OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS / SECTION FRANÇAISE
N°95 / MARS 2017 / 7,50 €
Cinq ans de renoncements
ET MAINTENANT ?
SOMMAIRE Publication trimestrielle de la section française de l’Observatoire international des prisons association loi 1901, 7 bis, rue Riquet, 75019 Paris, Tél. : 01 44 52 87 90, Fax : 01 44 52 88 09 e-mail : contact@oip.org Internet : www.oip.org
DEVANT LE JUGE p. 46 Risques d’incendie : l’administration pénitentiaire rappelée aux exigences de sécurité
Directrice de la publication Delphine Boesel
Non respect de décisions de justice : le Défenseur des Droits réclame des sanctions disciplinaires pour un directeur de prison
Rédaction en chef Sarah Bosquet
Fouilles à nu : illégalité d’un règlement à la Maison d’arrêt des femmes de Fleury
Rédaction Laure Anelli / Marie Auter / François Bès Sarah Bosquet / Manon Cligman / Marie Crétenot Nicolas Ferran / Maxime Gouache / Amid Khallouf Cécile Marcel / Aliénor Minar
DOSSIER
Infographie Pauline De Smet Contributions bénévoles (recherches et transcriptions) Marine Aubière / Coralie Drean / Jeanne Du Tertre Mireille Jaegle / Anna Komodromou Secrétariat de rédaction Sarah Bosquet / Marie Crétenot Pauline De Smet / Cécile Marcel Identité graphique Atelier des grands pêchers atelierdgp@wanadoo.fr Maquette Maël Nonet, agence Barberousse barberousse-communication.fr © Photos et illustrations, remerciements à : Thomas Baïetto, Florence Beaudet / Radio France, Alex Bonnemaison / Emmaüs, Renaud Bouchez / Signatures, Bernard Bisson, Laurent Bonelli, Jean-Claude Bouvier, ByBBK, Marc Chaumeil, CGLPL, CGT Insertion / probation, Jean‑Claude Coutausse, EL MAC with Augustine KOFIE and RETNA, Grégoire Korganow, Bernard Le Bars, Bruno Levy, Thibaud Moritz, Môsieur J., Philippe Quaisse, Charlotte Roussel, Johan Rousselot, Corinne Rozotte, Snepap-FSU, Xavier Testelin, André Valloton. Et aux agences : Divergence-photographies et Signatures Rectificatif : l’auteur du portrait d’Alessandra paru en page 45 de notre précédent numéro – qui nous avait été transmis par cette dernière sans indication du nom du photographe – est Christophe Da Silva.
Impression Imprimerie Expressions II 10 bis, rue Bisson, 75020 Paris Tél. : 01 43 58 26 26 ISSN : 1276-6038 Diffusion sur abonnement au prix annuel de 30 € Photographie couverture : © Thomas Baïetto CPPAP : 0917 G 92791
Cinq ans de renoncements
ET MAINTENANT ? p. 4 DÉCRYPTAGE
Quand l’Europe fixe le cap
Cinq ans après les promesses
p. 37
p. 10
LE GRAND ENTRETIEN
Consolider les maigres acquis de la réforme
Prison, justice : quel avenir pour les luttes ?
p. 14
p. 38
« Une occasion manquée » pour le milieu ouvert
ELLES/ILS TÉMOIGNENT
Le quinquennat vu des prisons
p. 42
p. 17
p. 21 DÉCRYPTAGE La pénitentiaire dérive vers l’Intérieur
p. 28 Sortir de l’inflation sécuritaire
p. 32 « La seule réponse valable » : une nouvelle politique pénale
p. 34
« Mon espoir, c’est le collectif » « Replacer la prison dans son contexte social et économique »
p. 43 « Il faut valoriser nos actions dans un discours politique »
p. 44 « Combattre les idées reçues véhiculées par notre classe politique »
p. 45
ÉDITO LES MAUVAIS JOURS FINIRONT
L’ENQUÊTE p. 48 Modules « Respect » : quand innovation rime avec ségrégation
par MAXIME GOUACHE, Avocat membre de l’OIP
INTRAMUROS p. 52
L
e quinquennat de François Hollande s’était ouvert sur la promesse de mettre fin à « la fuite en avant vers le tout carcéral ». Il se referme sur un nouveau record historique du nombre de personnes détenues en France et sur l’annonce d’un nouveau plan de construction pénitentiaire. Aux vieux maux, les vieilles recettes. Et aux renoncements de ce quinquennat, l’écho de nos désillusions. D’autant que les débats qui animent la campagne électorale ne sont pas pour nous donner des raisons d’espérer des jours meilleurs. Face au consensus qui, de l’extrême droite au centre, fait de la construction de nouvelles places de prison la colonne vertébrale de discours toujours plus répressifs, les partisans de la décroissance carcérale se montrent bien discrets sur la manière dont ils envisagent d’inverser durablement la courbe du nombre de personnes détenues. Pourtant, s’il y a bien une chose que nous a enseignée ce quinquennat, c’est que les bonnes intentions ne suffisent pas à sortir de la culture du tout carcéral. Dans la pauvreté des débats en matière de justice pénale et de prison, certains candidats essayent néanmoins d’occuper l’espace médiatique. Quitte à ressasser de vieilles rengaines pourtant usées jusqu’à la corde. On agite une nouvelle fois le chiffon rouge des milliers de peines qui ne seraient jamais exécutées, feignant d’ignorer qu’il s’agit en réalité de peines d’emprisonnement en cours d’aménagement – qui seront bien exécutées. On revendique une fois encore de vouloir « fixer la majorité pénale à 16 ans », laissant sciemment penser que les mineurs de 16 à 18 ans seraient aujourd’hui pénalement irresponsables. Les ficelles sont grosses mais il semble que tout soit bon à dire pour ne pas se voir accusé de laxisme, ce repoussoir qui parasite le débat politique dès que sont abordées des questions liées au système pénal. Et dans cette surenchère répressive, peu semble importer à certains candidats que leurs prises de position trahissent en réalité leur méconnaissance profonde de ces questions. « Toute personne condamnée à une peine de prison ferme (…) devra être effectivement incarcérée avant que ne soient envisagées des mesures d’aménagement de cette peine », n’hésite ainsi pas à affirmer le candidat du centre. Une proposition qui reviendrait de facto à incarcérer massivement pour de courtes durées, condamnant ainsi les perspectives de réinsertion. Où que l’on regarde, il n’y a que peu de raisons d’espérer que le prochain quinquennat sorte notre système pénal du marasme dans lequel il se trouve. Mais nos combats et nos engagements aux côtés des milliers de personnes privées de liberté n’y trouveront que plus de force et de détermination. En nous répétant, sans cesse, que tôt ou tard les mauvais jours finiront.
© Thomas Baïetto
Valence. Le tout sécuritaire en procès
R E I S S O D
Cinq ans de renoncements
ET MAINTENANT ? Sortir de la référence prison. Le quinquennat de François Hollande s’ouvrait sur la promesse d’une véritable transformation des politiques pénales. Mais ces années ont été marquées par une rupture avec les engagements de campagne et une redoutable continuité côté conditions de détention. Mobilisée contre la dérive sécuritaire, la société civile tente, malgré tout, de construire le changement de demain. DÉCRYPTAGE
DÉCRYPTAGE
ELLES/ILS TÉMOIGNENT
Cinq ans après les promesses
p. 10
La pénitentiaire dérive vers l’Intérieur
« Mon espoir, c’est le collectif »
Consolider les maigres acquis de la réforme
p. 28
p. 42
Sortir de l’inflation sécuritaire
p. 14
p. 32
« Replacer la prison dans son contexte social et économique »
« Une occasion manquée» pour le milieu ouvert
« La seule réponse valable » : une nouvelle politique pénale
p. 17
Le quinquennat vu des prisons
p. 21
p. 43
p. 34
« Il faut valoriser nos actions dans un discours politique »
Quand l’Europe fixe le cap
p. 44
p. 37 LE GRAND ENTRETIEN Prison, justice : quel avenir pour les luttes ?
« Combattre les idées reçues véhiculées par notre classe politique »
p. 45
p. 38
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© Johan Rousselot
Par SARAH BOSQUET et MARIE CRÉTENOT
On aurait aimé éviter les mots « renoncements », « échec », « reniements » pour décrire le quinquennat Hollande. Difficile pourtant de ne pas dresser un constat amer lorsqu’on exhume en 2017 les promesses du candidat socialiste. « Je veux faire en sorte que nos prisons soient adaptées à leur objectif de réinsertion […] Et pour cela, nous devons avant tout retrouver des lieux d’enfermement digne de notre pays » lançait-il en mai 2012, en réponse à une interpellation de l’OIP. Dans cette même lettre, il n’hésitait pas à dénoncer la logique du « tout carcéral », véritable « fuite MARS 2017 / DEDANS-DEHORS N°95
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© Bruno Levy
en avant » de son prédécesseur, grand promoteur de constructions de prisons. François Hollande se prononçait aussi en faveur d’un meilleur accès des personnes détenues au travail et au droit du travail – en faveur du respect de leurs droits tout court. En mai 2012, la nomination de Christiane Taubira au ministère de la Justice était venue incarner la rupture avec l’ère Sarkozy. Très vite, la nouvelle garde des Sceaux détonne par ses prises de position courageuses sur l’enfermement des mineurs, la nocivité des courtes peines, le primat de l’incarcération… Elle dénonce le conte servi à l’opinion publique : en enfermant plus, pour de plus en plus de délits, on assurerait la protection des citoyens. « Il y a des années qu’on sait que la prison, sur les courtes peines, génère de la récidive, c’est presque mécanique. Je le dis, il faut arrêter ! Ça désocialise, ça coûte cher et ça fait de nouvelles victimes » lançait la ministre.
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L’ancienne ministre de la Justice Christiane Taubira.
Une rhétorique à l’opposé de celle qui faisait de la lutte contre la délinquance un outil d’affichage politique. Et du durcissement des politiques pénales l’unique réponse au sentiment d’insécurité habilement entretenu. Cette nouvelle posture promet la fin de la politique de l’émotion, la fin d’une logique qui impliquait d’élaborer une nouvelle loi en réponse à chaque fait divers. En septembre 2012, une conférence de consensus sur la prévention de la récidive est lancée. La méthode, importée du monde médical, est censée permettre une préparation collégiale et experte de la réforme pénale. Les espoirs suscités sont immenses : jamais un ministre de la Justice n’avait à ce point fait confiance dans le monde de la recherche et les acteurs de terrain. Cinq ans plus tard, le bilan des politiques carcérales et pénales est pourtant loin, très loin de ces objectifs ambitieux. Que s’est-il passé ?
UN DÉBAT PUBLIC POLLUÉ Le sabotage du débat public par l’opposition (mais pas seulement) n’y est pas pour rien. Dès les premières annonce de la ministre, la droite relance de plus belle le concours de mauvaise foi et de populisme : la politique Taubira ferait exploser la délinquance, mettrait à égalité récidivistes et primo-délinquants, mais surtout viderait les prisons… Pendant des mois, les accusations de laxisme épaulent les tirs nourris d’intoxs, qui invisibilisent les réflexions de la conférence de consensus. En février 2012, le rapport de la conférence est néanmoins remis au Premier ministre. Parmi ses douze propositions : « Supprimer les mesures de sûreté »,
« empêcher toute sortie sèche » des personnes détenues, ou encore « sortir certaines infractions du champ de la prison ». Le jury préconise aussi la création d’une « nouvelle peine indépendante de la prison ». Cette peine de probation, qui sera baptisée « contrainte pénale », deviendra le symbole de la réforme Taubira, puis de son échec. En juillet 2013, une lettre de Manuel Valls à François Hollande marque le début de la cacophonie – et des désillusions. Dans cette missive, le ministre de l’Intérieur évoque des « désaccords interministériels » concernant le projet de réforme pénale et dénonce « [son] socle de légitimité fragile, la conférence de consensus ». Valls va même jusqu’à dépeindre cette réforme comme « un vecteur de communication politique », risquant de provoquer « un débat passionné et irrationnel, reproduisant en cela les méthodes de l’ancien gouvernement ». Comble de la rhétorique, puisqu’un des objectifs affichés de la conférence de consensus est justement de dépassionner le débat sur la récidive et la délinquance. L’attaque de Valls est une aubaine pour la droite, qui reprend tout de go les arguments du ministre pour décrédibiliser encore plus la vision de Christiane Taubira et les chantiers en cours. Les frilosités sur la réforme pénale contaminent progressivement le Parlement et le Parti Socialiste. Quand la loi « relative à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines » est finalement adoptée par le Parlement en juillet 2014, après des mois d’attaques et de compromis, le texte n’a alors plus grand-chose à voir avec son contenu initial : la plupart des recommandations de la
© Jean-Claude Coutausse
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Manuel Valls et Jean-Jacques Urvoas pendant le débat sur la réforme constitutionnelle.
conférence de consensus ont été remisées dans les tiroirs. Et la contrainte pénale, qui devait être la pierre angulaire de la réforme, est devenue une peine de probation sans substance, dont les juges ne perçoivent pas l’utilité (à cause, notamment, de sa trop grande similarité avec le Sursis avec mise à l’épreuve). Dans les rangs des supporters de Taubira, et notamment dans les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP), la déception est vive. Les promesses de création de postes ne suffisent pas à atténuer le sentiment d’un abandon. Autre symptôme du virage politique amorcé par le gouvernement : le nouveau moratoire gelant le droit à l’encellulement individuel jusqu’en 2019, inséré dans la loi de finances 2015 pour « éviter les contentieux de détenus qui se plaindraient de l’inapplication de la loi ». Le message est clair :
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ce quinquennat ne sera pas – une nouvelle fois – celui d’un moindre recours à l’emprisonnement et du respect de la dignité des personnes détenues.
DES RENONCEMENTS AUX DÉRIVES Mais le plus grand basculement a lieu en janvier 2015, suite aux attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher. Face à l’émotion publique et aux traumatismes, le gouvernement renonce à rationaliser le débat et à apaiser les polémiques. Pendant deux ans, les décisions relatives à la sécurité seront prises dans l’urgence, sans évaluation préalable. L’état d’urgence, sans cesse prolongé depuis le 14 novembre 2015, sert de socle à une avalanche de textes et mesures attentatoires aux libertés publiques. Loi sur le renseignement, loi renforçant la lutte contre le terrorisme, plans de lutte anti-terrorisme en prison … Une frénésie politique et législative justifiée par l’urgence de la lutte contre le terrorisme et contre la « radicalisation », un objet abstrait dont personne n’arrive à tracer les contours. Au-delà de leur caractère liberticide, l’efficacité de ces mesures est très vite décriée. La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) dénonce une « rhétorique martiale » qui « empêche de replacer le débat sur des bases rationnelles, seules aptes à fonder une politique efficace » et alerte sur les « dangers » que le Gouvernement « fait courir à la démocratie » (1). La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) Adeline Hazan s’alarme du caractère « dangereux » des unités dédiées (2), regroupant les détenus estimés radicalisés. Les grilles d’évaluation, censées permettre la détection de ces derniers, sont critiquées par le monde de la recherche comme par de nombreux personnels de l’administration pénitentiaire. Pourtant, même les avertissements lancés par les instances internationales n’y feront rien : la France en deuil cherche un exécutoire collectif et des monstres à châtier. En détention et au tribunal s’impose une logique punitive extraordinaire : en témoigne le traitement réservé à Salah Abdeslam, enfermé dans une cellule vidéosurveillée 24 heures sur 24. Motif invoqué : son potentiel suicide pourrait avoir un impact sur « l’opinion publique » (3). C’est aussi pour rassurer cette opinion que la proposition d’inscrire dans la Constitution la déchéance de nationalité pour les binationaux accusés de terrorisme est sérieusement envisagée. Un symbole qui aura eu raison de l’endurance de Christiane Taubira : la ministre démissionne en grande pompe en janvier 2016. Le 22 février 2017, le premier bilan des politiques de lutte contre la radicalisation est cinglant : c’est un « échec » (4) d’après les sénatrices EELV Esther Benbassa et LR Catherine Troendle, rapporteures d’une mission parlementaire. « C’est un fiasco complet, tout est à repenser, tout est à reconstruire » (5) ajoute Philippe Bas, président de la commission des lois du Sénat. Entre temps, Jean-Jacques Urvoas a remplacé Taubira place Vendôme. Peu connu du grand public, le nouveau ministre, féru de renseignement, a aussi été pendant plusieurs années un des principaux défenseurs
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CNCDH, Contre un état d’urgence permanent, 15 décembre 2016.
(1)
(2) CGLPL, Avis du 11 juin 2015, Journal Officiel n°149. (3) Arrêté du 9 juin 2016.
Francetvinfo, 22 février 2017.
(4)
(5) Le Monde, 23 février 2017.
Nice matin, 8 mars 2016.
(6)
AFP, 22 mars 2017.
(7)
des droits des détenus (et un grand pourfendeur du tout carcéral). Arrivé au gouvernement, il déclenche pourtant la surprise avec une politique pénale et carcérale qui séduit la droite de l’hémicycle. Très vite, le député Eric Ciotti (LR) se félicite d’un « esprit totalement différent » (6) de Christiane Taubira. L’esprit du début du quinquennat n’est en effet plus qu’un souvenir lointain.
LES DANGERS D’UN RAPPROCHEMENT INTÉRIEUR-JUSTICE « Il y a un socle sur lequel on ne doit pas transiger: c’est l’équilibre entre les mesures répressives et les libertés […] cet équilibre-là n’existe plus » (7) se désole la CGLPL. En 2016, le socle a en effet vacillé. Les pouvoirs des services de renseignement et de la police sont décuplés, les outils de contrôle affaiblis. Un basculement visible pendant la répression des mouvements sociaux qui jalonnent le quinquennat. Et qui se fait ressentir jusqu’en prison. Obsédée par la nouvelle mission qui lui a été assignée (la lutte contre le terrorisme et la radicalisation), l’administration pénitentiaire peut se targuer d’être la « 3e force de sécurité intérieure ». Car le gouvernement a choisi de répondre aux attentes des syndicats de surveillants majoritaires en la rapprochant symboliquement et concrètement du ministère de l’Intérieur. Un rapprochement concrétisé par la loi du 3 juin 2016, la création du bureau central du renseignement pénitentiaire et dernièrement, la loi pour la sécurité publique. Sur le terrain, les nouvelles injonctions inquiètent, dans les Spip mais aussi côté surveillants. En coulisses ou publiquement, des personnels et intervenants refusent de devenir des agents de renseignements. Et résistent comme ils peuvent. Au-delà des atteintes à la dignité des personnes, ils dénoncent le climat de tension inévitable qui s’instaure quand toute relation de confiance est devenue impossible. Des risques bien connus : en détention comme ailleurs, le
Bilan du quinquennat
DOSSIER
dations des institutions de défense des droits de l’homme, font craindre à certains d’autres ruptures dangereuses – comme par exemple une sortie de la Cour européenne des droits de l’Homme.
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© Marc Chaumeil
Le Garde des Sceaux Jean‑Jacques Urvoas visite la prison de Fresnes.
tout sécuritaire et le soupçon permanent impliquent une spirale de violence. Dans les prisons, on assiste aussi au retour du discrétionnaire. Comme l’illustre, par exemple, en 2016, le nouveau blancseing laissé à l’administration pour procéder à des fouilles à nu systématiques. Ou le fait que l’ouverture des cellules en journée devienne une récompense – alors que le conseil de l’Europe préconise d’en faire une norme. En matière de conditions de détention, ce quinquennat s’est inscrit en revanche dans une triste continuité : les images médiatisées des rats aux Baumettes ou à Fresnes mettent en lumière, une fois de plus, l’inhumanité des prisons françaises. L’objectif d’encellulement individuel est une nouvelle fois enterré, et en juillet 2016 un record de surpopulation est même atteint. Au lieu de favoriser les alternatives à l’incarcération, le gouvernement choisit de poursuivre l’extension du parc carcéral. En octobre 2016, Manuel Valls annonce le lancement d’un nouveau plan de construction : 33 nouveaux établissements pour un budget de plus de 1,2 milliards. Autant d’argent public qui ne sera pas affecté à la rénovation des prisons vétustes et à l’amélioration des conditions de vie en détention. Plus inquiétant encore : pendant ce temps-là, l’inflation sécuritaire et l’agitation politique du gouvernement ont fait écho au discours nauséabonds de la droite et de l’extrême droite. Quelques semaines avant le premier tour des élections présidentielles, le populisme pénal est bien installé dans les éléments de langage et dans les programmes. Quand le Front National et une partie de la droite défendent une peine de « perpétuité réelle » sans espoir de libération à infliger aux personnes condamnées pour acte terroriste, sans espoir de libération, François Fillon en campagne propose la fusion de la pénitentiaire et de l’Intérieur dans un grand ministère de la « Sécurité nationale ».Des signaux d’alerte qui, avec l’installation d’un dédain des recomman-
D’OÙ PEUT VENIR LE CHANGEMENT ? S’il fallait encore le prouver, ce quinquennat aura rappelé qu’on ne peut attendre des seuls responsables politiques des changements structurels. Mais aussi que libertés publiques et droits fondamentaux sont fragiles. Au printemps 2017, le tableau n’est peut-être pas complètement sombre… Car si les réactions institutionnelles aux attentats ont profondément changé le paysage politique, celui-ci a également été redéfini par une vivification de mouvements sociaux, porteurs d’espoirs et de débats. ZADs, printemps anti-loi travail, Nuit Debout, dénonciations des violences policières et du racisme d’État, mobilisations féministes… De nouvelles paroles se sont imposées dans l’espace public, de nouvelles alliances sont en cours. Pour l’historien Jean Bérard, l’apparition de cette constellation de luttes, qui toutes parlent de justice à leur façon, est une occasion à saisir. Mais comment répondre aux aspirations de justice sociale portées par ces mouvements ? Comment prendre en compte leurs multiples attentes, parfois divergentes, pour penser un autre système pénal ? Pour le politiste Laurent Bonelli (p.32), les politiques pénales et carcérales ne pourront évoluer qu’après l’imposition d’une « décroissance sécuritaire ». Celle-ci implique un changement de regard sur la notion de sécurité, mais aussi, à court et moyen terme, une série de mesures concrètes : dépénaliser certains délits, sortir de prison « ceux qui n’ont rien à y faire » (comme les condamnés à courtes peines ou les personnes souffrant de troubles mentaux)… Des idées ancrées dans des travaux de recherche et inspirées de pratiques étrangères, qui ont déjà guidé l’élaboration d’un socle de principes porté par le Conseil de l’Europe. À défaut d’obtenir ces transformations « par le haut », peuton imaginer de faire évoluer les pratiques sur le terrain pour montrer qu’elles sont susceptibles de porter leurs fruits ? Pour le juge d’application des peines Jean-Claude Bouvier, passé par le comité d’organisation de la conférence de consensus, c’est désormais la voie que doivent emprunter les professionnels de la justice. D’autres proposent d’aller chercher les solutions du côté de la société civile, où fourmillent déjà les initiatives, individuelles ou collectives, et les désirs d’engagement. Les mobilisations autour des affaires Adama ou Théo, contre les violences sexuelles et sexistes, mais aussi les multiples scandales de corruption des élites ont aussi permis de dénoncer, une fois de plus, les inégalités sociales devant la justice. Sur Internet, sur grand écran, dans les rues ou sur les places publiques, des milliers de personnes travaillent à déconstruire les idées reçues, à élargir les espaces de débat. Des ressources et des expériences à faire résonner et relier dans un discours de transformation sociale. n MARS 2017 / DEDANS-DEHORS N°95
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DÉCRYPTAGE
CINQ ANS APRÈS LES PROMESSES Le contexte était inédit. Candidat à la présidence, François Hollande avait pris des engagements fermes pour l’amélioration des conditions de détention et la réforme de la justice pénale. Son élection, la nomination de Christiane Taubira au ministère de la Justice et la présence à la présidence de la Commission des lois de l’Assemblée Nationale de Jean-Jacques Urvoas, principal pourfendeur du « tout carcéral », laissaient croire à un « alignement des planètes » en faveur de changements en profondeur. Cinq ans plus tard, que reste-t-il des promesses ? Revue non exhaustive des renoncements et des retournements de veste. par SARAH BOSQUET et MARIE CRÉTENOT
ABROGATION DE LA RÉTENTION ET DE LA SURVEILLANCE DE SÛRETÉ « Le Président de la République s’est engagé à supprimer la rétention et la surveillance de sûreté », Christiane Taubira, devant la Commission des lois de l’Assemblée nationale le 5 juillet 2012. C’est probablement le renoncement le plus symbolique. En 2008, le parti socialiste tout entier dénonçait « l’avènement d’une période sombre pour la justice » après le vote de ces mesures de sûreté. Ces dernières autorisent vis-à-vis de personnes condamnées à quinze ans de prison des contrôles, des obligations de soins, des restrictions de déplacement, et même la privation de liberté… Le tout après qu’elles aient purgé leur peine. Argument : celles-ci pourraient commettre dans le futur une nouvelle infraction en raison de leur « particulière dangerosité ». Une notion « émotionnelle, dénuée de tout fondement scientifique », comme l’a rappelé la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH). Le PS y voit alors une justice où l’on peut être « présumé coupable d’un crime virtuel » et la remise en question des fondements de notre droit « pour se rapprocher des régimes totalitaires ». Malgré de multiples promesses et deux avis du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) en 2014 et 2015, rien n’a été fait pour mettre un terme aux atteintes aux droits fondamentaux induites par ces dispositifs. Cinq ans depuis l’entrée en vigueur de la loi, toutes les personnes placées en centre de rétention de sûreté l’ont été sans démonstration de leur « dangerosité ».
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La brièveté de leur séjour - entre 41 et 88 jours – souligne le caractère injustifié de la mesure. Ces personnes sont restées par ailleurs soumises à une inactivité totale durant leur placement, sans réelle prise en charge médico-sociale. Des conditions qui permettent difficilement d’imaginer une amélioration de leur état.
ABROGATION DES PEINES PLANCHERS « Je reviendrai sur les peines planchers, qui sont contraires au principe de l’individualisation des peines », François Hollande, dans ses 60 engagements pris en janvier 2012. Concernant les « peines planchers », emblématiques des années Sarkozy, le président Hollande a tenu parole. Ce mécanisme qui imposait aux magistrats de prononcer, sauf motivation spéciale, une peine au moins équivalente à un tiers ou plus de l’emprisonnement encouru en cas de récidive légale ou de violences aggravées, a été supprimé dans la loi « Taubira » du 15 août 2014. Des études ont montré que ces dispositions, adoptées en 2007 puis étendues en 2011 à des fins d’affichage politique, ont abouti dès les trois premières années à une augmentation de 4 % du total des années d’emprisonnement prononcées *. Soit 4 000 années supplémentaires par an, s’abattant principalement sur les toxicomanes, les alcolo-dépendants, les personnes souffrant de troubles mentaux et les plus désocialisées, auteurs de
Bilan du quinquennat
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CRÉATION D’UNE NOUVELLE PEINE DE PROBATION AUTONOME « Il faut faire en sorte que les petites peines désocialisantes ne continuent pas à se démultiplier. Il faut donc mettre à la disposition des juges une peine supplémentaire, une peine de probation autonome », Christiane Taubira, le 3 juin 2013, sur Linternaute.com. Cela devait être le symbole du ministère Taubira, et c’était la principale recommandation de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive qui devait inspirer sa réforme. Mais cette nouvelle peine de probation, qui a pris le nom de « contrainte pénale », n’est pas à la hauteur des ambitions initiales. Le jury de la Conférence, dont le rapport a été remis en février 2013, préconisait de faire de la probation une peine de référence (aux côtés de l’amende et de l’emprisonnement), sans lien avec la prison. Et pour la rendre lisible, il suggérait de fusionner le millefeuille des alternatives en un ensemble modulable autour de trois axes : la réparation, un suivi individualisé centré sur les problématiques de la personne et un accompagnement social. Mais la montagne a accou-
© Renaud Bouchez / Signatures
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petites infractions répétitives. Le tout sans effet bénéfique démontré. « Dans la plupart des cas, l’emprisonnement ne réduit pas la récidive. L’affirmation voulant qu’un recours accru à cette mesure permette de dissuader un infracteur de réitérer est sans fondement empirique », soulignait déjà en 2007 un rapport de la Commission sur la récidive - que le Gouvernement d’alors n’a pas voulu publier avant l’adoption des peines-planchers. Prenant acte que la sortie de délinquance est un processus non linéaire, souvent émaillé de rechutes, et que sanctionner toujours plus sévèrement peut être contre-productif, le Parlement a également mit fin à divers obstacles à l’individualisation des peines, comme la révocation automatique des sursis en cas de nouvelle condamnation. Mais divers obstacles subsistent, comme la distinction récidiviste/non récidiviste laissée pour l’accès à la surveillance électronique ou la semi-liberté.
FAIT
* F. Leturcq, « Peines plancher : application et impact de la loi du 10 août 2007 », Infostat justice, octobre 2012.
ché d’une souris. Suscitant l’opposition de Manuel Valls, la contrainte pénale est devenue un pâle dérivé du sursis avec mise à l’épreuve (SME) – soit un assortiment d’obligations et d’interdictions. Venant s’ajouter au panel des peines alternatives et non s’y substituer, elle reste de surcroît liée à la prison : le non-respect des conditions de la mesure est passible d’emprisonnement. Peu lisible et accompagnée de peu de moyens supplémentaires, la contrainte pénale n’a pas donné lieu à une appropriation du monde judiciaire. Seules 2 287 contraintes pénales ont été prononcées dans les deux années suivant son entrée en vigueur, là où la Chancellerie en attendait initialement 8 000 à 10 000 par an. Ce qui devait être une alternative à l’emprisonnement de courte durée ne représente finalement que 0,35 % des peines prononcées.
RÉDUIRE LES COURTES PEINES DE PRISON « Il y a des années qu’on sait que la prison sur les courtes peines génère de la récidive, c’est presque mécanique […] Ça désocialise, ça coûte cher et ça fait de nouvelles victimes. Sur les courtes peines, on utilisera donc tous les aspects du code pénal », Christiane Taubira, Libération, le 7 août 2012.
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Le nombre de condamnations à de l’emprisonnement ferme de moins d’un an pour des délits a progressé depuis 2012, passant de 94 865 à 97 951 en 2015 (date des dernières statistiques disponibles). Plus de la moitié sont des peines de moins de six mois. L’ensemble de ces courtes peines représente 79,2 % des condamnations à de l’emprisonnement ferme prononcées (1), une proportion qui a augmenté depuis 2012. Au 1er janvier 2017, pas moins de 19 409 personnes étaient détenues en maison d’arrêt en exécution d’une peine de moins d’un an (2) – soit près de la moitié des publics incarcérés dans ces établissements. Or, à défaut d’une alternative à la prison, toutes auraient pu légalement bénéficier d’un d’aménagement de peine plus constructif et moins pourvoyeur de récidive (placement à l’extérieur, semi-liberté, voire surveillance électronique). Mais le Gouvernement a pris une toute autre orientation : par l’annonce en septembre de la construction de structures pénitentiaires dédiées aux courtes peines, il avalise leur présence en prison. (1) (2)
Ministère de la Justice, Sous-direction de la Statistique et des Études, décembre 2016. DAP, Effectifs en détention, 24 janvier 2017.
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DÉCRYPTAGE ÉVITER LES « SORTIES SÈCHES » DE PRISON « Les sorties sèches justement dénoncées devront être supprimées ». Il faut un « nouveau dispositif pour un retour progressif et encadré à la liberté », Jean-Marc Ayrault, Premier ministre, discours du 30 juin 2013. Là encore, le Gouvernement a manqué de courage politique. S’appuyant sur le fait établi que le risque de récidive est 1,6 fois plus élevé en cas de sortie sèche (sans accompagnement) plutôt qu’en libération conditionnelle (1), le jury de la conférence de consensus avait préconisé d’adopter un système de libération conditionnelle d’office, « seul capable d’assurer une prévention efficace de la récidive » (2). Cédant aux accusations en laxisme de la droite, Gouvernement et Parlement n’ont pas osé mener cette réforme pourtant essentielle. La loi du 15 août 2014 s’est contentée de prévoir un nouveau rendezvous judiciaire aux deux-tiers de la peine afin d’examiner les possibilités d’aménagement pour les condamnés à moins de cinq ans de prison (la procédure de libération sous contrainte). Avec des critères allégés : il ne leur est pas nécessaire de présenter un projet d’insertion, celui-ci pouvant être travaillé dans le cadre de la mesure d’aménagement de peine. Faute
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d’investissements suffisants dans le milieu ouvert, et surtout faute de soutien aux magistrats – les rares incidents donnant lieu immédiatement à une mise en cause des juges par les responsables politiques – la mesure s’est révélée, sans surprise, un échec. Selon un bilan dressé en octobre 2016, 6 497 libérations sous contrainte ont été octroyées depuis son entrée en vigueur en janvier 2015 ; soit en moyenne 309 par mois, contre 5 500 sorties sèches... Le dispositif s’est même accompagné d’une diminution globale des aménagements de peine. (1) (2)
Données qui neutralisent les biais de sélection. Rapport du jury de consensus remis au Premier ministre, 20 février 2013.
© Bruno Levy
METTRE UN TERME À L’ACCROISSEMENT CONTINU DU PARC CARCÉRAL « Le gouvernement actuel n’a eu pour seule réponse à la délinquance que la construction de nouvelles prisons. […] La fuite en avant vers le tout carcéral depuis cinq ans ne résout rien », François Hollande, en réponse à une interpellation de l’OIP, mai 2012. « Votre intention d’accroître le parc pénitentiaire illustre cette obsession carcérale. Mais, derrière vos discours de fermeté, je crains que votre attachement viscéral à la prison ne traduise nulle volonté d’accroître l’efficacité du système répressif », Jean-Jacques Urvoas, à l’Assemblée nationale le 10 janvier 2012. Malgré les espoirs nourris par les positionnements du candidat Hollande et ceux, très fermes, de Jean-Jacques Urvoas lorsqu’il était encore député, la logique d’accroissement du parc pénitentiaire n’a pas disparu sous ce quinquennat. Au contraire, Urvoas devenu garde des Sceaux a rapidement retourné sa veste, annonçant en octobre 2016 un nouveau plan de construction de plus de 20 000 places : un centre de détention, 33 maisons d’arrêt et 16 nouvelles structures pour courtes peines (appelées « quartiers de préparation à la sortie »). Une approche en totale continuité avec les politiques carcérales des gouvernements précédents. Et avant lui, Christiane Taubira n’avait pas non plus rompu avec les pelleteuses.
FAIT T N O S L I RAIRE T N O C E L
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Si elle a écarté la reprise entière du projet de 24 000 places supplémentaires de la droite, elle a néanmoins validé fin 2012 la construction de 6500 nouvelles places. Et a lancé, en septembre 2014, un nouveau programme de 3200 places nettes (pour 2023). Sur l’ensemble du quinquennat, c’est ainsi la construction de près de 30 000 places supplémentaires qui a été annoncée. Des établissements allant de 400 à 800 places, là où le candidat Hollande avait laissé entendre que les programmes immobiliers pénitentiaires en prison ne consisteraient qu’à « rénover les établissements qui le nécessitent » et s’était engagé à « privilégier les établissements à taille humaine ». Il reconnaissait alors que les prisons de « grande taille génèrent des tensions, des violences et au final ne répondent pas à leurs à leur objectif de réinsertion et de prévention de la récidive ».
Bilan du quinquennat
DOSSIER
METTRE UN TERME AUX CONDITIONS DE DÉTENTION INDIGNES « Je veux faire en sorte que nos prisons soient adaptées à leur objectif de réinsertion. Et pour cela, nous devons avant tout retrouver des lieux d’enfermement dignes de notre pays. Je n’accepte pas de voir l’État sans cesse condamné depuis quelques années en raison des conditions de détention », François Hollande, en réponse à une interpellation de l’OIP, mai 2012. Insalubrité, promiscuité, normes de sécurité non respectées et temps d’activité limité à une heure et demie par jour par détenu… N’en déplaise à François Hollande, les conditions de détention sont toujours aussi indignes. Pendant le quin-
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quennat, au moins une trentaine de prisons ont été condamnées par les tribunaux administratifs. La faute notamment au vieillissement du parc et à la surpopulation chronique, constamment dénoncés par les défenseurs des droits humains et le CGLPL. Pour autant, le budget 2017 de l’administration pénitentiaire est loin de s’inscrire en rupture avec les politiques carcérales précédentes. 1,158 milliard d’euro a été engagé pour lancer l’énième plan de construction. À côté, la somme allouée à la remise aux normes du parc pénitentiaire fait pâle figure : 135 millions d’euros seulement ont été débloqués. Des fonds évidemment insuffisants pour rattraper le retard accumulé. Mais en expliquant que « la rénovation du parc pénitentiaire s’inscrit nécessairement dans un temps long * », le gouvernement assume de laisser le gros œuvre à ses successeurs. * Manuel Valls, discours devant l’ENAP, 6 octobre 2016.
© Marc Chaumeil / Divergences
ABROGATION DU TRIBUNAL CORRECTIONNEL POUR LES MINEURS « Je veux, si je suis président de la République, et je m’y suis engagé, réaffirmer la spécificité de [la] justice [des mineurs] sur la base des principes de l’ordonnance de 1945 […] Cela passe notamment par la suppression des dispositions de la loi du 10 août 2011 créant un tribunal correctionnel pour les mineurs », François Hollande, lettre du 26 avril 2012 à l’Association Française des Magistrats de la Jeunesse et de la Famille (AFMJF). De la réforme promise par François Hollande ne reste au final que deux mesurettes : la validation d’une possible césure du procès pénal des mineurs (la possibilité pour le juge de remettre le prononcé à une prochaine audience, s’il estime que les éléments de personnalité sont insuffisants) et la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs (TCM), annoncée en 2012. Créés par la loi du 10 août 2011, ces tribunaux visaient à condamner plus durement les mineurs récidivistes de plus de 16 ans - qui comparaissaient jusqu’alors devant un juge pour enfant. L’existence de ces juridictions était dénoncée comme contraire à une spécialisation de la
justice des mineurs, censée mettre l’accent sur la continuité du suivi et l’accompagnement éducatif. Un principe affirmé par la Convention des Nations unies sur les droits de l’enfant, introduite en France par l’ordonnance de février 1945. Les TCM se sont révélés particulièrement lents : de 2011 à 2014, ils ont pris à peine plus de mille décisions. Leur abrogation ne sera finalement inscrite qu’en novembre 2016 dans la loi « de modernisation de la justice». Une mesure cosmétique, dénoncée par les syndicats de la Protection judiciaire de la jeunesse, qui espéraient une réforme globale conforme à l’esprit initial de l’ordonnance de 1945.
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CONSOLIDER LES MAIGRES ACQUIS DE LA RÉFORME Juge de l’application des peines au Tribunal de grande instance de Paris, Jean-Claude Bouvier était membre du comité d’organisation de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive, censée préparer la réforme pénale. Il revient ici sur les difficultés d’application d’un texte de compromis, assez éloigné de sa philosophie initiale. Mais invite néanmoins les professionnels à se saisir des outils créés, afin de faire évoluer les pratiques.
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Début 2012, vous avez coordonné un groupe de travail informel qui a formulé des propositions « Pour une politique pénale efficace, innovante et respectueuse des droits » * à l’attention du futur gouvernement. Quelles étaient vos intentions ? Jean-Claude Bouvier : Notre objectif était de lancer une réflexion sur un aspect de la justice complètement oublié de la campagne présidentielle : les alternatives à l’emprisonnement. La prison est toujours au cœur du discours autour de la justice pénale, qu’elle soit critiquée ou qu’elle soit revendiquée ; mais tout ce qui relève de la prise en charge des personnes condamnées en milieu libre – ce qu’on appelle la probation – en est absent. Si on l’aborde, c’est seulement pour expliquer qu’il faut développer les alternatives à l’incarcération afin d’éviter la prison. Mais au-delà de cet aspect un peu incantatoire, que met-on derrière ? Quelle politique publique structurée peut être imaginée pour le développement de ces alternatives ? Nous voulions aussi que soient prises en compte des années de réflexion, de travaux de recherche – menés principalement à l’étranger mais aussi en France – qui montraient que la prise en charge des personnes en milieu ouvert était efficace, qu’elle donnait des résultats. Sur ce sujet, la conférence de consensus a ensuite été le véritable point de départ des réformes à venir. Ne futce que par la méthode innovante qui a été choisie : un comité d’organisation a été consti-
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Recueilli par CÉCILE MARCEL
tué. Il a ensuite désigné un jury et réuni toute la documentation utile pour que ce jury puisse faire des recommandations et trancher les éventuelles controverses sur la question de la prévention de la récidive et des outils et méthodes les plus efficaces pour y parvenir.
Comment expliquer que cette dynamique créée par la conférence de consensus n’ait pas suffit à porter ces réformes ? La mise en place d’une politique publique est quelque chose d’assez complexe. Elle nécessite évidemment de la volonté politique. Ensuite, il y a l’outil législatif, qui constitue le socle à partir duquel bâtir cette politique. Et derrière, il y a la diffusion : faire une loi ne suffit pas. Il faut faire en sorte qu’elle puisse être appliquée, cohérente, organisée. La conférence de consensus correspondait à une première étape d’élaboration de la réflexion, pour essayer de recueillir une adhésion et légitimer le futur mouvement législatif. Elle était d’autant plus nécessaire que la majorité en place n’avait pas de réflexion sur le sujet. Lorsqu’est arrivée la phase législative, on s’est aperçu que, malgré ce qui avait pu être emmagasiné, il n’y avait pas de consensus au sein de la majorité. Il y avait même des oppositions très fortes, avec de la part du ministère de l’Intérieur des orientations qui allaient souvent à l’encontre de ce qui était envisagé par le ministère de la Justice. La réforme a fait l’objet de multiples
© Jean-Claude Bouvier
JEAN-CLAUDE BOUVIER , juge de l’appli-
cation des peines au TGI de Paris, a participé à l’organisation de la Conférence de consensus sur la prévention de la récidive en 2012.
écritures, réécritures, et lorsque le débat parlementaire a été lancé plus d’un an plus tard, la dynamique qui avait été créée autour de la conférence était retombée. Le débat n’a d’ailleurs pas été de qualité, avec une opposition très violente, agitant l’épouvantail d’une gauche qui s’apprêtait à créer des dispositifs permettant de libérer tout le monde. Cette deuxième étape législative a donc été assez difficile. Elle a abouti à une sorte de compromis avec une loi en fin de compte assez éloignée de ce qui avait pu être proposé par le jury de la conférence. Mais je fais par-
Bilan du quinquennat
tie de ceux qui pensent que des outils ont été créés et qu’il faut s’en emparer.
La contrainte pénale, mesure phare de cette réforme, reflète ce compromis. Comment les professionnels peuvent-ils néanmoins s’en emparer ? Aussi imparfait soit-il, ce nouvel outil législatif a permis un véritable travail de remise à plat des pratiques. Le dispositif prévoit une période d’évaluation de trois mois, après le prononcé de la peine. À l’issue de cette période, le juge de l’application des peines va, à partir des propositions du Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP), des réquisitions du ministère public et de ses propres observations, définir le contenu de la contrainte pénale. Ce temps sert aussi à mettre en place un plan de suivi intensif, afin de doter la personne des outils nécessaires pour sortir de la délinquance. Jusque-là, avec le sursis avec mise à l’épreuve, le tribunal fixait la peine et déterminait des obligations et interdictions qui balisaient le suivi à mettre en place par le SPIP. Mais pas toujours à bon escient, le parcours et la personnalité de la personne condamnée étant parfois méconnus. Avec la contrainte pénale, l’administration pénitentiaire a investi le temps de l’évaluation et mené une réflexion sur comment s’intéresser aux problématiques de la personne, prendre en compte son parcours, envisager avec elle les différents aspects de sa prise en charge. Elle a élaboré un manuel de la contrainte pénale qui s’impose aux SPIP et reprend de manière assez cohérente toutes les étapes et les procédures à mettre en œuvre. Qu’en est-il de la libération sous contrainte, deuxième « grand outil » prévu par la réforme ? La libération sous contrainte n’a pas fonctionné et a été très mal perçue par les praticiens. Ce dispositif permet de libérer des personnes qui sont arrivées aux deux tiers de leur peine sans qu’elles n’aient forcément élaboré un projet. Avec l’idée de les faire basculer vers une prise en charge en milieu ouvert. Sauf que la question essentielle est : « De quoi sera faite cette prise en charge ? ». Quand des personnes sortent de détention, même avec un aménagement de peine, sans travail, sans domicile, sans savoir vers quoi se diriger, ou avec des problèmes d’addiction – des profils que l’on trouve souvent en déten-
tion – on ne peut pas se contenter de les rencontrer en entretien. Comment les orienter, comment les aider dans leurs démarches ? On touche là aux limites de la loi car c’est une problématique qui ne peut pas se résoudre simplement par la norme législative. Il faut une préparation de la sortie en amont. Or, on a été confronté avec la libération sous contrainte à des personnes qui sortaient et dont on ne savait pas quoi faire.
D’autres dispositions de la loi se sontelles heurtées aux limites de la pratique ? Un dispositif qui m’apparaissait totalement essentiel dans le cadre de la réforme du 15 août 2014, c’est l’ajournement aux fins d’investigations, qui permet de consacrer une césure du procès pénal. L’idée, c’est que la juridiction correctionnelle se prononce dans un premier temps sur la culpabilité de la personne, mais sans prononcer de peine. Qu’elle ne le fasse que lors d’une deuxième audience, après avoir confié à un service (qui peut être le Spip), le soin d’évaluer la situation de la personne condamnée. Ce dispositif permet
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peut pas être le seul élément de réflexion d’une réforme ambitieuse. Aujourd’hui, les prisons sont totalement surpeuplées, mais les SPIP sont aussi submergés, y compris par des mesures en milieu ouvert. En fait, c’est la machine pénale toute entière qui est engorgée. Est-ce que tous les comportements doivent faire l’objet d’un traitement pénal ? Est-ce que tous les comportements faisant l’objet d’un traitement pénal doivent être sanctionnés par l’emprisonnement ou par une peine alternative à l’incarcération impliquant un suivi ? Ce sont des questions qui étaient absolument essentielles en amont mais qui ont été complètement passées sous silence. Malheureusement, on est vraiment très en retard sur ce sujet, même s’il est compliqué à aborder.
Les personnes condamnées à de longues peines sont aussi les oubliées de la réforme… Oui, cette question a été complètement exclue de la loi du 15 août 2014. Certaines catégories de prisonniers sont confrontées
« QUELLE QUE SOIT LA COLORATION DU GOUVERNEMENT QUI VIENDRA, JE NE PENSE PAS QUE L’ON PUISSE ATTENDRE DE RÉFORME PLUS AMBITIEUSES. » de prendre le temps de connaître sa personnalité et ses problématiques, de faire resurgir les éléments de son parcours, plutôt que de statuer uniquement à partir des faits qui ont été commis. Cette logique favorise le recours aux alternatives à l’incarcération. Malheureusement, c’est un dispositif qui a été voté mais pas appliqué. Dans le contexte de marasme ambiant, les juridictions ont des appréhensions à prévoir deux audiences là où il n’y en avait qu’une auparavant.
À l’inverse, la réforme a-t-elle négligé des questions qui vous semblent essentielles ? Un pan entier n’a pas été abordé : la question de la dépénalisation. Travailler sur la promotion des alternatives à l’incarcération ne
à une difficulté spécifique : à partir d’un certain quantum de peine, le processus d’octroi de la libération conditionnelle obéit à une procédure très contraignante, voire dissuasive. Les praticiens revendiquaient l’assouplissement de ces procédures. Cela n’a pas été fait. Par ailleurs, alors que le législateur insistait sur l’importance de promouvoir les alternatives à l’incarcération et les aménagements de peine, il a paradoxalement renforcé certains mécanismes de sûreté – qui ont vocation à s’exécuter une fois que la peine d’emprisonnement est terminée. On a, au final, un système pénal qui fait coexister des dispositifs issus de logiques totalement différentes. Un aménagement de peine, c’est une sortie anticipée qui se travaille et se prépare MARS 2017 / DEDANS-DEHORS N°95
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avec la personne. Les mesures de sûreté, elles, se mettent en place à la fin de la peine et ont une vocation de surveillance, de contrôle, qui ne repose pas sur l’adhésion de la personne. La loi promeut les aménagements de peine dans ses affirmations de principe, et prévoit pour les courtes et moyennes peines l’extension des conditions pour y accéder mais, dans le même temps, elle développe des dispositifs avec des mesures de sûreté, dont la philosophie est à l’opposé.
D’un point de vue plus prospectif, quelles vous semblent être les priorités auxquelles le prochain gouvernement devra s’atteler ? Quelle que soit la coloration du gouvernement qui viendra, je ne pense pas que l’on puisse attendre de réforme plus ambitieuse que ce qui a été fait. On a eu une réforme en 2014 ; la plupart des dispositifs qui ont été mis en place ont eu des difficultés pour vivre et trouver leur équilibre. La question maintenant est de savoir comment utiliser les quelques outils que nous avons pour les rendre performants. Car la loi a été imparfaite et a posé des problèmes de lisibilité et de cohérence. Mais il y a eu aussi des logiques de résistance très
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fortes de la part de praticiens, de magistrats qui refusaient de prononcer des peines de contrainte pénale par exemple. Il me semble essentiel aujourd’hui d’utiliser les outils que nous avons, de les faire vivre, de travailler sur leur modélisation pour qu’au-delà de l’expérience locale, on puisse arriver à développer de meilleures pratiques.
Les efforts à porter se situent donc davantage au niveau des pratiques professionnelles ? Oui, je pense qu’il faut travailler sur le terrain. C’est évidemment très compliqué dans un contexte aussi délétère que celui dans lequel on intervient, avec une surpopulation carcérale qui continue d’augmenter, des SPIP et des services d’application des peines qui sont surchargés. Il y a malgré tout des choses à développer. Au sein de mon service, par exemple, un plateau technique s’est constitué et étoffé progressivement. Il regroupe des intervenants extérieurs, la mission locale, Pôle emploi, un centre d’hébergement et de réinsertion sociale. L’idée est de regrouper les trois secteurs de l’insertion, du logement et de la santé. Le SPIP y reçoit les personnes qu’il suit, par exemple des sortants de prison
ou des personnes qui font l’objet d’une contrainte pénale. Il procède à une évaluation pour cerner ce dont la personne a besoin et quelles démarches peuvent être mises en place. Et il peut, sur place déjà, les orienter vers d’autres dispositifs pour préparer une prise en charge plus adaptée. Quand je demandais plus tôt, au sujet de la libération sous contrainte, « Qu’est-ce qu’on fait des personnes qui sortent de prison sans projet et que l’on ne sait pas comment prendre en charge ? », on a ici un début de réponse. On ne va pas faire 40 entretiens et demander aux personnes de respecter telle ou telle obligation, ça n’a pas de sens, mais on va pouvoir définir quels sont leurs besoins sur ces trois domaines essentiels que sont l’insertion, l’hébergement et la santé. Voilà comment peut être articulé un travail de terrain, avec des outils qui pour l’instant n’ont peut-être pas trouvé leur pleine efficacité, mais qui peuvent être malgré tout utilisés. C’est un exemple, il y en a des tas d’autres. n * Ce groupe de travail était composé de praticiens et d’acteurs de la société civile. Il a produit une note de synthèse qui a donné lieu à la publication, dans le journal Libération du 12 juin 2012, d’un manifeste « Pour une peine juste et efficace » signé par de nombreuses organisations et plus de 50 chercheurs et professionnels de la justice.
Bilan du quinquennat
DOSSIER
« UNE OCCASION MANQUÉE » POUR LE MILIEU OUVERT © Thierry Pasquet / Signatures
Au début de ce quinquennat, les deux syndicats majoritaires de conseillers pénitentiaires d’insertion et probation (CPIP) espéraient que le ministère de la Justice passerait des paroles aux actes. Ils partagent aujourd’hui le sentiment d’une occasion manquée et s’inquiètent pour l’avenir, dans un contexte où la lutte contre la radicalisation semble être devenue l’unique priorité de l’administration pénitentiaire.
L
Le début du quinquennat est marqué par l’arrivée de Christiane Taubira place Vendôme et l’annonce de la mise en place d’une conférence de consensus sur la prévention de la récidive. Quelles sont les attentes des professionnels des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) à ce moment-là ? Snepap-FSU : On sort alors de plusieurs années de politiques pénales dures, dominées par l’idée que la seule réponse efficace serait l’emprisonnement. Les Spip sont pointés du doigt au moindre fait divers, sans être écoutés lorsqu’il s’agit de s’attaquer aux problèmes de fond. À ce moment-là, on a le sentiment que la probation n’existe ni aux yeux du ministère de la Justice, ni à ceux de l’Administration pénitentiaire. Donc l’initiative de Christiane Taubira est plutôt bien accueillie. Pour nous, la conférence de consensus était une tentative d’identifier ce qui marche ou pas en termes de prévention de la récidive. Elle a, selon nous, atteint son objectif dans la mesure où des propositions sur ce sujet ont été faites, même si toutes n’ont pas été retenues. CGT : De notre côté, on espérait que l’accompagnement socio-éducatif serait replacé au cœur de nos missions. Il y avait une attente très forte dans ce sens. Et puis finalement on est retombé sur des choses comme la gestion du risque, la prévention de la récidive, et on est passé à côté de la réinsertion. Il y a eu un véritable glissement de cette
Recueilli par LAURE ANELLI
conférence de consensus, qui est passée, à notre sens, à côté de son objectif. On attendait aussi une politique pénale beaucoup plus ambitieuse.
Deux ans et demi après son entrée en application, quel bilan tirez-vous de la réforme pénale, et en particulier de la contrainte pénale ? CGT : La contrainte pénale était censée, d’après les recommandations issues de la conférence de consensus, devenir une nouvelle peine de probation, qui se substituerait à tout le reste. Finalement, la loi du 15 août 2014 en a fait une peine supplémentaire. Bilan aujourd’hui : cette mesure a été très peu prononcée. Et d’une certaine manière heureusement, parce qu’on n’a pas les moyens de la mettre en œuvre : le suivi très individualisé et la période d’évaluation impliquent de passer du temps avec notre public, un temps que l’on n’a pas aujourd’hui. D’autant que le nombre de personnes suivies en milieu ouvert a augmenté. Ce que l’on ressent sur le terrain, c’est qu’il y a toujours autant de sursis avec mise à l’épreuve (SME) et d’incarcérations, et que les contraintes pénales viennent s’y ajouter. Pour nous, il y a eu une extension du filet pénal : les personnes qui ont été condamnées à une contrainte pénale n’auraient peut-être pas été condamnées à une peine de probation auparavant. Snepap-FSU : Le nombre de contraintes pénales nous paraît trop insignifiant pour
© CGT insertion / probation
FABIENNE TITET est secrétaire nationale de la CGT insertion / probation.
© Snepap / FSU
NICOLAS FINIELZ est secrétaire national du Snepap-FSU.
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« SUR LE PLAN DES CHIFFRES, LA CONTRAINTE PÉNALE EST UN ÉCHEC DIRECTEMENT LIÉ AU FAIT QUE LE SURSIS AVEC MISE À L’ÉPREUVE AIT ÉTÉ MAINTENU. » conclure à une extension du filet pénal. Il faut les mettre en relation avec le nombre de prises en charge en milieu ouvert. En deux ans, 2500 mesures ont été prononcées – contre environ 140 000 SME. Cela ne nous empêche pas de considérer que sur le plan des chiffres, la contrainte pénale est un échec directement lié au fait que le SME ait été maintenu : les juges se reposent sur ce qu’ils connaissent et prononcent des SME plutôt qu’une contrainte pénale.
Il existe pourtant quelques différences entre sursis avec mise à l’épreuve et contrainte pénale. Snepap-FSU : La plus-value de la contrainte pénale réside essentiellement dans l’évaluation préalable, qui est censée guider le magistrat dans la détermination des obligations et interdictions. Le problème, c’est que la loi laisse la possibilité au magistrat d’en prononcer avant que l’évaluation ne soit réalisée. Et c’est ce que font les magistrats, en prononçant par exemple une obligation de soins ou de recherche d’un travail avant même d’avoir les résultats de l’évaluation. On se retrouve donc avec une peine qui ressemble de fait énormément au SME. CGT : À nos yeux, cette phase d’évaluation est aussi une bonne chose (quand elle est utilisée), car elle suppose de prendre le temps de connaître la personne, d’être à son écoute, de coller à ses besoins. C’est ce que l’on tente de faire pour toutes les mesures, de façon plus ou moins satisfaisante faute de temps. Mais se pose aussi la question de ce que l’on évalue et de la façon dont on le fait. Pour nous, l’évaluation devrait porter sur la situation globale de la personne et permettre une prise en charge adaptée, dans une optique d’accompagnement socio-éducatif et d’insertion sociale. Et non pas se focaliser sur une prédiction du risque de récidive. L’administration tente aujourd’hui, à marche forcée,
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d’imposer des grilles d’évaluation standardisées censées permettre de prédire ce risque, ce qui est pour nous très problématique. Or elles ont du mal à prendre sur les terrains, car leur plus-value n’est pas évidente pour tout le monde.
La réforme pénale a-t-elle entraîné un changement dans vos pratiques de prise en charge ? Snepap-FSU : La réflexion avance, dans les services, sur les techniques d’entretien, notamment grâce à la méthode de l’entretien motivationnel. On a le sentiment qu’il y a cette volonté de sortir d’une « probation machine », qui se contente de cocher des cases, de collecter des justificatifs et de les transmettre au juge. On sort progressivement de l’évaluation binaire entre « respect des obligations » et « non-respect des obligations », en considérant que le non-respect d’une obligation n’est pas forcément le signe que tout va mal. CGT : À la CGT, l’identité professionnelle des CPIP a toujours été très claire : nous sommes travailleurs sociaux. Aujourd’hui, on fait surtout semblant de découvrir des méthodologies. L’entretien motivationnel est un très bon exemple : une grande majorité des collègues qui y ont été formés récemment disent « en fait, c’est ce que je faisais déjà ! ». Certaines choses doivent être améliorées, bien sûr, mais pour nous, cela doit passer par davantage de formation sur les méthodologies du travail social, plutôt que sur la criminologie. La libération sous contrainte, introduite par la réforme pénale, peine également à décoller. Comment l’expliquez-vous ? Snepap-FSU : La libération sous contrainte, c’est, dans les faits, des agents qui font des rapports en masse, des situations examinées à la chaîne et des sorties qui se font au compte-
© CGT insertion / probation
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Printemps 2016, une manifestation de la filière insertion-probation.
gouttes. Tant que les aménagements de peine ne seront pas automatiques, ça ne pourra pas marcher. CGT : Nous revendiquons une libération conditionnelle automatique. La libération sous contrainte en est assez loin, et c’est un échec dans son application. Légalement, la personne n’a pas besoin d’avoir un projet pour prétendre à cette forme de libération anticipée. Pourtant, les magistrats ont tendance à regarder s’il y en a un pour l’accorder. Par ailleurs, les prises en charge à l’extérieur sont le plus souvent extrêmement courtes : pour nous, ce sont des sorties sèches déguisées.
Quel bilan tirez-vous du passage de Christiane Taubira au ministère de la Justice ? CGT : On avait le sentiment d’une Garde des Sceaux sensible aux problématiques de notre métier, qui nous rejoignait sur pas mal
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de positionnements. Malheureusement, ça ne s’est pas traduit dans les faits. Parce qu’elle n’a pas forcément eu les coudées franches pour mettre en œuvre la politique qu’elle avait proposée, plus aboutie et plus progressiste que ce que contient la réforme pénale. Pour la profession, ce sont beaucoup d’espoirs déçus, avec un gros regret sur la réforme de la justice des mineurs, qui avait été annoncée et qui a finalement été complètement
ganigramme pour la filière. Sans cette donnée centrale, c’est très difficile pour l’AP de gérer ses ressources humaines. On est dans quelque chose d’un peu absurde : on ne sait pas aujourd’hui quels sont les besoins nécessaires pour faire fonctionner un SPIP. Il faudra attendre 2018 pour s’assurer que l’administration pénitentiaire ne fait pas passer des remplacements de départs à la retraite pour des créations de postes.
oubliée. On peut aussi lui reprocher de ne pas avoir freiné la surenchère sécuritaire au lendemain des attentats. Snepap-FSU : On peut quand même saluer la rupture avec la politique de l’émotionnel en réaction aux faits divers. Et l’accent porté sur la probation, avec notamment l’annonce de la création de mille postes.
CGT : Alors oui, globalement le corps des CPIP a augmenté. Sauf que la population pénale a augmenté dans le même temps. Et effectivement, quand on demande des chiffres à l’AP, on n’a pas de données précises sur les ressources humaines. On n’a pas de visibilité sur les départs à la retraite, sur les personnes en disponibilité, celles en détachement.
Ces mille nouveaux recrutements sont-ils suffisants ? Snepap-FSU : Le problème, c’est que l’administration pénitentiaire ne dispose pas d’or-
Le quinquennat a également été marqué par les attentats, avec une forte résonance sur le champ carcéral. En quoi les
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différents plans de lutte contre le terrorisme et la radicalisation ont-ils influé sur votre travail ? CGT : Il y a eu une espèce de glissement sémantique qui a tout emporté sur son passage, et qui est devenu l’alpha et l’oméga dans les SPIP : tout ce qu’on met en place doit l’être à travers le prisme de la « radicalisation », sans véritable réflexion sur la prévention. Le vrai problème, c’est qu’on ne sait pas de quoi on parle. C’est pourtant précisément la mission qu’on nous a confiée, en tant que CPIP : repérer, détecter et signaler. Autrement dit, on doit faire la chasse aux « radicalisés » et même aux personnes « susceptibles de se radicaliser »... L’administration impose aux agents cette nouvelle mission en jouant sur la culpabilisation : le faire, c’est « être un bon citoyen », « un bon fonctionnaire ». Les agents se retrouvent pris dans des injonctions paradoxales : l’administration nous dit qu’il faut « être dans une relation de confiance » avec notre public, et dans le même temps : « par contre, vous devez le dénoncer, sans le lui dire. » On est en train de faire de nous des agents de renseignement. C’est problématique et cela questionne notre déontologie de travailleur social. On ne nie pas que la radicalisation violente puisse être un problème, simplement, il faut le mettre à sa juste place. Notre métier, c’est la réinsertion. Or quelqu’un d’inséré, avec un travail, une famille, passera moins à l’acte, quel que soit le motif de condamnation. Snepap-FSU : Nous considérons de notre côté que la question de l’identification est légitime, mais que, comme toute évaluation, elle a ses limites, c’est-à-dire que l’on peut se tromper, avec des conséquences catastrophiques pour la personne signalée. On se trompera un peu moins si on partage, au sein de l’administration pénitentiaire, les éléments
« POUR LA PROFESSION, CE SONT BEAUCOUP D’ESPOIRS DÉÇUS, AVEC UN GROS REGRET SURLA RÉFORME DE LA JUSTICE DES MINEURS, QUI AVAIT ÉTÉ ANNONCÉE ET QUI A FINALEMENT ÉTÉ COMPLÈTEMENT OUBLIÉE. » MARS 2017 / DEDANS-DEHORS N°95
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C’est dans ce contexte que Mylène Palisse, représentante de la CGT, a été sanctionnée pour avoir émis publiquement des critiques sur les plans de lutte contre la radicalisation... CGT : Il s’agit là d’une atteinte à la liberté d’expression et aux libertés syndicales, dans un contexte sécuritaire : il n’y aurait pas eu le même emballement politique s’il n’avait pas été question de radicalisation. De façon
© Bernard Le Bars / Signatures
moyens vont être absorbés dans ces projets. Mais il ne fait aucun doute que la population va exploser. Donc à quoi aura servi ce plan ? CGT : Le vrai levier serait de ne pas mettre les gens en prison, en dépénalisant certaines infractions et en favorisant les mesures alternatives à l’incarcération. Mais à part sur le placement sous surveillance électronique (PSE), il n’y a pas de politique volontariste. Les placements extérieurs se réduisent comme peau de chagrin, avec zéro budget, un travail partenarial associatif en perte de vitesse. On ne met pas les moyens où l’on devrait.
CGT : L’intégration de l’administration pénitentiaire dans la communauté du renseignement nous inquiète et on se demande si Monsieur Urvoas n’est pas en train de poser les jalons d’un transfert de l’AP sous l’autorité du ministère de l’Intérieur. Cette crainte nous conforte dans notre demande de création d’une direction autonome de la probation au sein du ministère de la Justice, pour réaffirmer notre spécificité vis-à-vis du pénitentiaire.
Quelles sont vos attentes pour le prochain quinquennat ? Snepap-FSU : Que la réforme pénale aboutisse. Pour cela, il faudrait travailler sur les leviers qui parasitent l’application de la contrainte pénale et supprimer le SME. Il faudrait instaurer la libération conditionnelle d’office. Il faut aussi porter de nouvelles initiatives sur les longues peines, problématique qui a été complètement occultée des débats : toutes les attentions sont concentrées sur la surpopulation carcérale, qui concerne essen-
« IL Y A EU UNE ESPÈCE DE GLISSEMENT SÉMANTIQUE QUI A TOUT EMPORTÉ SUR SON PASSAGE, ET QUI EST DEVENU L’ALPHA ET L’OMÉGA DANS LES SPIP : TOUT CE QU’ON MET EN PLACE DOIT L’ÊTRE À TRAVERS LE PRISME DE LA "RADICALISATION", SANS VÉRITABLE RÉFLEXION SUR LA PRÉVENTION. » générale, on sent que l’administration cherche à recadrer les CPIP. Il y a de plus en plus la volonté de faire de nous des fonctionnaires serviles. La culpabilisation est un levier très utilisé par la direction pour nous forcer à faire les choses et à nous museler.
La fin de l’année 2016 a été marquée par un nouveau plan de constructions lancé par Jean-Jacques Urvoas. Qu’en pensezvous ? Snepap-FSU : Soit on considère qu’il n’y a pas assez de places, soit on considère qu’il y a trop de détenus. Tous les gouvernements répètent la même erreur depuis des années, en choisissant la première option et construisant de nouvelles places de prison. D’énormes
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Au-delà de ces constructions, que retiendrez-vous du ministère Urvoas ? Snepap-FSU : À son crédit, on peut porter le fait de ne pas avoir entravé la poursuite de la réforme pénale, et notamment que la contrainte pénale puisse aujourd’hui s’appliquer à l’ensemble des délits. Les travaux menés par l’administration pour améliorer la probation sont également maintenus, mais il est encore de sa responsabilité qu’ils trouvent une traduction dans les faits. Et ce ne sont pas des choses qu’il a initiées. Sur ces deux dernières années, la population pénale détenue a augmenté, alors que les bracelets électroniques ont stagné. Le ministère n’a pas fait grand’chose pour réduire la population pénale : on voit même un recul des aménagements de peine.
tiellement les maisons d’arrêt, et donc les courtes peines. En centre de détention ou en maison centrale, les conditions de détention sont perçues comme acceptables parce qu’il n’y a pas cette surpopulation. Si bien que pour le ministère comme pour l’administration pénitentiaire, le problème des longues peines n’existe plus ! CGT : De façon plus générale, il faudrait faire en sorte que le milieu ouvert prenne toute sa place et que la prison ne soit plus la peine de référence. On aimerait aussi de vraies politiques publiques de financement du secteur associatif, afin que le travail de partenariat soit plus étoffé et que les mesures en milieu ouvert et les aménagements de peine puissent réellement se développer. n
© Grégoire Korganow / CGLPL
que l’on peut relever avant de les faire remonter. Surtout, on souhaite que ces informations soient communiquées au juge de l’application des peines, comme on le fait habituellement, et pas qu’elles soient envoyées directement aux services de renseignement. Parce que ce qu’il communique aux renseignements, le CPIP ne peut plus le partager avec la personne suivie – à la différence de ce qu’il communique au juge. Notre mission est de faire en sorte que ceux qui sont dans cette difficulté puissent s’en sortir. Or on ne peut pas les prendre en charge si on tait le problème.
Bilan du quinquennat
DOSSIER
« Je m’inquiète pour les détenus, car nous sommes dans l’indignité la plus patente », reconnaissait Jean-Jacques Urvoas en juillet dernier (1). Plus de quatre ans après la prise de fonction de François Hollande, la phrase du garde des Sceaux sonne comme un aveu d’échec. Pour les personnes détenues et leurs proches, quelles sont les conséquences de l’inertie gouvernementale ? Les retours du terrain permettent de s’en faire une idée.
LE QUINQUENNAT HOLLANDE VU DES PRISONS par LE PÔLE ENQUÊTE DE L’OIP
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Présence de rats, puces et autres parasites dans de nombreuses prisons, rapports en urgence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) sur les Baumettes, Nouméa et Strasbourg, multiplications des condamnations pour traitement inhumains et dégradants, records de surpopulation… Les scandales pénitentiaires auront rythmé ce quinquennat, comme les précédents. Au-delà des conditions matérielles de détention, ces années ont été marquées par l’échec du politique à repenser la réponse aux problèmes
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À la maison d’arrêt des Baumettes de Marseille.
récurrents de violences, de désœuvrement, d’accès aux soins… « Nos prisons sont pleines mais vides de sens » (2), constatait Mme Taubira à son arrivée place Vendôme. Cinq ans plus tard, le constat reste le même.
DES CONDITIONS DE DÉTENTION TOUJOURS AUSSI INDIGNES En décembre 2012, le CGLPL publiait des recommandations en urgence sur la prison des Baumettes à Marseille, pointant MARS 2017 / DEDANS-DEHORS N°95
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une « violation grave des droits fondamentaux ». Dans la foulée, l’OIP obtenait du tribunal administratif une condamnation de l’État pour traitement inhumain et dégradant et une injonction à exécuter des travaux. Si l’avis du CGLPL et les recours engagés ont permis de mettre en lumière les conditions de détention à Marseille, cette prison est loin d’être la seule à faire face à des problèmes de surpopulation, de vétusté et d’insalubrité. Au 1er janvier 2017, 124 établissements étaient surpeuplés (quatre d’entre eux ayant un
2013, des personnes détenues à la maison centrale de SaintMartin-de-Ré décrivaient la vétusté, l’insalubrité et l’exiguïté des cellules de 6,5 m2 de cet établissement mis en service en 1875. Les vieilles fenêtres, non-étanches, laissaient passer l’air, l’humidité et la pluie : « j’ai dû rester pendant une semaine dans une cellule inondée (…) avant qu’elle ne soit réparée » dénonçait un détenu. Un autre se plaignait de problèmes d’eau chaude dans les douches en raison d’une chaudière vétuste. Même tableau à la maison d’arrêt (MA)
« J’AI DÛ RESTER PENDANT UNE SEMAINE DANS UNE CELLULE INONDÉE (…) AVANT QU’ELLE NE SOIT RÉPARÉE. » taux d’occupation supérieur ou égal à 200 %) et 1 638 détenus étaient contraints de dormir sur un matelas au sol. En septembre 2012, Luis, détenu à la maison d’arrêt de Saint-Brieuc, décrivait à l’OIP sa cellule humide et sale, dans laquelle on pouvait trouver « de la moisissure, des trous dans les murs, de la peinture crasseuse ». L’absence d’eau chaude en cellule, le manque d’intimité et une surpopulation chronique venaient compléter cet état des lieux déplorable. Près de trois ans après, deux députés du Finistère en visite dans l’établissement constataient que les détenus étaient toujours privés d’eau chaude, tandis que le directeur de la maison d’arrêt se plaignait d’une baisse significative du budget d’entretien pour l’année en cours. « Il est patent que si l’État sait construire, il ne sait pas entretenir », pointait la Cour des comptes en 2011 (3). La question du budget alloué à l’entretien des établissements pénitentiaires est récurrente et particulièrement problématique quand il s’agit de prisons anciennes et vétustes. En
« Nos prisons nous annoncent des malheurs », interview de JeanJacques URVOAS dans L’Express, 15 juillet 2016.
(1)
(2) « Les clés de Taubira pour vider les prisons », Libération, 25 septembre 2012. (3) « Partenariats Public-Privé », rapport de la Cour des comptes, octobre 2011.
de Strasbourg-Elsau : « malgré les travaux effectués, l’eau des douches est glaciale », relevait le CGLPL dans des recommandations en urgence formulées en 2015. Côté conditions d’hygiène et de salubrité, le constat est tout aussi désastreux. Aux Baumettes, à Fresnes, Poissy, Seysses, Séquedin… détenus et personnels ont dû côtoyer quotidiennement rats, cafards, puces, punaises et autres nuisibles. Seules des actions en justice, suite aux recours engagés par l’OIP et des personnes détenues, ont permis la mise en place ou le renforcement des dératisations et désinsectisations de certains de ces établissements. En cinq ans, pas moins de 31 établissements pénitentiaires ont été considérés par les tribunaux comme exposant les personnes détenues à des traitements inhumains ou dégradants.
LES NOUVELLES PRISONS DÉSHUMANISÉES Censés pallier la surpopulation, la vétusté et l’insalubrité des prisons françaises, de vastes programmes de construc© Florence Beaudet / Radio France
Intérieur du centre pénitentiaire de Valence.
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© Grégoire Korganow / CGLPL
Une cellule insalubre.
tion de nouvelles prisons ont été lancés à partir de la fin des années 1980. Une ligne politique poursuivie sous le quinquennat de François Hollande, avec l’ouverture, entre 2012 et 2016, de quinze nouveaux établissements et l’annonce, en fin de mandat, de la construction de 33 nouvelles prisons. Mais ces nouveaux établissements s’avèrent à leur tour rapidement pleins, voire engorgés. Ouvert en 2013, le centre pénitentiaire de Rodez affiche le 1er février 2017 un taux d’occupation de 117,2 % au quartier maison d’arrêt. Celui de Majicavo (Mayotte), ouvert en 2015, de 124,8%. Et Valence, également ouvert en 2015, de 105,2 %. Si elles offrent de meilleures conditions matérielles, ces prisons n’en sont pas pour autant plus humaines. « L’exigence de dignité mentionnée dans les programmes se réduit essentiellement à des considérations matérielles d’hygiène et de confort » résume le géographe O. Milhaud (4). L’obsession sécuritaire au cœur du dispositif de ces nouveaux établissements a pour conséquence de cloisonner, de séparer les détenus en mettant en place des obstacles physiques pour empêcher les contacts humains. Ceux-ci sont aussi limités par des dispositifs automatisés : portes actionnées à distance, surveillance vidéo. « Il y a trop de portes, de grilles (chaque section a un sas de deux grilles), des milliers de caméras, tout ça donne une ambiance froide presque clinique, je plains ceux qui restent ici », témoigne en avril 2012 un détenu de Réau en attente de transfert. De l’aveu même de sa directrice, le quartier maison centrale de cet établissement, entré en service en mars 2012, a une « architecture oppressante ». « Ma cellule est au premier étage, l’architecture empêche toute vision au loin. J’ai calculé que la distance de vision la plus grande par ma fenêtre est de moins de dix mètres », écrit un détenu le 29 mars 2012. Inaugurée en 2013, la prison hyper sécurisée de Condé-surSarthe, construite pour accueillir les détenus les plus violents, est comparée par les premiers arrivants à « Guantanamo », à « un QHS moderne », ou « un cimetière ». « Tout a été
O. Milhaud, Séparer et punir, thèse de doctorat en géographie, soutenue le 30 novembre 2009.
(4)
fait pour casser le collectif », résume un syndicaliste. De fait, les couloirs sont ici déserts, les détenus ne peuvent pas se croiser. Ce qui conduit un autre détenu à confier à l’OIP : « J’ai souvent l’impression d’être seul dans cette prison et que je ne sortirai jamais d’ici ». À cet isolement interne, vient s’ajouter celui généré par la localisation de la plupart de ces nouveaux établissements pénitentiaires. Construits en grande périphérie des villes, voire en zones rurales, ils ne sont généralement pas ou mal desservis par les transports. Située à quatre kilomètres d’Alençon, la maison centrale de Condé par exemple n’est desservie par aucune navette de bus. Il faut s’y rendre en voiture ou en taxi. Alors les intervenants socio-culturels, avocats et professionnels ne se bousculent pas pour intervenir dans l’établissement. Les deux visites qu’effectue chaque mois l’épouse d’un détenu habitant à 400 kilomètres lui coûtent 600 euros en frais d’essence et d’hôtel. Pour la plupart des détenus, le transfert à Condé a entrainé une diminution des parloirs. Depuis son ouverture, cette centrale a connu de multiples incidents, parmi lesquels violences et prises d’otage, souvent dans le but d’obtenir un transfert dans un autre établissement.
UNE POLITIQUE DE SÉCURITÉ GÉNÉRATRICE DE VIOLENCES Qu’elles soient anciennes ou neuves, les prisons ont vu se succéder nombre de faits divers carcéraux. Prises d’otages, mouvements collectifs et agressions ont rythmé les années du quinquennat. En réaction à la surpopulation, aux conditions de détention indignes, à l’absence de réponse aux demandes de transfert et au peu d’aménagements de peines accordés, ces événements ont eu pour seule réponse une gestion sécuritaire et répressive. Ce modèle de sécurité dite « défensive » repose sur un double objectif d’isolement et de dissuasion, sans apporter de solution aux dysfonctionnements pointés par les personnes détenues. Le plan MARS 2017 / DEDANS-DEHORS N°95
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(5) Cour européenne des droits de l’homme, 25 avril 2013, Canali c. France, n°40119/09.
Afin de limiter les mouvements de détenus mobilisant du personnel, de plus en plus d’établissements sont passés de deux promenades quotidiennes à une seule, d’une durée plus longue, en alternance le matin puis l’aprèsmidi.
centrale d’Arles, un programme de consultation des détenus et de médiation relationnelle mis en place par le directeur à partir de 2007, avec la formation et l’intervention de « détenus facilitateurs », a permis d’apaiser le climat au sein de l’établissement, à la fois entre détenus et administration pénitentiaire, mais également lors des conflits entre personnes détenues. Une expérience positive, qu’il a reproduite à son arrivée au centre de détention du Port à la Réunion en 2012, puis à Rémire-Montjoly en Guyane après les mouvements collectifs de juin 2015. Mais si ces expériences gagneraient à être généralisées, elles restent dépendantes de la seule volonté des chefs d’établissements, à défaut d’être portées et encouragées par l’administration centrale.
UN TEMPS « VIDE » Cumulé avec la promiscuité et les manquements aux règles d’hygiène, le manque d’activités en prison constitue un « traitement inhumain et dégradant », a estimé la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) (5) en 2013. La CEDH juge nécessaire que les personnes détenues aient la « possibilité de passer une partie raisonnable de la journée, au moins huit heures, hors de la cellule ». Loin de cet objectif, la durée moyenne d’activité par jour et par détenu était fin 2016 d’une heure et demie, toutes activités confondues (socio-culturelles, sportives, éducatives et travail). Le désœuvrement reste la réalité de la majorité des prisonniers. Nombre d’entre eux témoignent de journées rythmées par l’attente de la promenade, souvent le seul moment passé en dehors de la cellule. « Et avec le récent système des promenades alternées (6), il arrive qu’on reste enfermé vingt-huit heures avant de pouvoir repartir en promenade », témoigne un détenu de maison d’arrêt. Lorsque des activités sont proposées, elles ne concernent bien souvent qu’un petit nombre de personnes. À la maison centrale de Clairvaux, « pas plus de cinq personnes par activité » signale un détenu. À Salon-de-Provence, les activités socio-culturelles et formations professionnelles sont limitées à douze places, tandis que les activités scolaires et sportives ne peuvent accueillir plus de dix personnes. Et les activités proposées demeurent la plupart du temps occupationnelles : jeux de société, loisirs créatifs, etc. Pour un détenu, « la plupart finissent par y aller pour les remises de peine ou juste pour sortir de la cellule, peu importe que ce soit la lecture, le jonglage ou l’atelier photo ». Un autre regrette le peu d’initiatives utiles à l’insertion. Ici, pas de formation à l’informatique, par exemple. Pourtant, « la majorité des détenus, comme dehors, souhaite évoluer avec les nouvelles technologies », regrette-t-il. Il en va de même pour le travail proposé par les concessionnaires, © Grégoire Korganow / CGLPL
(6)
sécurité de Christiane Taubira présenté en juin 2013, qui double les moyens alloués à la sécurité passive avec 33 millions d’euros supplémentaires, s’inscrit dans la même logique : renforcement des filets, glacis, concertinas, de la vidéosurveillance et des équipes cynotechniques. Le 4 septembre 2016, soixante détenus de la maison d’arrêt d’Angers refusent de regagner leur cellule dans le but de dénoncer les conditions de vie dans cette prison vétuste et surpeuplée. L’administration engage des poursuites disciplinaires à leur encontre et les supposés meneurs sont sanctionnés de dix jours de quartier disciplinaire. Les conditions de détention elles, restent inchangées. Dans les semaines qui suivent, ce sont les détenus d’Aiton, de Grenoble, de Poitiers et de Valence qui se soulèvent. Avec pour réponse, transferts, sanctions disciplinaires et poursuites pénales. Le nombre de mouvements collectifs est en constante augmentation ces dernières années : 667 en 2011, 874 en 2012, 1111 en 2013, et de 33 % entre 2014 et 2015. En 2007, puis en 2010, deux groupes de travail de l’administration pénitentiaire constataient que « la violence surgit quand il n’y a pas d’espace de conflictualisation organisé (droit de grève, droit à manifester, droit à la syndicalisation,
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L’accès aux cabines est généralement limité aux heures de promenade.
à l’association par exemple) », car il manque en prison « des lieux où le détenu, avant de s’emporter », peut « exprimer ses griefs (contre tel dysfonctionnement, contre l’attente, etc) ». « On peut parler, demander », témoigne Éric après 27 ans de détention, mais « on ne nous répond pas ». Ces deux groupes encourageaient la mise en place d’un autre modèle de sécurité, dite « dynamique ». Inspirés des recommandations du Conseil de l’Europe, visant notamment à offrir des espaces d’expression et de médiation. À la maison
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Bilan du quinquennat
DOSSIER
UN ACCÈS AU TÉLÉPHONE COÛTEUX ET INADAPTÉ Ce n’est que depuis la loi pénitentiaire de 2009 que les personnes déte-
À douze euros de l’heure, certains détenus peuvent rapidement dépen-
nues ont le droit de téléphoner. Mais l’accès aux cabines téléphoniques
ser plus d’une centaine d’euros par mois pour conserver un lien sou-
est généralement limité aux horaires de promenade, en complet déca-
tenu avec compagne et enfants. Au final, bon nombre de détenus sont
lage avec le rythme de vie des familles à l’extérieur. « Aux horaires où
amenés à se procurer illégalement un téléphone portable afin de
il peut m’appeler, je suis à mon travail, du coup je ne peux lui parler de
maintenir une vie sociale, au prix de sanctions disciplinaires et pénales
rien si je ne veux pas que mes collègues sachent qu’il est en prison »,
de plus en plus lourdes. Pour Hélène, privée de tout contact officiel
confiait la compagne d’un détenu en octobre 2015. L’intimité est éga-
avec son fils pendant les premières semaines de son incarcération,
lement mise à mal. En avril 2014, l’OIP et des organisations d’avocats
l’usage du portable était le seul moyen d’avoir de ses nouvelles, de se
saisissait le Conseil d’État : l’essentiel des cabines étant situées en
rassurer et de le rassurer : « ça nous a permis de savoir qu’il allait bien.
coursive ou dans les cours de promenade, aucune confidentialité vis-
Savoir qu’il n’était pas battu, pas violé. Ça a permis de dédramatiser,
à-vis des codétenus n’était possible, tant avec l’avocat qu’avec les
d’avoir moins peur. Le téléphone nous a tous sauvés ». Annoncée en
proches. Depuis, l’Administration pénitentiaire s’est vu contrainte de
début de quinquennat, la réflexion portant sur la mise en place du
procéder au remplacement des cabines « par des habitacles télépho-
téléphone fixe en cellule s’est limitée à une expérimentation au centre
niques équipés d’une isolation acoustique de nature à assurer […]
de détention de Montmédy. Quand à l’accès au téléphone portable,
l’intimité et la confidentialité des communications téléphoniques ».
l’administration s’avère farouchement contre, et s’est dotée d’un arse-
Enfin, le coût des communications, facturées à l’unité, est prohibitif.
nal de techniques pour faire la chasse à leur présence en détention.
qui consiste le plus souvent en des tâches simples, répétitives, ne demandant ni ne débouchant sur aucune qualification. Comme à la maison d’arrêt de Montluçon, où les détenus payés à la pièce assemblent et conditionnent en cellule des pinces-à-linge ou de petits objets en plastique dans des sachets. À Montluçon comme ailleurs, les taux légaux de rémunération sont rarement respectés (7). Et on est loin du programme « équilibré » d’activités alliant formation professionnelle, travail, activités socioculturelles ou éducatives et programmes visant à favoriser la sortie de délinquance, recommandé par le Conseil de l’Europe. Paradoxalement, des débuts d’amélioration semblent arriver de là où on ne les attendait pas par le renforcement de la sécurité. La mise en place en 2015 du plan de lutte antiterrorisme (PLAT) va en effet contraindre l’administration pénitentiaire à reconsidérer cette situation d’oisiveté en prison. Non parce qu’elle est déstructurante et constitue un frein à l’insertion, mais parce qu’elle est perçue comme « le meilleur moyen de laisser le champ libre au prosélytisme ». 3,4 millions d’euros supplémentaires sont débloqués pour les activités en avril 2015, puis la dotation pour l’année 2016 est portée à 10,6 millions, avec l’objectif de passer à cinq heures d’activités par jour et par personne en 2017.
RESTREINDRE ET CONTRÔLER LES LIENS AVEC L’EXTÉRIEUR Indispensable pour lutter contre les effets néfastes de l’emprisonnement et vecteur essentiel de la préparation à la sortie, le maintien des liens avec les proches reste compliqué. Premier obstacle : obtenir un permis de visite. Selon le Conseil de l’Europe, les restrictions au droit de visite ne sauraient être « laissées à la discrétion de l’administration pénitentiaire » et doivent être « définies clairement » (8). Des permis de visite sont pourtant régulièrement refusés par les autorités pénitentiaires ou judiciaires – pour des motifs
fallacieux. En novembre 2014, la direction de la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône refusait le permis de visite à la petite amie d’un détenu au motif qu’elle avait été interpelée à quatorze ans en train de fumer un joint de cannabis dans la cour de son collège et avait écopé d’un rappel à la loi. À Mont-de-Marsan le 15 janvier 2016, le juge d’instruction refusait à un prévenu le droit de voir son tout jeune bébé, considérant que « les conditions d’hygiène d’un parloir de maison d’arrêt [n‘étaient] pas compatibles avec la présence d’un si jeune enfant ». Autant de situations contraignants les détenus et leurs proches à engager des recours pour faire valoir leurs droits. Quand c’est possible : jusqu’à fin 2016, un vide juridique privait les personnes en détention provisoire de toute possibilité de recours en cas de refus de permis de visite après la clôture de l’enquête les concernant. Il aura fallu des années de combat judiciaire porté par l’OIP et une décision du Conseil constitutionnel pour que le gouvernement se voit contraint d’introduire dans la loi (9) la possibilité d’appel de toutes les décisions de l’autorité judiciaire leur refusant la délivrance d’un permis de visite ou l’autorisation de téléphoner. Une fois le permis en poche, les détenus doivent obtenir un rendez-vous. Les lignes téléphoniques étant perpétuellement saturées en raison du nombre d’appelants, il faut des heures pour obtenir un interlocuteur. Quant aux bornes électroniques de réservation, situées dans les accueils-familles, elles sont souvent hors service. Face au nombre de demandes, le minimum de trois parloirs hebdomadaires pour les prévenus et un pour les condamnés n’est pas toujours garanti. Et dans les parloirs, le manque d’intimité des boxes souvent exigus sont le lot quotidien des détenus et de leurs proches. Quand les visites n’ont pas lieu dans une salle collective, comme c’est le cas à la maison d’arrêt de Nîmes et dans près d’une prison sur cinq. Le manque d’hygiène est par ailleurs source d’inquiétude pour les visiteurs. Pour la compagne d’un
La loi pénitentiaire de 2009 proscrit la rémunération à la pièce et prévoit un taux de rémunération indexé sur le SMIC.
(7)
Conseil de l’Europe, commentaire de la règle pénitentiaire 24-2.
(8)
Dispositions de la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le terrorisme, entrées en vigueur le 15 novembre 2016.
(9)
MARS 2017 / DEDANS-DEHORS N°95
/ 25
détenu de Fresnes, « les salles d’attente c’est dégueulasse, ça sent l’humidité et le chlore, on dirait des caves ». « L’autre jour il y avait une fuite d’eau, ça suintait dans le parloir du fond où le sol était inondé », raconte un autre. « Le muret de séparation est poisseux. Vous vous rendez compte qu’on y va avec des enfants ? », s’inquiète une autre. Des murets de séparation, par ailleurs illégaux depuis 1983, subsistaient encore en 2014 à Lille, Bapaume, Tours, Bois d’Arcy et à Fresnes. Ils ne seront détruits qu’en 2016, après des procédures judiciaires engagées par l’OIP. Introduites par la loi pénitentiaire de 2009, qui prévoyait leur généralisation, des Unités de vie familiales (UVF) devaient permettre à tous les détenus de recevoir leurs proches dans l’intimité, pour des périodes allant jusqu’à 72 heures. Là, « on est vraiment ensemble », confiait l’épouse d’un détenu. « On a fait la vaisselle après le repas, puis on est sortis sur le gazon fumer une cigarette, comme avant », raconte la mère d’un autre. Au 1er janvier 2012, seuls vingt établissements pénitentiaires étaient dotés d’UVF. Trois ans après, 28 en sont équipés, 36 si l’on compte les parloirs familiaux (petites pièces dotées d’un canapé et d’un coin sanitaire, réservables pour une durée de six heures maximum). Mais l’essentiel des établissements pénitentiaires, dont les maisons d’arrêt, en sont encore dépourvus. Dans d’autres, comme à Châteauroux, Châteaudun, Uzerche ou Neuvic, ils ont été prévus mais restaient inaccessibles, des mois après leur construction, faute de personnel de surveillance. Que ce soit pour 30 minutes de parloir ou pour une UVF de 72 heures, le coût financier et le temps nécessaires aux visites sont importants. L’éloignement du lieu d’incarcération de celui où vivent les familles et les proches concerne en effet bon nombre de personnes détenues. « J’ai parlé avec un monsieur qui vient de Bretagne, un autre du sud de la France, c’est monstrueux pour eux le coût de la visite », déplore la compagne d’un détenu francilien. En 2014, l’OIP accompagnait la compagne d’un détenu dans un recours afin de solliciter la prise en charge de ses frais de visite, son compagnon ayant été transféré à plus de quatre cent kilomètres de son domicile. Requête rejetée par le tribunal administratif de Caen le 9 avril 2015, au motif qu’aucun texte ne le prévoit et que « toute détention entraîne inévitablement une restriction de la vie privée et familiale ». Une politique de maintien des liens bien différente de celle du Royaume-Uni, où depuis les années 1970 les familles et proches de détenus disposant de faibles revenus peuvent bénéficier d’aide au transport et à l’hébergement pour une visite tous les quinze jours.
UN ACCÈS AUX SOINS CATASTROPHIQUE Offre de soins disparate et insuffisante, atteintes au respect du secret médical, aménagements de peine pour raison médicale peu prononcés, le constat publié en 2016 par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l’Inspection générale des services judiciaires (IGSJ) (10) a démontré une nouvelle fois l’incapacité de l’État à assurer aux
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« Evaluation du plan d’actions stratégiques 20102014 relatif à la politique de santé des personnes placées sous main de justice », novembre 2015.
(10)
détenus cette égalité de soins avec l’extérieur prévue par la réforme de la santé de 1994. Les unités sanitaires s’avèrent « globalement sous-dotées » avec des surfaces de locaux de 30 à 40 % inférieures aux besoins, pointe le rapport. Pourtant budgétés, 22 % des postes de spécialistes et 15,5 % des postes de psychiatres ne sont pas pourvus à la fin 2015. À la même époque, 21 unités sanitaires fonctionnaient avec moins de la moitié des effectifs de dentistes prévus, certaines en ayant même été totalement privées pendant plusieurs mois. À Bourg-en-Bresse, au dernier trimestre 2014, au moins 300 demandes de rendez-vous chez le dentiste étaient restées sans suite. À Meaux-Chauconin, il fallait compter huit mois d’attente pour démarrer un suivi avec un psychologue. Et sept semaines pour les soins dentaires. À Nîmes, l’unité sanitaire estimait la nécessité de multiplier par cinq le temps de présence de psychologue, un seul intervenant à mi-temps dans cet établissement hébergeant 389 détenus. Saisie par l’OIP à la suite de la plainte d’un détenu qui se plaignait d’attendre en vain depuis 27 mois un rendez-vous avec un ophtalmologue, l’unité sanitaire du centre de détention de Châteaudun confirmait en août 2016 avoir « une liste de trente-quatre personnes en attente de consultations », dont « certaines depuis janvier 2014 ». Atteint d’un glaucome non soigné, le détenu a fini par perdre définitivement l’usage d’un œil. « Ces conditions de détention ne constituent pas un contexte favorable à la prise en charge de patients souffrant de troubles psychiatriques graves », constatait en 2012 un expert psychiatre mandaté dans le cadre d’une procédure d’aménagement de la peine d’un jeune schizophrène. Un exemple parmi tant d’autres de la situation vécue par bon nombre de malades détenus atteints de troubles psychiatriques. « On assiste à un déplacement de l’hôpital psychiatrique vers la prison » s’alarmait déjà il y a dix ans le Comité consultatif
Bilan du quinquennat
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© Grégoire Korganow / CGLPL
L’usage des menottes lors des extractions médicales est quasi systématique.
national d’éthique (CCNE). En janvier 2013, la Cour d’appel de Douai condamnait l’Etat à indemniser un autre détenu schizophrène incarcéré depuis avril 2011, en réparation du préjudice moral né de conditions indignes à la maison d’arrêt de Valenciennes et de l’absence de prise en charge adaptée à son état de santé. Censée favoriser leur accès aux aménagements de peine pour raison médicale, la loi du 15 août 2014 restait inappliquée fin 2015, relevaient l’IGAS et l’IGSJ. Aucune libération ou suspension de peine pour raison médicale liée à l’état de santé mentale n’a en effet été prononcée depuis son entrée en vigueur. Au 1er janvier 2015, 329 personnes détenues handicapées étaient recensées, soit 0,5 % de la population détenue. Si l’administration est en principe tenue d’adapter les conditions
CEDH, requête N°10401/12, 19 février 2015. (11)
DOSSIER
de détention à l’état de santé des prisonniers, les difficultés soulevées par la perte d’autonomie demeurent multiples : « besoins en appareillages, adaptation ergonomique des cellules, mais aussi régimes alimentaires spécifiques et surtout la question des aides humaines pour les actes quotidiens », précise l’IGAS. Le 19 février 2015 (11), la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la France pour avoir soumis un détenu paraplégique « à une épreuve d’une intensité qui a dépassé le niveau inévitable de souffrances inhérentes à une privation de liberté », ce qui constitue « un traitement dégradant ». Les soins de kinésithérapie nécessaire à son état de santé n’étaient pas assurés et la prison ne disposait pas de douche aménagée, contraignant l’homme à faire appel à un codétenu pour sa toilette. « Les enjeux de sécurité notamment lors des extractions médicales font que, de fait, le patient peut être amené à s’effacer derrière le détenu », résument l’IGAS et l’IGSJ dans leur rapport. Socle de la confiance et élément indispensable à l’établissement d’une relation thérapeutique, le secret médical est sans cesse menacé en prison, et régulièrement bafoué au nom de la sécurité. Ainsi, le tribunal administratif de Grenoble jugeait, le 24 octobre 2012, que la « présence physique » des surveillants dans la pièce de consultation du CHU de Grenoble avait « porté atteinte au secret médical et à la confidentialité de l’entretien », ce qui « constitue en soi un préjudice moral indemnisable ». Par ailleurs, en dépit des alertes du CGLPL, l’usage quasi-systématique des menottes voire des entraves lors des extractions vers l’hôpital conduit régulièrement des détenus à refuser les soins. Le 24 mars 2013, le tribunal administratif de Bordeaux condamnait l’État à indemniser un détenu qui avait été escorté en ambulance les mains menottées dans le dos alors qu’il venait de faire un infarctus. Malgré ces condamnations, ces pratiques demeurent d’actualité sur l’ensemble du territoire. n
OUTRE-MERS : DES DÉCENNIES À RATTRAPER « Manque de personnels, vétusté des locaux, isolement des struc-
tions d’hygiène et de salubrité, de la surpopulation et du manque
tures, surpopulation carcérale pouvant atteindre les 300 % dans
d’activités et de travail, sources de nombreux conflits avec le per-
certains établissements, conditions de détention jugées indignes
sonnel. Début 2017, le quartier maison d’arrêt restait occupé à 196 %.
par les tribunaux, faible taux d’aménagement des peines », le rapport parlementaire * remis en juillet 2014 à la ministre Christiane Taubira
Les condamnations de l’État pour ces conditions de détention indignes
a mis en lumière les conséquences de l’absence de prise en compte,
et aux Antilles. Fin 2016, des détenus du centre pénitentiaire de Ducos
pendant des décennies, de la situation pénitentiaire catastrophique
en Martinique et de Nuutania en Polynésie saisissaient la CEDH. Au-
dans les outre-mers. Un retard encore loin d’être résorbé, si ce n’est
delà de la reconnaissance de l’indignité de leurs conditions de déten-
sur le volet de la construction de prisons : un centre de détention
tion, ces recours visent à demander des changements structurels
ouvrira à la mi-2017 en Polynésie, la construction d’un centre péni-
pour garantir l’accès à des activités, au travail, au soin, à une prépa-
tentiaire doit démarrer en Nouvelle-Calédonie, et deux autres
ration à la sortie, à une prise en charge en milieu ouvert. Et pour cela,
constructions ont été annoncées en Guyane et en Guadeloupe. Les
les moyens manquent cruellement : en outre-mer, le taux des per-
prisons d’outre-mer continuent cependant à concentrer l’ensemble
sonnes condamnées en aménagement des peines (16,5 % au 1er février
des problématiques carcérales. Le 13 janvier 2014, 208 détenus du
2017) reste inférieur à celui de l’hexagone (21,1 %).
pleuvent : plusieurs centaines en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie
centre pénitentiaire de Baie-Mahault, en Guadeloupe, adressaient une pétition au chef d’établissement : ils se plaignaient des condi-
* Rapport sur les problématiques pénitentiaires en outre-mer, mai 2014.
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DÉCRYPTAGE « J’ai fait de la sécurité pénitentiaire un des axes forts de mon action », déclarait récemment le Garde des Sceaux. Renforcement des moyens policiers, extension des missions de renseignement… Si l’administration pénitentiaire n’en est pas à sa première tentation sécuritaire, l’arrivée au ministère de la Justice de Jean-Jacques Urvoas lui a fait franchir un nouveau cap. Au nom de lutte contre le terrorisme, elle se rapproche dangereusement du ministère de l’Intérieur – au détriment de sa mission de réinsertion.
L’administration pénitentiaire dérive vers l’Intérieur par SARAH BOSQUET et MARIE CRÉTENOT
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« En un an [Jean-Jacques Urvoas] et son équipe ont redonné une image et des valeurs à la pénitentiaire […] Depuis Perben et les ERIS nous étions orphelins ! Oui, merci Urvoas ! » (1). Du côté de la section Force Ouvrière de Ducos (Martinique) l’enthousiasme est total. Ce qui justifie un tel hommage ? Pour l’auteur de ce post Facebook, c’est d’abord la possibilité de fouilles à nu systématiques à l’issue de parloirs ou de sorties d’établissement – une pratique que la loi pénitentiaire de 2009 avait interdite, après plusieurs condamnations de la Cour européenne des droits de l’homme. Le
28 / DEDANS-DEHORS N°95 / MARS 2017
syndicaliste salue aussi le renfort des moyens dévolus à l’armement et la structuration du renseignement pénitentiaire, qui détient désormais une habilitation « secret défense » au même titre que les directions générales de la sécurité intérieure (DGSI) et de la sécurité extérieure (DGSE). Son satisfecit fait surtout écho à la loi pour la sécurité publique, adoptée définitivement le 28 février 2017. Ce texte – construit avec la droite et salué par ses franges les plus dures – cajole les syndicats. Pour valoriser l’action des forces de sécurité, il aggrave les peines encourues pour outrage, menace et
Bilan du quinquennat
rébellion contre les personnes dépositaires de l’autorité publique (2) – dont les personnels pénitentiaires. Il assouplit aussi les règles d’usage des armes pour les policiers et une catégorie des agents de la pénitentiaire.
dement des députés Eric Ciotti et Philippe Goujon (LR). Avant d’étendre considérablement ses prérogatives dans la loi de sécurité publique. « C’est une révolution qui s’est mise en place » (5), dit-on à la direction de l’administration pénitentiaire. Officialisé le 1er février dernier, le bureau central du renseignement pénitentiaire sera bientôt armé d’une quarantaine d’agents (contre quinze actuellement), issus notamment des services de l’Intérieur ou de la Défense. Sous leur coupe, un tissu de cellules interrégionales comptant analystes-veil-
VERS UNE « SURVEILLANCE DE MASSE » ? En un an, le nouveau garde des Sceaux a brisé toutes les digues posées par sa prédécesseure. Dans la continuité de la politique menée par Dominique Perben en 2002-2005, il a bouleversé les frontières entre Intérieur et Justice. Mais
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DOSSIER
AUX MAINS DE CES AGENTS HABILITÉS « SECRET DÉFENSE » : UN ARSENAL DE TECHNIQUES [...] UTILISABLE POUR « PRÉVENIR LES ÉVASIONS ET ASSURER LA SÉCURITÉ ET LE BON ORDRE DES ÉTABLISSEMENTS ». aussi mis en gage la mission de réinsertion de l’administration pénitentiaire pour ne valoriser que la sécurité, audelà de toute mesure. En 2003, Perben avait déjà introduit les grades militaires chez les personnels, le port de l’uniforme. Il avait aussi créé les Equipes régionales d’intervention et de sécurité, dites ERIS - du nom de la déesse de la discorde – présentées comme le « GIGN de la pénitentiaire » : des unités d’élites dotées d’un arsenal quasi-militaire, appelées à intervenir cagoulées pour rétablir l’ordre en détention. Dominique Perben avait également constitué un État-major de sécurité (EMS) au sein de l’administration centrale, qui fonctionnait comme un bastion « renfermé sur lui-même » (3). Supprimé par Christiane Taubira, qui souhaitait rompre avec une appréhension isolée de la sécurité, il a été recréé par Jean-Jacques Urvoas sous un autre nom, « la sous-direction à la sécurité pénitentiaire ». Ses fonctions sont mêmes accrues : de l’embryon de service de renseignement laissé par M. Perben, l’actuel garde des Sceaux a fait un bureau central aux moyens en constante augmentation, un membre à part entière de la « communauté du renseignement », aux côtés de l’Intérieur et de la Défense. Une intégration à laquelle Mme Taubira s’était formellement opposée (« l’État de droit ne saurait fonctionner avec un ministère de l’Intérieur et demi ! » (4)), soutenue alors par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) et la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL). Pour ces institutions de contrôle, le ministère de la Justice, garant des libertés individuelles, ne pouvait devenir légitimement prescripteur de techniques de renseignement (par définition utilisées secrètement). En juin 2016, Jean-Jacques Urvoas a pourtant fait entrer la pénitentiaire dans la famille du renseignement, en soutenant un amen-
SLP FO Ducos, Facebook, 9 février 2017.
(1)
(2) Les peines sont portées à un an d’emprisonnement pour outrage (au lieu de six mois), deux ans pour rébellion (au lieu d’un an) et trois ans pour menace (au lieu de deux). Elles sont en outre aggravées si le délit est commis en réunion : deux ans pour l’outrage, trois pour la rébellion. (3) I. Gorce, directrice de l’administration pénitentiaire, Assemblée nationale, 4 avril 2016.
C. Taubira, Commission des lois de l’Assemblée nationale, 31 mars 2015.
(4)
L’opinion.fr, 22 janvier 2017. (5)
Article 35 de la loi relative à la sécurité publique du 28 février 2017.
(6)
CNCDH, Avis sur la loi relative à la sécurité publique, 23 février 2017.
(7)
(8)
Ibid.
Le Monde, 8 septembre 2003.
(9)
leurs, investigateurs numériques, spécialistes informatiques, traducteurs, dont les effectifs passeront de 42 à 83 agents d’ici la fin de l’année. Ce maillage se prolonge dans les établissements pénitentiaires, où près de 200 délégués locaux sont chargés de faire remonter de l’information. Aux mains de ces agents habilités « secret défense » : un arsenal de techniques (écoutes, géolocalisations, placement d’IMSI-Catchers, interception des communications, etc.) utilisable pour « prévenir les évasions et assurer la sécurité et le bon ordre des établissements » (6). En d’autres termes, pour tout et n’importe quoi. Car dans le fonctionnement ordinaire de la prison, tout relève du « bon ordre ». La CNCDH y voit un projet de « surveillance de masse » (7), prohibée par le droit de l’Union européenne et la Convention européenne des droits de l’homme. Pour l’institution, rien n’empêche un « déploiement à grande échelle de ces techniques en détention ». Car il est « vain d’escompter une forme d’autolimitation de la part de l’administration pénitentiaire » (8).
UNE IMPLOSION DES COMPÉTENCES DE LA JUSTICE ? Autre glissement : la policiarisation accrue de l’administration pénitentiaire. Une tendance amorcée aussi par Perben en 2003, avec la création des ERIS. À l’époque, le directeur de l’École nationale de l’administration pénitentiaire (ENAP), tentait de rassurer syndicats et associations : « la pénitentiaire s’est dotée de moyens de maintien de l’ordre interne comparable à ceux de la police et de la gendarmerie » mais « elle n’interviendra jamais dans la rue » (9). Treize ans plus tard, la pénitentiaire va pourtant bien « sortir dans la rue ». La loi de sécurité publique met en place des « équipes de sécurité pénitentiaire » (ESP), en charge MARS 2017 / DEDANS-DEHORS N°95
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© Marc Chaumeil / Divergences
Jean-Jacques Urvoas en visite à Fresnes.
des extractions et transferts, qui pourront aussi intervenir à l’extérieur des bâtiments pour assurer « la sécurité périmétrique » des prisons – le tout en étant armées. But affiché : lutter contre les « parloirs sauvages », les projections ou les introductions d’objets. Les ESP seront dotées de prérogatives de police administrative pour assurer des fonctions jusque-là réservées aux forces de l’ordre : effectuer des contrôles d’identité, des palpations et fouiller les effets des personnes soupçonnées de préparer une infraction sur le domaine pénitentiaire. En cas de refus de se soumettre au contrôle ou de décliner leur identité, les ESP pourront aussi les retenir le temps de les présenter à un officier de police ou de gendarmerie. « Les faits – et désormais la loi – prouvent que des portes décisives ont été ouvertes dans la reconfiguration [des] missions [de l’AP] et de son action vers une action véritablement policière », analyse le juriste Mathieu Quinquis (10). Certes, Bernard Cazeneuve (11) exclut toute perspective de rattachement de l’administration pénitentiaire à sa vieille autorité de tutelle, l’Intérieur ; et Jean-Jacques Urvoas rappelle que l’unique précédent depuis 1911, c’était « Vichy, ce qui ne traduit pas un idéal de démocratie » (12). Un cap a cependant été franchi. Pour certains syndicats comme le SNEPAPFSU (13), la loi de sécurité publique atteste d’une « implosion pure et simple des compétences historiques du ministère de la Justice, qui tend à se confondre avec le ministère de l’Intérieur » (14). De fait, proposer aujourd’hui ce rattachement est entendable politiquement. Candidats à la présidentielle, François Fillon et Marine le Pen n’ont pas hésité à inscrire cette réforme dans leur programme, pour promouvoir un « grand ministère de la Sécurité nationale ». Autre symbole de ce rapprochement : en 2016, des personnels de surveillance ont été conviés pour la première à défiler le 14 juillet sur les Champs-Elysées (aux côtés de l’armée, de la police et de la gendarmerie) en tant que « 3ème force de la sécurité intérieure ». C’est « une invitation, pour chacun,
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M. Quinquis, Le plan « Urvoas » : un pas de plus dans la transformation policière de l’administration pénitentiaire, La revue des droits de l’homme, janvier 2017.
(10)
B. Cazeneuve, dans un discours du 24 janvier : « À l’heure où dans certains programmes électoraux, le transfert de cette administration de la justice à l’intérieur est présenté comme une proposition, une idée neuve, je crois que ce serait là au contraire une profonde régression… ». (11)
à modifier l’idée que l’on peut encore se faire [du] métier » (15) défend alors le garde des Sceaux.
« REDONNER CONFIANCE ET FIERTÉ » À LA PÉNITENTIAIRE En 2003, « la création des ERIS a contribué à redonner confiance et fierté à l’administration » (16) souligne un cadre pénitentiaire. Aujourd’hui, le levier est le même. Surpopulation carcérale, conditions de détention inhumaines… À une époque où les recrutements sont de plus en plus difficiles, l’administration pénitentiaire n’a pas grand-chose à offrir à la profession à part de la reconnaissance symbolique. Les syndicats de surveillants qui réclament le droit de ne plus être considérés comme des « porte-clefs », ont alors un boulevard pour solliciter réformes et extension de leurs missions. Pour Mathieu Quinquis, « l’avantage de cette revendication « collective » est évident pour une administration bien en
(12) Huffington Post, 21 février 2017. (13) Syndicat de personnels d’insertion et de probation.
SNEPAP, Renseignement et réorganisation de la DAP, Implosion du champ de compétences du Ministère de la Justice, 23 décembre 2016.
(14)
(15) Discours lors d’une cérémonie fin de formation à l’ENAP, 27 avril 2016.
Défilé du 14 juillet 2016.
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Bilan du quinquennat
mal de reconnaissance » (17), et qui trouve dès lors dans le développement de la notion de sécurité intérieure « un allié de poids pour faire valoir ses activités et de se positionner sur l’échiquier de la sécurité et du maintien de l’ordre. » (18) Et si à d’autres moments le ministère a tenté de valoriser le métier de surveillant en mettant l’accent sur l’accompagnement à la réinsertion, sécurité et culture policière sont plus que jamais utilisées pour redorer le blason de la pénitentiaire… Et acheter l’apaisement des syndicats. « Petit à petit, on commence à arriver vers ce qu’on souhaitait obtenir », admet un représentant de l’UFAP. Seule la CGT pénitentiaire s’inquiète : « On a de plus en plus annihilé le travail sur le projet de sortie », souligne l’un de ses représentants. L’institution pénitentiaire tire aussi profit de cette revalorisation. Elle lui permet de donner l’image d’une administration qui participe à la protection de société à travers la prévention du terrorisme. Et de n’être plus seulement un acteur de dernière ligne, cantonné à l’exécution des décisions de justice.
LES DANGERS DE LA LUTTE CONTRE LA RADICALISATION Depuis les attentats de novembre 2015, l’administration pénitentiaire « ne parle plus et ne vit plus qu’à travers la lutte contre la radicalisation », selon un représentant du SNEPAPFSU (19). Les plans d’actions se succèdent. Il faut évaluer, isoler, déradicaliser… Au cœur du dispositif, un vaste système de recueil d’informations censé alimenter des grilles de détection de la radicalisation. Avec l’implication souhaitée de l’ensemble des personnels et intervenants. Problème : la « radicalisation » reste un objet non identifié. « C’est de la science-fiction dans le vrai sens du terme : de la fiction qu’on peint de couleur scientifique. Si on prend tout comme un signe de radicalisation, on va trouver, il n’y a pas de problème » s’agace le politiste Francesco Ragazzi, spécialiste des questions de sécurité © Marc Chaumeil / Divergences
L. Ridel, « La sécurité dans les établissements pénitentiaires : l’expérience des équipes régionales d’intervention et de sécurité (ERIS) », Administration pénitentiaire et justice. Un siècle de rattachement, L’Harmattan, 2013.
(16)
M.Quinquis, La policiarisation de l’administration pénitentiaire. Revdh, septembre 2017.
(17)
M. Quinquis, op.cit., janvier 2017.
(18)
Représentant du SNEPAP-FSU, dans « Personnels pénitentiaires : La filière insertion en quête de reconnaissance », Dedans Dehors n°92, juillet 2016.
(19)
Francetvinfo, 22 février 2017.
(20)
CNCDH, Avis relatif à la loi de sécurité publique, 23 février 2017.
(21)
« Collectif de recherche transdisciplinaire esprit critique et sciences ».
(22)
Le Monde, « Nous ne voulons plus repeindre les barreaux », 14 février 2017.
(23)
(24) Libération, 10 mars 2010..
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et de lutte contre le terrorisme. « Dans les prisons ou dans les services de probation, la majeure partie des gens se rendent bien compte que le problème est posé de la mauvaise façon. On a inventé ce mythe de la radicalisation par étapes parce qu’il était utile politiquement. » Un constat que partage la sénatrice EELV Esther Benbassa, qui copilote avec Catherine Troendlé (LR) un rapport-bilan sur les dispositifs de « déradicalisation » enclenchés ces derniers mois : « On n’était pas assez outillés, on a bricolé […] on a fait dans l’amateurisme » (20) constate-t-elle. Un amateurisme et une agitation qui interrogent même jusque chez l’UFAP : « Quid des interactions quotidiennes entre le personnel et les détenus ? Je pense que les répercussions n’ont pas été anticipées » lance un de ses représentants. Les répercussions de cette mutation sécuritaire vont bien audelà des relations humaines en prison. « Les personnels pénitentiaires, quelles que soient leurs fonctions, risquent d’être perçus comme des espions potentiels, ce qui empêchera le minimum de confiance requis pour assurer un quotidien un tant soit peu apaisé en détention. […] La logique sécuritaire dissout les identités professionnelles et les garanties juridiques accordées aux détenus au fil des réformes conduites au cours des deux dernières décennies » s’inquiète la CNCDH (21). Comment en effet co-construire un parcours de réinsertion avec une personne qui se sait surveillée, suspectée ? Comment prévenir la récidive en stigmatisant des groupes de détenus ? « On va créer une situation où les gens vont arrêter de parler, et où plus personne n’aura d’idée de ce qu’il se passe, ou ne pourra prendre le pouls de la situation » résume Francesco Ragazzi. « Les professionnels le disent déjà : à partir du moment où on leur demande de faire du renseignement, ils sont grillés ». Sur le terrain, ceux qui dénoncent les conséquences de ces mesures sont encore peu audibles, voire muselés. Le cas de la conseillère d’insertion et de probation Mylène Palisse, sanctionnée après la publication d’une interview critique, en atteste. Le 14 février dernier, une autre voix s’est élevée. Celle du collectif Cortecs (22), qui animait depuis 2011 des ateliers « d’autodéfense intellectuelle » en détention. « On n’est même plus une rustine, on est devenu une gommette sur un pneu qu’on crève de toutes parts » lance Guillemette Reviron, membre du collectif. « Dans ce contexte sécuritaire, tout intervenant se voit devenir un détecteur, voir un délateur de « radicaux » […] le simple fait de nous associer à cette démarche rend impossible la poursuite de nos enseignements : comment passer au crible de l’analyse critique une idée « radicale » qui, exprimée par un détenu, conduirait à son signalement ? » (23). Le Cortecs a choisi de mettre fin à ses interventions en prison. Une décision riche en symbole : non contente de souffler sur les braises avec des mesures attentatoires aux libertés, l’administration restreint les espaces de réflexion et d’analyse critique. Une fuite en avant dont on perçoit mal où elle s’arrêtera. En 2010, l’ancien CGLPL Jean-Marie Delarue prévenait déjà : « La sécurité est un ogre jamais rassasié, qui mange trop » (24). n MARS 2017 / DEDANS-DEHORS N°95
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Bilan du quinquennat
SORTIR DE L’INFLATION SÉCURITAIRE Pour le politiste Laurent Bonelli, les politiques pénales et carcérales actuelles sont le reflet d’un phénomène global « d’inflation sécuritaire ». Une tendance qui peut être déconstruite.
C
Comment et quand s’est formé ce que vous appelez le « consensus punitif » ? Laurent Bonelli : Il est né de l’effritement du consensus réhabilitatif : pendant longtemps, les questions de délinquance étaient régulées au niveau local. Les délinquants sont alors vus comme les ratés de la modernisation sociale, notamment pendant les trente glorieuses, qui ont permis le développement d’un mieux-être réel dans les milieux populaires. Il y a alors l’idée qu’il faut remettre ces gens-là dans le droit chemin. On les laisse entre les mains des professionnels de la sécurité – les policiers, les magistrats, les éducateurs. À la fin des années 1990, il ne s’agit plus de réhabiliter, mais de punir davantage. Ce qui provoque ce changement de regard, c’est d’abord le chômage de masse, la précarisation de l’emploi, la dégradation de l’habitat dans les quartiers populaires. Cela transforme la manière dont est perçue la délinquance et celle dont on sort des comportements déviants. Avant, on disait « il faut que jeunesse se passe », et il y avait une passerelle entre les codes de la rue et le monde ouvrier. L’anti-autoritarisme, qui dehors fait s’en prendre aux policiers, aux adultes, a pu fabriquer d’excellentes générations de militants politiques et syndicaux. Non seulement ces jeunes n’était pas rejetés par le monde du travail, mais en plus ils y trouvaient une stabilité qui leur permettait de « se ranger ». Aujourd’hui, la précarité empêche de faire des projets. Cette impasse génère des désordres avec des jeunes qui se fabriquent une identité propre, faite de débrouille, de travail au
32 / DEDANS-DEHORS N°95 / MARS 2017
Recueilli par SARAH BOSQUET © Laurent Bonelli
LAURENT BONELLI est maître de conférences en science politique à l’université Paris X Nanterre. Co-rédacteur en chef de la revue Culture et conflits, il est spécialiste des questions de surveillance, de lutte contre le terrorisme et de sécurité urbaine. noir, de petit deal. C’est là-dessus que prospère le discours sur l’insécurité. Dans les années 1990, des politiques locales vont ensuite constituer la sécurité en problème à part entière, la « désencastrer » de la question sociale. Les associations d’élus locaux créent des commissions pour discuter de conflits sociaux d’usage de l’espace public, et c’est là qu’on monte en généralité. On arrache les problèmes à leurs réalités concrètes et hétérogènes pour parler de « la
responsabilité des parents », de police municipale, de vidéosurveillance. On échange des « bonnes pratiques », le marché est investi par des consultants, des « experts » en sécurité. La technicisation efface le clivage gauchedroite. Ce travail des élus locaux va alors prendre dans des débats de politique générale dans un contexte particulier : la désaffection des classes populaires pour les partis politiques « traditionnels ». L’ensemble du spectre politique veut jouer sur la partition de la sécurité pour reconquérir ces votes. La question de la délinquance est alors reformulée, notamment au parti socialiste (PS). Pendant longtemps, on en faisait une conséquence des inégalités économiques. Cette perspective, qui a donné naissance aux « politiques de la ville », laisse place à l’idée de la responsabilité individuelle du délinquant. La formidable inflation législative qui se déploie alors vient de là.
Comment se traduit cette inflation sécuritaire et quelles en sont les conséquences ? Trois phénomènes sont observables. D’abord une accélération de la réponse pénale. Cela donne une réorganisation du fonctionnement de la justice : les parquets s’engorgent puisqu’on commence à tout poursuivre. On invente la « 3e voie », des mesures d’alternative aux poursuites : rappel à la loi, médiation, réparation… La différence de ces mesures avec un traitement plus informel, c’est que cela laisse une constance dans les fichiers. Par ailleurs, il y a une extension du spectre des comportements qui sont punis par le
droit. Depuis 1997, plus d’une vingtaine de lois ont été votées sur des questions de sécurité. Il y a plus de 60 modifications du Code pénal et du Code de procédure pénale, c’est extraordinairement important. Ces lois successives créent toute une série de nouveaux délits. L’accélération et l’extension produisent ensuite un durcissement important des condamnations. Ce phénomène est très net quand on regarde la justice des mineurs. Les mineurs ne sont pas délinquants plus jeunes, ils sont poursuivis beaucoup plus jeunes qu’auparavant par les institutions pénales.
Quel regard portez-vous sur l’annonce du dernier plan de lutte contre la radicalisation annoncé en octobre par JeanJacques Urvoas ? Chaque vague d’attentat s’accompagne d’une surenchère législative. On revient à la dimension symbolique de la politique : il est impensable pour le gouvernement de seulement laisser travailler les services spécialisés, il faut afficher qu’on fait quelque chose – une loi par exemple. Et comme les politiques ne savent pas quelle loi ils veulent faire, ils se tournent vers les services de police et de renseignement, qui en profitent pour énoncer leurs désirs. Si ces demandes sont entendues, c’est notamment parce que ceux qui s’y opposent sont très faibles. Dans un contexte d’émotion, la mobilisation a dû mal à prendre au-delà des défenseurs habituels des libertés publiques. On dit que les prisons produisent de la radicalisation… Commençons par les vider. Robert Badinter, qui n’est pas un grand
© Môsieur J.
Qu’entendez-vous par « décroissance sécuritaire » ? Comment engager ce processus ? De plus en plus de gens sont sous main de justice et pourtant ni la délinquance, ni la violence politique n’ont disparu. Les politiques de sécurité sont un formidable échec. Donc il faut entamer une décroissance sécuritaire. Pour cela, il faut diminuer le recours à l’incarcération, mais ce n’est pas le seul moyen. Certains pays commencent à toilet-
« LES POLITIQUES DE SÉCURITÉ SONT UN FORMIDABLE ÉCHEC. » révolutionnaire, vide de 40 % les prisons françaises en 1981. La France est-elle devenue un coupe-gorge ? Non. Plus récemment, la Californie a désincarcéré 65 000 détenus. Ça veut dire que des gens qui étaient considérés comme menaçants pour la société du jour au lendemain peuvent se retrouver dehors… Sans doute qu’il n’y avait pas de bonne raison pour qu’ils soient dedans.
ter leur code pénal : les conservateurs britanniques ont enlevé les délits qui ne servaient à rien. En France, plus de 90 % des gens mis en cause en matière de drogues le sont pour usage simple, alors que la consommation de stupéfiants est légale dans un grand nombre de pays et qu’il n’y a pas de catastrophe. Légalisons la consommation de stupéfiants sous conditions, ou, si on veut
être plus conservateurs, dépénalisons. Troisième mesure facile à mettre en œuvre : créer un système efficace de contrôle des forces de l’ordre (et ça vaut pour l’administration pénitentiaire). De loi sécuritaire en loi sécuritaire, celles-ci ont vu leur marge de manœuvre élargie ; ce qui se faisait sous contrôle judiciaire est désormais souvent dans le cadre administratif. L’affaiblissement des garde-fous est problématique. C’est la porte ouverte à l’arbitraire, à des formes d’humiliation d’État – qui génèrent à leur tour de la radicalisation. Or à la différence d’autres pays, comme les États-Unis, la Catalogne, nous n’avons pas d’institution de contrôle efficiente de nos forces de l’ordre. Il faut aussi en finir avec cette surenchère symbolique sur la sécurité, avec les discours de polarisation qui fragmentent notre société entre les bons et les méchants. Cette lutte n’est pas tant idéologique que pratique. On peut trouver des solutions rapides à un certain nombre de problèmes si on ne les traite pas sous l’angle de la sécurité. Par exemple, pour les conflits sociaux de l’espace, il faut une réflexion d’ingénierie sociale pour créer du commun, des lignes de rencontre dans les villes. Il faut réencastrer la question sécuritaire dans la question sociale. n MARS 2017 / DEDANS-DEHORS N°95
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ET AILLEURS André Vallotton est expert * auprès du Conseil de l’Europe, universitaire et ancien directeur d’un service pénitentiaire suisse. Alors que le nombre de détenus dans les prisons françaises bat des records, il revient sur la publication en juin dernier du « Livre blanc sur le peuplement carcéral » du Conseil de l’Europe, qui invite à limiter le recours à l’emprisonnement. Rappelant les enjeux d’une réforme en profondeur du système pénal et pénitentiaire, il trace les priorités d’un prochain gouvernement.
« LA SEULE RÉPONSE VALABLE » : UNE NOUVELLE POLITIQUE PÉNALE Recueilli par CÉCILE MARCEL
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Le quinquennat a été marqué par l’échec des politiques à endiguer la surpopulation carcérale. Récemment, le gouvernement français a annoncé la construction de 33 nouvelles prisons et lancé un « Livre blanc sur l’immobilier pénitentiaire ». Qu’en pensez-vous ? André Vallotton : Il faut différencier deux problèmes. La situation actuelle est effectivement inadmissible. La suroccupation ne
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permet pas de gérer les détenus, de répondre à leurs besoins de base, ni de les prendre en charge correctement. Il y a là effectivement une priorité. Mais il y a parallèlement une réflexion à mener – commencée avec la conférence de consensus sur la prévention de la récidive – pour imaginer une nouvelle politique pénale et la mettre en œuvre. C’est la seule réponse valable, mais c’est vrai que ça prend du temps puisqu’il faut dix à quinze
ans pour avoir des résultats. Ça ne se fait pas en prenant un décret ou en modifiant une loi.
D’autres pays européens parviennent-ils à limiter le recours à l’emprisonnement ? Si oui comment ? Deux groupes de pays ont vécu des évolutions assez spectaculaires ces dernières années : les pays de l’Est, dans lesquels la
© Korganow / CGLPL
Bilan du quinquennat
surpopulation a diminué de manière considérable, mais qui sont encore sur des taux de détention supérieurs à 150 pour 100 000 habitants. Et puis les pays nordiques comme la Suède, la Norvège, la Finlande, dont la population carcérale continue de baisser. Ces pays ont un taux de détention de l’ordre de 60 à 70 pour 100 000 habitants ; c’est une norme atteignable que devraient viser tous les pays européens. Les recettes pour y parvenir… D’abord la dépénalisation : trop de comportements sont pénalisés à l’heure actuelle. La déjudiciarisation également : on peut éviter les poursuites en confiant à d’autres instances civiles le soin de régler certains conflits – la médiation par exemple est une voie intéressante. Autre ingrédient : le raccourcissement des peines. En France, les peines sont particulièrement longues. Enfin, il faut une utilisation accrue des peines en milieu ouvert. Et bien sûr, il faut également améliorer la prévention de la délinquance : la lutte contre l’échec scolaire, le soutien social, la qualité de l’intégration dans la société, sont des facteurs extrêmement importants.
Comment expliquer que la France ne soit pas parvenue à mettre en place ces réformes malgré les débuts prometteurs de la conférence de consensus ? J’ai du mal à l’expliquer. Le sentiment général d’insécurité, qui dépasse la France et touche aussi d’autres pays du sud de l’Europe, contrecarre toute expérience ou tout débat serein. On veut la sécurité immédiate et on ne s’occupe pas de la sécurité à long terme. La montée du populisme est très forte. On suit davantage nos émotions qu’une analyse rationnelle des faits. C’est quelque chose d’assez dramatique, car on prétend rassurer les gens en leur apportant des fausses bonnes solutions. La France accuse aussi un retard extrêmement important au niveau des effectifs : il n’y a pas assez de personnel dans les services pénitentiaires d’insertion et de probation, dans les tribunaux… Donc mettre en place un système différent – a fortiori dans un contexte de restriction budgétaire – c’est très difficile. Le livre blanc du Conseil de l’Europe incite les Etats membres à « ouvrir un débat national sur leur système pénal ». Dans quels termes pensez-vous que ce débat devrait ou pourrait être ouvert ?
Ce n’est pas facile. En Suisse, on assiste actuellement à la remise en question d’une réforme du Code pénal de 2007 qui prévoyait la quasi-suppression des courtes peines privatives de liberté et leur remplacement par des jours-amende ou des travaux d’intérêt général. Et cela ne fait pas suite à une aggravation de la situation : la criminalité et la récidive continuent à diminuer… Mais les autorités fédérales considèrent qu’un système n’est crédible que s’il satisfait l’opinion publique, quand bien même les constats scientifiques montrent le contraire. Toute la difficulté consiste à inverser cette tendance. La seule possibilité c’est d’informer mieux, sans émotion, d’une manière beaucoup plus objective et factuelle, de façon à convaincre la population et les décideurs que la situation n’est pas celle que l’on imagine en termes de réponse à la criminalité. © André Valloton. DR.
ANDRÉ VALLOTON est chargé de cours à
l’université de Lausanne et expert sur les questions carcérales au Conseil de l’Europe.
N’avez-vous pas l’impression que les décideurs sont suffisamment informés mais qu’ils n’ont pas le courage de porter ces questions dans le débat public ? Il y a effectivement une question de courage. Ce qu’on constate souvent, c’est qu’il suffit d’un incident perturbateur, d’un mouvement de réaction fort, de problèmes de gestion, pour qu’on interrompe le processus de transformation et qu’on revienne au système antérieur. Les réformes vont rarement jusqu’au bout. Il faut effectivement des gens courageux. Comme l’a été Badinter par exemple par rapport à l’abolition de la peine de mort, malgré une opinion publique qui n’était pas particulièrement en sa faveur.
DOSSIER
Un des éléments marquants de ce quinquennat a été la lutte contre le terrorisme. En prison, il s’agit notamment de détecter les risques de radicalisation sur la base de grilles d’évaluation complexes. Qu’en pensez-vous ? Je n’ai pas d’avis spécifique sur ces grilles que je n’ai pas vues. Mais il y en a beaucoup qui se mettent en place un peu partout, notamment par rapport à la dangerosité. On est de plus en plus dans un système d’évaluation actuarielle inspiré du Canada, dont je me méfie beaucoup. Les critères sont rarement suffisamment fins pour pouvoir s’appliquer à des individus. Les grosses ficelles, les généralités, me font peur. Le risque, c’est de mettre dans une catégorie une personne qui n’y est pas, de créer des faux positifs ou des faux négatifs et de faire subir un régime inadapté avec des conséquences néfastes. Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas du tout utiliser ce genre d’outils, mais je pense qu’il faut les considérer avec beaucoup de prudence et les compléter par une autre forme d’évaluation, plus individuelle et plus fine. Que pensez-vous de la différenciation des régimes de détention ? Il me paraît indispensable de créer des régimes différents en fonction de la durée de la peine, du temps passé dans l’établissement et de l’évolution de la personne. Une grosse partie des pays européens ont des régimes progressifs dans l’exécution de la peine. On commence par un régime d’observation relativement strict mais dès qu’on le peut, on passe dans un milieu beaucoup plus ouvert, avec des libertés beaucoup plus importantes ; puis dans un établissement complètement ouvert dans lequel on peut travailler dehors, puis en semiliberté et finalement en libération conditionnelle. C’est un système qui me paraît essentiel pour réussir l’individualisation de la peine. Mais le risque de toutes ces classifications, c’est la classification elle-même. Elle ne doit pas être simpliste. Il est essentiel que les critères de choix soient extrêmement rigoureux et qu’il existe des possibilités de recours contre ces décisions pour éviter l’arbitraire. Est-ce qu’un des risques de cette approche, ce n’est pas que le régime le plus souple s’applique à une minorité, et pas forcément à ceux qui ont le plus besoin d’être accompagnés ? MARS 2017 / DEDANS-DEHORS N°95
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Il faut en effet inverser les choses. Les personnes qui nécessitent un régime strict sont les plus rares en prison. D’après les règles européennes, l’isolement est vraiment l’exception absolue. Une solution ultime et provisoire, qui doit être réévaluée et revue très régulièrement.
Quels sont selon vous les principaux chantiers que le prochain gouvernement devra engager pour répondre aux problématiques des prisons françaises ? Il y a deux niveaux. Le premier, c’est la résolution des problèmes actuels. Si la politique pénale ne change pas, il faut un peu plus de places, et surtout beaucoup plus de personnel au niveau de la justice. Il y a des renforts
régulière à leur côté. Il faudrait un agent pour 30, maximum 50 cas, pour arriver à des résultats probants. Il n’y a pas de système gagnant sans investissement. La qualité est à ce prix. Il faut ensuite engager des réformes en profondeur pour mettre en place une nouvelle politique pénale. L’amorce qui avait été faite avec la conférence de consensus était intéressante et de qualité. Il faudrait la reprendre et la faire déboucher sur un véritable projet.
Un peu plus de place, cela voudrait dire construire de nouvelles prisons ? Ce n’est pas une catastrophe de construire de nouvelles prisons si elles ont pour but, à terme, de remplacer les plus mauvaises.
préparer l’avenir du détenu, travailler avec lui à la mise en place d’un nouveau mode de vie, de nouveaux objectifs. Une prison beaucoup plus souple, dans laquelle le personnel joue un rôle relationnel très important. Ce modèle n’est pas nouveau : c’est celui des unités de vie, mis en place dans les années 1970 au Canada et dans les pays nordiques. On y apprend la vie en groupe avec un encadrement qui permet d’éviter le développement d’une sous-culture carcérale. Cette architecture doit venir remplacer ce que j’appelle les « prisons HLM » ou les « prisons casernes ». Car plus un établissement est grand, moins le personnel maîtrise la vie interne et plus on favorise les risques de tension, de racket et d’un fonctionnement qui ressemble plus à celui du crime que celui de la société.
Dans les premières annonces du ministère de la Justice, il est pourtant encore question d’établissements de 600 places... Et on voit que la proximité du commissariat ou du tribunal semble être davantage au cœur des préoccupations que celle des structures de préparation à la sortie. Si c’est le cas, c’est une erreur. Et c’est dommage car c’est un point fondamental dans la préparation de l’avenir, dans le régime de l’exécution de la peine. La prison ne devrait pas être un lieu de stockage dans lequel on attend d’autres décisions.
© Thibaud Moritz
extrêmement importants à mettre en place chez les juges de l’application des peines, pour qu’ils puissent traiter les situations autrement que d’une manière administrative. Il faut aussi plus de personnel pénitentiaire. En prison, le taux actuel d’encadrement est beaucoup trop faible pour pouvoir connaître les détenus et travailler véritablement avec eux. Et en milieu ouvert, il faudrait offrir un encadrement suffisant pour faire des peines alternatives un instrument crédible. Le ratio d’un conseiller de probation pour 120 voire 150 personnes ne permet pas de suivre correctement les gens, d’être présent de manière
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La majorité de l’appareil pénitentiaire français est complètement obsolète et ne correspond pas aux besoins normaux en matière de prise en charge et de parcours d’exécution des peines. Si on construit maintenant des prisons intelligentes, ça permettra plus tard de supprimer les plus anciennes quand la nouvelle politique pénale aura été mise en place.
Qu’est-ce qu’une prison intelligente, selon vous ? C’est une prison beaucoup plus petite, dans laquelle on peut tenir compte des besoins de chacun, individualiser l’exécution de la peine,
En novembre 2015, le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) a effectué une visite en France des lieux de privation de liberté. Le gouvernement n’a toujours pas donné son accord pour la publication du rapport de cette visite. Comment interpréter ce blocage ? Le gouvernement doit adresser ses commentaires et un certain nombre de réponses. À mon avis, il est parfaitement conscient des constats et des difficultés. Mais la situation actuelle est compliquée et apporter des réponses qui soient satisfaisantes, ça ne doit pas être si simple que ça… Cela veut dire que le gouvernement a conscience que les réponses apportées ne sont pas satisfaisantes ? Je pense que oui. n * Ancien président du Conseil de coopération pénologique du Conseil de l’Europe.
Bilan du quinquennat
DOSSIER
QUAND L’EUROPE FIXE LE CAP Que prescrit le Conseil de l’Europe en matière de politiques pénale et pénitentiaire ? Dans un corpus de normes, inspiré des recommandations de ses organes de contrôle (Comité de prévention de la torture, Cour européenne des droits de l’homme) et des travaux de recherche, le conseil a dessiné ce qui devrait être la feuille de route des gouvernements. Zoom sur trois grands principes, qui conditionnent tant le respect des droits fondamentaux que la prévention de la récidive. par CÉCILE MARCEL
POLITIQUE PÉNALE : LE PRINCIPE DE L’ULTIMA RATIO
POLITIQUE PÉNITENTIAIRE : LES PRINCIPES DE « NORMALISATION » ET DE « RESPONSABILITÉ »
« La privation de liberté devrait être considérée comme une sanction ou mesure de dernier recours […] lorsque la gravité de l’infraction rendrait toute autre sanction ou mesure manifestement inadéquate. » (1) Pour le Conseil de l’Europe, c’est un principe de base. Il implique l’élaboration par les gouvernements de plans d’actions nationaux incluant l’ensemble des acteurs de la chaîne de justice pénale (2) et prévoyant : Ü la décriminalisation de certains types de délits ; Ü la réduction du recours à la détention provisoire ; Ü la réduction du recours aux peines de longue durée et le remplacement des courtes peines d’emprisonnement par des sanctions et mesures appliquées dans la communauté ; Ü la mise en place de l’infrastructure requise pour l’exécution et le suivi de ces sanctions, afin d’en faire des « alternatives crédibles à la peine d’emprisonnement » ; © Nathan Guy / Flickr Ü le développement des mesures permettant de réduire la durée effective de la peine purgée, et notamment de la libération conditionnelle, « une des mesures les plus efficaces et constructives » pour permettre la réintégration du délinquant dans la communauté. Et c’est possible. Le nombre de personnes détenues dans les prisons européennes a baissé de presque 7 % entre 2014 et 2015, selon une récente enquête réalisée pour le Conseil de l’Europe (3). Des pays comme la Finlande, le Danemark ou la Suède ont connu une baisse de 25 points de leur taux détention en dix ans, pour atteindre respectivement 54, 56 et 58 pour 100 000 habitants en 2015. Sur la même période, le taux de détention en France est passé de 91 à 98 (101 aujourd’hui).
« La vie en prison est alignée aussi étroitement que possible sur les aspects positifs de la vie à l’extérieur des prisons. » (4) Pour limiter les effets néfastes de l’incarcération et faciliter la réintégration dans la société, le Conseil de l’Europe pose deux principes fondamentaux : la « normalisation », qui vise à rapprocher la vie en détention de celle hors les murs, et la « responsabilisation », pour donner aux détenus l’occasion d’exercer des responsabilités personnelles dans leur vie quotidienne. S’y ajoute, pour les condamnés, un principe d’« individualisation » invitant à la définition d’un projet d’exécution de la peine en fonction de leurs besoins propres et incluant formation, travail et préparation à la sortie. La mise en œuvre de ces principes exige : Ü des conditions matérielles appropriées, répondant aux besoins de confort de base des personnes détenues ; Ü un programme d’activités équilibré permettant aux détenus de passer au moins huit heures par jour hors de leur cellule ; Ü un régime de détention qui facilite une certaine autonomie, avec un niveau de sécurité le moins restrictif possible ; Ü la mise en place de dispositifs permettant aux détenus de prendre part à la vie publique, mais aussi aux discussions et décisions concernant l’organisation de la vie en détention ; Ü la limitation des dispositifs de sécurité coercitifs pour privilégier une approche de la sécurité dite « dynamique », basée sur le développement de relations « positives » entre personnels et détenus et la mise en place de mécanismes de médiation pour résoudre les différends. Ü la possibilité d’avoir des contacts soutenus avec l’extérieur et de « développer des relations familiales de façon aussi normale que possible ». De nombreux pays ont mis en place des initiatives allant dans ce sens. La Suède par exemple garantit à ses détenus un minimum de six heures d’activités par jour. Au Danemark, des porte-parole élus par les prisonniers participent à la prise de décision, aux côtés des services pénitentiaires. En Pologne, des bureaux de vote sont installés en détention : le taux de participation frôle les 60 %, contre moins de 2,5 % en France. Au Royaume-Uni, le maintien des liens familiaux est facilité grâce à une prise en charge financière des visites pour les proches de détenus aux revenus modestes. n
(1)
Recommandation n°R (99) 22 concernant le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale.
Livre blanc sur le surpeuplement carcéral, Comité européen pour les problèmes criminels (CDPC), Conseil de l’Europe, 30 juin 2016. (2)
(3)
Annual Penal Statistics. SPACE I, 14 mars 2017.
(4)
Règle pénitentiaire européenne n°5.
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LE GRAND ENTRETIEN Quelle est l’influence des mouvements sociaux sur les politiques pénales et carcérales ? Quels changements laisse espérer le contexte politique actuel ? Des questions auxquelles l’historien Jean Bérard s’est intéressé dans l’essai collectif Prisons, quel avenir ?. Spécialiste des contestations du système pénal, il analyse ici l’actualité des luttes comme propice à de nouvelles alliances.
Prison, justice : quel avenir pour les luttes ? Recueilli par SARAH BOSQUET
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Quels ont été les grands mouvements de transformation de la prison au cours des dernières décennies ? Jean Bérard : Un premier mouvement commence dans les années 1970, à l’instigation de prisonniers en révolte et de groupes militants. Ses figures les plus connues sont le Groupe d’information sur les prisons (GIP)
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et le Comité d’action des prisonniers, qui rendent publique une critique de la prison comme institution disciplinaire violente et inefficace, affirment la nécessité de définir les droits des prisonniers contre la toutepuissance de l’administration pénitentiaire et montrent la nécessité de recourir à moins de prison – voire à plus de prison du tout.
Les discours en faveur de l’abolition de la prison ont ensuite décliné mais les discours de défense des droits ont pénétré d’autres mouvements militants (comme l’OIP), puis des instances officielles (à l’échelle française, européenne ou mondiale) et finalement des espaces législatifs, à compter des années 2000. Une deuxième grande ligne de trans-
Bilan du quinquennat
DOSSIER
© Corinne Rozotte / Divergences
« LES MOBILISATIONS QUI POLITISENT LA JUSTICE D’UNE AUTRE FAÇON NE SONT PAS DES POINTS DE DÉTAILS QU’IL FAUT RÉSOUDRE. » formation, en sens contraire, c’est ce que le chercheur David Garland a appelé la « réinvention de la prison ». Alors qu’on pouvait parier, dans la première moitié des années 1970, sur une diminution graduelle de l’utilisation de la prison, c’est l’inverse qui s’est produit dans plusieurs pays, dont la France, dès la fin des années 1970. La troisième tendance, c’est une transformation de la doctrine pénitentiaire, sur les plans juridique et scientifique. Au croisement entre les deux transformations précédentes, l’administration pénitentiaire s’est retrouvée prise en tenaille entre l’obligation de respecter les droits et la contrainte de gérer des prisons surpeuplées, avec des personnes condamnées à des peines de plus en plus longues. Elle a jugé qu’elle avait besoin de moyens disciplinaires importants pour maintenir l’ordre, tout en se conformant à un ordre juridique nouveau. La loi a ainsi d’un côté reconnu des droits et de l’autre différencié les régimes de détention – ce qui revient à faire varier les droits. Pour que le classement des prisonniers ne soit pas vu comme arbitraire, il a fait l’objet d’un travail de légitimation « savante », notamment appuyé sur le développement des outils d’évaluation et de classification des prisonniers.
La vision « sécuritaire » des politiques pénales et carcérales s’est donc imposée progressivement dès la fin des années 1970 ? Il me semble que ce qui s’est imposé d’abord, au milieu des années 1970 ce sont tous les discours qui ont permis d’augmenter le recours à l’incarcération : « l’insécurité explose, les délinquants sont de plus en plus jeunes, la France a peur, etc »… Ces discours extrêmement répétitifs ont permis de rendre légitimes des mesures pénales elles-mêmes répétitives : alourdissement des peines, périodes de sûreté qui empêchent des libérations conditionnelles, etc. Ces dispositions
traversent le temps et conduisent à des augmentations du nombre de personnes en prison. Contre ces tendances, les scandales sur les conditions de détention n’agitent l’espace public que de manière sporadique. Si des fenêtres de débats sur la prison s’ouvrent par moment, il me semble qu’elles n’atteignent pas la force des discours sur l’insécurité et la nécessité de la sévérité pénale.
Après les quelques espoirs suscités par les annonces de Christiane Taubira et la conférence de consensus, comment expliquer les retournements politiques de ce quinquennat ? Il y avait un déséquilibre entre, d’une part, un espace de discours réformistes en direction de politiques de moindre incarcération (porté par Christiane Taubira), et d’autre part, le traitement de la délinquance par la majorité de la presse, par la droite, par l’aile droite du PS, qui étaient toujours dans le cadrage des questions pénales telles qu’elles sont posées depuis des décennies... On l’a vu de manière très nette quand le rapport de la conférence de consensus est rentré dans le débat public. La droite a crié au laxisme, a dit qu’on allait libérer tous les délinquants, et une partie du PS a affirmé qu’il ne fallait pas affaiblir la réponse pénale. Personne n’a porté les propositions de réformes concernant les condamnés à de longues peines. Il me semble donc que l’expression « conférence de consensus » était à la fois importante et trompeuse. Dans le monde médical, dont est issu cet outil, il ne faut pas seulement que la conférence produise son consensus. Il faut un consensus sur le fait qu’une telle conférence est légitime aboutir à un consensus auquel tout le monde devra ensuite se rallier. Christiane Taubira a certes un peu transformé le cadre par ses prises de position et son style de discours. Mais elle s’est vite trouvée confrontée à des forces
© DR
JEAN BÉRARD est professeur adjoint à
l’université de Montréal et chercheur au Centre international de criminologie comparée. Il est l’auteur de la thèse La Justice en procès, les mouvements de contestation face au système pénal (1968-1983) (1) et co-auteur de Prisons, quel avenir ? (2).
structurantes, qui emploient des arguments répétitifs mais puissants pour lutter contre des politiques ambitieuses de réduction du recours à l’incarcération.
Aujourd’hui, qu’est-ce qui vous donne espoir dans des possibilités de transformations politiques ? Les pistes d’espoirs me semblent être dans la vitalité et la diversité des contestations du fonctionnement des institutions pénales, qu’on voit naître et se développer ; sur l’action de la police, la condition carcérale, l’impunité de la délinquance financière, des discriminations, de la destruction de l’environnement ou des violences contre les femmes. Ces formes de militantisme doivent être mises en lien les unes avec les autres pour qu’on puisse fournir des propositions offensives et affirmatives sur ce que pourraient être une justice plus juste, ou moins injuste. Aujourd’hui, il y a autant de lieux de politiMARS 2017 / DEDANS-DEHORS N°95
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sation de la justice qu’il y a d’espaces de contestation sociale.
Mais ces différents mouvements ne portentils pas des revendications contradictoires ? Des militants qui dénoncent l’impunité des violeurs, des fraudeurs fiscaux, des multinationales, de la police peuvent effectivement demander l’usage d’outils répressifs comme la prison. Cela pose une difficulté qu’il n’est pas facile de résoudre. Faut-il demander l’application aux dominants aujourd’hui bien souvent impunis des sanctions dénoncées lorsqu’elles s’attaquent aux franges les plus précaires des classes populaires ? Je ne pense pas que cette contradiction soit mineure, ni qu’il faille considérer les discours qui dénoncent
cette modération pénale ou y voir une injustice de classe et de genre ? Dans le cas de la délinquance économique et financière, fautil promouvoir une forme de justice qui renonce à toute répression et propose de réparer ces infractions avec des transactions et des compromis avec le ministère des finances ? En réalité, c’est déjà ce qu’il se passe. Et on peut se demander si cette forme de justice-là n’entérine pas le rapport de pouvoir qui fait que certains peuvent cacher leur argent et ensuite discuter avec l’administration tandis que d’autres, quand ils commettent un vol, sont soumis à une forme de justice beaucoup plus brutale (arrestation, comparution immédiate, incarcération) dans laquelle on ne va pas leur demander de « réparer ».
si c’était un jeune homme noir de banlieue, il serait déjà en prison ». Aujourd’hui, il y a énormément de travaux qui montrent pourquoi certaines infractions restent en-dehors des institutions pénales (par exemple la délinquance financière), ou pourquoi il est difficile de porter plainte quand on est dans une situation de domination, comme dans le cas de violences sexuelles dans le cadre familial. Ce sont des champs de recherche très développés, qui permettent d’établir des résultats qui ne sont pas de l’ordre de l’anecdote. Ils mettent au contraire en évidence les relations entre le fonctionnement du système pénal et des rapports sociaux de domination. Il faut prendre ces rapports sociaux au sérieux pour tenir un discours critique sur le système pénal.
« AUJOURD’HUI, LE PASSAGE D’UNE POSITION DÉFENSIVE À UNE POSITION OFFENSIVE NÉCESSITE D’ÉLARGIR LE SPECTRE. » l’impunité comme de simples alliés d’un discours réactionnaire de promotion de la sévérité pénale. Au contraire, pour poser la question des prisons dans l’espace public aujourd’hui, il faut prendre la mesure du fait que les enjeux de politiques pénales et pénitentiaires font l’objet d’interpellations très diverses. Il existe un espace de politisation autour de la lutte contre l’inflation carcérale et la construction de nouvelles prisons, avec lequel je suis parfaitement d’accord. Mais, par ailleurs, après la mort de Rémi Fraisse ou d’Adama Traoré, le viol de Théo, des militants dénoncent la manière dont la police et la gendarmerie enquêtent (ou n’enquêtent pas vraiment), et dont la justice euphémise les faits. Il y a quelque mois, un étudiant californien a été condamné pour viol à six mois de prison. Il n’en a finalement exécuté que trois... Faut-il dans ce cas se féliciter de
Mobilisation contre la corruption des élites à Paris.
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Il faudrait donc parler de prison et de justice en parlant aussi d’inégalités sociales et de racisme ? Oui. On parle d’une justice de classe, mais on pourrait parler aussi d’une justice de genre, de race, d’espèce… Il me semble qu’on traite souvent ça de manière sarcastique ou anecdotique. On voit l’affaire Fillon, et on dit « ah,
Par exemple, les analystes du « populisme pénal » mettent en avant la place croissante prise par les victimes dans les procédures pénales, dont un exemple récent peut être la réforme des délais de prescription. C’est tout à fait vrai, mais il faut rappeler en même temps que neuf cas de violences sexuelles sur dix ne finissent jamais devant les tribu-
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Manifestation de soutien pour Théo à Bobigny.
naux. Les personnes qui souhaitent porter plainte longtemps après les faits sont celles qui, très souvent prises dans des rapports de domination domestique, n’ont pas pu faire entendre leur voix auparavant. Dans ces conditions, ne critiquer le système pénal que pour sa supposée sacralisation des victimes me semble pour le moins partiel.
© Xavier Testelin / Divergences
Quelles solutions proposer pour résoudre cette tension ? Les mouvements sociaux qui demandent plus de sévérité pénale ont une histoire proche de ceux qui contestent la prison. C’est celle de l’après mai-68 en France, de l’émergence d’un grand nombre de mouvements sociaux : féministe, gay, écologiste, antispéciste, antiraciste, contre l’institution psychiatrique, militaire, etc. Alors que les prisons se révoltaient, des militantes féministes dénonçaient en même temps l’impunité des violeurs et le recours à l’incarcération, quand d’autres estimaient que le recours à la répression était tristement inévitable. Cet espace de questionnement existe depuis les années 1970. Deux types de réponses peuvent être envisagés. La première, c’est de dire qu’il ne faut pas lutter contre un phénomène en incarcérant les auteurs, mais en luttant contre ses causes. On peut en donner un exemple contemporain : suite à l’affaire du violeur de Standford, le gouverneur de Californie a dit qu’il allait imposer des sanctions obligatoires pour les auteurs de violences sexuelles. Des groupes féministes lui ont alors écrit pour lui expliquer que l’imposition de peines obligatoires n’allait pas résoudre le problème, que c’était peut-être même au contraire ainsi qu’on allait empêcher des dénonciations de se faire en plus de nourrir la surpopulation carcérale. Cette analyse qui considère que le système pénal s’attaque seulement aux conséquences, sans effet ou avec des effets contreproductifs sur les causes, est intéressante pour réfléchir à des formes de transformations sociales. Mais ce n’est pas une réponse suffisante à court terme. Parce qu’en attendant que les causes soient transformées, il y a bien ces infractions qui ont lieu et des
© Bernard Bisson / Divergences
victimes. Pour cette raison, un deuxième grand ensemble de réponses propose de dire : « il faut qu’il se passe quelque chose, mais autre chose qu’un procès et une incarcération ». C’est dans cet « autre chose » qu’on trouve tout un espace de réflexion et d’innovations pénales alternatives à l’incarcération, de tentatives de justice réparatrice, de soin ou de médiations.
Ces solutions permettraient-elles de sortir d’une vision punitive de la sanction ? Oui, en partie, car elles impliquent de vouloir retisser des liens plutôt que de trancher par la violence de la sanction. Mais il ne faut pas en faire un remède miracle. Dans les mouvements féministes par exemple, il y a beaucoup de débats pour savoir comment traiter les violences conjugales par des processus de médiation ou des cercles de paroles… Si on traite de manière horizontale un rapport de pouvoir déséquilibré, on peut se demander si on résout le problème ou si en réalité on laisse perdurer des rapports de pouvoir destructeurs pour les victimes. La question vaut aussi pour des processus de rencontre entre victimes et auteurs d’agression sexuelle. Pour des auteures comme Susan Miller, ce qui permet la sincérité de la rencontre, la richesse de tels processus, c’est qu’ils soient déconnectés de la peine. De mon point de vue, il faut donc se poser à la fois la question des alternatives et celle de la réduction des peines. Le criminologue québécois Jean-Paul Brodeur partageait ce point de vue selon lequel une sanction violente ne peut pas résoudre des problèmes sociaux ; mais il montrait qu’on ne pouvait pas faire l’impasse sur une pensée de la peine, pour promouvoir une forme de minimalisme pénal.
Comment peut-on mettre en évidence cette justice à deux vitesses et surtout la transformer ? Les inégalités devant la justice sont très visibles en ce moment dans les débats publics : l’affaire Fillon, l’affaire Théo, l’affaire Adama Traoré, les violences sexuelles... Ces questions ne sont pas marginales, elles sont centrales. Avec une perspective étroite, on peut avoir l’impression que la question carcérale n’est pas dans la campagne électorale. Mais en réalité, la question des inégalités devant la justice est omniprésente. On pourrait presque dire qu’on ne parle que de ça ! Il me semble urgent de se saisir de cette diversité d’interpellations, d’accepter qu’elle pose des difficultés politiques et d’y réfléchir pour former un corps de doctrine offensif. Depuis que l’insécurité est venue au cœur de l’espace public, les mouvements sociaux sur les questions pénales ont souvent pris des formes défensives et spécialisées. Ces formes sont nécessaires parce qu’il faut beaucoup de technicité juridique pour faire annuler un texte devant le Conseil d’Etat ou obtenir une condamnation de la France devant la CEDH. Toutes les formes d’action qui visent à démontrer l’inanité des politiques pénales et pénitentiaires qui demandent plus de fermeté sont aussi très nécessaires. Mais aujourd’hui, le passage d’une position défensive à une position offensive nécessite d’élargir le spectre : il faut faire discuter tous les militants et mouvements qui font de la justice pénale un enjeu politique. n
Jean Bérard, La Justice en procès, les mouvements de contestation face au système pénal (1968-1983), Les Presses de Sciences-Po, 2013, 344 p.
(1)
Jean Bérard et Jean-Marie Delarue, Prisons, quel avenir ?, Puf - La vie des idées, 2016. 109 p.
(2)
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ELLES/ILS AGISSENT © BBK Photos
Depuis la mort de son frère Adama Traoré dans un commissariat le 19 juillet 2016, Assa Traoré s’est lancée dans un combat intime et politique : alerter sur les violences policières, la violence d’un système pénal à deux vitesses, et demander sans relâche « Justice et vérité pour Adama ». Educatrice spécialisée devenue aussi activiste, elle souligne l’urgence d’une mobilisation de masse et la nécessité d’une autre justice. Recueilli par SARAH BOSQUET
« Mon espoir, c’est le collectif »
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En quoi votre combat pour votre frère a-t-il changé - ou pas - votre regard sur la justice française ? Assa Traoré : Je me suis rendu compte qu’on était dans une bulle. J’avais conscience de toutes ces inégalités, des violences policières, du fait de ma profession et parce que mes frères ont subi l’acharnement de la police. Mais la mort d’Adama et cette lutte m’ont fait réaliser que certains peuvent aller en prison pour rien, et que d’autres peuvent tuer quelqu’un et ne pas aller en prison. Aujourd’hui, je pense qu’il faut tout renverser pour se faire entendre. À mes yeux, la France a scindé son peuple en deux : une partie est oppressée, une autre est satisfaite. Mais on peut se lever tous ensemble pour faire plier cette mauvaise France. Comment arriver à cette « justice juste pour tous » que vous appelez de vos vœux ? Il faudrait déjà qu’on se dise qu’il n’y a pas d’État sans citoyens, que la justice se fait avec ses citoyens. Il faudrait qu’on soit acteurs et actrices dans ce changement,
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qu’on puisse dire « les décisions, vous ne les prenez pas seuls, parce que sans nous, il n’y a pas de vous ». Et puis surtout, il faut connaître mieux nos droits. On dit que la France est un pays de démocratie, de liberté, mais ce n’est vraiment le cas si on ne sait pas utiliser nos droits correctement. Quand on aura cassé ce sentiment de dépendance avec lequel on a grandi, quand on pourra dire à ceux qui pensent qu’ils ont plus de légitimité que les autres : « Vous allez arrêter de nous duper, de nous prendre pour des enfants. Je ne suis pas une assistée, je ne suis pas un joujou », peut-être qu’on pourra avancer.
Aujourd’hui, quels sont pour vous les luttes prioritaires ? Où voyez-vous des pistes d’espoir ? La priorité pour moi, c’est la mise en examen des gendarmes qui ont tué mon frère. Ensuite, c’est rappeler que tout cela vient de la maltraitance qu’il y envers les personnes de banlieues, de quartiers populaires. Les personnes précaires sont mises de côté,
isolées, exploitées par d’autres… Tant qu’on ne donnera pas à chacun un rôle dans cette société, on n’avancera pas. Je pense aussi qu’il faut marcher ensemble, entre personnes de cultures et d’origines différentes. Tant qu’on n’arrivera pas à ça, le combat sera difficile… Mon espoir, c’est le collectif. Je le vois à travers le combat qu’on mène pour mon frère : on a des soutiens qui viennent de tous milieux. C’est pour ça qu’on a mis en place un système de parrainage au sein d’une association qu’on a créée pour que ceux qui ont des moyens puissent accompagner des jeunes, aider à ce que leur avenir ne ressemble pas à celui d’Adama. Il y a plein de jeunes qui demandent juste à ce qu’on leur file un petit coup de pouce. On veut aussi faire de la prévention, de l’accès aux droits et à la justice. Les violences policières, il faut les arrêter tout de suite, mais en utilisant le droit. On aimerait aussi mener d’autres projets, donner la parole aux jeunes pour qu’ils parlent de leurs expériences, qu’eux-mêmes disent ce qu’ils vivent, ce qu’ils ressentent. n
Bilan du quinquennat
DOSSIER
« REPLACER LA PRISON DANS SON CONTEXTE SOCIAL ET ÉCONOMIQUE » Le 31 mars 2016, à la fin d’une manifestation parisienne contre la proposition de « loi travail », des milliers de personnes commencent à occuper la place de la République. Avant la répression du mouvement social, des « Nuit Debout », apparaissent dans plusieurs régions de France. Sur les places, dans les quartiers, des gens se rencontrent et commencent à s’organiser ensemble. Trois membres de la commission « Prison par Terre » reviennent sur l’intérêt de cette expérience.
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Recueilli par SARAH BOSQUET
Pourquoi avoir créé le collectif Prison Par monde militant depuis longtemps, d’autres Terre pendant le mouvement Nuit Debout? qui avaient fait de la prison, qui donnaient Que vous a apporté cette expérience ? leur point de vue. Prison par Terre : Initialement, on était un peu surpris qu’un mouvement anti-capiQuelle est votre critique principale du taliste « Contre la loi travail et son monde » système carcéral ? ne parle pas de prison, donc on a monté Notre point de vue, il n’est pas innovant, il cette commission avec l’idée de la replacer correspond aux discours de Foucault ou de dans son contexte social et économique, pour reposer la question : « À quoi sert la prison dans un monde capitaliste ? ». Sur la place de la République, on a tenu des tables d’infos, diffusé des tracts rédigés ensemble, organisé des débats et des projections. Au même moment, il y a eu la lutte des femmes à Fleury (1). On s’est alors agrégés aux manifestations de soutien qui étaient organisées devant la prison. On voulait se mettre à la disposition des luttes des prisonnierEs s’il y © Corinne Rozotte / Divergences avait une demande. À la suite des ñ Une soirée pendant le mouvement Nuit Debout, nombreuses arrestations qui ont eu place de la République à Paris. lieu pendant la répression du mouvement, on a écrit aux personnes enfermées et lancé des correspondances Wacquant (2) qui datent des années 1970 et avec une partie d’entre elles. L’idée, c’était 1990, mais que personne ne connaît vraide briser au maximum l’isolement, de créer ment… Pour nous, les discours radicaux un lien de solidarité avec ceux qui étaient donnent une marge de manœuvre aux proprévenus ou détenus, et donner des infos gressismes non révolutionnaires. Et c’est sur les structures qui pouvaient leur être en partie parce que ces idées sont de moins utiles (CGLPL, l’Envolée, l’OIP et autres). en moins portées dans l’espace public (notamSur la place de la République, on a aussi ment dans les médias) que notre société rencontré plein de gens qui étaient loin du est de plus en plus conservatrice. À Nuit
Debout, les gens étaient tous à peu près d’accord sur le fait que l’univers carcéral est violent, qu’il faut remettre en question la justice… Mais peu de personnes connaissaient ce qui est pour nous la réelle fonction sociale de la prison : « dompter les pauvres », comme on l’a expliqué dans un tract.
Quels sont vos projets pour les mois à venir ? Parmi nos idées, il y a celle d’aller voir des collectifs qui peuvent réclamer des peines de prison, et de discuter. C’est le cas de certains groupes féministes de ceux qui s’activent sur les questions des violences policières par exemple. Nous, on a toujours dit : que tu sois le pire oppresseur, le plus grand des dominants ou moins que rien, personne ne mérite la prison (ce que rappelait le Comité d’action des prisonniers dans les années 1970). On réfléchit aussi à la situation des familles. On voudrait créer des caisses de solidarité pour celles et ceux qui font des kilomètres pour un parloir. Et puis la pièce de théâtre « Pisser dans l’herbe », de Philippe, membre du collectif, va aussi être rejouée à la Parole Errante (Montreuil), les 23, 24 et 25 mai prochains. Les bénéfices du bar seront utilisés pour des mandats. n (1)
Maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis.
Michel Foucault, Surveiller et punir, Gallimard, 1975 ; Loic Wacquant, Les prisons de la misère, Raisons d’agir, 1999. (2)
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ELLES/ILS AGISSENT © Alex Bonnemaison / Emmaüs
En marge des calendriers électoraux, Emmaüs France réfléchit à la manière de s’inscrire dans un mouvement de transformation sociale. « Incorrigible optimiste », son président Thierry Kuhn évoque ici quelques pistes. Recueilli par SARAH BOSQUET
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« Il faut valoriser nos actions dans un discours politique »
Comment en êtes-vous arrivés à vous intéresser aux politiques carcérales et à les relier à la thématique des inégalités sociales ? Thierry Kuhn : Le premier compagnon accueilli par l’Abbé Pierre était un ancien bagnard, il l’a aidé à créer la première communauté en 1949. Les sortants de prison étaient déjà considérés comme toute autre personne en situation d’exclusion - sans logement, sans emploi, sans papiers - sur le principe de l’accueil inconditionnel. Dans les communautés, on accueille aujourd’hui des personnes en semi-liberté, en peines alternatives, notamment en TIG. Il y a aussi ce constat : en ce moment, on oublie qu’il y a moins d’insécurité qu’il y a quelques décennies et on criminalise la misère, on « soigne » les difficultés psychiatriques par la prison. Le problème, c’est que lorsqu’on sort de prison sans accompagnement, il y a plus de 60 % de récidive. On doit mieux l’expliquer aux citoyens : la prison va à l’encontre de la sécurité. Comment porter ces questions dans le débat public, toucher des personnes qui ne sont pas encore mobilisées ? Nous portons deux projets de fermes d’insertion, celui de Moyembrie, en Picardie, et un autre en cours de lancement dans le SudOuest. Emmaüs a toujours fonctionné comme
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ça : d’abord on fait et on montre que ça marche, ensuite on essaye de mutualiser des initiatives de terrain pour faire naître d’autres idées et faire avancer le droit. Nous avons aussi organisé un « meeting de la société civile » le 22 janvier, pour les dix ans de la mort de l’Abbé Pierre. L’idée était de dire que la politique, c’est trop sérieux pour la laisser aux seules mains des politiques. Que les citoyens portent des solutions très concrètes sur l’économie, l’emploi, le logement, l’accueil des migrants, les prisons, et qu’il serait temps de s’en saisir. C’était l’idée de l’appel « Nous sommes le monde de demain * » : nous sommes des acteurs de transformation sociale qu’il faut mettre en réseau. Il faut s’inspirer les uns les autres, valoriser nos actions dans un discours politique. Il faut qu’on arrête de chercher l’homme providentiel. Aujourd’hui, c’est nous tous qui sommes porteurs d’avenir. Certes, il y a aussi des contre courants qui sont très costauds…
D’après vous, quels sont les modes d’action à privilégier pour agir sur ces questions ? Chez Emmaüs, on a été un peu les précurseurs de l’économie circulaire mais sans le conscientiser au départ. On est la preuve vivante que l’on peut prendre des initiatives et devenir un mouvement non pas caritatif, mais de transformation sociale. C’est l’ambi-
tion qu’on doit avoir et on en a les moyens. Un exemple : j’ai été invité dans une ville de Bretagne où des jeunes en BTS « Métiers de la mode » ont organisé un défilé avec des textiles provenant de vêtements récupérés par Emmaüs. Ils ont conjugué leur savoirfaire, leurs rêves et une action de solidarité. Autre exemple : à Calais, une vieille dame a accueilli chez elle des migrants pour leur permettre de recharger leurs téléphones portables. C’est ce genre d’initiatives simples, hors de toute structure associative, qu’il faut mettre en avant pour donner l’idée à d’autres. La condition, c’est de se regrouper et de s’imposer au niveau médiatique, et là-dessus il y a du chemin à faire. Peut-être que c’est nous qui sommes devenus trop timides. Les gens, en particulier les jeunes, ont besoin d’absolu, de projet de société fédérateur, de radicalité. Certains peuvent être tentés par les offres de radicalité islamiste ou d’extrême droite. À nous de porter autre chose. Dans l’appel, on parle « de radicalité humaniste et fraternelle ». On a voulu inspirer les politiques, mais c’est surtout aux citoyens qu’on souhaite s’adresser. Mon appel aux jeunes, c’est de ne pas abandonner leurs rêves, leurs ambitions collectives. n * Écrit par un collectif d’associations et de syndicats et publié dans Libération le 20 janvier 2017
Bilan du quinquennat
DOSSIER
« COMBATTRE LES IDÉES REÇUES VÉHICULÉES PAR NOTRE CLASSE POLITIQUE » Des mères, des sœurs, des amantes, une petite fille… Pour le huit-clos De sas en sas * la comédienne et réalisatrice Rachida Brakni a choisi de filmer un drôle de groupe de femmes - rassemblées uniquement par l’attente éprouvante d’un parloir. Un point de vue engagé sur l’univers carcéral.
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Qu’est-ce qui vous a amené à choisir le point de vue des femmes qui visitent les détenus ? Rachida Brakni : La question de l’enfermement, en asile psychiatrique ou en prison, me tourne dans la tête depuis que je suis petite. Si je n’avais pas fait ce film, j’en aurais fait autre chose. Et puis, il y a plusieurs années de ça, je me suis retrouvée dans la même situation que ces femmes. J’ai réalisé qu’on ne parle jamais d’elles, et que la justice ne peut pas quantifier cette peine indirecte qui leur est infligée. Qu’est-ce qu’on fait des liens familiaux et amoureux ? Pour les maintenir, il faut continuer à aller visiter la personne, lui donner du linge propre, récupérer le sale. Pour les femmes qui travaillent, c’est très compliqué : difficile de dire à son employeur qu’on a besoin d’un jour pour se rendre en prison. Dans quelle mesure les artistes et les cinéastes peuvent-ils jouer un rôle dans la politisation de ce sujet, changer le regard des gens sur l’univers carcéral ? J’ai le souvenir d’artistes qui, quand j’étais plus jeune, se servaient de leur notoriété ou de leur outil artistique pour rendre compte d’un certain nombre de choses. Malheureusement, on est dans une société beaucoup plus individualiste, moins politisée. Avant, on pouvait embrasser une cause à bras le corps, mais si on le fait aujourd’hui, on est tout de suite taxé de bobos vivant en dehors de la réalité. À chaque projection, des gens me disent
Recueilli par SARAH BOSQUET
qu’ils n’imaginaient pas la prison comme cela. Même si ce n’est pas un documentaire, je suis contente de me dire qu’à partir de ce que montre le film – le parcours du combattant des familles – des personnes prennent conscience de ce qu’est l’emprisonnement, de tout ce que ça implique comme conséquences. Il faut sortir de cette image complètement fausse d’une population carcérale qui ne serait composée que de dangereux criminels. Impliquer les gens, en rappelant
© Philippe Quaisse
que chacun peut se retrouver confronté de près à cette situation-là. On entend encore des choses assez terrifiantes comme « Mais de quoi ils se plaignent ?! », ou des comparaisons de la prison avec un hôtel. Or c’est un lieu qui abîme plus qu’il ne répare : c’est important de le montrer et de s’interroger sur ce que la prison est censée apporter.
De votre point de vue citoyenne, quels sont les combats prioritaires pour transformer les politiques pénales et carcérales ? Je ne suis pas spécialiste du sujet mais il y a une chose dont je suis sûre, c’est qu’il y a plein de solutions alternatives qui permettraient de désengorger les prisons et qu’il faut les mettre en évidence. J’en veux terriblement à cette classe politique qui joue sur la peur, c’est de la malhonnêteté intellectuelle. On a l’impression de conversations de comptoir, de postures. Ce n’est pas ce que j’attends d’hommes politiques, j’attends de la hauteur et une vision à long terme. La surenchère sur la construction de places de prison par exemple, c’est une aberration, un non-sens total. On sait bien qu’une personne incarcérée coûte très cher au contribuable. En fait, il faut faire un travail éducatif et être un peu pragmatique, en commençant par combattre les idées reçues véhiculées par notre classe politique. Et puis, avoir une vision à long terme pour désengorger les prisons, c’est aussi réfléchir la société dans sa globalité. Je pense à l’accompagnement des détenus. Beaucoup ont besoin d’un soutien psychologique, psychiatrique, professionnel, de formation, d’alphabétisation, etc. Or la prison ne le propose pas toujours ou mal. Un monde ne peut pas aller mieux si ceux qui sont à un moment donné en marge de la société ne sont pas traités avec humanité. n
* Sorti le 22 février 2017
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Par NICOLAS FERRAN
RISQUES D’INCENDIE
L’administration pénitentiaire rappelée aux exigences de sécurité
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ans une décision rendue le 5 décembre 2016, le juge des référés du Tribunal administratif de Châlons-enChampagne ordonne à l’administration d’engager des travaux pour garantir la sécurité des personnes contre le risque incendie au sein de la maison d’arrêt de Châlonsen-Champagne. Depuis plusieurs années, la situation de cet établissement est jugée inquiétante par la sous-commission départementale pour la sécurité contre le risque incendie. À la suite d’une première visite en 2013, cet organisme avait émis un avis négatif à la poursuite du fonctionnement de la prison et préconisé d’engager les travaux nécessaires à la sécurisation du site. La plupart de ces préconisations avaient cependant été laissées sans suite par l’administration, comme le constatera la souscommission à l’occasion d’une seconde visite de la maison d’arrêt, en mars 2016. Pour remédier à la situation de danger constatée, cette dernière recommande alors de mettre en œuvre douze mesures (dont neuf figuraient déjà dans son rapport de 2013) et renouvelle son avis défavorable à l’exploitation de la maison d’arrêt. Après avoir sollicité en vain la direction de l’établissement afin de savoir si les travaux préconisés avaient enfin été engagés, l’Observatoire international des prisons a décidé de saisir le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de la situation dans le cadre d’un référé-liberté. Dans sa décision, le juge des référés explique d’abord qu’« eu égard à la vulnérabilité des détenus et à leur situation d’entière dépendance vis-à-vis de l’administration, il appartient à cette dernière (…) de prendre les mesures propres à protéger leur vie ainsi qu’à leur éviter tout traitement inhumain ou dégradant ». S’il relève que certains travaux recommandés par la sous-commission sont en cours, il constate que d’autres n’ont pas encore été engagés - et que cette carence fait courir un risque grave aux personnes présentes dans la maison d’arrêt. Il ordonne donc à l’administration d’isoler les locaux ou zones techniques par des murs coupe-feu, de recouper les combles par des parois et des trappes de visite, de remédier aux dysfonctionnements constatés des installations de désenfumage ou de chauffage, d’installer une colonne sèche par bâtiment et d’assurer le cloisonnement des cages d’escalier et leur désenfumage. Ces travaux doivent être engagés « dans les meilleurs délais » précise le juge des référés. — TA Châlons-en-Champagne, 5 décembre 2016, OIP-SF, n°1602422
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© « Justice », painted in Los Angeles, 2010. EL MAC with Augustine KOFIE and RETNA
NON RESPECT DE DÉCISIONS DE JUSTICE
LE DÉFENSEUR DES DROITS RÉCLAME DES SANCTIONS
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ans une décision du 23 février 2017, le Défenseur des droits (DDD) recommande que des poursuites disciplinaires soient engagées à l’encontre de l’ancien directeur du centre pénitentiaire de Fresnes, Monsieur Stéphane Scotto. Il est reproché à ce dernier d’avoir refusé de respecter plusieurs décisions de justice lui ordonnant de ne plus soumettre l’ensemble des personnes détenues de l’établissement à des fouilles à nu systématiques à l’issue des parloirs. Par trois ordonnances rendues en juillet 2012, mars 2013 et mai 2013 sur recours de l’OIP, le juge des référés du tribunal administratif de Melun avait en effet suspendu l’application de ce régime. Mais après chaque décision de justice, Monsieur Scotto édictait une nouvelle note de service rétablissant le régime de fouilles suspendu par le juge des référés. Comme le relève le DDD, l’administration pénitentiaire doit s’acquitter de ses missions « dans le respect de la Déclaration des
DEVANT LE JUGE FOUILLES À NU
Illégalité d’un règlement à la maison d’arrêt des femmes de Fleury
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DISCIPLINAIRES POUR UN DIRECTEUR DE PRISON droits de l’homme et du citoyen, de la Constitution, des conventions internationales, notamment la convention européenne des droits de l’Homme, et des lois et règlements ». Elle doit en particulier garantir la « juste et loyale exécution des décisions de justice » et agir dans « le respect des personnes et de la règle de droit ». Or, comme le constate le DDD, le directeur « a fait, à trois reprises, obstacle au caractère exécutoire des ordonnances de suspension, en diffusant après les trois ordonnances des textes maintenant un régime de fouilles intégrales systématique en sortie de parloir ». En ne modifiant pas le régime de fouilles intégrales malgré les prescriptions réitérées du juge des référés, M. Scotto a ainsi « commis une faute » estime le DDD. L’autorité de contrôle recommande donc l’engagement contre lui de poursuites disciplinaires pour manquement aux règles élémentaires de déontologie.
ans un jugement du 24 février 2017, le Tribunal administratif de Versailles a constaté l’illégalité d’une disposition du règlement intérieur de la maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis. Celle-ci prévoyait, en 2014, que les personnes détenues devaient être systématiquement soumises à une fouille à nu avant leur placement au quartier disciplinaire. Le jugement rappelle d’abord qu’en vertu de l’article 57 de la loi pénitentiaire, les mesures de fouilles, qui « ne sauraient avoir un caractère systématique », doivent être justifiées par le risque particulier que la personne ferait personnellement courir pour la sécurité de l’établissement. Il rappelle également que les fouilles intégrales ne peuvent être employées que si le recours à d’autres moyens de contrôle (comme les fouilles par palpation ou l’utilisation de moyens de détection électronique) s’avère insuffisant. Dès lors, poursuit le tribunal, les modalités selon lesquelles les fouilles intégrales sont organisées doivent être strictement adaptées aux objectifs de sécurité poursuivis mais aussi « à la personnalité des personnes détenues » qu’elles concernent. Il appartient donc au chef d’établissement « de tenir compte, dans toute la mesure du possible, du comportement de chaque détenu, de ses agissements antérieurs ainsi que des circonstances de ses contacts avec des tiers ». Le tribunal a ainsi jugé le règlement attaqué illégal, dans la mesure où celuici se bornait à prévoir « un régime de fouilles intégrales systématiques sans organiser la possibilité d’en moduler l’application au vu [de ces] critères ». Ce jugement demeure important malgré la récente réforme de l’article 57 par la loi du 3 juin 2016. Si cette réforme ne remet pas en cause les principes rappelés par le tribunal en février, elle permet désormais à l’administration de s’en affranchir sous certaines conditions. Dans sa nouvelle rédaction, l’article 57 prévoit en effet que « lorsqu’il existe des raisons sérieuses de soupçonner l’introduction au sein de l’établissement pénitentiaire d’objets ou de substances interdits ou constituant une menace pour la sécurité des personnes ou des biens, le chef d’établissement peut également ordonner des fouilles dans des lieux et pour une période de temps déterminés, indépendamment de la personnalité des personnes détenue». L’institution d’un régime de fouilles intégrales systématiques, qui doit donner lieu à une décision « spécialement motivée » du chef d’établissement, ne peut donc intervenir que ponctuellement, dans des lieux et pour un temps définis, par exception au principe d’individualisation des décisions de fouilles. Ces nouvelles dispositions marquent certes un recul pour le droit au respect de la dignité humaine des personnes détenues. Mais elles ne sauraient permettre à l’administration de maintenir en toutes circonstances un régime de fouilles intégrales systématiques avant un placement au quartier disciplinaire (ou à la sortie des parloirs) – tel qu’il était prévu en 2014 dans le règlement intérieur attaqué. — TA Versailles, 24 février 2017, n°1502106
— Décision MDS 2017-046 du 23 février 2017
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L’ENQUÊTE Depuis 2015, plusieurs établissements pénitentiaires se sont lancés dans l’expérimentation des modules « Respect », inspirés de prisons espagnoles. Dans ces quartiers, les détenus sélectionnés bénéficient d’une plus grande liberté et de nombreux avantages par rapport à la détention « classique ». En contrepartie, ils s’engagent à respecter un règlement drastique – et à accepter une organisation par la carotte et le bâton.
Modules « Respect » :
QUAND INNOVATION RIME AVEC SÉGRÉGATION par MANON CLIGMAN et MARIE CRÉTENOT
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Des portes ouvertes. Des détenus qui ont la clef de leur cellule et peuvent se rendre visite, aller à leur guise en cour de promenade, en salle d’activités, aux cabines téléphoniques… Au centre de détention de Mont-de-Marsan, ce n’est pas une fiction. Ici, on expérimente le module « Respect », un programme inspiré d’établissements espagnols (cf encadré). Deux ans après son ouverture, le succès du projet est tel qu’une liste d’attente a été ouverte. Aujourd’hui, près de 300 détenus (soit un peu plus de la moitié des effectifs de l’établissement) peuvent intégrer le module, qui ne comptait que 170 places
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en janvier 2015. L’exemple landais a depuis essaimé dans d’autres établissements, comme les centres de détention de Neuvic ou d’Eysses, les quartiers maison d’arrêt des centres pénitentiaires de Beauvais et Riom, la maison d’arrêt de Villepinte ou tout récemment au centre pénitentiaire de Liancourt. Ces modules profitent aujourd’hui à 850 détenus environ sur plus de 68 000 (1). Si les projets locaux varient légèrement, il est possible d’en dresser un mode de fonctionnement commun. Officiellement, l’intégration au module « Respect » se fait sur la base du
ï
© Thibaud Moritz
Une coursive du quartier “Respect” du centre de détention de Mont-de-Marsan.
volontariat. Mais être volontaire ne suffit pas… Certains profils sont exclus d’office, comme les détenus particulièrement signalés (DPS), ceux souffrant de troubles mentaux et ceux considérés comme « radicalisés ». Le nombre de places étant limité, l’intégration implique surtout un parcours de sélection : lettre de motivation, entretien avec des conseillers d’insertion et de probation, des surveillants, examen de la demande en commission pluridisciplinaire... Les critères d’admission sont non explicites, sauf un : le postulant ne doit faire l’objet d’aucun incident disciplinaire, sous peine d’être exclu du processus. L’admission acquise, reste une étape : le détenu doit signer un contrat entièrement rédigé par l’administration, dans lequel il promet de « suivre les règles définies dans le règlement intérieur » du quartier, d’« accomplir les tâches et activités » qui lui sont assignées, et de « participer de manière active » (2) au fonctionnement du module. Lorsqu’enfin la clef de sa cellule lui est confiée, le compteur des bons et mauvais points est lancé.
DES « BONS POINTS » EN ÉCHANGE D’UNE CELLULE BIEN RANGÉE « Le régime Respect, ce sont surtout des obligations et des évaluations » (3) détaille Christophe Loy, directeur de Beauvais. Le tout est matérialisé par une sorte de permis à points. À Mont-de-Marsan, Villepinte, Beauvais ou Liancourt, le détenu part de zéro : chaque bonne action peut lui valoir un point, chaque mauvaise lui en faire perdre un. Si le compteur tombe à moins trois, moins cinq ou moins dix selon les établissements, c’est le recadrage ou l’exclusion, qui vaut retour en régime « portes fermées ». À Neuvic, le compte est crédité dès l’arrivée et, s’il est consommé, le détenu est contraint de quitter le module. Beaucoup de comportements font encourir des mauvais points : ne pas être levé à sept heures du matin, ne pas avoir fait son lit, parler aux fenêtres, crier lors d’un match de foot, être en retard, impoli… Et les consignes à respecter sont quasimilitaires. À Mont-de-Marsan, « la cellule doit être impeccable, balayée et lavée quotidiennement ». Les chaussures, cintres et serviettes de toilettes doivent être « rangés sous le lit » et les vêtements « bien pliés », précise le règlement. Les détenus ont droit à un maximum de quatorze paires de chaussettes, cinq pulls et cinq pantalons de ville. Et au rappel qu’une « douche quotidienne est obligatoire, ainsi que le change quotidien des sous-vêtements »... Au-delà des mauvais points, certains comportements sont susceptibles d’entraîner une exclusion immédiate et une procédure disciplinaire. Les protestations collectives ne sont pas tolérées, au même titre que la violence, le vol ou la détention d’objets non autorisés – comme un téléphone portable. À Villepinte, « c’est tolérance zéro. Un seul trouvé dans une
Chiffres au 1er janvier 2017.
(1)
(2) Contrat d’engagement du centre pénitentiaire de Mont-de-Marsan. (3) Audition par la Commission sur le Livre blanc pénitentiaire, 31 janvier 2017.
Marianne, 22 janvier 2017.
(4)
(5)
Ibid.
R.Mollard, W.Wolff, P.Pavageau, Étude des rythmes de travail et des modalités du travail en équipe des personnels de surveillance, PEPSS, DAP, synthèse, 2017.
(6)
cellule et tous les compagnons de cellule sont exclus » prévient la directrice (4), qui n’a pas hésité à prononcer plus de 50 exclusions pour détention de mobile les deux premiers mois. Même intransigeance à Mont-de-Marsan : sur quatorze mois, 140 exclusions ont été prononcées. Pour ceux qui restent dans les clous, les avantages sont multiples. Fini les portes verrouillées de l’extérieur - du moins en journée. À Mont-de-Marsan, un accès au gymnase et au terrain de sport est spécifiquement réservé aux détenus « Respect » le week-end. Cerise sur le gâteau, les bons points peuvent donner lieu à récompenses : « une paire de baskets, un kit d’hygiène bien-être avec des produits de marque ou encore la gratuité de la télévision pendant quinze jours... » (5) détaille le directeur, André Varignon. À Liancourt, le système va même plus loin : les gratifications peuvent être des bons de cantine « privilège » de 30 euros, mais aussi des passedroits, comme la possibilité de se faire remettre des produits d’hygiène aux parloirs, de partager des produits cantinés avec ses proches (ce qui est interdit en principe) ou d’accéder plus fréquemment aux unités de vie familiale que ce qui est garanti par la loi (tous les deux mois au lieu de trois).
25 HEURES D’ACTIVITÉS PAR SEMAINE ? Autre spécificité des modules « Respect » : les détenus sont obligés de participer à des commissions qui organisent la vie quotidienne en détention. Ici, pas de rémunération des travaux d’entretien et de fonctionnement courant (nettoyage des cours de promenade, des locaux communs, distribution des repas, des achats en cantine …). Les détenus s’en chargent bénévolement, à tour de rôle, lorsqu’ils sont membres de la commission « hygiène ». La commission « accueil » accompagne tous les nouveaux entrants. Les détenus sont aussi appelés à régler leurs litiges interpersonnels au sein de la commission « régulation ». « Ça peut se faire avec ou sans le surveillant » précise un représentant de la CGT pénitentiaire à Mont-de-Marsan. « La commission va discuter du comportement d’untel ou d’untel. Ils vont se juger entre eux ». Selon ce représentant, cette commission n’a pas été bien accueillie au départ par les personnels pénitentiaires, ces derniers craignant de « donner la parole aux détenus ». Ils en ont finalement mesuré l’intérêt : non seulement l’idée n’a pas été remise en question, mais elle a été imitée par d’autres établissements. Le contrat « Respect », c’est aussi 25 heures d’activités par semaine (tâches collectives et participation aux commissions comprises). Toute absence expose à un point négatif, tandis qu’une bonne participation peut être gratifiée d’un bon point. À la maison d’arrêt de Villepinte, cinq ateliers obligatoires ont été mis en place, parmi lesquels « respect de la loi », « valeurs de la République » ou « estime de soi ». Les détenus peuvent aussi choisir des ateliers optionnels comme « jeux de société » ou « métiers de la vente ». Dans d’autres établissements, on trouve de la remise à niveau scolaire, de la formation professionnelle, un programme de prévention de la récidive, de la musique, du slam ou du théâtre. CerMARS 2017 / DEDANS-DEHORS N°95
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L’ENQUÊTE
Le Monde, 25 janvier 2016.
(7)
La Croix, 7 décembre 2016.
(8)
20 minutes, 6 février 2017.
(9)
AFP, 24 février 2017.
(10)
(11) Le Monde, 25 janvier 2016. (12) Libération, 2 février 2016.
La Croix, 7 décembre 2016.
(13)
Audition par la Commission sur le Livre blanc pénitentiaire, 31 janvier 2017.
(14)
(15) Francetv Info, 7 mars 2016.
France Bleu, 26 octobre 2016.
(16)
La Croix, 7 décembre 2016.
(17)
Ladepeche.fr, 8 avril 2016.
(18)
Le Parisien, 13 septembre 2016.
(19)
Libération, 2 février 2016.
(20)
Syndicat pénitentiaires des surveillants, Région DI de Bordeaux, 3 février 2016.
(21)
Francetv Info, 6 mars 2016.
(22)
tains détenus peuvent même donner des cours de français ou d’anglais. Mais dans plusieurs établissements, l’administration peine à assurer le quota d’activités, notamment pour celles qui sont rémunérées. À Neuvic, une visiteuse rapporte par exemple : « Depuis quelque temps, on demande [aux détenus] de quitter leur cellule entre 9h30 et 11h00. Or, ceux qui ne travaillent pas n’ont pas forcément d’activité dans ce créneau-là. Ils trainent donc dans les coursives ». À Mont-de-Marsan, on note aussi que « les activités ne sont pas assez variées pour occuper les détenus » (6).
UN CLIMAT PLUS SEREIN QU’EN DÉTENTION CLASSIQUE Les modules « Respect » restent bien accueillis par la population sélectionnée. Quand « on a connu l’ancien régime, on voit le changement » témoigne un détenu à Mont-deMarsan, « on a moins de frustrations » (7). « Aller et venir comme ça, sans avoir à rester 22 heures par jour en cellule comme avant, cela change la vie » (8) abonde un autre à Beauvais. Si certains ne manquent pas de déplorer le caractère très scolaire du système de notation – « franchement, enlever des points à un mec de 52 ans qui n’a pas fait son lit, c’est infantilisant » – le système est perçu comme plus positif que le régime ordinaire. « Avant, on était obligés de tambouriner pendant des heures sur la porte des cellules pour appeler "le maton". Aujourd’hui, on sort et on va le voir directement. Ça évite de péter des câbles » (9) rapporte un détenu. « Ici, au moins, j’ai l’impression qu’on est plus humanisé, ça fait moins chenil » (10) renchérit un autre. La différence de « Respect » avec la détention « classique » est en effet notable en matière de conditions matérielles, et particulièrement en maison d’arrêt. À Villepinte par exemple, où le taux de sur-occupation avoisine les 190 %, l’intégration de « Respect » permet de quitter l’oi-
siveté subie, la promiscuité insoutenable. Là où, entassés à trois dans 9 m2, certains sont contraints de dormir par terre, un matelas à même le sol, chaque détenu du module a un lit. À Neuvic, ce sont les rongeurs qui font la différence. « Dans les autres bâtiments, ça pullule de rats à l’extérieur » rapporte une intervenante. Détenus comme personnels font aussi état d’une cohabitation « plus apaisée » (11) qu’en détention classique. « C’est le jour et la nuit » compare un surveillant. « On vient nous voir pour demander des conseils, pas pour ouvrir une porte » (12) décrit un autre. « Le fait d’être en interaction permanente avec les détenus, d’être plus accessibles, change nos rapports avec eux. On a moins à être dans le rapport de force » (13) souligne un troisième. Les directions évoquent aussi une diminution du bruit, du stress et des altercations. À Beauvais, les infractions disciplinaires seraient sept fois inférieures à celles constatées en régime classique (14). À Mont-de-Marsan, « aucun acte envers les surveillants » (15) n’a été recensé en un an, se félicite André Varignon. La plus grande autonomie laissée aux détenus évite des tensions prégnantes dans le régime classique. « Forcément, quelqu’un qui se lève le matin et qui ne peut pas aller se doucher, il est énervé pour le reste de la journée » (16) se souvient Karim, aujourd’hui dans le module Respect de Villepinte. Si la douche quotidienne est obligatoire ici, en détention normale, la loi n’en garantit que trois par semaine. Un calme que certains attribuent au tri des profils choisis. Michel, détenu à Eysses, résume : « la directrice nous choisit. [On est] des gens calmes, intelligents et qui veulent s’en sortir ». Pour une visiteuse de Neuvic, « on sélectionne des personnes susceptibles de tenir le coup » – et de se soumettre aux obligations du régime. Les détenus savent en effet qu’ils ont tout à perdre en cas d’incident. « Tout le © Thibaud Moritz
Des détenus du module “Respect” dans la cour de promenade (Mont-de-Marsan).
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© Thibaud Moritz
Les détenus “Respect” ont un accès facilité aux activités sportives (Mont-de-Marsan).
monde joue le jeu. On sait qu’on a une épée de Damoclès au-dessus de la tête » (17) reconnaît l’un d’eux.
UN NOUVEL OUTIL DE GESTION DE LA DÉTENTION « L’administration communique sur la responsabilisation, l’autonomie, la préparation de la sortie et la réinsertion permises par ces modules, mais, en filigrane, elle s’est en fait dotée d’un outil très pratique de gestion de la détention » décrypte Valérie Icard, doctorante en sciences poli-
CGLPL, Recommandations du 24 décembre 2008 relative à la maison d’arrêt de Villefranche-surSaône.
(23)
(24) DAP, Lignes directrices relatives aux régimes de détention, février 2016.
L’ORIGINE ESPAGNOLE DES MODULES « RESPECT » C’est en Espagne, au centre pénitentiaire de Mansillas de las Mulas, que le modèle « Respecto » a vu le jour en 2001. L’idée est alors d’accroître l’autonomie des détenus et de diminuer la violence. Aujourd’hui, le dispositif est étendu à l’ensemble des établissements et concerne 48 % de la population masculine détenue et 70 % des femmes (24). Le régime varie sensiblement d’un établissement à un autre, voire d’un bâtiment à un autre. Les conditions minimales requises pour l’intégration sont, comme en France, l’absence d’incidents disciplinaires après la demande, l’absence de trouble psychique. Mais la sélection est moins présentée comme un privilège. Selon un représentant de la CGT pénitentiaire à Mont-de-Marsan, « dans les infrastructures espagnoles, les détenus étaient déjà dans leurs cellules seulement pour dormir. Elles sont situées à l’étage et ils n’y remontent que pour la sieste et le diner du soir. Le reste du temps, tout se passe au rezde-chaussée ». Autre différence : l’Espagne expérimente aujourd’hui la mixité. À Mansillas de las Mulas, 90 femmes et hommes cohabitent aujurd’hui ensemble dans un module. « Dans n’importe quel domaine de la vie, des femmes et des hommes vivent ensemble. Il s’agit de rendre normal en prison ce qui est normal à l’extérieur », souligne le directeur José Manuel Cendon. Les cellules des hommes et des femmes ne sont cependant pas aux mêmes étages – et il leur est impossible d’être ensemble dans la même cellule.
tiques. Un système qui repose sur une détention à deux vitesses et accentue les inégalités entre prisonniers. « Si cela fonctionne, c’est parce qu’il y a des bâtiments plus stricts beaucoup moins investis en termes d’activités notamment » renchérit la chercheuse. Le directeur de Mont-de-Marsan l’admet : pour lui, « cette coexistence est une condition de la réussite de l’expérimentation » (18). Une expérimentation d’ailleurs pas si innovante, puisque « les portes ouvertes » ont été pendant longtemps le régime de droit commun dans les établissements pour peine… Avant que l’administration pénitentiaire adopte une approche infra-disciplinaire et referme les cellules, au milieu des années 2000. En les ré-ouvrant pour certains, elle s’est en effet constituée un nouvel instrument d’obtention de l’ordre. « Il faut qu’on donne plus à ceux qui s’investissent […] afin de leur apprendre ou leur réapprendre à être des citoyens à part entière » (19) justifie la directrice de Villepinte. « Ce n’est pas d’un côté l’enfer et de l’autre le centre trois étoiles » (20) se défend le chef de l’établissement de Mont-de-Marsan. Des syndicats ne manquent pourtant pas de relever les tensions importantes créées par ces disparités, évoquant des « bâtiments poubelles » (21). « Les problématiques se concentrent sur les autres bâtiments de la détention avec des gens en grandes difficultés » (22) abonde un conseiller d’insertion et de probation à Montde-Marsan. Une logique « pure et simple de ségrégation » entre détenus, que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté avait déjà décriée en 2008 – lorsque le système des bons points n’était pas encore à l’œuvre. Le Contrôleur ajoutait : « si des projets adaptés à chacun peuvent être mis en œuvre en détention, ce n’est qu’à la condition qu’un cheminement bien réel soit proposé à tous les détenus sans exception et que les moyens correspondants soient dégagés » (23). Dans les quartiers « Respect », c’est loin d’être le cas. n MARS 2017 / DEDANS-DEHORS N°95
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INTRAMUROS
Valence
« Un châtiment individuel pour une intimidation collective » : le 10 mars 2017, deux détenus accusés d’avoir lancé un mouvement collectif ont été condamné à cinq ans de prison. Face à un réquisitoire aux accents punitifs, eux défendent leur acte comme un ultime moyen d’expression pour dénoncer l’inhumanité de leurs conditions de détention.
J
« Je suis convaincu que plus on renforcera la sécurité, moins on créera d’occasions de dialogue, plus les incidents augmenteront en volume et en gravité » lançait en 2013 Jean-Marie Delarue. Cette critique de l’ancien Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) résonne aujourd’hui avec les problèmes soulevés par le régime trèssécuritaire du quartier maison centrale (QMC) de Valence qui a été, en 2016, le théâtre de trois incidents majeurs, dont deux importants mouvements de détenus. Ce 10 mars 2017, le tribunal de grande instance de Valence s’est prononcé sur le sort de Romain L. et José T., deux détenus accusés d’avoir déclenché le mouvement collectif du 27 novembre 2016. Ces derniers comparaissaient pour vol avec violence (des clefs d’un surveillant), détérioration du bien d’autrui par un moyen dangereux. Le jour de la mutinerie, quatre cellules ont brûlées et plusieurs caméras de surveillance détruites. Le QMC du centre pénitentiaire de Valence héberge des personnes condamnées à de longues peines de prison. Dès son ouverture en janvier 2016, des détenus se plaignent du régime particulièrement durci de ce quartier. Certains comparent même son fonctionnement à celui d’un « quartier de haute sécurité moderne ». Comme toutes les maisons centrales, le QMC de Valence est en régime « porte fermée » : les détenus ne sont autorisés à sortir de leur cellule que pour se rendre en promenade ou à d’éventuelles activités. Restreignant les possibilités d’autonomie et de socialisation, ce
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par AMID KHALLOUF
régime intenable mis en place en 2003 malgré les critiques du comité européen de prévention de la torture (1), fait l’objet d’assouplissements dans la plupart des établissements. Une approche refusée par l’ancien directeur de Valence, aujourd’hui démis de ses fonctions.
UNE DÉMARCHE À L’OPPOSÉ DES RECOMMANDATIONS INTERNATIONALES Le Conseil de l’Europe recommande pourtant une utilisation minimale des dispositifs de sécurité physiques et techniques (surveillance vidéo, contrôles électroniques, fouilles, matériels de contrainte, sanctions disciplinaires, etc.), afin de respecter au mieux la dignité des personnes et d’éviter la multiplication d’incidents. Des études ont en effet montré
que, loin de contribuer à la sécurité, les mesures trop intrusives ou restrictives rendent la détention insupportable, générant alors violences et résistances. Le Conseil préconise une approche dite de sécurité « dynamique » : l’instauration d’espaces de négociation et de dialogue, bien plus efficaces pour prévenir et gérer les tensions. Les détenus avaient d’abord dénoncé leurs conditions de détention au QMC de Valence par le biais de moyens pacifiques (écrits, refus de réintégration des cellules ou blocages de cour de promenade). Mais ici comme souvent en prison, « une parole non prise en compte engendre de la violence [et des] incidents auxquels l’administration répond par plus de sécurité (2) ». Romain L. a fait les frais de ce cercle vicieux. En 2016, il avait fait part de ses revendications en participants à plusieurs mouvements collectifs, des événements qui lui avaient valu des sanctions disciplinaires. Le jour de leur procès, José T. et Romain L. expliquaient que s’ils n’avaient « cassé qu’une ou deux caméras, [ils auraient] fini comme les fois précédentes au « cachot » et personne n’aurait entendu parler de [leurs] revendications ». Cette action était donc défendue comme un ultime recours pour attirer l’attention sur leurs conditions de détention. Dans un courrier rédigé après la mutinerie, Romain L. interrogeait : « Quand les écrits ne font rien, que reste-il à part les actes ? ».
UN CLIMAT ANXIOGÈNE À Valence, la fermeture systématique des portes des salles d’activités, la suppression du droit d’emmener « des biscuits ou gâteaux en activité, en proï José T.
© Dessins : Charlotte Roussel
LE TOUT SÉCURITAIRE EN PROCÈS
ñ Box des prévenus
menade ou à la musculation » ou encore une « petite radio pour le sport ou la promenade » alimentent le sentiment d’injustice des détenus. « En 2016, c’est honteux d’être privé de tout, alors que je [ne devrais être] privé [que de ma] liberté, pas de mes droits » écrivait Romain L., qui disait même regretter son passage à la maison centrale de Condé-sur-Sarthe - pourtant réputée pour son régime ultra-sécuritaire. L’architecture déshumanisée de l’établissement contribue au sentiment d’oppression exprimé par les personnes détenues. Dans des courriers envoyés à l’OIP, certaines s’indignent du nombre important de caméras
d’ondes téléphoniques installés au sein de l’établissement. En juillet 2016, une pétition intitulée « SOS Chambre à radiation » est signée par environ 25 personnes (soit à l’époque la moitié de l’effectif du QMC). Elle demande au directeur de l’établissement le retrait de ces brouilleurs, en raison des effets néfastes qu’ils pourraient avoir sur la santé des usagers et du personnel. Après avoir fait intervenir l’Agence nationale des fréquences pour effectuer des mesures en septembre 2016, la direction avait reconnu, dans un courrier adressé à sa hiérarchie que « certaines personnes pouvaient être plus sensibles que d’autres à
« QUAND LES ÉCRITS NE FONT RIEN, QUE RESTE-IL À PART LES ACTES ? » de vidéo-surveillance, de l’exiguïté de la cour de promenade (comparée à un « poulailler à taille humaine ») ou de l’ouverture de la porte des cellules vers l’intérieur - inhabituelle et « [jouant] sur le psychologique » d’après Romain L. Une autre personne décrit « une impression d’encaissement absolument déroutante » donnée par le terrain de sport « entouré de murs très hauts, gris-ciment ». Plusieurs courriers dénoncent également des cabines téléphoniques ne garantissant aucune intimité, « alors que nous sommes déjà enregistrés » rappelle un détenu. Autre motif d’inquiétude : les brouilleurs
l’exposition aux ondes électromagnétiques ». La rumeur sur les potentiels effets des brouilleurs n’a fait qu’empirer la situation de plus en plus tendue au sein du QMC.
DEUX CONDAMNATIONS POUR L’EXEMPLE Si Romain L. et José T. portent à eux seuls la responsabilité du saccage de trois étages du quartier maison centrale, leurs revendications étaient partagées par une grande partie des détenus. Une dizaine de personnes en lien avec l’OIP par courrier ou via leurs familles avaient exprimé leur souhait d’un assouplis-
sement des règles de détention. Elles demandaient notamment l’ouverture des portes des cellules sur certains créneaux horaires et la possibilité de se réunir quelques heures par jour au sein de salles de convivialité. L’intransigeance de la direction de l’établissement n’était pas non plus partagée par l’ensemble du personnel pénitentiaire. Les rares fois où des surveillants ont accepté d’ouvrir les portes des cellules, afin d’apaiser les tensions, ils se sont faits systématiquement rappeler à l’ordre par leur hiérarchie. Ce 10 mars, le Procureur a demandé « un châtiment individuel pour une intimidation collective » à l’encontre de Romain L. et José T. Une réquisition qui a indigné l’avocate de Romain L. Roksana Naserzadeh. « Au XXIe siècle, la peine a pour fonctions de sanctionner l’auteur de l’infraction » mais aussi « de favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion » (3) a-t-elle rappelé. Le représentant du Parquet a néanmoins réfuté les doléances des détenus en estimant que « la vie en détention ne devrait pas s’apparenter à la vie à l’extérieur ». Une vision punitive de la justice qui va à l’encontre des recommandations faites par de nombreuses instances nationales ou européennes (4). Après sept heures d’audience, le tribunal a pourtant décidé de condamner les prévenus à cinq ans de prison. n CPT, Rapport au Gouvernement français relatif à la visite du 11 au 17 juin 2003, mars 2004
(1)
(2)
Jean-Marie Delarue, Dedans-Dehors n°79, mars 2013.
(3)
Article 130-1 du Code pénal
Conseil de l’Europe, Comité pour la prévention de la torture, Commission nationale consultative des droits de l’Homme, CGLPL etc. Les règles pénitentiaires européennes recommandent que « la vie en prison [soit] alignée aussi étroitement que possible sur les aspects positifs de la vie à l’extérieur de la prison ».
(4)
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/ 53
QU’EST-CE QUE L’OIP ? La section française de l’Observatoire international des prisons (OIP), créée en janvier 1996, agit pour le respect des droits de l’Homme en milieu carcéral et un moindre recours à l’emprisonnement.
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COMMENT AGIT L’OIP ? L’OIP dresse et fait connaître l’état des conditions de détention des personnes incarcérées, alerte l’opinion, les pouvoirs publics, les organismes et les organisations concernées sur l’ensemble des manquements observés ; informe les personnes détenues de leurs droits et soutient leurs démarches pour les faire valoir ; favorise l’adoption de lois, règlements et autres mesures propres à garantir la défense de la personne et le respect des droits des détenus ; défend une limitation du recours à l’incarcération, la réduction de l’échelle des peines, le développement d’alternatives aux poursuites pénales et de substituts aux sanctions privatives de liberté.
Le standard est ouvert de 15 h à 18 h
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