OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS / SECTION FRANÇAISE
N°104 / JUILLET 2019 / 7,50 € PRISON
la clé est ailleurs
SOMMAIRE Publication trimestrielle de la section française de l’Observatoire international des prisons association loi 1901, 7 bis, rue Riquet, 75019 Paris, Tél. : 01 44 52 87 90, Fax : 01 44 52 88 09 e-mail : contact@oip.org Internet : www.oip.org Directrice de publication Delphine Boesel Rédactrice en chef Laure Anelli Rédaction Laure Anelli Charline Becker François Bès Paul Blanchard Sarah Bosquet Marie Crétenot Jeanne Lancelot Cécile Marcel Secrétariat de rédaction Laure Anelli Cécile Marcel Identité graphique Atelier des grands pêchers atelierdgp@wanadoo.fr Maquette Claire Béjat clairebejat.fr © Photos et illustrations, remerciements à : Bernard Bolze, Albert Facelly, Jack Guez, Alexandre Kha, Grégoire Korganow, Michel Lemoine, Frederic Pitchal À La Revue dessinée, au CGLPL et à l'agence Divergence Impression Imprimerie ÇAVA Expressions 114 rue de Meaux, 75 019 Paris Tél. : 01 43 58 26 26 ISSN : 1276-6038 Diffusion sur abonnement au prix annuel de 30 € Illustration de couverture : © Alexandre Kha CPPAP : 1123H92791
DÉCRYPTAGES p. 4 Vote en prison : une « révolution » ? p. 38 Un dangereux croisement de fichiers
ENQUÊTE
Mar à L’O
p. 7 Nouvelle affaire de violences pénitentiaires à LilleSequedin
INTRAMUROS
p. 35 Centre national d’évaluation en Outre-mer : pour la DAP, c’est non
p. 36 Les appels à l’OIP désormais autorisés p. 36 La Santé : les détenus ont la dalle p. 37 Les Baumettes : l’administration ferme les fenêtres, les détenues trinquent
DOSSIER PRISON
LA CLÉ EST AILLEURS p. 11
ÉDITO IL TÉMOIGNE p. 9 Violences : « On lui a fait payer le fait d’avoir parlé »
rche OMBRE DEVANT LE JUGE
p.40 Grève des surveillants : la Belgique condamnée pour traitement dégradant p.43 Isolement carcéral : le contrôle du juge des référés renforcé p.44 Indemnisation d’un détenu placé au quartier disciplinaire sans drap ni couverture p.44 Le Conseil d’État ordonne l’amélioration des conditions de détention à Rémire-Montjoly p.45 De nouvelles voies de recours pour les détenus
LA CAGE EN IMAGES par CÉCILE MARCEL,
directrice de l’OIP-SF Toucher un autre public, c’est le pari que nous avons fait en collaborant avec La Revue dessinée pour produire le reportage graphique que vous trouverez en dossier de ce numéro. Il est publié simultanément dans le numéro d’été de cette revue, tirée à 20 000 exemplaires, qui croque chaque trimestre l’actualité sous forme de bandes dessinées. Dans une mise en scène épurée, l’illustrateur Alexandre Kha revient sur un constat dressé au fil de nos analyses : la construction de toujours plus de prisons ne se fait pas au bénéfice d’une société plus sûre et, au contraire, l’incarcération est « un moyen onéreux de rendre les délinquants plus délinquants encore ». Alors, les solutions seraient-elles ailleurs ? Pour répondre à cette question, ce reportage graphique nous emmène du côté du Portugal, où l’usage des drogues a été largement dépénalisé, et du Québec, où un programme expérimental permet d’éviter l’enfermement des personnes atteintes de troubles psychiques. Avec en toile de fond une même logique : les personnes malades ou souffrant d’addiction n’ont pas leur place en prison. Il nous fait découvrir les choix de plusieurs pays scandinaves de privilégier des politiques sociales axées sur la prévention, de limiter le recours à l’incarcération, réduire la durée des peines ou encore favoriser une sortie accompagnée des prisonniers en systématisant les procédures de libération conditionnelle. Il nous montre enfin comment les magistrats écossais, en prenant le temps d’apprécier la situation des personnes qu’ils jugent pour proposer une réponse adaptée, évitent de prononcer des courtes peines de prison particulièrement contreproductives au profit d’une prise en charge en milieu ouvert. Autant d’expériences dont la France pourrait et devrait s’inspirer. Pourtant, elle reste l’un des rares pays d’Europe occidentale dont la population carcérale continue de croître de manière exponentielle. Pourquoi ? Parce que la prison reste perçue et présentée comme la peine de référence, parce que les gouvernements successifs s’enferment depuis vingt ans dans une surenchère sécuritaire et que les responsables politiques n’ont pas le courage de résister à des solutions simplistes et populistes. Une tendance que le lancement d’un plan de construction de nouvelles prisons d’une ampleur inédite ne semble pas vouloir enrayer. Les plus curieux trouveront dans les différentes publications de l’OIP plus d’informations sur l’ensemble des sujets balayés dans cette bande dessinée. Pour tous, elle représente d’ores et déjà un outil de sensibilisation à lire et diffuser sans modération.
ENQUÊTE Le 28 mai, monsieur B., incarcéré à la maison d’arrêt de Lille-Sequedin, est placé en garde à vue à la suite d’une plainte déposée par des surveillants. Mais le jeune homme nie toute agression, et affirme avoir lui-même subi des violences de la part des agents à l’occasion d’une intervention et d’un placement au quartier disciplinaire. Une version que semblent confirmer les premiers éléments de l’enquête.
NOUVELLE AFFAIRE DE VIOLENCES PÉNITENTIAIRES À LILLE-SEQUEDIN par LAURE ANELLI
V
Vendredi 24 mai, monsieur B. devait sortir du quartier disciplinaire (QD), où il venait de purger vingt jours de sanction pour des violences sur un codétenu. Alors qu’il était raccompagné par des surveillants jusqu’au bâtiment de détention, monsieur B. aurait proféré insultes et menaces à l’encontre de « tous les détenus qu’il croisait » . Arrivé au niveau de l’atrium, les surveillants lui auraient demandé « à de multiples reprises de se calmer » et ordonné « de se (1)
Extraits de la décision disciplinaire établie le 27 mai 2019 à l’encontre de monsieur B.
(1)
retourner vers le mur le temps d’évacuer » les lieux. C’est alors que celui-ci se serait « retourné brusquement », aurait « essayé de se débattre » et « fait tomber volontairement les agents en les poussant ». Trois des surveillants portent plainte. Le jour même, le syndicat Ufap se fend d’un communiqué : monsieur B. aurait « provoqué et défié » le personnel, avant, « sans raison apparente », de « péter les plombs ». Faisant face à « une bête enragée », les surveil(2)
JUILLET 2019 / DEDANS DEHORS N°104
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lants auraient subi un « déferlement de coups totalement gratuits », avant de parvenir à « maîtriser le forcené » pour le renvoyer au quartier disciplinaire. La version de monsieur B. est tout autre. S’il reconnaît s’être énervé sur le trajet, avoir menacé les autres détenus (qui, dit-il, l’auraient eux-mêmes insulté) et tapé dans un mur, il nie toute forme d’agression envers les agents. Surtout, il dit avoir subi des violences. D’après monsieur B., lorsque les agents lui intiment l’ordre de se taire et de se mettre face contre mur, il s’exécute, tout en demandant pourquoi. Les mots de trop, à en croire son récit : « Là, ils m’ont plaqué violemment contre le mur, m’ont attrapé, ont crié : “À genoux !” Ils m’ont saisi par les cheveux et mis à terre. D’un coup, ils étaient une dizaine sur moi, j’étais écrasé, j’ai cru que j’allais étouffer. Ils m’ont mis un genou sur la tête, m’ont menotté. Pourtant, je n’avais pas bougé, et je n’ai pas mis de coup ! » Monsieur B. raconte avoir ensuite été traîné sur les genoux jusqu’au QD, la tête en bas, les bras tirés vers l’arrière. « Ils ont plié tellement fort mes poignets, j’ai cru qu’ils allaient les casser ! Un mois après, j’ai encore des marques. »
PASSÉ À TABAC AU QUARTIER DISCIPLINAIRE Une fois au QD, « sur la dernière ligne droite », nouvelle série de violences. Selon monsieur B. : « C’est là qu’ils m’ont mis les plus gros coups. Ils m’ont mis des claques, m’ont frappé, tiré les cheveux et étranglé en même temps, je me suis senti partir. » Après l’avoir « jeté dans la cellule », les surveillants auraient pris des ciseaux et découpé ses vêtements. « Ils m’ont mis tout nu, m’ont frappé. Ils m’ont dit : “Tu mets la tête sous le lit”, et ils m’ont mis des coups de rangers dans les côtes, m’ont écrasé le pied. » Il aurait ensuite été revêtu d’un pyjama déchirable censé être utilisé en cas de suspicion de passage à l’acte suicidaire. La tenue s’étant déchirée, il raconte être resté tout le weekend « tout nu, sans drap, sans rien. Je ne dormais pas bien. Je me sentais menacé, j’ai essayé de bloquer la porte tellement j’avais peur qu’ils rentrent en pleine nuit pour me frapper. J’étais vraiment traumatisé ». Le lundi arrive. Monsieur B. comparaît devant la commission de discipline, « entouré de six surveillants équipés, casqués ». Il demande à être assisté d’un avocat ; le commis d’office ne se présente pas. Qu’importe. La directrice de l’établissement le condamne à trente jours de quartier disciplinaire – la sanction maximale – pour, outre les insultes et menaces à l’encontre de ses codétenus, avoir « opposé une résistance violente aux injonctions des personnels » et « exercé ou tenté d’exercer des violences physiques à l’encontre du personnel ». Le lendemain, monsieur B. est placé en garde à vue, à la suite de la plainte déposée par les surveillants. Face aux
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(2) « Agression gratuite », Ufap CP Lille-Sequedin, 24 mai 2019. (3) Sur les rouages de l’omerta qui règne en prison et les risques auxquels s’exposent les personnes détenues qui souhaiteraient témoigner contre des surveillants, lire notre rapport « Omerta, opacité, impunité : enquête sur les violences commises par des agents pénitentiaires sur des personnes détenues », juin 2019. (4)
OIP, op. cit.
« Lille-Sequedin : un surveillant mis en examen dans une affaire de violence entre détenus », communiqué de l’OIP, 18 octobre 2018. (5)
policiers, il commence par reconnaître les faits dont les agents pénitentiaires l’accusent. « La vérité, c’est que j’avais peur. Après, j’allais retourner à la prison. Vous comprenez ? » Les enquêteurs demandent à la prison l’extraction des images de vidéosurveillance. Visionnées lors de la garde à vue, celles-ci, d’après plusieurs sources, contredisent la version des agents concernant l’incident dans l’atrium : il n’aurait pas opposé de résistance, ni porté de coup. Ces images étaient pourtant à la disposition de la direction de l’établissement au moment où celle-ci sanctionnait monsieur B. Le même jour, il est examiné par un médecin légiste. Dans son certificat, l’expert fait état, entre autres, de traces d’étranglement, de plaies aux genoux et aux poignets, de nombreuses ecchymoses sur les bras, les jambes et le tronc, avec suspicion de fracture de côte « nécessitant un bilan radiologique rapide ». Il conclut que ces constatations sont « compatibles avec les faits allégués » par monsieur B. et chiffre le traumatisme à six jours d’incapacité totale de travail, « sous réserve de complication et des bilans complémentaires radiologiques recommandés ». Contacté, le parquet indiquait début juin que « les premiers éléments laissent penser que le détenu serait peut-être davantage victime qu’auteur de violences ». L’enquête sur la plainte visant monsieur B. est, début juillet, toujours en cours. Désormais libre, monsieur B. a l’intention de porter plainte. Tant qu’il était en détention, il avait écarté cette possibilité par crainte de subir des représailles. (3)
Une altercation qui dégénère en intervention brutale, des violences commises à l’occasion d’un placement au quartier disciplinaire, des écrits professionnels falsifiés, une direction qui prend pour argent comptant les déclarations de ses agents au mépris des droits des personnes dont elle a la responsabilité, un détenu violenté qui se retrouve visé par une plainte et préfère se taire par crainte de subir des représailles… : des traits caractéristiques de nombreux cas de violences pénitentiaires, mis en lumière par l’OIP dans son rapport paru en juin 2019 , que semble réunir cette nouvelle affaire aujourd’hui entre les mains de la justice. (4)
Ce n’est pas la première fois qu’une affaire de violences impliquant des personnels de surveillance survient à la maison d’arrêt de Lille-Sequedin. En octobre 2018, l’OIP et le journal La Voix du Nord rendaient publique une affaire dans laquelle un surveillant était mis en examen pour complicité de violences . Passée à tabac en cour de promenade par des codétenus, la victime avait écopé de soixante-trois jours d’ITT. D’après nos informations, un ou plusieurs autres agents pourraient être impliqués dans ce lynchage. L’instruction est toujours en cours. n (5)
[IL TÉMOIGNE] recueilli par CHARLINE BECKER
Violences : « On lui a fait payer le fait d’avoir parlé » Le 8 décembre 2017, Esther Benbassa, sénatrice EELV, effectue une visite surprise à la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône. Accompagnée de l’équipe de direction, elle se rend au quartier disciplinaire, où un détenu l’interpelle, dénonçant les violences commises par des membres du personnel sur les personnes détenues. Une prise de parole qui ne sera pas sans conséquences. Un soignant, présent les jours suivant cette visite, témoigne des représailles dont ce détenu a été victime.
«
«Ce jour-là, nous sommes appelés pour une tentative de suicide
détenus. Des articles parus dans le journal Le Progrès ont repris ses
par pendaison au quartier disciplinaire. Nous prenons alors en
propos et, depuis, il dit être sous pression : si certains surveillants
charge Monsieur G., un jeune homme suivi par notre équipe. Nous
approuvent son geste, d’autres pas du tout. Il nous dit ne plus en
sommes au surlendemain d’une visite parlementaire surprise à la
pouvoir et demande à être mis en sécurité. Son discours est déses-
maison d’arrêt (lire l’encadré).
péré, les marques sur son cou me font peur : tout atteste de son
Une fois au service médical, le patient exprime un mal-être impor-
besoin de prise en charge immédiate.
tant. Il nous raconte que, devant la sénatrice et les journalistes en
La situation est difficile ce jour-là, nous avons beaucoup d’urgences
visite, devant toute la direction ou presque, il a « osé l’ouvrir » pour
à gérer. Il n’y a pas d’escorte disponible pour qu’il soit extrait, la
dénoncer les conditions de détention et les violences subies par les
chambre sécurisée(1) est occupée… bref, il n’y a aucune possibilité
À L’ORIGINE
de l’envoyer à l’hôpital. À défaut, nous demandons une sortie du quartier disciplinaire pour un retour en détention normale. Après
C’est au moment où la sénatrice, accompagnée du directeur
des soins, une consultation et un entretien avec un infirmier psy,
de l’établissement, de membres de la direction et de journa-
Monsieur G. quitte le service. Nous convenons avec lui qu’un ou
listes, arrive au quartier disciplinaire, que Monsieur G., placé
une infirmière passera le voir au moment de la distribution des
au quartier disciplinaire, interpelle le directeur, M. Schots :
médicaments.
« C’est vous le directeur ? Je suis là depuis un an, je ne vous avais
Quand, à 13h30, nous arrivons en détention, à l’étage, quelqu’un
jamais vu ! Ah par contre, je vous ai vu dans les journaux, vous
hurle et frappe à la porte d’une cellule. Aucun surveillant n’est
avez frappé un détenu ! ». Le directeur a en effet été accusé
présent sur la coursive. Je fais appeler un agent. Lorsqu’il ouvre
d’avoir, en avril 2017, porté plusieurs coups à un détenu. Mon-
la porte, je découvre Monsieur G. vêtu d’un pyjama déchirable(2),
sieur G. poursuit : « Ici les gardiens sont violents, la violence c’est tous les jours à Villefranche ». Face à ces accusations, le directeur coupe court : l’affaire le concernant a été classée, quant aux violences exercées par le personnel pénitentiaire, les détenus sont libres d’écrire au procureur en toute confidentialité pour porter plainte.
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« IL A ÉTÉ PLACÉ DANS UNE CELLULE DANS LAQUELLE L’EAU EST COUPÉE, LE WC NE FONCTIONNE PAS, LA FENÊTRE EST CASSÉE. NOUS SOMMES AU MOIS DE DÉCEMBRE. IL Y A DU SANG PARTOUT AU SOL : CELUI DU PRÉCÉDENT OCCUPANT, QUI S’EST AUTO-MUTILÉ. »
pied-nus. Il a été placé dans une cellule dans laquelle l’eau est cou-
des conséquences. Je suis seule face à un auditoire qui ne semble
pée, le WC ne fonctionne pas, la fenêtre est cassée. Nous sommes
pas mesurer la gravité de la situation.
au mois de décembre. Il y a du sang partout au sol : celui du pré-
À la sortie de cette réunion, je fais venir Monsieur G. à l’unité sani-
cédent occupant, qui s’est auto-mutilé.
taire. Il arrive en claquant des dents, il a les lèvres violettes, il est en
Monsieur G. a faim, froid, il est en colère. Il dit qu’on lui fait payer
hypothermie, il pleure et n’arrive pas à parler tellement il a froid et
le fait d’avoir parlé, il pleure et nous demande de l’aide. Il est prêt
faim. Je suis en colère et sous le choc. Ma première réaction est de
à tout pour sortir de là, menace de commettre une agression s’il le
répondre à ses besoins essentiels : je lui donne du linge, à manger,
faut. Je m’engage à solliciter l’aide de ma direction dans la journée
lui propose de se laver, de se réchauffer. Nous avons ensuite une
pour faire cesser au plus vite cette situation. Le détenu s’apaise.
longue conversation qui m’a marquée. Comment aider quelqu’un
Un agent nous dit qu’il va faire le nécessaire afin qu’il puisse avoir
qui vient de vivre l’insupportable ? Comment rentrer chez soi en
une couverture supplémentaire.
sachant ce qui est en train de se passer ? Cette situation a été le
Face au constat d’une situation de maltraitance grave faisant suite
début d’un questionnement, pour moi, sur la situation dans les
à un passage à l’acte suicidaire, nous proposons, avec l’équipe médi-
prisons. La détention doit-elle être une sanction dont on garde les
cale, un placement en cellule de protection d’urgence afin de faire
traumatismes dans son esprit et son corps ?
sortir monsieur G. de la cellule où il est confiné et de veiller à ce
Par la suite, j’ai eu des réunions avec la hiérarchie de mon hôpital.
qu’il soit suivi. Ce placement est refusé par l’administration péni-
Tout le monde a salué notre prise en charge, mais rien de plus.
tentiaire. « S’il est pipelette, c’est qu’il n’est pas suicidaire » : voilà
L’amélioration des conditions de détention n’incombe pas à l’hôpital.
les termes employés. Désemparés, nous signalons la situation à
« C’est à l’administration pénitentiaire de faire le nécessaire. » Bien
notre hiérarchie. Je retourne pour la dernière fois de la journée en
que réaliste, cette réponse n’est pas satisfaisante. C’est pourquoi
détention et explique à Monsieur G. notre impuissance. Je m’engage
je témoigne aujourd’hui, pour monsieur G., pour tous les autres,
à lui rendre visite dès mon arrivée le lendemain.
pour que cela ne puisse pas se reproduire. » n
(3)
Le lendemain matin, lors d’une réunion pluridisciplinaire avec l’administration pénitentiaire, en présence du chef d’établisse-
(1)
ment, j’évoque cette situation. On me rétorque que monsieur G.
(3)
aurait dû prendre la mesure de ses actes et n’a pas à se plaindre
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»
Chambre sécurisée de l’hôpital de rattachement Pyjama déchirable anti-suicide Cellule réservée en cas de risque de passage à l’acte suicidaire imminent. Équipée du strict minimum, elle est dépourvue de points d’accroche pour limiter les risques de pendaison. (2)
PRISON
la clĂŠ est ailleurs
71 828 : c’est le nombre de personnes détenues dans les prisons françaises au 1er avril 2019. Jamais la France n’a eu autant de prisonniers. Une nécessité, pour certains, face à une constante augmentation de la délinquance. Et si cette évidence n’en était pas une ? Contrairement à une idée très largement répandue, la délinquance est stable. Et l’incarcération de toujours plus de personnes ne protège pas la société, au contraire. Beaucoup de nos voisins européens l’ont compris et proposent des réponses non carcérales, au point pour certains de fermer des prisons, tandis que la France prévoit l’ouverture de 15000 nouvelles places. Retour sur un entêtement coupable, en partenariat avec La Revue dessinée. OIP-SF
ALEXANDRE KHA
* Le prénom a été modifié. 171
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PRISON
* Établissement réservé aux détenus en attente de jugements et aux peines de moins de deux ans. 173
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FRANCE
Les appels à l’OIP autorisés et confidentiels
P
ar une note du 24 juin 2019, l’OIP fait officiellement son entrée dans la liste des numéros autorisés par l’administration péni-
tentiaire. Concrètement, cela signifie que les personnes détenues n’ont plus à demander l’aval du directeur d’établissement pour pouvoir ajouter l’OIP à leur liste de correspondants téléphoniques. Ils peuvent donc désormais nous contacter sans condition, au prix d’un appel local. L’intégration de l’OIP au dispositif de téléphonie sociale de l’administration présente un second intérêt majeur : les appels passés à l’OIP bénéficient désormais de la confidentialité, au même titre que les appels au Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou au Défenseur des droits. Un progrès que nous ne pouvons que saluer. Les personnes détenues peuvent appeler l'OIP pour connaître leurs droits et les faire valoir ou alerter sur un dysfonctionnement qu'elles constatent en détention.
LA SANTÉ
Les détenus ont la dalle
27
février 2019, 9 h : le député Insoumis Ugo Bernalicis se présente à la porte de la prison de Paris-La Santé. La visite parlementaire, annoncée la veille, intervient un mois après sa réouverture. Téléphone fixe en cellule, gymnase et unité sanitaire flambant neuve… Après quatre ans de travaux, la prison est présentée comme un modèle de confort offert aux détenus. Mais lorsque le député demande à ouvrir une cellule, choisie au hasard, le tableau s’assombrit. Alors qu'il interroge son occupant sur ses conditions de détention, ce dernier s’adresse aussitôt à la directrice : « Madame, on a faim, il n’y a pas assez à manger ». Un peu gêné, l’homme d’une quarantaine d’années explique être « indigent » et donc sans possibilité de cantiner pour améliorer l’ordinaire de la gamelle. Il ajoute que d’autres détenus se plaignent des faibles quantités de nourriture. Un récit qui fait écho à d’autres témoignages reçus par l’OIP depuis la réouverture de l’établissement. De février à début juin 2019, plusieurs personnes incarcérées à la Santé ont en effet rapporté manquer de nourriture. Pendant la même période, des membres de l’équipe médicale ont reçu des alertes similaires. « Le sujet principal, quand on discute avec les patients, c’est la gamelle : ils crèvent tous la dalle », témoigne un soignant. Certains praticiens, présents lors de la distribution de repas, auraient eux-mêmes été surpris par les portions « congrues » des gamelles, désormais servies à la louche (le système de bacs gastronormes ayant remplacé celui de barquettes).
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Depuis la réouverture de la prison, le service de restauration, que l’administration a délégué à la société Gepsa, a été sous-traité à un autre prestataire : Eurest. En réaction à plusieurs témoignages de personnes se plaignant de rations insuffisantes, l’équipe du Contrôle général des lieux de privation de liberté a saisi la direction de La Santé – mais n’a pas reçu de réponse à ce jour. Détenus et soignants rapportent aussi des problèmes dans le système de cantines : en raison d’un fonctionnement complexe, de nombreuses personnes rencontreraient des difficultés à passer commande. Les non-francophones, rarement aidés par des traductions et souvent très précaires, seraient les plus touchés. Certaines personnes détenues évoquent aussi des produits reçus avec du retard, ou des commandes payées en totalité qui arriveraient incomplètes. Contactée à plusieurs reprises, la direction de l’établissement n’a pas répondu officiellement aux questions de l’OIP. Tout au plus a-t-on appris qu’un « audit surprise » du service de restauration aurait été mené par la direction interrégionale des services pénitentiaires. Malgré nos demandes, les résultats de cet audit ne nous ont pas été communiqués. – Sarah Bosquet (1)
(2)
(1)
Dans le cadre d’un contrat de gestion déléguée.
La cantine désigne la possibilité pour un détenu d'acheter des produits de la vie courante, dont de la nourriture en complément de celle fournie par l’administration pénitentiaire. (2)
INTRAMUROS LES BAUMETTES
L’administration ferme les fenêtres, les détenues trinquent
A
u centre pénitentiaire de Marseille, le ministère de la Justice a décidé de remplacer les 117 fenêtres des trois étages supérieurs
du quartier des femmes et des mineures ainsi que celles du quartier
arrivants par des fenêtres « anti-bruit »(1). Il s'agit de répondre aux doléances des riverains, qui se plaignent de nuisances sonores. Saisi de cette situation, le Défenseur des droits a indiqué que deux mécanismes avaient été étudiés : la pose d’une « grille acoustique avec ventelles » (sorte de persienne) ou le remplacement du châssis, avec « une partie ouvrante réduite et équipée d’un piège à son ». La première option a été rejetée car trop occultante, c’est donc le deuxième prototype qui a été retenu. Sur ce modèle, seule une petite partie de la fenêtre peut être ouverte, qui est de surcroît équipée de lames métal© Albert Facelly / Divergence
liques fixes et d’un filet destiné à prévenir les « yoyos ». Coût estimé des travaux : 1,5 millions d’euros. Cette modification, en obstruant l’aération des cellules, dégrade les conditions de vie des personnes incarcérées. Dans les cellules de la maison d’arrêt pour femmes, qui sont orientées sud, « la chaleur était insupportable » en cette fin de mois de juin, témoigne le personnel se rendant en cellule. Des conditions qui risquent d’accroître la tension d’ores-et-déjà palpable en maison d’arrêt, les personnes y étant le plus souvent enfermées en cellule vingt-deux heures sur vingt-
La prison de La Santé a rouvert ses portes en début d'année après quatre ans de travaux.
quatre. Le 25 juin, une personne détenue a attaqué ce dispositif devant le tribunal administratif, soutenant que celui-ci ne permettait pas de ventiler suffisamment sa cellule. La direction de l’administration a assuré pour sa part que le système assurait un renouvellement de l’air conforme à la réglementation. Elle ajoute que des systèmes de ventilation par des groupes froids seront installés pour rafraîchir les cellules en période estivale. Un dispositif validé par le tribunal administratif, qui a rejeté la requête, mais dont l’efficacité sera toutefois à vérifier au cours de l’été. Des intervenants ont également fait remonter leurs préoccupations concernant l’impossibilité matérielle de faire sécher du linge aux fenêtres, particulièrement problématique pour les personnes éloignées de leurs proches, qui ne peuvent recevoir des sacs de linge propre régulièrement. Or, si les femmes sont « les premières à maintenir le lien avec leur père, frère, compagnon ou ami incarcéré, elles sont aussi plus vite abandonnées lorsqu’elles sont de l’autre côté du mur »(2). – Charline Becker
(1) Une décision qui a fait l’objet d’un communiqué de la Confédération générale du travail de l'Assistance publique des hôpitaux de Marseille, Confluences Marseille, Ligue des droits de l'Homme Marseille, Observatoire international des prisons – section française publié le 22 mai 2019.
« La solitude des femmes détenues », Dedans Dehors n°102, décembre 2018. Accessible en ligne sur notre site www.oip.org
(2)
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QU’EST-CE QUE L’OIP ? La section française de l’Observatoire international des prisons (OIP), créée en janvier 1996, agit pour le respect des droits de l’Homme en milieu carcéral et un moindre recours à l’emprisonnement.
COMMENT AGIT L’OIP ? L’OIP dresse et fait connaître l’état des conditions de détention des personnes incarcérées, alerte l’opinion, les pouvoirs publics, les organismes et les organisations concernées sur l’ensemble des manquements observés ; informe les personnes détenues de leurs droits et soutient leurs démarches pour les faire valoir ; favorise l’adoption de lois, règlements et autres mesures propres à garantir la défense de la personne et le respect des droits des détenus ; défend une limitation du recours à l’incarcération, la réduction de l’échelle des peines, le développement d’alternatives aux poursuites pénales et de substituts aux sanctions privatives de liberté.
OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS SECTION FRANÇAISE
ADRESSES Pour tout renseignement sur les activités de l’OIP – Section française ou pour témoigner et alerter sur les conditions de détention en France :
OIP SECTION FRANÇAISE 7 bis, rue Riquet 75019 Paris 01 44 52 87 90 fax : 01 44 52 88 09 contact@oip.org www.oip.org
Le standard est ouvert de 15 h à 18 h
L’OIP EN RÉGION Les coordinations inter-régionales mènent leur action d’observation et d’alerte au sujet de tous les établissements pénitentiaires des régions concernées en lien avec les groupes et correspondants locaux présents. POUR CONTACTER LES COORDINATIONS INTER-RÉGIONALES :
COORDINATION INTER-RÉGIONALE NORD ET OUEST (DISP DE LILLE ET RENNES) 7 bis, rue Riquet 75019 Paris 01 44 52 87 93 fax : 01 44 52 88 09 nord-ouest@oip.org
COORDINATION INTER-RÉGIONALE SUD-EST (DISP DE LYON ET MARSEILLE) 57, rue Sébastien Gryphe 69007 Lyon 09 50 92 00 34 sud-est@oip.org
COORDINATION INTER-RÉGIONALE SUD-OUEST (DISP DE BORDEAUX ET TOULOUSE) 7 bis, rue Riquet 75019 Paris 01 44 52 88 01 fax: 01 44 52 88 09 bordeaux@oip.org toulouse@oip.org
COORDINATION ÎLE-DE-FRANCE (DISP DE PARIS) 7 bis, rue Riquet 75019 Paris 01 44 52 88 01 fax: 01 44 52 88 09 ile-de-france@oip.org
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COMMANDE DE PUBLICATIONS DE L’OIP (frais de port inclus) OUVRAGES Passés par la case prison Le guide du prisonnier 2012 Rapport 2011 : les conditions de détention
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REVUE DEDANS-DEHORS
n° 103 Violences des surveillants : brisons le silence n° 102 Proches de détenus : les liens à l'épreuve des murs n° 101 Morts en prison : silences et défaillances n° 100 La prison par les prisonniers n° 99 Malades psychiques en prison : une folie n° 98 Travail en prison : une mécanique archaïque n° 97 Engrenage carcéral : la part des juges n° 96 Drogues et prison : décrocher du déni n° 95 Cinq ans de renoncements : et maintenant ? n° 94 Justice restaurative : la fin de la logique punitive
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