Dedans dehors n°60, "Les alternatives sortent de l'ombre"

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Les alternatives sortent de l’ombre Liancourt : la CNDS dénonce un « régime de terreur » Suspension de peine : le service public hospitalier sommé de jouer son rôle Traitement inhumain  à l’hôpital de Fresnes

Observatoire international des prisons Section française

5 € N°60 Mars-Avril 2007


EDITORIAL

Une certaine idée du contrôle Enfin !, se dit-on au premier abord. Enfin, le poste laissé vacant par la France depuis le 19 décembre 2005 au Comité de prévention de la torture (CPT) du Conseil de l’Europe est pourvu. Après que notre gouvernement s’est enfin décidé à lui transmettre la liste requise de trois noms, le Comité des ministres a élu le 14 mars 2007 Xavier Ronsin, avocat général à Rennes. Une décision qui correspond au souhait des autorités françaises. Le CPT en serat-il heureux, lui qui demandait justement à voir son effectif renforcé par une personne ayant « une connaissance pratique du travail des services des Parquets » ? Rien n’est moins sûr. Car l’individu est bien connu de ses services. Il a en effet occupé, du printemps 2003 à l’été 2004, les fonctions de directeur adjoint de l’administration pénitentiaire. Autant dire, dans la période où la controverse a été la plus vive entre Paris et Strasbourg, sur la nature et les effets de la politique pénitentiaire mise en œuvre par M. Perben. Les experts du Conseil de l’Europe, après une visite « exigée par les circonstances », estimaient que les détenus étaient « soumis à un ensemble de facteurs néfastes […] s’apparentant à un traitement inhumain et dégradant ». Ils s’étaient vus répondre que leur rapport contenait « un certain nombre d’approximations, d’erreurs et de propositions inadaptées ». De cette même époque datent la création d’unités d’intervention cagoulées et armées (les éris), le déplacement continuel des détenus « dangereux », la fermeture des portes des cellules en maison centrales, etc. Une suite d’initiatives diamétralement opposée à la doctrine du CPT et dont Xavier Ronsin fut l’un des responsables. Symptomatique du durcissement perpétuel des régimes de détention, la note du 18 avril 2003 est ainsi signée de son (seul) paraphe. Elle prévoit pour les « détenus dangereux sous le régime d’isolement », une restriction des contacts, la multiplication des fouilles corporelles et le renforcement des équipements sécuritaires des cours de promenades. Autant d’instructions qui prennent l’exact contre-pied des demandes formulées par le CPT dans son rapport précédent, tendant à l’assouplissement du régime des isolés. Dans son dernier rapport annuel, le Comité invitait les États membres du Conseil de l’Europe « à examiner avec soin les candidatures », leur rappelant que son « efficacité […] dépend en définitive de la qualité de ses membres », devant être « choisis parmi des personnalités de haute moralité, connues pour leur compétence en matière de droits de l’homme » dans les domaines traités par l’instance. Les autorités françaises l’ont-elles seulement lu ? On peut en douter. À tout le moins, l’attitude de la France est lourde de sens. « Son » candidat n’incarne ni l’adhésion de notre pays à la doctrine résolument progressiste de l’Europe en matière pénitentiaire, ni sa volonté d’œuvrer au sein du CPT pour consolider et asseoir cette philosophie. Stéphanie Coye N°60 Mars-Avril 2007

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SOMMAIRE 3 Actu Liancourt : la CNDS dénonce un « régime de terreur ». Suspension de peine : le service public hospitalier sommé de jouer son rôle. Santé en prison : le Comité d’éthique exerce son devoir d’ingérence. 9 De facto : Procès des évadés de Luynes : la pénitentiaire en accusation ; Un détenu suicidaire attaché à son lit d’hôpital ; Fresnes : traitement dégradant pour un détenu paraplégique ; etc.

14 Dossier

Les alternatives sortent de l’ombre Avec Sarah Dindo, auteur de l’Étude sur les alternatives à la détention – CNCDH ; Jean-Yves Monfort, magistrat à Versailles ; Denis l’Hour, directeur général de Citoyens et Justice ; Michaël Janas, président de l’ANJAP ; Philippe Pottier, direction de l’administration pénitentiaire ; Jean-François Cauchie, sociologue et criminologue.

34 Témoignages Privés de scrutin 36 En droit Hôpital pénitentiaire de Fresnes : un « traitement inhumain » reconnu et interrompu par le juge 38 Lettres ouvertes « Je n’avais jamais vu un être humain dans un tel état de délabrement » ; « J’avais signé “la non inaptitude” » ; « Il est peut-être plus facile de récidiver » 40 En droit Suspicions sur la prédiction ; 1986 : la réinvention de la prison ? ; La « grotte » des fous de Fresnes ; etc.

DEDANS DEHORS publication bimestrielle de la section française de l’Observatoire international des prisons, association loi 1901, 31, rue des Lilas, 75019 Paris, Tél.: 01 44 52 87 90, Fax: 01 44 52 88 09, e-mail : contact@oip.org Internet : http://www.oip.org Directrice de la publication : Martine Joanin Rédaction : Jean Bérard, François Bès, Stéphanie Coye, Marie Crétenot, Barbara Liaras, Patrick Marest, Andrée Martins, Elenn Mouazan, Julien Nève, Lionel Perrin, Hugues de Suremain Secrétariat de rédaction : Isabelle Bardet, Anne Fellmann, Marie Crétenot, Barbara Liaras, Julie Maeck, Julien Namyas, Pascale Poussin, Isabelle Roger Identité graphique : MG., L.D.<dlaranjeira@caramail.com> Maquette : Claude Cardot Photos : Samuel Bollendorf, Bertrand Desprez, Simon Jourdan, Michel Le Moine, Célia Quilleret Commandes : Julie Namyas Remerciements à : Editing, Agence VU, Impression : Imprimerie Autographes 2, 10 bis, rue Bisson, 75020 Paris Tél. : 01 43 58 26 26 ISSN : 1276-6038 numéro CPPAP en cours Diffusion sur abonnement au prix annuel de 30  Prix au numéro : 5 € Couverture : Jane Evelyn-Atwood


ACTU

Après neuf mois d’enquête sur le centre pénitentiaire de Liancourt, la Commission nationale de déontologie de la sécurité a rendu publiques, le 15 janvier, des conclusions effarantes sur le fonctionnement de cette prison « modèle ». Dans « un état de délitement généralisé des fonctions et des responsabilités d’une partie de l’encadrement », l’établissement a été le théâtre d’actes gravissimes commis par certains personnels de surveillance. Sans que l’administration pénitentiaire, pourtant régulièrement alertée, ne se donne les moyens de mettre un terme à cette dérive « inadmissible ».

Liancourt

La CNDS dénonce un« régime de terreur »

Du « jamais vu » confie un membre de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS). Et de fait, le constat dressé au terme de neuf mois d’enquête sur une succession de faits survenus au sein du quartier maison d’arrêt du centre pénitentiaire de Liancourt (Oise) est particulièrement consternant. Présentée lors de son inauguration, le 17 février 2004, comme ouvrant « une véritable perspective à la fois technique et humaine sur une modernisation en profondeur de la politique pénitentiaire »1, cette prison « exemplaire » commence très vite à faire parler d’elle. Jusqu’à devenir l’établissement pour lequel les saisines de la CNDS sont les plus nombreuses en 2006 (lire en encadré). « Inquiète de la convergence et de la gravité de ces dossiers », la CNDS entreprend alors des « investigations approfondies », examinant les témoignages des détenus, ceux de surveillants mis en cause, « ainsi que ceux de surveillants de l’établissement […] qui ont déclaré ne plus pouvoir supporter les agissements non professionnels, graves, de certains de leurs collègues […] et qui ont décidé de briser la loi du silence ».

La responsabilité particulière de l’équipe d’encadrement La CNDS découvre alors une série de « dysfonctionnements et de manquements divers, notamment concer-

nant les procédures disciplinaires instrumentalisées pour faire régner l’ordre et la terreur ». Ces défaillances et ces abus « s’expliquent en partie par des conditions de fonctionnement et de travail difficiles des personnels », qui « ont pu favoriser des dérives individuelles ». Les auditions mettent cependant en lumière « la responsabilité particulière de l’équipe d’encadrement, principalement celle du directeur adjoint M.H. et du premier surveillant B.C., décrit comme le directeur de la maison d’arrêt après M.H. ». La direction générale de l’établissement évoque à sa décharge des problèmes matériels qui l’ont accaparée, laissant les responsables du quartier maison d’arrêt le gérer à leur guise. Ainsi, dès l’ouverture du nouveau centre pénitentiaire, la sélection des personnels amenés à travailler au quartier maison d’arrêt est effectuée par quelques gradés de l’ancien centre de détention, par cooptation de collègues, auxquels viendront s’adjoindre de jeunes agents sortant de l’ENAP.2 « Enthousiastes » et  « dynamiques », certaines de ces nouvelles recrues se retrouvent aussitôt « sous l’emprise » du personnel déjà en place. Quant à celles qui désapprouvaient les pratiques en cours, « contraires à l’enseignement […] reçu à l’ENAP », elles ont témoigné n’avoir « pu trouver au niveau de la hiérarchie de recours possible, car c’est au niveau de la hiérarchie que s’organisaient ce climat et ce régime de terreur ». S’ajoutent à cela N°60 Mars-Avril 2007

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‘‘ Il suffisait qu’un des carences dans les services à charge de la société SIGES, notamment dans l’entretien des personnes détenues, et le manque de coopération de certains membres de l’encadrement pénitentiaire avec cette entreprise. Délais de livraison exagérément longs, produits alimentaires payés par les détenus mais non livrés, dates de péremption dépassées, « les problèmes de cantine ont été de façon récurrente à l’origine de tensions et d’incidents ». Également en cause, l’insuffisance du travail et des activités proposés, qui a « suscité frustration, mécontentement et agressivité », est devenue « un enjeu majeur instrumentalisé par certains surveillants ». Au bout du compte, « il suffisait qu’un détenu demande quoi que ce soit aux surveillants concernant le quotidien en détention, pour qu’il soit l’objet de brimades, d’humiliations et de propos insultants et agressifs ».

Chasse aux sorcières Informée de l’enquête menée par la CNDS et invitée par celle-ci à réagir sans tarder, l’administration pénitentiaire prend plusieurs initiatives. Entre autres démarches, des visites de l’Inspection des services pénitentiaires sont diligentées et un audit de l’établissement est effectué au cours du dernier trimestre 2006. Tout ceci aboutissant en décembre à la mise à l’écart du directeur du centre pénitentiaire. Lorsqu’elle adopte son avis, le 15 janvier 2007, la CNDS prend acte d’un engagement de l’AP visant à « remanier en profondeur le mode de direction et d’intervention des agents », mais réclame la saisine des instances disciplinaires et judiciaires afin d’évaluer les responsabilités et de sanctionner les agents directement mis en cause. Elle invite

détenu demande quoi que ce soit pour qu’il soit l’objet de brimades, d’humiliations et de propos insultants et agressifs.

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également le garde des Sceaux à prendre « toutes les mesures adéquates pour assurer la sécurité des détenus qui ont été appelés à témoigner ». Une recommandation manque cependant à l’avis, concernant la protection des personnels eux-mêmes. En effet, suite au dépôt de plainte d’un détenu de 21 ans contre deux surveillants pour « violences en réunion par personnes ayant autorité », des membres du personnel ont décidé, sous couvert du statut de « témoin anonyme », de faire savoir ce qui se passe. Lors de l’audience devant le tribunal correctionnel de Beauvais, le 24 novembre, une intersyndicale regroupant les sections locales de l’UFAP, FO et la CGT bloque la prison pour empêcher l’extraction de la victime présumée. Depuis cette date, une véritable « chasse aux sorcières » s’est instaurée au sein du personnel afin de découvrir l’identité des « témoins ». L’audience a finalement eu lieu le 14 décembre et les deux accusés ont été condamnés à

VIOLENCES, HUMILIATION, NON-ASSISTANCE… Cinq plaintes ont été reçues par la CNDS sur la prison de Liancourt. L’une d’elles concerne un suicide survenu le 24 mars 2006. La veille, après avoir été « maîtrisé » par des surveillants, le détenu avait été hospitalisé, puis placé au quartier disciplinaire (QD). Pour la Commission, il est « fortement probable » que les médecins et la direction ont été ensuite « délibérément » tenus à l’écart, alors que le détenu se trouvait dans un « état de danger manifeste ». Deux autres saisines ont trait à des accusations de violences lors de placement en QD. Critiquant le « mode d’intervention des surveillants arrivant en nombre, et faisant preuve de peu de discernement », la CNDS s’inquiète de la récurrence « des incidents » provoqués par des problèmes mineurs, mais « conduisant aussitôt à des mises en prévention qui s’accompagnent de brutalités ». Dans une autre saisine, concernant des faits survenus là encore au QD, le 27 mai 2005, c’est l’usage de la lance à incendie qui provoque les foudres de l’autorité indépendante, par son caractère totalement injustifié et en raison de la « volonté d’humilier les détenus en les laissant le restant de la nuit dans des cellules rendues inhabitables ». Enfin, le cas le plus récent est celui de D.S. qui accuse deux premiers surveillants de l’avoir frappé au QD le 7 novembre dernier. Des faits pour lesquels ils ont été condamnés par le tribunal correctionnel de Beauvais. CNDS, Rapport 2006, http://www.cnds.fr

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ACTU

‘‘ Les personnels

quatre mois de prison avec sursis. Le lendemain, un représentant de l’UFAP déclare trouver « inadmissible que quelqu’un ait pu témoigner anonymement » et que tout sera fait « pour le trouver car la pénitentiaire, c’est comme une famille où on n’a pas le droit de se trahir ».3 Derrière les murs de la prison, les personnels qui n’affichent pas ouvertement leur soutien à leurs collègues condamnés sont immédiatement mis en quarantaine et suspectés d’informer l’OIP et la justice, ou d’être en lien avec la CNDS.

qui n’affichent pas ouvertement leur soutien à leurs collègues mis en cause sont mis

Des « faits inacceptables », selon l’AP Le 22 janvier 2007, l’administration pénitentiaire a exprimé publiquement sa position. Pour Claude d’Harcourt, son directeur, les faits survenus à Liancourt sont « inacceptables » et « contraires à la raison d’être d’un service public ».4 Concernant le devenir des personnels mis en cause, il prend soin de préciser que six surveillants « devront s’expliquer devant l’inspection des services pénitentiaires et seront éventuellement sanctionnés », et que le directeur adjoint « fera l’objet d’une procédure disciplinaire ». Ce dernier a effectivement fait l’objet, début mars, d’une mesure conservatoire, à savoir un déplacement d’office au sein de la direction régionale des services pénitentiaires de Paris. Quant aux deux surveillants condamnés à Beauvais, suspendus de leurs fonctions en novembre, puis curieusement réintégrés au lendemain de leur condamnation, ils ont été à nouveau suspendus après la publication de l’avis de la CNDS. Ils sont à ce jour dans l’attente de leur comparution devant la commission de discipline qui, initialement prévue le 21 février 2007, a été reportée sine die, au motif que deux autres procédures judiciaires les concernant sont en cours.5 Lors d’une conférence de presse le 15 mars 2007, M. d’Harcourt s’est félicité de la mise à l’écart du directeur et de son adjoint. Interpellé sur l’incapacité de son administration à enrayer une telle dérive, il a argué du fait que « l’inspection des services pénitentiaires ne disposait pas de tous les éléments qu’a pu recueillir la CNDS, ce qui illustre la nécessité d’avoir un contrôle extérieur ». Enfin, à la question « avez-vous quelque chose à dire aux détenus victimes de ces abus ou à leurs proches », l’actuel patron de la pénitentiaire a eu cette réponse : « Non. Je ne suis pas dans une logique de repentance. Certes, la réaction des surveillants a été disproportionnée, mais je note que ces affaires ont toutes pour origine le non-respect, par les détenus, des règles qui doivent normalement régir les relations entre surveillants et détenus. » Devant la gravité des faits, la réaction de l’administration se devait d’être exemplaire et exempt de toute ambiguïté. Émanant de l’autorité à la tête des services

en quarantaine.

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pénitentiaires, ces propos sont particulièrement indignes et, surtout, inquiétants. Indignes, parce que la CNDS a mis en lumière les provocations permanentes auxquelles se livraient préalablement les agents impliqués pour pouvoir ensuite user de violences à l’encontre de détenus poussés à bout. Et l’un des détenus victimes de ces agissements s’est donné la mort. Sa famille mérite davantage de considération et d’explication sur les circonstances de ce suicide. Inquiétants, parce qu’ils ne témoignent pas d’une prise de conscience de la gravité du problème. Contrairement à ce que qu’affirme le directeur de l’administration pénitentiaire, il n’est pas question ici d’un usage mal proportionné de la force, mais de voies de fait répétées sur des personnes particulièrement vulnérables. Loin de protéger l’institution qu’il dirige et ses personnels du discrédit lié à ce type d’affaire, l’attitude de M. d’Harcourt tend à le renforcer, y compris à l’encontre de ceux qui exercent leur métier dans le cadre de la loi. François Bès

(1) P ar Nicole Guedj, secrétaire d’État aux programmes immobiliers de la Justice à l’époque. (2) É cole nationale de l’administration pénitentiaire. (3) L aurent Mauron, « Les gardiens de prison condamnés pour “bavure” », Le Parisien, 15 décembre 2006. (4) E lisabeth Fleury, « Des faits inacceptables », Le Parisien, 22 janvier 2007. (5) D eux plaintes avec constitution de partie civile ont été déposées par des détenus ou leurs proches. Suite à la transmission par la CNDS de ses avis au Parquet de Beauvais, celui-ci peut par ailleurs décider dans les semaines à venir d’ouvrir de nouvelles informations judiciaires. N°60 Mars-Avril 2007

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Alors que nombre de suspensions de peine pour raisons médicales se retrouvent ajournées faute de solutions d’hébergement, le Conseil d’État vient, le 9 mars 2007, de rappeler au service public hospitalier ses obligations : assurer l’accueil au sein de ses services ou l’orientation vers une structure médico-sociale adaptée des détenus bénéficiaires de la mesure.

Suspension de peine pour raisons médicales

Le service public hospitalier sommé de jouer son rôle Cinq ans après l’adoption de la loi du 2 mars 2002, qui a permis de suspendre les peines des personnes en fin de vie ou dont l’état de santé est durablement incompatible avec la détention, le Conseil d’État vient de rappeler au service public hospitalier ses obligations à l’égard des détenus malades. Le 9 mars 2007, le juge des référés de la juridiction a en effet enjoint l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP), à assurer l’orientation dans une structure médico-sociale adaptée des personnes détenues bénéficiant d’une suspension de peine pour raisons médicales mais ne disposant pas de solutions d’hébergement.1

Quatorze mois d’attente Cette décision du Conseil d’État intervient après plus d’un an de tentatives infructueuses pour trouver un hébergement à un détenu dont l’état de santé est « incompatible avec les conditions de détention ». Condamné à 18 ans de prison et incarcéré à Fresnes (Val-de-Marne), celui-ci est âgé de 64 ans, ne peut plus se déplacer qu’en fauteuil roulant, poussé par un tiers, et souffre de diverses pathologies (diabète insulinodépendant, hypertension artérielle, cardiopathie, artérite des membres inférieurs, bronchite chronique obstructive et obésité), auxquelles s’ajoutent des troubles neurologiques (dépression, somnolence, perte de mémoire). Sa situation médicale a conduit le tribunal de l’application des peines de Créteil à affirmer qu’il remplissait les conditions d’octroi de la suspension de peine dès le 17 janvier 2006. Depuis cette date pourtant, il se trouvait en prison. La mesure n’avait en effet pu être prononcée en raison de l’absence d’un lieu d’accueil adapté. Las de ces ajournements successifs, les juges de Créteil avaient fini par prononcer la mesure, le 24 octobre 2006, en spécifiant que, pour être mise en œuvre, une solution de prise en charge médicalisée à la sortie devait être trouvée, et ce dans un délai d’un an. La situation ne se débloquant touN°60 Mars-Avril 2007

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jours pas, l’avocat du détenu, Me Etienne Noël a mis en demeure l’AP-HP, dont dépend la prise en charge sanitaire des personnes détenues, d’assurer dans un délai de onze jours sa prise en charge dans une structure adaptée. En l’absence de réponse, le juge des référés de Paris a été saisi le 8 février 2007, mais s’est déclaré incompétent. Le Conseil d’État a pour sa part considéré que, « le présent litige [opposant] seulement un établissement hospitalier et une personne demandant à y être accueillie pour des soins », il relevait donc « de la compétence du juge administratif ».

Une voie de recours ouverte Pour l’avocat de l’AP-HP, les deux requérants, l’OIP et le détenu, se sont « trompés de cible », faisant valoir les nombreuses démarches des médecins de Fresnes pour trouver à l’intéressé une place en maison de retraite et la quarantaine de refus obtenue en retour. L’argument n’a pas convaincu. Citant l’article L.6112-2 du Code de la santé publique, le magistrat a en effet souligné dans sa décision que les établissements hospitaliers « sont ouverts à toutes les personnes dont l’état de santé requiert leur services », qu’ils doivent donc « être en mesure de les accueillir de jour et de nuit, éventuellement en urgence, ou d’assurer leur admission dans un autre établissement ». De plus, ils doivent veiller « à la continuité des soins, en s’assurant qu’à l’issue de leur admission ou de leur hébergement, tous les patients disposent des conditions d’existence nécessaires à la poursuite de leur traitement. À cette fin, ils orientent les patients sortants ne disposant pas de telles conditions d’existence vers des structures prenant en compte la précarité de leur situation ». En outre, a rappelé le magistrat, « l’AP-HP, dont dépend l’unité de consultation et de soins ambulatoires (UCSA) du CHU de Bicêtre chargée de soigner les détenus de la maison d’arrêt de Fresnes, [a pour] obligation de veiller à la continuité des soins assurés [au détenu] par cette UCSA ».


ACTU

Près d’un refus Ce qui implique que, si son « état […] ne nécessite ni un service de soins “aigus” en médecine gériatrique, ni une hospitalisation de long séjour, il lui appartient néanmoins d’orienter vers une structure adaptée ». Au final, le juge des référés a rejeté la requête, pour des raisons de forme, mais a souligné qu’une décision de refus de l’AP-HP pouvait faire l’objet d’une procédure de référé-suspension devant le tribunal administratif, sur le fondement d’un autre article (L.521-1).2 L’AP-HP n’a ainsi eu d’autre choix que de trouver une solution au plus vite. Ce qui fut fait le 19 mars, date d’admission du détenu au service de gérontologie de l’hôpital du Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne).

de suspension de peine sur cinq serait dû à l’absence d’une solution d’hébergement.

Un cas parmi beaucoup d’autres

© Célia Quilleret / Radio France

Cette décision a une portée qui dépasse largement le cas de ce détenu. L’application des suspensions de peine se heurte en effet bien souvent à l’absence de solutions d’hébergement médicalisé. Selon une enquête réalisée par l’Association nationale des juges de l’application des peines, près d’un refus de suspension sur cinq serait dû à cette difficulté. C’est d’ailleurs pour cette raison, que le tribunal de Créteil, dont dépend l’hôpital pénitentiaire de Fresnes, a décidé de mettre en œuvre sa démarche, qu’il qualifie

de « jurisprudence d’impuissance », consistant à prononcer des « suspensions de principe » qui ne deviennent exécutoires que lorsqu’une structure d’accueil a été trouvée. Ce problème récurrent a déjà été soulevé à maintes reprises, notamment par la Commission nationale consultative des droits de l’homme dans son Étude sur l’accès aux soins des personnes détenues ou plus récemment par le Comité consultatif national d’éthique dans son avis sur La santé et la médecine en prison (lire page suivante). Il l’a été une fois de plus par le Pôle « Suspension de peine » le 28 février dernier, à l’occasion des cinq ans de la loi. Au nom de ce dernier, Nathalie Vallet, de l’Arapej (Association réflexion action prison et justice), a notamment mis en avant la faiblesse du nombre de place offertes par les structures d’accueil potentielles, comme les appartements thérapeutiques, les unités de long ou de moyen séjour ou les lits de soins palliatifs : une place pour dix demandes. Sans compter que, trop souvent, ces structures se montrent réticentes à accueillir une population mal connue, désinsérée et paupérisée. Sur cette question, comme sur d’autres problèmes récurrents dans l’application de la loi, le Pôle réclame la mise en œuvre d’une « politique volontariste et dynamique », et notamment la constitution du « groupe de travail sur l’hébergement » promis par les ministères de la Justice, de la Santé et des Affaires sociales le 25 janvier 2005, mais qui n’a jamais vu le jour. Il y a pourtant urgence. Depuis 2004, le nombre de suspensions de peine accordées décroît « de façon alarmante » : 73 en 2004, 57 en 2005 et 49 en 2006. « Depuis 2002 et jusqu’à décembre 2006, rappelle ce collectif, seules 269 suspensions de peines ont été accordées (soit à peu près la moitié des demandes présentées) ». Dans le même temps, sans compter les suicides, plus de 400 personnes sont décédées en prison. Stéphanie Coye (1) Requête n°30182. (2) C ette procédure implique que le requérant démontre que la décision lui préjudicie de façon grave et immédiate et qu’il existe un doute sérieux quant à sa légalité.

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Santé en prison

Le comité d’éthique exerce son devoir d’ingérence Rendu public le 8 décembre 2006, l’avis sur la santé et la médecine en prison du Comité consultatif national d’éthique est non seulement « une interpellation vive et précise du retentissement de l’incarcération sur la santé physique [et] mentale des détenus », mais aussi une critique cinglante de l’institution carcérale. « Nous n’avons voulu laisser aucune échappatoire à ceux qui le lisent », a expliqué le professeur Didier Sicard, en présentant l’avis sur la santé et la médecine en milieu carcéral1 rendu par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) qu’il préside. À la lecture du document, la volonté de frapper fort est effectivement indéniable. Cette autorité indépendante, plutôt habituée à se prononcer sur les nanosciences ou les cellules souches, dresse un tableau sévère de la prison, décrite comme « un lieu de régression, de désespoir, de violences […] et de suicide ». Il s’agit d’ailleurs, affirme son président, de l’avis « le plus accablant jamais délivré par le Comité ». À l’origine, il n’avait pourtant été saisi par l’OIP que sur la seule circulaire de novembre 2004, qui prévoit la présence de surveillants et le port de menottes et entraves par les détenus durant les consultations à l’hôpital. Le CCNE a cependant « estimé de son devoir d’élargir sa saisine ».

La prison en accusation Certes, nombre des constats dressés par l’avis sont déjà connus (vieillissement, hygiène, sur-suicidité), mais son intérêt réside avant tout dans son parti pris : observer l’ensemble des conditions de détention sous l’angle médical et éthique, et mesurer ainsi le « retentissement de l’incarcération sur la santé physique, mais aussi mentale des détenus ». Et le jugement est sans appel. La surpopulation, écrit le CCNE, « constitue […] une agression psychologique majeure, et une atteinte à la dignité humaine ». Elle aboutit de plus à une « violence omniprésente », elle-même « exacerbée […] par l’intrusion massive de la maladie mentale au sein de la prison » et par « le défaut d’écoute des problèmes humains vécus, […] dont l’approche est uniquement et démesurément sécuritaire ou médicamenteuse ». Les longues peines, note le CCNE, peuvent « engendrer une “maladie de l’enfermement” conduisant parfois à une demande de mort ». Plus loin, le Comité s’étonne cette fois du maintien du quartier disciplinaire, N°60 Mars-Avril 2007

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qui « recèle le même degré d’inhumanité » que les quartiers de haute sécurité, supprimés il y a plus de 20 ans. L’isolement pose également « une grave question éthique », celle de la « limite entre punition, traitement dégradant et torture ». Quant à la question du port des menottes et entraves et de la présence des surveillants durant les consultations à l’hôpital, « ces pratiques constituent incontestablement une humiliation et un traitement inhumain et dégradant », qui mettent « en péril la relation de confiance entre le médecin et le malade » et peuvent « porter atteinte à la qualité de l’examen médical », quand elles aboutissent à « un refus de soin tout à fait légitime » de la part du détenu.

Le médecin complice Concernant le personnel médical, le CCNE relève la confusion « entre le rôle du médecin comme soignant au service du patient et comme expert de l’administration pénitentiaire ». Or, rappelle-t-il, « une véritable relation de confiance […] ne peut pas s’établir si le médecin est à la fois celui qui écoute et soigne le patient et celui qui autorise la poursuite d’une sanction disciplinaire qui peut mettre en jeu la santé mentale du détenu ». Plus généralement, se pose pour le médecin « le problème éthique de la limite entre l’obligation de mener sa mission essentielle et le risque de devenir une caution, voir un complice de conditions de détention qui portent atteinte à la santé physique ou mentale ». La réponse du Comité est sans ambiguïté : les soignants ont un « devoir d’ingérence ». Qui peut aller jusqu’à la dénonciation publique, a affirmé son président lors de la conférence de presse. D’autant que les atteintes au droit à la protection de la santé ne sont que le « révélateur d’un problème plus large », celui du « nonrespect des droits fondamentaux et de la dignité de la personne détenue ». C’est pourquoi, « le CCNE en appelle de manière urgente aux pouvoirs publics, aux élus, au législateur, et aux autorités sanitaires ». Serat-il entendu ? Stéphanie Coye (1) C omité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, « La santé et la médecine en prison », avis n°94, 26 octobre 2006, www.ccne-ethique.fr/


DE FACTO

Procès des évadés de Luynes

La pénitentiaire en accusation

Le procès de l’évasion héliportée survenue en 2003 à la maison d’Aix-Luynes a donné lieu à de sévères mises en cause des mesures de sécurité draconiennes et brimades infligées aux accusés par l’administration pénitentiaire. Tout au long des débats qui se sont tenus du 15 au 19 janvier 2007 devant la Cour d’assises des Bouches-du-Rhône, les quatre détenus ont en effet interpellé magistrats et jurés au sujet des transferts incessants et de l’isolement de très longue durée dont ils font l’objet depuis leur arrestation. Cité comme témoin, un médecin psychiatre a décrit les effets psychologiques délétères d’un tel régime de détention, tandis qu’un juriste de l’OIP a rappelé à la barre que de telles mesures étaient qualifiées de traitement inhumain et dégradant par le Comité européen de prévention de la torture du Conseil de l’Europe. En outre, les accusés ont fait état d’incidents impliquant les Équipes régionales d’intervention et de sécurité (ERIS), chargées, pendant le procès, de leur surveillance en maison d’arrêt. Ils ont ainsi expliqué à la Cour être soumis chaque matin à une fouille corporelle poussée, et de surcroît filmée. L’un d’eux, Pascal Payet, a affirmé avoir été frappé par les ERIS après son refus de se plier à une inspection anale. Pour appuyer ses propos, il a montré son torse contusionné. Un autre, Éric Alboréo, s’est présenté dans le box le visage violacé, indiquant avoir subi le même sort. Le président a assuré aux intéressés que les images vidéo correspondantes seraient visionnées. Les accusés ont été condamnés à des peines allant de cinq à sept années d’emprisonnement pour l’évasion. À ce jour, aucune enquête n’a été diligentée sur les faits imputés aux ERIS. (OIP, AFP, Libération)

Un détenu suicidaire attaché à son lit d’hôpital

© Anne-Marie Marchetti

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Une personne détenue à la maison d’arrêt de Dijon (Côte d’Or) a été maintenue attachée à son lit pendant trois semaines au Centre hospitalier spécialisé (CHS) de la ville. Présentant un risque suicidaire important, C.R. a été hospitalisé d’office le 27 juin 2006, sur décision du préfet. En l’absence de chambre sécurisée disponible, décision a été prise de le soumettre immédiatement à une prescription médicale de contention. Ce qui signifie que, jusqu’à la fin de son séjour le 17 juillet, C.R. s’est retrouvé sanglé à son lit au niveau du bassin, des deux pieds et de l’une de ses mains. Pour prévenir tout risque de phlébite résultant de sa contention, des injections ont dû lui être faites entre le 5 et le 14 juillet. Dénon-

de facto

çant ces conditions d’hospitalisation, le personnel médical a réclamé à la direction des moyens supplémentaires tant humains que matériels. Le 11 juillet, soit deux semaines après l’arrivée de C.R., une aide-soignante a finalement été affectée au service, une ou deux heures par jour, pour permettre au patient de se lever et de sortir de sa chambre. Selon la direction du CHS, « les décisions ont été prises dans l’intérêt du patient », « après évaluation du rapport bénéfice/risque sur le plan de la sauvegarde de l’intégrité psychique du patient ». Dans son rapport sur la prévention du suicide des personnes détenues, remis au gouvernement en novembre 2003, le professeur Jean-Louis Terra indiquait pour sa part que « les mesures passives de protection, c’est-à-dire sans la participation de la personne, ou les mesures imposées » ne doivent être envisagées que comme « des solutions de dernier recours », car « elles peuvent être perçues comme un manque de confiance et comme blessantes et inutiles ». « De ce fait, expliquait-il, elles sont à réserver lorsque les différentes interventions ont été un échec et que rien ne semble dissuader la personne ». (OIP)

Fresnes : traitement dégradant pour un détenu paraplégique

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Par un arrêt du 24 octobre 2006 (requête n°6253/03), la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour traitement dégradant, en raison du maintien d’un détenu paraplégique dans une maison d’arrêt inadaptée à son handicap. Le requérant, qui présentait un taux d’invalidité de 85 %, a séjourné à la maison d’arrêt de Fresnes (Val-de-Marne) entre février et juin 2003, où il partageait N°60 Mars-Avril 2007

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de facto une cellule spécialement aménagée avec un autre détenu paraplégique. Toutefois, si le mobilier de la cellule était adapté à son handicap, l’intéressé a notamment fait valoir qu’il avait dû attendre deux mois qu’une chaise soit mise à sa disposition pour qu’il puisse prendre sa douche. En outre, l’étroitesse des portes de son unité ne lui permettait pas de les franchir avec son fauteuil roulant. De ce fait, il ne pouvait accéder seul aux activités culturelles, d’enseignement ou aux locaux des services médicaux. La Cour a considéré que « le fait que, pour passer des portes, le requérant ait été contraint d’être porté pendant qu’une roue de son fauteuil était démontée, puis remontée après que le fauteuil eut passé l’embrasure de la porte [pouvait] être considéré comme rabaissant et humiliant, outre le fait que le requérant était entièrement à la merci de la disponibilité d’autres personnes ». La Cour a également retenu que l’intéressé avait vécu dans ces conditions quatre mois durant, alors que sa situation avait été constatée par le service pénitentiaire d’insertion et de probation et un médecin de l’établissement, et que son maintien à Fresnes ne répondait pas à une nécessité impérieuse, d’autres maisons d’arrêt de la région parisienne étant susceptibles d’assurer son hébergement dans de meilleures conditions. Les juges ont accordé quatre mille euros à l’intéressé, en réparation du dommage subi.

de l’hospitalisation de J.P., son frère a joint par téléphone la maison d’arrêt pour réserver un parloir. Selon un surveillant gradé, ce dysfonctionnement est dû à « un problème de communication » entre les surveillants et le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP), à qui il revenait selon lui la charge de prévenir la famille. De fait, « il y a eu boulette », a confirmé un membre du SPIP. Le directeur adjoint de la maison d’arrêt a quant à lui expliqué que « les services pénitentiaires disposaient bien du numéro de téléphone du frère de J.P. mais qu’ils n’avaient pas pensé à le prévenir » car, dans ce genre d’extraction médicale, « habituellement, les détenus reviennent le lendemain ». Dans le même temps, il a fait valoir la problématique du secret médical : « Il s’agit de déterminer si le détenu souhaite que l’on prévienne la famille. Or, en l’espèce, c’était très difficile car J.P. est parti dans un état plus que pitoyable ». De surcroît, s’est-il défendu, « après avoir appelé l’hôpital le vendredi et le samedi, nous n’avons eu connaissance du diagnostic définitif que le dimanche en début d’après-midi ». Un médecin du CHU en charge de J.P. a pourtant soutenu que « les services de la maison d’arrêt ont été prévenus peu de temps après son arrivée, notamment pour les informer que le type de méningite dont souffrait J.P. n’était pas contagieux et ne nécessitait

donc pas de traitement prophylactique des codétenus et des personnels pénitentiaires ». Une fois sorti du coma, J.P. a été transféré à l’Unité hospitalière sécurisée interrégionale (UHSI) de Lyon. (OIP, La Montagne)

Rouen : la maladie mentale à coup de mitard

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Transféré à la maison d’arrêt de Bois d’Arcy (Yvelines), l’auteur présumé d’un acte d’anthropophagie contre un codétenu de la maison d’arrêt de Rouen dans la nuit du 2 au 3 janvier 2007 s’est vu infliger une sanction de 45 jours de mitard par la commission de discipline, le 17 janvier. Répondant à l’avocat de l’intéressé qui faisait valoir que le discernement de son client était aboli au moment du meurtre, la direction a justifié sa décision en indiquant que « l’irresponsabilité de l’auteur des faits ne saurait être retenue dans le cadre d’une procédure administrative […] et que toute mise au quartier disciplinaire prévoit la communication et le signalement le jour même tant à l’UCSA qu’au SMPR ; dès lors, l’état de santé du détenu sera pris en compte par le personnel de santé compétent ». La gravité de l’état psychique de l’intéressé était telle que le préfet des Yvelines a décidé, le 25 janvier, son hospitalisation d’office en Unité pour malades difficiles. Saisi

(OIP)

Riom : la famille d’un détenu tenue dans l’ignorance de son état critique

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C’est en se rendant au parloir de la maison d’arrêt de Riom (Puy-de-Dôme), le lundi 8 janvier 2007, qu’un homme a appris, par le directeur adjoint de l’établissement, que son frère, J.P., avait été hospitalisé trois jours plus tôt et que ses jours étaient en danger. Le vendredi précédent, J.P. avait en effet été conduit en urgence au CHU de Clermont-Ferrand pour une méningite à pneumocoque et aussitôt placé dans un coma artificiel. En dépit de la réglementation qui prévoit une information immédiate de la famille dans de telles circonstances, les proches n’ont donc été alertés que par hasard. Un défaut d’information d’autant moins compréhensible que le lendemain N°60 Mars-Avril 2007

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MOINS DE PRISON

L’ENVOL DES PEINES Début février, une jeune femme de 27 ans est condamnée à un mois de prison ferme par le tribunal de grande instance de Dijon (Côte d’Or) pour avoir tenté de dérober pour 52,60 € de nourriture dans un supermarché. La direction du magasin n’a pourtant pas porté plainte, les marchandises étant restées à la caisse lorsque cette mère de trois enfants a été interpellée par un vigile. À l’avocate de permanence, cette femme affirme qu’elle destinait cette nourriture à ses enfants. Étant salariée, elle explique ne pas avoir accès à un certain nombre de services sociaux, mais que son revenu est insuffisant pour assurer le quotidien de la famille. Le procureur insiste sur un antécédent non jugé, qui faisait de cette jeune femme, selon lui, une dangereuse récidiviste. L’avocat a immédiatement fait appel. Le 27 février, c’est un sandwich à 1,09 € qui a valu la même peine à un Rmiste de 28 ans, condamné par le tribunal correctionnel de Roanne (Loire). « 1,09 euro, ça peut faire sourire, mais moi, ça ne me fait pas rire. C’est un vol et un vol commis par un récidiviste », a déclaré dans son réquisitoire la procureure de Roanne. (L’Humanité, AFP)


DE FACTO d’un recours hiérarchique contre la sanction disciplinaire, le directeur régional des services pénitentiaires a néanmoins refusé de revenir sur la décision du chef d’établissement. La jurisprudence administrative considère pourtant que l’existence de « troubles pathologiques graves affectant l’état de santé mentale fait obstacle à ce que l’intéressé soit regardé comme responsable de ces actes ». La Cour européenne des droits de l’homme estime pour sa part que le maintien en isolement disciplinaire d’un malade mental peut constituer un traitement dégradant. Dans ces conditions, l’avocat a décidé de saisir le tribunal administratif d’un recours pour excès de pouvoir.

accidents graves se soient encore produits ces derniers mois et que l’administration pénitentiaire ait été une nouvelle fois condamnée par un arrêt du 7 janvier 2007 de la Cour administrative d’appel de Nancy pour le décès par asphyxie d’un détenu dans un feu de cellule, le ministère de la Justice n’a pas cru nécessaire d’entreprendre les actions sollicitées. L’OIP a donc demandé au Conseil d’État de l’y contraindre, invoquant la mission de prévention et de protection qui incombe à la puissance publique.

Imposer la sécurité incendie en prison

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Deux actions ont été intentées devant le Conseil d’État, respectivement par le Syndicat des avocats de France (SAF) et l’OIP, contre le refus du garde des Sceaux de prendre les mesures de sécurité contre les incendies qui lui étaient réclamées. L’une vise à l’adoption de la réglementation applicable à l’ensemble des établissements pénitentiaires, l’autre au renforcement des exigences techniques concernant les matelas équipant les prisons. Sur le premier point, des règles de sécurité ont bien été fixées par un arrêté du 18 juillet 2006, sur demande du SAF, mais elles ne visent que les établissements à construire ou ceux faisant l’objet de travaux importants postérieurement à la parution du texte. Aucune disposition n’est actuellement prévue s’agissant des autres établissements, contrairement à ce que prévoit le Code de la construction et de l’habitation depuis 1973. S’agissant des matelas, l’OIP avait demandé au ministre de les équiper sur le champ de housses ignifugées inamovibles, compte tenu de la fréquence des décès dans des incendies de cellules. L’OIP réclamait également que des études techniques soient réalisées, en vue d’établir une réglementation qui élimine ou réduise les risques liés à la combustion du matériel de literie. La Commission nationale de déontologie de la sécurité avait formulé une recommandation en ce sens en 2003, après la mort de deux mineurs à la maison d’arrêt de Lyon. Bien que plusieurs

(OIP)

(OIP)

Vers une plus grande transparence des associations socioculturelles Les statuts et bilans financier et d’activités des associations socioculturelles et sportives œuvrant dans les établissements pénitentiaires devront être dorénavant communiqués à toute personne qui en fait la demande. C’est ce qu’a décidé la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), dans un avis du 7 décembre 2006 (avis n°20064780-JB). Saisie de cette question le 9 octobre 2006, suite au refus de transmission de ces documents par le président de l’association de Bourg-en-Bresse, la Commission a en effet considéré que l’association socioculturelle et sportive d’un établissement pénitentiaire, « au regard de la mission d’intérêt général qu’elle assure et du contrôle qu’exerce sur elle l’administration », devait « être regardée comme chargée de la gestion d’un service public ». « Les documents qui se rapportent à son activité, poursuit-elle, constituent dès lors des documents administratifs », donc « communicables de plein droit à toute personne qui en fait la demande » en vertu de la loi du 17 juillet 1978. La CADA s’est fondée pour cela sur la jurisprudence du Conseil d’État, qui a considéré à plusieurs reprises qu’une personne privée, telles que les Assedic ou une association para-municipale de culture et loisirs, devait être regardée comme en charge de la gestion d’un service public si elle était investie d’une mis© Bertrand Desprez / Agence Vu

(OIP)

sion d’intérêt général, qu’elle disposait de prérogatives de puissance publique et était soumise à un contrôle de l’administration. Cette décision permettra, à n’en pas douter, une plus grande lisibilité du fonctionnement et de la gestion de ces associations, dont le « manque de transparence et de clarté dans le bon usage des fonds » et « les risques d’abus en tous genres » ont été dénoncés par l’administration pénitentiaire elle-même.

de facto

Semi-liberté à Lyon : le CSL réinsère mieux que la famille

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À Lyon (Rhône), le juge de l’application des peines (JAP) en charge du centre de semi-liberté (CSL) semble bien peu préoccupé par la question des liens familiaux. Depuis son arrivée en septembre 2006, il a en effet décidé de limiter le nombre de permissions de sortir accordées aux détenus du CSL à un seul week-end par mois avant la mi-peine, puis deux après. Cette règle est d’autant plus dommageable pour les personnes en semi-liberté et leur famille qu’« il n’y a pas de visite ni de parloir au CSL, sauf circonstances exceptionnelles », ainsi que le précise le chef d’établissement. Le Code de procédure pénale prévoit pourtant que, « en vue de faciliter le reclassement familial des détenus à leur libération, il doit être particulièrement veillé au maintien et à l’amélioration de leurs N°60 Mars-Avril 2007

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de facto

(OIP, Libération, Le Progrès)

Prière de laisser son salaire à la sortie de Fleury

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La maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne) ne disposait plus de trésorerie, suite à « des difficultés techniques ». Résultat : les personnes libérables entre le 8 et le 31 décembre 2006 ont dû se résigner à sortir sans que leur soit versé le salaire correspondant au travail effectué durant le mois. C’est ce qui est notamment arrivé à N.M., un Roumain de 26 ans sans domicile, qui a appris au moment de sa libération, le 13 décembre, que son dernier salaire, correspondant au travail effectué aux ateliers de la maison d’arrêt du 1er au 13 décembre, ne pouvait lui être versé. Réclamant les 160 euros qui lui étaient dus, il est resté deux jours devant l’abri des familles jouxtant la prison, avant de finir par accepter d’être escorté vers un hôtel par la gendarmerie. Selon la direction de l’établissement, son salaire lui a finalement été versé le 26 décembre. Elle affirme qu’entre temps, pour tenir compte de « cette difficulté » à la libération, elle lui a fait bénéficier « de trois kits indigents, N°60 Mars-Avril 2007

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composés de plusieurs tickets services, billets de RER et tickets de bus », et lui a également réservé une chambre d’hôtel « le temps de pouvoir débloquer sa situation », et ce « bien que N.M. ait été libéré le 13 décembre avec un pécule de 206,77 e ». Dans un courrier adressé à l’OIP le 21 février, elle explique que ce dysfonctionnement est dû à « la mise en œuvre de la LOLF » (loi organique relative aux lois de finances), qui « a posé des difficultés techniques en fin d’année 2006 ». Entre le 8 et le 31 décembre, la régie budgétaire des établissements pénitentiaires n’était alors « plus en droit de procéder à des avances, jusqu’à la mise en place du compte de commerce au 1er janvier 2007 ». La seule solution trouvée par l’établissement a donc été de proposer aux personnes libérées « d’indiquer le mode de paiement qu’ils souhaitaient, ainsi que l’adresse à laquelle le salaire pourrait leur être envoyé ». Répondant aux critiques de la Cour des comptes sur la gestion comptable de l’administration pénitentiaire, le garde des Sceaux Pascal Clément avait pourtant affirmé, début 2006, qu’un nouveau dispositif de « régisseurs d’avance et de recettes » avait été mis en place lors de l’entrée en vigueur de la LOLF, qui devait permettre « de maintenir, pour les détenus, la possibilité de bénéficier en temps réel du produit de leur travail et de compléter leur ordinaire par les achats de la cantine ».

(OIP)

À trois jours de sa sortie, un détenu empêché d’assister aux obsèques de son père

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M.R., détenu au centre pénitentiaire de Liancourt (Oise) n’a pas pu assister aux obsèques de son père prévues le 7 novembre 2006, ses demandes de permission de sortir et d’autorisation de sortie sous escorte ayant été rejetées par le juge de l’application des peines (JAP). Motif : la « dangerosité certaine » de l’intéressé. À cette date, M. R. est pourtant à trois jours seulement de sa libération. Il est en outre lourdement handicapé et ne se déplace qu’en fauteuil roulant. Ce qui n’a pas échappé au JAP du tribunal de grande instance de Beauvais. Celui-ci note cependant que, « bien que ce détenu soit handicapé à 80 % suite à deux accidents vasculaires cérébraux, [...] il n’a pas

fait les efforts attendus d’un condamné pour bénéficier d’un aménagement de peine classique ». Le magistrat a en outre retenu une expertise médico-psychologique datant de 1998 qui concluait à « une personnalité psychotique, de type schizo­phrénique » et précisait que les faits ayant entraîné sa condamnation étaient directement liés à ces troubles et que « le risque de récidive n’était pas négligeable ». Aux yeux du magistrat donc, « le profil particulièrement dangereux » de M.R. n’a fait aucun doute, et ce d’autant moins qu’un rapport du service pénitentiaire d’insertion et de probation fait état d’un « comportement difficile en détention jusqu’à son arrivée à Liancourt en février 2006 », où il s’est montré « correct mais revendicatif ». Pour cou-

© Simon Jourdan

relations avec leurs proches ». À l’opposé de ces dispositions, « l’évolution actuelle, dénonce le directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation (DSPIP) du Rhône, amène la plupart des semi-libres à abandonner pour des périodes allant jusqu’à quatre semaines tout lien direct avec les proches et la famille ». D’autant, ajoute-t-il, que si les personnes placées en semi-liberté sont habituellement libres la journée pour se rendre à leur travail, « on ne peut prétendre à ce que [la] relation directe [entre le condamné et ses proches] puisse avoir lieu “à la sauvette” à l’intérieur du temps de l’activité ou des trajets sans exposer les condamnés à des difficultés majeures liées aux situations de stress et de frustration qu’elle pourrait entraîner ». De son côté, le juge ergote : « Avec les moyens dont nous disposons, nous ne savons même pas où dorment les condamnés, s’ils sont dans leurs familles. Je ne vois pas en quoi cela favorise leur réinsertion ». Un argument réfuté par le DSPIP qui affirme qu’« aucun incident ou dérive dans la situation précédente » ne saurait « être une justification de cette nouvelle politique ».

ronner le tout, le magistrat a relevé que l’intéressé ne reconnaissait pas les faits à l’origine de sa condamnation et avait, par deux fois, refusé de se soumettre à un prélèvement biologique. S’agissant de la demande d’autorisation de sortie sous escorte, le juge a indiqué avoir contacté la gendarmerie, mais que la constitution d’une escorte le jour même s’était révélée impossible « au vu du profil de l’intéressé qui nécessite des renforts particuliers ». Le fait que son frère pouvait le prendre en charge durant son séjour à l’extérieur n’a pas influencé la décision du magistrat. Pas plus que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (arrêt Ploski c/Pologne, 12 novembre 2002) qui considère que, s’agissant des personnes


DE FACTO détenues, « le refus de la permission d’assister aux funérailles d’un parent ne peut être justifié que si des raisons majeures, impérieuses s’y opposent ». (OIP)

Pas de retraite complémentaire pour les salariés détenus

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La discrimination dont font l’objet les travailleurs incarcérés perdure. Confirmant sa stricte interprétation de l’article 717-3 du Code de procédure pénale selon lequel « les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l’objet d’un contrat de travail », la Cour de cassation vient en effet de refuser, dans un arrêt du 11 octobre 2006, d’étendre aux détenus travailleurs l’application du régime

complémentaire de retraite des salariés. Elle avait été saisie de cette question par M.P qui, ayant travaillé pendant deux ans et demi en détention, avait été affilié au régime de base de l’assurance vieillesse, mais se plaignait de ne pas avoir été affilié au régime complémentaire. Le système de retraite s’organise en effet en deux niveaux : « la retraite de base » (l’assurance vieillesse de la sécurité sociale) et « la retraite complémentaire », qui est devenue obligatoire pour l’ensemble des salariés. La loi prévoit que les personnes détenues effectuant un travail sont, comme les salariés, affiliées à l’assurance vieillesse de la sécurité sociale. Sur ce fondement, M.P. soutenait donc devoir bénéficier de la protection com-

plémentaire obligatoire de ce même régime. La Cour a refusé cette interprétation et rejeté le pourvoi au motif « qu’aucun texte ne prévoit l’assujettissement des détenus effectuant un travail en milieu carcéral au régime obligatoire de protection sociale complémentaire ». Pour le juge, l’absence de contrat de travail en détention exclut par principe l’application du régime des prestations sociales comme de l’ensemble du droit du travail. Les travailleurs affiliés au régime général des retraites recouvrent ainsi toujours deux catégories : certains sont salariés, d’autres détenus… (OIP)

22 mois d’attente pour une consultation anti-douleurs

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S’il est malheureusement courant en prison que les extractions médicales soient annulées ou reportées faute d’escorte disponible, cet état de fait est, semble-t-il, devenu « la norme » à Nantes (Loire-Atlantique), selon un membre du personnel médical de la maison d’arrêt. Une personne détenue dans l’établissement depuis décembre 2004 en a fait l’amère expérience, en attendant plus de 22 mois une consultation dans un centre anti-douleurs. En détention provisoire et détenteur d’une carte d’invalidité à 80 % suite à un accident de la route, A.G a demandé en mars 2005 à pouvoir bénéficier de cette consultation au centre d’évaluation et de traitement de la douleur de l’hôpital de la ville, où il était régulièrement suivi avant son incarcération. Il ne l’a pourtant obtenue qu’à la fin du mois de décembre 2006. Entre temps, trois rendez-vous avaient été pris, puis annulés, soit par le CHU, soit par les services pénitentiaires. Interrogée, la direction du centre pénitentiaire déclare ne « pouvoir justifier les annulations », mais « seulement les expliquer ». Selon elle, les deux dernières étaient dues à « une insuffisance des ressources pénitentiaires pour faire face à plusieurs missions programmées sur un même jour ». Elle a cependant assuré qu’« en concertation avec les services médicaux, un travail [était] actuellement mené pour adapter des solutions propres à ces situations et améliorer la concertation entre ces secteurs ». Gageons que ce travail permettra enfin de répondre aux exigences de la Commission natio-

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nale consultative des droits de l’homme qui, dans son Étude sur l’accès aux soins des personnes détenues adoptée le 19 janvier 2006, rappelle « que la mise en œuvre des extractions médicales ne doit pas être considérée comme une mission secondaire par les différentes autorités compétentes » et que « les responsabilités respectives des différents services devraient être clairement fixées ». (OIP)

Étrange agression à Villefranche-sur-Saône

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Les agresseurs ont-ils reçu un « feu vert » de trois membres du personnel péniten­ tiaire avant de tabasser un de leurs codétenus dans la cour de promenade ? C’est ce que prétendent trois des cinq mis en cause dans une affaire de violences commises le 7 mars 2004 à la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône, qui a entraîné pour la victime la perte d’un œil. Lors de l’audience devant la Cour d’assises du Rhône en février dernier, ils ont en effet affirmé que, « ce matin-là, les surveillants de la promenade de 8 heures [leur] ont fait comprendre que si l’autre “tombait” dans la cour, ils ne verraient rien ». Motif allégué : la victime, incarcérée depuis un mois dans l’établissement, exaspérait tout le monde en appelant à la prière des heures durant, en insultant les gardiens ou encore en actionnant sans raison la sonnette d’alarme. Pour conforter ces accusations, l’un des prévenus avance qu’il « n’y a pas [eu] de palpation à l’aller et pas plus au retour », ce qui lui aurait permis de transporter dans ses poches le cendrier qui a servi à l’agression. La défense met également en avant certains éléments qu’elle juge troublants, comme le fait qu’une erreur de calcul a été faite sur le nombre de personnes présentes dans la cour lors de son évacuation, que le parquet n’a été prévenu que 24 heures après les faits, ou encore qu’il a fallu attendre une vingtaine de jours avant que soit effectuée la fouille qui a permis de découvrir le cendrier. Autant de questions jugées « embarrassantes » par l’avocat général, qui a promis l’ouverture d’une enquête pour que « toute la lumière soit faite ». En attendant, les agresseurs ont été condamnés à des peines allant de 10 mois à 6 ans de prison. (Le Progrès)

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dossier

Les alternatives sortent de l’ombre

En modifiant la Constitution, le Parlement vient de consacrer la suppression de la peine de mort votée il y a un quart de siècle. « Nous accomplissons le vœu de Victor Hugo en 1848, l’abolition pure, simple, irréversible », a rappelé Robert Badinter à Versailles. Contemporains de cet acte à la portée symbolique et morale considérable, nous n’ignorons pas pour autant que le temps présent est à une autre croisée des chemins, qui concerne la place et le devenir, dans notre pays, de la peine d’emprisonnement. La publication par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) d’une Étude sur les alternatives à la détention est donc particulièrement opportune. Elle parachève une démarche inédite de réflexions et de propositions conduites sur plusieurs années autour d’un même questionnement : Comment sanctionner dans le respect des droits de l’homme ?

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LES ALTERNATIVES SORTENT DE L’OMBRE

Plus de deux siècles nous séparent de ces jours de la Révolution française où naquit l’idée de faire de l’emprisonnement une peine à part entière. Depuis lors, le constat de l’inaptitude de la prison à être – ou devenir – un « lieu de redressement des délinquants par une discipline pénitentiaire » s’accompagne d’une incapacité à imaginer la sanction pénale « ailleurs » et, peut-être surtout, « autrement ». « Faire de l’emprisonnement une étape de la réinsertion est utopique. La prison a une efficacité à court terme, car elle neutralise la personne, mais elle ne réinsère pas, et ne prévient pas la récidive. Il est donc nécessaire de réfléchir à autre chose » considère le magistrat Jean-Yves Monfort. Mais de quoi retourne cet « autre chose » ? Et sur quoi repose-t-il exactement ? Pour Jean-François Cauchie, sociologue et criminologue canadien, il faut abandonner « l’idée que le mal est nécessaire pour produire un bien » et cesser d’ « opposer protection de la société et protection de ses membres criminalisés ». Il s’agit donc de s’attacher à faire émerger une philosophie pénale témoignant de la volonté de « punir sans humilier, blâmer sans exclure, désapprouver mais en parler ». Vaste programme, qui suppose une profonde évolution du discours juridique sur la peine à l’image de celle partiellement intervenue en Belgique en 1997. À cette date, une sanction de travail d’intérêt général a été créée, qui doit désormais s’y entendre comme une « proposition faite […] à l’auteur d’une infraction de poser des actes positifs au bénéfice de la société en contrepartie du trouble […] occasionné ». Cet impératif de punir autrement repose sur trois principes : « c’est une sanction qui doit être acceptée [et non plus imposée] ; l’auteur d’une infraction devient un sujet actif de sa condamnation [ainsi que de la gestion de celle-ci] ;

la sanction est exécutée au sein de la société civile [et non plus en prison]. »

« Les termes du débat ne sont pas exposés » C’est précisément cet « ailleurs » et cet « autrement » dont la CNCDH démontre dans son Étude qu’ils sont à la fois nécessaires et possibles. Mais, pour comprendre ce qui a jusqu’à présent résisté à cette mutation, elle a décidé d’examiner d’abord, comme l’explique son auteure Sarah Dindo, « les différents obstacles au développement des alternatives à la détention ainsi qu’à une amélioration de leur contenu et de leur crédibilité ». À ce titre, figurent au premier plan l’action et le discours ambivalents des autorités politiques, encourageant dans des périodes très rapprochées, tantôt le recours à l’incarcération comme réponse pénale unique, tantôt le développement des mesures alternatives. « Tant que les politiques n’assumeront pas un discours pédagogique, se gardant de surenchérir à l’occasion de faits divers tragiques, nous aurons du mal à avancer », estime Sarah Dindo. « Dans ce mouvement pendulaire permanent, les alternatives à la détention ont du mal à trouver leur place, et les praticiens ne savent plus ce qu’on attend d’eux », renchérit JeanYves Monfort. En effet, ces déclarations et instructions contradictoires ne permettent pas de dégager une politique pénale cohérente et lisible. Ainsi, d’un côté, « il n’y a plus grand monde dans les milieux administratifs et politiques pour contester le fait que les alternatives à l’incarcération sont des sanctions utiles et véritables et que les aménagements de peines constituent le bon moyen de terminer une peine de prison », estime Philippe Pottier, adjoint au sous-directeur des personnes

ZOOM SUR LA DÉTENTION PROVISOIRE Alors que nombre de prévenus s’élève à 18 483 au 1er janvier 2007, la Commission nationale de suivi de la détention provisoire vient de souligner dans son dernier rapport annuel que le nombre de mandats de dépôt, « plutôt stable » en 2004 et 2005, se maintient à un « plancher » de 24 000 par an. Les instructions judiciaires et les comparutions immédiates, c’est-à-dire « l’ensemble des poursuites pouvant donner lieu à une détention provisoire, est en hausse depuis 2001 (environ +16 %) ». Les comparutions immédiates à elles seules « connaissent un accroissement de 47 % entre 2001 et 2005 ». Le nombre de mis en cause devant la police judiciaire a augmenté de 28 % entre 2001 et 2005 et, au même moment, le « nombre de personnes écrouées a crû de 33 %. » Le constat le plus marquant du rapport est celui d’une « tendance de long terme d’accroissement de la durée moyenne de détention provisoire ». En 2004, la durée moyenne des détentions provisoires était de 4,1 mois pour un délit (3,8 en 2003, 3 en 1984) et de 24,3 mois en matière criminelle (23,9 en 2003, 21 en 1984). L’allongement est encore plus frappant quand on examine le nombre de détentions provisoires d’un an ou plus, pour crimes ou délits, qui « ont augmenté de 67 % entre 1984 et 2004, passant en chiffres absolus de 3 168 à 5 297 ». Parmi elles, « les condamnations pour délits précédées d’une détention provisoire d’un an ou plus ont vu leur nombre plus que doubler » en 20 ans. La détention provisoire est appliquée avec d’autant plus de force qu’elle concerne des personnes soupçonnées d’infractions sexuelles. Dans ce domaine, « le nombre annuel de condamnations précédées d’une détention de durée supérieure ou égale à un an est passé de 550 en 1984 à 1 422 en 2004 (+ 158 %) ».

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dossier

aménagement des peines

placées sous main de justice à la direction de l’administration pénitentiaire. De l’autre, comme le souligne Sarah Dindo, « les termes du débat ne sont pas expo-

des politiqu doxales

‘‘ Il faut abandonner l’idée qu’un mal est nécessaire pour produire un bien.

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sés, les rares évaluations ne sont pas diffusées, l’administration veut contrôler tout ce qui se dit… Cette attitude a des effets pervers : stagnation institutionnelle, manque de valorisation de ses évolutions, désintérêt du citoyen… Elle réduit également les possibilités de réformes à des aspects techniques ou secondaires, car les plus importantes, comme la libération conditionnelle d’office, ne peuvent être menées en catimini, sans débat public. » Pour ces raisons, la CNCDH invite le milieu judiciaire à engager une réflexion sur ses pratiques, en se préoccupant davantage de « l’utilité effective de la mesure pénale pour le condamné et le corps social, en particulier en termes de réinsertion et de prévention de la récidive », et à communiquer sur les résultats obtenus. Mais au plan de l’évaluation, les lacunes de la recherche sont également pointées par la Commission. « Nous manquons sérieusement d’informations et d’études sur le suivi des condamnés et sur le travail des services d’insertion et de probation », regrette de fait Jean-Yves Monfort, convaincu « qu’une meilleure connaissance de ces domaines pourrait modifier les pratiques au stade de l’instruction, du prononcé de la peine et de son application ». Pour Jean-François Cauchie, il est impératif que les chercheurs soient « attentifs à valoriser ce que les alternatives véhiculent en termes d’idées, de théories et de rationalités autres ». Car « en refusant de prendre au sérieux les alternatives à l’incarcération, mais aussi en postulant que le système pénal ne peut se reproduire qu’à l’identique, ou ne se transforme que pour se maintenir sous des formes renouvelées », les sciences sociales risqueraient « de tomber dans un cercle vicieux ».

Une feuille de route

© Jack Guez/AFP

Pour dépasser ces oscillations et ces blocages, la CNCDH s’est attachée d’une part, à adopter la même démarche que le Conseil de l’Europe, c’est-à-dire à aborder « l’ensemble des mesures visant à éviter ou raccourcir une détention ». D’autre part, à se référer sans cesse, en appui de ses recommandations à des « bonnes pratiques » d’alternatives à la détention, qui ont déjà fait leurs preuves en France ou à l’étranger. La méthode est efficace. Pour ne prendre que quelN°60 Mars-Avril 2007

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ques exemples emblématiques, l’Étude préconise en matière de détention provisoire le remplacement des critères actuels de placement et prolongement de la mesure « par des critères objectifs », notamment en établissant « une liste d’infractions qui pourraient seules la motiver, des seuils de peines encourues rehaussés et des durées maximales ramenées à un an en matière correctionnelle et deux ans en matière criminelle ». Pour ce qui concerne les « sorties sèches », en fin de peine sans accompagnement, dont la nocivité est reconnue tant par les experts que par les pouvoirs publics, la CNCDH demande une « révision des critères d’octroi des aménagements de peine ». Elle estime que « toutes les peines de prison de moins d’un an doivent être examinées par le juge de l’application des peines avant exécution ». Pour les autres peines, elle propose d’adopter « le principe d’une exécution pour partie en milieu fermé et pour partie en milieu ouvert ». Ce principe implique un recours accru aux permissions de sortir, puis aux régimes de semi-liberté et de placement extérieur. Enfin, pour relancer une mesure en baisse alors qu’elle est la mieux à même de protéger la société, l’Étude préconise « la mise en place d’un système de libération conditionnelle d’office ». Pour Michaël Janas, juge de l’application des peines et président de l’ANJAP,1 deux conditions préalables semblent néanmoins indispensables à la mise en œuvre des recommandations de la CNCDH : « D’abord, si l’on affirme que les alternatives sont un parcours normal, voire obligatoire, d’exécution des peines, il faut que les moyens suivent. Ensuite, nous

‘‘ Cette évolution vers le milieu ouvert est historiquement inéluctable. La seule question est : qui et quand ?

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ne pourrons pas développer les alternatives si l’opinion publique n’en comprend pas l’intérêt. » Un point de vue partagé par Denis L’Hour, directeur de Citoyens et Justice, qui ajoute : « Ces différentes recommandations constituent un tout, dans lequel chaque élément s’articule, et ne doivent pas être considérées indépendamment les unes des autres. L’Étude va nous aider à montrer l’intérêt des alternatives dans la prévention de la délinquance. »

Une boîte à outils Les recommandations de la CNCDH font l’unanimité parmi les acteurs de terrain et constituent même, selon la direction de l’administration pénitentiaire, une


LES ALTERNATIVES SORTENT DE L’OMBRE « bonne base de travail » pour le prochain gouvernement. Du côté des magistrats, on salue la « boîte à outils » que l’Étude représente. C’est le cas de JeanYves Monfort qui, s’adressant à ses collègues, s’exclame : « Nous n’avons pas besoin d’un bouleversement législatif pour y arriver. On a toujours le sentiment qu’on ne progresse qu’à coup de textes nouveaux, de grands débats parlementaires, mais en réalité, nous disposons déjà de tous les outils nécessaires, ou presque ». Il considère néanmoins qu’« un changement de culture doit cependant se produire au sein du monde judiciaire ». Il s’avère que ces éléments ont été capitaux dans la politique de réduction de la population carcérale menée par la Finlande. En effet, pour expliquer cette réussite, le chercheur Tappio Lappi-Seppäla cite en premier lieu « l’ouverture d’esprit des juges » et le fait que « bien souvent, [les tribunaux] avaient changé de pratiques même avant que le législateur modifie la loi ». Ce consensus rare risque néanmoins de se heurter à quelques obstacles. L’actuelle campagne présidentielle confirme que plusieurs conceptions de politique pénale - et des approches diamétralement opposées de la sanction - continuent à s’affronter. Laissant présager, suivant la victoire d’un camp ou d’un autre, des évolutions contraires quant au nombre de personnes sous main de justice placées d’un côté

ues para-

ou de l’autre des barreaux. « Cette évolution [vers le milieu ouvert] est historiquement inéluctable » pense néanmoins Sarah Dindo, ajoutant : « La seule question est : qui et quand ? Au préalable, les partis de gouvernement devront cependant changer de discours et expliquer que la prison diffère, mais aggrave, à terme, l’insécurité, tandis que le milieu ouvert la traite ». En attendant le résultat des échéances de mai et juin prochains, on peut se dire, avec Jean-François Cauchie, qu’« au fond, qu’elle se joue entre quatre murs, qu’elle se balade avec un bracelet électronique ou qu’elle soit entourée d’anges gardiens, la peine paraît toujours plus anachronique quand elle exige de gens qui n’existent pas de rentrer dans un univers qui n’existe plus ». Et que ces alternatives sorties de l’ombre feront suffisamment leur chemin dans les consciences pour que notre pays, quel que soit le verdict des urnes, se garde de suivre le modèle américain et s’inspire plutôt du modèle finlandais. Là où, de concerts, les chercheurs, les politiques, les magistrats ont réussi, avec l’appui de l’opinion publique, l’extraordinaire pari de diviser par deux le taux de détention en 20 ans. Patrick Marest (1) A ssociation nationale des juges de l’application des peines.

LES ALTERNATIVES EN CHIFFRES L’édition d’octobre 2006 des Chiffres clés de la Justice fait état de 592 498 peines prononcées en 2005 pour crimes et délits par les juridictions françaises. Parmi elles, on dénombre 304 369 peines d’emprisonnement dont 114 164 peines privatives de liberté fermes ou assorties d’un sursis partiel (d’une durée moyenne de 8,1 mois fermes) ; 198 402 peines d’amende (574 euros en moyenne) ; 54 845 peines « alternatives » dont 19 621 peines de suspension de permis de conduire, 16 336 peines de jour-amende et 12 712 peines de travail d’intérêt général ; 27 564 mesures éducatives et 7 318 dispenses de peine. Au regard des seuls délits, soit 552 841 sanctions inscrites au casier judiciaire en 2005, le statisticien Pierre Tournier distingue d’une part les peines privatives de liberté : 111 234 correspondant à un emprisonnement ferme (y compris avec sursis partiel), 131 536 à un emprisonnement avec sursis total (simple), 48 858 à un emprisonnement assorti d’un sursis total avec mise à l’épreuve et 9 545 à un emprisonnement assorti d’un sursis total avec mise à l’épreuve et un travail d’intérêt général ; d’autre part, les peines non privatives de liberté « appliquées dans la communauté » : 12 713 peines de travail d’intérêt général (peine principale) et 26 532 mesures éducatives ; enfin, les peines non privatives de liberté non « appliquées dans la communauté » au nombre de 212 423.   « Personne ne s’étonne jamais que 10 % des personnels de l’administration prennent en charge les deuxtiers des personnes sous main de justice », déplore Patrick Madigou, directeur du SPIP (service pénitentiaire d’insertion et de probation) de Paris, dans l’étude de la CNCDH. Au 1er janvier 2006, le nombre de personnes sous écrou était de 59 491 mais celui des personnes suivies en milieu ouvert de 145 567, soit plus de 70 % de l’ensemble. Parmi les 160 984 mesures prises en charge en milieu ouvert par les SPIP, les statistiques du ministère de la Justice font apparaître que le sursis avec mise à l’épreuve (120 676) arrive au premier rang, suivi par le travail d’intérêt général (24 260), la libération conditionnelle (8 169) et le contrôle judiciaire ou l’interdiction de séjour (7 879 en tout). Le taux de détention provisoire a tendance à diminuer parmi les détenus, se situant autour de 50 % entre 1982 et 1986, puis entre 40 et 45 % entre 1987 et 1998, pour atteindre 33 % en 2006. En matière de mesures d’individualisation des peines, les données du ministère de la Justice font état pour l’année 2005 de 35 411 permissions de sortir accordées par les juridictions de l’application des peines (- 0,5 % par rapport à 2004), de 2 310 placements à l’extérieur (+ 4 %), de 6 440 placements en semi-liberté (- 5,6 %), de 5 916 libérations conditionnelles (- 1,4 %). Pour ce qui est des placements sous surveillance électronique, ils s’élèvent à 4 025 en 2005 (+ 38,3 %).

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© Michel Le Moine

dossier La prison doit être une sanction de dernier recours. Pour que cette recommandation de Conseil de l’Europe ne reste plus un vœu pieux, la Commission nationale consultative des droits de l’homme a réalisé une importante étude sur les alternatives à la détention et formulé 44 recommandations pour leur développement.

Les recommandations de la CNCDH

La feuille de route alternative Avec son étude sur « Les alternatives à la détention », la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCNDH) vient clore un cycle de travaux autour du thème : « Sanctionner dans le respect des droits de l’homme ». Une première réflexion sur le « sens de la peine » en janvier 2002 avait été suivie d’une série d’études consacrées à l’univers carcéral, dont la principale, « Les droits de l’homme dans la prison », a été adoptée en mars 2004. C’est dans le cadre de cette dernière que la Commission s’était engagée à poursuivre sa réflexion sur le développement des alternatives à l’incarcération. L’étude traite de l’ensemble des mesures pénales permettant d’éviter ou de raccourcir une détention. Il s’agit des alternatives à la détention provisoire (contrôles judiciaires), des peines alternatives (travail d’intérêt général, sursis avec mise à l’épreuve…) et des aménagements de peine (semi-liberté, libération conditionnelle, bracelet électronique…). Elle examine les différents obstacles au développement des alternatives à la détention ainsi qu’à une amélioration de leur contenu et de leur crédibilité. Elle formule 44 recommandations rassemblées dans un avis au gouvernement, en se référant le plus souvent à des « bonnes pratiques » qui ont déjà fait leurs preuves en France ou à l’étranger.

Les mesures alternatives dans les politiques pénales Au titre des obstacles au développement des alternatives à la détention, figurent au premier plan l’action et le discours ambivalents des autorités françaises, encourageant dans des périodes très rapprochées, tantôt le recours à l’incarcération comme réponse pénale unique, tantôt le développement des mesures alternatives. Ces déclarations et instructions contradictoires ne permettent pas de dégager une politique pénale cohérente et lisible, N°60 Mars-Avril 2007

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ni pour les magistrats, ni pour les justiciables. La CNCDH demande au ministère de la Justice « d’élaborer et diffuser chaque année des orientations de politique pénale, en tenant compte du principe selon lequel la privation de liberté devrait être considérée comme une mesure de dernier recours ». Elle exhorte les pouvoirs publics à « faire œuvre de pédagogie dans leurs interventions publiques concernant le milieu ouvert », notamment en expliquant que les mesures alternatives sont « mieux à même d’agir sur les causes de l’infraction et la prévention de la récidive que la détention ».

Alternatives à la détention provisoire Le Parlement européen a rappelé à plusieurs reprises « le principe général selon lequel toute personne soumise à une procédure pénale est libre et jouit de tous ses droits ; que la détention provisoire représente non seulement une anticipation d’une éventuelle condamnation et un préjudice personnel incontestable, mais constitue également un renoncement au droit fondamental à la présomption d’innocence ; qu’elle n’est donc légitime que si elle est absolument nécessaire ». Pour garantir le respect de ce principe, la CNCDH préconise le remplacement des critères actuels de placement et prolongement d’une détention provisoire « par des critères objectifs », notamment en établissant une liste d’infractions qui pourraient seules donner lieu à une détention provisoire, des seuils de peines encourues rehaussés et des durées maximales ramenées à un an en matière correctionnelle et deux ans en matière criminelle. Elle demande la mise en place d’un système de mise à exécution rapide des mesures de contrôle judiciaire, ainsi que la création de « maisons d’assignation à résidence » permettant un éloignement du domicile et un encadrement. Elle souligne la nécessité de rassembler et réorganiser les moyens du secteur social présentenciel.


LES ALTERNATIVES SORTENT DE L’OMBRE

Au titre des obstacles au développement des alternatives figure au premier plan le discours ambivalent des autorités. Peines alternatives La peine d’emprisonnement reste largement considérée comme la seule façon de marquer la réprobation sociale. Face à cette force symbolique de la prison, la CNCDH invite le milieu judiciaire à engager une réflexion sur ses pratiques, en se préoccupant davantage de « l’utilité effective de la mesure pénale pour le condamné et le corps social, en particulier en termes de réinsertion et de prévention de la récidive ». La CNCDH préconise de réduire le champ de la comparution immédiate, d’une part en rétablissant le seuil de 5 ans de peine encourue pour pouvoir être jugé dans ce cadre, d’autre part en cessant d’imposer aux parquets cette procédure pour des contentieux d’actualité (CPE, émeutes en banlieues…). L’examen systématique des possibilités d’aménagement des peines de moins d’un an devrait être étendu à la comparution immédiate, ce qui implique que ces courtes peines ne puissent plus être assorties d’un mandat de dépôt. Le sursis avec mise à l’épreuve (SME) devrait pouvoir être appliqué aux peines allant jusqu’à dix ans de prison. L’interdiction de prononcer un troisième SME en cas de récidive devrait être supprimée, car elle porte « atteinte au principe de personnalisation de la peine, alors qu’une peine de SME peut chaque fois revêtir un contenu très différent ». Le travail d’intérêt général (TIG) devrait voir son contenu renouvelé afin de pouvoir être associé à un suivi socio-éducatif. Un « TIG probatoire » devrait être créé, pour une durée étendue jusqu’à cinq ans, et pouvant comporter, en plus d’un travail d’un mois maximum, un accompagnement socio-éducatif et d’autres obligations en relation avec l’infraction.

Aménagements de peine La nocivité des « sorties sèches », en fin de peine sans accompagnement, est reconnue tant par les experts que par les pouvoirs publics. Pourtant, à l’exception du placement sous surveillance électronique, les aménagements de peine ne se développent pas, quand ils ne sont pas en baisse comme la libération conditionnelle. Plus de 80 % des condamnés sont libérés en fin de peine, alors qu’il a été démontré que ce mode de libération sans accompagnement favorise la récidive. La CNCDH préconise une révision des critères d’octroi des aménagements de peine. Elle estime que toutes les peines de prison de moins d’un an doivent être examinées par le juge de l’application des peines avant exécution. Pour les autres peines, elle propose d’adopter le principe d’une exécution pour partie en milieu fermé et pour partie en milieu ouvert. Ce principe implique un recours accru aux permissions de sortir, puis aux régimes de semi-liberté et de placement extérieur.

Enfin, pour relancer une mesure en baisse alors qu’elle est la mieux à même de protéger la société, la CNCDH recommande la mise en place d’un système de libération conditionnelle d’office, s’inspirant de celui de la Suède ou du Canada.

Crédibilité et moyens du milieu ouvert Les mesures alternatives ne pourront se développer et éviter des incarcérations qu’à condition de gagner en crédibilité, tant auprès des magistrats que des justiciables. Aujourd’hui, elles ne sont pas systématiquement exécutées et certaines sont mises en œuvre a minima. Afin d’améliorer l’effectivité et la qualité des prises en charge en milieu ouvert, la CNCDH estime indispensable de poursuivre les recrutements de CIP. Le nombre de dossiers par travailleur social devrait être limité à 50 en moyenne. Des investissements importants sont également nécessaires afin de concevoir et mettre en place des régimes de suivi et de surveillance intensifs. Une forme de réponse plus systématique aux manquements à leurs obligations des personnes suivies doit également être étudiée, qu’il s’agisse d’un simple rappel par le juge, d’une modification du contenu de la mesure ou de sa révocation.

Diffusion des bonnes pratiques Quelques expériences innovantes sont initiées par certains SPIP, mais elles ne sont ni évaluées, ni généralisées par l’administration pénitentiaire. La CNCDH estime nécessaire que celle-ci organise la diffusion et la généralisation des « bonnes pratiques » en milieu ouvert, notamment celles des groupes de paroles pour les auteurs de violences. Elle préconise que les systèmes belges de médiation « parallèle aux poursuites » et « dans le cadre pénitentiaire » fassent l’objet d’une expérimentation dans quelques juridictions avant une éventuelle généralisation.

Recherche et évaluations Il apparaît urgent à la CNCDH que les pouvoirs publics développent la recherche et l’évaluation sur le milieu ouvert. Les statistiques disponibles sur le milieu ouvert doivent être étendues. L’administration pénitentiaire doit former ses personnels de probation à l’évaluation des pratiques. Une structure existante ou à créer devrait développer des « recherches-actions » avec les SPIP, afin de concevoir, expérimenter et évaluer des outils et programmes de probation. Cette structure devrait aussi diffuser les connaissances de la criminologie internationale auprès des professionnels de la justice et de l’administration pénitentiaire. N°60 Mars-Avril 2007

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dossier Moins coûteux pour la collectivité et plus efficace à prévenir la récidive, le milieu ouvert peut être considéré, selon Sarah Dindo, auteure de l’étude de la CNCDH sur Les alternatives à la détention, comme l’avenir de la peine. Mais les pouvoirs publics n’assument toujours pas publiquement un tel discours et les services de probation ont accumulé de nombreux retards en termes de savoir sur le passage à l’acte, d’outils professionnels et de moyens.

L’avenir de la peine Pourquoi avoir choisi d’étudier les « alternatives à la détention » au sens large ? Sarah Dindo : Le pari était d’étudier comme un tout les mesures qui pourraient permettre de faire de la privation de liberté un dernier recours. Les différentes phases pénales étant intimement liées, la question de l’alternative à la prison ne peut se résumer au prononcé de la peine. Le fait d’être placé en détention provisoire ou sous contrôle judiciaire avant le procès a par exemple des conséquences sur la peine prononcée ultérieurement. Il est également avéré que les mesures alternatives ne peuvent réussir à infléchir la courbe de la population pénitentiaire que dans le cadre d’une politique pénale cohérente à toutes les phases pénales. Les pays qui développent les alternatives pour les petites infractions ne voient pas leur population carcérale réduite s’ils allongent parallèlement la durée des peines pour les infractions plus graves. Quel est l’intérêt des alternatives ? SD : La prison est moins efficace en termes de prévention de la récidive et coûte beaucoup plus cher à la collectivité. N’utiliser la privation de liberté qu’en dernier recours, lorsqu’une neutralisation est nécessaire, et développer les mesures alternatives dans les autres cas, devrait dès lors constituer l’axe de toute politique pénale pragmatique. Dans la plupart des cas, la détention aggrave la situation sociale et psychologique des personnes et offre un contexte défavorable à une prise de conscience concernant l’infraction. Le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) représente le seul espace judiciaire où le délinquant est véritablement accompagné dans un travail sur le passage à l’acte, ses causes et ses conséquences. Le sens de la peine est là. Il ne s’agit pas de reproduire les fonctions carcérales de souffrance et de discipline. L’Étude s’inscrit dans une conception éducative, structurante et réinsérante de la peine. N°60 Mars-Avril 2007

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On entend souvent que le taux de récidive est moindre pour les alternatives parce qu’elles concernent les personnes ayant le plus de chances de réinsertion. Qu’en est-il exactement ? SD : Les critères d’octroi des mesures alternatives sont, il est vrai, souvent liés à la situation sociale des justiciables, si bien que ceux qui en bénéficient ne sont pas ceux qui en ont le plus besoin. L’Étude préconise de réviser ces critères inadaptés à une époque marquée par la précarité. Il doit être inscrit dans la loi que l’absence de logement fixe ou de travail ne peuvent constituer des critères d’exclusion des aménagements de peine. Pour autant, cette sélection des personnes les mieux insérées n’explique pas entièrement les bons résultats des alternatives. D’une part, des recherches sont parvenues à comparer la récidive des personnes à situation sociale et judiciaire équivalente. Le taux de retour en prison reste de 29 % pour les libérés conditionnels et de 37,5 % pour les libérés en fin de peine. Une étude allemande a également montré que 70 % des personnes suivies en probation sortent progressivement de la délinquance. Il y a des « rechutes », mais elles sont moins graves et plus espacées que celles des personnes non suivies. D’autre part, les facteurs de récidive diffèrent pour chaque personne et l’insertion sociale ne représente qu’un élément parmi d’autres. Selon la même recherche allemande, « la capacité d’avoir de bonnes et solides relations humaines dans quelque domaine que ce soit » a plus d’importance que le fait d’avoir un logement ou un travail.1 Or, les capacités relationnelles sont peu intégrées dans l’évaluation et l’accompagnement des délinquants. Il est ahurissant de constater à quel point les groupes de parole pour les délinquants sexuels ou les auteurs


LES ALTERNATIVES SORTENT DE L’OMBRE

‘‘ La prison est moins efficace en termes de prévention de la récidive et coûte beaucoup plus cher à la collectivité.

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de violence conjugale sont rares. De simples stages d’initiation aux méthodes de « communication non violente » devraient être accessibles à toute personne suivie en milieu ouvert.

© Michel Le Moine

Pourquoi le développement des alternatives n’a-t-il pas entraîné de baisse de la population carcérale ? SD : La population carcérale baisse si les entrées en prison diminuent, mais aussi si les détenus n’y restent pas plus longtemps. En France, la création du travail d’intérêt général (TIG) et du contrôle judiciaire socio-éducatif est concomitante d’une baisse nette des entrées en détention, qui sont passées de 97 000 en 1980 à 65 000

en 2000. Mais dans la même période, la durée des peines a eu tendance à s’allonger, la population carcérale n’a donc pas diminué dans un premier temps. Entre 1996 et 2002, nous avons cependant connu une période de décroissance carcérale car les entrées ont continué à baisser et la durée des peines s’est stabilisée. Dans la plupart des pays, les juges ont également tendance à utiliser une mesure alternative dans des cas où ils n’auraient jamais envoyé la personne en détention. C’est ce qu’on appelle l’effet « net-widening ». Nous ne savons cependant pas dans quelle proportion, ni ce qui serait advenu en l’absence de mesures alternatives. Est-ce que la détention provisoire et les peines

de prison ferme n’auraient pas augmenté davantage ? La réponse à ces questions pâtit souvent d’une approche idéologique, selon laquelle les alternatives ne produiraient qu’un élargissement du « filet pénal ». Le nombre de condamnations est cependant constant en France depuis vingt ans (autour de 620 000). Le champ de la peine n’a donc pas été étendu avec l’arrivée des peines alternatives. En Suède, les entrées diminuent d’environ 3 000 chaque année depuis la mise en place d’une prise en charge intensive associée à une surveillance électronique, en remplacement des courtes peines de prison. Il faut donc cesser d’affirmer que le développement de mesures alternatives n’est pas en mesure de faire baisser le nombre de détenus. L’Étude propose d’intégrer systématiquement cette question dans les recherches, qui doivent être développées, afin d’étudier l’impact des alternatives sur la population carcérale, et rechercher des moyens de réduire le risque de « net-widening ». L’un des principaux obstacles au développement des alternatives est ce que vous appelez les « politiques duales ». De quoi s’agit-il ? SD : Cette expression évoque les multiples contradictions dont les autorités françaises se sont faites spécialistes. Les lois Perben I et II relèvent de doctrines pénales opposées, alors que seulement deux ans séparent leur adoption. Autre exemple : la Chancellerie met aujourd’hui en avant sa circulaire du 27 avril 2006 invitant à recourir largement aux mesures alternatives, y compris dans le cadre de la comparution immédiate. Mais quelques mois et semaines auparavant, elle demandait aux Parquets d’utiliser cette procédure et de requérir des peines de prison ferme pour les jeunes manifestant contre le CPE (fév.-avr. 2006) ou lors des émeutes en banlieue (nov. 2005). Au cours de la dernière législature, les magistrats se sont vus plusieurs fois fustiger suite à la récidive d’une personne libérée avant le procès. Puis, ils se sont vus reprocher d’abuser de la détention provisoire autour de l’affaire « Outreau ». Cette instabilité du message public génère chez les juges des réflexes d’immobilisme. Toute remise en liberté, même sous contrôle, apparaît comme une prise de risque importante pour des fonctionnaires qui ont compris qu’ils ne recevraient pas le moindre soutien en cas de récidive. Tant que les politiques n’assumeront pas un discours pédagogique, se gardant de surenchérir à l’occasion de faits divers tragiques, nous aurons du mal à avancer. L’Étude parle d’une « véritable défaillance de communication institutionnelle »… SD : La France ne fait pas exception s’agissant d’un manque de courage des partis en position de gouverner à l’égard de sujets aussi peu rentables électoralement. Des sociologues expliquent aussi la menace pour la démocratie que représente l’évolution des N°60 Mars-Avril 2007

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dossier médias, qui finissent par écarter tout ce qui ne peut être expliqué en 15 secondes. Il me semble néanmoins que si les politiques osaient expliquer que la sécurité est mieux assurée à terme par les alternatives que par la détention, les médias suivraient. La direction de l’administration pénitentiaire (DAP) et les SPIP pourraient aussi prendre l’initiative d’ouvrir leurs portes et de faire connaître le milieu ouvert. Des responsables de l’administration pénitentiaire estiment qu’il n’y a rien à montrer sur le milieu ouvert… SD : Il y aurait beaucoup à montrer, notamment les « bonnes pratiques » de certains SPIP : groupe de parole pour les délinquants sexuels, TIG dialogue citoyen, TIG au musée du Louvre, etc. Encore fautil que la DAP les repère, les évalue, les développe… ce qu’elle commence tout juste à entreprendre. Des entretiens de conseillers d’insertion et de probation (CIP) avec des probationnaires pourraient également être filmés. Il peut être passionnant de voir comment une personne évolue tout au long d’un suivi et comment un professionnel travaille sur le passage à l’acte. Si les pouvoirs publics développaient les évaluations, ils auraient également davantage de résultats à présenter à la presse. Aujourd’hui, les termes du débat ne sont pas exposés, les rares évaluations ne sont pas diffusées, l’administration veut contrôler tout ce qui se dit… Cette attitude a des effets pervers : stagnation institutionnelle, manque de valorisation des initiatives, désintérêt du citoyen… Elle réduit également les possibilités de réformes à des aspects techniques ou secondaires, car les plus importantes, comme la libération conditionnelle d’office, ne peuvent être menées en catimini, sans débat public. Pourquoi n’y a-t-il pas plus d’études réalisées sur le milieu ouvert ? SD : L’attrait pour la recherche sur le milieu ouvert est handicapé par les théories foucaldiennes selon lesquelles les mesures alternatives ne reviendraient qu’à diffuser plus largement les fonctions carcérales que sont la punition et l’amendement. Pourtant, ces thèses se vérifient peu sur le terrain, le milieu ouvert s’inscrivant davantage dans des logiques de soutien, de responsabilisation et de réparation. Il existe aussi des résistances à l’égard de la criminologie, qui expliquent la quasi absence de travaux sur le passage à l’acte, alors que les SPIP en auraient particulièrement besoin. Parallèlement, notre pays manque de culture d’évaluation. Le sociologue Christian Mouhanna l’explique par le modèle éducatif et politique issu de l’ENA, qui valorise la décision et la conceptualisation, mais pas l’application concrète. L’idée d’avoir des comptes à rendre au contribuable émerge tout juste en France, si bien que nous manquons aussi d’enquêtes de satisfaction des justiciables. Victimes et auteurs devraient pourtant être questionnés au terme d’une médiation pénale ou N°60 Mars-Avril 2007

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d’un travail d’intérêt général, afin de mesurer en quoi la réponse judiciaire répond ou non à leurs nécessités. La CNCDH propose de rendre systématique la libération conditionnelle. Pourquoi ? SD : Il est proposé que ce mode de sortie devienne la règle, car il n’y a rien de plus risqué en termes de récidive que de libérer une personne en fin de peine, sans aide ni contrôle. Plusieurs réformes ont tenté en vain de relancer cette mesure. Il ne semble plus possible de faire porter le poids d’une telle décision à des magistrats. Dans un système d’office, les condamnés savent qu’ils seront libérés à telle date dans le cadre d’un régime de probation, qu’ils le souhaitent ou non. Magistrats et travailleurs sociaux doivent préparer cette sortie avec le condamné au moyen de permissions de sortir et de régimes intermédiaires comme la semiliberté. La Suède et le Canada ont déjà mis en place un tel dispositif, avec certaines exceptions. Le Conseil de l’Europe préconise de recourir « à une combinaison de systèmes de libération en fonction de la durée de la peine d’emprisonnement infligée ».2 Une part très importante de l’Étude est consacrée à l’amélioration du contenu des alternatives. Pourquoi ? SD : En étudiant la documentation officielle sur le milieu ouvert, je me suis aperçue que le suivi socioéducatif en lui-même n’était quasiment jamais évoqué. Le contenu de l’intervention des CIP intéresse peu et n’est pas évalué. Nous ne savons rien sur la qualité des mesures : ce qui précisément marche ou pas dans un suivi, pourquoi telle personne a récidivé et pas telle autre, quels sont les effets de tel stage ou tel mode de relation avec le CIP... Les personnels de probation ne sont pas formés au savoir criminologique, ne disposent d’aucun outil professionnel et rarement d’un espace pour échanger sur leurs pratiques. Ils apprennent sur le terrain, au fil des entretiens, comment travailler sur le passage à l’acte. Cette situation me semble préoccupante, en termes de professionnalisme, mais aussi d’égalité des justiciables. Elle s’explique en partie par le sous-effectif chronique dont ont pâti les services de probation depuis la création des comités de probation et d’assistance aux libérés (CPAL) et qui se trouve tout juste en voie de résorption. Il faudra du temps avant de rétablir une bonne image du milieu ouvert auprès de certains magistrats, confrontés pendant des années à des services obligés de laisser des mesures inexécutées ou de les mettre en œuvre de façon minimaliste et artisanale. Fin 2006, chaque CIP suivait entre 60 et 250 personnes selon les régions, alors que ces ratios sont de 40 à 60 au Québec et 25 à 30 en Suède ! Pour rendre plus crédibles les alternatives, l’Étude préconise également de renforcer leur caractère contraignant et punitif. Pourquoi ? SD : Il ne faut pas confondre les dimensions punitive et contraignante. L’Étude ne préconise absolument


LES ALTERNATIVES SORTENT DE L’OMBRE

L’Étude préconise de mettre en place deux nouveaux régimes, l’un de suivi intensif, l’autre de surveillance intensive. Cette approche n’est-elle pas contraire à l’idée de la peine défendue par la CNCDH ? SD : Certaines personnes auraient besoin d’un encadrement renforcé. Le suivi intensif implique des entretiens beaucoup plus fréquents avec un conseiller, notamment dans les périodes les plus difficiles. Il s’agit d’adapter le niveau d’accompagnement aux besoins de la personne. Le régime de surveillance intensive est davantage lié au risque de récidive et aux infractions les plus graves. Il comporte davantage de contrôle : possibilité d’assignation à résidence et de couvrefeux, vérifications téléphoniques, visites à domicile impromptues... Il s’agit de renforcer la crédibilité de la mesure dans le cas d’infractions graves. Cette proposition ne renforce pas une idée de la peine contraire à celle défendue par la CNCDH, qui ne s’est jamais prononcée contre le principe même de la sanction pénale. Il s’agit de développer un type de sanction non pas afflictif, mais éducatif et structurant. Dans le contexte actuel, n’y a-t-il pas un risque que cela serve à plus de contrôle, notamment après la peine, au détriment de l’accompagnement ? SD : Ce système n’est pas prévu après la peine, mais à titre de peine. Le Canada l’a d’ailleurs mis en place avec un réel succès en termes de remplacement

de peines de prison. De plus, le renforcement du contrôle n’implique pas de manière mécanique une baisse de l’accompagnement. Néanmoins, il est vrai que la manière dont est mise en œuvre en France la surveillance électronique interpelle en ce sens, puisque l’accompagnement s’avère inexistant. L’étude demande qu’il soit inscrit dans la loi que le PSE doit être obligatoirement accompagné d’un suivi socioéducatif, notamment au moyen de visites à domicile. Plus globalement, il me semble important d’anticiper les risques d’effets pervers lorsqu’on développe des mesures alternatives, mais dans l’optique de mettre en place des évaluations et de rechercher les moyens d’y remédier. Si l’épouvantail des effets pervers est sans cesse agité pour ne pas tester de nouveaux dispositifs, je crains que l’on participe involontairement à maintenir la prison à sa place centrale.

© Michel Le Moine

pas de renforcer le caractère punitif des mesures alternatives, au sens d’avoir besoin de faire souffrir pour considérer que l’infraction serait mieux réparée. En revanche, elle recommande de renforcer leur dimension contraignante dans certains cas, et ce dans une logique éducative. Si l’on impose à une personne certaines obligations, qu’elle ne les respecte pas et que rien ne se passe, la mesure perd toute crédibilité auprès du justiciable, des acteurs chargés de sa mise en œuvre et du public. L’Étude demande donc qu’une réaction systématique soit assurée. Elle peut consister en un rappel à la loi par le juge de l’application des peines, permettant de recadrer la personne et de comprendre pourquoi elle ne respecte pas ses obligations. Toute une palette de réponses intermédiaires peut être développée avant la révocation : modification des obligations, renforcement du contrôle, changement de mesure, etc. De leur côté, les CIP devraient envisager des visites à domicile lorsqu’une personne ne répond pas aux convocations. Il faut sortir d’une manière bureaucratique de suivre les personnes sous main de justice, qui sont nombreuses à ne pas savoir lire, dans une situation sanitaire et sociale parfois très grave. L’appréhension des « rechutes » devrait être repensée : elles doivent être interprétées au cas par cas en fonction du parcours de la personne et l’accompagnement vers une sortie de la délinquance doit être adapté. Un médecin n’abandonne pas à chaque rechute du malade.

Peut-on espérer qu’un prochain gouvernement mette en œuvre ces recommandations ? SD : Cette évolution est historiquement inéluctable. La seule question est : qui et quand ? Au préalable, les partis de gouvernement devront cependant changer de discours et expliquer que la prison diffère, mais aggrave, à terme, l’insécurité, tandis que le milieu ouvert la traite. Propos recueillis par Stéphanie Coye

(1) H ans-Jürgen Kerner, dans le rapport du Congrès international « Criminalité et insécurité : la probation face aux médias et à la politique », réalisé par Anne Rüegsegger, Université de Lugano, 2004. (2) C onseil de l’Europe, Exposé des motifs de la Recommandation Rec(2003)22 sur la libération onditionnelle, septembre 2003. N°60 Mars-Avril 2007

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dossier L’Étude sur les alternatives à la détention fait l’unanimité parmi les acteurs de terrain et constitue une « bonne base de travail » pour le prochain gouvernement selon la direction de l’administration pénitentiaire. D’aucuns, comme les magistrats, saluent la « boîte à outils » qu’elle représente et appellent leurs collègues à un changement de « culture ». Aux yeux des associations du milieu ouvert, les diverses recommandations de la CNCDH sont indissociables les unes des autres et leur mise en œuvre constitue la meilleure stratégie de prévention de la délinquance.

Alternatives :

un appel à l’unisson « La prison n’apporte pas de réponse satisfaisante » Jean-Yves Monfort, magistrat à Versailles et rapporteur de l’Étude de la CNCDH. « Faire de l’emprisonnement une étape de la réinsertion est utopique. C’est sur cette idée que repose l’Étude. Il ne s’agit pas d’une approche théorique, mais pratique. La prison a une efficacité à court terme, car elle neutralise le délinquant, mais elle ne réinsère pas, et ne prévient pas la récidive. Il est donc nécessaire de réfléchir à autre chose. Ce constat fait aujourd’hui l’objet d’un large consensus. L’Étude montre en outre que nous n’avons pas besoin d’un bouleversement législatif pour y arriver. On a toujours le sentiment qu’on ne progresse qu’à coup de textes nouveaux, de grands débats parlementaires, mais en réalité, nous disposons déjà de tous les outils nécessaires, ou presque. Des pratiques déjà existantes, et tout à fait intéressantes, sont recensées par l’Étude. Elle constitue en cela un outil utile pour les magistrats, notamment pour les juges de l’application des peines. Un changement de culture doit cependant se produire au sein du monde judiciaire. Nous manquons sérieusement d’informations et d’études sur le suivi des condamnés et sur le travail des services d’insertion et de probation. Je pense qu’une meilleure connaissance de ces domaines pourrait modifier les pratiques au stade de l’instruction, du prononcé de la peine et de son application. Mais pour que les choses changent véritablement, il faut qu’une volonté politique claire soit affirmée. Or, coexistent chez nos gouvernants, et ce quelle que soit leur couleur politique, deux discours très différents sur N°60 Mars-Avril 2007

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ces sujets, ce que l’Étude appelle des “politiques duales”. Tantôt, ils tiennent un discours moderne et réaliste sur le sujet, avec une réelle volonté de développer les alternatives à la détention. Tantôt, au gré des faits divers et de la pression de l’opinion publique, une politique pénale différente, voire opposée, est préconisée. Dans ce mouvement pendulaire permanent, les alternatives à la détention ont du mal à trouver leur place, et les praticiens ne savent plus ce qu’on attend d’eux. Faut-il satisfaire aux prescriptions de telle circulaire invitant à développer les alternatives ? Ou à celles diffusées au moment des désordres de rue, ou des manifestations anti-CPE, demandant d’être ferme ? Selon le principe bien connu, nous rendons la justice au nom du peuple français, et nous ne pouvons ignorer la réaction sociale à un fait divers, ou l’ambiance générale lorsqu’il y a des émeutes en banlieue. L’opinion publique manque singulièrement d’informations sur tous ces sujets, et a le sentiment que les alternatives relèvent de l’indulgence. Si un travail de pédagogie doit être fait en direction des magistrats, une politique de communication à destination de l’opinion publique doit également être mise en œuvre. Il faut absolument faire comprendre qu’il n’y a pas de sécurité absolue dans une société, et que la prison n’apporte pas, de toute façon, de réponse satisfaisante à long terme. Ce message n’est pas facile à faire passer, mais je trouve que nos gouvernants manquent singulièrement de courage à cet égard. Ils ont conscience de cette nécessité, mais ne l’assument pas publiquement. C’est tout à fait dommage. Ce consensus doit pourtant être recherché au-delà des praticiens, et au-delà de l’enceinte de la CNCDH. Il en va de notre avenir. »


LES ALTERNATIVES SORTENT DE L’OMBRE

« Les différentes recommandations de la CNCDH constituent un tout »

il est sûr que leur développement nécessiterait une politique d’impulsion beaucoup plus ambitieuse. Nous demandons également souvent à la Chancellerie de Denis l’Hour, directeur général de Citoyens et Justice mieux promouvoir le CJSE. C’est absolument néces(fédération des associations socio-judiciaires). saire, mais pas suffisant non plus. C’est pourquoi la « Le travail réalisé par la CNCDH est remarquable, proposition de la CNCDH de restreindre dans le même notamment lorsqu’elle pointe le déficit de crédibi- temps les possibilités de recours à la détention prolité du contrôle judiciaire. Il est important de rappeler visoire est extrêmement intéressante. Ces différentes recommandations constiqu’il existe deux types de tuent un tout, dans lequel contrôle judiciaire, l’un se chaque élément s’articule, limitant à un contrôle poli On a toujours le sentiment et ne doivent pas être consicier d’obligations (une interdérées indépendamment diction de paraître dans un qu’on ne progresse qu’à coup les unes des autres. L’Étude débit de boisson par exemva nous aider à montrer l’inple) et l’autre pour lequel un de textes nouveaux, térêt des alternatives dans véritable accompagnement la prévention de la délinsocio-éducatif est mis en quance. Nous avons envoyé œuvre par des associations : mais nous disposons déjà l’ensemble des recommanle contrôle judiciaire sociodations au service de l’acéducatif (CJSE). Le premier de tous les outils nécessaires.  cès au droit de la justice et peut parfois être pris en de la politique de la ville de charge tardivement et les la Chancellerie, et allons les obligations être peu contrôlées. Ce n’est cependant pas le cas des CJSE, qui sont promouvoir auprès de nos adhérents. Parallèlement, immédiatement suivis par les associations, parce que nous venons d’interpeller les candidats à la présidentrès peu sont prononcés – 7 à 8 000 par an – et que tielle, ainsi que les parlementaires des commissions les associations sont loin d’avoir atteint leurs capacités des lois, des finances et des affaires sociales, en leur maximales et ne sont donc pas débordées. Ce faible soumettant quatre questions. Quelle sera la portée de nombre s’explique en partie par les pratiques de certai- tout cela ? C’est difficile de répondre, mais un nounes associations, qui effectuent plutôt des missions de veau gouvernement, qui a toujours soif de prendre des police que d’intervenants socio-judiciaires, en contra- mesures fortes dans les 100 premiers jours, pourrait diction avec les textes associatifs et ministériels. Ces très bien les trouver dans l’Étude de la CNCDH. » pratiques nous décrédibilisent auprès de nos partenaires. La “culture” des magistrats est également en cause. « Expliquer pourquoi nous préférons les Dans les années 1975-1980, ces derniers associaient alternatives à la prison » justice et accompagnement social et intégraient leur Michaël Janas, juge de l’application des peines à activité de magistrat dans les problématiques globaDraguignan et président de l’Association nationale les de société. Aujourd’hui, beaucoup considèrent que des juges de l’application des peines. les questions d’insertion ne les concernent pas. Selon une étude réalisée par des chercheurs nantais pour « L’Étude rappelle une chose très importante : que Citoyens et Justice, seuls 35,3 % des juges indiquent la liberté surveillée permet d’éviter la récidive. Ce par exemple vouloir avant tout éviter une incarcération constat, étayé par des études nationales et internatiolorsqu’ils prononcent un CJSE. Autre élément d’expli- nales, n’est cependant pas relayé dans l’opinion publication, la détention provisoire leur apparaît comme que, qui a au contraire tendance à penser que c’est un une solution de facilité, tandis que placer quelqu’un en cadeau fait au condamné. Il est de notre responsabilité CJSE est plus compliqué et représente une surcharge de clarifier le débat. Il nous faut partager nos connaisde travail. Comme le souligne l’Étude de la CNCDH, les sances et faire comprendre à l’opinion publique, ainsi alternatives à la détention pâtissent également d’une qu’à nos collègues magistrats, que nous sommes les défaillance de communication. En matière de place- juges anti-récidive et non pas ceux qui la facilitent, ments extérieurs par exemple, nous avons obtenu expliquer pourquoi nous préférons les alternatives aux des avancées importantes suite à des négociations peines d’emprisonnement, qu’enfermer tout le monde engagées avec l’administration pénitentiaire (définition est une solution qui peut provoquer la réitération des d’un cahier des charges et d’une typologie d’accompa- infractions. Ces dernières années, une évolution très gnement, revalorisation de la prestation), qui crédibi- importante a eu lieu dans le domaine de l’application lisent la mesure. On en attend les effets mais, pour le des peines, avec un renforcement des prérogatives moment, la proportion de placements extérieurs dans des juges, des droits des condamnés, etc. Mais l’applil’ensemble des mesures d’individualisation des peines cation des peines reste un château de cartes à la merci est en diminution. Il y a plusieurs raisons à cela, mais du prochain événement médiatisé où un condamné

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dossier sous libération conditionnelle commettra une atrocité. Nous sommes conscients de cette fragilité et essayons de porter le débat au sein de nos tribunaux, mais aussi à travers notre revue (La revue de l’application des peines, ndlr) ou d’un colloque qui s’est tenu le 14 mars au Sénat. Nous sommes cependant dans un système complètement schizophrène. Lorsque nous nous entretenons avec les politiques, ils affirment que l’aménagement de peine constitue l’avenir. Ils l’ont d’ailleurs inscrit dans la loi, ce qui n’est pas rien. Mais ce n’est pas le discours qui est clairement porté au sein de l’opinion publique. Celle-ci entend au contraire que le juge commet une faute en libérant et doit être responsable du destin des condamnés qu’il libère. Si on veut développer les alternatives, il faut absolument que les politiques tiennent le même discours lorsqu’il s’adresse à un parterre de professionnel ou à l’opinion publique. Cette Étude peut permettre de faire œuvre de pédagogie en la matière, d’autant plus qu’elle porte parfaitement cette dynamique de communication et apporte des réponses, en proposant des solutions tout à fait innovantes, comme le fait de rendre les aménagements de peine automatiques. L’Étude trace ainsi des perspectives futures pour les professionnels. Elle peut également servir de boîte à outils. C’est une excellente idée d’identifier comme elle l’a fait les bonnes pratiques existant ici ou là. Construire une sorte de kit expliquant comment monter un placement extérieur, comment procéder pour son financement, quel soutien obtenir, etc. me paraît une manière très positive de faire avancer les choses. Les juges de l’application des peines sont demandeurs de ce genre d’outils. Pour que les recommandations de la CNCDH puissent être mises en œuvre, deux conditions préalables me semblent toutefois indispensables. D’abord, si l’on affirme que les alternatives sont un parcours normal, voire obligatoire, d’exécution des peines, il faut que les moyens suivent. Ensuite, nous ne pourrons pas développer les alternatives si l’opinion publique n’en comprend pas l’intérêt. »

« Il reviendra au prochain gouvernement de réfléchir à la mise en place d’un système de libération conditionnelle d’office » Philippe Pottier, adjoint au sous-directeur des personnes placées sous main de justice, direction de l’administration pénitentiaire. « L’Étude de la CNCDH représente pour nous une bonne base de travail. Nous en partageons de nombreux constats et plusieurs recommandations. D’autres propositions nous paraissent intéressantes et sont à discuter. Leur mise en œuvre ne dépend cependant pas uniquement de la direction de l’administration pénitentiaire (DAP). Il reviendra au prochain gouvernement de décider de poursuivre le N°60 Mars-Avril 2007

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recrutement de conseillers d’insertion et de probation ou de réfléchir à la mise en place d’un système de libération conditionnelle d’office. Quel que soit le gouvernement à venir, il me semble que l’idée de systématiser les aménagements de peine pourrait avancer, elle est déjà largement discutée. Il y a des signes forts d’évolution. Il n’y a plus grand monde dans les milieux administratifs et politiques pour contester le fait que les alternatives à l’incarcération sont des sanctions utiles et véritables et que les aménagements de peines constituent le bon moyen de terminer une peine de prison. La préoccupation de la DAP pour le milieu ouvert est forte. La décision du directeur de l’administration pénitentiaire de nommer un directeur de service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) à mon poste illustre la volonté de représenter plus fortement ce champ d’actions au sein de la DAP, pour qu’il soit mieux pris en compte et développé. C’est une évolution récente, mais c’est aussi parce que les SPIP n’ont été créés qu’en 1999. Il a fallu les installer, leur allouer des budgets, recruter le personnel… Ce n’est qu’une fois tout cela mis en place qu’il devient possible de travailler sur les méthodes de prise en charge. Nous le faisons maintenant. L’année 2007 est ainsi consacrée aux SPIP, notamment à travers la réécriture des textes définissant leurs missions, la fiabilisation des statistiques, la réflexion sur les pratiques, etc. Parallèlement, nous initions un travail d’identification et d’évaluation des bonnes pratiques. À cet effet, nous avons mis en place depuis novembre un “pôle des orientations, méthodes d’intervention et pratiques des SPIP”. Un magistrat va également être nommé pour établir un lien permanent avec les juges de l’application des peines. Concernant la défaillance de communication institutionnelle relevée dans l’Étude, je ne partage pas ce constat pour ce qui est de l’administration pénitentiaire. Il n’y a pas de volonté de ne pas parler des alternatives. Il s’agit cependant d’un domaine très complexe et difficile à montrer aux journalistes, à leur faire visiter. Nous communiquons aussi en fonction de ce que l’on nous demande. Or, les médias s’intéressent peu aux alternatives. La prison frappe l’imagination, c’est un milieu beaucoup plus spectaculaire, qui attire la presse. Le milieu ouvert est lui plus difficilement compréhensible. Est-ce vraiment un problème d’ailleurs de ne pas en parler dans le grand public ? Je ne sais pas, car on peut aussi en parler très mal. Concernant le développement de la recherche, nous ne pouvons qu’y être favorables, notamment sur l’évaluation de la récidive, d’un point de vue quantitatif et qualitatif, pour rendre visible l’utilité et l’efficacité de ces mesures. Mais nos moyens sont limités et peu de chercheurs travaillent sur ces questions. Quand nous lançons des appels d’offre, nous recevons très peu de propositions, et de qualité très inégale. » Propos recueillis par Stéphanie Coye


LES ALTERNATIVES SORTENT DE L’OMBRE

La Finlande a réussi l’extraordinaire pari de diviser par deux son taux de détention en 20 ans. Un exemple qui nous enseigne que, pour arriver à ce résultat, « le fait d’être bien disposé […] à réduire le nombre de détenus importe plus que le choix des moyens », comme le souligne le chercheur Tappio Lappi-Seppäla.1

Leçons finlandaises Avec 73 détenus pour 100 000 habitants au 1er septembre 2005, la Finlande connaît un des taux de détention les plus bas d’Europe, alors qu’il comptait parmi les plus élevés dans les années 1970 (120 pour 100 000 en 1978). Comment ce pays a-t-il réussi à diviser par deux son taux de détention en 20 ans ? Comment est-il parvenu à maintenir une baisse constante de sa population carcérale dans les années 1980 et 1990, alors que la quasi-totalité des pays européens voyait la leur augmenter ? En définissant « l’engorgement des prisons comme un problème qui devrait être réglé et qui peut l’être », explique le directeur de l’Institut national de recherche sur les politiques juridiques Tappio LappiSeppäla.

Définir le taux d’incarcération comme un problème Les années 1960-1970 ont été marquées par une prise de conscience de l’état « honteux » des prisons en raison de la surpopulation. Comme l’explique le chercheur britannique Roy Walmsley, un « petit groupe d’individus clés » a remarqué « que leurs voisins scandinaves comptaient beaucoup moins de détenus et que leur population carcérale résultait de l’influence soviétique sur le pays ».2 Ce qui les a amenés, poursuit-il, « à définir le taux d’incarcération de la Finlande comme un problème ». Tappio Lappi-Seppäla raconte en effet que « les spécialistes chargés des travaux de planification et des recherches relatives aux réformes étaient animés de la conviction quasi unanime que le taux d’incarcération […] était une honte, et qu’il serait possible d’amoindrir considérablement la quantité et la durée des peines d’incarcération infligées sans que cela ait de graves répercussions sur la criminalité ». Cette conviction a été renforcée par des changements dans les idéologies pénales. Le rôle du « châtiment » a notamment été fortement relativisé par un nouveau courant de pensée, qui, sur la base d’analyses de rentabilité (évaluation des coûts et des effets probables des politiques), prônait le développement social comme

« la meilleure politique qui soit en matière pénale ». Suite à la publication de plusieurs études révélant le peu d’effet sur la criminalité des « traitements coercitifs », une série de réformes a également été engagée afin de réduire, entre autres, le pouvoir des « organismes de justice pénale de restreindre la liberté pour des motifs de réhabilitation ».

La mise en œuvre d’une politique globale Cette prise de conscience a débouché sur la conduite d’une politique « réductionniste » pendant vingt ans, à travers trois grands types de réformes visant à refaçonner « la structure du système pénal et les solutions de rechange en matière de détermination de la peine », à changer « la valeur pénale et le niveau des sanctions dans certaines catégories d’infraction » et à modifier « l’exécution des peines d’emprisonnement et le régime de libération conditionnelle ». Une des premières modifications législatives entreprises, en 1971, a limité le régime de la détention provisoire aux seuls « délinquants violents dangereux ». Parallèlement, une politique a été menée afin de développer les alternatives classiques, telle que la hausse du montant des amendes à la fin des années 1970 afin de pouvoir les appliquer à des crimes plus graves ou la possibilité de combiner une amende et une peine avec sursis. Le service communautaire (équivalent du travail d’intérêt général) a pour sa part été introduit à titre expérimental en 1991, avant d’être étendu à l’ensemble du pays trois ans plus tard. Afin qu’il soit appliqué aux seules personnes qui, sans cette mesure, auraient été condamnées à de la prison ferme, la Finlande a privilégié une procédure en deux étapes : le tribunal condamne selon les principes ordinaires de détermination de la peine, puis, dans un deuxième temps, peut décider de son aménagement sous la forme du service communautaire. En 1991, instruction a été donnée aux juges de prononcer les peines les plus courtes en jours plutôt qu’en mois, afin de les faire mieux appréhender la durée de la sentence et les inciter à moins de sévérité. En matière de libéraN°60 Mars-Avril 2007

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dossier tion conditionnelle, qui en Finlande intervient d’office après la moitié ou les deux tiers de la peine, plusieurs réformes successives ont réduit le minimum de peine devant être purgé avant de se voir accorder la mesure. Jusqu’à atteindre 14 jours actuellement. Enfin, pour les mineurs, les possibilités de « renonciation aux sanctions » ont été étendues et la règle du non recours à l’incarcération a été renforcée par une loi de 1989, qui prévoit que seuls des motifs « extraordinaires » peuvent justifier une peine sans sursis. Le tout a permis de diviser par dix le nombre de mineurs incarcérés.

Comment la recherche peut influencer les politiques pénales Le fait qu’une politique de cette ampleur et de cette durée a pu être menée s’explique en grande partie par « le caractère tout à fait exceptionnel du rôle joué par les experts », explique Tappio Lappi-Seppäla. En effet, parmi les ministres de la Justice qui se sont succédés au cours de ces deux décennies de réformes, plusieurs entretenaient des contacts étroits, personnels et professionnels, avec le monde de la recherche, voire, pour trois d’entre eux, y appartenaient. C’est le cas par exemple d’Inkeri Anttila, qui, à l’époque où elle a été nommée, était professeure de droit pénal et directrice de l’Institut national de recherche sur les politiques juridiques. L’administration pénitentiaire finlandaise elle-même a par ailleurs eu pendant vingt ans un criminologue pour directeur. Selon sa consœur Sonja Snacken, ce rôle prédominant des chercheurs est lié au fait que, « en Finlande, la politique criminelle est estimée trop importante pour la laisser dominer par l’opinion publique ».3 Les réformes ont donc été « préparées et menées par un groupe relativement restreint de spécialistes dont les idées sur la politique pénale ont une orientation similaire, du moins en ce qui concerne leurs éléments de base ».

Un objectif partagé Pour autant, comme le souligne Tappio Lappi-Seppäla, « l’élément le plus décisif qui sous-tend tous ces changements est probablement la volonté politique commune de réduire le taux d’incarcération », « partagée par les fonctionnaires, les juges et les autorités pénitentiaires et – tout aussi important – par les politiciens, du moins dans la mesure où ils ne s’opposaient pas aux propositions de réforme qu’établissaient les fonctionnaires du ministère de la Justice ». Ce consensus rare trouve son origine dans différents facteurs. Le chercheur finlandais cite en premier lieu « l’ouverture d’esprit des juges », qu’il explique par « le fait que, dans les facultés de droit, la criminologie et la politique pénale sont enseignées » et que « des cours de formation et colloques » sont régulièrement organisés à l’intention des magistrats. Ainsi, N°60 Mars-Avril 2007

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‘‘ En Finlande, la politique criminelle est estimée trop importante pour la laisser dominer par l’opinion publique.

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« bien souvent, [les tribunaux] avaient changé de pratiques même avant que le législateur modifie la loi ». L’étude de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, qui n’a pas manqué de se pencher sur le cas singulier de la Finlande, relève également que « les experts finlandais n’ont pas oublié de faire œuvre de pédagogie à l’égard des médias, “en prenant la peine de leur expliquer longuement pourquoi la Finlande n’avait pas de raison de garder une population pénitentiaire beaucoup plus importante que les autres pays scandinaves et comment on pouvait la réduire” ».4 Une autre raison est à rechercher dans la structure même du marché des médias. En Finlande en effet, les journaux sont traditionnellement vendus par abonnement, et non à l’exemplaire. Ils ne se retrouvent ainsi pas « contraints de lutter quotidiennement pour attirer les lecteurs occasionnels, ou d’avoir recours à des titres choquants ». Les reportages à sensation sur la délinquance se font donc rares et les journaux ne relaient pas non plus les lobbys qui prônent des peines plus sévères. Un contexte médiatique qui n’incite pas les politiciens finlandais à faire campagne autour de l’insécurité. Enfin, analyse Tappio Lappi-Seppäla, le fait d’avoir élaboré des « stratégies convaincantes de prévention de la criminalité hors du cadre du droit pénal » et « clarifié les effets (modestes) des sanctions atténue la confiance non fondée qu’a le public envers le système pénal », ce qui amoindrit les pressions exercées sur ce dernier et facilite au contraire les efforts faits pour réduire le recours à l’incarcération. Stéphanie Coye

(1) Tappio Lappi-Seppäla, « La régulation de la population carcérale. Expériences tirées d’une politique de longue durée en Finlande », Ottawa Conference, 2000. Sauf mention contraire, toutes les citations sont tirées de cet article. (2) « La situation de la population carcérale dans le monde : croissance, tendances, enjeux et défis », Ottawa Conference, 2000. (3) S onja Snacken, « Analyse des mécanismes de la surpopulation pénitentiaire », in La surpopulation pénitentiaire en Europe, Groupe européen de recherches sur la justice pénale, Bruylant, 1999. (4) Commission nationale consultative des droits de l’homme, Les alternatives à la détention, 2007, à paraître à la Documentation française.


LES ALTERNATIVES SORTENT DE L’OMBRE

La promotion des alternatives à l’incarcération est contemporaine de la critique radicale – fortement exprimée par les mouvements de détenus des années 1970 – de la capacité de la prison à transformer positivement les individus. Pourtant, l’essor de ces diverses mesures se heurte depuis lors à la persistance d’une conception dissuasive et afflictive de la punition. Laissant entier le débat autour d’une sanction pénale qui, renonçant à étendre hors les murs les finalités de l’enfermement, s’affranchirait des logiques de souffrance et de discipline.

Prison et alternatives

L’envers ou le double ? L’idée de la prison comme « dernier recours » défendue par le Conseil de l’Europe est la version savante, et renversée en un sens positif, du constat que dressent bien souvent les personnes qui fréquentent le monde carcéral : « J’ai vu en prison des personnes qui n’avaient rien à y faire ». Mais pourquoi n’ont-elles rien à y faire ? Pour le comprendre, il faut revenir un instant sur les raisons pour lesquelles des peines alternatives à l’enfermement ont été créées.

Critique de la prison pour peine La prison, conçue comme le lieu de redressement des délinquants par une discipline pénitentiaire, est devenue le centre de notre système de peine entre la Révolution française et les premières décennies du e xix siècle. Mais l’échec de l’institution a été très vite patent. Et pour cause : étudiant l’histoire de la prison au xixe siècle, l’historien Jacques-Guy Petit la qualifie de vaste « pourrissoir »1 dans lequel des conditions de vie déplorables le disputaient à l’exploitation des prisonniers par des entrepreneurs heureux de trouver là une main d’œuvre bon marché. D’où, explique Michel Foucault dans Surveiller et punir, l’apparition d’un questionnement lancinant : Comment faire des prisons ce qu’elles devraient être ? En les rendant plus sévères ? Par le travail obligatoire ? En imposant l’isolement des condamnés ? En leur inculquant un sentiment religieux ? En exigeant le silence ? Les meilleurs esprits du siècle se sont penchés sur la question. Alexis de Tocqueville, l’auteur du célèbre De la Démocratie en Amérique, a traversé l’Atlantique pour observer son système pénitentiaire et prendre position dans la controverse qui opposait les partisans d’un isolement cellulaire complet à ceux qui préconisaient une vie collective le jour et un enfermement solitaire la nuit.2 Ces débats sur l’organisation de la « bonne prison » n’ont jamais été tranchés. En effet, à chaque fois que les observateurs se sont penchés sur le système

carcéral, ils ont été horrifiés par la condition péniten­ tiaire et en ont déduit qu’en l’état, aucune amélioration réelle des personnes ne pouvait être envisagée. C’est ainsi que la question de la réforme des prisons s’est toujours ouverte à partir d’un même constat : les préconisations formulées par de précédents observateurs n’ont pas été mises en œuvre. D’où le retour récurrent, « monotone » disait Foucault, d’un certain nombre de problématiques inchangées. Par exemple, en 1945, animé d’un profond désir de réforme après son séjour dans les geôles françaises sous l’occupation, Paul Amor renoue avec le questionnement des premières décennies du xixe siècle. Pour lui, la prison peut être un lieu de redressement si elle impose un régime progressif aux condamnés en fonction de leur degré de « perversion ». La réforme alors engagée n’a pas eu les résultats escomptés. Et, trente ans après, les prisons ont finalement été l’objet d’un vent de contestation par des intellectuels et des militants, en même temps que le théâtre de révoltes de détenus, violemment réprimées.

Sanctionner hors les murs La particularité du mouvement né dans les années 70 est qu’il n’a pas débouché sur la production d’une nouvelle théorie de la « bonne prison ». Il a tenté de montrer la solidarité historique entre les tentatives pour réformer cette institution et sa perpétuation. Il a débouché sur une réforme dont les historiens disent le caractère très peu « idéologique »,3 c’est-à-dire qu’elle a visé davantage à modifier – modestement ! – les conditions de vie des détenus qu’à rendre la prison à même de les transformer. Ce qui signifie un renversement fondamental : le renoncement à espérer autre chose de l’enfermement que la mise à l’écart temporaire. D’où les « idées directrices du changement » déjà énoncées en octobre 1974, au lendemain des révoltes, par le secrétaire général de la CGT pénitentiaire : « Réduire N°60 Mars-Avril 2007

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dossier la détention préventive, diversifier les régimes de détention, supprimer les courtes peines d’emprisonnement, modifier les rémunérations du travail, faciliter la réinsertion sociale. »4 D’où, également, la formulation du directeur de la revue Esprit Paul Thibaud qui en appelait en 1979 à « remplacer l’enfermement par un traitement en milieu ouvert où les techniciens de la resocialisation auraient le rôle essentiel ». D’où, enfin, le pronostic formulé par Foucault à la fin de Surveiller et punir, et malheureusement jusqu’à ce jour démenti par les faits, de la perte de « raison d’être » de l’univers carcéral.

Peines certaines, peines symboliques Pronostic démenti car, depuis ce moment même, la certitude de l’inefficacité de la prison dans le processus de réinsertion des prisonniers est demeurée en butte à une conception symbolique de la peine : la sévérité de la répression rendrait la carrière délinquante dissuasive. Ces premières manifestations ont suivi de près les révoltes des détenus, et ont trouvé une première expression législative avec la loi « Sécurité et liberté » de février 1981. Il ne s’agit alors pas tant de montrer l’intérêt de l’enfermement pour la personne que sa puissance de persuasion pour toutes les autres personnes. En un sens, moins la prison est « bénéfique » pour celui qui y est condamné, plus elle remplit sa fonction. Pour le dire autrement, la prison doit figurer comme un risque suffisamment important aux yeux de celui qui s’apprête à commettre une infraction pour faire basculer son choix. Cette fonction a été abondamment mise en avant depuis la fin des années 1970 pour justifier des politiques pénales reposant sur la « certitude » de la peine de prison et, peut-être plus encore, sur l’aggravation considérable des durées d’emprisonnement des personnes en état de récidive. En effet, expliquent les promoteurs de ces législations, si, à celui qui ne connaît pas la prison et en a peur, la crainte de l’enfermement suffit, pour celui qui est déjà accoutumé au milieu carcéral, une longue période d’enfermement est nécessaire. Il en est donc ainsi depuis une trentaine d’année, jusqu’à la dernière loi de décembre 2005 sur le traitement de la récidive des infractions pénales qui use de l’argument pour justifier la limitation des réductions de peines octroyées aux condamnés en état de récidive. L’idée de peines planchers, proposée par Nicolas Sarkozy, suit, à l’évidence, une inspiration semblable. Cette justification de l’accroissement et de l’allongement des peines de prison porte en germe une dangereuse surenchère. Faute d’agir sur les parcours complexes des auteurs d’infractions, elle fonde sa légitimité sur une mise à l’écart de plus en plus longue, appuyée par des peines N°60 Mars-Avril 2007

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automatiques, sans aménagement possible. Le triste exemple de l’évolution de la population carcérale aux États-Unis suffit à se convaincre de la nécessité de lutter contre cette tendance.

Quelles alternatives ? Mais le consensus sur l’incapacité de la prison à jouer un rôle correcteur fait naître des positions politiques lourdes d’incertitudes. Schématiquement, sont régulièrement évoquées deux analyses distinctes. La première consiste à prendre acte que le seul espoir à placer dans l’emprisonnement repose sur la simple contention temporaire des personnes. Dès lors, il est possible de s’interroger sur la manière de neutraliser les auteurs d’infractions de manière moins destructrice, ou de les punir de manière moins sévère, par le déploiement de systèmes de contrôle de plus en plus sophistiqués. En ce sens, il faut plaider pour la généralisation du placement sous surveillance électronique. Mais, diront les partisans d’une seconde approche, demeure dans ce cas sans réponse la question de savoir si la sanction pénale, exécutée en prison ou en dehors, a un effet bénéfique sur les conduites des personnes. Il est possible, poursuivront-elles, d’acter de l’échec de la prison pour promouvoir, hors d’elle, des sanctions à même de remplir le rôle qu’elle n’a jamais tenu. Ce que ces deux propositions ont en commun est la tentation de reproduire hors du cadre de la prison des logiques carcérales : souffrance et neutralisation d’un côté, amendement par la sanction de l’autre. D’où l’ouverture de questionnements récurrents. Certes, comment limiter le plus possible le recours à l’incarcération en utilisant un éventail de mesures alternatives ? Mais aussi et peut-être surtout, comment conférer aux sanctions exercées en milieu ouvert un contenu distinct d’une souffrance moindre et d’une discipline douce ? Autrement dit, en plus de promouvoir des sanctions alternatives à l’enfermement, comment poser au système judiciaire la question de sa capacité à imaginer des mesures qui sortent de sa logique punitive ?5 Jean Bérard

(1) J acques-Guy Petit, Ces peines obscures, La prison pénale en France (1780-1875), Fayard. (2) A lexis de Tocqueville et Gustave de Beaumont, Du système pénitentiaire aux États-unis, 1833. (3) J acques-Guy Petit, Nicole Castan, Claude Faugeron, Histoire des galères, bagnes et prisons : xiiie-xxe siècles, Ed. Privat, 1991. (4) A imé Pastre, Le Réveil pénitentiaire (CGT), octobre 1974. (5) V oir l’entretien avec Jean-François Cauchie pages suivantes.


LES ALTERNATIVES SORTENT DE L’OMBRE

Jean-François Cauchie, sociologue et criminologue, professeur à l’Université d’Ottawa (Canada), refuse de considérer que les alternatives à la prison ne peuvent que reconduire hors de la prison une rationalité pénale immuable. Il montre au contraire, à partir d’exemples, qu’il faut tenter de construire des mesures innovantes, en rupture avec l’impératif séculaire et éculé de la punition par la souffrance.1

Libérer les alternatives Quelles sont les positions traditionnelles de la sociologie critique sur la question des alternatives à l’incarcération ? Jean-François Cauchie : Les critiques adressées par les sciences sociales aux alternatives à l’incarcération sont le plus souvent de trois ordres. On leur reproche d’abord de diffuser la fonction carcérale dans le corps social et non de trouver un substitut à cette fonction. Comme la prison, les alternatives viseraient ainsi à « resocialiser » les gens par le travail et la punition. Un second reproche dénonce le fait que l’application des alternatives conduit souvent à des scénarios désastreux : extension du filet pénal, dualisation des politiques criminelles mais aussi des décisions des tribunaux. La troisième critique qui leur est adressée pourrait servir d’arrière-fond théorique aux deux premières. Imprégnée du 1984 d’Orwell, elle laisse entendre que le contre-pouvoir serait non pas un obstacle au pouvoir, mais sa condition de survie, par l’adaptation aux critiques qui lui sont faites. À la lecture de ces trois reproches, la sanction qui s’impose à l’égard des alternatives pourrait donc bien être sans appel : leur mise à mort. Les alternatives font ainsi face au même dilemme que celui qui touche les abolitionnistes : montrer la prison dans sa vérité nue, c’est espérer lui faire du mal, mais c’est aussi laisser les détenus qu’elle « abrite » dans un insupportable dénuement ; contribuer à la démocratiser, c’est peut-être améliorer leurs conditions de vie, mais c’est aussi risquer de la perpétuer. En quoi ces reproches vous paraissent-ils discutables ? J.-F. C. : De tels reproches sont essentiels à garder à l’esprit, mais ils présentent aussi de graves lacunes. En refusant de prendre au sérieux les alternatives à l’incar-

cération, mais aussi en postulant que le système pénal ne peut se reproduire qu’à l’identique, ou ne se transforme que pour se maintenir sous des formes renouvelées, les sciences sociales risquent de tomber dans un cercle vicieux. N’aborder la peine crédible que sous le visage de la souffrance et ne pas laisser d’autres choix à l’alternative que celui du leurre, ce n’est pas seulement pécher par orgueil scientifique, c’est aussi se condamner au silence ou à la rengaine. Quand une posture intellectuelle procède à l’évaluation négative de toute réforme et rabat toute nouveauté sur la structure pérenne du système, elle ne peut que renforcer cette pérennité. Mais surtout, elle peine à trouver un équilibre entre découverte de potentialités et dénonciation des obstacles à celles-ci. En communiquant ainsi, les sciences sociales viennent donc non seulement renforcer une conception afflictive de la peine, mais dévalorisent, dans un même mouvement, les germes de possibles innovations et s’interdisent la question du changement pénal. Plutôt que de se limiter à rappeler ce qui, dans les alternatives, fait le jeu de la rationalité pénale dominante, les sciences sociales devraient être davantage attentives à valoriser ce que ces mêmes alternatives véhiculent en termes d’idées, de théories et de rationalités autres. Votre analyse se réfère au concept de rationalité pénale moderne. Quels sont ses éléments constitutifs ? J.-F. C. : Ce concept, élaboré par le criminologue Alvaro Pires, naît entre autres de la nécessité de savoir de quoi on parle quand on parle de changement pénal, et notamment d’alternative. À cet égard, je partage l’idée de Jacques Faget2 qu’il faut « cesser de parler d’“alternatives à l’emprisonnement” car il s’agit d’une N°60 Mars-Avril 2007

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dossier définition par le manque ». Afin de reconnaître à ces mesures une dimension propre, leur donner « une visibilité sociale et une légitimité », il faudrait pouvoir les « nommer en positif, à partir de ce qu’elles sont et non en référence à la prison ». Mais avant de les nommer, il faudrait pouvoir les distinguer de ce qu’elles ne sont pas. C’est là qu’entre en jeu le concept de rationalité pénale moderne. Il s’agit du système de pensée dominant du droit criminel contemporain en Occident. À travers des théories de la peine (rétribution, dissuasion, réhabilitation, dénonciation morale) régulièrement actualisées et se renforçant mutuellement, elle a conforté une série d’énoncés de principe : obligation de punir, rejet du pardon et des alternatives, rétrécissement des notions de délit et de peine. La rationalité dominante du droit criminel moderne promeut ainsi une vision hostile, abstraite, négative et atomiste de la protection de la société et de l’affirmation des normes. Dans quelles conditions des innovations peuventelles se produire ? J.-F. C. : L’innovation dans le droit criminel moderne doit se comprendre dans un sens large. Elle peut se situer sur divers niveaux (les idées, le programme des normes de sanction, les organisations) et à différentes étapes temporelles. Une innovation à l’un (code criminel) ou l’autre niveau (tribunaux, prisons) ne signifie donc pas nécessairement une innovation à tous les niveaux, même si des dynamisations réciproques sont possibles. Si on veut parler d’un changement innovant, on ne peut faire l’économie de deux définitions préalables : celles de changement normal et de changement déviant. Le premier est un changement attendu au regard de certaines caractéristiques antérieures du système de droit criminel moderne occidental, à savoir celles que l’on attribue à sa rationalité dominante. Un changement déviant est imprévisible. Mais cette imprévisibilité n’est pas suffisante pour caractériser l’innovation. Comment caractériser une innovation ? J.-F. C. : Pour revêtir un caractère innovant, le changement pénal doit cumuler quatre conditions qui l’écartent de la rationalité pénale dominante : il doit d’abord abandonner l’idée que le mal est nécessaire pour produire un bien et doit participer à une vision du droit criminel

‘‘ Les sciences sociales devraient valoriser ce que les alternatives véhiculent en termes d’idées et de théories autres.  N°60 Mars-Avril 2007

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moins hostile, moins abstraite, moins négative et/ou moins atomiste ; il doit ensuite présenter des caractéristiques irréductibles, non prédictibles et non déductibles au regard de la rationalité pénale moderne ; il doit également être sélectionné, sinon stabilisé, par une structure pénale réceptrice quelconque (théories de la peine, jurisprudence, doctrine, lois) ; il doit enfin revêtir un statut d’indicateur d’une mutation (même faible) dans la conception du système de droit criminel. Bref, ne pas opposer protection de la société et protection de ses membres criminalisés, punir sans humilier, blâmer sans exclure, désapprouver mais en parler, etc. Vous avez étudié les « travaux communautaires » en Belgique. En quoi cette sanction constitue-t-elle une innovation pénale ? J.-F. C. : La première innovation concerne la norme de sanction et se situe au niveau du programme normatif. Inscrits à l’article 7 du Code pénal belge depuis 2002, les travaux communautaires ont en effet reçu le statut de peine principale. Or, quand on sait combien l’obtention d’un tel statut n’est pas chose aisée dans la pénalité moderne, on comprend l’importance d’en souligner la consécration (même si, par ailleurs, plusieurs éléments en minent la crédibilité). La seconde innovation identifiée concerne le discours juridique sur la peine. Principalement située au niveau de la doctrine (et des débats parlementaires), elle est le fruit d’intenses réflexions sur la distinction entre vraies et fausses peines. Et fait notamment suite à un document du ministère de la Justice belge de 1997 dans lequel la sanction doit désormais s’entendre comme « proposition faite […] à l’auteur d’une infraction de poser des actes positifs au bénéfice de la société en contrepartie du trouble […] occasionné ». Cet impératif de punir autrement repose sur trois principes : « (1) c’est une sanction qui doit être acceptée [et non plus imposée] ; (2) l’auteur d’une infraction devient un sujet actif de sa condamnation [ainsi que de la gestion de celle-ci] ; (3) la sanction est exécutée au sein de la société civile [et non plus en prison]. » La troisième innovation identifiée concerne le discours juridique sur l’aide sous mandat judiciaire et se situe principalement au niveau des dispositifs spécialisés (services d’encadrement des prestataires, rôle des intervenants, etc.). Le modèle de l’aide promu assure au travailleur social en justice pénale un positionnement professionnel autonome fondé sur trois principes méthodologiques et déontologiques : « La responsabilisation, qui doit amener le justiciable à se prendre en charge à partir de ses propres moyens et, dans l’absolu, à assumer ses responsabilités par rapport aux actes commis. La non-normativité, qui exige de l’assistant de justice qu’il comprenne le mode d’adaptation individuel et non conforme de la personne et qu’il tente d’y trouver une signification en lien avec son vécu et son environnement. La non-substitution, qui commande à l’assistant de s’abstenir de faire référence à ses propres valeurs dans son intervention et de partir du point de vue du justiciable. » On trouve


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‘‘ Réinsérez-vous”, qu’ils disaient ! Et faites-le avec la prison au-dessus de la tête.

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ainsi amorcée une théorie de la réhabilitation distincte de celle de la rationalité pénale moderne. Pouvez-vous citer un autre exemple ? J.-F. C. : Oui, une loi de 2006 sur les drogues au Brésil. La détention ou la consommation de drogues étant un crime, la loi prévoit les peines suivantes : avertissement sur les effets des drogues, prestations de services à la communauté et participation à un programme ou cours éducatif. Or, dans le droit criminel moderne occidental, il est très rare de voir un article qui évoque des crimes prévoir des peines autres que la peine de mort, le châtiment corporel, l’emprisonnement ou même l’amende. On peut noter en outre que les peines sélectionnées ici ne correspondent pas, de façon optimale, au concept de peine qui soutient qu’une « vraie peine » exige de la part de l’autorité l’intention visible de vouloir infliger une souffrance ou une blessure. L’information innovante vient également de la réaction des pénalistes brésiliens eux-mêmes, ainsi que de certains criminologues. Plusieurs d’entre eux parleront en effet d’une dépénalisation, voire d’une décriminalisation de la loi sur les drogues. Or, y a-t-il dépénalisation quand la peine devient une prestation ? Y a-t-il décriminalisation quand le crime se voit associer une peine qui n’est ni la mort, ni la prison ? Quels sont les intérêts et les limites de telles innovations ? J.-F. C. : Si les innovations se situent à des niveaux différents (programme normatif, doctrine, exécution de la peine), elles ne doivent pas pour autant être lues indépendamment les unes des autres. Rien ne garantit le nombre et la qualité des connexions que ces trois niveaux assureront entre eux. Une innovation en matière d’exécution des peines peut avoir nombre d’effets sur la pratique des professionnels et sur l’expérience pénale des justiciables. Pour autant, elle ne peut espérer modifier seule la rationalité dominante du système de droit criminel. Elle devra compter pour cela sur l’appui d’innovations encouragées par la doctrine. Cela dit, il ne faut pas être dupe et par exemple imaginer que la simple présence d’une solution pénale innovante (comme les travaux communautaires belges) suffise à mettre à mal un système de pensée occidental qui a su, en quelques siècles, trouver une cohérence et une consistance que ne viennent briser ni le particularisme des normes nationales, ni les traditions juridiques en jeu (common law ou droit romano-germanique).

À la lumière de cette analyse, quel regard portezvous sur l’Étude de la Commission nationale consultative des droits de l’homme2 ? J.-F. C. : Cette étude montre très clairement que les alternatives à la détention rencontrent des obstacles majeurs pour gagner en crédibilité. Citons-en quelques-uns : obligation, pour la plupart de ces alternatives, de composer avec le (spectre) carcéral mais surtout avec les théories de la peine qui le brandissent ; obligation pour elles, du moins jusqu’à preuve du contraire, de se voir évaluées de triste façon (que ce soit dans l’indifférence générale, à travers le reproche « chronophage », sous une forme chiffrée, ou encore à l’aune de critères périmés). Sans compter que nombre de paramètres qui servent à cadrer l’expérience (et la bonne tenue) des alternatives restent enfermés dans la monotonie de discours maintes fois entendus : une récidive qui vient prétendument marquer le fiasco d’une thérapie ; un retard de quinze minutes sur un lieu de travail qui vient prétendument signifier l’échec d’une réinsertion ; le respect de la discipline imposée dans un boot camp qui vient prétendument consacrer le retour aux bonnes valeurs ; une ponctualité sans faille qui vient prétendument garantir le succès d’une probation. Au fond, qu’elle se joue entre quatre murs, qu’elle se balade avec un bracelet électronique ou qu’elle soit entourée d’anges gardiens, la peine paraît toujours plus anachronique quand elle exige de gens qui n’existent pas de rentrer dans un univers qui n’existe plus. « Réinsérez-vous », qu’ils disaient ! Et faites-le avec la prison au-dessus de la tête, dans un monde qui s’est résigné à anoblir le chômage structurel, à fataliser sa colonie de surnuméraires et à investir de tous les titres ceux qui ont le moins de médailles. Ce qui doit nous inquiéter, c’est la réelle difficulté du droit criminel à valoriser ce qui n’est pas souffrance, stigmatisation et exclusion. Mais clouer au pilori le seul droit criminel serait une injustice de plus. Il est illusoire de vouloir en rendre compte en le déconnectant du politique, de la science, de l’économie ou des médias. Il en va de même pour les prisons. Si celles-ci sont un révélateur social, ce ne sont pas (seulement) elles qu’il faut changer, mais bien la société dans laquelle elles prennent place. Une entreprise d’une toute autre envergure.3 Propos recueillis par Jean Bérard et Stéphanie Coye

(1) P our aller plus loin : J.-F. Cauchie, D. Kaminski, « Éléments pour une sociologie du changement pénal en Occident », in Champ Pénal, Vol IV, 2007 : http://champpenal.revues.org/ (2) C ommission nationale consultative des droits de l’homme, Les alternatives à la détention, 2007, à paraître à la Documentation française. (3) S ur cette question, lire notamment : Grégory Salle, Emprisonnement et État de droit. Une relation à l’épreuve en Allemagne et en France depuis les années 68, Thèse de doctorat, IEP Paris, 2006. N°60 Mars-Avril 2007

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Privés de scrutin Le droit de vote « est quasiment inexistant en prison car aucune disposition n’est prévue pour en faciliter l’exercice ». Sept scrutins ont eu lieu depuis ce constat dressé, en juin 2000, par la commission d’enquête sénatoriale dans son rapport « Prisons : une humiliation pour la République ». Force est de constater pourtant que la situation n’a guère évolué. Depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal, le 1er mars 1994, qui a mis fin à la privation automatique des droits civiques en cas de condamnation à une peine d’emprisonnement supérieure à un mois, les prisons françaises abritent plusieurs dizaines de milliers d’électeurs potentiels. Pourtant, seuls 500 détenus ont participé, par le biais du vote par procuration, au référendum de 2005 sur la constitution européenne. Et seuls 500 détenus ont pu s’inscrire avant la fin de l’année sur les listes électorales afin de participer aux prochaines élections présidentielles et législatives. Ces chiffres manifestent moins le désintéressement des détenus à l’égard de la politique que les carences cumulées des ministères de la Justice et de l’Intérieur. Faute d’information suffisante, nombre de détenus pensent encore qu’ils sont privés de leurs droits civiques du fait même de leur condamnation, voire de leur incarcération. Et, faute de directives claires quant aux conditions d’inscription des détenus sur les listes électorales, les mairies demeurent incapables de les renseigner utilement. Les pouvoirs publics semblent rester sourds à l’invitation faite, le 24 juin 2005, par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe de prendre « les mesures appropriées pour protéger les droits électoraux des groupes d’électeurs vulnérables » que sont, entre autres, les détenus.

33« Les détenus n’y ont pas droit »

Cyril M., détenu en centre de détention, février 2007. « Je dois voir mon assistante sociale le 20 février, je lui demanderai ce qu’il en est concernant notre droit de vote. J’aimerais pouvoir voter, mais je crois que les détenus n’y ont pas droit. Nous nous sentons bien inutiles, alors que si nous pouvions avoir le droit de vote, nous nous sentirions déjà moins exclus. »

33« Nous n’avons eu aucune information » Abdsatar Oukhiri, détenu à la maison d’arrêt de Draguignan, février 2007. « J’ai l’intention de voter pour les élections présidentielles et, pourquoi pas, pour les législatives. Le problème, c’est que dans l’établisN°60 Mars-Avril 2007

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sement où je suis, on m’a posé la question de savoir si je souhaitais voter il y a quinze jours seulement. Depuis, aucune nouvelle. Je suis dans l’incertitude la plus totale ; d’autant plus qu’en me renseignant auprès du personnel, j’ai appris qu’il fallait s’inscrire avant le 31 décembre 2006. Savoir que l’on n’a eu aucune information sur un sujet aussi important me choque. En tant que père de famille, et citoyen à part entière de ce pays, j’ai un devoir civique à respecter. »

33« Ce serait bien que l’on soit informé personnellement. » Alain, détenu au centre de détention d’Uzerche, février 2007. « Concernant le droit de vote, nous avons été informés par une affiche

disposée dans le couloir ; mais je n’ai pas eu le temps de la lire car elle a disparu. Ce serait bien que l’on soit informé personnellement. »

33« Si je n’avais pas relancé le service concerné… » Marc Garnier, détenu au centre de détention de Casabianda, février 2007. « Condamné à 19 ans de réclusion criminelle, je n’ai jamais été privé de mes droits civiques, civils et de famille. Je pense que la plupart des détenus jouissent des mêmes droits mais qu’ils ne le savent pas. Si je n’avais pris l’initiative de forcer ce droit au début de mon incarcération, jamais on ne m’aurait informé en ce domaine. Il m’avait fallu formuler de nombreuses demandes auprès du SPIP, du chef de détention, et même du directeur, avant d’être appelé auprès d’un officier de police pour remplir les formulaires de procuration. Je me souviens que nous n’étions pas plus de quatre à avoir entrepris cette démarche, et l’un d’entre nous avait été écarté parce qu’il n’avait pas de pièces d’identité au vestiaire. Dans les établissements dans lesquels j’ai successivement séjourné, j’ai entrepris les mêmes démarches sans succès. Lors de mon arrivée à Casabianda, il y a un an, j’ai fait des démarches par lettres recommandées pour m’inscrire sur la liste électorale de la commune. Pour rien au monde je n’aurais manqué cette échéance ni celles à venir. Cependant, si je n’avais pas relancé le service concerné début décembre, il est probable que je n’aurais pas pu voter. »


TEMOIGNAGES

de m’inscrire sur les listes électorales le 25 septembre. J’ai dû me manifester plusieurs fois pour obtenir le formulaire d’inscription. Celuici m’a été remis le 28 décembre avec recommandation de le remplir et de le retourner le même jour afin que ma demande soit officialisée par la mairie. Le 5 janvier, une collègue de ma CIP m’a annoncé qu’il y avait des complications concernant mon inscription ; celle-ci aurait été trop tardive. »

33« Aucune précision n’a été donnée » Jean-Philippe P., détenu en maison centrale, février 2007. « Une information sur la possibilité de voter a été affichée il y a déjà plusieurs semaines. Cette information a également été diffusée par le biais du canal interne. Cependant, aucune précision n’a été donnée sur les démarches à entreprendre pour s’inscrire sur les listes électorales, ni sur le moyen par lequel une procuration pourra être donnée à des tiers. Les détenus sont, par conséquent, dans l’expectative. »

33« J’aurais aimé avoir la possibilité de voter » Philippe D., détenu en maison d’arrêt, février 2007. « J’aurais aimé avoir la possibilité de voter ; cependant, les circonstances ont fait que je n’ai pas pu m’inscrire sur la liste électorale de la commune où se situe la maison d’arrêt. Le SPIP m’a fait comprendre que je ne peux pas être domicilié à la maison d’arrêt. Je suis donc SDF, du moins en ce qui concerne l’inscription sur les listes électorales. »

33« J’ai dû me manifester plusieurs fois » Fabrice M., détenu en maison centrale, février 2007. « J’ai informé ma conseillère d’insertion et de probation de mon désir

33« Nous n’étions que sept »

Jacques R., détenu en centre de détention, mars 2007. « J’étais détenu à la maison d’arrêt des Baumettes à Marseille lors du référendum sur le projet de constitution européenne. L’administration pénitentiaire nous avait informés par voie d’affichage de la possibilité de voter par procuration. J’avais pu réaliser cette démarche sans difficulté ; cependant, l’officier de police chargé d’établir les procurations m’avait confié que nous n’étions que sept à en avoir fait la demande, sur un total de 1500 détenus environ. Au centre de détention où je suis actuellement, des affiches du même type ont été disposées depuis le 14 février sur tous les lieux de passage. Cependant, dans aucun établissement, je n’ai vu d’information quant à la possibilité de s’inscrire sur les listes électorales. Pour l’avoir demandé, je sais qu’à Marseille existait la possibilité de s’inscrire sur une liste de la commune, mais qu’il fallait donner procuration à une personne domiciliée dans le même arrondissement. »

33« Personne ne peut me renseigner » Serge Neuville, détenu à la maison d’arrêt de Villeneuve les Maguelone, février 2007. « Cette année, j’ai demandé à exercer mon droit de vote. Je me suis renseigné auprès d’un travailleur

social car aucune information sur le sujet n’a circulé en prison. Celuici m’a indiqué ne pas connaître la procédure car j’étais le premier à lui poser la question. Après des recherches, j’ai pu m’inscrire, avec son aide, sur la liste électorale de Perpignan. Le problème, c’est que je suis de Biarritz, et qu’il faut que je donne procuration à une personne inscrite sur la liste de Perpignan. Depuis, j’ai été transféré, et le problème s’est empiré. Comment vaisje pouvoir voter cette année ? Je ne connais personne sur Perpignan et je me trouve à l’heure actuelle à 150 km de là. Personne ne peut me renseigner, pas même le service social. »

33« Si le vote se faisait par correspondance, je voterais » Frédéric Puteaux, détenu à la maison d’arrêt de La Roche-surYon, février 2007. « Je n’ai pas l’intention de voter, que ce soit pour les présidentielles ou les législatives. Si le vote se faisait par correspondance, je voterais, mais il se fait par procuration et je ne connais personne dans le secteur. Si j’avais pu voter, les engagements des candidats auraient eu une influence sur mon vote. Il est temps que le gouvernement réagisse en ce qui concerne les conditions de détention mais également les conditions de travail des surveillants. »

33« Pourquoi voulez-vous que je vote ? » Bernard G., détenu en maison d’arrêt, février 2007. «  Pourquoi voulez-vous que je vote ? Lorsque j’étais en liberté, j’ai toujours voté, j’ai toujours été citoyen. Aujourd’hui, je ne suis plus rien. Je suis juste un numéro d’écrou, et je risque de le rester jusqu’à la fin de ma vie. » Rubrique réalisée par Marie Crétenot N°60 Mars-Avril 2007

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e

Priver une personne

en fin de vie des visites

de sa compagne constitue un traitement inhumain et dégradant.

La Cour européenne des droits de l’homme prône une appréciation concrète des conditions de détention, pour rendre effectif le droit au respect de la dignité des prisonniers. En neutralisant en extrême urgence une décision suspendant l’autorisation de visiter un détenu en fin de vie, puis en l’annulant comme constituant un traitement inhumain et dégradant, le juge administratif s’engage sur cette voie.

Hôpital pénitentiaire de Fresnes

Un « traitement inhumain »

droit

Par deux décisions, l’une rendue en référé le 30 octobre 2006, l’autre en formation normale le 29 décembre, le tribunal administratif de Melun (Seine-et-Marne)1 a sanctionné de façon particulièrement exemplaire la violation par l’hôpital pénitentiaire de Fresnes des libertés d’un prisonnier en fin de vie et de sa compagne. La juridiction a en effet considéré qu’en suspendant quinze jours le permis de visite de la conjointe du détenu, au motif qu’elle avait tenté de lui remettre des objets d’usage quotidien, la direction de l’établissement était gravement sortie du cadre de la légalité. Les faits sont survenus le 25 octobre 2006. Madame P., apprenant que son conjoint, Monsieur G., était atteint d’un cancer des poumons engageant son pronostic vital à très court terme, a essayé de lui remettre divers objets (crème corporelle, boissons gazeuses, rasoirs jetables, carte postale, etc.), pour adoucir ainsi sa fin de vie. Repérée, elle s’est aussitôt vue suspendre son permis de visite pour avoir enfreint les règles de sécurité. Dès le lendemain, Monsieur G., sa compagne et l’OIP ont saisi le tribunal administratif. Celui-ci avait à statuer, d’une part, sur une procédure dite de « référéliberté », afin que soit suspendue la décision de l’administration, et, d’autre part, sur un recours pour excès de pouvoir, visant à son annulation. Les décisions rendues sont toutes deux remarquables, puisqu’elles illustrent que la protection juridictionnelle des personnes détenues peut être pleinement effective. En effet, le juge des référés a, dans un premier temps, ordonné le rétablissement immédiat de l’autorisation de visite, avant que le tribunal n’annule quelques semaines plus tard la décision de l’hôpital pénitentiaire comme constitutive d’un traitement inhumain et dégradant.

Une procédure exceptionnelle La procédure du « référé liberté » prévue à l’article L.521-2 du Code de justice administrative (CJA), permet au juge « d’ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale », en principe N°60 Mars-Avril 2007

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dans un délai de 48 heures. Cette intervention exceptionnellement rapide et les larges pouvoirs conférés au juge expliquent qu’elle ne peut être mise en œuvre que dans des circonstances particulièrement graves.2 La demande doit ainsi remplir quatre conditions cumulatives et rigoureusement appréciées par le juge : l’urgence ; l’atteinte à une liberté fondamentale ; une atteinte grave ; une atteinte manifestement illégale. L’urgence est étroitement liée à la gravité de l’atteinte aux droits des intéressés et n’est reconnue que si des circonstances particulières impliquent qu’une mesure visant à sauvegarder une liberté soit prise dans les 48 heures. D’autre part, l’identification d’une « liberté fondamentale au sens de l’article L.521-2 du CJA » relève d’une construction élaborée par le juge. L’ensemble des droits et libertés garantis par la Constitution ou les conventions internationales ne bénéficie en effet pas de la protection du référé-liberté. En sont par exemple exclus le droit à protection de la santé ou au logement décent. En revanche, le Conseil d’État considère qu’« en ce qu’elle a pour objet de préserver des ingérences excessives de l’autorité publique la liberté de toute personne de vivre avec sa famille constitue une liberté fondamentale », ouvrant la voie du référéliberté.3 S’agissant de la condition tenant à l’illégalité manifeste d’une décision ou du comportement de l’administration, elle peut résulter de tout motif et tenir à l’atteinte même à la liberté fondamentale, mais doit être évidente. Au regard du droit à une vie familiale normale, le Conseil d’État ne considère cette condition remplie « que dans le cas où il est justifié d’une atteinte manifestement disproportionnée aux buts en vue desquels la mesure contestée a été prise ». En définitive, les conditions posées par l’article L.521-2 du CJA sont rarement réunies.4

L’extrême urgence retenue Dans son ordonnance du 30 octobre 2006, le juge des référés retient que « l’espérance de vie de M. G. n’est


en droit

que de quelques jours ; que dès lors, il y a extrême urgence à suspendre l’exécution de la décision du sous-directeur de l’établissement ». Autrement dit, eu égard à l’imminence du décès, la suspension des visites était susceptible d’entraîner des conséquences irréversibles sur l’exercice de la vie de famille des intéressés, qui risquaient de ne plus jamais se revoir. Le juge retient ensuite que l’article D.406 du Code de procédure pénale prévoit notamment la présence d’un sur-

La qualification de traitement inhumain et dégradant retenue pour la première fois

La critique faite par les magistrats saisis du recours pour excès de pouvoir est tout aussi cinglante. À l’instar du juge des référés, ils considèrent que la légalité d’une suspension des visites est conditionnée à sa stricte adéquation à l’objectif de sécurité poursuivi, eu égard aux autres moyens à disposition de l’adminis-

reconnu et interrompu par le juge veillant durant le parloir, la fouille du détenu à l’issue de celui-ci et la soumission des visiteurs à des mesures de sécurité. À cet égard, il relève que le directeur aurait pu « mettre en œuvre ces mesures, ou des mesures équivalentes, avec une efficacité suffisante pour éviter la réitération de l’incident. » En l’absence de nécessité impérieuse de sécurité, la suspension du permis de visite n’était donc pas indispensable pour parvenir au but poursuivi. Le juge considère enfin que dans « les circonstances de l’espèce, compte tenu des moyens que l’administration pouvait mettre en œuvre » pour éviter la transmission des objets et « de l’état de Monsieur G. », la suspension du permis de visite « constitue une ingérence excessive » dans le droit de mener une vie familiale normale. Cinq jours après qu’elle ait été prise, la décision de la direction de l’hôpital de Fresnes était suspendue par le juge.

tration. Ce qui n’est pas le cas. Les juges retiennent en outre que « le directeur n’a pas pris en considération l’état de santé critique engageant le pronostic vital à court terme de Monsieur G. » Dans ces conditions, concluent-ils, la mesure a non seulement porté une atteinte excessive « au respect de son droit à mener une vie privée et familiale dans les limites de la contrainte pénitentiaire », mais, de surcroît, elle a « constitué à son égard un traitement inhumain et dégradant ». Ce faisant, le tribunal confirme que, tout en tenant compte du contexte carcéral, il exerce un plein contrôle de proportionnalité des ingérences dans le droit des détenus de mener une vie familiale normale. En outre, en qualifiant, pour la première fois semblet-il dans le droit administratif, l’acte de l’administration pénitentiaire de traitement inhumain et dégradant, le tribunal signifie la gravité des actes commis et l’interdiction absolue des atteintes à la dignité des personnes détenues. La vigueur de la mise en cause de l’action des services pénitentiaires par le tribunal administratif tient assurément à la gravité des circonstances de la présente affaire, et en particulier à l’intensité des souffrances morales infligées à une personne en fin de vie. Ces décisions traduisent néanmoins la possibilité d’un renouveau de la protection juridictionnelle des libertés en prison, au travers d’une appréhension concrète de la réalité pénitentiaire par le juge, comme l’y invite la Cour européenne des droits de l’homme, et d’une utilisation adéquate des procédures d’urgence par les personnes détenues. Elenn Mouazan et Hugues de Suremain (1) T A Melun, ord. réf. n°06-7067/2 du 30/10/2006 et TA Melun, n°06-7203/6 du29/12/2006 (2) C ’est pourquoi le référé-suspension prévu à l’article L.521-1 du CJA, apparaît souvent bien plus adapté, les conditions d’octroi étant moins rigoureuses. (3) C E, Sect., 30 oct. 2001, Mme Tliba n° 238211 (4) L e seul précédent dans le contentieux pénitentiaire est une ordonnance du tribunal administratif de Versailles du 10 septembre 2004, n°044380, relatif à un retard dans l’acheminement du courrier portant atteinte au respect de la correspondance. N°60 Mars-Avril 2007

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LETTRES OUVERTES

« Je n’avais jamais vu un être humain dans un tel état de délabrement »

33« Je n’avais jamais vu un être humain dans un tel état de délabrement »

Gilles, détenu en maison centrale, janvier 2007. « Il y a quelques années, sur le même étage où je me trouve, est arrivé un homme d’une cinquantaine d’années que je nommerais J-S. Au début, je ne lui prêtais pas attention. Il ne sortait jamais de sa cellule, ne dérangeait personne, ne créait de problème à quiconque. Avec un co-détenu, que je nommerais F-C, nous nous interrogions à son sujet. Nous nous demandions “quelle tête il pouvait bien avoir ?”, car nous ne l’avions jamais vu  ; même pas pour la douche. Pourtant le temps était caniculaire et moi-même il m’arrivait d’en prendre deux par jour, ne serait-ce que pour me rafraîchir. Un jour, J-S demanda à voir le détenu faisant office d’écrivain public pour lui dicter une lettre. F-C et moi étions en train de faire notre ménage à ce moment, et donc nous avions nos cellules respectives ouverte. Nous sommes donc allés voir “quelle tête il avait”. Ce que nous vîmes et sentîmes nous a horrifiés ! L’odeur qui se dégageait de cette cellule était fétide et pestilentielle, ça sentait la viande en décomposition. La vue n’était pas plus ragoûtante ! Des asticots, par centaines, si ce n’est plus, rampaient de partout. Il en sortait de dessous le lit, des toilettes, de la poubelle, de l’armoire, nous n’en crûmes pas nos yeux ! J-S semblait, quant à lui, sortir d’un autre temps : malgré la chaleur étouffante, il n’avait pas pris de douches depuis deux mois, sa barbe grise lui tombait sur la poitrine, ses cheveux en bataille coulaient dans son dos, les ongles des mains devaient bien mesurer trois centimètres ; quant à ceux des pieds, bien trois ou quatre. De ma vie, N°60 Mars-Avril 2007

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je n’avais jamais vu un être humain dans un tel état de délabrement ! En général, je ne suis pas facilement impressionnable, mais j’avais envie de vomir ! F-C et moi avons demandé à voir un membre de la hiérarchie afin de lui demander des explications. Le dégoût fit place à la colère lorsque j’entendis ses arguments et j’avoue avoir eu du mal à réprimer cette colère ! “Nous savons que ce n’est pas sa place ici… nous ne pouvons rien faire… nous n’avons pas le budget pour une auxiliaire de vie… je ne vais quand même pas payer de ma poche…” Les surveillants sondaient les barreaux de sa cellule tous les jours en se bouchant le nez, visiblement sans plus d’émotions. Les services “sociaux” ne s’inquiétaient visiblement pas de son triste sort. Idem pour les services médicaux. Ces derniers passaient pourtant tous les jours pour lui apporter ses médicaments, car, nous l’avons appris plus tard, J-S est devenu hémiplégique suite à une attaque cérébrale. Il ne pouvait se déplacer que très difficilement grâce à une canne à trépied car il n’a pas bénéficié d’une rééducation efficace et suivie. F-C et moi avons décidé, sans même réfléchir, de nous occuper de lui. F-C a nettoyé sa cellule, pendant que je me chargeais de le laver avec le tuyau des douches. Je n’ai aucune formation pour m’occuper des personnes dépendantes. Si je l’avais blessé en le manipulant, on aurait pu m’en rendre responsable ; j’en suis conscient. Mais que devais-je faire ? Le laisser mourir ??? Nous avons demandé à l’aumônerie de lui fournir des vêtements. Le détenu coiffeur lui a coupé les cheveux et la barbe. Nous avons également demandé à l’infirmerie d’envoyer quelqu’un pour lui couper les ongles des mains et des pieds. Sur

quoi il nous a été répondu : “Nous n’en ferons rien s’il n’a pas été lavé” (ce qui fut fait déjà à trois reprises auparavant). Les ongles lui ont finalement été coupés. Ne sachant que faire de J-S, l’administration pénitentiaire l’a transféré dans un hôpital pénitencier pour un mois. J’ai appris très récemment qu’ils l’ont envoyé par la suite en maison d’arrêt. Depuis, je ne sais pas ce qu’il est devenu, ni dans quel état il se trouve ou s’il est mort… Si je raconte cette histoire à des gens qui n’ont jamais mis un pied en prison, on me traitera de menteur ou de mythomane. Comment peuton croire qu’en l’an de grâce 2006, en France, dans le pays des droits de l’homme, dont la devise est “liberté, égalité, fraternité”, ce genre de chose soit encore possible ? Madame, Monsieur, vous qui lisez cette lettre, ceci arrive ! Ceci existe ! Je l’ai vu ! Je l’ai vécu ! »

33« J’avais signé “la non inaptitude” »

Dr Thierry Devaux, médecin, septembre 2006. « Un de “mes” détenus s’est suicidé au QD de “ma” prison. Pendu. Réussi. Le QD, c’est la prison de la prison, le quartier disciplinaire. Comme on lui avait dit lorsqu’il y entrait : “une semaine, c’est pas quoi…”. En tant que médecin, j’avais signé “la non inaptitude” à son placement en QD… Simple formalité, juste une petite signature… Et j’ai effectué les visites réglementaires : deux fois par semaine, une minute, à travers les barreaux grillagés. Parce que seul le bricard a la clé de cette deuxième porte, que l’on n’ouvre pas, et qui n’a laissé sortir que son sourire et “oui, ça va bien, pas de problème…”. Comment le croire ? L’ai-je vraiment cru ? Non, ça ne peut “aller bien” quand


on est enfermé dans un réduit sans fenêtre, au mauvais éclairage artificiel, à la mauvaise aération, coupé du monde extérieur, évidemment, mais même du monde carcéral… Non, ça ne peut pas “aller bien” quand on ne peut même pas tourner en rond dans cette cage à fauve, sans trébucher sur le lit ou la table scellés au sol, ou mettre le pied dans le trou des toilettes à la turque… Non, ça ne peut pas “aller bien” quand on vit dans un endroit où l’on n’oserait pas enfermer un chien, sans risquer la furie justifiée de Brigitte Bardot et de la Société Protectrice des Animaux, où l’on ne peut qu’oublier l’humanité. Ça n’est donc pas allé bien… et pourtant : C’était un détenu ordinaire… Enfin, presque : il était noir… Il m’avait fait un sourire : lui serait-il resté un petit quelque chose d’humain ? C’était une “petite” peine : une semaine de QD… “C’est pas quoi…” C’était en France, “LE” pays des droits de l’homme, en septembre 2006 (vingt et unième siècle). Mais surtout, ne changez rien au système, ne tenez pas compte de ces mots : je les écris pour lui. Et je ne suis qu’un petit médecin, généraliste de surcroît, même pas “droits de l’hommiste”, adhérent UMP donc de droite, juste contractuel dans cette prison elle-même bien ordinaire et sans histoire. Depuis cet “incident”, je ne trouverai plus jamais un détenu “non inapte” au placement en QD, et s’il m’arrive d’être appelé à y visiter un patient qu’un confrère aurait déclaré “non inapte”, j’aurai l’outrecuidance de l’en faire sortir. En souvenir de ce détenu presque ordinaire… »

33« Il est peut-être plus facile de récidiver »

Sylvie, compagne d’une personne détenue, mars 2007. « Ça fait quatre fois que je connais la prison. La première fois, j’avais 16 ans. J’étais en apprentissage couture quand la brigade des stupéfiants est venue me chercher sur mon lieu de travail pour m’emmener faire une déposition. Mon ami a ensuite été incarcéré quatre mois. Suite à cela, les rapports avec ma patronne sont devenus conflictuels et j’ai dû démissionner. Ensuite, mon ami est sorti en provisoire pour y revenir pratiquement un an plus tard. Il a refait 4 mois et est sorti à nouveau en semi-liberté. D’origine marocaine, n’ayant presque jamais travaillé, avec un casier judici-

© Bertrand Desprez / Agence Vu

LETTRES OUVERTES

aire, il avait de grandes difficultés à trouver du travail. Il a recommencé à dealer. Entre temps, nous avons eu un petit garçon. Pendant cinq ans, il est resté tranquille mais les charges quotidiennes augmentaient. Il a pété un plomb, pour subvenir aux besoins de sa famille. Il s’est fait à nouveau arrêter et cette fois-ci a pris 6 ans. Au bout de deux ans, j’ai fait le nécessaire pour lui trouver un stage, je restais en contact avec l’assistante sociale et ai rencontré le juge de l’application des peines. Il est sorti en conditionnelle parentale au bout de trois ans. Pendant ce temps, à l’extérieur, la vie avait continué à augmenter, on était passé à l’euro, les assurances avaient augmenté, l’électricité aussi. Au début de sa sortie, malgré l’amour que j’ai pour lui, nous avons eu du mal à revivre ensemble. J’avais pris mes habitudes et ne me rendait pas compte que je ne lui laissais pas la possibilité de s’affirmer. Avec beaucoup de temps, nous avons réussi à nous entendre.

Aujourd’hui, il est à nouveau en pri­ son, toujours pour la même chose. Il n’est resté que 11 mois en liberté. Je le soutiens, mais je lui en veux quand même. J’en veux aussi au système carcéral. Nous avons voulu changer d’assurance car elle était trop chère, mais nous n’avons pas pu car il avait eu une condamnation et qu’il fallait attendre 5 ans. Ensuite, nous avons voulu nous mettre à notre compte pour devenir marchands ambulants. Idem, nous ne pouvions pas. Je voulais changer d’appartement. Mais des articles étaient parus sur lui et, lors des commissions d’attributions, cela n’a pas été apprécié. Je pense que ça explique qu’il a à nouveau pété un câble et recommencé à dealer. Quelque part, tous ces refus l’ont poussé à mal agir. J’aimerais que toutes ces personnes haut placées qui se permettent de juger puissent voir la difficulté de se réinsérer et qu’il est peut-être plus facile de récidiver. » N°60 Mars-Avril 2007

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en actes

Suspicions sur la prédiction

« Danger, dangerosité et peur : récuser le pouvoir prédictif », dossier de la revue Rhizome, n°23, disponible sur le site www.ch-levinatier.fr/orspere.

1986 : la réinvention de la prison ?

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« De la réforme des détenus au management à visage humain ». Cette transition, qui a permis à l’institution carcérale de faire le deuil de ses visées d’amendement tout en se parant des atours de la modernité, le jeune chercheur Grégory Salle l’analyse à un moment symptomatique et décisif : celui N°60 Mars-Avril 2007

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des débats autour de la « privatisation » des prisons en 1986.  Décisif, parce qu’il a ouvert une « brèche » qui ne s’est pas refermée depuis, faisant de sociétés privées des acteurs de plus en plus importants de la construction et de la gestion des établissements péniten­tiaires. Mais, peut-être plus encore,

© Michel Le Moine

« Il n’y a de danger qu’en situations ». Et non dans des personnes, des groupes sociaux, des classes d’âge ou des maladies. C’est partant de cette idée que la revue Rhizome s’attache à démonter la construction sociale de la dangerosité et de l’impératif de la prédiction. L’incarcération et la supposée « évaluation » des détenus prennent, dans cet ensemble, une place de choix. Après avoir fait remarquer avec une ironie amère que la prison, en matière de soins, est « victime de son succès » car « les personnes souffrant de troubles mentaux affluent », la psychiatre Catherine Paulet déconstruit la mission impossible donnée à la science de prévoir pour prévenir la réitération de l’infraction. L’expert, explique-t-elle, « s’il prédit la récidive délinquante, par définition incertaine, aléatoire et multifactorielle, fait référence non à sa science mais à son intime conviction ». Mais au-delà, l’intérêt du dossier réalisé par Rhizome est de croiser les époques et les disciplines. L’historien Olivier Faure nous rappelle que la dangerosité des « classes laborieuses » a été théorisée en 1840 par un chef de bureau à la préfecture de la Seine, qui répondait à un concours lancé par l’Académie des sciences pour « rechercher quels sont les éléments dont se compose cette partie de la population qui forme une classe dangereuse par ses vices, son ignorance et sa misère ». Le psychiatre Bernard Golse démontre la « malhonnêteté scientifique » de la récente étude de l’INSERM qui, après avoir tenté d’établir un lien entre l’attitude enfantine de « troubles oppositionnels avec provocation » et la carrière délinquante, a déclenché un tollé et une pétition – « pas de zéro de conduite » – signée par 180 000 personnes. À l’heure où, comme le dit Catherine Paulet, « psychiatrie et prison sont convoquées au chevet de l’insécurité sociale », il est très précieux d’avoir en main un dossier comme celui là qui, « pour éviter le déni autant que la généralisation abusive », invite à « ne pas confondre l’obligation d’une prévention raisonnée avec le pouvoir d’une prédiction suspicieuse ».

symptomatique d’une nouvelle manière de légitimer le recours à l’enfermement. En effet, les résultats législatifs des débats menés au moment du lancement du « plan 13 000 » ont été bien en deçà des espoirs du garde des Sceaux de l’époque, Albin Chalandon. Celui-ci avait en effet « envisagé de confier à des opérateurs privés la responsabilité de financer, de concevoir, de construire et de gérer 25 000 à 30 000 places nouvelles, constituant des établissements pénitentiaires dans lesquels toute la gestion, y compris la direction et la surveillance, serait confiée à une entreprise privée ». De ce point de vue, la « gestion déléguée » finalement retenue est une privatisation très partielle. En revanche, le débat a été l’occasion d’expliciter et de rendre visible un mode de légitimation de l’incarcération très éloigné de tout espoir placé dans ses vertus sur les individus enfermés. Comme le montre Grégory Salle, « le ministre explicite un présupposé central : l’anticipation à la hausse de la


EN ACTES délinquance, donc l’extension du parc pénitentiaire. Il convient selon lui de construire 40 000 nouvelles places ». Pour mener cette politique, le recours au secteur public risque d’être « trop cher » et « trop long ». L’appel au secteur privé pour étendre le parc immobilier carcéral n’est rien de plus qu’une mesure de bonne gestion, qui plus est justifiée par la nécessité de ne pas entasser les prisonniers dans des conditions indignes. En ce sens, expliquent alors des sénateurs (de droite), « cette réforme n’appartient ni à la gauche ni à la droite », elle est pleine de « pragmatisme » et de « bon sens ». Plus encore peut-être que l’arrivée de nouveaux acteurs dans le champ carcéral, il importe de situer là ce début du triomphe de la « raison gestionnaire » comme justification autosuffisante de la politique pénitentiaire, simple réceptacle d’une politique pénale tout aussi consciente des échecs de l’incarcération que sourde à toute réflexion critique sur l’extension de son usage. Grégory Salle, « État de droit, État gestionnaire, retour sur la “privatisation de prisons françaises”, Champ Pénal, décembre 2006, disponible sur www.champpenal.revues.org.

La « grotte » des fous de Fresnes

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« Donner vie aux chiffres », c’est ce qu’a voulu faire la journaliste Catherine Herszberg dans l’ouvrage dans lequel elle a consigné son expérience de quatre mois au sein de la maison d’arrêt de Fresnes. Ces chiffres, ce sont ceux, désormais connus et répétés, du nombre de personnes souffrant de graves troubles psychiatriques incarcérées dans les prisons françaises : 7 % de schizophrènes, 7 % de personnes souffrant de paranoïa et de psychose hallucinatoire chronique… Derrière les pourcentages, il y a ainsi cette cellule que les surveillants appellent « une grotte » et qu’ils s’empressent de montrer à l’observatrice : « La poubelle dégorge ses détritus, mêlant à terre des peaux de banane, des pots de yaourt, des restes de repas, des vieux papiers, des mégots[…]. À côté, sur une table, une serviette éponge, à la façon d’une nappe, trouée par la cigarette et marbrée de longues tâches brunâtres. Le long du mur qui fait face à la table, le lit à trois étages, surprenant de modernité, en métal bleu foncé, comme tiré d’un catalogue IKEA. Sur le matelas du bas, la couverture cache mal un drap souillé. Et sur la couverture, une multitude de petites boîtes d’allumettes éparpillées. Dans le maigre espace qui sépare le lit de la table, un drap par terre, vaguement plié, lui aussi maculé, et une couverture. Deux petites flaques mouillées et épaisses jouxtent la couverture : des crachats. Cyril V. mange là souvent. Il y dort aussi ». Dans l’empressement des personnels pénitentiaires à montrer ce lieu, il y a toute la détresse et l’incapacité de l’institution à abriter tant de malades qui, faute de prise en charge adaptée, voient leur état de santé s’aggraver et subissent un traitement que la Cour européenne des droits de l’homme a récemment qualifié de « dégradant ». Dans cette « grotte »,

et autour, il y a des psychotiques déclarés responsables, des détenus en transfert perpétuel de prison en prison, de quartier d’isolement en SMPR. Il y a des suicides, des violences envers d’autres détenus et à l’encontre des surveillants. De tout cela, Catherine Herszberg rend compte, et par là même de l’interrogation des personnels soignants qu’elle a suivis durant ces semaines : Que faire lorsqu’un jour « presque ordinaire » est une « catastrophe » ? Catherine Herszberg, Fresnes, histoires de fous, Seuil, 187 p., 16 euros.

Surveillances in(dé)finies

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L’ouvrage collectif Justice et technologies, surveillance électronique en Europe est le fruit d’un long travail entamé en 2002 par la remise d’un rapport d’évaluation de l’usage du bracelet électronique (PSE) dans 5 pays européens, et poursuivi par un colloque tenu fin 2005 à Grenoble, non plus seulement sur le PSE, mais sur l’usage des nouvelles technologies dans le système pénal. La première partie du livre rassemble des contributions sur l’introduction de la surveillance électronique en France, en Espagne, en Belgique, en Angleterre et en Suisse. Mais c’est la seconde partie, « La surveillance électronique en débats », qui ouvre les interrogations les plus fécondes. Le sociologue Philippe Mary revient sur l’opposition entre les tenants de l’usage du PSE comme alternative à la prison et les opposants à l’extension du filet pénal ainsi permise. Avec quelques années de recul, il montre que la disparition progressive de la sphère publique des débats politiques sur le bracelet a permis que son usage soit progressivement étendu sans rencontrer d’hostilité. Cette « disparition de limites » est pour lui « de nature à favoriser la multiplication des dispositifs, voire une surenchère » : par exemple, « l’apparition d’une deuxième génération de techniques de surveillance électronique (par GPS) vient appuyer le développement du recours aux appareils de première génération et vraisemblablement en ira-t-il de même lorsque la troisième génération (permettant par exemple un choc électrique à distance) arrivera sur le marché ». Pour mettre en évidence les bouleversements du droit induits par une autre grande application des techniques contemporaines qu’est le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG), le juriste François Fourment se demande si « la justice pénale tiendra ferme l’extinction de l’action publique par prescription lorsqu’un rapprochement opéré sur le FNAEG révèlera des faits indiscutablement prescrits ». « On peut, poursuit-il, en douter ». Plus généralement, le professeur de droit Henri Oberdorff, examinant les relations entre nouvelles technologies et garanties des libertés fondamentales, s’inquiète d’un possible déséquilibre conduisant à ce que la liberté des personnes soit « absorbée par la sécurité » dans un État qui ne serait plus de droit mais « de police ». L’ensemble est, à l’image de cet article conclusif, une invitation salutaire « à ne pas basculer dans une société de surveillance qui est apparemment l’une des grandes tentations modernes ». Jean-Charles Froment, Martine Kaluszynski (sous la direction de), Justice et technologies, surveillance électronique en Europe, Presses universitaires de Grenoble, 2006, 25 euros.

en actes

N°60 Mars-Avril 2007

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en actes Relations enfant-parent détenu : panser ou penser ?

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Penser la relation familiale lorsqu’un parent est incarcéré ne saurait se limiter à envisager les seules conditions d’aménagement de son accompagnement. La revue belge « Politiques sociales », publiée par l’Université catholique de Louvain, a donc décidé de consacrer un large dossier à cette problématique, en alliant les points de vue de la recherche, du terrain et de la décision politique. Dix contributions, françaises, belges ou canadiennes, de psychologues, psychanalystes, psychiatres, sociologues ou d’institutionnels, interrogent ainsi la relation « enfant-parent détenu », les modalités des interventions des acteurs psychosociaux dans cette relation (soignants, travailleurs sociaux, associations…), et les expériences d’amélioration conduites. Les articles de Dan Kaminski, criminologue dans cette Université de Louvain, et de Gilles Chantraine, chargé de recherche au CNRS-CESDIP en France, constituent cependant l’apport essentiel dans l’exposé de la problématique : le premier dans le cadre de l’analyse de la loi belge du 12 janvier 2005 (loi de principe relative à l’administration des établissements pénitentiaires ainsi qu’au statut juridique des détenus), au regard du maintien des relations familiales, et le second en traitant des effets pervers pour les détenus du « lien avec l’extérieur » qui, sous couvert de présenter les prisons comme ouvertes sur le monde, participent à leur perpétuation. Ce faisant, ces deux chercheurs nous invitent, pour reprendre les mots de la pédopsychiatre Dominique Alles, non pas à « panser » les problèmes, mais à « penser » les systèmes qui les génèrent et les entretiennent, et à s’interroger sur ce qui conduit un État à continuer de recourir à l’emprisonnement, dont les effets humains ravageurs pour le détenu et sa famille, ainsi que le coût exorbitant, sont parfaitement connus des décideurs politiques. Une « radicalité » du propos parfaitement assumée et qui vise, selon Dan Kaminiski, « à signifier que les droits sont des outils de lutte et non des cadeaux législatifs » et « à soutenir que les relations familiales ne sont vraiment protégées que par la non-incarcération des délinquants. ». « Les enfants de pères détenus », Politiques sociales, n° 3 et 4, Belgique, 2006.

Déconstruire les formules-chocs de la vindicte punitive

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Créé en 2001, le groupe Claris, qui réunit « chercheurs professionnels et indépendants » et « professionnels impliqués », s’est donné pour objectif de « clarifier le débat public sur la sécurité ». Après quelque temps d’absence, ce réseau revient avec une nouvelle revue qui, dans son numéro d’octobre, identifie clairement sa cible : « la stratégie du ministre de l’Intérieur et président de l’UMP ». En substance, le but est d’éviter que la présente campagne électorale ne se fourvoie dans les mêmes pièges que la précédente. Or, qui, dans l’espace politique, est susceptible de structurer une analyse apte à renverser efficacement les « formules-chocs de [la] vindicte punitive » ? Non pas, comme l’écrit le rédacteur en chef de la revue, Laurent Mucchielli, les journalistes et les syndicats, mais bien les chercheurs qui « eux seuls ont la capacité de formuler autre chose N°60 Mars-Avril 2007

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que des opinions, à savoir des démonstrations ». Entre autres démonstrations, le sociologue démonte la rumeur d’une justice des mineurs devenue « laxiste », par l’analyse détaillée du traitement policier et judiciaire de 86 mineurs jugés par le tribunal de Bobigny durant les émeutes de novembre 2005. Le sociologue Manuel Boucher s’attache quant à lui à démontrer la possibilité « d’un journalisme citoyen, presque sociologique ou ethnographique » en vue de contrer les « logiques de stigmatisation et de dépolitisation » dans lesquelles s’enferment généralement les médias dès lors qu’ils traitent des violences juvéniles. Dans le numéro de décembre, ce sont les différents présupposés de la loi sur la prévention de la délinquance qui, chacun à leur tour, vacillent faute de pouvoir résister à l’analyse des auteurs. Stimulants, accessibles et toujours rigoureux, les articles de Claris ont le mérite d’argumenter la contradiction dans un espace souvent habité par le seul jeu des mots d’ordre et des slogans. Reste aux politiques à venir y puiser l’inspiration nécessaire. Groupe Claris, Claris. La Revue, n°1, octobre 2006, et n°2, décembre 2006, www.claris.org/

UHSA : « un formidable effort dans la mauvaise direction »

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Jusqu’où faut-il soigner et punir ?, s’interroge Gérard Dubret. Le constat ne fait désormais plus de doute : « L’afflux derrière les barreaux des prisons de personnes souffrant de maladie mentale ne cesse de s’amplifier ». Et l’auteur de s’insurger contre « l’analyse purement statique de cette situation » conduisant à accroître et développer l’offre de soins psychiatriques de manière à ce que la prison puisse prendre en charge des pathologies de plus en plus lourdes. Caractéristique de cette tendance et qualifiée de « formidable effort dans la mauvaise direction », la mise en place prochaine des UHSA (unités hospitalières spécialement aménagées) fait courir le risque de renforcer l’association entre la peine et le soin. Plus complet sera en effet le dispositif de soins psychiatriques de la prison, moins les tribunaux se garderont de condamner des malades à des peines d’emprisonnement. Pour sortir de ce cercle vicieux, il est urgent, selon l’auteur, de développer une réflexion en amont, à la fois sur l’expertise psychiatrique et sur la nature de l’offre de soin de la psychiatrie publique. S’agissant de l’expertise, pour Gérard Dubret, la lutte est double. Elle doit se mener, d’une part, contre ces experts « idéologues » qui vantent « la valeur thérapeutique de la sanction pénale et donc, de l’incarcération », et d’autre part, pour l’abrogation de la disposition législative ayant introduit la distinction entre abolition et altération du discernement, qui a fait que la schizophrénie n’est plus synonyme d’irresponsabilité pénale. Résultat, sa prévalence est 14 fois supérieure en prison qu’à l’extérieur. Une tendance qui ne pourra être endiguée tant que subsistera cette carence en lits pour patients violents qui contraint ceux-ci à rester à la rue, jusqu’à ce que leurs troubles les conduisent derrière les barreaux. À défaut d’agir sur ces facteurs déterminants, la prison demeurera une alternative à l’hospitalisation. Gérard Dubret, « La prison, ultime institution psychiatrique pour soigner et punir ? », in L’information psychiatrique, vol 82, n°8, octobre 2006.

Rubrique réalisée par Jean Bérard, Julien Nève et Andrée Martins.


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rapport 2005 : les conditions de détention en France OIP/ La Découverte, 2005, 288 p., 20  (hors frais de port)

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Dedans dehors n°58/59

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L’OIP en région  Les coordinations régionales mènent leur action d’observation et d’alerte au sujet de tous les établissements pénitentiaires de la région concernée, en lien avec les groupes et correspondants locaux présents : Pour contacter les coordinations régionales : Région Ile-de-France François Bès 31, rue des Lilas 75019 Paris 01 44 52 87 95 francois.bes@oip.org

Région Nord-Pas-de-Calais Anne Chereul Adresse provisoire 31, rue des Lilas 75019 Paris 06 63 52 10 10 anne.chereul@oip.org

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Région Rhône-Alpes Lionel Perrin Adresse provisoire 31 rue des Lilas 75019 Paris 06 50 73 29 04 lionel.perrin@oip.org

Les groupes et correspondants locaux assurent l’observation et l’alerte de la (les) prison(s) présente(s) dans leur ville, en lien avec les coordinations régionales et le secrétariat national : Pour les contacter vous pouvez joindre le secrétariat national : contact@oip.org ou 01 44 52 87 90 Aix-en-Provence, Agen (Eysses), Aiton, Amiens, Angoulême, Arras, Avignon, Bapaume, Bayonne, Bédenac, Béthune, Bois d’Arcy, Bonneville, Bourg-en-Bresse, Chambéry, Douai, Dunkerque, Fleury-Mérogis, Fresnes, Grenoble (Varces), Laon, Le Puy-en-Velay, Lille, Longuenesse, Lyon, Marseille, Maubeuge, Meaux, Melun, Metz,Nancy, Nanterre, Nîmes, Niort, Osny, Paris La Santé, Poissy, Poitiers, Privas, Rennes, Rochefort, Saintes, Saint-Etienne SaintMartin-de-Ré, Saint-Quentin-Fallavier, Toulon,Toulouse (Seysses), Valence,Valencienne, Versailles, Villefranche-sur-Saône, Villepinte.

Qu’est-ce que l’OIP ? Considérant que l’emprisonnement est une atteinte à la dignité de la personne, la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP), juridiquement créée en janvier 1996, agit pour la défense des droits fondamentaux et des libertés individuelles des personnes détenues. Que fait l’OIP ? Concrètement, l’OIP dresse et fait connaître l’état des conditions de détention des personnes incarcérées, alerte l’opinion, les pouvoirs publics, les organismes et les organisations concernées sur l’ensemble des manquements observés ; informe les personnes détenues de leurs droits et soutient leurs démarches pour les faire valoir ; favorise l’adoption de lois, règlements et autres mesures propres à garantir la défense de la personne et le respect des droits des détenus ; favorise la diminution du nombre de personnes détenues, la limitation du recours à l’incarcération, la réduction de l’échelle des peines, le développement d’alternatives aux poursuites pénales et de substituts aux sanctions privatives de liberté. Comment agit l’OIP ? Organisation indépendante des pouvoirs publics, l’OIP ne sollicite aucun mandat ou subvention du ministère de la Justice, s’interdit de prendre part à l’action d’aucun gouvernement, de soutenir aucun parti politique ou de prendre position à l’occasion de toute consultation électorale. Pour faciliter la mise en œuvre de ses objectifs, l’Observatoire suscite la création de groupes locaux en charge de l’observation d’un lieu de détention et composés exclusivement de membres de l’OIP.


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