OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS / SECTION FRANÇAISE
N°102 / DÉCEMBRE 2018 / 7,50 €
PROCHES DE DÉTENUS Les liens à l’épreuve des murs
SOMMAIRE Publication trimestrielle de la section française de l’Observatoire international des prisons association loi 1901, 7 bis, rue Riquet, 75019 Paris, Tél. : 01 44 52 87 90, Fax : 01 44 52 88 09 e-mail : contact@oip.org Internet : www.oip.org Directrice de la publication Delphine Boesel Rédaction en chef Laure Anelli
DÉCRYPTAGE p. 4 Réforme de la justice : un débat démocratique foulé aux pieds
p. 6 Fouilles intégrales en détention : un recul inacceptable
INTRAMUROS p. 7 Le Genepi menacé : et demain, à qui le tour ? p. 47 Lille-Sequedin : un surveillant mis en examen
pour violences p. 47 Toulouse-Seysses : le chantage à la protection comme outil de maintien de l’ordre
Rédaction Laure Anelli Anne-Charlotte Begeot François Bès Sarah Bosquet Marie Crétenot Amid Khallouf Cécile Marcel Iconographie Pauline De Smet Transciptions bénévoles Mireille Jaegle Secrétariat de rédaction Laure Anelli Marie Crétenot Pauline De Smet Cécile Marcel Identité graphique Atelier des grands pêchers atelierdgp@wanadoo.fr Maquette Claire Béjat clairebejat.fr © Photos et illustrations, remerciements à : Marc Chatelain, Alain Guilhot, Grégoire Korganow Au CGLPL, à G4S, à l’Unil et à l’ agence VU Impression Imprimerie ÇAVA PRINT 114 rue de Meaux, 75 019 Paris Tél. : 01 43 58 26 26 ISSN : 1276-6038 Diffusion sur abonnement au prix annuel de 30 € Photographie couverture : © Grégoire Korganow / CGLPL CPPAP : 1123 H 92791
SSSIIEER DO DOS R Engrenage carcéral
PROCHES DE DÉTENUS LA PART DES JUGES
Les liens à l'épreuve des murs p. 8 p. 14
ELLE TÉMOIGNE Mère de détenue : une vie DÉCRYPTAGE rythmée par la prison L’aménagement p. 14 des courtes peines menacé pourENQUÊTE le meilleur… mais surtout pour le pire Des kilomètres d’usure
p. 22 p. 16
Quand la détention remplace laDÉCRYPTAGE liberté provisoire p. 23femmes La solitude des détenues Dans le moteur de la machine à incarcérer : p. 22 les comparutions ENQUÊTES immédiates À chaque p.parloir 26 son règlement
p. 23
Gilbert, kleptomane, Burger dans le soutif, 61 condamnations, un acte transgressif « zéro violence, vingt ans p. 26 de prison » Insalubrité, exiguïté, p. 30 absence totale d’intimité…
p. 28
Petites et grandes entorses au droit de visite
p. 29
DÉCRYPTAGE Des échanges sous surveillance, des appels LE GRAND ENTRETIEN au prix L’obsession defort la punition,
p. 32 Fassin avec Didier p. 32
ENQUÊTE Empêchés d’être là le jour J
p. 34
ILS INNOVENT Addictions : une réponse axée ELLE TÉMOIGNE sur le soin et la réinsertion « Elle était morte p. 36 et je ne le savais pas » p. 37 Prendre le temps de comprendre LE GRAND ENTRETIEN la personne jugée La parentalité p. emmurée 38
p. 39
ET AILLEURS Au Royaume-Uni, une prison œuvre pour et avec les familles
p. 42
IL TÉMOIGNE « Avec le temps, on se renferme sur l’intérieur »
p. 46
ÉDITO DEVANT LE JUGE
LES ASSOCIATIONS OUBLIÉES
p. 48 Droit de la défense : l’accès aux images de vidéosurveillance consacré
LETTRE OUVERTE
par CÉCILE MARCEL,
p. 49 « Avec une telle dette, je n‘ai aucun espoir pour
directrice de l’OIP-SF
mon avenir »
© Grégoire Korganow / CGLPL
Dans son adresse à la Nation en réaction au mouvement des gilets jaunes, le président Emmanuel Macron a décrété « l’état d’urgence économique et social ». Un programme pour lequel il ne souhaite visiblement pas s’appuyer sur le monde associatif, tant celui-ci est le grand perdant de son début de quinquennat et des dernières annonces politiques. Et pourtant, les associations sont « le premier lieu où les indignations et les aspirations individuelles savent se transformer en réalisations collectives » et donc « plus que jamais indispensables pour retisser le lien social et permettre un débat démocratique constructif et apaisé », rappelle un communiqué du Mouvement associatif*. Alors que les associations ont été rendues exsangues par les coupes brutales de subvention, la disparition des emplois aidés et la fin des réserves parlementaires, le gouvernement a présenté, le 29 novembre dernier, son « Plan d’action pour une politique de vie associative ambitieuse ». En fait d’ambition, le plan se limite à des aides pour les petites structures qui souhaiteraient mutualiser leurs ressources, un accroissement des crédits alloués aux services civiques et un encouragement au bénévolat et à la philanthropie. La mesure forte qu’aurait été la restauration de l’impôt sur la fortune a été clairement exclue par le Président. Sa disparition a pourtant entraîné une baisse de 50 % de la collecte des fondations qui touchaient des dons ISF. De manière générale, c’est tout le secteur caritatif qui est actuellement affecté par une baisse des revenus liés à la générosité du public. Pour répondre à l’urgence sociale, Emmanuel Macron demande « à tous les employeurs qui le peuvent de verser une prime de fin d'année à leurs employés ». Non, monsieur Macron, nous ne pourrons pas verser une prime de fin d’année à nos salariés, menacés que nous sommes de mettre la clé sous la porte. Et quand une association disparaît, elle entraîne dans sa chute les fragiles, les précaires, ceux auprès de qui elle agit au quotidien et dont le Président a dit : « Leur détresse ne date pas d’hier mais nous avions fini lâchement par nous y habituer et au fond, tout se passait comme s’ils étaient oubliés, effacés. » Avec le monde associatif, c’est aussi le monde de la solidarité qui se délite. Une solidarité dont nous avons pourtant cruellement besoin.
* « Face aux indignations, l'urgence d'une France plus juste et plus solidaire », 7 décembre 2018
DÉCRYPTAGE Simulacre de consultation des syndicats et acteurs de terrain, indifférence aux alertes des instances de protection des droits de l’homme, court-circuitage du Parlement… L’examen du projet de loi Justice révèle la conception du débat démocratique du gouvernement.
RÉFORME DE LA JUSTICE : UN DÉBAT DÉMOCRATIQUE FOULÉ AUX PIEDS par MARIE CRÉTENOT
Ç
« Ça devient la foire à neuneu ici ! » « Tout n’est qu’un vaste théâtre. Il y a les desiderata du Président de la République. Et point barre. Le reste c’est du décor. » « On s’essuie les pieds sur le Parlement. » La colère et la consternation ont gagné l’Assemblée nationale, devant la tenue des débats sur le projet de loi Justice. Nouvelle goutte d’eau dans un vase déjà plein, le coup de force du gouvernement sur le droit pénal des mineurs ne passe pas – en dehors des rangs « En Marche ». Ni les couacs qu’il a entraînés : des débats reportés, tronçonnés, placés dans les interstices des ordres du jour, « entre la poire et le fromage » . (1)
(2)
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4 / DEDANS DEHORS N°102 / DÉCEMBRE 2018
(1) Philippe Gosselin (LR), séance du 23 novembre, Assemblée nationale (AN). (2) Ugo Bernalicis (LFI), séance du 5 décembre 2018, AN.
Philippe Gosselin (LR), séance du 5 décembre 2018, AN. (3)
(4)
Ibid.
Ni, surtout, ce qu’il signifie : un mépris des fondements du débat démocratique. Le gouvernement a attendu la dernière minute, l’approche de la clôture prévue des travaux, pour glisser un amendement caché sous le bureau, adopté sans sourciller par la majorité. Objectif ? Lui permettre de créer un code pénal de la justice des mineurs par voie d’ordonnances. Alors que des missions d’information travaillaient au sein de chacune des chambres depuis des mois sur le sujet, les parlementaires ont appris à cette occasion que la Chancellerie avait préféré de son côté constituer en douce un groupe de travail (composé (5)
DÉCRYPTAGE
en partie de parlementaires – autres donc) pour en tenir la plume. Exit ainsi le processus législatif : sur un sujet touchant aux libertés fondamentales d’enfants et d’adolescents, le Parlement est dépouillé de ses prérogatives. Exit aussi la consultation des acteurs de terrain, organisations syndicales et associations. « Vous n’avez que faire du fond politique de ce que nous discutons. Pour vous, nous sommes une chambre d’enregistrement. Sommes-nous encore dans un régime parlementaire ? », a explosé un Insoumis . Difficile d’éluder totalement la question, même provocatrice. En commission des lois, les 1 101 amendements déposés sur le texte (de 176 pages), ont été examinés à marche forcée – moins de cinq minutes prises pour chacun. Garde des Sceaux et majorité ont fait bloc, soudés dans la volonté de ne rien changer au dispositif souhaité par l’exécutif. La commission a été de fait ramenée « au rang de simple correcteur d’orthographe » . Ou tout au plus à celui de porte-plume du gouvernement, pour quelques ajouts. Logique similaire en séance publique. Le rapporteur Didier Paris (LREM) – toujours défavorable face à une proposition de l’opposition – n’a parfois même plus pris la peine de sauver les apparences, « s’en remett[ant] aux explications que la Madame la ministre voudra bien donner» pour justifier son avis.
© Alain Guilhot / Divergence
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(8)
UN SIMULACRE DE CONSULTATION « Désagréable sensation que tout est déjà décidé, arrêté d’avance », résume un député LR . Du côté des instances nationales de protection des droits de l’homme, les critiques se heurtent, tout autant, à un mur d’indifférence et de déni. Alors que la garde des Sceaux assure avoir « beaucoup de respect pour Jacques Toubon », Défenseur des droits, elle n’hésite pas à qualifier de « contre-vérités » ses analyses sur le projet de loi, dont la mise en exergue d’une « atteinte à l’accès au droit des justiciables notamment des plus fragiles » . Les travaux de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), rattachée aux services du Premier ministre, ont tout autant été balayés. Non avenue, sa dénonciation d’un « recul du respect des droits fondamentaux tant du mis en cause que de la victime » . Et pour cause : la procédure accélérée d’examen du texte décidée par le gouvernement l’a privée de la possibilité d’émettre un avis étayé avant la clôture du dépôt des amendements à l’Assemblée nationale. Retranché, le gouvernement s’en tient envers et contre tout à son discours publicitaire. La réforme serait « construite avec les acteurs et pour le justiciable ». Elle serait le fruit de « concertations menées avec toutes les parties prenantes ». Une « consultation de pure façade » mise en cause par de nombreuses voix, à commencer par les magis(9)
(10)
(11)
(13)
Mission d’information sur la justice des mineurs constituée en juin à l’Assemblée nationale ; mission d’information sur la réinsertion des mineurs enfermés au Sénat créée en mars 2018.
(5)
Ugo Bernalicis (LFI), séance du 5 décembre 2018, AN.
(6)
Syndicat de la Magistrature, L’insoutenable légèreté de la Commission des lois, Communiqué de presse, 13 novembre 2018.
(7)
D. Paris, séance du 5 décembre 2018, Assemblée nationale.
(8)
F. Meunier (LR), séance du 5 décembre 2018, AN.
(9)
(10) Réforme de la justice : le Défenseur des droits dénonce des atteintes à l’accès au droit des justiciables, Communiqué du 20 novembre 2018.
CNCDH, Réforme de la justice pénale - Vers un nouveau recul du respect des droits fondamentaux, 20 novembre 2018.
(11)
(12) Nicole Belloubet, séance du 19 novembre 2018, Assemblée nationale. (13) Communiqué de presse collectif, Mobilisons-nous pour une justice de qualité !, 9 février 2018. (14)
Ibid.
« Nicole Belloubet, le droit dans ses bottes », Le Canard Enchaîné, 21 novembre 2018.
(15)
trats : l’Union syndicale des magistrats (USM), placée au centre-droit, le Syndicat de la magistrature, à gauche – les deux étant rarement associés dans un front commun. Mais aussi par les organisations syndicales des services judiciaires (UNSA, CFDT, FO, CGT), le syndicat des avocats de France (SAF), la Fédération nationale des unions de jeunes avocats (FNUJA), la Conférence des bâtonniers... Des projets de texte imprécis leur ont été transmis, des rendez-vous leur ont été fixés quand tout était déjà joué. Avec, là encore, l’impression d’une velléité de « réduire au silence toute critique » . Habitué des rendez-vous ministériels, Henri Leclerc, avocat et président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme (LDH), a déclaré s’être « pour la première fois » trouvé face à un ministre de la Justice lui « donna[nt] le sentiment que tout ce qu’[il] pouvait dire n’avait aucun intérêt » . Pour ne prendre qu’un exemple : la construction de places de prison pour résorber la surpopulation carcérale. Des dizaines d’associations et acteurs du champ pénal et pénitentiaire se sont élevées contre, pointant une proposition antinomique avec l’intention affichée du gouvernement de mettre un frein aux courtes peines de prison. Tous, dont l’OIP, ont rappelé que seule une refonte de l’échelle des peines dépassant la seule référence prison serait de nature à sortir de l’impasse, avec une restriction des possibilités de recours à la détention provisoire, des moyens dirigés vers les alternatives et une remise en question des comparutions immédiates, symbole d’une justice expéditive, aveugle et sourde aux problématiques amenées devant elle. En vain. Le gouvernement n’entend pas agir là-dessus, ni sortir d’une pénalité où l’emprisonnement peut être brandi pour tout délit, et instrumentalisé à des fins de communication et de dissuasion, sans en interroger le sens ni les conséquences. Pour preuve : la demande de la ministre d’une « réponse pénale tout à fait ferme » dans le cadre des multiples comparutions immédiates qui émaillent le conflit social porté par les « gilets jaunes ». Avec l’encouragement du gouvernement, les maisons d’arrêt surchargées avalent encore, à flux continu, des condamnés à de très courtes peines. Le 4 décembre, à Marseille, Antoine, 25 ans, poursuivi pour avoir lancé une pierre sur deux caméras de vidéosurveillance, sans démonstration d’une quelconque casse, a été condamné à deux mois ferme – et immédiatement envoyé en prison. Devant le Parlement, la garde des Sceaux assure que « l’efficacité ne consiste pas à brandir la prison comme l’alpha et l’oméga de notre politique pénale », mais fait barrage à toute disposition visant réellement à en limiter la place. Devant les journalistes couvrant le conflit social, elle convoque la fermeté et le réflexe prison. Au débat démocratique escamoté s’ajoutent le double discours et l’inconséquence. n (14)
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DÉCEMBRE 2018 / DEDANS DEHORS N°102
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DÉCRYPTAGE
FOUILLES INTÉGRALES EN DÉTENTION : UN RECUL INACCEPTABLE En adoptant un amendement du député En Marche Dimitri Houbron, chargé en début d’année d’une mission d’information sur le régime des fouilles en détention, l'Assemblée nationale vient d’élargir encore les possibilités de fouilles intégrales systématiques des personnes détenues. Un recul inacceptable au regard du respect de la dignité humaine et peu convaincant en termes de renforcement de la sécurité dans les établissements pénitentiaires.
L
par CÉCILE MARCEL
La mission d’information avait été mise en place à l’issue du mouvement des surveillants du début d’année. Les syndicats de surveillants demandaient l’abrogation de l’article 57 de la loi pénitentiaire qui, en 2009, était venu prohiber la systématicité des fouilles intégrales et encadrer cette pratique. Le gouvernement avait habilement renvoyé la question à une enquête ultérieure, commandée à la commission des lois du Parlement. Sur la question de l’abrogation de l’article 57, les rapporteurs ont été clairs : « Le retour à des fouilles systématiques n’est pas compatible avec les exigences posées tant par le Conseil d’État que par la Cour européenne des droits de l’homme. » Autrement dit : un retour en arrière contreviendrait à nos engagements internationaux en matière de respect des droits de l’homme, et notamment à l’article 3 de la Convention européenne qui interdit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants. Pour apporter des gages aux syndicats de surveillants, ils ont cependant proposé, dans le cadre des discussions sur le projet de loi justice, un amendement élargissant encore les possibilités de fouilles intégrales. Objectif : permettre de fouiller à nu systématiquement toute personne entrant en détention après une période sans surveillance constante (extraction ou permission de sortir) et entériner la possibilité d’un « régime dérogatoire » de fouilles intégrales systématiques à l’encontre de détenus identifiés comme présentant un risque pour la sécurité. Tout en facilitant au passage les fouilles de cellule et par palpation. Un amendement adopté par les députés qui ont, en revanche, rejeté une autre proposition de M. Houbron visant à ce que toute décision de fouille à l’encontre d’un détenu soit communiquée à son avocat et puisse lui être motivée... Outre que ce dispositif grignote un peu plus les faibles garanties qu’offrait encore l’article 57 de la loi pénitentiaire, il fait fi d’un certain nombre de réalités. Le caractère profondément attentatoire à la dignité des fouilles intégrales, d’abord. Une enquête publiée récemment par l’OIP montre pourtant comment le fait d’être régulièrement soumis à des (1)
(2)
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Rapport de la mission d’information relative au régime des fouilles en détention, Commission des lois de l’Assemblée nationale, 8 octobre 2018.
(1)
(2) « Fouilles à nu : souvent illégales, toujours humiliantes », Dedans Dehors n° 101, octobre 2018.
inspections, nu, dans des conditions toujours humiliantes, parfois brutalisantes, est dégradant pour les personnes. Et à quel point les conséquences de ces pratiques peuvent être dramatiques pour elles, et au-delà, pour la vie en détention. Les critiques unanimes des organes internationaux des droits de l’homme, ensuite. Dans son dernier rapport sur la France, le Comité européen de prévention de la torture (CPT) dénonçait le recours « fréquent voire systématique aux fouilles intégrales dans certains établissements ». Tandis que les Nations unies demandaient aux autorités françaises d’assurer un strict contrôle des principes de nécessité et de proportionnalité des fouilles intégrales, insuffisamment respectés. Pour l’administration, ces atteintes aux droits se justifient par des raisons de sécurité. En réalité, seules 2,5 % des fouilles menées à l’issue d’un parloir aboutissent à la saisie d’un ou plusieurs objets. Et seul un tiers des objets illicites saisis en détention le sont à l’issue de fouilles. Surtout, si ces objets sont illicites, ils ne sont pas forcément dangereux : téléphones, produits stupéfiants ou nourriture constituent la grande majorité des saisies. Des produits qui servent à maintenir un lien avec l’extérieur ou à améliorer le quotidien carcéral pour les uns, ou qui relèvent d’une politique de santé publique plus que de sécurité pour les autres. Il est à cet égard regrettable – et significatif – que les auteurs du rapport parlementaire ne se soient pas posé la question de la pertinence de ces interdictions et qu’ils aient limité leur champ d’étude au moyen de les faire respecter. Enfin, s’il est régulièrement fait mention, pour justifier l’urgence de recourir aux fouilles intégrales, de l’accroissement des violences à l’encontre des surveillants, les chiffres, vus dans le détail, disent autre chose. Au regard de l’augmentation de la population carcérale, les agressions de surveillants sont stables. La proportion des agressions violentes a même diminué. Si la violence carcérale est une réalité incontestable, il est aussi établi que le renforcement ces dernières années des dispositifs coercitifs, sécuritaires et déshumanisants en est l’un des principaux facteurs. n
INTRAMUROS
FRANCE
Le Genepi menacé : et demain, à qui le tour ?
L
e 20 septembre dernier, le ministère de la Justice a annoncé
respect de principes fondamentaux : ne pas se substituer au ser-
qu’il mettait fin à la convention qui le liait avec le Genepi et
vice public et en particulier à l’Éducation nationale en charge de
qu’il supprimait la subvention qui lui était octroyée pour mener
l’enseignement en détention ; s’assurer que la liberté de parole
à bien ses activités. Il est reproché à l’association d’avoir diminué
des personnes détenues n’est pas entravée par la présence de
la part de ses interventions en détention et, surtout, d’avoir
personnels pénitentiaire ou de caméras de vidéosurveillance ;
adopté des positions hostiles à la politique du gouvernement.
ne pas accepter que son activité puisse être associée à des atteintes
Si depuis, une nouvelle convention, cadrant précisément la
à la dignité des prisonniers, telles que les fouilles à nu auxquels
quantité et le contenu des activités des bénévoles et non assor-
certains pouvaient être soumis à l’issue des ateliers.
tie d’une subvention, a été proposée à l’association (toujours en
Témoin privilégié de la vie en détention, le Genepi a également
négociation à l’heure où nous écrivons), la démarche du minis-
pour mission la sensibilisation et l’information sur les problé-
tère n’en est pas moins particulièrement alarmante pour ce
matiques du champ prison-justice. Un rôle de témoignage et
qu’elle révèle tant du repli sur soi du monde pénitentiaire que
d’information qui ne se fait pas à l’insu de l’administration péni-
de la mise au pas de la société civile.
tentiaire et qui fait même partie intégrante de la convention qui
Le Genepi, c’est depuis quarante-deux ans des centaines d’étu-
liait l’association à l’institution. Et qui, visiblement, ne passe
diants qui, chaque année, passent les portes des prisons pour
plus, à en croire la Garde des Sceaux(1) qui justifie sa décision par
animer des ateliers socio-culturels en détention. Un espace
le fait que l’association ne partage pas les ambitions du gouver-
unique et privilégié d’échanges et de discussion entre deux
nement et développe des thèses hostiles à sa politique. Une
mondes, une ouverture pour les uns comme pour les autres, un
position qui en dit long sur ce que l’institution attend de ses
lien indispensable entre le dedans et le dehors. Leur disparition
partenaires : soutenir sans condition ou se taire. Voilà de quoi
pèserait avant tout sur les personnes détenues. Une conséquence
inquiéter, au-delà du monde pénitentiaire, toutes celles et ceux
plus que regrettable quand une majorité d’entre elles est livrée
qui au quotidien travaillent au côté du gouvernement dans tous
au désœuvrement et contrainte de rester enfermée en cellule
les champs de son action et qui pourraient, demain, voir sanc-
22 heures sur 24.
tionner leur liberté de parole et leur rôle de contre-pouvoir pour-
C’est un fait que la part de ces interventions en détention a dimi-
tant fondamental dans un État de droit.
nué ces dernières années. Une diminution que le Genepi explique cependant par la multiplication des contraintes logistiques et sécuritaires qui freinent voire empêchent l’organisation d’ateliers. L’association a par ailleurs conditionné son intervention au
(1) Invitée du 7/9 de France Inter le 5 novembre, elle reprochait notamment au Genepi sa critique du dispositif dit « Respecto », un régime qui différencie les traitements en détention dont les effets pervers sont pointés du doigt par de nombreux travaux universitaires et observateurs.
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DOSSIER
PROCHES DE DÉTENUS Les liens à l'épreuve des murs
« Le maintien des liens familiaux, condition fondamentale de la réinsertion des personnes placées sous main de justice et de la prévention de la récidive, est une des principales missions de l’administration pénitentiaire », affirme le ministère de la Justice. Et pourtant, ce droit fondamental est quotidiennement malmené. Des deux côté des murs, les obstacles à surmonter sont nombreux. ELLE TÉMOIGNE Mère de détenue : une vie rythmée par la prison
p. 14 ENQUÊTE Des kilomètres d’usure
p. 16 DÉCRYPTAGE La solitude des femmes détenues
p. 22 ENQUÊTES À chaque parloir son règlement
p. 23 Burger dans le soutif, un acte transgressif
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Insalubrité, exiguïté, absence totale d’intimité…
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Petites et grandes entorses au droit de visite
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O
DÉCRYPTAGE Des échanges sous surveillance, des appels au prix fort
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ENQUÊTE Empêchés d’être là le jour J
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ELLE TÉMOIGNE « Elle était morte et je ne le savais pas »
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LE GRAND ENTRETIEN La parentalité emmurée
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ET AILLEURS Au Royaume-Uni, une prison œuvre pour et avec les familles
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IL TÉMOIGNE « Avec le temps, on se renferme sur l’intérieur »
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« On est en prison aussi. On ne vit plus. On s’inquiète pour eux. Le moindre plaisir, on culpabilise : la viande, elle ne passe plus parce que je sais qu’il ne peut pas en manger dedans. » « Le plus dur à vivre, ce sont les moments que je voudrais passer avec elle, alors que c’est impossible. Cette année, j’ai décidé de travailler pendant les fêtes, pour
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© Grégoire Korganow / CGLPL
Par LAURE ANELLI
L’ENQUÊTE
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