La lettre et l’esprit du contrôle La folie devient un enjeu sécuritaire De l’intimidation en milieu carcéral
régimes de détention différenciés
l’envers du décor
Observatoire international des prisons Section française
5 € N°63 Septembre-Octobre 2007
EDITORIAL
De la politique d’intimidation en milieu carcéral
La « loi du silence » qui pèse sur les différents acteurs du système carcéral et caractérise le fonctionnement de l’administration pénitentiaire (AP) n’est pas nouvelle. Néanmoins, depuis quelques années, et notamment ces derniers mois, la volonté d’enfermer un peu plus la parole derrière les murs ne cesse de se renforcer. Au point que, pour la première fois dans l’histoire de l’OIP, deux de ses membres se sont retrouvés, cet été, auditionnés par la police, en l’occurrence les services de la sûreté urbaine de Lille. La raison : une enquête judiciaire ouverte à la demande de l’AP suite à la diffusion de courriers signés de détenus faisant état de brimades et de mauvais traitements à la maison d’arrêt de Sequedin (Nord). La police aurait-elle convoqué l’OIP pour vérifier ces allégations ? Pas vraiment. Leurs questions portent sur les relations de l’Observatoire avec la presse, nos contacts avec un détenu victime d’un dysfonctionnement rendu public et l’appartenance à l’OIP d’un intervenant extérieur. Face à cette volonté d’intimidation sans précédent qui constitue une tentative d’entrave manifeste à l’action menée par une organisation non gouvernementale dans l’accomplissement de son mandat, l’OIP a alerté diverses instances nationales et internationales de protection des droits de l’homme. Faisant écho à cette démarche, le Médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye, a immédiatement interpellé le procureur de Lille, suivi de la Commission nationale consultative des droits de l’homme qui, par la voix de son secrétaire général Michel Forst, a fait connaître son inquiétude auprès du Préfet du Nord. Le même jour, le Commissaire européen aux droits de l’homme, Thomas Hammarberg, a réclamé des éclaircissements à la Représentation permanente de la France auprès du Conseil de l’Europe. Peu après ces interventions, une nouvelle audition, préalablement programmée, a été annulée sur décision du parquet. Mais pour combien d’autres paroles muselées ? À SaintQuentin-Fallavier, un avocat, David Metaxas, fait par exemple l’objet des foudres de la direction de l’établissement, allant jusqu’à la saisine du bâtonnier et du parquet, pour son « attitude indigne » lors d’une commission de discipline, au cours de laquelle il avait critiqué vertement les conditions de détention de son client, placé à l’isolement depuis plusieurs mois, et affirmé qu’il allait les rendre publiques. Les personnels pénitentiaires ne sont pas non plus épargnés. Au point que, dans un communiqué du 5 octobre, l’UFAP a dénoncé le « dirigisme totalitaire » de la direction de l’administration pénitentiaire et les « sanctions infligées à des agents [du centre pénitentiaire de Ducos, en Martinique], qui n’ont fait que […] dénoncer une situation difficile et […] réclamer des moyens, rien de moins légitime ! ». Stéphanie Coye
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SOMMAIRE 3 Actu Contrôleur : la lettre et l’esprit du contrôle. La sûreté avant tout La folie devient un enjeu sécuritaire 12 De facto : L’OIP demande la fermeture du quartier disciplinaire de Fleury-Mérogis... également mis en cause par la CNDS après un décès ; Loos : visite indignée de députés ; La majorité des détenus sans moyens d’alerte la nuit en RhôneAlpes ; etc.
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Régimes de détention différenciés : L’envers du décor Avec Olivier Boudier, secrétaire général du Syndicat national de l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaire (SNEPAP) ; Gaëtan Cliquennois, sociologue ; Claire, intervenante en milieu carcéral ; Marion Vacheret, criminologue canadienne ; ainsi que des témoignages de personnes détenues en centres de détention.
35 Éclaircissements 36 en actes Comprendre les mutations pénales ; Une régression de la sécurité ; Je vous écris cette lettre ; Voyage au bout de l’enfer(mement) ; Petite histoire de l’administration pénitentiaire. 38 Notes de lecture (re)vue de l’intérieur 36 Lettres ouvertes « Si l’on voyait un animal vivre comme nous vivons, les gens crieraient au scandale » ; « Premier parloir » ; « Je me demande où je suis » ; « Madame le ministre de la Santé... » ; « Les soins ne sont plus assurés de manière satisfaisante. »
DEDANS DEHORS publication bimestrielle de la section française de l’Observatoire international des prisons, association loi 1901, 31, rue des Lilas, 75019 Paris, Tél.: 01 44 52 87 90, Fax: 01 44 52 88 09, e-mail : contact@oip.org Internet : http://www.oip.org Directrice de la publication : Martine Joanin Rédaction : Jean Bérard, Anne Chereul, Stéphanie Coye, Patrick Marest, Andrée Martins, Julien Nève, Lionel Perrin. Secrétariat de rédaction : Stéphanie Coye, Marie Crétenot, Anne Fellmann, Patrick Marest, Pascale Poussin, Isabelle Roger. Identité graphique : MG., L.D.<dlaranjeira@caramail.com> Maquette : Claude Cardot Photos : Patrick Artinian, Bertrand Desprez, Anne-Marie Marchetti, Olivier Touron. Remerciements à : Agence VU, Editing, L’oeil public Impression : Imprimerie Expressions 2, 10 bis, rue Bisson, 75020 Paris Tél. : 01 43 58 26 26 ISSN : 1276-6038 numéro CPPAP en cours Diffusion sur abonnement au prix annuel de 30 Prix au numéro : 5 € Couverture : Patrick Artinian
ACTU
Appelé à entrer en fonction début 2008, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté disposera d’un pouvoir limité et contraint. Dans ces conditions, le choix de la personnalité choisie pour exercer cette fonction sera lourd de sens. Plus encore, pour qu’une page se tourne réellement dans l’histoire des prisons, il importe que le futur Contrôleur s’affranchisse de toute relation de connivence avec l’administration pénitentiaire.
La lettre et l’esprit du contrôle
D’ici quelques semaines, les détenus des prisons françaises disposeront, en la personne d’un Contrôleur général des lieux de privation de liberté, d’une nouvelle voix de recours pour tenter de faire respecter leurs droits fondamentaux. Le projet de loi l’instituant devait en effet être adoptée par le Sénat le 18 octobre, dans les mêmes termes que l’Assemblée nationale l’a fait le 25 septembre.
une « belle et grande idée » Cette perspective répond à une nécessité affirmée de longue date. Songeons que presque dix ans se sont écoulés depuis ce 17 décembre 1998 où, pour la première fois, notre pays se vit enjoindre de prévoir « un organe de contrôle indépendant auquel les détenus puissent s’adresser en cas de violation de leurs droits ». Cette résolution émanait du Parlement européen. Elle fut relayée quelques mois plus tard par l’OIP qui, au lendemain de la révélation des faits survenus à la maison d’arrêt de Beauvais, lançât une campagne « pour un contrôle extérieur des prisons ». Une démarche auquel le gouvernement de l’époque répondit en demandant au Premier président de la Cour de cassation de réfléchir à « l’amélioration du contrôle extérieur sur les établissements pénitentiaires ». Chacun a en mémoire les préconisations de Guy Canivet rendues publiques en mars 2000. Et personne n’ignore qu’elles demeurèrent lettres mortes jusqu’à ce jour malgré les nombreuses propositions de loi déposées depuis lors par des élus de tous bords. Ce n’est donc pas le moindre des mérites de l’actuel garde des Sceaux que d’avoir inscrit à l’ordre du jour du Parlement, au début de cet été, un projet de loi visant à concrétiser ce qu’elle appelle une « belle et grande idée ». Elle va permettre à la France d’honorer ses engagements internationaux et notamment de ratifier le Protocole facultatif des Nations Unies
qui imposait à notre pays la création d’un mécanisme national de prévention des traitements inhumains et dégradants.
une volonté politique non dénuée d’ambiguïté Cette curieuse profession de foi de Mme Dati à la tribune de l’Assemblée nationale témoigne cependant d’une certaine ambiguïté : « Nous n’instituons pas un contrôle, mais un Contrôleur des lieux de privation de liberté. Les mots ont toute leur importance ». De même l’énergie qu’elle a déployée toute au long des débats parlementaires, secondée en cela par le gros des troupes de l’UMP, pour s’opposer aux suggestions souvent judicieuses des élus de tous bords pour renforcer les prérogatives et moyens d’actions du futur Contrôleur. Lors de l’examen au Palais du Luxembourg, le 31 juillet dernier, la ministre a par exemple réussi à embrouiller les sénateurs en affirmant sans sourciller que les restrictions au droit de visite du Contrôleur contenues dans l’article 6 de son projet de loi (cf. les principales dispositions, page suivante) n’étaient rien d’autres que celles prévues par le Protocole Onusien. Un mensonge éhonté. « On s’est fait avoir », ne peut que s’étrangler Jean-Pierre Sueur (PS) quelques heures plus tard, après avoir vérifié la partie du texte du protocole qui correspond au mécanisme national. Autre scénario à l’Assemblée nationale, le 25 septembre, cette fois, les députés ont réussi à voter la suppression de l’alinéa honni. Sous les regards catastrophés de tout l’arrière banc placé derrière la ministre. Qu’importe ! Il n’est pas question de laisser tomber sur cette entrave. Après une suspension de séance, au cours de laquelle on prend soin de sonner le rappel au sein de l’UMP, on fait ensuite procéder à un nouveau vote… Résultat inversé. « Je m’étonne que l’on demande au Parlement une seconde délibération. Faire voter sur des amendements jusqu’à ce qu’ils soient adoptés me semble à N°63 Septembre-Octobre 2007
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dans l’établissement) ou aux documents auxquels il peut avoir accès alors qu’il est lui-même soumis au secret professionnel. Et si la nomination du Contrôleur par simple décret (du ministère de la Justice), initialement prévue dans le projet de loi a laissé place à une nomination « par décret du président de la République, après avis de la commission compétente de chaque assemblée », l’indépendance de ce responsable est également loin d’être garantie. On est encore loin, très loin, de la procédure de recrutement suggérée par Guy Canivet qui prévoyait un appel public de candidatures, une sélection par un organisme indépendant tel que la Commission nationale consultative des droits de l’homme qui proposerait le candidat retenu au président de la république qui procéderait à sa nomination… « S’agit-il d’une simple satisfaction formelle d’une exigence internationale, d’un trompe-l’œil, ou d’une réelle volonté politique d’instaurer un contrôle des lieux de détention ? » s’interroge Robert Badinter le 31 juillet au Sénat. Qu’attend véritablement le gouvernement de l’entrée en fonction, au début de l’année 2008, d’un contrôleur général des lieux de privation de liberté ? À l’entendre présenter le projet de loi devant le Parlement et, plus encore, en l’observant défendre bec et ongles la version initiale de son texte, le doute s’installe… Et encore plus à l’annonce du budget qui lui sera dévolu : 2,5 millions d’euros, 18 emplois créés. Soit deux fois moins que le contrôleur anglais, qui a pourtant uniquement en en charge les prisons, et non pas quelques 5 800 lieux privatifs de liberté.
dans l’incertitude
© Bertrand Desprez
la limite de ce que doit être la démocratie », conclura désabusée l’UMP Françoise Hostalier, sous les applaudissements du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
le doute s’installe Le dispositif proposé initialement par le gouvernement a été sans conteste amélioré par le jeu des amendements parlementaires, mais l’enthousiasme n’est pas au rendez-vous. Comme l’a souligné le sénateur Charles Gautier, « ce texte a le mérité d’exister, mais il est bien en retrait par rapport aux attentes. Nombre d’articles se bornent à énoncer tout ce qui peut limiter ou entraver l’action du contrôleur général ». En raison du choix fait de lui confier un large champ d’intervention – bien au-delà du seul champ pénitentiaire – comme du parti pris de ne lui conférer que des pouvoirs partiels et contraints. A cet aune, force est de constater que le projet de loi ne répond pas de façon complète aux espérances, notamment au regard des restrictions faites à son pouvoir de visite (celle-ci peut être reportée en cas « de troubles sérieux » N°63 Septembre-Octobre 2007
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Dans ces conditions, il n’est pas acquis qu’une page se tourne dans l’histoire des prisons françaises avec son entrée en fonction début 2008. Certes, l’abondance des dispositifs appelés à endiguer l’ « arbitraire carcéral » dénoncé jadis par le Sénat ne saurait nuire. Leur multiplicité est même requise dans un contexte d’inflation carcérale sans précédent contraignant une population de plusieurs dizaines de milliers d’hommes et de femmes à subir un quotidien dont chacun sait qu’il s’apparente à un traitement inhumain et dégradant. Et il y a fort à parier que les « premiers concernés » ne manqueront pas de saisir l’opportunité qui leur sera ainsi offerte de témoigner du désastre social et humain qui se joue derrière les murs des prisons de la République. Pour autant, le dispositif institué sera-t-il en mesure de jouer un rôle effectif pour garantir aux personnes détenues qu’elles ne seront plus privées de l’exercice de leurs droits les plus élémentaires ? Rien n’est moins sûr. Pour Robert Badinter, « tant vaudra cette institution que vaudra le choix du premier contrôleur ». Incontestablement. Mais pas seulement. Plus encore que la personnalité choisie pour assumer cette fonction, la clé de la mise en œuvre d’un contrôle digne de ce nom réside dans l’état d’esprit dans lequel elle exercera ses missions. En la matière, Rachida Dati a fixé un postulat redoutable. « Je suis convaincue qu’un dialogue bénéfique pourra s’établir à l’occasion des investigations » du Contrôleur, « ce dialogue est d’ailleurs la meilleure promesse de résultats concrets ». Et, pour que les choses soient claires, d’ajouter qu’il « ne doit pas ordonner, mais convaincre, afin que la relation de confiance qui doit unir les différents acteurs ne se mue pas en rapport de force ». Pareille philosophie de connivence condamnerait cette « belle et grande idée » à n’être qu’une illusion législative, un trompel’œil. Patrick Marest
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LES PRINCIPALES DISPOSITIONS DU PROJET DE LOI Article 1er : « Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, autorité indépendante, est chargé, sans préjudice des prérogatives que la loi attribue aux autorités judiciaires ou juridictionnelles, de contrôler les conditions de prise en charge et de transfèrement des personnes privées de liberté, afin de s’assurer du respect de leurs droits fondamentaux. Dans la limite de ses attributions, il ne reçoit instruction d’aucune autorité. » Articles 2 et 3 : « Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté est nommé en raison de ses compétences et connaissances professionnelles par décret du Président de la République, après avis de la commission compétente de chaque assemblée, pour une durée de six ans. [...] Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté est assisté de contrôleurs qu’il recrute en raison de leur compétence dans les domaines se rapportant à sa mission. » Article 5 : « Toute personne physique, ainsi que toute personne morale s’étant donné pour objet le respect des droits fondamentaux, peuvent porter à la connaissance du Contrôleur général des lieux de privation de liberté des faits ou situations susceptibles de relever de sa compétence. » Article 6 : « Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté peut visiter à tout moment, sur le territoire de la République, tout lieu où des personnes sont privées de leur liberté par décision d’une autorité publique, ainsi que tout établissement de santé habilité à recevoir des patients hospitalisés sans leur consentement visé à l’article L. 3222-1 du code de la santé publique. Les autorités responsables du lieu de privation de liberté ne peuvent s’opposer à la visite du Contrôleur général des lieux de privation de liberté que pour des motifs graves et impérieux liés à la défense nationale, à la sécurité publique [...]. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté obtient des autorités responsables du lieu de privation de liberté toute information ou pièce utile à l’exercice de sa mission. Lors des visites, il peut s’entretenir, dans des conditions assurant la confidentialité de leurs échanges, avec toute personne dont le concours lui paraît nécessaire. Le caractère secret des informations et pièces dont le Contrôleur général des lieux de privation de liberté demande commu-
nication ne peut lui être opposé, sauf si leur divulgation est susceptible de porter atteinte au secret de la défense nationale, à la sûreté de l’État, au secret de l’enquête et de l’instruction, au secret médical ou au secret professionnel applicable aux relations entre un avocat et son client. » Article 7 : « À l’issue de chaque visite, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté fait connaître aux ministres intéressés ses observations concernant en particulier l’état, l’organisation ou le fonctionnement du lieu visité ainsi que la condition des personnes privées de liberté. Les ministres formulent des observations en réponse chaque fois qu’ils le jugent utile ou lorsque le Contrôleur général des lieux de privation de liberté l’a expressément demandé. [...] S’il constate une violation grave des droits fondamentaux d’une personne privée de liberté, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté communique sans délai aux autorités compétentes ses observations, leur impartit un délai pour y répondre et, à l’issue de ce délai, constate s’il a été mis fin à la violation signalée. S’il l’estime nécessaire, il rend alors immédiatement public le contenu de ses observations et des réponses reçues. Si le contrôleur général a connaissance de faits laissant présumer l’existence d’une infraction pénale, il les porte sans délai à la connaissance du procureur de la République, conformément à l’article 40 du code de procédure pénale. Le contrôleur général porte sans délai à la connaissance des autorités ou des personnes investies du pouvoir disciplinaire les faits de nature à entraîner des poursuites disciplinaires. » Article 8 : « Dans son domaine de compétences, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté émet des avis, formule des recommandations aux autorités publiques et propose au Gouvernement toute modification des dispositions législatives et règlementaires applicables. Après en avoir informé les autorités responsables, il peut rendre publics ces avis, recommandations ou propositions, ainsi que les observations de ces autorités. Article 9 : « Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté remet chaque année un rapport d’activité au Président de la République et au Parlement. Ce rapport est rendu public. »
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La sûreté
La mécanique est désormais rodée. Chaque fait divers génère ses effets d’annonces, voire sa loi particulière. Dans ce domaine, la fin de l’été a été particulièrement chargée. En moins d’une semaine, le chef de l’État répondait au feuilleton tragique de l’affaire Evrard en annonçant la création « d’hôpitaux-prisons » dédiés aux pédophiles et rebondissait sur le « non-lieu psychiatrique » concernant Romain Dupuy1 en demandant à la ministre de la Justice de « réfléchir » à la possibilité de traduire un criminel reconnu irresponsable devant un tribunal. Des propositions qui tendent à renforcer une conception du système pénal où la sûreté prend le pas sur tout objectif de réinsertion. Il n’a pas fallu dix jours au président de la République, après l’adoption de la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive, pour annoncer des mesures complémentaires. C’est qu’un nouveau fait divers est venu défrayer la chronique. Libéré du centre de détention de Caen (Calvados) le 2 juillet, après avoir purgé dix-huit ans de prison pour des actes de pédophilie, Francis Evrard a récidivé 45 jours plus tard. La machine se met alors en route : après s’être plié au rituel de la rencontre des victimes, et avoir pris le soin d’organiser une réunion interministérielle consacrée au suivi des délinquants sexuels, Nicolas Sarkozy a annoncé l’adoption pour ce mois de novembre d’un nouveau texte de loi.
les principes du droit pénal menacés Censé marquer « clairement la différence entre l’exécution de la peine conséquence d’un crime et les questions de sûreté », ce texte se concentrera essentiellement sur la mise en place de mesures post-carcérales avec comme fer de lance la création des fameux « hôpitaux-prisons », dont le chef de l’État, durant sa campagne, promettait le développement « de toute urgence ». Concrètement, plus aucun pédophile récidiviste « ne pourra [...] sortir de prison uniquement parce qu’il a exécuté sa peine ». À la fin de celle-ci, ils seront en effet « examinés par un collège de médecins et si ce collège de médecins reconnaît leur dangerosité, ils ne seront pas remis en liberté, ils iront dans un hôpital fermé où ils seront soignés ». Et le président de la République de faire la différence entre « ceux qui accepteront d’être soignés », lesquels « pourront avoir des permissions pour sortir de cet hôpiN°63 Septembre-Octobre 2007
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tal », à condition tout de même de porter un bracelet électronique et de subir une « castration chimique », et « ceux qui n’accepteront pas d’être soignés », condamnés à rester « dans cet hôpital fermé le temps où l’on estimera qu’ils sont dangereux ». L’ouverture du premier « hôpital-prison » a été annoncée pour 2009, à Lyon. À peine les mondes judiciaire et médical ont-ils eu le temps de digérer cette annonce que le 24 août, le chef de l’État récidivait après sa rencontre avec les familles des deux infirmières assassinées en 2004 à l’hôpital psychiatrique de Pau (PyrénéesAtlantiques). S’affirmant en « solidarité totale avec les victimes », il a profité de cette occasion pour affirmer sa volonté de « faire évoluer la loi, pour que, y compris quand il y a irresponsabilité, le procès puisse avoir lieu ». Un non-lieu « psychiatrique » venait en effet d’être requis par le procureur de la République et le président tenait à s’associer à l’incompréhension des familles. « Je veux être celui qui reste proche des Français et qui réagit avec eux » a-t-il ainsi déclaré. Le chef de l’État a toutefois concédé que « l’irresponsabilité n’était pas un sujet pour le président de la République » et que ce n’était pas à lui de la prononcer. Il a en revanche fait valoir qu’ « en tant que chef de l’État, [il devait] veiller à ce que les victimes aient le droit à un procès, où le criminel, où les experts, où chacun devra exprimer sa conviction », pour qu’elles puissent « faire leur deuil ». Quelques jours plus tard, le ministère de la Justice confirmait qu’une « réflexion allait être immédiatement menée sur la création, à l’issue de la procédure d’instruction, d’une audience spécifique dans les cas où un mis en cause serait reconnu, par les experts psychiatres, atteint au moment des faits de troubles psychiques ayant aboli son discernement ». Après le mauvais coup porté au principe de
avant tout
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l’individualisation des peines avec l’adoption des peines planchers, c’est donc au tour du principe de l’irresponsabilité pénale, autre pilier du droit pénal moderne, d’être menacé.
un recyclage de vieilles idées L’embrasement médiatique suscité par les dernières annonces du président ne doit pas faire illusion. Moins inédites qu’il n’y paraît, les mesures proposées sont l’aboutissement d’idées déjà mises en avant lors de la précédente législature. En décembre 2003, Dominique Perben, alors garde des Sceaux, proposait que des procès soient organisés y compris en cas d’irresponsabilité reconnue par les psychiatres, afin de ne pas « escamoter l’acte criminel » ni « oublier les victimes ». Censées jouer le rôle de catharsis pour les victimes, ces audiences d’un nouveau type ne devaient pas se conclure par un verdict. Dominique Perben proposait alors que le malade soit déclaré auteur des faits mais pas sanctionné. Cette idée sera ensuite reprise et étayée en juillet 2005 dans le rapport de la « Commission Santé-Justice » chargée de travailler à l’amélioration de « la prise en charge médico-judiciaire des auteurs d’infractions pénales qui sont atteints de troubles mentaux ».2 Cette commission avait recommandé la création « d’une juridiction ad hoc statuant sur l’imputabilité des faits » reprochés à une per-
sonne déclarée pénalement irresponsable et non sur sa culpabilité. Par ailleurs, elle avait également proposé la mise en place d’une batterie de mesures de sûreté post-carcérales dont la plus emblématique était « le centre fermé de protection sociale ». Cette structure, définie comme n’étant « ni un hôpital, ni une prison » devait permettre la neutralisation forcée des personnes estimées encore dangereuses une fois leur peine purgée. À l’époque, la dimension particulièrement attentatoire aux libertés publiques de ces deux propositions avait suscité la vive réprobation de nombreux psychiatres et magistrats, certains n’hésitant pas à associer les centres fermés à des pratiques « totalitaires » et à comparer les « tribunaux d’imputabilité » à des « ersatz » de justice indignes d’une démocratie. Le législateur avait alors renoncé à s’emparer de ces propositions, ce qui ne l’avait pas empêché de multiplier les lois prévoyant la possibilité, pour les victimes, de faire comparaître un accusé reconnu irresponsable lors d’une audience publique examinant un recours contre une décision de non-lieu, ou renforçant la surveillance des condamnés après leur libération. Symptomatique de ce souci du contrôle post-carcéral, la loi du 12 décembre 2005 a étendu les usages du suivi socio-judiciaire à de nouvelles infractions, a augmenté sa durée maximale et l’a assorti de nouvelles obligations. Elle a en outre créé « la surveillance judiciaire » qui permet d’imposer aux condamnés libérés,
Dictée par une logique de peine après la peine, les mesures annoncées cet été tendent à abolir tout lien entre la sanction et l’infraction ou la responsabilité de son auteur.
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dont une expertise médicale aura fait apparaître la dangerosité, un régime de contrainte pendant une période correspondant à la totalité des réductions de peines accordées. Soumis à ce régime, le sortant de prison peut notamment se voir imposer le port d’un bracelet électronique mobile. Dernière en date, la loi du 10 août 2007 a quant à elle systématisé l’injonction de soins, qui impose le suivi d’un traitement médical à toute personne condamnée à un suivi socio-judiciaire.
une politique dédiée à la sûreté Dictée par une logique de peine après la peine, l’adoption de ces nouvelles mesures, avant même que soient appliquées et évaluées les précédentes, tend à abolir tout lien entre la sanction et l’infraction ou la responsabilité de son auteur. De surcroît, elle enterre une bonne fois pour toutes la fonction de réhabilitation traditionnellement associée à la peine. Comme le suggèrent en effet de nombreux analystes, cette conception de la politique pénale est tout entière dédiée à la protection de la société, où la « sûreté » prend le pas sur les libertés individuelles et sur l’idée de « réinsertion ». La peine n’aurait plus comme finalité le retour du condamné dans la communauté, mais la protection de cette dernière face à la dangerosité potentielle du condamné par le biais d’une surveillance constante. Dans ce contexte, l’idée de reléguer pour un temps indéterminé des personnes considérées comme dangereuses dans des hôpitaux-prisons apparaît de moins en moins comme un fantasme anachronique, et de plus en plus comme l’aboutissement naturel d’une logique politique dédiée à la sûreté du corps social. D’autant plus qu’en s’arc-boutant sur la figure de la victime pour justifier sa surenchère législative, le chef de l’État a réussi à imposer un consensus compassionnel à l’ensemble des forces politiques. L’enjeu est pourtant de taille. Comme l’a rappelé l’Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP), l’hôpital-prison consiste en effet à « priver de liberté une personne qui n’a commis aucun acte tangible actuel, mais que l’on suppose [...] susceptible d’avoir l’idée, l’envie ou la pulsion de commettre un acte criminel. Autrement dit, cela revient à rendre possible l’enfermement d’une personne pour risque et cela revient aussi à rendre possible l’enfermement d’une personne qui n’aurait jamais récidivé ».3 Et au vu du calcul politique dans lequel semblent s’être enfermés nos décideurs, on ne peut que frémir en imaginant les nouvelles mesures qu’ils inventeront lorsqu’un « patient-détenu » d’un de ces « hôpitauxprisons », dont un collège d’expert aura considéré qu’il n’est plus dangereux pour la société, récidivera après être sorti. Julien Nève
(1) Le jeune homme, schizophrène, est accusé d’avoir assassiné deux infirmières de l’hôpital psychiatrique de Pau (Pyrénées-Atlantiques) en décembre 2004. (2) Rapport de la « commission Santé-Justice », Santé, justice et dangerosités : pour une meilleure prévention de la récidive, juillet 2005. (3) Communiqué de presse de l’Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP), 31 août 2007. N°63 Septembre-Octobre 2007
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LA SÛRETÉ AU PRIX DE LA RELÉGATION En pleine psychose Evrard, les surveillants du centre de détention de Caen (Calvados) ont jugé trop risquée la libération de M.L., un détenu au profil similaire. Au mépris de leur plus élémentaire droit de réserve, ils ont vigoureusement interpellé les médias par la voix d’un porte-parole syndical, Thierry Bouillaux (FO). « C’est quelqu’un [...] qui a un très lourd passé et qui se vante ouvertement qu’il va recommencer » a-t-il ainsi justifié à la presse. Plus sensible aux humeurs de l’opinion qu’à la déontologie des surveillants, le parquet a immédiatement saisi la commission d’application des peines. Au terme d’une enquête éclair qui « a permis d’établir ponctuellement la matérialité des propos » du détenu, celle-ci lui a retiré trente jours de réduction de peine pour « mauvaise conduite en détention ». Libérable le 26 août, M.L. est finalement sorti le 24 septembre, sous « surveillance judiciaire » et muni d’un bracelet électronique mobile. Des mesures de contrôle dont M.L. est d’ailleurs le tout premier « bénéficiaire ». Pour y parvenir, le ministère de la Justice n’a pas ménagé ses efforts. En effet, bien que la loi du 12 décembre 2005 prévoie la pose d’un bracelet électronique dans le cadre de la surveillance judiciaire, le décret d’application n’a été pris que le 1er août dernier. En outre, la loi prévoit également que soit sollicité l’avis d’une « commission consultative pluridisciplinaire des mesures de sûreté », laquelle commission était toujours inexistante au moment où la polémique a éclaté. Qu’à cela ne tienne, l’arrêté la constituant fut opportunément publié le 12 septembre au Journal officiel. La France peut désormais dormir sur ses deux oreilles : en plus de la panoplie d’obligations (recherche d’emploi, suivi médical, accompagnement social, zones d’exclusion) auxquelles il est soumis, M.L. pourra être localisé en permanence par les forces de sécurité durant les quatre prochaines années. Quant à sa réinsertion, c’est une autre histoire. Chacun pouvait raisonnablement subodorer qu’elle serait malaisée vu que son nom, les raisons de sa condamnation et son futur lieu de résidence ont été étalés dans tous les médias. Une quinzaine de jours après sa sortie, il a été arrêté. L’alarme de son bracelet s’était déclenchée alors qu’il était dans un état d’ébriété avancé et n’était pas rentré à l’heure convenue au foyer qui l’héberge. Présenté sur le champ au juge de l’application des peines, il a été réincarcéré pour six mois, au motif d’un non-respect des conditions fixées à sa remise en liberté.
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Psychiatre ayant longtemps exercé en détention, Philippe Carrière porte un regard extrêmement critique sur les annonces faites cet été par le président de la République, et notamment les « hôpitauxprisons ». Pour lui, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une régression éthique, qui ramène la psychiatrie deux siècles en arrière.
La folie devient un
enjeu sécuritaire Que pensez-vous des annonces faites cet été par Nicolas Sarkozy ? Cette série d’annonces, ou d’effets d’annonces, jouent sur la vague sécuritaire, sans qu’elles soient débattues, notamment avec le corps professionnel. Après la loi de septembre 2002 qui annonçait l’ouverture d’unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) pour les malades mentaux détenus - une réalisation différée jusqu’à présent -, voilà maintenant les « hôpitaux fermés », déjà évoqués d’ailleurs pendant les campagnes électorales, et l’organisation de procès pour les personnes reconnues irresponsables pénalement. Entre les deux, des propositions ont déjà été faites dans le cadre d’une des lois sur la prévention de la délinquance, tendant à durcir les modalités d’application des hospitalisations d’office et qui induisaient une inquiétante confusion entre maladie mentale et délinquance. Devant la mobilisation conjointe et d’une exceptionnelle ampleur des familles, des directeurs d’hôpitaux et des psychiatres, le projet a été retiré in extremis en février dernier. L’idée qui guide tout cela est cependant restée sous-jacente : le rejet des malades mentaux et la méfiance à l’égard des psychiatres et des pratiques hospitalières. Quels détenus seront accueillis dans ces hôpitauxprisons ? La question se pose déjà pour les UHSA. Et l’on constate que chacun a son idée. Pour l’administration pénitentiaire, il s’agit d’y mettre les « trublions » étiquetés psychopathes, ingérables en détention et dont les hôpitaux psychiatriques ne veulent pas. Pour la psychiatrie, cela concerne plutôt les malades qui ne peuvent être gérés dans les services habituels, parce que potentiellement violents, et qui ne peuvent être « gardés » par le personnel infirmier. Pour les directeurs d’hôpitaux, l’intérêt est de sou-
lager leur responsabilité, en réduisant le risque d’« évasions ». Et pour certains politiques, journalistes, élus, etc., ce sont des endroits où traiter les délinquants sexuels, et plus généralement les détenus qui doivent recevoir des soins, même contre leur gré. Bref, s’il existe des projets architecturaux, les projets médicaux, exigés pourtant dès que l’on veut créer une structure de soins, ne sont ici qu’accessoires. Ce qui est sûr, c’est que ces UHSA ne seront pas pour les pédophiles, car ces derniers ne posent pas de problèmes. Ils sont en général très calmes, très disciplinés. Alors, on crée des hôpitaux-prisons pour eux. C’est un empilement de structures assez curieux. Surtout, avec les hôpitaux fermés annoncés suite à l’affaire Evrard, il ne s’agit plus de soigner, seulement d’éliminer ceux qui ne relèveraient plus d’une sanction pénale (sortis de prison, peine purgée) et qui ne relèveraient plus de soins. Il est extrêmement choquant de vouloir enfermer des gens après leur peine. On tend vers un enfermement à vie, un retour de la relégation. Car si la personne ne relève pas de soins, qu’elle est considérée comme dangereuse en elle-même, quand va-t-elle sortir ? Va-t-on attendre qu’elle y meure ? Qui va prendre la responsabilité de dire qu’une personne n’est plus dangereuse ? Et comment priver quelqu’un de liberté en ne se fondant sur aucun fait, délictuel ou criminel ?
Avec les hôpitaux fermés ‘‘annoncés suite à l’affaire Evrard,
il ne s’agit plus de soigner, seulement d’éliminer.
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Comment réagissent les psychiatres à la création de ces hôpitaux-prisons ? Les psychiatres des services médico-psychologiques régionaux (SMPR) 1 étaient opposés aux UHSA. Puis ils ont dit « OK. Jusquelà, ça va, mais n’allez pas plus loin, hein ? ». Mais de renoncements en renoncements, où arrivera-t-on ? Aujourd’hui, on évoque des lieux de soins carcéraux. Comme si on pouvait punir et soigner en même temps, dans les mêmes lieux ! Incarcérer pour soigner ! C’est une idée simpliste, qui nous renvoie à l’époque d’avant Philippe Pinel. 2 Dire que l’on va mettre les pédophiles sous traitement obligatoire n’a pas davantage de sens. Pour être efficace, il faut travailler sur la façon dont la personne reconnaît que ses désirs, que l’expression de ses désirs, peut être nuisible à autrui. Il faut l’aider à se responsabiliser. Ce qui prend beaucoup de temps. En psychiatrie, les soins sous contrainte peuvent être utiles en cas d’agitation violente mais, ensuite, il faut communiquer avec la personne et faire en sorte qu’elle se rende compte qu’elle a des problèmes. C’est le b.a.ba de la psychiatrie ! La personne doit être conscience de son trouble pour se soigner. Ce n’est pas différent pour les pédophiles : il faut les aider à comprendre, en s’appuyant sur leurs propres souffrances.
pédophilie ne relève ‘‘pas Laforcément de soins psychiatriques. ’’ Qu’est-ce que la pédophilie ? La pédophilie est l’attirance sexuelle pour des enfants. En droit, il n’y a pas de consentement possible pour l’enfant, c’est-à-dire le jeune de moins de 15 ans, et il ne peut pas être un partenaire sexuel. Psychiquement, les choses sont bien sûr plus compliquées. Certains procès amènent d’ailleurs à de longues discussions sur cette limite de 15 ans et les juges tiennent alors compte de la maturité psychologique, de l’âge du partenaire (autre adolescent de 16 ans ou adulte de la génération précédente, etc.). Les tribunaux, et les psychiatres, sont en revanche très clairs sur certains comportements : un adulte doit respecter le corps de l’enfant. Il faut aussi préciser que le comportement pédophile renvoie à de nombreuses situations, très différentes : celui qui ne s’intéresse qu’aux petits garçons, ou qu’aux petites filles, celui qui est excité par l’enfance, celui qui est attiré par la prépuberté, celui qui est amoureux d’un enfant en particulier (certains cas d’inceste sont ainsi), le jeune déficient intellectuel, immature, qui recherche les contacts avec des enfants de même niveau, le « pervers pépère » qui recherche la jeunesse qui le fuit, etc. La pédophilie est-elle une maladie ? Oui, diront certains praticiens, ceux qui acceptent d’entendre des personnes qui souffrent de leurs désirs et qui souhaitent ne pas être réduits à un comportement qu’ils réprouvent. Non, dira la Faculté : elle n’est pas dans notre catalogue officiel. Il s’agit plutôt d’un comportement de transgression. Il y a donc un problème dans le fait de vouloir créer des structures spécifiques pour pédophiles, parce que penser que la pédophilie relève de soins hospitaliers n’est pas évident. L’idée d’une origine génétique révèle en revanche une méconnaissance de ce champ. La N°63 Septembre-Octobre 2007
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sexualité comporte évidemment une part de « constitution », ne serait-ce que la détermination du sexe anatomique, mais son expression se construit au cours de l’existence, avec l’éducation, avec l’expérience. À une époque où sont réalisées des recherches sur le genre et sur l’identité dans la sexualité, les raccourcis du type nature/culture semblent un peu cuistres, non ? Rappelons que de tels propos étaient utilisés naguère contre la reconnaissance des homosexualités, retirées des maladies mentales au début des années 80 ! Que préconiseriez-vous ? Dans certains cas, la pédophilie relève de troubles graves de la personnalité qui demandent des soins. Mais si l’on dit qu’il faut des soins, il faut mettre les moyens humains et matériels nécessaires pour avoir une politique de soins, c’est-à-dire qu’un suivi socio-judiciaire correct puisse se faire. Ce problème avait été très bien traité par la loi de 1998 sur le traitement des agresseurs sexuels. Mais les décrets d’application ont traîné. Au final, aujourd’hui, il manque 300 médecins coordinateurs. Près d’un département sur trois n’en a pas. Au lieu de faire le bilan de cette loi dont une partie de ses effets ne sont pas même mesurés, on nous en promet une nouvelle. Renforcer les dispositifs en place permettrait pourtant de s’occuper du problème des détenus qui sortent maintenant. On préfère créer des hôpitaux prisons d’où les détenus ne sortiront jamais ? C’est curieux en termes d’efficacité. Il aurait été plus utile d’accorder davantage de moyens à la psychiatrie, de développer les unités pour malades difficiles (UMD), actuellement au nombre de cinq, soit environ deux cents lits, ou de créer, dans les hôpitaux psychiatriques, des unités fermées par département pour tous les malades mentaux difficiles, y compris les détenus. Au lieu de cela, on fait le choix de faire entrer la prison dans l’hôpital psychiatrique, en créant des « mini prisons », les UHSA, uniquement destinées aux personnes détenues. C’est un projet qui va en outre coûter très cher, de l’ordre de 100 à 140 millions d’euros en équipement et 100 millions en fonctionnement. Et quid des autres patients, non détenus ? La castration chimique peut-elle être un moyen efficace de prévenir un comportement pédophile ? Diminuer la « pression » de la libido (des désirs) par l’usage de médicaments peut être une aide pour certains sujets qui se sentent démunis et craignent de ne pouvoir orienter autrement leur vie sexuelle. Les études réalisées jusqu’à présent montrent que 15 % des condamnés pour pédophilie peuvent en bénéficier. Le terme de « castration » n’est cependant pas adapté. Il s’agit plutôt d’une diminution de l’ « énergie pulsionnelle ». Dans le cadre d’une relation thérapeutique, cela est licite, et peut être éthique, mais peut aussi être un leurre, parce que la « castration » n’empêche pas la volonté de nuire, la transgression, le plaisir dans le mal. Le viol, par exemple, est un mode de relation sexuelle qui ne dépend pas forcément du taux des hormones. C’est aussi une violence, un pouvoir sur autrui, une peur de l’autre sexe, un refus de considérer le désir de l’autre, de négocier une relation. Faire baisser les androgènes ne changera pas cela, mais peut au contraire perturber une biologie normale. En outre, laisser à un juge, même « éclairé » par un expert (qu’il choisit), déterminer quels seront le choix du traitement et les modalités d’administration me paraît être une menace. L’idée d’un pouvoir des juges sur le corps des « déviants » est une régression éthique. Par le
ACTU passé, les toxicomanes ont déjà fait l’objet d’une telle attention. Le ministre de la Justice Albin Chalandon, avec des médecins conseilleurs, avait par exemple prévu la création de centre de sevrage obligatoire, avec l’imposition de contrôles sanguins, où le juge devait « décider » des modalités des soins. Une obligation de soins peut certes être utile, mais ses modalités doivent relever de la relation interpersonnelle et de l’éthique qui la gouverne. Oublier cela, c’est retourner à la domination sur les corps, aux médicaments pris sous contrainte, aux manipulations des individus. Pour les toxicomanes hier, les délinquants sexuels aujourd’hui, les fumeurs demain ?
Le secret médical est une ‘‘condition indispensable à la
confiance qui seule permet une position soignante.
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Rachida Dati a également annoncé que l’administration pénitentiaire aurait accès au dossier médical. Qu’en pensez-vous ? C’est étrange de la part d’un ministre de la justice : le secret médical reste un absolu, une condition indispensable à la confiance qui seule permet une position soignante. Comme l’a expliqué Paul Ricœur, 3 le secret médical n’est pas un secret professionnel comme un autre, qui porterait sur le contenu des informations ; il s’agit plutôt d’une position éthique d’un soignant par rapport à un soigné : le soigné, en se confiant à un autre, le fait devenir soignant. Cette position éthique doit absolument être maintenue par les médecins. Dans l’univers clos, paranoïaque par essence, que sont les prisons, la confiance est en outre déjà difficile à acquérir. Elle sera impossible si l’administration pénitentiaire a accès aux dossiers, qui sont des dossiers hospitaliers, rappelons le ! Il est inimaginable que le ministre de la Santé et l’Ordre des médecins ne rappellent pas prochainement cette exigence éthique. Nicolas Sarkozy souhaite également restreindre les réductions de peine pour les délinquants sexuels. Cela peut-il avoir un intérêt d’un point de vue médical ? D’un point de vue médical ? Aucun, bien au contraire… Mais cette annonce n’a pas pour but d’être utile, elle vise à soigner l’image de celui qui veut incarner la fermeté dans l’opinion publique. Faut-il encore rappeler toutes les démonstrations qui confirment que les sorties « sèches » sont les pires, qu’il est préférable d’accompagner les sortants avec un travail de réinsertion qui comprend un volet social et un volet sanitaire ? Propos recueillis par Stéphanie Coye (1) Services de psychiatrie implantés en milieu pénitentiaire, à vocation régionale. (2) Psychiatre français de la fin du XVIIIe - début XIXe, qui a exercé une grande influence sur la psychiatrie et le traitement des malades mentaux, et a notamment milité pour l’humanisation de leur traitement. (3) Philosophe français. Cf. notamment : Paul Ricœur, « Les trois niveaux du jugement médical », Esprit, décembre 1996. N°63 Septembre-Octobre 2007
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L’OIP demande la fermeture du quartier disciplinaire de Fleury-Mérogis...
Le respect élémentaire dû à la personne humaine n’étant pas assuré dans les quartiers disciplinaires de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne), l’OIP a demandé mi-octobre leur fermeture au tribunal administratif de Versailles (Yvelines) dans le cadre d’une procédure d’urgence. Une requête similaire avait été adressée le 30 juillet 2007 au directeur de l’établissement, qui n’avait pas daigné répondre. Au vu des constatations relevées par l’expert architecte désigné le 24 janvier 2007 par le tribunal administratif de Versailles à la demande de l’OIP, le placement de personnes dans un tel lieu met pourtant en danger leur santé et leur sécurité et contrevient gravement aux dispositions du droit interne et international. Les détenus se trouvent
... également mis en cause par la CNDS après le décès d’un jeune homme
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Édifiant ! C’est le seul mot qui vient à l’esprit à la lecture du dernier avis rendu par la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), sur les circonstances entourant la mort d’un jeune homme au quartier disciplinaire de N°63 Septembre-Octobre 2007
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en effet enfermés, 23 heures sur 24, et pour une durée pouvant atteindre un mois et demi, dans des cellules où leur possibilité de mouvement est réduite à l’extrême : 4,15 m² pour se déplacer. La lumière naturelle y est quasiment inexistante et n’est pas compensée par l’éclairage électrique : avec un niveau compris entre 7 et 30 Lux suivant les cellules, les locaux sont loin de satisfaire aux normes de référence (300 Lux pour les activités de lecture et de rédaction). Dans ces conditions, lire et écrire revient à s’exposer à une dégradation accélérée de la vue. Les conditions d’aération sont, elles aussi, tout à fait déplorables, alors même que les pièces comportent un W.C. et que les détenus ont le droit d’y fumer. Au quartier hommes par exemple, l’air n’entre et ne sort que par un orifice donnant sur une gaine technique, elle-même reliée aux cheminées du toit. Et encore, son passage est réduit par la présence de nids de pigeons dans les gaines qui exposent les détenus à une biocontamination. L’heure de promenade quotidienne ne leur permet pas davantage de se retrouver à l’air libre, les cours, de 20 ou 30 m², étant recouvertes de grilles et barreaux. Elles sont en outre régulièrement inondées, et partiellement inaccessibles, en raison d’une mauvaise évacuation des eaux de pluie. Ce problème ne concerne d’ailleurs pas que les cours de promenade. Au quartier hommes, des ruissellements tout à fait conséquents sont observés en de nombreux endroits, qu’il s’agisse de locaux communs ou de cellules,
et même le long d’installations électriques à certains endroits. Le droit français et la Convention européenne des droits de l’homme imposent pourtant à l’État de détenir les personnes dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, conformes à la législation et à la réglementation en vigueur et qui ne les soumettent pas « à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrances inhérent à la détention ». Interrogée par la presse, l’administration pénitentiaire se défend en invoquant le plan de rénovation en cours et en promettant que 78 places seront réhabilitées... d’ici l’été 2008. (OIP, Rue89, Le Monde)
la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne) dans la nuit du 12 au 13 novembre 2005. Éric Blaise, âgé de 28 ans, avait été condamné et incarcéré la veille, en comparution immédiate, pour avoir deux jours auparavant, avec ses frères et des amis, tirer au pistolet à billes sur des canettes. Souffrant de problèmes d’alcoolisme, le jeune homme tient à différentes reprises des propos incohérents et se montre très agité,
comme le constatent les surveillants peu après son incarcération. Certains ont ainsi raconté à la CNDS qu’il « ne voulait pas rester [dans sa cellule] », « semblait ne pas comprendre dans quel lieu il se trouvait » et « tremblait comme s’il avait peur ». À un moment, il se met à « taper violemment à la porte tout en vociférant » et tente « de détruire l’œilleton de sa cellule en tapant sur un stylo avec une balayette », parce
de facto
de facto que, dit-il, « il y avait un nain dehors ». À deux reprises, il est vu par des médecins. Le premier ne constate qu’« un tremblement modéré des extrémités, sans agitation » et lui prescrit du Serasta, un médicament utilisé pour traiter l’anxiété, l’angoisse et le sevrage alcoolique, sans demander que le jeune homme soit « réexaminé [...] pour évaluer l’évolution des signes de manque, l’efficacité du traitement prescrit et l’opportunité d’un transfert et de soins en milieu hospitalier, voire en unité de soins intensifs », comme le souligne la CNDS. Le second affirme également n’avoir observé que « de légers signes de manque alcoolique, sans gravité ». Pensant « que l’on pouvait se situer dans le contexte d’une fluctuation de delirium tremens », qui est, rappelle la Commission, la « manifestation la plus grave, potentiellement mortelle, du manque d’alcool », le médecin se contente pourtant de changer de traitement et de recommander une surveillance particulière. Difficilement remis en cellule, le jeune homme recommence son tapage, cassant tout et se blessant à la tête. La réponse de l’administration laisse pantois : il est conduit en prévention au quartier disciplinaire, dans un état d’agitation qu’« à l’évidence, personne n’ignorait ». Dans le rapport d’incident, il est noté que le détenu « semble hébété et prostré, a des propos incohérents et tremble de tout son être ». À ce moment-là, les versions données à la CNDS divergent. Le médecin qui l’avait examiné un peu plus tôt affirme l’avoir vu à nouveau vers 19h et qu’il était calme, alors que deux membres du personnel affirment qu’Eric Blaise « se cognait la tête contre le mur » pendant la visite du médecin. Rien ne se passe. Plus tard, la personne chargée de la surveillance du quartier pendant la nuit note dans le cahier d’incidents que le jeune homme « devrait être dans une cellule capitonnée car il n’arrête pas de se jeter contre les murs » ou « au SMPR, car il est vraiment malade dans sa tête ». Elle ne se décide à appeler le premier surveillant que plus tard, après que les cris du jeune homme aient fini par alerter un de ses collègues en poste à un autre étage. Le gradé ne se déplace de toute façon pas. Vers 5 heures du matin, un surveillant prend la relève. Informé de l’état du jeune homme, il constate qu’il est maintenant « accroupi », « dans la position de prière d’un musulman » et « semblait dormir ». Mais ne s’en inquiète pas, car, dit-il aux membres de la CNDS, « il a souvent constaté que les détenus dormaient par terre ». Ce n’est qu’à 6h45, qu’une surveillante, procédant à l’appel du matin, se rend compte du décès. (OIP, Le Parisien)
Loos : visite indignée de députés
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« Nous sommes sortis de là complètement révoltés. C’est une atteinte à la dignité humaine ». Trois députés socialistes du Nord, Bernard Roman, Yves Durand et Bernard Derosier, ont exprimé ainsi leur indignation au sortir de leur visite inopinée du 6 septembre 2007 à la maison d’arrêt de Loos (Nord). « Cette prison ne peut plus faire son travail de réhabilitation et de réinsertion. Comment voulez-vous que ces gens, qui pourtant purgent le plus souvent des courtes peines, puissent redevenir des citoyens à part entière, après avoir vécu dans ces conditions ? », s’est révolté Bernard Roman, ajoutant que « même pour les gardiens qui y travaillent, ces conditions ne sont pas acceptables ». Le député a été particulièrement choqué par l’état « scandaleux » du quartier disciplinaire : « Ça m’a fait penser à des cellules pour chiens errants, où on aurait ajouté des toilettes à la turque. Les cellules restent dans la pénombre 24 heures sur 24 car les détenus n’ont pas de lampe à l’intérieur, seule une trappe vers le couloir peut leur permettre d’avoir de la lumière. Dans de telles conditions on peut devenir facilement neurasthénique ». Cette visite fait suite à une alerte adressée par le bâtonnier de Lille à Bernard Roman au début de l’été. Le député avait dans un premier temps rédigé une lettre ouverte à la ministre de la Justice, Rachida Dati, le 17 juillet, afin d’attirer son attention sur « la situation particulièrement choquante de la maison d’arrêt de Loos ». Il concluait qu’il lui semblait « urgent que des mesures soient envisagées, notamment en matière budgétaire, pour remédier à des dysfonctionnements qui sont inadmissibles ». Ce courrier était restée sans réponse de la Chancellerie, mais avait suscité une vive réaction du directeur de l’administration pénitentiaire. Dans une lettre publiée par La Voix du Nord du 1er août, Claude d’Harcourt tançait ainsi le député : « La direction de la prison de Loos n’a pas souvenir de votre visite dans les années récentes. C’est la raison pour laquelle je me permets de vous suggérer d’exercer ce droit de visite : vous pourrez vous rendre compte par vous-même de ce que la situation, sans être à nos yeux complètement satisfaisante en raison de l’ancienneté de l’établissement, n’est pas celle que vous décrivez. » Suite à la visite, le ton change, l’administration pénitentiaire se contentant de rappeler qu’un plan de rénovation et de mise aux normes du quartier disciplinaire est en cours : « Pour 2007,
320 000 euros sont consacrés à la rénovation des cellules proprement dites, à l’amélioration des luminaires ainsi qu’à la modification des sanitaires et de la literie ». Construite en 1906, la maison d’arrêt de Loos n’a pas subi beaucoup de modifications depuis sa création et est l’une des plus vétustes de France. Maintes fois décriée, notamment par le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) lors de sa visite en 2003, elle devait faire l’objet d’une importante rénovation, décidée en 1999. Le projet a finalement été abandonné, au profit de la construction d’un, puis deux nouveaux établissements pénitentiaires, censés remplacer la vieille maison d’arrêt. L’un a ouvert à Sequedin en avril 2005. L’autre, prévu à Annoeullin, près de Lille, ne le sera que dans plusieurs années. En attendant, indique la direction interrégionale des services pénitentiaires, l’ « existence [de la maison d’arrêt de Loos] est pérennisée ». (OIP, AFP, La Voix du Nord, Métro Lille, Nord Eclair)
La majorité des détenus sans moyens d’alerte la nuit en Rhône-Alpes
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Pour les services pénitentiaires de la région Rhône-Alpes, « l’interphone [permettant aux détenus d’alerter quelqu’un en cas d’urgence de leur cellule] est un outil intéressant dans une prison ». C’est du moins ce qu’a déclaré le directeur interrégional adjoint, Paul Louchouarn, le 12 septembre 2007. Ces propos contrastent quelque peu avec la satisfaction affichée quelques mois plus tôt par la même direction interrégionale quand, interpellée sur le sujet, elle se contentait d’affirmer que « la majorité des sites ont un système d’interphonie ou un système d’appel par voyant lumineux » et que seuls « quelques sites ou quartiers en restent dépourvus mais ce sont généralement de petites structures où la relation directe se fait facilement du fait de la configuration des locaux ». En fait, plus de la moitié des 4 055 personnes détenues en Rhône-Alpes au 1er août 2007 sont privées de tout moyen d’alerte. La plupart des établissements construits avant 1990, comme les maisons d’arrêt de Bourg-en-Bresse (Ain), Privas (Ardèche) ou encore le quartier hommes de celle de Chambéry (Savoie), ne disposent en effet ni d’interphones, ni de voyants lumineux. Au centre pénitentiaire d’Aiton (Savoie), pourtant construit en 1991, les interphones ne sont présents que dans la toute nouvelle section, ouverte il y a quelques mois. Mais N°63 Septembre-Octobre 2007
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ce n’est pas tout : quand ces systèmes sont mis en place, ils sont parfois défaillants. À la maison d’arrêt de Lyon-Perrache (Rhône), des voyants lumineux existent, mais nombre d’entre eux sont en panne. Au centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier (Isère), les interphones ne fonctionnent plus du tout « depuis plusieurs années suite à un orage » selon la direction de l’établissement, qui précise que des travaux sont prévus. L’impossibilité pour les détenus d’appeler le personnel depuis leur cellule peut être pourtant lourde de conséquences. Dans la nuit du 16 au 17 mai 2003, un homme s’était pendu à la maison d’arrêt de Varces (Isère). Le découvrant vers minuit, son codétenu avait frappé pendant plus d’une heure à la porte de la cellule avant d’être entendu par les surveillants. Plus récemment, le 17 octobre 2004, un jeune détenu est décédé à la maison d’arrêt de Saint-Etienne (Loire) des suites d’un ulcère à l’estomac. D’après certains voisins de cellule, la nuit précédant son décès, il aurait tenté d’appeler les surveillants du mirador, en vain. Depuis, aucun système d’appel n’a encore été installé. Gageons que la récente prise de conscience de la direction interrégionale viendra sous peu remédier à ces carences. D’autant que les Règles pénitentiaires du Conseil de l’Europe recommandent que les détenus soient « en mesure de contacter le personnel à tout instant, y compris la nuit » (règle 52.4), cette recommandation faisant par ailleurs partie des huit règles considérées en mars 2007 par l’administration pénitentiaire comme « comme présentant un enjeu réel pour l’évolution des établissements pénitentiaires ». (OIP, AFP, Le Progrès)
Un suicide qui ne compte pas
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Le 18 mai dernier, M.S., un jeune Portugais de 19 ans, est décédé à l’hôpital de ClermontFerrand (Puy-de-Dôme) où il avait été hospitalisé suite à sa tentative de suicide le 30 avril à la maison d’arrêt de la ville dans laquelle il était maintenu en détention provisoire depuis septembre 2006. Son décès ne sera pourtant pas comptabilisé dans le relevé annuel des suicides établi par l’administration pénitentiaire. Et pour cause, trois jours avant son décès, au vu d’une expertise médicale concluant à un « pronostic vital engagé », le juge d’instruction a ordonné sa mise en liberté, estimant que « son état de santé [était] incompatible avec la détention ». Il était donc « libre » au moment de sa mort. La tentative ayant eu lieu en détention, la direction interrégionale N°63 Septembre-Octobre 2007
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des services pénitentiaires de Lyon reconnaît « qu’il serait malhonnête de [leur] part de ne pas en tenir compte », mais qu’« il y a une divergence de point de vue avec la Direction de l’administration pénitentiaire (DAP) » sur ce sujet. De fait, pour cette dernière, il est « logique que le décès de cette personne ne soit pas recensé comme suicide en détention, étant donné qu’il est survenu alors qu’elle était en liberté ». « Une manière de faire baisser le chiffre des suicides », raille Le Canard Enchaîné. Et d’autant plus pratique que, par ailleurs, le jeune homme ne dépendant plus de l’administration pénitentiaire au moment de sa mort, les frais relatifs au rapatriement de son corps ont été entièrement supportés par sa famille. Comme l’a fait valoir le Consulat portugais, « le coût financier, environ 4 600 euros, a été conséquent pour la famille qui se trouvait déjà dans une situation très précaire due notamment au cancer généralisé dont souffre la mère de M.S. ». Cette dernière ainsi que l’un de ses autres fils ont dû également financer leur voyage en France. Seule une partie des frais engagés a pu être prise en charge par plusieurs associations portugaises de la région de Clermont-Ferrand. (OIP, La Montagne, Le Canard enchaîné)
mars 2004. Elle pointait alors la formation initiale « insuffisante » dispensée aux greffiers des établissements pénitentiaires et « la faiblesse des contrôles de l’autorité judiciaire ». Un cas similaire à celui de la jeune femme s’est d’ailleurs produit au centre pénitentiaire de Liancourt (Oise) il y a quelques mois. Un détenu, privé par erreur d’un mois de grâce collective avait été libéré le 21 mars 2007, après une intervention de l’OIP auprès du parquet. (OIP, Le Progrès)
Deux mois de détention arbitraire suite à une erreur du greffe
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Une détenue de la maison d’arrêt de LyonMontluc (Rhône) a été maintenue en prison près de deux mois après la fin de sa peine, en raison d’une erreur du greffe de la maison d’arrêt de Riom (Puy-de-Dôme), son précédent lieu de détention. C’est au cours de l’examen de son recours contre un refus de libération conditionnelle que le parquet général de la Cour d’appel de Lyon s’est aperçu que la détenue n’avait pas bénéficié du décret de grâces présidentielles du 11 juillet 2006. Incarcérée depuis le 24 mai 2006 à la maison d’arrêt de Riom, puis à la prison de Montluc, elle n’a ainsi été libérée que le 3 septembre au lieu du 9 juillet, et compte bien demander réparation. Ni le parquet de Riom, censé contrôler les opérations du greffe pénitentiaire, ni le greffe de Montluc, ni le juge de l’application des peines saisi de la demande de libération conditionnelle, n’avaient constaté le défaut d’application de la grâce. L’existence de telles erreurs a été soulignée par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) dans une Étude sur les droits de l’homme dans la prison, de
Entravé à son lit d’hôpital et privé de visites pendant près de deux mois
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Durant deux mois, un jeune homme épileptique a été maintenu quasi-continuellement entravé à son lit d’hôpital et privé de visites. Y compris dans les premiers temps de son hospitalisation, alors qu’il était, selon les médecins, « inconscient, sous anesthésie générale en raison de son état de santé [et] dans l’incapacité totale de communiquer ou de se déplacer ». Âgé de 24 ans, J.G. avait été conduit au service de réanimation du centre hospitalier d’Aix-en-Provence (Bouches-duRhône) dans la matinée du 26 juillet, suite à une crise d’épilepsie survenue pendant la nuit à la maison d’arrêt d’Aix Luynes, où il était incarcéré depuis le 6 février 2007. Dix jours plus tard, son état de santé était toujours, selon un certificat médical du 5 août, « préoccupant et le pronostic vital engagé ». Malgré cela, il est resté menotté jusqu’à ce
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de facto qu’un praticien hospitalier arrive à « convaincre les policiers en charge de sa garde qu’étant dans le coma, il ne risquait pas de s’échapper ». Les menottes lui ont alors été retirées. Du moins jusqu’à ce qu’il sorte du coma. Dès ce moment, le jeune homme s’est à nouveau retrouvé entravé. « Nous ne faisons qu’appliquer les directives de notre direction, s’est défendu le commissariat. Étant donné que l’hôpital ne dispose pas de chambres sécurisées, nous sommes contraints de le laisser attaché. Mais nous nous efforçons
a repris connaissance, ces permis ont tous été suspendus. Une procédure habituelle selon la préfecture, qui se retranche derrière le protocole établi « entre la maison d’arrêt et l’hôpital selon lequel les visites doivent être suspendues dès lors que le pronostic vital du patient n’est pas ou plus engagé ». Le Code de procédure pénale prévoit pourtant que les règlements pénitentiaires demeurent applicables aux détenus admis à l’hôpital, « notamment en ce qui concerne leurs relations avec l’extérieur ». Comment justifier un tel non-respect des dispositions légales ? « Au sein de l’hôpital, il ne nous est pas possible d’assurer une fouille correcte des visiteurs » se contente d’expliquer le commissariat. (OIP)
Liancourt : des conditions de visites proprement indécentes
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© Olivier Touron
de le faire de façon humaine ». Par ailleurs, alors que le pronostic vital de J.G. était engagé, personne n’a pensé à prévenir sa famille. C’est sa sœur qui l’a appris, huit jours après l’hospitalisation, lorsqu’elle s’est rendue à la maison d’arrêt pour un parloir. « Il y peut-être eu un retard, c’est possible », a reconnu du bout des lèvres le Service pénitentiaire d’insertion et de probation, ajoutant aussitôt que « l’hospitalisation a eu lieu à un moment où [ses] services fonctionnent a minima », que le service social de l’hôpital aurait également « pu faire les démarches », « que, de toute manière, [ils n’ont] reçu aucune directive des autres services de la détention », et que « la direction ne [leur] a pas demandé d’intervenir ». Finalement informée, la famille a obtenu « une dizaine de permis de visite » de la préfecture, sans que cela ne pose de problème « vu que J.G. risquait de mourir et que, renseignement pris auprès de la maison d’arrêt, il faisait preuve d’un bon comportement en détention ». Mais, dès que le jeune homme
Absence de transports en commun pour accéder à la prison, local d’attente trop exigu pour abriter les visiteurs en cas d’intempéries, absence d’intimité lors des parloirs, telles sont les conditions de visite imposées aux familles des détenus du « vieux » centre de détention de Liancourt (Oise) et à leurs proches incarcérés. Dans cet établissement, qui accueille environ 150 détenus, les parloirs ont lieu le samedi et le dimanche. Pour s’y rendre, les familles et proches de détenus ne disposant pas de voiture doivent prendre un train puis, les bus ne fonctionnant pas le week-end, parcourir les 4 kilomètres séparant la gare du centre de détention à pied ou en taxi, dont la course revient à une dizaine d’euros. Une fois arrivés et après avoir remis leur pièce d’identité à un surveillant, les visiteurs attendent d’être appelés, généralement devant l’entrée. En cas d’intempéries, un abri existe bien, mais ce cabanon d’environ 10 m2 est éloigné de quelques dizaines de mètres et est trop exigu pour contenir l’ensemble des personnes attendant. Depuis des années et jusqu’aux travaux commencés début août dernier, ce « local d’accueil » au plafond effondré était en outre totalement délabré, ne disposant ni de chauffage, ni d’électricité, et n’offrant en guise de sanitaires que des toilettes très sales dont la porte fermait difficilement. L’appel se fait ensuite par petits groupes, dans l’ordre d’arrivée. À l’intérieur, les visiteurs déposent leurs affaires personnelles dans un casier, puis sont conduits à travers une cour non abritée comprenant deux portes dont il faut successivement attendre l’ouverture. Même en cas de pluie, les parapluies ne
sont pas autorisés. La seconde porte s’ouvre sur un réduit clos de 4,5 m², sans aération, dans lequel les visiteurs, parfois plus de vingt, attendent l’ouverture de la porte du parloir. Celui-ci, d’une durée de deux heures, se déroule dans une grande pièce où sont installées 25 tables, sans aucune séparation entre elles. Sans aucune possibilité d’intimité, les deux heures de parloir se déroulent dans un brouhaha de voix et de cris d’enfants, sous la surveillance constante d’un personnel posté à l’entrée de la salle. À l’issue de la visite, les familles doivent enfin attendre une quinzaine de minutes avant de sortir, dans la salle de parloir ou dans le sas contigu, le temps que les détenus soient fouillés et aient réintégré les locaux de détention. La direction du centre n’envisage aucun aménagement visant à améliorer les conditions de visite. (OIP)
Le juge des enfants coupé en deux
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Le 17 septembre dernier, la garde des Sceaux a adressé une note à l’ensemble des juridictions afin que « les procédures civiles et pénales concernant un même mineur » soient confiées à titre expérimental, pendant un ans, « à deux juges des enfants distincts ». Une mesure qui est loin de faire l’unanimité chez les professionnels. Dans un communiqué daté du 22 septembre, l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF) s’inquiète de cette orientation qui « constitue une remise en cause des fondements même de la justice des mineurs, laquelle assume tant la protection des enfants en danger que le traitement de la délinquance des mineurs » et rappelle qu’« une approche globale de l’enfance permet de prendre la mesure de la complexité d’une situation individuelle et d’agir efficacement sur l’avenir ». La note ministérielle émet pourtant l’hypothèse inverse, affirmant que « le fait que le même magistrat, pour un même mineur, soit à la fois chargé de sa protection lorsqu’il est en danger et soit amené à le juger lorsque celui-ci commet une infraction pénale peut créer une ambiguïté pour le mineur et ses parents, fragilisant ainsi la portée des décisions et leur compréhension par le mineur ». « Il aurait été intéressant, relève sur son blog (www.justicedesmineurs.fr) Michel Huyette, magistrat délégué à la protection de l’enfance, que soient citées [...] les études, s’il en existe, qui permettent d’affirmer cela, et surtout, quelles sont ces confusions et quelles en N°63 Septembre-Octobre 2007
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sont les origines ». Pour ce magistrat, « l’idée sous-jacente est de différencier le juge chargé d’aider les malheureux mineurs qui ont droit à notre sollicitude (les bons), et le juge chargé de réprimer les mineurs délinquants (les mauvais) », alors que dans la réalité « les mineurs qui commettent des actes de délinquance à répétition sont pour la quasi-totalité d’entre eux désocialisés, en rupture avec l’école, grandissant dans un environnement géographique dégradé, dont les parents sont souvent dépassés ». Un constat partagé par le président du Tribunal pour enfants de Bobigny, Jean-Pierre Rosenzweig, qui, dans une intervention du 28 juin 2007 devant la Conférence des bâtonniers, en appelait à ne pas oublier « la nécessaire cohérence de la personne ». « Chaque enfant, expliquait-il alors, avant d’être un délinquant est un enfant en danger et c’est bien le fait que le juge des enfants ait les deux casquettes, comme dans la famille les parents aiment et cadrent, qui fait la force du système actuel. » Pour toutes ces raisons, l’AFMJF a appelé « l’ensemble des magistrats de la jeunesse à refuser de participer à cette expérimentation ». (OIP)
Suspicion de rapport sexuel au parloir : toute la famille trinque
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De lourdes sanctions ont été infligées à M.L. pour, selon un surveillant du centre pénitentiaire d’Aiton (Savoie), avoir imposé « à la vue d’autrui des actes obscènes ou susceptibles d’offenser la pudeur » lors d’un parloir avec sa femme, le 10 mai 2007. Le 8 juin, il a écopé de 20 jours de quartier disciplinaire avec sursis. Et, pendant 4 mois, il est resté isolé de l’extérieur, ne recevant en tout et pour tout que deux visites de sa famille, en ignorant même, jusqu’au début du mois de juillet, la raison de l’absence de visite de sa femme et de ses enfants. Huit jours après l’incident, M.B., la concubine de M.L., accompagnée de trois de ses enfants, s’est en effet vu empêchée d’accéder au parloir qu’elle avait réservé. Le personnel de l’établissement lui a expliqué qu’un courrier lui indiquerait les motifs de cette interdiction. Ne voyant rien venir, M.B. appelle régulièrement la prison jusqu’à ce que, le mardi 26 juin, l’administration lui annonce qu’elle peut réserver un parloir pour le 29 juin. Pourtant, à la date fixée, la famille se voit à nouveau interdite d’accès. Le 5 juillet, la di-
rection de la prison adresse enfin un courrier à M.B., dans lequel elle lui fait part de son intention de suspendre son permis de visite, en raison des événements du 10 mai 2007, avant de l’informer, une semaine plus tard, qu’elle a « décidé de procéder à la suspension » de son permis de visite « pour une durée de 4 mois » à compter du 10 mai. Durant toute cette période, les enfants n’ont pu voir leur père qu’à deux reprises, sans la présence de leur mère. Le cadet, âgé de trois ans, qui souffre d’importants problèmes de santé et qui a subi au cours du mois de novembre 2006 une lourde opération, ne l’a quant à lui pas vu du tout, car il refusait d’aller au parloir sans sa mère. Manifestement peu soucieuse de respecter les dispositions du Code de procédure pénale aux termes desquelles « en vue de faciliter le reclassement familial des détenus à leur libération, il doit être particulièrement veillé au maintien et à l’amélioration de leurs relations avec leurs proches », la direction de l’établissement s’est contentée de conseiller à M.B. de s’adresser à une association pour accompagner les enfants au parloir. (OIP, L’Humanité)
MOINS DE PRISON ! Un homme souffrant de débilité mentale profonde incarcéré depuis plus d’un an D.P. est âgé de 55 ans, mais a un « niveau intellectuel se situant au niveau d’une débilité mentale caractérisée ». Nouveau-né, il a subi une hémorragie cérébrale. Depuis, il « présente une débilité profonde » et « de nombreuses séquelles physiques », a expliqué un expert psychiatre en avril 2003. « Son quotient intellectuel est voisin de 30 » et « il a besoin de tutelle et de surveillance » de manière à être « protégé de façon continue ». Pourtant, D.P. est en détention provisoire à la maison d’arrêt de Marseille (Bouches-du-Rhône) depuis le 17 juin 2006. Il n’est depuis sorti de sa cellule qu’à l’occasion de ses consultations médicales et de ses rendez-vous au parloir. Selon son avocate, son état de santé s’est considérablement dégradé. Il a « perdu beaucoup de poids et se déplace de moins en moins bien ». Selon un membre du personnel soignant, « étant donné les capacités intellectuelles de D. P., le mettre en prison revient à le mettre en danger », mais l’Unité de consultation et de soins ambulatoires (UCSA) ne dispose « que de cinq chambres aménagées pour accueillir des détenus handicapés et malheureusement, D.P. est loin d’être la personne la plus mal lotie de l’établissement ». En règle générale, D.P. occupe une cellule proche de l’UCSA mais, explique un travailleur social, « il est arrivé à plusieurs reprises qu’il soit transféré dans des cellules situées au troisième ou au quatrième étage de la maison d’arrêt. Livré à lui-même, sa situation devient alors particulièrement précaire ». Toutes les expertises réalisées depuis son incarcération s’accordent à dire que son état est incompatible avec la détention. La première, en date du 11 juillet 2006, concluait que D.P. était « atteint, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique abolissant totalement son discernement », qu’il n’était « pas accessible à une sanction pénale » et qu’il devait « faire l’objet d’une hospitalisation d’office dans un établissement psychiatrique, et ceci rapidement ». Quelques mois plus tard, le 29 décembre 2006, une contre-expertise a rejeté ces conclusions, mais en constatant à son tour les « sensibles difficultés d’adaptation au milieu carcéral » de D.P. et en recommandant son orientation « vers une institution adaptée, telle une maison de retraite, de manière à le soustraire aux situations exposées ». Selon le juge d’instruction, « aucune proposition alternative à la détention ne [lui] a été faite ». Ses deux demandes de remise en liberté ont donc été rejetées, au motif qu’elles ne présentaient pas les garanties de sécurité nécessaires. (OIP)
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de facto
dossier Parmi les grands sujets que devra traiter la future loi pénitentiaire figurent en bonne place les « régimes de détention ». C’est d’ailleurs un des quatre thèmes sur lesquels la ministre de la Justice, Rachida Dati, a invité le Comité d’orientation restreint (COR) à plancher. Mais que cache cette volonté de réaffirmer la nécessité de « régimes différenciés » soi-disant adaptés à la personnalité des détenus ?
Régimes de détention différenciés
l’envers du décor
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dossier
La volonté politique de mettre les régimes de détention au centre de la réforme des prisons ne prendra pas la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) au dépourvu. Selon Olivier Boudier, secrétaire général du Syndicat national de l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaire (SNEPAP), celle-ci a en effet « déjà beaucoup travaillé et avancé sur ce sujet », s’appuyant « pour cela sur la règle pénitentiaire européenne 51-4 qui recommande que “chaque détenu [soit] soumis à un régime de sécurité correspondant au niveau de risque identifié” ». À la lecture du document réalisé par la DAP sur « Les enjeux de la loi pénitentiaire », on comprend que la différenciation des régimes selon les profils des détenus constitue pour elle une « question centrale ». Présentée comme « le cœur du métier pénitentiaire », « l’évaluation de la dangerosité des détenus » serait en effet « la condition de la mise en œuvre de programmes de réinsertion ». « De sa qualité, explique la DAP, dépend la manière dont s’organise le parcours d’exécution de la peine », ainsi que les régimes différenciés en établissements pénitentiaires, qui eux-mêmes « structurent la vie en détention, permettent l’individualisation de la peine et la mise en cohérence des actions d’insertion ». Le tout visant à passer d’une « gestion de flux […] à une gestion de personnes, en développant la différenciation des peines, de la prise en charge, et en mettant en place un véritable accompagnement ».
Une réforme déjà mise en œuvre Cette « transformation » apparente des missions de l’administration pénitentiaire n’est cependant pas nouvelle. En 2006, Pascal Clément, alors ministre de la Justice, expliquait déjà que le « renforcement de la différenciation des niveaux de sécurité, non seulement entre établissements mais également en leur sein, [était] l’une des orientations essentielles de notre politique pénitentiaire » et « les centres de détention [...] le point d’application privilégié de cette politique ».1 Ce type d’établissements connaissait jusqu’à peu un régime plus « libéral » que les autres, car doté d’« un régime de détention principalement orienté vers la resocialisation des détenus » comme on peut encore le lire sur le site du ministère. Les portes des cellules y étaient notamment ouvertes en journée, permettant aux détenus de se déplacer librement au sein du quartier. En 1999, explique le sociologue Gaëtan Cliquennois, « l’idée est née [dans un de ces centres] de différencier des régimes, avec un “régime probatoire renforcé” pour les détenus posant problème, un “régime commun” et un autre dit “de confiance” ». Un système que l’administration a ensuite rapidement décidé de généraliser à l’ensemble des centres de détention, ce qui fut annoncé officiellement en 2003. L’année précédente, la Loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 avait préalablement modifié profondément la classification des établissements pénitentiaires, en supprimant la distinction entre les centres de détention nationaux et les centres de détention régionaux 2 et en multipliant les prisons spécialisées : pour les courtes peines, pour les peines aménagées, pour les N°63 Septembre-Octobre 2007
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détenus dangereux (« maisons centrales à sécurité renforcée »), pour les malades (UHSA), pour les malades psychiatriques (UHSI), etc. Parallèlement, la procédure d’affectation avait été réformée afin d’affecter désormais les détenus non plus en fonction de la durée de leur peine, mais de leur « personnalité ».
Double discours À chacune de ses réformes, la réinsertion est invoquée comme justification, remettant ainsi au goût du jour la vieille antienne de la nécessaire adaptation des régimes de détention à la personnalité des condamnés. Ce que la DAP prend d’ailleurs soin de rappeler dans son document sur les enjeux de la loi pénitentiaire : « Développer et codifier une spécialisation des établissements pénitentiaires […] n’est jamais que la reprise d’un dispositif autrefois mis en œuvre, qu’il s’agisse du régime progressif prévu par la réforme Amor 3 ou du plus récent régime différencié. » Déjà, pour généraliser ces derniers dans les centres de détention, la DAP avait réactivé une circulaire du 22 octobre 1990, qui introduisait ce type d’organisation dans les centres de détention régionaux issus du programme de construction de l’époque, dit « programme 13 000 ». Le but de ce texte était de « développer [l’] autonomie [des personnes détenues] et leur sens des responsabilités afin de préparer leur retour à la vie sociale. » Sauf que, comme le souligne Olivier Boudier, la mise en œuvre concrète des régimes différenciés aujourd’hui est « très loin de l’esprit d’un régime progressif, tel que le voulait la circulaire de 1990 ». Ce nouveau système, explique Gaëtan Cliquennois, répond en effet avant tout à un « souci pragmatique d’organisation et [...] de gestion basée sur la contention », afin de contrôler davantage les mouvements, mieux surveiller ce qui se passe et isoler « les “mauvais” détenus du reste de la détention ». À l’objectif de réinsertion, se superpose ainsi un second registre de justification, de façon plus discrète, car moins avouable, et faisant abondamment référence au critère de « dangerosité », sans expliciter évidemment le sens donné à ce mot. Et pour cause.
Dangereux Comme elle le reconnaît elle-même, l’administration pénitentiaire n’est jamais parvenue « à ancrer dans [ses] pratiques un référentiel simple et admis par tous les acteurs ». En cause, l’existence de principes – qu’elle semble pour sa part ne pas comprendre –, telles que l’« approche égalitaire des détenus, qui restreint la possibilité de créer des catégories » et la « non prédictibilité, qui interdit de considérer que telle caractéristique prédispose à un tel comportement ». En cause également, ces « groupes de pression [qui] ont su habilement exploiter des illégalités commises par l’administration en obtenant la remise en cause de tout classement ». « Ce sont ainsi les abus constatés dans l’utilisation des quartiers haute sécurité (QHS), poursuit le document, qui ont provoqué non seulement leur suppression mais aussi la disparition de toutes les mesures officielles de la
RÉGIMES DE DÉTENTION DIFFÉRENCIÉS - L’ENVERS DU DÉCOR
dangerosité des détenus, à l’exception toutefois de la catégorie très restreinte des détenus particulièrement surveillés (DPS). » De fait, comme le rappelle le magistrat Jean Favard, ancien conseiller de Robert Badinter entre 1981 à 1986, les QHS étaient au départ prévus pour contenir 200 personnes considérées comme « dangereuses », mais le système a ensuite « dérivé peu à peu » et, « de 200, le nombre est plutôt passé à 2 000 ».4 Pour le magistrat, cette dérive était inéluctable, parce que la dangerosité est « un concept flou » et qu’il est presque impossible « pour un détenu de se débarrasser de cette étiquette lorsqu’elle lui a été accolée ». « Naturellement, avoue la DAP, se sont récréées ipso facto des listes officieuses ». Cette pratique n’est pas nouvelle et avait été dénoncée dès 1993 par le Comité européen de prévention de la torture (CPT), dans son rapport consécutif à sa visite effectuée en 1991, au cours de laquelle il avait constaté, outre « un nombre important de détenus » qualifiés de DPS, « l’existence de statuts similaires, proches du DPS, par exemple de détenus dits “rouges” à la maison d’arrêt de Marseille-Baumettes ». Aux demandes d’explications formulées par l’instance européenne, le gouvernement avait répondu que l’inscription au répertoire des DPS n’entraînait « pas de modification du régime de détention des détenus » et que « le classement de ces derniers n’[avait] pour d’autre but que de signaler ces détenus aux personnels afin de provoquer une vigilance particulière sur les précautions à prendre ». Quant aux « listes officieuses », il se contentait d’indiquer qu’un « groupe de travail [avait été] chargé de réexaminer et de refondre le régime des DPS » et qu’« à cette occasion sera[it] réaffirmée l’interdiction de toute autre forme de classement ».
Pour l’administration
La multiplication des régimes d’exception
© Jack Guez/AFP
Depuis, de nouvelles mesures ont pourtant été prises à l’encontre des détenus considérés comme dangereux. Une note du 18 avril 2003 a par exemple mis en place un régime d’isolement « renforcé » à l’égard des personnes qualifiées de « dangereuses par l’administration pénitentiaire », « en raison de [leur] appartenance au grand banditisme ou à une mouvance terroriste ou de [leur] passé judiciaire et pénitentiaire ». Une autre, en date du 29 octobre 2003, a prévu également un mode de gestion particulier pour les « détenus dangereux incarcérés dans les maisons d’arrêt », s’accompagnant de « mesures spécifiques de suivi, d’observation et de contrôle adaptées à l’état de dangerosité de ces détenus », et notamment des « rotations de sécurité », c’està-dire des changements fréquents de cellules, de bâtiments ou d’établissements. Sans compter les pratiques spécifiques mises en place dans certains établissements. En août 2005, l’OIP rendait par exemple public le cas d’un détenu de la maison de Bois d’Arcy (Yvelines) qui était soumis à des mesures d’isolement draconiennes, avec pour seuls contacts, lors de ses déplacements aux parloirs ou au service médical, des surveillants revêtus d’une tenue d’intervention anti-émeute et d’un casque avec visière de protection. Selon la direction de l’établissement, cette décision
pénitentiaire, différencier les régimes et les niveaux de sécurité selon la dangerosité des détenus est devenu une « question centrale ». N°63 Septembre-Octobre 2007
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avait été prise suite à des « menaces proférées à l’encontre d’un codétenu et d’une surveillante ». Menaces qui n’avaient pourtant fait l’objet d’aucune poursuite disciplinaire. Accessible à une libération conditionnelle, l’homme avait pourtant bénéficié de plusieurs permissions de sortir. À l’époque, la direction régionale des services pénitentiaires de Paris n’avait rien trouvé à redire, estimant « légitime que les personnels se protègent ». Loin d’un objectif de réinsertion, la différenciation des régimes apparaît ainsi avant tout comme un moyen de contrainte pour le moins commode, puisqu’il s’effectue en dehors de toute obligation procédurale. Édictées dans la plus grande discrétion, ces différentes notes et circulaires font d’ailleurs aujourd’hui l’objet de recours de plus en nombreux devant les juridictions administratives. La note sur les rotations de sécurité a ainsi été attaquée devant le Conseil d’État, obligeant le ministère de la Justice à changer de stratégie, en l’abrogeant tout en évoquant « une nouvelle instruction ministérielle relative au répertoire des détenus particulièrement signalés procédant à l’actualisation et à l’uniformisation des procédures d’inscription [qui] sera prochainement transmise. »
L’évaluation de la dangerosité : « une prophétie auto-réalisatrice » Ces dispositions ont également été vivement dénoncées par les instances de protection des droits de l’homme, telles que la Commission nationale consultative des droits de l’homme, dans son Étude sur les droits de l’homme dans la prison de mars 2004, ou la Commission nationale de déontologie de la sécurité dans plusieurs de ses avis et rapports. Elles soumettent en effet les personnes qui en font l’objet à des niveaux de contraintes et à une souffrance inacceptables et indignes d’un pays démocratique. Les détenus se retrouvent privés de toute possibilité d’influer sur le cours de leur existence, de travailler, de suivre une formation ou un enseignement. Constamment à la merci d’un nouveau transfert, ils se trouvent dans un état de qui-vive permanent. Pour les détenus en régimes différenciés, la situation n’est guère plus enviable. Aucun texte ne précisant les critères permettant le placement dans ces quartiers, les décisions, considérées jusqu’à présent comme des « mesures d’ordre intérieur », sont des plus arbitraires et les motifs des plus variables. Dans la pratique, toute attitude qui froisse l’administration est susceptible d’entraîner une affectation en quartier fermé, décrit par Gaëtan Cliquennois comme « un régime d’isolement ou de quartier disciplinaire amélioré », où « les portes sont fermées » et où « seule une minorité [de détenus] travaillait et/ou était occupée », alors qu’ils « sont censés avoir accès à des activités ». Une situation qui conduit à davantage de violences, mais aussi à des situations d’indigence, de repli sur soi et de perte de confiance. Les conséquences en matière d’individualisation des peines sont également nombreuses : impossibilité de pouvoir prétendre aux réductions de peine supplémentaires, incapacité d’indemniser les victimes, difficultés certaines pour obtenir un aménagement de peine. Ainsi, alors que N°63 Septembre-Octobre 2007
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l’évaluation est présentée comme permettant une progressivité du régime, elle s’apparente davantage, pour Gaëtan Cliquennois, à une « prophétie auto-réalisatrice », qui enferme le détenu dans un cercle vicieux dont il aura le plus grand mal à sortir.
Une contrepartie obligatoire de la réforme ? Pour détourner le regard des pratiques concrètes que produisent ces régimes différenciés, on n’hésite pas à faire appel à deux types d’arguments. Le premier consiste à présenter la création de régimes de très fortes contraintes comme ni plus ni moins que de vraies avancées du droit, puisque cela permettrait la responsabilisation des détenus. Une responsabilisation pourtant toute relative. Au Canada, pays précurseur en matière de différenciation des régimes, la criminologue Marion Vacheret explique que « beaucoup de détenus ont l’impression que le plan correctionnel d’intervention leur est imposé, qu’il ne correspond pas à ce qu’ils souhaiteraient ou à ce qu’ils définiraient comme étant leurs problèmes. » L’exemple français du projet d’exécution de peine (PEP), décrit, si besoin en était, les limites de cette « responsabilisation » (lire p.30-31). D’autant que, en rendant le détenu responsable de la façon dont se déroule sa peine – puisqu’elle est liée à son comportement – ce système accroît très fortement l’emprise de l’institution sur les individus, lui donnant par là même les moyens d’une « modernisation » de sa gestion, qui participe d’autant plus à la déresponsabilisation de l’individu. Deuxième argument, la différenciation des régimes serait la condition même de la réforme. Autrement dit, il faut sacrifier certains pour permettre au plus grand nombre de bénéficier de conditions de détention plus souples, axées sur la réinsertion et leur sortie de prison. La construction de deux maisons centrales à sécurité renforcée a ainsi été présentée comme permettant « d’améliorer, par un niveau de contraintes sécuritaires moindre, la qualité de vie des détenus affectés dans les autres », tandis que la fermeture des portes en maisons centrales se justifiait par l’ « accroissement régulier du nombre de condamnés issus du grand banditisme et des différentes mouvances terroristes », « la nécessité d’apporter une réponse au sentiment d’insécurité du personnel […] et de restaurer un régime apte à préserver les détenus les plus faibles du reste de la population pénale ». 5
Une gestion de l’inflation carcérale C’est la même logique qui avait abouti, lors des réformes menées en 1975, à la création des QHS. Comme l’expliquait à l’époque de leur fermeture, Philippe Robert, « pour tenter de pallier les périls nés de la suroccupation carcérale, on combine une libéralisation du régime ordinaire avec la mise en place de régimes d’exception très sévères ». 6 L’instauration des régimes différenciés présente en effet l’intérêt pour la Chancellerie d’accroître les taux d’occupation des centres de détention alors que les maisons d’arrêt sont surencombrées. Des détenus, dont le profil n’était pas jugé, par le passé, compatible avec le fonc-
RÉGIMES DE DÉTENTION DIFFÉRENCIÉS - L’ENVERS DU DÉCOR
tionnement spécifique des centres de détention, peuvent s’y trouver affectés, dès lors que leur placement en secteur fermé est rendu possible. Ainsi, le directeur du centre détention de Châteaudun s’est-il félicité en juillet 2005 de ce que, « aujourd’hui, l’établissement est en moyenne à 98 % de ces capacités : la mise en place du régime différencié a permis de rationaliser la gestion de la détention et d’augmenter de près d’1/3 le nombre de détenus, à effectif constant ». Face à l’afflux de personnalités psychotiques, de malades mentaux ou des personnes souffrant de troubles mentaux – qui explique en grande partie pourquoi les questions de sécurité et de dangerosité prennent aujourd’hui une telle acuité –, l’administration a trouvé sa réponse, qui vient compléter la création d’« unités hospitalières spécialement aménagées » pour les accueillir. Comme les « quartiers courtes peines » 7 qui doivent répondre aux incarcérations de plus en plus nombreuses de personnes condamnées à des peines de quelques semaines seulement, pour des faits qui ne conduisaient jusqu’alors pas en prison. Comme le soulignait dès le début des années 1980 le sociologue Robert Castel 8 : « On constate le développement de modes différentiels de traitement des populations, qui visent à rentabiliser au maximum ce qui est rentabilisable, et à marginaliser ce qui ne l’est pas. » Contre cette tendance gestionnaire lourde parée des vertus de la réforme et de la réinsertion, il est plus nécessaire que jamais de faire valoir le respect de l’égalité des droits. Jean Bérard et Stéphanie Coye
L’évaluation et (1) Le 13 juin 2006, en réponse à une question écrite du député Jean-Luc Warsmann. (2) Jusqu’alors, les centres de détention régionaux recevaient les personnes condamnées à une peine inférieure à sept ans ou auxquelles il restait moins de cinq ans à purger, tandis que les autres condamnés étaient incarcérés dans les centres de détention nationaux (à l’exception des multirécidivistes, ceux réputés dangereux ou pour lesquels le pronostic de réinsertion était jugé peu favorable, qui se retrouvaient en maisons centrales) (3) Réforme menée en 1945 par le directeur de l’administration pénitentiaire Paul Amor, qui voulait réaliser l’amendement des détenus par la mise en place de régimes de détention adaptés à leur « degré de perversion ». (4) Jean Favard, « Trop de sécurité tue la sécurité », Dedans dehors, n°49, mai 2005. (5) Réponse du gouvernement français au rapport de visite du Comité européen de prévention de la torture, mars 2004. (6) Philippe Robert, La question pénale, Droz, 1984. (7) Prévus par le programme immobilier de la justice, ces quartiers doivent permettre d’accueillir, pendant quelques semaines, des personnes condamnées à de courtes peines de prison et leur offrir des programmes individualisés afin de prévenir la récidive. (8) « De la dangerosité au risque », Actes de la recherche en sciences sociales, année 1983, volume 47, numéro 1, pp119-127.
la différenciation des régimes enferment le détenu dans un cercle vicieux dont il aura le plus grand mal à sortir. N°63 Septembre-Octobre 2007
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dossier Ces dernières années, diverses réformes ont été entreprises visant à évaluer et classifier les détenus, puis à leur appliquer des régimes correspondant à leur « dangerosité » ou leur « personnalité ». Olivier Boudier, secrétaire général du Syndicat national de l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaire (SNEPAP), fait le point sur les projets en cours et à venir.
« La sécurité et la dangerosité
sont de plus en plus mises en avant » Quels sont les projets de la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) en matière de différenciation des régimes ? Dans le cadre de la loi pénitentiaire, la DAP semble vouloir développer l’évaluation des détenus par les personnels pénitentiaires, afin de les affecter dans différents types de régimes et de séparer ceux considérés comme dangereux des autres. Elle a apparemment déjà beaucoup travaillé et avancé sur ce sujet. Elle s’appuie pour cela sur la règle pénitentiaire européenne (RPE) 51-4 qui recommande que « chaque détenu [soit] soumis à un régime de sécurité correspondant au niveau de risque identifié ». Mais pour le moment, nous avons peu d’informations sur la forme que cela va prendre : quelle sera cette évaluation ? sur quels critères ? Tout cela reste vague. Cela vous inquiète-t-il ? Le fait que les notions de sécurité et de dangerosité soient de plus en plus mises en avant nous interroge. Ces questions doivent être traitées, mais ne doivent pas prendre le pas sur tout le reste. L’idée que l’affectation des détenus soit restreinte au comportement en détention nous inquiète particulièrement, car cela signifie que l’adaptation des détenus au fonctionnement du système pénitentiaire compterait plus que leur capacité à vivre en société. On peut craindre également un système figé où le « diagnostic » de dangerosité serait posé très peu de temps après l’incarcération, et entraînerait la soumission du détenu à un régime de détention strict dont il sera difficile de sortir. Or, ce n’est pas du tout l’idée que nous nous faisons d’un régime de détention ouvert vers l’extérieur, propre à favoriser la préparation à la sortie et les aménagements de peine. A minima, même le régime de détention, le plus strict doit garantir le respect des règles 25.1 et 25.2 des RPE qui prévoient d’offrir à tous les détenus un « programme d’activités équilibré », et de permettre « de passer hors de leurs cellules autant de temps que nécessaire pour assurer un niveau suffisant de contacts humains et sociaux ». Mais pour le moment, nous attendons de disposer de plus d’informations. N°63 Septembre-Octobre 2007
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Pourquoi les régimes différenciés avaient-ils été généralisés ? La loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, dite Perben I, a modifié profondément la classification des établissements pénitentiaires, en supprimant la distinction entre les centres de détention nationaux et les centres de détention régionaux.1 Parallèlement, a également été supprimé le principe d’affectation des détenus en fonction du quantum de peine. Il en a résulté une procédure d’affectation beaucoup plus déconcentrée, confiée aux directeurs régionaux des services pénitentiaires. Suite à cela, une circulaire du 20 octobre 1990 a été réactivée dans les centres de détention. Elle prévoyait la création de sous-secteurs d’hébergement dans lesquels les contraintes seraient différenciées. L’objectif était d’instaurer un régime progressif, permettant le développement de l’autonomie et la responsabilisation des détenus, afin de mieux préparer leur retour à la vie sociale. Son application dans un schéma déconcentré comme il existe depuis 2003 a cependant entraîné des dysfonctionnements, que nous avons dénoncés à l’époque. Quels sont ces dysfonctionnements ? La mise en œuvre des régimes différenciés se révèle très différente d’un établissement à l’autre. Dans certains centres de détention, il semble que cela se soit plutôt bien passé, notamment parce que les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) y ont été associés. Dans d’autres en revanche, ces régimes ont été mis en place avant tout dans un objectif sécuritaire. Assez rapidement, seulement deux types de régimes sont apparus : un régime commun et un régime « spécial », plus dur et avec moins d’activités, quasi disciplinaire, visant des personnes qui n’ont pas nécessairement commis d’infractions au règlement intérieur mais dont le comportement est jugé déplacé. On est très loin de l’esprit d’un régime progressif, tel que le voulait la circulaire de 1990. En outre, les décisions de l’administration affectant une personne détenue à un régime de détention peuvent porter grief et devraient donc être susceptibles de recours.
RÉGIMES DE DÉTENTION DIFFÉRENCIÉS - L’ENVERS DU DÉCOR Quel bilan peut-on faire de l’expérimentation des « projets d’exécution des peines » (PEP)2 ? Ils sont effectivement mis en œuvre, mais on ne peut pas dire qu’ils soient devenus un moteur de l’exécution de la peine. Pour qu’ils le deviennent, il faudrait mettre en place davantage d’accompagnement, des formations professionnelles appropriées, une offre de travail suffisante, des programmes adaptés à la toxicomanie, etc. Des efforts sont faits en ce sens. Par exemple, le Plan d’amélioration des conditions de travail et d’emploi (PACTE II) permet maintenant au détenu de suivre une formation ou des cours tout en travaillant. Mais c’est encore insuffisant. Le PEP ne pourra pas non plus devenir un véritable moteur de la peine tant que les personnes détenues ne disposeront pas de davantage d’autonomie et de marges de manœuvre. Aucun réel projet évolutif ne peut être élaboré dans ces conditions. Pour autant, le souhait de la DAP de développer le PEP au sein des maisons d’arrêt va dans le bon sens et semble montrer qu’il s’agit pour elle d’une priorité.
ralisation ne semble pas d’actualité. Quant aux quartiers courtes peines, ils sont uniquement prévus pour les primo-incarcérés ou les condamnés à de très courtes peines.
Les établissements spécialisés dans l’accueil d’un type de délinquants ne cessent de se multiplier. Pourquoi ? De plus en plus de personnes sont incarcérées alors qu’elles relèveraient davantage de mesures ouvertes, de soins psychiatriques ou autres. La spécialisation des établissements apparaît comme une réponse à ce problème et à la nécessité pragmatique d’assurer le bon ordre. L’ouverture des « quartiers courtes peines » est par exemple une façon de répondre à la hausse des incarcérations de très faible durée de primo-incarcérés. L’administration pénitentiaire sait pertinemment que ces personnes perdent beaucoup à rester en prison et tente d’alléger leur régime pour éviter au maximum les effets désocialisants de l’incarcération. Sans doute que la DAP s’imagine aussi qu’il est plus facile de gérer des personnes qui souffrent de la même problématique. Je ne suis pas sûr pourtant que cela leur facilite les choses, car elles se retrouvent ainsi étiquetées. Dans Autant les le cadre d’une spécialisation, il n’y a en effet plus d’anonymat possible sur la nature de dispositifs de l’infraction commise. Ce qui n’est pas sans sécurité renforcée problème, notamment pour les délinquants sexuels. Séparer ces derniers des escrocs, se développent, des criminels, des toxicomanes, etc., me semble assez aberrant, car la société n’opère autant les régimes pas de segmentation de ce type, artificielle. de détention plus Enfin, si un regroupement doit être fait, il doit répondre en premier lieu à des objectifs de ouverts et plus préparation à la sortie et à la participation à des programmes de prévention de la récidive axés sur l’extérieur adaptés, etc.
Qu’en est-il du projet de construction de maisons centrales à sécurité renforcée ? Là encore, nous n’avons que peu d’informations sur l’avancée du projet, mais il semble qu’il soit pour le moment au point mort, car trop coûteux. Nous y sommes pour notre part fermement opposés. D’abord parce que, comme je l’ai déjà dit, une personne classifiée comme dangereuse risque de le rester longtemps et d’autant plus si elle est incarcérée dans une structure ultra sécurisée qui empêchera toute évolution. Ensuite, concentrer des personnes considérées comme dangereuses risque de transformer ces établissements en véritables poudrières. restent limités. Nous pensons pour notre part que les questions de sécurité ou de dangerosité doivent Partagez-vous le constat de la DAP être résolues avant tout par le développesur le fait que l’évaluation des détenus ment de dispositifs de « sécurité active », et et la différenciation des régimes sont notamment par une présence plus importante des surveillants, les conditions de mise en œuvre de programmes de afin qu’ils puissent communiquer davantage avec les détenus, réinsertion ? repérer les situations conflictuelles et les résoudre avant l’in- L’évaluation des personnes condamnées permettant d’adapter cident. L’administration pénitentiaire n’est malheureusement l’exécution de la peine est à priori une bonne chose, même si pas maître des budgets dévolus au recrutement de son person- tout dépend là encore de la façon dont ce sera fait. Cependant, la nel. Nous sommes également très attachés aux principes de la mise en œuvre de l’objectif de réinsertion se heurte actuellement recommandation du Conseil de l’Europe du 9 octobre 2003 rela- à des problèmes bien plus prioritaires que ceux-là, tels que la tive aux détenus condamnés à perpétuité et à de longues durées, surpopulation, l’absence de dignité ou les défauts d’accès aux et notamment à ceux de non séparation de ces condamnés et droits. de rapprochement « le plus possible » des régimes de détention Propos recueillis par Stéphanie Coye avec « la vie en dehors ».
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Pensez-vous que le renforcement des mesures de sécurité pour les uns permette un assouplissement pour le plus grand nombre, comme l’affirme la DAP ? Je n’en suis pas sûr. Autant les dispositifs de sécurité renforcée se développent, autant les régimes de détention plus ouverts et plus axés sur l’extérieur restent limités et réservés à une part trop faible de la population carcérale. Aucun bilan n’a été fait par exemple des centres pour peines aménagées (CPA) et leur géné-
(1) Jusqu’alors, les centres de détention régionaux recevaient les personnes condamnées à une peine inférieure à sept ans ou auxquelles il restait moins de cinq ans à purger, tandis que les autres condamnés étaient incarcérés dans les centres de détention nationaux (à l’exception des multirécidivistes, ceux réputés dangereux ou pour lesquels le pronostic de réinsertion était jugé peu favorable, qui se retrouvaient en maisons centrales). (2) Dispositif expérimenté depuis 1996, visant à élaborer un « projet » de réinsertion pour chaque détenu, puis à mettre en œuvre une prise en charge et un suivi adaptés. Cf. l’interview pages 30 et 31. N°63 Septembre-Octobre 2007
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dossier
Régimes différenciés en
Doctorant en sociologie, Gaëtan Cliquennois a passé quatre mois dans le centre de détention qui, le premier, a initié une organisation différenciée des régimes de détention. Pour lui, ce dispositif est un mode de gestion de la population incarcérée basé sur la « contention », qui, en catégorisant des détenus comme dangereux et en leur appliquant un traitement particulier, les enferme dans un « cercle vicieux ».
Pourquoi des régimes de détention différenciés ont-ils été mis en place ? La mise en place de régimes différenciés témoigne d’un souci pragmatique d’organisation et d’une volonté de gestion basée sur la contention. En fait, ce dispositif a été expérimenté bien avant l’annonce de sa mise en œuvre en 2003, sur huit sites pilotes, à l’initiative officiellement de la direction de l’administration pénitentiaire. Or, l’expérimentation semble avoir eu une base beaucoup plus empirique. Dans l’établissement où j’ai mené des observations directes pendant quatre mois, le système antérieur permettait aux détenus de circuler librement, à l’aide d’un badge. Le personnel ne contrôlait pas les mouvements et éprouvait des difficultés à surveiller ce qui se passait, notamment les trafics et le caïdat. L’idée est née alors de différencier des régimes, avec un « régime probatoire renforcé » pour les détenus posant problème, un « régime commun » et un autre dit « de confiance ». Ce sont du moins les noms que la direction leur a donné au départ. Très vite, craignant que la direction régionale ne l’apprenne, un document a été rédigé afin de lui présenter les inconvénients de l’ancienne organisation et les avantages de la nouvelle. Au vu des arguments avancés, la DR n’a posé aucune difficulté. Quels ont été les arguments en faveur de cette nouvelle organisation ? En premier lieu, aux yeux de l’administration, le fait d’isoler les « mauvais » détenus du reste de la détention permet de concentrer les difficultés sur un espace donné et d’éviter que leurs comportements « contaminent » les autres et entraînent des mutineries. Ce régime permettrait donc de séparer le bon grain de l’ivraie. Ensuite, la souplesse de l’organisation est mise en avant, N°63 Septembre-Octobre 2007
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une prophétie
puisque le régime probatoire renforcé peut être très facilement étendu à d’autres ailes, en cas de besoin, selon, dixit, « les profils de la population » à un instant T. Il suffit de fermer les portes. Le troisième argument tient dans le caractère prédictif du régime. Le régime probatoire permettrait « de mieux cerner le profil et les perspectives d’évolutions du condamné ». Appliqué à l’ensemble des détenus « arrivants », il est censé en effet révéler leurs comportements, leur profil, leur attitude, leurs rôles sociaux, leurs dispositions émotionnelles et leur respect de l’ordre et de la contention qui s’indexent à la proscription des évasions, des agressions de personnels, des prises d’otages et des mouvements collectifs. De façon assez contradictoire, les personnels d’encadrement insistent également sur la progressivité du régime différencié et le sens que celui-ci donnerait à l’exécution de la peine. Autrement dit, il permettrait d’envisager et de concevoir, du régime probatoire renforcé jusqu’au régime de confiance, une évolution graduelle du détenu selon ses possibilités à se fondre dans l’ordre carcéral, à élaborer un projet de réinsertion et à le mener à bien. On peut résumer cela à la carotte ou le bâton : si le détenu se comporte bien, il ira en régime commun ; sinon, il restera en régime probatoire renforcé. Enfin, cela revalorise le métier de surveillants et leur redonne de l’influence et du pouvoir sur la population carcérale.
Pour le sociologue Gaëtan ‘‘Cliquennois, « le régime probatoire
renforcé s’apparente à un régime d’isolement ou de quartier disciplinaire amélioré .
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Quelles sont les différences entre ces régimes ? Le régime probatoire renforcé s’apparente à un régime d’isolement ou de quartier disciplinaire amélioré. Les portes sont fermées et les détenus n’ont que trois heures de promenade par jour. Ils sont censés avoir accès à des activités mais, durant ma période d’observation, seule une minorité d’entre eux travaillait et/ou était occupée. L’atmosphère était très lourde. Quant aux incidents disciplinaires, 81 % de ceux passant devant la commission de discipline étaient dus à des personnes se trouvant en régime probatoire renforcé, alors qu’ils ne représentaient que 12 % environ de la population incarcérée dans l’établissement.
RÉGIMES DE DÉTENTION DIFFÉRENCIÉS - L’ENVERS DU DÉCOR
centres de détention auto-réalisatrice Je n’ai pas pu obtenir les données relatives aux suicides, mais il serait intéressant, au regard de la sur-suicidité constatée au sein des quartiers disciplinaires, d’étudier les taux selon les régimes. La majorité des détenus est affectée en régime commun où les portes sont ouvertes à certaines heures. À midi par exemple, les détenus peuvent se retrouver et préparer à manger ensemble. Un peu plus de la moitié travaille et beaucoup ont accès à des activités. En régime de confiance, les portes sont ouvertes quasiment toute la journée et les détenus peuvent se déplacer dans l’établissement. La presque totalité travaille et nombreux sont ceux qui sont inscrits à des activités.
qu’ils n’ont pas de problèmes de comportements, et des détenus engagés dans une procédure d’aménagements de peine. En régime commun, les profils sont très hétérogènes. En régime probatoire renforcé, près de la moitié des détenus ont des gros problèmes psychiatriques, quelques détenus l’ont demandé pour leur protection, le reste étant constitué de DPS et de détenus qui ont eu un mauvais comportement, dans l’établissement ou par le passé.
sont mis à l’épreuve ‘‘par Leslesdétenus surveillants, qui les testent
Comment est prise la décision d’affectation ? À leur arrivée au centre de détention, les détenus sont affectés dans un quartier arrivant pendant quinze jours. L’officier responsable rédige une fiche signalétique, précisant le passé pénal (les condamnations) et pénitentiaire (les antécédents disciplinaires). Cette fiche vaut ensuite comme un « curriculum vitae » auquel se fie le personnel. Dès le départ, leur regard est donc orienté par ces considérations. Les détenus sont ensuite affectés pendant un mois et demi en « régime probatoire ». Les portes des cellules sont fermées. Des activités sont possibles, mais les listes d’attente sont longues. Pour pouvoir y participer, il faut être « sélectionné », avec, une fois encore, un rôle important dévolu à la fiche signalétique. S’installe dès lors un « cercle vicieux ». Les « détenus particulièrement signalés » (DPS) et ceux dont la fiche signalétique fait état de multiples incidents font l’objet d’une surveillance beaucoup plus importante et le moindre incident fait l’objet d’un signalement. Les détenus sont en outre mis à l’épreuve par les surveillants, qui les testent en créant des situations de stress et de frustration : en leur refusant une douche, ou en les faisant volontairement attendre pour y aller, en fouillant plusieurs fois par jour leur cellule, en leur donnant un ordre sur un ton péremptoire, etc. Et pour les détenus que les surveillants n’aiment pas, ces épreuves sont surmultipliées. Au bout de ce mois et demi, une commission d’affectation se réunit et décide du régime de détention auquel le détenu sera astreint, ou de prolonger la durée d’observation.
Est-il facile de changer de régime ? Passer du régime probatoire renforcé au régime commun, ou du régime commun au régime de confiance, est rare. Les gens peuvent rester très longtemps dans le premier et ils y restent d’autant plus longtemps qu’ils ont des incidents disciplinaires. Au bout d’un moment, certains se rendent compte que c’est le pot de fer contre le pot de terre et qu’ils ont davantage à gagner en adoptant un comportement plus conforme à ce que les personnels attendent d’eux. Il arrive aussi, lorsque certains détenus deviennent trop incontrôlables ou infernaux, que les personnels soient obligés de leur donner une perspective : une promesse de changement de régime ou, plus souvent, une promesse de travail en restant dans le même régime. Le plus fréquent est cependant le déplacement de détenus au sein d’un même régime. L’établissement compte en fait deux bâtiments, chacun étant divisé en trois régimes. Dès qu’un détenu pose des problèmes, les surveillants procèdent à des minis transferts disciplinaires, pour le déstabiliser. Ils s’en servent énormément, notamment, expliquent-ils, parce qu’aucun contrôle n’est exercé sur le placement. Ils peuvent faire ce qu’ils veulent.
Quels sont les profils des personnes affectées dans tel ou tel régime ? Globalement - mais cette question demanderait une étude quantitative -, on trouve en régime de confiance les personnes âgées pour qui, comme elles souffrent souvent de pathologies de déplacements, la liberté de circuler est toute relative, des auteurs d’infractions sexuelles, les personnels étant convaincus
Comment expliquez-vous le nombre si élevé de procédures disciplinaires dans le régime le plus dur ? D’une part par le plus grand nombre d’interactions entre détenus et surveillants et par les relations de pouvoirs, faites de sanctions et de menaces réciproques, qui définissent leurs échanges. D’autre part, ce phénomène semble relever en grande partie de la « prophétie auto-réalisatrice », un concept mis au point par
en créant des situations de stress et de frustration.
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dossier des sociologues américains, William I. Thomas, puis Robert K. Merton, pour expliquer que la représentation que quelqu’un peut avoir d’une situation ou d’une réalité, même si cette représentation est faussée ou erronée, a des conséquences réelles, parce que la personne agit en fonction de cette représentation. Les incidents disciplinaires s’expliquent ainsi par les tensions et le climat extrêmement lourd existant dans ce régime. Lui-même dû d’une part au fait que le personnel s’attend à des incidents, et d’autre part au fait que les détenus sont inactifs la plupart du temps. L’ennui engendre en effet du conflit. Le sociologue Jack Barbalet1 l’a bien montré, et avant lui des chercheurs en psychologie sociale. Les personnes qui s’ennuient sont à la recherche de sens et provoquer des conflits redonne un sens à leur existence. Il existe également une façon différenciée de traiter les incidents selon les régimes. Je n’ai vu par exemple qu’un seul passage en commission de discipline d’une personne affectée en régime de confiance, alors qu’il n’y a pas eu qu’un seul incident. Un filtrage est effectué par le chef de détention, qui décide ou pas du passage en commission. Et en régime de confiance, il estime généralement que ce n’est pas nécessaire et règle l’incident d’une façon informelle. L’évaluation joue-t-elle aussi un rôle dans le caractère auto-réalisateur de la prophétie ? La performativité2 du système est effectivement particulièrement visible au sein de l’activité d’évaluation ou dans l’utilisation par les personnels des statistiques des incidents disciplinaires, de l’accès au travail ou aux activités selon les régimes de détention. Mais ce n’est pas tout. Un des facteurs réside dans l’interdépendance décisionnelle et ses effets d’emballements. L’avis des personnels est par exemple pris en considération dans les commissions de l’application des peines. Les détenus en régime probatoire ont donc beaucoup moins de chance d’obtenir des aménagements de peine, même si cela dépend bien sûr de la politique du juge. Le détenu va donc rester plus longtemps en prison. J’ai vu le cas d’une personne qui, pour avoir mis le feu à sa cellule et agressé un surveillant, a dû purger cinq ans de prison supplémentaires du fait de la condamnation pour l’agression et du retrait de réductions de peine. Cela a eu l’effet d’une spirale infernale. Elle était furieuse contre le surveillant qui avait porté plainte. Elle en voulait à la détention, qui en retour ne la supportait pas. Les effets d’emballements sont très concrets. Selon l’administration pénitentiaire, la différenciation des régimes permettrait l’individualisation de la peine… Aujourd’hui, l’administration pénitentiaire tente de rationaliser et de justifier les régimes différenciés, notamment en invoquant l’objectif de réinsertion. Cela peut avoir un impact, car il y a une performativité du langage, mais ce n’était pas un objectif au départ. Le but était de reprendre le contrôle sur la population détenue et d’empêcher les évasions et les mutineries. La différenciation est un moyen imaginé pour y arriver. C’est d’ailleurs une tendance qui affecte quasiment toutes les institutions. Dans les grandes entreprises par exemple, un mouvement a émergé aux États-Unis à la fin des années 1980, qui tend à différencier les traitements des salariés. Pensé à l’origine pour fidéliser les cadres supérieurs, il vise surtout aujourd’hui à détecter des « hauts potentiels » qui prendront à un moment donné la sucN°63 Septembre-Octobre 2007
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Derrière ces mots froids de ‘‘“différenciation”, de “segmentation”,
de “traitements”, se cache une violence institutionnelle terrible.
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cession des leaders. Un rôle très important est octroyé à la prédiction. Dès le recrutement, on essaye de repérer les plus hauts potentiels. Ensuite, au bout d’une période comprise entre six mois et un an, les personnes sont catégorisées, puis se voient, en fonction de cette catégorisation, allouer des moyens de formation et des plans de rémunération ou de carrière extrêmement différents. Il est évident qu’ensuite, les personnes ne vont pas évoluer de façon identique, mais, comme pour les régimes différenciés en prison, comment faire la différence entre ce qui relève de la justesse de l’évaluation et de la prédiction de ce qui relève du traitement différencié ? Circonscrire l’analyse à la seule institution pénitentiaire serait donc une erreur. Il faut au contraire l’inscrire dans un mouvement plus général de dépendance institutionnelle et d’organisation des destins et du futur. À quoi est due cette évolution ? 3 François Dubet fait état de la crise de sens que traversent les institutions en raison notamment de processus d’individualisation croissants. Ce n’est pas faux, mais je ne pense pas qu’on puisse aller jusqu’à parler d’une « déprise » des institutions sur les individus. La segmentation est au contraire une manière de réinjecter de la dépendance institutionnelle et, sans être un projet concerté, peut apparaître comme une sorte de réponse à la crise, y compris dans ses dimensions symboliques. La prison s’inscrit dans ce processus-là. Elle est aussi, comme l’a montré Antoinette Chauvenet,4 un lieu de très forte incertitude, où le personnel de surveillance considère que tout peut se produire. De ce point de vue, les régimes différenciés donnent l’impression de pouvoir prévenir à l’avance les comportements, ce qui permet de réduire la peur des personnels. La segmentation favorise également l’individualisme. C’est une manière de désolidariser. En prison, chacun va chercher à avoir son aménagement de peine, à être affecté en régime de confiance. Participer à un mouvement collectif risque de faire perdre tous les avantages acquis par un bon comportement. Derrière ces mots froids de « différenciation », de « segmentation », de « traitements », se cache ainsi une violence institutionnelle terrible, en prison, comme dans toutes institutions. Propos recueillis par Stéphanie Coye (1) «Boredom and social meaning », British Journal of Sociology, 1999, vol. 50, n°4, p. 631-646. (2) Notion développée par le philosophe anglais John Austin dans Quand dire c’est faire (1962), afin de caractériser certaines expressions qui réalisent une action par le fait même de son énonciation. Un exemple type est la phrase « Je vous déclare mari et femme » prononcée par le maire lors d’un mariage. (3) Sociologue français, auteur notamment de Le déclin de l’Institution, Éditions du Seuil, 2002. (4) « La violence carcérale en question », Rapport de recherche, avec F. Orlic, M. Monceau et C. Rostaing, janvier 2005, 422 p.
RÉGIMES DE DÉTENTION DIFFÉRENCIÉS - L’ENVERS DU DÉCOR
Isolement, impossibilité de travailler ou de suivre une formation, activités se résumant le plus souvent à la seule promenade quotidienne, privation de cantine ou d’accès au téléphone, pressions de toutes sortes... Pour les détenus, les quartiers fermés mis en place dans le cadre des régimes différenciés ne sont qu’ « une version un peu soft du mitard ». À la différence, de taille, qu’ils peuvent y rester des mois, hors de tout cadre juridique, sans qu’aucune contrainte procédurale ne pèse sur l’administration.
Quartiers fermés en centres de détention
« une version un peu soft du mitard » ‘‘ Sanctionnés
dans la plus grande illégalité ’’
bles sont le quartier disciplinaire et le confinement, le tout pour des durées n’excédant pas quarante cinq jours. Ainsi, en plus du cumul des peines, nous sommes sanctionnés dans la plus grande illégalité. »
Personne détenue en centre de détention, août 2006.
« Je suis actuellement incarcéré dans un centre de détention dit disciplinaire. Il existe deux étages réservés spécialement pour ce qu’on appelle le “strict”. Le strict est une version un peu soft du mitard. Ces deux étages sont des rez-de-chaussée des bâtiments A et B. Un détenu peut être placé au strict pour n’importe quelle raison, et parfois pour des raisons inconnues ou incompréhensibles. Le strict donne droit à deux fois une heure de promenade par jour, dans la plus petite cour et uniquement avec des détenus du strict, et une fois une heure de sport par semaine. Tout le reste est interdit. Le détenu passe donc vingtdeux heures sur vingt-quatre en cellule. Plusieurs détenus sont au strict depuis plusieurs mois, certains ont même dépassé l’année complète. Souvent, les détenus s’y retrouvent après être passés en commission de discipline et au mitard. Ce qui constitue une faute grave, car le cumul des sanctions pour une même faute est strictement interdit par le code de procédure pénale (CPP). Mais le plus important est que, d’après l’article D 251 du CPP, les seules sanctions disciplinaires “d’enfermement” possi-
‘‘ Deux fouilles à
dix minutes d’intervalle ’’
Sœur d’une personne détenue en centre de détention, juin 2005.
« Depuis son transfert, mon frère est maintenu en régime fermé, sans aucune proposition de formation. Il ne bénéficie que d’une heure de promenade quotidienne, sans accès au sport, etc. Ce régime exclut mon frère d’une activité professionnelle, renforce son isolement et sa précarité et ne lui permet donc pas d’aménagement de sa peine. Sa play-station lui a été enlevée sans aucun motif. Toutes les demandes pour qu’on lui apporte des livres sont refusées. La direction lui reproche son non-respect des heures de réintégration en promenade alors qu’il s’y rend et regagne sa cellule dans le même temps que les autres détenus. Il subit des fouilles répétées, par exemple deux fouilles à dix minutes d’intervalle, sans oublier les fouilles approfondies. Mon frère subit ce régime depuis plus de dix mois, entrecoupés de sanctions disN°63 Septembre-Octobre 2007
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dossier ciplinaires. Il s’est adressé au procureur de la République pour violation de ses droits. Celui-ci n’a pas donné suite. C’est un surveillant qui, en voyant ses conditions de détention, lui avait conseillé d’écrire au procureur, ainsi qu’à l’OIP. »
‘‘ Je me demande s’ils ne
veulent pas nous pousser à la faute ’’
liste d’attente pour travailler, alors que j’en ai vraiment besoin. De plus, ils m’empêchent de téléphoner à ma famille. Je ne comprends pas pourquoi ils s’acharnent sur moi comme ça. Ils se vengent pour je ne sais quelle raison, font tout pour me pousser à bout et me mettent des rapports pour rien. Pourtant, je me tiens bien et j’ai un bon comportement. Il est vrai que je me suis un peu énervé en revenant du juge des enfants. J’ai appris que mon fils a été placé dans un foyer d’accueil. Cela m’a bouleversé et j’ai cassé le carreau de ma cellule. Pour cela, dix jours de mitard m’ont été infligés. Je suis vraiment au bord du gouffre et ne sais plus quoi faire. »
Personne détenue en centre de détention, octobre 2004.
« Rien ne va plus au centre de détention. Il y a une partie du bâtiment qui s’appelle le “quartier fermé”, dans lequel on m’a placé. Om me soupçonnait de rackets, ce qui est faux ; j’ai demandé à voir les preuves et réclamé une confrontation qui m’a été refusée. J’ai pris un mois renouvelable dans ce quartier fermé, alors qu’en près de quatre ans de détention, je n’ai jamais eu de problème. La commission d’orientation et de classement a refusé mon retour en régime ouvert. Lorsque j’ai demandé des explications sur ce refus au surveillant chef, il m’a répondu qu’il n’y avait pas de cellule disponible. Pourtant, certains surveillants sont étonnés de me voir encore au quartier fermé et des détenus m’affirment qu’il y a de la place en régime ouvert. En plus, au quartier fermé, s’il y a du brouillard, on nous supprime l’heure de promenade. Parfois, je me demande s’ils ne veulent pas nous pousser à la faute. »
Acharnement et
‘‘
abus de pouvoir ’’
Personne détenue en centre de détention, mars 2004.
« Il y a un très gros problème d’abus de pouvoir dans ce centre de détention. Il y a quelques jours, moi et mon codétenu avons eu un problème avec un autre, qui a prétendu que nous l’avions agressé. Le chef de détention nous a convoqués. Il a fait celui qui voulait savoir ce qui s’était passé mais, en fait, il n’a rien écouté et nous a mis au bâtiment disciplinaire et d’observation, en nous disant qu’il ne voulait plus entendre parler de nous. Je veux porter plainte pour acharnement et abus de pouvoir. Il y a un autre détenu, dans ce bâtiment, à qui on a enlevé toutes ses affaires personnelles, produits d’hygiène et les photos de ses enfants. Ils n’ont pas le droit de faire ça. »
Ils m’empêchent
‘‘
toute réinsertion ’’
Personne détenue en centre de détention, décembre 2006.
« Je suis venu en centre de détention pour préparer un projet de réinsertion solide pour ma sortie, mais je suis en section fermée depuis trois mois. Ils m’empêchent toute réinsertion. Ils m’ont refusé de suivre des cours et de passer mon examen de code de la route. Cela fait quinze mois que je suis en N°63 Septembre-Octobre 2007
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‘‘ Une punition arbitraire surnommée le B-0 ’’ Personnes détenues en centre de détention, février 2007.
« Une punition arbitraire est de rigueur surnommée le B-0. Deux ailes du bâtiment sont disponibles et pleines à longueur d’année : discipline militaire, grilles aux fenêtres, fouilles à corps plusieurs fois par jour, harcèlement accru, deux heures seulement de promenade par jour, pas d’accès au téléphone, bons de cantine ignorés pour les détenus qui osent se plaindre. Certains détenus sont au B-0 depuis plusieurs mois. »
‘‘ Ils nous font du chantage ’’ Personne détenue en centre de détention, avril 2005.
« Je suis au régime fermé depuis quatre mois et demi. Il n’y a rien à faire. Ils ne nous laissent pas faire du sport, ni d’activités. Ils nous font du chantage : si on se tient tranquille un mois, on aura droit d’aller au sport. Ils m’ont dit d’aller voir un psychologue, que si je n’y vais pas, je ne vais pas sortir du régime fermé. J’ai fait une lettre pour le psychologue, mais il ne m’a pas répondu. Au bout d’un mois, j’ai ré-écrit et il m’a répondu qu’il ne pouvait pas me voir. J’ai donné la lettre au chef de détention. Ensuite, ils m’ont obligé à aller à l’école en me disant que si je n’y vais pas, je ne sors pas du régime fermé. Ils cherchent des excuses pour me faire rester au régime fermé. J’y ai été mais je ne suis pas d’accord avec ce chantage. Ça ne m’intéresse pas. Je voudrais travailler, mais les détenus placés en régime fermé ne peuvent pas. »
‘‘ Bien qu’en centre de
détention, nous n’avons plus le droit à rien ’’
Personne détenue en centre de détention, août 2006.
« Suite à un incident avec un autre détenu, nous allons passer tous les deux au prétoire. Mais avant, l’administration nous a obligés à quitter nos cellules pour nous placer au rez-dechaussée dans un quartier spécial que l’on appelle le “strict”
RÉGIMES DE DÉTENTION DIFFÉRENCIÉS - L’ENVERS DU DÉCOR où il y a continuellement 20 à 30 détenus. Bien qu’on soit au centre de détention, une fois au strict, nous n’avons plus le droit à rien, sauf deux promenades d’une heure quotidiennement, mais seulement entre détenus du strict, et aux cantines. Mais après lecture du Guide du prisonnier, j’ai appris que le strict n’est pas une sanction disciplinaire. De plus, mon codétenu et moi risquons d’aller au mitard. Donc, comme le strict se chiffre en mois renouvelables, nous risquons de faire du strict, du mitard, et encore du strict. J’ai fait la remarque au chef de bâtiment. Sa réponse a été d’affirmer la légalité du strict et de me menacer d’autres sanctions plus lourdes si je m’y oppose. »
‘‘ À ce rythme-là, ils vont bientôt nous attacher ! ’’
Personne détenue en centre de détention, février 2004.
« J’ai été placé au quartier fermé, au motif que je ne disais pas bonjour et que j’avais obstrué la fenêtre avec une serviette pour dormir la nuit. Au bout d’un mois, ils m’ont dit qu’il y avait une amélioration. Logiquement, je devais retourner en détention normale. Eh non ! Ils m’ont trouvé un prétexte bidon, soi-disant que je joue à la play-station toute la journée. Pour y remédier, je
été placé au quartier fermé, ‘‘au J’ai motif que je ne disais pas bonjour et que j’avais obstrué la fenêtre avec une serviette pour dormir la nuit.
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devais aller au scolaire, alors qu’ils savent très bien que le scolaire, je ne souhaite pas y aller. De plus, à mon arrivée, j’ai participé à un test et le résultat dit que je n’ai pas besoin de remise à niveau pour suivre une formation professionnelle. [...] Table, meuble, lit, télévision, tout est cloué au sol ou au mur, à part la chaise. On n’a pas le droit au balai en cellule. Il faut le demander au surveillant pour l’obtenir. À votre avis, quand on squatte dans une cellule presque 24h sur 24, faut balayer à quelle fréquence ? Récemment, ils ont aussi mis des grilles aux fenêtres. On a juste une heure de promenade. On n’a plus le droit d’aller au gymnase, à la bibliothèque ou de téléphoner. À ce rythme là, ils vont bientôt nous attacher ! Je préférerais retourner en maison d’arrêt que de purger le restant de ma peine dans leur quartier fermé ! »
QUAND LE JUGE ADMINISTRATIF S’EN MÊLE Pour la seconde fois, une juridiction administrative a accepté d’examiner la légalité des placements de détenus en régimes différenciés. Le 26 juillet 2007, le tribunal administratif de Nantes (Loire-Atlantique) a en effet annulé une décision, en date du 26 septembre 2006, du directeur du centre pénitentiaire de la ville plaçant un détenu dans ce type de régime. Le juge a en premier lieu estimé que, « eu égard à l’importance de ses effets sur les conditions de détention et la possibilité de son renouvellement sans condition de durée, la décision [était] susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ». Il a ensuite constaté que le détenu n’avait « pas été mis à même de présenter des observations écrites ou orales avant l’intervention de ladite décision », et que la décision méconnaissait donc les dispositions de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations. Pour sa part, le ministère de la Justice soutenait que la décision constituait « une mesure d’ordre intérieur qui n’est pas susceptible d’être déférée au juge administratif par la voie du recours pour excès de pouvoir », « le régime dit “différencié” [ayant] pour objet de mieux contrôler la circulation des détenus qui y sont affectés ». Tout en reconnaissant que ces derniers font « l’objet d’une surveillance plus rigoureuse » et que, « à la différence des autres détenus, ils doivent prendre leurs repas en cellule [et] ne disposent pas
des clés de leur cellule », la Chancellerie affirmait qu’ils « peuvent bénéficier d’une formation professionnelle, demander à ce que leur soit proposé un travail rémunéré, exercer une activité physique et sportive et effectuer une promenade ». Des arguments similaires avaient été avancés devant le tribunal administratif de Limoges (Lot-et-Garonne), suite au dépôt d’une requête d’un détenu du centre de détention d’Eysses, qui contestait la légalité de décisions le plaçant et le maintenant en régime différencié du 30 mars au 6 octobre 2004. Là encore, le juge avait considéré, dans un jugement du 13 avril 2006, que, « eu égard à la durée de la mesure et à l’importance de ses effets sur les conditions de détention », ces mesures étaient susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir et que les décisions étaient illégales, car prises par une autorité incompétente, en l’occurrence le directeur adjoint de l’établissement, au lieu du directeur. Le ministère de la Justice ayant fait appel, il est à espérer que les juridictions de second degré conforteront la jurisprudence des tribunaux de Nantes et de Limoges, et mettront ainsi un frein au développement de ce dispositif disciplinaire parallèle, dont les modalités avaient été qualifiées par le syndicat national de l’ensemble des personnels pénitentiaires (SNEPAP-FSU), dans un courrier du 12 novembre 2003, comme « indignes d’un service public républicain ».
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dossier
Projet d’exécution des peines
« de l’idée à la pratique, il y a un monde » Depuis 1996, l’administration pénitentiaire a mis en place un dispositif, le « projet d’exécution de peine » (PEP), visant à « donner plus de sens à la peine privative de liberté ».1 Pour Claire, qui est intervenue dans ce cadre pendant quelques mois, l’écart entre l’objectif affiché et la pratique telle qu’elle a pu l’observer est cependant immense. Selon elle, « le PEP n’est pas vraiment fait avec le détenu pour le détenu, mais simplement parce qu’il s’agit d’une politique de l’institution ».
Qu’est-ce que le « projet d’exécution de peine » ? Le projet d’exécution de peine (PEP) est un dispositif mis en place en 1996 dans certaines prisons à titre expérimental, puis généralisé à partir de 2000 dans les établissements pour peine, qui accueillent les personnes définitivement condamnées. Théoriquement, il s’agit de mettre en œuvre des modalités de prises en charge et de suivi adaptées à chaque détenu, sur la base d’un projet élaboré en concertation avec lui et répondant à ses besoins. Les objectifs affichés sont d’individualiser la peine et de lui donner du sens, ainsi que de responsabiliser le détenu, en l’incitant à s’impliquer dans la construction et la réalisation d’un projet et à s’inscrire dans une perspective d’évolution personnelle. De l’idée à la pratique, telle que j’ai pu l’observer dans l’établissement où je suis intervenue, il y a cependant un monde. Comment est-il mis en œuvre concrètement ? Deux ou trois mois après son arrivée, le détenu est reçu par le « surveillant PEP », c’est-à-dire le référent du programme, puis par le « psychologue PEP ». Ces entretiens doivent servir à faire un bilan de sa situation et à élaborer le projet, en fonction de ses besoins et envies. Le psychologue doit chercher également à savoir si la peine a un sens pour lui, s’il comprend sa condamnation et la façon dont il gère son incarcération. À la suite de cela, N°63 Septembre-Octobre 2007
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une commission, la commission locale d’insertion (CLI), a lieu pour examiner le projet. Comment se passe la collaboration entre le psychologue et le surveillant ? Le psychologue se refuse à donner des informations trop personnelles sur le détenu, ce que le personnel pénitentiaire ne comprend pas bien. Il aimerait au contraire en savoir davantage. Dans une institution comme l’administration pénitentiaire, le partage des informations présente en effet un intérêt certain, car cela permet de mieux cerner les détenus, de voir ceux qui peuvent poser problème et que le personnel doit particulièrement surveiller. La tentation d’instrumentaliser le PEP à cette fin peut alors être forte. La personnalité du surveillant référent est donc déterminante.
Dans une institution comme ‘‘l’administration pénitentiaire,
le partage des informations présente un intérêt certain.
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RÉGIMES DE DÉTENTION DIFFÉRENCIÉS - L’ENVERS DU DÉCOR
Comment se déroule la commission locale d’insertion ? Théoriquement, elle devrait associer le surveillant et le psychologue, mais aussi la direction, le chef de détention, le Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP), l’Unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) ou le Service médicopsychologique régional (SMPR), ainsi que les personnels s’occupant des activités sportives, de l’enseignement, de la formation. Dans cet établissement, tous ne venaient pas régulièrement, loin de là. Concernant le déroulé de la CLI, on ne peut pas dire qu’une discussion a vraiment lieu. Chacun donne son avis, mais il se limite en général à valider le projet du détenu présenté par le surveillant. À partir de ce qui est dit, une synthèse est rédigée par le surveillant PEP qui l’envoie ensuite au détenu. C’est là qu’on se rend compte de l’ampleur du problème. Chaque détenu reçoit en effet le même rapport, quasiment mot pour mot : on l’invite à entamer un suivi psychologique, une formation et à travailler. Le projet n’est-il pas individualisé ? Pas vraiment. La situation du détenu est prise en compte, mais de façon très pratique, par exemple « Celui-là ne doit pas faire une formation professionnelle puisqu’il aura dépassé l’âge de la retraite à sa sortie ». Le PEP pourrait être intéressant s’il permettait de cibler les besoins du détenu et de voir avec lui les moyens à mettre en place pour y répondre. Le problème est qu’on mélange les « besoins » et les « moyens ». Par exemple, quand un détenu vit mal sa détention, il va avoir besoin, pour aller mieux, d’être actif et d’avoir des horaires fixes. Un moyen d’y parvenir est de lui permettre de travailler. Or, la CLI se contente le plus souvent de dire « Il a besoin de travailler », sans se demander pourquoi. J’insiste aussi sur le fait de « voir avec lui les moyens à mettre en place », et pas sans lui. Or, j’ai eu le sentiment que le PEP n’est pas vraiment fait avec le détenu pour le détenu, mais simplement parce qu’il s’agit d’une politique de l’institution. Décider avec lui serait plus utile et efficace.
vont donc dire qu’ils ont envie de faire telle ou telle chose, mais ce n’est pas vraiment un projet personnel. Ils se contentent de répondre à une attente. Est-ce que le détenu est accompagné dans ces démarches ? Non. Le suivi se limite au réexamen annuel du projet par la CLI, un réexamen qui se résume lui-même à comparer la situation de la personne avec ce qui avait été préconisé auparavant et à lui dire si elle a avancé ou pas. Ce dont elle peut très bien se rendre compte toute seule. Je ne vois pas trop à quoi cela sert, ni comment cela peut l’aider. Pour le reste, c’est elle qui doit mettre en œuvre ce qu’on lui a dit de faire, puisque le PEP est censé la responsabiliser. Sauf que beaucoup ne savent pas vraiment à qui s’adresser, ni comment faire, notamment au début. Et quand ils le savent, les services sont surchargés et les moyens manquent. Les travailleurs sociaux du SPIP devraient par exemple aider les détenus dans leurs démarches, mais ils sont débordés. Quant au travail, à la formation ou au suivi psychologique, quand le détenu demande à y avoir accès, il se retrouve inscrit sur listes d’attente. Il peut parfois attendre des mois sans que rien ne se passe. Ce qui n’empêche pas la CLI suivante de lui reprocher de ne pas avoir mis en œuvre ses recommandations. Sans se poser bien sûr la question de savoir pourquoi il ne l’a pas fait.
‘‘ Chaque
détenu reçoit en effet
le même rapport,
quasiment
Comment expliquez-vous le décalage entre le PEP tel qu’il a été pensé et sa mise en œuvre ? Les objectifs du PEP ne sont pas très clairs pour le personnel. Même ceux qui interviennent dans le dispositif ont des difficultés à définir ce que c’est exactement, quel est l’objectif poursuivi, le cadre de mise en œuvre, et même son intérêt. Une des raisons à cela est l’absence de cadres formels. La direction de l’administration pénitentiaire a donné les grandes lignes du dispositif, mais chaque établissement élabore son propre cadre, la façon dont les informations vont être recueillies, dont les commissions vont se dérouler, etc. Dans ce contexte, il faut un investissement fort de la direction pour que le PEP devienne un projet prioritaire de l’établissement. Si elle ne joue pas un rôle moteur, les membres du personnel ne vont pas le faire non plus, ou, s’ils le font, ils vont avoir le sentiment que cela ne sert pas à grand-chose, que ce n’est pas très important, et vont se démobiliser. Pour que PEP soit utile, il faudrait d’abord que tout le monde y croit.
mot pour mot.
Les entretiens ne devraient-ils pas servir à prendre en compte les envies et besoins du détenu ? Si, mais ce n’est toujours pas le cas. Certains détenus se plaignent que leur projet personnel n’est pas suffisamment pris en compte ou qu’on les incite à faire des choses qu’ils n’ont pas envie de faire, ou dont ils pensent ne pas avoir besoin. Quasiment chaque rapport de la CLI comporte par exemple une recommandation à suivre, une formation professionnelle, alors que tous les détenus ne l’ont pas demandée, et tous n’en ont pas besoin. Cette dimension est d’ailleurs intégrée par les détenus eux-mêmes. Ils savent globalement ce qu’il faut faire pour obtenir des remises de peines ou des aménagements de peine : avoir un projet de formation, suivre des cours, avoir du travail, etc. Ils
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Propos recueillis par Stéphanie Coye (1) Circulaire AP 2000-08 du 21 juillet 2000 relative à la généralisation du projet d’exécution de peine aux établissements pour peine. N°63 Septembre-Octobre 2007
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dossier
« Les détenus vivent très mal ce système » Classification des établissements, prédiction statistique de la récidive, détermination d’un plan de programmation supposé être individualisé : le Canada fait figure de modèle carcéral ou, du moins, donne une idée de ce que pourrait être l’avenir du nôtre. La criminologue Marion Vacheret décrypte son fonctionnement et montre l’envers du décor.
Quels types d’établissements existent au Canada ? Le système pénitentiaire canadien comprend deux niveaux : le niveau provincial, au sein duquel sont incarcérées les personnes en détention provisoire ou condamnées à des peines inférieures à deux ans ; et le niveau fédéral, pour les personnes condamnées à des peines supérieures. Les prisons provinciales connaissent toutes le même niveau de sécurité, relativement coercitif. Au niveau fédéral en revanche, il existe quatre types d’établissements correspondants à des niveaux de sécurité différents : minimum, médium, maximum et une unité spéciale de détention, qui est l’équivalent d’un « super maximum ». Quelles sont les différences entre les établissements fédéraux ? Dans les prisons minimum, il n’existe aucune sécurité périphérique et les entrées et sorties sont libres. À l’intérieur, les portes sont également constamment ouvertes, même la nuit. En médium, les cellules sont fermées de 23h-23h30 à 7h. À certains moments de la journée, les « secteurs », qui comprennent de 60 à 100 détenus, peuvent être fermés, mais guère plus d’une heure ou deux, souvent pour le décompte des prisonniers. Le reste du temps, ces derniers peuvent circuler librement et sont contrôlés par un système de passes. En maximum, les cellules N°63 Septembre-Octobre 2007
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sont également ouvertes de 7h à 23h environ, mais les secteurs sont fermés. Les établissements sont équipés de « passerelles », des couloirs construits en hauteur permettant aux surveillants de voir par en haut ce qui se passe, sans être en contact direct avec les détenus. Le personnel est armé. L’unité spéciale de détention est quant à elle un endroit très particulier. Il n’existe qu’un seul établissement de ce type pour tout le Canada. Les cellules sont constamment fermées et les détenus y sont enfermés 23h sur 24h. Chacun de leur déplacement se fait entravé, au minimum aux mains, et en présence de deux membres du personnel. Quelques activités sont organisées, mais les détenus y participant sont triés sur le volet, une demi-douzaine au maximum, et elles se déroulent derrière une vitre, empêchant tout contact physique avec d’autres détenus ou avec le personnel. Pour envoyer quelqu’un dans cette unité, il faut qu’il ait commis un acte de violence. La décision est prise par le commissaire aux services correctionnels [équivalent du directeur de l’administration pénitentiaire français], qui doit, avec un comité, la réexaminer tous les trois mois. Dans la pratique, des détenus peuvent y rester plusieurs mois. Comment est prise la décision d’affectation ? Lors de leur incarcération, les détenus sont d’abord écroués au centre régional de réception durant environ huit semaines, pendant lesquelles vont être évalués leur « besoins », c’est-à-dire les programmes qu’il faudrait qu’ils suivent pour résoudre leurs problèmes de criminalité, et les « risques » qu’ils représentent, c’est-à-dire le risque de récidive et le niveau de sécurité qui doit leur être appliqué. Ces derniers se mesurent par le biais d’ « échelles » spécifiques. En fonction de facteurs statiques tels que l’âge, l’infraction reprochée, les condamnations antérieures, les libérations conditionnelles antérieures, la situation familiale, etc., des points sont attribués. Le score final détermine la côte de sécurité, ou la probabilité de récidive. La détermination des besoins prend davantage en compte des facteurs « dynamiques ». On va essayer de voir quels sont les problèmes qui ont amené la personne à faire des gestes criminels (toxicomanie ou alcoolisme, vie familiale, etc.) et quels sont ceux sur lesquels il faut travailler prioritairement durant l’incarcération. Un plan correctionnel d’intervention est ainsi élaboré, dans le but de préparer la sortie de prison.
RÉGIMES DE DÉTENTION DIFFÉRENCIÉS - L’ENVERS DU DÉCOR Quels sont les critères prioritaires dans la décision d’affectation ? On tient compte en premier lieu du niveau de sécurité. La loi interdit en effet d’incarcérer un détenu dans un établissement plus coercitif que nécessaire. La majorité des détenus, environ 65 %, sont en établissements médiums, 20 % en minimum et 15 % sont en maximum. L’unité spéciale ne compte que 80 places pour tout le Canada et est rarement entièrement occupée. Une fois déterminé le niveau de sécurité, les besoins sont pris en compte. Il peut en effet y avoir, entre établissements de même type, des différences dans les types de programmes offerts, par exemple pour les délinquants sexuels, pour la toxicomanie, etc. On va alors essayer d’affecter les détenus selon leur « problématique criminogène ». Le rapprochement familial ou les risques d’antagonismes entre détenus entrent aussi en ligne de compte, ce qui complique la prise de décision. La proportion de détenus est-elle constante ? Globalement, oui. À certaines périodes, il arrive que trop de personnes se retrouvent en maximum. Le commissaire peut alors demander à ses services d’en déclassifier certaines. Mais tout dépend de lui, et aussi du gouvernement en place. Nous ne sommes pas à l’abri de directives inverses et d’un durcissement. Il y a quelques années par exemple, il a été décidé que tout détenu condamné à perpétuité serait incarcéré automatiquement dans un établissement à sécurité maximum les deux premières années. La pertinence de ces échelles a-t-elle fait l’objet de critiques ? Des critiques visent le fait qu’elles sont élaborées sur un modèle d’homme blanc de classe moyenne. Elles ne sont donc pas forcément adaptées aux femmes, ni aux autochtones, et correspondent à un modèle de socialisation très classique, très conformiste. Une personne appartenant à une classe sociale « basse », qui n’a pas de logement fixe, pas d’emploi stable, n’est pas mariée, etc. va être automatiquement mal cotée. Mais ce ne sont pas tant les échelles qui font l’objet de critiques que leur utilisation. Quelles sont ces critiques ? Elle concerne la frilosité des agents correctionnels. Dans l’échelle de classement sécuritaire par exemple, quand une personne se situe à la frontière entre deux catégories, on a tendance à la placer dans la plus sécuritaire. Selon les études, cela touche entre 20 et 25 % des détenus. Le processus décisionnel aboutissant à la définition des plans correctionnels ou aux libérations conditionnelles est également remis en cause, notamment en raison de sa lourdeur et du niveau d’exigences demandées aux détenus. Au lieu de déterminer un problème prioritaire sur lequel les services correctionnels souhaitent que le détenu travaille, on en détermine dix. Il est évident que tous ne pourront être réglés pour la date de libération conditionnelle, d’autant que celle-ci peut intervenir dès le tiers de la sentence. De nombreuses demandes sont ainsi rejetées, quand les détenus ne préfèrent pas d’eux-mêmes se désister et retarder leur demande. Comme pour l’échelle de classement sécuritaire, quand les agents correctionnels hésitent et ont des doutes, ils préfèrent donner plus de programmes que pas assez, ou donner à un avis défavorable à la libération conditionnelle.
L’utilisation d’échelles réduit-elle l’arbitraire ? Les décisions arbitraires peuvent toujours exister, mais le système vise à les limiter. En principe, personne ne peut se retrouver dans un établissement plus sécuritaire, simplement parce que sa tête ne revient pas à un membre du personnel. Mais l’utilisation de ces outils soulève d’autres questions. Par exemple, si l’échelle dit que vous êtes dans la catégorie « huit détenus sur dix récidivent », vous ne pouvez rien dire, ni rien faire pour changer cela. Vous ne pouvez pas modifier votre âge, votre situation matrimoniale ou le type d’infraction que vous avez commise. À l’inverse, les agents correctionnels apprécient beaucoup ces échelles. Ça les rassure, et les déresponsabilise. À la limite, on pourrait se passer des cliniciens, car n’importe qui peut remplir une grille et prendre une décision en fonction du résultat obtenu. Cela ne demande pas de compétences extrêmement développées. C’est peut-être un des plus gros problèmes de notre modèle : on est devenu des gestionnaires.
la coercition est importante, ‘‘plus Plusla cohésion est forte entre détenus et la confrontation grande avec les membres du personnel.
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1 Un rapport a conclu à la validité de l’échelle de classement de sécurité, notamment parce que les détenus côtés minimum ont effectivement moins d’incidents. Mais le régime des établissements ne joue-il pas aussi un rôle en la matière ? Effectivement. On constate en sociologie carcérale que plus la coercition est importante, plus la cohésion est forte entre détenus et la confrontation grande avec les membres du personnel. La barrière gardiens/détenus est beaucoup plus marquée et les tensions, conflits et violences sont plus nombreux. En minimum, les rapports avec les personnels sont meilleurs. Les surveillants sont davantage dans une relation d’aide. Un détenu qui veut parler avec un gardien n’a aucun problème pour le faire. Il entre dans le bureau et discute avec lui, aucun autre détenu ne le lui reprochera, contrairement à ce qui pourrait se passer dans un établissement plus sécuritaire. Le détenu sait en outre que sa sortie est généralement proche car, s’il est en minimum, c’est qu’on pense qu’il peut réintégrer la collectivité. Mais s’il a le moindre problème, il risque d’être transféré dans un autre établissement et ses chances de sortie anticipées vont beaucoup diminuer. Il se tient donc tranquille. C’est un peu le système de la carotte ou du bâton.
Comment les détenus vivent-ils ce système ? Ils ont des attitudes différentes. Certains jouent le jeu, parce qu’ils se disent que, s’ils font ce qu’on leur demande, qu’ils se tiennent tranquilles, ne se mêlent pas aux autres détenus, ils peuvent espérer sortir rapidement ou être affectés dans un établissement moins sécuritaire. À l’inverse, d’autres refusent ce système, parce qu’ils n’y croient pas, que leur peine est trop N°63 Septembre-Octobre 2007
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dossier longue ou qu’ils préfèrent purger une peine plus longue, mais comme caïd de la détention, plutôt que comme un « rien du tout ». Mais globalement, les détenus vivent très mal ce système car il fait peser beaucoup de pressions sur eux. C’est pour cela que beaucoup ne veulent pas entrer dans ce jeu-là. Parce que le stress est trop important. Un autre effet pervers du système est qu’il crée beaucoup de solitude et d’isolement. Pour ne pas avoir de problèmes, les détenus s’isolent. Ils se lèvent le matin, suivent leurs programmes, se rendent aux activités ou à leur travail, puis rentrent dans leur cellule, ferment leur porte et ne parlent à personne. Dans ce contexte, si un détenu se fait frapper ou est victime d’autres détenus, personne n’interviendra. Parce qu’intervenir, c’est se mettre en danger. Alors c’est chacun pour soi. Tout cela crée énormément d’angoisses. Ils ont aussi un sentiment d’arbitraire. À quoi est dû ce sentiment d’arbitraire ? Ce qui est particulièrement difficile à vivre pour les détenus est de se sentir pieds et poings liés, sans réelles marges de manœuvre, d’être entre les mains d’une personne qui va porter un regard et un jugement, et prendre une décision. Normalement, l’agent de libération conditionnelle doit rencontrer la personne incarcérée, discuter avec elle et lui faire des propositions. Mais beaucoup de détenus ont l’impression que le plan correctionnel d’intervention leur est imposé, qu’il ne correspond pas à ce qu’ils souhaiteraient ou à ce qu’ils définiraient comme étant leurs problèmes. S’ils changent d’agents correctionnels, ce qui arrive très souvent, ils
détenus vivent très mal ‘‘ce Les système car il fait peser beaucoup de pressions sur eux. Il crée aussi beaucoup de solitude et d’isolement.
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peuvent aussi changer de plan, parce que le nouveau estime que le problème identifié n’est pas le bon. Cela renforce le sentiment d’arbitraire des détenus. Surtout quand ces changements interviennent peu de temps avant leur date d’admission à la libération conditionnelle, qu’ils ont suivi le précédent programme et qu’ils apprennent que leur nouvel agent correctionnel ne donnera pas un avis favorable à la libération conditionnelle parce qu’il estime que le travail fait n’est pas le bon. Ce modèle est donc très critiquable. Il possède néanmoins un argument très important en sa faveur : il est basé sur la croyance dans la réintégration du délinquant dans la communauté, sur l’idée de préparer sa sortie très rapidement et sur une libération conditionnelle qui intervient très tôt dans la peine. Propos recueillis par Stéphanie Coye (1) F.P. Luciani, L.L. Motiuk et M. Nafekh, « Examen opérationnel de la fiabilité, de la validité et de l’utilité pratique de l’Échelle de classement par niveau de sécurité », Rapport R-47, Division de la recherche, Service correctionnel du Canada, 1996.
L’ÉCHELLE DE CLASSEMENT PAR NIVEAU DE SÉCURITÉ L’Échelle de classement par niveau de sécurité est utilisée pour déterminer dans quel type d’établissement les détenus doivent être incarcérés. Elle comprend deux sous-échelles. La première vise à évaluer « l’adaptation à l’établissement » à partir de cinq éléments : antécédents d’incidents disciplinaires et d’évasion, stabilité avant l’incarcération, consommation d’alcool ou de drogue et âge au moment de la détermination de la peine. La seconde vise à évaluer « le risque pour la sécurité » et tient compte de sept éléments : nombre de condamnations antérieures, accusation en instance la plus grave, gravité de l’infraction à l’origine de la peine actuelle, durée de la peine, stabilité avant l’incarcération, libérations conditionnelles obtenues par le passé et âge au moment de l’admission. À chacun de ses critères correspond un nombre de points. Par exemple, concernant l’adaptation à l’établissement, une personne qui n’a eu aucun antécédent d’incidents ne se verra attribuer aucun point, tandis qu’une personne qui en a connu un se verra attribuer deux points, deux de plus si l’incident est grave, et encore deux supplémentaires si l’incident s’est produit au cours des cinq dernières années. Si la personne a déjà par le passé tenté de s’évader d’un établissement à sécurité moyenne ou maximale, elle se verra attribuer 20 points supplémentaires, N°63 Septembre-Octobre 2007
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ou 28 si l’évasion ou la tentative a eu lieu au cours des deux dernières années. Si, en plus, sa situation avant l’incarcération est considérée comme moins stable que la « moyenne », 32 points seront ajoutés. Le total des points peut ainsi varier entre 0 et 186 pour ce qui est de la sous-échelle relative à l’adaptation à l’établissement, et entre 17 et 190 pour celle concernant le risque pour la sécurité. Censée permettre de fonder les décisions d’affectation sur des « critères objectifs » et des « protocoles normalisés », l’échelle a été validée en 1996 par une étude qui a conclu à une relation entre la cote de sécurité et le comportement du détenu en milieu carcéral, ses risques d’évasion, ses chances d’obtenir une forme discrétionnaire de mise en liberté et la probabilité de suspension de la liberté sous condition. Pourtant, l’échelle et son utilisation font l’objet de diverses critiques. C’est notamment le cas de l’Enquêteur correctionnel canadien, autorité indépendante examinant les plaintes des détenus, dont les derniers rapports annuels rapportent que « depuis des années, le BEC [Bureau de l’Enquêteur correctionnel] et d’autres organismes s’inquiètent de plus en plus du fait que les délinquants sont surclassés et du fait que les outils d’évaluation actuarielle des risques soient utilisés de façon discriminatoire ».
Peines minimales, danger maximal
Éclaircissements « Dans sa dernière livraison, Dedans Dehors consacre, sous le titre « 10 000 détenus de plus par an ? », un encadré aux mesures d’impact que j’ai faites concernant la loi Dati sur les peines planchers. En fait, j’ai proposé trois scénarios. Modélisation. Considérons le nombre total de journées de détention, effectuées par l’ensemble des personnes ayant passé au moins une journée sous écrou au cours d’une année. En divisant ce nombre par 365, on obtient une évaluation du nombre moyen de détenus de l’année ou nombre de « détenus - année ». On assimile ainsi la population à une population fictive, constante du 1er janvier au 31 décembre dont l’effectif P, serait égal au nombre de détenus –année. Nous avons aussi utilisé ce résultat : dans une population dont les entrées annuelles sont constantes et dont le rythme des sorties est le même pour chacune des cohortes d’entrées, la population, à un instant donné, P est égale au produit des entrées annuelles (E) par la durée moyenne de présence (d) dans la population : P = E x d. Scénario « Déflationniste ». Si les peines planchers sont dissuasives, elles n’auront pas besoin d’être prononcées : le nombre d’infractions commises en état de récidive légale tendra vers zéro et nous assisterons à une déflation carcérale. La seule façon de faire, pour en évaluer l’ampleur, est de partir des statistiques de condamnations prononcées, en appliquant le modèle suivant : si 120 000 mois de prison ferme sont prononcés une année donnée, cela « produit » une population théorique de 10 000 détenus-année. En se référant à un critère proche de la récidive légale, le ministère de la Justice évalue, pour 2004, à 14,55 % la proportion de « récidivistes » parmi les condamnés de l’année pour délit, soit environ 50 000 personnes. En supposant que 50 % d’entre elles ont été condamnées, pour une infraction susceptible d’être sanctionnée de 3 ans ou plus, c’est donc 25 000 condamnés qui auraient été concernées par les peines planchers. On peut aussi estimer à 50 % la proportion de ces « récidivistes » qui, en 2004, ont été condamnés à une peine ferme. Soit 12 500 personnes. Si l’on applique à ces personnes une durée de détention de 8,2 mois (durée de 2006), cela donne un nombre de détenus-année de 8 500 (P = E x d). Ce chiffre
serait encore plus élevé si on prenait en compte les condamnés pour crime qui seraient dissuadés. Ainsi la population carcérale, à une date donnée, pourrait diminuer d’au moins 8 500, grâce aux peines planchers. Il ne s’agit bien évidemment pas d’une « baisse sur une année », ou « d’une baisse année » mais « à terme », ce type de raisonnement ne permettant pas de donner un délai de passage d’un modèle à l’autre. Scénario du « Statu quo ». Si ces peines planchers n’étaient aucunement dissuasives (ce que nombre de travaux en criminologie nous amènent à penser) et que les magistrats puissent utiliser, systématiquement, la marge de manoeuvre prévue par la loi, il n’y a aura alors aucun changement. Hypothèse peu vraisemblable : il y aurait, dans ce cas, une complète contradiction entre la volonté du législateur de sanctionner plus sévèrement les récidivistes et la pratique des juridictions de jugement. Scénario « Inflationniste » (le plus probable). Si ces peines planchers ne sont pas dissuasives et si les magistrats respectent les seuils, alors les 12 500 personnes qui auraient, en d’autres temps (2004), bénéficié d’une peine alternative seront condamnées à une peine ferme. Cela donnerait une augmentation de 8 500 détenus. Quant aux 12 500 personnes déjà condamnées à l’emprisonnement ferme, sans les peines planchers, leur quantum augmenterait dans une proportion inconnue. A titre indicatif, une augmentation de 20 % du quantum de ces 12 500 condamnés donnerait une augmentation de 1 700 détenus- année, soit une augmentation totale de plus de 10 000 détenus-années (8 500 + 1 700). Là encore, il ne s’agit pas d’une augmentation annuelle, mais « à terme ». Cette augmentation, arbitrairement choisie de 20 %, paraît très faible à la lecture des données fournies par M. François Zocchetto dans son rapport présenté au Sénat. Enfin, à lire Dedans Dehors, on pourrait croire que M. Guillaume Didier, porte parole de la ministre de la Justice a qualifié mes évaluations de « fantaisistes et sans fondement ». J’ai pu vérifier (dépêche AFP du 4 juillet) que ce jugement ne me visait pas personnellement. Pierre Tournier, directeur de recherche au CNRS, Université Paris I. N°63 Septembre-Octobre 2007
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Comprendre les mutations pénales
« Si l’on compare ce début du XXIe siècle au milieu du précédent, on est frappé de voir combien s’est accru en quelques décennies la place du crime dans les débats publics et parmi les urgences sociales. » C’est en ces termes que Philippe Robert, un des principaux artisans du renouveau de la sociologie criminelle en France depuis une cinquantaine d’années, commence la leçon inaugurale du colloque international organisé en son honneur, René Lévy, Laurent Mucchielli, Renée Zauberman (dir), Crime et insécurité : un demi-siècle de bouleversements. Mélanges pour et avec Philippe Robert, L’Harmattan, 2007, 461 p., 32 euros.
en septembre 2005, par le Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales, le Groupe européen de recherche sur les normativités et l’université de Versailles-Saint-Quentin en Yvelines. Pourtant, « au commencement de ma carrière, poursuit le sociologue, au tout début des années 60, le crime ne cotait pas très haut dans l’échelle des problèmes de société. Seule la délinquance juvénile retenait quelque peu l’attention […] Quelque chose de nouveau commençait sans qu’on en prenne alors la mesure. » C’est précisément pour identifier ce « quelque chose de nouveau » et analyser les mutations décisives des cinquante dernières années, « tout en opérant un retour critique sur les théories qui au cours de cette période se sont succédées ou concurrencées pour en rendre compte », que ce colloque a été organisé. Dans une perspective européenne
et internationale, les chercheurs de différentes sciences sociales (politologues, sociologues, anthropologues, historiens et juristes) ont été invités à intervenir, afin de confronter les points de vue et les disciplines, sur six « facettes du phénomène », telle que « l’émergence d’une consommation de masse associée à une prédation de masse », « la montée de la société du risque et la place qu’y tient la peur du crime » ou encore « la place de la répression pénale dans l’ordre social ». Autant de contributions majeures, qui permettent d’éclairer et de comprendre la situation contemporaine. Car, comme le souligne Philippe Robert, « nous manquons souvent de recul » et « sommes tout le temps tentés d’expliquer les problèmes actuels par les seules caractéristiques de la situation présente, alors qu’ils sont souvent la conséquence d’évolutions de plus longue ampleur ».
Une régression de la sécurité Petite histoire de Les magistrats Gilles Sainati et Ulrich Schalchli, tous deux anciens secrétaires généraux du Syndicat de la magistrature, font paraître, avec La décadence sécuritaire, un ouvrage tonique de dénonciation du virage judiciaire et policier à l’œuvre depuis une dizaine d’années. Ils rappellent à juste titre que le droit fondamental qui définit notre ordre politique n’est pas la sécurité, mais la sûreté. Et que la sûreté est ce qui protège les individus contre les atteintes à leurs droits commises par les pouvoirs publics, protection assurée par une définition stricte des conditions juridiques dans lesquelles les personnes peuvent être arrêtées, jugées, détenues, etc. En ce sens, la dérive sécuritaire, par une avalanche de lois et par l’extension des pouvoirs policier et judiciaire, est bien davantage une Gilles Sainati, Ulrich Schalchli, La décadence sécuritaire, La Fabrique, 2007, 14 euros. N°63 Septembre-Octobre 2007
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régression de la sûreté que la reconnaissance d’un droit à la sécurité. De même, ils montrent combien les nouveaux impératifs gestionnaires de « traitement » de la délinquance font passer au second plan toute notion d’écoute, d’individualisation et d’équité, pour ne retenir de l’activité que des chiffres et des taux. Chiffres et taux qui sont eux-mêmes dépendants du travail de la police, un travail constamment présenté depuis 2002 par le ministre de l’Intérieur, devenu président de la République, comme étant en butte à des juges laxistes. L’extension infinie de ce dogme sécuritaire, concluent les auteurs, conduit, par la multiplication des systèmes de fichage et de suivi, à un véritable « tatouage des populations ». Pour prendre la mesure de ce qu’une telle tendance porte en elle de risques de débordement, ils appellent à méditer sur « l’opinion du conservateur Christean Wagner, ministre (CDU) de la Justice du Land de Hesse, en Allemagne », qui suggère, sur le site internet de son ministère, « que les chômeurs de longue durée portent au pied un bracelet électronique, afin de les contraindre à davantage de discipline dans leur recherche d’emploi ».
pénitientaire Criminocorpus, un portail d’information sur les crimes et les peines, a mis en ligne un article retraçant l’histoire de l’administration pénitentiaire française, rédigé par l’historien et ancien directeur de prison, Christian Carlier. Si les ambitions de cette synthèse sont, pour reprendre les termes de l’auteur, « modestes », le lecteur y trouvera néanmoins les « grands traits [de] l’évolution de l’administration pénitentiaire française, depuis les dernières années de l’Ancien Régime jusqu’à nos jours (début du XXIe siècle) ». Des prisons qui « pullulent » au XVIIIe siècle, consistant pour la plupart « dans une ou deux cellules, rarement occupées et “perdues” au fin fond d’une porte de ville, d’un château voire d’une auberge », à l’ouverture de la première unité de vie familiale en 2003, en passant par l’instauration des premières maisons centrales sous le Directoire ou « l’aventure des “prisons ouvertes” corses » sous le Second Empire. Accompagné d’une bibliographie et illustré de gravures, peintures et photographies de la collection du Musée natio-
Je vous écris cette lettre Faire correspondre des lycéens de première avec des personnes incarcérées, c’est l’idée qu’a eu un professeur de français de Vannes (Morbihan), Pascal Le Bert, il y a quelques années, afin d’amener ses élèves à lire, mais aussi à réfléchir sur la justice et la prison. Au programme donc de la préparation du bac de français, Voltaire, Victor Hugo… et des lettres de Phil, Luc ou Pierre, détenus au centre pénitentiaire de Nantes. Dans chaque courrier, les élèves se présentent, posent des questions, parfois indiscrètes. En retour, les détenus racontent un peu d’eux-mêmes, et surtout leur quotidien, « l’architecture qui prend aux tripes », « le bruit, celui des clefs et des cris. À quoi s’ajoutent les odeurs », la « façon d’être appelé dépourvue du moindre “Monsieur” » ou comment « la prison ne met pas à l’abri des maux qu’elle a pour mission d’éradiquer ». « Tu n’as plus d’intimité, explique Phil à Maxime, tes
l’administration française nal des prisons de Fontainebleau, l’article vient s’ajouter à l’abondante documentation, plus spécialisée, déjà mise en ligne sur le site, comprenant textes juridiques, chronologies, articles relatifs aux crimes et aux peines, ainsi que de nombreuses sources historiques (articles, ouvrages, débats parlementaires, iconographie, manuscrits).
Christian Carlier, « Histoire de l’administration pénitentiaire française de l’Ancien Régime à nos jours », 2007. Sur : http://www.criminocorpus.cnrs.fr/
besoins élémentaires se font à la vue de tous, les gardiens par l’œilleton, les codétenus par leur présence ». Un autre raconte le travail « payé 1,6 euro par jour », « sans contrat de travail », « sans indemnités en cas de maladie ou d’accidents, sans congés ». À en croire le professeur, « la gravité de la condition carcérale et la situation de crise que connaît notre justice n’ont pas laissé insensibles » ses élèves. « Auparavant, la prison se réduisait pour moi à un endroit où l’on privait de liberté des individus pour les punir de leur(s) faute(s) », explique effectivement Cynthia, 17 ans. « Je m’aperçois que les choses ne sont pas aussi simples. […] La prison ne s’impose plus comme une solution évidente. » « La prison est néfaste à la société, conclut également Maëlle, elle
brise les individus et ne répare rien. Elle aggrave les pathologies et décuple la violence en incarcérant dans des conditions souvent insalubres. Les détenus se sentent salis, méprisés, humiliés car ils se retrouvent dans des endroits, des culsde-basse-fosse où ils ne sont plus considérés comme des êtres humains à part entière... » Une initiative qui, comme le souligne Albert Jacquard dans sa préface, aura ainsi permis que « grâce aux mots, quelques murs [soient] traversés ». Des mots et des murs, textes rassemblés sous la direction de Pascal Le Bert et Jean-Yves Giraudeau, Keltia Graphic, 2007, 159 p. 13 euros.
Voyage au bout de l’enfer(mement) « Trente-cinq ans révolus, un milieu protégé », Isabelle Lepac, avocate, mène « une vie assez agréable », jusqu’au jour où sa vie bascule : elle se retrouve placée en détention provisoire, pendant six mois, avant d’être internée en hôpital psychiatrique. « Aujourd’hui réveillée de ce long cauchemar », il lui « a semblé impératif de témoigner » et de décrire ces « chambres de débarras » créées par la société, qui « ne veut surtout pas savoir ce qui s’y passe ». De ce « voyage », elle ressort convaincue que « chacun d’entre nous [a] le devoir de s’intéresser à ce qui est fait en son nom », mais aussi de la nécessité de « nouer des liens avec ces mondes clos », afin d’ « abattre les préjugés » concernant les personnes qui s’y trouvent. Alors elle raconte. En commençant par la prison : « l’univers carcéral [qui] saute à la figure », le « loto » des fouilles au retour de promenade, le « début de l’angoisse » à la fermeture des portes de cellules le soir, le « règlement qui casse le librearbitre, brise la volonté », l’attente « du matin au soir [qui] conduit au bout de la résistance nerveuse ». Elle raconte ses codétenues : Fati, qui « dort beaucoup car elle est bourrée de cachets » et pour qui, après 69 condamnations, « la prison est un peu devenue sa maison » ; celle qui « souffre de schizophrénie et d’un sida
déclaré, et fait une tentative de suicide en avalant dix-sept somnifères » ; la « prostituée argentine, gentille, mais qui n’arrête pas de pleurer » ; la « dame âgée […] qui fume cigarette brune sur cigarette brune et s’abrutit du matin au soir devant des feuilletons débiles, pour faire rempart à son angoisse ». Quelques semaines après sa libération, les pompiers débarquent chez elle et l’emmènent à hôpital, parce qu’un proche a signalé qu’elle était en danger. Elle raconte encore les premières heures, « sanglée aux pieds et aux bras, crucifiée à l’horizontale » sur un lit ; les jours suivants en quartier fermé, « entourée d’une dizaine de personnes […] dans un sale état, les uns poussant des cris, les autres prostrés ou apathiques », ces « crises qui éclatent sans cesse pour un oui ou pour un non » ; cette « zone de non-droit absolu, où des gens croupissent sans savoir s’ils en ont pour dix jours ou pour un an ». Avec au bout du compte, une question lancinante : comment « concevoir que l’on puisse aider quelqu’un à se reconstruire en l’enfermant dans un espace clos et plutôt sordide » ? Isabelle Lepac, Le voyage immobile, Belfond, 2007, 185 p., 18 euros.
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(re)vue de l’intérieur
En début d’année, l’administration pénitentiaire a publié La prison vue de l’intérieur,1 ouvrage compilant les « témoignages de 150 intervenants du monde carcéral, personnels de l’administration pénitentiaire, médecins, infirmiers, aumôniers ou intervenants extérieurs » triés sur le volet. Une lecture qui a fait réagir un lecteur de Dedans dehors.
La couverture est blanche. Livre blanc donc ? Que nenni. Livre noir alors, mais sous palimpseste ? Pas davantage. Deux obstacles à franchir pour y accéder. La préface. Tarabiscotée, byzantine, alambiquée, elle est signée Chamoiseau, prix Goncourt et CIP [conseiller d’insertion et de probation] – il fut éducateur pénitentiaire avant les déluges sécuritaires qui ont ouvert le XXIe siècle. Chamoiseau, l’artiste, orne le mur (il appelle ça une « peau ») de la prison de peintures bucoliques, pastorales. On en oublie les lames de verre, les concertinas et les miradors où guettent des surveillants en armes, verrues, kystes, métastases dont ces « peaux »-là regorgent. « La prison est invisible » : c’est Chamoiseau qui la veut, la rend ainsi. « Mille fois la désigner sans jamais pour autant la nommer » avoue-t-il au final, la mystifier donc, se mystifier, mystifier le lecteur, en abolir l’horreur, la monstruosité, à coups de mots creux, sophistiqués parfois, de complaisance toujours.
La langue blanche de l’administration Après la porte, le portillon, le portique bien davantage. Sans effet de style, le directeur-préfet veille au grain dans le prologue. Car ce portique-là, j’écris ici par antiphrases, est fait pour empêcher que sortent de prison des paroles faibles, hésitantes, complexes, contradictoires (pas de pathos !), des paroles individuelles, identifiées, « captives des “ego” » (sic), ou qui, pire encore, pourraient être « captées » (resic) par les idéologies. Beurk ! J’en arrive au livre lui-même. Un extraordinaire salmigondis. « Ragoût de plusieurs viandes réchauffées », indique le Littré en 1, qui précise N°63 Septembre-Octobre 2007
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en 2 : « Se dit des choses qui n’ont ni liaison, ni suite », avec cette jolie citation de Retz : « Le comte de Brion faisait un salmigondis perpétuel de dévotions et de péchés ». Un salmigondis perpétuel de dévotions et de péchés. C’est exactement de quoi l’ouvrage est fait, on va y venir. Mais salmigondis aussi dans la forme, dans la composition, dans l’assemblage d’ingrédients de toutes natures : ça parle de rares fois avec un nom propre, ça parle quelquefois avec une identité de fonction (un surveillant, un CIP, etc.), ça parle encore à partir d’un établissement spécifié, mais ça parle surtout – et c’est la sauce, le liant, le ciment de la mosaïque – dans la langue blanche de l’administration, langue d’autorité, rasée et poncée de près, mais irréférencée, donc insusceptible de débat. Langage totalitaire, adapté à l’institution du même nom. Le magma du texte s’organisant autour d’un plan presque classique. De l’entrée du détenu à sa sortie. Avec, cependant, comme des pièces rapportées, mais pas superfétatoires, une partie III sur la sécurité et une partie VI intitulée « Être un “pénitentiaire” aujourd’hui. » Un salmigondis, on aura prévenu, mâtiné donc de dévotions et de péchés.
Les dévotions et les péchés Les « pénitentiaires » sont des saints. Le pauvre prisonnier en est frappé (sic) dès son arrivée. La fouille à corps lui est infligée, mais dans le « respect de la dignité humaine » (page 30). À Nanterre, par exemple, l’arrivant bénéficie un peu plus tard d’un comité d’accueil grâce auquel sera repéré son état d’indigence (37). Au Centre de jeunes détenus (CJD) de Fleury-Mérogis, il
NOTE DE LECTURE
On conçoit aisément que, ‘‘bénéficiaires de tant de sollicitude,
les détenus une fois libres correspondent inlassablement avec les “chers surveillants”.
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arrive même de faire la fête (79). Mieux encore, à Rennes, sainte Sylvie Manaud (la directrice ?) s’acharne à « recréer des formes d’envie et de désir » parmi ses détenues. (82 sq.), lesquelles ont la clé de leur cellule. Les saints s’apitoient sur certains types d’humanités, les travestis par exemple, sur la « souffrance que vivent ces hommes en quête d’identité » (107). Sur aussi, mais avec des précautions, les « personnalités », ainsi à la Santé, le « quartier des particuliers » (les autres détenus ne le sont donc pas ?) et ses dix cellules doubles de 11,7 m2 et deux de 5,6 m2 (distinction dans la distinction), et, à Fleury, le « petit commissariat » pour fonctionnaires (105). Les saints pénitentiaires ne se contentent pas d’être parés de toutes les vertus, voire pour certains de rencontrer le martyre (121), ils agissent. D’abord en ouvrant la prison, leur prison, aux vents féconds de l’exemplarité. Ainsi le restaurateur Michel Bras à Rodez (189). Ils initient des « aventures extraordinaires » : l’avion de Bédenac, les gymnases, l’unité de préparation à la sortie de Strasbourg, l’ « Action Rap » à Grasse, etc. On conçoit aisément que, bénéficiaires de tant de sollicitude, les détenus une fois libres correspondent inlassablement avec les « chers surveillants » (302). Ce monde idyllique n’est cependant pas à l’abri de dysfonctionnements. Ainsi, à Nanterre encore, le directeur Rouquette se lâche : « Paradoxalement, la commission de discipline peut permettre de mieux se rendre compte des difficultés que rencontrent certains détenus. » (131) Et d’évoquer les avatars d’un pauvre hère, Marcel, victime des « loupés » successifs de l’administration. À Nanterre toujours, « les consoles de jeux sont interdites faute d’installation électrique suffisante » (126). Grande misère de cette prison donc, récente pourtant, et qui abrite, à l’instar des autres maisons d’arrêt, un mélange « détonnant » (63). « Détonnant ». Vous avez écrit « détonnant », cher cousin ? Vite le Littré. Avec deux « n », participe présent du verbe « détonner » : « chanter faux » ou « faire disparate ». Mais le cher cousin en question a peut-être voulu écrire « détonant », avec un seul « n », de « détoner » : faire un bruit explosif.
Ségrégons ! J’abrège : mélange disparate, mélange explosif, détone notre pénitentiaire, qui nous en livre la formule, mais dispersée dans le texte. D’abord, il y a les fous, plus de la moitié de la population pénale (96 sq.), plus les délinquants sexuels, 60 % des condamnés correctionnels, un quart des détenus (99 sq.). Ça fait du monde, quand même, les chiffres se confondent au moins autant qu’ils ne s’ajoutent. Si l’on introduit la notion de pauvre – mais de pauvres, il n’est question que par allusions - reste peu de place pour les criminels, les vrais de vrai, je plaisante. Cependant, il
n’y en a quasiment que pour eux. « Cet homme présente des risques d’évasion », estil asséné (36), sans que l’on sache sur quels critères notre auteur se fonde. Il faut donc y trouver des parades, ce d’autant plus qu’on assiste à une « escalade de la violence en détention » (137). Pacifions donc les détentions. Par exemple : « Être non francophone et partager sa cellule avec des personnes de même langue est un gage de bonne entente » (33). Je traduis : ségrégons les Maghrébins, ils ne demandent que cela, nous autres pénitentiaires aussi, mais chut… Pendant qu’on y est, ségrégons aussi les DPS (détenus particulièrement signalés) (103), les « dangereux », en les isolant, l’isolement n’étant en rien un « traitement inhumain ou dégradant », ce qui serait pourtant le cas « à en croire ou à en lire certains » (60 sq.). Des héritiers de 68, indubitablement.
Pourquoi se gêner ? En dernier recours, il y a l’usage des armes (138), sans plus de précision (depuis le régime de Vichy, droit de mort sur un détenu non menaçant). À défaut, la description, en forme de peinture naïve, de scènes hallucinantes. Celle d’une évasion minable et ratée (153-156), ou quelques pages en amont, la comptine sans état d’âme de ce surveillant de Rémire-Montjoly qui met fin à la tentative de deux candidats à l’évasion… en les tuant. Épitaphe : « Ils étaient pourtant reconnus comme très dangereux et représentant une menace réelle pour la population extérieure » (150). Pourquoi se gêner dans ces conditions ? D’autant moins que « force est de constater que les mutineries et tentatives d’évasions sont de plus en plus nombreuses et spectaculaires » (139-140). Ah bon ! On demande des chiffres, des mutineries tout au moins. Heureusement, les Zorro sont arrivés : « Spécialement formés et équipés pour agir en cas de tension dans un établissement pénitentiaire », les ERIS (Équipes régionales d’intervention et de sécurité) s’apparentent à cette « nouvelle génération de surveillants » souhaitée par le garde des Sceaux Dominique Perben (un incontestable label de qualité), afin de « contrer les assauts de plus en plus violents dont sont victimes les établissements pénitentiaires » (136). Mais, n’exagérons rien, un détenu, « c’est un adversaire, pas un ennemi » (144). Conséquence : à une population composée à, soyons raisonnables, 95 % de pauvres hères, on applique des méthodes de coercition barbares qui font la preuve (voir une évasion récente) de leur absolue inefficacité. Et qui coûtent cher, très cher. Comme coûtent cher, très cher, les prisons privées. Dans les deux cas, n’est N°63 Septembre-Octobre 2007
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donné aucun chiffre fiable. Heureusement, pour compenser sans doute, il y a le coût de l’entretien des détenus, 3 euros par jour et par détenu pour la nourriture. Quant au coucher (2, 3, 4 dans 9 m2), quant aux rémunérations des auxiliaires par exemple (184, non communiquées), mieux vaut ne pas en parler. Donc, il n’en est pas question. Si quand même, le tableau est sombre (p. 204 sq.). Faute à demi avouée, si mes calculs sont exacts, est quand même au quart pardonnée.
Autoportrait La sixième partie, le c(h)oeur de l’œuvre, s’intitule : « Être un “pénitentiaire” aujourd’hui » (305). L’administration pénitentiaire compte 30 000 agents dont 23 000 surveillants. Moyenne d’âge, 29-30 ans, niveau des surveillants « un peu supérieur au baccalauréat », ils sont originaires pour moitié des DOM et du Nord. Commentaire superflu. « On parlera davantage de “vocation” pour tous ceux qui désirent devenir CIP (conseiller d’insertion et de probation, les anciens éducateurs) et de recherche de “responsabilités” pour ceux qui désirent accéder aux postes de direction » (307). Pour les surveillants, on ne parle de rien. La preuve, Mathieu, surveillant stagiaire à Fleury-Mérogis : « Mon père ne m’avait jamais parlé de son métier et j’ignorais totalement ce qui m’attendait ». Il a tout dit. Heureusement, il y a l’ENAP (École nationale d’administration pénitentiaire), dont le siège est à Agen, ce qui a été admirablement pensé compte tenu des bassins de recrutement des élèves (les DOM et le Nord, on vient de le dire). L’ENAP où l’administration « a toujours voulu favoriser la transversalité dans son enseignement » (308), où sont distillées les connaissances juridiques et en sciences humaines et enseignées les pratiques professionnelles et celles « managériales » (sic), ainsi que le « développement personnel » (resic, 310). Voilà pour la formation initiale. Quant à la formation continue, plus de 80 % des demandes sont afférentes aux « techniques professionnelles de sûreté et sécurité » (311). Bilan pour une surveillante stagiaire de Mulhouse : « Ce que je retiens de ma formation ? Les stages en établissement » (314). Et puis il y a l’uniforme, le prestige de l’uniforme sous lequel se cachent les agents de la « 3e force de sécurité en France ». Garde à vous ! Uniforme qui s’agrémente quelquefois de fantaisies. Ainsi à la (redoutable) maison centrale de Châteauroux (Saint-Maur), les agents portent une « pucelle » « sur un fond de drapeau bleu blanc rouge, l’étoile pénitentiaire, une tour crénelée et, à droite, l’épervier, symbole du conseil général de l’Indre » (329). Défense de rire.
saints pénitentiaires ‘‘ne Les se contentent pas d’être parés de toutes les vertus, voire pour certains de rencontrer le martyre, ils agissent.
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Et quand bien même la ‘‘“solidarité aujourd’hui s’effiloche”,
les pénitentiaires, la preuve cet ouvrage, sont fiers de l’être, et d’y rester.
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Fiers de l’être Et quand bien même la « solidarité […] aujourd’hui s’effiloche », les pénitentiaires, la preuve cet ouvrage, sont fiers de l’être, et d’y rester, certains même « s’accrochent au passé de leurs anecdotes comme pour ne jamais sortir de l’enceinte de leurs souvenirs » (330). Mais il y en a d’aucuns, n’allez pas croire, qui réfléchissent. Un surveillant du quartier des mineurs par exemple : « Il existe heureusement des cas où la prison aura servi à quelque chose, à condition de rester un ultime recours dans l’échelle des sanctions » (70). Ou un autre, aux ambitions plus modestes, du moins en apparence : « Faire en sorte qu’à la sortie, l’ancien détenu ait les mêmes chances que chacun d’entre nous et qu’il conserve de bons réflexes » (197). On a gardé pour la fin la parole de plomb d’un CIP, 10 ans de terrain, qui a eu le temps de réfléchir sur le sens de la peine (c’était de mode sous feu la « gauche ») : « Un détenu doit prendre conscience de son acte et de la peine qu’il accomplit s’il veut, une fois libre, avoir une bonne image de lui, se respecter et, du coup, avoir un comportement qui lui permette de reprendre sa place dans la société extérieure » (285). Il est assuré que ce CIP, grâce à la prison, a « une bonne image de lui, etc. » Ce n’est pas inutile, une prison ! Je ferme le ban avec cette déclamation d’une insoutenable conn… ivence : « Ainsi, si le grand public perçoit la difficulté de travailler en milieu carcéral, son caractère “ingrat” et parfois dévalorisant, il reconnaît toutefois parallèlement l’importance de cette mission de sécurité publique et a une “certaine reconnaissance” pour ces hommes et ces femmes qui ont pour mission de garder éloignée de la société civile une population dangereuse de détenus » (331). On n’est jamais si mal servi que par soimême. Une « brève de comptoir » a sa pertinence ici : « Quand tu as une vie de con, faut surtout pas être intelligent, tu souffres plus. » Conclusion cependant : la lecture de ce désopilant ouvrage s’impose, sédatif pour les uns, euphorisant pour ceux qui souffrent. Jacques Clément (1) La prison vue de l’intérieur. Regards et paroles de ceux qui travaillent derrière les murs. Albin Michel, 2007, 363 p.
LETTRES OUVERTES
« Si l’on voyait un animal vivre comme nous vivons, les gens crieraient au scandale. » Personne incarcérée à la maison d’arrêt de Bonneville, juillet 2007. « Je suis actuellement dans une cellule de six où je suis le septième, c’est-à-dire matelas par terre et aucune place pour y ranger mes affaires. Je suis détenu ici depuis cinq mois et il me reste quatre mois à faire. J’ai souvent demandé et je continue à demander mon transfert, car ici les conditions de détention sont plus que déplorables. Je suis sans ressources. J’ai demandé une dizaine de fois à pouvoir travailler en atelier. Cela m’a toujours été refusé. J’ai plus de cinquante ans et à chaque fois que j’ai demandé à être dans une cellule calme avec des gens de mon âge, les cellules où je me suis retrouvé ont été de pire en pire. Il est difficile à mon âge de supporter ces conditions de détention. Si l’on voyait un animal vivre comme nous vivons, les gens crieraient au scandale. De plus c’est l’été et la direction a fait mettre des plaques de métal dans le bas des fenêtres pour remplacer les vitres, imaginez avec le soleil et une douche tous les deux jours. »
33« Premier parloir » Compagne d’une personne détenue en maison d’arrêt, septembre 2007. « Premier parloir. Attroupement de femmes, d’enfants devant la porte. Les regards se tournent vers moi. Je porte ma première fois sur le visage, deux sacs de linge propre à la main. “T’as pas le droit de lui apporter tout ça, y’a une liste. C’est la première fois ? Va parler avec elle. Elle va t’expliquer.” Je me dirige vers “elle”. “Tu veux lui passer quelques choses ? Tu peux...” Je viens de comprendre qu’ici je rentre dans la zone de non-droit, que nous amis, familles, nous passons de l’autre côté. J’entends notre nom, je pousse la porte. Derrière, une arche détectrice de
métaux, des bancs dans un sas vitré, et deux surveillants les yeux rivés sur le carrelage sale. Je m’assois, j’attends, je n’ai pas sonné. Une femme d’environ 65 ans sonne. Elle porte des bijoux, un voile, une longue robe. L’arche n’arrête pas de sonner. Le surveillant lui fait comprendre que tant qu’elle sonne elle ne rentre pas, et que le parloir est retardé. Le sien, le nôtre. Regards de compassion emplis de haine, les louves en nous s’éveillent. Le visage de cette femme est doux, son fils l’attend en haut. Elle va tout ôter, bijoux, voile, robe, sous les yeux de tous. Le surveillant sourit, elle sonne toujours. Ce sont ses chaussures qui sonnent à cause de ce genre de talonnettes que vous colle le cordonnier pour ne pas user la semelle. Elle est là, vieille, seule, sereine en nuisette et pieds nus. La porte s’ouvre, les corps se précipitent, une minute de moins c’est une part d’éternité. Cette femme à demi nue n’a pas bronché, son fils l’attend. Les nôtres aussi. Premier épisode de ce monde dans notre monde. Ici plus rien n’est pareil. Il y règne la solidarité et l’humiliation en toute harmonie. Avant l’instant d’amour règne un silence lourd. Quelques bancs, quatre murs suintant la tendresse et la crasse. Ça sent la chair encore vivante, encore vibrante... “T’inquiète, ça se passera bien. C’est sûr vingt minutes c’est court mais s’est déjà ça. Fais gaffe, la première fois ils regardent vachement.” Ils regardent quoi ? L’amour qui s’échange, les mains qui s’enlacent ? Ils regardent quoi ? L’humanité. Je n’aurais jamais cru que l’on pouvait tenir à deux dans une cabine téléphonique, assis face à face, un muret entre nos jambes, petit obstacle à ne pas franchir. Le tabouret est cassé, il lacère mes cuisses. Même pas mal, lui est là, c’est tout ce qui compte. Je pense à ces femmes venues avec leurs enfants dans ces
petites cages familiales pour se frotter le museau, rien que le museau. Puis, vient le temps de la séparation. Encore un baiser, deux, jusqu’à la prochaine fois. Récupérer le linge sale, le propre qu’ils ne lui ont pas donné. Récupérer les baskets qu’on n’a pas le droit de lui remettre. Pourquoi ? Ils ne me le disent pas. Je regarde celles qui viennent depuis deux ans, qui connaissent tout et tous les passe-droits, celles qui sont droites comme des barreaux pour que leurs hommes tiennent debout dedans. Descendre les escaliers et attendre trente minutes dans une salle close le temps qu’en haut, la fouille ait lieu. La fouille qui nous laissera sortir ou pas. Chacun mate l’autre. Passera, passera pas. Premier parloir, je viens de basculer, je ne serai plus jamais la même. »
33« Je me demande où je suis » Étudiante de santé publique ayant effectué un stage en maison d’arrêt de Nancy, mars 2006. « En haut des escaliers qui me mènent à l’unité de psychiatrie pénitentiaire, je me retrouve face à deux cellules minuscules, grandes comme mes toilettes, où attendent plusieurs détenus obligés de rester debout en raison de l’exiguïté de l’endroit. Des barreaux, pas de portes. Je me demande où je suis, ce que sont ces cellules “chiottes”. Je comprends vite qu’il s’agit des salles d’attente de l’unité médicale. Je sonne pour qu’on m’ouvre la grille menant au service. Personne ne vient, le temps me semble une éternité. Enfin la surveillante vient m’ouvrir. Premier grincement de clefs dans la serrure qui glace le sang. Inoubliable son auquel on s’habitue vite. Premier entretien de visite d’entrée d’un détenu avec l’infirmier psy. Je suis assise à côté de l’infirmier. Celui-ci part du principe que “la majorité des détenus N°63 Septembre-Octobre 2007
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LETTRES OUVERTES sont des voleurs de poule au QI de mouche”. Raté. Je suis fascinée par ce détenu qui raconte son enfance, son adolescence et les raisons de son incarcération en 20 minutes chrono. Résumé de 23 ans de vie qui aboutissent ici, dans la moiteur de ces murs. Ces murs qui n’absorbent plus ni la souffrance, ni la solitude, ni la misère. Ces murs qui regorgent d’indifférence, de peine et de désespoir. La matinée s’achève. Bol d’air. Ce premier interlude de liberté dans ma première journée de stage me déstabilise. Je ne sais pas quoi faire de mon temps libre. Je retourne à la maison d’arrêt avant l’heure prévue. Je dépose à l’entrée de la prison ce que ce que je suis dehors. je vide mes poches sous l’arc du détecteur de métaux. Les surveillants me font enlever mon manteau, ma ceinture, mes chaussures, mes chaussettes, me font détacher mes cheveux... Premiers pas en détention. Les quelques rayons de ce mois de mars rendent déjà l’atmosphère irrespirable. Tour de distribution des médicaments. Je suis briefée sur les consignes de sécurité à respecter : blouse blanche, plateau contre soi bien à distance du détenu, ne jamais être derrière une porte ouverte, ne pas faire un pas dans la cellule... Je suis le surveillant qui inlassablement brandit son trousseau de clefs à chaque cellule. Découverte de la vie intérieure de la prison. Stupéfaction, horreur et curiosité. 9 m2 de crasse et de puanteur dans l’obscurité. Un nom, un visage dans le rayon de lumière provenant de la lucarne. Visages renfermés, las, renfrognés, méfiants, fatigués, demandeurs, réticents... Certains me baiseraient les pieds lorsque leur nom retentit dans la cellule et que je leur tends leur petit paquet de médicaments minutieusement scotché la veille. Heure bénie du soulagement médicamenteux. Fin du supplice de l’état de veille. Une dose pour 24 heures, pour oublier... un peu. »
33« Madame le ministre de la Santé... » Personnes détenues au sein de la maison d’arrêt de femmes de Fleury-Mérogis, juillet 2007. « Madame le ministre de la Santé, par la présente nous voudrions attirer votre attention sur la situation que nous somme obligées de subir en raison des températures élevées de cette période estivale. Lorsque la température à l’extérieur est N°63 Septembre-Octobre 2007
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© Bertrand Desprez
très haute, cela devient insupportable. Les fenêtres n’ont qu’une petite ouverture qui rend impossible l’aération, même lorsque la température descend la nuit. Le béton, par ailleurs, amplifie la chaleur. Une fois la structure (murs, sols, etc.) chauffée, tout devient un radiateur. Les cellules sont de véritables fours, jour et nuit, 24 heures sur 24. Nous n’avons pas la possibilité de boire ou de manger frais, car nous ne disposons pas de frigos à la différence d’autres prisons. Nous mangeons et buvons tout à température ambiante. Le seul outil dont nous disposons pour affronter cette situation est le ventilateur. Mais ne peuvent y accéder que celles qui ont de l’argent, car il faut l’acheter. Nous avons en plus des problèmes qui vont au-delà des chaleurs estivales, des problèmes sanitaires que la chaleur aggrave. Sur la cour de promenade, nous n’avons pas de toilettes à la différence de la plupart des autres prisons. Toute la cour de promenade devient des toilettes. Si on analyse cette situation avec la tête froide, le moins que l’on puisse dire c’est que nous avons un grave problème d’hygiène. Mais nous pouvons aussi l’analyser d’un point de vue humain et poser la question haut et fort: Sommes-nous une bande de chiennes qu’on lâche dans un espace clos où l’on peut jouer ou/et bien pisser ? Franchement, nous considérons que nous parlons des conditions minimums dont n’importe quelle personne devrait pouvoir
bénéficier. C’est pour cela que nous nous adressons à vous afin que vous agissiez auprès de l’administration pénitentiaire et/ou la direction de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis pour que cette situation arrive à sa fin. »
33« Les soins ne sont plus assurés de manière satisfaisante. » Personne détenue dans un centre de détention, octobre 2007. « Pris d’une rage de dent, j’ai écrit au service médical à deux reprises. Les infirmières m’ont donné du Doliprane en attendant que je sois vu par un dentiste. Le dentiste m’a reçu huit jours plus tard pour me dire qu’il ne pouvait rien faire, si ce n’est me faire un plombage dans quinze jours. En attendant, je souffre toujours. Les soins, ici, ne sont plus assurés de manière satisfaisante. Le médecin généraliste n’est présent que deux demijournées par semaine. Il n’y a plus de dentiste, ni de kinésithérapeute alors que la majorité des personnes incarcérées ici sont de santé fragile en raison de leur âge ou d’infirmité. Que l’on ait mal aux dents, un ongle incarné ou une grippe, le traitement en attente de pouvoir bénéficier d’une consultation est le Doliprane. Il conviendrait peut-être de mettre un distributeur de ce médicament miraculeux pour ne pas surcharger de travail ces professionnels de santé qui ont pourtant prêté le serment d’Hippocrate. »
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rapport 2005 : les conditions de détention en France
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OIP/ La Découverte, 2005, 288 p., 20 (hors frais de port)
Commandes Les ouvrages de l’OIP 66 rapport 2005 : les conditions de détention en France 66 rapport 2003 : les conditions de détention en France 66 le guide du prisonnier 66 le guide du sortant de prison La revue Dedans dehors 66 n° 29 « loi pénitentiaire : le renoncement » 66 n° 30 « prison asile : le dépotoir de la psychatrie » 66 n° 31 « prison : l’ambivalence des candidats » 66 n° 32 « mineurs : désignés coupables » 66 n° 33 « détenus : précarité sociale et fragilité familiale » 66 n° 34 « toxicomanies : sortir du dogme répressif » 66 n° 35 « liberté d’expression : faire sauter la chape de plomb » 66 n° 36 « bracelet électronique : le miroir aux alouettes » 66 n° 37 « nombre record de détenus : contre la préférence carcérale » 66 n° 38 « rapport Warsmann. alternatives : l’occasion manquée » 66 n° 39 « les prisons françaises en 2003 une descente aux enfers » 66 n° 40 « dix ans après la réforme : la santé toujours incarcérée » 66 n° 41 « loi Perben 2 : vers un raz-de-marée carcéral ? » 66 n° 42 « les dix ans du code pénal : le grand enfermement » 66 n° 43 « rapport CNDS : des pratiques archaïques et médiévales » 66 n° 44 « droits dedans : pour la reconnaissance des droits des détenus » 66 n° 45 « prison : quelle réforme vaut la peine ? » 66 n° 46 « vieillir et mourir en prison » 66 n° 47 « prison : peine du pauvre, pauvre peine » 66 n° 48 « récidive, récidivistes : ne pas se tromper de débat » 66 n° 49 « sécurité renforcée en prison : la fabrique de violences » 66 n° 50 « le rapport Burgelin : le risque de peines de folie » 66 n° 51 « sida en prison : prévenir la maladie, libérer les malades » 66 n° 52 « étrangers en prison : aux confins de l’absurde » 66 n° 53 « nouvelles prisons : du pareil au pire » 66 n° 54 « politiques pénale et pénitentiaire : l’Europe en éclaireur » 66 n° 55 « travail des détenus : à bout de souffle » 66 n° 56 « réforme de la détention provisoire : l’occasion gâchée » 66 n° 57 « affirmer la primauté de l’objectif de réinsertion » 66 n° 58/59 « états généraux de la condition pénitentiaire » 66 n° 60 « les alternatives sortent de l’ombre » 66 n° 61 « contrôle extérieur : l’heure du choix » 66 n° 62 « peines minimales, danger maximal » 66 n° 63 « régimes de détention différenciés - l’envers du décor » 66 la série 2001 (du 23 au 28) 66 la série 2002 (du 29 au 34) 66 la série 2003 (du 35 au 40) 66 la série 2004 (du 41 au 46) 66 la série 2005 (du 47 au 52) 66 la série 2006 (du 53 au 58-59)
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le guide du prisonnier, OIP/ La Découverte, 2004, 576 p., 24 (hors frais de port)
le guide du sortant OIP/ La Découverte, 2006, 416 p., 22 (hors frais de port)
Dedans dehors n°62
Bulletin à renvoyer à OIP, section française, 31 rue des Lilas 75019 Paris
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Pour témoigner et alerter sur les conditions de détention en France : Permanence juridique Julien Nève : 01 44 52 87 96, julien.neve@oip.org ou Marie Crétenot : 01 44 52 87 94, marie.cretenot@oip.org 31, rue des lilas 75019 Paris
L’OIP en région Les coordinations régionales mènent leur action d’observation et d’alerte au sujet de tous les établissements pénitentiaires de la région concernée, en lien avec les groupes et correspondants locaux présents : Pour contacter les coordinations régionales : Région Ile-de-France François Bès 31, rue des Lilas 75019 Paris 01 44 52 88 95 fax : 01 44 52 88 09 francois.bes@oip.org
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Les groupes et correspondants locaux assurent l’observation et l’alerte de la (les) prison(s) présente(s) dans leur ville, en lien avec les coordinations régionales et le secrétariat national : Pour les contacter vous pouvez joindre le secrétariat national : contact@oip.org ou 01 44 52 87 90 Aix-en-Provence, Agen (Eysses), Aiton, Amiens, Angoulême, Arras, Avignon, Bapaume, Bayonne, Bédenac, Béthune, Bois d’Arcy, Bonneville, Bourg-en-Bresse, Chambéry, Douai, Dunkerque, Fleury-Mérogis, Fresnes, Grenoble (Varces), Laon, Le Puy-en-Velay, Lille, Longuenesse, Lyon, Marseille, Maubeuge, Meaux, Melun, Metz,Nancy, Nanterre, Nîmes, Niort, Osny, Paris La Santé, Poissy, Poitiers, Privas, Rennes, Rochefort, Saintes, Saint-Etienne SaintMartin-de-Ré, Saint-Quentin-Fallavier, Toulon,Toulouse (Seysses), Valence,Valencienne, Versailles, Villefranche-sur-Saône, Villepinte.
Qu’est-ce que l’OIP ? Considérant que l’emprisonnement est une atteinte à la dignité de la personne, la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP), juridiquement créée en janvier 1996, agit pour la défense des droits fondamentaux et des libertés individuelles des personnes détenues. Que fait l’OIP ? Concrètement, l’OIP dresse et fait connaître l’état des conditions de détention des personnes incarcérées, alerte l’opinion, les pouvoirs publics, les organismes et les organisations concernées sur l’ensemble des manquements observés ; informe les personnes détenues de leurs droits et soutient leurs démarches pour les faire valoir ; favorise l’adoption de lois, règlements et autres mesures propres à garantir la défense de la personne et le respect des droits des détenus ; favorise la diminution du nombre de personnes détenues, la limitation du recours à l’incarcération, la réduction de l’échelle des peines, le développement d’alternatives aux poursuites pénales et de substituts aux sanctions privatives de liberté. Comment agit l’OIP ? Organisation indépendante des pouvoirs publics, l’OIP ne sollicite aucun mandat ou subvention du ministère de la Justice, s’interdit de prendre part à l’action d’aucun gouvernement, de soutenir aucun parti politique ou de prendre position à l’occasion de toute consultation électorale. Pour faciliter la mise en œuvre de ses objectifs, l’Observatoire suscite la création de coordinations régionales et de groupes locaux en charge de l’observation d’un lieu de détention et composés exclusivement de membres de l’OIP.