Dedans Dehors n°93 Décroissance carcérale

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observatoire international des prisons / section française

n°93 / octobre 2016 / 7,50 €

Décroissance carcérale

Ces pays qui ferment des prisons Construction de prisons Le Gouvernement va droit dans le mur

Santé en prison Nouvel état des lieux accablant


sommaire Publication trimestrielle de la section française de l’Observatoire international des prisons association loi 1901, 7 bis, rue Riquet, 75019 Paris, Tél. : 01 44 52 87 90, Fax : 01 44 52 88 09 e-mail : contact@oip.org Internet : www.oip.org Directrice de la publication Delphine Boesel Rédaction en chef Laure Anelli Rédaction Laure Anelli / Marie Auter François Bès / Manon Cligman Marie Crétenot / Nicolas Ferran Amid Khallouf / Cécile Marcel Olivia Moulin / Manon Picaronie Marine Tagliaferri

Décryptage Construction de prisons : le Gouvernement nous mène droit dans le mur   p. 4 Prise en charge sanitaire des détenus : nouvel état des lieux accablant   p. 35

Ils innovent  p.39 à Nantes, soignants, surveillants et détenus ensemble pour améliorer la santé

Intramuros  p. 43 Fresnes : la Justice ordonne l’intensification de la lutte contre les rats et les insectes Île-de-France : des problèmes de cantine génèrent frustrations et tensions

Infographie Camille Rosa Transcriptions et traductions Mireille Jaegle / Anna Komodromou Ysabelle Malabre / Céline Pigot Secrétariat de rédaction Laure Anelli Marie Crétenot Cécile Marcel Identité graphique Atelier des grands pêchers atelierdgp@wanadoo.fr Maquette Maël Nonet, agence Barberousse barberousse-communication.fr © Photos et illustrations, remerciements à : Association Antigone, Bernard Bolze, Laurent Dubus, CGLPL, Laurent Daniel, Grégoire Korganow, Kriminalvarden, Sacha Medjedovic, Next new media, Kalervo Pohjanen, Jean-Pierre Sageot, Dorothy Shoes, Jolien van de Griendt (terauwfotografie.com) Et à l’agence Signatures Impression Imprimerie Expressions II 10 bis, rue Bisson, 75020 Paris Tél. : 01 43 58 26 26 ISSN : 1276-6038 Diffusion sur abonnement au prix annuel de 30 € Photographie couverture, prise à la prison abandonnée de Loos, 2012 : © Laurent Daniel CPPAP : 0917 G 92791

dossier Décroissance carcérale

ces pays qui ferment des prisons   p. 8 Irlande Quand le plaidoyer paie

Le cas allemand Les vases-communicants ?

  p. 14

  p. 24

Scandinavie Leçon de décroissance carcérale

Italie Surpopulation. Quand la CEDH s’en mêle

  p. 15

  p. 25

Pays-Bas Une décroissance en trompe-l’œil

États-Unis La volte-face ?

  p. 20

  p. 29


édito Saint-Quentin-Fallavier : neuf mois de combat pour obtenir un permis de visite

Mutineries : le cercle vicieux de la répression

Vote en prison : un droit reconnu mais empêché Toul : au QD pour avoir fait circuler une lettre ouverte et un journal satirique

par Cécile Marcel

Châteaudun : des années d’attente pour une consultation ophtalmologique

L

Devant le juge  p. 48 Détenus particulièrement surveillés : annulation d’un régime de surveillance nocturne Vie privée : des propos tenus en privé ne peuvent pas être poursuivis

© Jolien van de Griendt / terauwfotografie.com

Discipline : l’accès aux images de vidéosurveillance doit être garanti en cas de poursuites

e 4 septembre dernier, soixante détenus de la maison d’arrêt d’Angers refusent de regagner leur cellule dans le but de dénoncer leurs conditions de détention dans cette maison d’arrêt vétuste et surpeuplée. En réponse, l’administration pénitentiaire engage des poursuites disciplinaires à l’encontre des soixante mutins. Dans les jours qui suivent, ce sont les détenus d’Aiton, de Grenoble-Varces, de Poitiers et de Valence qui se soulèvent. Une série d’incidents qui, loin d’être isolés, correspond à une tendance de fond : en 2015, le nombre de mouvements collectifs a augmenté de 33 % par rapport à l’année précédente, un chiffre en constante augmentation. Mais que sait-on des incidents qui ont déclenché ces mouvements, des revendications des détenus ? Peu de choses. Les médias relatent le fait-divers et relayent les justes inquiétudes des personnels devant une situation ingérable et explosive. Mais se désintéressent le plus souvent des causes de cette situation. Rappelons donc ici ce qui a été déjà dit et redit, y compris dans ces colonnes : c’est avant tout la violence du système carcéral lui-même qui génère de la violence. Dans des prisons déshumanisées et déshumanisantes, où la parole est confisquée, l’expression collective prohibée, les revendications prennent les formes les plus extrêmes. L’administration pénitentiaire le sait. En 2010, déjà, un groupe de travail rappelait que « le dispositif actuel sécuritaire demeure un facteur essentiel des violences ». Et que ces dernières surgissent « quand il n’y a pas d’espace de conflictualisation organisé (droit de grève, droit à manifester, droit à la syndicalisation, à l’association, par exemple) ». Et recommandait l’instauration d’espaces de dialogue et de négociation. Quelques expérimentations dans ce sens ont bien été mises en place, mais vite abandonnées ou portées à bout de bras par des responsables d’établissements peu soutenus par leur hiérarchie. Elles ont pourtant fait leurs preuves, comme à la maison centrale d’Arles, permettant souvent d’apaiser les tensions par le dialogue et la médiation. Mais ici encore, les pouvoirs publics restent sourds aux recommandations des experts et aux résultats de la recherche. Et privilégient la coercition sur l’écoute et le dialogue. Comme à Angers où les premières sanctions sont tombées pour les détenus mutins : dix jours de quartier disciplinaire. Les conditions de détention, elles, n’ont pas changé.


DÉCRYPTAGE En voulant lancer la construction de 20 000 nouvelles places de prison, le Gouvernement ne fait ni plus ni moins que reproduire les erreurs de ses prédécesseurs. Et enterre les ambitions de réforme du début de mandat.

Construction de prisons

Le Gouvernement nous mène droit dans le mur par Marie Crétenot

L

L’encellulement individuel est l’un des serpents de mer de l’administration pénitentiaire. Et surtout le meilleur alibi pour construire des prisons. Depuis des décennies, les moratoires repoussant son application se succèdent. Et les programmes immobiliers aussi. Fin 2014, lors du dernier report, le Gouvernement se voulait catégorique : avec les programmes en cours (1) qui porteront la capacité du parc

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carcéral à 66 640 places et 57 465 cellules, l’encellulement individuel à 80 % (2) sera un objectif atteignable vers 2019. Deux ans plus tard, l’horizon s’éloigne. C’est désormais une perspective à 2025 que l’on envisage ; avec, bien sûr, un nouveau programme pour y parvenir. À l’occasion de la remise de son rapport sur la mise en œuvre de l’encellulement individuel le 20 septembre dernier, le garde des Sceaux


DÉCRYPTAGE Jean-Jacques Urvoas évoquait une fourchette entre 10 300 et 16 150 cellules supplémentaires. Depuis, le Premier ministre a validé l’option haute. Un chantier d’une ampleur inédite. Plus de 16 000 cellules, réparties dans 33 établissements (32 maisons d’arrêt, un centre de détention). Près de 20 000 places au total, qu’il entend consacrer dans une loi de programmation.

Vers toujours plus d’incarcérations

© Grégoire Korganow / CGLPL

Or, que sous-tend ce programme ? L’acceptation pure et simple d’un accroissement constant de la population détenue dans la décennie à venir. Car, au regard des propositions de son ministre, Manuel Valls avait le choix entre deux projections. Soit une stabilisation de la population détenue autour de 67 150 d’ici 2025. C’est-à-dire un taux de détention à peu près équivalent à celui du 1er janvier 2016 : 101 pour 100 000 habitants. Soit une progression de plus de 10 % sur la même période, amenant le nombre de détenus à 76 250 et le taux de détention à 115 pour 100 000 habitants. Le Premier ministre a opté pour la hausse. Depuis, il déclare qu’elle est « inévitable » (3) en regard des « enjeux sécuritaires », tout en omettant soigneusement de dire qu’il s’agit là d’un choix de politique pénale. Car l’augmentation de la population détenue n’est en rien corrélée à l’évolution de la délinquance et la criminalité. Depuis le début des années 1990, le nombre de personnes incarcérées a augmenté de moitié, passant de 45 420 à 68 250, tandis que la délinquance et la criminalité sont restées stables. Les homicides, les vols et les cambriolages ont même diminué (4). Dans son rapport, le ministre de la Justice ne passe pas totalement sous silence l’impact des politiques pénales. Il cite comme facteurs de hausse des incarcérations : le « durcissement de la législation», « la sévérité accrue des décisions de justice » et le recours plus fréquent à l’emprisonnement, même dans des « contentieux de masse » comme les « violences routières », car une telle sanction est plus rapide à mettre à exécution qu’une alternative. Cependant, au lieu de s’atteler à résoudre une situation qui devrait pourtant interroger, il s’en accommode, car cela entre « en résonnance avec des attentes dans la société ». Tout juste concèdet-il que parmi la myriade de personnes qui entre en détention, certaines n’ont rien à y faire : « les déficients mentaux, les malades en phase terminale » et « les vieillards à la santé dégradée » (5).

Un gouffre financier vide de sens Depuis 1987, les programmes immobiliers successifs ont complètement grevé le budget de l’administration pénitentiaire. Et la situation a été aggravée par le recours aux partenariats publics-privés (PPP) à partir de 2004. Des contrats, attractifs de prime abord car ils permettent de reporter sur des sociétés privées le coût de l’investissement initial, mais qui s’avèrent de véritables gouffres financiers sur le long terme. Endetté sur 25 à 30 ans, l’Etat doit faire face à des taux d’intérêts particulièrement onéreux (entre 2 % et 3 %) qui s’additionnent au remboursement des frais d’investissement. Les fonds à verser s’élèvent aujourd’hui à 1,56 milliard d’euros, sans compter les frais de la maintenance des bâtiments et divers services qui portent la somme à 5,1 milliards. Auxquels il faut encore ajouter 1,2 milliard d’euros d’impayés au titre de constructions gérées directement par l’Etat. C’est donc d’ores et déjà une dette de 6,3 milliards d’euros que l’administration pénitentiaire a accumulé, et qu’elle doit apurer un peu chaque année sous peine de pénalités à verser au privé. Cette rigidification du budget a entraîné plusieurs effets d’éviction ces dernières années. L’entretien des prisons en gestion publique a été complètement délaissé. Entre 2007 et 2015, 514 millions d’euros seulement ont été alloués à ce secteur, alors que les besoins étaient estimés à près de 1,2 milliard d’euros. Si bien que le parc a vieilli prématurément et les conditions de détention se sont dégradées. Plus d’un tiers des cellules (35,7 %) peuvent être aujourd’hui considérées comme vétustes. Et dans le même temps, la question des activités en prison a été passablement négligée, l’Etat orientant plus aisément les fonds disponibles vers la sécurité. Au point que, « toutes activités confondues (socio-culturelles, sportives, éducatives ou professionnelles), une personne détenue ne peut en moyenne avoir accès qu’à une heure d’activité », reconnaît le ministre. Le temps carcéral est ainsi « aussi vide d’activité que de sens » *.

* En finir avec la surpopulation carcérale, op.cit.

L’abandon des ambitions de la réforme Taubira Le ministre n’a pas encore rendu le bilan prévu de la réforme pénale introduite par sa prédécesseure (6), mais le constat est là. Il y a un total renoncement à poursuivre l’ambition qu’elle contenait d’un moindre recours à l’emprisonnement. Car les prévisions seraient d’une toute autre nature s’il comptait appliquer ne serait-ce qu’un de ses volets –

Si toutes les personnes éligibles à un aménagement de peine en bénéficiaient, comme la loi le permet, il n’y aurait pas de surpopulation en maisons d’arrêt et l’encellulement individuel à 80 % pourrait être atteint. octobre 2016 / DEDANS-DeHORS N°93

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DÉCRYPTAGE celui de favoriser le prononcé d’aménagements de peine, notamment pour les condamnés à une peine inférieure ou égale à deux ans de prison. Si aucune donnée ne permet de les comptabiliser précisément, on peut en revanche estimer que, de manière constante, plus de 16 800 personnes purgent une peine inférieure à un an dans les maisons d’arrêt, où se concentre la surpopulation carcérale. Toutes auraient pu prétendre à un aménagement de peine avant leur mise sous écrou, c’est-à-dire à l’exécution de la sanction sous la forme d’une semi-liberté, d’une surveillance électronique ou d’un placement à l’extérieur dans une structure assurant logement et accompagnement social, avec suivi par les services pénitentiaires d’insertion et de probation. Même détenues, toutes y restent éligibles. Or, si elles en bénéficiaient comme la loi le permet, il n’y aurait pas de surpopulation en maisons d’arrêt et l’encellulement individuel à 80 % pourrait être atteint. On compterait environ 29 300 personnes détenues dans ces établissements pour 33 440 places et 28 370 cellules. Comment justifier d’un tel renoncement ? Pas par la moindre efficacité de ces mesures en termes de prévention de la récidive. La Chancellerie elle-même relevait en 2014 qu’« à partir d’échantillons comparables, le taux de recondamnation est toujours supérieur lorsqu’une personne est incarcérée » (7), surtout si elle n’a bénéficié d’aucun aménagement de peine. 63 % des personnes sortant de prison sans aménagement sont recondamnées dans les cinq ans. Le taux tombe à 55 % en cas d’aménagement, 45 % en cas de prononcé d’une peine alternative à la prison (8). Pourquoi, alors, ne pas privilégier ces mesures, si ce n’est pour des raisons de populisme pénal ? La stratégie électoraliste apparaît clairement à la fin du rapport de Jean-Jacques Urvoas. Lorsqu’il s’agit de contrer l’adage selon lequel « plus on construit, plus on remplit », il souligne qu’il ne pourra être fait l’économie, à un moment

Les programmes « 6 500 places » et « 3 200 places » lancés respectivement en juillet 2012 et septembre 2014.

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(2) Le Gouvernement entend préserver 20 % de cellules doubles pour faciliter la gestion de la détention (prévention du suicide, organisation du travail, etc.) et permettre à ceux qui ne souhaitent pas être seuls en cellule de ne pas l’être. (3) http://www. gouvernement.fr, 6 octobre 2016.

Observatoire scientifique du crime et de la justice, http:// oscj.cesdip.fr/

(4)

(5) En finir avec la surpopulation carcérale, rapport au Parlement sur l’encellulement individuel, 20 septembre 2016

L’article 56 de la loi du 15 août 2014 prévoit que dans les deux ans suivant la promulgation du texte, le Gouvernement doit rendre au Parlement un rapport d’évaluation, notamment sur la peine alternative de contrainte pénale.

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ou un autre, d’une réflexion sur « les quanta de peine », « l’application des peines » et « la mise en œuvre des alternatives ». Autrement dit, cette politique pénale que le Gouvernement n’a pas le courage de mener, il en confie le soin à d’autres. Le procédé est grossier. D’autant que ses orientations entérinent clairement l’incarcération pour des courtes peines et même de très courtes peines, pourtant reconnues particulièrement néfastes. En sus des trente-trois nouvelles prisons projetées, il compte en effet lancer la construction de seize autres structures (1 740 places) qualifiées de « quartiers de préparation à la sortie ». Mais aussi la reconversion sous cette appellation de douze quartiers similaires existants (9) (773 places), pour y orienter les courtes peines et même y permettre l’exécution « de très courtes peines traditionnellement effectuées en maison d’arrêt ».

Des effets d’annonce Toutes les politiques misant sur l’incarcération et la construction de places de prison se sont soldées par des échecs, que ce soit pour prévenir la récidive ou améliorer les conditions de détention. Le ministre le sait, aussi use-t-il là encore d’une technique de communication bien connue en politique : dresser le bilan désastreux des gouvernements antérieurs pour mieux faire figure de rupture. Il passe en revue, dans son rapport, les effets délétères des constructions passées pour laisser entendre qu’avec ce programme, il en sera autrement. Cela dit, que propose-t-il ? Rien de différent de ses prédécesseurs. Tous ont accompagné leur politique immobilière de l’annonce d’un « renouveau » qui permettra de moderniser le parc et de placer le respect de la dignité des personnes au cœur de la politique pénitentiaire. Et pourtant… Tous les programmes se sont accompagnés d’un délaissement de l’entretien et de la rénovation du parc existant, entraînant une détérioration notable des conditions de

Vent froid sur les permissions de sortir En réaction à un fait divers survenu l’année passée, un décret sur les permissions de sortir a été pris, le 14 septembre dernier. Et la première disposition est symbolique. L’affirmation selon laquelle les détenus peuvent en bénéficier de manière régulière a été supprimée. Par ailleurs, la possibilité de sortir une jour-

Ministère de la Justice, Prévention de la récidive et individualisation de la peine, chiffres clés, avril 2014.

(7)

DAP, Les risques de récidive des sortants de prison, Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques, n°36, mai 2011.

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tervenir » au sein de la prison et que la personne ne peut être « représentée » à l’extérieur. Pour les autres

Des quartiers jusqu’alors qualifiées de « quartiers courtes peines » ou « quartiers nouveau concept ». Tournés vers la construction de projet d’insertion, ils sont censés favoriser le prononcé d’aménagement de peine. Mais, de fait, 97 % des personnes exécutant une peine de moins de six mois font l’objet d’une sortie sèche, sans accompagnement.

types de permissions, notamment pour raisons familiales, les conditions d’octroi restent inchangées.

(10)

née pour accomplir diverses démarches, comme le renouvellement d’une carte d’identité, rencontrer un conseiller Pôle Emploi, ou être présent à une audience juridictionnelle, a été limitée. Selon le décret, une permission ne pourra être accordée que « si les conditions de visioconférence ne sont pas réunies » pour les convocations devant un tribunal et, dans les autres cas, si l’organisme est dans « l’impossibilité d’in-

À deux exceptions près. Une permission pourra désormais être refusée à celui qui ne dispose pas, sur son compte en prison, de suffisamment d’argent pour « supporter les frais occasionnés par son séjour » à l’extérieur ou « ne justifie pas de possibilités licites d’hébergement et de transport ». Et plus positif : la possibilité de solliciter une permission pour la naissance d’un enfant est consacrée. Cependant le message est là. La mesure est appréhendée comme un risque, plutôt qu’un outil précieux à développer, quand bien même le taux d’incident est minime (0,5 %).

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CGLPL, rapport annuel, 2011.

CGLPL, Libération, 10 mars 2010. (11)

(12) Seul 2.5 millions de crédits de paiement sont prévus dans le budget. Ce qui représente 0,2 % de la somme engagée. (13) Manuel Valls, Discours devant l’ENAP, 6 octobre 2016.


© Grégoire Korganow / CGLPL

détention. Quant aux nouvelles structures, loin d’humaniser la prison, elles se sont avérées de véritables usines de plus de 600 places, où « chacun, détenu ou personnel, se trouve dans une solitude accrue » (10). À son tour, JeanJacques Urvoas assure que le programme permettra de « faire évoluer cette approche uniquement punitive ». Mais, concrètement, il ne détaille rien. Tout « reste encore à concevoir », dit-il dans son rapport. Toutefois, il a d’ores et déjà validé le recours à de grosses structures (entre 400 et 600 places) pour des économies d’échelle. Alors que le Contrôle général des lieux de privation de liberté a plusieurs fois rappelé qu’« au-delà de 200 places, la relation humaine se perd », ce qui « génèrent des tensions et des échecs multiples » (11). La présentation du projet de budget 2017 de l’administration pénitentiaire témoigne aussi d’une redoutable continuité. Une somme considérable (1,158 milliard d’euro) est engagée – sans crédits de paiement associés (12) – pour le lancement d’une nouvelle vague de construction (3 900 cellules supplémentaires), au détriment de la remise aux normes du parc pénitentiaire. Les fonds qui y sont alloués – 135 millions d’euros – sont en effet bien insuffisants pour rattraper le retard accumulé. Et le Gouvernement va même jusqu’à assumer de laisser entièrement cette charge à ses successeurs. « La rénovation du parc pénitentiaire s’inscrit nécessairement dans un temps long », nous dit le Premier ministre. Aussi un « Livre Blanc de diagnostic » pour « les vingt prochaines années » (13) sera établi avant la fin du mandat. En d’autres termes, on élude le problème tout en acceptant qu’il soit soumis aux aléas politiques… Autre élément parlant : la question du contenu de la prise en charge en prison et du développement des activités n’a même pas été abordée. Le ministre de la Justice ayant préféré mettre l’accent sur un tout autre aspect : l’augmentation de 62 % des

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Cellule suroccupée dans une maison d’arrêt.

Prison : fausse évidences et vrais problèmes, 22 septembre 2016, http://combatsdroitshomme. blog.lemonde.fr

(14)

(15) Jean-Jacques Urvoas, Sortir de la facilité, assumer la réalité, 30 septembre 2016, http://combatsdroitshomme. blog.lemonde.fr/ (15) Jean-Jacques Urvoas, Assemblée nationale, 20 février 2012.

crédits affectés à la sécurité. Dans son rapport, il soulignait pourtant que « tant que l’oisiveté sera la principale « activité » des personnes détenues, leurs capacités de réintégration sociale ne progresseront pas ». Apparemment, il doit juger l’enjeu moins important que le déploiement de la vidéosurveillance et des concertinas pour lequel il a précisé que 40 millions d’euros seraient alloués. Le garde des Sceaux en appelle au « consensus » sur son programme, quitte à tenter de discréditer tous ceux qui s’y opposent. Dans une réponse à une tribune signée par une centaine de chercheurs et universitaires (14) qui rappelle, expériences à l’appui, l’impasse d’une telle politique en termes d’amélioration des conditions de détention et de sécurité publique, Jean-Jacques Urvoas a déclaré que « le dogmatisme est un confort qu’il faut accepter de quitter si on veut agir » (15). La ficelle est un peu grosse, mais le ministre n’est pas à une contradiction près. Début 2012, lorsque le gouvernement Fillon III usait de la même technique – mettre en débat un vaste plan de construction de prisons à la veille des élections présidentielles, Jean-Jacques Urvoas fustigeait la méthode en s’appuyant sur le même corpus que les auteurs de la tribune : les travaux de coopération pénologique du Conseil de l’Europe. Il dénonçait « l’hégémonie » de la « dimension pénitentiaire de l’exécution des peines » et rappelait que « les politiques qui misent sur l’incarcération ne sont pas efficaces ». Car « la première étape pour éviter la récidive est d’éviter l’emprisonnement qui aggrave la situation sociale, psychique, familiale des personnes, perpétue des phénomènes de violence et enferme les personnes dans un statut de délinquant ». Mener un tel plan de construction « ne fait que traduire une politique de l’autruche vouée à l’échec » (16) soulignait-il alors. Le ministre suit d’autres chemins, mais le constat reste de mise. n octobre 2016 / DEDANS-DeHORS N°93

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Décroissance carcérale

ces pays qui ferment des prisons Alors que la France projette la construction de trente-trois nouvelles prisons pour tenter d’endiguer la surpopulation, de nombreux pays en ferment. Zoom sur ces États qui ont réduit le nombre de leurs prisonniers. Irlande Quand le plaidoyer paie

Le cas allemand Les vases-communicants ?

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Scandinavie Leçon de décroissance carcérale

Italie Surpopulation. Quand la CEDH s’en mêle

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Pays-Bas Une décroissance en trompe-l’œil

États-Unis La volte-face ?

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© Jolien van de Griendt / terauwfotografie.com

Par Laure Anelli et Marie Crétenot

Les prisons françaises n’ont jamais été aussi pleines. Cet été, 69 375 détenus s’entassaient dans 51 000 cellules, avec des lits surajoutés dans des espaces déjà confinés, et même de simples matelas posés là où l’on peut. 1 648 personnes dormaient ainsi à même le sol en juillet 2016, triste record. Le nombre de prisonniers a quasiment augmenté de moitié en quinze ans. Une évolution qui n’est en rien liée à celle de la délinquance, contrairement à ce que l’on entend trop souvent. « Ce n’est pas la criminalité mais la politique pénale qui détermine le taux de détention » (1), insiste Sonja Snacken, criminologue et ancienne présidente du Conseil de coopération pénologique du Conseil de l’Europe. Dans le cas français, la politique pénale n’a eu de cesse de privilégier la réponse carcérale. Depuis le début des années octobre 2016 / DEDANS-DeHORS N°93

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« Des méthodes efficaces pour réguler de façon pérenne une population carcérale sont connues et reconnues, De même qu’il y a consensus sur les pires façons de le faire. La solution envisagée par le gouvernement français est l’une d’entre elles. »

2000, une avalanche de lois, souvent votées sous le coup de l’émotion, a entraîné un alourdissement des sanctions et la pénalisation d’un nombre toujours plus important de comportements, tels l’occupation d’un hall d’immeuble, le défaut d’assurance ou même plus récemment le fait de signaler la présence d’un contrôleur dans les transports. Sans compter le recours massif à la détention provisoire et

Accroître la longueur des peines, un réflexe inefficace À infraction égale, les peines sont variables d’un pays à un autre. Certains pays ne connaissent pas la peine à perpétuité : la Croatie, la Norvège, l’Espagne ou encore le Portugal. Tandis que d’autres y ont massivement recours, comme l’Irlande du Nord. Et il en va de même pour les autres peines. « Alors que 85 % des peines de prisons appliquées dans les pays scandinaves sont de moins de un an, plus de 85 % sont de plus de trois ans en Azerbaïdjan ou en Moldavie » *, souligne la criminologue Sonja Snacken. La définition d’une « longue peine » varie aussi d’un pays à l’autre. Pour le Conseil de l’Europe, on peut parler de longue peine à partir de cinq ans de prison, mais dans certains pays, comme en Scandinavie, on considère qu’une peine est longue à partir de 18 mois, voire un an de prison. Dans d’autres, ce sera au-delà de dix ans. Cela relève de perceptions et de choix politiques. Avec une tendance, chez certains, à vouloir « allonger les peines dans l’espoir de contrer la récidive ». Ce qui s’avère totalement « inefficace » rappelle la chercheuse. Et on le sait depuis longtemps. En 1999 déjà, une méta-analyse des études publiées sur les effets dissuasifs de la sévérité des peines, réalisée par l’Université de Cambridge, a établi que rallonger la longueur des peines n’augmente pas la dissuasion. « La neutralisation par des longues peines » a en outre divers « effets préjudiciables », tels « l’accroissement des réactions psychopathologiques », la violence contre soi ou contre autrui. Mais aussi la « régression vers l’infantilisme », « une passivité accrue » et diverses « réactions psychosomatiques ». Un mécanisme que l’on qualifie « d’institutionnalisation ». Autre impact néfaste : elle favorise l’installation dans une « sous-culture déviante ». * Actes du colloque L’Exécution de décisions en matière pénale en Europe, DAP, 2009.

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à des procédures de jugement rapide, qui a abouti à un taux plus important de condamnations à la prison ferme (environ 70 %). Les peines sont aussi de plus en plus longues : la durée moyenne de détention est ainsi passée de 8,6 à 11,5 mois entre 2006 et 2013.

Construire des prisons : la fausse bonne idée Pas plus en France qu’ailleurs, la construction continue de places de prison n’a permis d’endiguer la surpopulation carcérale. Car, avec une telle approche, on n’agit pas sur « les mécanismes qui en sont à l’origine » rappelle Sonja Snacken. On traite les symptômes, pas les causes. Or, « si aucune action n’est entreprise dans le même temps sur la politique pénale et les facteurs de hausse de la population carcérale », les nouvelles prisons « se retrouvent tôt ou tard elles-mêmes en situation de surpopulation » (2). Aussi, l’annonce récente du Gouvernement de lancer la construction de 20 000 nouvelles places de prison désespère les spécialistes français comme européens. Car « construire plus n’a jamais résolu le problème » assène Frieder Dünkel, professeur de criminologie et de droit pénal à l’Université de Greifswald en Allemagne. « Des méthodes efficaces pour réguler de façon pérenne une population carcérale sont connues et reconnues. De même qu’il y a consensus sur les pires façons de le faire. La solution envisagée par le gouvernement français est l’une d’entre elles », appuie Norman Bishop, fondateur du département de recherche et développement de l’administration pénitentiaire suédoise et également expert auprès du Conseil de l’Europe. Et de poursuivre : « plutôt que de se demander comment faire pour absorber l’augmentation de la population détenue, le gouvernement français devrait réfléchir aux moyens de réduire la demande en places de prison ». Car construire toujours plus n’a jamais permis non plus de mieux protéger la société. Au contraire. La prison produit ce qu’elle entend combattre : elle aggrave l’ensemble des facteurs de délinquance en précarisant des


Décroissance carcérale

populations d’ores et déjà « fragilisées d’un point de vue socio-économique et psychologique », souligne Sonja Snacken. Elle leur impose une « perte de liberté, d’autonomie, de sécurité personnelle, mais aussi perte de travail, perte de liens familiaux et sociaux, pertes financières, dommages psychologiques ». Autant de facteurs qui « rendent la réintégration après libération plus difficile et augmentent au lieu de réduire la récidive » développe la chercheuse. La prison favorise aussi les fréquentations criminogènes et n’offre, particulièrement en France, qu’une prise en charge lacunaire – voire inexistante – face aux nombreuses problématiques rencontrées par les personnes incarcérées. Si bien que près des deux-tiers sont recondamnés dans les cinq ans, tandis que le taux tombe de seize points en cas de peine alternative (3). Quel que soit le pays d’ailleurs, l’incarcération produit plus de récidive que les sanctions en milieu ouvert (4). Aussi pour le Conseil de l’Europe, la ligne à suivre est claire : « l’accent doit être mis sur les mesures alternatives à la détention et un moindre recours à l’emprisonnement » (5). Il l’a formellement rappelé cet été à tous les Etats membres dans son Livre blanc sur le surpeuplement carcéral.

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les États-Unis, champions toutes catégories de l’incarcération, semblent aujourd’hui tourner le dos aux politiques misant sur le recours massif à la prison : sur les 50 États du pays, 28 ont réduit leur population détenue depuis 2008, pour certains dans des proportions importantes. Un examen approfondi révèle, derrière chaque diminution, une situation bien particulière. Et tous les pays n’affichent pas les mêmes motivations. Si, pour les Scandinaves, portés par la conviction que « les prisons sont un moyen oné-

Vague de décroissance en Europe Si la France reste sourde et aveugle à ces recommandations et accepte un taux de détention croissant, comme la Belgique et le Royaume-Uni, d’autres ont vu leur population détenue décroître. « Beaucoup de pays européens en ont fait l’expérience ces dernières années », observe le criminologue allemand Frieder Dünkel. C’est notamment le cas pour les pays Scandinaves, mais aussi pour l’Allemagne et les Pays-Bas, pourtant connus pour leur approche répressive. D’autres pays de l’Ouest de l’Europe, comme l’Irlande, l’Ecosse, l’Italie ou l’Espagne, après une phase d’augmentation importante jusqu’en 2010 – avec un taux avoisinant les 170 détenus pour 100 000 habitants, pour ne citer que le cas espagnol – sont parvenus à inverser la tendance ces cinq dernières années et à réduire le nombre de leurs prisonniers. Même

reux de rendre des délinquants plus délinquants encore », une approche humaniste, rationnelle et volontariste a prévalu, d’autres pays n’ont emprunté le chemin de la décroissance que parce qu’ils y ont été contraints, comme l’Italie. Après une croissance exponentielle de la population carcérale, le taux d’occupation des prisons de la péninsule atteignait 153 % en 2010. Face à l’ampleur de la surpopulation et devant le caractère systémique du problème, la octobre 2016 / DEDANS-DeHORS N°93

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Cour européenne des droits de l’homme a condamné le pays par un arrêt-pilote, en 2013, l’obligeant à agir pour remédier à la situation. En ces temps de crise financière et d’austérité, l’argument économique en a aussi séduit plus d’un. Etats-Unis, Irlande, Pays-Bas : tous voient dans la décroissance de leur taux de détention le moyen de réduire leurs dépenses, le système carcéral engloutissant des sommes faramineuses pour les résultats que l’on connaît.

Limites et mort d’une décroissance non assumée Mais le déclin de la population carcérale apparaît aussi, dans certains cas, presque involontaire – ou à tout le moins inattendu. En Allemagne par exemple, la décroissance observée ces dernières années semble la conséquence indirecte d’un changement spontané dans les pratiques des magistrats, et ne résulte pas spécifiquement d’une réorientation de la politique pénale, qui viserait ouvertement à réduire la population carcérale du pays. Une diminution du nombre de prisonniers ne signifie d’ailleurs pas forcément un assouplissement global des législations : aux Pays-Bas et en Allemagne, la baisse du taux de détention masque une sévérité accrue pour certains types de crimes et délits, ainsi que l’abandon d’une approche réhabilitative pour les profils de délinquants qu’on estime irrécupérables. Dans le cas néerlandais, la diminution du nombre de prisonniers s’accompagne même d’un expansionnisme pénal, deux phénomènes apparemment contradictoires. En effet, « si on additionne peines privatives et non privatives de liberté, on se rend compte que le niveau global de condamnation est toujours en augmentation », relèvent les criminologues Miranda Boone et René van Swaaningen. Aussi, « des délinquants qui restaient autrefois en surface de l’appareil pénal sont aujourd’hui soumis à des niveaux de contrôle qu’aucun promoteur des alternatives à la prison dans les années 60

Sonja Snacken in CNCDH, Sanctionner dans le respect des droits de l’homme – Les alternatives à la détention, La Documentation française, 2007.

(1)

(2) S. Snacken, « Lutte contre la surpopulation : s’attaquer aux causes, plutôt qu’aux symptômes », Dedans Dehors, N°53, janvier 2006. (3) DAP, Les risques de récidive des sortants de prison, Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques, n°36, mai 2011.

Smith, Goggin et Gendreau, Effets de l’incarcération et des sanctions intermédiaires sur la récidive, 2002.

(4)

(5) Comité des ministres du Conseil de l’Europe, Livre blanc sur le surpeuplement carcéral, août 2016.

Sonja Snacken, Les prisons en Europe, pour une pénologie critique et humaniste, Larcier, 2011.

(7)

« Prison : fausses évidences et vrais problèmes », tribune parue dans Le Monde du 22 septembre 2016 et, avec l’ensemble des signataires, sur le blog Combat pour les droits de l’homme.

(7)

et 70 n’aurait pu tolérer », concluent les criminologues. Ainsi, les exemples allemands et néerlandais nous invitent à nous méfier des approches purement comptables. D’autant que, « parce qu’il n’est pas le résultat d’une stratégie politique [réductionniste], le mouvement de décroissance [que ces pays connaissent] peut s’inverser tout aussi spontanément », prévient René van Swaaningen. C’est d’ailleurs ce qui semble se passer en Italie. Trois ans après l’adoption de l’arrêt-pilote, les mesures prises par le gouvernement italien commencent à montrer leurs limites.

Un changement pérenne doit passer par la remise en question de la place de la prison dans la société et une « transformation profonde de la culture de la punition ».

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© Laurent Dubus

comanie, maladie mentale) ». Or, c’est encore en France trop souvent le cas. Deuxième caractéristique : l’intolérance à la surpopulation carcérale. Dans un État réductionniste, la « surpopulation carcérale n’est [en effet] ni acceptée, ni considérée comme inévitable ». Une politique pénale réductionniste limite donc « formellement la capacité des prisons » de façon à garantir un « accueil décent des détenus ». Surtout, elle « refuse l’extension de la capacité pénitentiaire », puisque, on le rappelle, « l’extension de la capacité ne pèse aucunement sur les causes de l’inflation carcérale. Au contraire, l’inflation carcérale continue et se traduit rapidement en un nouvel état de surpopulation ». Il s’agit enfin de mettre en œuvre une double stratégie de réduction du recours à l’emprisonnement. « La "stratégie de la porte d’entrée" (front door) vise la réduction de l’usage et de la durée de la détention provisoire et des peines de prison, entre autres par la décriminalisation ou la dépénalisation et par la promotion des sanctions et mesures qui s’exécutent dans la communauté », précise Sonja Snacken. Ainsi, la privation devient la « mesure d’exception », celle du dernier recours, « dans l’hypothèse où aucune autre mesure ne peut protéger la société ». Quant à la deuxième stratégie, celle de la « porte arrière » (back door), elle vise à limiter la durée de la détention, par la « mise en œuvre volontariste de diverses formes de libérations anticipées », avec le recours systématique aux remises de peine, aux aménagements de peine ou à la libération conditionnelle. Cette double-voie, même les États-Unis semblent l’emprunter. Il serait grand temps que la France s’y engage, en « définissant la surutilisation de la prison comme un problème au niveau politique », commente le criminologue finlandais Tapio Lappi-Seppälä. Le monde de la recherche a également sa part de responsabilité, et doit « être capable de communiquer ses résultats clés au grand public et aux décideurs », comme une centaine de chercheurs l’a récemment fait par le biais d’une tribune (7). « Pour faire comprendre et accepter que la justice pénale ne peut apporter, au mieux, qu’une réponse partielle au problème de la criminalité. » Encore faut-il qu’il soit entendu par les décideurs, et qu’ils en tirent les conséquences. Quitte à faire des choix qui peuvent sembler impopulaires. Car « les politiciens doivent avoir le courage de résister aux solutions simplistes et populistes », souligne le criminologue finlandais. Dont acte. n

La cause ? Le gouvernement s’est contenté de mesures ponctuelles, dont plusieurs n’ont qu’une validité limitée dans le temps, au lieu d’initier la vaste réforme qui aurait été nécessaire, de peur de se confronter à l’électorat italien. Pour l’universitaire italien Giuseppe Mosconi, un changement pérenne doit passer par la remise en question de la place de la prison dans la société italienne et une « transformation profonde de la culture de la punition ». Et donc un changement de perspective de la part de l’ensemble des parties prenantes, autorités policières, judiciaires, responsables politiques et opinion publique. Ce que les Scandinaves semblent, pour l’heure, les seuls à avoir accompli : ils ont en effet adopté, de longue date, une politique ouvertement et résolument réductionniste, c’est-à-dire cherchant à réduire le plus possible le recours à l’emprisonnement.

Ingrédients pour une véritable politique réductionniste Les éléments d’une politique réductionniste sont connus. D’abord, elle doit reposer sur un « scepticisme véritable des législateurs et des praticiens concernant les avantages possibles de la privation de liberté » (6). Cela requière une reconnaissance des « effets délétères » de l’emprisonnement, qui ont déjà été largement démontrés par la recherche et sont régulièrement dénoncés par les organisations militantes, ce depuis des dizaines d’années. Aussi, législateurs et praticiens doivent partager « la conviction que la prison ne devrait pas servir de réponse à des problèmes qui sont surtout sociaux (pauvreté) ou sanitaires (alcoolisme, toxi-

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Photographie prise à la prison abandonnée de Loos, à Lille. En cours de destruction pour être reconstruite.

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Irlande : Quand le plaidoyer paie Alors que les prisons du pays étaient marquées par la surpopulation en 2010, l’Irlande est parvenue à réduire de près de vingt points son taux de détention en six ans, et comptait moins de 80 détenus pour 100 000 habitants au 1er août 2016 *. Le résultat d’un travail de plaidoyer intensif.

Quand ce travail a-t-il commencé à payer ? Le plus grand changement est survenu en 2013. Un groupe parlementaire composé de représentants de tous les partis politiques avait été constitué pour étudier le problème. Et nous avons obtenu l’approbation d’un certain nombre de nos recommandations, dont la plus importante : celle qui préconisait l’adoption d’une politique de désincarcération, c’est-à-dire visant à réduire le nombre de personnes détenues. Ce fut une très grande victoire, car jusque-là, c’est à

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l’augmentation du taux de détention que se mesurait la réussite d’une politique pénale. Nous sommes parvenus à faire comprendre que mettre davantage de personnes en prison est plus un échec qu’un succès.

© DR

un travail d’intérêt général en alternative aux peines de prison de moins de un an. Désormais, le système des réductions de peine permet aussi aux détenus de sortir aux trois-quarts de leur peine. Par ailleurs, s’ils participent à un programme structuré Quels types d’arguments d’activités, et que les services aviez-vous mobilisés ? du ministère considèrent Nous avons apporté la preuve qu’en conséquence ils préque la prison produit ses sentent un moindre risque Deirdre Malone , direcpropres maux ; qu’elle est de récidive, les détenus trice de l’Irish penal reform trust, ONG œuvrant pour destructrice, qu’elle brise les peuvent être libérés à partir la protection des droits de liens familiaux, la situation des deux-tiers de leur peine. l’homme en prison et la sociale et professionnelle Au final, la combinaison de promotion de réformes progressistes. des personnes, mais aussi ces mesures a permis de pasleur santé. Nous avons milité ser de 4500 à 3700 détenus. pour d’autres façons de punir, mais aussi C’est énorme pour un petit pays comme le pour un plus fort investissement dans l’in- nôtre, et cela semble s’être stabilisé depuis tervention précoce et dans la prévention de bientôt deux ans. la délinquance, ces solutions étant bien plus profitables à la société. Le gros du travail a Estimez-vous le problème réglé aujourd’hui ? été de faire comprendre que la question Non, dans la mesure où certaines prisons n’est pas d’être « strict » ou « laxiste » en continuent d’être surpeuplées. Nous plaimatière de délinquance, mais d’être efficace. dons en outre pour une refonte du système L’argument économique est également de libération conditionnelle. Les services entré en ligne de compte : dans un contexte qui en décident sont chapeautés par le minisde crise économique et d’austérité, le coût tère de la Justice : nous militons pour qu’ils de la prison devenait de plus en plus diffi- deviennent réellement indépendants. De cile à défendre. C’est un argument auquel manière générale, nous restons particulièl’opinion publique comme les décideurs rement vigilants car le nouveau gouverneont été sensibles. ment est davantage conservateur que ceux de ces vingt dernières années. Nous mainQuels leviers ont effectivement permis de tenons la pression pour que les réformes réduire la population carcérale ? se poursuivent. n Le Gouvernement a introduit une réforme visant à encourager les juges à prononcer * World prison brief, Institute for criminal policy research.

© Kalervo Pohjanen

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Les prisons irlandaises étaient particulièrement surpeuplées en 2010. Était-ce perçu comme un problème par le Gouvernement et l’opinion publique et comment envisageait-on de le résoudre ? Deirdre Malone : Le Gouvernement comme les médias pensaient que la résolution de ce problème ne pouvait passer que par la construction de davantage de prisons. Nous avons donc travaillé à démontrer en quoi c’était réellement une mauvaise idée, en expliquant qu’accroître la taille et le nombre de prisons ne ferait pas diminuer le nombre de crimes et délits, et aurait pour seule conséquence d’augmenter encore le nombre de prisonniers. Nous avons réalisé un gros travail de communication, lancé des pétitions, organisé des forums avec des experts internationaux et publié des tribunes dans les médias. Nous ne nous contentions pas de critiquer, mais fournissions des solutions alternatives. Nous nous sommes appuyés sur les résultats de la recherche pour détailler un certain nombre de propositions très concrètes, reposant sur des données scientifiquement établies, chiffrées.

Recueilli par Laure Anelli


scandinavie Les pays scandinaves sont les seuls à mettre en œuvre une véritable politique réductionniste. Parmi eux, la Finlande se distingue tout particulièrement : alors que ses voisins affichent un taux de détention bas et relativement stable depuis plus d’un demi-siècle, le pays est parti de loin, avec 150 détenus pour 100 000 habitants dans les années 1960 (1). Il est malgré tout parvenu à diviser le nombre de ses prisonniers par trois en cinquante ans et compte désormais trois-mille détenus (2), grâce à une politique volontariste et ambitieuse.

Leçon de décroissance carcérale par Laure ANELLI

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Avec 55 prisonniers pour 100 000 habitants (3), soit près de la moitié du taux français, la Finlande affichait en 2016 l’un des taux de détention les plus bas d’Europe. Pourtant, le petit pays partait de loin, puisqu’il en comptait 150 pour 100 000 habitants cinquante ans auparavant. Comment expliquer la baisse continue du nombre de détenus dans les prisons finlandaises ces dernières décennies, et ce alors que la plupart des pays européens ont vu le leur augmenter, à l’instar de la France ? Pour le directeur de l’institut national de criminologie et de politique juridique, Tapio Lappi-Seppälä, « la diminution de la population détenue finlandaise est le résultat d’une stratégie politique

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Prison abandonnée de Hylätty, à Turku en Finlande.

bien consciente, méthodique et systémique engagée sur le long terme » (4). Une politique qui commence par une réelle prise de conscience de l’état de surpeuplement des prisons finlandaises et des mauvaises conditions de détention qui en découlaient. Mais alors que d’aucuns, en France, ont opté pour un accroissement du parc carcéral, la construction de places supplémentaires n’a, en Finlande, « jamais été considérée comme une option sérieuse ». Les années 1960-1970 ont plutôt vu émerger l’idée que le pays faisait un usage excessif de la prison et que présenter un tel taux de détention n’était tout simplement pas acceptable. Une remise en question granoctobre 2016 / DEDANS-DeHORS N°93

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dement influencée par le voisin suédois, perçu comme un modèle de société : « Nous avons réalisé que nous avions plus de prisonniers, alors que nos niveaux de délinquance étaient comparables, cela interroge... » La justice finlandaise était plus répressive que celle des autres pays Scandinaves, si bien qu’un même type d’infraction était sanctionné d’une peine de trois mois de prison en Finlande, contre un mois en Norvège, relève Tapio Lappi-Seppälä. A la suite de cette prise de conscience, les principes fondamentaux qui sous-tendent la justice pénale ont été totalement repensés, provoquant un véritable« changement de philosophie pénale » (5).

Basculement idéologique L’idée que la plus efficace des préventions ne résidait pas forcément dans des mesures pénales s’est progressivement imposée. Une idée résumée dans les slogans de l’époque : « Toute bonne politique pénale est indissociable d’une politique générale de développement social », ou encore « Une bonne politique sociale est la meilleure politique pénale qui soit ». « Façon de dire que, pour lutter contre la délinquance, la société fait mieux d’investir dans les écoles, le travail social et dans l’aide aux familles que dans les prisons », précise Tapio Lappi-Seppälä. La notion de châtiment a laissé progressivement place à une nouvelle conception de la sanction pénale. Les objectifs de la justice ont été redéfinis sur la base d’une analyse comparée des coûts (y compris humains) et avantages de différents types de réponse pénale, avantages évalués en termes de protection de la société. Plus généralement, la justice pénale poursuit désormais deux objectifs : la minimisation des effets néfastes de la délinquance mais aussi de sa répression ; la « juste » distribution des coûts entre le contrevenant, la société et la victime. Cette nouvelle doctrine, « en soulignant non seulement les coûts de la délinquance pour la société et la victime, mais également les coûts causés par sa répression, prend désormais en considération les pertes matérielles et immatérielles qui découlent de la sanction elle-même », analyse Tapio Lappi-Seppälä. Or, à ce jeu-là, la prison est la grande perdante. En outre, plus que comme une punition, la sanction est désormais vue comme un moyen de rappeler l’individu aux

Statistiques World prison brief, Institute for criminal policy research.

(1)

(2)

Ibid.

(3)

Ibid.

Les citations de Tapio LappiSeppälä ont été recueillies par interview ou sont extraites de son article « Penal policy in Scandinavia », Crime and justice, vol. 36, n°1, Crime, punishment and politics in a comparative perspective (2007), pp. 217-295.

(4)

(5) Voir Sonja Snacken, « Analyse des mécanismes de la surpopulation pénitentiaire », La surpopulation pénitentiaire en Europe, Groupe européen de recherches sur la justice pénale, Bruylant, 1999.

On note à ce propos que les peines de prison peuvent atteindre quinze ans maximum, en dehors des peines à perpétuité.

(6)

En 1950, la longueur moyenne des peines encourues pour vol était de douze mois ; en 1971, de sept mois et enfin de trois mois en 1991.

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normes sociales. « Le but est que les individus refrènent les comportements illégaux non par crainte d’être sanctionnés d’une punition déplaisante, mais parce que ce comportement est moralement blâmable. » Or, « la condition cruciale pour que cela soit le cas, est que les individus perçoivent le système comme légitime, car juste, équitable et respectueux des droits fondamentaux de chacun ». Aussi, « un système qui cherche à faire respecter les lois à travers la confiance et la légitimité plutôt que par la peur et la dissuasion doit pouvoir recourir à des sanctions moins sévères », estime Tapio Lappi-Seppälä.

Vingt ans de réformes pénales Cette nouvelle philosophie pénale se matérialise à travers une politique réductionniste reposant sur trois axes principaux : la refonte totale du système de sanction pénale avec l’introduction d’alternatives à l’emprisonnement, une révision de l’échelle des peines (6) pour certaines catégories de délits, tels que les infractions routières et les atteintes aux biens, et, enfin, la révision de la politique d’application des peines, avec notamment le développement de la libération conditionnelle. Un vaste mouvement de réformes débute dans les années 1970 et se poursuit jusqu’au milieu des années 1990. Parmi les mesures qui ont le plus fortement contribué à diminuer le nombre de prisonniers, la réduction de la longueur des peines pour vol en 1972, et à nouveau en 1991 (7). La limitation du régime de détention provisoire en 1973 aux seuls « délinquants dangereux » a permis, dans un premier temps, de réduire drastiquement le nombre de prévenus (8). Les jours-amendes ont été alourdis en 1977 pour en faire des alternatives crédibles à de courtes peines de prison. La même année, les possibilités de recourir à de simples amendes et à des peines avec sursis en remplacement de peines fermes ont également été étendues, si bien que les sursis prononcés ont augmenté de 4000 en 1960 à 18 000 en 1990. La création du service à la communauté (équivalent du Travail d’intérêt général) comme alternative à la détention (9), en 1992, a également été très fructueuse, puisqu’elle a permis de remplacer 35 % des courtes peines de prison (jusqu’à huit mois) dans ses cinq premières années d’existence. Enfin, le nombre de mineurs incarcérés a été divisé par dix

« La condition cruciale pour que cela fonctionne est que les individus perçoivent le système comme légitime, car juste, équitable et respectueux des droits fondamentaux de chacun. » 16 / DEDANS-DeHORS N°93 / octobre 2016


Décroissance carcérale

avec le renforcement, en 1989, du principe de non-recours à l’incarcération sauf motifs extraordinaires. La politique d’exécution des peines a elle aussi connu plusieurs changements importants qui ont largement contribué à la réduction du taux de détention. La limitation du recours à la prison en cas de défaut de paiement d’une amende a réduit par vingt le nombre de personnes détenues pour ce motif. Les remises de peine et la libération conditionnelle, qui intervient d’office à la moitié de la peine ou aux deux tiers pour les récidivistes en Finlande, ont également été un outil puissant de régulation des taux d’incarcération. Le temps de détention devant être purgé pour pouvoir en bénéficier a été diminué : de six mois dans les années 1960, ce minimum est passé à quatorze jours à la fin des années 1980. « Dans un pays où la durée moyenne du séjour en prison se situe entre quatre et six mois, on comprend que ces réformes aient eu un effet immédiat sur le taux de détention », commente Tapio Lappi-Seppälä.

Une politique orientée par la recherche plutôt que par l’opinion publique Qu’une politique aussi ambitieuse ait pu être conduite et maintenue sur le long terme s’explique sans doute par le « rôle tout à faire exceptionnel joué par les experts », explique Tapio Lappi-Seppälä. Ces réformes ont ainsi été préparées et portées par un groupe relativement restreint de spécialistes qui occupaient des postes clés, que ce soit dans l’élaboration des lois, les administrations judiciaires et pénitentiaires ou dans les universités. « Quatre ministres de la Justice, un président de la Cour suprême, un chancelier et

Leur nombre a néanmoins remonté depuis. Les prévenus représentaient près de 20 % de la population détenue en 2015, soit près de 590 personnes (source : Word prison brief).

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Afin de s’assurer que le service à la communauté soit bien utilisé en remplacement de peines de prison ferme (et non à la place d’autres mesures plus clémentes), la Finlande définit une procédure en deux temps, de sorte que cette mesure ne peut être imposée que par commutation d’une peine de prison ferme.

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plusieurs fonctionnaires de premier plan sont issus de ce groupe », relève Tapio Lappi-Seppälä. Pour Sonja Snacken, professeur de criminologie et ancienne présidente du Conseil de coopération pénologique du Conseil de l’Europe, « la politique criminelle est estimée trop importante pour la laisser aux politiques et au populisme ». Aussi le thème de la lutte contre l’insécurité n’a-t-il jamais accaparé le débat lors des campagnes électorales. Une modération sans doute favorisée par la structure du système médiatique finlandais. Les chaînes de télévision et radio publiques, qui représentent une grande part du marché, offrent un contenu peu porté sur l’émotionnel et le sensationnalisme, décrypte Tapio Lappi-Seppälä. En outre, 90 % des titres de presse sont vendus par abonnement et sont donc moins enclins à appâter le chaland avec des gros titres tapageurs. Aussi, le mouvement de réformes s’est fait au rythme de la recherche, ce qui a notamment permis la consultation de plus de 300 groupes et organisations. Le fait que l’élaboration de la politique criminelle soit laissée aux mains des experts a aussi pour avantage d’assurer son indépendance face aux changements de gouvernements, et donc sa pérennité. Et ce sans compter la culture politique finlandaise, portée au consensus. « Le lien entre démocraties consensuelles et bas taux de détention est reconnu, rappelle Tapio Lappi-Seppälä. Dans ces démocraties, il y a moins à gagner et plus à perdre à critiquer les réalisations des gouvernements précédents », poursuit le spécialiste, pour la simple et bonne raison que tous les partis de coalition ont participé à l’élaboration octobre 2016 / DEDANS-DeHORS N°93

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des lois. À l’inverse, dans une démocratie majoritaire, « le principal projet de l’opposition est de convaincre l’électorat qu’il y a une crise sociétale et politique et un besoin urgent de dégager le parti au gouvernement du pouvoir. Et si la majeure partie du travail politique est passée à critiquer et mépriser les politiques du gouvernement, il n’est pas étonnant que cela finisse par affecter la façon dont les citoyens eux-mêmes perçoivent ces politiques et les institutions politiques en général », estime Tapio Lappi-Seppälä. De fait, la Scandinavie est l’une des régions du monde dans laquelle la confiance que les citoyens placent dans leur gouvernement et leurs institutions est la plus forte. D’après le chercheur, il « apparaît de manière significative et systématique que le recours à l’emprisonnement est inversement proportionnel au niveau de confiance » dans la société.

Une politique soutenue par des magistrats convaincus Mais la diminution spectaculaire du taux de détention n’aurait pas eu lieu si les magistrats n’avaient pas pleinement joué le jeu de la réforme. Les professionnels du droit finlandais sont traditionnellement plutôt libéraux, à tel point que certains tribunaux avaient changé leurs pratiques avant même que le législateur n’ait modifié la loi, souligne Tapio Lappi-Seppälä. Juges et procureurs ont été formés dès la faculté de droit à la criminologie et à la pénologie, et ont donc une connaissance approfondie des ressorts de la délinquance et des réponses les plus efficaces en termes de prévention de la récidive. Ils bénéficient en outre d’une formation continue assurée par les autorités judiciaires en coopération avec les universités, si bien qu’ils peuvent adapter leurs pratiques en fonction des dernières avancées en matière de criminologie. Pas plus que le législateur, les juges ne prennent en compte l’opinion publique au moment de rendre une décision. « Pour un magistrat, rendre un jugement est une stricte application du droit, suivant des principes et des sources juridiques bien particuliers. Les

journaux et les sondages d’opinion n’en font pas partie », assène Tapio Lappi-Seppälä. La Finlande a, au tournant des années 2000, connu une phase d’augmentation de son taux de détention, dans des proportions toutefois raisonnables puisque son maximum, atteint en 2006, était de 73 détenus pour 100 000 habitants. Un mouvement commun à tous les pays scandinaves, qui s’explique par une plus grande sévérité envers les agressions violentes, sexuelles et les violences domestiques, ainsi qu’envers les infractions à la législation sur les stupéfiants. Ainsi, la répression accrue des affaires de drogues a été responsable de la moitié de l’augmentation du taux de détention. Face à la hausse du nombre de détenus, le thème de la surpopulation carcérale a refait irruption dans le débat public. Mais alors que ses voisins ont envisagé d’augmenter leurs capacités pénitentiaires, la Finlande a refusé de considérer cette option, préférant reprendre le contrôle de son taux de détention plutôt que de construire de nouvelles prisons. Expansion des peines exécutées en milieu ouvert, intensification des remises de peine, réduction du recours à l’incarcération en cas de défaut de paiement d’amende... Les solutions sont désormais connues des pouvoirs publics finlandais et bien ancrées dans la culture pénale du pays. Associées à un récent déclin de la délinquance, elles ont permis au pays de diminuer d’un quart le nombre de ses prisonniers ces toutes dernières années. n

Juges et procureurs bénéficient de formations en criminologie et pénologie tout au long de leur carrière.

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Décroissance carcérale

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« Une question de détermination » La Suède a longtemps servi de modèle à sa voisine finlandaise. Prisons à taille humaine et ouvertes, justice des mineurs basée sur la protection de l’enfance, courtes peines de prison et large palette d’alternatives exécutées en milieu ouvert sont autant de composantes d’un système qui vise la réhabilitation plutôt que la punition. Elle parvient ainsi, depuis au moins soixante-dix ans, à maintenir un taux de détention raisonnable : 60 pour 100 000 en 2014, quarante points de moins qu’en France.

C

Comment expliquer que la Suède soit parvenue à réduire et à maintenir à un faible taux le nombre de ses détenus ? Norman Bishop : Il n’y a pas de recette magique. La réduction d’une population pénale est toujours le fruit d’une combinaison de facteurs qui se renforcent mutuellement, sans que personne ne sache vraiment lequel d’entre eux a précisément joué. Ce qui est certain, c’est que les pays scandinaves, et la Suède en particulier, cherchent depuis longtemps à maintenir leur population détenue à son minimum, convaincus que les prisons sont un moyen onéreux de rendre des délinquants plus délinquants encore. L’élément le plus important est notre détermination : nous sommes décidés à user de tous les moyens pour y parvenir. La connaissance scientifique est encouragée et utilisée pour orienter la législation et les pratiques. C’est sur la base de données rigoureusement établies que notre législation favorise les peines non-privatives de liberté et le recours massif à la libération conditionnelle. Au tournant des années 2000, la Suède a accentué sa répression des crimes violents et sexuels et des infractions liées aux drogues, entraînant une augmentation de son taux de détention jusqu’à 79 pour 100 000 en 2006, avant une nouvelle phase de diminution. Comment l’expliquer ? On peut en partie l’expliquer par une diminution du taux de délinquance. Surtout, la Cour suprême suédoise a récemment rendu des jugements invitant les tribunaux à réduire la durée des peines de prison, en limitant

Recueilli par Laure Anelli © DR

le recours aux longues peines. Que pensez-vous de la soluUne décision de 2011 a par tion envisagée par le gouverexemple introduit de nounement français pour endiguer veaux critères afin de modula surpopulation, c’est-à-dire ler les condamnations dans construire 10 000 à 16 000 les affaires de stupéfiants. cellules supplémentaires ? Auparavant, le critère prinDes méthodes efficaces pour cipal, pour décider de la durée réguler de façon pérenne d’une peine, était la quantité une population carcérale sont de produit en cause. Cette connues et reconnues. De disposition a été revue de même qu’il y a consensus façon à inclure d’autres élésur les pires façons de le faire. ments, tels que le type de La solution envisagée récemNorman Bishop , fondadrogue, l’usage – privé ou ment par le gouvernement teur du département de recherche et développeprofessionnel –, l’étendue français est l’une d’entre elles. ment de l’administration des activités commerciales, D’autres moyens, plus effipénitentiaire suédoise et expert pour le Conseil de le niveau de préjudice social cients et moins coûteux, pourl’Europe sur les questions causé, l’inscription dans un raient être privilégiés. Mais pénitentiaires. réseau international, ou la France s’évertue à recourir encore le fait que le contreaux très longues peines de venant soit ou non lui-même dépendant... prison et à trop peu user de la libération La seule application de ces critères avait conditionnelle et autres aménagements de conduit la Cour suprême à réduire une peine peine – la recette parfaite pour qui cherche d’emprisonnement de quatorze ans à quatre à atteindre des records en nombre de déteans. Les décisions de la Cour faisant réfé- nus. Pourquoi les politiciens français sontrence, les tribunaux ont revu leurs pratiques ils à ce point aveugles aux résultats de la de condamnation, et le résultat en est une recherche et à ce qui se passe dans le monde ? moindre sévérité dans les affaires de petite La méthode et la philosophie pénale scanou moyenne importance. Cela vaut égale- dinaves ont fait leurs preuves pour maintement pour d’autres types d’infractions, nir la population détenue dans des limites comme les atteintes aux biens. Avec des raisonnables. En réalité, tout vient du fait répercussions sur la population carcérale : que le gouvernement français se pose, au ainsi, la baisse récente du nombre de déte- départ, la mauvaise question. Plutôt que de nus concerne 36 % des condamnés pour se demander comment faire pour absorber vol, 25 % des condamnés pour une infrac- l’augmentation de la population détenue, il tion liées aux stupéfiants, mais aussi 12 % devrait réfléchir aux moyens de réduire la des auteurs de crimes violents. demande en places de prison. n octobre 2016 / DEDANS-DeHORS N°93

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pays-bas Les Pays-Bas ont diminué de moitié le nombre de leurs prisonniers ces dix dernières années, au point de fermer massivement leurs prisons et d’en louer d’autres à la Belgique voisine, qui voit les siennes exploser. Un phénomène d’autant plus surprenant que le pays était connu pour son approche répressive. La preuve d’un assouplissement des politiques pénales ? Pas vraiment. Aussi le cas néerlandais nous invite-t-il à nous méfier des approches purement comptables.

Une décroissance en trompe l’œil par Laure Anelli

L

« Les Pays-Bas ferment leurs prisons », titrent régulièrement les médias français depuis quelques années (1). Le Monde diplomatique nous apprenait ainsi en novembre dernier que huit établissements avaient « déjà changé d’affectation », et qu’une « vingtaine d’autres devraient fermer d’ici trois ans », seules 9857 des 12014 places de prison du pays étant pourvues (2). Le phénomène a de quoi surprendre en France, où la population détenue ne cesse de croître – le parc carcéral avec.

20 / DEDANS-DeHORS N°93 / octobre 2016

Aux Pays-Bas, le nombre de prisonniers serait passé de 21 826 en 2005 à moins de 10 000 en 2014, pour un taux de détention de 69 détenus pour 100 000 habitants, d’après les statistiques du Conseil de l’Europe. Une baisse vertigineuse, d’autant plus spectaculaire qu’elle fait suite à trente années d’une augmentation soutenue. De 18 détenus pour 100 000 habitants en 1973, les Pays-Bas étaient passés à 134 prisonniers pour 100 000 en 2005, soit une multiplication par sept. Pour les spécialistes, le pays constituait,


Décroissance carcérale

dossier

© Et demain, Dorothy Shoes, 2008

« Parce qu’il n’est pas le résultat d’une stratégie politique, le mouvement de décroissance peut s’inverser tout aussi spontanément. » depuis qu’il avait pris ce « tournant punitif », un cas d’école de l’expansionnisme pénal. L’accroissement de la population carcérale s’accompagnait en effet d’une augmentation tout aussi impressionnante des sanctions non privatives de liberté et de l’introduction de mesures préventives très intrusives, relève René van Swaaningen, professeur en criminologie comparée à l’université Erasmus de Rotterdam. « Les politiques pénales ont alors glissé de l’objectif de réhabilitation des délinquants vers celui de la prétendue protection de la société. » (3) Des mesures ont été prises pour lutter contre le sentiment d’insécurité : mendicité, racolage, séjour irrégulier, consommation d’alcool et de cannabis, réunion de SDF et de jeunes dans certains lieux publics et outrage à officier de police ont fait l’objet d’une criminalisation et d’une répression croissante. « Les derniers débats autour du port du voile intégral ou du séjour irrégulier s’inscrivent dans le même mouvement », décrypte le criminologue. La récente baisse du taux de détention serait-elle le signe d’un retournement de tendance ? Les Pays-Bas auraientils fait marche arrière et mis fin au tout répressif ? Rien n’est moins sûr. Si les spécialistes peinent à comprendre cette baisse, il est pour eux certain qu’elle ne s’explique nullement par une politique réductionniste, ni même par des mesures isolées de dépénalisation. Aussi, « parce qu’il n’est pas le résultat d’une stratégie politique, le mouvement de décroissance peut s’inverser tout aussi spontanément », prévient René van Swaaningen. Ecartons également l’hypothèse selon laquelle les Pays-Bas manqueraient soudainement de « criminels » à enfermer, comme le suggère Direct Matin (4). « Cela parait bien trop simple », rétorque le criminologue, qui relève que « les taux de délinquance enregistrée ont chuté dans la plupart des pays de l’Europe de l’Ouest, sans que cela ne se traduise par une diminution des taux de détention ». Le criminologue privilégie d’autres hypothèses.

Effets d’aubaine et baisses artificielles Pour commencer, une mesure pas franchement libérale a probablement joué un rôle – quoique secondaire – dans cette diminution, estime-t-il : la libération, en 2007, de 27 000 étrangers en situation irrégulière dont une grande partie attendait son expulsion en maison d’arrêt, les centres

Direct matin, 21/03/2016 ; Le Parisien, 12/11/2013 ; Francetvinfo, 11/11/2013...

(1)

(2) Léa Ducré et Margot Hemmerich, « Les Pays-Bas ferment leurs prisons », Le Monde diplomatique, novembre 2015. (3) Toutes les citations de René van Swaaningen sont extraites de « Reversing the punitive turn : the case of the Netherlands », European penology, 2013.

Le journal titrait en effet « Faute de criminels, les PaysBas ferment des prisons », en mars dernier.

(4)

(5) Aux Pays-Bas, les tribunaux peuvent condamner à une peine de prison et ordonner un traitement psychiatrique au sein d’un d’établissement carcéral psychiatrique.

Les citations de Miranda Boone et René van Swaaningen sont extraites de « Regression to the mean. Punishment in the Netherlands », Punishment in Europe : critical anatomies, 2013.

(6)

de rétention administrative du pays étant pleins. À l’origine de ces remises en liberté massives, une directive européenne sur les retours forcés, qui fixa à six mois le temps de détention maximum avant reconduite à la frontière. « Une grande partie des sans-papiers étaient détenus depuis bien plus longtemps », explique-t-il, si bien que cette directive a donné lieu à un nombre très important de libérations. En outre, cette catégorie « d’enfermés » n’est plus prise en compte par les statistiques carcérales depuis 2010, créant une baisse artificielle – bien que minime, ceux-ci n’étant plus qu’un peu plus de 400 en 2014 – dans les effectifs... C’est également le cas des personnes détenues en prison psychiatrique (5) : alors qu’elles étaient comptées dans les statistiques pénitentiaires en 2005, ce n’est plus le cas à partir de 2010. Plus de 1500 personnes étaient détenues dans ce type d’établissement en 2014.

Moins de condamnations à la prison ferme Malgré ces biais statistiques et effets conjoncturels, la baisse du nombre de prisonniers traduit avant tout une diminution des condamnations à prison ferme depuis 2003, d’après Miranda Boone et René van Swaaningen. Ils l’expliquent en partie par un changement des pratiques policières cette année-là, en réponse à la politique du chiffre imposée aux forces de l’ordre. « Les officiers de police sont encouragés à se concentrer sur (un grand nombre) de petits délits plutôt que sur (une poignée) d’affaires plus sérieuses et plus difficiles à élucider. En conséquence, des affaires de moindre importance arrivent devant la justice, ce qui aboutit à une diminution de la population carcérale » (6), analysent-ils. René van Swaaningen invoque également l’instauration du « OM-afdoening », en 2005, pour expliquer cette baisse. Cette mesure, prise pour désengorger les tribunaux et raccourcir les délais de la justice, permet au procureur de décider seul d’une sanction non privative de liberté, que le suspect peut contester en demandant à passer devant un tribunal. « Il est fort probable que ce dispositif ait eu un effet sur le volume des peines d’emprisonnement », mais aussi sur les placements en détention provisoire, qui ont également diminué, d’après René van Swaaningen. 42 000 ordonnances de ce genre auraient été rendues en 2013, le plus souvent sous la forme d’amendes. Si le recours à la prison a baissé, les sanctions pécuniaires octobre 2016 / DEDANS-DeHORS N°93

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ont à l’inverse considérablement augmenté : leurs recettes seraient passées de 673 millions d’euros en 2005 à 1050 millions huit ans plus tard (7). Une sacrée aubaine en ces temps d’austérité.

Souci d’économie Et si la baisse du taux de détention s’expliquait aussi (surtout) par un souci d’économie ? Pour la criminologue Miranda Boone, « le but [des gouvernants] n’est pas de réduire la population carcérale, mais le coût du système » (8). Quand une journée en prison coûte 262 euros à l’Etat contre 10 à 50 euros pour une journée en probation (9) (ou signifie une rentrée d’argent en cas de sanction financière), le calcul est vite fait. Le Conseil des ministres néerlandais annonçait ainsi, en avril 2013, vouloir réaliser 340 millions d’euros d’économies en cinq ans sur le budget des prisons, et réduire le nombre de places de 12 595 à 10 917 d’ici 2018. Une mesure pour le moins populiste a même été adoptée, avant d’être retirée par le Gouvernement en février dernier : celle obligeant les détenus à participer aux frais de leur détention, à raison de 16 euros par nuit passée en prison. Et alors que le gouvernement français ne parvient toujours pas à garantir l’encellulement individuel, le gouvernement des PaysBas, qui le respectaient jusque-là, annonçait y renoncer en avril 2013, déclarant que les détenus allaient désormais plus souvent devoir partager leur cellule. Le directeur de l’administration pénitentiaire néerlandaise, Peter Hennephof, résume ainsi l’équation : « Le gouvernement donne pour seules directives de faire baisser les taux de criminalité et de lutter contre la récidive... », avant d’ajouter aux journalistes du Monde diplomatique qui l’interrogeaient : « ...tout en maintenant des coûts aussi bas que possible. » Des coupes ont été faites dans tous les budgets de la justice, et notamment dans le secteur de la probation : le budget de 260 millions d’euros qui lui avait été alloué en 2012 a depuis été réduit de 40 millions (10). Plus de 3700 employés de l’administration pénitentiaire devraient se retrouver sur le carreau d’ici 2018, d’après la presse néerlandaise. Mais la lutte contre la criminalité – ou le sentiment d’insécurité ? – n’en demeure pas moins une priorité, en témoignent la prolifération de caméras de surveillance, ou le nouveau nom du ministère de la Justice,

Léa Ducré et Margot Hemmerich, op.cit.

(7)

(8)

Ibid.

(9)

Ibid.

(10)

Ibid.

récemment rebaptisé ministère de la Sécurité et de la Justice, relèvent les journalistes du Monde diplomatique – tout un symbole. Aussi le système pénal reste-t-il particulièrement répressif.

© DR

Renforcement de mesures répressives Malgré la baisse générale du taux de détention et des condamnations fermes, la part de peines d’emprisonnement reste relativement haute : 23 % des condamnations, contre 15 % en moyenne en Europe. Pour René van Swaaningen, le risque d’être incarcéré pour un délit mineur est plus élevé aux Pays-Bas que dans la majorité des pays d’Europe de l’Ouest. En outre, la prison reste la peine de référence : si un condamné viole les termes de sa libération conditionnelle ou n’exécute pas correctement une peine alternative, il est envoyé en prison. Plusieurs réformes, adoptées depuis 2005, ont encore durci le système. En 2006, la peine maximale a été portée à trente ans, au lieu de vingt précédemment, « sans parler de la peine de prison à vie qui, aux Pays-Bas, signifie vraiment jusqu’à la mort », précise René van Swaaningen. Les agressions, sexuelles ou non, ont été catégoriquement exclues du champ des infractions sanctionnables par des travaux d’intérêt général. Un séjour longue durée (là encore, « comprendre potentiellement jusqu’à la mort », décrypte René van Swaaningen) a été introduit pour les délinquants souffrant de troubles psychiatriques détenus dans les établissements psycholégaux. En effet, la durée de leur internement n’est pas fixée par un tribunal. Les équipes médicales évaluent tous les deux ans maximum si un détenu est libérable, si bien que les personnes détenues sous ce régime et considérées inaptes à la réinsertion peuvent potentiellement finir leurs jours dans ces établissements. Autre mesure problématique : l’ISD measure. Cette dernière s’adresse aux petits délinquants multirécidivistes auteurs de vols, cambriolages, vandalisme ou troubles à l’ordre

Pour la criminologue Miranda Boone, « le but [des gouvernants] n’est pas de réduire la population carcérale, mais le coût du système ». 22 / DEDANS-DeHORS N°93 / octobre 2016


Décroissance carcérale

dossier

nations est toujours en augmentation ». Aussi, « des délinquants qui restaient autrefois en surface de l’appareil pénal sont aujourd’hui soumis à des niveaux de contrôle qu’aucun promoteur des alternatives à la prison dans les années 60 et 70 n’aurait pu tolérer », concluent les criminologues.

Un système de probation ambitieux dévoyé par la politique de résultat

public. Elle consiste à imposer une période de détention pouvant aller jusqu’à deux ans pour y suivre un programme spécifique de prévention de récidive quelque-soit le fait commis – y compris pour un délit mineur, qui n’aurait en soi pas appelé incarcération.

Détournement des alternatives Quant aux peines non-privatives de liberté, une loi de 2001 les a introduites comme « peines primaires » dans le Code pénal, et ajoutées au catalogue des peines prononçables par le Ministère public, sans passer devant une cour (OM-afdoening). « À partir de là, il n’était plus nécessaire qu’elles se substituent à une condamnation à de la prison ferme (jusqu’à six mois), comme c’était le cas auparavant. » Il est désormais possible de se voir imposer une peine de travail d’intérêt général (TIG) sans même avoir été jugé par un tribunal, ce qui aurait été impensable auparavant, étant donné le caractère punitif donné au TIG lors de son instauration. Les peines non-privatives de liberté peuvent aussi être combinées à des peines de prison ferme. Ainsi, « les anciennes alternatives – TIG, stages, placement sous surveillance électronique – font désormais partie intégrante du système pénal »… le problème étant qu’elles ont été détournées de leur esprit initial et ne constituent plus des alternatives à la prison, participant au contraire de l’expansionnisme pénal dénoncé par les criminologues. Le nombre de peines non-privatives de liberté a en effet considérablement augmenté depuis les années 1980 (217 en 1981, 20 949 en 2002, 38 500 en 2008), sans qu’elles ne viennent se substituer à l’emprisonnement. Au final, « si on additionne peines privatives et non-privatives de liberté, on se rend compte que le niveau global de condam-

ñ

Aux Pays-Bas, les tribunaux peuvent ordonner un traitement psychiatrique, exécuté dans un établissement carcéral spécialisé.

L’approche réhabilitative qui faisait la spécificité du système pénal néerlandais n’est cependant pas totalement perdue. Les Pays-Bas ont introduit en 1999 un dispositif de fin de peine intéressant, « les programmes pénitentiaires ». Un an avant qu’ils ne puissent bénéficier d’une libération conditionnelle, les détenus peuvent finir leur peine en liberté surveillée avec activités obligatoires (programmes éducatifs ou travail), supervisées par le service de probation. Généralement placés sous surveillance électronique, ils n’ont pas à réintégrer la prison la nuit et peuvent dormir chez eux. Une mesure qui permet un retour en douceur vers la vie en société. Problème : seule une minorité de ceux qui y sont éligibles en bénéficient, d’après Miranda Boone et René van Swaaningen. En outre, les personnes sélectionnées sont bien souvent celles qui ont le moins de problématiques psychologiques ou sociales et qui présentent un risque de récidive limité. « Les catégories de détenus auxquelles elles auraient pu être le plus profitables ne sont pas sélectionnées, pire, elles sont transférées dans les confins d’un système pénitentiaire où l’approche réhabilitative fait totalement défaut », regrettent Miranda Boone et René van Swaaningen. Pour les chercheurs, ce dévoiement est la conséquence de l’adoption d’une logique managériale importée du secteur privé dans l’administration pénitentiaire néerlandaise : en sélectionnant les détenus qui présentent le moins de chances de récidiver, les agents pénitenciers s’assurent en effet de meilleurs résultats. Et face aux réductions d’effectifs draconiennes imposées par les coupes budgétaires, mieux vaut privilégier les candidats qui ne nécessitent pas un véritable accompagnement… Le détournement de ce dispositif est d’autant plus dommageable que la libération conditionnelle, autrefois automatique aux deux tiers de la peine, ne l’est plus depuis 2008 pour les personnes condamnées à une peine de moins d’un an. Dans la mesure où elles représentaient 93 % des peines fermes, seuls 2,1 % des prisonniers ont bénéficié d’une libération conditionnelle en 2009 et 2010. Ainsi, la baisse du taux de détention néerlandais ne révèlet-il pas un assouplissement du système pénal. Pour René van Swaaningen, la logique sécuritaire et répressive semble même avoir pénétré la société toute entière. Car pendant que la population carcérale se réduit, un nombre croissant de personnes sont soumises à des dispositifs de contrôle. « Le vieux dicton selon lequel l’une des façons d’abolir les prisons consiste à transformer la société elle-même en prison pourrait bien être en train d’être expérimenté aux PaysBas », conclut le chercheur. n octobre 2016 / DEDANS-DeHORS N°93

/ 23


Le cas allemand : la loi des vases-communicants ? Alors qu’en 2004, le thème du surencombrement des prisons occupait le débat public en Allemagne, le pays a connu depuis une franche diminution du nombre de ses prisonniers, passant de 96,5 prisonniers pour 100000 habitants en 2004 à 78 aujourd’hui (1). Un phénomène en demiteinte : s’il traduit une baisse des placements en détention provisoire et des condamnations à la prison, il masque une sévérité accrue pour certains types de crimes et délits. Il est en outre partiellement compensé par une hausse du recours à l’internement psycho-légal.

L

La chute, depuis douze ans, du nombre de prisonniers allemands s’explique d’abord par un moindre recours à la détention provisoire. Une diminution entamée dès les années 1990, à la suite de décisions de la Cour constitutionnelle et de la CEDH invitant à limiter son usage. On est ainsi passé de 21 000 prévenus en 1995, à 10 900 en 2010 (2), soit une diminution de moitié de la population prévenue, avant une légère remontée ces dernières années, jusqu’à 13 400 en 2016 (3). Mais l’explication est également à chercher dans « l’effritement régulier des condamnations » en général – et des condamnations à l’emprisonnement en particulier. En 2014, 110 000 peines de prison étaient prononcées, contre 130 000 en 2010, soit une baisse de 15 % en quatre ans (4). Un changement dans les pratiques des magistrats qui suscite la circonspection, dans la mesure où aucune réforme d’ampleur n’a été prise durant cette période. On observe ainsi depuis plusieurs années une limitation du recours à l’incarcération au profit du sursis avec ou sans mise à l’épreuve et, surtout, des sanctions pécuniaires. Si bien qu’aujourd’hui, « 82 % des peines prononcées sont des amendes, relève le professeur Frieder Dünkel. Les 18 % restants sont essentiellement des peines de prison, dont 70 % sont prononcées avec du sursis. Au final, seulement 5 à 6 % sont des peines d’emprisonnement ferme. Et parmi elles, 90 % sont inférieures à deux ans ». Des peines courtes donc, mais pas trop : les

24 / DEDANS-DeHORS N°93 / octobre 2016

par Laure Anelli

juges ont l’interdiction de prononcer des peines de prison inférieures à un mois, et n’ont donc d’autre choix que de puiser dans le registre des alternatives pour un certain nombre d’infractions.

Politique de la « bifurcation » Faut-il en conclure à un assouplissement pénal généralisé ? Pas vraiment. En réalité, l’Allemagne suit une « politique de la bifurcation » : réhabilitation pour les uns, répression accrue pour les autres. L’emprisonnement est ainsi très largement prononcé pour certains profils et types de délinquance : délinquants sexuels, gros trafiquants, ou encore auteurs d’agressions violentes sont massivement incarcérés. Surtout, les sanctions ont été durcies pour ces crimes et délits dans les années 1990 et 2000. Ce renforcement répressif se traduit aussi par la recrudescence de la rétention de sûreté, souligne Grégory Salle. Alors que le nombre de détenus sous ce régime se situait sous la barre des 200 entre 1985 et 1995, il dépasse les 500 depuis 2010 (5), une tendance à la hausse sans doute « favorisée par l’assouplissement graduel des conditions de placement en rétention de sureté entre 1998 et 2008 ». Autre précision d’importance, les statistiques pénitentiaires ne tiennent pas compte d’un type d’enfermement particulier en Allemagne : « l’internement pyscho-légal ». « Ces mesures ne sont pas strictement pénales, mais elles sont gérées par la justice et conduisent à un enfermement », explique

la sociologue Camille Lancelevée, spécialiste du soin contraint. Cette détention est prononcée par le juge en cas de troubles psychiatriques ou de toxicomanie, en complément ou non d’une peine de prison. Les personnes sont alors détenues dans des unités hospitalières sécurisées qui ne dépendent pas de l’administration pénitentiaire. La durée de l’internement, non fixée lors de la condamnation, dépend des « résultats » évalués par l’équipe médicale. Or, le nombre de personnes incarcérées sous ce régime n’a, lui, cessé d’augmenter, triplant en trente ans, et atteignait les 10 721 personnes en 2012, soit un sixième des personnes enfermées, qu’elles soient incarcérées ou internées. « En prenant en compte ce régime de détention comptabilisé à part, la baisse dont il a été question jusqu’ici devient alors sensiblement moins franche » (6), relève Grégory Salle. Sans compter que la durée moyenne d’internement s’allonge avec les années... Faisant dire au sociologue que « la question classique du phénomène de vases communicants – ou plutôt de mélange des genres – entre asile et prison n’a pas épuisé sa pertinence ». n (1)

World Prison brief, Institute for criminal policy research.

Grégory Salle et Barbara Bauduin, « Sur la baisse récente de la population carcérale en Allemagne. Eléments de mise en perspective », Revue de l’Institut français d’histoire en Allemagne, 6, 2014. (2)

(3)

World Prison brief, Institute for criminal policy research.

Office fédéral de la statistique, Statistisches Bundesamt, Rechtspflege, Ausgewählte Zahlen für die Rechtspflege.

(4)

(5)

524 personnes étaient détenues sous ce régime en 2016.

(6)

Grégory Salle, op.cit.


Italie Entre 2006 et 2012, l’Italie a connu une croissance exponentielle de sa population carcérale, avec un taux d’occupation atteignant 153% en 2010. Le 8 janvier 2013, la Cour européenne des droits de l’homme condamnait le pays pour ses conditions de détention par un arrêt pilote, contraignant la péninsule à prendre des mesures pour remédier à la situation. Trois ans après cette décision, l’Italie a connu une baisse conséquente de 17% de sa population carcérale. Mais le bilan reste mitigé.

Surpopulation

Quand la Cour européenne des droits de l’homme s’en mêle par Marine Tagliaferri

L

Le 8 janvier 2013, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), saisie par sept détenus qui dénonçaient leurs conditions de détention, condamne l’Italie par un arrêt pilote, connu sous le nom d’« arrêt Torreggiani » (1). Dans sa décision, elle réaffirme que les conditions de détention dans les établissements particulièrement surpeuplés peuvent s’apparenter à un traitement inhumain et dégradant, du fait notamment du peu d’espace laissé en cellule à chaque personne incarcérée. Surtout, par la procédure de l’arrêt « pilote », qui s’intéresse aux problèmes structurels à l’origine des violations répétées de la Convention européenne des droits de

ñ

Quand l’Italie a été condamnée, une cellule d’une personne pouvait en accueillir trois. Ici, on compte six couchettes superposées, dans un espace très réduit.

l’homme, la Cour relève que la surpopulation représente « un problème systémique résultant d’un dysfonctionnement chronique propre au système pénitentiaire italien, qui a touché et est susceptible de toucher encore à l’avenir de nombreuses personnes ». Plutôt que de se limiter à l’examen des requêtes individuelles qui lui ont été présentées, c’est donc sur l’ensemble du système pénitentiaire italien que porte la condamnation de la CEDH. Contraignant l’Italie à agir pour remédier à la situation. Cette condamnation fait suite à un long processus d’augmentation de la population carcérale dans le pays depuis octobre 2016 / DEDANS-DeHORS N°93

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La prison traditionnellement au cœur du système pénal italien Pour Sofia Ciuffoletti, chercheuse à l’université de de droit de Florence et membre de l’association Altro Diritto, l’explosion de la population carcérale en Italie jusqu’à la fin des années 2000 reflète un système juridique et pénal entièrement tourné autour de la prison. Elle explique cette orientation par « plusieurs phénomènes endémiques en Italie », notamment la forte présence de la mafia dans certaines régions et les nombreux scandales de corruption d’acteurs politiques, qui favorisent à cette époque une « demande de prison » au sein de la société italienne. Demande relayée par les médias et certains décideurs politiques, et suivie jusqu’à récemment par la pratique des magistrats : fort recours à la détention provisoire, faible utilisation des peines alternatives à la détention. L’adoption de plusieurs mesures répressives sous les gouvernements Berlusconi avait renforcé cette tendance : durcissement des peines et restriction de l’accès aux alternatives pour les condamnés en état de récidive (loi « ex-Cirielli » de 2005), répression accrue envers les usagers de drogue (loi Fini-Giovanardi de 2006), criminalisation et marginalisation des migrants irréguliers (« paquet Maroni »). L’universitaire italien Giuseppe Mosconi * souligne aussi la fin du recours régulier aux mesures d’amnistie qui, jusque dans les années 1990, permettait ponctuellement de main-

CEDH, 2e section, 8 janvier 2013, Torreggiani et autres c. Italie, Requête n°43517/09.

(1)

(2) Conseil de l’Europe, Annual Penal Statistics, Space I, Survey 2010. (3)

Ibid

D’après les chiffres fournis par le ministère italien de la Justice.

(4)

(5) CEDH, 2e section, 16 juillet 2009, Sulejmanovic c. Italie, Req. n°22635/03 –ADL du 19 juillet 2009.

Loi 199 du 26 novembre 2010

(6)

Les prévenus représentaient 42 % de la population carcérale en 2012, d’après le chiffre retenu par la CEDH dans son arrêt-pilote.

(7)

tenir le nombre de détenus dans la limite de la capacité des

Décret-loi 78/2013 de juin 2013.

établissements pénitentiaires, à raison d’une mesure adop-

(9)

tée tous les trois ou quatre ans.

* Mosconi, Giuseppe, « Les indicateurs de la réalité carcérale en Italie, entre interventions législatives et fonctionnalités structurelles », Déviance et Société 2015/2 (Vol. 39), p. 133-150. DOI 10.3917/ds.392.0133.

les années 1990, renforcé ces dernières années par l’adoption de plusieurs lois favorisant le recours à l’incarcération (voir ci-dessus). En 2010, le nombre de détenus atteint le record de 67 961, dans un pays comptant 44 608 places (2) de prison. Le taux d’occupation des établissements pénitentiaires est alors de 153,2 % au niveau national (3), certains affichant des taux dépassant 175 voire 200 %, notamment en Calabre ou en Emilie-Romagne (4).

(8)

Communication from Italy concerning the case of Torreggiani and others against Italy (Application No. 43517/09), Action plan presented by the Italian government, Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, DHDD(2013)1368, 19 décembre 2013.

Scandurra, Alessio, « La promozione con riserva ed i numeri del carcere », in Antigone, Quadrimestrale di critica del sistema penale e penitenziario, anno IX, n°2, éd. Gruppo Abele, 2014.

(10)

Prison conditions in Italy, rapport de l’association Antigone pour le European Prison Observatory. (11)

Une surpopulation que les pouvoirs publics peinent à endiguer En juillet 2009, une requête déposée devant la CEDH par un détenu italien avait déjà entraîné une condamnation de l’Italie pour ses conditions de détention (arrêt dit Sulejmanovic) (5). La décision de la Cour avait permis de faire progressivement émerger la question dans le débat public. À la suite de cette condamnation, le gouvernement avait déclaré en janvier 2010 l’état d’urgence. Mais les mesures prises se limitaient pour l’essentiel à la construction de nouvelles

26 / DEDANS-DeHORS N°93 / octobre 2016

places de prison, et à l’adoption d’une loi (6) permettant aux personnes condamnées dont le reliquat de peine était inférieur à douze mois d’effectuer leur condamnation à leur domicile – « sans aucune autre forme d’accompagnement », relève Susanna Marietti, coordinatrice nationale de l’association de défense des droits de l’Homme en prison Antigone – le respect de leurs obligations étant assuré essentiellement par des contrôles de police, pouvant se faire à toute heure du jour ou de la nuit. Surtout la décision de la juridiction européenne avait été suivie par le dépôt de plusieurs milliers de requêtes par des détenus se plaignant de conditions de détention similaires, une vague de plaintes qui, quelques années plus tard, a incité la Cour à recourir à la procédure de l’arrêt-pilote. Dans cet arrêt, elle juge insuffisantes les mesures prises par le gouvernement italien depuis 2010. Elle note la persistance d’une surpopulation structurelle dans les prisons italiennes, à peine entamée par ces dernières mesures, et s’inquiète notamment du nombre important de personnes placées en détention provisoire (7). Constatant par ailleurs l’absence d’une voie effective de recours permettant aux personnes détenues de dénoncer leurs conditions de détention, elle enjoint au gouvernement italien d’y remédier et de créer un système de compensation (voir encadré page 28). Pour la juridiction européenne, ces voies de recours doivent permettre de réguler l’augmentation de la population carcérale dans le pays. Ce sera sa seule prescription, la Cour considérant que détailler les mesures que pourrait prendre le gouvernement italien pour mettre en œuvre sa décision dépasse le champ de ses compétences.

Des mesures immédiates Ce dernier réagit très rapidement à l’adoption de l’arrêt Torreggiani. En un an, il multiplie les mesures législatives pour se mettre en conformité avec cette décision, fidèle à la « tradition italienne d’exécution diligente des arrêts de la CEDH », analyse Sofia Ciuffoletti, cher© Antigone cheuse au sein du département juridique de l’université de Florence et membre de l’association Altro Diritto. « Mais si l’Italie joue les bons élèves, c’est parce qu’elle a conscience d’être, au départ, un très mauvais élève. » Pour la péninsule, l’enjeu est surtout politique : il s’agit de montrer la capacité du gouvernement à trouver des solutions, tant vis-à-vis de la population italienne – l’arrêt de la Cour ayant été particulièrement médiatisé –, que vis-à-vis de ses partenaires européens. Sofia Ciuffoletti souligne aussi la crainte que font alors peser les quatre mille requêtes toujours pendantes devant la Cour : si l’Italie venait à être condamnée dans chacune de ces situations, les sommes à verser


Décroissance carcérale

dossier

La portée limitée des réformes engagées tient sans doute au manque de ressources, tant humaines que financières, allouées à la probation. à titre de compensation pourraient atteindre plusieurs centaines de milliers d’euros. Alors que l’arrêt est rendu définitif en mai 2013, le ministère italien de la Justice établit dès le mois de juin plusieurs comités chargés de réfléchir à des mesures législatives contre la surpopulation et d’élaborer des propositions pour améliorer les conditions de détention. Au même moment, un premier décret-loi est adopté (8). Il supprime les peines planchers et les restrictions d’accès à des mesures alternatives pour les personnes en état de récidive, encadre d’avantage le recours à la détention provisoire, et réduit la liste des infractions appelant obligatoirement une peine de prison. En novembre 2013, le gouvernement italien soumet son plan d’action (9) au Comité des ministres du Conseil de l’Europe, chargé de veiller au suivi des jugements rendus par la CEDH. Il se décline en quatre volets: réduire le nombre d’incarcérations et promouvoir les aménagements de peine ; favoriser l’évolution du régime de détention, en permettant aux détenus de passer plus de temps hors de leurs cellules, en renforçant l’accès aux activités, notamment salariées, et les liens avec l’extérieur ; poursuivre le programme de construction de nouvelles places de prison et de rénovation des cellules vétustes, initié en 2010 à la suite de l’arrêt Sulejmanovic ; et créer un mécanisme compensatoire pour les détenus ayant fait l’objet de conditions de détention inhumaines ou dégradantes.

(12) European Prison Observatory, Reducing the prison population in Europe: do community-based sentences work?, Antigone Edizioni, Rome, Mai 2016, ISBN 978-8898688-13-5. (13) Scandurra, Alessio, op.cit.

Prison de Marassi, Gênes, 2012.

Dans ce cadre, de premières mesures sont rapidement mises en œuvre pour lutter contre la surpopulation : augmentation temporaire du nombre de jours de remise de peine accordé par trimestre de détention, allégement des peines pour les infractions mineures liées au trafic, à la production ou à la détention de stupéfiants, accès facilité aux aménagements de peine – notamment en encourageant le recours au bracelet électronique… En avril 2014, avec la messa alla prova, le législateur introduit la possibilité de demander la suspension de la procédure judiciaire lorsque la peine encourue est inférieure à quatre ans. Une mesure qui existait déjà pour les mineurs et dont les résultats se sont montrés probants. Si la suspension est accordée, le prévenu est placé sous probation et doit suivre un programme d’intérêt général, sous le contrôle des services sociaux, sans même avoir été jugé – ce qui n’est pas sans soulever des problèmes de constitutionnalité, relève l’association Antigone. Le respect des contraintes qui lui sont imposées met fin à la procédure judiciaire, permettant d’éviter de nouvelles incarcérations. Parallèlement, en février 2014, la Cour constitutionnelle déclare non-constitutionnelle la loi de 2006 qui renforçait la répression envers les usagers de drogue.

De premiers effets qui peinent à s’inscrire dans la durée Les premiers résultats sont prometteurs. À la fin de l’année 2014, les prisons italiennes comptaient près de dix-mille détenus de moins qu’au moment de l’adoption de l’arrêt de la CEDH. Les personnes prévenues ne représentaient plus que 34,5 % de la population carcérale, contre 42 % en 2012 (10). Le nombre annuel d’incarcérations a lui aussi fortement baissé, tout comme celui des personnes incarcérées pour des peines inférieures à deux ans (11). Enfin, le nombre de condamnés bénéficiant d’un aménagement de peine ou faisant l’objet d’une sanction alternative à l’incarcération a connu une forte hausse depuis 2010, du fait notamment d’un recours de plus en plus important au travail d’intérêt général (12). Pour Alessio Scandurra, membre de l’association Antigone, c’est en grande partie l’attitude favorable des magistrats face aux mesures prises qui explique ces résultats positifs (13). Il note que le nombre d’entrées en détention commence à diminuer dès 2008, soit avant que des mesures soient adoptées dans ce domaine, et attribue ce phénomène à une prise de conscience des magistrats de l’impact de leurs décisions sur les conditions de détention. Pour lui, au-delà des mesures prises, c’est ce changement d’attitude octobre 2016 / DEDANS-DeHORS N°93

/ 27


ñ

L’Italie envisage d’augmenter le recours au placement sous surveillance électronique, très utilisé en Suède notamment.

mesures ponctuelles, dont plusieurs ne devaient avoir qu’une validité limitée dans le temps, au lieu d’initier la vaste réforme qui aurait été nécessaire. À cela s’ajoute l’essoufflement de l’élan qui a accompagné les premières mesures législatives, avec le risque d’un retour à des pratiques plus répressives, notamment de la part des magistrats (15). Ainsi, malgré les premiers résultats positifs, le sentiment domine que le gouvernement italien n’a pas su profiter de l’opportunité ouverte par l’arrêt de la CEDH pour initier une véritable réflexion sur le système punitif italien et la place que doit y occuper la prison. Cette dernière reste la peine de référence, puisque les probationnaires risquent toujours l’incarcération en cas de non-respect des contraintes imposées. Cette occasion manquée s’explique en grande partie par une peur de se confronter à l’électorat italien. Sofia Ciuffoletti souligne la nécessité de remettre en question la place de la prison dans la société italienne. Pour elle, ces réformes doivent procéder d’un changement de culture de l’ensemble des parties prenantes, autorités judiciaires mais aussi police, responsables politiques et opinion publique. Ce n’est qu’en associant l’ensemble des acteurs concernés qu’il sera possible d’obtenir cette « profonde transformation de la culture de la punition » (16), que Giuseppe Mosconi considère comme un pré-requis nécessaire à une véritable évolution du système carcéral italien. n

Des voies de recours pour garantir la protection des droits La loi pénitentiaire de 1975 permettait déjà aux personnes

Ces mécanismes doivent pourtant encore faire preuve de

détenues de saisir le magistrate de surveillanza, chargé à la

leur efficacité. L’ONG Radicali Italiani dénonce ainsi l’échec

fois de l’application des peines et de la protection des droits

du mécanisme de recours compensatoire, malgré le nombre

des personnes détenues sur leurs conditions de détention.

important de requêtes déposées suite à sa création. A la

La Cour européenne, dans son arrêt de janvier 2013, constate

fin de l’année 2014, sur les 18 104 requêtes enregistrées, à

l’ineffectivité de cette voie de recours : les décisions prises

peine plus de 1 % avaient été acceptées.

par ces juges ne sont pas mises en œuvre par l’administra-

L’association l’Altro Dirritto souligne quant à elle la lon-

tion pénitentiaire, le caractère structurel du surpeuplement

gueur et la complexité des deux procédures. Pour Sofia

des établissements pénitentiaires italiens rendant cette

Ciuffoletti, ces insuffisances renvoient plus généralement

exécution impossible.

à la difficulté persistante des magistrats à se considérer

La CEDH enjoint donc au gouvernement italien de mettre

comme des « juges des droits des détenus », et à la crainte

en place deux voies effectives de recours, l’un préventif et

de déstabilisation que pourrait entraîner un ensemble de

l’autre compensatoire, ce qui est fait au travers de deux

décisions favorables aux personnes incarcérées, qui les

décrets-lois. Celui de décembre 2013 rend les décisions des

poussent à adopter une interprétation très restrictive des

magistrate de surveillanza contraignantes pour l’administration

nouvelles dispositions législatives. Ces voies de recours

pénitentiaire. Celui de juin 2014 *, permet aux détenus dont

ayant été validées par la CEDH, il reste pourtant peu pro-

les conditions de détention auront été reconnues contraires

bable que ces critiques se fassent entendre.

à la dignité humaine d’obtenir une compensation, soit sous forme de réduction de peine s’ils sont toujours incarcérés, soit sous une forme monétaire s’ils ont été libérés.

28 / DEDANS-DeHORS N°93 / octobre 2016

* Décret-loi n°92 du 26 juin 2014.

Soit 53 850 personnes incarcérées au 31 mars 2016, selon le ministère italien de la Justice.

(14)

(15) Scandurra, Alessio, op.cit.

Mosconi, Giuseppe, « Les indicateurs de la réalité carcérale en Italie, entre interventions législatives et fonctionnalités structurelles », Déviance et Société 2015/2 (Vol. 39), p. 133150. DOI 10.3917/ ds.392.0133.

(16)

© Sacha Medjedovic

© Kriminalvarden

qui a permis de faire baisser la population carcérale italienne. Mais c’est aussi la volatilité d’un tel climat qui vient nuancer la portée des réformes entreprises. Près de trois ans après l’adoption de l’arrêt Torreggiani, le bilan des mesures prises, bien que positif, reste limité. Au 1er juillet 2016, les établissements pénitentiaires italiens continuaient d’abriter plus de détenus qu’ils n’avaient de place, avec un taux d’occupation national de 108 % (14). Un chiffre qui cache là encore de fortes disparités, certaines régions affichant encore des taux d’occupation supérieurs à 130 %, comme les Pouilles, le Frioul-Vénétie julienne, et le Molise. Alors que le nombre de détenus était en baisse constante depuis six ans, il est de nouveau en hausse depuis le début de l’année 2016. Le nombre de personnes placées en détention provisoire reste, lui, particulièrement élevé. La portée limitée des réformes engagées tient sans doute au manque de ressources, tant humaines que financières, allouées à la probation. L’augmentation du recours aux aménagements de peine et sanctions alternatives à la détention n’a été ni précédée, ni suivie de moyens supplémentaires pour ce secteur. En septembre 2013, seuls 3 % du personnel de l’administration pénitentiaire y étaient dédié. Un chiffre qui n’a pas évolué depuis, d’après Susanna Marietti. Pour Sofia Ciuffoletti, le problème tient plus généralement au fait que le gouvernement s’est contenté de


États-Unis Alors que leur population carcérale a quintuplé en moins de quarante ans sous le coup de politiques de lutte contre la criminalité misant sur la sévérité des peines, les États-Unis semblent aujourd’hui recouvrer la raison. Sous l’effet de pressions économiques et d’une opinion publique de plus en plus sceptique quant à l’efficacité de ces mesures, un consensus a émergé pour considérer que ces politiques ont été coûteuses et inefficaces. Période de grâce ou début d’une transformation profonde de la politique pénale ? Il est encore trop tôt pour le dire…

La volte-face ? par Cécile Marcel

N

« Notre système de justice pénale n’est pas aussi intelligent qu’il le devrait. Il n’assure pas notre sécurité comme il le devrait. Il n’est pas aussi juste qu’il le devrait. L’incarcération de masse aggrave la situation de notre pays et il faut que cela change. » (1) Ce discours, prononcé par Barack Obama le 14 juillet 2015, symbolise l’évolution connue par les États-Unis ces dernières années, avec la remise en question de décennies de politiques qui ont mené le pays vers des taux de détention historiques et inégalés. Avec plus de 2,2 millions de prisonniers, les États-Unis comptent encore

ñ

Photographie prise à la prison de Loos.

près de 25 % de la population carcérale mondiale, alors qu’ils représentent moins de 5 % de la population totale.

Quarante ans de politiques répressives L’augmentation de l’incarcération commence au début des années 1970. Dans un contexte de forte contestation sociale, de transformation urbaine et de fragilisation de l’économie, le pays connaît alors une hausse importante de son taux de criminalité et choisit d’y répondre par plus de sévérité. L’administration Nixon engage notamment une guerre contre octobre 2016 / DEDANS-DeHORS N°93

/ 29


Quand la recherche oriente les réformes De même que la recherche a joué un rôle crucial dans la remise en

de s’assurer que les réformes mises en œuvre atteignent leurs objec-

question de l’incarcération de masse, la plupart des réformes actuelles

tifs. Au niveau fédéral, le Justice Reinvestment Initiative, un programme

trouvent leur légitimité dans des études et analyses de terrain. Ces

du ministère de la Justice financé par le Congrès, propose d’apporter

dernières années, au moins 17 États ont mis en place des groupes de

aux États qui le souhaitent une assistance technique sur la base de

travail chargés de veiller à ce que toute nouvelle mesure s’appuie sur

« pratiques fondées sur des données probantes »(2). Par ailleurs, le

les résultats de la recherche, enquêtant sur les pratiques existantes

SAFE Justice Act, projet de loi actuellement devant le Congrès et

et leur impact en termes de réinsertion et de prévention de la réci-

porté par deux sénateurs républicain et démocrate, propose une

dive et les confrontant aux stratégies qui ont fait la preuve de leur

série de mesures directement inspirées par les travaux sur la proba-

efficacité (1). L’État du Nebraska, par exemple, a financé un centre de

tion et la prévention de la récidive, et vise à réduire la surpénalisa-

recherche universitaire afin qu’il étudie et évalue une démarche

tion, à développer les alternatives à l’incarcération et la prise en

innovante incluant réduction de la population carcérale, améliora-

charge en milieu ouvert, et améliorer la préparation à la sortie.

tion des programmes de réinsertion et réallocation des économies

(1)

financières. D’autres États ont mis en place des structures chargées

Discours lors de la Conférence annuelle du NAACP.

(1)

(2) Une once équivaut à une masse comprise entre 28 et 29 grammes.

The Growth of Incarceration in the United States: Exploring Causes and Consequences, National Research Council, The National Academy Press, juillet 2014. (3)

Success-Oriented Funding: Reforming Federal Criminal Justice Grants, Brennan Center for Justice, août 2014.

(4)

(2)

Justice in Review : New Trends in State Sentencing and Corrections 2014-2015, Vera Institute of Justice, mai 2016 Bureau of Justice Assistance (BJA): Justice Reinvestment Initiative.

la drogue, qui devient « l’ennemi public numéro un ». En 1973, les lois Rockefeller, édictées dans l’État de New York, prévoient une peine automatique de quinze ans de prison minimum pour la possession de quatre onces (2) ou la vente de deux onces de marijuana, cocaïne, héroïne ou morphine. Elles serviront de modèle dans l’ensemble du pays. Les années 1980 et 1990 voient proliférer les législations étatiques qui durcissent la réponse pénale et allongent les peines de prison. On assiste à l’instauration de peines planchers pour de nombreuses infractions et à la multiplication des lois dites des « trois coups », qui prévoient une peine minimum de prison pouvant aller jusqu’à la perpétuité pour ceux qui seraient condamnés trois fois pour la même infraction – même mineure («Three strikes and you are out»). En parallèle, les possibilités de sortie anticipée sont réduites, avec le développement de dispositions législatives sur l’emprisonnement à vie et de dispositifs qui visent l’adéquation entre la peine prononcée et la peine effectuée (Truth in sen-

Michigan : le pari de la probation Dès le début des années 2000, le Michigan s’est engagé dans un processus visant à privilégier le milieu ouvert par rapport à la détention. En parallèle, l’État a pris des mesures pour abroger les peines planchers pour des infractions à la législation sur les stupéfiants, avec un effet rétroactif. Il a aussi réformé son système de libération conditionnelle afin d’en faciliter l’accès et de limiter les possibilités de révocation et a mis en œuvre un large programme de réinsertion des sortants de prison. Afin de satisfaire les besoins croissants du milieu ouvert, le gouvernement a augmenté le budget des services de probation de 20 %. Une augmentation de 36,8 millions de dollars sur la période 2006-2010 qui n’a cependant pas grevé le budget de l’État : 148 millions de dollars ont en effet pu être économisés sur le budget des prisons à la suite de la diminution de la population carcérale. Plus de vingt établissements pénitentiaires ont été fermés dans la même période *. * Realigning Justice Resources. A Review of Population and Spending Shifts in Prison and Community Corrections, Vera Institute of Justice, septembre 2012

30 / DEDANS-DeHORS N°93 / octobre 2016

tencing) et bloquent toute possibilité de libération d’une personne qui n’aurait pas purgé au moins 85 % de la durée de sa peine. Conséquence : le taux de détention passe de 161 pour 100 000 habitants en 1972 à 767 en 2007. (3)

La crise de l’incarcération de masse Ces changements législatifs, qui touchent essentiellement les populations pauvres des zones urbaines sensibles, sont également empreints de discriminations. La loi contre la drogue adoptée par le Sénat en 1986 en est l’un des symboles : elle sanctionne automatiquement de cinq ans d’emprisonnement sans possibilité de libération conditionnelle la détention de 5 grammes de crack, tandis que pour la cocaïne, la jauge est fixée à 500 grammes de poudre. La molécule est la même… mais l’épidémie de crack concerne essentiellement les ghettos afro-américains. Le coût de cette politique est considérable. Le gouvernement américain estime aujourd’hui à 80 milliards de © Joe Brusky dollars le budget dépensé chaque année dans les prisons du pays, un montant qui s’élève à 262 milliards si on inclut les frais de la justice et de la police (4). Le jeu en vaut-il la chandelle ? La crise économique de 2008 force le pays à s’interroger sur la rentabilité de ces investissements. Elle est aussi l’occasion de mettre en lumière les très nombreux travaux de recherche qui remettent en question l’efficacité de ces mesures, pointent les conséquences néfastes de l’incarcération sur la récidive, et établissent clairement que la longueur de la peine n’a pas d’effet dissuasif sur la délinquance. Des travaux qui dénoncent aussi les effets désastreux de ces politiques sur les personnes détenues, leurs familles, leurs communautés d’origine et la société en général (5).


Décroissance carcérale

Un consensus traverse alors l’ensemble de la classe politique sur la nécessité de substituer à la politique de sévérité contre la criminalité (tough on crime) une politique « intelligente » face à la criminalité (smart on crime). Tandis que de nombreux États engagent des réformes visant à réduire leur population carcérale, le gouvernement fédéral fait adopter, dès 2008, une loi sur la « deuxième chance », visant à favoriser la réinsertion des sortants de prison puis, en 2010, une loi réduisant l’écart de sanction entre l’usage du crack et de la cocaïne et abrogeant les peines planchers pour la simple possession de crack. Début 2013, le département fédéral de la Justice lance l’initiative « Smart on crime », qui encourage notamment les procureurs fédéraux à se concentrer sur les cas les plus graves et à privilégier les alternatives à l’emprisonnement en réponse aux infractions mineures ou non violentes. Enfin, une directive de la commission nationale de détermination des peines (US Sentencing commission) de juillet 2014 recommande la révision des peines pour les personnes condamnées au niveau fédéral pour des affaires de drogue. La commission considère que 46 000 personnes pourraient être concernées.

dossier

Source : Prison Policy Initiative

Transformer l’essai Depuis 2008, le taux de détention des États-Unis est passé progressivement de 755 à 693 pour 100 000 habitants (6). Sur les 50 États du pays, 28 ont réduit leur population carcérale, pour certains dans des proportions importantes,

frôlant ou dépassant les 20 %. 27 d’entre eux ont, dans le même temps, connu une baisse de leur taux de criminalité (7). La multiplication des initiatives visant à réduire les taux d’incarcération et à développer l’accompagnement en milieu ouvert, l’appétence des responsables politiques de tous bords à chercher de nouvelles solutions, sont autant de signes positifs. Mais, pour réparer les dégâts causés par quarante ans d’une politique exclusivement punitive et discriminatoire envers les couches sociales les plus défavorisées, il faut que le changement de discours donne lieu à une transformation profonde de la culture pénale du pays. « Nous sommes seulement au début de ce processus et il faut nous assurer que nous nous y tiendrons », avertissait Barack Obama dans son discours du 15 juillet 2015, en traçant la voie des réformes à venir. Et qu’il faut désormais mettre en œuvre… n

(5) Voir notamment : The Growth of Incarceration in the United States: Exploring Causes and Consequences, op.cit.

Source : World Prison Brief

(6)

Update: Changes in State Imprisonment, Brennan Center for Justice, New York University School of Law

(7)

Manifestation appelant à la fin de l’incarcération de masse, 1er janvier 2014.

ï

octobre 2016 / DEDANS-DeHORS N°93

/ 31


« Les États sont de véritables laboratoires d’innovation »

à

À partir de quand et dans quel contexte le mouvement sur la fin de l’incarcération de masse a-t-il émergé ? Ram Subramanian : Les premières remises en question ont commencé dès la fin des années 1990, certains États choisissant d’assouplir la législation sur les peines automatiques. Mais un tournant décisif a été marqué au moment de la récession de 2008. Dans un contexte de restriction budgétaire, une attention toute particulière a été apportée aux montants colossaux qui étaient engloutis par le système pénitentiaire. On assistait dans le même temps à un glissement de l’opinion publique, de plus en plus critique vis-à-vis d’un taux de récidive très élevé, plusieurs décennies de recherche ayant démontré que la prison n’était pas efficace. Aujourd’hui, la question carcérale est devenue un sujet de société important avec à la fois une prise de conscience de l’opinion et une transformation des discours politiques. Comment s’explique cette évolution de l’opinion publique ? La baisse de la criminalité – et en particulier la criminalité violente – qui avait atteint un pic dans les années 1990, a été un facteur majeur de l’évolution de l’opinion publique. Surtout, il faut avoir en tête l’étendue de la portée du système carcéral sur la société américaine. Il y a chaque année autour de 12 millions d’incarcérations ; actuellement, 2,2 millions de personnes sont détenues dans les établissements pénitentiaires du pays et près de 5 autres millions sont soumises à un contrôle en milieu ouvert. Cela affecte forcément leurs familles et leurs communautés. Avec l’incarcération de masse, la prison n’est plus quelque chose de lointain : avoir été incarcéré ou connaître quelqu’un qui l’a été est loin d’être inhabituel.

32 / DEDANS-DeHORS N°93 / octobre 2016

Recueilli par Cécile Marcel © DR

Surtout pour les minorités contre la criminalité était très raciales, qui constituent politisée et les partis se 60 % de la population carlivraient à une véritable surencérale… chère à qui allait être le plus La question raciale et de lutte sévère. Mais la situation a contre les discriminations complètement changé. Avec joue évidemment un rôle la prise de conscience de essentiel. Il ne se passe mall’échec des politiques passées heureusement pas une et de la nécessité de proposer semaine sans qu’un jeune autre chose, les responsables homme noir ne se fasse tuer politiques se tournent de plus Ram Subramanian est par la police. L’ampleur de en plus vers les experts pour juriste pour le Vera Instices événements est considéles aider à trouver des solutute of Justice. Il est l’auteur de nombreux rapports rable. D’autant que nous vivons tions rentables financièrement sur les politiques pénales désormais dans une société et plus efficaces pour améet pénitentiaires aux Étatsde l’image et de l’immédiateté. liorer la sécurité publique. Et Unis, dont une étude parue en mai 2016 sur « Les nouEn parallèle, on a assisté ces étonnamment, les États les velles tendances dans les dix ou quinze dernières années plus conservateurs – qui ont pratiques pénales et correctionnelles des États, à une évolution des pratiques traditionnellement porté à 2014-2015 » (1) . liées à l’usage de stupéfiants. leur tête des élus républicains La consommation d’héroïne partisans de plus de fermeté –, est devenue un vrai problème et la question ont même plutôt été à l’avant-garde du moudes drogues affecte désormais différents pans vement depuis 2006-2007. Cela s’explique de la société, entraînant un changement de aussi parce que l’idée d’une deuxième chance, ton sur les réponses pénales à y apporter. La d’une possible rédemption, résonne tout mobilisation de la société civile a également particulièrement chez une partie de l’électoété cruciale. Sans elle, je ne pense pas, par rat conservateur assez religieuse. exemple, que la loi sanctionnant l’usage de crack et de cocaïne aurait été modifiée. Les Quelles sont dès lors les principales mesures campagnes de plaidoyer menées par les orgaprises pour lutter contre l’incarcération nisations militantes ont aussi permis de de masse, au niveau fédéral comme au médiatiser des histoires incroyables, d’humaniveau des États ? niser les personnes incarcérées, mais aussi Il y a au niveau fédéral beaucoup de discusde montrer tous ceux qui échappent au sys- sions et de bonne volonté de la part des deux tème bien qu’ayant violé la loi (2). partis politiques mais peu de changements. Le véritable laboratoire d’innovation se situe En France, le débat sur la prison est sou- en fait au niveau des États. Les choses ont vent ramené à une opposition entre une vraiment commencé à bouger après 2008 droite ferme et une gauche qui serait et ont connu un emballement ces cinq derlaxiste. Aux États-Unis, cette question nières années, touchant la quasi-totalité des semble désormais transcender les cli- États. Dans notre rapport (3), nous relevons vages politiques. Comment l’expliquer ? que, rien que sur les deux dernières années, Dans les années 1980, la question de la lutte 46 d’entre eux ont engagé des réformes. Une


Décroissance carcérale

des principales évolutions concerne l’usage des drogues et est issue d’un questionnement sur qui doit aller en prison et qui devrait être pris en charge autrement. Les gens savent maintenant que la prison est intrinsèquement criminogène et qu’il faut lui privilégier le soin. De nombreux États ont donc modifié leur législation pour assouplir les sanctions concernant l’usage des stupéfiants. Parallèlement, on assiste au développement de tribunaux spécialisés, qui détournent les personnes dépendantes auteures d’infractions à la législation sur les stupéfiants du système pénal classique pour proposer une prise en charge pluridisciplinaire dans la communauté. Ces tribunaux se multiplient actuellement dans tout le pays et s’ouvrent, au-delà de l’usage des stupéfiants, à la prise en charge des auteurs d’infractions qui ont des besoins spécifiques, comme les personnes atteintes de maladies mentales. De même, les Vétérans, qui constituent 10 % de la population carcérale et sont susceptibles de combiner des troubles psychiques, d’addiction et d’insertion, sont de plus en plus redirigés vers des tribunaux spécialisés. L’autre principal mouvement de réforme concerne la remise en question des peines automatiques afin de privilégier une réponse individualisée, en

fonction de la personne et non de l’infraction qu’elle a commise. Beaucoup d’États abrogent leur législation sur les peines automatiques ou les assouplissent pour donner plus de latitude aux juges.

Votre rapport pointe également les réformes concernant la prise en charge des sortants de prison. Oui, il y a un mouvement important autour des questions de réinsertion. Puisque 97 % des personnes qui sont envoyées en prison vont en ressortir, il est important de savoir quelle sorte de personnes nous voulons voir revenir dans la société. Il y a un foisonnement de lois et règlements qui freinent la réinsertion des sortants de prison, par exemple en leur bloquant l’accès à un emploi ou à un logement, favorisant ainsi la récidive. De nombreux États prennent des mesures pour lever ces obstacles et engagent par ailleurs des réformes visant à soutenir la réinsertion des sortants de prison par une prise en charge sociale accrue, des programmes d’accompagnement à la sortie, un accès facilité à l’emploi, à une protection sociale, à l’exercice des droits civiques, au maintien des liens familiaux, etc. C’est même une préoccupation que l’on retrouve désormais dès l’entrée en

dossier

prison, avec une meilleure prise en compte des conditions de détention, l’augmentation des programmes éducatifs, la remise en question de l’isolement (4), etc.

Quelles mesures considérez-vous comme les plus efficaces ? Les mesures qui ont l’effet le plus immédiat sont celles qui modifient la législation et ont un effet rétroactif permettant de réviser les peines prononcées, comme cela s’est fait en Californie (voir encadré page 34). Mais il ne suffit pas de changer la loi, encore faut-il que les acteurs de la chaîne pénale l’exécutent. Les États qui sont parvenus à réduire leur population carcérale de manière pérenne ne sont pas forcément ceux qui ont engagé de profondes réformes législatives mais ceux qui sont parvenus à faire évoluer les pratiques ; celles de la police, des juges et des procureurs, qui se situent en amont de l’incarcération, mais aussi des structures chargées de la prise en charge des personnes en milieu ouvert. Quels sont les obstacles aux réformes ? Comment expliquer notamment que certains États continuent de voir leur population carcérale augmenter ? On parle de 52 pays avec des réalités et des octobre 2016 / DEDANS-DeHORS N°93

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Californie : agir sur tous les fronts Entre 2006 et 2014, le nombre de personnes détenues a diminué de

de 25 ans de prison. En novembre 2014, les Californiens adoptent

27 % en Californie, passant de 173 942 à 136 088 *. Le résultat de fac-

ensuite la proposition 47, toujours par le biais d’une initiative citoyenne.

teurs combinés alliant jurisprudence, propositions de loi d’initiative

Elle requalifie en délit une série d’infractions considérées jusque-là

citoyenne et réformes législatives. En 2011, dans l’affaire Brown vs.

comme des crimes, avec un effet rétroactif qui permet la révision des

Plata, la Cour Suprême des États-Unis juge que les conditions de

peines prononcées. En moins d’un an, 13 000 personnes sont remises

détention dans les prisons californiennes surpeuplées relèvent d’une

en liberté. La législation sur les stupéfiants est également assouplie :

« punition cruelle et inhabituelle » contraire à la constitution. Elle

elle requalifie en délit – et non plus en crime – la possession de drogue

somme l’État de ramener la densité carcérale de 200 % à 137,5 % dans

à usage récréatif et prévoit le paiement d’une amende plutôt qu’une

les deux ans. En octobre, le parlement adopte la loi sur le « réaligne-

peine de prison pour la possession de 28,5 grammes ou moins de

ment », qui réduit l’échelle des peines, revoit la qualification de cer-

marijuana. Dans le même temps, la Californie multiplie les mesures

tains crimes, et renvoie des délinquants considérés comme non dan-

visant à faciliter l’accès à la libération conditionnelle, introduit des

gereux vers les prisons de comté ou le milieu ouvert. En novembre

tribunaux spéciaux destinés à prendre en charge les personnes avec

2012, une première initiative citoyenne entraîne l’adoption d’un texte

des besoins spécifiques en dehors du système pénal et développe des

– la proposition 36 – qui réduit le champ d’application de la loi des

programmes de prise en charge des personnes détenues (voir carte).

grave ou violente pour déclencher le prononcé d’une peine minimum

* Les chiffres officiels du Bureau of Justice and Statistics n’incluent pas les personnes détenues dans les prisons de comtés (jails). Source : Update : Changes in State Imprisonment. Brennan Center for Justice.

cultures très différentes. Mais effectivement, certains États se sont engagés dans un processus de réformes et continuent néanmoins d’avoir une population carcérale qui augmente. Il se peut que les réformes n’aillent pas assez loin. Pour ceux qui n’ont pas adopté de législation avec un effet rétroactif, il peut aussi être trop tôt pour mesurer l’impact des réformes, d’autant qu’il faut du temps pour faire évoluer les pratiques. La résistance de certains acteurs de terrain et la pression des lobbys peuvent également constituer des obstacles importants. Certains États ont par exemple réduit leur population carcérale mais les coûts du système pénitentiaire n’ont pas baissé pour autant. En effet, les salaires des personnels représentent le principal budget des prisons et, pour réduire les frais, il faudrait licencier. Or, les syndicats pénitentiaires ont un poids important et ont souvent passé des accords avec les Etats qui non seulement empêchent les licenciements, mais parfois aussi prévoient des augmentations de salaires. À ce sujet, la manière dont le gouvernement fédéral projette, dans le cadre du programme de « Réinvestissement de la justice » (5) de faire des économies financières, laissant de côté les arguments de principe ou moraux, n’est d’ailleurs pas sans poser problème. Si

les économies escomptées ne sont pas au rendez-vous, qu’est-ce qui empêchera les États concernés de faire machine arrière ? Enfin, on n’est jamais à l’abri qu’un crime horrible suscite une réaction populaire propre à mettre en échec une tentative de réforme.

Vera Institute of Justice : «Justice in Review : New Trends in State Sentencing and Corrections 2014-2015 », Rebecca Silber, Ram Subramanian, Maia Spotts, mai 2016. (2) Voir par exemple la campagne “Nous sommes tous des criminels” : http://www.weareallcriminals.org/ (3) Vera Institute of justice, op. cit. (4) L’isolement, consistant à maintenir une personne 23 heures sur 24 seule en cellule, pour des périodes pouvant aller de quelques

jours à des décennies, a été utilisé de manière croissante aux États-Unis, au point de toucher près de 20 % de la population carcérale. De nombreux travaux de recherche ont pointé les conséquences extrêmement néfastes de cette forme de détention sur l’état psychique des personnes qui y sont soumises. (5) Le Justice Reinvestment Initiative est un programme mis en place en 2010 par le ministère de la Justice qui vise à apporter une assistance technique aux États et collectivités qui souhaitent, sur la base d’une analyse scientifique, réformer

(1)

34 / DEDANS-DeHORS N°93 / octobre 2016

Quelles sont les limites que vous voyez aux réformes engagées ? Certains États prétendent avoir diminué leur population carcérale en augmentant le suivi en milieu ouvert mais il est important de s’interroger sur le type de suivi mis en place. Il peut s’agir d’accueillir des personnes dans des structures d’hébergement qui restent des lieux de confinement et ressemblent en fait à des « mini prisons ». Certaines personnes souffrant d’addiction peuvent par exemple être prises en charge dans des institutions médicalisées alors qu’un traitement en consultation externe suffirait, ou y restent pour des périodes plus longues que nécessaire. Se pose dès lors la question de savoir si on n’est pas en fait en train de continuer à augmenter la population pénale, sous un autre nom. Sinon, la question cruciale, à laquelle personne ne veut s’atteler, est de savoir ce que l’on fait des personnes condamnées pour des crimes violents. Cette catégorie de détenus est systématiquement

exclue des critères d’éligibilité permettant de bénéficier des réformes engagées. Dans certains États, elle représente pourtant plus de la moitié de la population carcérale. Une partie du problème réside dans la définition des « crimes violents », qui est extrêmement large et élastique (6) si bien qu’une personne peut être condamnée pour un crime violent sans en fait avoir commis de violence ni blessé qui que ce soit... Les mesures qui sont prises actuellement vont permettre de réduire la population carcérale dans une certaine limite, mais finiront par se heurter à cette question. Il nous faudra donc y trouver des solutions.

Quels enseignements d’autres pays peuventils tirer de ce qui se passe actuellement aux États-Unis ? Ce que l’on peut apprendre à des pays comme la France ou l’Australie, qui semblent être sur le point de prendre un tournant répressif similaire à celui qu’ont pris les États-Unis il y a quelque temps, c’est essentiellement que ça ne marche pas. À court terme, cela apportera peut-être des succès politiques mais à long terme, cela ne résoudra pas le problème. Cela pourra même l’aggraver et entraîner des dépenses que vous aurez de moins en moins envie d’engager. n leur système correctionnel afin d’en réduire les coûts et d’en améliorer l’efficacité. (6) La définition d’un « crime violent », appelant une sanction particulièrement lourde, varie selon les États. Ainsi, peut être considéré comme un crime violent la « tentative d’agression », sans contact physique, ou le simple « acte intentionnel faisant craindre à une personne une violence imminente ». Voir « Defining violence: Reducing Incarceration by Rethinking America’s Approach to Violence », Justice Policy Institute, août 2016.

© CGLPL

« trois coups » : la troisième infraction commise doit désormais être


DÉCRYPTAGE Vingt-deux ans après la réforme de la santé en prison, qui prévoit un accès aux soins équivalent à celui de la population générale, un récent rapport dresse un nouvel état des lieux de la prise en charge sanitaire en détention. Chargées d’évaluer le plan d’action stratégiques 2010-2014 relatif à la politique de santé des personnes placées (1) sous main de justice , les inspections générales des affaires sociales (IGAS) et des services judiciaires (IGSJ) pointent de nombreuses carences dans son application.

Prise en charge sanitaire des détenus

Nouvel état des lieux accablant par François Bès

E

« En dépit des progrès réalisés depuis 1994, des conditions dégradées, en termes de locaux et de personnels, et les enjeux de sécurité notamment lors des extractions médicales, font que, de fait, le patient peut être amené à s’effacer derrière le détenu. » Voilà qui résume assez bien la problématique sous-jacente aux nombreux défauts constatés par les inspections générales des affaires sociales (IGAS) et des services judiciaires (IGSJ) dans la prise en charge

ñ

Un détenu reçoit des soins, entravé, sous l’œil d’un surveillant.

sanitaire des détenus. Dans leur dernier rapport, rendu public fin mai, elles pointent les limites au « respect du secret médical » en prison, et évoquent la tension entre « exigences de sécurité et d’éthique de la prise en charge sanitaire ». Inventaire des problèmes soulevés.

Une offre de soins disparate et insuffisante Pour commencer, les unités sanitaires sont « globalement octobre 2016 / DEDANS-DeHORS N°93

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DÉCRYPTAGE

IGAS et IGSJ appellent à une meilleure connaissance de l’état de santé des détenus. Posant le constat que cette connaissance était lacunaire et « anormalement ancienne », le plan d’action stratégique 2010-2014 relatif à la politique de santé des personnes placées sous main de justice érigeait déjà « en priorité » son amélioration, afin de mieux identifier les moyens nécessaires aux unités sanitaires. Les ministères ne disposaient en effet que d’une enquête sur l’état de santé des entrants datant de 2003, et d’une autre sur la prévalence des troubles psychiatriques datant de 2004. La mise en place, toujours en 2010, d’un « Observatoire des structures de santé des détenus » (Ossd) devait permettre une meilleure vision des moyens réels des unités sanitaires et de leur activité. Des « états des lieux ponctuels », sur les locaux des unités sanitaires, la prévention du suicide, les dépistages des cancers féminins et de la tuberculose et les traitements de substitution aux opiacés et au tabac ont été réalisés. Des rapports salutaires, qui restent toutefois largement insuffisants. En 2014, l’Institut de veille sanitaire (InVS), dans son état des lieux « des connaissances sur la santé des personnes détenues en France et à l’étranger », préconisait que des enquêtes soit réalisées « tous les cinq ans minimum ». Elle recommandait également l’intégration du milieu carcéral dans les enquêtes nationales sur la santé, la nécessité d’une nouvelle « enquête spécifique sur la santé mentale » et la mise en place d’ « un suivi épidémiologique, lequel requiert comme préalable la généralisation de l’informatisation des unités sanitaires ». Des recommandations renouvelées par l’IGAS et l’IGSJ. Sur la question particulière des décès en détention, la mission préconise également que des examens de situation soient systématiquement menés. Outre les cas de suicide et les homicides, 510 personnes sont mortes en prison entre 2010 et 2014 *. Ces décès, susceptibles de révéler des problèmes de prise en charge médicale, de gestion de l’urgence, ou encore d’extractions médicales, n’ont pourtant pas fait l’objet d’études approfondies, le Pôle santé de la DAP ayant indiqué à l’IGAS et l’IGSJ « ne pas disposer d’un protocole formalisé d’analyse et d’exploitation statistique » à ce sujet. De plus, « faute d’analyse », il est impossible « de déterminer si des personnes sont décédées alors qu’elles avaient demandé une suspension de peine ». Les inspections préconisent que dorénavant les agences régionales de santé soient informées de chaque décès par les DISP et se fassent communiquer par les hôpitaux de rattachement « un état de la prise en charge sanitaire de la personne détenue décédée ». * Source DAP : 126 décès en 2010, 95 en 2011, 108 en 2012, 97 en 2013 et 84 en 2014

36 / DEDANS-DeHORS N°93 / octobre 2016

Consultable sur bit.ly/2dZmZXm

(1)

(2) Recommandations de l’Agence Nationale d’Appui à la Performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP) (3) 277 chambres sécurisées en France en 2015 selon la DGOS, « dont moins d’un quart avait fait l’objet d’un financement des travaux de sécurisation et ainsi d’une reconnaissance par le ministère de la Justice ». (4 ) En 2014, 60% des hospitalisations y étaient réalisées avec le consentement de la personne. Les psychiatres rencontrés par la mission estiment que la majorité des personnes détenues hospitalisées en psychiatrie ne relèvent pas de soins sous contrainte. Ils soulignent aussi l’importance de l’adhésion aux soins et de la construction d’un projet thérapeutique avec le patient.

En 2014, 60 % des hospitalisations y étaient réalisées avec le consentement de la personne. Les psychiatres rencontrés par la mission estiment que la majorité des personnes détenues hospitalisées en psychiatrie ne relèvent pas de soins sous contrainte. Ils soulignent aussi l’importance de l’adhésion aux soins et de la construction d’un projet thérapeutique avec le patient.

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sous-dotées », avec des surfaces de locaux de 30 à 40 % inférieures aux besoins (2). Dans vingt établissements « prioritaires », les travaux « n’ont pas débuté faute de financement ». Le doublement des effectifs de soignants, entre 1997 et 2013, s’est malheureusement vu partiellement atténué par l’augmentation de plus de 25 % du nombre de détenus. S’ajoutent à cela de « fortes » difficultés de recrutement de soignants. Pourtant budgétés, 22 % des postes de spécialistes et 15,5 % des postes de psychiatres ne sont pas pourvus. Vingt-et-une unités sanitaires fonctionnent avec moins de la moitié des effectifs de dentistes prévus, certaines en ayant même été totalement privées « pendant plusieurs mois ». La télémédecine, qui apparaît à la mission « nécessaire et pertinent[e] » pour pallier les difficultés dans certaines disciplines, ne peut pour autant être « qu’une modalité complémentaire d’accès aux soins » dont « l’économie présumée de temps ou de nombre d’extractions médicales n’est pas systématique, surtout rapportée au coût d’investissement ». En outre, la permanence des soins la nuit et le week-end, qui devrait garantir un contact direct du détenu malade avec le médecin régulateur du centre 15, n’est toujours pas assurée dans la plupart des établissements pénitentiaires.

« Réticence chronique » des détenus à se rendre à l’hôpital Pensées à l’origine pour offrir « une prise en charge satisfaisante » et de meilleures conditions d’hospitalisation que celles offertes dans les chambres sécurisées des hôpitaux de rattachement, les huit unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI) s’avèrent sous-utilisées. Un taux d’occupation de 59 % en 2014 qui s’explique d’une part par la « réticence chronique » des détenus à s’y rendre en raison de conditions de détention « plus difficiles » qu’en prison (éloignement des familles, absence d’espace de déambulation à l’air libre, impossibilité de fumer), et d’autre part par « des plateaux techniques limités ». Nombre d’hospitalisations restent effectuées dans les hôpitaux de rattachement en chambres sécurisées (3), dans des conditions également mal vécues : les détenus, gardés par la police, ne peuvent sortir de leur chambre et sont généralement privés des visites de leurs proches. Là encore, le rapport relève un faible taux d’occupation (moins de 20%), expliqué par des difficultés dans l’organisation de la garde et des transferts intrahospitaliers des patients. Le bilan des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) est en revanche jugé « positif » par la mission IGAS-IGSJ, qui « plaide pour la poursuite de leur déploiement » (4). Un déploiement jugé « d’autant plus indispensable » que les hospitalisations hors UHSA sont effectuées « en hospitalisation d’office au centre hospitalier spécialisé (CHS) de rattachement, voire en unités pour malades difficiles », dans des conditions « que la seule qualité de per-

© Grégoire Korganow / CGLPL

Améliorer les connaissances sur la santé des détenus


d’activités thérapeutiques), la durée moyenne d’hospitalisation est de 45 jours, et les taux d’occupation oscillent entre 82 et 93 %. Les inspections notent néanmoins que la poursuite du programme de création d’UHSA doit s’accompagner « de l’amélioration de l’offre de soins ambulatoires et de celle des hospitalisations de jour, insuffisamment développées ». Par ailleurs, face au constat du peu d’aménagements de peine pour raisons psychiatriques, IGAS et IGSJ craignent que les UHSA aient de plus en plus « vocation à accueillir des détenus atteints de lourdes pathologies pour la totalité de leur peine » et deviennent ainsi un « lieu d’exécution de peine pour malades mentaux ». Sur ce dernier point, la mission s’interroge par ailleurs, « d’un point de vue éthique, comme du point de vue de la qualité de la prise en charge sanitaire », sur la « place en prison des personnes atteintes de troubles mentaux d’une particulière gravité, en particulier si la pathologie prive l’intéressé de la conscience même qu’il purge une peine ». Elle précise que « cette question vaut tant pour les condamnés que pour les prévenus, notamment lorsqu’ils sont dans l’attente d’une éventuelle déclaration judiciaire d’irresponsabilité pénale après qu’une expertise psychiatrique a conclu à l’abolition du discernement ».

Des aménagements de peine pour raison médicale peu prononcés

sonne détenue ne justifie pas ». En outre, les hospitalisations en CHS, de quelques jours, permettent « de traiter une crise mais pas d’engager un protocole de soins », le détenu étant ensuite renvoyé en prison « sans nécessairement avoir été stabilisé ». L’hospitalisation se déroule « en chambre d’isolement », et souvent « sous contention ». Les malades n’ont généralement pas accès aux espaces collectifs ni aux activités thérapeutiques. Par contraste avec les CHS, la mission identifie « quatre points forts » chez les UHSA : « unique structure permettant l’hospitalisation des détenus avec leur consentement » (5), où « la prééminence [est] donnée aux soins », les patients circulent librement dans les espaces communs (bibliothèque, cour de promenade, réfectoire et salles

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La permanence des soins la nuit et le weekend n’est pas assurée dans la plupart des établissements.

Rendues plus nécessaires encore par la pénurie de spécialistes, les sorties pour consultations et soins se déroulent généralement sous forme d’extractions médicales, lors desquelles l’usage de menottes et d’entraves est « très largement généralisé ». Afin de garantir « le respect de la dignité et du secret médical », IGAS et IGSJ recommandent une diminution des extractions, « lourdes et coûteuses », au profit d’une « utilisation plus large des permissions de sortie pour raison médicale ». Egalement applicables pour motif médical et garantissant de « meilleures conditions » d’accès aux soins, les aménagements de peine classiques sont malheureusement « peu prononcés ». Il en va de même pour les suspensions de peine et les remises en liberté pour raison médicale, « améliorées par la loi du 15 août 2014 », dont l’« application demeure imparfaite » et la procédure mal connue, « a fortiori pour troubles psychiatriques ». Nombre des psychiatres rencontrés par octobre 2016 / DEDANS-DeHORS N°93

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existe en prison, la mission regrette que ce phénomène « massif », « enjeu de santé publique mais également de réinsertion », n’ait pas été « suffisamment pris en compte par le plan ». Face au tabagisme, également « massif », l’accès à un encellulement non-fumeur n’est toujours pas garanti. La mission demande donc la reconnaissance de ce droit.

Une affiliation à la sécurité sociale « ni automatique, ni fluide » Obligatoire, l’affiliation au régime général de la sécurité sociale à l’entrée en détention ne s’avère pourtant « ni automatique, ni fluide », le recueil d’informations et leur transmission à la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM)

Des méthodes de prévention à généraliser et uniformiser

soulevant « des difficultés opérationnelles récurrentes ». IGAS et IGSJ préconisent donc qu’au lieu d’une affiliation obligatoire et systématique à la CPAM du lieu de détention de tous les arrivants, le maintien des couvertures préexistantes à l’incarcération soit rendu « possible et consolidé », ce qui permettrait de recentrer l’action « sur les personnes sans couverture sociale au moment de l’incarcération ». Le maintien des droits préexistants permettrait en outre de faciliter la sortie, « notamment des personnes effectuant des courtes peines », du fait qu’elles auraient conservé l’affiliation qu’elles avaient avant la détention.

la mission « ignoraient » ces dispositions de la loi, et aucune libération ou suspension de peine pour raison médicale liée à l’état de santé mentale n’a été prononcée depuis son entrée en vigueur.

L’accès aux outils de réduction des risques toujours pas effectif S’il a augmenté, passant de 2 % en 1998 à 9 % en 2013, l’accès aux traitements de substitution aux opiacés (TSO) « ne s’effectue pas de la même manière qu’en milieu libre ». Le secret médical est « mis à mal », les horaires de dispensation des TSO étant connus de tous. L’échange de seringues en prison s’est vu régulièrement différé « alors que des expérimentations étaient envisageables ». Votée en 2016, la loi de modernisation du système de santé (6) devrait enfin permettre à cette mesure d’être « progressivement déployée » en prison. Rappelant par ailleurs que « les condamnations liées à l’alcool sont parmi les plus fréquentes (7) », et que sa consommation, bien qu’interdite,

Article L.34118-IV : La politique de réduction des risques et des dommages s’applique également aux personnes détenues, selon des modalités adaptées au milieu carcéral.

(6)

(7 ) En 2013 une condamnation sur six faisait suite à une conduite en état alcoolique.

Le plan 2010-2014 a « incontestablement posé les jalons d’une politique organisée de prévention en milieu carcéral ». La mission note un effort « significatif » sur la production de référentiels d’intervention, mais déplore que la promotion de la santé repose sur une multiplicité de projets locaux à l’impact « limité », encadrés « par un nombre toujours plus grand de comités ad hoc mais ne [bénéficiant] qu’à peu de personnes détenues ». La prévention gagnerait en outre « à s’appuyer sur une meilleure participation des personnes détenues à la définition des projets » [à ce sujet, lire pages suivantes]. Les dépistages du VIH et des hépatites sont désormais systématiquement proposés, ce qui n’est pas le cas de maladies sexuellement transmissibles telles que syphilis, chlamydiae, gonocoque ou herpès. Les actions prévues pour améliorer la prévention des risques sexuels et « réunir les conditions du maintien d’une vie affective et sexuelle » n’ont été que « partiellement mises en œuvre ». L’accès aux préservatifs et lubrifiants n’est toujours pas généralisé, et seuls les UVF et les parloirs familiaux, dont le nombre est encore très limité, « autorisent l’intimité des relations et des conversations ». La mission note par ailleurs que le dépistage de maladies telles que le cancer colorectal et les cancers féminins du col de l’utérus et du sein est encore « perfectible ». En matière de prévention du suicide, les inspections estiment enfin que « la prise en charge des personnes à tendances suicidaires ne doit pas se limiter à la mise en place de mesures de surveillance passive mais doit permettre une réponse aux difficultés rencontrées par la personne détenue et la construction d’un plan individuel de protection destiné à agir sur les déterminants de la souffrance ». n

Placements en chambre d’isolement, mesures de contention… Pour les inspections, les hospitalisations sont souvent effectuées dans des conditions « que la seule qualité de personne détenue ne justifie pas ». 38 / DEDANS-DeHORS N°93 / octobre 2016


ils innovent

Soignants, surveillants et détenus ensemble pour améliorer la santé Depuis janvier 2015, Irène Aboudaram, de Médecins du monde, coordonne un programme expérimental au centre de détention pour hommes et à la maison d’arrêt des femmes du centre pénitentiaire de Nantes, dans lequel soignants, membres de l’administration pénitentiaire et détenus travaillent ensemble à améliorer l’accès aux soins et la santé dans la prison.

Recueilli par Olivia Moulin

L

Comment est né le programme expérimental que vous coordonnez ? Irène Aboudaram : Il s’inscrivait dans une réflexion menée par Médecins du monde (MdM) au niveau national. On se demandait s’il était pertinent d’intervenir en prison, de la même façon que nous le faisons ailleurs, sans se substituer au droit commun, afin d’étudier dans quelle mesure les personnes détenues rencontraient des difficultés ou des obstacles spécifiques en matière de santé. On est donc allés poser la question aux équipes médicales du centre pénitentiaire de Nantes, l’unité de consultation et de soins ambulatoires (UCSA) et le service médico-psychologique régional (SMPR). Au début, il n’était pas évident de voir quelle place pourrait prendre MdM au regard de l’offre de soins. Mais nos interlocuteurs ont rapidement perçu quelle pourrait être la valeur ajoutée d’une association telle que la nôtre, notamment pour travailler sur les obstacles que les personnes détenues rencontrent dans l’accès aux soins. On a donc défini avec eux les grandes lignes d’un projet pour résoudre ces problèmes, sans pour autant arriver devant l’administration pénitentiaire (AP) avec un programme tout fait. On tenait vraiment à adopter une démarche communautaire impliquant réellement les personnes détenues. En quoi consiste cette démarche ? Il s’agit de placer les détenus au cœur du

dispositif, au lieu de les cantonner à un rôle participatif, et de reconnaître leurs compétences et leur légitimité à réfléchir à ce qui est approprié pour eux. On constate vite à quel point les personnes détenues sont infantilisées, sans aucune possibilité d’agir en autonomie... Nous avons donc proposé au directeur du centre pénitentiaire de travailler tous ensemble pour construire des solutions adaptées, pérennes et acceptables par tous, et il nous a donné son accord. Nous intervenons auprès des femmes de la maison d’arrêt et des hommes du centre de détention, et organisons des ateliers de travail avec les volontaires. Nous sommes rapidement passés d’un à deux ateliers par semaine avec les femmes, face au succès du programme : 25 participantes sur 37 détenues ! C’est au cours de ces ateliers qu’émergent les thèmes sur lesquels on va travailler ensuite, de façon à coller au plus près de la réalité en prison.

Comment vous positionnez-vous par rapport à l’administration ? Avec l’AP, nous avons été très clairs sur le fait que nous n’étions pas dans une logique de dénonciation, mais que nous n’aurions ni tabous ni limites : comme on a une vision très large de la santé, on ne parle pas seulement du VIH, de l’alimentation et du sommeil, on s’intéresse aux rapports avec les surveillants, aux dysfonctionnements…

© DR

Irène Aboudaram , coordinatrice chez

Médecins du Monde.

à tout ce qui peut avoir un impact sur la santé. Et nous sommes tenaces : dès qu’on identifie un problème, on le met sur la table et on ne lâche pas !

Et par rapport aux soignants et aux détenus ? Du côté des soignants, le projet a été conçu dès le départ avec le SMPR et l’UCSA, ce qui a facilité l’acceptation d’un acteur extérieur. Il a fallu du temps pour que chacun puisse s’approprier le programme, soit rassuré sur la place de l’association. Aujourd’hui, on travaille vraiment ensemble en respecoctobre 2016 / DEDANS-DeHORS N°93

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Quels sont les principaux problèmes de santé mis en avant par les détenus ? En fait, ils ont spontanément eu bien plus envie de travailler sur les obstacles rencontrés que sur des problèmes de santé spécifiques. Le premier, c’est que la détention et les enjeux de sécurité en particulier parasitent la relation avec les soignants. Comment parler de la sexualité alors qu’on n’est pas censé en avoir ? Comment faire un test de dépistage du VHC et donc parler de la consommation de produits illicites quand on a peur de se faire sanctionner ? Comment investir un psychologue quand on a peur d’être fiché suicidaire ? Certains détenus renoncent à se faire soigner à l’extérieur,

40 / DEDANS-DeHORS N°93 / octobre 2016

ou le font tardivement, parce qu’ils ne veulent pas se faire escorter : ils ne savent pas qu’ils ont le droit de demander une permission médicale. Les ateliers leur ont ainsi donné l’idée de réaliser un journal de la santé afin de diffuser les informations obtenues à tous les détenus. Le premier exemplaire, sorti avant l’été, parle notamment des extractions et des permissions médicales et le second devrait traiter des médicaments. L’autre problème, c’est qu’il y a beaucoup d’incompréhensions et d’idées reçues sur le fonctionnement du système de soins.

De quel ordre ? Les détenus pensent que les soignants en prison ne sont pas qualifiés, ils ne comprennent pas pourquoi ils sont reçus par une infirmière quand ils veulent consulter un médecin, ou pourquoi on ne leur donne que des médicaments pour traiter leur stress. On a donc organisé des rencontres avec des membres de l’UCSA et du SMPR pour qu’ils expliquent le fonctionnement des choses, comme le secret médical ou le principe des urgences. Pour les détenus participants, apprendre par exemple qu’à l’extérieur aussi, on pouvait être reçu d’abord par une infirmière, a eu un impact très positif. C’est d’ailleurs surprenant et problématique qu’ils l’ignorent, car ils s’imaginent qu’ils sont moins bien traités parce qu’ils sont détenus. Cette incompréhension peut réellement nuire à la qualité de la relation avec le médecin.

Vous disiez que les enjeux de sécurité parasitent la santé. Quel impact ont-ils ? Un impact évident. Par exemple, les femmes détenues avaient identifié un obstacle dans l’accès aux locaux de l’UCSA sur lequel on a longuement travaillé en atelier, jusqu’à ce que trois d’entre elles portent le sujet lors d’une réunion avec l’AP et l’UCSA. Elles proposaient d’avoir des bons de circulation plutôt que de dépendre des surveillantes, comme cela est organisé pour les hommes. C’était une solution très réfléchie, à laquelle l’UCSA et l’AP se sont montrées favorables, mais ça bloque pour l’instant, pour des raisons de sécurité. Il faudrait réaliser des travaux qui coûtent cher. On a aussi fait des formations avec des surveillants parce qu’on voudrait accompagner les détenus pendant les escortes médicales, si ça peut les empêcher de renoncer aux soins extérieurs, mais c’est très compliqué, là encore pour des raisons de sécurité. Quel accueil vous ont réservé les surveillants ? D’emblée, dans une logique de décloisonnement, on avait mis l’accent sur leur implication dans les questions de santé et sur l’impact de leurs pratiques dans la santé des détenus ; on voulait absolument travailler

© CGLPL

© Jean-Pierre Sageot / Signatures

tant le rôle des uns et des autres. On sollicite l’analyse des équipes médicales, on se rencontre tous les deux mois pour échanger sur les avancées et les difficultés éventuelles et, surtout, on construit des ateliers de santé en commun. Quant aux détenus, après leur avoir expliqué notre projet, on leur a tout de suite dit qu’on partirait s’ils ne travaillaient pas avec nous, car sans eux on ne pourrait rien faire : ce sont eux qui connaissent la réalité des difficultés et peuvent imaginer des solutions adaptées. Ça leur a plu d’avoir cette place dans ce programme. On a aussi été très clairs sur nos limites et sur ce qu’on n’était pas : on a bien précisé qu’on ne se substituait pas aux équipes médicales et qu’on n’intervenait pas dans les affaires juridiques.

Comment ont réagi les soignants face aux craintes exprimées par les détenus sur la consommation de médicaments ? C’est un chantier toujours en cours, qui – si on n’avait pas conçu ce projet avec eux – aurait pu créer des tensions, dans la mesure où la démarche interroge leurs pratiques. Pour l’instant, les échanges ont permis aux psychiatre et psychologue d’expliquer leur travail aux détenus, et aux détenus de montrer qu’ils voulaient être davantage responsabilisés. Ils veulent connaître les effets secondaires potentiels et donc avoir la notice, être informés des risques de dépendance, de la durée du traitement... La rencontre s’est bien passée, elle bouscule les habitudes de chacun et notamment du corps médical, mais tous reconnaissent la pertinence de ce cadre de travail. Les sujets sont assez cloisonnés en détention et ce projet permet de créer du lien. Il nous faut cependant encore réfléchir à un dispositif qui permettrait d’aller davantage vers les personnes les plus isolées.


L’analyse des détenus (enfin) sollicitée « En prison, on ne nous soigne pas comme si on était des patients, mais comme des détenus. » Tel est le sentiment général qui se dégage des échanges menés par Médecins du Monde au centre de détention hommes et à la maison d’arrêt des femmes de Nantes, à l’occasion des ateliers de travail organisés fin septembre et début octobre. Un manque de « considération » qui se traduit de multiples façons, d’après les détenus participants : déni du secret médical par « certaines surveillantes » (« Elles t’appellent en promenade par le haut-parleur en criant à tout le monde que t’as rendez-vous au SMPR ou au CSAPA ! »), « requêtes à répétition » qui restent lettres mortes ou que l’on retrouve

surveillant m’a dit ‘si tu n’as besoin de rien, tu m’appelles !’. Voilà, ça résume bien notre place de détenu. » D’autres soulignent l’importance d’une autre problématique : le renoncement au soin. Celui-ci peut s’expliquer par « la cohabitation », qui expose au « jugement des autres détenues ». Mais il y a aussi « le stress, l’enfermement… Alors des fois on se laisse aller, on se décourage ». D’un point de vue strictement médical, certains évoquent le manque de dentiste en détention. Pour d’autres, « le problème, c’est le cachetonnage » : « On drogue les gens en prison, estime ainsi un détenu. Les mecs, ils rentrent bien et ils ressortent vidés. » « Il a raison, c’est vraiment l’abus avec les médicaments, on te prescrit trop facilement tout ce que tu veux », abonde un autre. Une façon de « s’assurer de la tranquillité de la prison », estime une détenue.

« Le problème, c’est la nuit : y’a plus personne »

« déchirées à la poubelle », courrier médicaux confidentiels contrôlés – voire égarés… Certains regrettent aussi que leur avis ne soit pas toujours pris en compte par les médecins. « Si on n’est pas d’accord avec le docteur, ça devient un bras de fer », témoigne l’un deux.

« Des fois on se laisse aller, on se décourage » Les détenus regrettent généralement d’être « obligés de passer par les surveillants », y compris pour des demandes d’ordre médical : « Les surveillants ne sont pas compétents pour évaluer l’urgence et pourtant ils sont nos premiers interlocuteurs. » Soumis au délai de réponse du gardien à la sonnette, ils estiment plus largement que cet état de dépendance les expose à l’arbitraire, « le plus grand obstacle » à l’accès au soin, d’après un détenu. « Je vais t’expliquer comment notre parole est entendue ici : un jour, un

Mais le plus gros problème semble être l’absence de médecin de garde les soirs et week-ends : « En journée, on n’a pas à se plaindre : on a du sport, l’UCSA est bien… Le problème, c’est la nuit : y’a plus personne ! », explique ainsi un détenu. Un autre va jusqu’à dénoncer une situation proche de la « non-assistance à personne en danger » : « La nuit et le week-end, on crève tout seul dans nos cellules. » Face à ces constats, largement partagés par les inspections générales des affaires sociales et des services judiciaires dans leur rapport rendu fin juillet [lire page 35], il est « important qu’un œil extérieur s’intéresse à nous et à ce qui se passe en prison », estime un détenu. Aussi les participants saluent-ils l’initiative de Médecins du Monde, qui a permis la prise en compte de cette parole. Ils apprécient particulièrement la dimension collective et collaborative de l’expérimentation. « C’est super de sentir que tout le monde est là pour réfléchir ensemble et trouver une solution, quelle que soit sa place. » « Le truc c’est vous, c’est nous, c’est ensemble ! » Si certains ont d’abord été attirés par la « convivialité » et « le côté groupe de parole » de ces ateliers, tous sont heureux de « se bouger » et de « s’impliquer » pour « changer les choses ». Et ne cachent pas leur fierté de « se sentir utile » : « C’est la première fois que j’ai l’impression que ça peut bouger les choses et j’en suis ! » Ainsi se félicitentils que cette initiative ait déjà permis d’obtenir des avancées concrètes, notamment sur la question des permissions de sortir médicales. octobre 2016 / DEDANS-DeHORS N°93

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avec eux. Cela n’a pas tout de suite été évident. Notre démarche n’était pas facilement compréhensible, ils pensaient qu’on mettait en place une énième action en faveur des personnes détenues. On essaie à chaque fois d’expliciter le programme en précisant qu’on travaille sur les questions de santé de manière globale et qu’ils sont donc forcément concernés. On a pris le temps de leur expliquer notre rôle et de les interroger sur leur perception des choses, sur la façon dont ils étaient accompagnés pour gérer les questions de santé et sur leurs difficultés, notamment quand il y a eu une série de suicides et de tentatives de suicide dans le centre pénitentiaire. Ce sont quand même les personnes qui se retrouvent à devoir détacher le corps. Elles ne savent pas toujours comment réagir. Elles sont très isolées et n’ont pas de médecine du travail pour les accompagner.

Comment évaluer les résultats d’un tel programme ? C’est une question difficile ! On s’attend à un changement dans les pratiques, mais c’est encore trop tôt pour en juger. Au départ, on comptait mener cette expérimentation

42 / DEDANS-DeHORS N°93 / octobre 2016

sur trois ans, mais on n’avait pas mesuré le rythme du système pénitentiaire. En plus, avec la démarche communautaire, les effets sont longs à se faire sentir. On sera quand même capables de dresser un premier bilan au bout de trois ans, on s’est d’ailleurs associés à l’École des hautes études en santé publique (EHESP) pour apporter un regard scientifique extérieur. L’objectif de ce travail est de mesurer les effets d’un tel programme sur les personnes détenues, les équipes médicales et le personnel pénitentiaire. Le sociologue avec qui l’on travaille tente de faire ressortir tout ce qui peut être modélisable. Il mène des entretiens avec les personnes concernées sur la place de la santé en prison, sur les changements apportés par les échanges entre détenus, équipes médicales et administration pénitentiaire. Dans la démarche communautaire, le processus compte parfois plus que le résultat lui-même. Les femmes détenues ont travaillé par exemple pendant plusieurs semaines sur le stress causé par l’arrivée en détention, où elles manquent d’informations et dépendent des surveillantes pour en avoir. Elles ont donc conçu un livret d’accueil d’une quinzaine de

pages, validé par l’AP, qui a été traduit en plusieurs langues et qui est remis à chaque arrivante, en plus du guide officiel. C’est un résultat concret, mais qui intervient après de nombreuses discussions : sur l’envie de construire une sorte de charte de conduite entre elles, sur le non-jugement et sur le respect de la personne, quoi qu’elle ait fait, et surtout sur l’impact de tout ça sur leur quotidien et donc sur leur santé. Ces discussions sont aussi importantes que le livret d’accueil qui en a émergé.

Est-ce que ce programme a un impact positif sur la détention en général ? C’est aux personnes détenues de répondre à cette question... Notre programme met en valeur leur engagement dans un travail collectif pour imaginer et réaliser des solutions adaptées à tous. Il repose sur leurs compétences et ressources. Cette considération a probablement un impact positif. Une personne détenue nous a remerciés de lui avoir redonné un peu de dignité, simplement parce qu’on avait permis une rencontre entre quelques détenus et les équipes médicales ! n


intramuros Fresnes

La Justice ordonne l’intensification de la lutte contre les rats et les insectes

R

ats, cafards, puces, punaises de lits… Depuis de nombreuses années, l’OIP est

alerté sur la présence massive de nuisibles infestant la maison d’arrêt de Fresnes et saisit régulièrement les autorités concernées. Le 30 mai 2016, informé du cas de deux détenus ayant contracté la leptospirose, maladie bactérienne pouvant conduire à une insuffisance rénale, voire à la mort, et dont le principal vecteur est le rat, l’OIP alertait l’Agence Régionale de Santé (ARS) du Val-de-Marne. Parallèlement, le syn© Grégoire Korganow / CGLPL

dicat Force Ouvrière avertissait le président du TGI de Créteil, rapportant qu’un surveillant « en salle de repos [avait été] brusquement réveillé par un nuisible qui se trouv[ai]t dans le même lit que lui. Cette bestiole a ensuite décidé d’utiliser tous les moyens pour faire fuir l’agent en lui déversant son urine sur le bras ». Alors même que l’ARS assurait que la maison d’arrêt s’était engagée « dans l’élaboration d’un plan d’action adapté pour lutter de manière pérenne contre la présence de nuisibles », l’OIP recevait, en août, le témoignage d’un détenu mentionnant la présence de rats dans la cour de promenade. Au fil des mois et encore aujourd’hui, les témoignages de détenus, de familles et d’intervenants se succèdent, montrant que le phénomène est loin d’être éradiqué : présence de rats dans les couloirs menant aux parloirs, détenus couverts de piqures de puces ou de punaises de lit, etc. « Un gros rat a sauté sur ma chaussure alors que je sortais du parloir », signale une avocate.

© OIP

Dans sa réponse à l’OIP, l’ARS relevait que « l’une des principales causes de la prolifération des rats est liée au comportement des

La situation perdurant, l’OIP a fini par saisir le juge des référés du

personnes détenues du fait de jets récurrents de détritus par les

tribunal administratif de Melun le 4 octobre 2016. Dans sa réponse,

fenêtres des cellules ». Remplaçant une atteinte par une autre,

le 6 octobre 2016, il a estimé, que si « diverses actions ont été

l’administration pénitentiaire a renforcé la pose de caillebotis, gril-

menées par l’administration », qui ont eu « pour conséquence

lage épais et très serré, sur les fenêtres des cellules. Si cette mesure

d’améliorer la situation », toutes celles qui avaient été planifiées

vise à diminuer le jet de détritus par les fenêtres, ces caillebotis

« n’ont pas encore été complètement engagées ». Il enjoint donc

plongent les cellules dans une quasi-obscurité en empêchant sou-

à l’administration de « bétonner les zones sableuses de l’établis-

vent toute vision du ciel, donnant aux détenus une sensation per-

sement et de reboucher les égouts par lesquels les rats peuvent

manente de pénombre et d’isolement. À ce sujet, plutôt que priver

s’infiltrer » dans la prison, ainsi que d’intensifier la dératisation,

les détenus de lumière, aggravant les conditions de détention et

notamment dans les parties de l’immeuble où la concentration

attisant les sentiments dépressifs ou de colère, le Contrôleur géné-

de rongeurs est maximale.

ral des lieux de privation de liberté recommandait de renforcer

— Manon Cligman et François Bès, OIP

* Recommandation du 24 décembre 2008 relative à la visite de la maison d’arrêt de Villefranchesur-Saône.

l’efficacité des nettoyages et la collecte des déchets *.

octobre 2016 / DEDANS-DeHORS N°93

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intramuros Île-de-France

Des problèmes de cantine génèrent frustration et tensions Depuis le 1er janvier 2016, les dysfonctionnements du service des cantines se multiplient au sein de plusieurs établissements pénitentiaires, à la suite de la reprise du contrat public par l’entreprise GEPSA. Une situation génératrice de tensions en détention, faisant craindre de possibles débordements.

L

e dimanche 4 septembre 2016, une centaine de détenus de la

repas fournis par l’administration pénitentiaire,

maison d’arrêt de Villepinte ont refusé de réintégrer leur cel-

souvent jugés insuffisants et de piètre qualité.

lule après la promenade pour dénoncer les dysfonctionnements

Elle permet aussi d’acheter des produits indis-

à répétition du service de cantine de leur établissement. Une

pensables. À l’exception des détenus sans res-

action identique avait eu lieu le week-end précédent pour le même

sources – à qui l’administration pénitentiaire

motif (1). Les deux mouvements se sont soldés par l’intervention

doit fournir une trousse de toilette renouvelée

des équipes régionales d’intervention et de sécurité (ERIS) et le

régulièrement – il revient en effet aux personnes

placement de plusieurs détenus au quartier disciplinaire.

incarcérées d’acheter les produits dont elles ont besoin pour leur

Avec le téléphone et les parloirs, les cantines jouent un rôle fon-

hygiène personnelle. De même, si des produits ménagers pour

damental dans la vie quotidienne des personnes incarcérées,

l’entretien des cellules doivent être régulièrement mis à dispo-

complétant, le plus souvent de manière essentielle, leur ordi-

sition des détenus, les quantités fournies sont souvent insuffi-

naire. Cette possibilité d’acheter des produits, dans la limite des

santes, poussant de nombreuses personnes à en cantiner.

références portées au catalogue, via une société prestataire

Plusieurs détenus et leurs familles ont alerté l’OIP de problèmes

permet en effet aux détenus de compléter ou d’améliorer les

de gestion similaires qui désorganisent la distribution des pro-

Saint-Quentin-Fallavier

Neuf mois de combat pour obtenir un permis de visite

L

e 22 septembre 2016, Eléonore F. revoyait son compagnon pour la première fois depuis neuf mois, au parloir du centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier (Isère). La direction de l’établissement avait auparavant refusé à deux reprises de lui accorder son permis de visite. Le premier refus s’appuyait sur un avis défavorable – mais non contraignant – de la préfecture de l’Isère au motif qu’elle était « connue des services de police », et que cela pourrait nuire au maintien de la sécurité ou au bon ordre de l’établissement. Après un premier recours hiérarchique infructueux, Eléonore F. avait décidé de saisir en urgence le tribunal administratif de Grenoble. Dans son ordonnance, rendue le 13 juillet dernier, le juge des référés avait estimé que « les décisions refusant un droit de visite à [Mme F.] portent à sa situation et à celle de son compagnon des conséquences […] graves et immédiates ». Le juge avait par ailleurs émis un « doute sérieux » quant au « risque que ferait encourir [Mme F.] à la sécurité de l’établissement » et donc

44 / DEDANS-DeHORS N°93 / octobre 2016

demandé au directeur « de statuer provisoirement sur la demande de permis de visite présentée par Madame [F.] », sans plus de précisions. Profitant de la formulation vague du juge administratif et résolu à ne pas faire droit à la demande d’Eléonore F, le directeur prit une « nouvelle » décision… de refus. Mais alors qu’elle engageait un nouveau recours, le jourmême, elle recevait un appel du service des parloirs de la prison lui expliquant que finalement, le directeur allait lui octroyer un permis de visite. Si elle n’est toujours pas en possession d’un document écrit, Madame F. a pu réserver son premier parloir le 22 septembre dernier. Mais ce que l’administration donne d’une main, elle semble vouloir le retirer de l’autre : le pourvoi en cassation engagé par le ministère de la Justice contre la décision du TA de Grenoble suspendant le refus de permis de visite a en effet été maintenu. De sorte qu’une décision pourrait à nouveau changer la donne. — Amid Khallouf, coordination Sud-Est


© Grégoire Korganow / CGLPL

duits cantinés dans leur établissement depuis plusieurs mois :

« opération relativement complexe » – doublée à Meaux-Chau-

commandes non ou partiellement livrées, achats débités sur

conin de la mise en œuvre d’un plan de réaménagement du local

les comptes nominatifs des détenus alors que la livraison n’est

des cantines. Dans cet établissement, le service des cantines a

pas effectuée, erreurs de comptabilité, accumulation des retards

été particulièrement perturbé et le catalogue des produits que

dans le traitement des réclamations… Sans compter leur impact

les détenus pouvaient commander a été drastiquement réduit

sur les conditions de détention.

pendant plusieurs semaines pour résorber les problèmes de ges-

Dans les maisons d’arrêt de Villepinte et de Nanterre et au centre

tion accumulés depuis le début de l’année. D’après nos interlocu-

pénitentiaire de Meaux-Chauconin, la répétition de ces problèmes

teurs, la situation s’était depuis « normalisée », les commandes

de gestion pendant plus de huit mois a suscité incompréhension

étaient à nouveau livrées régulièrement et les retards pris dans

et frustration chez les personnes détenues, générant de fortes

le traitement des réclamations et des remboursements avaient

tensions dans ces établissements. Dans un tract distribué le

été rattrapés. Des affirmations démenties par les récents mou-

27 juillet 2016, le bureau local de la CGT au centre pénitentiaire

vements de contestation des détenus de la maison d’arrêt de

de Meaux-Chauconin dénonçait une « poudrière au bord de l’ex-

Villepinte. Contactée de nouveau après ces évènements, la direc-

plosion », tandis que la directrice de la maison d’arrêt de Villepinte

tion de GEPSA a réaffirmé sa volonté de régler au plus vite les

confiait en août à un journaliste : « Nous frisons l’émeute » (2).

problèmes rencontrés, tout en relativisant les revendications des

Un détenu de cet établissement nous alertait de même récem-

détenus mobilisés.

ment : « C’est dangereux, tout le monde est énervé, déjà qu’il y

Reste que plus de huit mois après avoir remporté ce marché, la

en a qui dorment par terre… Ils s’énervent, c’est normal. » Ces

société privée ne semble toujours pas en mesure d’assurer un

dysfonctionnements viennent en effet compliquer une situation

service de cantine fonctionnel, une situation particulièrement

déjà tendue par les conditions de détention dans ces établisse-

préoccupante compte-tenu de l’impact des cantines sur la vie

ments marqués par la surpopulation. Au 1er septembre 2016, les

en détention. A cela s’ajoute le risque de sanctions disciplinaires,

taux d’occupation variaient entre 175 % et 181 %, suivant les lieux.

prises du fait des tensions croissantes entre détenus, voire avec

La désorganisation des livraisons des produits cantinés pousse

les surveillants. À Nanterre, un détenu s’inquiétait dans un cour-

aussi certaines personnes à solliciter leurs co-détenus pour obte-

rier : « GEPSA ne fait toujours rien… Les insultes fusent et les

nir des produits qu’elles ne parviennent plus à recevoir via les

jeunes finissent au mitard à cause de ça »…

cantines, ce qui peut entraîner l’instauration de rapports de

Et les prisonniers ne sont pas les seuls touchés par ces dysfonc-

dépendance du fait de la nécessité de rembourser les « dettes »

tionnements. Une compagne de détenu nous indiquait récem-

ainsi accumulées.

ment que la situation poussait certaines familles à apporter

Contactée une première fois au mois d’août au sujet de ces pro-

de la nourriture au parloir, au risque de subir des sanctions

blèmes de gestion, la direction de GEPSA mettait en avant les

pouvant aller de la suspension du permis de visite aux pour-

difficultés provoquées par un changement de prestataire, une

suites pénales.

Voir notamment STERLE, Carole, « Villepinte : les détenus protestent contre l’intendance de la prison », Le Parisien, 29 août 2016.

(1)

(2) KOCH, François, « Dans la peau d’un maton », L’Express, 3 août 2016.

— Marine Tagliaferri, coordination Île-de-France.

octobre 2016 / DEDANS-DeHORS N°93

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intramuros

Vote en prison

Un droit reconnu mais empêché

L’

idée que les prisonniers sont privés de leurs droits civiques

demander un formulaire d’inscription auprès du service péni-

est répandue. Pourtant, depuis la réforme du Code pénal

tentiaire d’insertion et de probation (SPIP) ou du greffe de la

de 1994, une condamnation à une peine de prison n’entraîne plus

prison. Soit elles y sont depuis moins longtemps et alors elles

automatiquement l’interdiction de participer à la vie politique.

doivent préalablement se faire domicilier au sein de l’établisse-

Les personnes sous écrou restent titulaires de leurs droits, sauf

ment. L’inscription suppose aussi de disposer d’une pièce d’iden-

si une peine complémentaire d’incapacité électorale a été pro-

tité à jour ou périmée depuis moins d’un an. Ce qui peut s’avérer

noncée à leur encontre lors du jugement. Ce qui s’avère assez

extrêmement délicat car les pièces d’identité sont souvent per-

rare. En 2014, par exemple, seules 259 déchéances des droits

dues en détention. Et la veille des durées de validité n’est pas

civiques ont été prononcées pour un total de 278 939 condamna-

toujours assurée…

tions à une peine de prison. La grande majorité des personnes

Si l’étape de l’inscription est passée, les personnes détenues devront

incarcérées peuvent ainsi voter. En théorie. Car l’exercice de ce

ensuite trouver des mandataires. Car, si elles ne peuvent bénéfi-

droit reste encore en prison un parcours semé d’embûches.

cier de permissions de sortir, ou si cela leur est refusé pour les

Les personnes qui souhaitent s’inscrire sur les listes électorales

scrutins, elles ne pourront voter que par procuration. Il leur faut

doivent le faire avant la fin de l’année précédant le scrutin. C’est-

donc trouver quelqu’un en dehors de la prison, sur le territoire

à-dire avant le 31 décembre 2016 pour participer aux prochaines

d’une commune qu’elles ne connaissent pas forcément. Sans le

élections présidentielles et législatives. Elles peuvent s’inscrire

concours d’associations présentes localement, c’est pratiquement

sur les listes de la commune de leur choix, à condition d’y avoir

mission impossible. Et un obstacle demeure encore : comment

une attache, soit au titre d’une domiciliation, soit d’une contri-

communiquer, en toute confidentialité, une consigne de vote

bution depuis plus de cinq ans aux impôts locaux. À défaut, elles

lorsque toutes les communications avec l’extérieur peuvent être

doivent se retrancher sur la commune du lieu d’implantation de

lues ou écoutées par l’administration pénitentiaire ? Résultat : en

la prison. Et, dans ce cas-là, deux cas de figure. Soit elles y sont

2012, seuls 1 980 détenus ont participé aux élections présiden-

incarcérées depuis plus de six mois et elles peuvent directement

tielles … Soit moins de 4 % de participation. D’autres pays, comme

Toul

Au QD pour avoir fait circuler une lettre ouverte

Q

uatorze jours de quartier disciplinaire et six mois de privation de matériel informatique pour « participation à un mouvement collectif ». C’est la sanction dont aurait écopé F.H., actuellement détenu au centre de détention (CD) de Toul, après avoir fait circuler un journal satirique et clandestin visant la juge de l’application des peines (JAP) du tribunal de grande instance (TGI) de Nancy, rebaptisée « Comtesse de Sémur », ainsi qu’une lettre ouverte signée par une centaine de personnes détenues destinée au garde des Sceaux. Des poursuites judiciaires seraient engagées à l’encontre du journal pour outrage à magistrat et la lettre a été saisie par l’administration du centre de détention de Toul. Il s’agissait de protester contre les décisions de la JAP du tribunal de Nancy, qui refuserait systématiquement les per-

46 / DEDANS-DeHORS N°93 / octobre 2016

missions de sortir aux personnes détenues qui y sont pourtant éligibles, les empêchant d’assister aux évènements familiaux importants tel que l’hospitalisation d’un parent pour un motif grave, son accompagnement en fin de vie, ou l’enterrement d’un proche. Outre le maintien des liens familiaux, les efforts de réinsertion sont également menacés par ces décisions, puisque les personnes détenues à Toul n’ont plus la possibilité de sortir pour se rapprocher d’un employeur et de signer un contrat leur permettant d’assurer leur avenir à la sortie. Dans leur lettre, les signataires alertent le Garde des Sceaux du climat tendu qui règne dans le centre de détention et signalent que « la dureté de la juge de l’application des peines exerce un effet délétère sur l’ensemble des détenus et génère des tensions ». F.H. est en grève de la faim depuis le 8 septembre : placé


© Jean-Pierre Sageot, Signatures

Châteaudun

Des années d’attente pour une consultation ophtalmologique

«J

e demande, en vain depuis vingt-sept mois, un rendezvous avec un ophtalmologue. Je ne vois plus assez pour

lire et pour écrire », signale à l’OIP au mois de juin 2016, M.V., détenu au centre de détention (CD) de Châteaudun. Saisie par l’OIP, l’unité sanitaire confirme en août 2016 avoir « une liste de trente-quatre personnes en attente de consultations », dont « certaines depuis janvier 2014 ». Parmi ces patients, « quatre diabétiques » pour lesquels un fond d’œil doit être pratiqué « tous les ans ou tous les deux ans, selon la rétinopathie ». M.V. « va devoir encore attendre malheureusement », conclut l’unité sanitaire. En effet, aucune consultation ophtalmologique n’est assurée par l’hôpital de Châteaudun, auquel l’unité sanitaire du CD est rattachée. A l’hôpital de Chartres, seul un ophtalmologue intervient, « à mi-temps ». Et hors du département, à Orléans, où « les prale Danemark ou encore la Pologne, ont fait le choix de l’inclusion

ticiens hospitaliers ne sont pas nombreux », les consultations

et de la protection des droits civiques des personnes incarcérées

s’obtiennent au compte-gouttes. Les besoins ne sont pourtant

en installant des bureaux de vote en détention. La France s’y

pas immenses. L’unité sanitaire estime que « deux consultations

oppose encore, alors qu’elle pourrait adjoindre ce dispositif à celui,

par mois » seraient « l’idéal ».

fondamental, des permissions de sortir. Avec, en retour, une par-

« L’Agence régionale de santé (ARS) est prévenue, les préfets sont

ticipation effective aux scrutins. En 2011, par exemple, 58,7 % des

prévenus, nous sommes toujours à la recherche d’une solution »,

personnes incarcérées en Pologne en capacité de voter ont par-

explique l’unité sanitaire. Contactée par l’OIP, l’ARS confirme être

ticipé aux élections législatives.

au courant d’une situation « à laquelle il est très compliqué de

— Marie Crétenot, OIP.

remédier » car le département « connaît une grave pénurie médicale » en généralistes et spécialistes. La solution de la permission de sortir pour raison médicale, si elle ne concerne que les détenus qui y sont éligibles *, leur permettrait de se rendre à des consultations de ville ou dans des hôpitaux des départements voisins, désengorgeant ainsi la liste d’attente. Sol-

* Articles 723-3 et D.142 à 147 du Code de procédure pénale

licitée fin septembre 2016 par l’OIP, la vice-présidente chargée de

et un journal satirique en quartier fermé ce même jour suite à la confiscation de la lettre ouverte et à la découverte du journal satirique, il a ensuite été envoyé en quartier disciplinaire fin septembre sur décision de la commission de discipline. Motif : bien qu’aucun trouble n’ait été à déplorer suite à la circulation de la lettre ouverte, un mouvement collectif aurait pu voir le jour si le garde des Sceaux n’y avait pas répondu. Son matériel informatique a également été saisi et confisqué pour six mois car F.H. n’a pas demandé l’autorisation préalable à la Direction interrégionale des services pénitentiaires de Strasbourg avant de diffuser son journal au sein de la détention. Il envisage désormais de se tourner vers la Cour européenne des droits de l’homme afin de faire valoir ses droits et de défendre sa liberté d’expression.

l’application des peines du TGI de Chartres répond ne pas avoir été saisie de demandes de permissions « ayant pour motif médical la nécessité de bénéficier de soins ou de consultations ophtalmologiques », ni avoir été saisie par des détenus « faisant état de cette difficulté ». Et pour cause : l’unité sanitaire, devant la frilosité des juges précédents à accorder ce type de permissions, avait cessé de les solliciter. « Si de telles demandes devaient être formulées par les détenus, elles seraient naturellement audiencées en commission d’application des peines et traitées avec une attention particulière », précise la vice-présidente à l’OIP. Une rencontre entre unité sanitaire et service de l’application des peines devrait être prochainement organisée. — Manon Picaronie, coordination Centre et Est.

— Marie Auter, coordination Centre et Est.

octobre 2016 / DEDANS-DeHORS N°93

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Par Nicolas ferran

Détenus particulièrement surveillés

Annulation d’un régime de surveillance nocturne

D

ans un jugement du 30 juin 2016, le tribunal administratif de Limoges a prononcé l’annulation de la décision de soumettre une personne condamnée à la réclusion criminelle à perpétuité et inscrite au répertoire des détenus particulièrement surveillés (DPS) à un régime de surveillance nocturne, destiné à vérifier sa présence en cellule ainsi que l’état de barreaudage. Une à deux fois par semaine depuis un an, elle faisait l’objet d’un contrôle visuel depuis l’extérieur de la cellule, au travers d’un œilleton, avec allumage de la lumière en cellule vers 23h45 et 2h30. L’administration justifiait sa décision par l’inscription du requérant au registre des DPS, en avançant que ces publics sont « automatiquement placés sous surveillance spécifique renforcée ». Les juges ont estimé que le fait qu’un détenu ait le statut DPS « ne suffit pas à justifier la mise en œuvre » de l’ensemble des « mesures de surveillance applicables à cette catégorie de détenus ». De telles mesures de contrôle nocturne ne peuvent être imposées que si la situation particulière de la personne considérée montre qu’elles sont nécessaires. Or, ici rien de tel. L’examen de sa situation n’a tout simplement pas eu lieu. Par ailleurs, le tribunal a relevé que l’administration n’établissait en rien les raisons pour lesquelles il lui était subitement apparu, un an plus tôt, que l’application de ce régime était nécessaire pour la sécurité. La soumission du requérant au dit régime était donc manifestement injustifiée. — TA Limoges, 30 juin 2016, n°1400680

© Grégoire Korganow / CGLPL

Vie privée

Des propos tenus en privé ne

P

ar un arrêt du 7 avril 2016, la Cour administrative d’appel de Paris a annulé la sanction disciplinaire prononcée à l’encontre d’un détenu qui avait tenu des propos menaçants et insultants à l’égard du personnel dans le cadre d’une conversation téléphonique privée avec un membre de sa famille. Cette sanction avait été prononcée sur le fondement de l’article R. 57-7-2 du Code de procédure pénale qui réprime le fait de « formuler des insultes, des menaces ou des outrages à l’encontre d’un membre

48 / DEDANS-DeHORS N°93 / octobre 2016


Devant le juge

Discipline

L’accès aux images de vidéosurveillance doit être garanti en cas de poursuites

L

peuvent pas être poursuivis du personnel de l’établissement ». La Cour reconnaît le caractère injurieux et menaçant des paroles prononcées. Mais elle souligne qu’elles n’ont pas été exprimées publiquement, ni même adressées aux surveillants ou proférées dans l’intention d’être portées à leur connaissance. Dès lors, elle a estimé que les propos du requérant ne pouvaient pas donner lieu à des poursuites disciplinaires. La sanction prononcée était donc entachée d’erreur de droit.

es faits pour lesquels les personnes détenues font l’objet de poursuites disciplinaires se déroulent souvent dans des lieux couverts par un système de vidéosurveillance. Depuis une loi du 27 mai 2014, qui garantit l’accès à « tout élément utile à l’exercice des droits de la défense », elles sont censées pouvoir visionner les enregistrements de vidéosurveillance. Cependant, l’administration pénitentiaire y fait généralement obstacle. D’autant que le décret d’application de ce texte n’a pas encore été pris. Afin de mettre un terme à cette carence, l’OIP a saisi le juge des référés du Conseil d’Etat afin qu’il enjoigne à l’Etat de prendre ce décret. Dans une décision du 25 juillet 2016, la Haute juridiction a rejeté le recours de l’OIP pour défaut d’urgence, estimant qu’il n’apparaît pas « que le respect du principe constitutionnel du respect des droits de la défense (…) soit conditionné par la publication de ce décret ». Autrement dit, elle signifie que l’absence de décret ne peut faire obstacle à l’accès aux enregistrements. La décision dresse même une feuille de route à l’attention de l’administration pénitentiaire. Le Conseil d’Etat lui rappelle que lorsqu’elle s’appuie sur des enregistrements pour engager des poursuites, elle doit le verser au dossier de la procédure qui doit être systématiquement « mis à disposition de la personne détenue ou de son avocat », conformément à l’article 57-7-16 du Code de procédure pénale. Par ailleurs, il souligne que même si « la procédure n’a pas été engagée à partir d’enregistrements ou en y faisant appel », « la personne détenue » ou « son avocat » peuvent, « s’ils le jugent utiles » et « si ces enregistrements existent », « demander à y accéder ». Il pose aussi des limites aux possibilités de refus de l’administration pour raisons de sécurité. Pour la Haute Juridiction, « un refus ne saurait être opposé à de telles demandes au motif de principe que le visionnage de ces enregistrements serait susceptible en toute circonstance de porter atteinte à la sécurité publique ou à celle des personnes ». Par conséquent, l’administration ne peut s’opposer à la communication d’images de vidéosurveillance que si elle démontre en quoi cette communication fait, dans les circonstances particulières de l’affaire, naître un risque sérieux pour la sécurité des personnes ou de l’établissement. — CE, 25 juill. 2016, OIP-SF, n°400777

— CAA Paris, 7 avril 2016, 14PA0197

octobre 2016 / DEDANS-DeHORS N°93

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Qu’est-ce que l’OIP ? La section française de l’Observatoire international des prisons (OIP), créée en janvier 1996, agit pour le respect des droits de l’Homme en milieu carcéral et un moindre recours à l’emprisonnement.

Adresses Pour tout renseignement sur les activités de l’OIP – Section française ou pour témoigner et alerter sur les conditions de détention en France :

OIP section française 7 bis, rue Riquet 75019 Paris 01 44 52 87 90 fax : 01 44 52 88 09 contact@oip.org www.oip.org

Comment agit l’OIP ? L’OIP dresse et fait connaître l’état des conditions de détention des personnes incarcérées, alerte l’opinion, les pouvoirs publics, les organismes et les organisations concernées sur l’ensemble des manquements observés ; informe les personnes détenues de leurs droits et soutient leurs démarches pour les faire valoir ; favorise l’adoption de lois, règlements et autres mesures propres à garantir la défense de la personne et le respect des droits des détenus ; défend une limitation du recours à l’incarcération, la réduction de l’échelle des peines, le développement d’alternatives aux poursuites pénales et de substituts aux sanctions privatives de liberté.

  Le standard est ouvert de 15 h à 18 h

L’OIP en région Les coordinations inter-régionales mènent leur action d’observation et d’alerte au sujet de tous les établissements pénitentiaires des régions concernées en lien avec les groupes et correspondants locaux présents. Pour contacter les coordinations inter-régionales :

Coordination inter-régionale Nord et Ouest (DISP Lille et Rennes)

Coordination inter-régionale Ile-de-France et Outre-mer (DISP Paris et Outre-mer)

Anne Chereul 14, contour Saint-Martin 59100 Roubaix 09 61 49 73 43 06 63 52 10 10 fax: 03 28 52 34 13 anne.chereul@oip.org

François Bès 7 bis, rue Riquet 75019 Paris 01 44 52 87 94 06 64 94 47 05 fax: 01 44 52 88 09 francois.bes@oip.org idf@oip.fr

Coordination inter-régionale SUD-EST (DISP Lyon et Marseille) Amid Khallouf 57, rue Sébastien Gryphe 69007 Lyon 09 50 92 00 34 06 50 73 29 04 fax : 09 55 92 00 34 amid.khallouf@oip.org

Coordination inter-régionale Sud-Ouest (DISP Bordeaux et Toulouse) Manon Cligman 7 bis, rue Riquet 75019 Paris 01 44 52 87 96 06 50 87 43 69 fax: 01 44 52 88 09 manon.cligman@oip.org

Coordination inter-régionale Centre et Est (DISP de Dijon et Strasbourg) 7 bis, rue Riquet 75019 Paris 01 44 52 87 90 fax: 01 44 52 88 09 coordination.centre-est@oip.org


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Depuis 20 ans, la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP) fait connaître l’état des conditions de détention en France, défend les droits et la dignité des prisonniers et contribue au débat public par un travail rigoureux d’éclairage et d’analyse des politiques pénales et pénitentiaires, au cœur des problématiques de notre société. Plus d’informations et don en ligne sur www.oip.org


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