateliers de philosophie pour enfants dans les écoles (dès la maternelle), les bibliothèques ou les cafés. Elle intervient également pour la maison d'édition Les petits Platons. C'est dans ce cadre qu'elle animera à Sarcelles, tout au long de l'année scolaire, les ateliers de philosophie destinés aux «décrocheurs» du collège Jean Lurçat. Son projet : accompagner les enfants dans la découverte de la philosophie de façon ludique, en associant une pratique très interactive de l’échange à des références philosophiques classiques. Sa priorité : donner un espace d'expression aux enfants, de manière à ce qu'ils soient les protagonistes de la discussion. Les participants sont au besoin répartis en différents groupes selon leur âge. Une fois le thème choisi (quelques exemples : «Ça veut dire quoi, grandir ?» «Le bien et le mal» ou encore «Est-ce que

je peux faire confiance à mes sens ?»), Chiara allume une petite bougie symbolisant le temps qui s'écoule et la clarté de la pensée dissipant les confusions. Puis elle fait asseoir les enfants en cercle et prend place parmi eux. La discussion peut s'engager spontanément à partir de quelques remarques de Chiara, prendre appui sur des supports visuels (images, vidéos), ou s'inspirer de la lecture de contes. Après un échange d'environ une heure, la rencontre peut se poursuivre par des travaux pratiques (peinture, dessin, écriture) qui visent à aborder autrement le thème abordé tout en produisant une trace concrète des discussions. Les textes produits peuvent être lus et commentés par les enfants eux-mêmes. Cette pratique s'inspire librement de la méthode maïeutique (du grec μαιευτική, art de la mise au monde) telle que la pratiquait Socrate. à l'instar de la mère, qui était sage-femme, Socrate prétendait en effet accompagner des «accouchements», en aidant les jeunes gens de son entourage à mettre au jour leurs

idées pour en éprouver la validité. Avec les jeunes participants des ateliers, le but est de les amener à s'interroger sur les thèmes qui les intéressent tout en leur apprenant à opérer des distinctions conceptuelles et à développer leur sens critique. Car pour Chiara Pastorini, la philosophie est une pédagogie non de la réponse, mais de la question. Médiatrice, Chiara ne dicte pas de solutions, mais montre en quoi consiste leur recherche, facilitant ainsi la construction de débats qui nourrissent chez chaque enfant l'autonomie de sa pensée. Alice Hervé

lecture publique Chacun sa route, chacun son chemin Samedi 20 juin / 15h et 17h Théâtre de l'Odéon 6e Salon Roger Blin Réservation 01 44 85 40 40 / theatre-odeon.eu


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Agir dès les premières failles

Marianne Eshet, déléguée générale de la Fondation SNCF et présidente de l'Alliance des mécènes, nous éclaire sur la question du décrochage scolaire Pauline Rouer : Quel état des lieux dressez-vous du décrochage scolaire en France? Marianne Eshet : Le constat du décrochage scolaire en France est dramatique et inacceptable. Chaque année, 140 000 jeunes sortent du système scolaire sans qualification, c'est-àdire au fond avec aucun espoir de s'intégrer un jour, de trouver un travail. Je demeure convaincue que seule une action préventive et collective peut faire reculer ce fléau. C'est la raison pour laquelle nous est apparue il y a deux ans la nécessité d'apporter une réponse en amont du problème. C'est-à-dire d'agir avant le moment «traditionnel» du décrochage scolaire, situé au passage dans le secondaire, et d'intervenir dès les premières failles de l'élève, qui peuvent apparaître au début du collège.

P. R. : Quelle est la particularité des actions menées par l'Alliance des mécènes auprès des «décrocheurs» scolaires ? M. E. : En compagnie de six autres entreprises, la Fondation SNCF, déjà active dans la prévention de

La solution doit être globale. l'illettrisme, s'est lancée dans une démarche innovante, aux côtés de six associations déjà présentes sur le terrain ainsi qu'avec des experts, des linguistes, des sociologues, des psychiatres, ou encore des membres de l'éducation natio-

En 2012, la proportion de «sortants précoces» (les jeunes de 18-24 ans qui ne possèdent pas de diplôme de l’enseignement secondaire et qui ne sont ni en formation ni en études) est de 11,6% en France. Elle est de 10% en Allemagne et de 25% en Espagne. La moyenne européenne est à 13%. En 2012, 230 000 élèves dits «décrocheurs» quittent un cursus d’éducation secondaire sans obtenir de diplôme.

nale. Comme le décrochage découle souvent d'une combinaison de facteurs d'ordre multiple, sociaux, économiques, familiaux, psychologiques, la solution apportée doit être globale. Nous avons monté un programme en quatre volets. D'abord, apporter une aide scolaire individuelle. Ensuite, sensibiliser les familles. C'est essentiel : l'enfant doit être soutenu dans son environnement familial si l'on veut que sa marge de progrès ne s'arrête pas aux limites du cadre scolaire. Le troisième volet, le plus innovant, se concentre sur la socialisation de l'enfant dans sa classe et dans son quartier. Ce travail, mené par l'association «Réussir moi aussi», se présente sous forme de modules animés par des intervenants formés spécialement pour cela. Des jeux de rôles permettent à l'enfant décrocheur de vivre une expérience collective et de se raccrocher

au groupe sans pour autant être stigmatisé. La dernière dimension du programme vise à développer un esprit d'équipe entre tous ces bénéficiaires lors de sorties culturelles ou de découverte. P. R. : Comment accompagner ces adolescents dans leur parcours de réintégration du système éducatif ? M. E. : Pour être efficace, ce projet doit s'inscrire dans la durée. Chacun des 80 enfants recrutés la première année, et des 150 recrutés cette année, bénéficie de ce programme sur trois ans, jusqu'au moment du passage dans le secondaire. Au terme de ces trois ans, en vue d'affiner et d'améliorer encore nos actions, une grille établie par notre comité scientifique, en partenariat avec l'ESSEC, nous permettra d'évaluer le chemin parcouru par chaque enfant. Propos recueillis par Pauline Rouer Paris, octobre 2014

Adolescence et territoire(s) Pour cette troisième édition, c'est au tour de

Julie Deliquet et le Collectif In Vitro de mener

un travail avec des adolescents de 15 à 20 ans.

Julie Deliquet À l'issue de sa formation au Conservatoire de Montpellier puis à l'École du Studio Théâtre d'Asnières, elle poursuit sa formation pendant deux ans à l'École Internationale Jacques Lecoq. Elle crée le Collectif In Vitro en 2009 et présente Derniers Remords avant l'oubli de Jean-Luc Lagarce (1er volet du Triptyque «Des années 70 à nos jours») dans le cadre du concours Jeunes metteurs en scène du Théâtre 13, elle y reçoit le prix du public. En 2011, elle crée La Noce de Brecht (2e volet du Triptyque), au Théâtre de Vanves, présenté en 2013 au 104 dans le cadre du festival Impatience. En 2013, elle crée Nous sommes seuls maintenant, création collective (3e volet du Triptyque). Le collectif est associé au TGP-CDN de Saint-Denis depuis janvier 2014.

Depuis 2012, Adolescence et territoire(s), programme d'éducation artistique et culturelle, propose chaque saison à des adolescents âgés de quinze à vingt ans et issus des territoires proches des Ateliers Berthier de participer à la création d'une pièce de théâtre sous la direction d'un metteur en scène – qui souhaite esquisser un portrait des adolescents d'aujourd'hui en prenant appui sur leur lieu de vie, leur relation aux autres, leur quotidien. Pour cette troisième édition, c'est au tour de Julie Deliquet et le Collectif In Vitro de mener un travail avec des adolescents, après les spectacles de transmission menés par les metteurs en scène Didier Ruiz, 2013 comme possible, et Jean Bellorini avec la compagnie Air de Lune, Le Rêve d'un homme ridicule. Julie Deliquet et le Collectif In Vitro débuteront leur travail à partir de janvier 2015, avec une vingtaine d'adolescents choisis dans quatre villes avoisinantes ; ils présenteront leur création en juin 2016.

Si vous avez entre 15 et 20 ans et habitez le 17e, Clichy-la-Garenne, Saint-Ouen, Saint-Denis et souhaitez participer à ce projet, vous pouvez contacter dès à présent Alice Hervé : 01 44 85 40 47 alice.herve@theatre-odeon.fr Cet engagement demande d'être disponible les samedis après-midi – pour les ateliers – et pendant les vacances scolaires – pour les stages. De janvier à juin 2015 D'octobre 2015 à juin 2016


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Avantages abonnés

Tarifs préférentiels, invitations... (nombre de places restreint) Des propositions élaborées avec les partenaires culturels de l’Odéon-Théâtre de l’Europe

La musique et ses publics à l'occasion de l'ouverture de la Philharmonie de Paris en janvier 2015, l'Odéon-Théâtre de l'Europe a souhaité mettre en avant la musique sous toutes ses formes. Rencontre avec Laurent Bayle, président de la Philharmonie de Paris. En quoi la Philharmonie complète-t-elle la Cité de la musique ? La Cité s'est inspirée du modèle du Centre Pompidou, conçu pour favoriser différents modes d'appropriation par les publics, entre l'événementiel et la collection permanente : d'un côté le concert, de l'autre, le musée. Sur cette toile de fond, la Philharmonie apporte une pièce essentielle, qui manquait cruellement : une grande salle adaptée à l'orchestre symphonique. Quels sont les publics de la musique dite «classique» ? Toutes les études confirment qu'ils sont vieillissants et que leur base sociologique reste extrêmement étroite. Le problème est donc simple : existe-t-il des modes de transmission, à dimension éducative, susceptibles d'intéresser nos concitoyens à la musique et de former les publics de l'avenir ? L'outil de la Philharmonie est pensé pour répondre par l'affirmative. La Philharmonie va permettre de multiplier les formes d'expérience musicale offertes aux enfants, aux individus, aux familles, aux groupes, pour quelques heures, une journée ou un week-end.

Philharmonie de Paris – Intérieur de la grande salle Philharmonie de Paris © Arte Factory-Jean Nouvel une sélection de concerts Vendredi 23 janvier / 20h30 La Création de Joseph Haydn Un sommet de la musique classique sacrée pour lequel Thomas Zehetmair réunit l’Orchestre de chambre de Paris et Accentus.

Samedi 31 janvier / 18h Nuit du raga Orchestrée par de grands musiciens indiens contemporains, cette Nuit du raga promet de vivre une expérience d’une rare intensité. Jeudi 12 février / 20h30 Jazz at the Philharmonie avec éric Legnini – Bireli Lagrène – Stefano Di Battista – Joe Lovano... La fine fleur de la planète jazz se réunit ici dans l'esprit des concerts lancés à New York dans les années 40 par le célèbre producteur Norman Granz. Samedi 14 février / 11h Roméo et Juliette Concert en famille Roméo et Juliette par Les Siècles et François-Xavier Roth. Extraits des œuvres de Piotr Ilitch Tchaïkovski, Hector Berlioz, Sergeï Prokofiev.

Votre priorité est-elle d'attirer le public de Pleyel ou d'en susciter un nouveau ? Il faut les deux. Comme la salle Pleyel, la Philharmonie est conçue pour les grandes formes. Cela entraîne des coûts incompressibles assez élevés : les salaires, les voyages, l'accueil des artistes... Il est indispensable que le public existant suive, afin de tenir les objectifs de recettes. Les publics doivent être à la fois conservés et renouvelés. Il faut donc sortir des sentiers battus, rénover le rituel du concert et casser les barrières. La Philharmonie est à cet égard une chance historique : elle est à l'heure actuelle un des très rares grands projets culturels à assumer franchement une politique de l'offre. Nous allons programmer plus de 300 concerts de janvier à juin 2015. Propos recueillis par Daniel Loayza Paris, 13 octobre 2014 Retrouvez l'intégralité de l'entretien avec Laurent Bayle sur theatre-odeon.eu

> Tarif préférentiel -15% avec le code ODEONABO15 (hors catégories 5 et 6) et sur présentation de votre carte d'abonné 2014-2015 > Informations et réservations sur saison-2015.philharmoniedeparis.fr ou par téléphone au 01 44 84 44 84 > Philharmonie de Paris – 221 avenue Jean-Jaurès, Paris 19e

Centre culturel suisse Concert Kiku, Blixa Bargeld et Black Cracker Mardi 20 janvier / 20h KiKu (composé de Yannick Barman et Cyril Regamey) a fêté ses dix ans en 2013. à l’origine duo acoustique, leur musique s’est enrichie de sons électroniques et de rencontres multiples surfant entre jazz et musique contemporaine. Les virtuoses Barman et Regamey sont aussi des explorateurs hors pair des friches artistiques. Pour ce nouveau projet, ils s’associent à Blixa Bargeld, connu pour avoir longuement collaboré avec Nick Cave, et Black Cracker, MC et poèteslameur. Plus pop/rock que leur formation habituelle, ce concert associe guitare, batterie, trompette, samples, voix et vidéo. > Invitations > Réservation à agarzuel@ccsparis.com > Centre culturel suisse, 38 rue des Francs-Bourgeois, Paris 3e

Nadia Boulanger © Paul Almasy

Concerts de Radio France Mardi voix : «Les femmes compositrices» Mardi 10 mars / 20h La voix dans toutes ses acceptions, dans toutes ses formes, dans tous les répertoires, d’hier et d’aujourd’hui, d’ici et d’ailleurs, vous attend pour le «Mardi voix» à Radio France. Fanny Mendelssohn, Robert Schumann, Clara Schumann, Mel Bonis, Rebecca Clarke, Lili Boulanger, Nadia Boulanger.

Philippe Djian © DR

Auditorium du Musée du Louvre On the road again, un voyage musical avec Philippe Djian Vendredi 16 janvier / 20h30 La musique est une invitation au voyage, elle accompagne l’errance de ceux qui choisissent les marges de nos mondes policés ; elle est aussi une invitation au voyage intérieur, au dépassement de ses propres frontières. Schubert, Dylan, Springsteen et bien d’autres ont mis en musique ces transgressions, commentées ici par Philippe Djian, écrivain voyageur et mélomane. > Invitations > Réservation à missions-rp@theatre-odeon.fr > Musée du Louvre, 99 rue de Rivoli, Paris 1er

Kiku © Cédric Raccio © Dualroom

> Invitations > Réservation à missions-rp@theatre-odeon.fr > Maison de la Radio – Auditorium, 116 avenue du Président Kennedy, Paris 16 e


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Acheter et réserver ses places Ouvertures de location tout public

Calendrier

IVANOV représentations du 16/01 au 28/02 guichet / téléphone / theatre-odeon.eu mercredi 10 décembre

janvier 2015

Les Bibliothèques de l’Odéon 6e Berthier 17e Grande salle / salon Roger Blin / studio Gémier mar 13 La Réunification... 20h Ma bibliothèque... / Le cosmopolite / Dany Laferrière 18h mer 14 La Réunification... 20h Mythes et épopées / Le Chant du Rossignol... 15h jeu 15 La Réunification... 20h ven 16 Ivanov 20h La Réunification... 20h L’épreuve de la haine / 1914... 18h sam 17 Ivanov 20h La Réunification... 20h L’Europe inspirée / L’Europe – berceau du roman... 17h dim 18 Ivanov 15h La Réunification... 15h*** lun 19 XXIe Scène / Sam Holcroft et Allistair Mac Dowell 18h Exils / Albert Cohen / Tobie Nathan 20h mar 20 Ivanov 20h La Réunification... 20h*** mer 21 Ivanov 20h La Réunification... 20h jeu 22 Ivanov 20h La Réunification... 20h à quoi tenons-nous vraiment ? / Papier, écrans... 18h ven 23 Ivanov 20h La Réunification... 20h sam 24 Ivanov 20h La Réunification... 20h Politique de la pensée / Platon... 15h Les petits Platons / La mort du divin Socrate 15h dim 25 Ivanov 15h La Réunification... 15h lun 26 mar 27 Ivanov 20h La Réunification... 20h mer 28 Ivanov 20h La Réunification... 20h jeu 29 Ivanov 20h La Réunification... 20h ven 30 Ivanov 20h La Réunification... 20h sam 31 Ivanov 20h La Réunification... 20h Odéon 6e

représentations du 08/04 au 29/04 guichet / téléphone / theatre-odeon.eu mercredi 28 janvier les bibliothèques de l’odéon Vous pouvez réserver pour l’ensemble de la saison 14/15 Par téléphone 01 44 85 40 40 du lundi au samedi de 11h à 18h30 Au guichet du Théâtre de l’Odéon du lundi au samedi de 11h à 18h

février

Les Bibliothèques de l’Odéon 6e Berthier 17e Grande salle / salon Roger Blin dim 1 Ivanov 15h lun 2 Voix de femmes / Linda Lê 20h mar 3 Ivanov 20h Lire le théâtre / Numance – Cervantès 18h mer 4 Ivanov 20h Voyages en littérature / Au cœur des Himalayas 18h jeu 5 Ivanov 20h ven 6 Ivanov 20h L’épreuve de la haine / La lutte pour les droits... 18h sam 7 Ivanov 20h Politique de la pensée / Machiavel... 15h Les petits Platons / érasme et le grelot de la folie 15h dim 8 Ivanov 15h lun 9 Exils / Kateb Yacine / Mohamed Kacimi 20h mar 10 Ivanov 20h Ma bibliothèque... / Les grands pieds / Céline Minard 18h mer 11 Ivanov 20h Mythes et épopées / Les Lions du Sassoun 15h jeu 12 Ivanov 20h à quoi tenons-nous vraiment ? / Le cogito gourmand 18h ven 13 Ivanov 20h sam 14 Ivanov 20h dim 15 Ivanov 15h lun 16 mar 17 Ivanov 20h mer 18 Ivanov 20h jeu 19 Ivanov 20h ven 20 Ivanov 20h sam 21 Ivanov 20h dim 22 Ivanov 15h lun 23 mar 24 Ivanov 20h mer 25 Ivanov 20h jeu 26 Ivanov 20h ven 27 Ivanov 20h sam 28 Ivanov 20h

Abonnés

Odéon 6e

Si vous n’avez pas choisi vos dates de spectacles : – Vous pourrez réserver vos dates, à tout moment de l’année. Merci de vérifier la disponibilité de la date choisie auprès du service abonnement avant de retourner votre contremarque. – Nous vous conseillons de choisir vos dates avant l’ouverture de réservation tout public, afin que nous puissions vous placer au mieux. Vous avez la possibilité de réserver des places supplémentaires aux dates d’ouverture de location de chaque spectacle. Vous bénéficiez d’un tarif réduit pour Les Bibliothèques de l’Odéon, en grande salle. Contact 01 44 85 40 38 abonnes@theatre-odeon.fr

Représentations IVANOV du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h, relâche le lundi

vacances scolaires zone A zone B zone C *** Représentations avec audiodescription

Tarifs Spectacles

Théâtre de l’Odéon 6e

série 1

série 2

série 3

Plein tarif 38 € 26 € 16 € Moins de 28 ans, étudiant, bénéficiaire du RSA* Public en situation de handicap 19 € 13 € 8 € Demandeur d’emploi* 20 € 16 € 10 € 6 € 6 € 6 € Élève d’école de théâtre* (2h avant la représentation) Lever de rideau (2h avant la représentation) — — — *

Ateliers Berthier 17e

série 4 série unique

12 €

34 €

6 € 6 € 6 € 6 €

17 € 20 € 6 € —

Justificatif indispensable lors du retrait des places

Les l’Odéon Bibliothèques de Théâtre de l’Odéon 6e Tarifs exceptionnels

38 € 26 € 16 € 12 € 28 € 19 € 12 € 6 € 28 € 19 € 12 € 6 €

Carte Les Bibliothèques de l’Odéon Carte 10 entrées 50€ (à l’exception de Bestiaire d’amour) Carte à utiliser librement ; une ou plusieurs places lors de la même manifestation. Réservation fortement conseillée

19 € 13 € 8 € 20 € 16 € 10 € 6 € 6 € 6 €

Attention : pour Bestiaire d’amour, un tarif préférentiel est cependant consenti aux abonnés Odéon et aux détenteurs de la Carte Les Bibliothèques de l’Odéon (cf. tarifs exceptionnels, voir ci-contre).

Bestiaire d’amour

Grande salle Roger Blin série 1

Plein tarif 10 € 6 € Carte les Bibliothèques de l’Odéon — — Abonné Odéon 6 € 6 € Moins de 28 ans, étudiant, bénéficiaire du RSA* Public en situation de handicap 6 € 6 € Demandeur d’emploi* 6 € 6 € Élève d’école de théâtre* (2h avant la représentation) 6 € 6 € *

Justificatif indispensable lors du retrait des places

Contacts Groupe d’adultes, amis, association, comité d’entreprise, 01 44 85 40 37 collectivites@theatre-odeon.fr Public de l’enseignement 01 44 85 40 39 / 41 18 enseignement@theatre-odeon.fr Public de proximité des Ateliers Berthier, public du champ social et public en situation de handicap 01 44 85 40 47 alice.herve@theatre-odeon.fr

série 2 série 3 série 4

6€ 6€ 6€


3 octobre – 21 novembre / Odéon 6e

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les nÈgres

Jean Genet / Robert Wilson création

avec le Festival d’Automne à Paris

9 octobre – 14 novembre / Berthier 17e

les particules ÉlÉmentaires Michel Houellebecq / Julien Gosselin

Soutenez la création théâtrale en devenant membre du Cercle de l'Odéon

avec le Festival d’Automne à Paris

3 – 14 décembre / Odéon 6e

you are my destiny (Lo stupro di Lucrezia) Angélica Liddell

avec le Festival d’Automne à Paris

10 décembre – 31 janvier / Berthier 17 e

Information et contact Pauline Rouer cercle@theatre-odeon.fr

La rÉunification des deux corÉes Joël Pommerat 16 janvier – 28 février 8 – 29 avril / Odéon 6e

Ivanov Anton Tchekhov / Luc Bondy création 14 mars – 2 avril / Berthier 17 e

toujours la tempÊte Peter Handke / Alain Françon 11 – 29 mars / Odéon 6e

das weisse vom ei (Une île flottante) Eugène Labiche / Christoph Marthaler 2 – 17 mai / Berthier 17 e

henrY vi William Shakespeare / Thomas Jolly 15 mai – 27 juin / Odéon 6e Ils sont mécènes de la saison 2014-2015 les fausses confidences

Marivaux / Luc Bondy 28 mai – 28 juin / Berthier 17 e

liliom Ferenc Molnár / Jean Bellorini octobre 2014 – juin 2015

5 Théâtre de l’Odéon Place de l’Odéon Paris 6 e Métro Odéon RER B Luxembourg

Ateliers Berthier 1 rue André Suarès (angle du Bd Berthier) Paris 17e Métro et RER C Porte de Clichy

Salles accessibles aux personnes à mobilité réduite, nous prévenir impérativement au 01 44 85 40 40 Toute correspondance est à adresser à Odéon-Théâtre de l’Europe – 2 rue Corneille – 75006 Paris theatre-odeon.eu 01 44 85 40 40

© Pascal Brami

couverture : affiche d’Ivanov © Werner Jeker / Licences d’entrepreneur de spectacles 1064581 – 1064582

Les Bibliothèques de l’Odéon


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