DEDANS DEHORS N°107 La prison à l'épreuve du coronavirus

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OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS / SECTION FRANÇAISE

N°107 / MARS-JUIN 2020 / 7,50 €

La prison à l’épreuve

DU CORONAVIRUS


SOMMAIRE Publication trimestrielle de la section française de l’Observatoire international des prisons association loi 1901, 7 bis, rue Riquet, 75019 Paris, Tél. : 01 44 52 87 90, Fax : 01 44 52 88 09 e-mail : contact@oip.org Internet : www.oip.org

Directrice de la publication Delphine Boesel Rédaction en chef Laure Anelli Rédaction Laure Anelli Charline Becker François Bès Sarah Bosquet Nicolas Ferran Cécile Marcel Cheffe d'édition Pauline De Smet Transcriptions et autres contributions bénévoles Sacha Bésuchet, Lolita Borleteau, Farida Chadri, Hélène Chauveau, Léa Duduoglu, Margaux Durand, Vincent Hercy, Tiphaine Manson, Lisa Pellerin, Jean-Baptiste Polito, Mélissa Valente, Thomas Vatel Secrétariat de rédaction Laure Anelli Pauline De Smet Cécile Marcel Identité graphique Atelier des grands pêchers atelierdgp@wanadoo.fr Maquette Claire Béjat clairebejat.fr © Photo, remerciements à : CGLPL, Bernard Bolze, Albert Facelly, Grégoire Korganow, Thierry Pasquet. Et aux agences Divergence-images et Signatures Impression Imprimerie Est Imprim ZA à La Craye, 25 110 Autechaux ISSN : 1276-6038 Diffusion sur abonnement au prix annuel de 30 € Photographie couverture : © Grégoire Korganow / CGLPL CPPAP : 1123H92791

DÉCRYPTAGES

  p. 4 Deux mois de crise, et maintenant ?   p. 11 Mesures de libérations : entre frilosité

et incohérence

  p. 23 Les angles morts de la politique de prévention en prison

  p. 29 Face aux mouvements collectifs, le choix de la répression

  p. 47 Faire face à l'épidémie : le protocole sanitaire

INFOGRAPHIE

  p. 8 La crise du Covid-19 en prison au jour le jour

ENTRETIEN

  p. 14 Avec Christian Saint-Palais, président

de l'Association des avocats pénalistes

DEVANT LE JUGE

   p. 27 Le conseil d'État s'efface devant l'Administration

IL TÉMOIGNE

   p.52 « J’ai attrapé le coronavirus en prison »


ÉDITO ENQUÊTES

  p. 18 Une politique de libérations à plusieurs vitesses   p. 42 Les liens avec l'extérieur malmenés par le confiement

  p. 53 La continuité des soins à l'épreuve de la crise   p. 56 La défense confinée à l'extérieur des prisons   p. 60 Reprise des parloirs entre incertitude et frustration

  p. 64 Déconfinement : le casse-tête des quatorzaines

INTRAMUROS

  p. 34 Journal d’appels au temps du coronavirus   p. 46 Le Havre : Silence autour d’une suspicion de

Covid-19   p. 59 Production de masques : les détenus mobilisés à bas coût

LETTRES OUVERTES

  p. 10 « Monsieur le Président, l’occasion est trop belle :

ne la manquez pas »

  p. 16 Longues peines : les oublié·e·s   p. 32 « Nous, détenus, bloquons les prisons de France »

À SITUATION EXCEPTIONNELLE, NUMÉRO EXCEPTIONNEL par LAURE ANELLI,

rédactrice en chef Chers lectrices et lecteurs, Ce n’est pas le numéro 107 que vous devriez tenir entre vos mains, mais le 108. En avril, vous auriez en effet dû recevoir un Dedans Dehors dédié à un tout autre sujet. Mais le moment que nous venons de traverser – et qui n’a probablement pas dit son dernier mot – en a décidé autrement. Il n’est pas dans notre ligne éditoriale de réagir dans l’urgence à l’actualité ; le choix de consacrer un numéro exceptionnel à la crise du Covid-19 en prison s’est en réalité imposé à nous. En ce début du mois de mars, comme beaucoup d’entre vous sans doute, nous accueillions les nouvelles venues du monde entier dans une sorte de sidération. Les hôpitaux dépassés ; le confinement généralisé ; les émeutes dans des prisons italiennes surpeuplées. Et ces morts à n’en plus finir... Très vite, les premiers appels de personnes détenues et de proches inquiets commencent à affluer au standard de l’OIP : « Est-ce que, nous aussi, on va être confinés, et les parloirs annulés ? » Le 17 mars, la nouvelle du confinement tombe, les premiers mouvements de prisonniers éclatent, souvent guidés par la peur. L’équation paraît aussi implacable qu’effrayante. Surpeuplement et promiscuité, système de soins inadapté et sous-dimensionné : si rien n’est fait, c’est l’hécatombe assurée. Finie la sidération : il faut agir, vite. Écouter, rassurer, informer et conseiller les dizaines et les dizaines de personnes qui, chaque jour, nous appellent – décision est prise d’élargir les horaires d’ouverture du standard. Alerter les autorités, l’opinion publique – l’OIP prend la parole dans les médias, s’associe à d’autres dans des tribunes. Contraindre l’État à agir, à prendre les mesures qui s’imposent pour protéger les personnes détenues – aux côtés d’avocats, l’OIP prend part au combat devant les tribunaux administratifs, face au Conseil d’État. Et enfin, rendre compte de tout cela, garder une trace. Faire savoir ce que vivent les confinés parmi les confinés ; enquêter sur les situations dont nous sommes alertés ; décrypter des politiques qui évoluent au jour le jour ; tenter de dresser un premier bilan de cette période et en tirer les enseignements qui s’imposent : c’est tout l’objet de la revue que vous tenez entre les mains.


DÉCRYPTAGE La crise sanitaire est venue pointer les défaillances d’un système carcéral à bout de souffle. Mais si cette période a fait subir aux personnes détenues confinées des conditions particulièrement difficiles, elle a aussi contraint les prisons à s’adapter et se transformer, montrant la voie de ce que pourraient être les changements de demain. Par LAURE ANELLI

DEUX MOIS DE CRISE, ET MAINTENANT ?

D

par CÉCILE MARCEL

Dans les prisons comme à l’extérieur, le déclenchement de la crise sanitaire a pris de court les autorités. Mais, en ce début mars, une chose est sûre : l’état des prisons françaises ne leur permet pas d’y faire face. Alors que la France vient d’être condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour ses conditions de détention inhumaines et la surpopulation chronique de ses établissements pénitentiaires, le pays connaît un nouveau record d’incarcérations, avec 72 650 personnes détenues. Comment respecter les règles de distanciation physique quand, dans les maisons d’arrêt qui connaissent un taux d’occupation moyen de 140 %, les détenus sont enfermés à trois voire quatre dans une cellule de neuf mètres carrés ? Comment

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se protéger, nettoyer, désinfecter, ventiler quand une bonne partie des infrastructures est vétuste et insalubre ? Comment prendre en charge les malades quand les unités sanitaires souffrent d’un manque chronique de moyens et d’effectifs ? En réalité, chaque prison constitue un foyer épidémiologique – ou “cluster” – en puissance. Depuis des années, on a laissé se détériorer la situation des prisons et la crise vient jeter une lumière crue sur un système déjà malade.

DES MESURES DE LIBÉRATION TARDIVES Il y a donc urgence à agir. Mais les premières annonces du gouvernement sont loin d’être à la hauteur de la situa-


Crise sanitaire

tion et se concentrent sur la réduction des mouvements en détention et des échanges avec l’extérieur. Le ministère de la Justice décide, le 17 mars, de suspendre les parloirs, ainsi que l’ensemble des activités (travail, formation, activités socioculturelles et d’enseignement). Un concert de voix se fait alors entendre pour lui demander d’envisager une autre option, la seule qui conviendrait : diminuer la pression carcérale. La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) met en garde dans un communiqué : l’administration « manquera[it] à son obligation de protéger les personnes qu’elle a placées sous sa garde si elle ne pren[nait] pas d’urgence les mesures nécessaires » . Elle recommande de réduire la population pénale « en proposant, adoptant ou suscitant toute mesure utile pour favoriser les sorties de prison et limiter les entrées ». Dans son sillage, associations et organisations professionnelles exhortent les autorités à « permettre à un maximum de personnes de sortir immédiatement de ce vase clos » , tandis que plus de mille avocats, magistrats, soignants, appellent à réduire en urgence et significativement le nombre de personnes incarcérées et à évacuer sanitairement les plus vulnérables. « Pas demain. Pas la semaine prochaine. Aujourd’hui », soulignent les signataires de cette tribune publiée dans Le Monde . Les détenus aussi, poussés par l’inquiétude, se mobilisent. Dans un texte qui circule dans divers établissements pénitentiaires, ils écrivent : « Nous, détenus, accusons le système judiciaire et carcéral de nous mettre en danger de mort et demandons immédiatement le désengorgement de toutes les prisons » (lire page 32). Il faudra encore les recommandations d’instances internationales appelant à recourir à des mesures de substitution à la privation de liberté pour que le ministère de la Justice infléchisse sa position. Alors que la garde des Sceaux avait d’abord indiqué qu’elle n’était « pas du tout dans [l’]optique » de libérer les détenus les moins dangereux , le gouvernement annonce finalement le 23 mars qu’il va autoriser la libération de 5 000 prisonniers en fin de peine. Le 25 mars, une ordonnance prise dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire fixe donc les conditions de remise en liberté de certains détenus. Une démarche bienvenue, mais tardive et surtout jugée insuffisante tant par les observateurs que par un certain nombre de magistrats qui, par endroits, décident de s’en affranchir (lire page 18). Par ailleurs, l’ordonnance prévoit une mesure profondément liberticide et qui entre en contradiction avec l’objectif de décroissance carcérale : la prolongation automatique et sans débat des détentions provisoires (lire page 14). Une disposition qui sera finalement censurée par la Cour de cassation (lire pages 11 et 27). (1)

© Grégoire Korganow - CGLPL

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PENDANT CE TEMPS, EN PRISON Alors que, dans les juridictions, juges de l’application des peines, procureurs, responsables pénitentiaires et soignants travaillent main dans la main pour faire sortir un maxi-

Communiqué du CGLPL, 17 mars 2020.

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(2) Communiqué commun de l’Association des avocats pour la défense des droits des détenus (A3D), l’Association nationale des juges de l’application des peines (ANJAP), l’Observatoire international des prisons-section française (OIP-SF), le Syndicat des avocats de France (SAF) et le Syndicat de la magistrature (SM), 18 mars 2020. (3) Coronavirus : « Réduisons le nombre de personnes incarcérées pour de courtes peines ou en fin de peine », Le Monde, 19 mars 2020.

Conseil de l’Europe, Déclaration de principes relative au traitement des personnes privées de liberté dans le contexte de la pandémie de coronavirus (COVID-19), 20 mars 2020. (4)

(5) « Coronavirus : “Nous allons distribuer 100 000 masques en prison”, annonce Nicole Belloubet », 20 minutes, 17 mars 2020.

« Gel hydroalcoolique : Pour qui la menace dans les prisons françaises ? », L’Humanité, 6 avril 2020.

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mum de personnes de prison, l’administration tente, tant bien que mal, de limiter la propagation du virus en détention : mise en quatorzaine des arrivants, détection des personnes infectées, mise à l’isolement des cas symptomatiques, limitation au maximum des contacts au sein de la détention. Sur les mesures de prévention, elle avance au gré des tâtonnements et des errements de la politique gouvernementale. Faisant siennes ses incohérences, notamment sur la question des masques, d’abord interdits en détention et dont l’accès restait, début juin, encore très limité pour les personnes détenues (lire encadré page 26). Les logiques sécuritaires – parfois absurdes – s’opposent aux impératifs de prévention sanitaire, au risque de mettre en danger les personnes détenues. Ainsi, le gel hydroalcoolique est-il interdit en détention, parce que l’alcool y est interdit. « Alors que la promiscuité est la règle, que l’accès aux points d’eau notamment dans les cours de promenade est très limité, on prive pour ce motif les personnes détenues d’un produit efficace et pratique pour l’application des gestes-barrières », s’indignent dans une tribune divers acteurs de la prévention des risques et l’OIP . Car que ce soit lors des promenades, des douches collectives ou encore pour avoir accès aux cabines téléphoniques, les interactions sont nombreuses et les gestes barrières parfois impossibles. En prison, des détenus s’inquiètent. « Le confinement n’est pas du tout respecté ici », explique l’un d’eux dans un appel passé à l’OIP le 25 mars. « Les douches sont communes et il n’y a aucune désinfection. Ils envoient trois ou quatre personnes à la fois. L’hygiène, ça me fout une trouille phénoménale pendant le coronavirus. Il n’y a même pas de film plastique sur la viande, les plats sont encore servis dans des gamelles ouvertes en inox. Et la gamelle, elle passe de main en main, on ne sait pas qui l’a touchée. Moi ça fait trois jours que je n’ai pas mangé. » Un autre panique : « J’ai la peur au ventre de mourir ici. » À l’inquiétude s’ajoute l’isolement, renforcé par la suspension des parloirs. Certes, le ministère de la Justice a prévu un crédit téléphonique supplémentaire de 40 euros par mois pour maintenir les liens, mais pour certains, ce crédit est vite consommé. Et, dans les nombreux établissements qui ne sont pas dotés de téléphone en cellule, un autre problème se pose. « Il y a une seule cabine téléphonique qui fonctionne, elle se trouve en promenade. Et il n’y a pas de mesure d’hygiène, le combiné n’est pas désinfecté après chaque appel, le virus va très vite circuler, ça va être une catastrophe », explique ainsi une personne incarcérée à Avignon. Par crainte d’être contaminés, des détenus renoncent à tout lien avec leurs proches (lire page 42). Avec la suppression des activités, le confinement en cellule, certains craquent. Au standard de l’OIP, une femme s’effondre : « Je n’en peux plus, je suis à bout. Ici, il n’y a plus rien, plus d’activités, on ne voit plus le CPIP [conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation], je ne peux plus parler à personne ». Difficile pour les personnes incar(6)

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cérées, la situation l’est aussi pour leurs proches, confinés au dehors. « Cela fait quatre semaines que je n’ai pas vu mon conjoint – et pour ceux qui ont des enfants c’est encore plus difficile – et cela va encore durer un mois : c’est très dur », confie la compagne d’un détenu mi-avril. Elle fait part aussi de ses difficultés matérielles : « Je viens d’être mise au chômage partiel, je me demande si je pourrai continuer à lui envoyer l’argent que je lui envoie tous les mois. » Ici comme à l’extérieur, les effets de la crise risquent de se faire sentir encore longtemps.

n’ont, eux non plus, pas manqué d’imagination pour maintenir un lien avec les personnes détenues et rompre leur isolement. Mise en place de numéros verts par les aumôneries et d’une ligne dédiée par le Défenseur des droits, ouvertures de permanences téléphoniques par les associations d’accès au droit, instauration de relations épistolaires (lire page 45)... Une dynamique souvent encouragée par les directions d’établissement, même si certaines associations regrettent la frilosité de l’administration centrale pour aller plus loin dans l’innovation. L’importance et le foisonnement de ces initiatives sont pourtant le gage de la vitalité d’une société civile sur laquelle il faudra compter, demain, pour renforcer les liens entre le dedans et le dehors. Une de ces initiatives a été particulièrement remarquée : le partenariat de l’association Lire pour en sortir avec La Chaîne parlementaire pour créer l’émission « Décon-fi-nés ». Née du constat que « personne ne parle des prisonniers » mais que « personne ne leur parle non plus » , elle a, le temps du confinement, proposé un programme à l’attention des prisonniers : les familles étaient par exemple invitées à transmettre leurs messages à l’adresse de leur parent détenu, diffusés ensuite à l’antenne. Mais elle a aussi et surtout permis d’ouvrir, à l’attention du grand public, une fenêtre sur la prison, dans un moment où « on touche du doigt ce que c’est de ne pas pouvoir aller dehors, de ne pas être libre de nos mouvements », expliquait sa présentatrice, Maïtena Biraben, dans une interview . Avant de conclure : « J’espère qu’on va se rendre compte qu’il y a là un vrai sujet. ». Aurait-elle été entendue ? Paradoxalement, si à l’intérieur des prisons, les détenus ont eu l’impression d’être particulièrement abandonnés alors qu’ils subissaient « un confinement dans le confinement », leur situation a, pendant cette période, fait l’objet d’une forte médiatisation.

UNE FOIS LE PIRE ÉVITÉ, GARDER LE MEILLEUR Sans doute faudra-t-il du temps, pour les prisons comme pour le reste, pour tirer les enseignements de la gestion de cette crise. Il faut cependant le reconnaître, et le saluer : le pire a été évité. Si les prisons ont été plus touchées qu’à l’extérieur, le virus ne s’est pas propagé en détention comme une traînée de poudre, ainsi qu’on aurait pu le craindre – même si deux personnes sont décédées après avoir contracté la maladie, un détenu et un surveillant. Certains y verront les fruits de la politique de l’administration pénitentiaire, d’autres une bonne dose de chance étant donné ses failles (lire page 23). Mais d’ores et déjà, il est important de souligner ce que cette crise aura permis comme avancées et fait naître comme espoir. Car dans l’urgence, chacun a été amené à inventer des solutions pour éviter que la situation ne se détériore encore davantage. Ainsi, alors que les mouvements de détenus se multipliaient un peu partout sur le territoire, des directions d’établissements ont fait preuve d’initiative et d’ingéniosité pour faire baisser les tensions et éviter l’explosion. Elles ont notamment eu recours à l’article 29 de la loi pénitentiaire qui prévoit que « les personnes détenues [doivent être] consultées par l’administration pénitentiaire sur les activités qui leur sont proposées » pour mettre en place des espaces de discussion avec les détenus sur les dispositifs prévus pour faire face au Covid-19 (lire page 29). Alors que toute forme d’expression collective est encore interdite en prison, voyons-y un premier pas vers l’instauration d’espaces de dialogue et de concertation avec les détenus, et vers l’application du principe de « sécurité dynamique » préconisé par le Conseil de l’Europe qui recommande de rétablir l’ordre par le dialogue et la négociation plutôt que par le recours à la force. Aussi, pour permettre le maintien des liens avec l’extérieur mis à mal par la suspension des parloirs, un dispositif permettant aux familles de laisser un message à l’attention de leur proche détenu a été mis en place et mériterait d’être pérennisé. D’autres pays sont allés plus loin encore, autorisant par exemple les échanges par visio-conférence. C’est dans cette direction qu’il faut désormais regarder, en permettant notamment l’usage d’Internet en détention. Les associations et organismes qui interviennent en prison

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NE PAS RENOUER AVEC L’INFLATION CARCÉRALE

(7) « Maïtena Biraben : “Ce qui nous horrifie dans les Ehpad devrait nous horrifier dans les prisons” », TéléObs, 24 avril 2020. (8) « “Déconfinés”, l'émission qui veut faire entrer la culture en prison », Europe 1, 10 avril 2020.

Mais la principale transformation est celle à laquelle on s’attendait le moins. Sous l’effet conjugué de la politique de libération anticipée de personnes en fin de peine, de la baisse de l’activité des tribunaux et de la diminution de la délinquance pendant le confinement, les prisons hébergeaient, le 24 mai, 13 649 détenus de moins qu’au début de la crise. Certes, ce chiffre cache des disparités importantes et certaines maisons d’arrêt restaient dangereusement surpeuplées. Néanmoins, alors que la France a connu ces vingt dernières années une inflation carcérale continue, cette situation inédite démontre qu’une autre voie est possible. Pour le meilleur. Les syndicats pénitentiaires se félicitent de l’amélioration des conditions de travail des surveillants et de la baisse des tensions en détention. Les libérations en masse n’ont pas mis le pays à feu et à sang. Et du côté des parquets, l’expérience des derniers mois interroge les pratiques. « Est-ce que la peine d’emprisonnement doit rester


Crise sanitaire

centrale dans nos réquisitions ? », demande ainsi un procureur. Qui poursuit : « Ce qui m’a fait réfléchir c’est que, pendant cette période, on a dit : tiens, celui-ci on va le libérer, celui-là, non. D’un trait de plume on a tout changé. Si on ne saisit pas ça, c’est à désespérer ! » Dès le 20 avril, le Syndicat national des directeurs pénitentiaires prévenait : « L’épidémie qui nous touche durement a balayé tous les impossibles et toutes les frilosités : il ne sera plus jamais possible de prétendre que l'encellulement individuel constitue un objectif inatteignable. » Le 3 juin, plus de mille personnes, personnalités politiques, artistes, directeurs de prison, agents pénitentiaires, professionnels de la justice, universitaires, responsables d’associations et de syndicats adressaient une lettre ouverte à Emmanuel Macron. Réunis pour la première fois, ils faisaient part du « fol espoir » que cette situation faisait naître (lire page 10). Et demandaient qu’ « à la gestion de l’urgence succède une véritable politique de déflation carcérale à même de garantir l’encellulement individuel et des conditions de détentions dignes ». Alors que pour la garde des Sceaux, l’encellulement individuel est un objectif « à tempérer » – un comble s’agissant d’un droit prévu depuis 1875, entériné depuis la loi pénitentiaire de 2009, et sans cesse bafoué – le ministère de la Justice compte aujourd’hui sur les effets de la réforme de la justice, entrée en vigueur le 24 mars, pour éviter que le nombre de détenus ne reparte en flèche. Une position (9)

(10)

(11)

« Au tribunal de Rennes, reprise de justice », Le Monde, 22 mai 2020.

(9)

SNDP, Lettre ouverte au président de la République, 20 avril 2020.(4) Conseil de l’Europe, Déclaration de principes relative au traitement des personnes privées de liberté dans le contexte de la pandémie de coronavirus (COVID-19), 20 mars 2020. (10)

Nicole Belloubet : « Le taux d’occupation moyen des prisons est inférieur à 100 % », Le Monde, 29 avril 2020. (11)

(12) Syndicat de la magistrature, « Numerus clausus, oui c’est possible, et c’est le moment », Lettre ouverte à la ministre, 30 avril 2020. (13) Saisine adressée par la CGLPL à la ministre de la Justice, 5 mai 2020.

qui ne convainc pas les acteurs et observateurs du monde carcéral, qui ne manquent pas d’idées et de propositions. Certains suggèrent une loi d’amnistie sur les courtes peines, afin d’épurer le stock des condamnations non encore exécutées. Plusieurs organisations professionnelles demandent un numerus clausus avec la mise en place « d’un mécanisme de sortie lorsque le nombre de détenus dépasse le nombre de places ouvertes » . De son côté, le CGLPL appelle à l’instauration, dans la loi, d’un système de régulation carcérale : « Il s’agit d’instituer dans chaque juridiction un examen périodique et fréquent des situations de la population pénale afin de gérer les incarcérations et les aménagements de peine de manière individualisée, mais en veillant à ce que le taux d’occupation d’un établissement ne dépasse jamais 100 %. » C’est l’ensemble de ces pistes qu’il revient désormais aux pouvoirs exécutifs et législatifs d’examiner, sans quoi ils se rendraient coupables de n’avoir pas su saisir une opportunité historique. Mais elles ne suffiront pas. Pour inverser la tendance, il faudra revenir sur les politiques pénales qui ont entraîné l’explosion de la population carcérale ces vingt dernières années, et repenser les priorités budgétaires. Alors que le pays s’apprête à entrer dans une phase de récession économique qu’on annonce sans précédent, le moment est venu de renoncer aux projets pharaoniques de construction de nouvelles prisons et d’investir massivement dans les alternatives à l’emprisonnement. n (12)

(13)

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17 mars ·

Annonce de la suspension des parloirs familiaux et des UVF à compter du 18 mars. Des mouvements de détenus ont lieu dans 7 établissements (Grasse, Douai, Valenciennes, Maubeuge, Paris, Angers, Perpignan). Dans un communiqué, le CGLPL recommande de réduire la population pénale pour limiter la propagation du virus en détention.

19 mars · Des

mouvements de détenus ont lieu dans 4 établissements (Saint-Etienne, Nantes, Nanterre, Argentan). Dans une tribune, plus de 1000 personnes (soignants, universitaires, magistrats, avocats, etc.) appellent le gouvernement à agir en urgence pour diminuer le nombre de personnes détenues.

23 mars · Un

21 mars · Des

mouvements de détenus ont lieu dans 7 établissements (Varennesle-Grand, Lille-Sequedin, Draguignan, Aix, Roanne, Béziers, Marseille).

crédit téléphonique est acordé à chaque détenu, une messagerie téléphonique est mise en place, la télévision est gratuite, l’aide aux indigents est augmentée. Un mouvement de détenus a lieu à Montmédy.

mars 18 mars · Suspen-

sion des parloirs familiaux et des UVF, des activités, des ateliers, des enseignements. Des mouvements de détenus ont lieu dans 8 établissements (Lyon, Grenoble, SaintQuentin-Fallavier, Villefranche-sur-Saône, Reims, Réau, Aiton, Bois d’Arcy). Dans un communiqué commun, l’OIP, le SM, le SAF, l’ANJAP et l’A3D recommandent de réduire la population pénale pour limiter la propagation du virus en détention.

20 mars · Un

mouvement de détenus a lieu au Mans. Dans une tribune, la CGLPL, le Défenseur des droits et la CNCDH appellent l’État à respecter en urgence l’encellulement individuel. Déclaration du Comité anti-torture du Conseil de l’Europe  appelant les autorités à réduire la population carcérale.

8 / DEDANS DEHORS N°107 / MARS-JUIN 2020

22 mars · Des

mouvements de détenus ont lieu dans 10 établissements (RennesVezin, St-Malo, Moulins, Limoges, Carcassonne, Meaux, Longuenesse, Nice, Fleury-Mérogis). Publication de la tribune « Nous, détenus, bloquons les prisons de France » signée par des détenu·e·s anonymes.

24 mars · Un

mouvement de détenus a lieu à Tarascon.

25 mars · Dans

un communiqué, la Haute-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme exhorte les gouvernements à réduire le nombre de personnes en détention ». Publication d’une ordonnance de politique pénale, qui facilite la libération des détenus en fin de peine (pour les courtes peines) et rend automatique la prolongation de la détention provisoire.


Crise sanitaire

3 avril · Le

Conseil d’État valide la prorogation de plein droit et sans débat des détentions provisoires.

4 avril · Le

26 mars · Les

premiers ateliers de couture rouvrent en prison pour fabriquer des masques.

28 mars · Les pre-

miers masques sont livrés en prison à l’attention des surveillants.

LA CRISE DU COVID-19 EN PRISON JOUR APRÈS JOUR

tribunal administratif de Ducos (Martinique) enjoint à l’administration de fournir des masques aux détenus dès lors qu’ils sont en contact avec d’autres personnes.

5 mai · La CGLPL saisit la ministre de la Justice pour lui demander que la situation inédite soit mise à profit pour résorber définitivement la surpopulation carcérale.

progressive des activités et des enseignements, les enfants sont autorisés à visiter leur parent détenu mais de manière très limitée et encadrée.

avril

mai

juin

8 avril · Le

Conseil d’État rejette la requête en référé de l’OIP, l’A3D, le SAF et le SM pour que soient prises en urgence des mesures afin de réduire les risques d’exposition des personnes détenues (distribution de masques, de gel hydroalcoolique, encellulement individuel, etc.).

20 avril · Le

Syndicat national des directeurs de prison adresse une lettre ouverte au Président de la République pour que le principe de l’encellulement individuel soit enfin respecté.

7 mai · Le Conseil d’État confirme la décision du TA de Ducos, mais limite l’octroi de masques aux détenus étant en contact avec des personnes extérieures.

2 juin · Reprise

3 juin · 1000

personnalités adressent une lettre ouverte au président de la République « pour en finir avec la surpopulation carcérale ».

11 mai · Reprise

progressive des parloirs dans des conditions très strictes : un seul visiteur par détenu, enfants non autorisés, aucun contact physique toléré, etc.

26 mai · Le

TA de Caen ordonne la suppression des panneaux de contreplaqué et de plexiglas aux parloirs famille. MARS-JUIN 2020 / DEDANS DEHORS N°107

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ENQUÊTE Dès le début de la crise, la résorption de la surpopulation carcérale aurait dû être érigée en priorité absolue par les autorités. Mais les directives gouvernementales ont tardé à arriver. Surtout, elles se sont révélées bien insuffisantes. Finalement, c’est essentiellement de la volonté et des efforts des magistrats – variables d’une juridiction à l’autre – qu’a dépendu la baisse de la surpopulation carcérale. Mais si certaines prisons ont vu leur taux de détention baisser drastiquement, d’autres sont restées dangereusement surpeuplées...

UNE POLITIQUE DE LIBÉRATIONS À PLUSIEURS VITESSES

L

par CHARLINE BECKER

« Le Covid-19 a fait son apparition à Brest. Heureusement, les JAP sont réactifs face à cette crise sanitaire et semblent examiner systématiquement la situation des détenus en fin de peine », témoignait un avocat le 30 mars 2020. Dès le début de l’épidémie, un certain consensus autour de la nécessité de réduire en urgence la surpopulation carcérale semble émerger au sein du monde judiciaire. Consensus ?

18 / DEDANS DEHORS N°107 / MARS-JUIN 2020

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20 Minutes, 17 mars 2020.

Pas tout à fait. « Nous ne sommes pas du tout dans cette optique-là », indique le 17 mars la garde des Sceaux à la presse . Face aux appels unanimes des organisations nationales et internationales, et face également à certains magistrats qui avaient déjà pris les devants, la Chancellerie a cependant dû faire marche arrière. Le gouvernement a ainsi promulgué le 25 mars une ordonnance portant notam(1)


Crise sanitaire

ment sur la libération de certaines personnes en fin de peine. Depuis le début de la crise, 1 700 détenus ont bénéficié d’une assignation à domicile et 3 800 de réductions de peine exceptionnelles . Couplé à une baisse des incarcérations, les prisons françaises hébergent aujourd’hui près de 13 600 détenus de moins. Une décroissance historique, qui ne s’est pas effectuée sans heurts ni disparités.

trop tardivement », estime un magistrat, pour qui une bonne partie des mesures avaient été prises localement avant. Plus que le délai avec lequel elle a été promulguée, c’est surtout le contenu qui a fait grincer des dents certains juges de l’application des peines – le reliquat de deux mois leur semblant totalement insuffisant. Pour ces juges, comme pour la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, il aurait fallu aller plus loin : en passant de deux à six mois le reliquat de peine permettant l’examen d’une demande de remise en liberté, mais surtout en prenant des mesures collectives. « Plutôt que de faire sortir au compte-gouttes par les juges de l’application des peines, on devrait multiplier les grâces individuelles, voire faire voter une loi d'amnistie. À situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle », expliquait ainsi Adeline Hazan à France Info, le 26 mars. Quant aux remises de peine exceptionnelles (RPE), censées servir de « carotte » pour récompenser un bon comportement durant le confinement puisqu’elles ne devaient être accordées, selon la circulaire, qu’« un mois après le début de la crise sanitaire », elles étaient tout simplement « sans intérêt pour agir sur la surpopulation carcérale – ce qui était l’urgence des premières semaines de la crise », tranche un magistrat.

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DES DIRECTIVES TARDIVES ET INSUFFISANTES À l’annonce du confinement le 17 mars, certains services ont aussitôt pris les devants – chacun à sa manière, mais mus par la même urgence : arriver à réduire la population carcérale afin de limiter les dégâts. Aux Baumettes, le juge de l’application des peines (JAP) prend attache avec les services d’insertion et de probation pour identifier les reliquats de peine inférieurs à six mois et les personnes susceptibles de basculer en libération conditionnelle. Idem à Lille. Au cours de discussions informelles entre JAP, la proposition émerge d’utiliser le seuil de six mois qui figure dans la réforme pénale entrée en vigueur le 24 mars. « L’idée, c’était de pouvoir prendre des dispositions assez rapides et efficaces. On a envisagé ces mesures, qu’on a ensuite essayé de décliner chacun sur nos territoires respectifs », explique l’un d’eux. À Roanne, dès le 18 mars, le JAP décide d’examiner hors-débat la situation des personnes ayant exécuté la moitié de leur peine et pouvant justifier, entre autres , de problèmes de santé pour elles-mêmes ou leurs proches. Dans la plupart des cas, ces politiques sont menées conjointement avec le parquet, sans l’accord duquel aucun aménagement hors-débat ne peut être prononcé. Pour faire face à l’urgence, certaines juridictions multiplient les commissions de l’application des peines (CAP) : « À Luynes, nous avions une CAP mensuelle dédiée aux libérations sous contrainte (LSC), et on est passé à une par semaine. On y examine notamment les LSC et les remises de peine, en accordant des quantums plus importants que ceux qu’on accorde habituellement », explique ainsi début avril Benoît Vandermaesen, JAP à Aix-en-Provence. Mais ces pratiques sont loin d’être généralisées. À l’opposé de cette tendance, certains services de l’application des peines ont ainsi suspendu toutes leurs décisions. « Certaines juridictions, qui n’avaient absolument pas pris la mesure de la gravité de la situation, avaient figé leurs activités », explique Cécile Dangles, présidente de l’Association nationale des juges de l’application des peines (ANJAP). Les directives viendront finalement le 25 mars par le biais d’une ordonnance de politique pénale, complétée par une circulaire d’application le surlendemain (lire page 11). Une arrivée salutaire : « Avec les ordonnances, toutes les juridictions ont bien été obligées de s’y mettre, y compris celles qui étaient les moins impliquées. Et là, ça bouge plus, sur tout le territoire », explique, mi-avril, la présidente de l’ANJAP, jugeant satisfaisantes les mesures prises. Cette position ne fait pourtant pas l’unanimité : « L’ordonnance est arrivée

DES PRATIQUES DISPARATES

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(2) « Première évaluation des impacts de la crise covid sur la justice et la prison », Dalloz actualités, 5 juin 2020. (3)

Le comportement irréprochable et le logement stable et vérifié faisaient également partie des critères, selon la note distribuée en détention le 18 mars.

Face à ces insuffisances, certains services, en accord avec le parquet, ont donc décidé d’ignorer la circulaire et commencé sans attendre à appliquer les RPE. « À Marseille, on a tout de suite attiré l’attention du parquet sur la nécessité de ne pas attendre ce délai, qui est complètement inadapté, et d’intervenir tout de suite. C’était un levier très efficace et très utile », témoigne en avril Morgan Donaz-Pernier, juge de l’application des peines. « S’il avait fallu suivre à la lettre les préconisations de la circulaire, on aurait perdu un temps précieux, et les RPE n’auraient fait sortir personne. Ça aurait pu être complétement contre-productif », abonde Jean-Claude Bouvier, juge de l’application des peines à Paris. Il considère au contraire les RPE comme « l’élément clé » des sorties : un outil qui, en ciblant différentes catégories de détenus, permettait d’organiser plusieurs vagues de libérations. Il explique : « En appliquant immédiatement les premières RPE, ça a permis de libérer les gens, du jour au lendemain. Ensuite, cela a permis à des personnes qui étaient à trois ou quatre mois de leur fin de peine de descendre à deux mois : elles pouvaient dès lors être libérées avec une assignation à domicile. Et une troisième vague de RPE a permis à certaines personnes de descendre à moins de six mois, et de rentrer dans la catégorie des reliquats qui peuvent être convertis en peine alternative à l’emprisonnement. À chaque fois on passait un pallier, c’était très intéressant. » Une pratique qui semble avoir été suivie dans plusieurs juridictions – à Marseille, les RPE ont même été examinées en priorité, avant les assignations à résidence. MARS-JUIN 2020 / DEDANS DEHORS N°107

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« SI VOUS AVEZ UN PARQUET QUI BLOQUE, IL N’Y A RIEN QUI SE FAIT, SAUF À POUVOIR ORGANISER DES DÉBATS. DONC EN PÉRIODE DE CRISE, C’EST L’IMPASSE. » Que l’on respecte à la lettre la circulaire ou que l’on s’en écarte, une composante est restée cependant essentielle pour arriver à faire baisser le nombre de personnes incarcérées : une coopération efficace entre les services, et particulièrement avec les parquets. « Si vous avez un parquet qui bloque, il n’y a rien qui se fait, sauf à pouvoir organiser des débats. Donc en période de crise, c’est l’impasse », explique JeanClaude Bouvier. Pour lui, si la prison de La Santé a vu sa population diminuer de 30 %, c’est parce qu’« on était tous d’accord – service de l’application des peines, direction de l’établissement, parquet… On a donc tout de suite été opérationnels ». Et parfois, c’est même des parquets que sont venues les bonnes surprises : « Il y a des juridictions où les magistrats du siège se sont carapatés dès le départ et où c’est le parquet qui a assuré », explique une conseillère d’insertion et de probation. « Ici, on a un procureur qui tient un discours très dur à l’extérieur, dans les médias, sur les réseaux, mais qui donne des consignes complétement contraires à ses substituts – pour lui, les gens doivent sortir. À ses yeux, le logement suffit, alors que le JAP demande sans cesse des garanties complémentaires », explique une autre. Dans une troisième juridiction, lors d’une commission d’application des peines, la JAP a rejeté les sept demandes de libération conditionnelle qui lui étaient soumises. Quelques jours après, six des sept personnes ont malgré tout été assignées à domicile par le procureur. Mais toutes les juridictions n’ont pas appliqué la même politique volontariste de remises en liberté. Si l’on a par exemple pu constater une diminution conséquente de la population carcérale à Paris ou Marseille , certains établissements ont affiché des baisses nettement moins marquées : entre le 17 mars et le 20 avril, la diminution des effectifs était de 10 % au quartier maison d’arrêt de Moulins, 8 % à Chambéry, et seulement 2 % à Bourg-enBresse… Élise Labbé, secrétaire nationale du Snepap-FSU, témoignait ainsi du cas d’un centre de semi-liberté où le JAP aurait, dans un premier temps, suspendu toutes les possibilités de sortir – un cas loin d’être isolé si l’on en croit les nombreux appels reçus au standard de l’OIP. En Guyane, le TGI de Cayenne – qui figurait en janvier 2020 dans le palmarès des TGI les plus sévères de France – avait ainsi, mi-avril, prononcé seulement douze RPE et deux assignations à résidence, sur 656 détenus. À Chambéry, début avril, « la juge de l’application des peines n’avait (4)

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prononcé qu’“une petite dizaine” d’aménagements de peine du fait de la situation sanitaire dans les prisons » . À Rouen, selon deux avocats, la juge de l’application des peines et le parquet étaient « très restrictifs, et ça bougeait moins que dans d’autres juridictions ». (6)

LA DÉTENTION PROVISOIRE OUBLIÉE

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Ces taux d’occupation indiquent la population carcérale à un moment précis, et non pas le nombre de sorties. Les sorties peuvent être nombreuses, mais pondérées par un nombre important d’entrées en prison : le taux d’occupation ne baisse alors pas, ou peu.

(5) Outre-mer la 1ère, 22 janvier 2020. (6)

AFP, 8 avril 2020.

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L’Obs, 24 mars 2020.

Ainsi, le flou et les incohérences des instructions ministérielles ont eu tendance à accentuer les disparités plutôt qu’à les lisser. Surtout, elles ont laissé de côté tout un pan de la population carcérale : les personnes en détention provisoire, qui représentent pourtant 30 % des détenus. Or, vouloir résorber la surpopulation dans les prisons en ne jouant que sur les aménagements de peine – et la diminution des entrées – reste illusoire. Dans les maisons d’arrêt, qui accusent les taux de suroccupation les plus criants, les prévenus sont souvent majoritaires. Aux Baumettes par exemple, seulement 30 % des prisonniers ont le statut de condamné. « Il ne sera pas possible d’atteindre l’encellulement individuel en ne jouant que sur les aménagements de peine », admettait en avril Morgan DonazPernier. Selon lui, « il y a autant de leviers à actionner pour les condamnés que pour les prévenus ». Une option non envisagée par la garde des Sceaux, qui s’est opposée à toute mesure générale de libération des détenus prévenus, arguant que la détention provisoire était réservée aux personnes les plus dangereuses. Dans certaines juridictions, comme à Grenoble, des juges d’instruction se sont néanmoins autosaisis de dossiers afin de transformer la détention provisoire en contrôle judiciaire . « Dès le début de la crise sanitaire, chaque juge d’instruction, a, en son âme et conscience, examiné chacun de ses dossiers, et a fait la balance entre le risque sanitaire et le risque social potentiel à laisser sortir ce détenu », affirmait, un mois après le début de la crise, Marion Cackel, présidente de l’association française des magistrats instructeurs (AFMI). Certains se sont d’ailleurs explicitement référés au contexte sanitaire pour motiver des décisions de remise en liberté, comme cette magistrate du sud-ouest de la France : « Il convient par conséquent de faire droit à sa demande, les conditions actuelles de vie en milieu carcéral étant par ailleurs particulièrement dégradées en l’état de la crise sanitaire liée au développement du Covid-19 », écrivait-elle ainsi dans un délibéré. Mais pour de nombreux prévenus ayant déposé des demandes (7)


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de mise en liberté, le risque sanitaire n’a pas été considéré comme suffisant pour justifier une remise en liberté. Au contraire même : plusieurs magistrats ont en effet justifié leur refus en arguant que le risque de contamination était moins élevé en détention que confinés chez eux. À Bordeaux, un procureur a ainsi estimé que « la situation d’enfermement de l’intéressé [était] au contraire un moyen de le protéger de la contamination ». Même son de cloche à Versailles, où un magistrat a considéré qu’« aucun élément de la procédure ne permet[tait] d’affirmer que la situation actuelle en détention à la maison d’arrêt des femmes de Versailles serait plus dangereuse que si la détenue était libre. Qu’au contraire, des mesures particulières pour assurer la sécurité des détenus et des personnels travaillant en milieu pénitentiaire, tels la suspension des parloirs familles, ont été prises à cette fin ». À Bourg-en-Bresse, c’est une lecture stricte du principe de confinement qui a prévalu : « Il apparaît pourtant que les mesures de strict confinement imposent plutôt de ne pas quitter le lieu où l’on est actuellement confiné afin de ne pas risquer de contaminer un nouveau lieu », pouvait-on lire sur les motivations de rejet d’une demande de mise en liberté. À Rouen, Julia Massardier, avocate, s’est battue durant des semaines pour faire libérer un prévenu, primo-délinquant, incarcéré pour un cambriolage, et dont l’état de santé était préoccupant. « J’avais un certificat médical disant que s’il attrapait

le virus, il avait toutes les chances d’y rester, mais toutes nos demandes de mises en liberté ont été rejetées », explique-t-elle. Au total, selon la présidente de l’AFMI, du côté des prévenus, « on n’a donc pas pu parler de vague de libérations comme on a pu avoir à l’autre bout de la chaîne avec les JAP – chacun a libéré à la marge ». En attestent des taux de surpopulation qui sont restés élevés dans certaines maisons d’arrêt : au 14 avril, les maisons d’arrêts (quartiers hommes) de Bois d’Arcy, Meaux ou encore Chambéry étaient encore occupées respectivement à 151, 161 et 170 %.

DES RÉSISTANCES INDIVIDUELLES Non seulement l’ordonnance du 25 mars ne contenait pas de mesure pour agir sur le nombre de prévenus, mais elle prévoyait également de prolonger sans débat contradictoire tous les mandats de dépôt actuellement en cours. Une décision qui a cristallisé la colère des acteurs de la justice. « Priver d’un procès pour la prolongation de cette mesure exceptionnelle [la détention provisoire] une personne innocente judiciairement, c’est vraiment pour moi une mesure autoritaire, vécue comme arbitraire et une immixtion déraisonnable de l’exécutif dans l’ordre judiciaire », tempêtait, début avril, le pénaliste Christian Saint-Palais (lire page 14). Cette atteinte au principe fondamental du contradictoire, sans précédent jusqu’à présent, a conduit la quasiMARS-JUIN 2020 / DEDANS DEHORS N°107

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INTRAMUROS Chaque jour durant la crise, l’OIP a reçu des dizaines d’appels téléphoniques de détenus ou de leurs proches. Ils nous alertaient sur la situation en détention et, surtout, nous faisaient part de leurs angoisses, nourries par un cruel manque d’informations. Si leurs inquiétudes se ressemblent, leurs mots, venus de toute la France, illustrent les situations spécifiques à chaque établissement, à chaque juridiction. Ils évoluent quotidiennement, suivant les annonces nationales et les nouvelles dispositions prises. Nous avons décidé d’en rendre compte dans un journal. Morceaux choisis.

JOURNAL D’APPELS AU TEMPS DU CORONAVIRUS SEMAINE 1, DU 16 AU 22 MARS Appel du conjoint d’un détenu de Bois d’Arcy : « Est-ce que les parloirs sont maintenus ? Je voudrais rendre visite à mon compagnon et lui porter du linge demain, est-ce possible ? » Appel d’un détenu de Villeneuve-lès-Maguelone : « Depuis deux jours, pas de distribution de courrier, les cantines ne sont pas livrées, on ne peut avoir ni lingettes, ni gants. Estce qu’après les parloirs, les promenades aussi vont être

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supprimées ? Ce matin, les sacs de linge apportés par les familles n’ont pas été distribués et les draps qui devaient être changés ne l’ont pas été. » Appel d’un proche d’une détenue des Baumettes : « Quels protocoles anti-propagation du Covid sont mis en place en prison ? Selon mon amie, le personnel n’est ni masqué ni ganté, les activités ont été supprimées et les détenus n’ont le droit qu’à une sortie par jour. Ils ont du mal à accéder à l’unité sanitaire, et il n’y a plus de consultations psy. Plus


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non plus de rondes entre 20h et 6h, ce qui est inquiétant pour les patients fragiles. La tension monte, il y a des risques d’émeutes. » Appel du frère d’un détenu de Privas : « Les détenus ont demandé à avoir accès aux douches tous les jours parce qu’ils n’ont qu’un lavabo avec eau froide en cellule, mais la direction a refusé. » Appel de la compagne d’un détenu de Châteauroux : « Il est prévenu, et le juge n’a pas encore donné d’autorisation pour le téléphone. J’appelle le SPIP pour avoir des nouvelles, mais personne ne répond. Je n’ai plus aucun moyen d’en avoir. » Appel d’un détenu en semi-liberté dans les Hauts-de-France : « On a interdiction de sortir. Ma mère est gravement malade, elle ne peut pas sortir de chez elle, et c’est elle qui garde ma fille tant que je suis ici. J’ai demandé à pouvoir sortir juste pour leur faire des courses pour manger car elles n’ont personne d’autre, mais la CPIP refuse. » Appel de la mère d’un détenu de Bois d’Arcy : « Mon fils de 20 ans est en cellule à trois. Avec le Covid, est-ce qu’ils vont libérer des détenus ? Mon fils n’a plus que trois mois à faire. Ses deux précédentes demandes d’aménagement de peine ont été refusées, mais son avocate va retenter le coup. »

SEMAINE 2, DU 23 AU 29 MARS Message : « Je suis à Uzerche, il faut faire quelque chose. Après la mutinerie hier on est tous bloqués en cellule, on n’a pas eu de repas hier soir, on n’a pas pu aller à la douche, et ce matin toujours pas de distribution de nourriture. » Appel d’un détenu de Villenauxe-la-Grande : « Cinq détenus sont soupçonnés d’avoir été contaminés. Ils ont été placés au quartier arrivants par des surveillants qui portaient des masques et des gants mais ça m’inquiète, car ces surveillants travaillent aussi en détention normale. Moi je suis auxi-cantinier, sans aucune protection. » Appel de la mère d’un détenu de Meaux-Chauconin : « Mon fils est en cellule avec deux codétenus. Il ne sort plus en promenade depuis le début de l’épidémie, terrorisé par les risques de contamination. Il est d’autant plus inquiet que l’un de ses codétenus est auxi et sort tous les jours de la cellule, il croise du monde, détenus comme surveillants… » Appel d’une amie d’un détenu de Fleury-Mérogis atteint du VIH : « Je suis très inquiète, il est très vulnérable. Il ne sort pas, sur les conseils de son avocat, c’est trop risqué pour lui, mais du coup il ne peut pas téléphoner depuis les cabines. Il a fait une demande pour voir un médecin mais n’a aucune nouvelle. Il a fait une demande de mise en liberté mais n’a aucune nouvelle non plus. » Appel d’un détenu de Villeneuve-lès-Maguelone : « Trop de détenus appellent en même temps, le son coupe, la tonalité est difficile à avoir. Et puis j’avais fait une demande de libération mais ma CPIP est confinée, je n’ai pas de nouvelle : elle m’a dit qu’elle se chargerait de ma demande “une fois rentrée”… Et dedans c’est très tendu entre les

surveillants et les détenus, tout le monde craint une révolte. » Appel du conjoint d’un détenu de Bois d’Arcy : « Je suis inquiet, les surveillants n’ont ni masques ni gants pour éviter la propagation du virus alors qu’ils font des allersretours dans et à l’extérieur de la prison. Par ailleurs, les bons de cantines ont été annulés : l’établissement parle d’une rupture de stocks… Et nous, à l’extérieur, on ne peut rien leur livrer. Le SPIP avait parlé de mettre en place des machines à laver pour que les détenus lavent leur linge, mais ça n’est pas encore le cas. » Appel d’un détenu à Châteaudun : « Je suis sous traitement et suivi à l’UHSA [unité hospitalière spécialement aménagée] pour tentatives de suicide et schizophrénie. Je ne supporte plus la détention… J’avais une audience prévue pour un aménagement de peine mais elle a été annulée à cause du virus. Je vois un psy une fois par semaine, ça ne suffit pas, je craque… » Appel de la mère d’un détenu de Corbas : « Aucune mesure barrière n’est respectée. Les gardiens n’ont pas de gants, pas de masques, les détenus sont plus de quatre-vingt en promenade, collés-serrés… Mon fils m’a dit qu’en rentrant de promenade, le gardien le collait épaule contre épaule. Il lui a dit de laisser un mètre de distance, ça n’a servi à rien. » Message d’un détenu : « Bonjour, je suis diabétique de type 2, je fais de l’hypertension. Je suis malade, je ne me sens pas bien, ce matin j’ai vomi du sang. Comment faire pour sortir d’ici ? » Appel d’un détenu de Châteaudun : « Vous savez, on vit un calvaire en ce moment. Nos familles c’est tout ce que l’on a à l’intérieur, c’est ce qui nous fait tenir. Et dans cette situation, sans les parloirs, c’est très difficile. » Appel de la compagne d’un détenu de Muret : « Je suis très inquiète, mon compagnon m’a appelée hier pour me dire que son meilleur ami en détention avait été contrôlé positif au corona hier et placé en isolement. Ils sont en régime portes ouvertes, ils se côtoient tous les jours ! Si mon copain attrape le virus, il pourrait en mourir, à cause de sa maladie respiratoire. Mais on a refusé de lui faire un test. » Appel d’une détenue, en pleurs : « Ici on n’a pas de masques, on n’a pas de gants. Et on est palpées deux fois par jour. Je n’en peux plus, je suis à bout. Ils fouillent ma cellule toutes les semaines, c’est légal ça ? Je n’en peux plus, je suis ici pour conduite sans permis en récidive, j’ai pris vingt-deux mois, il m’en reste six à faire. Est-ce que j’ai une avocate ? Oui, mais elle vient d’accoucher, elle est congé. Je suis à bout, j’ai perdu 10kg, le médecin m’a mis sous antidépresseurs. Ici il n’y a plus rien, plus d’activités, on voit plus le CPIP, plus de SMPR [service médico-psychologique régional], je peux plus parler à personne, je vais craquer. » Appel d’un détenu de Maubeuge : « J’ai de sévères problèmes de santé. J’ai un certificat du médecin qui dit clairement que mon état de santé est incompatible avec la détention, et qui précise aussi que je suis particulièrement vulnérable au Covid-19. J’ai déposé une demande de mise en liberté mais la juge des libertés et de la détention a MARS-JUIN 2020 / DEDANS DEHORS N°107

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répondu que la prison n’était pas touchée par le coronavirus, donc que c’était moins risqué d’être en prison que d’être à l’extérieur actuellement. J’étais alité toute la semaine, je pouvais même pas me lever pour aller aux toilettes, il fallait me porter, je ne pouvais plus marcher. » Appel d’un détenu de Toul : « Depuis l’installation des téléphones en cellule il y a un mois, ils ne fonctionnent pas. Du coup on appelle depuis la coursive, mais il y a la queue et beaucoup de bruit. Il faut débrancher et rebrancher le téléphone de la cellule pour espérer avoir une tonalité, et en général ça ne fonctionne pas. » Message de mère d’un détenu de Brest : « Mon fils doit sortir début avril. Est-ce que je peux aller le chercher à Brest en étant accompagné ? Je ne conduis plus à cause d’un handicap. Je suis à La Rochelle, qu’est-ce que je dois cocher sur l’attestation ? Faut-il un justificatif de sortie ? » Message de la mère d’un détenu de Villepinte : « Je tenais à partager mon angoisse concernant l’absence de nouvelle de mon fils depuis la suspension des parloirs depuis maintenant quinze jours. J’allais le voir deux fois par semaine. En plus, la dernière fois il n’allait pas bien depuis qu’on l’avait mis dans une cellule de trois, sans aucun motif. J’ai déjà appelé la prison, seule réponse : “Si on ne vous appelle pas c’est que tout va et qu’à ce jour aucun cas n’est déclaré.” Pas rassurant du tout… Je ne sais plus quoi faire pour avoir des nouvelles, d’autant que le confinement va durer. Si vous avez une piste, je suis preneuse. »

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SEMAINE 3, DU 30 MARS AU 5 AVRIL Appel d’une proche d’un détenu de Bois d’Arcy : « Il n’y a toujours pas de solution pour le linge : on a le droit de rien apporter, ils ont dit qu’ils installeraient des machines à laver mais rien. » Appel d’un détenu d’Aix-Luynes : « On n’a même pas de savon, et l’eau n’est pas chaude. Je ne comprends pas pourquoi on n’est pas tous confinés, pourquoi les promenades sont maintenues, etc. » Message d’un détenu de Mulhouse : « J’ai la peur au ventre de mourir ici. Je suis diabétique de type 1, les surveillants ouvrent la porte et donnent les repas sans gants ni masque. Je ne veux pas être retrouvé dans un sac comme un déchet… Ça ne va vraiment pas du tout, je suis très mal. » Appel d’une détenue de Joux-la-Ville : « Plus personne ne nous répond, il y a beaucoup de choses qu’on ne comprend pas. Il y a des gens à qui il reste un mois, on ne leur donne pas leurs remises de peine, on ne comprend pas. Il n’y a aucune communication, rien n’est fait pour nous expliquer la situation. On n’a aucun correspondant. Ma CPIP me reproche à longueur d’année de faire mes démarches toute seule, mais là elle ne répond plus. On a aussi de gros soucis avec les téléphones en coursive, ils nous disent que c’est parce qu’il y a trop de gens qui téléphonent en même temps… » Appel d’un détenu de Melun : « Quand on travaille en détention, comment ça se passe au niveau des salaires ? Je


Crise sanitaire

travaillais pour un concessionnaire mais depuis le confinement, les ateliers sont fermés : est-ce que je serai indemnisé, type chômage partiel ? » Appel de la compagne d’un détenu d’Avignon : « Mon petit ami est en détention provisoire, nous n’avons plus de nouvelles de lui depuis l’arrivée du virus, tous les liens sont coupés. J’ai entendu parler de gardiens contaminés au coronavirus, sa famille et moi-même nous avons très peur pour lui. De plus, il y a qu’un seul téléphone en cour de promenade qui n’est pas désinfecté. Comment faire pour avoir des nouvelles ? » Appel d’un détenu du Havre : « Je ne comprends pas les mesures prises en interne. On a droit à la promenade et d’y jouer au foot. Le créneau du sport est maintenu, le terrain est accessible mais on n’a pas le droit d’y jouer au foot, seulement du cross fit. Ici les surveillants entrent et sortent sans arrêt, alors qu’on nous a supprimé les parloirs pour éviter les contaminations. Si les surveillants dormaient sur place, on comprendrait et accepterait mieux la suppression des parloirs. Mais là, c’est très frustrant.» Appel de la compagne d’un détenu de Rennes : « Quand les parloirs ont été suspendus à cause du Covid, mon mari ne l’a pas supporté, il a fait deux tentatives de suicide. Il a peur d’attraper le coronavirus, il dort par terre sur un matelas, ils sont trois en cellule. » Appel d’un détenu de Longuenesse : « J’ai fait les deux tiers de ma peine, j’ai eu les deux mois de remise de peine supplémentaire annoncés, donc maintenant je peux sortir… à condition d’avoir une adresse. Mais je n’ai pas de famille qui peut m’héberger, et toutes les structures que j’ai contactées – et j’en ai contacté beaucoup – me répondent qu’elles ne peuvent pas accueillir de nouvelles personnes à cause du Covid-19. » Appel du frère d’un détenu de Nanterre : « Tous les détenus sont prêts à porte plainte. Là-bas, les mandats de dépôt veulent faire une pétition et déposer un recours contre l’allongement des détentions provisoires. » Appel d’un détenu de Villepinte : « Un détenu aurait le coronavirus ici. Certains disent qu’il est en réanimation et d’autres à l’isolement. On voudrait avoir des nouvelles de lui. » Message de la sœur d’un détenu : « Mon petit frère est incarcéré depuis le 13 mars. On a pu discuter avec lui la semaine dernière, il était inquiet, on le faisait dormir à même le sol sans aucune distance avec son codétenu qui avait des quintes de toux et qu’il se plaignait de douleurs. J’ai prévenu son avocat, qui a alerté le directeur de la prison, mais rien n’a été fait. Et hier nous avons appris qu’il avait été contaminé : il est maintenant porteur du Covid-19, il a changé de cellule… Comment le faire sortir de là ? » Message de la compagne d’un détenu de Villenauxe-laGrande : « Mon compagnon est diabétique et fait de l’hypertension, mais tous les jours il doit sortir de sa cellule et passer dix portes pour arriver à la pharmacie et récupérer ses médicaments. Tout cela sans masque ni gants. Je m’in-

quiète beaucoup pour sa santé, d’autant que j’ai entendu qu’il y avait des cas à Villenauxe. » Message du père d’un détenu du Havre : « J’ai appris qu’il y avait plusieurs cas de Covid-19 au centre pénitentiaire du Havre, alors depuis plusieurs jours, j’essaye de téléphoner à la prison pour avoir des nouvelles de mon fils. Mais je tombe toujours sur une messagerie qui ne prend aucun message car elle est surchargée. Comment puis-je le contacter ? »

SEMAINE 4, DU 6 AU 12 AVRIL Message de la compagne d’un détenu de Melun : « La prison a installé des téléphones en cellule mais malgré les diverses demandes de réparation, rien est fait, ça ne marche pas. De ce fait, ils sont nombreux sur un même téléphone, dans la coursive, alors que des cas de coronavirus ont été déclarés dans cette prison. » Appel d’un détenu de Coutances : « Ici, on est dans des cellules de neuf à douze personnes. Les surveillants ne portent pas les masques tout le temps, et certains ne les mettent pas du tout. Le pire c’est les petites prisons, personne ne s’occupe de nous… On est environ 40 ici [66 selon les chiffres au 1er janvier]. Il n’y a plus de parloirs, la seule activité c’est le foot, donc si tu n’en fais pas tu es 24h/24 en cellule. Et on vient de passer une semaine sans eau chaude. » Message de l’avocat d’un détenu de Bapaume : « Mon client était en module de respect, jusqu’à ce que la direction lui reproche un incident avec un surveillant (que mon client conteste). En raison du Covid-19, aucune commission discipline ne peut se tenir. Et mon client est passé en milieu fermé, pour une durée indéterminée : cette décision ressemble à une sanction alors même qu’aucune décision de culpabilité n’a été prise… Quel recours avons-nous ? » Appel d’un détenu d’Aix-Luynes : « Ici, le confinement n’est pas respecté, et les surveillants ne mettent pas les masques. Les auxi travaillent et ont des masques, mais pas les autres détenus. On nous a donné du savon et de la Javel, mais seulement une fois. C’est censé être chaque semaine, non ? Moi, quand je vais à la cabine, je désinfecte avec une lingette et de la Javel. Pour avoir les médicaments, on doit aller à l’unité sanitaire, ils ne viennent pas en cellule. Mais là-bas, il y a au moins vingt détenus dans la salle d’attente ! » Appel d’un détenu de Villepinte : « Je voudrais avoir des nouvelles de mon ami Monsieur B., il était incarcéré ici mais il a été déplacé à cause de suspicions de Covid, et on ne sait pas s’il est hospitalisé, en réa, à l’isolement… La prison ne nous donne aucune info, il paraît qu’il y a vingtsept confinés ici, mais on ne sait rien ! En plus, tous les surveillants ne portent pas de masques, et on n’a que trois douches par semaine. Ils pourraient au moins nous accorder une douche par jour, en ce moment. J’ai un nouveau codétenu qui vient d’arriver dans ma cellule, mais il n’a pas été dépisté. » MARS-JUIN 2020 / DEDANS DEHORS N°107

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Appel d’un détenu de Grasse : « Il me reste trois mois à faire, mais je ne sais pas si je suis éligible aux réductions de peine supplémentaires annoncées. Ici, vingt détenus sont sortis depuis le début du Covid, mais moi je n’arrive pas à récupérer les informations. » Appel d’un détenu de Saint-Quentin-Fallavier : « Je suis auxi, je me sens exposé, alors je nettoie tout à la Javel. Au début du confinement, au moment de remonter de promenade, un groupe de détenus a demandé au surveillant de changer les gants avant de les palper, à cause du corona. Moi je n’étais pas dans ce groupe, mais j’ai quand même reçu un avertissement disant que j’avais refusé de réintégrer. » Appel d’un détenu de Fleury-Mérogis : « Je bénéficie d’une sortie anticipée grâce au Covid, je viens d’apprendre que je sortais dans trois jours. Mais j’habite à 800 km de Fleury, et je n’ai pas un sou pour un billet de train ! J’ai écrit au CPIP pour demander une aide mais je n’ai pas de réponse, et personne ne peut me renseigner ici. » Appel de la grand-mère d’un détenu : « Mon petit-fils est passé en commission de discipline car lors d’une fouille de sa cellule, ils ont trouvé de la levure pour gâteaux et du papier aluminium – ça c’est moi qui lui ai apporté au parloir, parce qu’il aime faire des gâteaux – un câble de téléphone, trois cachets pour les maux de gorge, des élastiques et une poêle non règlementaire. Son avocat s’est présenté à la prison pour l’assister mais il n’a pas pu accéder à la commission de discipline à cause du virus. » Appel d’un détenu des Baumettes : « Ici, les surveillants ont un masque chirurgical par jour, ou pas de masque du tout. Pour les détenus, rien : pas de gel, pas de gants, pas de masques. Il n’y a pas de machine à laver : depuis huit mois, je fais ma lessive dans la douche, par terre, c’est un carnage pour le linge. On a une seule cabine téléphonique pour trente détenus, on ne peut pas la désinfecter alors qu’on passe les uns après les autres, et il y a une queue pas possible. » Message d’un détenu de Maubeuge : « Ma santé se détériore, et malgré les certificats médicaux, mes demandes de remise en liberté sont systématiquement rejetées. Je ne marche quasiment plus, je suis parfois alité pendant une semaine. » Message du concubin d’une détenue : « Elle est incarcérée pour outrage depuis mi-mars. Elle a presque 50 ans, et est reconnue invalide à 80 %. On a un certificat du médecin jugeant son état incompatible avec la détention, et encore moins avec cette crise sanitaire. Que faire ? »

SEMAINE 5, DU 13 AU 19 AVRIL Appel de la mère d’un détenu de Saint-Étienne : « Il y a des mamans qui sont allées jeter du gel, des masques et des gants par-dessus le mur de la prison pour protéger leurs enfants. Vous vous rendez compte des risques qu’elles sont obligées de prendre ? Elles ont été attrapées en plus ! » Appel d’un détenu d’Aix : « Certains surveillants ont des gants et des masques, d’autres pas : ils disent qu’ils ne les

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mettent pas pour être solidaires avec nous. Seuls les détenus suspectés d’être contaminés ont des masques. Je ne comprends pas pourquoi ils ne permettent pas les parloirs hygiaphones… » Appel d’un détenu en semi-liberté à La Santé : « Ici c’est catastrophique : au quartier de semi-liberté, il y a déjà eu deux tentatives de suicide. On n’est pas du tout informés des mesures Covid applicables à la semi-liberté (s’il y en a), c’est comme s’il y avait un gros flou autour de la situation des détenus en semi. Toutes nos demandes sont ignorées, on a des problèmes de cantines, et on ne reçoit plus nos virements. Comme on a le droit d’avoir des téléphones portables ici, on n’a pas reçu les 20 € comme tous les détenus, sauf qu’on doit quand même payer notre forfait. Et puis on n’a pas tous un portable, en plus… On n’a droit à aucune compensation, aucune mesure spécifique, on est enfermés toute la journée, même pas autorisés à sortir à l’extérieur pour prendre l’air. Et aucun signe de vie des CPIP… » Appel de la compagne d’un détenu de Réau : « Est-ce qu’avec les annonces de Macron, les parloirs vont être à nouveau autorisés ? La tension monte de plus en plus chez les détenus, ils n’en peuvent plus de n’avoir plus d’activités et de parloirs à cause du Covid. » Appel d’un détenu de Lille-Annœullin : « Je suis en détention provisoire. Je fais de l’hypertension et j’ai un souffle au cœur. Je suis inquiet par rapport au Covid, il y aurait quatre cas dans ma coursive. Lundi, il y a eu un gros orage pendant la promenade alors on s’est tous entassés sous le préau, on était quatre-vingt, les uns contre les autres, j’ai peur d’avoir attrapé le virus. L’unité sanitaire ? Aux abonnés absent, à part l’infirmière pour la distribution des médicaments en cellule, et parfois un médecin. » Message d’un détenu à Belfort : « Ici, 40 % des surveillants sont en arrêt maladie, et la direction est en stand by. Qu’estce qu’on va devenir, nous ? » Appel d’un détenu de Fleury-Mérogis : « Je dois sortir début mai. Est-ce que je pourrai prendre le TGV pour rentrer chez moi ? » Message de la compagne d’un détenu : « Mon mari a une longue peine. Il n’y a plus de parloirs, plus rien, et certains comme mon mari sont coupés du monde. Ils ont la peur au ventre. C’est bien de faire sortir les petites peines, mais il faudrait aussi faire le nécessaire pour protéger ceux qui sont encore dedans. Et ce n’est pas avec 40 € de téléphone qu’ils vont être protégés… » Message d’un détenu de Meaux : « Je suis en mandat de dépôt correctionnel depuis décembre. Les conditions sont précaires, ça fait quatre mois que je dors sur un matelas par terre, je n’ai pas d’espace vital. J’ai peur de mourir en prison, vu la crise sanitaire… Ici les gestes barrières sont impossibles à respecter ! Et ma détention provisoire a été renouvelée automatiquement de trois mois, sans débat contradictoire, sans visio-audience, sans rien. »


©Grégoire Korganow - CGLPL

Crise sanitaire

SEMAINE 6, DU 20 AU 26 AVRIL Message d’un détenu de Bonneville : « J’ai des problèmes de santé : je suis diabétique, en surpoids, j’ai fait un infarctus… Je suis ici pour une courte peine, je voudrais pouvoir porter un masque. » Appel d’un détenu : « On est plusieurs à s’être fabriqué des masques artisanaux. Mais les surveillants m’ont demandé de l’enlever et m’ont menacé de rédiger un compte-rendu d’incident si je le gardais. » Appel d’un détenu de Muret : « Quand est-ce que les activités et les parloirs vont reprendre ? Est-ce que le forfait téléphone sera maintenu en mai ? C’est compliqué d’être dans le flou, de pas savoir… J’ai vu une émission à la télé où ils annonçaient que les parloirs ne reprendraient que deux mois après la fin du confinement. » Message de la compagne d’un détenu de Rouen : « Je voudrais comprendre ce système de libération pour assignation à résidence. Mon conjoint est incarcéré depuis juin, il doit sortir début juillet. D’après le SPIP, il sera éligible à ce dispositif à partir de mai. Mais j’aimerais savoir comment ça se passe, quelle est la procédure. Personne ne me dit la même chose. » Appel de la compagne d’un détenu de Réau : « Apparemment les détenus d’Île-de-France auront droit à des visites de personnes venant d’Île-de-France uniquement. Moi

j’habite à Lyon, je fais comment ? J’ai besoin de voir mon mari, et ma fille, elle a besoin de voir son père ! » Appel d’un détenu de Villeneuve-lès-Maguelone : « On n’a pas eu d’information sur la messagerie vocale mise en place pour nos proches. On ne sait pas comment ça marche, combien ça coûte, etc. Vous avez plus de renseignements ? » Appel d’un détenu confiné dans un centre de semi-liberté : « Ici, on a le droit d’avoir un téléphone portable. Alors j’ai fait des démarches et j’ai trouvé un emploi en intérim. Je dois commencer lundi ou mercredi. Mais il faut que j’obtienne une autorisation de sortie, et impossible de joindre les CPIP. Ça me rend fou. Je risque de perdre mon emploi ! » Appel de la compagne d’un détenu de Saint-Maur : « J’ai envoyé un colis à mon compagnon avec des masques et du gel hydro-alcoolique, il m’a été retourné, sans explication. Là-bas, les surveillants sont équipés de masques. On ne comprend pas pourquoi ils les refusent aux détenus. » Message de la compagne d’un détenu de Guéret : « Est-ce vrai qu’il n’y a plus de parloir jusqu’à septembre ? »

SEMAINE 7, DU 27 AU 3 MAI Appel d’un détenu de Bois d’Arcy : « J’ai 23 ans, je suis incarcéré depuis trois mois, pour outrage, et libérable en novembre. Est-ce que les remises de peine exceptionnelles annoncées par la ministre sont automatiques ? Je suis à MARS-JUIN 2020 / DEDANS DEHORS N°107

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l’isolement presque depuis le début, est-ce que ça peut me porter préjudice pour obtenir ces remises de peine ? J’ai fait une demande d’aménagement, du coup est-ce j’ai intérêt à aussi demander les remises de peine ? Je pensais vraiment que c’était automatique… » « Pouvez-vous me dire à quelle date les parloirs reprennent et si on peut fournir des masques et des gants à nos détenus pour plus de sécurité pour eux ? » Appel de la mère d’un détenu de Fleury-Mérogis : « Mon fils est atteint d’une maladie auto-immune, et son traitement est en totale contradiction avec les symptômes du Covid. Plusieurs certificats l’attestent. Il est plus fragile et très exposé, mais ses trois demandes de libération ont été refusées. Ils disent que les gestes barrières et autres mesures de prévention sont mis en place à Fleury… Mais ce n’est pas vrai ça ! Les surveillants qui rentrent et qui sortent peuvent les contaminer. Ils font toujours des fouilles. Les prisonniers n’ont ni gants, ni masques, et ne peuvent pas respecter les distances de sécurité. » Appel d’une détenue de Joux-la-Ville : « Ici, on est toutes perplexes. On nous a offert 40€ de téléphone en avril, estce que ça sera renouvelé ? Et pour la télé ? Et les débats contradictoires, quand vont-ils reprendre ? On a regardé le Premier ministre à la télé, mais il n’a rien dit sur les prisons… »

SEMAINE 8, DU 4 AU 10 MAI Message de la mère d’un détenu de Brest : « J’habite à Rennes. Brest, c’est à 250km. Savez-vous comment va se passer la reprise des parloirs ? Au Spip, ils ne savent rien. Est-ce qu’on peut compter sur le bon vouloir des forces de l’ordre pour considérer le motif familial, si je vais voir mon fils au parloir ? » Appel de la conjointe d’un détenu de Réau : « Est-ce que les enfants seront autorisés après la reprise des parloirs ? » Appel d’un détenu : « J’étais hospitalisé à cause du Covid, j’ai failli mourir. Je viens de sortir de l’hôpital, avec un certificat médical attestant que mon pronostic vital est engagé à court terme. Pourtant, j’ai été renvoyé en prison ! Je veux lancer une procédure contre le ministère, contre la pénitentiaire, contre l’Agence régionale de santé. » Appel de la mère d’un détenu de Fresnes : « Sur quel site est-ce qu’on peut prendre rendez-vous pour un parloir ? Parce qu’à Fresnes, c’est très compliqué d’avoir le service des parloirs par téléphone. » « Je suis infirmière en prison. Je suis très surprise, pour ne pas dire choquée, tout comme les personnes incarcérées : à compter du 11 mai, les détenus, qui étaient jusque-là confinés et épargnés par le Covid-19, vont recevoir des parloirs, retourner aux diverses activités proposées, et le tout sans masques ! Alors qu’un atelier confection masques en tissus semble se mettre en place au sein de l’établissement, mais seulement pour couvrir les surveillants et les soignants… Et alors que la ville prévoit de fournir des masques à chaque habitant. Mais qu’en est-il pour les détenus ? »

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Appel d’un détenu : « Ce n’est pas normal que les enfants n’aient pas le droit de visite, c’est vraiment dur. Est-ce qu’on ne pourrait pas faire une heure avec la compagne, une heure avec les enfants ? » Message d’une femme proche d’un détenu de Saint-Mihiel : « Le centre de détention a mis en place des parloirs à partir du 11 mai avec port obligatoire du masque, des gants, et interdiction de tout rapprochement physique sous risque d’annulation et suspension immédiate du parloir pour la famille, et de quinze jours d’enfermement pour le détenu. La détention a-t-elle réellement le droit d’interdire tout rapprochement et de suspendre nos permis de visite pour ce motif ? » Appel d’un détenu : « J’ai de la tension, je fais du diabète, des insuffisances respiratoires. J’ai fait une demande de mise en liberté, elle a été rejetée. J’ai fait appel, j’attends. Ici, on est à deux en cellule. Mon codétenu a 72 ans, il présente les mêmes pathologies que moi. On a demandé à être en cellule individuelle, pas de réponse. On ne fait que ça, demander une cellule individuelle à la direction, mais on n’a pas de réponse. J’ai une attestation des médecins qui disent qu’en cas de Covid, je ne pourrais pas être pris en charge correctement à l’unité sanitaire de la prison. En plus je suis malvoyant, j’ai besoin d’aide au quotidien. Mais rien ne bouge. Ici on est serrés comme des sardines, et en cours de promenade c’est carrément un parc à huîtres. » Message d’une proche d’un détenu de Meaux : « Les parloirs, qui étaient interdits, vont reprendre. Alors comme tous les proches de détenus, j’ai essayé de contacter le numéro vert pour prendre un rendez-vous, mais depuis deux jours, et malgré mes appels très très fréquents, personne ne répond. »


Crise sanitaire

payer mon bus… Comment faire sans aucun endroit où laisser mon sac ? Ils pourraient pourtant mettre les casiers à disposition, en respectant un sens de circulation par exemple ! » Appel d’un détenu de Châteauroux : « Je suis en détention depuis plus de quinze ans, mais ma peine est aménageable depuis 2018. J’ai fait une demande d’aménagement en janvier dernier. J’ai demandé à la CPIP, apparemment tout est repoussé : j’ai peur de tout perdre. Je ne comprends pas pourquoi les longues peines sont laissées de côté à ce point par les mesures Covid. Moi, j’ai travaillé volontairement pour produire des masques. »

© Thierry Pasquet - Signatures

SEMAINE 10, DU 18 AU 24 MAI

Message de la compagne d’un détenu : « Mon compagnon étant incarcéré à plus de 100km de mon domicile, je souhaiterais savoir si l’on peut me verbaliser, ou si ça passe comme motif familial impérieux – qui en est un pour ma part, comme pour toutes les personnes incarcérées j’imagine. Y a-t-il un texte ou un décret qui nous couvrirait en cas de contrôle ? »

SEMAINE 9, DU 11 AU 17 MAI Appel d’un détenu : « J’ai du diabète, du cholestérol, j’ai fait un infarctus, et je suis en surpoids : j’ai une santé fragile. J’ai demandé qu’on me donne un masque, ou d’en acheter un, mais cela m’a été refusé. Alors j’en ai fabriqué un en déchirant un T-shirt, mais on m’a dit que c’était interdit, qu’ils voulaient voir mon visage, et que de toute façon c’était interdit pour tous les détenus. On m’a même menacé d’écrire un rapport. Pourquoi le président dit oui et le directeur de la prison dit non ? Pourtant, le médical était d’accord, mais ils ont dit ne pas pouvoir l’imposer. » Appel d’un détenu : « Je travaille comme bibliothécaire ici. Pourquoi ma bibliothèque ne rouvre pas alors que Macron a dit qu’elles rouvraient ? » Appel d’une proche d’un détenu des Baumettes : « Depuis ce matin, j’essaye d’appeler pour réserver un parloir. J’en suis à cinquante appels, ça ne répond pas… Est-ce qu’il y a un autre numéro ? » Message de la compagne d’un détenu de Lille-Annoeullin : « Je suis très en colère car pour un parloir, je viens en métro et bus, ça dure une heure. Mais à la prison, on n’a plus accès aux casiers, donc je ne peux pas avoir de sac à main : ça veut dire pas de téléphone, pas d’argent pour

Appel d’un détenu : « Les surveillants ne portent pas leur masque, et nous on ne peut même pas toucher nos proches au parloir ? » Appel d’un détenu de Vendin-le-Vieil : « Je sors demain en permission de 9h à 18h pour aller chez l’osthéo, est-ce que je vais être placé quatorzaine ? » Message de la femme d’un détenu : « Mon mari est en centrale. Mon domicile est à environ 500km. Pour ne pas être embêtée par les forces de l’ordre, j’ai fait la route de nuit, je suis arrivée sur place à 4h du matin. Et pour être certaine de pouvoir voir mon mari, j’ai loué une chambre chez un particulier sur place et bidouillé une facture de téléphone pour avoir une attestation de domicile – c’est fou ce qu’on est amené à faire… Je paye deux loyers, j’ai de fausses factures, tout ça pour voir mon mari une heure par semaine dans des conditions qui bafouent nos droits les plus élémentaires ! Et encore, visiblement je fais partie des chanceuses, car nous n’avons pas de séparation vitrée. Je suis consciente d’avoir pris le risque d’être verbalisée, mais il était hors de question de ne pas voir mon mari. » Appel de la compagne d’un détenu : « Quand vont reprendre les parloirs où les enfants peuvent venir ? »

SEMAINE 11, DU 25 AU 31 MAI Appel d’une détenue : « Je suis auxi, je dois nettoyer les douches des personnes qui sont en quatorzaine, sans aucune protection particulière. Avant, quand il y avait une suspicion de Covid, j’avais des protections adaptées… » Appel de la compagne d’un détenu de Caen : « Il avait prévu de demander une permission, mais comme il devrait rester confiné en rentrant à la prison, il a renoncé. » Appel de la compagne d’un détenu en maison centrale : « Mon mari m’a dit qu’il préférait que je ne vienne pas au parloir car notre fille ne peut être là, et parce qu’il ne supportera pas la séparation en plexiglas et l’interdiction de se toucher. Il préfère encore le téléphone. Pourquoi n’ontils pas mis en place des possibilités de visio-parloirs ? Ça serait beaucoup mieux, au moins il verrait sa femme et sa fille. En centrale, ça devrait pouvoir s’organiser… » Appel d’un détenu d’Auxerre : « Quand les échanges de linge avec les familles vont-ils reprendre ? » n MARS-JUIN 2020 / DEDANS DEHORS N°107

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ENQUÊTE Contacts réduits au strict minimum et inquiétudes lancinantes : au temps du coronavirus, les liens entre les détenus et leurs proches ont été mis à mal par les mesures liées au confinement.

LES LIENS AVEC L’EXTÉRIEUR MALMENÉS PAR LE CONFINEMENT par SARAH BOSQUET

L

« Les visites vont pouvoir reprendre dans les Ehpad, savezvous ce qu’il en est pour les parloirs ? » « Est-ce qu’après les annonces de Macron, les parloirs vont être à nouveau autorisés ? La tension monte de plus en plus chez les détenus, ils n’en peuvent plus de n’avoir plus d’activités et de parloirs à cause du Covid. » Pendant plus d’un mois, la question est revenue quotidiennement dans les emails et les appels reçus à l’OIP. Jusqu’au 30 avril, où la direction de l’administration pénitentiaire annonçait la reprise « progressive » des visites à partir du 11 mai (lire page 60). (1)

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(1)

Sauf mention contraire, les témoignages sont issus du journal d’appels de l'OIP au temps du coronavirus, consultable sur www.oip.org

Au départ réservée aux personnes détenues touchées par le Covid-19 ou présentant des symptômes suspects, la suspension des parloirs, salons familiaux et unités de vie familiale (UVF) avait été généralisée le 18 mars. En écho à l’annonce du président de la République, la ministre de la Justice Nicole Belloubet présentait alors la mesure comme nécessaire à la création d’un « cordon sanitaire » autour des prisons : les parloirs seraient momentanément sacrifiés pour limiter les contagions à l’intérieur. Parfois apprise par surprise à la télévision ou en cour de prome-


Crise sanitaire

nade, cette mesure a eu l’effet d’une déflagration, déclenchant dans une quarantaine de prisons des mouvements de protestation immédiatement réprimés par l’administration pénitentiaire (lire page 29). « Il était évident qu’en supprimant les parloirs, des révoltes allaient exploser, souligne un ancien prisonnier au micro de l’émission de radio l’Actualité des luttes le 27 mars. Ça a toujours été comme ça. […] Le téléphone, ce n’est pas un lien social comme les parloirs. » Pour les personnes détenues, les visites, c’est la bouffée d’air qui fait la différence. Un lien essentiel, physique, avec le reste de la société – parfois même le dernier fil qui les relie à l’extérieur.

(2) Enregistrer son identité et fournir une facture de téléphone, se procurer l’identifiant de la personne détenue à contacter. (3)

20€ versés le 23 mars et valables jusqu’au 31 mars, puis 40€ versés le 1er avril et le 1er mai. (4) 20 Minutes, 17 avril 2020.

© Grégoire Korganow - CGLPL

DES MESURES EXCEPTIONNELLES, MAIS INSUFFISANTES Car si pour la majorité des confiné·e·s, il est possible d’amoindrir l’isolement avec des appels et des échanges de messages, l’usage des téléphones portables (smartphones ou non) est toujours interdit en prison. Alors dès le 18 mars, quelques établissements ont essayé de trouver des palliatifs aux parloirs pour limiter la montée des tensions : à la maison d’arrêt de La Santé (Paris), on a facilité l’obtention de permis de téléphoner. Dans les maisons d’arrêt de Belfort et de Strasbourg, les proches ont pu envoyer des textes, photos et des dessins à la prison : centralisés par des personnels pénitentiaires, ils ont ensuite été imprimés et transmis aux destinataires. Au niveau national, Nicole Belloubet annonçait, le 19 mars, des mesures visant à « compenser l’interdiction des parloirs » par de la « téléphonie ». Certaines d’entre elles étaient dans les tiroirs de l’administration depuis un moment. Comme la boîte vocale qui permet, depuis fin mars, de laisser des messages audio aux personnes incarcérées (dans la limite de trente minutes d’enregistrement). Si le système implique, sans surprise, que les messages soient potentiellement écoutés, il présente aussi des avantages, une fois les démarches effectuées : pour les personnes à l’extérieur, la possibilité de prévenir en cas d’urgence et (2)

d’événement familial important quand d’ordinaire, ils doivent attendre les appels de leur proche détenu. Pour ces derniers, d’échanger avec ceux et celles qui sont indisponibles pendant les créneaux d’accès au téléphone (qui chevauchent parfois le temps scolaire des enfants par exemple). « Je lui donne des nouvelles chaque fois que j’ai des retours de ses professeurs, explique une visiteuse accompagnant une jeune femme dans la reprise de ses études. Ça lui permet aussi de rester en contact avec ses amis ou sa mère qui travaillent en journée. » Mis à part quelques dysfonctionnements lors de sa mise en place, le dispositif est aujourd’hui globalement apprécié par les usagers – et nombre d’entre eux demandent sa pérennisation. En outre, chaque personne détenue s’est vu allouer un crédit téléphonique mensuel de quarante euros en avril et en mai . Une initiative qui a permis de maintenir les liens dans certaines familles dans l’incapacité de financer les communications. La somme de quarante euros a cependant été jugée « insuffisante » par la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) Adeline Hazan, qui plaide pour la « gratuité totale du téléphone » jusqu’à la fin de la crise – une proposition soutenue par l’OIP. « Il ne s’agit pas de faire des économies de bout de chandelle, il s’agit de donner aux détenus la possibilité de garder un lien avec le reste du monde », appuyait la CGLPL . (3)

(4)

UN ACCÈS AU TÉLÉPHONE LIMITÉ ET PARFOIS FACTEUR DE RISQUES Dans certaines prisons, des dysfonctionnements techniques sont venus limiter plus ou moins durablement la portée de ces mesures. « Depuis l’installation de lignes fixes en cellule il y a un mois, il faut débrancher et rebrancher le téléphone pour espérer avoir une tonalité, et en général ça ne fonctionne pas », témoignait, fin mars, un homme détenu à Toul. En mars et en avril, des problèmes ont aussi été signalés à la maison d’arrêt de La Santé, au centre de détention de Roanne et au centre pénitentiaire de La Talaudière.

PLUS DE PARLOIRS, PLUS DE LINGE Avec la suppression des parloirs, c’est aussi la remise de linge propre

de leurs affaires. […] Mais la bonne vieille méthode du lavage à la

qui a été interdite aux proches. En guise d’alternative, un « dispo-

main, pas sûr que ce soit très utile contre le Covid-19 », témoigne

sitif de lavage gratuit » a été promis par la pénitentiaire, mais dans

la mère d’un détenu. Particulièrement touchées, les personnes

les faits, de nombreux établissements ne l’ont pas proposé. « Depuis

détenues qui avaient donné leur linge à laver à des proches avant

la suppression des parloirs, on doit laver et faire sécher notre linge

le confinement. « Le 17 mars, jour de notre dernier parloir, j’ai récu-

comme on peut, dans la cellule. Est-ce qu’il n’y a pas d’obligation

péré tout son linge sale pour le laver. Depuis, les parloirs ont été

pour l’administration d’assurer le lavage ou l’accès à une lingerie ?

suspendus et il n’a pas de vêtements de rechange, alors il en

À Fresnes, on n’a rien de tout ça », s’interroge un détenu. Aux Bau-

emprunte à ses codétenus. Ce n’est pas un indigent mais là, il se

mettes non plus, « il n’y a pas de machine à laver : je fais ma lessive

sent tout comme », s’attriste la compagne d’un détenu à Nanterre.

dans la douche, par terre, c’est un carnage pour le linge ». Certaines

Malgré la reprise des visites, le dépôt de linge reste impossible dans

personnes préfèrent laver leurs vêtements elles-mêmes par crainte

de nombreux établissements, même s’il est en théorie autorisé

des pertes et des vols. « Ils ne veulent pas laisser leur linge à la

depuis le 2 juin, d’après une note de la DAP.

blanchisserie parce qu’ils ne récupèrent pas forcément la totalité

MARS-JUIN 2020 / DEDANS DEHORS N°107

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© Korganow

Du reste, la majorité des personnes détenues ne disposent toujours pas du téléphone en cellule . Et doivent donc se contenter des cabines collectives, installées dans les coursives ou les cours de promenades. Sans surprise, la suppression des parloirs s’est donc traduite par une affluence accrue vers les postes opérationnels (parfois un seul pour toute une cour de promenade ou tout un étage). « Il y a une queue pas possible », décrit une personne incarcérée aux Baumettes. « Le plus souvent, on ne peut se parler que trois minutes, parce qu’il y a du monde qui attend », déplore une compagne de détenue. Un contexte qui ne permet ni intimité, ni confidentialité des conversations. À l’heure de l’épidémie, l’usage de ces cabines représente surtout un énorme risque sanitaire. « On a une seule cabine téléphonique pour trente détenus, et on ne peut pas la désinfecter alors qu’on passe les uns après les autres », dénonce une personne incarcérée aux Baumettes. À Avignon, « il n’y a pas de mesure d’hygiène : le combiné n’est pas désinfecté après chaque appel, le virus va très vite circuler », s’inquiète un détenu. Alors, pour s’épargner un risque, nombreux sont ceux qui préfèrent se priver d’appels. (5)

(6)

44 / DEDANS DEHORS N°107 / MARS-JUIN 2020

(5) « À l’heure actuelle, environ 70 établissements [sur 186] sont déjà équipés », a précisé la ministre de la Justice dans une interview à 20 Minutes le 17 mars 2020. (6)

Comme le signalait, en avril, un détenu au centre pénitentiaire d’Avignon-Le Pontet.

(7)

N'ayant pas accès aux kits de correspondance réservés aux indigents.

Une femme dont le compagnon, incarcéré à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, est atteint du VIH, rapporte : « Je suis très inquiète, il est très vulnérable. Sur les conseils de son avocat, il ne sort pas de cellule, c’est trop risqué pour lui. Mais du coup il ne peut pas téléphoner depuis les cabines. » Depuis la suppression des parloirs, des détenus qui n’avaient jamais utilisé de téléphones portables en prison ont décidé de prendre ce risque. « Il ne va pas à la cabine téléphonique, c’est trop compliqué, mais il y a un téléphone occulte qui circule entre les détenus », explique à l’OIP la conjointe d’un détenu à Nanterre. Ces téléphones permettent de donner des nouvelles à plusieurs familles. Dans les témoignages recueillis par l’OIP, plusieurs proches de détenus expliquent ne réussir à avoir des informations que par ce biais. Pourtant, la détention et l’usage d’un téléphone portable en prison restent une infraction susceptible d’être sanctionnée, y compris pénalement. En théorie, il reste toujours le courrier. Mais la correspondance écrite reste quasi inaccessible aux personnes illettrées ou aux plus précaires , nombreuses en prison. Face (7)


Crise sanitaire

LA SOLIDARITÉ DEDANS-DEHORS RENFORCÉE à ce constat, l’Association nationale des visiteurs de prison (ANVP) a demandé à l'administration de financer la gratuité des timbres et du matériel de correspondance pour toutes les personnes détenues – une demande à laquelle l’administration n’a pas donné suite à ce jour. Par ailleurs, les délais de transmission du courrier ont longtemps été, comme à l’extérieur, beaucoup plus longs qu’à l’ordinaire. « Je viens de recevoir le courrier qu’il m’a envoyé fin mars », s’agaçait ainsi une mère de détenu le 30 avril. (8)

© Grégoire Korganow - CGLPL

SANS AUCUNE NOUVELLE, DES PROCHES RONGÉS PAR L’INQUIÉTUDE Cette multiplication d’obstacles a amené, pour certains, à la rupture totale de liens déjà fragiles. « Nous sommes inquiets, sans nouvelles de lui ni par téléphone ni par courrier depuis le dernier parloir, début mars », témoigne, en avril, une compagne de prisonnier. « Je [lui ai] envoyé une carte postale avec mon numéro de téléphone dessus pour qu’il puisse m’appeler, mais je n’ai pas de nouvelles. Comment savoir si la carte est bien arrivée ? Je suis très inquiet », souffle le frère d’un détenu. Des silences qui n’ont fait qu’augmenter la souffrance et l’anxiété de chaque côté des murs – d’autant plus vives quand la personne incarcérée a une santé fragile ou qu’elle a partagé une cellule avec un malade (lire page 46). Sans nouvelle de leur proche incarcéré, certaines personnes ont tenté d’en obtenir auprès des établissements. Mais les téléphones ont souvent sonné dans le vide, en témoignent les nombreux témoignages reçus par l’OIP. « J’ai appris qu’il y avait plusieurs cas de Covid-19 au centre pénitentiaire, alors depuis plusieurs jours, j’essaye de téléphoner à la prison pour avoir des nouvelles de mon fils. Mais je tombe toujours sur une messagerie qui ne prend aucun message car elle est surchargée. Comment puis-je le contacter ? », s’inquiétait un père pendant le confinement. Une inquiétude souvent teintée d’incompréhension quand, à l’intérieur, les mesures de prévention (port de masque et de gants, gestes « barrières ») ont tardé à être appliquées par le personnel pénitentiaire faute de matériel – et sont encore observées de manière inégale, alors même que les établissements sont, depuis la fin mars, pourvus en masques et en gants. Un sentiment d’injustice qui a persisté après le 11 mai, face aux conditions dans lesquelles ont repris les parloirs (lire page 60). n

(8) Dans un communiqué du 26 mars

Pour aider au maintien des liens, plusieurs initiatives associatives ont éclos dès la fin mars. À l’Association nationale des visiteurs de prison (ANVP), des bénévoles ont remplacé des visites par des correspondances écrites et ont réussi à faire transmettre des emails par des Services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip). Une permanence téléphonique, opérationnelle jusqu’à fin juillet, permet aussi de transmettre des messages de personnes incarcérées à des visiteurs, membres de l'association ou non. L’association Champ libre, qui a dû renoncer à l’animation d’ateliers en prison, a également décidé de se mettre au courrier. Grâce à des accords passés avec des Spip et La Poste, une cinquantaine de bénévoles échangent avec des personnes incarcérées dans cinq établissements franciliens (Bois d’Arcy, Nanterre, Poissy, Réau et Versailles). Autre nouveauté : une adresse email* créée par l’association Lire pour en sortir afin de collecter des textes de proches. Certains ont été lus dans les sept épisodes de l’émission « Déconfiné.e.s », lancée le 3 avril sur la Chaîne parlementaire (LCP). Plusieurs équipes de radios associatives sont par ailleurs restées mobilisées pour relayer les témoignages. C’est le cas par exemple de l’Actualité des luttes et de l’Envolée, qui a proposé un « flash info » quotidien dès le début de la crise. À signaler aussi, le « répondeur du confinement » lancé par le média indépendant Radio parleur. Avant le confinement déjà, l’émission nantaise le Casse-Murailles proposait sur le même principe « une messagerie à destination des personnes détenues et de leurs proches ». Quant aux numéros verts (confidentiels et gratuits) mis en place par six aumôneries nationales à la fin avril, ils seront maintenus jusqu’à fin juin au moins. « On s’est rendu compte que ça nous permettait de rentrer en contact avec des personnes qui n’étaient pas habituées de l’aumônerie », rapporte JeanFrançois Pénouët, responsable national de l’aumônerie catholique. « Le téléphone nous permet de toucher beaucoup de personnes en isolement, explique Samia Ben Achouba, secrétaire nationale de l’aumônerie musulmane. Malgré la reprise progressive des visites, nous craignons de ne pas pouvoir rencontrer toutes les personnes à cause des normes de sécurité sanitaire, ce numéro vert nous permet de pallier ce manque. Et de protéger nos aumôniers les plus âgés ou les plus fragiles, jusqu’à ce que les choses rentrent dans l’ordre. » * confinement@lirepourensortir.org

MARS-JUIN 2020 / DEDANS DEHORS N°107

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ENQUÊTE Reconnue comme prioritaire par l’administration pénitentiaire, la reprise des parloirs, lundi 11 mai, a toutefois été chaotique. Informations lacunaires, réservations compliquées, mesures barrières lourdes et dans certains cas, amende pour avoir dépassé la limite des 100km : une accumulation qui a conduit certaines familles à renoncer aux visites.

REPRISE DES PARLOIRS ENTRE INCERTITUDE ET FRUSTRATION par CHARLINE BECKER

A

Après huit semaines sans se voir – et dans certains cas, sans aucun contact (lire page 42), les personnes détenues et leurs proches ont accueilli avec soulagement l’annonce de la reprise progressive des visites. Mais – première déconvenue –, tous n’ont pas été autorisés à reprendre le chemin des parloirs. La note produite par la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) le 6 mai précisait en

60 / DEDANS DEHORS N°107 / MARS-JUIN 2020

effet que leur accès était réservé aux personnes âgées de 16 ans et plus. Et privait donc des milliers de parents incarcérés de retrouver un lien mis à mal par deux mois de confinement. « Mon fils n’a pas vu sa fille d’un an et demi depuis trois mois. À cet âge, un enfant a besoin de voir ses parents – et eux de les voir grandir, de leur parler », explique la mère d’un détenu. Un coup difficile à encaisser


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Crise sanitaire

pour de nombreuses familles : « Nos enfants pleuraient à la maison de ne pas pouvoir retourner voir leur père », raconte ainsi Sophie. Les plus jeunes ne sont d’ailleurs pas les seuls à avoir été privés de parloirs. Bien que cela ne soit pas prévu dans la note de la DAP, certaines prisons ont en effet interdit l’accès des parloirs aux personnes de plus de 65 ans – comme par exemple à Lille-Annœullin ou à Tarascon. « C’est honteux que des parents se voient refuser de rendre visite à leur enfant incarcéré ! », s’exclame une proche. Dans d’autres établissements, ce seuil a été élevé à 70 ans – des inégalités révélatrices du flou et du manque d’information qui ont accompagné la reprise des parloirs.

FRANCHIR LES 100KM : INCERTITUDES ET VERBALISATIONS C’est sans doute la question de la limite des cent kilomètres qui a suscité le plus d’interrogations, tant au sein des familles qu’auprès du personnel pénitentiaire. « Mon compagnon étant incarcéré à plus de cent kilomètres de mon domicile, je souhaiterais savoir si l’on peut me verbaliser, ou si ça passe comme motif familial impérieux », nous interrogeait ainsi, comme tant d’autres, la compagne d’un détenu durant le week-end du 8 mai. Nulle réponse à cette question dans la note de la DAP du 6 mai. Interrogée sur le plateau de France Inter le 7 mai, la ministre de la Justice avait expliqué que ces visites pourraient constituer un motif légitime de déplacement. Problème : aucune position officielle du ministère de l’Intérieur n’est venue confirmer ces propos. Nos demandes étant restées lettres mortes, c’est par le biais de la plateforme de tchat mise en place par la Police nationale que l’OIP tenta d’obtenir des réponses. Et finit par apprendre, plus de dix jours après la reprise officielle des parloirs, que « selon la position officielle de la Direction générale de la police », les proches d’un détenu incarcéré hors département et à plus de cent kilomètres pouvaient aller le voir « après avoir pris attache avec l’établissement pénitentiaire pour s’assurer que les visites sont autorisées ». Certaines personnes se sont pourtant fait verbaliser, comme Madame B., contrôlée et renvoyée chez elle avec une amende après avoir parcouru deux cents kilomètres : les fonctionnaires en charge du contrôle ont estimé qu’en dépit des justificatifs présentés, la rencontre avec son compagnon ne s’apparentait pas à « un motif familial impérieux », ce dernier n’étant « pas en train de mourir ». Une

erreur manifeste d’appréciation, peut-être due au fait que la position de la Direction générale de la police n’a pas été officialisée et diffusée aux agents sur le terrain, leur laissant toute latitude dans la façon d’apprécier la situation. Au sein de l’administration pénitentiaire comme des forces de l’ordre, chacun semble avoir son idée sur la question. Un détenu au centre pénitentiaire d’Écrouves expliquait ainsi : « Le directeur nous a informés que le parloir n’était pas une raison de braver l’interdiction de dépasser cent kilomètres. » À Joux-la-Ville, on informe les visiteurs que s’ils dépassent les cent kilomètres, c’est « à leurs risques et périls », détaille Paula, dont le conjoint est incarcéré. Et de fait : sur soixante-dix commissariats et gendarmeries contactés les 27 et 28 mai par l’OIP, les réponses variaient d’une brigade à l’autre. Pour 40 % d’entre eux, ce déplacement était légitime. À l’opposé, 18 % étaient catégoriques : « Ce n’est pas possible, ça ne rentre pas dans les cas autorisés. Vous risquez une amende », nous a-t-il souvent été répondu. Le reste des agents interrogés ont fait part de leur ignorance sur ce point – et souvent répété que la verbalisation dépendrait de la personne effectuant le contrôle, en incitant les visiteurs à attendre la fin de la limite des cent kilomètres, le 2 juin.

DES MESURES BARRIÈRES SOURCES DE FRUSTRATION Mais avant de pouvoir se rendre au parloir, encore fallait-il pouvoir en réserver un. « Depuis lundi, nous ne cessons d’appeler le service de réservation des parloirs, entre 8h30 et 17h, toutes les vingt minutes. La seule réponse que nous ayons est ‘‘rappelez ultérieurement’’ », expliquait Myriam, qui souhaitait rendre visite à son fiancé, quelques jours après la fin du confinement. Comme elle, des dizaines de familles se sont heurtées à des standards surchargés, bien que les effectifs aient été renforcés dans certains établissements. « J’ai dû passer très exactement 193 appels avant d’avoir un parloir », détaille ainsi Martine, dont le compagnon est incarcéré dans le nord de la France. Une fois le parloir réservé, il fallait encore se conformer aux différentes mesures venues encadrer son déroulement, afin de garantir un cordon sanitaire autour des établissements pénitentiaires. Les visiteurs étaient d’abord priés de remplir une attestation, certifiant sur l’honneur n’avoir été ni malade, ni en contact avec des personnes malades. Or, la majeure partie de la population n’ayant pas été testée et une partie des malades étant asymptomatiques, comment s’assurer de la véracité de ce que l’on atteste ? Une question

MARS-JUIN 2020 / DEDANS DEHORS N°107

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© Grégoire Korganow - CGLPL

d’autant plus cruciale que des sanctions étaient prévues en cas de fausse information. Ensuite, les visites étaient limitées : une personne par semaine, pour un parloir d’une durée maximale d’une heure. Un temps qui peut sembler bien court lorsque l’on vient de loin : « Je ne vais pas faire six cents kilomètres

62 / DEDANS DEHORS N°107 / MARS-JUIN 2020

pour voir ma compagne une heure ! », s’exclame ainsi une femme. Durant les visites, les mesures adoptées ont parfois été mal vécues par les personnes détenues comme par leurs proches. Partout où cela a été possible, les parloirs ont en effet été équipés de vitres en plexiglas et déplacés dans des lieux collectifs, comme les gymnases, afin de permettre aux surveillants de pouvoir veiller au respect des gestes barrières. Lesquels étaient contraignants : visiteurs comme détenus étaient priés de porter un masque et avaient interdiction de se toucher, sous peine de voir le parloir interrompu, le permis de visite suspendu pendant trois semaines et d’être, pour le détenu, placé en quatorzaine immédiatement. Des mesures lourdes et douloureuses pour les proches : « Être près de lui et ne pas pouvoir le toucher… j’en ai pleuré », confiait Émilie. Certains agencements des parloirs ont laissé les visiteurs perplexes : « Je conçois très bien que le port du masque soit indispensable. Mais une table de deux mètres tenant toute la largeur du box et interdisant tout contact l’est-elle réellement ? Sans compter les allées et venues des surveillants derrière les vitres toutes les trente secondes. J’ai énormément pris sur moi pour que mon compagnon ne voie rien, mais lorsque je suis sortie, j’étais en larmes. J’y retourne quand même cette semaine car je sais bien que lui compte sur moi », expliquait une autre femme. De nombreuses familles rapportaient aussi avoir eu du mal à s’entendre. « Les masques étouffent nos mots, nous entendons les échanges des voisins », détaillait la sœur d’une personne détenue. « Les conditions de parloirs sont très strictes, tellement que nous ne nous entendons même pas parler, expliquait Sandra, dont le conjoint est incarcéré. Il y a une planche de bois du sol au plafond et un petit plexiglas au milieu, mais aucun petit trou pour pouvoir entretenir une discussion ! De plus, nous avons chacun un masque, donc nous nous entendons encore moins bien. Ils pourraient faire au moins de tout petits trous, qu’on puisse s’entendre ! »


Crise sanitaire

Certains établissements ont, à la marge, tenté d’arrondir les angles : dans un établissement du sud de la France, une compagne racontait avoir été autorisée à tenir son conjoint par la main. Mais là où des établissements ont adouci certaines mesures, d’autres les ont renforcées – avec des parloirs réduits à moins d’une heure dans certaines prisons ou encore limités à un tous les quinze jours, comme au centre de détention de Tarascon (lire l’encadré ci-dessous).

(1)

Cette nouvelle note autorise cependant le visiteur à être accompagné d’un mineur de moins de 16 ans. En revanche, la durée des parloirs est toujours limitée à 1h.

UNE ATTEINTE EXCESSIVE AU MAINTIEN DES LIENS FAMILIAUX Si l’ensemble de ces mesures a été jugé nécessaire par le ministère de la Justice pour former un cordon sanitaire efficace autour des prisons, l’atteinte qu’elles causent au droit et au respect de la vie privée et familiale peut être jugée disproportionnée. Saisi par un référé-liberté, le tribunal administratif de Caen a ainsi, le 26 mai, ordonné au centre pénitentiaire de retirer les séparations en plexiglas séparant les visiteurs des détenus. Le juge pointe notamment dans son délibéré que la prison de Caen étant en zone verte, aucun cas n’ayant été dépisté à l’intérieur et le requérant n’étant pas jugé comme une personne vulnérable, « le dispositif adopté [ndlr : port du masque et séparation en plexiglas] excède ce que l’efficacité de l’“anneau sanitaire” peut justifier et méconnaît son droit au maintien

de relation avec les membres de sa famille ». Le détenu pointant notamment l’impossibilité de s’entendre dans le brouhaha ambiant, le juge a enjoint à l’administration de mettre en place une organisation permettant aux détenus et à leurs proches de poursuivre une conversation, et ce à partir du 8 juin. Une décision qui n’a pas dissuadé l’administration pénitentiaire de demander aux établissements, dans une nouvelle note du 2 juin , de poursuivre la mise en œuvre « sans aucun relâchement » des aménagements matériels réalisés jusqu’à présent dans les zones dédiées aux parloirs. En attendant, les dispositions adoptées ont découragé certains proches de faire le déplacement. « Je viens d’effectuer mon premier parloir post-confinement, qui sera aussi le dernier dans ces conditions. Plexiglas, masques, surveillants en permanence derrière la porte, aucune intimité, impossibilité de se toucher ou de parler de choses personnelles. C’est brutal et choquant », expliquait une personne détenue à Rouen. Pour la compagne d’un autre, « le plexiglas, le masque et le manque de contact physique, c’est assez traumatisant. Si la venue des enfants venait à être autorisée le 2 juin et que ces mesures devaient être prolongées, je ne sais pas si j’irais… Mes enfants ne se remettraient pas de voir leur père comme ça. » n (1)

PRISON DE TARASCON : UN ACCÈS AUX PARLOIRS ENCORE PLUS RESTREINT QU’AILLEURS « Les détenus auront le droit à un parloir tous les quinze jours. »

ces dispositions devaient de plus, toujours selon la note du 6 mai,

C’est l’une des premières phrases, débitée par une voix automa-

être « expliquées aux personnes détenues et à leurs familles, et

tique, que les proches entendaient entre le 11 mai et le 8 juin lorsqu’ils

soumises au contrôle des directions inter-régionales ». Des consignes

appelaient le centre de réservation des parloirs de Tarascon. Une

manifestement ignorées par la prison de Tarascon : « J’ai appelé

disposition illégale, qui portait une atteinte disproportionnée au

jeudi 4 juin le centre de détention pour tenter d’avoir un parloir

maintien de liens familiaux déjà mis à mal par deux mois de confi-

cette semaine : on m’a dit que c’était impossible, que c’était un

nement.

tous les quinze jours », explique Maria dont le compagnon y est

Les conditions de reprise des parloirs ont en effet été encadrées

incarcéré. Sans qu’aucune explication ne soit donnée sur cette

très précisément par la note de la Direction de l’administration

limitation. Joint le 5 juin par téléphone, le centre pénitentiaire

pénitentiaire émise le 6 mai. Cette dernière indiquait que « pendant

confirmait que la durée des parloirs n’avait pas été rallongée pour

la première phase du déconfinement […] chaque détenu ne pourra

compenser : ils ne durent qu’une heure. Maria s’interroge : « Ils ont

bénéficier que d’un seul parloir par semaine ». Une nouvelle note

le droit de faire ça ? »

de la DAP émise le 2 juin est venue quant à elle alléger ce principe,

Manifestement, non. La disposition étant contraire à la note du

en permettant aux chefs d’établissement d’organiser plus d’un

6 mai et à celle du 2 juin – et violant de surcroît le droit au respect

parloir s’ils le souhaitaient. Si ces modalités pouvaient donc être

de la vie privée et familiale tel que garanti par l’article 8 de la

adaptées – suspendues ou au contraire élargies – en fonction de

Convention européenne des droits de l’homme –, la direction inter-

l’évolution de l'épidémie, rien ne justifiait que le centre de déten-

régionale, saisie par l’OIP, a assuré que les parloirs allaient désor-

tion de Tarascon, situé en zone verte depuis le début du déconfi-

mais être possibles chaque semaine, comme cela aurait dû être le

nement, ait restreint encore davantage l’accès aux parloirs. Cen-

cas dès le 11 mai.

sées être « proportionnées et adaptées aux circonstances locales »,

MARS-JUIN 2020 / DEDANS DEHORS N°107

/ 63


QU’EST-CE QUE L’OIP ? La section française de l’Observatoire international des prisons (OIP), créée en janvier 1996, agit pour le respect des droits de l’Homme en milieu carcéral et un moindre recours à l’emprisonnement.

COMMENT AGIT L’OIP ? L’OIP dresse et fait connaître l’état des conditions de détention des personnes incarcérées, alerte l’opinion, les pouvoirs publics, les organismes et les organisations concernées sur l’ensemble des manquements observés ; informe les personnes détenues de leurs droits et soutient leurs démarches pour les faire valoir ; favorise l’adoption de lois, règlements et autres mesures propres à garantir la défense de la personne et le respect des droits des détenus ; défend une limitation du recours à l’incarcération, la réduction de l’échelle des peines, le développement d’alternatives aux poursuites pénales et de substituts aux sanctions privatives de liberté.

OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS SECTION FRANÇAISE

ADRESSES Pour tout renseignement sur les activités de l’OIP – Section française ou pour témoigner et alerter sur les conditions de détention en France :

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L’OIP EN RÉGION Les coordinations inter-régionales mènent leur action d’observation et d’alerte au sujet de tous les établissements pénitentiaires des régions concernées en lien avec les groupes et correspondants locaux présents. POUR CONTACTER LES COORDINATIONS INTER-RÉGIONALES :

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Depuis 20 ans, la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP) fait connaître l’état des conditions de détention en France, défend les droits et la dignité des prisonniers et contribue au débat public par un travail rigoureux d’éclairage et d’analyse des politiques pénales et pénitentiaires, au cœur des problématiques de notre société.

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