note de politique agriculture
Politiques agricoles : suivi et évaluation 2022 : Réformer les politiques agricoles pour atténuer le changement climatique
janvier 2023
Dans les pays de l’OCDE et les puissances économiques émergentes, les politiques publiques donnent lieu à d’importants transferts à destination du secteur agricole : 817 milliards USD par an au cours de la période 2019-21, avec 500 milliards USD sous la forme d’aides budgétaires financées par les contribuables et 317 milliards USD sous la forme de majorations des prix supportées par les consommateurs.
Près de la moitié du soutien alloué au secteur (319 milliards USD par an) fausse le libre jeu du marché et compromet potentiellement l’action engagée sur le long terme pour garantir la sécurité alimentaire et combattre le changement climatique. Les investissements dans les services d’intérêt général, en particulier l’innovation, la biosécurité et les infrastructures, essentiels pour pérenniser la croissance de la productivité, ne représentent que 13 % du total des transferts destinés au secteur, contre 16 % il y a 20 ans.
Tout en investissant dans l’adaptation, l’agriculture doit impérativement réduire sa contribution au changement climatique. Pour atteindre simultanément les objectifs d’amélioration des systèmes alimentaires et de lutte contre le changement climatique, les pouvoirs publics devraient s’employer en priorité à réformer les politiques actuelles de soutien agricole, en fournissant des incitations directes en faveur de l’adaptation et de l’atténuation ainsi qu’en mettant en place des politiques de protection sociale pour faciliter une transition inclusive.
De quoi s’agit-il ?
Au total, le soutien à l’agriculture a atteint le montant record de 817 milliards USD par an au cours de la période 2019-21 dans les 54 pays* étudiés dans le rapport de l’OCDE Politiques agricoles : suivi et évaluation 2022 Seule une faible part de ce soutien a été consacrée à l’action de plus long terme contre le changement climatique et à régler d’autres problèmes que connaissent les systèmes alimentaires. C’est 13 % de plus que les 720 milliards USD enregistrés durant la période 2018-20. Cette hausse tient principalement au soutien accordé à titre temporaire aux consommateurs et producteurs dans le contexte de la pandémie de COVID-19, ainsi qu’à l’augmentation du soutien des prix du marché, liée aux pénuries d’aliments pour animaux, elles-mêmes dues à la reconstitution des troupeaux décimés par la peste porcine africaine.
Si l’on considère le montant annuel total du soutien, 500 milliards USD ont été financés par les contribuables, sur les budgets publics, et 317 milliards USD par les consommateurs, sous la forme de majorations des prix (soutien des prix du marché). Dans un petit nombre de
pays, les pouvoirs publics minorent en revanche les prix de tout ou partie des produits, ce qui entraîne un soutien négatif de 117 milliards USD pour les producteurs agricoles. Au total, 391 milliards USD par an ont été transférés aux producteurs sous les formes de soutien susceptibles de fausser le plus fortement le marché (soutien des prix de marché et paiements au titre de la production et de l’utilisation sans contraintes d’intrants variables).
Les réformes des politiques agricoles marquent le pas dans les pays de l’OCDE depuis une dizaine d’années, et on observe même des retours en arrière dans certains cas. En moyenne, dans les pays de l’OCDE, 346 milliards USD de soutien par an ont été accordés au cours de la période 2019-21. Les grands producteurs agricoles que sont l’Union européenne et les ÉtatsUnis ont représenté les deux tiers de cette somme. Parallèlement, le soutien a sensiblement augmenté dans les 11 économies émergentes étudiées pour s’établir à 464 milliards USD par an pendant la période 2019-21, dont 60 % environ ont été le fait de la seule Chine.
Note : la «
611 mrd USD - 75% du total du soutien à l’agriculture vont aux producteurs individuellement
Mesures générant le plus de distorsions
général » à l’estimation du soutien aux services d’intérêt général, le « soutien aux consommateurs » aux transferts des contribuables aux consommateurs, et les « autres mesures » au soutien fondé sur la production et l’utilisation d’intrants variables non assortie de contraintes.
Face à la pandémie de COVID-19, les gouvernements ont sensiblement augmenté les dépenses destinées au secteur afin d’apporter une assistance alimentaire complémentaire aux consommateurs à bas revenus, d’assurer la continuité de fonctionnement des chaînes d’approvisionnement alimentaire et d’aider les producteurs à surmonter les perturbations. Ce soutien supplémentaire s’est chiffré à 55 milliards USD en 2020 et à 70 milliards USD en 2021, ce qui représente respectivement 10 % et 13 % du soutien budgétaire total de ces deux années. Il ne s’agit sans doute là que d’une estimation basse du montant effectif des dépenses supplémentaires, que celle-ci ne tient compte que du soutien dont le lien avec la pandémie a pu être clairement établi.
Dans le même temps, l’agriculture continue de jouer un rôle non négligeable dans le changement climatique à l’échelle planétaire. Avec la foresterie et les autres affectations des terres, elle est responsable d’environ 22 % des émissions anthropiques de gaz à effet de serre (GES). Il s’agit des émissions directes de méthane et de protoxyde d’azote imputables aux activités agricoles – élevage, riziculture et épandage d’engrais – et des émissions indirectes de dioxyde de carbone dues aux changements d’affectation des terres, notamment au déboisement et aux rejets dans l’atmosphère du carbone contenu dans les sols.
Le volume des émissions directes de GES d’origine agricole des 54 pays étudiés s’élève à 4.1 Gt éq. CO2 par an, ce qui représente 68 % du total de ces émissions à l’échelle mondiale. Environ 70 % sont liés à l’élevage. Seulement 16 de ces pays ont fixé sous une forme ou une autre un objectif de réduction chiffré à leur secteur agricole, alors que cette démarche peut être utile pour cibler les efforts d’atténuation et mesurer les progrès. Il serait donc
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largement possible d’intensifier et d’accélérer la baisse des émissions dans le secteur.
L’agriculture a elle aussi un rôle de premier plan à jouer dans la réduction des émissions planétaires. Du côté de l’offre, les pays peuvent augmenter la productivité et rendre l’utilisation d’intrants plus productive et plus rationnelle ; faire adopter des techniques de production qui engendrent moins d’émissions ; augmenter la séquestration du carbone dans les sols ; mener des opérations de boisement ou remettre en état les terres dégradées ; et réduire les pertes de produits alimentaires au niveau des champs et des exploitations. Du côté de la demande, les pays peuvent fournir des informations et des incitations aux consommateurs pour qu’ils évoluent vers des choix alimentaires moins émetteurs de GES et produisent moins de déchets alimentaires.
Pourtant, bon nombre des mesures de soutien existantes favorisent l’augmentation des émissions de GES. Le soutien direct à la production de produits agricoles particuliers représente en moyenne la moitié du soutien direct aux producteurs, soit 247 milliards USD au cours de la période 2019-21 (362 milliards USD sous la forme de transferts positifs et 115 milliards USD via la taxation implicite). Ainsi, la production de produits d’origine animale, qui tend à être plus intensive en émissions de GES, a reçu 111 milliards USD par an ; et le riz, dont la culture est la plus intensive en émissions en raison du méthane émis par les rizières, 44 milliards USD par an. Par ailleurs, le soutien aux producteurs est surtout composé de mesures qui sont le plus susceptibles de nuire à l’environnement et de favoriser une utilisation non durable des ressources naturelles. Le montant des paiements effectués au titre d’intrants variables (sans condition d’utilisation) s’est élevé à 60 milliards USD par
an au cours de la période 2019-21. Il faudrait taxer, et non subventionner, l’utilisation d’intrants dommageables pour l’environnement, comme les engrais de synthèse, l’alimentation animale, ou les carburants fossiles, compte tenu de leurs externalités écologiques négatives.
À l’inverse, les services d’intérêt général bénéficiant à l’agriculture, comme l’innovation, la biosécurité et les infrastructures, ne perçoivent qu’une faible part du
Que devraient faire les responsables de l’action publique ?
Les possibilités de réforme sont immenses pour relever le triple défi auquel les systèmes alimentaires sont confrontés - assurer la sécurité alimentaire, améliorer les moyens de subsistance et renforcer la durabilité du secteur - et associer l’agriculture à une réduction ambitieuse des émissions de GES afin de contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C, et de préférence à 1.5 °C par rapport aux niveaux préindustriels, ainsi que le prévoit l’Accord de Paris. Ces réformes devraient s’articuler autour de six grands axes complémentaires :
1. Abandonner progressivement le soutien des prix de marché et les paiements qui risquent fort de nuire à l’environnement et de fausser les marchés et les
soutien. Bien qu’indispensables à l’exécution des objectifs de sécurité alimentaire, de lutte contre le changement climatique et d’amélioration des systèmes alimentaires, le montant, rapporté à la taille du secteur, des investissements connexes a diminué durant la majeure partie des vingt dernières années. Dans l’ensemble, la part du soutien aux services d’intérêt général dans le soutien total au secteur est descendue à 13 % durant la période 2019-21, contre 16 % durant la période 2000-02.
échanges. Conjugués au soutien des prix de marché, les paiements effectués au titre de la production et de l’utilisation d’intrants variables sans contraintes, peuvent potentiellement accentuer la pression sur les ressources naturelles et faire grimper les émissions nationales de GES. Même si l’effet mondial de leur suppression est incertain, les mesures de soutien des prix de marché peuvent contribuer à accroître les émissions nationales de GES. Les mesures de soutien de ce type sont aussi celles qui risquent le plus de fausser la production et les échanges, elles constituent des moyens inefficients de transférer des revenus aux exploitants et elles ont tendance à être inéquitables en ce qu’elles ne ciblent pas les producteurs à faible revenu.
2. Réorienter le soutien budgétaire vers la fourniture de biens publics et de services d’intérêt général essentiels afin d’améliorer les performances du secteur agricole, ou accroître ce soutien là où il est aujourd’hui peu élevé. La plupart des paiements actuels n’ont pas pour effet d’encourager ou de faciliter une production agricole plus durable et la diminution des émissions de GES, même si les prescriptions environnementales peuvent en partie combler cette lacune. La rémunération directe des agriculteurs qui fournissent des biens publics, tels que des services écosystémiques ou la séquestration de carbone dans les sols agricoles, et qui adoptent des pratiques de production économes en ressources contribue à la fois à faire baisser les émissions et à procurer de nouvelles sources de revenus aux exploitants. Le recentrage des dépenses sur l’innovation, et en particulier sur la R-D tournée vers les technologies et méthodes de production permettant de réduire les émissions, va dans le sens de l’atténuation du changement climatique et d’une croissance durable de la productivité, tout en contribuant à maintenir la sécurité alimentaire et à réduire les pressions exercées sur les revenus par le durcissement des normes d’environnement et d’émissions.
3. Cibler les mesures de soutien du revenu sur les ménages qui en ont le plus besoin. Les ménages modestes, agricoles et autres, peuvent avoir besoin
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d’une aide transitoire et d’un filet de protection sociale élargi pour compenser les pertes de revenus provoquées par l’arrêt des mesures de soutien positif des prix de marché ou le renchérissement des aliments associé à la suppression des mesures de soutien négatif des prix. Cela nécessitera de disposer de meilleures informations sur les revenus et les actifs des ménages agricoles. Les économies réalisées grâce à la réforme des mesures de soutien budgétaire mal ciblées pourraient en outre permettre de dégager des fonds non négligeables pour financer les biens publics et les dispositifs de protection sociale.
4. Améliorer la boîte à outils relative à la résilience face à la diversité des risques et à la multiplication des épisodes météorologiques extrêmes et des catastrophes naturelles. L’investissement dans les données, les outils et les compétences utiles permet aux agriculteurs de mieux couvrir les risques de petite et moyenne envergure par eux-même ou en faisant appel aux instruments du marché. Les pouvoirs publics devront continuer de prendre en charge les risques de grande envergure, au moyen de politiques soigneusement définies, qui évitent d’étouffer les initiatives privées de gestion des risques.
5. Mettre en œuvre un système efficace de tarification des émissions de GES d’origine agricole pour inciter à opérer la transition vers une agriculture à faibles
émissions. Les subventions en faveur de la réduction des émissions peuvent constituer une autre piste possible, mais risquent d’être difficiles à maintenir à mesure que les besoins en matière d’atténuation augmentent.
6. Lorsque l’agriculture n’est pas intégrée dans les dispositifs généraux de tarification du carbone ou des dispositifs équivalents ou complémentaires, élaborer une panoplie de mesures pour garantir un abaissement significatif des émissions du secteur. Les pouvoirs publics peuvent agir à la fois sur l’offre et sur la demande pour réduire les émissions de GES de l’agriculture. Du côté de l’offre, il s’agit par exemple d’augmenter la productivité et de rendre l’utilisation d’intrants plus productive et plus rationnelle ; de faire adopter des techniques de production qui engendrent moins d’émissions ; d’augmenter la séquestration du carbone dans les sols ; de mener des opérations de boisement ou de remettre en état les terres dégradées ; et de réduire les pertes de produits alimentaires au niveau des champs et des exploitations. Du côté de la demande, il peut s’agir de fournir des informations et des incitations aux consommateurs pour qu’ils évoluent
vers des choix alimentaires moins émetteurs de GES et produisent moins de déchets alimentaires. Une action coordonnée et une coopération internationale rendraient ces mesures plus efficientes.
* Les 54 pays étudiés sont les 38 membres de l’OCDE, cinq États membres de l’UE n’appartenant pas à l’OCDE et onze économies émergentes ou en développement (Afrique du Sud, Argentine, Brésil, Fédération de Russie, Inde, Indonésie, Kazakhstan, Philippines, République populaire de Chine, Ukraine et Viet Nam.)
Lectures complémentaires
• OCDE (2022), Politiques agricoles : Suivi et évaluation 2022 : Réformer les politiques agricoles pour atténuer le changement climatique, Editions OCDE, Paris, https://doi. org/10.1787/247b9928-fr.
• Comparez votre pays de l’OCDE https:// www.compareyourcountry.org/support-foragriculture/fr/0/all/default
www.oecd.org/agriculture tad.contact@oecd.org @OECDagriculture