OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS / SECTION FRANÇAISE
N°106 / DÉCEMBRE 2019 / 7,50 €
Femmes détenues :
LES OUBLIÉES
SOMMAIRE Publication trimestrielle de la section française de l’Observatoire international des prisons association loi 1901, 7 bis, rue Riquet, 75019 Paris, Tél. : 01 44 52 87 90, Fax : 01 44 52 88 09 e-mail : contact@oip.org Internet : www.oip.org
DÉCRYPTAGE p. 4 Violences pénitentiaires : la France condamnée p. 6 Réinsertion : les bons conseils du Cese au Gouvernement
Directrice de la publication Delphine Boesel Rédactrice en chef Laure Anelli Rédaction Laure Anelli Charline Becker François Bès Sarah Bosquet Marie Crétenot Julien Fischmeister Cécile Marcel
DOSSIER Femmes détenues :
LES OUBLIÉES p. 8
Cheffe d'édition Pauline De Smet Transcriptions et autres contributions bénévoles Marine Aubrière, Lolita Borleteau, Maelys Cellier, Ninon Chenivesse, Léa Duduoglu, Mireille Jaegle, Georgine Kirstner, Jeanne Lancelot, Charles Leroy, Maria Lesire, Leila Lopes, Hortense Popielas, Chloé Redon, Estelle Rouvier, Claire Simon, Emilie Tran. Secrétariat de rédaction Laure Anelli Pauline De Smet Cécile Marcel Identité graphique Atelier des grands pêchers atelierdgp@wanadoo.fr Maquette Claire Béjat clairebejat.fr © Photo, remerciements à : CGLPL, Albert Facelly, Ferme Emmaüs de Tarnos, Alain Guilhot, Grégoire Korganow, Clément Muller Et à l'agence Divergence-images Impression Imprimerie ÇAVA Expressions 114 rue de Meaux, 75 019 Paris Tél. : 01 43 58 26 26 ISSN : 1276-6038 Diffusion sur abonnement au prix annuel de 30 €
ENTRETIEN
ELLE TÉMOIGNE
Les femmes épargnées par la justice ? Avec Coline Cardi
« C’était beaucoup plus strict qu’au quartier hommes »
p. 13 DÉCRYPTAGE L’enfer carcéral des « mules » guyanaises
p. 15 ENTRETIEN Des femmes et des peines Avec Natacha ChetcutiOsorovitz
p. 17
ENQUÊTES Les soins gynéco en souffrance
p. 29 Se réapproprier son corps et sa sexualité
p. 32 Précarité menstruelle en prison : à quand la gratuité?
p. 34 Babyblues carcéral
p. 37 ENQUÊTE
La difficulté de rester mère
Prisons pour femmes : la double peine
p. 41
p. 19
PMA pour toutes... sauf pour les détenues ?
p. 42 ELLE TÉMOIGNE « Rennes et Fleury,c’est le jour et la nuit »
p. 24
Photographie couverture : © Grégoire Korganow / CGLPL CPPAP : 1123H92791
p. 27
DÉCRYPTAGE
Préparer la sortie : un chemin semé d'embûches
p. 45 ILS INNOVENT
Vers davantage de mixité ?
Une ferme de réinsertion dédiée aux femmes
p. 25
P. 48
ÉDITO MERCI ! par CÉCILE MARCEL,
directrice de l’OIP-SF « L’OIP en danger ». Ainsi titrions-nous un communiqué de presse diffusé très largement début novembre pour alerter sur les menaces qui pesaient sur l’avenir de l’association après une baisse drastique de ses subventions publiques – 66 % de moins en cinq ans. « Alors que le nombre de personnes détenues a atteint en 2019 des records inégalés, l’OIP n’a jamais été aussi peu soutenu par l’État », écrivions-nous, en relevant que seul un sursaut à la fois politique et citoyen pourrait nous permettre de continuer nos actions en faveur du respect des droits en prison. Pour le sursaut politique, attendons de voir ce que l’année 2020 nous réservera. Pour l’instant, les organismes qui avaient acté leur désengagement semblent l’assumer. De son côté, le Premier ministre s’est dit « très soucieux d’accompagner la mobilisation de [n]otre association » et a « tenu à ce qu’un effort particulier puisse être fait pour contribuer plus largement aux dépenses prévues » en nous octroyant une subvention exceptionnelle de 5 000 euros. Nous saluons le geste, même s’il pèse bien peu face au montant des subventions perdues. Le sursaut citoyen en revanche a dépassé nos attentes. Les dons ont afflué. De la part de particuliers surtout, mais aussi d’associations, d’organisations professionnelles, de fondations. Nos « alliés » naturels, venus à la rescousse, mais pas seulement. Ils proviennent aussi de ceux qui sont parfois nos contradicteurs dans le débat public et sur les plateaux télé mais qui sont justement attachés à ce que la multiplicité des points de vue puisse continuer à s’exprimer. À tous, nous sommes extrêmement reconnaissants. Ils nous permettent d’envisager les prochains mois plus sereinement. La mobilisation a également gagné l’espace public : depuis quelques semaines, les messages et tribunes de soutien, articles de presse, sujets dans les plus grandes chaînes de radio et de télévision se succèdent pour porter la cause de notre association. Ce que cette mobilisation hors du commun révèle, c’est la reconnaissance de l’utilité sociale de l’OIP. Notre action est nécessaire : pour donner à voir ce qui se passe derrière les portes closes des prisons, accompagner les personnes confrontées à une incarcération, faire avancer le droit, contribuer au débat. Et cette revue tient, bien sûr, une place centrale dans l’ensemble de ces missions. Aussi essentielle soit-elle, notre cause est pourtant peu porteuse. Si nous sommes aujourd’hui confortés dans nos convictions quant à la pertinence de notre action, celle-ci reste fragile. La mobilisation de chacun et chacune – dont la vôtre, lecteurs, lectrices – est indispensable pour nous permettre, en 2020 et au-delà, de poursuivre ce combat.
DÉCRYPTAGE « Les violences commises par des personnels pénitentiaires sont toujours sanctionnées », indiquait récemment la ministre de la Justice. La Cour européenne des droits de l’homme vient de lui donner tort. Dans une affaire vieille de douze ans, elle a doublement condamné la France : pour avoir soumis le plaignant, Jamel M., à des traitements inhumains et dégradants, mais aussi pour ne pas lui avoir rendu justice.
VIOLENCES PÉNITENTIAIRES : LA FRANCE CONDAMNÉE par CÉCILE MARCEL ET PAULINE DE SMET
L
Le 6 juillet 2007, Jamel M., 26 ans, est transféré du centre pénitentiaire de Salon-de-Provence à celui de Varennes-leGrand. Quand il sort du fourgon, il est quasiment nu, menotté et entravé, son corps est marqué par de multiples hématomes et contusions, son cou porte une marque de strangulation. Il explique avoir été victime de violences avant
4 / DEDANS DEHORS N°106 / DÉCEMBRE 2019
son départ de Salon. La veille, il avait été décidé de transférer ce détenu, fragile psychologiquement, qui demandait en vain à être hospitalisé. Dans cette attente et face à sa vive agitation, il avait été placé d’abord au quartier disciplinaire (QD) – malgré un avis médical défavorable – puis à l’isolement. Là, il avait mis le feu à des papiers et des surveillants
© Albert Facelly - Divergence
DÉCRYPTAGE DES CONSTATS QUI CONVERGENT
étaient intervenus avec une lance à incendie, inondant la pièce, le détenu et son paquetage. Jamel M. avait alors été placé à nouveau au QD où il avait passé la nuit, vêtu d’un simple tee-shirt trempé. C’est lors de ce placement en cellule disciplinaire d’abord, puis à nouveau le lendemain, lorsqu’il en était extrait pour son transfert, qu’il indique avoir été frappé. Le jour même, Jamel M. porte plainte pour violences volontaires commises par personnes dépositaires de l’autorité publique, et une enquête est diligentée. Malgré un certificat médical, des blessures inexpliquées, des témoignages de surveillants, la plainte est classée sans suite par le parquet fin novembre 2007. Selon lui, « les investigations n’ont pas permis de caractériser d’infraction ». En janvier 2009, Jamel M. dépose une nouvelle plainte avec constitution de partie civile. Elle connaît le même sort : en juillet 2012, le juge d’instruction rend une ordonnance de non-lieu, confirmée en appel en novembre. Pour la Chambre, la version des surveillants de Salon-de-Provence fait foi. Le dossier est ainsi soldé, sans que la lumière n’ait été faite sur un certain nombre de points : d’où vient la marque de strangulation ? L’usage de la force à l’encontre de Monsieur M. a-t-il été « strictement nécessaire » et « proportionné », comme l’ont systématiquement avancé les surveillants ? L’usage de la lance à incendie était-il justifié ?
Sur nombre de points, les observations et recommandations du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) sur les violences en détention rejoignent celles formulées par l’Observatoire international des prisons dans son rapport publié en juin dernier*. Le CGLPL décrit notamment les facteurs qui, cumulés, renforcent les tensions et créent des situations de violence : des mauvaises conditions de détention, une gestion de la détention basée sur des règles parfois incohérentes et arbitraires, des impératifs de sécurité qui priment trop souvent sur le respect des droits, des tensions qui dégénèrent faute de procédures de désescalade de la violence, des problèmes de recrutement et de formation du personnel présent en détention, etc. Il liste également les obstacles rencontrés par les victimes : un manque d’information des personnes détenues quant à leurs droits, des difficultés à identifier les auteurs, à rassembler les preuves ; des difficultés à signaler les faits, à déposer plainte, des courriers bloqués ; des soignants qui, trop souvent, refusent d’établir un certificat médical constatant les blessures, ou d’y indiquer le nombre de jours d’ITT ; une « banalisation des violences », qui imprègne le discours du personnel pénitentiaire mais aussi celui du personnel soignant ; enfin, des enquêtes bâclées et une absence de prise en charge et de protection des victimes.
« UN GRAVE MANQUE DE RESPECT POUR LA DIGNITÉ HUMAINE » Saisie fin 2014 de cette affaire, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a conclu, dans un arrêt rendu ce 5 décembre 2019, à une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme : elle estime que Jamel M. a subi des traitements inhumains et dégradants de la part des surveillants pénitentiaires. Elle réfute le caractère nécessaire de leurs interventions et souligne qu’« un tel traitement a provoqué chez lui des sentiments d’arbitraire, d’infériorité, d’humiliation et d’angoisse » et que cela « constitue un grave manque de respect pour la dignité humaine ». Elle confirme également que « l’usage d’une lance à incendie [était] disproportionné au regard de l’ampleur limitée du sinistre ». Mais la Cour ne s’arrête pas là : elle condamne également la France pour violation de l’article 3 sous son volet procédural, considérant que Jamel M. n’a pas bénéficié d’une enquête effective. Elle note notamment que les juges français « semblent avoir appliqué des critères différents lors de l’évaluation des témoignages, celui du requérant étant considéré comme subjectif, à l’inverse de ceux des surveillants ». Et rappelle que « la crédibilité de ces derniers aurait dû être minutieusement vérifiée ». Par cet arrêt, la CEDH rappelle un principe fondamental de sa jurisprudence, à savoir qu’il incombe aux États de mener une enquête officielle et effective lorsqu’un individu affirme avoir subi aux mains de la police ou d’autres services comparables de l’État des traitements contraires à l’article 3.
* OIP, Omerta, opacité, impunité : enquête sur les violences commises par des agents pénitentiaires sur les personnes détenues, 3 juin 2019.
Cette enquête doit non seulement « pouvoir mener à l’identification des coupables » , mais aussi « permettre aux autorités de déterminer si le recours à la force était ou non justifié dans les circonstances particulières de l’espèce » . Elle doit aussi être « approfondie », c’est-à-dire que les autorités « doivent chercher à établir de bonne foi les circonstances de l’espèce, sans négliger les preuves pertinentes ou s’empresser de mettre fin à l’enquête en s’appuyant sur des constats mal fondés ou hâtifs » . Quelques jours après cette décision, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) constatait, dans un rapport sur les violences dans les lieux d’enfermement « des usages illégitimes ou disproportionnés de la force et des moyens de contrainte » en détention, et rappelait aux autorités leur obligation, à la fois « de ne pas porter atteinte à la sécurité de personnes privées de liberté », mais aussi « de les protéger contre tout risque d’atteinte. » Au même moment, quatre organisations d’avocats et seize barreaux s’associaient pour dénoncer « l’inertie de l’institution judiciaire » à laquelle ils sont confrontés dans la défense de leurs clients victimes de violences . Ils en appelaient au ministère de la Justice, à qui, rappelaient-ils, « il appartient d’œuvrer pour que l’impunité dénoncée, l’omerta révélée soient résolument combattues, il en va de la crédibilité de la Justice et du respect de l’État de droit. » Dont acte. n (1)
(2)
Arrêt Labita c/ Italie du 6 avril 2000. (1)
Arrêt Zelilof c/ Grèce du 24 mai 2007. (2)
Arrêt Iordan Petrov c/Bulgarie du 24 janvier 2012 (3)
CGLPL, « Les violences interpersonnelles dans les lieux de privation de liberté », 11 décembre 2019. (4)
Communiqué à l’initiative de l’A3D et cosigné par le Conseil national des barreaux (CNB), le Syndicat des avocats de France (SAF), la Fédération nationale des unions des jeunes avocats (FNUJA) et seize barreaux français, 11 décembre 2019. (5)
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DÉCEMBRE 2019 / DEDANS DEHORS N°106
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DOSSIER
FEMMES DÉTENUES Les oubliées
ENTRETIEN
ELLE TÉMOIGNE
Les femmes épargnées par la justice ? Avec Coline Cardi
« C’était beaucoup plus strict qu’au quartier hommes »
p. 13
p. 27
DÉCRYPTAGE
ENQUÊTES
L’enfer carcéral des « mules » guyanaises
Les soins gynéco en souffrance
p. 15
p. 29 Se réapproprier son corps et sa sexualité
ENTRETIEN
p. 32
Des femmes et des peines Avec Natacha Chetcuti-Osorovitz
Précarité menstruelle en prison : à quand la gratuité ?
p. 17
p. 34 Babyblues carcéral
ENQUÊTE
p. 37
Prisons pour femmes : la double peine
La difficulté de rester mère
p. 19
p. 41 PMA pour toutes... sauf pour les détenues ?
ELLE TÉMOIGNE
p. 42
« Rennes et Fleury,c’est le jour et la nuit »
Préparer la sortie : un chemin semé d'embûches
p. 24 DÉCRYPTAGE Vers davantage de mixité ?
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p. 45 ILS INNOVENT Une ferme de réinsertion dédiée aux femmes
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Les femmes sont marginales et marginalisées en prison. Avec un effectif de 2485 au 1er octobre 2019, elles ne représentent que 3,5 % de la population détenue. D’elles, on sait peu de choses : effet tant de leur position minoritaire que du désintérêt des pouvoirs publics pour la question, la variable de genre est très rarement appliquée aux statistiques pénitentiaires. Sollicitée dans le cadre de notre
8 / DEDANS DEHORS N°106 / DÉCEMBRE 2019
© Grégoire Korganow - CGLPL
Par LAURE ANELLI
L’ENQUÊTE
DÉCEMBRE 2018 2019 / DEDANS DEHORS N°102 N°106
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SELON L’ENQUÊTE ENVEFF, LE TAUX DE FEMMES DÉTENUES AYANT VÉCU DES VIOLENCES CONJUGALES AVOISINE LES 100 %.
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Contre 23 % chez les hommes. Contre 10 % des hommes. (2)
L’âge médian chez les hommes est de 32 ans. Alors que 43 % des hommes ont moins de trente ans, les femmes ne sont que 34 %. (3)
18,2 % chez les hommes. En détention hommes, ce sont les vols qui figurent en tête des condamnations, avec 22,2 %. 14,2 % des détenus ont été condamnés pour des violences. (4)
Michèle Perrot, “Présentation”, in Femmes et justice pénale (XIX-XXe siècle), Presses universitaires de Rennes, 2002. (5)
Les violences envers les femmes en France. Une enquête nationale, dite enquête ENVEFF, datée de 2003. (6)
Un résultat sans doute à nuancer : dans la mesure où l’enquête a été menée auprès de 6970 femmes, les femmes détenues interrogées représentent un échantillon extrêmement réduit. (7)
Myriam Joël, La sexualité en prison de femmes, Presses de Sciences po, 2017. Toutes ses citations sont extraites de cet ouvrage. (8)
Article D248 du Code de procédure pénale : “Les hommes et les femmes sont incarcérés dans des établissements distincts. Lorsque néanmoins (9)
est emprisonnée pour une longue peine ; c’est chose vraie, puisque 19,6 % des condamnées exécutent une peine de plus de dix ans, contre 16,8 % des hommes. Parmi les plus longues peines, les femmes ayant porté atteinte à leur enfant – extrêmement minoritaires, souligne Corinne Rostaing – sont sans doute celles qui le plus « cristallisent la rigueur des tribunaux » . « Les femmes qui ont tué leur mari sont aussi souvent très lourdement condamnées. Elles écopent en général de quinze à vingt ans de réclusion criminelle – contrairement aux hommes qui, lorsqu’ils tuent leur femme, sont souvent condamnés à sept ans de prison seulement. Cela s’explique par le fait que les femmes ont généralement peur de leur mari. En conséquence, elles préméditent plus souvent leur acte, et le paient au niveau pénal », analyse Corinne Rostaing. (5)
DES VIES MARQUÉES PAR LA VIOLENCE « La vie des femmes détenues a très souvent été chaotique, émaillée de ruptures, de sévices, de violences... Je ne dis pas que ce ne sont que des victimes, mais elles ont toutes été – à un moment donné de leur parcours – des victimes. Ça, je peux l’affirmer aussi clairement que ça », assène une psychologue en maison d’arrêt pour femmes. Selon l’enquête ENVEFF , le taux de femmes détenues ayant vécu des violences conjugales avoisine les 100 % (contre 9 % en population générale) . Pour la sociologue Myriam Joël, au-delà des coups et des viols, c’est bien souvent une violence multiforme que subissent ces femmes : « Insultes, brimades, humiliations, restrictions vestimentaires, séquestration, isolement, interdiction de rentrer en contact avec d’autres hommes ou encore harcèlement pour faire cesser l’activité professionnelle » ... Cette expérience de la violence dépasse le cadre conjugal. Elle est d’abord fréquemment enracinée dans l’enfance où, non circonscrite au couple parental ou aux relations entre le père ou beau-père et les enfants, elle caractérise généralement l’ensemble des relations familiales, précise Myriam Joël, rappelant que les mères sont les principales auteures de violences exercées sur les enfants. Certaines ont aussi pu connaître, en dehors du couple ou de la famille, une agression ou une situation d’exploitation sexuelle. Aussi, « quels que soient leur âge, leur culture, leur religion ou leur milieu social, les vies des femmes détenues sont presque toujours marquées par la brutalité de leur rapports sociaux de sexe », confirme Myriam Joël. Pour autant, on aurait tort de les figer dans une posture victimaire : pour la plupart, « les (6)
(7)
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© Grégoire Korganow - CGLPL
enquête, la Direction de l’administration pénitentiaire a accepté de produire des données suivant le genre des personnes détenues. Ainsi apprend-on qu’au 1er janvier 2019, près de 30 % des femmes détenues sont étrangères , et qu’au moins 13 % d’entre elles sont illettrées ou n’ont pas dépassé le niveau primaire . Avec un âge médian de 35 ans, elles sont globalement plus âgées que leurs homologues masculins , mais aussi proportionnellement plus nombreuses en détention provisoire (39 % contre 28 % chez les hommes). Contrairement à une idée reçue, les très courtes peines sont très représentées en prison pour femmes, et même davantage que chez les hommes : 12,6 % d’entre elles exécutent des peines de moins de six mois, et près de 50 % une peine de moins deux ans, contre respectivement 9,6 % et 45 % des hommes. « En fait, pour les deux tiers, les femmes sont détenues en maison d’arrêt et leur profil pénal est relativement semblable à celui des hommes. On retrouve une majorité de condamnations pour des faits de petite délinquance », commente la sociologue Corinne Rostaing, spécialiste du genre en milieu carcéral. Premier motif d’emprisonnement, les atteintes à la législation sur les stupéfiants concernent 24,6 % des condamnées , loin devant les vols (15,5 %) et les violences (11,4 %). Parmi ces détenues, nombreuses sont les « mules », ces femmes originaires de Guyane ou d’ailleurs en Amérique du sud qui, vivant dans une très grande précarité, ont été contraintes à transporter de la drogue, le plus souvent en l’échange d’une rémunération financière (lire page 15). Au-delà de cette catégorie particulière, les classes les plus défavorisées sont – de la même façon qu’en détention homme – largement surreprésentées en prison de femmes, observent les sociologues Coline Cardi (lire page 13) et Natacha Chetcuti-Osorovitz (lire page 17). « La différence majeure, s’agissant des motifs de condamnation, se trouve au niveau des viols et agressions sexuelles, qui ne concernent que peu de femmes », note Corinne Rostaing. Ou plutôt, qui concernent surtout des hommes : 46 femmes étaient incarcérées pour cette raison au 1er janvier 2019, contre 5 375 hommes (soit respectivement 3 % et 11 % des détenu.e.s). À l’inverse, les femmes condamnées pour homicide et atteinte volontaire ayant entraîné la mort – bien que, là encore, numériquement moins nombreuses que les hommes (333 femmes pour 4 656 hommes) – sont proportionnellement beaucoup plus représentées en détention : 21,5 % des condamnées, contre 9,6 % chez les hommes. On dit souvent qu’une large part
détenues ont développé au cours de leur vie une “culture de la résistance” ». En outre, les processus de domination ne sont pas univoques, souligne la sociologue : « Le statut de victime n’exclut pas le recours à la violence. » La « question du corps violenté des femmes » reste malgré tout très présente en prison, observe Corinne Rostaing. Et sert en grande partie de justification au principe de séparation des détenu.e.s en fonction du sexe . (9)
« RELÉGATION DANS LA RELÉGATION » La prison est en effet l’une « des rares institutions publiques monosexuées » de France, relève la sociologue. Généralisée en 1885, la non-mixité devait permettre d’éviter la promiscuité entre les sexes, et avec, « les viols ou les grossesses » . De nos jours, seulement deux établissements sont entièrement réservés aux femmes (le centre pénitentiaire de Rennes et la maison d’arrêt de Versailles), si bien que la plupart d’entre elles sont en réalité détenues dans des “quartiers femmes” au sein de prisons majoritairement peuplées d’hommes, où elles subissent une forme de « relégation dans la relégation » . Les contacts avec le sexe opposé étant proscrits, les femmes ne peuvent être surveillées que par d’autres femmes, et sont claquemurées dans des bâtiments séparés, souvent excentrés, qui constituent autant d’« enclaves dans la maison des hommes », pour reprendre l’expression de Myriam Joël. Avec pour principal effet – hommes et femmes ne pouvant même pas se croiser – de limiter leur accès au travail, à la forma(10)
(11)
des quartiers séparés doivent être aménagés dans le même établissement pour recevoir respectivement des hommes et des femmes, toutes dispositions doivent être prises pour qu'il ne puisse y avoir aucune communication entre les uns et les autres.” Corinne Rostaing, « La non-mixité des établissements pénitentiaires et ses effets sur les conceptions de genre : une approche sociologique », Le genre enfermé. Hommes et femmes en milieu clos (XIII-XXe siècle), 2017. (10)
Myriam Joël, op. cit. (11)
L’administration pénitentiaire a néanmoins décidé d’y “remédier” et installé des barreaux aux fenêtres d’une première trentaine de cellules. (12)
tion, aux activités sportives et socioculturelles (lire page 19), ainsi qu’au soin (lire pages 19 et 29). Une non-mixité que l’administration tend cependant à assouplir, en témoignent les trop rares expérimentations d’activités en mixité menées (lire page 25).
UN CONTRÔLE MORAL ÉTROIT Autre caractéristique de l’enfermement au féminin : des contraintes sécuritaires d’un niveau parfois moindre qu’en détention homme. Ainsi, les fenêtres des cellules de la maison d’arrêt pour femmes de Fleury-Mérogis étaientelles, jusqu’à tout récemment, dépourvues de barreaux . « Parce qu’on considère que les femmes ne sont pas dangereuses, qu’elles se rebellent moins, participent moins souvent à des émeutes et, surtout, qu’elles s’évadent moins », explique Corinne Rostaing – des représentations que l’arrivée en détention de jeunes femmes mises en cause pour des infractions à caractère terroriste, jugées dangereuses, viennent cependant bousculer. Quoiqu’il en soit, le contrôle exercé à l’égard des femmes détenues n’en est pas moins étroit. Au contraire même : « Il s’exerce autrement et sans doute de façon plus active » en prison de femmes, observe la sociologue Coline Cardi (lire page 13). « Les femmes subissent un contrôle moral plus fort que les hommes, complète Corinne Rostaing. Les petits écarts de comportement sont davantage sanctionnés que chez les hommes. Elles sont encouragées à travailler sur le vocabulaire qu’elles utilisent, leur présentation de soi. (12)
DÉCEMBRE 2019 / DEDANS DEHORS N°106
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ALORS QU’À L’EXTÉRIEUR, ELLES SE DÉFINISSENT PLUS QUE LES HOMMES PAR LEUR RÔLE DANS LES RELATIONS SOCIALES ET FAMILIALES, LA PRISON, POUR ELLES PLUS QUE POUR LES HOMMES, ANNIHILE TOUT. On stigmatise les garçonnes mais aussi celles qui affichent une féminité trop ostentatoire, trop “aguicheuse”. » Dans le très beau documentaire de Sandrine Lanno, une femme détenue témoigne : « La première fois que l’on est allées en activité mixte, le grand chef nous a parlé, à nous les femmes. Il a dit, comme un père : “Je vous demande de vous comporter…” Je suis sûre qu’il n’a rien dit aux hommes. Et nous, les femmes, on avale ça. Et on se regarde entre nous, on se surveille. On se dit “comment elle est habillée celle-là !”. Finalement, le message passe. Les femmes doivent rester discrètes, n’ont pas de besoins physiques – affectifs oui, mais physiques, non. » Cette entreprise de moralisation des femmes détenues n’est pas nouvelle. Longtemps, les prisonnières ont été gardées par des religieuses, appelées par l’État à venir pallier des difficultés de recrutement. Elles étaient ainsi présentes dans plus de trente-cinq établissements dans la seconde moitié du XXe siècle, rapporte Corinne Rostaing. « Pendant que des instituteurs laïques étaient nommés en 1840 dans les maisons centrales masculines, ce sont les religieuses qui dispensaient l’instruction, insistant sur la conversion morale plutôt que sur la formation éducative et professionnelle. » Aussi, à une époque où, plus encore qu’aujourd’hui, la femme était « le pivot de la famille et le garant de la moralité de l’homme et de l’enfant », c’est à leur rôle d’épouse et de mère que l’institution entendait les conformer. De nos jours, les religieuses ne sont plus présentes que dans quelques prisons – comme à Rennes ou Fleury-Mérogis. Mais la sacralisation de la maternité, elle, perdure. « Dans les quartiers femmes, les pratiques reproduisent les rôles traditionnels féminins par l’octroi d’une place prépondérante à la maternité et au domestique » , observe Corinne Rostaing. « Le fait de pouvoir vivre sa maternité en prison [jusqu’au dix-huit mois de l’enfant, lire page 37] est d’ailleurs une exception propre aux femmes. Un homme pourrait être veuf et père de jeunes enfants, avoir adopté seul un enfant, il ne bénéficierait pas de cette opportunité », souligne la sociologue. Aussi, les mères en prison jouissentelles d’un statut privilégié au sein de la détention, qui n’est toutefois pas sans ambiguïté : si les détenues de la nurserie bénéficient, au nom de l’intérêt de l’enfant, de conditions de détention avantageuses, elles y subissent un contrôle encore plus étroit que les détenues « ordinaires » (lire page 37). L’assignation à la maternité, omniprésente en prison, l’est aussi au-delà : au moment de décider de l’octroi d’un aménagement de peine, « on accorde plus d’importance aux éléments familiaux pour les femmes
que pour les hommes. On a souvent vis-à-vis d’elles des attentes plus traditionnelles », reconnaît un juge de l’application des peines (lire page 45). Pour les femmes elles-mêmes, leur rôle de mère revêt une importance capitale. « Les femmes incarcérées sont en général en grand déficit d’estime d’elles-mêmes, pour des raisons qui vont au-delà de leur passage à l’acte. La maternité, c’est souvent ce qu’elles ont réussi, donc elles le valorisent. C’est par ce rôle qu’elles se définissent en premier lieu », constate une psychologue intervenant en milieu pénitentiaire. Pourtant, les liens maternels – et avec, les liens conjugaux, familiaux et amicaux – sont considérablement éprouvés par l’incarcération. Parfois jusqu’à la rupture.
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RUPTURES ET ISOLEMENT
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Extrait de Cinq Femmes, de Sandrine Lanno, 2019. (13)
Corinne Rostaing,“La non-mixité des établissements pénitentiaires”, op. cit. (14)
(15)
Ibid.
Caroline Touraut, « Entre détenu figé et proches en mouvement.“L’expérience carcérale élargie” : une épreuve de mobilité », Recherches familiales, 2009/1 (n° 6). (4)
« Je n’ai ni courrier, ni téléphone, ni parloir », écrit à l’OIP une femme de 47 ans détenue à Rennes. Finalement, c’est sans doute cela qui définit le plus communément l’expérience des femmes incarcérées : l’isolement. Alors que peu de créneaux de parloir sont réservés aux femmes détenues et à leurs proches, « beaucoup restent vides », déplore le directeur de la maison d’arrêt pour femmes de Fleury-Mérogis. Un constat unanimement partagé dans les établissements pour femmes. Parce que, la répartition géographique des prisons pour peine n’étant pas homogène, les femmes sont souvent détenues à des distances qui dissuadent leurs proches de venir, ou les épuise. Parce qu’elles sont aussi plus souvent quittées que les hommes. « À la différence des épouses, qui maintiennent longuement les liens avec leur mari détenu, les hommes qui restent avec leur femme incarcérée sont très rares. Soit parce qu’ils sont eux-mêmes incarcérés, soit parce qu’ils préfèrent rompre », constate Corinne Rostaing. Pour les femmes plus encore que pour les hommes, l’étiquette apposée par le passage en prison est infâmante. « En tant que femmes, elles sont censées être les garantes de l’ordre moral, poursuit la sociologue. Les détenues subissent donc en quelque sorte une double stigmatisation : non seulement elles ont enfreint la loi, mais elles ont aussi transgressé les normes liées à leur sexe. Le sentiment de honte est plus fort chez les femmes et leurs proches leur tournent plus souvent le dos. » Il est peut-être bien là, le drame des femmes détenues : alors qu’à l’extérieur, elles se définissent plus que les hommes par leur rôle dans les relations sociales et familiales, la prison, pour elles plus que pour les hommes, annihile tout. n
Femmes détenues
Les femmes épargnées par la justice ? Les femmes sont extrêmement minoritaires en prison. Une réalité dont les causes doivent être questionnées : serait-elles davantage respectueuses de la loi ? La justice ferait-elle preuve de clémence à leur égard ? Si ces deux explications sont sans doute pour partie vraies, elles masquent des formes de contrôle social insidieuses. Entretien avec la sociologue Coline Cardi . (1)
Recueilli par LAURE ANELLI
Les femmes ne représentent que 3,5 % de la population carcérale. Est-ce simplement parce qu’elles commettent moins de délits ? Coline Cardi : La première idée est effectivement de se dire que ces statistiques reflètent une moindre délinquance des femmes. Si l’on ne peut ni la vérifier, ni s’en contenter, cette hypothèse est sans doute pour partie vraie et s’explique sociologiquement. Dès le plus jeune âge et dans tous les espaces de socialisation (dans la famille, à l’école, etc.), on va être beaucoup plus intransigeant avec les filles qu’avec les garçons, on va prévenir sans cesse un certain nombre de comportements déviants qu’elles pourraient avoir, en même temps qu’on va leur attribuer un rôle de pacification des mœurs. Prenons l’exemple des terrains de foot : dans une étude , des chercheur.e.s observent que lors des matches féminins, on enregistre très peu de fautes disciplinaires. Estce que les femmes, par nature, commettraient moins d’incidents sur les terrains de sport ? En réalité, ils montrent que les arbitres sifflent beaucoup plus souvent et surtout beaucoup plus tôt que lors des matches masculins : dès qu’une femme va avoir un comportement un peu brusque (2)
ou déplacé, ils vont siffler, si bien que la violence n’advient pas. On va observer la même chose à l’école, où les filles sont également sous-représentées d’un point de vue statistique dans toutes les commissions disciplinaires. Parce que dès qu’une fille commence à être un peu bagarreuse par exemple, il va y avoir une punition, avant que la bagarre n’ait réellement commencé. Il y a comme ça tout un tas de mesures de contrôle social qui permettent de prévenir et de sanctionner en amont les infractions potentielles des femmes, si bien qu’elles n’adviennent pas, ou moins facilement que chez les hommes.
Est-ce la seule explication ? Non. Quand on regarde les résultats des enquêtes mesurant la délinquance autodéclarée , on se rend compte que les femmes, notamment les mineures, sont quand même beaucoup plus nombreuses à déclarer des infractions que ce que l’on retrouve dans les statistiques de la délinquance enregistrée par la police. On peut donc penser que d’une certaine manière, elles échappent en partie aux institutions pénales. D’abord parce que le traitement policier est, au fond, extrêmement genré. La figure du délinquant, (3)
c’est un homme, que l’on va appréhender davantage dans l’espace public. Et de fait, les femmes n’ont pas le même accès à l’espace public et donc les arrestations sont davantage orientées vers les hommes. Sauf dans certains lieux comme les grands magasins, où la délinquance féminine va au contraire être très repérée ; si les femmes sont souvent condamnées pour vol à l’étalage, c’est aussi parce que c’est là qu’on les attend, d’une certaine manière. Ensuite, si l’on regarde dans le détail les statistiques pénales, on observe une fuite progressive du taux de femmes tout au long de la chaîne pénale : elles représentent 14 % des individus mis en cause par la police et de la gendarmerie. Elles ne sont plus que 9 % des personnes condamnées par les tribunaux. Et la chute est encore plus grande au niveau de la prison, puisque seulement 3,5 % des personnes détenues sont des femmes.
La justice ferait donc preuve de plus de mansuétude à leur égard ? Au niveau judiciaire, les femmes échappent effectivement plus souvent à l’incarcération. Parce que l’on estime – là encore selon des schèmes très genrés – que les femmes
« DERRIÈRE CE TRAITEMENT APPAREMMENT PRÉFÉRENTIEL, ON SE REND COMPTE QUE LE CONTRÔLE SOCIAL S’EXERCE AUTREMENT ET SANS DOUTE DE FAÇON PLUS ACTIVE SUR LES FEMMES, Y COMPRIS EN PRISON. » Bon de soutien au dos ►
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UNE FERME DE RÉINSERTION DÉDIÉE AUX FEMMES Une ferme biologique, dédiée à la réinsertion des femmes sortant de longues peines de prison, mais également un espace d’accès à l’art, aux sports, aux activités associatives : c’est le lieu qui est en train d’émerger à Tarnos, dans les Landes. Rencontre avec le porteur de ce projet, Gabriel Mouesca, qui a lui-même passé dix-sept ans en prison avant de notamment devenir, de 2004 à 2009, le président de l’OIP-SF.
© Ferme Emmaüs de Tarnos
Recueilli par CHARLINE BECKER
Comment est née cette idée de créer une ferme réservée aux anciennes détenues ? Gabriel Mouesca : Cette ferme s’inscrit dans la continuité des fermes de réinsertion ouvertes à Moyembrie et Lespinassière , où sont accueillis des détenus dont la fin de peine est aménagée à l’extérieur de la (1)
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prison. À cette particularité près que notre ferme n’accueillera que des femmes. Parce qu’en devenant père de deux petites filles, j’ai pris conscience de manière très concrète du statut des femmes dans la société et du sort des femmes incarcérées qui, du fait de leur minorité, ne bénéficient pas des mêmes
« avantages » que les hommes dans le système carcéral. J’ai aussi pensé ce projet comme une forme de « réparation ». Car si les femmes sont responsables de leurs actes, bien souvent, derrière, il y a des formes de violence masculine.
Femmes détenues Combien de femmes allez-vous accueillir et combien de temps vont-elles rester à la ferme ? Sept femmes vont arriver en 2020, et elles devraient être dix au total en 2021. Ce sont des femmes qui ont passé de longues années en prison et qui bénéficient d’une mesure de placement extérieur pour la fin de leur peine. Elles resteront entre six mois et deux ans à la ferme – en moins de six mois, c’est impossible de construire un accompagnement de qualité et un projet solide avec la personne. À Tarnos – à la différence des fermes de Moyembrie et de Lespinassière qui ne « recrutent » que parmi les détenus de leur région – les femmes pourront venir d’établissements pénitentiaires de toute la France. Autre spécificité de notre ferme : les femmes que nous accueillerons étant aussi souvent des mères, nous allons travailler à différents dispositifs pour que les enfants puissent venir leur rendre visite, afin de renforcer les liens. Dans quel cadre ces femmes seront-elles accueillies ? Nous avons trois hectares de terres agricoles, qui seront consacrés au maraîchage biologique, avec éventuellement quelques poules, des fruits, des petits animaux… Pour l’hébergement, nous avons récupéré une immense bâtisse de 1000m2, achetée par Emmaüs à une congrégation religieuse. Elle est en très bon état, nous avons juste quelques travaux de rafraîchissement à faire avant de pouvoir accueillir les premières femmes. En plus des chambres, nous prévoyons d’aménager des salles de réunion, de formation, un dortoir pour les visiteurs et bénévoles de passage. Comment vont se dérouler les journées des femmes accueillies ? Il y a un volet purement agricole, d’environ vingt-six heures par semaine. Il y a aussi tout un travail sur la réinsertion : ouverture des droits sociaux, démarches de santé, élaboration d’un projet professionnel, recherche d’un logement, etc. Nous allons également proposer aux femmes – et c’est une autre particularité de notre ferme – des formations qualifiantes en maraîchage biologique : les deux centres de formation agricole que nous avons démarchés semblent
disposés à travailler avec nous. Enfin, l’accès à l’art et à de multiples activités sera central. Le but est de proposer aux femmes un maximum de contacts avec l’extérieur, pour qu’elles avancent avec leurs désirs, leurs projets, et qu’elles soient actrices de leur propre vie. C’est un lieu qui va favoriser l’autonomie – point crucial pour les personnes sortant de prison. Comment passe-t-on du statut de personne détenue, livrée pieds et poings liés à la machine pénitentiaire, au statut de personne autonome, alors que la volonté, les actions ont été neutralisées par des années d’incarcération ? Cette question de l’autonomie est pour nous essentielle. C’est l’ADN de ce projet, et celui d’Emmaüs : quand on donne à quelqu’un les moyens de sa dignité, les moyens d’être créateur, d’être autonome, ça peut créer quelque chose de beau, quelque chose de géant.
Cela va demander du temps et un accompagnement solide. Combien de personnes travailleront à la ferme ? Nous avons embauché un encadrant agricole, qui est maraîcher biologique. Il a une qualité en plus : avant d’être maraîcher, il était ergothérapeute. Et j’ai trouvé la combinaison de ces deux capacités très intéressante, car nous accueillons des corps abîmés, qui ont été retenus, se sont affaissés par manque d’activité, d’énergie… Il était important que la personne qui accompagne ces femmes dans le travail de la terre soit aussi quelqu’un qui connaisse les corps, et leur permette de ne pas être encore plus brutalisés, maltraités. Nous avons également une éducatrice spécialisée et, en janvier, lorsque nous aurons notre agrément de maison d’hôte, une hôtesse de maison. Ensuite, l’enjeu sera d’être entourés d’une équipe de bénévoles qui renforceront le projet… Comment allez-vous recruter les femmes qui seront accueillies ? Le processus est le même que dans les deux autres fermes, mais à l’échelle nationale. Dans un premier temps, fin 2019, nous avons informé les établissements pénitentiaires, les SPIP et les femmes détenues de l’ouverture prochaine de la ferme, et avons indiqué aux détenues qu’elles sont en droit de demander un aménagement de peine
en placement extérieur. Elles peuvent maintenant, via leur conseiller d’insertion et de probation, nous écrire si elles sont intéressées. La seconde étape, ça sera d’aller en prison pour expliquer le principe de la ferme, le travail, la vie collective. Si la personne accroche et que nous considérons qu’elle est adaptée à ce projet de vie, elle peut demander une permission de sortir de deux jours et venir à Tarnos rencontrer l’équipe, mettre un peu la main à la terre, se rendre compte que la terre est basse aussi… Au retour de cette permission, soit elle nous dit « ce n’est pas pour moi, je ne suis pas adaptée à ça », soit elle nous dit ok et elle commence la procédure pour obtenir un aménagement de peine. Et c’est le juge de l’application des peines qui aura le dernier mot…
Un tel projet, pour fonctionner, doit s’ancrer localement, auprès des habitants et des acteurs du territoire. Jusqu’à présent, quel accueil avez-vous reçu ? Nous avons essuyé une pétition locale de soixante-et-onze personnes qui ne veulent pas voir de femmes détenues dans leur environnement immédiat, et j’ai dû batailler avec la Safer pour l’obtention des terres. Mais je rencontre aussi énormément de petits paysans et d’habitants qui me demandent comment ils peuvent s’intégrer dans une activité solidaire et responsable. Alors inventons l’avenir ! Ce que nous sommes en train de créer là, ça va rayonner localement, ça va essaimer. On va créer des liens entre projets, entre structures, des liens de fraternité avec des gens qui veulent donner leur intelligence et leur énergie à construire d’autres choses… Car notre ferme, c’est un lieu éminemment politique. Oui, on va aider des femmes à vivre debout, à retrouver pleinement leur place dans la société. Mais au-delà de ça, ce lieu, il va aussi permettre de fabriquer des outils pour faire évoluer les consciences sur les politiques pénales et carcérales… C’est un lieu qui doit aider le législateur à créer de nouvelles lois, qui s’inscriront dans des humanités plus intelligentes. n (2)
(1)
Fermes de réinsertion ouvertes en 1996 dans l’Aisne et en 2018 dans l’Aude. Ces trois fermes sont soutenues par Emmaüs-France. (2)
Société d’aménagement foncier et d’établissement rural.
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QU’EST-CE QUE L’OIP ? La section française de l’Observatoire international des prisons (OIP), créée en janvier 1996, agit pour le respect des droits de l’Homme en milieu carcéral et un moindre recours à l’emprisonnement.
COMMENT AGIT L’OIP ? L’OIP dresse et fait connaître l’état des conditions de détention des personnes incarcérées, alerte l’opinion, les pouvoirs publics, les organismes et les organisations concernées sur l’ensemble des manquements observés ; informe les personnes détenues de leurs droits et soutient leurs démarches pour les faire valoir ; favorise l’adoption de lois, règlements et autres mesures propres à garantir la défense de la personne et le respect des droits des détenus ; défend une limitation du recours à l’incarcération, la réduction de l’échelle des peines, le développement d’alternatives aux poursuites pénales et de substituts aux sanctions privatives de liberté.
OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS SECTION FRANÇAISE
ADRESSES Pour tout renseignement sur les activités de l’OIP – Section française ou pour témoigner et alerter sur les conditions de détention en France :
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Le standard est ouvert de 14 h à 17 h
L’OIP EN RÉGION Les coordinations inter-régionales mènent leur action d’observation et d’alerte au sujet de tous les établissements pénitentiaires des régions concernées en lien avec les groupes et correspondants locaux présents. POUR CONTACTER LES COORDINATIONS INTER-RÉGIONALES :
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REVUE DEDANS-DEHORS
n° 105 Enfermement des mineurs : l'impasse n° 104 Prison : La clé est ailleurs n° 103 Violences des surveillants : brisons le silence n° 102 Proches de détenus : les liens à l’épreuve des murs n° 101 Morts en prison : silences et défaillances n° 100 La prison par les prisonniers n° 99 Malades psychiques en prison : une folie n° 98 Travail en prison : une mécanique archaïque n° 97 Engrenage carcéral : la part des juges n° 96 Drogues et prison : décrocher du déni
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IONAL DE OBSERVATOIRE INTERNAT
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