Dedans dehors n°58-59, " Les États généraux de la condition pénitentiaire : l'engagement sur parole"

Page 1

États généraux de la condition pénitentiaire

EDITORIAL

tirer les leçons du passé

l’engagement sur parole Sur quoi repose ce fort sentiment d’être à l’aube d’un grand bouleversement ? D’où vient cette impression tenace que la nouvelle donne tant espérée n’est peut-être pas si lointaine ? Sans doute du fait que la plupart des candidats à l’élection présidentielle ne s’en sont pas tenus à renouveler leur indignation face au constat du désastre des prisons. Ils ont surtout fait leur un ensemble de préceptes qui ouvre la voie à un véritable « renversement de perspectives ». Celui préconisé dans les premières pages de l’étude de la CNCDH(1) consacrée aux droits de l’homme dans la prison. Celui auquel exhorte la France chacune des recommandations du Conseil de l’Europe comme ses Règles pénitentiaires. Quelque chose nous porte à croire la parole donnée. C’est le fait que cette parole obtenue de la part de mesdames Royal, Buffet, Lepage, Laguiller et Voynet, comme de messieurs Bayrou et Besancenot, l’est en toute connaissance de cause. Ils ou elles savent que les dix points constitutifs de la déclaration finale des États généraux de la condition pénitentiaire sont à même à la fois de faire cesser la violation permanente des droits des personnes détenues, d’améliorer la condition de tous ceux qui vivent et travaillent en prison, et de mieux assurer la sécurité de tous en réduisant le recours à l’emprisonnement et la durée des peines. Ils ou elles mesurent la rupture que cela implique dans le fonctionnement de l’institution pénitentiaire, mais aussi au niveau des politiques pénales mises en œuvre. Parce qu’il ne s’agissait certainement pas de susciter de la part des candidats de vagues promesses, les États généraux ont soumis à leur appréciation dix principes dont la cohérence ne laissait planer aucun doute quant au dessein poursuivi. Pour que les prisons françaises cessent d’être la honte de la République, il fallait de la part du futur Président de la République un engagement clair. La consistance de celui pris par chacun de ces candidats est d’autant plus méritoire qu’elle est aussi le meilleur antidote aux errements du passé. L’adhésion pleine et entière à la déclaration des États généraux n’est rien d’autre que la garantie donnée aux personnes détenues comme aux personnels de surveillance, aux travailleurs sociaux comme aux différents intervenants en détention, aux avocats comme aux magistrats, de ne pas revivre l’amère déception d’un consensus politique forgé dans l’émotion, qui s’est arrêté en face d’une autre émotion. Chacun a en mémoire que la salutaire prise de conscience provoquée par le livre de Véronique Vasseur n’a pas suffi à éviter l’épuisement de la volonté réformatrice devant la montée d’une campagne électorale d’inspiration sécuritaire. A contrario, la position de M. Sarkozy ne laisse pas d’inquiéter. Malgré quelques propositions d’avancées ponctuelles, il se place dans la continuité de ce qui a été accompli depuis cinq ans. Pire, le programme de son parti prévoit d’instaurer des peines planchers et de limiter les aménagements de peine par la création d’un « juge des victimes ». Ces propositions sont évidemment aux antipodes des engagements qui lui étaient proposés. À l’heure où tout indique que les alternatives à la détention et les libérations anticipées sont le moyen de prévenir la récidive des infractions pénales, les arguments qui soutiennent le projet de l’UMP sont ténus. Sera-t-il possible de le convaincre, selon le mot de Fedor Dostoïevski, que « ce n’est pas en enfermant son voisin qu’on se convainc de son propre bon sens » ? Les États généraux n’y ont pas renoncé. Ce numéro spécial de Dedans Dehors, structuré selon les trois actes qui ont scandé le déroulement des États généraux de la condition pénitentiaire – la consultation (page 5), le manifeste (page 41), les engagements (page 65) – a été sous-titré « l’engagement sur parole ». Pour saluer la prise de parole magistrale des détenus de France en même temps que cet engagement sans précédent de la part de la grande majorité des candidats. Dans l’attente d’un prochain numéro où vous aurez, espérons-le, le plaisir de pouvoir y lire un article intitulé « de la parole aux actes ». (1) Commission nationale consultative des droits de l’homme

Jean Bérard et Patrick Marest

DEDANS DEHORS publication bimestrielle de la section française de l’Observatoire international des prisons, association loi 1901, 31, rue des Lilas, 75019 Paris, Tél.: 01 44 52 87 90, Fax: 01 44 52 88 09, e-mail : contact@oip.org Internet : http://www.oip.org Directrice de la publication : Martine Joanin Rédaction : Jean Bérard, Adeline Combet, Stéphanie Coye, Patrick Marest, Isabelle Roger, Hugues de Suremain Secrétariat de rédaction : Isabelle Bardet, Adeline Combet, Anne Fellmann, Marie Guyard, Andrée Martins, Pascale Poussin Identité graphique : MG., L.D.<dlaranjeira@caramail.com> Maquette : Antoine Resche Photos : Patrick Artinian, Guillaume Atger, Olivier Aubert, J.-P. Bajard, Michel Baret, Samuel Bollendorf, Jérôme Brezillon, Henri Cacchia, Caroline Caldier, Derrick Ceyrac, Bertrand Desprez, Claudine Doury, Michel Gasarian, Jack Guez, Nicole Henry-Crémon, Bruno Isolda, Simon Jourdan, Bertrand Lauprète, Ulrich Lebeuf, Michel Le Moine, Anne-Marie Marchetti, Célia Quilleret, Philippe Sacin, Sébastien Sindeu, Aimée Thirion, Olivier Touron Commandes : Julie Namyas Remerciements à : Editing, Agence VU, L’œil public, Cinétévé, Canal +, Radio France Impression : Imprimerie Autographes 2, 10 bis, rue Bisson, 75020 Paris Tél. : 01 43 58 26 26 ISSN : 1276-6038 numéro CPPAP en cours Diffusion sur abonnement au prix annuel de 30  Couverture : Anne-Marie Marchetti

Lancée le 10 janvier 2006, à l’initiative de l’OIP, la démarche des États généraux de la condition pénitentiaire a réussi à inscrire à l’ordre du jour de la campagne électorale la question carcérale. Pendant un an, ce collectif d’organisations représentatives du monde des prisons a d’abord organisé une vaste consultation inédite de tous les acteurs de terrain, puis transformer cette prise de parole en propositions de réforme, de sorte à susciter l’engagement sans ambiguïté de l’ensemble de la classe politique. Pour en arriver là, les États généraux ont analysé les raisons des tentatives avortées de réformes et souhaité créer les conditions du renversement de perspectives porté par les instances nationales et internationales de protection des droits de l’homme. Ce tableau en trois actes commencera à prendre tout son sens au lendemain du second tour de l’élection présidentielle. Au soir du 16 janvier 2006, les États généraux de la condition pénitentiaire ont recueilli l’engagement de sept candidats à l’élection présidentielle (François Bayrou, Corinne Lepage, Ségolène Royal, Dominique Voynet, Marie-George Buffet, Olivier Besancenot et Arlette Laguiller) à mettre en œuvre, s’ils sont élus, les dix points de la déclaration qui leur a été soumise. Ce numéro spécial de Dedans dehors retrace les différentes étapes de la démarche qui a permis de parvenir à ce premier résultat, prélude, nous l’espérons, à une transformation radicale de notre système pénitentiaire. Il présente les trois actes qui ont rythmé cette année de mobilisation : l’organisation d’une consultation des acteurs du système judiciaire et pénitentiaire, l’élaboration du cahier des charges d’une réforme des prisons, l’interpellation politique et la réponse apportée par les candidats à la Présidence de la République. Mais, avant cela, il faut expliciter les raisons de notre démarche. Les constats sur le désastreux état des prisons existaient déjà. Ils existaient tant que, par exemple, lorsque est paru le rapport d’Alvaro Gil-Roblès, nous avons entendu des journalistes demander non pas : « Que pensez-vous de ce

rapport ? », mais « Expliquez-nous en quoi ce rapport a une chance de ne pas être un rapport de plus enterré, après avoir dénoncé une réalité hélas bien connue ? ». À cette question nous n’avions pas, à l’évidence, de réponse satisfaisante. Pour sortir de cette impasse, les États généraux ont voulu faire trois choses : 1) donner la parole aux personnes les plus directement concernées par le système carcéral, et, parmi elles, évidemment, les personnes détenues, 2) faire de cette parole une force de proposition inscrite dans le moment le plus important pour le débat politique : l’année de campagne pour les élections présidentielles et législatives 3) dans ce même temps de campagne, interpeller l’opinion publique sur la nécessité d’une réforme fondamentale du fonctionnement de l’institution pénitentiaire. Pourquoi ? Pour prendre la mesure de ce qui, dans les trente dernières années, a conduit à faire de la question des prisons et des peines, un véritable sujet politique. Pour cela, il faut revenir un peu en arrière.

1971, les détenus disent « l’intolérable » « La connaissance, les réactions, les indignations, les réflexions sur la situation pénitentiaire, tout cela existe, au niveau des individus, mais n’apparaît pas encore. Il faut maintenant que l’information circule, de bouche à oreille, de groupe en groupe. La méthode peut surprendre, mais c’est encore la meilleure. Il faut que l’information rebondisse ; il faut transformer l’expérience individuelle en savoir collectif. C’est-à-dire en savoir politique. » C’est le programme que donnait Michel Foucault au Groupe d’information sur les prisons (GIP) créé en février 1971, avec Jean-Marie Domenach et Pierre Vidal-Naquet. Leur but est de recueillir la parole des détenus. Pour cela, le Groupe élabore un questionnaire, qu’il diffuse notamment par l’intermédiaire des familles. En mai et juin, le GIP publie ses premières brochures, élaborées à partir des réponses au questionnaire, avant de se dissoudre et de laisser la place au Comité d’action des prisonniers (CAP). À partir de janvier 1973, ce dernier publie un journal qu’il vend devant les prisons. Dès son deuxième numéro, une liste de revendications paraît : « les onze premiers points du CAP ». Face à cette démarche inédite, les autorités réagissent dès janvier 1972, en dépêchant un ancien directeur de l’administration pénitentiaire à Toul pour rendre un rapport. En septembre de la même année, un décret crée les commissions d’application des peines et élargit les possibilités de permissions de sortir. En octobre, le garde des Sceaux René Pleven déclare devant le Sénat qu’ « il y a trop N°58-59 Janvier 2007

3


de détenus ». En avril 1974 est crée le premier, et seul à ce jour, secrétariat d’État à la condition pénitentiaire, confié à Hélène Dorlhac. En août, après des mutineries réprimées de manière très violentes, le président Valéry Giscard d’Estaing visite les prisons de Lyon. Il serre la main d’un détenu devant un photographe, pendant que le ministre de la Justice ouvre au public la prison de Loos « saccagée » par les détenus. En mai 1975, un décret accorde certains droits nouveaux aux détenus. Mais, dès l’été, la droite entreprend une campagne de presse pour la sécurité, et le ministre de l’Intérieur, M. Poniatowsky, évoque les « prisons quatre étoiles ». Un moment de l’histoire des prisons s’achève, qui a fait émerger la légitimité de la parole des détenus et leur droit à porter des revendications sur ce qu’ils jugent « intolérable » dans le traitement qui leur est infligé.

1981, l’engagement présidentiel pour l’abolition de la peine de mort En septembre 1971, deux détenus de Clairvaux, Claude Buffet et Roger Bontems, tentent de s’évader en prenant en otages une infirmière et un surveillant qu’ils exécutent lorsque les forces de l’ordre donnent l’assaut. Ils sont tous deux condamnés à mort. Malgré les demandes exprimées par leurs avocats Robert Badinter et Thierry Lévy, le président Georges Pompidou refuse de les gracier et ils sont exécutés. C’est le début d’une décennie de mobilisation qui vise, après deux siècles de tentatives vaines, à obtenir l’abolition de la peine de mort. Elle se manifeste dans les procès où des accusés risquent la peine capitale. Lors de la discussion du projet de budget pour 1979, plusieurs amendements tendant à supprimer les crédits du bourreau (soit 185.000 francs) sont déposés à l’Assemblée nationale et au Sénat et leur discussion donne lieu, dans les deux enceintes parlementaires, à un débat, en quelque sorte improvisé, sur la question de la peine de mort. Le garde des Sceaux, Alain Peyrefitte, promet alors l’organisation d’un débat spécifique sur ce sujet au cours des mois suivants. De fait, une déclaration du gouvernement sur l’échelle des peines criminelles est discutée à l’Assemblée nationale en juin et au Sénat en octobre 1979, mais aucun texte n’est ensuite déposé par le pouvoir exécutif. La question de l’abolition de la peine de mort est à nouveau évoquée lors de la discussion de la loi « Sécurité et Liberté » au printemps 1980, mais l’approche de l’élection présidentielle fige les positions. Lors de la campagne de 1981, le candidat François Mitterrand fait publiquement savoir qu’il est favorable à l’abolition de la peine de mort, prenant à rebrousse-poil ce qu’il sait être l’avis dominant au sein de l’opinion publique. Dans le cadre de l’élection législative de 1981, tous les partis de gauche inscrivent l’abolition à leur programme. En élisant François Mitterrand, puis une majorité de gauche au Parlement, les Français choisissent l’abolition, qui est votée à l’automne 1981, sur la proposition de Robert Badinter.

2000, l’occasion manquée Dans les tous premiers jours de janvier 2000, la publication du témoignage du docteur Véronique Vasseur concernant les conditions de détention à la maison d’arrêt de la Santé déclenche une très grande émotion. La presse se saisit de la question carcérale. En mars, un rapport sur le contrôle des N°58-59 Janvier 2007

4

prisons remis à la garde des Sceaux Elisabeth Guigou par la commission présidée par le Premier président de la Cour de Cassation Guy Canivet conclue à la nécessité d’une loi pénitentiaire. Deux commissions d’enquête ont été initiées, à l’Assemblée nationale et au Sénat. À l’issue de leurs travaux respectifs, elles dressent en juin des constats similaires : l’urgence d’une réforme pénitentiaire qui garantisse les droits et la dignité des détenus. Députés et sénateurs, de gauche comme de droite, sont alors unanimes pour affirmer que l’adoption d’une « grande loi pénitentiaire » constitue le préalable indispensable à toute évolution effective de la vie quotidienne dans les prisons. Jacques Chirac lui-même affirme, le 14 juillet 2000 : « Nous avons 51 000 prisonniers, c’est un nombre excessif, il faut le diminuer ». Mais, un an plus tard, le Président de la République change radicalement de discours en plaçant le thème de l’insécurité au centre de son allocution. Les espoirs, déjà tempérés par la lenteur et les conditions entourant la rédaction du projet de loi pénitentiaire initié par la ministre de la Justice, Marylise Lebranchu, seront ensuite vite déçus et en mars 2002, soit presque deux ans après les enquêtes parlementaires, le conseil des ministres raye le sujet de son ordre du jour. Exit donc la loi pénitentiaire. Pire, la prise de conscience politique laisse la place à une tendance résolument inverse. En octobre 2001 éclate l’ « affaire Bonnal ». Libéré sous contrôle judiciaire en décembre 2000, faute de motifs sérieux pour le maintenir en détention provisoire, Jean-Claude Bonnal, dit « le Chinois », est soupçonné d’être impliqué dans un cambriolage le 16 octobre 2001, au cours duquel deux policiers sont tués. Il est également mis en examen pour un quadruple meurtre commis le 6 octobre. Largement médiatisée, cette tragédie signe le début d’un nouvel accroissement de la population carcérale, qui s’est poursuivi après l’élection en 2002 d’une nouvelle majorité. La fenêtre ouverte par le livre de Véronique Vasseur s’est refermée.

2007, des candidats engagés Ouvrir la porte pour une réforme et lui donner les moyens de ne pas se refermer, constituait la feuille de route des États généraux de la condition pénitentiaire. En donnant la parole aux acteurs du monde des prisons pour en faire de véritables sujets politiques et créer ce qu’un détenu qui a participé à la consultation a appelé son « utopie » : « Retrouver les principes fondamentaux de notre République et en particulier la libre pensée, donc la libre parole ». Mais aussi en engageant cette démarche dans le temps de la campagne présidentielle, durant lequel les hommes et femmes politiques scellent leurs engagements devant leurs électeurs. Et en essayant de convaincre le plus grand nombre de candidats et, plus largement de citoyens, que la rupture avec l’état actuel des prisons est nécessaire. Foucault a défini à la fin des années 1970 sa position politique en disant vouloir être « tolérant quand une singularité se soulève », mais « intransigeant quand le pouvoir enfreint l’universel ». Les États généraux se sont donné les moyens de mettre en demeure l’État de cesser d’enfreindre l’universel derrière les hauts murs des prisons de la République.

Acte I : la consultation p.6 : petite histoire d’une consultation inédite p.8 : prise de parole des acteurs : premier bilan p.14 : les principaux enseignements de la consultation, selon BVA p.18 : les résultats par thèmes p.28 : les résultats des questions ouvertes p.29 : l’analyse par acteurs

Jean Bérard

N°58-59 Janvier 2007

5


petite histoire d’une consultation inédite Que de chemin parcouru depuis ce 10 janvier 2006, date à laquelle l’OIP a appelé à la tenue d’États généraux de la condition pénitentiaire ! Une mobilisation sans précédent de la part des organisations représentatives des différents acteurs du monde des prisons qui rend possible et assure le succès d’une consultation individuelle inédite. Plus de 20 000 personnes ont participé à cette prise de parole historique. Le premier acte d’une opération dont les résultats ont été rendus publics à l’automne dernier. Retour sur les premiers pas d’une démarche singulière.

ration nationale des unions des jeunes avocats (FNUJA) –, et deux organisations de défense des droits de l’homme – la Ligue des droits de l’homme (LDH) et l’OIP. Sollicité, le sénateur Robert Badinter s’enthousiasme pour ce projet « tout à fait novateur et important […] parce que l’idée est de libérer la parole en même temps que de réunir des intervenants qui, tous, jouent un rôle au regard de la situation carcérale ». Le 7 mars 2006, l’ancien garde des Sceaux annonce, aux côtés des onze partenaires réunis, le lancement des États généraux de la condition pénitentiaire, lors d’une conférence de presse à l’Hôtel de ville de Paris. À cette occasion, Alvaro Gil-Roblès, dont le mandat de commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe vient de s’achever, salue l’initiative. « Votre démarche, écrit-il, démontre le niveau très élevé du développement de la conscience de la société civile en France. La réforme passe certainement par une telle sensibilisation. Votre initiative est un pas important dans cette direction. Il faut impérativement aboutir aux changements tant attendus. Ce n’est que tous ensemble que nous pourrons relever le défi consistant à améliorer la condition pénitentiaire en France et dans toute l’Europe. »

une démarche inédite « Il est temps aujourd’hui que l’ensemble des acteurs du monde judiciaire et pénitentiaire se réunissent. Et qu’ils interpellent collectivement nos concitoyens comme nos décideurs publics sur les conséquences délétères de l’enfermement pour les personnes et sur les conditions de travail en détention. Il est de notre responsabilité de placer une nouvelle fois la société française face à ses prisons. » C’est en ces termes que l’OIP a appelé, le 10 janvier 2006, dans le quotidien Libération, à la tenue d’États généraux de la condition pénitentiaire. L’idée est née deux mois plus tôt, « C’est la première fois qu’une telle opération a lieu en Europe et peut-être même dans le le 2 novembre 2005, après monde. C’est la rupture du silence carcéral ! », Robert Badinter. © Simon Jourdan la publication par le Nouvel Observateur d’un appel signé par 200 personnalités dénon- une mobilisation collective çant la « honte » que leur inspiraient les prisons françaises. Dix organisations répondent à l’appel de l’OIP. Elles repréPour que cette mobilisation ne reste pas sans lendemain, sentent l’ensemble des acteurs de terrain concernés : deux une démarche inédite est alors imaginée : l’organisation syndicats de personnels pénitentiaires – la CGT et le Syndid’une consultation individuelle de l’ensemble des acteurs cat national de l’ensemble des personnels de l’administration du monde judiciaire et carcéral afin que chacun puisse faire pénitentiaire (SNEPAP) –, deux associations investies dans la savoir ce qui lui semble être l’intolérable de la condition lutte contre l’exclusion – Emmaüs et la Fédération nationale pénitentiaire et dire ce que sont ses espoirs de réforme. Pour des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS) la première fois, au-delà de la seule compilation de reven- –, deux syndicats de magistrats – le Syndicat de la magistradications syndicales ou associatives, les attentes exprimées ture (SM) et l’Union syndicale des magistrats (USM) –, trois seraient le fruit d’une prise de parole individuelle, transfor- organisations d’avocats – le Conseil national des barreaux mée en interpellation collective. (CNB), le Syndicat des avocats de France (SAF) et la Fédé-

Donner la parole à tous « ne sera pas facile » prévient Robert Badinter. Pour que l’opinion des personnes détenues puisse être largement recueillie, l’opération ne peut « se faire en opposition avec l’administration pénitentiaire ». Dans les semaines qui entourent cette conférence de presse inaugurale, un intense travail de préparation s’engage donc. L’institut BVA, qui a déjà réalisé une enquête pour Emmaüs, est approché. C’est lui qui assurera le traitement des questionnaires, afin de garantir la crédibilité de l’opération, sa neutralité ainsi que l’anonymat des personnes consultées. En collaboration avec BVA, un questionnaire est élaboré par les organisations participantes. Le principe d’une réponse en ligne par le biais du site Internet de l’institut est adopté. Pour les 60 000 personnes incarcérées, il faut cependant imaginer un dispositif particulier. Les États généraux se rapprochent donc le 29 mars du Médiateur de la République. Pressenti parce qu’il est en mesure de satisfaire à l’exigence posée d’une réception sous pli fermé des réponses des détenus, Jean-Paul Delevoye décide de s’engager plus encore. Il se propose d’assurer la distribution en main propre du questionnaire, par le biais de son réseau de délégués. Quelques jours plus tard, le 5 avril, le ministère de la Justice accepte le procédé qui lui est présenté et s’engage à ouvrir les portes de tous les établissements pénitentiaires aux délégués du Médiateur. Cet accord sera formalisé par une note de la direction de l’administration pénitentiaire en date du 18 mai 2006 qui demande aux chefs d’établissements, dans les cas où la distribution ne pourrait être effectuée par la Médiature, de mettre les questionnaires à disposition « dans chaque quartier de détention, dans les lieux de passage, afin que les détenus puissent en prendre un exemplaire aisément ».

une prise de parole historique

2006, lors de la présentation conjointe du questionnaire et du mécanisme de la consultation. Lors de cette seconde conférence de presse des États généraux, Jean-Paul Delevoye annonce qu’il va se rendre immédiatement à la maison centrale de Poissy pour, symboliquement, distribuer les premiers exemplaires du questionnaire aux personnes détenues. Le lendemain, le même document est mis en ligne sur le site de BVA à l’usage des familles, des personnels de surveillance, des services d’insertion, des services médicaux, mais aussi des magistrats, des avocats et des autres intervenants extérieurs. Tout au long des mois de juin et juillet, 45 259 questionnaires sont remis en main propre aux détenus par les 137 délégués du Médiateur au sein de 115 lieux de détention, tandis que 14 000 sont mis à disposition par l’administration pénitentiaire dans les 73 autres établissements. Aussitôt, les enveloppes T permettant aux détenus de renvoyer gratuitement le document soigneusement rempli affluent au siège de la Médiature. Sur Internet, le succès de la consultation est plus long à se dessiner. Il sera finalement au rendez-vous, à l’exception notable des surveillants. Méfiants, ils hésitent à exprimer par le biais qui est proposé leur propre appréciation de la situation, dont on sait pourtant que, bien souvent, ils s’estiment tout autant victimes que les détenus. Une participation massive de leur part aurait cependant été conforme aux prises de position souvent virulentes de leurs organisations syndicales, qui ne manquent pas de dénoncer les affres de la surpopulation. Pour ne citer que cet aspect d’une réalité carcérale que les surveillants de prison sont en mesure d’évaluer mieux que quiconque. Pourtant, deux parmi ces syndicats ont préféré garder leur distance d’une démarche que l’un, l’UFAP, considère être une « provocation », tandis que l’autre, FO, juge qu’elle « bafoue » la République. Prenant acte en la regrettant de cette opposition syndicale, les États généraux proposent néanmoins une distribution « papier » du questionnaire, à l’image de ce qui a été fait pour les personnes détenues. La participation active du Ministère étant dès lors nécessaire, il est sollicité dès les premiers jours de juillet en ce sens. La demande est rejetée sans appel. Au final, entre juin et septembre 2006, 5 397 réponses sur le site de BVA sont comptabilisées, dont un peu plus de 2 000 s’avèrent suffisamment renseignées pour être considérées comme exploitables selon les critères de l’institut. Une « bonne » participation, estime BVA. Pour ce qui est des personnes détenues, le taux de retour est jugé proprement « exceptionnel ». 15 600 ont en effet été reçus par la Médiature. Les détenus ont non seulement répondu en nombre, mais « avec un civisme qui dépasse les espérances communes d’une expérience de démocratie participative ». Un constat qui doit inciter la société à changer le regard qu’elle porte sur les personnes faisant l’objet d’une peine privative de liberté… et qui est aussi la principale demande exprimée par les détenus. Isabelle Roger et Stéphanie Coye

« C’est révolutionnaire ! D’un intérêt extrême ! Je pense que c’est la première fois qu’une telle opération a lieu en Europe et peut-être même dans le monde. C’est la rupture du silence carcéral ! », s’exclame Robert Badinter, le 24 mai

N°58-59 Janvier 2007

N°58-59 Janvier 2007

7

6

LA CONSULTATION


« la responsabilité qui est la nôtre » Le 20 octobre 2006, réunis dans une salle de l’Hôtel de Ville de Paris, les États généraux de la condition pénitentiaire ont rendu publics les résultats de la consultation effectuée auprès des acteurs du monde carcéral, et en ont dressé un premier bilan. Il n’en reste pas moins que plus de 15 000 personnes, c’est à dire un quart des détenus, ont répondu à la demande que nous leur avons adressée d’ouvrir un espace d’expression inédit sur la condition carcérale. Ils l’ont fait avec un très grand sérieux, en faisant apparaître l’expression circonstanciée de l’intolérable de leur situation et de leurs espoirs de changement. À l’opportunité offerte de porter une expression politique, ils ont répondu avec un civisme qui dépasse les espérances communes d’une expérience de démocratie participative. Cette réponse doit nous faire Cent rapports ont souligné que les prisons étaient des lieux mesurer la responsabilité qui est la nôtre de transmettre à la marge, si ce n’est tout à fait en dehors du droit commun, cette parole qui doit devenir moteur de réforme. Elle doit que les prisonniers étaient privés de leur droits fondamen- peut-être avant cela et comme condition de cela, susciter taux, parmi lesquelles, la possibilité de s’exprimer, de s’as- une révolution du regard porté sur ceux que la société socier, d’agir en citoyens dans la prison pour devenir plei- bannit, et à qui, aujourd’hui encore, elle refuse la parole. nement citoyens hors de la prison. Hier encore, au moment N’est-ce pas d’ailleurs, lucidement, ce à quoi nous invitent même où il a annoncé, ce dont on doit se réjouir, vouloir les prisonniers qui, à la question de savoir ce qu’ils attenappliquer aux prisons françaises dent d’une réforme des prisons, les Règles pénitentiaires euroont délaissé les aspects matériels « Les personnes détenues péennes, le ministère de la Justice pour espérer un “changement s’est empressé d’en retrancher ce ont répondu avec un civisme de regard“ de la société et une qui concerne le droit d’expression réflexion sur “le droit pénal“ ? qui dépasse les espérances des détenus. communes d’une expérience Le même questionnaire a été Cette exclusion du débat public, disponible pour tous les de démocratie participative. » rendu de la participation politique, a si autres acteurs du monde judibien produit son effet, qu’à l’heure ciaire et pénitentiaire par le biais où une consultation a été lancée, des craintes ont été soule- d’Internet. 5 000 d’entre eux ont participé, dont un peu plus vées. Les personnes détenues allaient-elles rejeter cette offre de 2 000 ont complété leur questionnaire de sorte qu’il soit d’expression, elles qui ont connu tant d’espoirs de réformes exploitable selon les critères définis par l’institut de sonavortées ? Allaient-elles s’approprier un objet complexe et dage BVA. C’est une base à partir de laquelle l’ensemble des ardu, conçu pour respecter la difficulté des problématiques organisations va travailler pour entrer dans un moment de carcérales ? Allaient-elles réagir par la colère ou la violence, discussion qui doit prendre acte d’une participation inégale à une possibilité d’expression ouverte après tant de silence ? à la consultation en ligne. Dans une proportion qui corresIl est certain que des prisonniers se demandent si les États pond aux attentes des instituts de sondage en matière de généraux suffiront à produire la mobilisation publique et consultation, de nombreux acteurs se sont exprimés : les politique suffisante à une réforme carcérale radicale, et ils juges de l’application des peines, les personnels médicaux, l’ont exprimé dans leurs réponses. Il est certain également les enseignants, et parmi les personnels de l’administration que l’appropriation de ce questionnaire n’a pas toujours été pénitentiaire, les personnels de direction et les personnels aisée, tel en témoigne par exemple ce détenu qui nous dit des services d’insertion et de probation. répondre pour lui et ses camarades qui ne savent pas écrire. Il est certain enfin que parfois le drame des situations des Les personnels de surveillance ont faiblement participé à personnes a été trop important pour laisser la place à un cette consultation. Les explications en sont sans doute multiunivers complexe de propositions, telle cette personne qui, ples. La mise à disposition par Internet, par contraste avec la à la question de savoir ce qu’elle attendait d’une réforme remise de la version papier à laquelle ils assistaient en détenpénitentiaire, a seulement noté “aidez-moi“. tion, n’a sans doute pas été la moindre. Nous en voulons « Par le biais du questionnaire qui leur a été remis dans le cadre des États généraux de la condition pénitentiaire, les personnes détenues ont été appelées à exprimer leurs constats et leurs attentes de transformations de leur situation. Il n’est pas besoin d’être un fin connaisseur des prisons françaises pour deviner qu’elles sont à la fois nombreuses et fondamentales. Pourtant, avant même de les considérer pour elles mêmes, le geste qui les a produit demande à être interrogé.

pour preuve que, dans le centre pénitentiaire de Rennes, où le directeur a mis à disposition des surveillants en service de nuit l’ordinateur de la prison pour qu’ils répondent, en l’accompagnant d’une note de service les invitant à le faire, le nombre de répondants est très largement supérieur à la moyenne nationale.

la pauvreté en prison et à la sortie de prison, qui donne la mesure de la tâche à accomplir. c) La force de l’interpellation politique portée par les détenus, par des réponses massives, par l’expression d’attentes responsables et réfléchies, enfin par l’insistance sur la nécessité d’un changement collectif du regard porté sur eux, comme condition de transformation de leur condition. d) Le fait enfin que la diversité des réponses appelle à une réflexion sur la prison qui regroupe l’ensemble des acteurs. Au delà des attentes communes, les membres de profes-

Instruits de cette expérience, nous avons voulu en cours de route tenter de remédier à cette difficulté d’accès, en organisant pour les surveillants une consultation sur questionnaire papier à l’image de ce qui a été fait chez les détenus. Le ministère de la Justice, dont il faut saluer la décision d’autoriser la consultation des détenus, s’y est, cette fois, opposé. Quelles qu’aient pu être par ailleurs les réticences à participer des personnels de surveillance, renforcées par des attaques très dures de deux de leurs syndicats contre la démarche de consultation, nous ne pouvons pas croire aujourd’hui, au vu de ce qu’on dit les surveillants qui se sont exprimés comme au vu de ce que ne cessent de dire leurs représentants syndicaux lorsqu’ils visitent des prisons et constatent le double désastre des condi- Plus de 15 000 personnes, soit un quart des détenus, ont répondu au questionnaire. tions de travail et de déten- © Michel Le Moine tion, que l’aspiration à un changement profond ne soit pas partagé par un très grand sions différentes ont exprimé des attentes singulières, qui nombre des surveillants. De la même manière que nous leur touchent le rapport de leur pratique professionnelle avec avons demandé s’il voulaient participer à cette démarche l’ensemble de la condition pénitentiaire. Les détenus ont durant le temps de consultation, nous invitons aujourd’hui appelé cette discussion transversale de leurs voeux en les représentants des personnels de surveillance à discuter exprimant massivement le souhait que personnels de surdes résultats et des directions que les États généraux donne- veillance, travailleurs sociaux et intervenants extérieurs en ront comme suite à l’expression des attentes des personnes prison travaillent ensemble pour permettre de préparer leur détenues et des acteurs du monde carcéral. retour dans la société. Telle qu’exprimées lors de la consultation, ces attentes sont nombreuses, souvent convergentes, parfois singulières, elles touchent à l’intégralité de la vie en détention, et de la vie après la détention. La complexité de ce matériau va nourrir notre réflexion dans les semaines qui viennent. Mais, dès aujourd’hui, quelques points essentiels nous semblent devoir être soulignés : a) la dénonciation d’une situation attentatoire aux droits les plus élémentaires, en matière d’hygiène, d’intimité, ou de nourriture. b) La volonté de mettre en avant la mission de préparation à la sortie et d’insertion de l’administration pénitentiaire, dans toutes ses dimensions : donner un travail, une formation, un enseignement, préparer la sortie, réfléchir à l’accès aux droits sociaux à la libération. Cette volonté partagée se double, chez les détenus, de l’expression d’une angoisse sur

N°58-59 Janvier 2007

Ce ne sont que quelques directions auxquelles, à mesure que nous avancerons dans l’analyse de ce qui a été dit, viendront s’ajouter beaucoup d’autres, et qui précisément auront d’autant plus de force qu’elles viendront s’articuler avec beaucoup d’autres pour penser une autre prison et un autre recours à la prison. Les organisations participants aux États généraux de la condition pénitentiaire, dans la préparation de ce qu’elles auront à dire le 14 novembre, n’entendent pas se substituer à cette parole, mais veulent réfléchir à la manière dont les espoirs de transformation que celle-ci porte peuvent être rendues à la fois possibles et incontournables. »

Les États généraux de la condition pénitentiaire Le 20 octobre 2006

N°58-59 Janvier 2007

9

8

LA CONSULTATION


« une chance réelle de faire bouger les choses » Les États généraux, rappelle Robert Badinter, reposent sur une idée simple : « que les détenus et tous les intervenants dans le monde carcéral aient la parole », pour exprimer leurs propres constats et attentes. Une « démarche citoyenne », selon Martin Hirsch, le président d’Emmaüs France, « c’est-à-dire qui ne nie pas la parole de certains » et « ne préjuge pas de leurs réponses ». Et qui explique le succès de la consultation, comme le soutien que lui a apporté le Médiateur de la République ou le président de la Croix Rouge française.

« une chance réelle de faire bouger les choses » Robert Badinter, sénateur et ancien garde des Sceaux « […] Depuis deux siècles […] essayer de transformer la condition pénitentiaire en France est une entreprise d’une difficulté immense. Les choses évoluent - très lentement, trop lentement -, mais la condition carcérale demeure structurellement mauvaise, indigne d’un pays comme le nôtre. […] Il nous est apparu que, là, il y avait une chance certaine, en tout cas une chance réelle, de faire bouger les choses. Je suis convaincu que ce qui a été fait par les États généraux de la condition pénitentiaire, cette idée qu’il fallait que les détenus et tous les intervenants dans le monde carcéral aient la parole, est une initiative forte et qu’elle ouvre une perspective nouvelle. […] Chacun sait que les détenus ne s’expriment pas. C’est le grand silence qui monte des espaces carcéraux, qu’a évoqué si souvent Foucault. C’est un monde de silence, c’est un monde à part. De temps à autre, jaillissent des gémissements ou des cris, mais c’est un monde clos. Comment faire pour recueillir la voix de ceux qui ne peuvent se faire entendre ? Cette difficulté-là a été résolue grâce au questionnaire […]. Encore fallait-il que l’on puisse donner aux détenus le moyen, l’occasion de s’exprimer. Je tiens à remercier le garde des Sceaux, le directeur de l’administration pénitentiaire, pour avoir accepté que les délégués du Médiateur puissent aller dans les établissements et déposer eux-mêmes les questionnaires. […] C’est vrai que c’est la première fois. Il y a eu, dans l’histoire pénitentiaire, beaucoup d’enquêtes […] mais rien de comparable à cette initiative permettant de dire : voici ce que souhaitent les détenus. D’autres étaient concernés. Je regrette que le personnel pénitentiaire, dont je tiens à dire toujours

qu’il remplit une tâche très difficile, dans des conditions très difficiles - ils ont le sentiment justifié que le public ne prend pas assez en compte les difficultés de leur condition et de leur tâche -, n’ait pas plus amplement répondu. C’était important. […] En ce qui concerne les autres intervenants, nous avons une proportion de réponses que je considère comme honorable. […] Nous aurons un temps “2“, bientôt. Nous serons bientôt aux États généraux. La formule a, évidemment, dans la Mairie de Paris beaucoup d’éclat. Elle évoque des instants révolutionnaires. […] J’ai été heureux de constater que le garde des Sceaux, sans attendre, d’un seul coup, considérait qu’il était de sa première obligation de communiquer sur l’amélioration constante de la condition carcérale, les réalisations et les projets. Je le conçois parfaitement, mais je rappelle qu’il est minuit moins cinq. […] C’est au moment où va intervenir le vrai grand débat politique - c’est-à-dire les élections présidentielles, suivies immédiatement des élections législatives - que va se jouer, j’en suis convaincu, le sort d’une éventuelle réforme. Pas un bricolage, rapidement, pour dire que l’on a fait quelque chose in extremis, et ensuite se porter devant l’électeur en disant : “Voyez, voilà, nous sommes irréprochables, regardez ce que nous avons fait.“ Ce n’est pas ça qui importe. […] Quand est-ce que s’est joué le sort de la peine de mort en France ? Il s’est joué dans la campagne présidentielle. Et puis, ensuite, dans les législatives qui ont accompagné la présidentielle. […] De la même manière, je souhaite que là, pendant cette campagne qui va s’ouvrir, la question de la réforme pénitentiaire soit posée aussi nettement et clairement que l’a été l’abolition de la peine de mort en 1981 et que les candidats, non pas par des propos d’ordre général, mais, sur les propositions formulées qui constitueront un bloc, disent : “Oui, ceci sera fait aussitôt“. […] »

Robert Badinter : « Il y a eu, dans l’histoire pénitentiaire, beaucoup d’enquêtes mais rien de comparable à cette initiative permettant de dire : voici ce que souhaitent les détenus. » © Ulrich Lebeuf

« Il y aura un avant et un après » Gabriel Mouesca, président de l’OIP « […] Si les “sans voix“, jusqu’à présent, se sont exprimés, c’était bien souvent au travers de mouvements durs, parfois dramatiques. […] Pour la première fois, les États généraux de la condition pénitentiaire ont permis qu’il y ait une prise de parole de ces fameux “sans voix“. On aurait alors pu s’attendre à ce que cette parole soit faite de cris, de hurlements. Il n’en a rien été. […] C’est dire si ce qui se passe aujourd’hui avec cette prise de parole, entre autres, des personnes détenues, tient de la révolution culturelle. Je pense que, quand M. Pascal Clément a donné son feu vert pour que cette opération se produise, il n’était pas conscient que son avis favorable allait ouvrir une nouvelle page de l’histoire de la prison dans ce pays, qu’il y aura un avant et un après États généraux de la condition pénitentiaire. Àl’heure où nous commémorons l’anniversaire de l’abolition de la peine de mort, les États généraux veulent rappeler que le mot “responsable politique“ a du sens, et qu’il sous-entend une part de courage. M. Robert Badinter a fait preuve de courage lorsqu’il a obtenu l’abolition de la peine de mort. Nous espérons que les hommes politiques d’aujourd’hui et de demain sauront aussi en faire preuve. »

N°58-59 Janvier 2007

« une démarche citoyenne » Jean-François Mattei, président de la Croix Rouge française « […] Pourquoi est-ce que la Croix Rouge française se trouve à vos côtés aujourd’hui, Monsieur Badinter, Monsieur le Médiateur, cher Gabriel Mouesca ? Tout simplement parce que c’est la vocation du mouvement de la Croix Rouge que d’être dans les prisons. Tout le monde sait le rôle que joue le Comité international de la Croix Rouge pour les prisonniers qui sont détenus en temps de guerre, en temps de conflit. Et c’est naturellement le rôle de la Croix Rouge française que d’être présente dans nos maisons d’arrêt, dans nos centrales, dans nos centres de détention. Pourquoi ? Parce que la mission de la Croix Rouge est de soulager les souffrances, quelles qu’elles soient, quel que soit leur mode d’expression. Or, nul doute que la personne incarcérée est en souffrance. […] Le deuxième commentaire que je voudrais faire brièvement, c’est de dire que cette action qui est engagée aujourd’hui nous paraît indispensable pour notre société. D’abord parce que c’est en explorant ses marges qu’une société peut corriger, peut fixer une ligne de conduite. […] Et puis ensuite, vous l’avez dit Monsieur Badinter, […] dès lors que vous avez fait adopter par le pays l’abolition de la peine de mort, tout prisonnier a vocation à être libéré un jour. Et donc il faut préparer la sortie. […] C’est d’ailleurs l’intérêt de la société tout entière, y compris des victimes. Enfin, le troisième point : pourquoi est-ce que la Croix Rouge soutient la démarche oecuménique des États généraux ? Parce que ça nous paraît être une démarche d’abord citoyenne [et] une démarche neutre. Et le fait que Monsieur le Médiateur de la République se soit engagé est une preuve de neutralité, car nous sommes, à la Croix Rouge, très scrupuleux sur le respect du principe d’humanité, mais aussi sur le principe de neutralité et d’impartialité. […] » N°58-59 Janvier 2007

11

10

LA CONSULTATION


« Un premier obstacle a été vaincu »

Jérôme Sainte-Marie (BVA) : « La volonté d’expression est particulièrement forte parmi les détenus, pour qu’ils aient pris le temps et fait l’effort pour nous répondre. » © Samuel Bollendorf / L’œil public

« la volonté d’expression est particulièrement forte parmi les détenus » Jérôme Sainte-Marie, directeur du pôle Opinion de BVA « […] Pour l’institut BVA, cette opération présente un intérêt particulier, d’une part par sa méthodologie totalement novatrice, d’autre part par le retentissement qu’elle peut avoir, et enfin, bien sûr, par l’utilité éventuelle, que j’espère en tout cas, de cette opération. En fait, il s’agit d’une consultation - le terme est important, ce n’est pas un sondage - et le succès d’une consultation dépend encore plus que pour un sondage de la bonne volonté de la population ciblée, des conditions de distribution des questionnaires. De ce point de vue-là, nous avons une opération en deux volets, avec des résultats assez contrastés. Le premier volet, c’est bien sûr la consultation des détenus. […] Un questionnaire en version papier [leur a été distribué]. Autre aspect, autre population : les questionnaires en ligne pour l’ensemble des acteurs en lien avec le système carcéral, et, au sein de cet ensemble, des résultats là aussi contrastés. La consultation des détenus […] n’a pas, effectivement, à ma connaissance, de précédent : 61 000 questionnaires ont été envoyés à l’ensemble des établissements pénitentiaires sur une durée très courte, entre le 1er et le 7 juin 2006. Nous avons pu compter sur la collaboration de l’administration pénitentiaire, qui a mis les questionnaires à la disposition des personnes détenues, et [sur] la distribution en main propre pour 45 300 questionnaires par les délégués du Médiateur de la République. […] Les questionnaires ont été renvoyés sous pli fermé au Médiateur de la République. On a porté un soin particulier, effectivement, à la confiden-

tialité des résultats et au fait que ces résultats étaient traités uniquement de manière statistique. Le taux de retours est très réellement exceptionnel, et cela pour plusieurs raisons. Nous avons reçu 15 000 questionnaires entre le 12 juin et le 30 septembre, et, quand nous parlons de questionnaires, il s’agit des questionnaires valides, de questionnaires que l’on peut effectivement exploiter. […] Il faut voir également […] que le questionnaire lui-même, je crois qu’il ne faut pas le cacher, est assez long, dans un langage qui n’est pas toujours le langage le plus courant et qui pouvait se heurter parfois, à mon sens, à des difficultés de compréhension […]. La volonté d’expression est donc particulièrement forte parmi les détenus, pour qu’ils aient pris le temps et qu’ils aient fait l’effort - parce que, dans certaines parties du questionnaire, il y a un réel effort de concentration et de compréhension à faire - pour nous répondre. Cela accentue encore ce qui a été dit auparavant sur cette volonté d’expression des détenus. [En ce qui concerne] la consultation en ligne des acteurs du monde pénitentiaire, […] c’est un peu compliqué parce que la définition même des populations est parfois un peu difficile, et surtout les conditions de contact possible sont évidemment beaucoup moins évidentes que pour les détenus eux-mêmes. Nous avons un taux de retours qui varie de 5 à 10 pour la plupart des catégories visées, mais qui est, à l’inverse, cela a été souligné déjà, exceptionnellement faible parmi les personnels de surveillance. […] Comment expliquer un taux de retours aussi faible dans cette populationlà ? Cela peut être l’inégal accès de cette cible-là à Internet, et peut-être un degré d’information limité. On peut penser aussi que l’opération n’a pas été reçue de manière positive par l’ensemble de ces personnels. […] »

Martin Hirsch, président d’Emmaüs France « Il me revient de dire quelques mots au nom des dix organisations qui, aux côtés de l’OIP, ont participé à cette démarche dont le caractère exceptionnel a été souligné. […] Démarche dont vous avez souligné que c’était une démarche citoyenne. Alors, qu’est-ce que cela veut dire une démarche citoyenne ? Cela veut dire qu’on ne nie pas la parole de certains, et on ne préjuge pas de leurs réponses. […] Je ne peux pas m’empêcher de penser au colloque “Pauvreté et prison“ que nous avons fait il y a quelque temps, à l’occasion duquel nous avons réalisé un petit DVD de 3 minutes qui expliquait les choses et que, sous nos signatures, nous avons envoyé aux ministres en leur disant de prendre 3 minutes pour le regarder et, éventuellement, une demi-heure pour nous recevoir après. Et bien, nous avons eu ce que vous connaissez, Messieurs les ministres : l’accusé de réception poli, que le ministre n’a même pas lu quand, parfois, il l’a signé, nous disant qu’on avait pris bonne note, avec beaucoup d’intérêt, de cette démarche très intéressante. […] Ceci ne sera plus possible après ce questionnaire et c’est en cela qu’il y a une force dans le recueil de l’opinion des personnes. Il ne vous a pas échappé notre déception sur le faible taux de retour de ceux qui n’étaient pas la population carcérale. Il n’est pas trop tard, il est extrêmement important que l’on ne sacralise pas une parole par rapport aux autres. […] La balle est maintenant dans leur camp et ils doivent s’en emparer pour que les États généraux puissent vivre. […] Cette démarche se fait au moment de la campagne présidentielle. Il y a un premier obstacle qui a été vaincu, la première crainte qu’on pouvait avoir, c’est que la prison, l’univers carcéral, soit un thème oublié, un thème négligé, un thème passé sous silence parce qu’il est difficile, parce

« C’est probablement l’unique opération au monde » Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République « […] J’ai reçu une demande de M. Marest pour connaître la position que pourrait avoir le Médiateur si on lui demandait d’assurer, au titre de la neutralité, la distribution d’un questionnaire. J’ai immédiatement adhéré à l’idée, car je crois que la privation de la liberté n’est pas la privation de l’accès à la parole. Prenant contact avec la Chancellerie, rapidement, nous avons pu obtenir la neutralité, et l’autorisation d’assurer la distribution auprès des détenus. Je crois, d’ailleurs, que c’est probablement l’unique opération au monde, d’une consultation par distribution d’un questionnaire en main propre aux détenus. […] Nous avons distribué 45 250 questionnaires, sur 55 000 détenus […]. Nous avions pris l’engagement d’assurer la réception des questionnaires à la Médiature, en refusant, bien évidemment, d’analyser le questionnaire : je ne suis en aucun cas concerné par le contenu du questionnaire, en aucun cas concerné par l’exploitation du questionnaire. […] Nous avons reçu, en Médiature, 15 600 questionnaires, soit 26 % de la population carcérale, taux qui, je crois, est jugé particulièrement élevé. […]

N°58-59 Janvier 2007

qu’il est gênant. […] Mais il y a un deuxième obstacle, c’est que, même lorsque l’on considère qu’il est sur le devant de la scène, lorsqu’il y de la matière pour pouvoir y réfléchir, on considère qu’il est anti-électoraliste, qu’il est à contre-courant de pouvoir apporter les réponses. Donc, maintenant, il faut être capable de montrer qu’il va y avoir un intérêt, pour les différents candidats, à apporter des réponses satisfaisantes. […] Quand des candidats viennent visiter des centres Emmaüs, […] ils félicitent des gens sans voir toujours qu’ils serrent la main à quelqu’un qui peut avoir 5, 10, 15, ou 25 ans de passé carcéral derrière lui. On ne peut pas dire à la fois que ce sont des gens formidables et qu’on les a mis pendant 10, 15, 20 ans dans des conditions où tout était fait pour qu’ils ne soient pas des gens formidables : c’est le premier point. Et puis, le deuxième point, c’est de montrer en quoi il y a un continuum entre une série de détresses, des détresses qu’ils vont considérer comme nobles, et pour lesquelles il vont tout naturellement penser qu’ils ont intérêt à y répondre, et d’autres détresses qui sont peut-être moins nobles et peut-être moins porteuses, mais qui sont finalement les mêmes détresses. […] Il ne faut pas oublier, et nous le martelons, que c’est la même population que l’on va voir de manière relativement aléatoire être en difficulté de prise en charge vis-à-vis de l’univers psychiatrique, vis-à-vis des centres d’urgence et vis-à-vis de la prison. Ce sont ces mêmes populations qui participent toutes à ce qu’on peut appeler ce halo de pauvreté et de vulnérabilité qui va concerner des millions de personnes. Si on veut s’adresser effectivement à l’ensemble de la population, […] on a également intérêt à pouvoir apporter des réponses satisfaisantes aux questions qui sont soulevées par cette démarche. Et c’est pour cela que nous avons bon espoir que les États généraux débouchent sur des avancées d’ampleur et concrètes. »

Qu’est-ce que je peux retirer comme conclusion ? D’abord un accueil cordial qui était réservé par l’administration pénitentiaire, à qui je tiens à rendre hommage. […] Nous avons pu distribuer les questionnaires avec un sens de l’organisation tout à fait remarquable [et un] souci de jouer le jeu de l’administration pénitentiaire, avec une neutralité absolue. La réaction des détenus a été généralement positive. Un certain nombre d’entre eux était d’ailleurs très au courant de l’opération grâce aux médias, et nous attendaient. Nous avons eu quelques cas de refus, mais extrêmement rares. […] Les contacts que nous avons eus avec le personnel pénitentiaire montraient le souci de certains d’entre eux de vouloir répondre et de se sentir presque un peu frustrés de ne pouvoir répondre. C’est vrai que l’absence d’un questionnaire papier […] leur a peut-être interdit de répondre, certains ignoraient même le site sur lequel ils pouvaient le faire. Voilà ce que je peux dire aujourd’hui de cette expérience, qui nous paraît à plus d’un titre exemplaire. […] Il appartient ensuite aux décideurs politiques de tenir compte de ces expressions pour prendre les décisions. Comme vous le disiez vous-même, ce qui m’importe, c’est de créer les forces, puisque, ensuite, une fois qu’elles sont en marche, les solutions suivent. » N°58-59 Janvier 2007

13

12

LA CONSULTATION


les principaux enseignements de la consultation, selon BVA

Après avoir dépouillé les questionnaires, l’institut BVA a tiré « les principaux enseignements » de la consultation.(1) À savoir : un investissement massif des personnes détenues dans la démarche, afin de réclamer « des conditions matérielles élémentaires leur assurant un minimum de dignité » et « dénoncer des situations jugées injustes, arbitraires et attentatoires aux droits fondamentaux », mais aussi une très forte convergence des perceptions et attentes des différents acteurs. Compte-rendu…

étonner car la consultation était ouverte à l’ensemble de ces professions, alors qu’ils « ne travaillent pas tous en relation étroite avec le monde carcéral ».

« II. une préoccupation partagée quant aux conditions de vie difficiles des détenus et à la situation singulière des prévenus » Comme tout-un-chacun pouvait s’y attendre, le principal sujet d’insatisfaction des détenus est les conditions matérielles de détention et l’ « atteinte à la dignité » qu’elles constituent (82 % d’insatisfaits). D’autant, insiste l’organisme, qu’ « il ne s’agit en aucun cas de réclamer un plus grand confort mais bien des conditions matérielles élémentaires leur assurant un minimum de dignité ». Leurs attentes portent ainsi principalement sur l’hygiène et la propreté, un minimum d’intimité et plus de proximité avec leur famille. Dans ces domaines, pour les détenus comme pour l’ensemble des répondants, une des trois actions prioritaires consiste à mettre en place des installations sanitaires préservant l’intimité de la personne (« 53 % la citent parmi les 3 actions prioritaires, 86 % la citent comme l’une de leurs attentes »). Les détenus réclament également un encellulement individuel (« 84 % des prévenus et 82 % des condamnés le citent comme l’une de leurs attentes »), ainsi que - comme leurs proches, les avocats, les surveillants et les intervenants extérieurs - d’être affectés dans un lieu proche de leur famille (« 50 % citent cette réponse parmi les 3 actions prioritaires et 88 % au global »). La consultation met également en lumière « une préoccupation particulière pour le régime de détention des prévenus et des condamnés en maison d’arrêt ». Le premier

recueille par exemple 80 % d’insatisfaits chez les détenus et 86 % des prévenus, « qui sont rejoints en cela par l’ensemble des autres catégories de répondants, magistrats et personnels de l’administration pénitentiaire compris ». « Les détenus en maison d’arrêt, explique BVA, souffrent d’être soumis durant de longues périodes à un régime de détention conçu, comme son nom l’indique, pour le court terme (peu de mobilité en interne, limitation des contacts avec l’extérieur, pas d’activité de réinsertion, etc.) ». Ils souhaitent majoritairement « l’application en maison d’arrêt des aspects positifs de la détention en centre de détention (62 % de citations) », tandis que « les autres acteurs (travailleurs sociaux, surveillants, avocats, magistrats) insistent quant à eux sur un autre aspect problématique de la détention en maison d’arrêt à savoir la non séparation entre les personnes condamnées et les prévenus qui sont en attente de jugement ».

« III. une dénonciation de la part des détenus de manquements au respect des droits fondamentaux » Après les conditions matérielles, c’est le respect des droits fondamentaux qui suscite la plus grande insatisfaction des détenus (78 %) et constitue « l’un des thèmes qui revient le plus fréquemment dans les commentaires libres en fin de questionnaire ». Saisissant l’occasion de cette consultation pour « dénoncer des situations jugées injustes, arbitraires et attentatoires aux droits fondamentaux », « 12 % se disent victimes du manque de respect des surveillants au quotidien (violence, abus d’autorités) et 23 % évoquent un sentiment plus général concernant l’absence de droits ». Pour remé-

Pourcentage d'insatisfaction des détenus par domaines Principal sujet d’insatisfaction, les conditions matérielles constituent une « atteinte à la dignité ». © Samuel Bollendorf / L’œil public « I. un taux de retour exceptionnel de la part des détenus » Le « taux de retour exceptionnel » des personnes détenues est sans conteste le premier des enseignements de la consultation. Pour BVA, cette « participation massive » est « sans commune mesure avec celle habituellement observée auprès du grand public (5 à 10 % de taux de retour) » et lève « les doutes exprimés lors du lancement de l’opération quant à [leur] mobilisation ». En effet, note l’institut, « si [leur] désenchantement […] est grand, ils ont cependant répondu en nombre et de manière très complète au questionnaire complexe qui leur a été proposé ». Concernant les autres acteurs, l’organisme rappelle que, « à l’inverse des détenus qui recevaient le questionnaire in situ situ, les autres cibles devaient répondre à une consultation en ligne ». Or, si ce procédé « était le meilleur moyen d’assurer la mise à disposition pour tous d’un même questionnaire », il induit

« d’importantes différences en termes de niveau d’information (quant à l’existence de la consultation), à la facilité de maniement de l’outil informatique et à l’accès à Internet ». D’où un taux de retour moindre pour les autres catégories d’acteurs que pour les détenus mais néanmoins jugé par BVA « élevé pour une consultation en ligne » : 5 397 personnes ont fait la démarche de remplir le questionnaire, dont 2 171 ont pu être exploités. En fait, « les seuls acteurs directement concernés par la question à ne pas avoir largement pris la parole » sont les personnels de surveillance, qui ont participé à hauteur de seulement 1 % de leurs effectifs globaux. Pour les autres catégories, le taux se situe le plus souvent « dans une fourchette de 5 à 10 % » (juges de l’application des peines, personnels médicaux, enseignants, directeurs de prison, personnels des services d’insertion et de probation, etc.). Le taux de retour des avocats et magistrats est plus faible. Mais, écrit BVA dans sa synthèse, ce chiffre ne doit pas

Les conditions générales de la détention Le régime de détention des prévenus La prévention des suicides La préparation à la sortie La protection des droits fondamentaux de la personne Le maintien et le développement des liens familiaux Le travail, l'emploi et la formation professionnelle

82 % 80 % 79 % 78 % 78 % 77 % 74 %

Le régime de détention des condamnés L'accompagnement à la sortie Les interventions en prison des personnes extérieures Le quartier disciplinaire

73 % 71 % 70 % 69 %

Les mesures de sécurité Les métiers des personnels pénitentiaires L'enseignement et les activités socio-culturelles L'accès aux soins médicaux L'accès aux soins psychiatriques

66 % 65 % 61 % 60 % 59 %

Source : BVA, « Consultation en vue des États Généraux de la condition pénitentiaire – Synthèse », octobre 2006.

N°58-59 Janvier 2007

N°58-59 Janvier 2007

15

14

LA CONSULTATION


« V. une volonté de voir changer le regard de la société sur le détenu et de mobiliser la classe politique » Découpé en cinq thématiques et dix-huit fiches, le questionnaire À la fin du questionnaire, deux questions traitait de l’ensemble des problématiques relatives à l’univers ouvertes appelaient les répondants à un carcéral, de la protection des droits fondamentaux jusqu’aux altercommentaire libre sur les aspects jugés les natives à l’incarcération, en passant par le métier des personnels plus inacceptables des conditions de détenpénitentiaires, le développement des liens familiaux ou les régimes tion et sur ce qu’ils attendaient d’une réforme de détention. Pour chacune de ces fiches, les personnes étaient des prisons. Selon BVA, « les réponses des invitées dans un premier temps à exprimer leur niveau de satisfacdétenus à la première question se font l’écho tion (très satisfaisant, satisfaisant, insatisfaisant ou très insatisfaide leurs nombreuses difficultés quotidiennes sant). Ensuite, elles pouvaient choisir, parmi une liste, les réformes évoquées précédemment : les mauvaises qu’elles pensaient devoir être mises en œuvre, puis les trois qui leur conditions de vie (43 %), le sentiment d’arparaissaient prioritaires. Enfin, deux questions dites « ouvertes » bitraire (23 %), le manque de relation avec leur permettaient d’exprimer ce qui leur paraissaient le plus inacles familles (20 %), le manque d’activités ceptable dans les conditions de détention et ce qu’elles attendaient (19 %) ». Dans la seconde, ils « vont plus prioritairement d’une réforme pénitentiaire. loin encore » et déclarent, pour la plupart d’entre eux, « souffrir du regard porté par la société sur eux et espèrent une évolution globale des mentalités afin qu’on leur offre aux dispositifs d’urgence à la sortie de prison, etc. –, cette de réelles possibilités de réinsertion (16 %) ». « Nombre préoccupation présente cependant la particularité chez les d’entre eux, ajoute l’institut, interpellent par leurs réponses détenus de s’accompagner « d’une vision plus directement à ce questionnaire, le politique, le législateur et les instituliée à la crainte de la pauvreté, en prison et en dehors ». tions afin d’accélérer les réformes (12 % citent d’ailleurs la Un autre « écart de perception » existe sur la prévention nécessité de mobiliser la classe politique) et d’améliorer du suicide. Alors qu’elle fait « partie des trois premiers la condition carcérale en France. » En outre, « plus d’une domaines d’insatisfaction des détenus et notamment des remarque spontanée sur cinq se réfère à un souhait de voir personnes placées en détention provisoire (respectivement évoluer le droit pénal (22 %) qu’il s’agisse de demander 79 % et 84 % d’insatisfaits) », elle « n’apparaît en moyenne davantage d’aménagement de peines (10 %), davantage qu’en 11ème position pour les autres catégories (sur les d’alternatives à l’emprisonnement (6 %) ou la limitation du 17 domaines évoqués) ». Une question d’autant plus sensi- recours et de la durée de la détention provisoire (4 %) ». Ces ble que, précise BVA, « sans l’évoquer forcément de façon commentaires libres font écho aux réponses portant sur le spontanée, les personnes détenues semblent se sentir développement des peines alternatives à l’emprisonnement, extrêmement fragiles face à cet acte désespéré ». Pour dont le trop faible développement est un constat partagé autant, les attentes en la matière convergent là encore puis- par l’ensemble des catégories de répondants, surveillants et que « l’ensemble des acteurs, détenus y compris, estiment magistrats compris. Pour ce qui est des détenus, « 62 % […] qu’il faut avant tout apporter un soutien psychologique lors jugent que les alternatives à l’emprisonnement ne sont pas des moments à risque (incarcération, procès, etc.) et amé- assez développées et souhaitent de nombreuses réformes liorer la formation du personnel en la matière ». Une autre dans ce sens comme la limitation des durées de placement idée, qui « revient de façon transversale dans les différents en détention provisoire (76 %), le recours au contrôle judithèmes abordés », « est de faire davantage travailler en ciaire (76 %) et de l’aménagement systématique des peines commun l’ensemble des acteurs du monde pénitentiaire ». (70 %) ». On retrouve ainsi dans les réponses, et notamment Les détenus notamment « aimeraient […] que la collabo- dans les questions ouvertes, non seulement « l’idée d’une ration entre le personnel de surveillance et les travailleurs réforme en profondeur », mais également l’idée que celle-ci sociaux soit renforcée pour favoriser les démarches de doit « passer par la réforme du droit pénal ». réinsertion des détenus (45 % de citations) », « de même pour l’intervention de personnes extérieures ». Enfin, « les (1) BVA, « Consultation en vue des États Généraux de la condition pénitentiaire - Principaux enseignements de l’étude », octobre détenus et l’ensemble des acteurs du monde pénitentiaire 2006. Toutes les citations de l’article sont issues de ce document. sont d’accord pour dénoncer les conditions insatisfaisantes d’exercice des personnels de l’administration pénitentiaire (66 % d’insatisfaits chez les détenus) », même si la question apparaît évidemment comme plus prioritaire pour les surveillants. Ces derniers réclament ainsi une augmentation de leurs effectifs, tandis que 46 % des détenus et la majorité des autres intervenants jugent prioritaire d’augmenter le nombre de travailleurs sociaux. « Par ailleurs, note BVA, l’ensemble du personnel pénitentiaire est la catégorie qui a le plus mis en avant le besoin d’augmenter les moyens de l’administration pénitentiaire notamment pour les services médicaux et psychiatriques (SMPR et UCSA) ».

le questionnaire

Les attentes des détenus en matière de préparation à la sortie révèlent leur crainte de la pauvreté. © Samuel Bollendorf / L’œil public

dier à cela, doivent être prioritairement mis en place, selon les détenus et la plupart des acteurs du système, un organe de contrôle extérieur (« 50 % des détenus le citent parmi les 3 actions prioritaires et 56 % des condamnés en maisons centrales, 81 % le citent comme une de leurs attentes ») et un dispositif d’information sur leurs droits (« citée par 80 % des détenus et par 43 % comme une action prioritaire »). Seconde insatisfaction des détenus (7 sur 10) : le « respect de leurs droits lorsqu’ils font l’objet d’un placement en quartier disciplinaire ou lors des interventions de sécurité ». Parmi leurs attentes, ils « souhaiteraient avant tout que ne soit pas ajouté à une sanction disciplinaire un retrait de réduction de peine (43 % comme une attente prioritaire et 71 % au global), assister à la fouille de leur cellule (53 % comme une attente prioritaire et 85 % au global) et supprimer la fouille corporelle intégrale (46 % comme une attente prioritaire, 70 % des détenus expriment cette attente) ». Sur ces thèmes, note BVA, « les surveillants se démarquent par un jugement globalement positif et un taux de non réponse élevé pour les actions à mettre en œuvre », qui se limitent généralement à l’harmonisation des règlements intérieurs

des établissements pénitentiaires. Les magistrats insistent quant à eux « sur l’amélioration du dispositif légal (contrôle et possibilité de recours plus rapides) ».

« IV. Regards croisés entre détenus et acteurs du monde judiciaire et pénitentiaire » Si des différences existent selon les catégories de répondants, la convergence d’un grand nombre d’attentes est, selon BVA, un des autres principaux enseignements de cette consultation. C’est le cas notamment pour « l’accès aux soins médicaux, psychiatriques et la prise en charge de la dépendance [qui] suscitent une insatisfaction majoritaire » ou pour le transfert systématique des détenus souffrant de graves troubles psychiatriques en milieu hospitalier, pour lequel il existe « un formidable consensus entre tous les répondants ». La préparation à la sortie est également « jugée insuffisante par l’ensemble des acteurs et des détenus ». Au vu de leurs attentes – rémunération du travail dans les mêmes conditions qu’à l’extérieur, rémunération des enseignements et formation professionnelle, accès élargi

N°58-59 Janvier 2007

N°58-59 Janvier 2007

17

16

LA CONSULTATION


LES RÉSULTATS PAR THÈMES

le service public pénitentiaire Source : BVA-États généraux de la condition pénitentiaire, « Consultation en vue des États Généraux de la condition pénitentiaire – Résumé par thèmes », octobre 2006.

la protection des droits fondamentaux de la personne

les métiers des personnels pénitentiaires

Taux d’insatisfaction des détenus : 78 % Taux d’insatisfaction globale des autres acteurs du monde pénitentiaire : 75 % « Plus de 3 détenus sur 4 considèrent que la protection de leurs droits fondamentaux est insatisfaisante. Pour y remédier, ils évoquent prioritairement la nécessité de “mettre en place un organe de contrôle extérieur et indépendant assurant la protection des droits et libertés en prison“ (8 sur 10) puis celle de ““prévoir prévoir un dispositif d’information permettant à chaque détenu de connaître ses droits“ (8 sur 10) et enfin, de “favoriser la communication des personnes détenues avec les médias au sujet des conditions de détention“ (plus de 7 sur 10). Il est frappant de constater que le taux d’insatisfaction parmi les acteurs du monde pénitentiaire est supérieur, pour quatre catégories de répondants, à celui exprimé par les détenus. Il en est ainsi des avocats, des familles (il s’agit de leur troisième source d’insatisfaction), des intervenants extérieurs et des personnels de santé. Les travailleurs sociaux ont une appréciation quasiment équivalente à celle des détenus suivis par les magistrats. Seule une minorité des surveillants considère la situation comme insatisfaisante. De façon extrêmement homogène, l’ensemble des acteurs du monde pénitentiaire évoquent à l’instar des détenus, la mise en place d’un “organe de contrôle extérieur et indépendant“ (citée 6 fois sur 7 comme la première priorité pour les familles, les travailleurs sociaux, les magistrats, les avocats, les personnels de santé et les intervenants extérieurs), puis celle d’un “dispositif d’information permettant à chaque détenu de connaître ses droits“ (5 fois sur 7). Seul élément distinctif au regard des actions prioritaires préconisées par les détenus, le fait d’“harmoniser les règlements intérieurs“ des prisons figure comme la troisième action prioritaire des acteurs du monde pénitentiaires (4 fois sur 7) et la première pour les surveillants. »

Taux d’insatisfaction des détenus : 66 % Taux d’insatisfaction globale des autres acteurs du monde pénitentiaire : 78 % « Deux tiers des détenus considèrent que les conditions d’exercice de leurs métiers par les personnels pénitentiaires ne sont pas satisfaisantes. Pour 3 détenus sur 4, l’action la plus citée consiste à “augmenter le nombre de travailleurs sociaux“ puis, pour une proportion presque équivalente de “développer et renforcer la collaboration entre le personnel de surveillance et les travailleurs sociaux pour favoriser les démarches de réinsertion des détenus“ et enfin, pour 6 détenus sur 10, d’“organiser des rencontres régulières entre les personnels pénitentiaires et les détenus au sujet du fonctionnement de l’établissement“. Le taux d’insatisfaction parmi les différentes catégories de répondants est notoirement supérieur à celui exprimé par les détenus et cette opinion est formulée par 3 acteurs du monde pénitentiaire sur 4. Les surveillants (il s’agit de leur première source d’insatisfaction) et plus encore les travailleurs sociaux se plaignent très massivement des conditions dans lesquels ils exercent leurs métiers. Le regard posé sur les conditions de travail des personnels pénitentiaires est particulièrement négatif de la part des intervenants extérieurs, des magistrats, des personnels de santé et des familles de détenus. Seuls les avocats expriment un point de vue un peu plus favorable sur le sujet que les détenus. De façon extrêmement prononcée, les différents acteurs du monde pénitentiaire se rejoignent sur la nécessité qu’il y a à “augmenter augmenter le nombre de travailleurs sociaux“ (citée 5 fois sur 7 comme la première priorité par les travailleurs sociaux, les magistrats, les avocats, les personnels de santé et les intervenants extérieurs), puis de “développer et renforcer la collaboration entre le personnel de surveillance et les travailleurs sociaux pour favoriser les démarches de réinsertion des détenus“ (4 fois sur 7). L’action consistant à “augmenter augmenter le nombre de personnels de surveillance“ est citée prioritairement par les surveillants. »

Seule une minorité des surveillants considère la situation en matière de protection des droits fondamentaux comme insatisfaisante. © Samuel Bollendorf / L’œil public

les interventions en prison de personnes extérieures Taux d’insatisfaction des détenus : 71 % Taux d’insatisfaction globale des autres acteurs du monde pénitentiaire : 64 % « Plus de 7 détenus sur 10 considèrent que les conditions d’intervention en prison des personnes extérieures est insatisfaisante. Pour y remédier, ils évoquent la nécessité d’une action prioritaire consistant à ““proposer aux intervenants extérieurs de travailler en commun avec les personnels de l’AP pour favoriser les démarches de réinsertion des détenus“ (plus de 8 sur 10), puis celle consistant à “augmenter le nombre des interventions de personnes extérieures à l’AP“ (les 3⁄4 d’entre eux), et pour deux tiers d’entre eux, celle consistant à “organiser des rencontre régulières entre les intervenants extérieurs et les détenus au sujet du fonctionnement de l’établissement“. Le taux d’insatisfaction parmi les acteurs du monde pénitentiaire est l’un des plus bas exprimés au travers de leur consultation. Il se partage entre, d’une part, deux catégories de répondants qui déplorent très fortement les conditions d’intervention des personnes extérieures (familles et avocats) et d’autre part, deux autres catégories (personnels de santé et travailleurs sociaux) qui expriment peu ou prou la

N°58-59 Janvier 2007

même appréciation que celle des intervenants extérieurs eux-mêmes. Les magistrats sont partagés tandis que seule une minorité de personnels de surveillance se montre insatisfaite. L’action consistant à ““proposer aux intervenants extérieurs de travailler en commun avec les personnels de l’AP pour favoriser les démarches de réinsertion des détenus“ se dégage comme étant la première priorité selon les différents acteurs du monde pénitentiaire (citée 5 fois sur 7 comme telle par les familles, les travailleurs sociaux, les surveillants, les magistrats et les intervenants extérieurs). L’action visant à “garantir le respect en prison des règles de déontologie propres aux métiers des différents intervenants extérieurs“ arrive en second (4 fois sur 7). Elle est la première priorité des avocats et du personnel médical. Les actions consistant à “définir clairement les principes régissant l’octroi et le retrait des autorisations d’accès des intervenants de sorte à limiter l’arbitraire“ et “augmenter le nombre des interventions des personnes extérieures à l’administration pénitentiaire“ se partagent la troisième place dans les préoccupations des répondants en ligne. »

N°58-59 Janvier 2007

19

18

LA CONSULTATION


LES RÉSULTATS PAR THÈMES

la vie quotidienne Source : BVA-États généraux de la condition pénitentiaire, « Consultation en vue des États Généraux de la condition pénitentiaire – Résumé par thèmes », octobre 2006.

les conditions générales de détention

le maintien et le développement des liens familiaux

Taux d’insatisfaction des détenus : 77 % Taux d’insatisfaction des détenus : 82 % Taux d’insatisfaction globale des autres acteurs Taux d’insatisfaction globale des autres acteurs du monde pénitentiaire : 74 % du monde pénitentiaire : 85 % « Plus de 3 détenus sur 4 considèrent que la situation « Plus de 8 détenus sur 10 considèrent que leurs conditions qui prévaut en matière de maintien des liens famide vie au quotidien sont insatisfaisantes. Il s’agit là du plus liaux est insatisfaisante. Pour y remédier, ils estiment fort taux d’insatisfaction exprimé par les détenus au travers nécessaire les actions qui consistent à (par ordre de de la consultation. Pour y remédier, ils évoquent à même priorité) “affecter tout détenu hauteur (près de 9 fois sur 10) la dans un lieu de détention nécessité de “mettre en place des proche de son domicile installations sanitaires (douches, « Les niveaux d’insatisfaction ou de celui de sa famille“ famille“, toilettes), préservant l’intimité de exprimés au sujet des “augmenter la fréquence et la personne“ et celle de ““permettre permettre la durée des parloirs“ parloirs“,, ““perperun accès quotidien des détenus aux conditions de détention sont mettre aux détenus de renactivités, à la formation ou au trales plus élevés apparus lors contrer leur famille et leurs vail“. La troisième action prioritaire proches dans des conditions consiste à leurs yeux à “assurer à de la consultation » qui respectent le droit à l’intichaque détenu l’accès à un revenu mité“ ainsi que “systématiser minimal“. les autorisations de sortie en Les niveaux d’insatisfaction expricas de circonstances familiales graves“. més par les acteurs du monde pénitentiaire au sujet des Le taux d’insatisfaction varie de façon sensible selon conditions de détention sont les plus élevés apparus lors les acteurs du monde pénitentiaire concernés. Il est de la consultation. Ils sont généralement supérieurs à celui nettement supérieur à celui exprimé par les détenus exprimé par les détenus. Ainsi il est quasi unanime pour les dans le cas des familles et des avocats, et dans une avocats (c’est leur première source d’insatisfaction), légèremoindre mesure par les intervenants extérieurs et les ment inférieur même s’il reste très élevé chez les travailleurs personnels de santé. Il est légèrement inférieur tout sociaux, les intervenants extérieurs (seconde source d’insaen restant largement majoritaire pour ce qui est des tisfaction), les familles (première source d’insatisfaction), les travailleurs sociaux et des magistrats. L’insatisfaction personnels de santé (troisième source d’insatisfaction) et est minoritaire parmi les surveillants. les magistrats. Il est à noter qu’une légère majorité de surL’action consistant à “affecter tout détenu dans un lieu veillants considère la situation comme insatisfaisante. de détention proche de son domicile ou de celui de sa De façon massive et quasi unanime, l’ensemble des acteurs famille“ recueille l’assentiment majoritaire (citée 4 du monde pénitentiaire à l’exception des intervenants extéfois sur 7 comme la première priorité par les familles, rieurs évoquent la nécessité de “mettre en place des installes surveillants, les avocats et les intervenants extélations sanitaires (douches, toilettes), préservant l’intimité rieurs), suivie de celle visant à ““permettre aux détenus de la personne“ comme l’action la plus prioritaire. Figurent de rencontrer leur famille et leurs proches dans des ensuite, dans des proportions équivalentes, la nécessité de conditions qui respectent le droit à l’intimité“ (service ““permettre un accès quotidien des détenus aux activités, à social, magistrats) puis celle consistant à “systématila formation ou au travail“ et celle de “respecter les condiser la desserte des lieux de détention par les transtions minimales de superficie, de chauffage, d’éclairage et ports en commun“. » d’aération des cellules“. »

l’enseignement et les activités socioculturelles

l’accès aux soins médicaux

Taux d’insatisfaction des détenus : 65 % Taux d’insatisfaction globale des autres acteurs du monde pénitentiaire : 70 % « Près des deux tiers des détenus considèrent que la situation qui concerne l’offre et les conditions dans lesquelles s’effectuent l’enseignement et les activités socioculturelles est insatisfaisante. Pour y remédier, ils souhaitent voir mis en oeuvre (par ordre décroissant) les actions consistant à “rémunérer les détenus qui suivent un enseignement ou une formation“ formation“,, puis ““proposer proposer davantage d’activités sportives et culturelles“ et enfin, ““proposer proposer à tous les détenus des programmes d’enseignement et de formation“. Le taux d’insatisfaction des différents acteurs du monde pénitentiaire varie sensiblement selon les catégories de répondants. Il est très supérieur à celui exprimé par les détenus dans le cas des familles, des avocats, des intervenants extérieurs et des personnels de santé. Il apparaît également fortement, mais dans une moindre mesure, chez les travailleurs sociaux, les magistrats. Même s’ils sont relativement partagés sur cette question, les surveillants estimant la situation insatisfaisante sont minoritaires. Trois actions obtiennent principalement l’assentiment des différents acteurs du monde pénitentiaire. La première consiste à ““proposer à tous les détenus des programmes d’enseignement et de formation“ (citée 5 fois sur 7 comme la première priorité par les familles, les travailleurs sociaux, les magistrats, les personnels de santé et les intervenants extérieurs), la seconde à “donner aux mineurs le même enseignement que celui proposé en milieu scolaire“ et la troisième à ““proposer aux détenus des cours d’apprentissage de la langue française“. Ces deux dernières actions se distinguent de celles qui doivent être mises en avant prioritairement selon les détenus. »

Taux d’insatisfaction des détenus : 61 % Taux d’insatisfaction globale des autres acteurs du monde pénitentiaire : 65 % « Plus de 6 détenus sur 10 considèrent que la situation de l’accès aux soins médicaux est insatisfaisante. L’action consistant à ““permettre la consultation d’un médecin à toute heure de la nuit et du week-end“ se détache nettement parmi celles qu’ils estiment devoir être mises en oeuvre de façon prioritaire. Apparaissent ensuite les actions visant à “augmenter les moyens de fonctionnement des services médicaux“ puis de “développer les permissions de sortir pour consulter un médecin à l’extérieur“. Le taux d’insatisfaction exprimé par les différents acteurs du monde pénitentiaire est globalement identique à celui des détenus même s’il figure en second rang parmi les plus bas exprimés au travers de leur consultation. Il varie cependant très sensiblement selon les catégories de répondants. Il est très supérieur dans le cas des familles, des avocats et des intervenants extérieurs. Il est équivalent pour les magistrats et les travailleurs sociaux. L’appréciation de la situation de la part des personnels de santé est manifestement partagée, tandis que celle des surveillants traduit une de leur insatisfaction la plus minoritaire. À noter que l’accès aux soins médicaux est classé au dernier rang des sujets d’insatisfaction chez les personnels de santé. Un consensus très fort parmi tous les acteurs à l’exception des familles entoure le fait de considérer que l’action prioritaire consiste à “augmenter les moyens de fonctionnement des services médicaux“ médicaux“, suivie par la nécessité de ““permettre la consultation d’un médecin à toute heure de la nuit et du week-end“. Les actions visant à ““proposer à tout détenu des actions d’éducation à la santé et à la prévention des risques“ et “garantir le respect des prescriptions médicales et des régimes alimentaires spécifiques“ se partageant les suffrages dans un troisième temps. »

le travail, l’emploi et la formation professionnelle Taux d’insatisfaction des détenus : 77 % Taux d’insatisfaction globale des autres acteurs du monde pénitentiaire : 86 % « Plus de 3 détenus sur 4 considèrent que la situation qui concerne l’offre et les conditions de travail et de formation professionnelle est insatisfaisante. Pour y remédier, ils font apparaître comme largement prioritaire l’action qui consiste à “assurer assurer une rémunération du travail en prison“ (citée 7 fois sur 10 comme la première priorité). Par ailleurs, ils estiment nécessaire de ““proposer à tout détenu qui en fait la demande un parcours de qualification professionnelle par le biais d’une formation, d’une activité d’insertion ou d’un emploi“ puis d’“appliquer en prison les dispositions du Code du travail“. Le taux d’insatisfaction des différents acteurs du monde pénitentiaire est, pour la quasi-totalité des catégories de répondants, nettement supérieur à celui exprimé par les détenus. La situation de l’offre et des conditions de travail et de formation professionnelle mécontente fortement, par ordre décroissant, les travailleurs sociaux (dont c’est la première source d’insatisfaction), les magistrats (seconde source d’insatisfaction), les personnels de santé (seconde source d’insatisfaction), les intervenants extérieurs (troisième source d’insatisfaction), les familles, les surveillants puis les avocats. Un très fort consensus entoure l’action consistant à ““proposer à tout détenu qui en fait la demande un parcours de qualification professionnelle par le biais d’une formation, d’une activité d’insertion ou d’un emploi“ (citée 6 fois sur 7 comme la première priorité par toutes les catégories de répondants à l’exception des travailleurs sociaux). Les deux autres actions prioritaires aux yeux des acteurs du monde pénitentiaire sont celle visant à “appliquer en prison les dispositions du Code du travail“ et celle consistant à ““permettre permettre de concilier travail, formation et enseignement“. Cette dernière priorité étant le seul élément distinctif au regard des attentes exprimées par les détenus. »

N°58-59 Janvier 2007

N°58-59 Janvier 2007

21

20

LA CONSULTATION


LES RÉSULTATS PAR THÈMES

l’accès aux soins psychiatriques Taux d’insatisfaction des détenus : 60 % Taux d’insatisfaction globale des autres acteurs du monde pénitentiaire : 83 % la prise en charge de la toxicomanie, « 6 détenus sur 10 considèrent que la situade l’alcoolisme et des autres dépendances tion de l’accès aux soins psychiatriques est insatisfaisante. De façon très nette, l’action consistant à “transférer systématiquement Taux d’insatisfaction des détenus : 59 % en milieu hospitalier spécialisé les détenus Taux d’insatisfaction globale des autres acteurs souffrant de graves troubles psychiatriques“ du monde pénitentiaire : 74 % est jugée prioritaire par les détenus. Sui« Le taux d’insatisfaction des détenus au regard de la prise en vent les actions destinées à “augmenter les charge des personnes dépendantes à des produits comme le moyens des SMPR et des équipes psychiatabac, l’alcool, le cannabis ou les médicaments est le plus bas triques des UCSA“ puis ““protéger protéger la confiexprimé au travers de leur consultation (moins de 6 détenus sur dentialité des consultations psychiatriques“ 10). Dans ce contexte, ““proposer à toute personne entrant en et “créer des SMPR au sein de tous les lieux prison un bilan confidentiel concernant sa consommation de de détention“. drogues, d’alcool, de tabac“ tabac“,, puis ““proposer proposer systématiquement Il est important de noter que le taux d’insades consultations spécialisées en prise en charge des dépentisfaction global des différents acteurs du dances“ et enfin, “consacrer davantage de moyens à la prévenmonde pénitentiaire présente le plus grand tion et la prise en charge de l’alcoolisme et de la toxicomanie“ écart avec celui exprimé par les apparaissent comme les actions détenus, se situant à un niveau prioritaires selon les détenus. « De façon très nette, l’action Un taux d’insatisfaction de près très supérieur (plus de 20 points). L’appréciation de la situation est de 14 points supérieur à celui consistant à “transférer particulièrement négative parmi exprimé par les détenus caracsystématiquement en milieu térise l’appréciation de la situales magistrats (il s’agit là de leur première source d’insatisfaction), tion par les différents acteurs hospitalier spécialisé les les travailleurs sociaux et les du monde pénitentiaire. Le détenus souffrant de graves avocats, puis dans une moindre mécontentement est ainsi partimesure, parmi les intervenants troubles psychiatriques“ est culièrement sensible aussi bien extérieurs, les surveillants (dont parmi les avocats, les intervejugée prioritaire » c’est néanmoins la seconde source nants extérieurs, les travailleurs d’insatisfaction), les personnels de sociaux que les magistrats, santé et les familles. les personnels de santé et les Les trois actions devant être mises en œuvre familles. Il est à noter que l’insatisfaction parmi les surveillants de l’avis de l’ensemble des catégories de est très majoritaire et même supérieure à celle exprimée par les répondants correspondent à celles retenues détenus. par les détenus, y compris dans leur niveau Les attentes des différents acteurs du monde pénitentiaire conde priorisations. Ainsi, pour les acteurs du vergent avec celles exprimées par les détenus. Citées 4 fois sur monde pénitentiaire, il s’agit tout d’abord 7 comme prioritaires (par les familles, les travailleurs sociaux, de “transférer systématiquement en milieu les magistrats et les personnels de santé), l’action devant priohospitalier spécialisé les détenus souffrant ritairement être mise en oeuvre consiste à ““proposer systématide graves troubles psychiatriques“ (citée 4 quement des consultations spécialisées en prise en charge des fois sur 7 comme la première priorité par les dépendances“. Par ailleurs, les surveillants, les avocats et les familles, les surveillants, les avocats et les intervenants extérieurs jugent prioritaire l’action visant à ““prointervenants extérieurs), puis d’ “augmenter poser à toute personne entrant en prison un bilan confidentiel les moyens des SMPR et des équipes psyconcernant sa consommation de drogues, d’alcool, de tabac“. chiatriques des UCSA“ et enfin, de “créer L’action consistant à “consacrer davantage de moyens à la prédes SMPR au sein de tous les lieux de détenvention et la prise en charge de l’alcoolisme et de la toxicomation“. » nie“ apparaît comme la troisième priorité. »

Le transfert systématiquement des détenus souffrant de graves troubles psychiatriques en milieu hospitalier est demandé par l’ensemble des répondants. © Cinétévé

la prévention des suicides Taux d’insatisfaction des détenus : 79 % Taux d’insatisfaction globale des autres acteurs du monde pénitentiaire : 72 % « Le taux d’insatisfaction des détenus au regard de la prévention des suicides est l’un des plus forts apparus au terme de leur consultation (en troisième rang après les questions liées aux “conditions générales de détention“ et du “régime de détention des prévenus“), ce mécontentement concernant pratiquement 8 personnes sur 10. Dans ce contexte, trois actions sont prioritaires aux yeux des détenus : “interdire le placement au quartier disciplinaire des personnes présentant un risque suicidaire“ suicidaire“,, puis ““proposer proposer un soutien psychologique aux détenus lors des moments à risque élevé (arrivée en prison, procès, sortie de prison)“ et enfin, “former le personnel pénitentiaire et les intervenants en prison à la prévention du suicide“. Marquée par un taux d’insatisfaction inférieur de plus de 7 points à celui exprimé par les détenus, la prévention des suicides est jugée comme défaillante par près de 7 acteurs du monde pénitentiaire sur 10 (11ème source d’insatisfaction

N°58-59 Janvier 2007

pour les acteurs et 3ème pour les détenus). Le mécontentement est particulièrement élevé parmi les avocats, les familles, les intervenants extérieurs et les personnels de santé. Il est moindre chez les magistrats et les travailleurs sociaux (dont il apparaît comme la dernière source d’insatisfaction au terme de la consultation) même s’il demeure largement majoritaire. Il est sensiblement minoritaire parmi les surveillants. L’action consistant à ““proposer un soutien psychologique aux détenus lors des moments à risque élevé (arrivée en prison, procès, sortie de prison)“ est jugée 6 fois sur 7 comme la première priorité aux yeux des différents acteurs du monde pénitentiaire à l’exception des surveillants. La seconde consiste à “former le personnel pénitentiaire et les intervenants en prison à la prévention du suicide“ suicide“, tandis que la troisième suppose de “systématiser l’entretien à l’arrivée en prison avec un médecin psychiatre“. Cette dernière action étant le seul élément distinctif au regard des attentes exprimées par les détenus. »

N°58-59 Janvier 2007

23

22

LA CONSULTATION


les mesures de sécurité

LES RÉSULTATS PAR THÈMES

les régimes de détention Source : BVA-États généraux de la condition pénitentiaire, « Consultation en vue des États Généraux de la condition pénitentiaire – Résumé par thèmes », octobre 2006.

le régime de détention des prévenus

le régime de détention des condamnés

Taux d’insatisfaction des détenus : 80 % Taux d’insatisfaction des détenus : 74% Taux d’insatisfaction globale des autres acteurs Taux d’insatisfaction globale des autres acteurs du monde pénitentiaire : 87 % du monde pénitentiaire : 72% « Le taux d’insatisfaction des détenus au regard des « Environ 3 détenus sur 4 considèrent que les conditions conditions de vie des personnes placées en détention de détention des personnes condamnées sont insatisprovisoire est l’un des plus forts apparus au terme de faisantes. Trois actions se dégagent comme devant leur consultation (en second rang après la question des être mises en oeuvre de façon prioritaire aux yeux des “conditions générales de détention“), ce mécontendétenus : “appliquer aux condamnés détenus en maitement concernant au total 8 personnes sur 10. Pour son d’arrêt les aspects positifs des conditions de vie en améliorer la situation en la matière, trois actions appacentre de détention“ détention“,, puis ““permettre permettre à tout condamné raissent comme prioritaires pour qui le souhaite de loger dans les détenus : “appliquer en maiune cellule individuelle“ et enfin, son d’arrêt les aspects positifs “autoriser durant la journée la « Avec un mécontentement des conditions de vie en centre libre circulation de tous les détepartagé par 7 acteurs du de détention (portes ouvertes, nus au sein de leurs quartiers en monde pénitentiaire sur 10, les centre de détention“. accès au téléphone, etc.)“ etc.)“, puis ““prévoir la possibilité d’un rapAvec un mécontentement partaconditions de détention des prochement familial pour les prégé par 7 acteurs du monde pénipersonnes condamnées sont venus“ et enfin, ““permettre permettre à tout tentiaire sur 10, les conditions prévenu qui le souhaite de loger massivement insatisfaisantes. » de détention des personnes dans une cellule individuelle“. condamnées sont massivement Outre qu’il est plus fort que celui insatisfaisantes pour les acteurs relevé chez les détenus, le taux d’insatisfaction au du monde pénitentiaire et tout particulièrement par regard du régime de détention des prévenus est l’un les avocats, les travailleurs sociaux, les familles et les des plus élevés pour les acteurs du monde pénitentiaire, intervenants extérieurs. À noter qu’une minorité de surtout particulièrement chez les travailleurs sociaux, les veillants estime insatisfaisante la situation. familles (seconde source d’insatisfaction), les avocats L’action consistant à ““permettre à tout condamné qui et les magistrats. Il est important de constater que cette le souhaite de loger dans une cellule individuelle“ est appréciation est largement majoritaire également parmi jugée 4 fois sur 7 comme la première priorité aux yeux les surveillants. des différents acteurs du monde pénitentiaire (les traL’action consistant à “respecter la séparation des prévailleurs sociaux, les avocats, les personnels de santé venus et des condamnés“ est jugée prioritaire par plus et les intervenants extérieurs). La seconde (prioritaire d’un acteur du monde pénitentiaire sur deux (particulièpour 3 catégories sur 7 notamment par les surveillants rement les travailleurs sociaux, les surveillants, les avoet les magistrats) consiste à “respecter le principe d’afcats et les intervenants extérieurs). La seconde consiste fectation en établissement pour peine des condamnés à à ““permettre à tout prévenu qui le souhaite de loger une peine supérieure à un an“ an“, tandis que la troisième dans une cellule individuelle“ tandis que la troisième suppose d’ “appliquer aux condamnés détenus en maisuppose de ““prévoir la possibilité d’un rapprochement son d’arrêt les aspects positifs des conditions de vie en familial pour les prévenus“. » centre de détention“. »

Appliquer en maison d’arrêt les aspects positifs des conditions de vie en centre de détention (portes ouvertes, accès au téléphone, etc.) est une action prioritaire pour les détenus. © Ulrich Lebeuf

le quartier disciplinaire Taux d’insatisfaction des détenus : 70 % Taux d’insatisfaction globale des autres acteurs du monde pénitentiaire : 68 % « 7 détenus sur 10 considèrent que le respect de leurs droits lorsqu’ils sont soumis au régime disciplinaire est insuffisant. Pour y remédier, ils proposent prioritairement la mise en œuvre d’une action consistant à “ne plus ajouter à une sanction disciplinaire un retrait de réductions de peine“ peine“, puis de “conserver une possibilité de voir leur famille“ et enfin, à part égale, de “reporter la commission de discipline en l’absence d’avocat“ et de “confier la présidence de la commission de discipline à une personne indépendante de l’administration pénitentiaire“. Au regard de la situation du respect des droits des détenus au quartier disciplinaire, le taux d’insatisfaction exprimé par les acteurs du monde pénitentiaire est l’un des plus bas apparus au terme de leur consultation. Néanmoins, le mécontentement reste particulièrement élevé parmi les avocats et les personnels de santé puis chez les intervenants extérieurs et les familles et, dans une moindre mesure, chez les travailleurs sociaux et les magistrats. L’insatisfaction des surveillants demeure un phénomène minoritaire et la question des droits des détenus placés au quartier disciplinaire figure au dernier rang de leurs sources du mécontentement. L’action perçue comme prioritaire parmi les différents acteurs du monde pénitentiaire consiste pour les magistrats, les avocats et les personnels de santé à “confier la présidence de la commission de discipline à une personne indépendante de l’administration pénitentiaire“, cette démarche étant la seule qui soit commune avec celles tiaire“ exprimées par les détenus. Pour leur part, les différentes catégories de répondants suggèrent de “définir de façon précise les infractions disciplinaires“ et de ““prévoir prévoir des possibilités de médiation comme alternatives à la procédure disciplinaire“. »

N°58-59 Janvier 2007

Taux d’insatisfaction des détenus : 69 % Taux d’insatisfaction globale des autres acteurs du monde pénitentiaire : 60% « Près de 7 détenus sur 10 se déclarent insatisfaits du respect de leurs droits lorsqu’ils sont soumis à des mesures de sécurité. Pour y remédier, ils proposent prioritairement de “permettre aux détenus d’assister à la fouille de leur cellule ou de leurs biens personnels“ personnels“, de “supprimer la fouille corporelle intégrale“ et “d’interdire l’usage de menottes et d’entraves lors des consultations et hospitalisations“. Le taux d’insatisfaction parmi les acteurs du monde pénitentiaire est le plus bas exprimé au travers de leur consultation et présente un écart de près de 9 points avec celui des détenus. Les avocats et les familles expriment un fort mécontentement, ainsi que, dans une moindre mesure, les travailleurs sociaux, les personnels médicaux et les intervenants extérieurs. Seuls les magistrats et plus encore les surveillants affirment de façon minoritaire leur insatisfaction. À noter que la question des mesures de sécurité est classée au dernier rang des sujets de mécontentement chez les familles, les magistrats et les intervenants extérieurs, et à l’avant-dernier rang chez toutes les autres catégories de répondants. Les familles, les personnels médicaux et les intervenants extérieurs rejoignent les détenus et placent en tête de leurs attentes le fait de ““permettre aux détenus d’assister à la fouille de leur cellule ou de leurs biens personnels“. Les travailleurs sociaux, les magistrats et les avocats expriment quant à eux cette attente en seconde et troisième position. Les magistrats et avocats attendent avant tout une transformation du régime juridique des mesures de sécurité. Ils placent en première et deuxième position de leurs propositions de ““permettre un recours rapide pour contester une décision de transfert“ et de ““permettre un recours rapide pour contester une décision de placement à l’isolement“. Les surveillants sont les plus nombreux à ne pas se prononcer sur les transformations possibles de ces mesures. »

N°58-59 Janvier 2007

25

24

LA CONSULTATION


les alternatives

LES RÉSULTATS PAR THÈMES

la préparation à la sortie

Source : BVA-États généraux de la condition pénitentiaire, « Consultation en vue des États Généraux de la condition pénitentiaire – Résumé par thèmes », octobre 2006.

Source : BVA-États généraux de la condition pénitentiaire, « Consultation en vue des États Généraux de la condition pénitentiaire – Résumé par thèmes », octobre 2006.

la préparation à la sortie

l’accompagnement à la sortie

Taux d’insatisfaction des détenus : 78 % Taux d’insatisfaction des détenus : 73 % Taux d’insatisfaction globale des autres acteurs Taux d’insatisfaction globale des autres acteurs du monde pénitentiaire : 87% du monde pénitentiaire : 82 % « Plus de 3 détenus sur 4 se déclarent insatisfaits de la pré« Plus de 7 détenus sur 10 se déclarent insatisfaits paration à la sortie de prison. Pour y remédier, les détenus de l’accompagnement à la sortie de prison. De expriment de manière massive un grand nombre d’attentes : même que pour ce qui concerne la préparation à la “systématiser le recours aux permissions de sortir pour présortie, ils manifestent leur adhésion massive (plus parer le retour à la vie libre“ libre“, “faire de la réinsertion la mission de 3 détenus sur 4) à six des neuf actions propopremière de l’administration pénitentiaire“ pénitentiaire“, “développer les sées. Selon eux, les trois actions prioritaires à metaménagements de peine destinés à favoriser la recherche d’un tre en œuvre sont d’ “élargir les possibilités d’accès travail et d’un hébergement à la sortie“ sortie“, “faire en sorte que les des sortants de prison aux dispositifs d’accueil détenus puissent bénéficier dès d’urgence, d’hébergement et de leur sortie des allocations de logements sociaux“ sociaux“, de “lever ressources auxquelles ils peules obstacles liés au casier judi« Plus de 3 détenus sur 4 se vent prétendre“. ciaire pour l’accès à la fonction déclarent insatisfaits de la Les acteurs du monde judiciaire publique“ et de “limiter les cas préparation à la sortie de prison où un employeur peut demanet pénitentiaire partagent et renforcent ce constat, puisder la production d’un extrait du [et] expriment de manière qu’ils expriment au sujet de la casier judiciaire“. massive un grand nombre préparation à la sortie leur plus L’insatisfaction des détenus est fort taux d’insatisfaction. Il est largement partagée par plus de d’attentes. » particulièrement fort chez les 8 acteurs du monde carcéral sur avocats (il s’agit de leur seconde 10. Le mécontentement le plus source d’insatisfaction), les personnels de santé (première fort apparaît parmi les travailleurs sociaux et les source d’insatisfaction), les intervenants extérieurs (première avocats, suivis de près par les magistrats, les intersource d’insatisfaction) et les travailleurs sociaux puis parmi les venants extérieurs, les personnels de santé, puis les magistrats (quatrième source d’insatisfaction) et les familles. familles. Les personnels de surveillance expriment Les surveillants expriment en la matière leur troisième source une insatisfaction moindre mais néanmoins très d’insatisfaction, de façon très largement majoritaire. largement majoritaire. L’attente prioritaire pour nombre des acteurs (les familles, les “Permettre aux personnes libérées de poursuivre travailleurs sociaux, les avocats, les personnels de santé et à l’extérieur une formation commencée en prison“ les intervenants extérieurs) est de “faire de la réinsertion la est l’action prioritaire des avocats. Les surveillants mission première de l’administration pénitentiaire“. Pour les et les magistrats mettent quant à eux l’accent sur le surveillants il est essentiel de “développer les aménagements fait “d’assurer la continuité de suivi et de soins psyde peine destinés à favoriser la recherche d’un travail et d’un chiatriques à la sortie de prison“. Le personnel du hébergement à la sortie“ et, plus encore, “d’élaborer dès service social estime prioritaire d’“élargir les possil’incarcération un projet de préparation à la sortie“ sortie“, attentes bilités d’accès des sortants de prison aux dispositifs partagées par environ 8 détenus sur 10. Les magistrats et les d’accueil d’urgence, d’hébergement et de logement travailleurs sociaux insistent particulièrement sur l’accès aux sociaux“. Les familles jugent avant tout prioritaire droits sociaux les premiers en proposant de “doter tout lieu de de “limiter les cas où l’employeur peut demander la détention d’une plate-forme d’accès aux services sociaux“. » production d’un extrait de casier judiciaire“. »

Taux d’insatisfaction des détenus : 62 % Taux d’insatisfaction globale des autres acteurs du monde pénitentiaire : 79 % « Près des deux tiers des détenus expriment une insatisfaction au regard de l’usage des sanctions et mesures alternatives à l’emprisonnement. Dans ce contexte, trois actions sont proposées par plus de 7 détenus sur 10 : “réduire les durées maximales de placement en détention provisoire“ provisoire“, “développer le recours au contrôle judiciaire comme alternative à la détention provisoire“ et “favoriser un recours systématique aux mesures d’aménagement de peine“. Les acteurs du monde carcéral, plus encore que les détenus (écart de plus de 17 points), manifestent une forte insatisfaction au regard de l’usage qui est fait des sanctions et mesures alternatives à l’emprisonnement. Cette opinion est particulièrement exprimée par les personnels de santé,

les intervenants extérieurs et les avocats. Elle apparaît également très massivement chez les travailleurs sociaux, les familles ainsi que très majoritairement chez les surveillants (troisième source d’insatisfaction) et les magistrats. À noter que ces derniers ont sur ce thème le taux d’insatisfaction le plus bas apparu lors de leur consultation. L’action consistant à “réduire les durées maximales de placement en détention provisoire“ est celle prioritairement réclamée par les acteurs du monde pénitentiaire (notamment par les familles et le personnel médical). Celle consistant à “développer le recours au contrôle judiciaire comme alternative à la détention provisoire“ figure comme seconde action à mettre en oeuvre, tout comme celle visant à “sanctionner les mineurs par des mesures éducatives alternatives à l’emprisonnement“. »

Pour nombre d’acteurs, améliorer la préparation à la sortie nécessiterait en premier lieu de faire de la réinsertion la mission première de l’administration pénitentiaire. © Cinétévé

N°58-59 Janvier 2007

N°58-59 Janvier 2007

27

26

LA CONSULTATION


LES RÉSULTATS PAR THÈMES

questions ouvertes À la fin du questionnaire, deux questions ouvertes appelaient les répondants à un commentaire libre sur les aspects jugés les plus inacceptables des conditions de détention et sur ce qu’ils attendaient d’une réforme des prisons. Une occasion saisie par la grande majorité des acteurs pour dénoncer les conditions de détention(1)et appeler à un renversement de perspective dans la conception de la peine. (1) L’analyse ci-dessous provient du document de BVA-États généraux de la condition pénitentiaire, « Consultation en vue des États Généraux de la condition pénitentiaire – Résumé par thèmes », octobre 2006. Des extraits des réponses aux questions ouvertes ont été insérés dans les pages suivantes, par catégories d’acteurs.

le plus inacceptable…

les réformes attendues

« Interrogés sur les aspects les plus inacceptables de leurs « Au terme de leur consultation, les détenus privilégient conditions de détention, les détenus évoquent de façon de façon très nette (près d’un détenu sur quatre) parmi les massive les “mauvaises conditions de vie en général“ (plus axes de la réforme souhaitée le fait de “changer le regard de quatre détenus sur dix) puis le “travail du personnel sur- de la société et mobiliser la classe politique sur la question veillant et de l’administration pénitentiaire» (plus de deux carcérale“. En seconde intention, les détenus mettent en détenus sur dix), “l’absence de respect des droits / arbi- avant la nécessité de “réformer le droit pénal / améliorer les traire“ (idem) et “le manque de relations avec les familles“ droits de la défense“ qui englobe la demande de “davan(deux détenus sur dix). Dans le détail, le “manque d’hy- tage de mesures d’aménagement de peine et de remises giène“, la “trop faible fréquence de peine“, de la “diminution de la des douches / absence de douches durée des périodes de sûreté“ et « Les détenus privilégient dans les cellules“ puis l’absence du “développement des permisd’ “encellulement individuel“ et sions de sortir“. Le troisième axe de de façon très nette le fait l’ “insalubrité des cellules“ illusréforme cité par les détenus repose de “changer le regard de la sur “l’amélioration des conditions trent tout particulièrement à leurs yeux ces mauvaises conditions de de vie en général“. La première société et mobiliser détention. Concernant les personattente formulée par les acteurs du la classe politique“. » nels de surveillance et l’adminismonde pénitentiaire et judiciaire tration pénitentiaire, leur “manque rejoint celle exprimée par les détede respect envers les détenus (abus d’autorité, violences)“, nus, à savoir de “changer le regard de la société et mobiliser leur “manque de dialogue avec les détenus“ apparaissent la classe politique sur la question carcérale“. Cet axe de la comme des traits saillants. réforme attendue apparaît prioritaire pour les familles, les De la même manière, les “mauvaises conditions de vie en avocats, les personnels de santé et les intervenants extégénéral“ apparaissent comme l’aspect le plus inacceptable rieurs et figure en deuxième intention pour les travailleurs des conditions actuelles de détention aux yeux de l’ensem- sociaux et les magistrats. Le second axe de réforme qui se ble des différents acteurs du monde pénitentiaire et tout dégage des attentes proposées par les différents acteurs particulièrement l’absence d’ “encellulement individuel“ et consiste en “l’amélioration de la réinsertion à la sortie“ et la “situation déplorable des maisons d’arrêt (vétusté, insa- notamment d’y consacrer “davantage de moyens (nombre lubrité, etc.)“. En second rang, “l’absence de respect des de travailleurs sociaux, préparation individualisée)“ : il appadroits / l’arbitraire“ est soulignée, principalement par les tra- raît en premier chez les travailleurs sociaux et les magistrats vailleurs sociaux, les avocats et les intervenants extérieurs. et figure en deuxième intention pour les familles, les avocats, Dans ce cadre, la “non application des droits fondamentaux les personnels de santé et les intervenants extérieurs. Pour et du droit commun“ ressort nettement. Enfin, le manque ce qui est des surveillants, le “travail du personnel surveillant de respect mutuel entre détenus et surveillants est fréquem- et de l’administration pénitentiaire“ figure comme le premier ment relevé. » axe de réforme à mettre en œuvre. »

L’ANALYSE PAR ACTEURS

les personnes détenues « Le constat essentiel est la très grande homogénéité des réponses données par les détenus concernant leurs conditions de détention et leurs attentes », peut-on lire dans le « Résumé des résultats par catégorie de détenus ».(1) Une unanimité qui, ajoutée à leur participation massive à la consultation, donne d’autant plus de force à l’exigence d’une réforme sans cesse ajournée.

Si l’insatisfaction des personnes détenues est très forte quelque soit leur catégorie, elle croît avec le nombre d’années d’incarcérations effectuées. © Samuel Bollendorf / L’œil public

une communauté d’intérêts Qu’elles soient prévenues ou condamnées, incarcérées en maison d’arrêt ou en établissement pour peine, âgées de 18, 40 ou 65 ans, femmes ou hommes, l’analyse des réponses des personnes détenues montre non seulement une même évaluation de leurs conditions de détention, mais aussi des attentes communes. La consultation a montré par exemple que « les personnes prévenues et les personnes condamnées ont des attentes souvent très proches » et la « hiérarchie [de celles-ci] est globalement la même ». Il est frappant d’ailleurs de constater que toutes se sont exprimées sur l’ensemble des questions, même sur celles qui ne relevaient pas de leur statut pénal : « Ainsi, les deux fiches les plus spécifiques, l’une sur le régime de détention des prévenus et l’autre sur le régime de détention des condamnés ont été complétées par l’ensemble des répondants. Malgré de légers décalages dans les attentes, la hiérarchie est globalement la même. » Ce constat vaut pour l’ensemble des critères. Ainsi, quelque soit le nombre d’années de détentions, « les actions à mettre prioritairement en œuvre sont les mêmes ». De la même façon, on peut observer « le caractère extrêmement proche des attentes exprimées » par les détenus selon leur type d’établissements, ou encore selon le

N°58-59 Janvier 2007

sexe, puisque, chez les hommes comme chez les femmes, les thèmes d’insatisfaction sont globalement les mêmes et « les actions prioritaires préconisées identiques ».

des attentes spécifiques Malgré cette grande proximité, « certaines catégories de détenus expriment cependant, sur certains sujets, des attentes spécifiques », des différences qui peuvent être liées à leur statut pénal et, plus encore, au type d’établissements dans lesquels ils sont écroués. Par exemple, « les prévenus insistent particulièrement sur le fait “d’appliquer en maison d’arrêt les aspects positifs des conditions de vie en centre de détention“, (cité par 90 % d’entre eux, + 9 points par rapport aux condamnés) ; de “prévoir la possibilité d’un rapprochement familial“ (86 %, + 4 points) et d’ “alléger le contrôle de la correspondance“ (72 %, +9 points) ». Pour les condamnées, les priorités résident avant tout dans « le fait de “permettre à tout condamné qui le souhaite de loger dans une cellule individuelle“ (cité par 84 % des condamnés, 4 points de plus que les prévenus), “respecter le principe d’affectation en établissement pour peine“, (72 %, +4 points) et “n’empêcher la libre circulation des condamnés au sein de N°58-59 Janvier 2007

29

28

LA CONSULTATION


le plus inacceptable…

L’ANALYSE PAR ACTEURS la détention qu’exceptionnellement“, (57 %, +7 points). » Les différences les plus notables concernent les alternatives à l’enfermement. Les prévenus sont ainsi logiquement « plus nombreux à attendre une limitation du recours à la détention provisoire et réduction de la durée », tandis que « les personnes détenues en établissement pour peine, et tout particulièrement en maison centrale, se singularisent par une plus grande préoccupation à la sortie et la possibilité d’obtenir une libération anticipée ». Elles désirent ainsi « avant tout pouvoir bénéficier plus largement de la suspension de peine pour raison médicale (81 %, +18 points par rapport à la moyenne), et la limitation des périodes de sûreté (77 %, +27 points) ».

une insatisfaction plus grande chez certains Il est frappant d’observer que, si l’insatisfaction des personnes détenues est très forte quelque soit leur catégorie, elle « croît avec le nombre d’années d’incarcération effectuées », et ce dans « la plupart des domaines évoqués dans le questionnaire », ainsi qu’avec l’âge ou le fait d’être incarcéré en établissements pour peine, et notamment en maison centrale, ces variables étant « très probablement fortement corrélées ». La préparation et accompagnement à la sortie, l’octroi des aménagements de peine ou la protection des droits fondamentaux suscitent par exemple une « insatisfaction […]

plus grande chez les personnes détenues en maison centrale (86 % d’insatisfaits) que chez les personnes détenues en centre de détention (81 %) ou en maison d’arrêt (77 %) ». Dans ces dernières en effet, les attentes des détenus se focalisent davantage sur l’accès au téléphone et, plus largement, sur les liens familiaux. L’analyse des questionnaires fait enfin apparaître « une insatisfaction généralement légèrement moins marquée du côté des personnes détenues de sexe féminin par rapport au sexe masculin (66 % en moyenne sur l’ensemble des domaines testés contre 72 % pour les hommes) ». Elles se montrent cependant plus insatisfaites que les hommes concernant l’accès aux soins médicaux (65 % d’insatisfaites contre 62 % chez les hommes) et l’accès aux soins psychiatriques. Dans ces domaines, elles expriment également des attentes légèrement différentes, telles que « la nécessité de “garantir la confidentialité des consultations et du dossier médical“ » ou « l’idée de “protéger la confidentialité des consultations psychiatriques“ ». (1) BVA et les États généraux de la condition pénitentiaire, « Consultation en vue des États Généraux de la condition pénitentiaire – Résumé des résultats par catégorie de détenus », octobre 2006. Toutes les citations de l’article proviennent de ce document.

« ... le fait de nous humilier lors de la fouille corporelle en nous demandant de nous baisser pour regarder nos fesses et le reste de nos parties intimes » Homme prévenu, en maison d’arrêt « 1er janvier 2006 : décès de ma compagne. J’ai été prévenu par un courrier extérieur le 4 janvier. Impossibilité d’assister aux obsèques ! » Homme condamné à une peine de plus de 10 ans, en maison d’arrêt, détenu depuis 3 ans « L’aspect le plus intolérable est pour moi et d’être emprisonné comme prévenu depuis 15 mois et être sans nouvelles de mon épouse et de mes deux enfants en bas âge, car en MA on m’interdit de téléphoner et de prendre des nouvelles de ma famille, car celle-ci réside à l’étranger. » Homme prévenu, en maison d’arrêt, détenu depuis 1 à 2 ans « Moi, ça fait deux mois que je suis en prison, j’ai vu deux suicides. » Homme prévenu, en maison d’arrêt, détenu depuis 1 à 3 mois « Cela fait 2 mois que j’écris au psychologue qui ne me répond pas. Je connais des détenus qui se sont fait amputer des membres qui pourrissaient du manque de soin. J’ai des

lunettes qui ne sont pas adaptées à ma vue et pour cause, ce sont le généraliste qui les a faites par manque d’ophtalmologistes. » Homme condamné à une peine de 3 à 5 ans, en centre de détention, détenu depuis 2 ans « Nous sommes considérés comme des merdes. En ressortant, on a la rage contre la société. » Homme condamné à une peine de 1 à 3 ans, en maison d’arrêt, détenu depuis 2 ans « … le fait d’être handicapé et d’être obligé d’être dans une cellule à 2 et sur le haut d’un lit à étage, obligé de descendre dans le noir. En cas de diarrhée, ce qui est fréquent, 1 seul WC (le 2ème est obligé de faire sur un papier au sol). Il n’y a pas de barre de retenue pour les handicapés près des WC. » Homme condamné à une peine de plus de 10 ans, en maison d’arrêt, détenu depuis 2 ans « Comment se fait-il qu’après deux ans de travail, le salaire moyen soit de 50 à 100 euros par mois ? On nous prélève 30 euros pour la télé et 10 euros pour le frigo. Nous sommes traités comme des esclaves par une entreprise extérieure, allant jusqu’à se faire insulter par le responsable de l’entreprise, qui nous dit que nous sommes des merdes. » Homme condamné à une peine de 5 à 10 ans, en maison d’arrêt, détenu depuis 2 ans « Suite à un manque de dentiste à la maison d’arrêt de […], un problème dentaire s’est

posé : un os s’est figé dans la gencive que j’ai gardé pendant 45 jours, que j’ai moi-même extrait avec les moyens dont je dispose en cellule, un couteau, une aiguille à coudre ; suite à cela, j’ai fait une paralysie faciale qui a occasionné la perte de mon œil gauche (“glande lacrymale atrophiée“). Je n’ai rencontré qu’un ophtalmo et un ORL quatre mois plus tard. » Homme condamné, en maison d’arrêt, détenu depuis 30 mois « … la misère qui se lit dans les yeux de tout le monde, même si on est un tas de muscles, on a toujours des larmes au coin de l’œil. La prison en France vous brise si vous n’êtes pas fort moralement ; sinon, vous vous réfugiez dans les médicaments psychotropes, les barbituriques et la sédation avec le risque d’accoutumance et de devenir soit un zombie ou un demi fou à lier. Oui, c’est ça, la réalité des prisons françaises. » Homme prévenu, détenu depuis 6 mois à un an « … les escortes avec le gilet pare-balles, les menottes pour aller à l’hôpital alors que vous êtes pratiquement dans le coma, et on vous traîne comme un chien devant les gens qui vous regardent comme si vous étiez un monstre. Avoir un peu plus d’intimité lors des examens médicaux, que les surveillantes n’y assistent pas. » Femme condamnée à une peine de 5 à 10 ans, en maison centrale, détenue depuis 3 ans

Attentes des détenus quant à réforme des prisons les réformes attendues ST Changer le regard de la société et mobiliser la classe politique sur la question carcérale ST Réformer le droit pénal / améliorer les droits de la défense ST L'amélioration des conditions de vie en général ST Le respect des droits / la limitation de l'arbitraire ST L'amélioration de la réinsertion à la sortie ST Le développement des activités, de la formation et l'amélioration des conditions de travail ST Le travail du personnel surveillant et de l'Administration Pénitentiaire (AP) ST La protection des relations familiales ST L'amélioration de l'accés aux soins ST L'amélioration des relations entre détenus

24 % 22 % 18 % 17 % 15 % 12 % 12 % 12 % 7% 6%

Scepticisme d'ordre personnel Scepticisme global envers l'idée de réforme, la démarche des EGCP... Critiques envers le questionnaire et la démarche Remerciements / attentes envers le questionnaire ("que ce questionnaire soit utile") Autres Aucun/Rien

5% 3% 1% 6% 1% 2%

Source : BVA, « Consultation en vue des États Généraux de la condition pénitentiaire – Principaux enseignement », octobre 2006.

« Ne plus punir de quelque façon que ce soit les tentatives de suicide. » Homme condamné à une peine de plus de 10 ans, en centre de détention, détenu depuis 3 ans « J’attends d’une réforme qu’elle permette d’avoir une meilleure hygiène de vie, physiquement (activité sportive, hygiène des cellules, couloirs, promenades) et moralement (par rapport aux aides de sortie, aux aides internes à la prison) et la possibilité de manger boire fumer normalement. Je peux vous assurer qu’on se sent vraiment au bord du gouffre quand on manque de nourriture, de boisson, de télé. Être enfermé, c’est très dur, être enfermé sans rien c’est l’horreur. » Homme prévenu, en maison d’arrêt, détenu depuis 2 à 3 ans

« Mais c’est une utopie, permettre la création de Syndicat, donc de favoriser les consultations et les débats entre administration pénitentiaire et détenus. La prison est une particularité sociétale dans laquelle on doit retrouver les principes fondamentaux de notre république et en particulier la libre pensée, donc la libre parole. » Homme prévenu, en maison d’arrêt, détenu depuis 3 à 6 mois « Il faudrait un organisme externe indépendant qui puisse avoir des locaux dans chaque prison pour veiller aux dérapages. » Homme condamné à une peine de 5 à 10 ans, en maison d’arrêt, détenu depuis 3 ans « Braver l’opinion publique et expliquer clairement aux Français ce qu’est la prison, à quoi elle sert (ou doit servir), ce qui s’y passe vraiment (demander aux parlementaires d’y venir bien plus souvent !), car ils n’en savent rien :

N°58-59 Janvier 2007

briser l’Omerta ! Faire prendre conscience [...] qu’enfermer ne peut conduire qu’au pire. » Homme condamné, en maison centrale, détenu depuis 8 ans « Il faudrait adresser un rapport chaque année à l’opinion publique sur les prisons. » Homme condamné à une peine de 3 à 5 ans, en maison d’arrêt, détenu depuis moins d’un an, plus de 15 ans de détention en 15 incarcérations en tout « Avant de faire de nouvelles lois, il faudrait déjà appliquer les anciennes. » Homme condamné, détenu depuis 6 ans « … la reconnaissance d’un statut vrai du détenu, un cahier des charges très précis, universel et rationalisé, signé par tous les intervenants, y compris le détenu dès son arrivée. » Homme condamné, en maison d’arrêt, 6 mois à 1 an N°58-59 Janvier 2007

31

30

LA CONSULTATION


les familles

L’ANALYSE PAR ACTEURS

L’ANALYSE PAR ACTEUR

les prisonniers qu’une seconde chance leur est accordée. Je suis pour l’idée de faire vivre en communauté les femmes condamnées, mais dans une ferme par exemple, qu’elles vivent de leur travail, leurs récoltes, qu’elles s’auto suffisent et s’entraident. Je suis pour la création de fermes autarciques. » Femme prévenue, en maison d’arrêt, détenue depuis 1 à 2 ans

« Nous sommes traités comme des esclaves », personne détenue depuis deux ans en maison d’arrêt. © Célia Quilleret / Radio France « Je souhaite que les mêmes budgets soient attribués à la mise en place de structures de réinsertion que pour le tout-répressif. » Homme condamné à une peine de plus de 10 ans, en maison d’arrêt, détenu depuis 6 ans « Je souhaite qu’un avocat puisse intervenir à tout moment quand un détenu a des problèmes avec l’administration pénitentiaire, et à titre gratuit. » Homme prévenu, en maison d’arrêt « Cesser les informations mensongères qui laissent à penser aux gens de l’extérieur que nous sommes traités comme des “pachas“. » Homme condamné, en centre de détention, détenu depuis 9 ans « J’ai la chance d’être à Poissy et d’avoir accès aux UEVF. Ce sont des unités de vie qui redonnent espoir aux détenus. Malheureusement, cela ne se fait que depuis deux ou trois ans et dans trois prisons françaises, alors que dans les pays scandinaves, cela existe depuis des lunes. Dans ces mêmes pays, le taux de récidive est moindre parce que c’est un vrai travail qui se fait en prison. C’est un tremplin vers l’extérieur

et non un endroit où on punit les gens pour leurs crimes. C’est un endroit de réflexion, d’aide et aussi un endroit de privation de liberté. Donc je pense que l’exemple des pays du Nord serait très bénéfique pour un début de réforme. » Homme condamné à une peine de 5 à 10 ans, en maison centrale, détenu depuis 4 an « Les parloirs avec la famille sont trop courts. Nous ne pouvons pas appeler la famille entre ces jours de parloir et cela me casse le moral. C’est pour cela que je vous demande si vous pouvez changer ces conditions. Faites vite car je craque et je ne suis pas le seul. Je vous en supplie, faites quelque chose pour cela. Pouvoir appeler dans les maisons d’arrêt. MERCI. » Homme condamné, en maison d’arrêt, détenu depuis 6 mois à 1 an « Pourquoi des détenus ne seraient-ils pas employés comme animateurs ou formateurs (auprès d’autres détenus). Il n’y a pas que des cons en prison. » Homme condamné à une peine de 3 à 5 ans, maison d’arrêt, détenu depuis 2 ans « Former des êtres responsables après leur incarcération. Faire prendre conscience à tous

« Je voudrais avoir la possibilité de vivre dans la dignité, et non pas dans un chenil SPA comme c’est le cas à l’heure actuelle. Je souhaiterais que les détenus puissent être rapprochés de leur famille, accéder au droit du travail. Je souhaiterais aussi avoir la possibilité de dialoguer avec les représentants de la pénitentiaire, sans la crainte de sanctions punitives. En un mot, il faudrait humaniser le système carcéral et l’assouplir un petit peu. » Homme condamné à une peine de plus de 10 ans, en maison d’arrêt, détenu depuis 3 ans « Il faut qu’une loi soit enfin votée au sujet de la durée de l’instruction. Il est anormal que l’on détienne en détention provisoire des personnes innocentes tant que leur culpabilité n’est pas reconnue. » Homme prévenu, depuis plus de trois ans, plus de 20 ans de détention en 15 incarcérations « Essayez déjà de faire voter le rapprochement familial et après on verra, car tout cela n’aura jamais plus de 3 ou 4 choses d’accepté. Bonne chance, mais il vous en faudra de la chance. » Homme condamné, en maison d’arrêt, détenu depuis 1 à 3 ans « Les jeunes détenus sont soignés dès leur arrivée. On va s’occuper de leur santé, de leurs carences alimentaires, faire le point de toutes les difficultés qu’ils ont à vivre. Dès leur incarcération on se préoccupe du moment où ils vont être libérés pour que ce soit dans les meilleures conditions. Il importe que, tant qu’ils seront retenus, ils ne s’installent dans aucune dépendance, surtout ils doivent se former à pouvoir affronter la vie à l’extérieur, dans un monde qui on le sait est une jungle. » Homme condamné, en maison d’arrêt, détenu depuis 5 à 10 ans

Les familles se caractérisent par une « proportion d’insatisfaits […] extrêmement élevée »,(1) et même « toujours supérieurs voire très supérieurs à ceux des détenus ». Ainsi, « sur l’ensemble des thèmes évalués ils sont plus de 7 sur 10 à être insatisfaits ». Leurs préoccupations, ainsi que les actions qu’elles jugent prioritaires, sont en revanche « très proches, voire souvent strictement identiques à celles des détenus », et ce dans tous les thèmes. Par exemple, « pour améliorer les conditions de travail, les familles et les détenus avancent trois actions prioritaires identiques : assurer une rémunération du travail en prison équivalente à celle de l’extérieur, proposer à tout détenu qui en fait la demande un parcours de qualification professionnelle, appliquer en prison les dispositions du Code du travail. » Contrairement aux autres catégories de répondants, mais en accord avec les détenus, les familles expriment également « une forte inquiétude envers les pertes de ressources financières

le plus inacceptable… « … l’incapacité de l’administration pénitentiaire à envisager et à mettre en œuvre une réelle singularité de la peine. La priorité sécuritaire qui autorise nombre d’actes abusifs au regard des droits fondamentaux de la personne et qui décline la privation de liberté bien au-delà de ce qu’elle devrait être. Ceci alimentant un système qui favorise à la fois une forme d’assistanat pervers et de persécution permanente. Les conditions de travail hors du droit. L’absence de logique de réinsertion, qui amène entre autre, le prisonnier longue peine à vivre plusieurs années avec un parcours brisé, toujours remis à zéro lors des transferts. La peine devient un temps qui ne veut plus rien dire, où les jours s’ajoutent aux autres sans autre logique que celle de rester incarcéré. » « On parle de la nécessité de maintenir des liens familiaux, mais que dire de 30 minutes de parloir par semaine autorisées !!! C’est n’importe quoi ! Et ce courrier fouillé, ces lettres renvoyées car non-conformes parce qu’une maison d’arrêt autorise l’envoi de magazines, et l’autre à 500 mètres la refuse… Vexations perpétuelles des familles, attendre 3 semaines un permis de visite, appeler 100 fois pour obtenir un premier rendez-vous… Quand on pense que 99 % des détenus veulent

N°58-59 Janvier 2007

consécutives à l’incarcération » et « préconisent donc une meilleure rémunération du travail, la rémunération des activités socio-culturelles, et aimeraient que les détenus puissent réellement bénéficier des allocations de ressources dès leur sortie (type RMI, AAH, etc.…) ». Enfin, ces répondants se caractérisent par « un nombre élevé de propositions pour chacun des thèmes », « tout particulièrement concernant les conditions de vie des détenus, le maintien des liens familiaux, la prévention du suicide et la réinsertion des détenus ». (1) BVA et les États généraux de la condition pénitentiaire, « Consultation en vue des États Généraux de la condition pénitentiaire – Résumé des résultats de la consultation en ligne par catégorie », octobre 2006. Toutes les citations ci-dessus sont tirées de ce document.

juste terminer leur peine le plus tranquillement possible, sans histoire, imaginer qu’ils doivent se déshabiller devant des gardiens pour voir leurs femmes 30 minutes c’est à vous dégoûter d’aller au parloir. Et que dire de l’humiliation de l’homme en érection après quelques baisers échangés avec sa femme qui doit à nouveau exhiber sa nudité ! Il ne faut pas penser avant ou après un parloir, sinon, on vomit et on ne revient plus. » « Le JAP est trop sévère vis-à-vis des longues peines surtout si le détenu montre des efforts de réinsertion pour préparer sa sortie, et n’a pas de problème de comportement, focalise trop sur le délit, de sorte que pour lui, il continuera toute sa vie à porter le poids de sa faute, et au regard de la loi ne sera jamais réhabilité, même si sa mémoire est là pour le lui rappeler. » « … L’envoi d’un mandat de n’importe quel montant qu’il soit, revient à 6 euros. […] Il m’est interdit de lui amener des magazines, des biscuits ou autres friandises que je peux avoir à la Croix Rouge… et je ne peux pas lui envoyer d’argent. Je ne peux que récupérer son linge sale et lui rapporter propre au parloir suivant. Même pour son anniversaire, je n’ai pas eu le droit de lui envoyer un colis. Il est obligé de mendier par ci par là du shampoing, de la mousse à raser, dentifrice… »

les réformes attendues « Mettre en place une série de lois que chaque établissement pénitentiaire soit obligé de respecter, qu’il y ait plus de communication entre la pénitentiaire et le public, plus de transparence aussi au niveau des décisions et des budgets, que la personne détenue soit considérée comme un futur citoyen et non comme un récidiviste potentiel. » « Chaque détenu devrait pouvoir disposer d’une cellule individuelle jour et nuit dès le début de sa détention, pouvoir travailler et se former et travailler aux mêmes rémunérations et conditions (maladies, point retraite…) qu’à l’extérieur, disposer d’un minimum vital correct et ne pas avoir à subir les tarifications arbitraires des cantines extérieures, pouvoir voir sans contrainte (fouilles systématiques après les parloirs), ni limite de temps sa famille, ses proches (parloirs plus fréquents, plus d’intimité). Avoir le droit de s’exprimer plus librement et sans peur des conséquences sur les problèmes qu’il peut rencontrer en détention… La liste est longue encore, le plus inacceptable est peut-être l’impuissance de chaque détenu à être considéré comme un être humain digne et capable de mieux. »

N°58-59 Janvier 2007

33

32

LA CONSULTATION


le plus inacceptable…

L’ANALYSE PAR ACTEURS

les surveillants

les réformes attendues

«… des quartiers d’isolement 24h sur 24 être seul, parler à personne avec une heure de promenade, une heure de musculation. C’est de la folie. » « Comment le travail du surveillant peut-il être efficace avec par exemple 80 à 100 détenus sur la coursive ? Le surveillant est le premier interlocuteur du détenu, l’intérêt de l’un comme de l’autre est que tout se passe dans les meilleures conditions. » « … les difficultés rencontrées par le personnel pénitentiaire qui manquent de moyens et se sentent responsables de l’inefficacité de leur travail. Mal représentées par leurs organisations professionnelles et mal défendus institutionnellement, ils ne peuvent que se sentir abandonnés et leur motivation s’en ressent. » « Aujourd’hui ces deux corps de métier (surveillants et travailleurs sociaux) parent à l’urgence… Cela frise la caricature. » « … le recours à l’incarcération systématique pour des personnes qui pourraient être assignées à résidence par l’intermédiaire de la mise en place du bracelet électronique ou de dispositifs de contrôle assurés par les services de l’administration pénitentiaire. »

Les surveillants souhaitent qu’on propose à tout détenu qui en fait la demande un parcours de qualification professionnelle. © Michel Le Moine « Les réponses des surveillants sont assez singulières : préoccupations, insatisfaction et attentes sont souvent différentes pour eux que pour le reste des personnes interrogées ».(1) Ils constituent ainsi « la seule catégorie à estimer que la situation carcérale en France est sous certains angles satisfaisante », notamment en ce concerne la sécurité, les droits des détenus, les activités socioculturelles et l’accès aux soins. Ils sont également, sur ces thèmes, « moins nombreux que les autres acteurs à exprimer un choix quant aux actions à mettre en œuvre pour améliorer la situation ». Dans certains autres cas cependant, « la satisfaction affichée n’implique pas moins la volonté d’obtenir des améliorations ». Ils « s’accordent notamment avec les autres catégories de répondants pour demander une «augmentation des moyens de fonctionnement des services médicaux» », la formation du « personnel pénitentiaire et les intervenants extérieurs à la prévention du suicide » ou encore l’harmonisation des règlements intérieurs. Enfin, l’avis des surveillants rejoint celui des répondants « sur de nombreux points ». Par exemple, « comme la majorité des répondants (détenus compris), ils sont soucieux de la question du suivi personnalisé des détenus et souhaitent qu’on “propose à tout détenu qui en fait

la demande un parcours de qualification professionnelle“ ». Cette convergence touche également « la dénonciation des “mauvaises conditions de vie en général“ », et notamment les questions d’hygiène, ainsi que les conditions d’accès aux soins psychiatriques ou les alternatives à l’emprisonnement (plus de la moitié des surveillants qui se sont prononcés ne les estiment pas assez développées). Enfin, ils expriment un certain nombre de préoccupations liées plus spécifiquement à leur pratique professionnelle, tellles que « l’augmentation du nombre de personnels de surveillance », « la prise en compte de l’avis des surveillants et des travailleurs sociaux pour diminuer les tensions avec les personnes détenues », « une formation permanente des personnels de surveillance et des travailleurs sociaux sur l’évolution des règles de droit qui encadrent leur travail » ou encore « la reconnaissance du droit de grève aux surveillants et travailleurs sociaux ».

« Je pense que notre profession est soumise à une trop forte pression médiatique. Nous travaillons avec des individus, nous faisons donc du cas par cas, cette simple constatation est souvent oubliée. Un autre phénomène assez inquiétant pour nous est la recrudescence des personnes atteintes de troubles de comportement incarcérées. Des personnes mises en examen par un juge qui n’ont même pas conscience d’être en prison, c’est une situation dangereuse pour nous, personnels. On a supprimé les asiles pour mettre les fous en prison, c’est scandaleux ! Messieurs les parlementaires, vous êtes responsables de cette situation, toutes étiquettes confondues ! »

(1) BVA et les États généraux de la condition pénitentiaire, « Consultation en vue des États Généraux de la condition pénitentiaire – Résumé des résultats de la consultation en ligne par catégorie », octobre 2006. Toutes les citations ci-dessus sont tirées de ce document.

N°58-59 Janvier 2007

« Une loi pénitentiaire, une prison garante des droits de l’homme, des personnels assermentés et ayant un niveau de compétence élevé. » « Qu’elle reconsidère le métier de surveillant et qu’elle responsabilise le détenu en l’infantilisant moins qu’actuellement. Qu’elle aboutisse à quelque chose de réellement équilibré entre les besoins des personnels pour assurer leurs missions correctement et les besoins des détenus afin de préparer efficacement leur sortie. » « … que les personnels soient plus respectueux des détenus (prévoir des sanctions administratives plus systématiques), qu’on comprenne une fois pour toutes que le détenu n’est sanctionné que de privation de liberté et non de privation de vie ! » « Je pense d’après mon expérience d’une dizaine d’années dans un établissement pénitentiaire, qu’il faut développer l’aménagement des peines, notamment la libération conditionnelle parce que tout simplement, ça marche ! « Recrutement et formation des surveillants à revoir : comment un jeune sorti de l’école, sans expérience de la vie à 19 ans se retrouvant surveillant peut-il arriver à gérer les problèmes de violence, racket… Pour la formation, il faudrait privilégier quelques règles simples : “je ne suis pas juge“, “je dois parler“, etc… » « Une réforme des prisons n’aura de sens que dans le cadre plus large, d’une réforme de la justice (développement de mesures alternatives à l’incarcération simple notamment). Une baisse intelligente du nombre de personnes détenues par l’application massive des alternatives à l’incarcération. Une prise en considération plus importante des personnels de l’administration pénitentiaire, et notamment des personnels administratifs et techniques, qui sont totalement absents de ce questionnaire. Une meilleure spécialisation des personnels de l’administration pénitentiaire dans la prise en charge des détenus selon leur profil pénal. Il s’agit d’apporter une réponse adaptée à la délinquance que l’on veut sanctionner tout en permettent de mieux prendre en charge la personne en vue d’assurer de manière efficace sa réinsertion (ou son insertion) dans la société. Que la représentation nationale et l’ensemble des citoyens concernés réfléchissent au sens et la nécessité de l’incarcération : ne

plus envisager la prison comme la première ou l’unique solution de répression de la délinquance. Que les aménagements de peine soient intégrés comme des peines véritables et que chaque peine d’incarcération se termine obligatoirement par une peine en milieu libre (libération conditionnelle, semi-liberté). Un socle législatif qui garantisse l’action des services pénitentiaires et assure une reconnaissance pour les personnels qui servent dans cette institution. Une transparence dans le travail réalisé et un plus grand équilibre entre la garde et la réinsertion. » « Que l’on ne prenne jamais en compte les conditions de travail du personnel pénitentiaire. Cela va de paire avec les conditions de détention des détenus, qui elles ne vont qu’en s’améliorant. Preuve à l’appui de ce questionnaire qui montre encore qu’on s’occupe plus des détenus que des surveillants. À quand un questionnaire pour l’amélioration des conditions de travail du personnel en détention. » « En prison l’oisiveté est un facteur majeur qui freine la réinsertion. Je travaille dans un centre de détention et si l’on prend pour exemple un détenu x, condamné à 10 ans, celui-ci peut, pendant ces 10 ans, faire ce qu’il veut pendant ses journées (à condition de respecter le règlement). […] Cette oisiveté amène les détenus vers la consommation de produits médicamenteux, stupéfiants, suicides, automutilations, rackets… Je rêve d’une vie en détention où le lever est imposé, puis le ménage de la cellule, suivi par des heures de travail obligatoires, 4 ou 5 par jour, la formation aussi doit être obligatoire ainsi que le sport. Je ne demande pas un retour au bagne, mais à une vie plus équilibrée en détention. » « La prison doit rester un lieu d’apprentissage du respect de l’autre et des valeurs humaines. Les victimes ne doivent pas être oubliées. » « Des conditions de détention dignes d’un pays démocratique. Une reconnaissance de la part du ministère, de notre gouvernement et des citoyens de notre profession, que leur regard change en faisant connaître notre métier et ses difficultés. Que la prison devienne une prison sociale et pas uniquement répressive. Et qu’elle apporte le respect de la dignité humaine et du citoyen, car une personne incarcérée est avant tout un citoyen… » « Les personnes à problèmes psy n’ont rien à faire en prison. »

N°58-59 Janvier 2007

35

34

LA CONSULTATION


L’ANALYSE PAR ACTEURS

les travailleurs sociaux Comme pour les autres répondants, les préoccupations des personnels des services pénitentiaires d’insertion et de probation « tournent principalement autour des conditions générales de détention, des soins psychiatriques, du régime de détention des prévenus, des conditions de travail des détenus, de la préparation et de l’accompagnement à la sortie (au moins 9 personnes sur 10 étant insatisfaites dans ces catégories) ». (1) Leur « insatisfaction est globalement très forte, et les réponses spontanées sont à comparer avec celles des autres catégories de répondants : conditions de détention inacceptables, non-respect des droits fondamentaux, nécessité de travailler pour une meilleure réinsertion et de mobiliser la classe politique ». Comparé aux surveillants, ils estiment « plus encore […] que la situation concernant les conditions d’exercice des métiers des personnels pénitentiaires est insatisfaisante », mais les actions préconisées « diffèrent sensiblement de celles [de] leurs collègues ». Par exemple, « un sur deux demande l’augmentation du nombre de travailleurs sociaux », « le développe« L’administration pénitentiaire est une institution qui ne se ment et le renforcement pense pas », travailleur social. de la collaboration entre le © Caroline Caldier / Radio France personnel de surveillance et les travailleurs sociaux pour favoriser les démarches de réinsertion des détenus » ou « une formation permanente des personnels de surveillance et des travailleurs sociaux sur l’évolution des règles de droit qui encadrent leur travail ». Il s’agit donc avant tout « de développer la collaboration entre ces deux professions » et d’ouvrir les « possibilités de dialogue entre les différents acteurs de l’univers carcéral, entre surveillants et travailleurs sociaux mais aussi entre intervenants et personnels de l’administration pénitentiaire ». « De façon générale, cette catégorie de répondants est sensible aux réformes allant dans le sens de plus de dialogue », préconise en nombre « les possibilités de médiation comme alternative à la procédure disciplinaire ». (1) BVA et les États généraux de la condition pénitentiaire, « Consultation en vue des États Généraux de la condition pénitentiaire – Résumé des résultats de la consultation en ligne par catégorie », octobre 2006. Toutes les citations ci-dessus sont tirées de ce document.

les personnels médicaux le plus inacceptable… « Le plus gros obstacle vient sans doute de la représentation de la prison que se font une majorité de personnes : un lieu où l’on doit souffrir pour expier ! Cela justifie les locaux sordides, l’indifférence et le mépris. »

le plus inacceptable… « La promiscuité des détenus me choque énormément. Qui accepterait de vivre 23h sur 24 avec quelqu’un qu’il ne connaît pas, qu’il n’a pas choisi ? Qui accepterait de devoir se déshabiller, se laver, aller aux toilettes devant tout le monde ? Il n’y a rien de plus dégradant… Sans compter qu’il n’est pas possible de pleurer quand on le souhaite, qu’il n’est pas possible d’avoir des photos et des lettres sans que celles-ci soient vues par les autres détenus. » « Ce qui pourrait paraître inacceptable concernant l’administration pénitentiaire, c’est que contrairement à d’autres institutions de la République, c’est une institution qui ne se pense pas. »

« Le problème majeur est la toute puissance et l’arbitraire de l’administration pénitentiaire en tant que système, ceci permettant toutes les dérives et l’instrumentalisation systématique de tout intervenant... le système est fondamentalement psychotique et psychotisant pour tous : détenus et professionnels. » Dans leurs réponses spontanées, les personnels médicaux critiquent les mauvaises conditions de vie et l’absence de respect des droits. © Michel Gasarian / Editing

« Une autorité de contrôle extérieur est nécessaire. La loi doit s’imposer et non pas les pratiques et autres coutumes locales. Stop à la lecture du courrier. Stop à la surmédicalisation et aux trafics en tous genres. Les conditions et le fonctionnement de la prison devraient être un modèle : c’est loin d’être le cas. Dans ces conditions, comment donner du sens à la peine ? »

« Les réponses des personnels médicaux correspondent à celles des autres catégories sur la plupart des thématiques abordées par le questionnaire : protection des droits fondamentaux ; conditions générales de détention ; travail, emploi, formation professionnelle ; régimes de détention, etc. ». (1) Ils s’accordent avec les détenus et les autres acteurs sur la question du maintien et du développement des liens familiaux des personnes détenues, les conditions dans lesquelles se déroulent la préparation à la sortie et l’accompagnement des détenus à la suite, les conditions générales de détention, le régime de détention des prévenus, etc. Dans leurs réponses spontanées, les personnels médicaux « exposent principalement leurs griefs contre les mauvaises conditions de vie et l’absence de respect des droits des détenus et souhaitent en priorité changer le regard de la société et des hommes politiques et recentrer le débat autour des missions de réinsertion ». Plus inattendu, « les personnels médicaux ont tendance à peu se concentrer sur les thématiques spécifiquement médicales », « contrairement aux personnels de l’administration pénitentiaire ». Ainsi, « seuls un peu plus de la moitié de ces répondants estiment que l’accès aux soins médicaux est insatisfaisant ». Les attentes diffèrent cependant peu, « même si une petite moitié des personnels médicaux demande, en sus des autres actions à mener, que l’on “assure les escortes pour les consultations médicales extérieures“ ». Une autre « spécificité professionnelle » concerne la question du quartier disciplinaire : « Les quatre cinquièmes des personnels médicaux (nettement plus que les détenus) estiment que la situation est insatisfaisante dans ce domaine et demandent massivement la mise en place de nombreuses réformes (la moitié fait 6 demandes, contre une moyenne de 3-4 pour les autres catégories), parmi lesquelles “la réduction de la durée maximale du placement en quartier disciplinaire“, etc. ». Enfin, « parmi les préconisations en matière d’alternative à l’emprisonnement, plus des 2/3 des personnels médicaux insistent sur “la nécessité de revoir les critères d’irresponsabilité pénale pour orienter un nombre croissant de personnes vers des structures de soins psychiatriques“ ».

« S’inspirer de modèles étrangers et favoriser la recherche universitaire afin de stimuler la pensée de la prison et de ne pas réformer aveuglément. »

(1) BVA et les États généraux de la condition pénitentiaire, « Consultation en vue des États Généraux de la condition pénitentiaire – Résumé des résultats de la consultation en ligne par catégorie », octobre 2006. Toutes les citations ci-dessus sont tirées de ce document.

« … l’insuffisance de l’offre de travail, l’absence d’une plate-forme permanente d’accès aux droits sociaux, les différences de conditions pénitentiaires entre un détenu indigent et un détenu qui travaille ou qui est aidé financièrement par ses proches. »

les réformes attendues « … un débat dépassionné et non démagogique qui permettrait de poser la question (pas seulement à court terme) de la validité et de la légitimité de l’emprisonnement. S’agit-il d’une réponse d’élimination du corps social ? Ou faut-il nécessairement penser au retour à la vie libre des personnes détenues ? Dans le même sens, la question du sens de la peine reste posée. La peine peut très souvent être exécutée en milieu libre (aménagements de la peine et sursis mise à l’épreuve). Pour les cas où l’emprisonnement paraît incontournable, cette période ne doit pas être préjudiciable à la personne. »

N°58-59 Janvier 2007

« … absence totale de réflexion sur la finalité de l’incarcération avec confusion permanente entre enfermement-privation de liberté et emprisonnement-lieu de vie “à en chier“. »

les réformes attendues « … que le groupe social assigne enfin une mission claire à une institution en souffrance, ballottée entre une pression constante de répondre à la demande d’exclusion de toutes les formes de marginalité et l’affichage périodique mais toujours velléitaire de projets d’insertion ou de réinsertion. Ce qui supposerait que le “sentiment d’insécurité“ et l’intolérance ne soient plus les ultimes ciments de cohésion sociale. Autrement dit, que nous soyons capables d’inventer un nouveau projet de société et, à partir de lui, une nouvelle conception de la sanction. » « Persister à croire que l’humain dans le criminel n’a jamais dit son dernier mot suppose non seulement une humanisation des prisons mais une croyance tenace que la part d’humanité même dans le pire des cas ne doit pas être définitivement enterrée. Outre le fait de payer la faute que je ne conteste absolument pas, on peut raisonnablement envisager qu’il existe un possible de l’après faute. La société se devrait de pouvoir concilier des mesures punitives et une possible reconstruction de tout individu, lui donner cette opportunité en faisant se rompre une spirale infernale tant pour lui même que pour les effets dommageables que “la personnalité délinquante“ va engendrer sur ses descendants ré- alimentant le tourbillon, la pathologie. » N°58-59 Janvier 2007

37

36

LA CONSULTATION


les avocats

L’ANALYSE PAR ACTEURS

les magistrats Comme les autres répondants, « les magistrats évoquent principalement les mauvaises conditions de vie en général [et] l’absence de respect des droits fondamentaux des détenus et aimeraient voir changer le regard de la société et la place de la réinsertion en prison ». (1) La proportion d’insatisfaits dans ces domaines est en effet « assez élevée, tout particulièrement concernant le régime de détention des prévenus ou le maintien des liens familiaux des personnes détenues ». Leurs attentes ne se distinguent pas non plus de celles des autres catégories de répondants, avec la préconisation « d’un organe de contrôle extérieur et d’un dispositif d’information permettant à chaque détenu de connaître ses droits pour améliorer la protection des droits fondamentaux en prison ». S’ils « ne sont pas prioritairement préoccupés par les mesures disciplinaires au sein de l’univers carcéral » et La question de la réinsertion suscite une mobilisation particulièrement que « la proportion d’insatisforte des magistrats. © Samuel Bollendorf / L’œil public faction est plus faible pour les questions de quartier disciplinaire et de mesures de sécurité », une majorité d’entre eu demandent cependant « que soit contrôlé par le juge tout placement en quartier disciplinaire et que la commission de discipline soit confiée à une personne indépendante de l’administration pénitentiaire ». « Une lecture transversale des réponses des magistrats permet de discerner deux sources de préoccupation majeures : la question du suivi individuel et de la réinsertion des détenus et les questions liées aux soins psychiatriques. » Cela n’est « pas spécifique à cette profession », mais suscite « une mobilisation particulièrement forte » chez eux. Sur ces questions, « l’adhésion aux actions à mener est très forte : les 2/3 des magistrats veulent par exemple : “assurer la continuité de suivi et de soins psychiatrique à la sortie de prison“, assurer “le suivi médical et psychologique pour les personnes dépendantes“, “former le personnel pénitentiaire et les intervenants en prison à la prévention du suicide“, “systématiser l’entretien à l’arrivée en prison avec un médecin psychiatre“, “proposer un soutien psychologique aux détenus lors des moments à risque [suicidaire] élevé“. » Les deux tiers des magistrats estiment également qu’il faut « doter tout lieu de détention d’une plateforme d’accès aux services sociaux (ANPE, CAF, …) », « élaborer dès l’incarcération un projet de préparation à la sortie » et « permettre aux personnes libérées de poursuivre à l’extérieur une formation commencée en prison ». (1) BVA et les États généraux de la condition pénitentiaire, « Consultation en vue des États Généraux de la condition pénitentiaire – Résumé des résultats de la consultation en ligne par catégorie », octobre 2006. Toutes les citations ci-dessus sont tirées de ce document.

le plus inacceptable… « Les détenus font l’objet de brimades permanentes des surveillants, sont considérés comme des individus inférieurs, suppression de toute dignité, suppression de l’identité, par l’usage permanent non plus du nom mais du numéro d’écrou, et tutoiement quasi généralisé par les surveillants. »

le plus inacceptable… « L’absence de respect de la personne du détenu, les obstacles mis à l’exercice de ses droits, son infantilisation et sa désocialisation… tout cela pour un prix conséquent qui absorbe une grande part du budget de la justice… et qui, comble de la perversité, risque de conduire, faute d’analyse, à proposer en guise de remède la construction de nouvelles prisons ! ». « … le fait de ne pas donner aux détenus l’ensemble des droits dont disposent tous les individus en société, droit aux soins, au travail, aux relations familiales, la prison ne devant être qu’une privation temporaire de la liberté d’aller et de venir. Le fait également que la prison soit un milieu pas assez contrôlé et que les détenus ne disposent pas encore de la possibilité de faire appel des décisions de l’administration pénitentiaire. »

les réformes attendues « … qu’elle se préoccupe de limiter les premières incarcérations, en prévoyant des alternatives telles que le PSE, la semi-liberté... qui soient plus systématiquement utilisées par les magistrats, ce qui suppose que ces mesures soient connues des avocats, préparées et plaidées utilement. » « … qu’on élabore enfin une loi pénitentiaire déterminant les droits et obligations des détenus, en n’oubliant pas les droits ! » « … une réflexion sur le sens de la peine, afin de limiter autant que possible le recours à l’enfermement. » « … faire de l’emprisonnement une sanction d’exception. »

Les avocats représentent globalement la catégorie de répondants la plus insatisfaite. © Samuel Bollendorf / L’œil public « Les avocats représentent globalement la catégorie de répondants la plus insatisfaite », (1) avec largement plus de trois quart de mécontents dans 16 thématiques, et notamment la protection des droits fondamentaux, le régime de détention des prévenus et les conditions générales de la détention. Seuls les « conditions d’exercice du métier de surveillant ou de travailleur social » suscitent un niveau d’insatisfaction plus modéré (un peu plus de six avocats sur dix). Comme pour les familles, « les préoccupations des répondants de cette catégorie sont très proches de celles des détenus » : « Pour chaque thème, sur les trois actions prioritaires, une ou deux sont systématiquement identiques aux priorités des détenus ». C’est le cas par exemple de « la mise en place d’un organe de contrôle extérieur [et] d’un dispositif d’information permettant à chaque détenu de connaître ses droits pour lutter contre le non-respect des droits fondamentaux ». Et, « lorsque la convergence n’est pas parfaite, c’est parce que les avocats préfèrent à une transformation matérielle des conditions de détention une réforme juridique ». Ils exigent ainsi majoritairement l’établissement de « règles pour l’accès à un emploi ou la perte de cet emploi pour limiter l’arbitraire », « plutôt que de demander une meilleure rémunération du travail en prison ». Cette approche juridique se retrouve dans leurs réponses spontanées aux questions ouvertes où « ils évoquent fréquemment l’absence de respect des droits et l’arbitraire du monde carcéral ». Les avocats « sont par ailleurs sensibles aux recommandations qui impliquent leur profession ». Ils veulent ainsi majoritairement « que l’on “facilite les communications entre un prévenu et son avocat et que l’on en préserve la confidentialité“ » ou le « report de la commission de discipline en l’absence d’avocat ». Enfin, « comme la grande majorité des répondants autres que les détenus, les avocats adhèrent massivement aux préconisations concernant la préparation à la sortie » et « un nombre important d’avocats mentionne d’ailleurs de façon spontanée la nécessité d’une amélioration de la réinsertion à la sortie » dans les questions ouvertes. (1) BVA et les États généraux de la condition pénitentiaire, « Consultation en vue des États Généraux de la condition pénitentiaire – Résumé des résultats de la consultation en ligne par catégorie », octobre 2006. Toutes les citations ci-dessus sont tirées de ce document.

N°58-59 Janvier 2007

« Ce qui me paraît le plus inacceptable dans les prisons françaises actuellement, c’est qu’un détenu soit presque plus en insécurité à l’intérieur qu’à l’extérieur de la prison, qu’il risque soit d’être victime de délits, voire de viols de la part de ses codétenus, soit d’être entraîné à en commettre lui-même ; que la prison soit tellement déstructurante que l’État a une responsabilité énorme dans la récidive des condamnés. » « … l’impossibilité d’avoir des relations intimes au sein d’un couple dont l’un est détenu(e). » « Il n’est pas admissible que des détenus, condamnés ou en détention provisoire soient placés à l’isolement de façon quasi-discrétionnaire et pour des durées illimitées, qu’ils soient transférés de manière impromptue à des centaines de kilomètres de leurs familles et de leurs avocats sans avoir la possibilité d’exercer aucun recours efficace et rapide. La toute puissance de l’administration pénitentiaire, accrue depuis les lois Perben et largement admise par l’institution judiciaire doit cesser et les droits fondamentaux de la personne doivent s’exercer à minima, même et peut-être dans une enceinte carcérale. »

les réformes attendues « … l’abrogation de la prison » « … que la prison serve à resocialiser les détenus et à les réinsérer, et non à les transformer en révoltés contre la société compte tenu de certaines conditions de détention. S’ils sont détenus pour “trouble à l’ordre public“ ils doivent obtenir de “l’ordre public“ une nouvelle chance et non une marginalisation totale par écœurement de la société. » « Penser à la prison non pas comme un état mais comme une dynamique en conservant toujours à l’esprit que les détenus d’aujourd’hui seront des hommes libres demain. » N°58-59 Janvier 2007

39

38

LA CONSULTATION


DOSSIER

L’ANALYSE PAR ACTEURS

les intervenants extérieurs Comme la quasi-totalité des répondants, « les intervenants extérieurs s’expriment spontanément sur les mauvaises conditions de vie des détenus, sur l’absence de respect de leurs droits et souhaitent avant tout que soient revus à la hausse les moyens mis à disposition de l’objectif de réinsertion »,(1) notamment en matière de « préparation à la sortie […] jugée insatisfaisante » par la quasi-totalité des intervenants extérieurs. À l’image des familles, leurs réponses montrent en outre « une très grande convergence avec les attentes des détenus ». Leurs niveaux d’insatisfaction, « globalement […] très élevés (de 6 à 9 personnes sur dix) », le sont encore plus en ce qui concerne le régime de détention des prévenus, les conditions générales de la détention, la prévention des suicides, la protection des droits fondamentaux, le travail, l’emploi et la formation professionnelle. Mais « la caracté-

le plus inacceptable… « Les détenus survivent en prison davantage qu’ils n’y vivent. Je suis heurtée en tant qu’être humain des conditions dans lesquelles ils sont “mis sous tutelle“. Il m’est difficile d’accepter que les détenus soient fouillés à corps au plus profond de leur intimité ; il m’est difficile d’accepter qu’ils soient soumis aux décisions arbitraires des autorités administratives ; il m’est difficile d’accepter que les visites chez le médecin, le dentiste, soient considérées comme un luxe dont ils pourraient bien se passer ; difficile d’accepter l’absence de Code du travail, la déprivation sensorielle, la violence. Impossible de tout énumérer. L’image du prisonnier et son statut doivent absolument évoluer. » « Il y a des tas de petites choses auxquelles on risque de s’habituer alors qu’elles sont inacceptables : tutoiement systématique, non confidentialité du dossier pénal ou du courrier, arbitraire de nombreuses décisions, non respect de droits élémentaires N°58-59 Janvier 2007

40

(hygiène : défaut de fournitures de trousse d’hygiène, accès aux soins : consultations hospitalières repoussées faute d’escorte, information par le juge ou par l’AP, non réponse aux demandes du détenu...). » « L’incarcération de détenus âgés (j’en ai connus de 82 et 91 ans !) ou handicapés (vieillards se déplaçant avec un déambulatoire), malades graves (cancer, anus artificiel, etc.). » « La personne incarcérée n’est plus considérée comme responsable (c’est le paradoxe). On crée une situation de passivité et d’assistanat où toute initiative du détenu est mise à mal. De plus, beaucoup d’absurdité du système : “j’ai demandé à voir le coiffeur, mais on m’a dit que la tondeuse était en panne ; alors j’ai fait la demande pour acheter une tondeuse, mais on m’a dit que c’est interdit puisqu’il y a le coiffeur…“ Petit détail mais significatif et qui dans le quotidien des détenus pèse très lourd de sens… Le détenu est dépendant du bon vouloir du surveillant. »

ristique principale de cette catégorie est l’adhésion massive (en termes d’effectifs) et large (en termes d’items cochés) aux propositions contenues dans le questionnaire ». Par exemple, « plus de la moitié des intervenants extérieurs a […] coché 9 sur 10 des items de la catégorie “maintien et développement des liens familiaux“ », « 7 sur 9 des items de la catégorie “enseignement et activités socioculturelles“ », « 9 sur 9 items de la catégorie “prévention des suicides“ ». (1) BVA et les États généraux de la condition pénitentiaire, « Consultation en vue des États Généraux de la condition pénitentiaire – Résumé des résultats de la consultation en ligne par catégorie », octobre 2006. Toutes les citations ci-dessus sont tirées de ce document.

les réformes attendues « ... une révolution dans les mentalités… » « ... que la société civile ne trouve plus “normal“ que l’on enferme des individus. »

« ... un recours plus important aux aménagements de peine, le développement de la réparation pénale en lien avec les victimes. » « ... un système de responsabilisation et non d’assistanat. » « PAS DE PRISON »

« ... qu’on généralise le recours aux peines alternatives à la peine de prison au lieu de construire de nouvelles prisons à forte capacité d’accueil. » « La prison est un réflexe au lieu d’être une réflexion. » « La prison n’est pas une fin. Tout détenu sortira un jour. C’est ce jour-là qu’il faut se donner les moyens de préparer pour réinsérer celui qui a fauté et éviter à tout prix toute récidive. La “prison“ doit tout mettre en œuvre pour satisfaire cet objectif. Toute autre démarche ne relève que de la vengeance. » « ... un débat sur la place publique du rôle et de la légitimité de la prison dans la société. »

« ... qu’elle fasse prendre conscience à la société de l’inefficacité du système carcéral, de l’état scandaleux de l’hygiène, de la nécessité d’un travail collectif sur le sens de la peine aujourd’hui. » « Il ne s’agit pas d’agrandir les prisons, ni de multiplier les gardiens de prison, mais de former du personnel éducatif qui puisse suivre les personnes à l’extérieur. » « ... une éducation scolaire et citoyenne des détenus. »

Acte II : le manifeste p.42 : dire ce qu’il faut faire pour que la prison change p.44 : Robert Badinter : « la voie d’une réforme profonde » p.46 : Guy Canivet : « le rappel à la loi » p.48 : le manifeste : les éléments constitutifs d’une transformation p.52 : le manifeste : les conditions d’élaboration de la réforme p.56 : les États généraux réaffirment le sens de leur engagement p.60 : Joël Thoraval : la CNCDH en première ligne p.62 : en débats p.64 : la déclaration finale N°57 Septembre-Octobre 2006

41


dire ce qu’il faut faire pour

que la prison change

La consultation des acteurs du monde pénitentiaire a fait émerger un grand nombre d’attentes. Pour que cette prise de parole se transforme en perspectives concrètes, les États généraux sont entrés dans une seconde phase. Objectif : créer les conditions d’émergence d’une politique de réforme dynamique et profonde.

et l’impératif d’y parvenir. Le Premier président de la Cour de cassation, Guy Canivet, est ainsi venu rappeler la nécessité d’une loi pénitentiaire et d’un contrôle extérieur (p.46). Joël Thoraval, président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, est également intervenu au cours de l’après-midi, afin de mettre en perspective les résultats des États généraux avec les recommandations de la Commission et insister sur la nécessité « de changer notre regard sur la réalité du monde carcéral » (p.60). Marc Nève, du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT), Nathalie Duhamel et Tassadit Imache, de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, Liliane Daligand, de l’Institut national d’aide aux victimes et de médiation, ou encore l’ancienne garde des Sceaux Marylise Lebranchu, étaient également présents (p.62). Mais aussi des personnes anciennement détenues, des proches de personnes incarcérées, des médecins intervenant en prison, des visiteurs, etc. Ponctuée de débats et de la diffusion de dix courtsmétrages (lire ci-contre), la journée s’est achevée par la lecture, par Robert Badinter, de la déclaration finale, et par son adoption à l’unanimité des participants.

S’appuyant sur les constats partagés et les attentes convergentes exprimés par les acteurs du monde pénitentiaire au cours de la consultation, ainsi que sur le renversement de perspectives proposé par les instances françaises et européennes de protection des droits de l’homme, les organisations participantes aux États généraux ont travaillé ensemble à l’élaboration de trois documents : des « cahiers de doléances », un « manifeste » et une « déclaration finale ».

de la consultation au manifeste Directement issu de la consultation, le premier document compile en 110 pages les éléments de réforme les plus souvent retenus par les répondants, ordonnés en quatre grandes thématiques : le respect des droits de l’homme dans la prison, le contenu du temps passé en prison, les soins pour les personnes malades détenues et la préparation à la sortie de prison. Dans chacune de ces parties, sont en outre rappelés le pourcentage de personnes qui ont énoncé telle ou telle attente, des extraits des réponses aux questions ouvertes qui figuraient en conclusion du questionnaire, ainsi que les recommandations en la matière du Conseil de l’Europe, de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, des rapports d’enquête parlementaires de 2000, etc., le tout enrichi d’éclairages ponctuels sur certaines « bonnes pratiques » étrangères, voire françaises. Ainsi constitués, ces cahiers de doléances ont nourri la réflexion des États généraux et abouti au manifeste. Composé de deux parties, ce manifeste réunit, de façon plus synthétique, les « éléments déterminants de la transformation de la condition pénitentiaire » (lire p.48), mais également « les conditions d’élaboration de la réforme » (p.52). En effet, « tirant les enseignements de la période récente », et notamment du renoncement des gouvernements et parlements qui se sont succédés depuis 2000 à voter une loi pénitentiaire, les États généraux ont souhaité formuler des « éléments de méthode » et des « principes d’élaboration » de la réforme. Par exemple, la loi pénitentiaire « ne saurait être laissée aux bons soins du seul ministère de la justice », mais « devrait être confiée à une “mission interministérielle pour la réforme de la condition pénitentiaire“, conduite par une personnalité “incontestable et incontestée“ et composée des représentants de tous les ministères concernés mais aussi de personnalités qualifiées

un appel à l’engagement des candidats

Après une journée d’échanges et de débats, les États généraux ont clôturé leurs travaux par un appel aux candidats à l’élection présidentielle. © Sébastien Sindeu de la société civile ». Enfin, des cahiers de doléances et de ce manifeste, les États généraux ont tiré la déclaration finale, c’est-à-dire les dix principes fondamentaux, constitutifs d’une « profonde réforme du régime des prisons et des droits des personnes privées de liberté », qui ferait de l’enfermement une sanction de dernier recours, placerait la prison dans l’État de droit et affirmerait la réinsertion comme une mission centrale de l’administration pénitentiaire (p.64).

la journée de clôture L’ensemble de ces documents ont été rendus publics le 14 novembre 2006, au cours d’une journée de « clôture » qui s’est tenue à la Maison de la Radio, à Paris, et durant laquelle les organisations participant aux États généraux ont réitérés collectivement leur détermination à faire aboutir les revendications exprimées lors de la consultation (p.56). À cette occasion, différentes personnalités, fortement investies dans la protection des droits des détenus, ont apporté leur soutien à la démarche, dit leur espoir de la voir aboutir

Les États généraux ont décidé de soumettre cette déclaration aux candidat(e)s à la Présidence de la République, afin que chacun(e) prenne position et s’engage. Pour les organisations participantes en effet, s’il est clair que la réforme doit mobiliser l’ensemble des pouvoirs publics, impliquer la société civile et déboucher sur un débat national, il l’est tout autant qu’un engagement personnel et sans ambiguïté des candidats est la condition sine qua non pour qu’enfin soit mise en œuvre la réforme tant attendue, et tant de fois repoussée. La campagne électorale constitue en cela un « moment privilégié » et qui, a souligné Robert Badinter, « ne se représentera pas de sitôt ». Comment obtenir une telle réforme autrement ? « Quand on descend dans la rue… Les prisonniers descendent dans la rue ? Quand on est un lobby puissant qui peut bloquer le fonctionnement de la société… Les prisonniers sont un lobby puissant qui peut bloquer le fonctionnement de la société ? » C’est lors des élections présidentielles et législatives de 1981 que s’est joué le sort de la peine de mort en France. C’est certainement dans les prochains mois que sera scellé le sort de la prochaine réforme des prisons. Adeline Combet et Stéphanie Coye

une mobilisation médiatique sans précédent

Du lancement de la consultation à la journée de clôture, en passant par la présentation des résultats, chaque moment fort des États généraux aura bénéficié d’une large couverture médiatique. Si la mobilisation de journaux comme Libération ou Le Nouvel Observateur n’étonnera pas – l’intérêt de leur rédaction pour la question des prisons n’étant plus à démontrer –, l’investissement d’une radio publique, d’une chaîne de télévision privée et d’une société de production doit être particulièrement souligné. Considérant « vital qu’une démocratie soit interrogée sur le sort qu’elle réserve à ceux qui sont devenus ces enfants les plus fragiles » et qu’il fallait pour cela donner à la démarche des États généraux « l’écho journalistique qu’elle méritait », France Inter a en effet choisi de soutenir la démarche, en accueillant la journée de clôture dans ses locaux et en consacrant, le 20 octobre comme le 14 novembre, plusieurs émissions à l’événement. Autres partenaires, Canal + et Cinétévé, une société de production présidée par Fabienne Servan Schreiber, ont décidé d’accompagner la démarche en mettant un place un dispositif exceptionnel, afin de « lever un peu le voile » et « ainsi enclencher une prise de conscience du plus grand nombre, motiver le débat, et faire évoluer les mentalités sur ce problème fort contemporain auquel aucun citoyen ne peut rester insensible ». Dans un premier temps, la chaîne cryptée a diffusé, dès le 1er novembre et pendant dix jours, une série de petits programmes, produits par Cinétévé et réalisé par Jean-Pierre Gras. Intitulés « Prisons hors la loi », ces modules d’1mn45 pointaient l’écart entre les textes législatifs ou règlementaires, rappelés par des personnalités,(1) et leur application dans les prisons françaises, au travers de témoignages de proches de personnes incarcérées ou d’anciens détenus. Pour compléter ce dispositif, Canal + a en outre invité, le 14 novembre, plusieurs membres des États généraux dans ses émissions avant de diffuser, en première partie de soirée, des courts-métrages réalisés en prison et un documentaire, intitulé « La honte de la République ». Produit également par Cinétévé contre vents et marées, ce film est construit autour de témoignages, d’images d’archives et de reconstitutions, son réalisateur, Bernard George, n’ayant pas obtenu l’autorisation de filmer en détention. Qualifié de « coup de poing » par le magazine culturel Télérama, ce film a pour objectif, selon Fabienne Servan Schreiber, d’ « alerter l’opinion publique sur l’état de nos prisons, indigne d’un pays démocratique ». Parce que, explique Bernard George, « si la télévision doit servir à quelque chose, c’est sur ce terrain là qu’il faut agir ». (1) Julien Clerc, Patrick Poivre d’Arvor, Florence Aubenas, Albert Jacquard, Bruno Solo, Véronique Vasseur, Sandrine Bonnaire, Bernard Kouchner, Christine Boutin et Sylvie Testud. Ces programmes peuvent être regardés sur le site de l’OIP (www.oip.org)

N°58-59 Janvier 2007

N°58-59 Janvier 2007

43

42

LE MANIFESTE


Robert Badinter

« la voie d’une réforme profonde » Les États généraux de la condition pénitentiaire ont clôturé leurs travaux le 14 novembre 2006, dans le studio 105 de la Maison de Radio France. Une journée ouverte par Robert Badinter, qui en a rappelé l’origine et les enjeux. « En ouvrant cette réunion des États généraux, je voudrais en marquer les enjeux essentiels. La réforme des prisons est en débat depuis deux siècles en France, en fait depuis que la prison existe comme peine, c’est-à-dire depuis le Code pénal de 1791. Périodiquement, à l’occasion d’une révolte, d’une vague de suicides ou d’un livre, le mur du silence pénitentiaire tombe. L’opinion publique s’indigne des conditions carcérales et souhaite une transformation de la prison. Puis l’intérêt politique se tourne vers d’autres sujets, plus gratifiants aux yeux des électeurs. La fenêtre ouverte sur la réforme des prisons se referme et le silence et l’indifférence recouvrent à nouveau l’espace carcéral. Voici cependant aujourd’hui, grâce à l’OIP, et notamment grâce au Président Mouesca et son délégué général Patrick Marest, dont je salue la conviction et le dynamisme, que s’ouvre enfin la voie d’une réforme profonde des prisons en France.

« La transformation de la condition pénitentiaire est une grande cause nationale. » © Sébastien Sindeu

Pourquoi cet optimisme, rare chez moi quand il s’agit de la condition pénitentiaire ? Pour trois raisons. La première est une prise de conscience accrue de l’état indigne des prisons françaises. Depuis le livre choc du Dr Vasseur, émissions et enquêtes se sont succédés qui ont révélé à l’opinion publique une situation que les spécialistes connaissaient et dénonçaient sans parvenir à se faire entendre. Deux commissions d’enquête parlementaires au Sénat et à l’Assemblée nationale ont conclu à la nécessité et l’urgence à mettre un terme à ce qui constitue une “humiliation pour la France“. Le second facteur est le développement des enquêtes internationales et notamment du comité contre la torture du Conseil de l’Europe et du comité de l’ONU sur l’état des prisons françaises.

La France est tenue de respecter ses obligations internationales et elle ne peut se targuer d’être la patrie des droits de l’homme alors que ses prisons demeurent dans une condition indigne. En troisième lieu, il faut mentionner l’action des instances nationales : à cet égard ont joué un rôle essentiel les travaux de la commission présidée par Monsieur le Premier Président Canivet, et les rapports de la Commission nationale consultative des droits de l’homme. La Cour des comptes aussi a consacré aux états des prisons françaises un rapport éclairant. S’y ajoutent les travaux et les propositions des syndicats de magistrats et d’avocats, ceux des personnels pénitentiaires et des travailleurs sociaux, ceux du Genepi et des associations militantes des droits de l’homme. Bref, de tous ceux qui connaissent la réalité carcérale, et luttent pour sa transformation.

transformera le regard de la société sur la prison, et donc la condition carcérale elle-même. Il appartiendra ensuite à une autorité indépendante de l’administration pénitentiaire, dotée de larges pouvoirs de contrôle, d’investigations et de recommandations d’assurer le respect de ces droits. Reste l’autre fonction de l’administration pénitentiaire : préparer les détenus à réintégrer à leur sortie la société des femmes et des hommes libres. Cette mission, trop souvent délaissée faute de moyens, fera aussi l’objet de propositions. On oublie trop aisément que tout détenu est voué à retrouver un jour la liberté. La prison doit l’y préparer. À défaut, elle favorise la récidive et non pas la réinsertion nécessaire à tous, aux condamnés comme à la société toute entière, y compris les victimes potentielles de demain. C’est par là que la transformation de la condition pénitentiaire est une grande cause nationale. Au-delà des détenus et de leurs familles, elle concerne tous les citoyens. Plus particulièrement les personnels pénitentiaires dont la difficile mission ne fait pas l’objet d’une reconnaissance publique suffisante et qui doivent eux aussi bénéficier de la réforme.

C’est dans ce climat de mobilisation que les responsables de l’OIP ont conçu le projet qui nous rassemble ici. Je salue à cet égard la direction et les collaborateurs de Radio France et de Canal + qui ont eu à cœur de donner l’écho nécessaire dans le public à cette grande entreprise des États généraux de la condition pénitentiaire. Pourquoi ce titre ? Parce qu’il évoque irrésistiblement la conjonction de toutes les forces Je pense que la nécessité d’une transformation des prisons vives d’une communauté devant une situation injuste, à aujourd’hui transcende les clivages politiques. Cela n’a pas laquelle elles entendent remédier en ouvrant les voies d’une toujours été le cas, j’en parle en connaissance de cause. Il y réforme profonde. Or il s’agit a un quart de siècle, lorsque nous bien de cela aujourd’hui. Ces nous efforcions avec mes collaboÉtats généraux rassemblent des rateurs à la Chancellerie de faire « la nécessité d’une intervenants dans la vie carcéprogresser, malgré la pauvreté rale venus de tous les horizons de nos moyens, la conditions des transformation des prisons professionnels. Ils ont confronté détenus, mesure après mesure, aujourd’hui transcende les leurs expériences et avancé leurs suppression des quartiers de clivages politiques. » propositions. À celles-ci s’est haute sécurité (QHS), ou instauajoutée, ce qui est sans précération des parloirs libres, transfert dent dans l’histoire pénitentiaire, de la médecine pénitentiaire à la parole des détenus, pour une fois recueillie, répondant à l’Assistance publique ou installation de la télévision dans les des questionnaires largement distribués dans les prisons. cellules, certains, dans l’opposition de l’époque, criaient au Remercions à cet égard le garde des Sceaux et le directeur scandale, au laxisme. Et le mythe de la prison quatre étoiles de l’administration pénitentiaire qui ont autorisé la diffusion fleurissait à l’annonce de chaque humble progrès. Je crois du questionnaire, ainsi que le Médiateur de la République, ces temps heureusement révolus. Au Parlement, lors des Monsieur Delevoye dont les collaborateurs ont grandement commissions parlementaires d’enquête, le principe d’une contribué à recueillir les réponses des détenus. grande réforme des prisons a fait l’objet d’un consensus entre tous les groupes de gauche ou de droite. À partir de ces réponses, et des situations de détresse qu’elles révèlent, des réunions se sont succédées en province et À l’issue de ces États généraux, nous soumettrons à tous les à Paris pour élaborer un texte d’analyse et de propositions : candidats à la Présidence de la République nos propositions. les Cahiers de doléances – ouvrant la voie à une profonde Chaque candidat(e) sera amené(e) à prendre position sur la réforme de la condition pénitentiaire. Toutes les associations réforme des prisons. Ainsi sera scellé dans le contrat qui lie se sont déclarées d’accord avec le texte final, où l’on retrou- le Président à la Nation un engagement particulier sur ce ve la voix des détenus. Ce texte une fois adopté sera notre sujet important. À celui ou celle qui l’aura emporté de veiller manifeste. Une déclaration finale énoncera les principes ensuite à la réalisation de la réforme par le Parlement et le directeurs du nouveau régime des prisons françaises. Il sera gouvernement. Je suis persuadé qu’il – ou elle – n’y fera pas fondé sur une loi pénitentiaire qui posera le principe dont défaut. Car l’histoire enseigne que dans le bilan d’un Présitout doit découler : le détenu est un être humain qui con- dent figure toujours au premier rang les actes d’humanité serve tous les droits de l’homme et du citoyen hormis celui qu’il ou elle aura eu à cœur d’accomplir. » d’aller et venir et ceux dont une décision de justice l’a privé. Il doit pouvoir exercer ses droits sous les seules restrictions, strictement définies, qui découlent des contraintes inhérentes à la vie carcérale. La prise de conscience par la société et le détenu qu’il demeure titulaire de ses droits fondamentaux

N°58-59 Janvier 2007

N°58-59 Janvier 2007

45

44

LE MANIFESTE


le rappel à la loi Guy Canivet

Premier Président de la Cour de cassation depuis 1999 et président de la Commission sur l’amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires en 2000, Guy Canivet a tenu à venir, le 14 novembre, rappeler les obligations à l’égard des personnes détenues qui pèsent sur l’État, ainsi que sur ses confrères magistrats. « Pour moi, participer aux États généraux de la condition pénitentiaire est une démarche, c’est un acte, c’est un engagement auquel j’attache la plus grande importance. […] C’est en juge que je suis ici, c’est en juge que j’ai choisi de vous rejoindre, c’est en juge que je m’exprime en cet instant. […] En cette qualité, je crois nécessaire de rappeler aujourd’hui les principes et valeurs qui doivent guider tous les juges dans leurs relations avec le monde pénitentiaire ; en cette qualité, il me semble indispensable de rappeler à mes collègues les obligations qu’ils ont à l’égard de la personne privée de sa liberté. […]

le détenu est placé sous la protection de la loi Dans un État de droit, aucun lieu, où qu’il soit, n’échappe à la légalité. Comme tout citoyen, comme tout membre de la société, quoi qu’il ait fait, quoi qu’on lui reproche, qui soit-il, le détenu est placé sous la protection de la loi. Ses droits et ses libertés sont garantis par la loi. […] Une personne incarcérée, rappelle la Commission nationale consultative des droits de l’homme, est et demeure une personne humaine, une personne à part entière dont les droits fondamentaux ne peuvent être méconnus. Par conséquent, l’État est soumis à diverses obligations, des obligations positives qui l’obligent à lui garantir, en toutes circonstances, le respect des libertés individuelles. Une personne incarcérée demeure un citoyen. Cette qualification propre permet de rappeler que les motifs de l’incarcération ne peuvent en aucun cas justifier une mise à l’écart, une exclusion de la société. Une personne incarcérée demeure un justiciable, bénéficiant de droits procéduraux : droit de la défense, principe de la contradiction, droit au recours juridictionnel. […] Enfin, une personne incarcérée doit être considérée comme un usager, c’est à dire une personne en relation, en relation forcée certes, mais en relation avec un service public administratif, le service public pénitentiaire. Il en résulte que les détenus peuvent revendiquer un droit à un fonctionnement normal de ce service public à leur égard, et à la mise en œuvre des missions assignées par la loi à la puissance publique. […]

ces droits doivent être organisés dans une loi unique Toutes les commissions administratives et parlementaires, constituées aux alentours des années 1990 et 2000, qui ont établi des rapports à cette époque y ont insisté : ces droits existent, ils existent dans des textes divers éparpillés, parfois lacunaires, quelquefois insuffisants et imprécis. C’est ce qui a fait souhaiter par ces commissions, de manière unanime, qu’ils devaient être repris, précisés, complétés, organisés dans une loi unique, la loi pénitentiaire dont parlait Robert Badinter tout à l’heure, une loi telle que s’en sont dotées toutes les grandes démocraties, et telle que le recommandent les textes internationaux. La commission sur l’instauration d’un contrôle externe des établissements pénitentiaires avait même estimé que l’adoption de cette loi pénitentiaire devait être un préalable à l’instauration d’un contrôle externe, un contrôle externe dont l’objectif prioritaire était de veiller à l’exécution régulière par l’administration pénitentiaire de ses missions et des droits des détenus. Il faut donc qu’avant tout ces missions et ces droits soient précisément décrits, connus, organisés. C’est la question tout aussi fondamentale de lisibilité, d’effectivité et d’accès au droit de la prison : des textes clairs, accessibles, disponibles et appliqués. […]

ma responsabilité de juge Vos États généraux sont l’occasion de ce rappel de la loi, j’oserai dire : de ce rappel à la loi, et j’ai estimé de mon devoir de le faire, c’est ma responsabilité de juge. Mais ma responsabilité propre de juge m’impose, comme à tous ceux qui exercent la même fonction, un rôle de protection des libertés individuelles. Le juge judiciaire, tout juge judiciaire est investi par la Constitution française d’une responsabilité et d’une mission propre à cet égard, d’une responsabilité particulière, d’une responsabilité que lui seul peut exercer – ce que dit solennellement l’article 66 de la Constitution : “Nul ne peut être arbitrairement détenu. L’autorité judiciaire gardienne de la liberté individuelle assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi.“ […] Il n’y pas de rupture, il n’y a pas de séparation entre le juge qui emprisonne et l’administration qui exécute. Si des devoirs de contrôle sont donnés au juge des enfants, au juge d’instruction, à la chambre d’instruction, au parquet, c’est pour que cette continuité ait un sens, c’est pour que cette continuité soit assurée. Si le juge n’exécute pas ou exécute mal sa mission de contrôle, c’est un maillon essentiel qui ne fonctionne pas. Il est investi d’une mission propre d’alerte, d’incitation, de pression sur l’administration pénitentiaire. S’il ne l’exerce pas, c’est un lien qui fait défaut dans la chaîne des décisions, dans le partage des responsabilités, dans l’exercice de

Guy Canivet : « Dans un État de droit, aucun lieu, où qu’il soit, n’échappe à la légalité. » © Sébastien Sindeu

l’autorité publique. Et les mêmes remarques pourraient être faites en ce qui concerne le processus de réinsertion.

le juge ne peut s’abriter derrière une insuffisance de ses pouvoirs Chaque fois que je lis un rapport de la Commission de prévention de la torture ou du commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, chaque fois que je lis une décision de condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme pour manquement à des garanties de la Convention, je ressens avec amertume, avec regret, avec culpabilité, la constatation de la violation comme un manquement de l’autorité judiciaire à laquelle j’appartiens à ses missions. Si les personnes handicapées, les personnes malades sont exposées à de mauvais traitements, c’est parce que le juge à qui il appartient en propre de les faire corriger n’a pas rempli sa mission : il l’a mal comprise, il l’a mal exécutée. Si le secret de la correspondance, la confidentialité de la vie familiale est mise en doute par la Cour européenne des droits de l’homme en ce qu’elle soit respectée par nos institutions, c’est parce que les juridictions nationales ne sont pas suffisamment rigoureuses sur le respect de ces droits, la Cour de cassation en particulier. Le juge ne peut s’abriter derrière une insuffisance de ses pouvoirs : ils doivent être lus et compris avec l’éclairage de la Constitution. Il ne peut davantage alléguer un défaut de moyens : ses prérogatives sont fixées par une loi fondamentale, elles sont évidemment prioritaires. Il ne peut dénoncer une carence

ou un manquement de l’administration dans des enceintes de discussions : il a, à son égard, au moins un rôle de contrôle, d’incitation, voire de contrainte. Il ne peut en définitive dénoncer une responsabilité qu’il partage, sans se mettre en cause lui-même. Il y a dans cette salle des personnes qui étaient autour de moi chargées, lorsque j’étais premier président de la cour d’appel de Paris, de la mise en œuvre de ces contrôles, de ces vérifications. Ils savent que ces pouvoirs ne sont ni virtuels ni théoriques. Ils savent les résultats tangibles auxquels on peut aboutir si on les exerce avec constance et avec vigueur. […] Tel est le témoignage que je voudrais livrer en ouverture à vos travaux, tel est le message que je dois délivrer à l’ensemble de mes collègues, les juges. Ils doivent veiller à ce que le droit soit placé au centre de la vie sociale, que cette vie sociale s’exerce en prison, qu’ils remplissent l’objet qui leur est assigné, qu’ils exercent leur mission à l’égard de la prison et des détenus. Donner corps au droit, c’est en assurer l’effectivité. Sortir des proclamations, pour des réalités. […] Donner un sens à la loi, faire en sorte que l’exécution de la sanction soit garantie, et qu’elle s’exécute dans la dignité, et que soit une réalité la politique de réinsertion. Donner des valeurs à l’action de la Justice. Reconnaître l’homme, reconnaître l’homme qu’il soit victime, ou qu’il soit prisonnier. »

N°58-59 Janvier 2007

N°58-59 Janvier 2007

47

46

LE MANIFESTE


LE MANIFESTE

les éléments constitutifs d’une transformation de la condition pénitentiaire « La situation des prisons françaises peut être comprise monde carcéral et formulent des recommandations d’enen considérant trois tendances qui caractérisent la période semble, voire posent des normes contraignantes, pour que récente. les prisons ne soient plus hors du droit et sortent de l’excepPremière tendance : l’immobilisme en matière juridique et la tion juridique dans laquelle on les cantonne. Ce mouvement concentration des moyens budgétaires dans la construction trouve un écho à la fois dans les pratiques de certains pays, de prisons neuves et dans la dotation des prisons existantes qui ont promu des transformations profondes de la condition de technologies de sécurité. Rien, depuis 2000, n’est venu carcérale, et, en France, dans des expériences menées locafondamentalement remettre en cause le diagnostic posé par lement qui, avec ténacité, montrent qu’un autre fonctionnele Premier Président de la Cour de cassation, Guy Canivet, ment des prisons est possible. […] dans son rapport relatif à l’amélioration du contrôle extérieur et par les deux rapports d’enquête parlementaire : les Il nous semble que les résultats de la consultation contienprisons demeurent largement hors du droit. Les conditions nent deux indications essentielles. D’une part, le statu quo de vie et de travail y demeurent une “humiliation pour la n’est pas acceptable, car l’insatisfaction concerne tous les République“. pans du monde carcéral et touche l’ensemble de ceux qui Deuxième tendance : la mise en œuvre de réformes y vivent et travaillent. D’autre part, les attentes qui se sont comme l’entrée des avocats au prétoire, la juridictionnali- exprimées rejoignent les exigences posées par les instances sation de l’aménagement des de protection des droits de peines, [etc.]. Ces mesures l’homme. La loi du 22 juin 1987 ont été cependant confrontées relative au service public péni« Le statu quo n’est pas à des tendances contraires : tentiaire donne à celui-ci une acceptable, car l’insatisfaction augmentation de la population double mission : “Le service carcérale sous l’effet conjugué concerne tous les pans du monde public pénitentiaire participe de l’allongement structurel l’exécution des décisions et carcéral et touche l’ensemble de àsentences des peines prononcées, du pénales et au mainceux qui y vivent et travaillent. » tien de la sécurité publique. Il maintien d’un fort recours à la détention provisoire et d’une favorise la réinsertion sociale part importante des courtes des personnes qui lui sont peines […], orientations législatives privilégiant le durcis- confiées par l’autorité judiciaire […].“ Ces deux missions sement des conditions d’octroi de la suspension de peine, dessinent les deux axes d’une réforme de la prison : restriction des possibilités d’aménagements de peine pour - assurer l’exécution des sanctions pénales de privation de les récidivistes. Parce qu’elles ne prenaient pas en considé- liberté en respectant les droits fondamentaux des personnes ration les problèmes posés à tous les niveaux du système détenues […] pénal et carcéral, elles ont aussi rencontré des blocages. - faire de la mission d’insertion une tâche centrale de l’exécuSymbole de ces tentatives largement avortées, la procédure tion des sanctions pénales. d’aménagement de peine prévue par la loi Perben 2. […] La Une réforme visant à répondre à ces deux exigences comréforme procédurale prévue ne suffit ni à assurer les effec- porte quatre volets : le respect des droits de l’homme dans tifs de travailleurs sociaux et de juges de l’application des la prison, le contenu donné au temps passé en prison, peines indispensables à sa mise en œuvre, ni à disposer à la la question des soins apportés aux personnes détenues sortie de prison de solutions en terme d’emploi et de loge- malades et la préparation à la sortie de prison. Ces volets ment nécessaires à la mise en place d’un aménagement de sont liés et, pour éviter de reproduire des échecs passés, peine. […] doivent être abordés conjointement dans la perspective de La troisième tendance concerne le fait que, de plus en plus, l’élaboration d’une loi pénitentiaire. Ainsi, se donner pour les instances françaises et européennes de protection des objectif qu’aucun détenu ne soit plus mis à l’écart d’une actidroits de l’homme […] portent un regard exigeant sur le vité est une manière d’affirmer la mission de resocialisation

L’évolution de la condition pénitentiaire doit s’inscrire dans une réflexion plus globale sur la peine. © Samuel Bollendorf / L’œil public autant que l’ouverture vers une autre gestion des relations en détention. Nul n’ignore en effet que le temps vide de la détention est facteur de tensions et de violences entre les détenus comme entre les détenus et les membres du personnel de l’administration. […] Plus largement, la part consacrée dans les réponses aux questions ouvertes de la consultation à la nécessité d’un changement de regard de la société et du monde politique sur la question carcérale et à celle d’une réforme du droit pénal, rappelle que l’évolution de la condition pénitentiaire doit s’inscrire dans une réflexion plus globale sur la place de la peine d’emprisonnement […], dans la perspective d’en réduire strictement le champ. Cette préoccupation est partagée par les instances européennes de protection des droits de l’homme. Le Conseil de l’Europe encourage régulièrement les États membres à s’engager dans une telle direction. Ainsi la recommandation R (99)22 […] préconise-t-elle un ensemble de dispositions réorientant la politique pénale vers un moindre recours à l’emprisonnement, celui-ci devant être appréhendé comme “une sanction ou mesure de dernier recours“ recours“, et l’extension du parc pénitentiaire comme “une mesure exceptionnelle“ car n’étant pas “en règle générale, propre à offrir une solution durable au problème du surpeuplement“. Le Conseil de l’Europe invite également à “réduire le recours aux peines de longue durée“, à “remplacer les courtes peines d’emprisonnement par des sanctions et mesures appliquées dans la communauté“, à inciter les magistrats “à recourir aussi largement que possible“ à ces mesures alternatives, et à dépénaliser, décriminaliser ou

requalifier certaines infractions “de façon à éviter [qu’elles] n’appellent des peines privatives de liberté“.(1)

le respect des droits de l’homme dans la prison La prison doit être un lieu régi par le droit commun dans lequel le détenu bénéficie d’un statut de citoyen seulement privé de sa liberté de mouvement. Dans ce cadre, l’objectif assigné à la future “loi pénitentiaire“ est de proposer un aménagement d’un cadre de référence précis prenant en considération les recommandations internationales ainsi que les exigences d’un État de droit. […] La réforme réclamée doit s’inscrire dans le champ de ce qui avait été prôné par Guy Canivet en mars 2000, à savoir : “un droit de la prison redéfini dans une grande loi d’orientation pénitentiaire qui induit une autre logique juridique : 1 / celle d’un détenu qui, à l’exception de la liberté d’aller et venir, conserve tous les droits puisés dans sa qualité de citoyen ; 2 / celle d’un lieu, la prison, qui, faisant partie du territoire de la République, doit être régi selon le droit commun, y compris dans les adaptations qu’exige la privation de liberté“. Les préconisations de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) en mars 2004 permettent de compléter ces orientations : “La CNCDH recommande qu’une hiérarchisation des priorités soit respectée dans la définition du statut juridique de la personne privée de liberté. - Une personne incarcérée est, et demeure, une “personne humaine“ à part entière dont les droits fondamentaux ne

N°58-59 Janvier 2007

N°58-59 Janvier 2007

49

48

LE MANIFESTE


LE MANIFESTE peuvent être méconnus. Par conséquent, l’État est soumis à leur famille et des rencontres qui ne dégradent pas la relation diverses obligations pour garantir, en toutes circonstances, et en préserve l’intimité. Considérer enfin qu’aucun temps de le respect des libertés individuelles. détention ne doit avoir lieu sans qu’une démarche scolaire, - À un deuxième niveau, une personne incarcérée demeure formatrice ou professionnelle ne soit engagée est le levier un “citoyen“. […] Les motifs de l’incarcération ne peuvent en nécessaire à une nouvelle politique d’aménagement des aucun cas justifier une mise à l’écart du reste de la société. peines et de réduction du temps passé derrière les barreaux. La prison ne doit plus être conçue seulement comme une En effet, […] l’anticipation de la libération butte de manière éviction. croissante sur l’absence de possibilité de présenter, depuis - À un troisième niveau, une personne incarcérée demeure la prison, un projet de retour dans la société. Il faut que les un “justiciable“ bénéficiant des droits procéduraux […] nor- démarches initiées en détention soient conçues systématimalement prévus dans les matières considérées […] Les quement dans la perspective d’être poursuivies en liberté garanties organisées dans ces disciplines doivent trouver à et viennent nourrir un renouveau des aménagements de s’appliquer […]. peine. - À un quatrième niveau, une personne incarcérée doit être L’exigence d’une offre systématique d’activités aux perconsidérée comme un “usager“ étant en relation, certes sonnes détenues nécessite une réforme fondamentale des obligée, avec un service public administratif. Il en résulte modes de fonctionnement de l’enseignement et du travail en que les détenus peuvent se prévaloir d’un droit à un fonc- prison. Le développement de l’enseignement est bloqué à la tionnement normal du service à leur égard et à la mise en fois par l’insuffisance de l’offre et par le choix qu’ont à opérer œuvre des missions assignées par la loi […].“ les détenus sans ressources entre suivre des cours et tenter Pour la CNCDH, la défid’obtenir et d’exercer un nition du statut juridique emploi […]. Plus généde la personne détenue ralement, l’évolution des « Il faut que les démarches initiées devait garantir “la sauveconditions dans lesquelen détention soient conçues garde du droit au respect les sont rémunérés les systématiquement dans la perspective détenus est confrontée de la dignité, la protection de l’intégrité physique et à deux exigences cond’être poursuivies en liberté et psychique, la protection tradictoires : développer viennent nourrir un renouveau des du droit au respect de la l’offre de travail d’une vie privée et familiale, le part, assurer des revenus aménagements de peine. » respect du droit à l’enseidécents d’autre part. En gnement et à la formation, effet, les contraintes auxl’application du droit du travail, l’effectivité du droit de vote, quelles le travail carcéral est soumis font qu’il ne peut, sauf et la reconnaissance des droits collectifs“. Cette garantie […] exceptions, être compétitif qu’à la condition d’offrir une main ne peut être complète si elle ne prend en compte des situa- d’œuvre très bon marché. Sortir de cette ornière nécessite de tions de vulnérabilité particulières [ce qui] nécessite la mise changer d’optique et de soustraire le travail en prison d’une en œuvre des recommandations spécifiques formulées par logique de marché pour l’inscrire dans une démarche d’inla Commission et l’ouverture d’une réflexion plus ample. sertion soutenue par l’État. Une mutation de cet ordre nécessite de se pencher sur les formes d’emplois aidés en vigueur dans le monde libre. […] Les associations qui accueillent les le contenu du temps passé en prison personnes en grande précarité ont développé des actions Pour la CNCDH, il convient également “[…] de renforcer d’insertion par l’activité économique, qui permettent à la l’importance de la mission de resocialisation dans tous les fois de leur assurer une rémunération décente et de les domaines […]. Outre qu’il est commandé par l’intérêt géné- accompagner dans un processus d’insertion professionnelle ral, un tel renversement des perspectives devrait permettre adapté. Les traits communs de ces emplois sont l’aide dont d’atténuer les rapports de confrontation entre détenus et sur- ils bénéficient de la part des pouvoirs publics et leur double veillants, et bénéficierait tant aux premiers qu’aux seconds“. encadrement, à la fois professionnel et éducatif. Rechercher Pour que la mission de réinsertion […] ne reste pas plus l’introduction de ces entreprises d’insertion en détention longtemps un vain mot, la nécessité d’assurer la possibilité serait un premier pas vers la construction d’offres de débouchaque jour pour tout détenu qui en fait la demande de sui- chés professionnels […], tout en présentant l’avantage d’évivre un enseignement, une activité culturelle, une formation, ter la rupture du processus à la sortie de détention. ou d’accéder à un travail, a été massivement affirmée […] Le bénéfice des revenus de l’assistance, au premier rang dans la consultation […]. Cette exigence d’apprentissage et desquels le RMI, ne devrait plus être refusé aux personnes de socialisation n’a de sens que si elle est mise en œuvre de détenues, même si son montant peut être adapté à la situamanière parallèle à une politique de maintien des liens fami- tion de détention. Cela devrait aller de pair avec la mise en liaux qui permette à la fois le rapprochement des détenus de place d’actions d’insertion […] et d’un accompagnement

social en amont de la date prévisible de sortie […], dans les conditions du droit commun. Il devrait également être possible […] d’adopter une approche d’ensemble des revenus de la personne - de la solidarité et tirés d’un travail et d’une formation -, pour que le revenu total augmente graduellement. […]

la question des soins aux malades détenus En premier lieu, l’affirmation de la mission d’insertion n’est possible que si la question de la santé des détenus est mise en discussion. Depuis la réforme fondamentale […] de 1994 confiant la prise en charge des patients détenus au système général de santé, l’accès aux soins médicaux a fait des progrès indéniables. […] Il n’en demeure pas moins que nombre d’améliorations doivent être apportées pour assurer l’équivalence des soins entre la prison et le monde libre. Comme l’a expliqué un médecin, lors du colloque organisé en 2004 pour dresser le bilan de la réforme de 1994, “[…] un certain nombre de médecins ont le sentiment qu’après les progrès initiaux et les premières perspectives d’améliorations progressives, une détérioration se fait sentir depuis deux ans environ“. […] L’enjeu de ces améliorations est primordial : “Les personnes détenues appartiennent souvent à des catégories qui n’ont généralement pas un accès satisfaisant aux soins à l’extérieur. Initier en détention des processus de soins peut s’avérer un élément primordial de réinsertion.“ En second lieu, une réforme carcérale ne peut pas ne pas prendre en compte une évolution massive : le nombre croissant de personnes incarcérées souffrant de graves troubles psychiatriques. Cette situation ruine le sens de la sanction pénale, crée des détresses insupportables et détériore considérablement les conditions de vie et de travail en prison. […] Dominique Perben, alors garde des Sceaux, a reconnu en 2004 l’ampleur et la complexité du problème, ainsi que le fait que sa résolution n’était pas du ressort du seul ministère de la Justice. L’urgence d’une réflexion sur ce sujet est à la mesure de sa complexité et de sa difficulté, qu’illustre par exemple le fait que la CNCDH et les nouvelles Règles pénitentiaires européennes ont sur ce point émis des recommandations différentes. De même, la mise en place d’établissements pénitentiaires spécialisés (UHSA) divise la communauté des psychiatres. Ainsi, par exemple, pour le psychiatre Gérard Dubret, “développer au sein du système pénitentiaire un dispositif d’hospitalisation psychiatrique [...] sans chercher en amont à remédier à cet afflux derrière les barreaux de personnes souffrant de maladie mentale, c’est à coup sûr prendre le risque d’amplifier ce mouvement“.(2)

la préparation de la sortie de prison À une nouvelle approche du temps passé en détention devrait correspondre une conception de la peine résolument tournée vers l’objectif de maintien et de retour dans la société. Cette approche […] permettrait de mettre l’anticipation et la préparation à la sortie au centre de la mission de l’administration pénitentiaire et de lutter véritablement […] contre les sorties “sèches“, sans préparation ni suivi. Le fait que toutes les peines ont vocation à être aménagées a été affirmé comme un objectif de la politique pénale, consacré

par la nouvelle procédure d’aménagement des peines prévue par la loi Perben 2. Cependant, l’échec de cette réforme tient autant à la complexité de la procédure qu’à la difficulté d’élaborer un projet de sortie adaptée […] par manque de moyens en termes d’emploi, de formation, d’hébergement, d’accès aux droits (carte nationale d’identité, titre de séjour, etc.) et/ou aux dispositifs de soins. Cette faiblesse des perspectives de sortie ne peut qu’entretenir une certaine réticence à mettre en œuvre des aménagements de peine, au nom de “l’effectivité de la peine prononcée“ ou d’un doute systématique quant à la réalité de la volonté de réinsertion du condamné. Ainsi, la préparation à la sortie, tout comme le développement des aménagements de peines, ne pourront être effectifs sans mettre en place de façon résolue les moyens d’un accompagnement social […], aussi bien en milieu fermé qu’en milieu ouvert. La consultation a pointé clairement le manque de travailleurs sociaux en détention. Il convient également de pointer la faiblesse des moyens accordés à la mise en œuvre des sanctions et mesures évitant l’incarcération, aussi bien pour les services pénitentiaires d’insertion et de probation que pour les associations de réinsertion sociale […]. Dans une recommandation adoptée en 2003, le Conseil de l’Europe a défini les conditions propres à assurer le succès de la préparation de la libération et de sa mise en œuvre : “Les administrations pénitentiaires devraient veiller à ce que les détenus puissent participer à des programmes appropriés pour préparer la libération et soient encouragés à suivre des cours ou une formation qui les préparent à la vie dans la communauté. Des modalités spécifiques d’exécution des peines privatives de liberté – telles que les régimes de semi-liberté ou ouverts ou encore les placements à l’extérieur – devraient être utilisées le plus largement possible […] Les détenus devraient également avoir la possibilité de maintenir, de nouer ou de renouer des contacts avec leurs familles et proches, et de prendre contact avec des services, des organisations et des associations de bénévoles qui pourront les aider […] à se réinsérer dans la société. À cette fin, divers types de congés pénitentiaires devraient être accordés. Il conviendrait d’encourager l’examen précoce des conditions à observer après la libération et des mesures de prise en charge appropriées. Les conditions envisageables, l’aide susceptible d’être apportée, les obligations de contrôle et les conséquences éventuelles du nonrespect des conditions fixées devront être soigneusement expliquées aux détenus et discutées avec eux“. » (1) Conseil de l’Europe, Comité des ministres, Recommandation n° R(99)22 du Comité des ministres aux États membres concernant le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale, adoptée le 30 septembre 1999. (2) Gérard Dubret, « Les UHSA, une fausse bonne idée ? », actes du colloque « Santé en prison : dix ans après la loi : quelle évolution dans la prise en charge des personnes détenues ? », tenu le 7 décembre 2004.

N°58-59 Janvier 2007

N°58-59 Janvier 2007

51

50

LE MANIFESTE


LE MANIFESTE

les conditions d’élaboration de la réforme « Selon la formule de l’éditorial du Monde daté du 21 octobre représentants de tous les ministères concernés mais aussi 2006, “le passé ne plaide pas pour l’avenir“. En 2000, alors de personnalités qualifiées de la société civile. Cet organe de qu’une fenêtre de réforme s’était ouverte, suite à la publica- nature pluridisciplinaire se verrait confier la tâche de prendre tion du témoignage de Véronique Vasseur sur la prison de la en compte la complexité et la diversité des problèmes posés Santé, de la remise du rapport sur l’amélioration du contrôle par une réforme d’ampleur des prisons. Une telle démarche extérieur des prisons par la commission présidée par Guy nécessite de prendre en compte des temporalités différentes Canivet et de la remise de deux rapports de commissions et de distinguer, parmi les attentes qui ont été exprimées, d’enquête parlementaire, le gouvernement de l’époque n’a entre les exigences de réforme immédiate et les objectifs qui pas mené à terme le chantier initié visant à l’élaboration ne pourront être mis en œuvre qu’à l’échelle d’une législad’une loi pénitentiaire. L’Assemblée élue en 2002 a voté, en ture. annexe de la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, l’engagement d’une présentation d’une loi d’orientation pénitentiaire. Le gouvernement DES MESURES IMMÉDIATES a par la suite exclu une telle perspective dans le cadre de la réponse qu’il a apportée à l’Étude sur les droits de l’homme dans la prison adoptée par la CNCDH en mars 2004. C’est le respect des droits de l’homme dans la prison pourquoi, outre ce qui relève du contenu propre de la Pour assurer le respect de l’État de droit en prison, la loi doit réforme, les États généraux, tirant les enseignements de la expressément reconnaître l’ensemble des libertés et droits période récente, formulent quelques “éléments de méthode“ fondamentaux des personnes détenues, à l’exception de la pour ce qui est de son élaboration. liberté d’aller et venir. Les règlements intérieurs des prisons Plusieurs principes doivent présider à l’élaboration de la doivent être harmonisés et mis en conformité avec les règles réforme. D’abord, elle doit faire l’objet d’un calendrier pré- de rang supérieur. Un dispositif d’information doit être mis cis, pour être mise en chantier en place pour permettre à chadès l’automne 2007 et pouvoir que détenu de connaître ses être soumise à la discussion « La reconstruction juridique de droits. Pour assurer le respect du Parlement avant l’été 2008 de ceux-ci, les personnes détela société carcérale ne saurait ou, au plus tard, à l’automne nues doivent pouvoir user de être laissée aux bons soins du de la même année. La “reconsvoies de recours effectives et truction juridique de la société rapides devant les juridictions. seul ministère de la justice. » carcérale“ (pour reprendre les D’autre part, un organe de contermes du rapport de la comtrôle, extérieur et indépendant, mission Canivet) implique préalablement “de reprendre doit être mis en place. Cette instance doit être distincte des l’ensemble des règles actuelles, d’en étudier la pertinence, autorités chargées des missions d’inspection gouvernemende déterminer leur niveau juridique dans la hiérarchie des tale (au sens de l’article 92 des règles pénitentiaires euronormes et de fixer les besoins normatifs nouveaux“. Cet péennes) ou des missions d’observation et de médiation aggiornamento regroupant l’ensemble des textes législatifs (selon la distinction proposée par le rapport Canivet). Parce et règlementaires applicables à la prison nous semble indis- que l’opacité du système carcéral favorise l’arbitraire, les pensable à l’exercice par le Parlement et le gouvernement de détenus doivent jouir de leur liberté d’expression. D’autre leurs responsabilités respectives. Elle ne saurait être laissée part, de façon à rapprocher les conditions d’existence en aux bons soins du seul ministère de la justice. Cette tâche prison de celles du milieu libre, des rencontres régulières devrait être confiée à une “mission interministérielle pour entre détenus et personnels pénitentiaires doivent être orgala réforme de la condition pénitentiaire“ pénitentiaire“, conduite par une nisées pour échanger sur des questions relatives au foncpersonnalité “incontestable et incontestée“ et composée des tionnement de l’établissement. C’est par la mise en place de

L’atteinte à la liberté d’aller et venir doit aussi être limitée, en assurant aux prisonniers la possibilité de circuler durant la journée. © Ulrich Lebeuf ce cadre que les droits fondamentaux, dont les cahiers de doléances portent la revendication, pourront être reconnus : Le droit au respect de la dignité humaine implique une limitation drastique du recours à la fouille corporelle, à laquelle doit se substituer le contrôle par des dispositifs techniques de détection. La possibilité pour la personne détenue d’assister à la fouille de sa cellule doit participer à une meilleure reconnaissance du droit au respect de sa vie privée. Les établissements doivent être dotés d’installations sanitaires (douches et toilettes) préservant l’intimité de la personne détenue et en quantité suffisante. L’atteinte à la liberté d’aller et venir doit aussi être limitée, en assurant aux prisonniers la possibilité de circuler durant la journée au sein de leurs quartiers dans tous les centres de détention. L’accès à un revenu minimal, la garantie de prix comparables à ceux pratiqués à l’extérieur pour les produits de cantine, le prêt gratuit d’un téléviseur, doivent permettre d’assurer des conditions d’existences décentes dans la prison. Enfin, il est nécessaire à cette fin

de confier la présidence de la commission disciplinaire à une personne indépendante de l’administration pénitentiaire et d’assurer un plus grand respect des droits de la défense, en reportant l’audience disciplinaire en l’absence d’avocat.

le contenu du temps passé en prison Le temps de l’exécution de la peine doit être fortement investi pour préparer le retour dans la collectivité. L’action des personnels pénitentiaires, des agents des autres services publics et des intervenants des associations en vue de la préparation de la sortie de prison doit être coordonnée. À cette fin, des réunions pluridisciplinaires doivent être organisées en détention autour du parcours des personnes incarcérées. La collaboration entre le personnel de surveillance et les travailleurs sociaux doit être effectivement développée. Tous les intervenants extérieurs doivent pouvoir travailler en commun avec les personnels de l’administration péni-

N°58-59 Janvier 2007

N°58-59 Janvier 2007

53

52

LE MANIFESTE


LE MANIFESTE

© Caroline Caldier / Radio France

4 mars 2002 sur les droits des malades a consacré le principe de la suspension des peines des personnes présentant un état de santé durablement incompatible avec la détention ou dont le pronostic vital est engagé. Le contenu originaire de cette loi, modifié par celle du 9 mars 2004 et par celle du 12 décembre 2005 sur le traitement de la récidive, doit être rétabli. Il faut affirmer clairement le principe de la prise en charge des personnes très gravement malades hors du cadre pénitentiaire. Le développement de solutions d’accueil institutionnelles est nécessaire, à court terme, pour assurer l’effectivité de ces objectifs.

tentiaire en vue de favoriser les démarches d’insertion des personnes détenues. La préservation des liens personnels de la personne incarcérée durant sa période de détention constitue un élément clé pour l’équilibre de l’intéressé et sa réadaptation sociale. Tout détenu doit être affecté dans un lieu de détention proche du domicile familial, y compris s’agissant des prévenus. L’obtention des permis de visite doit être facilitée et la fréquence comme la durée des visites doivent être augmentées. Les personnes placées en quartier disciplinaire doivent conserver le droit de rencontrer leur famille. Enfin, en cas de circonstances familiales graves, les autorisations de sortie doivent être systématisées et organisées dans des conditions garantissant la dignité des personnes condamnées et de leurs proches.

la question des soins aux malades détenus Le respect du principe selon lequel les personnes détenues se voient dispenser des soins d’une qualité équivalente à celle offerte à l’extérieur implique une série de mesures immédiates. La continuité des soins doit ainsi être garantie, en assurant en particulier l’accès au médecin à toute heure du jour et de la nuit, y compris le week-end. Les prescriptions médicales et les régimes alimentaires spécifiques doivent être respectés. Dans le même sens, le droit disciplinaire doit prendre en compte l’état de santé des personnes détenues. Le placement en quartier disciplinaire des prisonniers présentant un risque suicidaire doit être effectivement proscrit. Afin d’assurer aux personnes détenues un niveau de soin comparable aux personnes libres, l’accès à des consultations à l’extérieur de l’établissement doit être développé. À cet effet, des permissions de sortir doivent être plus largement accordées. D’autre part, les conditions dans lesquelles les soins sont dispensés à l’égard des patients détenus doivent être conformes aux principes éthiques fixés par le droit commun. Ainsi, le secret médical doit être pleinement respecté. Lors de la réalisation d’actes médicaux à l’hôpital, l’utilisation de menottes ou d’entraves doit être prohibée. Enfin, la loi du

préparer, anticiper et accompagner la libération Limiter les effets désocialisant de l’enfermement impose d’abord d’y recourir moins. À cet égard, il est indispensable que la détention provisoire soit inscrite dans un cadre juridique plus restrictif. Il est ainsi nécessaire de supprimer le critère flou du trouble à l’ordre public et de limiter plus strictement les durées maximales de détention avant jugement. Le recours aux permissions de sortir doit être systématisé pour favoriser la préparation du retour à la vie libre. Enfin, pour faciliter leur réinsertion socio-économique, les détenus doivent pouvoir bénéficier effectivement en prison, ou tout au moins dès leur sortie, des prestations et droits sociaux auxquels ils peuvent prétendre (RMI, AAH, CMU-C, documents d’identité...). Les difficultés juridiques que peuvent poser leur domiciliation doivent être réglées pour y parvenir. De même, les obstacles juridiques à l’accès à l’emploi doivent être limités. Tel doit être le cas pour les empêchements d’accès à la fonction publique liés au casier judiciaire. Par ailleurs, il est nécessaire de prévoir une possibilité de dispense d’inscription des fichiers STIC et JUDEX, sur le modèle de l’inscription au bulletin numéro 2 du casier judiciaire. Enfin, les cas dans lesquels l’employeur peut exiger la production d’un extrait de casier judiciaire devraient être limités.

DES OBJECTIFS POUR LA LÉGISLATURE D’autres objectifs ne pourront pas être immédiatement réalisés mais doivent constituer le programme de travail d’une législature.

le respect des droits de l’homme dans la prison L’amélioration des conditions de détention est une des préoccupations majeures qui se dégagent de la consultation. Elle appelle à la fois l’affirmation d’un certain nombre de principes et la mise en œuvre d’un certain nombre de chantiers du point de vue matériel. Les prisons doivent être mises en conformité avec les normes d’hygiène et de salu-

brité applicables aux établissements accueillant du public. La privation de liberté et la situation pénale des personnes Les conditions matérielles de détention doivent garantir le incarcérées les exposent, indépendamment même de leur respect du droit à l’intimité. Ainsi, tout détenu qui le souhaite état de santé mentale avant l’incarcération, à une fragilidoit pouvoir loger dans une cellule individuelle. L’échéance sation psychologique. La prévention du suicide, telle que du 12 juin 2008 pour parvenir recommandée par le rapà l’encellulement individuel, port de Jean-Louis Terra en fixée par la loi en 2003, doit décembre 2003, doit, plus « La question de la présence en être respectée. L’hébergeencore qu’aujourd’hui, consprison de personnes souffrant de ment des personnes incarcétituer un objectif prioritaire. graves troubles psychiatriques rées doit être assuré dans des Les personnels pénitentiaiconditions d’hygiène normanécessite une réflexion approfondie res et intervenants extérieurs les. Des conditions minimales doivent y être spécialement sur les causes de cette situation de superficie, de chauffage, formés. Surtout, un soutien d’éclairage et d’aération des psychologique doit être et les moyens d’y remédier. » cellules doivent donc être proposé lors des moments à prévues et respectées. Afin risque de suicide élevé. Les de ne pas exposer les personnes détenues à des confronta- personnes détenues, en raison de leurs origines sociales, tions inopportunes, mais aussi afin de favoriser le travail spé- accèdent globalement moins que les autres citoyens aux cifique que justifient la prise en charge des condamnés à des soins. Nombreuses sont les personnes détenues confronpeines moyennes ou longues et celle des condamnés à des tées à des conduites addictives. L’entrée en détention doit courtes peines, le principe de l’affectation en établissement être mise à profit pour leur proposer un bilan de santé, et pour peine des personnes condamnées à un emprisonne- particulièrement un bilan concernant leur consommation de ment d’une durée supérieure à un an doit être effectivement produits stupéfiants, d’alcool ou de tabac. Ce bilan, effectué respecté. Pour autant, parce que l’emprisonnement ne doit à titre préventif, dans un but de santé publique et dans l’inpriver que de la liberté d’aller et venir, les aspects positifs des térêt du patient, doit rester confidentiel. Enfin, la question de conditions de vie en centre de détention (portes ouvertes, la présence en prison de personnes souffrant de graves trouaccès aux télécommunications, etc.) doivent être appliqués bles psychiatriques nécessite qu’une réflexion approfondie en maison d’arrêt. Enfin, rien ne justifie que les personnes sur les causes de cette situation et les moyens d’y remédier détenues ne soient pas protégées par les principes du droit soit menée, de sorte qu’une action résolue et commune aux du travail. Le code du travail doit s’appliquer en prison. ministères de la Justice et de la Santé puisse être mise en œuvre pour permettre le transfert vers des structures hospitalières des personnes dont l’état de santé mental est incomle contenu du temps passé en prison patible avec le maintien en détention. L’amélioration du travail d’anticipation qu’impliquent la réinsertion et la resocialisation des personnes incarcérées nécessite des moyens humains renforcés. Le nombre des préparer, anticiper et accompagner la libération travailleurs sociaux doit être notablement augmenté, de Réduire le recours à la détention provisoire impose de même que le nombre des personnes extérieures à l’adminis- développer les mesures alternatives dans le cadre du contration pénitentiaire intervenant en prison. Ce n’est qu’ainsi trôle judiciaire. Le contrôle judiciaire socio-éducatif, parce que pourra être obtenu un renforcement substantiel des qu’il offre des solutions d’aide et de soutien aux personnes possibilités d’accès à des parcours de qualification profes- poursuivies, de nature à favoriser, avant toute condamnasionnelle, par le biais d’une formation, d’une activité d’inser- tion, une meilleure insertion sociale et la prévention de la tion ou d’emploi. De même, ce n’est qu’à cette condition que récidive, doit faire l’objet d’une attention particulière. Il est davantage d’activités sportives et socioculturelles pourront nécessaire de renforcer de manière importante les moyens être proposées, comme la consultation en fait apparaître la consacrés à ces missions. De même, le développement des nécessité. L’accès quotidien à ces activités doit être possible aménagements de peine doit faire l’objet d’une politique pour tous les détenus. Corollaire de la priorité qui doit être volontariste. Les placements à l’extérieur, en lien avec des accordée au maintien des liens avec les proches, les condi- dispositifs d’hébergement et d’insertion sociale, doivent être tions de visite en détention doivent être substantiellement redynamisés. Des moyens budgétaires suffisants doivent améliorées. Le droit à l’intimité des personnes détenues et de être consacrés à leur développement. Ils constituent une leurs visiteurs doit être assuré par la mise en place dans tou- alternative privilégiée pour favoriser l’insertion des persontes les prisons d’unités de visite familiale. La rencontre avec nes condamnées les plus en difficulté. La continuité des un proche emprisonné, ne doit pas, comme aujourd’hui, se prises en charge médicales ne doit pas souffrir du passage dérouler dans des conditions dégradantes. en détention. La poursuite de celles engagées ou continuées pendant la durée d’incarcération doit donc faire l’objet d’une attention particulière, surtout en matière psychiatrique ou la question des soins aux malades détenus dans le domaine des addictions. Le contact avec les centres Les moyens techniques et humains des UCSA et des SMPR de soins et la prise en charge en milieu libre doivent être doivent être nettement renforcés, pour parvenir à l’objectif organisés en amont de la libération. » de l’équivalence des soins entre le dedans et le dehors.

N°58-59 Janvier 2007

N°58-59 Janvier 2007

55

54

LE MANIFESTE


le sens de notre engagement Au cours de la journée de clôture du 14 novembre 2006, les partenaires des États généraux ont réaffirmé le sens de leur engagement dans cette démarche inédite. Témoignant d’une mobilisation générale pour obtenir, enfin, la transformation de la condition pénitentiaire.

« trouver l’ouverture pour enfin combattre cette impuissance publique » Bruno Thouzellier, Union syndicale des magistrats (USM) « […] Magistrats, personnels pénitentiaires, détenus, etc., nous sommes tous confrontés à la même situation d’impuissance publique. […] Tous ces grands principes que nous développons ensemble depuis ce matin [sont] d’une logique à la fois juridique et politique évidente. La classe politique dans son ensemble est maintenant, sauf quelques exceptions, d’accord sur le diagnostic. Alors, comment se fait-il que, depuis des années, l’institution judiciaire comme l’institution pénitentiaire soient dans le même état de dégradation absolue. Comment se fait-il que nous subissions l’humiliation de rapports européens réitérés qui nous mettent véritablement au ban de l’Europe judiciaire et de l’Europe des droits de l’homme. Comment se fait-il que la France soit un des seuls pays d’Europe qui ne soit pas capable de libérer des ressources, des énergies pour essayer de transformer cette réalité ? […] Il y a un véritable problème dans le débat politique. Nous ne sommes pas capables de convaincre nos élus qu’il faut aller parfois à l’encontre de l’opinion publique. […] Cela suppose une volonté politique, d’avoir le courage de dire à ses électeurs : “C’est une priorité, il faut en être conscients et il faut agir“. Ce qui m’intéresse dans le débat que nous avons aujourd’hui et dans ce manifeste, c’est bien entendu de rappeler des principes fondamentaux, mais c’est avant tout d’essayer de trouver l’ouverture pour enfin combattre cette impuissance publique que toute la classe politique porte en responsabilité depuis des années. »

« faire une place à chacun » Dominique Jeanningros, Emmaüs « […] Le premier compagnon accueilli dans les communautés s’appelait Georges, c’était un ancien bagnard. La question des personnes sortant de prison est donc liée directement à l’histoire d’Emmaüs. Mais, au-delà d’Emmaüs, sont concernées toutes les structures d’accueil, d’insertion par l’économie, tous ceux qui essaient d’accueillir en leur sein des personnes exclues. […] La question qui se pose à propos des personnes incarcérées rejoint celles des personnes exclues dans la société : Est-ce qu’on organise notre société pour faire une place à chacun ? […] Nous sommes témoins, dans les différents lieux où nous intervenons, que les personnes incarcérées sortent souvent de prison sans préparation, ni point de chute, ni projet. Nous rencontrons des personnes qui vivaient à la rue avant d’être incarcérées et que nous retrouvons à la rue, après être sorties le matin de Fleury ou d’une autre maison d’arrêt. […] Il faut ouvrir davantage les prisons, que les personnes incarcérées puissent aller à l’extérieur rencontrer des structures pouvant les accueillir et que ces mêmes structures puissent venir à l’intérieur. La mise en place d’activités diversifiées au sein des prisons peut être intensifiée, notamment par le biais des structures d’insertion par l’économie. Beaucoup de gens aujourd’hui seraient prêts à aller beaucoup plus loin dans l’accueil et le travail avec les personnes incarcérées ou sortant de prison. […] »

« Il est temps pour nous, magistrats, de prendre nos responsabilités » Côme Jacqmin, Syndicat de la magistrature (SM) « […] Pour avoir été pendant quelques années juge de l’application des peines, une chose m’a frappé, c’est cette espèce de pesanteur culturelle à laquelle nous sommes confrontés. On arrive jeune juge, sans connaître le monde pénitentiaire, la réalité des choses, mais seulement les cadres juridiques censés être appliqués, et puis on est confronté à un certain nombre d’interlocuteurs qui vous disent : “Oui, c’est vrai, la loi dit que la libération conditionnelle peut être octroyée […] dans les centres de détention à partir du tiers de la peine. […] Mais, ici, ce n’est pas comme ça qu’on fait.“ […] Je partage un grand nombre des observations, voire injonctions ou interpellations, de Guy Canivet. Il est temps pour nous, magistrats, de prendre nos responsabilités. […] Dernier point frappant […] : en matière pénitentiaire, il existe une espèce d’inversion de la hiérarchie des valeurs. Je ne connais pas une décision juridictionnelle […] qui prenne en compte les risques que l’on fait courir à incarcérer quelqu’un […]. La France a été stigmatisée pour ses conditions de détention, qui peuvent constituer des traitements inhumains et dégradants. Et aucune décision juridictionnelle n’en tire les conséquences en disant : “Compte tenu de ce que je sais de l’établissement pénitentiaire du ressort de mon tribunal, je ne peux pas placer en détention provisoire, je ne peux pas prononcer de peine d’emprisonnement ferme“. […] »

Céline Verzeletti, CGT : « Nous, surveillants, sommes témoins de cette condition pénitentiaire, nous en sommes victimes aussi ». © Sébastien Sindeu

« C’est une porte qui s’ouvre aujourd’hui. Ne nous la refermez pas »

« affirmer ce qu’il faut faire pour que la prison change »

Céline Verzeletti, Confédération générale du travail (CGT) Pénitentiaire « Nous nous battons au quotidien pour l’amélioration des conditions de travail des personnels, mais aussi pour l’amélioration du service public de l’administration pénitentiaire. En ce sens, nous avons tenu à participer aux États généraux, avec l’espoir qu’une réforme de la condition pénitentiaire puisse naître. […] Les conditions de détention et nos conditions de travail sont étroitement liées. […] S’il est vrai que très peu de personnels se sont saisis de cet outil, ce qui est sûr, c’est que le constat est unanime. À savoir que l’état actuel des prisons est catastrophique et que des changements doivent être apportés. Ce qui est sûr aussi, c’est que l’amertume des personnels est très grande. C’est peut être aussi une des raisons pour lesquelles ils n’ont pas répondu. […] Nous travaillons depuis des années dans des conditions déplorables. Nous sommes témoins de cette condition pénitentiaire, nous en sommes victimes aussi. Il faut vraiment que les choses changent. Il y a urgence. Il y avait urgence en l’an 2000, les choses ne se sont pas faites. Depuis, les conditions se sont dégradées. Pour beaucoup, cela a fait naître un sentiment de défaitisme. Et il n’y a rien de pire que ce sentiment-là. […] Il faut comprendre que les personnels […] doivent être impliqués [dans la réforme]. C’est très important. J’ai entendu parler de “fenêtre ouverte“. Je dirais que c’est une porte qui s’ouvre aujourd’hui. Ce que je tiens à dire, aux politiques et aux citoyens, c’est : “Ne nous refermez pas cette porte“. Les conséquences seraient terribles, pour la population carcérale, pour les personnels, pour le service public de l’administration pénitentiaire. »

Michel Flauder, Syndicat national de l’ensemble du personnel de l’administration pénitentiaire (SNEPAP-FSU) « Il était naturel pour nous, j’allais dire évident, de nous engager dans une action collective qui se déroule sur notre champ professionnel et qui prend les choses de façon globale. Depuis sa création, notre syndicat a toujours répondu présent, dans les années soixante-dix, dans les années quatre-vingt, en 2000. À chaque fois, il s’agit un peu des répliques d’un même séisme. Les constats sont aujourd’hui très largement partagés. Je veux croire ce que dit Robert Badinter, que, aujourd’hui, nous sommes à un moment où cela va être possible de bouger les choses. Nous le croyons d’ailleurs à chaque fois. Nous l’attendons. Des choses bougent, mais jamais assez. Alors, nous continuons à rouler la pierre, en attendant de trouver la bonne pente, avec, en bas de celle-ci, des conséquences à la hauteur de l’enjeu. Il nous faut, aujourd’hui, dépasser les constats et affirmer, ensemble, ici, avec tous les participants, les professionnels du droit et de son application et ceux qui sont censés pouvoir se revendiquer de l’application de ce droit tout en subissant la sanction, ce qu’il faut faire pour que la prison change. […] »

N°58-59 Janvier 2007

N°58-59 Janvier 2007

57

56

LE MANIFESTE


« Nos exigences sont celles de citoyens dans un État de droit »

« Le contexte politique est favorable. Il faut en profiter »

Gabriel Mouesca, Observatoire international des prisons (OIP) « Certains souriront peut-être de voir l’OIP s’exprimer après les représentants des syndicats pénitentiaires. […] Il faut cependant rappeler que, lorsque nous appelons à des changements profonds, il s’agit bien évidemment pour nous de mettre en avant la question des droits des personnes détenues, mais il est tout aussi évident pour nous que le progrès doit être partagé. […] Tous les jours, nous recevons, de personnes détenues, de familles, parfois de gens qui travaillent en prison, des témoignages d’atteinte aux droits et, plus grave encore, d’atteinte à la dignité. Il faut rappeler, et aujourd’hui plus fort que jamais, que nous sommes dans un État de droit, et que, malheureusement, nous constatons encore aujourd’hui que le droit s’arrête aux portes des prisons. L’OIP est une association citoyenne. Nos exigences sont celles de citoyens dans un État de droit qui disent : le droit doit aussi entrer en prison […]. Parce que l’administration pénitentiaire existe en notre nom, parce que la justice est rendue quotidiennement au nom du peuple français. Parce que la prison est ce qu’elle est aussi parce qu’elle est financée par chacun d’entre nous. […] Nous sommes donc tous responsables […]. Ce n’est pas uniquement la question de l’administration pénitentiaire, ce n’est pas uniquement la question des magistrats, c’est l’affaire de tous les citoyens ! C’est ce qui a incité l’OIP et les membres des États généraux à se lancer dans cette grande action citoyenne. Et je vous le dis, il n’y a rien de révolutionnaire dans ce que nous faisons, dans ce que nous exigeons des responsables politiques d’aujourd’hui, et surtout de demain. Nous sommes là simplement pour demander une chose : que la loi soit respectée et appliquée, dans les 190 prisons de France. »

Loïc Dussau, Fédération nationale des unions de jeunes avocats (FNUJA) « […] Dans les procédures de comparution immédiate, une personne peut être arrêtée un jeudi, faire 48 heures de garde à vue, sans ses affaires, sans se laver, sans à peine manger […], et ensuite, parce qu’il n’y aura peutêtre pas de permanence quand elle sortira de sa garde à vue, être placée en rétention, dans des conditions aussi tout à fait déplorables, avant de comparaître. […] C’est dans ces conditions que la plupart des petits délinquants sont jugés aujourd’hui et se retrouvent, comme ça, après dix minutes d’audience, en détention pour quelques mois, quelques années parfois, sans avoir pu prévenir personne, sans aucun de leurs effets personnels. Déjà, il y a un défaut d’humanité. [...] L’avocat souvent considère que son rôle s’arrête à la porte de la prison […]. Mais il ne faut pas oublier que la judiciarisation de l’application des peines ne date que de 2000. Donc c’est une mission nouvelle qui nous a été confiée, de même que la défense au prétoire, et cela n’est pas encore rentré totalement dans notre formation, dans nos mentalités. […] Qu’allons-nous faire des résultats de cette consultation ? […] Cela va nous servir à promouvoir un peu mieux les peines alternatives. […] La présence ici des deux principaux syndicats de magistrats prouve leur solidarité et j’espère qu’ils arriveront à faire passer le message auprès de leurs collègues. C’est comme ça qu’on pourra ensemble essayer de faire bouger les choses. […] Je veux croire Robert Badinter quand il nous dit que le contexte politique est favorable. Il faut en profiter. […] Quel que soit le résultat des consultations électorales, le contexte politique pourra être favorable. Cela se fera dans les premiers mois, après ce sera trop tard, Madame Lebranchu en a eu l’expérience. »

« ne pas se contenter de ce que nous avons fait » Henri Leclerc, Ligue des droits de l’homme (LDH) « […] Cela fait cinquante ans que je suis entré pour la première fois dans une prison, à la Santé, que j’ai eu ce sentiment terrible, que des hommes dont j’avais l’impression que les droits les plus fondamentaux étaient bafoués m’ont parlé. […] Est-ce que les choses ont beaucoup changé ? […] Bien sûr, il y a eu des progrès. Robert Badinter parlait tout à l’heure de “petites avancées“. C’est vrai, mais nous avons l’impression que ces progrès ne touchent jamais l’essentiel. […] La meilleure preuve, c’est que nous sommes aujourd’hui en train d’en parler. […] Il est important aujourd’hui […] d’entendre le premier président de la Cour de Cassation dire ce qu’il nous a dit, dans les termes où il nous l’a dit […]. C’est quelque chose, je crois, un peu nouveau. Que les syndicats de magistrats, les syndicats d’avocats, les syndicats de personnels pénitentiaires soient ici représentés, qu’il y ait eu cette démarche, […] que l’on ait intégré les prisonniers eux-mêmes dans la réflexion – cela aussi c’est la première fois qu’on le fait –, nous sommes en face de quelque chose d’énorme. […] Nous commençons un combat : Il faut que quelque chose change, il faut que nous réussissions. Il va falloir profiter des élections présidentielles pour poser le problème carrément. […] Ce sont des engagements qui seront difficiles. […] Ce que je souhaite, c’est que, s’agissant des prisons, nous ayons des candidats à l’élection présidentielle qui aient le courage de celui de François Mitterrand lorsqu’il avait parlé de la peine de mort. Il faut que nous menions […] une action militante forte. Il ne faut pas se contenter de ce que nous avons fait. Il ne faut pas être satisfaits de notre réunion d’aujourd’hui. Tout cela n’est rien si nous ne faisons pas quelque chose demain. »

Henri Leclerc (LDH) : « Il faut que quelque chose change, il faut que nous réussissions ». © Sébastien Sindeu

« pour une véritable politique publique en matière pénale et carcérale » Nicole Maestracci, Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS) « La FNARS s’est créée en 1956 avec […] pour priorité de mieux s’occuper des sortants de prison. En cinquante ans, nous avons fait des choses, mais nous avons bien conscience que nous n’avons pas tout fait, en particulier sur la question de la continuité à la sortie de prison, sur la prise en charge à la sortie, sur l’articulation avec le service public… […] Beaucoup plus de gens rentrent en prison qu’il n’en rentrait il y a 25 ans, et beaucoup plus d’associations. C’est un progrès important, mais tant qu’on n’arrivera pas à faire en sorte que quelqu’un qui entre en prison soit assuré d’être suivi, pris en charge, aidé jusqu’à sa sortie, et bien, nous n’en sortirons pas. […] Notre fédération compte aussi des associations comme Citoyens et justice, qui regroupe toutes les associations de contrôle judiciaire. Nous avons beaucoup travaillé sur la question des peines alternatives, en particulier la question des placements extérieurs. Sur cette question aussi nous pouvons mieux faire. Mais aujourd’hui ce n’est pas une politique publique totalement affirmée. C’est pour que ces questions deviennent une véritable politique publique en matière pénale et carcérale que nous participons à ces États généraux. […] »

« un combat pour les libertés individuelles » Céline Curt, Syndicat des avocats de France (SAF) « Notre engagement était une évidence, parce que c’est […] un combat pour les libertés individuelles, pour les libertés publiques en général, pour le respect du droit, d’un État de droit. […] C’est un projet de société nouveau que d’enfermer autant de gens. […] C’est peut-être au prix, non pas de 60 000 détenus, mais de 300 000 détenus demain, que nous aurons une société “nettoyée“ et […] travailleuse à bas prix dans certaines conditions. On peut se poser la question. En tout cas, c’est un champ ouvert de réflexion, qui rejoint une autre question : le contrôle du juge et sa porosité au débat et au climat politique. […] Quand on va dans les prétoires, quand on va en prison, quand on va plaider devant les magistrats, on se rend bien compte qu’ils ne ressentent pas tous comme une évidence que celui qu’ils jugent n’est pas “l’autre étranger“. […] Il y a une difficulté à percevoir l’autre comme n’étant pas très éloigné de soi. Les magistrats vivent dans une bulle. C’est aussi une problématique de politique publique : l’aide juridictionnelle, l’accès à la justice, à la connaissance de ses droits, etc. C’est très bien d’avoir accès aux commissions de discipline, mais tout dépend de la façon dont on permet ou pas un exercice effectif des droits de recours, dont on permet ou pas à quelqu’un d’avoir accès à son avocat. […] Le développement du budget de la justice est aujourd’hui plus faible en pourcentage qu’il y a cent ans. C’est d’une indignité extraordinaire. […] »

N°58-59 Janvier 2007

N°58-59 Janvier 2007

59

58

LE MANIFESTE


la CNCDH en première ligne Président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), Joël Thoraval est venu mettre en perspective le travail des États généraux, en rappelant les principes et les missions poursuivies par l’instance à laquelle il appartient en matière de protection des personnes détenues. « […] Je voudrais, en tant que Président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, ouvrir mon propos en insistant d’emblée sur trois points : - saluer à mon tour l’utilité et le caractère novateur de notre rencontre qui associe de manière étroite et transversale tous les acteurs concernés par la situation actuelle et l’évolution de la condition pénitentiaire en France. C’était un défi. Il a été relevé. Il ouvre des voies fécondes. - me réjouir de la place occupée par la CNCDH dans le processus de conception et de réalisation de ces États Généraux. Ce rôle tient à la force de conviction et au capital d’expérience de ses membres, toujours mobilisés lorsque la dignité de la personne humaine est en cause. - préciser que, pour l’avenir, la CNCDH entend poursuivre sa réflexion sur la condition pénitentiaire avec le souci d’ouvrir de nouveaux chantiers et d’élargir la réflexion. En un mot elle souhaite faire preuve de vigilance, consolider les chantiers en cours et tracer de nouveaux sillons. Dans cette ambitieuse perspective, la CNCDH s’oriente dans deux directions fondamentales : d’une part changer notre regard sur la condition carcérale en nous questionnant sur le sens de la peine et en le replaçant dans le cadre de l’ensemble de la société ; d’autre part mettre en œuvre les recommandations déjà exprimées et poursuivre les chantiers déjà identifiés afin de les situer au sein d’une réforme progressive, transversale et pluridisciplinaire, globale et profonde.

que comme une obsession, les problèmes liés à l’exclusion et à la précarité, à la santé et à la psychiatrie, au chômage et à l’emploi, à la famille et aux mineurs, à l’immigration et aux discriminations de toute nature. Ces considérations illustrent bien la nécessité de changer de regard pour aborder la réflexion sur la condition pénitentiaire aujourd’hui. La prise de conscience de cette mutation profonde et dérangeante conduit inéluctablement à une approche renouvelée du sens de la peine. […] Les recommandations du Conseil de l’Europe et l’action du Comité de prévention de la torture vont bien dans le même sens, si bien que la Commission présidée par M. Canivet pouvait en conclure : “Ces recommandations ou déclarations ne remettent pas fondamentalement en cause la réalité de l’enfermement. Elles affirment seulement que la peine n’a plus une fonction expiatoire, mais répond à la réinsertion sociale que la société attend pour sa sécurité en conciliant nécessité de punir et volonté de réinsérer socialement“. Et le rapport ajoute : “Pour résoudre le paradoxe qui consiste à réinsérer une personne en la retirant de la société, il n’y a d’autre solution que rapprocher autant que possible la vie en prison des conditions de vie à l’extérieur, la société carcérale de la société civile“. Les choses sont ainsi magistralement dites dans leur double dimension : le détenu a droit au respect de sa dignité en prison et ce respect est gage d’une authentique et efficace démarche de réinsertion sociale après sa libération. […]

« changer notre regard sur la réalité du monde carcéral »

« donner un sens à la privation de liberté »

Le premier grand préalable est de changer notre regard sur la réalité du monde carcéral dans le monde d’aujourd’hui. Ce regard est encore obscurci par une longue histoire qui remonte du fond des âges sur la représentation que la société se fait du prévenu, du délinquant et du criminel. […] La réalité c’est que la condition pénitentiaire, qui a longtemps été le parent pauvre de l’Etat dans ses attributions régaliennes et qui a été considérée comme une simple branche du droit pénal, est aujourd’hui plantée au centre des problèmes de notre société. Mieux même elle est le reflet, le miroir, la traduction des dysfonctionnements de cette société. […] Ce que nous observons, c’est qu’aujourd’hui, on ne peut pas évoquer le monde carcéral sans avoir présent à l’esprit, pres-

améliorations à apporter à la condition carcérale. […] La première préconisation est de “sortir“ la prison de l’exception juridique et d’appliquer le droit commun durant la période de détention, à l’exception bien sûr de la “liberté d’aller et venir“. Seule la loi peut fixer le cadre juridique organisant l’usage des libertés. Une personne incarcérée est et demeure une “personne humaine“ à part entière dont les droits fondamentaux ne peuvent être méconnus. Elle reste également un “citoyen“ exclu de toute mise à l’écart systématique de la société. La prison ne doit pas être vécue comme une éviction. Elle est aussi un “justiciable“ bénéficiant des droits procéduraux. Elle est enfin un “usager“ pouvant se prévaloir d’un certain nombre de services administratifs. Ces quatre

La CNCDH s’est longuement penchée sur l’analyse des

degrés dans la qualification du rapport à l’Etat conduisent à une nouvelle formulation des missions du service public pénitentiaire. La fonction essentielle de ce dernier est la restauration du lien social, la préparation du détenu à sa libération tandis que les mesures de sécurité doivent être strictement limitées au nécessaire et non dans un esprit d’absolue primauté. […] Au-delà de la préoccupation de “sortir“ la prison de l’exception juridique et dans le même esprit, la CNCDH a formulé une deuxième préconisation : le respect des principes du droit répressif dans les établissements pénitentiaires. […] Par ailleurs, notre Commission a Joël Thoraval : « La première préconisation est de “sortir“ la prison de l’exception insisté sur la nécessité de mieux juridique ». © Sébastien Sindeu proportionner les sanctions aux fautes disciplinaires en évitant des rigueurs excessives. […] On voit ainsi, chemin faisant, Je formule le souhait, certains diront le rêve, que la France se profiler les grandes lignes d’un nouveau paysage péni- qui, il est vrai, a pris le grand retard que l’on sait dans la tentiaire interpellant les responsables de tous horizons et gestion de la condition pénitentiaire et qui est citée souvent apportant un éclairage nouveau en direction d’une opinion comme donnant un contre-exemple, prenne enfin résolupublique encore incrédule et même hostile. L’incarcération ment en main ce vaste problème de société, justifiant ainsi d’une personne fait naître une responsabilité particulière à son attachement historique aux droits de l’homme. Déjà, en son égard à la charge de l’Etat et de la société. Pour que France, des progrès importants ont été accomplis. Ils sont cette obligation puisse être respectée il faut non seulement dus à “ceux qui y croient“, à ceux qui mobilisent leur potendonner un sens à la période de privation de liberté, mais tiel au sein des institutions et de la société civile. Je ne doute également reformuler de multiples dispositions normatives. pas que les États Généraux de la condition pénitentiaire, qui Il s’agit d’orienter les prises de décisions réglementaires et se sont tenus aujourd’hui, ne soient une étape décisive dans individuelles dans un sens respectant les droits fondamen- cette voie. » taux de la personne. […]

Conseil de l’Europe : un rôle déterminant À l’image de Joël Thoraval, Marc Nève, avocat et membre du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, a accepté l’invitation faite par les États généraux de la condition pénitentiaire à venir expliquer le travail de son instance, et plus largement de celui du Conseil de l’Europe, en matière de droits des détenus. Il a ainsi mis « en évidence quelques aspects essentiels de ce contrôle international », de ce « regard étranger sur la condition pénitentiaire », et notamment la jurisprudence de la Cour européenne,

les recommandations et résolutions du Comité des ministres, les rapports du Commissaire aux droits de l’homme et, bien sûr, le travail de son Comité, « l’un de ses organes les plus récents et sans doute le plus original ». Autant d’instances dont « l’influence […] s’est toujours affirmée davantage », qui font que la France « est aujourd’hui sans cesse appelée à s’expliquer, voire à se justifier » et dont le travail « a été déterminant dans les réformes qui voient enfin le jour dans nombre d’États européens », « en ce qui concerne tout à la fois les garanties à mettre en place mais aussi et surtout les lignes de force à donner au contenu du droit pénitentiaire ». Il a aussi cependant

N°58-59 Janvier 2007

rappelé le caractère « limité » de la démarche, dans un contexte où « aujourd’hui plus que jamais, et tant en France qu’ailleurs, le recours à la prison connaît un regain porté par des politiques pénales se caractérisant par un tour résolument punitif ». Ainsi, conclut-il, « évoquant ou suggérant des réformes, cette perspective à caractère international peut apparaître comme étant de nature à répondre à la crise de légalité caractérisant la privation de liberté et l’exécution des peines privatives de liberté, mais elle laisse bien entendu sans réponse la crise de légitimité de la prison ».

N°58-59 Janvier 2007

61

60

LE MANIFESTE


en débats… Au cours de la journée du 14 novembre, plusieurs plages d’échanges entre la salle et les organisations partenaires ont été aménagés, l’occasion d’élargir le débat et d’approfondir certaines questions. Extraits de quelques interventions.

« une chance qui ne se retrouvera pas »

« Les victimes parlent de prévention plutôt que d’incarcération »

Robert Badinter, sénateur et ancien garde des Sceaux. « […] J’ai été stupéfié quand j’étais à la chancellerie de voir la résistance sociale à l’amélioration de la condition des prisonniers. […] Durkheim avait raison. Durkheim disait que dans la pénalité, il y a toujours le mot peine et que ce à quoi aspire ceux qui sont hors de la prison, c’est que la prison soit douloureuse, qu’elle soit une peine […] où celui qui a manqué à la loi doit souffrir. Le vrai problème est là et je ne cesserai jamais de le dire. […] Il y a un ressentiment profond à cet égard qui ne peut se dissiper qu’à la condition d’explications, de faire mesurer que c’est de l’intérêt général, que quand on entre en prison on en sort, et qu’on ne doit pas en sortir pire qu’on y est entré, etc. Et c’est extraordinairement difficile. […] Mais l’occasion, la création de ces États généraux, c’est politiquement une chance qui ne se retrouvera pas, croyezmoi, de sitôt si nous la laissons passer. C’est pour cela que depuis le début, je milite au côté de l’OIP. Je me dis que nous avons là une chance politique exceptionnelle, lié aussi au calendrier. Pour le reste, pas besoin de vous le dire, vous connaissez la réalité politique, vous connaissez la vie française. Quand c’est qu’on obtient quelque chose, à part dans ces moments privilégiés ? Quand on descend dans la rue… Les prisonniers descendent dans la rue ? Quand on est un lobby puissant qui peut bloquer le fonctionnement de la société… Les prisonniers sont un lobby puissant qui peut bloquer le fonctionnement de la société ? Je pourrais continuer. Ici, c’est seulement nous, ceux qui sont hors de prison et peuvent agir pour eux […]. La tâche est difficile, le moment exceptionnel, il faut agir et je pense qu’on peut cette fois-ci y parvenir. Je ne vois pas d’autres moyens. »

Liliane Daligand, professeur de médecine et membre du conseil scientifique de l’INAVEM (Institut national d’aide aux victimes et de médiation). « […] Est-ce que les victimes ont un droit de regard sur la sanction et sur l’exécution de la peine ? Les associations d’aide aux victimes sont assez partagées sur cette question. Personnellement, je pense que les victimes doivent participer au processus judiciaire, dans la mesure où c’est parce qu’elles ont été victimes, parce qu’elles ont témoigné, que l’infraction va être qualifiée, que le procès va avoir lieu. Mais il me semble que la victime n’a pas son mot à dire sur la sanction elle-même. Ce n’est pas elle qui doit dire “Je demande telle peine“, ni, me semble-t-il, son avocat. Ce n’est pas elle qui juge. […] Les victimes que je rencontre ne demandent pas forcément l’incarcération. Je veux insister là-dessus. Les victimes ne répondent pas du tout à toute infraction uniquement par “prison, prison, prison“. La plupart souhaitent avant tout que l’auteur reconnaisse les faits et, surtout, qu’il y ait une sanction, même symbolique, qui arrête son geste de délinquance, ses infractions. Quasiment toutes les victimes se sont interrogées sur le rôle de la prison, sur son efficacité, et elles en sont arrivées aux mêmes conclusions que nous. À savoir que la prison, ce n’est pas l’idéal et qu’il vaut peut-être mieux faire éviter la prison aux délinquants, même à leurs propres délinquants, et entamer un travail de réflexion p ersonnelle, de prévention. Les victimes parlent de prévention plutôt que d’incarcération. On se trompe quand on pense que les victimes réclament à corps et à cris la prison, voire la peine de mort. Elles effectuent un véritable travail sur la sanction, réfléchissent au sens de la peine et à l’inefficacité des prisons. Beaucoup serait très surpris s’ils écoutaient mieux les victimes. […] »

« À quoi servent les prisons ? » Henry Malberg, responsable des questions justice au Parti communiste. « […] Il faut avoir le courage de dire que la sécurité ce n’est pas d’abord une question de répression, […] mais qu’il faut poser la question de fond du rapport avec la crise morale de la société, avec la crise sociale et avec le déficit d’espoir. […] Pour que la porte ne se referme pas, il faut faire ce que vous faites, demandez aux représentants des partis politiques qu’ils s’expriment clairement dans les mois qui vont venir. Il faut aussi pousser quelques questions : Quelles réponses de tous ordres à la délinquance de la jeunesse ? À quoi servent les prisons ? À quoi servent en prison les courtes peines ? Et il faut avoir le courage comme en 1981 de parler des longues peines et de la perpétuité. […] »

« Mon souvenir de garde des Sceaux, c’est la honte. » Marylise Lebranchu, députée du Finistère et ancien garde des Sceaux. « [Le projet de loi pénitentiaire,] c’est dix mois de travail, des séances extraordinaires, une participation incroyable, dans une fenêtre ouverte. […] En Bretagne, il y a des mois noirs. Le mois de novembre 2001 a été plus noir que tous les autres. J’avais réuni des parlementaires des commissions d’enquête et des personnes du ministère de la justice, qui m’ont dit “On n’y arrivera plus. Il n’y aura plus de consensus possible“. […] J’en veux, personnellement, au Président de la République pour son discours du 14 juillet 2001 sur l’insécurité, sur le droit, sur le fait que la justice ne fonctionnait pas, et de ce renversement extraordinaire qui nous a conduits à ce mois de novembre. […] J’ai mal vécu 2002. Le texte était prêt. Je me disais qu’on allait le reprendre au parlement, qu’il allait passer tout de suite, parce que nous allions gagner. Mais nous avons perdu. Si le texte avait été voté, je n’aurai pas regretté 2002. […] J’aurai voulu qu’on soit battu en 2002 parce que nous avions pris le contresens de l’opinion publique et parce que nous avions été impopulaires. […] Je pense que la prison doit être l’ultime recours et que c’est de là qu’il faut partir. […] J’ai peur que si les bâtiments s’améliorent, s’il y a des douches, etc., l’ultime recours ne soit plus à l’ordre du jour. C’est horrible ce que je vais dire, mais certains détenus le disent avec moi : Tant qu’il y aura des prisons sales et insalubres, on pourra peut-être parler de la prison comme d’un ultime recours, mais le jour où, comme aux États-Unis, les prisons seront propres […], nous aurons tout perdu. […] Une revue bretonne m’a interrogé sur mon souvenir de garde des Sceaux. C’est la honte. C’est d’avoir honte des prisons, c’est d’avoir honte de ne pas avoir fait passer le texte. Je peux vous dire que les retours des citoyens lambda, ceux qui apparemment préfèrent la sécurité, la vengeance, le karcher ou autre, ces retours sont excellents. Donc, si nous sommes courageux enfin, il faut que ce texte passe, qu’il y ait un vrai débat parlementaire. […] »

Marylise Lebranchu : « Tant qu’il y aura des prisons sales et insalubres, on pourra parler de la prison comme d’un ultime recours ». © Sébastien Sindeu

« de simple bon sens » Laure Baste-Morand, présidente de l’association Le Verlan et présidente d’honneur de l’Association nationale des visiteurs de prison (ANVP). « J’ai eu la très grande surprise de voir il y a un mois un sortant de prison malade qui avait eu une libération conditionnelle et sorti sans papiers, sans carte vitale. On lui a donné un chèque du montant de l’argent qu’il avait sur son pécule, mais bien entendu il ne pouvait pas ouvrir de comptes en banque. Et comme il voulait habiter Marseille et qu’il faut sept semaines pour avoir une carte d’identité, on pouvait se poser la question de savoir pourquoi dans la constitution d’un dossier de libération conditionnelle, il n’y a pas l’établissement d’une pièce d’identité. C’est ce genre de détails qui sont de simple bon sens que l’administration pénitentiaire devrait avoir mis au point. Il y a une autre question que je voudrais poser : Est-il légal que 500 personnes soient “détenus particulièrement signalés“, qu’ils n’aient aucun droit à la vie sociale, qu’ils puissent être mis pendant des années à l’isolement, qui peuvent quelque fois ne pas participer aux offices, non sur une décision judiciaire mais sur une décision administrative prise par le ministère ? »

« Il est important d’avoir un contrôle externe » Tassadit Imache, membre de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS). « Tout le monde est conscient qu’il est important d’avoir un contrôle externe. Ce qui nous frappe depuis le début, c’est combien il est important pour les détenus que leur parole, leur témoignage, soient pris en compte. Notre travail est aussi l’occasion pour les surveillants de dire ce qu’il en est en effet des réalités, de leur travail, de leurs difficultés et de certains problèmes ou de certaines pratiques qui ne devraient plus être de cet âge. […] Nous avons fait des propositions, certaines ont été prises en compte, mais beaucoup de choses restent à faire. Nous sommes également très conscients de notre responsabilité, et notamment de notre propre déontologie. Lorsque nous nous rendons dans un établissement pénitentiaire, que nous entendons des détenus, qu’ils nous font confiance, que certains surveillants aussi évoquent des difficultés, nous sommes tout à fait conscients des enjeux et des espoirs que nous soulevons. […] Nous sommes tout à fait conscients que les choses évoluent lentement et que, une fois que nous sommes partis, que nous avons rendu un avis, que nous sommes plus ou moins entendu, les détenus eux sont pour la plupart toujours en prison. […] »

N°58-59 Janvier 2007

N°58-59 Janvier 2007

63

62

LE MANIFESTE


la déclaration finale des États généraux

« Les États généraux de la condition pénitentiaire considèrent : - Que l’évolution de la société et le respect des droits de l’homme commandent une profonde réforme du régime des prisons et des droits des personnes privées de liberté - Que cette réforme doit devenir une priorité républicaine mobilisant l’ensemble des pouvoirs publics, impliquant la société civile et débouchant sur un débat national - Que cette réforme doit avoir pour fondement une loi pénitentiaire qui définira les missions de l’administration pénitentiaire, les droits des détenus et les conditions générales de la détention.

Dans le cadre de cette loi pénitentiaire, les États généraux demandent : - Que cette loi consacre la peine privative de liberté comme une sanction de dernier recours, lorsque la gravité de l’infraction rend toute autre sanction ou mesure manifestement inadéquate. - Que cette loi consacre le fait que les personnes dont l’état de santé, psychique ou physique, est incompatible avec la détention doivent être libérées. Le cas échéant, l’État doit veiller à mettre en place des structures propres à l’accueil de ces personnes. En particulier, les auteurs d’infraction souffrant de graves troubles psychiatriques doivent être pris en charge dans des structures de soins adaptées à leur traitement et assurant la sécurité de leur personne et des tiers. - Que cette loi consacre le respect de l’État de droit en prison. Les règles en vigueur au sein de l’institution carcérale se doivent d’être conformes aux principes d’une société démocratique.

- Que cette loi consacre la reconnaissance de l’ensemble des libertés et droits fondamentaux des personnes détenues, à l’exception de la liberté d’aller et venir, et des droits qu’une décision de justice leur aurait retirés. - Qu’en conséquence, cette loi organise et garantisse l’exercice du droit à la santé, à l’hygiène, au maintien des liens familiaux et des prestations sociales, à l’éducation, au travail, à la formation et à l’insertion sociale et professionnelle des personnes États Généraux de la condition pénitentiaire détenues. La prison est partie intégrante du territoire de la République au sein de laquelle les missions des services publics s’exercent selon les normes du droit commun sous réserve des contraintes inhérentes à la détention. Ainsi, une personne détenue est-elle avant tout un patient, un travailleur ou un élève dans ses relations avec son médecin, son employeur ou son enseignant. - Que cette loi établisse que les sanctions disciplinaires ne peuvent découler que d’une décision prise dans les conditions qui respectent le principe du procès équitable et susceptible de recours effectifs ; que l’exécution de ces sanctions assure le respect de la santé et de la dignité de la personne du détenu. - Que cette loi instaure un organe de contrôle extérieur assurant l’effectivité du respect des droits des détenus et auquel ces derniers peuvent s’adresser en cas de violation. Qu’en conséquence, cet organe ait notamment pour compétence le contrôle des conditions générales de la détention, de l’état des prisons, de l’application du statut du détenu, de l’exécution des politiques pénitentiaires. Qu’en conséquence, cet organe soit détenteur d’un pouvoir de contrôle permanent, de visite, d’évaluation, d’injonction, de recommandation, de publication de ses rapports

- Que cette loi consacre le fait que l’anticipation, la préparation et l’accompagnement du détenu à la libération sont des missions fondamentales de l’administration pénitentiaire. Qu’en conséquence, soit établi le principe selon lequel la durée des peines d’emprisonnement doit prendre en compte les perspectives de réinsertion. - Que cette loi consacre le principe d’évaluation par le Parlement des politiques pénitentiaires, nationales et locales, annuelles et pluriannuelles, notamment en ce qui concerne les conditions de détention et la réinsertion des détenus. - Que cette loi reconnaisse l’importance du rôle de l’administration pénitentiaire et consacre le principe que la réforme des prisons requiert une prise en compte particulière de la condition des personnels pénitentiaires.

Les États généraux de la condition pénitentiaire ont décidé : - De soumettre la présente déclaration à l’appréciation de l’ensemble des candidats à l’élection présidentielle de sorte à susciter de leur part un engagement personnel de réformer profondément le régime des prisons en France. - De remettre au pouvoir exécutif, en la personne du Premier ministre, l’ensemble des documents issus des États généraux (cahiers de doléances, manifeste et déclaration solennelle) - D’agir de même à l’égard du pouvoir législatif, en la personne des présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat. - De faire de même au profit des instances nationales et internationales de protection des droits de l’homme. »

Acte III : les engagements p.66 : inscrire la réforme dans la campagne p.68 : ne nous payons pas de mots M. Clément ! p.70 : les candidats qui s’engagent sans réserve p.78 : les candidats qui émettent des réserves... p.80 : dont acte !


l’engagement sur parole « Nous commençons un combat », », a prévenu Henry Leclerc le 14 novembre, lors de la journée de clôture des États généraux. Atteindre l’objectif qu’ils se sont donné nécessitait en effet de ne pas se satisfaire de la consultation et de ses résultats, aussi importants soient-ils, mais de poursuivre la tâche afin de susciter un engagement fort des candidats, mobiliser l’ensemble des pouvoirs publics, impliquer la société civile et déboucher sur un débat national. Dans leur déclaration finale, les États généraux ont décidé de soumettre leur principe à l’appréciation des candidats à la présidentielle « de sorte à susciter de leur part un engagement personnel de réformer profondément le régime des prisons en France », ainsi qu’aux députés et sénateurs, et au pouvoir exécutif. Ce dernier, en la personne de Pascal Clément, a cependant réagi à la démarche des États généraux avant même la publication des résultats de la consultation, en multipliant les annonces, tel que la mise en place d’un contrôle extérieur ou l’application des règles pénitentiaires européennes dans les prisons françaises (lire p.68). La transformation de la condition carcérale demandée au travers du questionnaire appelait cependant une autre réponse et non pas, comme l’expliquait Robert Badinter le 20 octobre, « un bricolage, rapidement, pour dire que l’on a fait quelque chose in extremis ». C’est pour cela que, depuis le départ, les États généraux ont inscrit leur démarche dans la campagne présidentielle, convaincus que c’est dans un tel moment que se jouera le sort d’une réforme, grâce à une sensibilisation de l’opinion publique et un engagement fort des candidats.

les candidats s’engagent Au lendemain du 14 novembre, la déclaration finale a été envoyée aux candidats à la Présidence de la République, en leur demandant de prendre position sur les principes de réforme contenus dans le texte et, le cas échéant, de s’engager à les mettre en œuvre. Il leur était demandé d’y répondre par un court texte, avant le 22 décembre. Si un seul a respecté ce délai, tous les candidats sollicités ont finalement répondu, à l’exception de Philippe de Villiers. Ces réponses ont été rendus publiques le 16 janvier 2007, lors d’une conférence de presse au Sénat. Sept candidats sur neuf ont signé sans réserve la déclaration qui leur était soumise : François Bayrou, Olivier Besancenot, Marie-George Buffet, Arlette Laguiller, Corinne Lepage, Ségolène Royal et Dominique Voynet (p.70). Deux candidats ont préféré se démarquer de la démarche qui leur était proposée. Il s’agit de Jean-Marie Le Pen, « dont les réponses attestent d’un rejet catégorique des principes de réforme proposés par les États généraux », et de Nicolas Sarkozy (p.78). « Refusant de souscrire à l’en-

semble des engagements qui lui étaient soumis, [le candidat de l’UMP] rejette tout renversement de perspectives ». Une réponse « regrettable » donc, pour tous ceux qui espéraient « que le fait de regarder en face la situation de nos prisons ne pouvait que conduire à une réponse d’ensemble, à hauteur du mal ». Malgré cela, l’engagement commun de la plupart des candidats, appartenant à des partis politiques différents, à droite comme à gauche, « est un événement dont il faut mesurer la portée », parce qu’ « il marque la constitution d’un large consensus démocratique et républicain sur le diagnostic posé sur notre système carcéral et sur les fondements de la réforme à accomplir » et dénote de « l’adoption, par des candidats venus d’horizons très différents, d’une volonté claire de rupture avec le fonctionnement actuel de nos prisons, dont les conséquences désastreuses à la fois pour les prisonniers et pour le personnel pénitentiaire ne sont pas contestées ».

faire œuvre de pédagogie Pour autant, les États généraux ont tenu à souligner, lors de la conférence de presse rendant compte des réponses, que cet « engagement inédit de la majorité des candidats ne marque pas la fin de notre travail ». Ainsi, « point par point, les États généraux veulent, au fil des campagnes électorales présidentielle et législative, illustrer le sens de ce qu’ils proposent par contraste avec la situation actuelle et montrer que ces transformations seront bénéfiques tant pour les personnes détenues que pour tout ceux qui travaillent en prison et pour la société dans son ensemble. » Des débats sont également, dans la même optique, organisés en régions depuis le 14 novembre. Le premier a eu lieu à la maison des avocats à Pontoise, en région parisienne, le 20 novembre. Commençant par une présentation de la démarche des États généraux et du contenu de la réforme, il s’est prolongé par trois heures de discussion avec les personnes présentes dans la salle. D’autres ont suivis, et suivront encore, à Bobigny, Grenoble, Lille, Lyon, Marseille, Nancy, Saint-Étienne, Toulouse, Versailles, etc. Avec, à chaque fois, l’opportunité pour les organisations participantes de restituer la parole recueillie lors de la consultation, de faire entendre leurs propositions

« L’engagement de la plupart des candidats marque la constitution d’un large consensus démocratique et républicain ». © Bertrand Desprez / Vu de réforme et la nécessité pour tous de la mettre en œuvre, et faire ainsi un « travail permanent de pédagogie ». À cela s’ajoutent des interventions des États généraux lors de rencontres plus spécifiques, comme aux 3èmes rencontres parlementaires, au colloque organisé le 12 janvier par le groupe Mialet sur la justice ou encore à l’École nationale de la magistrature. Dans ce lieu en effet, une projection-débat autour de « La honte de la république », un documentaire diffusé par Canal + en soirée de la journée de clôture, a été organisé le 11 décembre. 74 minutes au cours desquelles, du moins peut-on l’espérer, la centaine d’auditeurs de justice présents, soit un tiers de la prochaine promotion de magistrats, aura été amené à réfléchir au sens des peines d’emprisonnement qu’ils seront amenés à prononcer dans l’avenir.

débattre encore et toujours Ces rencontres sont en effet aussi l’occasion de prolonger la discussion avec les acteurs du monde pénitentiaire, visiteurs, avocats, magistrats, mais aussi, et peut-être surtout, avec les personnels de l’administration pénitentiaire, qui ont répondu faiblement à la consultation. Cela a été le cas dans plusieurs villes, et notamment à Nancy où étaient présents, non seulement les partenaires des États généraux, mais également la nouvelle directrice et un lieutenant de la maison d’arrêt, ainsi que le responsable du service pénitentiaire d’insertion et de probation. Chacun tenant à faire entendre leur voix et prolongeant ainsi localement la prise de parole inédite de la consultation. Autres invités : les hommes et femmes politiques, et notamment les candidats à la présidentielle ou aux élections législatives, ou des membres de leur équipe de campagne. Comme à Lyon par exemple, où étaient présents le respon-

sable de la commission Justice des Verts Henri Balmain, la sénatrice socialiste et vice-présidente du conseil régional de Rhône-Alpes Christiane Demontès, ou encore le député UMP Georges Fenech, qui a tenu à expliquer qu’à son avis la moitié des personnes incarcérées n’avaient rien à faire en prison ! Ainsi, ces débats sont l’occasion d’interpeller encore et toujours. Car, malgré les engagements obtenus, les États généraux ont bien l’intention de se montrer « attentifs sur la manière dont les différents candidats, au travers de leurs programmes respectifs, entendent les mettre en œuvre. Cette vigilance des États généraux étant appelée à se poursuivre au lendemain des différentes élections ». Pour autant, les États généraux sont convaincus que les responsables politiques seront, une fois n’est pas coutume sur ce sujet, au rendez-vous de l’histoire. Parce que, comme l’a souligné Robert Badinter le 14 novembre, « l’histoire enseigne que dans le bilan d’un Président figure toujours au premier rang les actes d’humanité qu’il ou elle aura eu à cœur d’accomplir ». Parce que surtout les principes contenus dans la déclaration répondent à l’intérêt des uns et des autres. Parce que n’ont rien à y perdre, et même ont tout à y gagner, les personnes détenues comme les personnels de l’administration pénitentiaire ou les personnes qui interviennent en détention, et, plus globalement, la société. Cette société dont on sait qu’elle demande avant tout, à ce que les personnes qui ont commis des infractions soient mises en situation, pour reprendre l’expression des Règles pénitentiaires européennes, de mener « une vie responsable et exempte de crime ». Jean Bérard et Stéphanie Coye

N°58-59 Janvier 2007

N°58-59 Janvier 2007

67

66

LES ENGAGEMENTS


Ne nous payons pas de mots !

cement dans les prochaines années des maisons d’arrêt de Rennes, Nantes, Alençon et du Mans, par des « établissements modernes qui comprendront davantage de salles de classe, de terrains de sport ou d’ateliers, propres à favoriser la réinsertion des détenus ». Enfin, le 14 novembre, au soir de la journée de clôture des États généraux et au moment même où Canal + diffuse le documentaire « La honte de la République », le ministère de la Justice décide d’occuper lui aussi les antennes télévisées. À sa façon. Dans les espaces publicitaires. En tentant de donner une seconde vie à un spot vantant le métier de surveillant pénitentiaire et à son slogan « La prison change, changez la avec nous ! ».

Ce n’est pas le moindre des paradoxes de l’actuel garde des Sceaux, dont chacun se rappelle qu’il fut l’apôtre impuissant d’une « pause législative » en matière pénale lors de son arrivée place Vendôme, que d’aborder les derniers mois de son ministère en chantre de la réforme pénitentiaire. Quelle mouche a donc piqué Pascal Clément ? En l’espace de deux mois, le ministre de la Justice, habituel pourfendeur des « belles âmes qui ne manquent pas sur ce terrain », a annoncé rien moins que la création d’un contrôle extérieur, le respect des règles pénitentiaires européennes ou l’extension des unités de visites familiales… sans oublier, des assurances quant à la gratuité de la télévision ou l’abaissement des prix de cantine. Autant de mesures qui vont concourir à n’en point douter à une sensible amélioration des conditions de détention et dont il faut souligner qu’elles avaient été renvoyées jusqu’alors aux calendes grecques. Par ce garde des Sceaux comme par ses prédécesseurs. D’une majorité à l’autre. D’aucuns, pourtant, s’interrogeant sur les motivations profondes de cette ardeur réformatrice, auront été frappés comme tout observateur attentif du processus de décision en politique… par la temporalité singulière de la communication ministérielle autour de ces diverses annonces.

avant le 20 octobre Les annonces ministérielles se multiplient alors que l’on se rapproche de la date du 20 octobre 2006, autrement dit de la fin de l’acte I des États généraux… Le 29 septembre, Pascal Clément promet l’extension des unités de visites familiales aux établissements pour longues peines issus du nouveau programme immobilier et la généralisation de « parloirs familiaux » dans les maisons centrales existantes d’ici à 2008-2009. Le 13 octobre, le directeur de l’administration pénitentiaire, Claude d’Harcourt, annonce qu’une mission de réflexion est lancée sur l’application des règles pénitentiaires européennes dans les prisons françaises. Les jours suivants, le site du ministère de la justice s’enrichit d’un descriptif inédit de « La prison du XXIème siècle en France ». Le 19 octobre, soit la veille de la conférence de presse organisée par les États généraux pour rendre publics les résultats de leur consultation, Pascal Clément fait savoir qu’un « contrôle extérieur » des prisons va être confié au Médiateur de la République. Sans omettre de préciser qu’il « s’agira d’une structure étatique ayant une valeur officielle et incontestable »… contrairement à l’OIP qui, lui, « n’a que la valeur qu’on veut bien lui donner ». Il convoque par ailleurs

pour ne pas perdre la face

la presse à l’heure même de la publication des résultats des Etats généraux, pour discuter « de la situation des prisons en France » qui, sans doute, ne pouvait être abordée ni une heure, ni un jour, ni une semaine plus tôt ou plus tard. Enfin, le matin du 20 octobre, à quelques heures de la prise de parole des États généraux, le garde des Sceaux est invité à débattre avec Robert Badinter à France Inter. Il déclare que le surcoût des produits vendus en « cantine » aux personnes détenues n’aura plus court en 2008 et que la télévision va devenir gratuite.

au lendemain du 20 octobre Au vu de l’impact médiatique des résultats de la consultation, la stratégie de communication de la Chancellerie se modifie au soir du 20 octobre. Après la période des effets d’annonce, vient le temps fort de l’invective. Réunis à 19 heures sur l’antenne de France Inter, le directeur de l’administration pénitentiaire et le président de l’OIP se heurtent violemment lorsque Claude D’Harcourt évoque les raisons pour lesquelles Gabriel Mouesca fut emprisonné. Le 2 novembre, auditionné par la Commission des lois de l’Assemblée nationale, Pascal Clément réagit également aux démarches initiées par les États généraux. Il déclare s’en être tenu, « concernant l’enquête de l’Observatoire international sur les prisons, à une stricte neutralité », précisant au passage que « cette association, fondée par un ancien détenu pour crime, est de quelque parti pris, ce qui explique qu’aucun surveillant n’ait accepté d’y répondre ». Pour autant, il n’hésite pas à s’approprier la démarche, en affirmant à propos du questionnaire que c’est lui qui a « d’ailleurs dû, pour le faire distribuer dans les établissements, recourir au Médiateur de la République » !

jusqu’au 14 novembre

Alors que le 1er novembre débute sur l’antenne de Canal + la diffusion quotidienne de courts-métrages mettant en scène les dysfonctionnements récurrents de l’administration pénitentiaire, le ministère de la Justice prend acte de l’échec de ses tentatives de dénigrement et de récupération. Il décide d’occuper le terrain en faisant valoir son bilan. Sans surprise,

Face au succés des États généraux, le ministère de la Justice multiplie les annonces et vante les vertus de ses nouvelles prisons sur son site (http://www.justice.gouv.fr). ses programmes immobiliers reviennent au cœur de sa communication. Le 3 novembre, Pascal Clément visite « en grande pompes » le chantier de rénovation de la Maison de Fleury-Mérogis (Essonne). Pendant plus d’une semaine, entre les 8 et 16 novembre, Claude d’Harcourt et plusieurs directions régionales communiquent sur des éléments du programme immobilier pénitentiaire, pour la plupart déjà rendus publics : ouvertures d’établissements pour mineurs dans le Rhône et en Île-de-France en 2007 et 2008, commencement des travaux de construction de la prison de Corbas (Rhône) avant la fin du mois de novembre, début de la rénovation de la prison marseillaise des Baumettes (Bouchesdu-Rhône) « dans les jours qui viennent », déblocage d’1,3 milliard d’euros pour le programme immobilier en MidiPyrénées et Languedoc-Roussillon, fermeture d’un nouveau bloc de la prison de la Santé (Paris), fermeture et rempla-

Ne nous payons pas de mots. Que signifie l’instauration d’un contrôle extérieur des prisons si les droits des personnes détenues dont l’application serait désormais évaluée ne sont pas connus ni même reconnus ? Que signifie de déclarer faire siennes les Règles pénitentiaires européennes si on annonce dans la foulée que certaines ne pourront être mises en œuvre et que d’autres ne sont pas souhaitables ? Que signifie d’affirmer que « l’humanité » impose d’ « assurer la continuité des liens familiaux en détention » lorsqu’aucune unité de visites familiales dont on annonce la généralisation ne sera mise en place au sein des maisons d’arrêts, là où sont incarcérés trois détenus sur quatre ? Que signifient des promesses concernant la gratuité de la télévision ou l’abaissement des prix de cantine si elles ne sont pas suivies d’effet ? Pascal Clément s’est suffisamment exprimé sur le dossier pénitentiaire pour débarrasser qui que ce soit de la moindre illusion quant à la philosophie réformatrice qui l’anime. Il a expliqué une fois, dix fois, cent fois que la meilleure façon d’en finir avec les problèmes récurrents que posent les prisons consistait à en construire davantage. Mille fois, il a complaisamment alimenté la plus dangereuse des confusions en mettant en avant le sort des victimes quand il était interpellé sur celui réservé aux prévenus comme aux condamnés dans les geôles de la République. Il est le dernier convaincu de la très honorable place qu’occupent les prisons françaises en comparaison de celles de nos voisins européens. Alors que se manifeste un engagement politique quasi unanime autour de la nécessité de réformer l’institution carcérale au point d’en réviser tous les fondements, les démarches de l’actuel garde des Sceaux apparaissent pour ce qu’elles sont. Elles témoignent des dernières lignes de résistance, de moins en moins en mesure de s’opposer à une évolution inéluctable des consciences encouragée par toutes les instances de protection des droits de l’homme. Celle qui, quels qu’aient été les actes commis, n’accepte plus de justifier qu’un individu soit privé en conséquence de sa qualité d’être humain d’une part, de citoyen à part entière d’autre part. Celle qui, dans le rapport de l’auteur de l’infraction à la victime, n’attend plus rien d’une sanction qui administre une souffrance supposée compensatrice. Celle qui, dans la relation du détenu à son gardien, admet que leurs sorts étant indéfectiblement liés, l’amélioration de la vie quotidienne de l’un influe directement sur les conditions de travail de l’autre.

Patrick Marest

N°58-59 Janvier 2007

N°58-59 Janvier 2007

69

68

LES ENGAGEMENTS


Ils s’engagent... sans réserve La très grande majorité des candidats sollicités par les États généraux s’accorde sur le diagnostic posé sur notre système carcéral et, fait nouveau, sur les principes fondamentaux de la profonde réforme à accomplir. D’Olivier Besancenot à François Bayrou, en passant par Arlette Laguiller, Marie-George Buffet, Dominique Voynet, Ségolène Royal et Corinne Lepage, chacun affirme clairement son attachement à la réforme de la condition pénitentiaire soumise à leur appréciation. Leur engagement est sans réserve, témoignant de la constitution d’un consensus démocratique et républicain inédit.

Ségolène Royal, Parti socialiste (PS) « Il faut rompre avec la politique du «toujours plus d’enfermement» qui veut nous faire croire que «plus de prison… c’est plus de sécurité», alors que cette politique a manifestement échoué dans la lutte contre la montée des violences. Les nombreux rapports sur les prisons et le fonctionnement du système pénitentiaire insistent sur les conséquences désastreuses de la situation dans les prisons pour les détenus comme pour les personnels qui y travaillent. Ils sont parfois entendus, mais ils sont rarement suivis d’effet. Les conséquences des actes délictueux et surtout criminels sont, pour les personnes qui en sont victimes, douloureux et parfois irréparables. L’État doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour aider et accompagner les personnes auxquelles un tort a été fait. Mais il ne doit pas céder à une logique de vengeance : les souffrances et la perte de leur dignité infligées aux condamnés ne peuvent en aucun cas compenser la douleur des victimes. Nous avons trop longtemps laissé dériver nos prisons d’une manière inhumaine et irresponsable. Il faut, pour renverser cette tendance, une réforme fondamentale. C’est pour cela que je veux, rapidement, faire adopter une loi pénitentiaire qui rappellera que la privation de liberté est une sanction grave, lourde de conséquences pour celui qui la subit et pour sa famille, qui doit donc être prononcée avec mesure.

Au travers des dix engagements qu’ils soumettent aux candidats à l’élection présidentielle, les États généraux de la condition pénitentiaire posent, à mes yeux, les bases d’une telle réforme. D’abord, il y a en prison des personnes qui n’ont rien à y faire et qui doivent être sanctionnées autrement ou orientées vers d’autres institutions. Les études montrent que les auteurs de petits délits récidivent moins s’ils sont soumis à une peine alternative comme le travail d’intérêt général. La politique pénale doit, autant que possible, développer ces modes de sanction. Les condamnés âgés, malades, lourdement handicapés ou en fin de vie et ceux qui souffrent de graves troubles psychiatriques doivent relever de structures de soins adaptées. Il faut également, en retenant les leçons d’Outreau, restreindre le recours à la détention provisoire qui fait de la France le champion européen en la matière, en limitant cette mesure aux personnes soupçonnées des infractions les plus graves, et en encadrant strictement les durées d’enfermement des personnes en attente de jugement. Ensuite la prison ne saurait demeurer le lieu de l’arbitraire. La loi pénitentiaire reconnaîtra aux personnes détenues, à l’exception de la liberté d’aller et de venir et des droits qu’une décision de justice leur aurait retirés, l’intégralité des droits de l’homme et du citoyen. Seule une prison respectueuse des droits de l’homme permettra d’aider les délinquants à retrouver le chemin du respect des lois et des règles de la vie en société.

La loi pénitentiaire doit également créer un organe de contrôle, spécifique et indépendant, afin de garantir son application effective. Le système pénitentiaire fonctionne aujourd’hui dans une contradiction permanente : à l’écart des règles et exigences de la société libre, il est supposé permettre aux personnes détenues de retrouver le chemin d’une vie responsable et respectueuse du droit. Les réformes de nos prisons, proposées par les États généraux de la condition pénitentiaire, visent à sortir de cette contradiction, pour que nos sanctions pénales aient un sens pour ceux qui sont condamnés, pour ceux qui ont en charge de les exécuter et pour la société toute entière. C’est pourquoi je m’engage, si je suis élue, à les mettre en œuvre. »

François Bayrou, Union pour la démocratie française (UDF)

La loi doit définir précisément les conditions dans lesquelles des sanctions disciplinaires sont prises et soumettre ces décisions au contrôle de la justice. La loi doit faire en sorte que les services publics s’exercent en prison, comme à l’extérieur, et que les droits à la santé, à la formation, au travail, au maintien des liens familiaux, soient reconnus. Elle doit faire de la prison un temps utile pour le détenu et la société, en préparant les détenus à leur sortie avec la mise en place d’actions de formation et d’aide à la recherche d’emploi. Il est démontré que rendre à la société des personnes sans logement, sans projet professionnel, ayant perdu tout lien familial ne peut que favoriser la récidive. A l’inverse, l’aménagement systématique de la peine, qui permet, de manière encadrée et contrôlée, de distinguer, dans le temps de la sanction, un temps d’incarcération et un temps d’accompagnement dans le monde libre est la clef de la réinsertion des personnes détenues. Il faut faire en sorte que les durées de détention ne rendent pas impossible toute perspective de réinsertion. Cette politique suppose que la mission des surveillants, qui sont, ne l’oublions pas, des fonctionnaires de justice, soit mieux considérée, afin que ces personnels soient pleinement associés à ce processus de réinsertion.

« La situation des prisons françaises est une honte pour notre République. Elle est une image humiliante de la “patrie des droits de l’homme“. Elle doit nous scandaliser. Depuis des dizaines d’années, les observateurs de France et d’Europe alertent l’opinion publique, sans succès. Le dernier rapport de Gil-Roblès mettait la France face à ses responsabilités. Les États généraux de la condition pénitentiaire étaient donc une nécessité démocratique. Il faut maintenant poursuivre le travail que vous avez initié : opérer une profonde réforme du système pénitentiaire français, en lui fixant des missions précises, en lui donnant les moyens de ses missions, pour qu’il soit digne d’un État de droit, conforme aux normes européennes. Voici les axes d’une loi fondatrice d’une nouvelle politique pénitentiaire : 1. L’incarcération doit être le dernier recours. Parce qu’elles sont surpeuplées et déshumanisées, les prisons sont aujourd’hui une école du crime. Toutes les alternatives à la prison doivent être développées, en particulier pour les plus jeunes et pour les petits délits : recours au contrôle judiciaire, mise en place systématique de travaux d’intérêt général et de mesures de réparation, internats pour les mineurs.

N°58-59 Janvier 2007

N°58-59 Janvier 2007

71

70

LES ENGAGEMENTS


2. L’État de droit est la règle commune. La loi pénitentiaire devra garantir son respect en prison : confidentialité, sanctions disciplinaires décidées dans des conditions qui respectent le principe du procès équitable et soumises à un contrôle rapide du juge, rencontres régulières entre détenus et personnels pénitentiaires, droit de vote effectif. Comme le dit le rapport Canivet, “le détenu doit être, par principe, considéré comme un citoyen à part entière“. 3. La privation de liberté doit donc être la seule sanction infligée aux détenus. Les droits fondamentaux doivent être garantis en prison : - Droit à la dignité de la personne : dans des prisons peuplées en moyenne à 117 %, et jusqu’à 150 %, parler de dignité des détenus est une illusion. Sauf demande spécifique de leur part, la règle doit être : une cellule, un détenu. - Droit à la santé : en particulier par le traitement des troubles psychologiques et des conduites addictives. Les personnes dont l’état de santé, physique et psychique, rend le maintien en détention indigne, doivent être libérées pour faire l’objet d’un placement au sein de structures d’accueil et se soins. - Droit à la formation et à l’activité : toute personne privée de liberté doit exercer une activité, qu’il s’agisse de formation générale ou professionnelle, de travail au profit de l’établissement pénitentiaire ou à l’extérieur de l’établissement. C’est ce qui se passe en Allemagne, au Danemark, en Italie, ou en Espagne. Tout travail doit donner lieu à rémunération. Ce droit à l’activité doit être régi par les règles communes. - Droit au respect de la vie familiale : généralisation des unités de vie familiale, qui permettent un retour progressif à la vie sociale et familiale, et qui jouent un rôle majeur dans la réinsertion du détenu ; rapprochement du lieu de détention et du lieu de résidence de la famille. 4. La prison doit préparer la réinsertion du condamné à sa sortie de prison. C’est une de ses missions fondamentales, et elle doit l’organiser pendant la détention. Par le respect des droits fondamentaux du détenu, d’une part : former le détenu, lui donner une activité, favoriser le maintien des liens familiaux, sont autant de moyens de réinsertion et de lutte contre la récidive. Par l’aménagement des peines, d’autre part : toute peine devrait être exécutée en partie en milieu fermé, en partie en milieu ouvert. La libération conditionnelle doit être la règle, à condition que l’on renforce le rôle des travailleurs sociaux dans l’accompagnement socio-éducatif de la sortie de prison. Aujourd’hui, avec 5,8 % des condamnés, la France est le dernier pays, parmi les 45 membres du Conseil de l’Europe, pour le nombre de libertés conditionnelles accordées.

6. Cette réforme des prisons doit transformer profondément la condition des détenus autant que les conditions de travail des personnels de l’administration pénitentiaire. D’une part parce que la lutte contre la surpopulation, la volonté de préparer la réinsertion par la formation et le maintien des liens familiaux, la médiation des conflits par le droit et le placement des malades mentaux dans des structures de soins réduiront la tension et les violences dont sont victimes les surveillants. D’autre part, parce que, dans le cadre de cette réforme, le travail, difficile, accompli par les personnels de surveillance sera plus transparent, mieux connu et reconnu, et qu’ils se verront proposer, par la formation continue, des possibilités de diversifier leurs compétences et d’accéder à des postes et des carrières plus différenciées. 7. L’augmentation du budget de la justice et de l’administration pénitentiaire est une nécessité. C’est un gros effort d’investissement que nous devons conduire en 10 ans. Enfin, parce que l’état des prisons est un signe de l’état de notre société, les engagements pris pour réformer le système pénitentiaire doivent l’être de façon transpartisane, pour interpeller avec force l’opinion publique. C’est la démarche des États généraux, à laquelle je m’inscris sans réserve.

Olivier Besancenot, Ligue communiste révolutionnaire (LCR)

5. La loi doit instaurer un organe indépendant de contrôle des prisons et du respect des droits des détenus, auquel ces derniers puissent s’adresser, et qui ait un pouvoir effectif de contrôle permanent, de visite, d’évaluation, de recommandation, d’injonction, de publication des rapports. Par ailleurs, la nouvelle loi pénitentiaire devra être l’objet de l’évaluation annuelle du Parlement.

« Nous étions présents lors de la journée des États Généraux de la condition pénitentiaire le 14 novembre où vous avez présenté la déclaration finale et vos propositions. Tout d’abord, il me semble important de saluer le travail que vous avez entrepris. En effet, le débat sur la condition pénitentiaire n’est pas facile à imposer dans le paysage politique alors même que, depuis plusieurs années, de nombreux rapports ont mis en évidence l’urgence de s’attaquer à cette question. La difficulté à laquelle on se heurte à chaque fois qu’est abordée la question de conditions de détention est la même : dans un premier temps, forte émotion devant les conditions inhumaines de déten-

tions décrites et dénoncées dans ces différents rapports et dans un deuxième temps manque de volonté politique des différents partis amenés à gouverner pour s’attaquer à une véritable réforme de la condition pénitentiaire. Ce manque de volonté politique s’explique en partie par une pensée de plus en plus sécuritaire, et par la peur de se confronter à une opinion publique façonnée par les théories sécuritaires et aussi par l’idée ancienne que le détenu doit payer sa faute non seulement par la privation de liberté mais aussi par une privation des droits élémentaires. Il suffit de voir et d’analyser le contenu des différentes lois votées ces dernières années – loi Vaillant sur la sécurité intérieure puis l’ensemble des lois Perben et Sarkozy – pour comprendre que tout en affirmant la nécessité d’une réforme de l’administration pénitentiaire, les différents gouvernements adoptent des lois qui visent à durcir les peines et à criminaliser une partie de la population, notamment la plus précaire. En effet, tout l’arsenal législatif va de fait contre la limitation de la détention provisoire et la recherche de peines alternatives à l’incarcération en favorisant la logique du tout carcéral. Le sens de la peine et la réinsertion des détenus ont été absents des préoccupations du législateur.

de la culture pénitentiaire actuelle. Cette réforme devra s’accompagner de mesures fortes pour limiter l’incarcération en développant les peines alternatives et les libérations conditionnelles. Il me semble qu’une sensibilisation de la population comme vous avez commencé à le faire avec la tenue des États Généraux est un des moyens de convaincre l’opinion publique de la nécessité de cette réforme. Je m’engage à soutenir pleinement votre démarche et si j’étais en situation de responsabilité, je porterais l’ensemble de vos propositions. La France ne peut pas continuer à bafouer les droits humains des détenus. »

Marie-George Buffet, Parti communiste (PC)

Votre proposition d’une loi pénitentiaire et le contenu de celle-ci constituent une rupture salutaire avec un système carcéral basé sur l’humiliation. Je partage votre volonté de redonner dignité et accès aux droits élémentaires aux détenus comme le font vos propositions. Il est difficile d’affirmer que la France est le pays des Droits de l’Homme quand une partie de sa population est privée de ses droits. Cela s’applique aux détenus comme aux sans papiers et à la partie de la population exclue par la pauvreté de l’accès aux droits fondamentaux. Pour les détenus, retrouver le droit à la santé, à la formation, au travail rémunéré par un vrai salaire ainsi que l’application du code du travail, le droit au respect de l’intimité et aux relations familiales nous semble essentiel. La question de l’incarcération de plus en plus fréquente de malades atteints de graves troubles psychiatriques et de fortes souffrances psychiques doit être réglée autrement que par l’enfermement en prison. Je souscris à l’ensemble de vos propositions avec un questionnement sur l’utilité du maintien des quartiers disciplinaires. En effet, même en partant du principe que les instances disciplinaires soient largement réformées, la réponse aux transgressions des règles de vie des établissements pénitentiaires par les détenus, ne doit pas être le transfert dans des quartiers disciplinaires dont nous pensons qu’ils doivent disparaître. Par ailleurs, le plan en cours de constructions d’établissements pénitentiaires pour mineurs m’inquiète fortement car je ne pense pas que l’enfermement systématique des mineurs soit adapté à leur éducation et à leur réinsertion. La réforme ambitieuse que vous proposez implique des moyens importants et surtout un changement en profondeur

« Je me suis tenue informée avec la plus grande attention de l’initiative des “États généraux de la condition pénitentiaire“. Votre choix de donner la parole aux détenus eux-mêmes comme aux personnels de l’administration pénitentiaire, aux familles comme aux magistrats et avocats, aux intervenants associatifs, médecins, enseignants, aumôniers, répond à une forte exigence et constitue une initiative citoyenne particulièrement utile. J’approuve et soutiens les dix propositions que vous soumettez aux candidats à l’élection présidentielle. Elles correspondent, et je m’en réjouis, aux positions et aux luttes menées de longue durée par les organisations progressistes, et le Parti communiste, aux côtés de beaucoup des organisations signataires du Manifeste des “États généraux“. Le débat politique et moral sur les prisons n’a jamais cessé dans notre pays et n’a pas, aujourd’hui encore, reçu de réponse. L’état des prisons françaises a été, voici déjà six ans, qualifié “d’humiliation pour la République“ par deux commissions parlementaires unanimes, auxquelles avaient participé les députés et sénateurs communistes. À beaucoup d’égards, la situation est aujourd’hui plus grave qu’à l’époque.

N°58-59 Janvier 2007

N°58-59 Janvier 2007

73

72

LES ENGAGEMENTS


Vous me demandez si je suis prête à défendre comme candidate à la présidentielle vos dix propositions. Je m’y engage. Oui, “la peine privative de liberté doit être une sanction de dernier recours…“ Oui, “les personnes dont l’état de santé, psychique ou physique, est incompatible avec la détention doivent être libérées…“ Oui, “en prison il faut consacrer le respect de l’État de droit…“ Oui, “il faut reconnaître l’ensemble des libertés et droits fondamentaux aux personnes détenues à l’exception de la liberté d’aller et venir…“ Oui, “il faut garantir l’exercice du droit à la santé, à l’hygiène, au maintien des liens familiaux et des droits sociaux. La préparation à l’insertion sociale et professionnelle doit être garantie…“ Oui, “les sanctions disciplinaires doivent être prises dans des conditions qui respectent les principes du procès équitable, de la santé et de la dignité…“ Oui, “il faut instaurer un contrôle extérieur des prisons…“ Oui, “l’anticipation, la préparation et l’accompagnement du détenu à sa libération sont des missions fondamentales de l’administration pénitentiaire…“ Oui, “le parlement doit évaluer régulièrement les politiques pénitentiaires…“ Oui, “la réforme des prisons requiert une prise en compte particulière des personnels pénitentiaires…“ Ces principes devront être inscrits dans une nouvelle loi pénitentiaire qui devra être adoptée très rapidement par le Parlement qui sera issu des prochaines élections. Ils devront aussi permettre que toute condamnation soit aussi l’occasion, pour la personne concernée, d’un nouveau départ dans la vie.

qu’aucune personne ne pouvait être privée de la vie, car aucune indignité ne pouvait être considérée comme définitive. Tout être humain est susceptible d’évoluer. Aussi, ne serait-il pas temps de s’interroger sur le sens de la perpétuité et des peines de sûreté supérieures à 15 ans ? Quant à la libération conditionnelle, il est prouvé qu’elle est un facteur de réinsertion et non de récidive. Pour toutes ces raisons, je vous confirme que, si le peuple français me confie des responsabilités, je ferai mienne les propositions du Manifeste des “États généraux de la condition pénitentiaire“. »

Dominique Voynet, Les Verts

S’agissant de cette loi, je rappelle qu’à l’époque du gouvernement de la gauche plurielle, un projet existait qui allait dans la bonne direction. Malheureusement, sous la pression d’une violente campagne de la droite, le gouvernement de l’époque a manqué de courage politique et y a renoncé. Si la gauche gagne cette fois, il ne faudrait pas qu’il en soit de même. Je veux ajouter quelques réflexions. Si nous voulons que la prison soit l’ultime recours, il faut se donner les moyens de multiplier les réponses alternatives à l’enfermement. Il est infiniment plus juste, plus porteur d’avenir, et moins coûteux pour la société, et pour le budget de l’État, de mettre en œuvre, voire d’inventer, de telles réponses, notamment en ce qui concerne les jeunes. La prévention, sous toutes les formes et dans tous les domaines (social, éducatif…), doit être développée pour faire reculer la délinquance. Pour finir, quelques mots sur les condamnations à perpétuité, les très longues peines, les peines de sûreté et les libérations conditionnelles. Lors de la suppression de la peine de mort en 1981, un débat public avait permis de faire triompher l’idée profondément progressiste et humaniste,

« Il faut dire la vérité aux Français : le système carcéral engendre des violences dans les établissements, nie les droits humains des détenus, ne prépare pas leur sortie. Il engendre souffrances et désordres dans la société et ne résout rien quant à notre capacité à vivre ensemble. La campagne pour les élections présidentielles ne peut éluder cette question essentielle. Je me prononce pour la mise en place d’une loi pénitentiaire. Les propositions des États Généraux sont une bonne base de contenu. J’observe, toutefois, qu’il ne sera pas possible de faire l’économie d’un examen approfondi de notre droit pénal et notamment des questions qui touchent à la détention provisoire, à la longueur des peines mais également aux moyens budgétaires accordés à la justice. La privation de liberté doit en effet être le dernier recours, avant et après le jugement. D’où la nécessité de repenser, et les peines alternatives (réparation des dommages, travaux d’intérêt généraux, peines aménagées pour permettre de travailler etc.), et les moyens de la prise en charge - sociale, éducative, médicale - des personnes qui ne relèvent pas de la prison. On trouve également en prison des gens qui n’ont rien à y faire : je pense aux infractions simples au droit au séjour par exemple. Et on n’utilise pas assez les dispositions de la loi Kouchner permettant la sortie de détenus malades, très âgés ou lourdement handicapés.

Les personnes dont l’état de santé, psychique ou physique, est incompatible avec la détention doivent être libérées. Cette proposition répond aux préoccupations du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) qui constate, dans un avis de décembre 2006 que les détenus atteints de pathologies mentales graves représentent 20 % de la population carcérale. Elle répond également aux attentes des personnels pénitentiaires qui ne sont pas formés pour prendre en charge des personnes malades. Concrètement, il faudra dégager les moyens suffisants pour mettre en place des structures adaptées. En gardant à l’esprit que si la prison ne doit pas accueillir des personnes souffrant de maladies psychiatriques, l’hôpital psychiatrique n’a, quant à lui, pas vocation à devenir un lieu d’enfermement ! On parle souvent des conditions matérielles dans lesquelles sont détenues les personnes. Mais il n’est pas moins primordial de garantir le respect des droits et de la citoyenneté des détenus. En particulier, l’accès à l’information et le droit de vote, doivent pouvoir s’exercer.

à l’intérieur des établissements pénitentiaires, avec le regard de tiers, constitue une bonne garantie contre l’arbitraire et l’abus de pouvoir. La création d’un organe de contrôle extérieur me paraît en effet indispensable. Je ne suis pas sûre que la proposition du garde des sceaux, qui a souhaité confier cette mission au médiateur de la République, soit adéquate. Le médiateur règle en effet des litiges entre des administrations et des usagers ! Un organisme sous contrôle parlementaire apparaît préférable. La réforme des prisons requiert une prise en compte particulière de la condition des personnels pénitentiaires. C’est l’évidence, le débat national doit faire de la place à tous les «acteurs» de la prison et notamment les personnels qui doivent se sentir formés, épaulés et accompagnés dans une mission difficile, et encore souvent mal considérée. Là encore, la question budgétaire revêt une importance particulière. »

La loi doit effectivement organiser et garantir l’exercice du droit à la santé, à l’hygiène, au maintien des liens familiaux et des prestations sociales, à l’éducation, au travail, à la formation et à l’insertion sociale et professionnelle des personnes détenues. De la même façon, le droit des personnes détenues à être incarcérées dans des établissements proches de leurs familles doit être reconnu. Car maintenir et resserrer des liens familiaux étroits permet de ne pas “punir“ les proches de façon inhumaine, et de mieux préparer la sortie. À ce titre, je suis favorable à la généralisation des parloirs privés et des unités de visite familiales.

Arlette Laguiller, Lutte ouvrière (LO)

Je veux aussi évoquer la question du travail, peu valorisant et misérablement rémunéré : la mise sous plis d’encarts publicitaires ou l’ensachage de gadgets n’apprennent rien et ne préparent pas la sortie. Les détenus doivent avoir accès à un travail qualifiant et justement rémunéré, à des formations, à des activités manuelles ou intellectuelles qui leur permettent d’envisager leur sortie dans les conditions les moins difficiles. La question de la réinsertion sociale doit être traitée durant la détention. Ce qui suppose que des moyens accrus soient mis au service des services de la justice, de l’emploi, et des associations qui travaillent avec les personnes sortant de détention. Les sanctions disciplinaires ne peuvent découler que d’une décision prise dans les conditions qui respectent le principe du procès équitable ; elles doivent assurer le respect de la santé et de la dignité de la personne du détenu. L’arbitraire, encore trop fréquent en la matière, ne peut être admis. Si des sanctions sont prises en direction d’un détenu, elles doivent être motivées, et le détenu doit pouvoir effectuer un recours. L’isolement garantit-il le respect de la santé et de la dignité de la personne détenue ? Je ne le pense pas. D’une façon plus générale, la transparence

« J’ai pris connaissance avec le plus grand intérêt de la déclaration finale des “États généraux de la condition pénitentiaire”, et je suis parfaitement d’accord avec la totalité de ces dix points, c’est à dire avec le contenu de la loi que ces États généraux proposent. Que la peine privative de liberté soit considérée comme une sanction de dernier recours, que les détenus malades soient pris en charge dans des structures de soins adaptées, ou libérés quand cette libération ne met personne en danger, et qu’en particulier les auteurs d’infraction souffrant de troubles psychiatriques préalables à leur délit, ou acquis en détention devraient être soignés dans des structures spécialisées, sont des principes qui devraient aller de soi à notre époque. Que la prison ne soit pas un lieu de non-droit (ce qui est paradoxal pour une institution qui est censée œuvrer au respect

N°58-59 Janvier 2007

N°58-59 Janvier 2007

75

74

LES ENGAGEMENTS


du droit) où les détenus peuvent être soumis à des sanctions disciplinaires sans procès véritable et sans recours, qu’un contrôle extérieur puisse veiller au respect de ces principes, et être justement un recours pour les détenus qui estimeraient que leurs droits ne sont pas respectés, devrait aussi aller de soi dans une société qui se veut démocratique. La fonction prioritaire de la prison devrait être d’oeuvrer à la réinsertion, non seulement professionnelle, mais aussi sociale des détenus, alors que dans les conditions actuelles elle contribue trop souvent à les désocialiser encore plus. Bien évidemment, la mise en application d’un tel programme demanderait, pour mettre fin au scandale que constituent les conditions actuelles d’incarcération, comme pour améliorer les conditions et la formation du personnel pénitentiaire, des moyens matériels et financiers bien supérieurs à ceux qui sont actuellement consacrés au budget de la justice. Je ne pense malheureusement pas, ni dans le présent, ni dans le futur, avoir une influence qui permette de changer cet état de fait, mais mon soutien vous est totalement acquis. »

Corinne Lepage, Cap 21 « Nos prisons sont pleines et le taux récidive ne baisse pas. Pire encore, les prisons sont devenues des lieux d’initiation à la grande délinquance. Nous pouvons certes fermer les yeux sur ceux qui y sont, en priant aussi pour ne pas être dans le nombre croissant des innocents passés par les geôles de la République… La politique pénitentiaire oriente ses dépenses vers des programmes de construction, en vue d’augmenter les capacités d’accueil. Mais le problème est ailleurs. Je ne crois pas que plus de prisons, même “plus confortables“, apporte un début de réponse à la problématique carcérale. La question est bien essentiellement celle de l’usage de l’outil “prison“ dans les moyens à disposition de la justice. Celle-ci ne peut être envisagée que comme ultime recours. Cessons de vouloir poser une nouvelle attelle sur le corps

malade de l’institution judiciaire et attachons-nous à élaborer, ensemble, une justice efficace et humaine, jusque dans l’application des peines. À cet égard, la présence d’auteurs d’infraction souffrant de troubles psychiatriques s’oppose à l’accomplissement de la mission du service public de la Justice. Il est indispensable de créer rapidement des structures d’accueil dotées des moyens humains adéquats pour accueillir ces malades et leur assurer une prise en charge adaptée. Depuis des années, l’administration pénitentiaire semble sourde aux appels des instances nationales et internationales pour une amélioration des conditions de traitement et de vie des détenus. Pire, les prisons sont devenues des lieux surpeuplés, où la violence et les dérives répressives sont la règle. Parallèlement à la sophistication des dispositifs de sécurité, on observe une militarisation du personnel, avec par exemple la création d’unités de surveillants cagoulés destinées à empêcher toute protestation. La prison ne doit pas être un lieu d’humiliation et de répression poussant à la haine et à la récidive. C’est pourquoi, la loi doit y consacrer le respect de l’État de droit. N’est-ce pas le minimum que nous puissions attendre, au nom de l’égalité gravée au fronton de nos bâtiments publics ? La personne détenue doit avoir accès aux mêmes droits que ceux auxquels un citoyen peut aspirer en dehors. Le maintien des liens affectifs du détenu avec sa famille doit être une priorité, qui passe par le choix d’un établissement de proximité et de taille humaine. Par ailleurs, le régime disciplinaire doit y être conforme aux principes du procès équitable : il est fondamental que le sentiment de justice existe en prison en étant une réalité quotidienne perceptible par tous. Quant aux mesures disciplinaires attentant à la santé ou à la dignité, elles doivent être sanctionnées, comme autant d’entraves au fonctionnement de la justice. La prison ne saurait être un facteur d’exclusion exacerbée, mais au contraire de reconstruction, de compréhension, de réflexion pour le condamné. Pour cela, il convient d’accorder la politique pénitentiaire avec la politique sociale. Et il est du devoir de l’État d’assurer une pleine et entière réinsertion en fin de peine, par un travail mené avec le condamné en vue de sa réintégration sociale et économique. Les exemples européens ne manquent pas. La réforme de l’institution pénitentiaire implique de prendre pleinement la mesure de ce que la réinsertion est une mission de service public, qu’elle nécessite de consacrer à ce travail les compétences nécessaires en termes de santé, de formation et de suivi. Ceci ne peut être réalisé que par un personnel adéquat, différent du personnel ayant à sa charge la surveillance. Dans le même temps, ce dernier doit avoir conscience de cette mission pour rendre quotidiennement effectif la sauvegarde de la dignité et perceptible le rôle assigné par la prison. Une instance de contrôle indépendante et ouverte aux membres de la société civile, aux avocats et aux instances internationales doit garantir une transparence totale sur le fonctionnement de nos prisons et assurer le respect du droit européen. La question de la sanction doit être posée en termes philosophiques. La sanction n’est pas une punition comme elle

Corinne Lepage : « Depuis des années, l’administration pénitentiaire semble sourde aux appels des instances nationales et internationales pour une amélioration des conditions de traitement et de vie des détenus. » © Bertrand Desprez / Vu est souvent envisagée, à l’image de celle donnée à un jeune enfant qui a fait une bêtise. L’acte délictuel est une atteinte à la cohésion sociale. La société se doit donc de réparer le préjudice commis par l’un de ses membres et de s’assurer de la pleine compréhension de cet acte. Il peut être de nature psychiatrique, auquel cas la réponse ne peut être que psychiatrique. Il peut s’inscrire comme expression d’une situation de marginalisation de l’individu l’ayant commis. Dans ce cas la mise à l’écart temporaire peut être nécessaire afin de protéger les autres membres de la société, de se donner le temps de comprendre les mécanismes de l’acte et de trouver une solution. L’acte peut être l’expression d’une volonté délibérée de nuire au plus grand nombre pour servir son intérêt personnel. Ne nous trompons pas de but : si la prison est le seul et dernier recours, il ne doit en aucun cas être considéré comme une punition mais comme un temps d’analyse commune afin de déterminer la solution la plus efficace pour une réinsertion complète du délinquant.

Cette association dans un triptyque victime justice délinquant est à poser au cœur de toute réflexion sur les prisons et leur usage. La réconciliation et le pardon sont un objectif moral peut-être inaccessible. Mais sans doute celui que nous devons nous assigner, en but ambitieux d’une démocratie vivante. Pour toutes ces raisons, je m’engage, si je suis élue, à appliquer les principes contenus dans la déclaration finale des États généraux de la condition pénitentiaire. »

Nous devons aussi prendre en compte la souffrance des victimes et les accompagner sur le chemin d’une demande de justice qui ne saurait être l’expression d’une vengeance.

N°58-59 Janvier 2007

N°58-59 Janvier 2007

77

76

LES ENGAGEMENTS


Ils émettent des réserves… Deux candidats se refusent à souscrire à l’ensemble des engagements qui leur était soumis. Ce positionnement de Nicolas Sarkozy et Jean-Marie Le Pen acte d’un désaccord sur les principes fondamentaux des réformes à accomplir, voire même d’un déni partiel du constat accablant issu de la consultation des États généraux et partagé par tous les autres candidats sur l’état du monde carcéral, le président de l’UMP allant jusqu’à affirmer que « la situation s’améliore »…

© Marco Pirrone

Nicolas Sarkozy, Union pour un mouvement populaire (UMP) « Depuis 25 ans, ce sont les gouvernements de droite qui ont le plus agi en faveur des prisons. Les programmes Chalandon et Méhaignerie ont augmenté le nombre de places, construit de nouvelles prisons et introduit la gestion mixte des établissements, unanimement saluée aujourd’hui comme un incontestable progrès. La loi du 9 septembre 2002 a prévu à son tour la construction de 13 200 nouvelles places, dont la livraison commencera en 2007. Elles s’ajouteront aux 9 000 construites ou réhabilitées depuis 2002. Depuis cette date, le gouvernement a également œuvré en faveur de l’amélioration de la santé des détenus et du maintien des liens familiaux, et développé l’usage du bracelet électronique qui est une alternative précieuse à l’incarcération. Tout n’est pas réglé dans le système carcéral français, loin de là, mais progressivement la situation s’améliore et les propos définitifs parfois tenus au sujet de nos prisons sont autant d’injustices envers les surveillants de prison qui accomplissent jour après jour leur mission dans le respect de la loi et des personnes. Des organismes comme l’Observatoire international des prisons jouent à cet égard un rôle déterminant pour mobiliser l’opinion publique et inciter les gouvernements à agir. Leur action n’a pas été inutile. Je me suis clairement engagé à ce que la dignité de la condition carcérale soit une priorité de notre action. Être condamné à une peine de prison, ce n’est pas être condamné

à être maltraité par d’autres détenus, à ne plus avoir de contacts avec sa famille, à vivre dans une cellule surpeuplée, à se sentir acculé au suicide. Les conditions de la détention provisoire nécessitent une réforme profonde car il n’est pas normal que les personnes présumées innocentes soient aussi celles qui subissent le régime carcéral le plus dur. De manière générale d’ailleurs, la France a trop recours à la détention provisoire. Celle-ci devrait notamment être réservée aux cas d’atteinte ou de menace à l’intégrité physique des personnes. La dignité humaine exige cet engagement, mais aussi la protection des victimes car tout détenu qui sort de prison avec un projet de réinsertion a beaucoup moins de risques de récidiver. Parmi les mesures que j’ai proposées figurent notamment la séparation stricte, dans des établissements différents, des mineurs et des majeurs, ainsi que celle des prévenus et des personnes condamnées, afin que la rigueur du régime des premiers soit limitée au minimum s’agissant de personnes présumées innocentes. Le principe de l’encellulement individuel pour toute personne qui le souhaite, dans des conditions respectueuses de l’intimité, doit être garanti. Le maintien des liens familiaux, par la création d’unités de visites familiales dans toutes les prisons, la réinsertion, qui souffre du manque de personnels pour s’en occuper et du manque de travail, et la santé des détenus doivent faire l’objet de toutes nos attentions. Les détenus souffrant de troubles psychiatriques, notamment les condamnés pour des faits d’ordre sexuel, doivent être placés dans des établissements médicalisés spécialisés. Les règles pénitentiaires érigées par le Conseil de l’Europe indiquent les normes considérées comme indispensables. À nous de les appliquer. Une loi pénitentiaire doit préciser les missions de l’administration pénitentiaire et les conditions générales de la détention. Elle devra surtout, puisque c’est une loi, fixer les droits et les devoirs des détenus, dont beaucoup sont aujourd’hui prévus par des textes de niveau inférieur alors qu’ils relèvent évidemment de la loi. Il en est de même du régime des sanctions disciplinaires, dont la procédure doit en outre devenir pleinement conforme aux exigences d’un État de droit. Un contrôle général indépendant des prisons doté de tous les pouvoirs nécessaires, doit être institué. Je souhaite également que le régime des fouilles corporelles soit profondément revu comme je l’ai fait avec la garde à vue par la circulaire du 11 mars 2003. »

Jean-Marie Le Pen, Front national (FN) « La peine privative de liberté doit être une sanction de dernier recours : Non. Déjà beaucoup de délits ne sont pas sanctionnés par la détention et 40 % des peines de prisons ne sont pas effectuées. Les personnes dont l’état de santé, psychique ou physique, est incompatible avec la détention doivent être libérées [...] : La mise en liberté de telles personnes mettrait en danger leur sécurité et celle des honnêtes gens. En revanche, il est nécessaire de ne pas les mélanger avec les autres détenus et de les prendre en charge dans des structures de soin adaptées à leur état de santé physique et psychique. Le respect de l’État de droit en prison : Les prisons françaises sont devenues des zones de non droit, dans lesquelles la loi du plus fort s’exerce aux dépens des plus faibles. La banalisation de la toxicomanie en est une illustration. C’est la conséquence du surpeuplement et du mélange des détenus, mais aussi du recul de l’autorité pénitentiaire. Le rétablissement de celle-ci, qui doit être juste et impartiale est donc une condition préalable au rétablissement de l’État de droit. L’administration pénitentiaire doit veiller au respect du règlement, qui, d’une part, doit être le même pour tous, de l’autre, doit émaner d’une loi votée par les représentants du peuple. La reconnaissance de l’ensemble des libertés et droits fondamentaux des personnes détenues, à l’exception de la liberté d’aller et venir : Oui. À la privation de liberté, la détention ne doit pas ajouter des conditions de vie indécentes et, pour les plus faibles, le racket, la torture et le viol. La réforme de nos prisons doit permettre aux détenus de jouir des droits fondamentaux attachés à la personne humaine et notamment du premier d’entre eux qui est la sécurité. Pour cela, il faut notamment mettre fin au surpeuplement des prisons et donner à chaque détenu la possibilité d’être seul dans sa cellule, avec le confort minimum, (toilettes, fenêtre, place disponible). Cela nécessite : - un grand programme de construction de prisons et de rénovation ; - la diminution du nombre des détenus provisoires (21 000) par la réduction des délais dans lesquels la justice est rendue, l’amélioration de l’efficacité des magistrats, notamment celle des juges d’instruction, la surveillance électronique pour les suspects de délits ne portant pas atteinte à la sécurité des personnes ; - la diminution de la population carcérale étrangère (22 % des détenus). Tout étranger ayant commis un délit en France doit, après sa condamnation, d’une part, être expulsé et

interdit de séjour, d’autre part, effectuer sa peine dans son pays. Il faut aussi répartir les détenus selon leur statut et la nature de leur délit : séparer les prévenus des condamnés, les mineurs des adultes, les “primo-délinquants“ des récidivistes, les condamnés pour atteinte aux biens de ceux condamnés pour violence, les délinquants sexuels des autres détenus. Organiser et garantir l’exercice du droit à la santé, à l’hygiène, au maintien des liens familiaux et des prestations sociales, à l’éducation, au travail, à la formation... : Oui, tout en veillant à ce que l’exercice de ces droits ne s’exerce pas aux dépens, d’une part, de la sécurité du personnel pénitentiaire, des personnes extérieures à la prison et des détenus, d’autre part, du respect de l’exécution des peines prononcées par la justice. Les sanctions disciplinaires ne peuvent découler que d’une décision prise dans les conditions qui respectent le principe du procès équitable et susceptible de recours effectifs : Oui, à condition que ces règles n’entravent pas le fonctionnement de l’autorité pénitentiaire, comme c’est déjà le cas aujourd’hui. Sinon, elle est remplacée par l’autorité des gangs, arbitraire et inhumaine. Instaurer un organe de contrôle extérieur assurant l’effectivité du respect des droits des détenus et auquel ces derniers peuvent s’adresser en cas de violation : Là aussi, cet organe ne doit pas entraver le fonctionnement de l’autorité pénitentiaire qui, en prison, est la seule instance capable d’assurer la sécurité et le respect des droits de chaque détenu. L’anticipation, la préparation et l’accompagnement du détenu à la libération sont des missions fondamentales de l’administration pénitentiaire : Oui, à condition que l’exercice de ces missions ne s’exerce pas aux dépens de la première des missions de l’administration pénitentiaire qui est de garder les détenus. Le principe d’évaluation par le Parlement des politiques pénitentiaires [...] : Oui. Cependant cette évaluation serait d’autant mieux faite si le Parlement était représentatif et donc élu au scrutin proportionnel intégral. L’importance du rôle de l’administration pénitentiaire et la prise en compte particulière de la condition des personnels pénitentiaires : Oui. Cela nécessite une augmentation de leurs effectifs, un développement de leur formation, une amélioration de leurs conditions de vie et de travail, une protection accrue des personnels et de leurs familles, le rétablissement dans les prisons de l’autorité de l’administration pénitentiaire, une revalorisation matérielle, sociale et morale de leur métier. Conclusion : Cette politique nécessitera des moyens accrus, donc un budget de la justice porté à 3 % des dépenses de l’État (1,6 aujourd’hui). Mais le scandale des prisons françaises est aussi le symptôme des maux qui frappent notre pays. En effet, les détenus ayant des conditions de vie moindres que celles du reste de la société, ils sont les premières victimes des crises économiques et sociales. La réforme indispensable des prisons françaises doit s’inscrire dans un grand projet de rénovation nationale reposant sur le rétablissement de la sécurité, le retour de la prospérité, la fin du laxisme moral, la refondation des institutions de notre société, que sont la famille, l’école, la justice. »

N°58-59 Janvier 2007

N°58-59 Janvier 2007

79

78

LES ENGAGEMENTS


dont acte « Le 14 novembre dernier, les États généraux de la condition pénitentiaire ont conclu leurs travaux par l’adoption d’une déclaration qui formulait, en dix points, les principes qui devaient, selon eux, guider la réforme pénitentiaire qu’ils appelaient de leurs vœux. Cette déclaration est le résultat d’une démarche qui a aujourd’hui un an, et qui a, durant cette période, vu travailler en commun sur la question carcérale des syndicats de magistrats, d’avocats, de personnels pénitentiaires, des associations d’aide à la réinsertion et de protection des droits de l’homme. Elle a d’abord consisté en l’organisation d’une consultation inédite qui a vu plus 20 000 personnes, dont plus de 15 000 détenus, s’exprimer à partir d’un questionnaire commun. Les résultats de cette consultation ont fait l’objet d’une discussion entre les organisations partenaires et d’une mise en perspective au regard des recommandations faites à la France par les différents rapports consacrés à l’état de ses prisons, notamment ceux qui émanent des instances nationales et internationales de protection des droits de l’homme. Ce travail a permis de dégager un socle commun, consigné dans la déclaration finale que les États généraux ont décidé de soumettre à l’appréciation des candidats à la Présidence de la République. Nous rendons aujourd’hui publiques les réponses qui nous ont été apportées.

*** Dix candidats avaient été sollicités. Nous prenons d’abord acte du fait que, à l’exception de Philippe de Villiers, tous nous ont répondu. Nous disposons donc de neuf réponses. Sur les neuf candidats qui ont répondu, sept ont signé sans réserve la déclara-

tion que nous leur avons proposée. Il s’agit d’Olivier Besancenot, d’Arlette Laguiller, de Marie-George Buffet, de Dominique Voynet, de Ségolène Royal, de François Bayrou et de Corinne Lepage. “Votre proposition d’une loi pénitentiaire et le contenu de celle-ci constituent une rupture salutaire avec un système carcéral basé sur l’humiliation. Je partage votre volonté de redonner dignité et accès aux droits élémentaires aux détenus comme le font vos propositions. Je porterais l’ensemble de vos propositions si j’étais en situation de responsabilité“. Olivier Besancenot “J’ai pris connaissance avec le plus grand intérêt de votre déclaration finale et je suis parfaitement d’accord avec la totalité de ces dix points, c’est à dire avec le contenu de la loi que ces États généraux proposent. Mon soutien vous est totalement acquis“. Arlette Laguiller “Le débat politique et moral sur les prisons n’a jamais cessé dans notre pays et n’a pas, aujourd’hui encore, reçu de réponse. Vous me demandez si je suis prête à défendre comme candidate à la présidentielle vos dix propositions. Je m’y engage. Si le peuple français me confie des responsabilités, je ferais mienne les propositions du Manifeste des “États généraux de la condition pénitentiaire“. Ces principes devront être inscrits dans une nouvelle loi pénitentiaire qui devra être adoptée très rapidement par le Parlement qui sera issu des prochaines élections“. Marie-George Buffet

“Il faut dire la vérité aux Français : le système carcéral engendre des violences dans les établissements, nie les droits humains des détenus, ne prépare pas leur sortie. Il engendre souffrances et désordres dans la société et ne résout rien quant à notre capacité à vivre ensemble. La campagne pour les élections présidentielles ne peut éluder cette question essentielle. Je me prononce pour la mise en place d’une loi pénitentiaire. Les propositions des États Généraux sont une bonne base de contenu“. Dominique Voynet “Le système pénitentiaire fonctionne aujourd’hui dans une contradiction permanente : à l’écart des règles et exigences de la société libre, il est supposé permettre aux personnes détenues de retrouver le chemin d’une vie responsable et respectueuse du droit. Les réformes de nos prisons, proposées par les États généraux, visent à sortir de cette contradiction, pour que nos sanctions pénales aient un sens pour ceux qui sont condamnés, pour ceux qui ont en charge de les exécuter et pour la société toute entière. C’est pourquoi je m’engage, si je suis élue, à les mettre en œuvre“. Ségolène Royal “Les États généraux de la condition pénitentiaire étaient une nécessité démocratique. Il faut maintenant poursuivre le travail que vous avez initié : opérer une profonde réforme du système pénitentiaire français, en lui fixant des missions précises, en lui donnant les moyens de ses missions, pour qu’il soit digne d’un État de droit, conforme aux normes européennes. Parce que l’état des prisons est un signe de l’état de notre société, les engagements pris

L’engagement de la plupart des candidats dénote d’une volonté claire de rupture avec le fonctionnement actuel de nos prisons. © Bertrand Desprez / Vu

pour réformer le système pénitentiaire doivent l’être de façon transpartisane, pour interpeller avec force l’opinion publique. C’est la démarche des États généraux, à laquelle je m’inscris sans réserve“. François Bayrou “Nos prisons sont pleines et le taux récidive ne baisse pas. Pire encore, les prisons sont devenues des lieux d’initiation à la grande délinquance. La politique pénitentiaire oriente ses dépenses vers des programmes de construction, en vue d’augmenter les capacités d’accueil. Mais le problème est ailleurs. Je ne crois pas que plus de prisons, même “plus confortables“, apporte un début de réponse à la problématique carcérale. Je m’engage, si je suis élue, à appliquer les principes contenus dans la déclaration

finale des États généraux de la condition pénitentiaire“. Corinne Lepage Cet engagement commun est un événement dont il faut mesurer la portée. Il marque la constitution d’un large consensus démocratique et républicain sur le diagnostic posé sur notre système carcéral et sur les fondements de la réforme à accomplir. Cet engagement est essentiel car il ne constitue pas un consensus a minima mais l’adoption, par des candidats venus d’horizons très différents, d’une volonté claire de rupture avec le fonctionnement actuel de nos prisons, dont les conséquences désastreuses à la fois pour les prisonniers et pour le personnel pénitentiaire ne sont pas contestées.

Quiconque connaît la question carcérale sait que chacun de ces dix points contient un renversement de perspectives fondamental dans notre manière d’envisager la peine de prison. Pour ne citer que lui, le dernier avis rendu sur le sujet par le Comité national consultatif d’éthique voulait lever “le lourd silence qui pèse sur ce qui est subi de manière inhumaine : la surpopulation, la violence, le suicide, la maladie mentale, les conditions de vie indignes, le peu de place donnée à la réinsertion, le travail sous-rémunéré, l’insuffisante préparation de la sortie, les humiliations“. Pour en finir avec cette situation, les engagements proposés par les États généraux veulent permettre à la fois de rompre avec la tentation du tout carcéral, de mettre fin à la détention indigne


de personnes gravement malades, de reconnaître l’ensemble de leurs droits fondamentaux aux personnes détenues, d’affirmer l’inclusion de la prison dans le territoire de la République, de revoir la procédure et le régime des sanctions disciplinaires, de considérer la préparation à la sortie et la réinsertion comme des tâches centrales de l’administration pénitentiaire, de placer la prison sous le contrôle d’un organe indépendant, et d’associer les personnels pénitentiaires à ces perspectives de réforme. Ces engagements constituent un ensemble et c’est la cohérence de celui-ci qui rend sa mise en œuvre nécessaire et possible. Nécessaire, car il s’agit ni plus ni moins que de mettre notre système carcéral en conformité avec les exigences contemporaines de respect des droits de l’homme. Possible, car c’est l’engagement conjoint sur l’ensemble des problématiques juridiques, sociales, médicales, qui permettront de rompre avec l’indignité, l’arbitraire, la violence, le déclassement social et, à la sortie, la précarité, l’exclusion et la marginalité. La diversité des signatures obtenues montre que les exigences posées par les États généraux ne sont d’aucun parti et d’aucun bord politique. Sur une question aussi difficile et grave, les candidats abandonnent tout règlement de compte et toute rhétorique politicienne. Ce faisant, leur réponse restaure l’unanimité sur l’ampleur des réformes à accomplir apparue en 2000 par le biais des commissions d’enquête de l’Assemblée et du Sénat. Plus encore, elle marque la prise en compte effective des travaux menés d’abord en 2000 par les parlementaires et la Commission Canivet, puis en 2004 par la Commission nationale consultative des droits de l’homme et enfin, par le Conseil de l’Europe, par une série de recommandations dont la dernière, les Règles pénitentiaires européennes adoptées en janvier 2006, n’est pas la moindre.

*** Deux candidats ont préféré se démarquer de la démarche qui leur était proposée. Il s’agit d’abord de Jean-Marie Le Pen, dont les réponses attestent d’un rejet

catégorique des principes de réforme proposés par les États généraux. Il s’agit aussi de Nicolas Sarkozy qui, refusant de souscrire à l’ensemble des engagements qui lui étaient soumis, rejette tout renversement de perspectives. Cette réponse est pour les États généraux regrettable, car nous avons espéré - et la réponse de tous les autres candidats montre qu’il ne s’agissait pas d’une chimère - que le fait de regarder en face la situation de nos prisons ne pouvait que conduire à une réponse d’ensemble, à hauteur du mal. La réponse qui nous a été transmise contient, à défaut d’un engagement d’ensemble, un certain nombre de propositions constituant des avancées en matière de respect des droits de l’homme dans la prison. Il s’agit, outre la généralisation des unités de visites familiales et l’instauration d’un contrôleur général des prisons, de réformer dans le cadre d’une loi pénitentiaire le régime des fouilles corporelles et la procédure des sanctions disciplinaires. Mais elle est très incomplète, insuffisante, et ambiguë notamment au regard de la volonté, qui y est proclamée, sans que les conséquences en soient tirées, d’appliquer les Règles pénitentiaires européennes du Conseil de l’Europe. En matière de protection des droits des personnes, le Conseil recommande avec autant de force de mettre en œuvre ses préconisations concernant le fonctionnement des prisons que de faire de la privation de liberté une sanction de dernier recours, de préparer la réinsertion des détenus ou de prendre garde que la longueur des périodes d’emprisonnement n’invalide pas toute perspective de réinsertion. Issus des recommandations de l’ensemble des instances de protection des droits de l’homme, les dix points sur lesquels les États généraux ont sollicité un engagement ne peuvent pas plus être l’objet d’une reconnaissance partielle que les droits fondamentaux qu’ils visent à promouvoir. Autrement dit, la globalité de la déclaration finale des États généraux est celle de l’ensemble des recommandations faites à la France pour mettre son sys-

tème de sanctions pénales en conformité avec les droits de l’homme. Elle suppose un renversement de perspectives qui impose de reconsidérer l’ensemble de notre conception et de notre pratique de la peine privative de liberté tout comme les conditions d’élaboration des réformes à accomplir. Elle impose de prendre en compte que les problèmes posés à tous les niveaux du système pénal et carcéral doivent, pour éviter de reproduire les échecs passés, être abordés conjointement dans la perspective d’élaboration d’une loi pénitentiaire

*** L’engagement inédit de la majorité des candidats ne marque pas la fin de notre travail. Depuis le 14 novembre, un grand nombre de débats ont eu lieu en régions pour que l’ensemble des organisations partenaires des États généraux puisse aller à la rencontre du public expliquer le sens de leur engagement et de leurs propositions. Cet effort sera poursuivi et prolongé par un travail permanent de pédagogie. Point par point, les États généraux veulent, au fil des campagnes électorales présidentielle et législative, illustrer le sens de ce qu’ils proposent par contraste avec la situation actuelle et montrer que ces transformations seront bénéfiques tant pour les personnes détenues que pour tout ceux qui travaillent en prison et pour la société dans son ensemble. Par ailleurs, les États généraux de la condition pénitentiaire, au delà des engagements aujourd’hui recueillis, seront attentifs sur la manière dont les différents candidats, au travers de leurs programmes respectifs, entendent les mettre en œuvre. Cette vigilance des États généraux étant appelée à se poursuivre au lendemain des différentes élections. »

les États généraux de la condition pénitentiaire, mardi 16 janvier 2007

adhésion, don

adhésion simple à la section française de l’OIP adhésion de soutien adhésion à prix réduit (détenu, RMIste, chômeur, étudiant) je fais un don à la section française de l’OIP vous recevrez un reçu fiscal (dons et adhésions)

COMMANDES 45  100 € 22,50  .......€

abonnement

je m’abonne à Dedans dehors pour un an (6 numéros) je suis adhérent et je m’abonne à Dedans dehors je fais abonner gratuitement un détenu qui l’aura demandé je suis détenu et je souhaite m’abonner gratuitement

30 € 15  25 

rapport 2005 : les conditions de détention en France

commandes

OIP/ La Découverte, 2005, 288 p., 20  (hors frais de port)

les ouvrages de l’OIP rapport 2005 : les conditions de détention en France rapport 2003 : les conditions de détention en France le guide du prisonnier le guide du sortant de prison

.......x .......x .......x .......x

24 € = 15 € = 28 € = 26 € =

.......€ .......€ .......€ .......€

la revue Dedans dehors n° 28 « à l’écoute des violences carcérales » n° 29 « loi pénitentiaire : le renoncement » n° 30 « prison asile : le dépotoir de la psychatrie » n° 31 « prison : l’ambivalence des candidats » n° 32 « mineurs : désignés coupables » n° 33 « détenus : précarité sociale et fragilité familiale » n° 34 « toxicomanies : sortir du dogme répressif » n° 35 « liberté d’expression : faire sauter la chape de plomb » n° 36 « bracelet électronique : le miroir aux alouettes » n° 37 « nombre record de détenus : contre la préférence carcérale » n° 38 « rapport Warsmann. alternatives : l’occasion manquée » n° 39 « les prisons françaises en 2003 une descente aux enfers » n° 40 « dix ans après la réforme : la santé toujours incarcérée » n° 41 « loi Perben 2 : vers un raz-de-marée carcéral ? » n° 42 « les dix ans du code pénal : le grand enfermement » n° 43 « rapport CNDS : des pratiques archaïques et médiévales » n° 44 « droits dedans : pour la reconnaissance des droits des détenus » n° 45 « prison : quelle réforme vaut la peine ? » n° 46 « vieillir et mourir en prison » n° 47 « prison : peine du pauvre, pauvre peine » n° 48 « récidive, récidivistes : ne pas se tromper de débat » n° 49 « sécurité renforcée en prison : la fabrique de violences » n° 50 « le rapport Burgelin : le risque de peines de folie » n° 51 « sida en prison : prévenir la maladie, libérer les malades » n° 52 « étrangers en prison : aux confins de l’absurde » n° 53 « nouvelles prisons : du pareil au pire » n° 54 « politiques pénale et pénitentiaire : l’Europe en éclaireur » n° 55 « travail des détenus : à bout de souffle » n° 56 « réforme de la détention provisoire : l’occasion gâchée » n° 57 « affirmer la primauté de l’objectif de réinsertion » n° 58-59 « états généraux de la condition pénitentiaire »

.......x 5 € = .......x 5 € = .......x 5 € = .......x 5 € = .......x 5 € = .......x 5 € = .......x 5 € = .......x 5 € = .......x 5 € = .......x 5 € = .......x 5 € = .......x 5 € = .......x 5 € = .......x 5 € = .......x 5 € = .......x 5 € = .......x 5 € = .......x 5 € = .......x 5 € = .......x 5 € = .......x 5 € = .......x 5 € = .......x 5 € = .......x 5 € = .......x 5 € = .......x 5 € = .......x 5 € = .......x 5 € = .......x 5 € = .......x 5 € = .......x 12 € =

.......€ .......€ .......€ .......€ .......€ .......€ .......€ .......€ .......€ .......€ .......€ .......€ .......€ .......€ .......€ .......€ .......€ .......€ .......€ .......€ .......€ .......€ .......€ .......€ .......€ .......€ .......€ .......€ .......€ .......€ .......€

la série 2001 (du 23 au 28) la série 2002 (du 29 au 34) la série 2003 (du 35 au 40) la série 2004 (du 41 au 46) la série 2005 (du 47 au 52)

.......x .......x .......x .......x .......x

.......€ .......€ .......€ .......€ .......€

18 € = 18 € = 18 € = 24 € = 28 € =

le guide du prisonnier, OIP/ La Découverte, 2004, 576 p., 24  (hors frais de port)

le guide du sortant OIP/ La Découverte, 2006, 416 p., 22  (hors frais de port)

Tous les prix comprennent les frais de port. Pour l’étranger, nous consulter.

Nom.............................................................Prénom............................................. Profession............................................................................................................ Organisme............................................................................................................. Adresse...................................................................................................... Code postal........................................Ville.............................................................. Tél....................................................Fax................................................................ e-mail.............................................................................................................. Je suis membre du groupe local de ....................................................................... Je vous adresse un chèque de ………… € à l’ordre de l’OIP-SF

Bulletin à renvoyer à OIP, section française, 31 rue des Lilas 75019 Paris

Dedans dehors n°57


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.