Dedans dehors n°64, "Rétention de sûreté et irresponsabilité pénale : une rupture de civilisation"

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rétention de sûreté et irresponsabilité pénale

une rupture de civilisation

Rapport du CPT : les prisons françaises en pleine dérive Élections 2008 : toujours pas d’isoloir en détention Remiré Montjoly : dix détenus s’attaquent à la surpopulation

Observatoire international des prisons Section française

5 € N°64 Février 2008


EDITORIAL

Le combat continue !

Un véritable élan de solidarité s’est déployé suite à notre récent « appel à l’aide » financier. Nombreuses ont été les organisations et les personnes qui nous ont témoigné à cette occasion leur estime et leur confiance. Emmaüs, Amnesty, la Fondation Abbé Pierre et le Syndicat de la magistrature, ont consenti à une démarche exceptionnelle justifiée par la proximité de nos objectifs respectifs et leur complémentarité. Il en est de même des « particuliers » qui au travers de leurs dons ont démontré leur attachement à notre action. La multitude de ces gestes d’entraide a permis de compenser l’absence de subventions de deux de nos plus anciens bailleurs publics, Matignon et la MILDT. Avec, comme conséquence, le fait que notre association termine son exercice budgétaire 2007 dans des conditions satisfaisantes. La mobilisation du monde politique n’a pas été moins remarquable. En atteste l’abondance des questions écrites de parlementaires interpelant la garde des Sceaux ou le Premier ministre. Tout comme les démarches bienveillantes d’une ancienne ministre de la Justice, du Maire de Paris, du Haut commissaire aux solidarités actives ou du ministre des Affaires étrangères. Leur réaffirmation commune de l’impérieuse nécessité que les contre-pouvoirs effectifs et efficaces issus de la société civile ne soient pas empêchés d’agir est opportune autant que salutaire. Elle suggère aux pouvoirs publics de prendre deux engagements. Restaurer sans délai les subventions d’antan. Et rappeler fermement l’administration pénitentiaire à son devoir de transparence. Il est inadmissible que celle-ci persiste à s’affranchir de ses obligations en refusant de transmettre ses données statistiques ou les rapports d’activité de ses services. Il n’est pas tolérable qu’elle multiplie les restrictions aux contacts de ses personnels avec les militants de l’Observatoire. De telles démarches n’ont d’autres finalités que de tenter de réduire notre capacité de savoir et faire savoir ce qui se passe derrière les murs des prisons françaises. Elles ne sont pas seulement injustifiables de la part d’une institution républicaine respectant l’État de droit, elles sont également contraires aux dispositions internationales qui protègent et garantissent l’action des défenseurs des droits de l’homme. Elles auront en l’OIP un adversaire résolu qui, n’en doutons pas, bénéficiera d’un soutien dénué de toute ambigüité des plus hautes autorités. Les pratiques de cette administration doivent sortir du règne de l’arbitraire ou de l’abus de pouvoir et intégrer l’espace du droit commun. Ce sera, du reste, tout l’enjeu de la future loi pénitentiaire dont l’objet social est d’établir, sans faux-semblant, les conditions du respect des droits fondamentaux en prison. Ce combat là ne fait que commencer. Patrick Marest

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SOMMAIRE 3 Actu Rapport du CPT : les prisons françaises en pleine dérive. Toujours pas d’isoloir en détention. Remiré Montjoly : dix détenus s’attaquent à la surpopulation. M. d’Harcourt ne digère pas « la malbouffe carcérale ». Recours contre les déclassements, transferts et rotations de sécurité : le « oui, mais » du Conseil d’État. 15 De facto : La CNDS saisie de plusieurs cas de violences ; Utilisation abusive de l’UHSI de Lyon pour maintenir un tétraplégique en prison ; Menottes et entraves à l’hôpital : la CNDS condamne, le Conseil d’État s’y refuse ; etc.

17 Dossier

Rétention de sûreté et irresponsabilité pénale : une rupture de civilisation Relégation perpétuelle Vade-mecum des principales dispositions Les perspectives inquiétantes du « modèle » allemand Le secret médical sacrifié sur l’autel de la sécurité Un effet dévastateur sur le moral des détenus Remise en cause de l’irresponsabilité pénale : jusqu’où ira-t-on ?

33 Lettres ouvertes « Juliette Dodu : la honte de la République française » ; « un transit du genre durable » ; « besoin d’un hébergement accessible en fauteuil roulant » ; « ainsi va la vie carcérale ». 34 Hommage à Catherine Erhel

DEDANS DEHORS publication bimestrielle de la section française de l’Observatoire international des prisons, association loi 1901, 31, rue des Lilas, 75019 Paris, Tél.: 01 44 52 87 90, Fax: 01 44 52 88 09, e-mail : contact@oip.org Internet : http://www.oip.org Directrice de la publication : Martine Joanin Rédaction en chef : Stéphanie Coye et Patrick Marest Rédaction : Jean Bérard, Anne Chereul, Stéphanie Coye, Marie Crétenot, Patrick Marest, Julien Nève, Lionel Perrin, Hugues de Suremain. Secrétariat de rédaction : François Bès, Stéphanie Coye, Marie Crétenot, Anne Fellmann, Patrick Marest, Pascale Poussin. Identité graphique : MG., L.D.<dlaranjeira@caramail.com> Maquette : Claude Cardot Photos : Samuel Bollendorf, Célia Quilleret, Anne-Marie Marchetti. Remerciements à : Agence VU, Editing, L’oeil public Impression : Imprimerie Expressions 2-GP, 10 bis, rue Bisson, 75020 Paris Tél. : 01 43 58 26 26 ISSN : 1276-6038 numéro CPPAP en cours Diffusion sur abonnement au prix annuel de 30  Prix au numéro : 5 € Couverture : Michel Le Moine


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Les prisons françaises

en pleine dérive Enfin rendu public le 10 décembre 2007, le rapport rédigé par le Comité européen de prévention de la torture (CPT) suite à sa visite en France en 2006 illustre la nette dégradation des conditions de détention depuis quelques années. Ce qui a conduit le Comité à qualifier de « traitement inhumain et dégradant » non plus seulement les conséquences de la surpopulation, mais aussi celles du tournant sécuritaire de l’administration pénitentiaire et les conditions de la prise en charge médicale et psychiatrique des personnes détenues.

« Traitement inhumain et dégradant » : l’expression revient régulièrement dans le rapport du Comité européen de prévention de la torture (CPT), faisant suite à sa visite en France du 27 septembre au 9 octobre 2006. Cet organe du Conseil de l’Europe, chargé d’inspecter les lieux privatifs de liberté, et dont l’efficacité repose notamment sur la qualité du dialogue entretenu avec les gouvernements, n’a pourtant pas pour habitude de faire un usage immodéré de cette qualification. Concernant la France, il l’a utilisé pour la première fois en 2003, après avoir constaté que, dans les maisons d’arrêt dans lesquelles il s’était rendu (Loos et Toulon), « les détenus étaient soumis à un ensemble de facteurs néfastes – surpeuplement, conditions matérielles déplorables, conditions d’hygiène créant un risque sanitaire indéniable, sans

même mentionner la pauvreté des programmes d’activités – qui peuvent légitimement être décrits comme s’apparentant à un traitement inhumain et dégradant »1. Quatre ans plus tard, après avoir visité les établissements de Moulins-Yzeure (Allier), de Seysses (Haute-Garonne) et de Fresnes (Val-de-Marne), le CPT est non seulement contraint de réitérer ses constats, mais de dénoncer vivement, outre les conditions de la prise en charge médicale, le tournant sécuritaire engagé par l’institution pénitentiaire en 2002. Une dérive qui se traduit par « l’application excessive de mesures de contention et l’absence de confidentialité et d’intimité lors d’examens et de soins médicaux », mais aussi la mise en place de régimes spéciaux de détention et l’absence d’amélioration de la situation des détenus placés à l’isolement. N°64 Février 2008

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Pour le CPT, « l’image la plus La surpopulation conduit à une sécurisation à outrance En 2003, le CPT affirmait que la « réduction immédiate et drastique du surpeuplement », par la mise en œuvre des recommandations du Conseil de l’Europe, « constitue une exigence fondamentale pour assurer, sans plus attendre, des conditions de détention dignes et humaines à la population incarcérée ». Depuis, constate l’instance dans son rapport, « la stratégie [...] a été, à titre principal, de prévoir une augmentation de la capacité carcérale » et les « efforts [...] déployés pour développer les alternatives à l’emprisonnement » ont abouti à des « résultats globaux [...] de faible envergure ». Conséquences : une nouvelle augmentation de la population carcérale, notamment en raison du « nombre croissant de peines toujours plus lourdes prononcées », et « un fort taux de surpeuplement », certes « moins dramatique qu’en 2003 », mais dont les « effets néfastes dans les maisons d’arrêt persistent, en termes de conditions matérielles, de programmes d’activités, de contacts avec le monde extérieur, et d’atmosphère générale dans les établissements concernés ». Surtout, la surpopulation, « l’allongement continu des peines et le rallongement de la durée effective des peines à perpétuité […] conduisent à une gestion toujours plus problématique de la population pénitentiaire ». Pour y faire face, l’administration pénitentiaire ne conçoit d’autres réponses que le renforcement des dispositifs de sécurité. Au point que, pour les experts du CPT, « l’image la plus marquante des trois établissements visités était celle d’un régime carcéral “sécuritaire” », caractérisé par des « régimes de détention spéciaux » – qui entraînent « souvent la privation de

marquante des établissements visités était celle d’un régime carcéral “sécuritaire” ». toute initiative visant à une planification de la peine, et ceci en contradiction avec les nouvelles Règles pénitentiaires » –, des « mesures de sécurité spéciales », ainsi qu’une « répartition et/ ou classification des détenus en fonction de leur dangerosité supposée, fondée sur le passé judiciaire ou pénitentiaire des intéressés ».

« Risque élevé de traitement dégradant » Concrètement, le CPT affirme avoir non seulement enregistré « de très nombreuses allégations », mais aussi avoir « pu vérifier par elle-même […] les fouilles fréquentes, les transferts inopinés de cellules, voire d’établissements (et les pertes d’effets personnels qui en découlaient, ainsi que les difficultés s’agissant de la poursuite des traitements médicaux), les retards de livraison des commandes de cantine, les promesses du personnel non tenues, etc. ». Une accumulation d’éléments, « au demeurant délibérée », qui est « clairement ressentie comme une humiliation, voire comme un traitement dégradant, par les détenus », qui ont « souvent bien du mal à en percevoir la motivation “sécuritaire” sous-jacente ». Or, mettent en garde les experts du Conseil

Un manque de transparence préjudiciable Il aura fallu que le rapport « fuite » dans le journal Le Monde du 6 décembre 2007 pour qu’enfin le gouvernement se décide à rendre public le rapport du CPT suite à sa visite en France effectuée du 27 septembre au 9 octobre 2006 (lire ci-contre), ainsi que sa propre réponse, déposée le 8 novembre 2007 à Strasbourg. Ces documents confidentiels ne peuvent être rendus publics que par l’État lui-même. La plupart des pays donne cependant au CPT l’autorisation de publier le rapport et la réponse associée dès réception de cette dernière. Certains, comme la Norvège, la Suède, le Danemark ou encore la Suisse vont plus loin, en autorisant le Comité à rendre public successivement ses « observations préliminaires » (qui suivent la visite) puis son rapport (transmis aux autorités six mois après la visite) et enfin la réponse du gouvernement (qui doit être remise six mois après réception du rapport). Et il est indéniable que cette pratique permet de renforcer notablement la portée des constats et préconisations du CPT. La France s’est refusée jusqu’à présent de souscrire à ce principe. Une attitude d’autant plus regrettable que le contexte d’élaboration d’un projet de loi pénitentiaire par la Chancellerie et des travaux du Comité d’orientation restreint censé faire des propositions sur ce même projet, rendaient indispensable la publication rapide de ces documents. C’est pourquoi l’OIP avait interpellé le 19 novembre Rama Yade, secrétaire d’État aux droits de l’homme, dont les services assurent la liaison avec le Conseil de l’Europe, pour que le gouvernement lève sans délai la confidentialité qui frappait le rapport. En vain. Il aura fallu attendre encore près d’un mois. Lors de la précédente visite du CPT, à l’Île-de-la-Réunion en 2004, six mois s’étaient écoulés entre le dépôt de la réponse française et l’autorisation de publier.

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de l’Europe, certaines de ces mesures peuvent constituer dans certaines circonstances un traitement inhumain et dégradant. C’est le cas notamment des fouilles en raison de leur fréquence excessive, surtout quand elles s’accompagnent d’une mise à nue, qui « comporte un risque élevé de traitement dégradant », ou des « rotations de sécurité », en raison de la succession des transferts que subissent les détenus réputés dangereux. « Le transfert continuel d’un détenu d’un établissement vers un autre, se voit obliger de rappeler le Comité, peut avoir des conséquences très néfastes sur son bien-être, ainsi que sur ses possibilités de réinsertion, et compliquer le maintien de contacts appropriés avec son avocat et sa famille » et ainsi, « dans certaines circonstances, constituer un traitement inhumain et dégradant ».

L’isolement comme « lieu de rejet de détenus difficiles » Parmi les régimes spéciaux, le CPT se montre particulièrement critique à l’égard de l’isolement sur décision administrative. Cette mesure a pourtant fait l’objet d’une réforme aux « aspects positifs » en 2006. Malheureusement, note le Comité, « les dispositions les plus importantes de ces décrets n’avaient pas encore été traduites dans la pratique […], comme celles, par exemple, relatives aux recours » ou à l’information dont doivent bénéficier les détenus sur la procédure. La mesure est au contraire « détournée de son but original » et le quartier d’isolement constitue « le lieu de rejet de détenus difficiles à gérer ». Alors que « le nouveau décret rappelle une fois de plus que l’isolement administratif n’est pas une mesure disciplinaire », les experts constatent par exemple qu’il est fréquemment utilisé à l’encontre de détenus faisant preuve de « comportements inconciliables avec la discipline pénitentiaire », mais aussi de « détenus gravement perturbés ou présentant des affections psychiatriques graves, avec des symptômes méritant une prise en charge psychiatrique institutionnelle ». Alors même que la mesure entraîne « un appauvrissement de la qualité des soins prodigués » et que les conditions dans lesquelles elle s’effectue « sont radicalement opposées à des conditions socio-thérapeutiques à visée de réintégration ». Et pour cause, a constaté la délégation, « les détenus isolés restaient seuls en cellule et à la promenade, et leurs rares déplacements dans la prison se faisaient sous escorte de deux ou trois surveillants ». Ils ne bénéficient en outre d’« aucune activité, quelle qu’elle soit (travail, sport, formation) » et encore moins d’une activité rémunérée, ce qui entraîne « une paupérisation croissante » des personnes concernées. Une situation d’autant plus dramatique que, prévu pour trois mois, « l’isolement est fréquemment une mesure de longue – voire très longue – durée », comme dans le cas de ce détenu de Fresnes, dont le Comité a relevé qu’il était à l’isolement depuis dix-neuf ans.

ainsi cataloguées, le régime impose « une surveillance particulièrement attentive », mais aussi « des mesures de sécurité telles que des fouilles à corps, des fouilles de cellule, une surveillance intensive des mouvements, des rotations régulières de cellule ou d’établissement ». Dans ces conditions, les experts critiquent l’inexistence de voies de recours, le grand flou entourant les critères de classement et le caractère pour le moins aléatoire du réexamen de la situation, pourtant prévu par instruction interministérielle. À la maison centrale de Moulins-Yzeure, « au mieux, l’examen n’avait lieu qu’annuellement ». À Fresnes, « la périodicité était encore plus faible ». Quant à la maison d’arrêt de Seysses, « aucune procédure ou commission d’examen du statut de DPS ne fonctionnait ». Selon son directeur, « la rotation fréquente de cette catégorie de détenus d’un établissement à l’autre rendait difficile, voire impossible, l’évaluation périodique prévue pertinente ». Autre conséquence du statut : l’accès aux soins médicaux et psychiatriques à l’extérieur se trouve pour ces détenus « limité, […] voire impossible pour ce qui est des hospitalisations psychiatriques d’office », et ce « en raison des conditions de sécurité imposées ». Le CPT a par exemple constaté que des DPS hospitalisés à Moulins, au sein de chambres pourtant sécurisées, étaient « systématiquement fixés à leurs lits sans interruption, le plus souvent avec des entraves aux chevilles et main menottée au cadre du lit ». Entraves et menottes étant « également portées aux toilettes et à la douche », ainsi que pendant les actes médicaux, « malgré les demandes formulées par le personnel médical ». « Par ailleurs, explique le rapport, trois fonctionnaires de police étaient présents aux côtés du patient pendant tout acte médical », ôtant à celui-ci « le droit le plus élémentaire à la confidentialité et à l’intimité, qui doit être au cœur de la relation entre le médecin et son patient ». Pour le CPT, cette « accumulation de moyens de sécurité dans des locaux de soins déjà sécurisés […] dépasse ce que l’on serait raisonnablement – et proportionnellement – en droit d’admettre ». Surtout, les soins dans ces conditions ne peuvent être prodigués « en respectant la dignité humaine » et « le traitement médical se trouve perverti et devient dégradant ».

La psychiatrie carcérale dans un état dramatique En matière de psychiatrie, la situation est encore plus critique. Selon le CPT, les DPS sont en effet « délibérément privés de toute

‘‘ À Fresnes, des patients en état de souffrance aiguë sont placés

à l’isolement, obligés de rester nus

La situation inhumaine des DPS

et soumis à un contrôle visuel

Autre régime suscitant l’inquiétude du CPT, celui des « détenus particulièrement signalés » (DPS). Très dur pour les personnes

régulier du personnel.

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possibilité de soins psychiatriques appropriés ». En lieu et place d’une hospitalisation, certains font même l’objet de « placements tout à fait inadaptés […] dans des quartiers d’isolement, voire des quartiers disciplinaires », alors même qu’ils souffrent « de décompensations psychotiques graves ». Une situation « dramatique » dont il ne fait « aucun doute » pour le Comité qu’elle « s’apparente à un traitement inhumain et dégradant ». Qui ne concerne pas les seuls DPS. À Fresnes, les demandes d’hospitalisation formulées par le service médico-psychologique régional (SMPR) sont « généralement sujettes à un délai de deux à sept jours, voire plus ». Là encore, « en attendant, les patients présentant des états de souffrance aiguë étaient placés dans l’une des cellules d’isolement, traités sous contrainte si nécessaire ». Ils étaient même, explique le rapport, « obligés de rester nus en cellule » et « soumis à un contrôle visuel régulier du personnel pénitentiaire ». Une situation qui non seulement « s’apparente à un traitement inhumain et dégradant pour le patient concerné », mais est « également dégradante pour le personnel concerné ». À Moulins, le médecin psychiatre présent, « malgré ses efforts, ne pouvait assurer le niveau de soins souhaitable » et « était confronté à de très grandes difficultés lorsqu’il s’agissait d’adresser un patient au SMPR de Lyon (les délais d’attente étaient très importants), voire à une impossibilité d’hospitalisation d’office, ce qui engendrait systématiquement le placement de détenus en état de décompensation psychotique à l’isolement ». Une situation qui est loin d’être exceptionnelle. « Tous les interlocuteurs rencontrés par la délégation, explique le rapport, tant dans les ministères compétents (Justice, Santé) que sur le plan local, les personnels de santé et de direction dans les établissements visités, ont admis l’état dramatique dans lequel se trouve la psychiatrie pénitentiaire en France. »

Fin de non recevoir du gouvernement Comme à son habitude, le gouvernement répond tantôt par le déni tantôt en minimisant la portée des critiques. Le directeur de l’administration pénitentiaire ira même jusqu’à déclarer dans Le Monde que « le nombre des recommandations […] est très réduit ». Quelle mauvaise foi ! À moins que Claude d’Har-

court ne fasse référence aux seules recommandations dont il sera tenu compte – la plupart étant effectivement purement et simplement repoussées en invoquant les « risques de troubles violents à l’ordre public » ou « la réglementation […] déjà restrictive ». C’est sur le volet psychiatrique que la récusation est la plus saisissante, pour ne pas dire indécente. Le gouvernement dément par exemple que les détenus dans les chambres sécurisées de l’hôpital de Moulins-Yzeure soient menottés ou entravés, affirme que le statut des DPS « ne rentre pas en ligne de compte en matière de soins », que la direction de Moulins ne recourt « jamais à la sanction disciplinaire et encore moins au placement en quartier disciplinaire pour gérer les détenus souffrant de troubles psychiques » et rejette pour le reste la faute sur les équipes médicales. Comme en 2003, quand Dominique Perben (alors garde des Sceaux) avait fait référence au rapport en parlant « d’approximations, d’erreurs et de propositions inadaptées », le gouvernement n’hésite pas non plus à dénigrer le travail mené par le CPT, l’accusant de « partir d’un cas d’espèce pour en faire une généralité ». Selon lui, « les termes “état dramatique de la psychiatrie” apparaissent […] bien excessifs au regard de la réalité », notamment au vu « des avancées considérables » qui ont été accomplies depuis vingt ans. D’autre part, poursuit la réponse, il conviendrait « de considérer la situation actuelle comme transitoire » puisque « l’ensemble des difficultés exposées » vont être « corrigées » par le programme de construction d’unités d’hospitalisation spécialement aménagées (UHSA), lancées en 2002, pour recevoir les détenus souffrant de troubles psychiatriques. La posture de défiance des autorités françaises à l’égard de l’organe du Conseil de l’Europe augure bien mal du contenu de la future loi pénitentiaire. Il est à craindre que ce texte cherche à consacrer nombre des pratiques considérées par le CPT comme néfastes, abusives, ou constitutives de traitements inhumains et dégradants. À rebours des principes de base de la politique pénitentiaire prônée par toutes les instances internationales. Au mépris, assumé, du respect élémentaire des droits de l’homme. Stéphanie Coye (1) Rapport au gouvernement relatif à la visite effectuée en France par le CPT du 11 au 17 juin 2003, Strasbourg, 31 mars 2004.

Des refus d’HO de plus en plus fréquents En écho aux critiques du CPT sur les délais, voire l’impossibilité d’organiser des hospitalisations d’office (HO) de détenus pourtant en souffrance psychiatrique aiguë, les personnels des services médico-psychologiques régionaux (SMPR), réunis à Lille fin novembre pour leurs 19es journées nationales des SPMR, ont dénoncé les refus d’hospitalisation d’office. La situation est particulièrement problématique pour le SMPR du Nord qui, depuis environ deux ans, se trouve confronté à des refus d’hospitalisation d’office (entre 20 et 30 % des demandes) de la part du préfet et du procureur, notamment lorsque les demandes concernent des auteurs de meurtre ou de tentative de meurtre. Dans le même temps, les délais d’admission sont de plus en plus longs – de 4 à 15 jours –, tandis que les durées de séjour ne cessent elles de se réduire. Certaines personnes sont très régulièrement attachées, isolées, sans accès aux W.C., à la télévision ou aux visites.

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Toujours pas En dépit des promesses faites par les pouvoirs publics pendant les mois qui ont précédé l’élection présidentielle, les conditions dans lesquelles les détenus exerceront leur droit de vote lors des échéances de 2008 n’ont pas connu d’avancée majeure. Aucun bureau de vote ne sera installé en détention. Seul un décret est venu consacrer la possibilité, pour certains détenus, de bénéficier d’une permission de sortir le jour du scrutin.

d’isoloir en détention

« Tout ce qui favorise l’effectivité du droit de vote au sein de la population carcérale contribue à renforcer l’intérêt des détenus pour l’exercice de la citoyenneté et celui des élus pour les questions pénitentiaires »1. C’est en ces termes que la Commission nationale consultative des droits de l’homme s’était prononcée, en 2004, en faveur de deux modifications législatives. D’une part, l’ouverture de bureaux de vote au sein des établissements pénitentiaires. D’autre part, l’octroi d’une permission de sortir pour les détenus qui peuvent le prétendre grâce à cette mesure. Quatre ans plus tard, force est de constater que ces recommandations peinent à être mises en œuvre. Une situation d’autant plus incompréhensible qu’il y a quelques mois, juste avant le scrutin présidentiel, les ministères de la Justice et de l’Intérieur ne cachaient pas leur volonté commune de voir la situation se décanter, notamment pour ce qui est de la mise en place d’isoloirs en détention.

Des sons de cloches différents entre les ministères « Ce ne sera pas possible pour ces élections-là mais, sur le fond, c’est faisable » soulignait dans L’Humanité le 12 avril 2007 le chef de cabinet du directeur de l’administration pénitentiaire (AP). « Un bureau de vote dans une prison, ça peut se faire, mais il aurait fallu s’y prendre dès l’été [2006] » confirmait le même jour un porteparole de la place Beauvau sur les ondes de France Inter. Chacun clamant à l’unisson que la question pouvait se régler en deux coups de cuillères à pot. Sans qu’une réforme du Code électoral ne soit nécessaire : tout simplement en s’y prenant suffisamment tôt avant le prochain rendez-vous électoral, et en limitant la mise en place de bureaux aux seuls établissements accueillant plus de

300 électeurs potentiels. Las. Il apparaît que l’échéance des élections municipales et cantonales a été ratée. Pire, l’initiative semble au point mort. Dans sa communication, l’AP laisse entendre que ce n’est pas de son fait, puisqu’elle a saisi les services compétents du ministère de l’Intérieur à deux reprises, le 28 février, puis le 17 avril 2007. Mais, chez ces derniers, un tout autre son de cloche prévaut. On y prétend que l’attitude de la direction de l’AP a fait capoter le projet. Sollicitée après les élections présidentielles afin de connaître le nombre d’électeurs potentiels par établissement, celle-ci se serait contentée de communiquer le nombre global de détenus ayant voté lors des derniers scrutins. Un chiffre qui ne permet en rien de déterminer les établissements susceptibles d’accueillir un bureau de vote lors des prochaines élections. La « collaboration » interministérielle s’est manifestement arrêtée là. Résultat, aucun isoloir ne sera installé en détention pour les échéances électorales de 2008, et rien ne permet de supposer qu’il en sera autrement à l’avenir.

La permission de sortir comme seule solution La seule initiative prise par les pouvoirs publics a été de publier, le 18 novembre 2007, un décret consacrant la possibilité pour les personnes condamnées à une peine inférieure ou égale à cinq ans, ou ayant effectué la moitié de leur peine, de prétendre à une permission de sortir d’une journée pour se rendre aux urnes. Complétant la liste des motifs justifiant la sollicitation d’une telle mesure, ce texte a l’avantage de remédier à l’un des désagréments auxquels ont été confrontés certains détenus l’an passé. Faute de disposition prévoyant clairement la possibilité de solliciter un « bon de sortie » pour aller voter, des juges de l’application des peines (JAP) ont en effet rejeté leur demande pour l’unique raison que « celle-ci ne correspond […] à aucun des objectifs définis » par le Code de procédure pénale. Ce décret met donc fin à l’absurdité d’une législation qui permet de laisser sortir un prisonnier pour participer à une activité sportive, mais non pour exercer son droit de vote. C’est bien là son seul intérêt. Car les détenus demeurent contraints de se débrouiller par leurs propres moyens pour trouver un mandataire, y compris pour se prémunir d’un éventuel refus du JAP d’octroyer une permission de sortir. Marie Crétenot (1) Étude sur les droits de l’homme dans la prison, CNCDH, mars 2004. N°64 Février 2008

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Rapport d’expertise à Remiré Montjoly

dix détenus s’attaquent En réaction à la surpopulation chronique de leur prison, dix détenus du centre pénitentiaire de Remiré Montjoly (Guyane) ont entrepris de faire constater l’indignité et la dégradation de leurs conditions de détention. Ils ont saisi le tribunal administratif de Cayenne d’une requête en référé-constat afin qu’un expert soit désigné. Ce dernier vient de rendre son rapport qui, sans surprise, confirme une situation déplorable. Il reste à la justice d’en tirer toutes les conclusions. « En Guyane, l’ouverture du nouvel établissement de Remiré Montjoly a permis de ramener le taux d’occupation à 85,7 % et a donc mis fin à une surpopulation carcérale qui atteignait le niveau record de 279 % » se félicitaient les sénateurs en 19991. À peine dix ans se sont écoulés et le tableau a perdu de sa superbe : avec 757 détenus pour 469 places au 1er janvier 2008, le centre pénitentiaire (CP) compte de nouveau parmi les prisons françaises les plus surpeuplées. À tel point que dix détenus ont décidé de saisir le tribunal administratif de Cayenne en vue de faire constater à quel point leurs conditions de détention contredisaient des dispositions essentielles du Code de procédure pénale comme de la Convention européenne des droits de l’homme. Désignée par le tribunal, une N°64 Février 2008

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mission d’expertise s’est donc rendue dans l’établissement, le 4 octobre 2007, avec un double objectif. Tout d’abord, procéder au constat que les dix détenus, issus aussi bien du quartier maison d’arrêt que des quartiers maison centrale et centre de détention, disposaient d’un espace vital inférieur aux normes fixées par les instances du Conseil de l’Europe. Puis, examiner les conditions d’accueil au regard de l’hygiène et les activités proposées par les services pénitentiaires aux détenus. En s’appuyant sur les conclusions de l’expert, les avocats des dix requérants, Dominique Monget Sarrail et Juliette Pépin, entendent mettre en évidence la non-conformité des conditions de détention de leurs clients et engager la responsabilité de l’État pour dysfonctionnement du service public pénitentiaire.


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Une moyenne de 3,76 m2 par personne En premier lieu, les détenus avaient mis en cause la surpopulation chronique de l’établissement qui contraint nombre d’entre eux à dormir sur des matelas à même le sol. Selon eux, les autorités ne respectent pas la norme de 7 m² par personne, préconisée par le Comité de prévention de la torture et citée comme référence par la Cour européenne des droits de l’homme. Dans l’unique prison guyanaise, les problèmes liés au surpeuplement ne sont pas récents. Le rapport d’activité de l’établissement pénitentiaire couvrant l’année 2004 indiquait en effet qu’en termes de surpopulation, « le chiffre record [avait été] réalisé en juin [2004] avec 708 présents, faisant craindre le pire », et d’ajouter qu’à cette date « la maison d’arrêt hommes comptait une centaine de matelas par terre ». Un record largement battu depuis puisque, à la date de l’expertise, Remiré ne comptait pas moins de 746 « présents » pour 473 places opérationnelles. D’une capacité de 287 places, le quartier maison d’arrêt était occupé par 546 détenus, soit une densité carcérale de 190,2 %. Celles des quartiers maison centrale et centre de détention étaient quant à elles respectivement de 116,1 % et 107,1 %. Contrairement à ce que peuvent laisser penser ces différences de pourcentage, les

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Une cellule de 13,20 m était

occupée par quatre personnes, dont deux étaient contraintes de dormir sur un matelas à même le sol.

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manque, certains détenus déchirent les draps », indique le rapport d’expertise. Au manque de produits d’hygiène s’ajoute la brièveté des douches. En raison de leur état dégradé, les détenus préfèrent utiliser celles situées à l’extérieur, à l’occasion des promenades. Dans ces conditions, les douches se prennent « sur une durée de trois heures, pour un total de 40 personnes. Chaque douche a donc une durée théorique de cinq minutes, ce qui semble peu » font sobrement remarquer les experts. Enfin, ces derniers ont relevé que la plupart des détenus rencontrés n’ont aucun accès à un travail rémunéré et que certains, en raison du climat de violence généré notamment par la surpopulation,

à la surpopulation conditions de détention ne sont guère plus enviables d’un quartier à l’autre. Comme ont pu le constater les experts, l’espace 2 vital des prévenus comme des condamnés oscille entre 2,58 m 2 et 5,45 m . Pour l’ensemble des cellules expertisées, la moyenne est de 3,76 m2 par personne, bien loin de la norme de 7 m2. Une différence notable toutefois : il semble que les détenus de la maison d’arrêt soient les seuls, pour l’instant, à devoir se contenter d’une paillasse à même le sol en guise de lit. À titre d’exemple, 2 les experts ont relevé qu’une cellule d’une surface de 13,20 m était occupée par quatre personnes dont deux étaient contraintes de dormir sur un matelas de fortune.

Du savon une fois par mois Les experts avaient également pour mission d’inspecter l’état des douches, les modalités de distribution des produits d’hygiène ainsi que les possibilités d’activités proposées dans l’établissement qu’elles soient sportives, culturelles ou autres. À ce sujet, ils relèvent que certains détenus ne reçoivent du savon et de l’eau de javel qu’une fois par mois. Le papier hygiénique est quant à lui distribué deux fois par mois. Résultat, « quand il

refusent de participer aux activités sportives ou culturelles et se privent de promenade. Au final, le rapport d’expertise ne laisse planer aucun doute quant aux conséquences désastreuses résultant du niveau d’entassement des détenus que connaît le CP de Remiré. Reste à voir s’il suffira aux avocats pour convaincre le tribunal administratif, celui-ci devant statuer prochainement sur la requête des détenus. L’initiative guyanaise n’est pas un cas isolé. La Justice a été saisie par d’autres personnes détenues au sein de nombreuses maisons d’arrêt métropolitaines, notamment à Lyon, Nancy, Fleury, Caen, Brest, Rouen, Nantes, etc. Gageons qu’au moment de se prononcer, les magistrats de France et de Navarre auront en tête ce que le président de la Cour européenne des droits de l’homme, Jean-Paul Costa, a rappelé récemment à Rama Yade, secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères et aux Droits de l’homme : « Le problème majeur pour les droits de l’homme en France me semble être celui des prisons ». Julien Nève 1) Projet de loi de finances pour 2000, Tome VII – départements d’Outremer. N°64 Février 2008

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Manifestement piqué au vif à la lecture des différents témoignages parus dans Dedans dehors sur le thème de l’alimentation en prison, le directeur de l’administration pénitentiaire a pris sa plume. Point de « malbouffe » derrière les murs, nous écrit-il en substance, ne craignant pas d’affirmer que « pour l’ensemble des établissements, le niveau des prestations est conforme à la réglementation en matière d’hygiène et de sécurité alimentaire ». Un autosatisfecit battu en brèche par nombre de rapports d’inspections des services sanitaires.

M. d’Harcourt ne digère pas

« la malbouffe

Claude d’Harcourt n’a assurément pas apprécié la double page de témoignages titrée « la malbouffe carcérale » parue dans l’avantdernier numéro de Dedans dehors.1 Dans un courrier adressé à l’OIP en date du 2 octobre 2007, le directeur de l’administration pénitentiaire a estimé son institution y être à tort « mise en cause ». « Nous ne pouvons [laisser] accréditer l’idée que [l’alimentation en prison] serait négligée et encore moins non conforme aux prescriptions réglementaires » écrit l’ancien préfet. Une récente étude2 sur la nourriture proposée à la maison d’arrêt d’Angoulême (Charente) fait pourtant écho aux récriminations que nous avons publiées. Et s’ajoute aux conclusions accablantes de nombreux rapports d’inspections réalisées dans des établissements en 2007 par les services vétérinaires chargés de veiller au respect des règles de sécurité alimentaire. Que cette étude et ces rapports viennent alerter sur la persistance d’un constat dressé depuis des lustres laisse visiblement de marbre le directeur de l’administration pénitentiaire. Comme, du reste, le sentiment d’humiliation qu’inspire aux détenus de Nantes, Fresnes, Salon en Provence, Villefranche-sur-Saône, Liancourt ou d’ailleurs l’ordinaire de ce qu’ils trouvent dans leur assiette. Dans sa missive, M. d’Harcourt n’a pas jugé utile d’opposer le moindre élément factuel aux descriptions parues, ce qui l’aurait autorisé à en contester la véracité. Il se contente de défendre bec et ongles son administration.

préparée et servie dans des conditions sanitaires et hygiéniques respectueuses des prescriptions réglementaires en matière de sécurité alimentaire. À ce titre, les directions des établissements doivent veiller à ce que les locaux dans lesquels circulent les denrées alimentaires ne constituent pas, par eux-mêmes, une source de contamination pour les aliments, et s’assurer qu’il est procédé en cuisine à des autocontrôles réguliers permettant de vérifier la conformité des matières premières et produits finis aux critères microbiologiques auxquels ils doivent satisfaire. À cette fin, le personnel doit être mis en mesure de respecter les procédures fondées sur les principes HACCP3, à savoir analyser et évaluer les risques alimentaires potentiels d’une opération culinaire, maîtriser ces risques et mettre en œuvre des actions correctives lorsqu’un contrôle révèle qu’un point critique n’est plus maîtrisé, ou n’a pas été maîtrisé à un moment donné. Ces exigences réglementaires, qui visent à garantir que les aliments ne provoquent pas de conséquences néfastes pour la santé du consommateur, sont loin d’être respectées à la lettre comme le prétend le directeur de l’administration pénitentiaire quand il nous affirme que « pour l’ensemble des établissements pénitentiaires, le niveau des prestations est conforme à la réglementation en matière d’hygiène et de sécurité alimentaire ». En témoigne la situation qui prévaut au sein de la maison d’arrêt d’Angoulême.

Des règles élémentaires de sécurité alimentaire très précises…

… mais non respectées

À l’instar de tous les établissements de restauration collective, les établissements pénitentiaires sont tenus de fournir une nourriture N°64 Février 2008

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Au cours de l’audit des cuisines de l’établissement, la diététicienne chargée de dresser un état des lieux des conditions de préparation des repas a pu constater divers manquements


ACTU

aux prescriptions de l’arrêté du 29 septembre 1997 fixant les conditions d’hygiène applicables dans les établissements de restauration collective à caractère social. L’état de dégradation des portes et des surfaces murales empêchait tout nettoyage et désinfection efficaces des locaux. Les plafonds étaient en un matériau impropre à permettre le maintien de l’état de propreté et empêcher le développement de moisissures et le déversement de particules sur les denrées ou les surfaces susceptibles d’entrer en contact avec les denrées. Les procédures d’autocontrôle n’étaient pas systématiquement réalisées sur les produits finis et le maintien de la chaîne du froid n’était pas respecté lors de la distribution des préparations froides faute d’équipement

Contrairement à ce que dit le directeur de l’administration pénitentiaire, les règles élémentaires de sécurité alimentaire sont loin d’être respectées à la lettre.

carcérale » adéquat. Des conclusions similaires se dégagent de divers rapports d’inspections des directions départementales des services vétérinaires (DDSV). Le 21 mars 2007, la DDSV du Pas-de-Calais a pu constater l’état de propreté insuffisant de certains locaux de la cuisine de la maison d’arrêt de Béthune, la présence dans le congélateur d’une barquette dont la date limite de consommation était fixée à la fin 2006, ainsi que l’absence de réactivité du personnel alors même que des bactéries d’origine fécale avaient été découvertes sur des lasagnes, du gratin, du poisson et des andouillettes livrés par la cuisine centrale de la maison d’arrêt de Lille-Séquedin (Nord) gérée par la société SIGES. Susceptibles de provoquer des colites hémorragiques, ces bactéries appelées coliformes sont signes d’une mauvaise hygiène du personnel, de manquements dans l’entretien et la désinfection des sanitaires, ou de carences dans la lutte contre les insectes et les nuisibles. En l’occurrence, aucun plan de maîtrise sanitaire n’avait été mis en place dans cette cuisine également gérée par la société SIGES alors que des coliformes avaient déjà été trouvés en octobre 2006 dans les locaux de la cuisine centrale.

Des formations obligatoires non dispensées Cette méconnaissance par le personnel des règles élémentaires d’hygiène n’est pas un cas isolé compte tenu de l’absence dans de nombreux établissements de formation adéquate. Le 16 avril 2007, la DDSV d’Ille-et-Vilaine s’est aperçue que les détenus affectés à la cuisine du centre pénitentiaire de Rennes ne recevaient plus de formation à l’hygiène alimentaire depuis 2000, en dépit de l’obligation faite aux responsables d’établissement de

dispenser ce type de formation au personnel et de l’objectif que s’est fixé en 20004 l’administration pénitentiaire de permettre aux détenus de se qualifier dans le cadre de leur activité professionnelle. Les services vétérinaires de la Haute-Marne, de l’Aveyron et des Yvelines ont procédé au même constat en juin et juillet dernier. Aucune formation n’était dispensée aux détenus cuisiniers au sein des maisons d’arrêt de Chaumont, Rodez et Bois d’Arcy. La personne en charge de la réception des marchandises dans cette dernière maison d’arrêt n’avait aucune connaissance des températures à respecter et des actions à entreprendre en cas de non-conformité.

Des locaux vétustes Le 27 novembre 2007, la DDSV du Calvados s’est alarmée à son tour de l’absence de formation dispensée aux détenus travaillant dans les cuisines du centre pénitentiaire de Caen, ainsi que des risques sanitaires provoqués par la vétusté générale des locaux d’ores et déjà constatée en 2003. Faute de travaux, la situation s’était aggravée. Sur 46 items observés, 24 points de non-conformité à la réglementation ont été relevés. Les locaux de réception des marchandises étaient dégradés. Les plafonds étaient moisis, très sales et très difficiles à nettoyer. De l’eau noire stagnante était présente au pied des fourneaux. Les sanitaires étaient vétustes, le lavabo ne fonctionnait pas, et de l’eau fuyait au-dessus des vestiaires. Des travaux, un nettoyage complet des locaux, ainsi que la mise en place d’une formation à l’hygiène alimentaire pour l’ensemble des personnels ont été requis dans les meilleurs délais afin d’empêcher les contaminaN°64 Février 2008

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qu’une consœur qui avait réalisé une étude du même type en 1999 et 1998 à la maison d’arrêt de Dijon (Côte d’Or). L’alimentation proposée est à la fois déficitaire en fruits et légumes et produits laitiers, et excédentaire en graisses saturées. La définition même de la « malbouffe ». Les fruits et légumes servis à la maison d’arrêt d’Angoulême n’atteignent que 55 % des apports recommandés, les produits laitiers 25 %. L’analyse des menus de la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône (Rhône) réalisée sur le plateau de France Inter lors de l’émission de Jean-Pierre Coffe consacrée à l’alimentation en prison, le 24 novembre dernier, a révélé les mêmes tendances. Faute d’apports suffisants en micronutriments, vitamines, oligo-éléments antioxydants, calcium et fibres, la nourriture servie aux détenus les exposent à des risques de fragilité osseuse et de développement de maladies cardiovasculaires, alors même que l’on observe le vieillissement de la population carcérale et que l’on connaît la prévalence des maladies cardiovasculaires en détention. La qualité nutritionnelle de l’alimentation proposée aux personnes incarcérées n’est pas prête de s’améliorer si l’on en juge la politique de la maison d’arrêt d’Angoulême. En effet, les propositions de la diététicienne visant à remédier aux insuffisances observées ont été rejetées par la direction pour des raisons budgétaires. © Samuel Bollendorf / L’œil public

tions des aliments et du matériel. Ainsi, quoi qu’en dise Claude d’Harcourt, les entorses fréquentes aux prescriptions de l’arrêté du 29 septembre 1997 dénoncées en 2000 par la commission d’enquête sénatoriale5 et les risques suscités par la vétusté de certaines cuisines et le manque de formation du personnel soulignés par la Cour des Comptes6 en 2006 n’appartiennent pas au passé. Demeurent également d’actualité les récriminations de ces instances quant à la faiblesse des sommes dépensées pour l’alimentation des détenus et l’absence de bilans quantitatifs et qualitatifs réguliers de la nourriture servie.

Une nourriture carencée En vertu de l’article D. 354 du code de procédure pénale, « les détenus doivent recevoir une alimentation variée, bien préparée, répondant tant en ce qui concerne la qualité et la quantité aux règles de la diététique et de l’hygiène, compte tenu de leur âge, de leur état de santé, de la nature de leur travail, et, dans toute la mesure du possible, de leurs convictions philosophiques ou religieuses ». Les règles d’hygiène ne sont pas scrupuleusement respectées, celles de la diététique, non plus. Les recommandations du Groupe d’Étude des Marchés de Restauration Collective et de Nutrition (GEMRCN) inspirées du Programme National Nutrition Santé sont, en effet, loin d’être satisfaites, contrairement à ce que prétend, là encore, M. d’Harcourt. Peu d’études ont été réalisées sur la qualité nutritionnelle de la nourriture servie aux détenus, cependant les constats se rejoignent quels que soient les lieux ou les années de réalisation. La diététicienne chargée d’évaluer l’offre alimentaire dont bénéficient les détenus d’Angoulême est ainsi parvenue aux mêmes conclusions N°64 Février 2008

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Des besoins et prescriptions médicales non pris en compte Il n’est pratiquement jamais non plus tenu compte, dans l’élaboration des repas proposés aux détenus, de la nature de leur travail ou de leur pratique d’une activité sportive. L’âge de la personne est, en outre, rarement pris en compte. Dans certains établissements, des produits laitiers ou des fruits supplémentaires sont donnés aux personnes âgées ou aux jeunes de moins de 21 ans afin d’augmenter les apports en calcium, cependant cette attention particulière reste isolée. Dans la majorité des établissements, les détenus sont logés à la même enseigne quel que soit leur âge, voire même leur état de santé. « Chaque établissement sert les menus spécifiques correspondant aux besoins validés par les médecins » nous écrit le directeur de l’administration pénitentiaire. Pourtant, force est de constater que les personnes dont l’état de santé nécessite un régime spécial n’y ont pas toujours accès. En atteste le difficile respect des régimes alimentaires sans sel ou sans sucre mentionné dans le rapport d’inspection sanitaire de la maison d’arrêt de Saintes (Charente-Maritime) publié en octobre 2007, ou les situations auxquelles sont confrontés certains détenus. De novembre 2006 à juin 2007, une personne incarcérée à la maison d’arrêt de Fresnes (Val-de-Marne) ayant subi une ablation totale de sa dentition en raison d’un cancer du voile du palais n’a pu bénéficier de l’alimentation mixée imposée par son état de santé. Seuls lui ont été remis des compléments alimentaires prescrits par le service médical, ainsi que cinq yaourts et cinq compotes par jour. Inquiets de son amaigrissement, des personnels de surveillance ont dû prendre l’initiative de lui apporter des briques de soupe en cellule afin de limiter sa perte de poids. En décembre 2007, une personne venant de subir des extractions dentaires, incarcérée


ACTU

Les fruits et légumes servis au centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier (Isère), a été régulièrement privée d’une alimentation mixée pendant toute la durée de son séjour au quartier disciplinaire, soit plus de deux semaines. Depuis plusieurs mois, une personne incarcérée à la maison d’arrêt de Nantes (Loire-Atlantique) ayant des difficultés de déglutition en raison d’une ablation partielle de la langue et d’une sécheresse buccale consécutive d’un traitement radiothérapique ne parvient pas à obtenir l’alimentation liquide que son état de santé requiert en dépit de la mobilisation des divers personnels soignants. Il est à craindre que l’attitude du directeur de l’administration pénitentiaire, alliant dénis inconséquents et affirmations trompeuses, ne favorise guère les progrès indispensables auxquels les pouvoirs publics doivent consentir sur la question de la nourriture en prison. Le courrier de Claude d’Harcourt débutait ainsi : « Vous avez publié un article intitulé “La malbouffe carcérale”, dans lequel l’Administration Pénitentiaire, dont je suis le directeur, est nommément mise en cause. Je souhaite vous expliquer quelle est notre politique en ce domaine ». Les insuffisances de l’institution qu’il dirige seraient-elles à ce point criantes qu’elles en deviendraient inavouables autrement que sous la forme d’un lapsus ? Marie Crétenot.

à la maison d’arrêt d’Angoulême n’atteignent que 55 % des apports recommandés, les produits laitiers 25 %. (1) « La malbouffe carcérale », Dedans dehors, N° 63, juillet-août 2007, pages 24 et 25. (2) Étude sur l’offre alimentaire proposée aux personnes incarcérées à la maison d’arrêt d’Angoulême, réalisée par la diététicienne Marie-Line Huc pour le compte de la direction régionale des affaires sanitaires et sociales de Poitou-Charentes. Achevée en mars 2007, cette étude a été récompensée par le Centre de recherche et d’information nutritionnelle (CERIN). (3) HACCP : Hazard Analysis Critical Control Point, méthode et principes de gestion de la sécurité sanitaire des aliments. (4) Circulaire du 29 mai 2000 relative au plan d’amélioration des conditions de travail et d’emploi. (5) Prisons : une humiliation pour la République, Sénat, juin 2000. (6) Garde et Réinsertion, Cour des comptes, janvier 2006.

© Célia Quilleret / Radio France

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Recours contre les déclassements, transferts et rotations de sécurité : le « oui, mais » du Conseil d’État Le 14 décembre 2007, le Conseil d’État a restreint un peu plus le champ des mesures d’ordre intérieur, en considérant que les rotations de sécurité et certaines décisions de déclassement d’emploi ou de transferts étaient susceptibles d’être contestées par les détenus. Il a cependant limité la portée de cette avancée, afin de prendre en compte « les contraintes de l’administration pénitentiaire ». Après les sanctions disciplinaires et le placement à l’isolement, c’est au tour des déclassements non disciplinaires d’emploi, de certains types de transferts et des rotations de sécurité de sortir du champ des mesures d’ordre intérieur. Le 14 décembre 2007, le Conseil d’État a en effet estimé qu’elles constituaient des décisions « faisant grief » pour le détenu qui les subit et étaient donc susceptibles de recours devant le juge administratif. Ce faisant, il a rejeté l’argumentation du ministère de la Justice qui soutenait qu’ « il y a des domaines où les recours contentieux peuvent affaiblir l’autorité de l’État et menacer la paix civile » et qu’il faut « laisser l’administration pénitentiaire faire son métier ». Il a cependant posé de nombreuses limites à la portée de sa jurisprudence, afin, précise-t-il, « de parvenir à l’équilibre le plus satisfaisant possible entre l’exercice par les détenus de leurs droits et les contraintes de l’administration pénitentiaire » (AP).

Déclassement non disciplinaire d’emploi Dans une première affaire (déc. n°290420), le détenu contestait une décision du directeur d’établissement le déclassant de son emploi en cuisine, motivée par sa « mauvaise volonté à accomplir les tâches qui lui étaient dévolues [et] du climat conflictuel qu’il entretenait par ses gestes et commentaires ». Si, dans le cas présent, le Conseil d’État a estimé que la décision du directeur était fondée en raison du comportement du plaignant, il a néanmoins considéré que le juge administratif devait pouvoir la contrôler « eu égard à sa nature et à l’importance de ses effets sur la situation des détenus ». Car, a expliqué l’instance, le travail constitue pour les détenus « non seulement une source de revenus, mais encore un mode de meilleure insertion dans la vie collective de l’établissement et une possibilité de faire valoir, le cas échéant, leurs capacités de réinsertion ». Ce faisant, le N°64 Février 2008

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Conseil d’État censure une précédente décision de la Cour administrative d’appel de Nantes (CAA Nantes, 29 juin 2005, req. n°04NT01287). Il a cependant limité la portée de ce revirement, en affirmant que les demandes d’emploi ou les décisions de classement restaient en principe du domaine des mesures non susceptibles de recours, sauf si étaient « en cause des libertés et droits fondamentaux des détenus ».

Transferts La deuxième affaire (déc. n°290730) avait trait au transfert d’un détenu d’une maison centrale à une maison d’arrêt. Le Conseil d’État a considéré que la décision influait sur la situation du détenu, le régime de détention étant plus favorable en maison centrale qu’en maison d’arrêt. La décision d’affectation constitue ainsi un acte administratif faisant grief et donc susceptible de recours. Là encore, l’instance a posé une limite à cette avancée, en considérant que les changements d’affectation suite à une condamnation, les transferts d’une maison d’arrêt à un établissement pour peine ou ceux entre établissements de même nature étaient, quant à eux, des mesures d’ordre intérieur. Sous réserve, là encore, que ne soient en jeu les droits fondamentaux des intéressés. Cette appréciation est d’autant plus regrettable que la Cour administrative d’appel de Paris avait, elle, considéré, dans un arrêt Ségura du 11 avril 2006 (requête n°02PA02389), qu’il appartenait au juge de contrôler une décision de transfert d’une maison d’arrêt à une autre.

Rotations de sécurité Enfin, dans une troisième affaire (déc. n°306432), le Conseil d’État a considéré que les rotations de sécurité, parce qu’elles entraînaient un régime de détention spécifique, étaient également des décisions administratives susceptibles de recours pour excès de pouvoir. Pour autant, sur la demande en référé qui lui était présentée, l’instance a refusé de suspendre la mesure. Les juges ont en effet estimé que la condition d’urgence propre à ce type de recours n’était pas remplie, au motif que, « si la décision contestée portait atteinte aux conditions de détention de l’intéressé, elle répondait, eu égard à ses tentatives d’évasion répétées, à sa dangerosité et à sa catégorie pénale, à des exigences de sécurité publique ». La décision attaquée fera cependant l’objet d’un nouvel examen par le tribunal administratif de Paris, « au fond », afin de statuer sur sa légalité. Stéphanie Coye


de facto La CNDS saisie

de plusieurs cas de violences

L’année 2007 s’est achevée à la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) avec trois saisines sur divers manquements du personnel pénitentiaire. Deux d’entre elles concernent le centre pénitentiaire de MeauxChauconin (Seine-et-Marne). La première, un usage de la force injustifié, a eu lieu au sein du quartier centre de détention le 26 septembre dernier. C.K. subit une intervention « musclée » de surveillants qui a pour effet d’entraîner une torsion de sa cheville. Problème : la victime revenait tout juste de l’hôpital pour soigner une fracture de cette cheville et le plâtre qui l’entourait n’était pas encore sec. Trois semaines plus tard, C.K. apprend qu’il doit être réopéré pour que lui soit posée une plaque de fer dans la cheville. Entre temps, il a été placé préventivement au quartier disciplinaire puis partiellement relaxé lors de son passage devant la commission de discipline. La seconde saisine fait suite aux violences commises le 22 avril 2007 par un surveillant, des violences qui ont eu pour conséquence l’hospitalisation d’un détenu qui avait perdu connaissance. Ce jour là, de retour de promenade, le détenu demande à s’entretenir avec un gradé, sans succès. Après avoir refusé dans un premier temps, il accepte finalement de réintégrer sa cellule, mais insulte, avec ses codétenus, le surveillant. Celui-ci appelle alors des renforts, qui interviennent dans la cellule et finissent par y ramener le calme. Survient alors un autre surveillant qui jette le détenu au sol. La troisième saisine concerne des faits qui ont eu lieu le 18 octobre 2007 à la maison d’arrêt d’Osny (Val d’Oise). Un surveillant, entrant dans la cellule d’un détenu pour le conduire en promenade, constate qu’il est en train d’attacher ses lacets et lui enjoint de se presser. La situation s’envenime et le surveillant referme violemment la porte, alors que M.A. tente de retenir la porte, lui sectionnant un doigt. Malgré la gravité de la blessure et la souffrance du détenu, deux heures s’écoulent avant qu’il ne soit conduit à l’hôpital. Par la suite, des rendez-vous, pour changer le pansement ou rencontrer le chirurgien,

sont également repoussés ou annulés. C’est l’unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) qui se charge finalement des soins. Mais la blessure s’infecte, entraînant une nouvelle opération, le 15 novembre. Selon le directeur de la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales, les retards et dysfonctionnements « sont inhérents à des problèmes d’extraction, qui ne dépendent pas […] de la structure des soins, mais de l’administration pénitentiaire ». Ce dont celle-ci se défend, affirmant que tous les soins ont été administrés à temps. Et d’ajouter que l’incident ne se serait jamais produit si M.A. n’avait pas essayé de bloquer la porte avec son pied et sa main et s’il n’avait pas refusé d’obtempérer quand le surveillant lui a demandé d’arrêter de s’opposer à la fermeture de la porte. La CNDS appréciera… (OIP)

Un homme privé d’examens et reconduit à la frontière sans son dossier médical

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Le 28 décembre 2007, au lendemain de sa libération du centre pénitentiaire de Liancourt (Oise), une personne a été reconduite en Égypte sans avoir pu poursuivre les examens médicaux nécessaires à son état et sans même disposer de son dossier médical. Après qu’il ait connu des problèmes de perte de voix en novembre 2006, T.K., âgé de 60 ans, s’était vu prescrire par le médecin de la prison une consultation spécialisée en O.R.L. (oto-rhino-laryngologie). Après une première annulation, la consultation avait finalement eu lieu le 4 janvier 2007 dans des conditions traumatisantes (cf. brève précédente). Malgré ses demandes, il a dû attendre ensuite un mois pour qu’on lui transmettre quelques notes griffonnées par le spécialiste au bas de la demande de rendez-vous : la fibroscopie effectuée semblait indiquer la présence d’une tumeur au niveau des cordes vocales. Ayant refusé entre-temps un transfert à l’hôpital de Fresnes, faute de connaître le diagnostic, T.K.

a dû attendre de bénéficier d’une permission de sortir suffisamment longue, en septembre 2007, pour consulter à ses frais un médecin généraliste dans un centre médical parisien. Celui-ci lui organise un rendez-vous au service O.R.L. de l’hôpital Beaujon à Clichy (Hauts-de-Seine) pour le 15 janvier 2008, une fois qu’il aura été libéré, et demande en prévision la communication du compte-rendu de la fibroscopie réalisée en janvier. Ce compte-rendu ne lui a jamais été communiqué. La demande de T.K. pour obtenir son dossier médical avant sa libération, est également restée sans réponse. Comme le prévoit la règlementation, T.K. a signalé à la Préfecture de l’Oise qu’il entendait demander un report de son expulsion afin de terminer les examens médicaux. Conduit directement par la gendarmerie en centre de rétention à sa libération, il n’en aura pas eu le temps. (OIP)

Menottes et entraves à l’hôpital : la CNDS condamne, le Conseil d’État s’y refuse

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La Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) a rendu le 26 novembre 2007 deux avis très sévères sur l’application du texte de l’administration pénitentiaire régissant les mesures de sécurité lors d’extractions à l’hôpital. Une circulaire du 18 novembre 2004 que le Conseil d’État s’était refusé à annuler un mois et demi auparavant. Celle-ci prévoit trois « niveaux de surveillance » selon la « dangerosité » du détenu, dont les niveaux 2 et 3 permettent non seulement le maintien des menottes et des entraves, mais aussi la présence des surveillants, pendant l’examen et l’entretien médical. Or, l’administration pénitentiaire fait un usage notoirement excessif de ces niveaux, voire les applique de façon quasiment systématique, comme le montre la CNDS. Son premier avis concerne deux détenus incarcérés à la prison de Liancourt (Oise). L’un d’eux, un homme âgé de 83 ans et atteint d’une maladie grave, porte un bras en écharpe N°64 Février 2008

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suite à une chute. Lors d’une extraction le 20 juillet 2006, le vieil homme a été menotté pour traverser les urgences et deux surveillants ont assisté à son examen médical. L’autre détenu concerné a, pour sa part, été menotté et entravé dans le fourgon le conduisant à l’hôpital le 4 janvier 2007 au motif qu’il faisait l’objet d’un arrêté d’expulsion et qu’il y avait donc un risque d’évasion. L’homme avait pourtant déjà bénéficié de plusieurs permissions de sortir, dont la dernière quelques jours auparavant. À l’hôpital, il a été désentravé mais est resté menotté. Lors de son audition par la CNDS, il explique s’être senti « très humilié », d’autant que de nombreuses personnes étaient présentes et qu’il a dû attendre 25 minutes sur un banc. Qui plus est, la consultation s’est déroulée en présence de trois surveillants. Dans son second avis, la CNDS s’est préoccupée d’un détenu de Fresnes qui avait refusé le port d’entraves durant le trajet vers l’hôpital, ce qui avait eu pour effet l’annulation pure et simple de l’extraction. L’homme, qui présentait une surcharge pondérale associée à une apnée du sommeil, des problèmes cardiaques et une maladie coronarienne, éprouvait pourtant des difficultés à se déplacer, au point qu’il bénéficiait des douches et cours de promenade accessibles aux handicapés. Pour le médecin de la prison, interrogé par la CNDS, « il était clair que ce détenu ne devait pas porter d’entraves ». Les surveillants n’ont cependant rien voulu entendre aux objections de l’intéressé. L’hôpital en question était l’hôpital pénitentiaire de Fresnes, distant de 150 mètres de la maison d’arrêt. La Commission n’est pas la première à critiquer la circulaire du 18 novembre 2004. De nombreuses instances comme le Comité européen de prévention de la torture, le Commissaire européen aux droits de l’homme, la Commission nationale consultative des droits de l’homme ou encore le Comité consultatif national d’éthique, l’ont fait avant elle. Loin de remettre en cause un texte qu’il juge « proportionné », le Conseil d’État préfère avancer comme argument qu’ « il ne saurait être reproché à la circulaire une application incorrecte par ses destinataires ». Ce faisant, il contribue pourtant à imposer aux détenus une épreuve physique et humiliante, constitutive d’un traitement inhumain et dégradant. (OIP, AFP)

Les personnels pénitentiaires en rogne

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Rarement la grogne des personnels pénitentiaires a connu une telle ampleur, dans tous les N°64 Février 2008

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corps de métiers. Le 8 novembre 2007, les surveillants de prison sont en effet descendus dans la rue, à l’appel de deux syndicats de surveillants, l’Union fédérale autonome pénitentiaire (UFAP) et la CGT. En cause : les « conditions de travail qui se dégradent au quotidien », le « manque de reconnaissance » de leur profession, le « sous-effectif flagrant en personnels », la « surpopulation pénale croissante », une « insalubrité et un manque d’hygiène honteux et scandaleux », etc. En uniforme, 2000 à 2 500 surveillants se sont rassemblés devant le siège de la direction de l’administration pénitentiaire, pour défiler ensuite jusqu’au ministère de la Justice, à grand renfort de coups de sifflet, pétards et fumigènes. Selon Jean-François Forget, le secrétaire général de l’UFAP, le nombre de manifestants représentaient « la moitié des personnes en repos » ce jour-là. Le droit de grève et de manifester étant interdit par leur statut, les protestataires étaient en effet obligés de prendre un jour de congé pour venir manifester. Quelques jours plus tard, dans un communiqué daté du 15 novembre, la CGT a également appelé à la tenue d’assemblée générale dans les services pénitentiaires d’insertion et de probation le 13 décembre, au cours desquelles ont été listées un certain nombre de revendications et d’inquiétudes face aux « échéances cruciales » qui se profilent en cette fin d’année, et notamment « la refonte des missions des SPIP et la réforme statutaire de la filière ». Enfin, dernier secteur touché : le personnel éducatif des établissements pénitentiaires pour mineurs qui ont ouvert en 2007. Là encore, des grèves ont eu lieu dans chacun des établissements à leur ouverture à l’appel de la CGT-PJJ, qui conteste notamment le statut indemnitaire des personnels éducatifs et leurs conditions de travail, et craint une réduction de leurs missions « à de l’occupationnel et à de la gestion collective ». (OIP, AFP, Libération, L’Humanité)

Utilisation abusive de l’UHSI de Lyon pour maintenir un tétraplégique en prison

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Du 23 octobre au 31 décembre 2007, N.G. a été incarcéré au sein de l’unité hospitalière sécurisée interrégionale (UHSI) de Lyon alors que, tétraplégique, il présentait un état de santé incompatible avec un maintien en détention, comme l’ont indiqué plusieurs médecins. L’UHSI n’a pourtant pas vocation à accueillir les personnes se trouvant dans cette situation : le garde des Sceaux soulignait, le 16

février 2004 lors de l’inauguration de la première unité de ce type à Nancy, qu’« une UHSI est une structure hospitalière à part entière, [qui] a une compétence médico-chirurgicale [et] vise à accueillir des détenus dont l’état de santé justifie une hospitalisation ». Or, selon un médecin de l’UHSI de Lyon, l’état de santé de N.G. ne nécessitait « en aucune manière une hospitalisation », celle-ci pouvant même s’avérer « délétère » de par l’immobilisation imposée au patient. Et en effet, l’établissement ne disposant pas de cour de promenade, N.G. y a passé ses journées enfermé dans sa chambre, à l’exception des temps de parloir. De plus, aucun personnel spécialisé n’étant affecté à l’unité pour assister N.G. dans les tâches quotidiennes qu’il ne pouvait assurer seul, c’est le personnel soignant qui devait s’efforcer de le prendre en charge. Dans un courrier daté du 10 décembre 2007, faisant suite au communiqué de l’OIP du 26 novembre 2007 sur le cas de N.G., la direction interrégionale des services pénitentiaires se borne à rappeler « que l’une des missions du service public pénitentiaire [...] est de participer à l’exécution des décisions et sentences pénales ». Depuis, N.G. a bénéficié d’une suspension de peine, le 31 décembre. Mais ce courrier illustre à quel point l’administration pénitentiaire, pas plus que les autorités sanitaires et les magistrats qui ont pris la décision d’incarcération de N.G. - alors qu’ils auraient pu demander une suspension de peine ab initio -, n’ont pris la mesure du traitement inhumain et dégradant qu’elle engendrerait. Dans un arrêt Farbuths du 4 décembre 2004, la Cour européenne des droits de l’homme a pourtant conclu à la violation de la Convention dans le cas d’un homme maintenu en prison alors qu’il était « paraplégique et invalide à tel point qu’il ne pouvait pas accomplir la plupart des actes élémentaires de la vie quotidienne sans l’assistance d’autrui », quand bien même les autorités avaient fait des « efforts considérables pour alléger son séjour en milieu carcéral ». En l’absence d’une définition claire de la part des pouvoirs publics du contour des missions de l’UHSI, ce type de situation risque fort de se reproduire de nouveau. D’ailleurs, une personne paraplégique avait déjà dû être accueillie à l’UHSI de Lyon à partir du mois de janvier 2007, malgré plusieurs certificats médicaux d’incompatibilité avec le maintien en détention. Il avait fallu attendre le mois de décembre pour qu’elle soit libérée. (OIP, 20 minutes, Le Progrès, Lyon capitale)

de facto


dossier

Loi sur la rétention de sûreté et l’irresponsabilité pénale

Une rupture de civilisation Le Parlement vient d’accepter la création de centres socio-médicojudiciaires de sûreté. Demain, si le Conseil Constitutionnel entérine l’existence de ces nouveaux lieux d’enfermement, les auteurs de crimes graves y seront retenus à leur sortie de prison pour une durée potentiellement infinie. Non pas en vertu d’un jugement sanctionnant une nouvelle infraction, mais parce que considérés comme éternellement « dangereux ». Le secret médical sera battu en brèche et le dispositif de soins en prison réorienté vers la prédiction des risques. Enfin, les personnes souffrant de troubles mentaux comparaîtront devant des juridictions pénales, qui pourront leur imposer hospitalisation d’office et mesures de sûreté. C’est ainsi que notre pays s’apprête à rompre avec les principes affirmés dans la déclaration de 1789 et à renoncer aux valeurs qui fondent sa tradition humaniste.

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dossier Que notre société accepte que Après la loi sur les peines planchers votée l’été dernier qui mettait à mal le principe d’individualisation de la peine, le Parlement vient d’adopter, une fois encore en urgence, un texte qui foule aux pieds les principes fondamentaux de notre droit et, au-delà, les valeurs qui fondent notre tradition humaniste. Une loi fourretout, où coexistent l’enfermement après leur peine et pour une durée potentiellement infinie d’auteurs de crimes graves, au seul titre qu’ils auront été estimés dangereux ; un volet sur le secret médical qui, outre qu’il le bat en brèche, réoriente tout le dispositif de soins en prison vers la prédiction des risques ; et une réforme de l’irresponsabilité pénale permettant aux juridictions de faire non seulement comparaître des personnes souffrant de troubles mentaux, mais aussi de les hospitaliser d’office et de leur imposer des mesures de sûreté.

Rupture Notre système juridique repose sur quelques principes séculaires simples : « Nul ne peut être arbitrairement détenu » ; « Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre » ; « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires » ; « Nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Ces principes sont inscrits dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dans la Constitution française et dans le Code de procédure pénale. Ils sont le fruit de deux siècles de réflexions et d’avancées en matière pénale, dont la dernière étape fut l’abolition de la peine capitale. Celle-ci n’a pas seulement permis l’abandon d’un châtiment barbare, elle a eu le bienfait inestimable de ne plus déposséder un seul condamné, même coupable des actes les plus insoutenables, de l’espoir de recouvrer un jour la liberté après avoir « payé sa dette ». En quelques mois, ces principes viennent d’être réduits à néant. Car, comme le souligne l’avocat Thierry Lévy1, « enfermer les criminels sexuels […] après l’expiration de leur peine, juger les fous, ce n’est pas punir un individu libre et responsable avec l’espoir de le ramener dans la communauté humaine, c’est tenter de prévenir un danger ou un risque sans considérer la réalité de la faute et l’intention de la commettre. Cela revient à voir dans chaque personne une menace, la cause potentielle d’un dommage, et à la traiter comme une chose ou un animal. » En ce sens, parce qu’elle implique un renoncement à assumer collectivement la responsabilité de ce risque et qu’elle confie au système médical la charge d’assurer matériellement la mise à l’écart de certains individus, la loi entraîne une profonde mutation de notre organisation sociale.

Régression de la sûreté et de la liberté L’application du principe de précaution à la liberté individuelle vient en effet altérer gravement la relation entre l’individu et le groupe social telle qu’elle est conçue dans notre philosophie politique. La balance entre les nécessités de l’ordre public et la sauvegarde des libertés personnelles constitue le paradigme de N°64 Février 2008

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des décisions de justice puissent être intrinsèquement entachées d’arbitraire témoigne d’une régression fondamentale dans la valeur qu’elle accorde à la liberté. notre organisation républicaine. Or, la création des centres de rétention de sûreté implique clairement que l’on renonce à appliquer ce principe d’équilibre à une partie de nos concitoyens, dans la perspective illusoire d’assurer au plus grand nombre une protection maximale. C’est ainsi que Rachida Dati a défendu le projet de loi à l’Assemblée nationale, en affirmant : « La rétention de sûreté, c’est la sûreté de tous au prix de la liberté de quelques-uns ». C’est oublier que, comme l’ont rappelé récemment 2 deux magistrats , « la sûreté n’est nullement le droit d’être protégé par l’État contre les agressions des particuliers ». C’est à l’inverse « une garantie des individus contre l’arbitraire du pouvoir et de ses agents », « c’est le droit de ne pas être inquiété par les agents publics pour des actes qui n’auraient pas été préalablement prohibés par la loi, c’est la certitude de ne pouvoir être jugé que conformément aux règles de procédures pénales en vigueur et de n’encourir que des peines prescrites par la loi ». Un droit considéré depuis 1789 comme « naturel et imprescriptible ». Comme l’est également la liberté. En privant de cette dernière certains de ses membres, non plus à raison d’un fait établi mais en vertu uniquement de l’éventualité d’un acte, notre société en vient à accepter d’exposer ceux-ci à l’arbitraire d’un pronostic, tant il est vrai qu’aucune prédiction, même médicale, ne peut jamais fonder une certitude. Que notre pays accepte que des décisions de justice puissent être intrinsèquement entachées d’arbitraire témoigne d’une régression fondamentale dans la valeur qu’il accorde à la liberté. Juristes, psychiatres, défenseurs des droits de l’homme se sont exprimés contre un tel égarement. Loin de les entendre, le gouvernement n’a eu de cesse d’invoquer les attentes des victimes et, plus largement, « des Français dans leur ensemble ». Il revient désormais au seul Conseil constitutionnel la lourde charge de valider, ou non, la nouvelle « politique de civilisation » qui nous est proposée. Une responsabilité historique. Stéphanie Coye et Hugues de Suremain (1) « Loi pénale : l’escalade de Sarkozy », Le Monde, 29 août 2007. (2) Gilles Sainati et Ulrich Schalchli, La décadence sécuritaire, La Fabrique, 2007.


Rétention de sûreté et irresponsabilité pénale

Relégation perpétuelle Le Parlement a voté en urgence une loi qui consacre la création de nouveaux lieux d’enfermement appelés à accueillir certains détenus en fin de peine. Ces centres de rétention de sûreté, loin de pouvoir s’inscrire dans une logique de soins, porte en germe le risque d’une relégation perpétuelle. Comme en témoigne l’application de ce type de mesures en Allemagne et aux Pays-Bas. Le Parlement a voté le projet de loi visant à la création de centres socio-médico-judiciaires de sûreté. Désormais, à moins que le texte adopté soit invalidé par le Conseil Constitutionnel, certains auteurs de crimes graves pourront être soumis à une surveillance de sûreté, pouvant aller jusqu’au placement dans un de ces nouveaux lieux d’enfermement. Et ce, jusqu’à leur mort. Non parce qu’ils ont commis une nouvelle infraction, mais en raison du risque d’une éventuelle récidive. Cette réforme ne figurait pas dans le programme du candidat Nicolas Sarkozy. Mais l’idée était dans l’air du temps depuis quelques années, formulée pour la première fois par la Commission Santé-Justice présidée par le magistrat Jean-François Burgelin. Face au tollé provoqué par une telle proposition, tant au sein du monde médical que du milieu judiciaire ou des associations de défense des droits de l’homme, cette funeste perspective avait été abandonnée par le précédent gouvernement. Elle a cependant resurgi à la faveur de plusieurs faits divers. Un texte « de circonstance » donc, comme l’a admis le rapporteur du projet de loi à l’Assemblée nationale, Georges Fenech, « une loi pour les disparues de l’Yonne, pour Delphine, pour Céline, pour toutes les victimes de Fourniret, de Bodein et de bien d’autres – et nous l’assumons pleinement ! ». Cette fois encore, juristes, psychiatres, défenseurs des droits de l’homme ont manifesté leurs inquiétudes. Parmi beaucoup d’autres, l’OIP a interpellé les parlementaires, saisi le Comité national d’éthique, lancé un appel aux plus hautes autorités morales, scientifiques, juridiques, religieuses et politiques. Rien n’y a fait. L’ouverture du premier centre de rétention a même déjà été annoncée pour septembre 2008, le gouvernement, soutenu par une majorité de parlementaires, ayant décidé que la loi s’appliquerait aux personnes condamnées avant sa promulgation.

Rétroactivité Pour la ministre de la Justice, Rachida Dati, le principe de nonrétroactivité n’est pas transgressé, car « la rétention est une mesure de sûreté » et non « pas une peine ». Elle en a pourtant tous les aspects. La personne retenue sera enfermée dans un établissement sous surveillance pénitentiaire et bénéficiera, précisait l’exposé des motifs du projet de loi, « de droits similaires à ceux des détenus ». Conscient de l’aveu implicite d’une telle rédaction, Georges Fenech a fait adopter un amendement précisant que les droits des personnes retenues ne pourront subir « que les restrictions strictement nécessaires aux exigences de l’ordre public ». Comme seul argument pour arguer de la constitutionnalité du texte, le gouvernement répète à l’envie que le Conseil constitutionnel considère le placement sous surveillance électronique mobile (PSEM) comme une mesure de sûreté, C’est oublier que celui-ci ne peut être prononcé que pour un temps limité, soit comme peine complémentaire (dans le cadre du suivi socio-judiciaire), soit dans le cadre de l’exécution de la peine (en sus d’une libération conditionnelle). La volonté de l’imposer pendant une période beaucoup plus longue était bien là, mais n’avait pu se concrétiser. Car, comme le constatait alors le même Georges Fenech, chargé d’une mission sur le sujet1, « force est de constater que le PSEM constitue une mesure fortement restrictive de la liberté d’aller et venir [et] présente le caractère d’une peine, non seulement au regard des principes du droit français mais également au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. » De ce fait, expliquaitil, il n’apparaissait « comme une mesure acceptable dans l’ordre juridique français » que s’il était « prononcé à titre de peine N°64 Février 2008

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dossier ou s’il s’inscrit dans le cadre de l’exécution d’une peine ». Ces considérations n’ont plus cours aujourd’hui.

L’impossible prédiction Pour rassurer, le gouvernement met en avant les « importantes garanties » qui entoureront la mesure. Mais cette décision, parce qu’elle est dépourvue de toute justification « punitive », reposera essentiellement sur les conclusions projectives d’une expertise. Quel poids pèseront le respect du débat contradictoire, l’intervention de l’avocat, la collégialité de la formation de jugement et l’aménagement de voies de recours, en regard des convictions nées de la lecture d’un rapport médical concluant à la dangerosité ? Comment la personne pourra-t-elle se défendre face au primat absolu accordé à la technique expertale ? Comment faire valoir la relativité du risque, en face de prédictions qui, par nature, sont impossibles à infirmer ou à vérifier ? La grande majorité des psychiatres s’accorde pour constater l’absence d’éléments scientifiquement probants qui permettent d’évaluer la dangerosité. Dans son rapport sur l’expertise pénale, rendu public en juillet 20072, la une commission n’écrivait-elle pas qu’ « aucune certitude n’est acquise quant au lien “expertise de dangerosité - prévention de la récidive” », recommandant aux psychiatres de faire preuve d’une « grande prudence dans la réalisation de l’expertise de pré-libération » ? Un an plus tôt, dans un rapport sur la prise en charge de la psychopathie3, la Haute autorité de santé (HAS) n’expliquait-elle pas également qu’il est « impossible de prédire la survenue d’un acte de violence ou de délinquance pour une personne précise. […] Les instruments actuariels comme l’expérience clinique permettent seulement de définir un risque dont la marge d’erreur est inconnue. » La Commission Santé-Justice avait pour sa part fait référence à des « études internationales sur la récidive des criminels atteints de troubles mentaux et des auteurs d’agression à caractère sexuel [faisant] apparaître une forte proportion d’individus dont la dangerosité a été surestimée ou sous-estimée », les premiers – considérés comme dangereux à tort – « étant de l’ordre de 60 à 85 % ». En d’autres termes, la prédiction tend à considérer les personnes comme plus « dangereuses » qu’elles ne sont, tant le fait de dire qu’une personne ne présente « aucun risque » est un pronostic très… risqué.

une logique inflationniste En s’appuyant sur l’arbitraire de la prédiction des risques, la logique de sûreté ne peut être qu’être entrainée dans une spirale inflationniste. L’exemple des pays étrangers, pourtant mis en avant pas les partisans de la loi, nous le montre. En Allemagne, le nombre de personnes faisant l’objet d’une mesure de détention-sûreté a doublé entre dix ans, pour atteindre 375 internés en 2006 (cf. pages 24 et 25). Aux Pays-Bas, l’évolution est encore plus inquiétante. Comme l’ont constaté deux sénateurs4, la mesure concerne « 1 400 personnes parmi lesquelles une soixantaine, actuellement accueillies dans un service de longue durée, ne devraient vraisemblablement plus jamais être libérées ». Le nombre de placements tend aujourd’hui « à croître de 150 par an » et pourrait s’élever à 2 500 personnes placées N°64 Février 2008

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en 2010, « si les tendances actuelles se prolongent ». Et les Pays-Bas ne comptent que 16 millions d’habitants. Rapporté à la population française, cet effectif représenterait alors dans notre pays près de 10 000 personnes. Rachida Dati n’a pourtant eu de cesse de répéter que seul un très petit nombre de personnes sera concerné Et d’avancer, à l’ouverture des débats, le chiffre, évalué on ne sait comment, d’« une dizaine à une vingtaine de condamnés ». Mais depuis, au fil des débats parlementaires, ce chiffre s’est considérablement accru. Car le champ d’application de la loi a été étendu. Au départ, cette mesure ne visait que les seules personnes « condamnées à une peine d’au moins quinze ans de réclusion, pour meurtre, assassinat, actes de torture ou de barbarie ou viol, commis sur un mineur de quinze ans ». La Commission des lois de l’Assemblée nationale a cependant décidé de supprimer la mention de l’âge pour l’appliquer à tous les crimes sur mineurs. Puis, en séance, les députés l’ont finalement étendu aux majeurs. Doit-on s’en étonner ? Depuis dix ans, les lois n’ont cessé d’ajouter des peines aux peines, et, une fois celles-ci purgées, des mesures de sûreté : du suivi socio-judiciaire à la surveillance judiciaire, en passant par le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes. Elles n’ont cessé parallèlement d’élargir les possibilités de prononcer ces mesures à de nouvelles catégories d’infractions. C’est ainsi que le suivi socio-judiciaire créé en 1998 pour accompagner les délinquants sexuels à leur sortie de prison n’a cessé de s’étendre, jusqu’à pouvoir être prononcé aujourd’hui pour une simple dégradation d’un bien.

Ci-gît l’objectif de réinsertion Selon l’exposé des motifs du projet de loi, ces diverses mesures sont « à l’évidence insuffisantes lorsqu’il s’agit de personnes particulièrement dangereuses dont le risque de récidive est extrêmement élevé, mais qui ne peuvent plus être retenues à la fin de la peine. » Insuffisantes ? Les équipes psychiatriques des services médico-psychologiques régionaux sont débordées et manquent des personnels et de l’équipement minimum pour mettre en place les prises en charge requises. Les juges de l’application des peines et les conseillers d’insertion et de probation sont en nombre dérisoire, les tribunaux souffrent d’une dramatique pénurie de moyens. Le manque d’experts psychiatres et de coordonnateurs, et plus généralement l’absence depuis des années de pilotage réel par les administrations concernées font que ces mesures sont largement sous-utilisées. Comme le souligne la présidente de l’Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire, Catherine Paulet, « si l’inquiétude porte sur le risque de récidive, ce n’est pas la relégation qui doit être privilégiée mais le renforcement de l’accompagnement à la libération »5. Faisant référence au fait divers à l’origine du projet de loi, l’ « affaire Evrard », l’ancien garde des Sceaux Robert Badinter s’interrogeait dans Le Monde du 27 novembre 2007 : « Pourquoi, dans ce cas, l’arsenal des dispositions inscrites dans les lois existantes n’a-t-il pas fonctionné ? Pourquoi les mesures de surveillance judiciaires ont-elles été inopérantes ? A-t-il fait l’objet d’un traitement psychiatrique en détention ? A-t-on mobilisé juges de l’application des peines, psychiatres, agents d’insertion et de probation à sa sortie ? ». Ces questions pertinentes sont


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restées sans réponse. Alors même que les centres de rétention de sûreté vont porter une atteinte décisive à toutes les tentatives de suivi des personnes en prison et à l’issue de leur libération. Un travail de recherche canadien portant sur les mesures d’enfermement après la peine a fait valoir que ce type de mesures pouvait être de nature à « accroître le risque auquel le public est exposé »6. D’une part, parce qu’elles suscitent le désintérêt des condamnés pour les « programmes de traitement ou de prévention de la récidive » qui leur sont proposés, sachant que la date de la fin de la peine est inconnue. D’autre part, parce qu’elles conduisent certains condamnés à refuser un suivi psychiatrique ou psychologique de peur que leurs propos puissent être retenus contre eux au moment de l’évaluation de leur dangerosité. La position semble de surcroît impossible à justifier au regard des conditions dans lesquelles ces centres seront immanquablement appelés à fonctionner. En effet, l’objectif purement sécuritaire de la mesure, le partage de responsabilités entre hôpital et justice, l’impossibilité concrète d’assurer le respect du secret médical et la disqualification sociale frappant les intéressés excluront toute relation thérapeutique entre ceux-ci et l’équipe médicale. Si bien que ces établissements ne seront jamais des lieux de soins effectifs. L’exemple de l’Allemagne est tout à fait significatif de ce que la logique soignante est en réalité étrangère à ces dispositifs. Cette situation de fait ouvre d’autres perspectives inquiétantes. En l’absence de toute perspective réelle de sortie, pour certains détenus, de ces centres, la rétention de sûreté risque de créer son propre système de différenciation interne, pour écarter les personnes définitivement reléguées. L’expérience hollandaise

donne une idée précise de cette dérive inhérente à la logique mise en œuvre. Comme l’explique le ministère de la Justice de ce pays sur son site7, « si le détenu reste dangereux en dépit du traitement, il ne peut revenir dans la société et il est placé dans une unité de long séjour. Sa maladie ou ses troubles psychiatriques ne sont alors plus traités de manière intensive, mais il fait l’objet d’une surveillance et reçoit les soins médicaux et psychiatriques requis. Comme le but de son séjour n’est plus la réinsertion, il ne peut sortir accompagné que d’une manière occasionnelle pour des motifs humanitaires ». Cette relégation à vie à l’intérieur même de la rétention est-elle le triste avenir auquel se condamne la France ? Stéphanie Coye et Hugues de Suremain

(1) Georges Fenech, Le placement sous surveillance électronique mobile, juillet 2004. (2) Expertise psychiatrique pénale. Rapport de la commission d’audition, Fédération française de psychiatrie, mai 2007. (3) Haute autorité de Santé, Prise en charge de la psychopathie, Rapport d’orientation, mai 2006. (4) Les délinquants dangereux atteints de troubles psychiatriques, Rapport d’information de Philippe Goujon et Charles Gautier, 22 juin 2006. (5) Réaction de l’Association des Secteurs de Psychiatrie en Milieu Pénitentiaire, 11 septembre 2007. (6) Michael Petrunik, Les modèles de dangerosité : analyse des lois et pratiques relatives aux délinquants dangereux dans divers pays, Université d’Ottawa, 1994. (7) http://www.dji.nl/hipe/uploads/070831092829/TBS-aug2007-Frans. pdf

« la réinsertion est une valeur à protéger, non à miner » rappelle le Commissaire aux droits de l’homme Le 12 novembre 2007, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a exprimé sa vive inquiétude face à ces « nouvelles lois adoptées au nom de ce qu’on appelle la sécurité publique », qui font que « des délinquants qui n’ont jamais été condamnés à la prison à vie » se voient « refuser […] la libération définitive une fois leur peine entièrement purgée, pour peu que des experts les aient catalogués comme dangereux ». Pour Thomas Hammarberg, un parallèle peut être fait entre les « détenus ayant pour perspective une détention indéfiniment prolongée » et les personnes se trouvant dans les couloirs de la mort, qui vivent une « situation d’“angoisse croissante” condamnée par la Cour européenne ». Plus largement, c’est la tendance générale en Europe « à infliger la réclusion à perpétuité à un nombre croissant de condamnés » qui inquiète le Commissaire. Parce que ces peines « nient le principe humain selon lequel un individu peut changer ». Rappelant que « la réinsertion est une valeur à protéger, non à miner », Thomas Hammarberg juge « hors de propos » les condamnations judiciaires « reposant sur l’idée que quelqu’un représente une menace permanente pour la société ». D’autant qu’elles sont exécutées dans des « conditions très rudes », beaucoup de condamnés à perpétuité étant maintenus « sous un régime spécial », traités « comme particulièrement dangereux » et coupés « non seulement du monde extérieur, mais aussi – dans de nombreux cas – des autres détenus ». Pour le Commissaire aux droits de l’homme, « la réclusion à perpétuité sans possibilité de libération […], surtout lorsque s’y ajoutent des conditions de “sécurité maximum”, […] peut équivaloir à un châtiment inhumain ou dégradant, violant ainsi l’article 3 de la Convention européenne des Droits de l’Homme ». Rappelant que tous les pays ne la prévoient pas, tels que la Norvège, le Portugal, l’Espagne ou la Slovénie, le Commissaire en appelle à un « réexamen critique » de l’usage des peines de réclusion à perpétuité, en se demandant : « Sont-elles nécessaires ? Sont-elles humaines ? Sont-elles compatibles avec les normes admises en matière de droits de l’homme ? »

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dossier

Vade-mecum

La loi relative à la rétention de sûreté a créé deux nouvelles mesures de contrôle après la peine, la « rétention de sûreté » et la « surveillance de sûreté ». À l’image de nos Guide du prisonnier et Guide du sortant de prison, à savoir sous forme de questions-réponses, nous vous présentons ces dispositions, et notamment celles qui vont s’appliquer dès la publication de la loi, sous réserve qu’elle soit validée par le Conseil constitutionnel.

Qu’est-ce qu’une « rétention de sûreté » ? La rétention de sûreté consiste à placer dans un « centre socio médico judiciaire de sûreté », une fois la peine purgée, une personne considérée comme particulièrement dangereuse en raison d’une probabilité de récidive estimée très élevée. Ce placement, d’une durée d’un an, peut être indéfiniment renouvelé. Placés sous la double tutelle des ministères de la Justice et de la Santé, les centres socio-médico-judiciaires sont censés proposer, « de façon permanente, une prise en charge médicale, sociale et psychologique », destinée à permettre la fin de la mesure. Le gouvernement a annoncé qu’un premier centre serait ouvert dès le 1er septembre 2008, à titre expérimental, au sein de l’établissement public de santé national de Fresnes (Val-de-Marne). Quelles personnes peuvent faire l’objet d’une rétention de sûreté ? Sont concernées les personnes condamnées à une peine de réclusion criminelle d’une durée égale ou supérieure à quinze ans pour des crimes d’assassinat ou de meurtre aggravé, de torture ou actes de barbarie aggravés, de viol aggravé, d’enlèvement ou de séquestration aggravés (la qualification « aggravé » n’est pas nécessaire si les victimes sont des mineurs). Pour qu’une rétention de sûreté puisse être mise en œuvre, la Cour d’assises doit avoir expressément prévu, dans sa décision de condamnation, que la personne pourra faire l’objet à la fin de sa peine d’un réexamen de sa situation en vue d’une éventuelle rétention de sûreté. Un placement peut cependant aussi être décidé à l’encontre de personnes sous surveillance de sûreté (cf. ci-contre) qui ne respecteraient pas les obligations de la mesure, et ce même si cela n’a pas été prévu par la juridiction de jugement. Une disposition a également été introduite permettant de placer en rétention des personnes condamnées avant le vote de la loi (cf. encadré). Sur quels critères une personne peut-elle être placée en rétention de sûreté ? Pour être placée en rétention, une personne doit présenter « une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu’elle souffre d’un trouble grave de la personnalité ». Pour en juger, cette personne fait l’objet, au moins un an avant la fin prévue de sa peine et sur décision de N°64 Février 2008

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la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, d’une « évaluation pluridisciplinaire de dangerosité » pendant au moins six semaines, dans un service spécialisé chargé de l’observation des personnes détenues. Cette évaluation s’accompagne d’une expertise médicale réalisée par deux experts. En outre, pour que le placement soit possible, il est nécessaire que les obligations résultant des autres mesures de sûreté (suivi socio-judiciaire, surveillance judiciaire, etc.), apparaissent comme « insuffisantes » ; la rétention devant donc constituer « l’unique moyen de prévenir la commission, dont la probabilité est très élevée, de ces infractions ». Comment est prise la décision ? Si la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté estime que les conditions de placement en rétention sont remplies, elle demande au procureur de saisir la « juridiction régionale de la rétention de sûreté ». C’est cette nouvelle juridiction, composée d’un président de chambre et de deux conseillers de la Cour d’appel, qui décide de prononcer ou non la mesure, après un débat contradictoire. La personne est obligatoirement assistée par un avocat et peut demander une contre-expertise. La décision de placement en rétention peut faire l’objet d’un recours devant la « juridiction nationale de la rétention de sûreté », composée de trois conseillers à la Cour de cassation. Elle statue par une décision motivée qui n’est pas susceptible de recours, à l’exception d’un pourvoi en cassation. Quand et comment peut-il être mis fin à la mesure ? Dès que les conditions ne sont plus remplies, la juridiction régionale de la rétention de sûreté doit ordonner la fin de la mesure. La personne retenue peut également lui demander de mettre fin à la mesure, après un délai de trois mois à compter de la décision définitive. La juridiction dispose alors de trois mois, à compter de la réception de la demande, pour statuer. Si elle ne le fait pas, la personne est libérée. Si elle rejette la demande, la décision peut faire l’objet d’un recours dans les mêmes conditions que celle prévue pour le placement initial. Aucune nouvelle demande ne peut cependant être déposée avant l’expiration d’un délai de trois mois. Lorsqu’il est mis fin à la rétention, la personne peut encore faire l’objet d’une autre mesure de sûreté, et notamment d’une « surveillance de sûreté ».


Rétention de sûreté et irresponsabilité pénale Qu’est-ce qu’une « surveillance de sûreté » ? La surveillance de sûreté est une nouvelle mesure introduite par la présente loi. Jusqu’à présent, une personne peut faire l’objet à sa sortie de prison d’un suivi socio-judiciaire (depuis 1998) ou d’une surveillance judiciaire (depuis 2005) lui imposant certaines obligations, et notamment une injonction de soins ou un placement sous surveillance électronique mobile. Ces mesures sont cependant limitées dans le temps. Pour pouvoir maintenir plus longtemps le contrôle sur la personne, les parlementaires ont créé la « surveillance de sûreté », afin de prolonger l’effet des mesures existantes quand elles sont arrivées à leur terme. Identique à la surveillance judiciaire, elle comprend les mêmes obligations. La seule différence, de taille, est que la mesure, prononcée pour un an, peut être prolongée à l’infini. Quelles personnes peuvent faire l’objet d’une surveillance de sûreté ? La surveillance de sûreté peut être prononcée dans trois cas : à l’issue d’une rétention de sûreté (si la personne présente toujours un risque de commettre un des crimes qui lui ont valu le placement en rétention), en prolongation d’un placement sous surveillance judiciaire ou en prolongation d’un suivi socio-judiciaire. Elle n’est possible qu’à l’égard des auteurs des mêmes infractions que celles prévues pour la rétention, à savoir les crimes d’assassinat ou de meurtre, de torture ou actes de barbarie, de viol, d’enlèvement ou de séquestration (la qualification « aggravé » n’est pas nécessaire si les victimes sont des mineurs). Une expertise médicale doit constater la dangerosité de la personne. En outre, les obligations résultant d’une inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles et violentes (FIJAIS) doivent apparaître « insuffisantes » et la surveillance de sûreté doit constituer « l’unique moyen de prévenir la commission, dont la probabilité est très élevée », d’un des crimes qui lui ont valu le placement sous surveillance de sûreté. Comment est prononcée la surveillance de sûreté ? Comme pour la rétention de sûreté, la décision est prise par la juridiction régionale, dans les mêmes conditions. Quand la surveillance de sûreté vient prolonger une rétention, les deux décisions sont prises en même temps. Quand la surveillance de sûreté vient prolonger une surveillance judiciaire ou un suivi socio-judiciaire, le juge de l’application des peines ou le procureur de la République peuvent, six mois avant la fin de la mesure, saisir la juridiction régionale. La décision peut faire l’objet de recours dans les mêmes conditions que celles concernant la rétention de sûreté. Que se passe-t-il si la personne ne respecte pas les obligations de la surveillance de sûreté ? Une personne qui ne respecte pas les obligations de la surveillance de sûreté et « présente à nouveau une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée » de récidive peut être placée en rétention de sûreté. La décision peut alors être prise en urgence par le président de la juridiction régionale. Le placement doit ensuite être confirmé dans un délai maximal de trois mois par la juridiction régionale, après avis favorable de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté. À défaut, la personne est libérée.

Les dispositions applicables aux personnes condamnées avant la loi Une « assignation à domicile sous surveillance électronique mobile » peut être prononcée à l’encontre de personnes déjà condamnées (sous réserve de la validation de la présente loi par le Conseil constitutionnel). Sont concernées celles qui, à la date du 1er septembre 2008, purgent une peine de réclusion criminelle d’une durée égale ou supérieure à quinze ans à la suite soit de plusieurs condamnations (dont la dernière à une telle peine) soit d’une condamnation unique mais pour plusieurs des crimes d’assassinat ou de meurtre aggravé, de torture ou actes de barbarie aggravés, de viol aggravé, d’enlèvement ou de séquestration aggravés (la qualification « aggravé » n’est pas nécessaire si les victimes sont des mineurs). Si cette assignation paraît insuffisante pour prévenir la récidive de ces crimes, une rétention de sûreté peut également être prononcée « à titre exceptionnel », dans les conditions explicitées ci-contre. La procédure ne peut cependant être entamée qu’après une décision de la chambre de l’instruction, informant la personne que sa situation peut faire l’objet d’un « examen de dangerosité » susceptible d’entraîner son placement en rétention de sûreté. La chambre est saisie à cette fin par le procureur général, après avis du juge de l’application des peines. Le condamné doit comparaitre assisté d’un avocat. La surveillance de sûreté est également applicable dès la publication de la présente loi. Les personnes qui y seront soumises pourront donc également faire l’objet d’une rétention de sûreté, en cas de non-respect des obligations. En matière de libération conditionnelle, les personnes condamnées à perpétuité ne peuvent désormais bénéficier d’une libération conditionnelle qu’après avis favorable de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté. Enfin, de nouvelles dispositions s’appliquent en matière de réductions de peine. Désormais, les personnes condamnées pour un crime ou délit de meurtre ou assassinat, torture ou actes de barbarie, viol, agression sexuelle ou atteinte sexuelle sur un mineur, qui refuseront pendant leur incarcération de suivre un traitement proposé, sur avis médical, par le juge de l’application des peines ne pourront plus bénéficier que d’un maximum de deux mois par an de réductions de peine supplémentaires ou, si elles sont en état de récidive légale, d’un mois. Elles pourront en outre se voir retirer une partie de leur crédit de réduction de peine.

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Les perspectives du « modèle » allemand

Un des arguments du gouvernement cité à l’appui de l’introduction en France de la rétention de sûreté est l’existence de cette mesure dans d’autres pays, et notamment en Allemagne. L’examen de la façon dont le dispositif a évolué ses dernières années outreRhin et des conditions dans lesquelles la mesure est exécutée font pourtant craindre le pire. Le sénateur Jean-René Lecerf le souligne sans faux-semblant dans son rapport sur le projet de loi : « Le régime de la détention de sûreté applicable après l’exécution de la peine en vigueur en Allemagne est celui dont le projet de loi s’inspire directement »1. Cette référence au modèle allemand ne lasse pas d’inquiéter. Car si, de fait, notre voisin dispose bien dans son arsenal pénal d’une mesure de détention-sûreté (Sicherungsverwahrung) qui permet de maintenir une personne en détention après l’exécution de sa peine dans des unités spécifiques à l’intérieur d’établissements pénitentiaires, la récente évolution législative du dispositif montre à quel point l’existence même d’une mesure dont la portée est à l’origine relativement restrictive peut aboutir, en quelques années, à l’internement de plus en plus de personnes.

De plus en plus de personnes concernées… Créée en 1933, la détention-sûreté était progressivement tombée en désuétude outre-Rhin, jusqu’à la médiatisation de crimes sexuels dans les années 1990. À cette époque, la mesure visait les délinquants d’habitude et ne pouvait être mise en œuvre que si le tribunal l’avait prévue dans son jugement. Elle concernait exclusivement des personnes condamnées au moins deux fois auparavant et considérées comme dangereuses par une expertise. Depuis, son champ d’application n’a cependant cessé d’être élargi. En 1998, la condition selon laquelle la détention-sûreté ne pouvait être prononcée que si l’auteur de l’infraction avait déjà été condamné par deux fois a été supprimée pour les délits et crimes les plus graves. En 2002, une deuxième réforme a permis au tribunal de se réserver la possibilité d’ordonner la mesure ultérieurement, « lorsque, eu égard à la personnalité du condamné, à la nature des infractions commises et à son évolution durant son incarcération, il existe un risque que celui-ci commette à nouveau des infractions graves de nature à causer un préjudice corporel ou moral important aux victimes ». Enfin, en 2004, afin de prendre en compte une « dangerosité considéN°64 Février 2008

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rable » apparue au cours de la période de détention, la possibilité de prononcer la mesure a été encore facilitée. Le tribunal peut depuis lors statuer de nouveau, même s’il n’avait pas décidé la rétention au moment de la condamnation ou qu’il ne s’était pas réservé la faculté de le faire. La décision est prise dans le cadre d’une audience publique au cours de laquelle sont entendus la personne condamnée ainsi qu’un agent de l’administration pénitentiaire. Conséquence directe de ces modifications législatives, le nombre de personnes faisant l’objet de la mesure s’est considérablement accru, doublant entre 1996 et 2006, pour atteindre 375 internés, pour moitié des délinquants sexuels. Une évolution qui se nourrit en outre de la tendance parallèle à l’allongement de la durée de la rétention.

… pour des durées de plus en plus longues En principe, la mesure doit être réexaminée tous les deux ans par le tribunal et prendre fin à l’expiration d’un délai de dix ans. Le législateur a cependant pris soin de prévoir que la libération ne peut intervenir que s’il n’existe plus aucun risque que la personne commette à nouveau des infractions « de nature à causer un préjudice moral ou physique important aux victimes ». En pratique, la détention-sûreté peut donc être indéfiniment prolongée tant que la personne condamnée est considérée comme dangereuse. Selon les données citées par les sénateurs Philippe Goujon et Charles Gautier2, sur les 21 mesures de sûreté arrivées à leur terme en 2003, treize personnes seulement avaient effectivement recouvré la liberté, dont neuf condamnées à l’origine pour des infractions aux biens. « La durée actuelle de la détention-sûreté, expliquent les sénateurs dans leur rapport, est de l’ordre de six ans et demi mais tend à s’allonger - la mesure succédant elle-même à une peine d’emprisonnement de neuf ans en moyenne ». Selon eux, « cet allongement de la durée de détention s’explique par le souci manifesté par le juge en vertu du principe de précaution d’éviter toute récidive ». L’évolution ne devrait pas s’inverser, les estimations du ministère de la justice allemand prévoyant que le nombre de personnes concernées devrait atteindre les 500 dans les prochaines années. Cette perspective suscite des inquiétudes, notamment de la part du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe. Dans son rapport consécutif à sa visite en Allemagne en octobre 2006, il a recommandé aux autorités « de recourir avec une extrême précaution à l’internement de sécurité », les incitant à envisager « d’autres possibilités […] avant de choisir cette solution » et « à commanditer des études indépendantes […] afin d’évaluer


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inquiétantes cette mesure du point de vue de la protection de la société et de ses conséquences pour la personne »3. Pour sa part, saisie d’un recours sur le caractère indéfini de la détention-sûreté, la Cour constitutionnelle allemande a estimé en 2004 le dispositif conforme à la Constitution et la mesure justifiée par la nécessité de protection de la société. Elle s’est contentée de rappeler que la détention-sûreté devait avoir pour finalité la réinsertion du condamné et que l’administration pénitentiaire était tenue d’organiser un régime de détention adapté à cet objectif.

« Les internés perdent en général toute perspective d’avenir » En effet, la détention-sûreté est censée aider la personne à structurer sa vie et à la protéger des dommages liés à un long enfermement. En théorie, ses besoins doivent donc être pris en compte, la personne doit avoir une activité rémunératrice et bénéficier d’une préparation à la sortie. Cependant, comme le soulignent Philippe Goujon et Charles Gautier, « il apparaît presque impossible de motiver les personnes et de les intéresser à une adaptation à la vie en société dont les perspectives semblent si hypothétiques ». Une évidence rappelée par le Commissaire aux droits de l’homme en ces termes : « les personnes maintenues en internement de sécurité perdaient en général toute perspective d’avenir et avaient tendance à se laisser aller ». Pour y faire face, Thomas Hammarberg recommande une prise en charge psychologique ou psychiatrique

de ces détenus. Cependant, ajoute-t-il, « le corps médical est parfois divisé quant à l’efficacité des soins fournis à des personnes maintenues en internement de sécurité, et à l’éventualité de leur réadaptation ». De fait, lors de sa visite de l’unité de la prison de Berlin Tegel, en novembre-décembre 2005, le Comité européen de prévention de la torture (CPT) a constaté que, si les conditions matérielles y étaient satisfaisantes, peu de personnels étaient présents et les internés faisaient l’objet d’un manque d’attention et de soins, alors même que la plupart souffraient de désordres mentaux. Comment s’étonner, dès lors, que seule une minorité d’entre eux accepte de participer aux activités proposées ? La délégation du CPT évoque sa rencontre avec l’une de ces personnes. L’homme a déclaré que la seule chose à laquelle il peut se préparer est la mort. Stéphanie Coye

(1) Rapport n° 174 (2007-2008) de M. Jean-René Lecerf, fait au nom de la commission des lois, déposé le 23 janvier 2008. (2) Rapport d’information de MM. Philippe Goujon et Charles Gautier, au nom de la mission d’information sur les mesures de sûreté concernant les personnes dangereuses. (3) Rapport du Commissaire aux droits de l’homme, M. Thomas Hammarberg, sur sa visite en Allemagne du 9 au 11 et du 15 au 20 octobre 2006, CommDH(2007)14, 11 juillet 2007.

un système pénal très différent du nôtre « La loi pénale forme système, rappelait Pierre-Yves Collombat lors des débats au Sénat. On ne peut y importer des dispositifs venus de pays étrangers qui punissent moins sévèrement que nous - la peine pour inceste est de quatre ans en Allemagne et de douze ans chez nous ! » En effet, si le gouvernement et certains parlementaires n’ont eu de cesse de s’appuyer sur l’existence d’un dispositif de détention-sûreté en Allemagne pour justifier de l’introduction de la rétention en France, ils oublient en général de préciser que ces mesures s’inscrivent dans des systèmes pénaux très différents. Le Code pénal allemand ne comporte par exemple pas de dispositions spécifiques en matière de récidive et ne prévoit pas, contrairement à la France, de doublement de la peine encourue. Les durées des peines sont également en moyenne bien moins longues qu’en France. Selon les dernières statistiques publiées par le Conseil de l’Europe (au 1er  septembre 2006), la part des détenus condamnés pour une peine égale ou supérieure à dix ans s’élevait en France à 21,8 %, contre seulement 4,5 % en Allemagne. La détention-sûreté allemande succède ainsi à une peine d’emprisonnement de neuf ans en moyenne. En France, elle viendra s’ajouter à une condamnation à un minimum de 15 ans de prison.

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Le secret médical sacrifié sur l’autel de la sécurité Il aura fallu à peine quelques secondes à l’Assemblée et guère plus au Sénat pour adopter l’article 8 du projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à l’irresponsabilité pénale, et remettre ainsi profondément en cause le secret médical à l’égard des personnes détenues en établissements pénitentiaires, ainsi que dans les futures centres de rétention. Désormais, « dès lors qu’il existe un risque sérieux pour la sécurité des personnes […], les personnels soignants intervenant au sein de ces établissements et ayant connaissance de ce risque sont tenus de le signaler dans les plus brefs délais au directeur de l’établissement en lui transmettant, dans le respect des dispositions relatives au secret médical, les informations utiles à la mise en œuvre de mesures de protection ».

L’obligation de sécurité Le gouvernement, suivi en cela par les députés et sénateurs qui ont voté le texte, jure son grand dieu qu’il n’est « pas question de remettre en cause le principe du secret médical », que celuici « est entièrement préservé ». Face à un risque de transmission d’une maladie contagieuse, prend pour exemple le sénateur Jean-René Lecerf, rapporteur du projet de loi, « le médecin pourrait se borner à suggérer le placement de la personne en cellule individuelle ». Certes, les rédacteurs du texte n’ont pas manqué de préciser que le signalement doit se faire « dans le respect des dispositions relatives au secret médical », mais cette réserve a tout d’une précaution oratoire rendue inopérante par la conjonction de l’obligation de sécurité énoncée (« les personnels soignant ayant connaissance d’un risque sont tenus de le signaler ») et de l’indétermination du contenu des informations à transmettre (celles qui sont « utiles à la mise en œuvre de mesures de protection »). Une telle modification du code de la santé publique conduira inévitablement le personnel médical à donner à l’autorité pénitentiaire des indications sur la nature des pathologies ou troubles du patient, d’ordre psychiatrique en particulier. Ce dont le gouvernement ne semble pas s’émouvoir, pas même la ministre de la Santé. En réponse à la sénatrice Josiane Mathon-Poinat, qui défendait un amendement visant à la suppression de l’article contesté, Roselyne Bachelot a cru bon de faire cette réponse : « Imaginez, Madame la sénatrice, que vous êtes médecin, que vous suivez un malade, et que vous vous N°64 Février 2008

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En plus d’instaurer une rétention de sûreté et de réformer l’irresponsabilité pénale, la loi qui vient d’être adoptée bat en brèche le secret médical, en imposant désormais aux personnels soignants de signaler tout « risque sérieux pour la sécurité des personnes » dont ils auraient connaissance. Une altération inadmissible des droits du malade détenu que la future loi pénitentiaire pourrait bien entériner.

rendez compte que son état de santé met en danger la vie de ses codétenus, ainsi que celle des personnels : pourriez-vous ne pas transmettre cette information capitale ? […] Ce serait une attitude totalement insoutenable ! » C’est pourtant ce principe de base de l’éthique médicale qui prévaut à l’extérieur…

Un premier pas ? La garde des Sceaux avait, la première, exprimé son souhait, le 20 août dernier au journal télévisé de France 2, « que l’administration pénitentiaire puisse avoir accès au dossier médical de la même manière que les médecins puissent avoir accès au dossier pénitentiaire ». En écho à ces déclarations, le Comité d’orientation restreint (COR), chargé de fournir des éléments de réflexion au ministère de la Justice pour l’élaboration de la future loi pénitentiaire, avait émis une série de propositions allant dans le même sens. Le COR a estimé notamment qu’il devait être possible pour le médecin de communiquer des éléments cliniques à un expert ainsi qu’à l’administration pénitentiaire, et ce dans un cadre très large : « s’ils sont utiles aux droits du détenu, ou à l’administration pénitentiaire, s’ils sont nécessaires à une gestion opportune de ses conditions de détention ». Le Comité précisait que le consentement du détenu était requis, sauf si celui-ci s’avérait « manifestement inapte à appréhender la défense de ses intérêts ». Autrement dit, le médecin se voit investi du pouvoir d’agir pour le compte de son patient en dehors de tout impératif de protection immédiate. Aucune précision n’est apportée quant à la caractérisation, par un praticien matériellement obligé de composer quotidiennement avec l’administration pénitentiaire, des conditions d’« utilité aux droits du détenu » ou de « gestion opportune de ses conditions de détention ». Alors même que


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Le médecin se trouve sommé d’agir contre l’intérêt de son patient au nom de la sauvegarde de l’ordre public. celles-ci sont susceptibles de recouvrir les hypothèses les plus larges (célérité de la procédure grâce à la réalisation rapide des expertises, « bon ordre » interne par le regroupement de détenus toxicomanes, etc.) dans des champs qui échappent au savoir médical. Et ce n’est pas tout. Le COR estimait également qu’une information pouvait être donnée par le médecin « en cas de danger imminent pour les personnels pénitentiaires ou de nécessité pour ces personnels de tenir compte dans leur attitude et dans leur mission de l’état physique ou psychique d’un détenu ». Sans le consentement de ce dernier. Le médecin est ici clairement sommé d’agir contre l’intérêt de son patient au nom de la sauvegarde de l’ordre public, voire même des nécessités de bon fonctionnement du service public pénitentiaire.

Vers un secret médical optionnel en détention En définitive, la loi relative à la rétention de sûreté ne fait qu’anticiper l’évolution réclamée par Rachida Dati, qui a trouvé avec le COR un partenaire zélé. On peut redouter que la future loi pénitentiaire ne vienne entériner un secret médical « optionnel », en fonction des intérêts présupposés du patient incarcéré ou des besoins de l’autorité en charge d’exercer la contrainte à son égard. Sommé d’assister l’administration pénitentiaire dans son action, le médecin serait clairement chargé d’une mission de contrôle sur le patient. Dès lors, le principe d’autonomie de la

volonté du détenu serait très fortement restreint, au point d’accorder au personnel soignant le pouvoir d’effectuer des démarches à sa place en dehors de tout bénéfice médical direct et immédiat pour lui. Dans ces conditions, le pacte de confiance mutuelle entre le patient et son médecin, au cœur de la relation de soin, semble impossible. Cette injonction faite au médecin de concilier des intérêts fondamentalement antagonistes, tout en accordant la priorité in fine aux nécessités invoquées par l’administration, est inacceptable. La qualité des soins dispensés en prison va s’en trouver grandement affectée, le secret et le consentement étant consubstantiels à l’acte de soigner. Les critiques faites à la médecine pénitentiaire sur les manquements au secret médical avaient pourtant largement contribué à la mise en œuvre de la réforme du système de santé en prison1. Le bilan peu flatteur de la prise en charge sanitaire des personnes incarcérées avait, en 1994, conduit le gouvernement à affirmer le principe de l’équivalence des soins comme un impératif de santé publique. Le respect de ce précepte pose concrètement des problèmes multiples mais il a l’immense mérite d’affirmer, à l’inverse de toute la tradition pénitentiaire, que la prison n’est pas, en matière de soin, un lieu d’exception. Le gouvernement et le Parlement viennent de prendre le contre-pied de ce mouvement. Stéphanie Coye et Hugues de Suremain (1) Santé en milieu carcéral : rapport pour l’amélioration de la prise en charge sanitaire des détenus, Haut comité de santé publique, 1993.

le corps médical très inquiet Les remises en cause du secret médical et des principes consacrés par la loi de 1994 à l’égard des malades incarcérés inquiètent nombre de praticiens et d’organisations de médecins. Deux d’entre elles, l’Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP) et l’Association des professionnels de santé exerçant en prison (APSEP), ont, conjointement avec l’OIP, saisi le Comité national d’éthique pour qu’il rappelle « les règles déontologiques fondamentales qui doivent nécessairement encadrer l’intervention des médecins en milieu pénitentiaire ». Le Comité n’a cependant pas eu le temps de rendre un avis avant l’examen du projet de loi au Sénat. L’été dernier, les propos tenus par Rachida Dati avaient immédiatement fait réagir le Conseil national de l’ordre des médecins. Dans un communiqué, l’instance avait rappelé à l’ordre la garde des Sceaux, en réaffirmant « le caractère intangible du secret médical », et ce « dans toutes circonstances ». « Tout médecin, se voyait obliger de préciser le Conseil, quelles que soient ses modalités d’exercice, est tenu de veiller à ce que des soins soient dispensés dans le strict respect de la déontologie ». Et de prévenir : « Le Conseil départemental de l’Ordre, dont relève le praticien, assurera ses responsabilités au cas où des manquements s’avéreraient manifestes ». Au moment du vote du texte au Sénat, le Conseil de l’ordre a également adressé une note au président de la commission des lois, pour lui faire part de sa crainte que la mesure ne conduise « à faire peser sur le médecin la responsabilité de tout accident (suicide, violence sur autrui) qu’il n’aurait pu ou su détecter et donc signaler ». Une inquiétude partagée par plusieurs médecins entendus par le sénateur Jean-René Lecerf. Les dispositions de la loi pourraient en effet aboutir à la mise en jeu de la responsabilité du médecin dans l’hypothèse où il n’aurait pas dûment informé les autorités pénitentiaires d’un risque de suicide, de violence… N°64 Février 2008

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« Un effet dévastateur sur le moral des détenus » La loi sur la rétention de sûreté et les discours qu’elle a véhiculés sur les « personnes irrécupérables » suscitent détresses et inquiétudes chez les détenus et leurs proches. Au point que, face à la perspective d’une libération toujours plus incertaine et lointaine, certains prisonniers s’interrogent sur leur propre capacité à se réintégrer et sur l’utilité de leurs efforts. Extraits de courriers reçus...

« Découragement » Femme d’une personne détenue, août 2007.

« Je me permets de vous adresser ce message afin de vous faire part de mes inquiétudes concernant le dispositif proposé par le président de la République en matière de lutte contre la récidive des pédophiles. Mon mari est actuellement incarcéré, il purge une peine de 15 années d’incarcération. Il a depuis plusieurs années effectué un travail sur lui-même, par le biais d’un thérapeute. Cet été, il a, en raison de son comportement, bénéficié d’une permission de sortir. Il travaille régulièrement, prépare une formation, car il ne pourra plus jamais exercer son métier. Il ne pose pas de problèmes, se plie aux règles et accepte l’incarcération. Il n’a pas fait appel de la décision rendue lors du procès. Je lui rends, ainsi que mes enfants, régulièrement visite. Durant ses années d’incarcération, j’ai pu constater l’évolution de mon mari. Il s’autorise à mettre des mots désormais sur son histoire et sur ce qui l’a amené à de tels actes. Il est désireux de se réadapter socialement. Il a également bénéficié de remises de peine pour bonne conduite. Enfin, il règle mensuellement une somme supérieure aux règles fixées par l’administration au Fond d’indemnisation des victimes. À ce jour, je sais que je peux lui accorder ma confiance quant à ne pas reproduire des actes délictueux. Toutefois, suite à cette affaire de récidive, je crains que son avenir soit compromis, que tout détenu présentant une étiquette de pédophiles soit “mis dans le même sac”. Je crains que ces mesures aient un effet dévastateur sur le moral des détenus, que les magistrats fassent preuve de “frilosité” et qu’ils n’accordent plus de permission ou de conditionnelle pourtant nécessaire à la réinsertion et au maintien des liens avec les familles. Mon mari m’a contacté hier soir et il a évoqué un certain découragement vis-à-vis des efforts fournis et de la nécessité de les poursuivre. Je pense que cette attitude est en réaction aux propos tenus N°64 Février 2008

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par le président de la République. Ne sachant à qui m’adresser pour évoquer le malaise que certains détenus ressentent, je me permets de vous faire part des répercussions que ce dispositif a déjà sur le moral des détenus, mais également sur le moral de leurs proches. »

« Plus de prison ne peut réhabiliter » Homme détenu en centre de détention, novembre 2007.

« En ce moment, je dois bien avouer que je traverse une petite crise angoissante face à l’avenir incertain qui va être décidé pour les détenus. Je suis inquiet. Dans la prison où je suis, nous sommes assez “libres”, les cours sont grandes, il y a du travail, une bibliothèque, un centre scolaire ouvert à tous, des activités réduites, mais bon..., d’après ce que j’entends, nous ne sommes pas trop mal lotis comparés à d’autres. Cependant, rien n’est fait sur le fond pour ce qui est d’une vraie politique de réinsertion. Le manque de moyens est flagrant. On nous laisse sous-entendre que nous allons faire plus de prison pour payer notre dette mais, même si la prison est “paradisiaque” matériellement parlant (ce qui est tout de même loin d’être le cas ici), plus de prison ne peut réhabiliter un détenu. Surtout si le pouvoir politique et la société estiment que nous avons commis l’irréparable, que nous ne sommes plus bons à rien et que seule une détention “à la dure” ou “à la mort” peut donner à la société un sentiment de “justice”. La prison est une épreuve difficile. Je dois ajouter qu’elle est plus difficile pour certains. Je suis incarcéré pour meurtre sur mineurs de moins de 15 ans et agressions sexuelles. Inutile de vous dire que je dois faire le triple d’efforts pour m’en sortir. Que ce soit dans les relations aux autres, ou avec moi-même, car, n’étant


Rétention de sûreté et irresponsabilité pénale

‘‘ Il y aura toujours autant

de crimes et de délits, sinon plus, et la haine l’emportera sur tout. Les premiers à en pâtir seront les détenus, et ensuite la société toute entière.

pas fou à lier, étant conscient de mon épouvantable crime, je dois lutter jour et nuit pour rester debout et ne pas me laisser aller dans les entrailles de l’enfer carcéral. Et je me sens seul, isolé, obligé de faire des concessions à contrecœur afin de ne pas être oppressé par une partie des détenus. Si la prison doit être un peu plus humaine, cela doit commencer entre nous, détenus. Il est vrai que l’administration n’aide en rien à cela, au contraire. Le pouvoir politique a aussi sa part de responsabilité. La prison est faite pour casser, briser, détruire et n’est en aucun cas un lieu de réhabilitation. Soit on nous considère comme des hommes capables de nous racheter, et l’on fait tout pour que cela soit ainsi, soit on nous considère comme des êtres irrécupérables, alors on doit nous le dire franchement pour que l’on sache à quoi s’en tenir. Mais à l’heure actuelle, même si petit à petit, on en vient à la deuxième solution, c’est comme si on était assis entre deux chaises. Un coup j’espère, le lendemain je désespère. Seule une volonté féroce pour s’en sortir peut nous aider, mais tout le monde n’a pas cette force. Le pouvoir politique s’en moque bien. Seul compte les futures voix électorales qu’il pourra engendrer en adoptant une politique populiste. Mais en agissant ainsi, et l’avenir nous le montrera, la société ne se sentira pas plus en sécurité. Il y aura toujours autant de crimes et de délits, sinon plus, et la haine l’emportera sur tout. Les premiers à en pâtir seront les détenus, et ensuite la société toute entière. »

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breuses autres catégories d’humains. Une autre problématique m’interpelle : celle de l’accès au dossier médical pour la pénitentiaire. Ainsi, le secret médical serait une nouvelle fois bafoué pour une catégorie de la population : les détenus. Quel homme à l’extérieur accepterait cette mise à nu, livré à du personnel non formé sur le plan médical mais qui, avec un voyeurisme malsain, se permettrait d’étiqueter les détenus, de faire des commentaires déplacés, etc. ? Que M. Sarkozy nous montre l’exemple de ce qu’il préconise et que nous ayons nous aussi accès à son dossier médical et à celui de ses proches. À moins qu’il ne nous confirme clairement qu’au sein des prisons, les détenus ne sont plus à ses yeux des humains. Cela doit être le cas pour que l’on puisse, au mépris de toute déontologie, violer le secret médical et faire abstraction de la personne dans un pseudo souci protectionniste de la société, dont l’objectif réel est un contrôle permanent et aliénant. Les perspectives de la prise en compte du devenir du détenu, ainsi que les moyens mis en œuvre pour son retour dans la société, s’annoncent bien sombres. Les camps d’internement reviennent dans notre démocratie. Le bannissement du détenu ouvre la porte à tous nos fantasmes et à nos vieux démons. Ceux qui sont considérés comme des sous-hommes, les parias, devront se soumettre jusqu’à la fin de leur existence, après avoir purgé leur peine entière, à un enfermement à vie. Nous assistons aujourd’hui à la réitération d’une page noire de notre histoire. »

« Bannissement » Femme détenue en centre pénitentiaire, août 2007.

« En ce qui concerne les nouvelles directives de la politique carcérale que prône le chef de l’État par rapport au dernier fait de l’actualité, une question fondamentale se pose : si ces personnes sont considérées comme des malades devant recevoir des soins psychiatriques, pourquoi sont-elles en prison ? Et pourquoi ne pas prévoir dès le début une prise en charge médicale qui corresponde à leur pathologie sans attendre la fin de leur peine, plutôt que le risque d’un enfermement à vie ? Un risque d’ailleurs pour le moins arbitraire car qui peut aujourd’hui prévoir de manière irréfutable qu’untel ou untel va réellement récidiver, à moins de se prendre pour Dieu le père. Devant cette surenchère du risque zéro, il est à craindre par la suite l’enfermement à vie de nomN°64 Février 2008

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dossier

Remise en cause de l’irresponsabilité pénale

jusqu’où ira-t-on ? La velléité du gouvernement d’en finir avec la notion d’irresponsabilité pénale au nom de l’intérêt des victimes ne laisse pas d’inquiéter. Même si la portée de la loi qui vient d’être votée a été réduite par le Conseil d’État, elle consacre la pénalisation des actes commis par des personnes atteintes de troubles mentaux, dont la conséquence première est leur incarcération massive. Une double évolution qui divise la communauté psychiatrique.

« Les aliénés, loin d’être des coupables qu’il faut punir, sont des malades dont l’état pénible mérite tous les égards dus à l’humanité souffrante », a soutenu Philippe Pinel1 il y a quelques 200 ans. Ce regard porté sur les personnes souffrant de troubles mentaux a, depuis, guidé toute la psychiatrie moderne. Il s’est traduit dès 1810 dans le code pénal par l’assertion que les personnes atteintes d’un trouble mental ne peuvent être ni jugées, ni tenues pour responsables de leurs actes. Consacré par l’actuel article 122-1, ce principe fondamental est pourtant aujourd’hui largement remis en cause. Après plusieurs tentatives avortées, la loi relative à la rétention de sûreté vient en effet de porter un premier et sérieux coup à l’irresponsabilité pénale pour troubles mentaux, au nom d’une autre « humanité souffrante », les victimes.

L’exhibition des fous Les principales dispositions de la loi concernent la procédure d’instruction. Désormais, avant que le juge ne rende une ordonnance de non-lieu (renommée « ordonnance d’irresponsabilité pénale »), les parties (civiles ou la défense) comme le procureur pourront demander la tenue d’une audience publique devant la chambre de l’instruction, avec auditions des experts, des témoins et, bien sûr, comparution de la personne mise en examen. Une personne qui ne comprendra pas forcément le sens de l’audience, ni la raison de sa présence et qui ne pourra pas se défendre ellemême. En totale contradiction avec l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Pour le magistrat et historien Yves Lemoine, cela revient à « renier le fondement même de notre civilisation […] établie sur le libre débat », c’est-à-dire sur le principe que « ceux N°64 Février 2008

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qui ont à débattre (ou simplement à répondre à des questions) doivent avoir l’entendement suffisant pour le faire »2. Au terme de cet ersatz de procès, la chambre de l’instruction rendra, si elle estime que les charges sont suffisantes et le discernement de l’accusé aboli au moment des faits, un « arrêt de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ». Elle pourra également, ainsi que les juridictions de jugement, ordonner une hospitalisation d’office et prononcer une ou plusieurs mesures de sûreté, telles que l’interdiction d’entrer en relation avec la victime ou avec certaines personnes ou catégories de personnes (notamment les mineurs), celle de paraître dans certains lieux ou celle d’exercer certaines activités professionnelles ou sociales sans avoir fait préalablement l’objet d’un examen psychiatrique. Et ce, pour une durée pouvant aller jusqu’à 10 ans en matière correctionnelle et 20 ans pour les crimes ou délits punis de 10 ans d’emprisonnement. Pire, leur non-respect sera passible de deux ans de prison et de 30 000 euros d’amende ! Le tout étant inscrit au casier judiciaire. « Un dévoiement de [sa] fonction initiale » pour le Syndicat de la magistrature3, puisque cet outil « ne doit constituer qu’un relevé de condamnations pénales ou commerciales mais, en aucun cas, un instrument de fichage ».

Au nom des victimes L’audience apaisera-t-elle la souffrance des victimes ? Rien n’est moins sûr. Car, explique le professeur de psychiatrie Jean-Louis Senon4, l’audition de psychotiques est généralement « marquée par la froideur, l’absence d’autocritique d’une pensée marquée par le délire et l’incapacité à exprimer remords ou compassion », ce qui risque de « réactiver la souffrance des familles tellement


Rétention de sûreté et irresponsabilité pénale

est difficile la compréhension du passage à l’acte criminel ». À en croire l’exposé des motifs du projet de loi, cette réforme était cependant devenue indispensable, notamment parce que, en l’état du droit, lorsque le juge d’instruction rend une ordonnance de non-lieu, il « met fin aux poursuites sans débat préalable, sans se prononcer sur les faits, sans informer les victimes des mesures prises ensuite à l’égard de l’auteur et sans statuer sur les conséquences civiles de l’acte commis ». Pourtant, contrairement à ce que laisse entendre cette motivation, un non-lieu n’est « pas un couperet qui tombe du ciel, sous forme d’une lettre sèche et brève », ainsi que le rappelle Maître Eolas5. Il est au contraire rendu à l’issue d’une longue instruction (17,8 mois en moyenne en 2005), que les parties civiles ont pu suivre et au cours de laquelle elles ont pu faire valoir leurs arguments et agir, ou réagir, par des demandes d’actes, de confrontations, d’expertises et contre-expertises, de perquisitions, etc. L’ordonnance est longuement motivée et précise 6 d’ailleurs, depuis 2004 , s’il existe des charges suffisantes établissant que l’intéressé a commis les faits. Les parties civiles peuvent la contester, ce qui rend déjà possible l’organisation d’une audience publique devant la chambre de l’instruction, où la personne mise en examen peut être appelée à comparaître et les experts être entendus. En outre, il y a moins d’un an7, le caractère contradictoire de l’instruction a encore été renforcé afin de permettre aux parties de s’assurer que le juge d’instruction a bien procédé à un examen objectif, impartial et complet des charges. Entre autres modifications apportées, figure depuis lors le droit accordé aux parties civiles d’être informées, tous les quatre mois et par oral si elles le souhaitent, de l’avancée du dossier quand l’infraction est un crime ou un délit avec atteintes à la personne. Elles peuvent aussi désormais, quand une expertise est prévue, demander à modifier ou compléter les questions posées à l’expert, à adjoindre à ce dernier un autre expert ou encore qu’un rapport provisoire d’expertise soit déposé. Elles peuvent également, au vu du dossier, faire parvenir au juge leurs propres observations avant qu’il ne rende son ordonnance.

tation de culpabilité civile », déclarant, le cas échéant, « que la personne a commis les faits qui lui étaient reprochés », et qu’elle se prononce sur les dommages et intérêts. Or, le Conseil constitutionnel a rappelé, dans une décision du 16 juin 1999 (n° 99-411 DC), que la définition d’une infraction devait inclure « outre l’élément matériel […], l’élément moral, intentionnel ou non, de celle-ci » et que « la culpabilité ne saurait résulter de la seule imputabilité matérielle d’actes pénalement sanctionnés ». En outre, comme leur nom l’indique, les juridictions d’instruction ont pour fonction d’instruire un dossier et déterminer si la personne prévenue doit être renvoyée devant une audience de jugement, mais en aucun cas de juger de la culpabilité d’un mis en examen ou de fixer le montant d’une indemnisation. Pour obtenir la réparation à laquelle elles ont droit, les victimes d’infraction peuvent, y compris en l’absence de procès pénal, saisir une juridiction civile. Le gouvernement aurait pu faire le choix de renforcer ces dernières ou, comme le propose l’avocat Daniel Soulez Larivière, « trouver une scène autre que pénale où pourrait se discuter l’acte de l’aliéné dans des conditions permettant aux victimes de comprendre ce qui 8 s’est passé » . C’est le choix inverse qui a été fait. Depuis plusieurs années, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), entre autres institutions, met pourtant en garde les pouvoirs publics contre le « mouvement de “pénalisation” qui frappe quasiment tous les secteurs de la vie sociale » et ses « risques d’une dérive »9. Car, expliquet-elle, « confondre le droit pénal, dans lequel le délinquant est face à la loi, avec le droit privé, dans lequel le fautif est face à la victime d’un préjudice, ce n’est pas seulement brouiller la cohérence du système juridique mais aussi affaiblir le lien social et l’ordre public que l’on prétend mieux servir ». Avec, pour les personnes souffrant de troubles mentaux, des conséquences catastrophiques.

Au terme d’un

ersatz de procès, la chambre

de l’instruction pourra

désormais

ordonner une

hospitalisation d’office et

l’imposition de mesures de sûreté.

Confusion et rupture de l’équilibre pénal En allant encore au-delà, loin de « rendre plus cohérent, plus efficace et plus transparent » le traitement de ce type d’affaire par l’autorité judiciaire, le gouvernement rompt délibérément l’équilibre de la procédure pénale. Et encore, le Conseil d’État a-t-il censuré l’essentiel du projet de loi initial. Celui-ci prévoyait en effet que la chambre de l’instruction rende un « arrêt de consta-

Pénalisation de la folie « Aujourd’hui, souligne en effet le psychiatre Serge Hefez10, le nombre de non-lieux pour irresponsabilité totale est infime par rapport à celui des criminels qui sont considérés comme partiellement irresponsables, condamnés et envoyés dans des établissements pénitentiaires. » De fait, au seul stade de l’instruction (les acquittements et relaxes en vertu de l’article 122-1 ne sont pas dénombrés), leur nombre a fortement baissé ces dernières années, passant de 511 en 1989 à 212 en 2005. Parallèlement, celui des personnes nécessitant des soins psychiatriques en prison a lui largement augmenté. Selon la dernière enquête menée11, 24 % des détenus sont atteints de troubles psychotiques, tels que N°64 Février 2008

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dossier des schizophrénies ou des psychoses chroniques. Cette double évolution tient à différentes causes. L’une d’elles est la réforme de l’irresponsabilité pénale, survenue en 1992, qui a introduit une distinction entre l’ « abolition » du discernement et son « altération », cette dernière caractérisation ayant pour effet de rendre le sujet responsable pénalement. Cette modification a conduit à une recrudescence de la pénalisation des personnes souffrant de troubles mentaux. D’une part, parce qu’un plus grand nombre ont été reconnues responsables, d’autre part, parce que, au lieu de constituer un facteur atténuant, l’existence d’une altération du discernement conduit généralement les juridictions à aggraver les peines prononcées. Une autre raison tient à l’évolution de la psychiatrie elle-même, au sein de laquelle certains courants considèrent qu’il faut responsabiliser les malades.

Divergences parmi les psychiatres Ainsi, le psychologue Jean-Paul Bouchard se déclare favorable à la tenue d’un procès car les malades « entendraient de façon officielle leur culpabilité » et « les audiences pourraient être réutilisées en thérapie »12. Cette position est cependant loin d’être partagée. Le psychiatre Paul Bensussan dénonce par exemple cette « dérive inquiétante qui consiste à confondre la cour d’assises avec le cabinet du psychothérapeute »13. Pour lui, « en déclarant responsable de ses actes une personne qui ne l’était pas au moment des faits », l’expert-psychiatre, cédant « aux attentes sécuritaires », « se comporte comme s’il était investi d’une mission qui n’est en réalité pas la sienne : protéger la société ». C’est aussi la position prise par la Commission d’audition qui s’est tenue en janvier 2007 sur l’expertise psychiatrique pénale14. Pour elle, la comparution d’un malade devant une juridiction pénale aura « comme objet de déporter vers l’expert les responsabilités qui doivent être assumées par la justice ». En outre, elle « ne peut que poser un problème pour l’évolution de l’auteur malade, lequel se trouverait confronté au paradoxe d’être reconnu comme malade non responsable par un expert psychiatre et adressé dans le même temps devant la justice pénale, avec le risque de discréditer ainsi le cadre des soins ». La question de l’abolition ou de l’altération suscite également de profonds désaccords entre psychiatres, mettant en évidence des approches différentes de la maladie mentale. Observant le déroulé de l’audience en appel de Romain Dupuy, le jeune homme qui a avoué le meurtre de deux infirmières à Pau en janvier 2005, Serge Hefez raconte que les « atermoiements entre abolition ou altération du discernement ont occupé pendant une dizaine d’heures les psychologues et psychiatres chargés [de son expertise] ». « Selon Michel Dubec et la majorité des experts, la maladie “emporte” tout : “le patient n’est pas le sujet de ses actes, mais l’objet de sa pathologie” », explique-t-il, tandis que « pour le docteur Chanseau : il n’existe pas de “dépendance totale et exclusive” du malade à sa psychose [et] aucun élément ne permet de penser qu’il ne pouvait avoir la moindre parcelle de lucidité. »

Jusqu’où ? Un tel contexte ne laisse pas d’inquiéter sur l’avenir de l’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. D’autant que N°64 Février 2008

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les attentes des familles de victimes ne sont guère satisfaites par la loi votée. Jusqu’où ira-t-on ensuite ? Jusqu’à imposer des mesures de sûreté de plus en plus importantes, telles que, comme l’envisageait le rapport Burgelin15, un placement sous surveillance électronique ou même un placement en rétention de sûreté ? Jusqu’à supprimer complètement la notion d’irresponsabilité pour trouble mental et juger les fous ? Et que se passera-t-il pour les autres cas d’irresponsabilité pénale ? Les ordonnances de non-lieux prononcées en vertu de l’article 122-1 du code pénal sont en effet loin d’être les plus nombreuses. 3 940 non-lieux ont été prononcés en 2005, dont seulement 212 en vertu de cet article. Ils peuvent bénéficier à une personne qui aurait commis une infraction sous la contrainte, sous commandement d’une autorité, en état de légitime défense, en état de nécessité ou encore s’il s’agit d’un enfant de moins de 10 ans ou si la personne mise en examen décède. Au nom de la souffrance des victimes et de leur « droit à avoir un procès », une loi viendra-t-elle prochainement réformer ces cas-là ? Verra-t-on dans un avenir prochain comparaître un enfant de moins de 10 ans et lui imposera-t-on des mesures de sûreté ? Assistera-t-on bientôt à des audiences pour imputer des faits à une personne 16 décédée ? Comme le souligne le magistrat Jean de Maillard , « l’hypothèse ne paraît plus totalement surréaliste ». Stéphanie Coye

(1) Psychiatre français de la fin du xviie - début xixe, qui a exercé une grande influence sur la psychiatrie et le traitement des malades mentaux, et a notamment milité pour l’humanisation de leur traitement. (2) « Juger les fous : «le malheur de leur état» », Libération, 9 novembre 2007. (3) « Observations du Syndicat de la magistrature sur le projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale », 5 décembre 2007. (4) « Rétention de sûreté pour prévenir le crime ?... Ou comment élaborer une défense sociale à la française », http://blog.dalloz.fr/, 10 décembre 2007. (5) « Non-lieu », www.maitre-eolas.fr, 24 août 2007. (6) Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. (7) Loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale. (8) « Justice : des réformes maintenant », Le Monde, 7 septembre 2007. (9) Commission nationale consultative des droits de l’homme, Réflexions sur le sens de la peine, 24 janvier 2002. (10) http://familles.blogs.liberation.fr/hefez/, billets du 10 septembre et du 26 novembre 2007. (11) « Enquête de prévalence sur les troubles psychiatriques en milieu carcéral », CEMKA-EVAL, décembre 2004. (12) « Hôpitaux-prisons, irresponsabilité : l’avis d’acteurs du système », NouvelObs.com, 4 décembre 2007. (13) « La pénalisation de la folie », Le Monde, 14 novembre 2007. (14) Expertise psychiatrique pénale. Rapport de la commission d’audition, Fédération française de psychiatrie, mai 2007. (15) Santé, justice et dangerosités : pour une meilleure prévention de la récidive, Rapport de la Commission santé-justice présidée par JeanFrançois Burgelin, juillet 2005. (16) « Jugement des fous : la fonction magique du rituel judiciaire », Rue89, 1er septembre 2007.


“Juliette Dodu

LETTRES OUVERTES

la honte de la République française” Personne détenue à la maison d’arrêt de Saint-Denis (La Réunion), décembre 2007. « Voilà bientôt quatre années que je suis “hors circuit”. J’ai l’envie et la hargne de m’en sortir mais dans quel état vais-je reprendre ma vie ? La prison Juliette Dodu est la honte de la République française. Il n’y a rien à faire et personne ne souhaite faire évoluer les choses. Fin 2008, les détenus seront transférés vers la nouvelle prison à Domenjod. Croyez-vous que cela résoudra tout ? Nous n’avons pas accès à la formation. L’école est réservée uniquement à ceux qui ont un très faible niveau scolaire ; les autres n’ont rien. Une bibliothèque est ouverte une fois par semaine, quinze minutes par personne. Une micro salle de sport est ouverte suivant l’humeur de la direction et la disponibilité du moniteur, car il est employé à d’autres tâches. Comble du luxe, nous avons trois douches pour plus de 100 personnes, eau froide bien sûr, et souvent en panne. Ne parlons pas des odeurs et de la saleté. Sachez que dans cette prison, le désinfectant n’existe pas ; ce qui entraîne des problèmes dermatologiques. Les W.C. ne sont pas mieux, ce qui provoque des infections de toutes sortes. Les cellules sont surchargées avec un W.C. dans un coin ouvert sans intimité, un lavabo avec de l’eau froide. Et tant pis pour celui qui se couche sur un matelas à même le sol, parmi nos compagnons à quatre pattes (tels que les rats, cafards, moustiques...). Parlons des repas : les mêmes menus sont servis toutes les semaines. Nous n’avons pas de légumes, toujours les mêmes fruits (pomme et orange). Il n’y a pourtant pas que ceux-là dans mon île. Nous n’avons qu’un seul endroit pour nous abriter par forte chaleur et par temps de pluie. C’est un abri de tôles où sont disposés des tables et des bancs pour que l’on puisse se restaurer, mais comme ce lieu est trop étroit, certains d’entre nous sont obligés de manger à même le sol, dans un coin de la cour, comme des bêtes. Il faut aussi parler de la santé. Pour pouvoir rencontrer le médecin ou l’infirmier, il

faut parfois faire plusieurs demandes. Les médicaments sont donnés sans que nous sachions leurs effets indésirables, ni leurs propriétés. Un suivi psychologique est fait par des consultants ; mais que peuvent-ils faire sinon de donner accès aux calmants, histoire d’abrutir (cela évite aux détenus d’être agités). La nuit, si un détenu est malade, voire gravement malade, il lui faut attendre l’arrivée des tours de garde, toutes les deux heures. Pour terminer ce conte, le service social : seulement deux assistantes sociales pour toute la prison (hommes et femmes). Pensez-vous que c’est un effectif suffisant ? »

33« un transit du genre durable »

Personne détenue à la maison d’arrêt de Fresnes (Val-de-Marne), janvier 2008. « J’étais avant en centre de détention et suis à présent au quartier “transit” de Fresnes où, soit dit en passant, le transit est du genre durable. J’ai une affectation sur un autre établissement, mais je dois attendre jusqu’au mois de juin (si tout va bien) pour réintégrer un centre pour peine. Soit neuf mois de transit... »

33« besoin d’un hébergement accessible en fauteuil roulant » Personne détenue en maison d’arrêt, janvier 2008. « J’espère être bientôt libéré si je peux bénéficier d’une libération conditionnelle. J’ai une carte d’invalidité à 80 %, l’allocation handicapé, et suis suivi par la Cap emploi (Organisme assurant une mission de service public afin de favoriser l’embauche des personnes handicapées dans les entreprises). Afin d’obtenir l’octroi de la libération conditionnelle, j’ai besoin d’un hébergement accessible en fauteuil roulant (je suis complètement autonome pour la vie de tous les jours). Je préfère rester près d’ici afin d’être suivi par le même centre hospitalier, mais j’accepterais n’importe quel logement convenable, accessible, même dans une autre ville ou région, même temporairement. Malheureusement, je n’ai personne qui puisse

m’aider. Personne ne sait quoi faire. J’ai contacté quelques associations locales, sans résultat. Même le SPIP [service pénitentiaire d’insertion et de probation] ne sait pas quoi faire. »

33« ainsi va la vie carcérale »

Personne détenue en centre de détention, décembre 2007. « En prison, tous les instincts primaires, vils, de l’homme sont éveillés. Dans un espace si confiné et si réduit, la bassesse de l’homme ne peut être qu’à son paroxysme. La jalousie, la haine, la convoitise, l’intolérance, la perversité, le dégoût, la méchanceté..., tous ces sentiments sont omniprésents. Avec le nombre d’années qui défilent, on prend de plus en plus conscience de la misère humaine qu’engendre une incarcération à long terme. On est comme des sauvages cherchant à assouvir nos instincts les plus bas, cherchant à “croquer l’autre” pour un oui ou pour un non. C’est pour cela que la prison est anti-productive en matière de réinsertion. Le détenu s’enferme dans une vie qui se résume à un travail sous-payé en ateliers, un ordinateur dans sa cellule, peut-être une activité par-ci par-là et un soupçon de sport pour les plus courageux, et puis basta ! On n’essaie pas d’aller plus loin, on n’essaie plus de réfléchir, on est là, on paie soi-disant notre dette à la société, on ne se soucie plus de l’autre, sauf évidemment en vue d’un intérêt quelconque. C’est chacun pour soi. Chacun sa misère, chacun sa peine, chacun sa réinsertion. La méchanceté est amplifiée, car, à part être méchant, que reste-il aux détenus pour exister ? Ainsi va la vie carcérale. Peut-être que cela fait partie du prix à payer. Pour nous faire prendre conscience que, certes nous avons commis des choses mauvaises, mais que nous ne sommes pas que cela, qu’en nous il y a aussi du bon, il faudrait nous considérer comme des capables. Nous laisser de vrais moments de parloirs avec la famille. Nous laisser des responsabilités au sein de la détention. Susciter en chacun de nous le meilleur et non le pire. » N°64 Février 2008

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Catherine Erhel a quitté ce monde le 26 octobre 2007. Elle avait publié, il y a trente ans, un ouvrage donnant la parole à des femmes qui, comme elle, avaient connu l’enfermement. Assumant ses actes et ne reniant rien de ses idées, elle avait fait de la prison le cœur de ses engagements professionnels et militants. Dix années durant, à Libération, elle a décrit inlassablement la réalité de ces « oubliettes de la démocratie », comme elle aimait à les qualifier. Avant de rejoindre tout naturellement l’OIP qu’elle présida entre 1998 et 2000. Catherine n’y a pas seulement marqué les mémoires. Elle a légué un bien précieux, un élément de sa philosophie de vie, devenu un des principes de notre démarche : « La légitimité, c’est l’action ! » Sa maladie l’a empêchée de participer – la rage au cœur – aux États généraux de la condition pénitentiaire. Qu’ils lui soient dédiés.

Sœur courage

« Dans l’après Mai 68, toute une frange de l’extrême gauche redécouvre les prisons après l’incarcération d’un certain nombre de militants. [...] Ce fut l’occasion de prendre conscience que les prisons n’étaient pas tant un lieu de la honte et du mal, qu’un lieu de misère et de souffrance. Les “voleurs”, les “criminels” de derrière les murs étaient les mêmes gens que ceux aux côtés de qui nous nous rangions. [...] [En 1971], la révolte des détenus de la centrale de Toul, sauvagement réprimée, criait l’urgence de nous mobiliser pour soutenir ces luttes. [...] Le Groupe d’informations sur les prisons en 1971, puis le Comité d’action des prisonniers en 1973 se sont organisés autour de quelques détenus sortant de Melun, d’Ensisheim et d’ailleurs. [...] En 1976, comme une résurgence tardive et inattendue, mon incarcération à la prison de Loos-lès-Lille relance toutes sortes d’interrogations sur la prison, sa fonction dans la société, sur les femmes qui y sont, leurs délits, leur vie quotidienne, en bref, sur la violence sociale et nos vies de femmes... » Prisonnières, avec Catherine Leguay, Stock, 1977, 277 pages.

« En langage de détenus, cela s’appelle “le frigidaire”. Parce qu’on y gèle, hiver comme été. Le principe est simple : pour ôter tout moyen de se suicider à des détenus considérés comme “suicidaires”, on leur ôte tout vêtement et on les laisse entièrement nus en cellule disciplinaire. [...] Cela peut durer de quelques heures à quelques jours. La pratique n’est pas généralisée mais, néanmoins, suffisamment fréquente pour qu’une note [...] datant de 1984 rappelle aux chefs d’établissement que [...] “la pratique [...] n’est pas compatible avec le respect de la dignité humaine”. [...] De plus en plus de détenus présentent des troubles psychiatriques ou des fragilités de personnalité qui font craindre le pire. Et les cellules psychiatriques, lorsqu’elles existent, ne suffisent pas. Le quartier disciplinaire sert de lieu d’observation pour calmer une crise, pour répondre à une agitation. [...] En attendant la fin de ce jeu où chacun renvoie la responsabilité sur l’autre, les détenus continuent à subir ces traitements dégradants. » « Du “mitard” au “frigidaire” », Libération, 18-19 juin 1994. « Un an exactement après l’annonce de sa “nouvelle politique pénitentiaire”, Elisabeth Guigou vient de reprendre la parole sur N°64 Février 2008

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les prisons. [...] La ministre évoque des prisons vétustes, des gardiens surchargés, des moyens toujours trop modestes... Autant de bonnes raisons d’ajourner les mesures à prendre [...]. Les Unités de vie familiale ? L’expérimentation – pourtant timide – est reportée : “Je veux avoir les moyens de mes réformes.” Le cloisonnement des toilettes, pourtant prescrit par les instances européennes ? C’est pour le futur, dans six nouvelles prisons. Le respect du contrat de travail en prison ? Il ne faut pas rêver : “La prison, c’est la prison, il faudra vous faire à cette idée !” Des violences quotidiennes en prison ? Il n’est pas question. De l’indignité, l’injustice, l’humiliation que subissent les détenus - et parfois les personnels - non plus. Mme la ministre gère : des budgets, un nombre de places, des “populations pénales”. [...] La réalité des prisons, ce ne sont pas des chiffres, ce sont des gens. Des gens bafoués dans leur corps, non seulement par le manque d’hygiène, mais par les fouilles à nu, par le mépris, les insultes, les violences, l’impuissance sur leur propre vie. » « La prison, c’est la prison... », Dedans Dehors, n°13, mai 1999. « Une musique fait trembler les murs : un détenu hébergé au SMPR noie ses angoisses dans la disco. Il a remué ciel et terre [...] pour récupérer sa chaîne hi-fi, égarée au cours d’un de ses e multiples transferts. La Santé est sa 73 prison. Personne ne veut de lui : trop agité. Le docteur Odile Dormoy négocie à travers la porte pour qu’il baisse le volume. “Le vendredi soir, c’est l’heure où l’angoisse du week-end s’ajoute à l’angoisse vespérale. Un moment sensible”, dit-elle. Vendredi dernier, elle est intervenue en urgence : un détenu, déterminé à mourir, menaçait de se sectionner la carotide. Il ne supportait plus l’isolement. [...] La directrice de la maison d’arrêt, Valérie Decroix, vient signaler deux arrivants. L’un a fait quatre tentatives de suicide sérieuses. Un miraculé. Le second est bien connu du service. Petit délinquant mais grand perturbé, il multiplie les actes violents : attraper des pigeons à la main et leur tordre le cou, par exemple. Il a été hospitalisé d’office [...] puis il est revenu à la Santé. Il va sortir sous peu. Direction [...] une unité pour malades difficiles. » « L’heure de toutes les angoisses », Le Nouvel Observateur, 3 novembre 2005.


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Adhésion, don 66 adhésion simple à la section française de l’OIP 66 adhésion de soutien 66 adhésion à prix réduit (détenu, RMIste, chômeur, étudiant) 66 je souhaite participer à l’activité d’un groupe local 66 je fais un don à la section française de l’OIP

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rapport 2005 : les conditions de détention en France

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OIP/ La Découverte, 2005, 288 p., 20  (hors frais de port)

Commandes Les ouvrages de l’OIP 66 rapport 2005 : les conditions de détention en France 66 rapport 2003 : les conditions de détention en France 66 le guide du prisonnier 66 le guide du sortant de prison La revue Dedans dehors 66 n° 30 « prison asile : le dépotoir de la psychatrie » 66 n° 31 « prison : l’ambivalence des candidats » 66 n° 32 « mineurs : désignés coupables » 66 n° 33 « détenus : précarité sociale et fragilité familiale » 66 n° 34 « toxicomanies : sortir du dogme répressif » 66 n° 35 « liberté d’expression : faire sauter la chape de plomb » 66 n° 36 « bracelet électronique : le miroir aux alouettes » 66 n° 37 « nombre record de détenus : contre la préférence carcérale » 66 n° 38 « rapport Warsmann. alternatives : l’occasion manquée » 66 n° 39 « les prisons françaises en 2003 une descente aux enfers » 66 n° 40 « dix ans après la réforme : la santé toujours incarcérée » 66 n° 41 « loi Perben 2 : vers un raz-de-marée carcéral ? » 66 n° 42 « les dix ans du code pénal : le grand enfermement » 66 n° 43 « rapport CNDS : des pratiques archaïques et médiévales » 66 n° 44 « droits dedans : pour la reconnaissance des droits des détenus » 66 n° 45 « prison : quelle réforme vaut la peine ? » 66 n° 46 « vieillir et mourir en prison » 66 n° 47 « prison : peine du pauvre, pauvre peine » 66 n° 48 « récidive, récidivistes : ne pas se tromper de débat » 66 n° 49 « sécurité renforcée en prison : la fabrique de violences » 66 n° 50 « le rapport Burgelin : le risque de peines de folie » 66 n° 51 « sida en prison : prévenir la maladie, libérer les malades » 66 n° 52 « étrangers en prison : aux confins de l’absurde » 66 n° 53 « nouvelles prisons : du pareil au pire » 66 n° 54 « politiques pénale et pénitentiaire : l’Europe en éclaireur » 66 n° 55 « travail des détenus : à bout de souffle » 66 n° 56 « réforme de la détention provisoire : l’occasion gâchée » 66 n° 57 « affirmer la primauté de l’objectif de réinsertion » 66 n° 58/59 « états généraux de la condition pénitentiaire » 66 n° 60 « les alternatives sortent de l’ombre » 66 n° 61 « contrôle extérieur : l’heure du choix » 66 n° 62 « peines minimales, danger maximal » 66 n° 63 « régimes de détention différenciés - l’envers du décor » 66 n° 64 « rétention de sureté et irresponsabilité pénale » 66 la série 2001 (du 23 au 28) 66 la série 2002 (du 29 au 34) 66 la série 2003 (du 35 au 40) 66 la série 2004 (du 41 au 46) 66 la série 2005 (du 47 au 52) 66 la série 2006 (du 53 au 58-59) Tous les prix comprennent les frais de port. Pour l’étranger, nous consulter.

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24 € = 15 € = 28 € = 26 € =

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le guide du prisonnier, OIP/ La Découverte, 2004, 576 p., 24  (hors frais de port)

le guide du sortant OIP/ La Découverte, 2006, 416 p., 22  (hors frais de port)

Dedans dehors n°63

Bulletin à renvoyer à OIP, section française, 31 rue des Lilas 75019 Paris

Nom .................................................................................... Prénom ........................................................ Profession ............................................................ Organisme ...................................................... Adresse .................................................................................................................... Code postal . .......................... Ville ......................................................................................................................................... Tél. . .................................................................. Fax .................................................................. e-mail ........................................................................................................................................................................... Je suis membre du groupe local de ............................................................................................ Je vous adresse un chèque de ................................. € à l’ordre de l’OIP-SF


ADRESSES

Pour tout renseignement sur les activités de l’OIP en France : OIP section française 31, rue des lilas 75019 Paris tel : 01 44 52 87 90 fax : 01 44 52 88 09 e-mail : contact@oip.org site : www.oip.org

Pour témoigner et alerter sur les conditions de détention en France : Permanence juridique Julien Nève : 01 44 52 87 96, julien.neve@oip.org ou Marie Crétenot : 01 44 52 87 94, marie.cretenot@oip.org 31, rue des lilas 75019 Paris

L’OIP en région  Les coordinations régionales mènent leur action d’observation et d’alerte au sujet de tous les établissements pénitentiaires de la région concernée, en lien avec les groupes et correspondants locaux présents : Pour contacter les coordinations régionales : Région Ile-de-France François Bès 31, rue des Lilas 75019 Paris 01 44 52 87 95 fax : 01 44 52 88 09 francois.bes@oip.org

Région Nord-Pas-de-Calais Anne Chereul 70, rue d’Arcole BP 211 59018 Lille Cedex 06 63 52 10 10 anne.chereul@oip.org

Région Poitou-Charentes Barbara Liaras 8, bd du maréchal de Lattre de Tassigny 86000 Poitiers 06 22 90 27 60 barbara.liaras@oip.org

Région Rhône-Alpes Lionel Perrin 57, rue Sébastien Gryphe 69007 Lyon 09 50 92 00 34 fax : 09 55 92 00 34 lionel.perrin@oip.org

Les groupes et correspondants locaux assurent l’observation et l’alerte de la (les) prison(s) présente(s) dans leur ville, en lien avec les coordinations régionales et le secrétariat national : Pour les contacter vous pouvez joindre le secrétariat national : contact@oip.org ou 01 44 52 87 90 Aix-en-Provence, Agen (Eysses), Aiton, Amiens, Angoulême, Arras, Avignon, Bapaume, Bayonne, Bédenac, Béthune, Bois d’Arcy, Bonneville, Bourg-en-Bresse, Chambéry, Douai, Dunkerque, Fleury-Mérogis, Fresnes, Grenoble (Varces), Laon, Le Puy-en-Velay, Lille, Longuenesse, Lyon, Marseille, Maubeuge, Meaux, Melun, Metz,Nancy, Nanterre, Nîmes, Niort, Osny, Paris La Santé, Poissy, Poitiers, Privas, Rennes, Rochefort, Saintes, Saint-Etienne SaintMartin-de-Ré, Saint-Quentin-Fallavier, Toulon,Toulouse (Seysses), Valence,Valencienne, Versailles, Villefranche-sur-Saône, Villepinte.

Qu’est-ce que l’OIP ? Considérant que l’emprisonnement est une atteinte à la dignité de la personne, la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP), juridiquement créée en janvier 1996, agit pour la défense des droits fondamentaux et des libertés individuelles des personnes détenues. Que fait l’OIP ? Concrètement, l’OIP dresse et fait connaître l’état des conditions de détention des personnes incarcérées, alerte l’opinion, les pouvoirs publics, les organismes et les organisations concernées sur l’ensemble des manquements observés ; informe les personnes détenues de leurs droits et soutient leurs démarches pour les faire valoir ; favorise l’adoption de lois, règlements et autres mesures propres à garantir la défense de la personne et le respect des droits des détenus ; favorise la diminution du nombre de personnes détenues, la limitation du recours à l’incarcération, la réduction de l’échelle des peines, le développement d’alternatives aux poursuites pénales et de substituts aux sanctions privatives de liberté. Comment agit l’OIP ? Organisation indépendante des pouvoirs publics, l’OIP ne sollicite aucun mandat ou subvention du ministère de la Justice, s’interdit de prendre part à l’action d’aucun gouvernement, de soutenir aucun parti politique ou de prendre position à l’occasion de toute consultation électorale. Pour faciliter la mise en œuvre de ses objectifs, l’Observatoire suscite la création de coordinations régionales et de groupes locaux en charge de l’observation d’un lieu de détention et composés exclusivement de membres de l’OIP.


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