‘ La France a rendez-vous avec ses prisons’’... Rachida Dati, 11 juillet 2007 La loi (de l’administration) pénitentiaire Nomination du contrôleur : Comment, qui, quand ? Première condamnation pour une détention indigne
Observatoire international des prisons Section française
5 € N°65 Avril 2008
EDITORIAL
Publicité mensongère Le nom du Contrôleur général des lieux privatifs des libertés n’est pas encore connu, la loi pénitentiaire, tant attendue, n’en finit plus d’être annoncée, mais la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) a déjà amorcé ce que l’on pressent être un plan de communication tous azimuts. Au point – audace sans précédent – d’accorder à une radio (RMC) l’exclusivité d’une matinée en direct depuis une prison. L’opération s’est déroulée le 28 mars. « Une performance bien préparée », souligne l’animateur de l’émission, apparemment convaincu qu’elle va « permettre une parole franche, montrer la réalité de la vie carcérale ». Au programme : quatre heures au sein de la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône (Rhône), autrement dit dans un établissement « pilote » pour ce qui est de l’expérimentation des règles pénitentiaires européennes, récent « cadre éthique » autant que « charte d’action » de la rue du Renard. Se succèdent au micro le directeur de cette administration, celui de la maison d’arrêt, un surveillant, un conseiller d’insertion et de probation, un membre des services de santé, un aumônier, un bénévole de la maison d’accueil des familles et, pour finir, Jean-Olivier Viout, président du feu Comité d’orientation restreint chargé par Rachida Dati d’enrichir sa réflexion sur la future loi pénitentiaire. Une réunion de famille donc. Où l’on dépeint la grandeur et les vicissitudes du métier de surveillant, où l’on théorise sur la nécessaire différenciation des régimes de détention des dangereux criminels et des petits délinquants, où l’on se flatte que les personnes détenues puissent gagner jusqu’à 1 000 euros par mois. Ces dernières ne pourront confirmer ou infirmer ces dires. Elles n’ont eu droit à la parole que par le biais de deux questions préenregistrées. Et comme seules voix discordantes, celle de l’OIP, convié au dernier moment à intervenir quelques minutes au début de l’émission et une poignée de secondes à la fin, ainsi que quelques auditeurs hébétés par cette stupéfiante opération d’autopromotion. L’administration pénitentiaire a décidément bien retenu les leçons de 2000 et a appris à soigner son image. Désormais, elle n’hésite plus à communiquer et prend même les devants. La population carcérale explose ? Non, elle est « en progression ». Et plutôt que d’avoir à réagir à chaud face à des articles critiques, on organise une conférence de presse pour aider à la bonne lecture des statistiques, vendre l’idée d’une augmentation de 40 % en un an des aménagements de peine ou vanter l’expérimentation réussie de séparation des prévenus et condamnés à la maison d’arrêt de Metz (Moselle). Quant aux critiques, l’administration s’en débarrasse d’un revers dédaigneux. Il ne faut pas prendre un cas précis pour une généralité, s’est entendu dire en décembre dernier le Comité européen de prévention de la torture. « Vous êtes resté bloqué à la prison des années 1970, mais la prison a changé », n’a cessé de marteler sur l’antenne de RMC Claude d’Harcourt à son interlocuteur de l’OIP. Le même jour, quelques heures après l’émission, on apprenait pourtant qu’un tribunal administratif venait de condamner l’État pour avoir maintenu un homme dans des conditions indignes entre 2003 et 2007. Ce qui est le lot quotidien des détenus des maisons d’arrêt. Les deux tiers des établissements de France et de Navarre. « La prison change, changez là avec nous », affirmait un slogan choisi par l’administration pénitentiaire en 2003 pour recruter des surveillants. La prison n’a pas vraiment changé. Mais la DAP, qui a fini par le croire, entend désormais le faire avaler au plus grand nombre. Stéphanie Coye N°65 Avril 2008
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SOMMAIRE 3 Actu De la loi pénitentiaire… à la loi de l’administration pénitentiaire Nomination du contrôleur des lieux privatifs de liberté : Comment ? Qui ? Quand ? L’enfermement après la peine désormais possible Conditions de détention indignes : la justice accepte d’indemniser un détenu Après le suicide d’un mineur, les EPM sous le feu des critiques 18 De facto : Prévention du suicide défaillante au quartier disciplinaire de Nanterre ; Les effets post-traumatiques de l’isolement reconnus par le juge administratif ; L’AP mise en cause par la famille d’un jeune homme décédé à Valence ; La CNDS appelle au respect de l’éthique médicale en prison ; etc.
25 Témoignages
Incapacité et handicap en prison : non-assistance à personne dépendante
29 En actes Une ethnologue parmi les jeunes de Fleury : plongée effrayante dans une prison modèle Récidivistes : arrêt sur images ; Chroniques du « cyclone sécuritaire » intra-muros ; L’histoire de la prison par ceux qui la vivent ; Présupposés et stratégies de la frénésie sécuritaire ; De la prison à la liberté 32 Lettres ouvertes « Les visiteurs ne sont pas un exutoire ! » ; « les geôles du palais de justice de Créteil » ; « bac + 8 » ; « pointeur » ; « La justice ne lui a même pas permis de passer les 13 derniers jours de sa vie en famille. » ; « Une application de plus en plus stricte du règlement »
DEDANS DEHORS publication bimestrielle de la section française de l’Observatoire international des prisons, association loi 1901, 7 bis, rue Riquet, 75019 Paris, Tél.: 01 44 52 87 90, Fax: 01 44 52 88 09, e-mail : contact@oip.org Internet : http://www.oip.org Directrice de la publication : Martine Joanin Rédaction en chef : Stéphanie Coye et Patrick Marest Rédaction : Jean Bérard, Stéphanie Coye, Patrick Marest, Lionel Perrin. Secrétariat de rédaction : Stéphanie Coye, Anne Fellmann, Andrée Martins, Pascale Poussin. Identité graphique : MG., L.D.<dlaranjeira@caramail.com> Maquette : Claude Cardot/Vélo Photos : Bertrand Desprez, Claudine Doury, Nicole Henry-Crémon, Célia Quilleret, Michel Le Moine. Remerciements à : Agence VU, Editing, L’oeil public Impression : Imprimerie Expressions 2-GP, 10 bis, rue Bisson, 75020 Paris Tél. : 01 43 58 26 26 ISSN : 1276-6038 numéro CPPAP en cours Diffusion sur abonnement au prix annuel de 30 Prix au numéro : 5 € Couverture : Michel Le Moine
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De la loi pénitentiaire à la loi de… l’administration pénitentiaire
© Claudine Doury
Désormais connues, les premières dispositions de la future loi pénitentiaire semblent sonner le glas de la réforme attendue et promise. Le Parlement sera saisi dans les semaines à venir d’un texte écrit par l’administration, et fait pour elle. À l’aune de ses propres buts et considérations. Le « grand rendez-vous de la France avec ses prisons » annoncé par la garde des Sceaux se voit ainsi détourné de son objet social initial. Ce qui ne devrait pas laisser indifférents les parlementaires. Sans parler des détenus, personnels et intervenants.
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vec l’instauration d’un « contrôle général indépendant des prisons doté de tous les pouvoirs nécessaires »1, l’élaboration d’une loi devant « préciser les missions de l’administration pénitentiaire et les conditions générales de la détention » est l’autre réforme promise par Nicolas Sarkozy pour remédier à une situation qu’il dénonçait en ces termes : « être condamné à une peine de prison, ce n’est pas être condamné à être maltraité par d’autres détenus, à ne plus avoir de contacts avec sa famille, à vivre dans une cellule surpeuplée, à se sentir acculé au suicide ». Initialement annoncé comme devant être présenté au Parlement à l’automne 2007, puis prévu pour décembre, le projet de loi est désormais inscrit au programme des travaux de l’Assemblée nationale en juin prochain. Sauf nouveau report, on devrait donc connaître d’ici quelques semaines le contenu de ce texte attendu de pied ferme par les parlementaires de tous bords. Une partie du secret l’entourant est d’ores et déjà levée, une présentation partielle ayant été faite aux organisations syndicales à la fin du mois de février. Suscitant une désillusion immédiate parmi elles et, plus largement, au sein des acteurs du monde des prisons. Il est vrai que la lecture du document transmis – une vingtaine de pages dans lesquelles on découvre la trentaine d’articles d’ores et déjà arbitrés – laisse pantois. Il était attendu d’une loi pénitentiaire qu’elle concrétise ce que le Premier président de la Cour de cassation2 estimait dès 2000 comme un préalable indispensable à la mise en œuvre utile d’un contrôle extérieur, à savoir « l’aménagement d’un cadre de référence précis, partant de l’idée que la prison est un lieu régi par le droit commun, dans lequel le détenu doit bénéficier d’un statut
de citoyen seulement privé de sa liberté de mouvement, et prenant en considération les recommandations internationales ainsi que les exigences d’un État de droit ». Loin de matérialiser ce renversement radical de perspective auquel l’ensemble des instances nationales et internationales de protection des droits de l’homme ont affirmé, depuis, leur attachement, le projet de texte que s’apprête à présenter le ministère de la Justice témoigne d’un scandaleux détournement de l’objet social initial de la loi pénitentiaire. À défaut de délibérer sur un texte visant à engager des évolutions en profondeur des conditions de vie et de travail derrière les murs, les parlementaires seront dont invités à entériner la loi de l’administration pénitentiaire.
La prison de demain attendra… Les pontes de la rue du Renard3 ne font plus mystère des objectifs qu’ils poursuivent au travers du vote de la future loi. Il ne s’agit pas à leurs yeux de consacrer la prééminence du droit en prison ou de tirer toutes les conséquences juridiques de la reconnaissance à la personne détenue de sa qualité pleine et entière d’homme, de citoyen, de justiciable ou encore d’usager du service public pénitentiaire. De leur point de vue, c’est chose faite ! Ne lit-on pas dans un document4 émanant de la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) datant de l’été dernier… d’une part, que « les règles pénitentiaires européennes sont pour l’essentiel déjà transcrites dans notre réglementation » et d’autre part, que les lois du 9 septembre 2002 et du 9 mars 2004 avec « les textes réglementaires qui les ont suivis ont intégré dans N°65 Avril 2008
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notre cadre normatif les dispositions qui figuraient dans le projet de loi pénitentiaire de 2002 ». Pour la DAP, la réforme des prisons est donc une affaire classée. Et pour les esprits chagrins qui n’auraient pas encore compris que la prison a (déjà) changé, une petite brochure5 récemment diffusée auprès des médias est venue mettre les points sur les i. La loi pénitentiaire « donnera à l’administration un cadre normatif rénové qui traduira les avancées de ces 20 dernières années ». Une rengaine présente également dans le document de présentation du projet de texte aux syndicats où il est doctement affirmé qu’« il est temps qu’une loi fondamentale reflétant la prison d’aujourd’hui soit débattue ». La prison de demain attendra ! Pour l’instant, il est manifeste que la réforme ne doit avoir d’autre prétention que d’entériner la situation actuelle. Ce qui ne manquera pas de scandaliser tous ceux qui espéraient du « grand rendez-vous de la France avec ses prisons » annoncé par Mme Dati qu’il se traduise, a minima, par la prise en compte des récurrentes dénonciations des carences de notre système carcéral et de l’acceptation des modifications substantielles et concrètes qu’elles imposent.
Lutter contre l’arbitraire administratif Au premier rang des objectifs assignés à la loi, figurait la nécessité de remédier à un environnement juridique déficient dans la protection des droits des détenus en « restaurant le domaine de la loi », selon l’expression de Guy Canivet. En d’autres termes, il s’agit d’en finir avec une situation où le détenu est considéré comme une personne subordonnée par voie réglementaire à la seule hiérarchie administrative. Le candidat Nicolas Sarkozy s’était engagé sur ce point dans sa réponse aux États généraux de la condition pénitentiaire, en affirmant que la loi pénitentiaire devra « surtout, puisque c’est une loi, fixer les droits et les devoirs des détenus, dont beaucoup sont aujourd’hui prévus par des textes de niveau inférieur alors qu’ils relèvent évidemment
Une partie du secret entourant le contenu du projet de loi a été levée, suscitant une désillusion immédiate. de la loi ». Depuis, Rachida Dati a à son tour assuré que la loi pénitentiaire permettrait de « garantir les droits fondamentaux des personnes détenues en apportant des réponses concrètes aux questions posées par la mise en œuvre de ces droits ». Sur ce point, il est prévu qu’un article énonce effectivement que « l’administration pénitentiaire garantit à tout détenu le respect des droits fondamentaux inhérents à la personne ». Mais suit aussitôt la précision que l’exercice de ces droits pourra faire l’objet de restrictions « résultant de mesures nécessaires au maintien de l’ordre et de la sécurité dans l’établissement pénitentiaire, à la protection des intérêts des victimes, des personnels et collaborateurs du service public ou à la prévention de la récidive ». Certes, désormais, le principe est reconnu et les limitations n’apparaissent désormais que comme l’exception, ce qui est en soi une révolution dans un monde où jusqu’à présent tout ce qui n’est pas autorisé est interdit. Cependant, pour n’évoquer que la référence à « l’ordre et la sécurité dans l’établissement pénitentiaire », cette restriction autorise l’administration à y déroger comme bon lui semble. D’autant qu’aucun dispositif contraignant, qui permettrait de garantir la mise en œuvre des droits, n’est prévu dans le projet de loi. En outre, les détails de cette mise en œuvre sont le plus souvent renvoyés à des décrets. Les rédacteurs se sont ainsi bien gardés d’écrire dans la loi ce qui est l’essentiel : la définition précise des atteintes aux droits que peut s’autoriser l’administration pénitentiaire, les justifications qu’elle doit apporter, les recours des détenus, etc. Ni plus ni moins que ce que demande avec insistance la Commission nationale consultative des droits de l’homme6 depuis 2004. Or, la prison, pour devenir un espace de droit, a autant, si ce n’est plus, besoin de grands principes que de règles protectrices détaillées,
Les syndicats boycottent le comité mixte paritaire Le 28 mars, devait se tenir un comité mixte paritaire ministériel afin que soit présenté et discuté le projet de loi avec les syndicats concernés. Aucun document, et encore moins le projet de loi définitif lui-même, ne leur ayant été envoyé au préalable, la plupart des organisations ont décidé de boycotter la réunion, entraînant son annulation et son report sine die. Dans un communiqué commun, l’Unsa-Justice, la CGT, la CFDT, le FSU et le Syndicat de la magistrature ont justifié leur décision en expliquant que la loi pénitentiaire « mérite mieux qu’une simple présentation destinée à créer l’illusion d’une consultation des acteurs de terrain » et en exprimant leurs craintes que « les tergiversations ministérielles soient en fait révélatrices des faiblesses d’un projet de loi aux ambitions minimalistes ». L’UFAP a également dénoncé « un simulacre de concertation » et « un dialogue social en trompe l’œil ». Il s’en est aussi pris vivement à la garde des Sceaux, « constamment aux abonnés absents » et qui « s’en fout ! », ainsi qu’à son cabinet ministériel, décrit comme « dépassé et irresponsable » face à des « conditions de travail et de détention inhumaines » et une « situation nationale pénitentiaire [qui] n’a jamais été aussi critique qu’aujourd’hui ». Enfin, dénonçant « l’organisation d’une telle instance, sur un ordre du jour aussi important que la loi pénitentiaire et cela, sans aucun document fourni par l’administration », FO a de son côté interpellé « la ministre de la Justice, sur l’urgence d’avoir les documents arbitrés, afin de pouvoir aborder, dans la sérénité, la discussion portant sur la loi pénitentiaire ». (OIP)
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qui préviennent toute décision discrétionnaire. Chacun sait que l’exercice des droits dans un monde fermé nécessite que ceux-ci trouvent dans la loi précision, clarté et donc, protection. À défaut, le texte renonce à combattre réellement l’arbitraire administratif. Cela revient en outre à ôter beaucoup du pouvoir de contrôle démocratique dont sont censés disposer les parlementaires. Ceux-ci détermineront seulement quelques orientations législatives, dont l’exécutif décidera seul comment et sous quelles réserves les appliquer par le biais d’un décret.
Droit constant À l’exception de cette reconnaissance de principe et de quelques rares avancées, comme le droit de téléphoner, enfin reconnu aux prévenus, le texte fait preuve en outre d’un impassible conservatisme. Ainsi, concernant la vie privée et les liens familiaux, le texte se contente de reprendre à peu de chose près ce qui existe déjà dans les décrets en vigueur, ajoutant qui plus est des restrictions au nom de l’ordre et de la sécurité. Autre exemple, le droit de vote, la loi précise seulement que l’établissement pénitentiaire pourra être assimilé au domicile de la personne et que celle-ci pourra se voir accorder une procuration, voire une permission de sortir pour se rendre aux urnes, mais ne prévoit toujours pas l’installation d’isoloir en détention, comme s’y est pourtant engagée l’administration pénitentiaire. Surtout, les mesures les plus attentatoires à la dignité des personnes, à l’origine de réquisitoires en série de la part des instances françaises et européennes de protection des droits de l’homme, demeurent en l’état ou presque. Aucun changement réel sur le placement à l’isolement, les transferts répétés ou la procédure disciplinaire, qui reste entre les mains du directeur de la prison, ni même sur le régime des fouilles, qui devait pourtant, selon les engagements pris par Nicolas Sarkozy, être « profondément revu ». La seule évolution consentie est un abaissement de la durée maximale de placement au quartier disciplinaire, qui passe de 45 jours à… 40 jours ! Alors qu’elle est de 3 jours en Écosse et en Irlande, 9 jours en Belgique, 14 jours en Angleterre, 15 jours en Italie ainsi qu’aux Pays-Bas et 28 jours en Allemagne.
Des dispositions inquiétantes L’administration pénitentiaire n’a en revanche pas manqué de saisir l’occasion pour légaliser des pratiques contestables. Comme l’indique le document remis aux syndicats, l’introduction de certaines dispositions vise en effet clairement à « renforcer la sécurité juridique » de certaines mesures d’ores et déjà mises en œuvre par l’administration pénitentiaire – et qui commencent à être contestées avec succès devant les tribunaux administratifs – « en les élevant au niveau législatif ». C’est le cas notamment du partage d’information, expérimenté ici ou là dans certaines prisons par le biais d’un logiciel informatique que chaque service est invité à consulter et remplir, au mépris notamment du respect du secret médical ; ou encore de la différenciation
des régimes de détention, présentée comme la mise en œuvre du « principe d’individualisation du régime de détention », mais sans que soient décrits précisément les critères sur lequel elle se fondera, se contentant de la mention : « en fonction de la personnalité, de la dangerosité et des efforts de réinsertion des détenus ». L’administration pénitentiaire a même été jusqu’à inclure un projet particulièrement scandaleux : la création d’un fichier « de données à caractère personnel » concernant toutes les personnes placées, ou ayant été placées, sous main de justice, mais aussi toutes « personnes entretenant ou ayant entretenu des relations » avec les premières. On peine à imaginer le nombre de millions personnes potentiellement concernées !
Deux mesures phares L’administration pénitentiaire espère sans doute que cette funeste perspective passera inaperçue grâce à la mise en avant de deux mesures phares : le développement des aménagements de peine et la mise en place d’un parcours de mobilisation. Le vendredi 11 avril 2008, Rachida Dati, accompagnée du Haut-commissaire aux solidarités actives, Martin Hirsch, s’est ainsi rendu au centre de détention de Muret (Haute-Garonne) pour présenter « les dominantes de la prochaine loi pénitentiaire » : « l’éducation, la formation, les aménagements de peine ». Autant de thématiques qui sont peu présentes dans la version de l’avant-projet de la loi communiquée aux organisations syndicales. Et pour cause, les articles en question sont encore en arbitrage ministériel car des blocages demeurent. Le parcours de mobilisation notamment, qui est supposé organiser « un véritable droit à l’insertion » pour les personnes détenues, pourrait pâtir de l’aggravation des déficits publics, et ne jamais apparaître dans le projet définitif. En l’état, la promesse de Nicolas Sarkozy de mettre en œuvre « une grande loi pénitentiaire permettant à notre démocratie de définir ce qu’elle attend de ses prisons et de se donner les moyens de sa politique dans ce domaine » semble bien lointaine. Au point de laisser penser qu’est désormais acté l’abandon de toutes velléités d’évolutions en profondeur des conditions de vie et de travail derrière les murs au profit d’un simple toilettage juridique destiné à poser quelques rustines sur un droit anachronique et conforter les orientations sécuritaires de l’administration pénitentiaire. Jean Bérard et Patrick Marest 1) Une loi instituant un « contrôleur général des lieux privatifs de liberté » a été votée le 30 octobre 2007. 2) Amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires, Commission présidée par Guy Canivet, La Documentation Française, 2000. 3) L’adresse du siège de la direction de l’administration pénitentiaire à Paris. 4) « Projet de loi pénitentiaire, Enjeux », DAP, juillet 2007. 5) « Chiffres clés 2007 - Perspectives 2008 », site du ministère de la Justice. 6) Dans son Étude sur les droits de l’homme dans la prison, éditée à La Documentation française en mai 2007.
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Nomination du Contrôleur des lieux privatifs de liberté
Comment ? Qui ? Quand ?
Près de six mois ont passé depuis le vote définitif de la loi instaurant le Contrôleur général des lieux privatifs de liberté sans qu’aucune nomination n’ait eu lieu. Un délai incompréhensible qui s’ajoute à l’opacité entourant la procédure de nomination, contraire à l’esprit et la lettre du Protocole que s’apprête enfin à ratifier la France. Dans ce contexte, les rumeurs les plus diverses circulent autour du nom de la personne appelée à assumer cette charge, mais aussi des interrogations sur la réelle volonté du gouvernement de franchir le dernier pas.
Quand le Contrôleur des prisons sera-t-il nommé ? La question revient inlassablement à chaque point presse hebdomadaire du porte-parole de la Chancellerie. Imperturbable, Guillaume Didier répond qu’il n’y a aucun retard, que la promesse du candidat Sarkozy de créer cette nouvelle autorité administrative indépendante a été mise en œuvre en seulement dix mois, alors que cette réforme était attendue depuis dix ans, et que « tout le monde a intérêt à ce qu’on prenne le temps » de choisir la bonne personne.
« L’Arlésienne » Il est vrai que la nécessité de créer une telle instance est affirmée de très longue date et qu’il revient à l’actuel gouvernement le mérite d’avoir fait aboutir ce dossier. Il est tout aussi vrai que le choix de la personnalité qui aura la responsabilité d’être le premier contrôleur est fondamental, parce qu’il déterminera la nature réelle du contrôle mis en œuvre. Pour autant, ces délais laissent perplexes, jusque dans les rangs même de la majorité. Le 21 février dernier, sur France Inter, le sénateur René Lecerf s’est dit ainsi « surpris » de l’absence de nomination du contrôleur, qu’il compare à « l’Arlésienne »1. Cette autorité était pourtant appelée à entrer en fonction début 2008, d’après ce qu’avait annoncé la garde des Sceaux. Jusqu’au mois de mars, l’argument mis en avant pour expliquer le retard était que le décret d’application était en cours de rédaction, puis en cours de validation par le Conseil d’État, puis « en cours de signature dans les ministères ». Il est finalement paru le 12 mars 2008 (n° 2008-246, publié au Journal officiel du 13 mars 2008). Force est de constater qu’un mois a passé depuis et qu’aucun contrôleur n’a été nommé. GrâN°65 Avril 2008
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ce à ce texte, on en sait néanmoins un peu plus sur le profil des personnes qui seront amenées à l’assister.
Le profil des contrôleurs Le texte précise en premier lieu que les contrôleurs ne pourront être nommés si le bulletin n° 2 de leur casier judiciaire fait état d’une condamnation, d’une incapacité ou d’une déchéance. Ils devront en outre être choisis parmi des magistrats, fonctionnaires, praticiens hospitaliers, militaires ou agents non titulaires de droit public2, en activité ou retraités. Pour garantir leur indépendance, le décret énonce qu’ils ne pourront faire l’objet de mesure défavorable (sanctions disciplinaires, mutations, etc.) en raison de leurs activités au sein de l’institution. Le Contrôleur général pourra néanmoins faire appel « à des intervenants extérieurs [..] qui lui apportent leur concours de façon continue ou intermittente, en qualité de contrôleur, sans renoncer à leur activité principale ». Pour le reste des dispositions, le décret se contente de préciser que, lorsque le Contrôleur général, lors de l’envoi de ses observations, demandera aux ministères concernés de répondre dans un certain délai, celui-ci ne pourra être inférieur à un mois. Ne sont cependant pas concernés les cas où, constatant une violation grave des droits fondamentaux, il estimera devoir la rendre immédiatement publique.
La nécessité d’une désignation démocratique Le décret ne fait aucune référence au processus de nomination du Contrôleur général ni à son profil. La loi, elle, prévoit seulement qu’il est « nommé en raison de ses compétences et connaissan-
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ces professionnelles par décret du Président de la République, après avis de la commission compétente de chaque assemblée ». Le « Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants » adopté en 2002 par les Nations Unies, qui est à l’origine de la loi française même s’il n’a pas encore été ratifié par le Parlement, est cependant plus précis. Il prévoit en effet que, « lorsqu’ils mettent en place les mécanismes nationaux de prévention, les États Parties tiennent dûment compte des Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme ». Or, ces Principes, dits « Principes de Paris », énoncent que ce type d’institutions doit être mis en place « selon une procédure présentant toutes les garanties nécessaires pour assurer la représentation pluraliste des forces sociales (de la société civile) concernées par la protection et la promotion des droits de l’homme ». Cela devrait se traduire tout au moins par une consultation de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), d’autant que cette instance traite régulièrement des questions touchant chacun des champs concernés par le mécanisme de contrôle. C’est ce qu’ont rappelé plusieurs associations3 dans une lettre ouverte au Président de la République mi-avril. C’est aussi ce que préconisait Guy Canivet, dans son rapport sur le contrôle extérieur des établissements pénitentiaires en 2000. Pour lui, le recrutement du « Contrôleur général des prisons » doit donner lieu à une procédure comprenant un appel public à candidatures, une sélection par un organisme indépendant tel que la CNCDH, qui proposerait le candidat retenu à l’autorité de nomination.
Avec encore beaucoup d’atermoiements sur le profil jugé idoine. Selon le porte-parole de la Chancellerie, « quelqu’un qui serait spécialiste des problèmes de psychiatrie pourrait se porter candidat et pourrait être un candidat utile et intéressant », de même que « quelqu’un qui connaît parfaitement la procédure de la garde à vue, des centres de rétention administrative ».
Pas encore nommé mais déjà enterré ? Dans ce contexte marqué par l’opacité, les rumeurs vont bon train. Deux noms ne cessent d’être évoqués : celui de Véronique Vasseur, ancien médecin à la prison de la Santé et candidate UMP malheureuse aux élections législatives et municipales et celui de Nicole Guedj, ancienne secrétaire d’État aux droits des victimes, elle aussi candidate UMP battue aux législatives. D’autres n’ont pas totalement disparu, comme celui d’Arno Klarsfeld, l’avocat proche de Nicolas Sarkozy. Ou apparaissent encore, tel celui de Michel Hunault, député du Nouveau Centre. Comme le souligne le député socialiste JeanJacques Urvoas, l’ajournement sans fin de la nomination ne fait « qu’alimenter la rumeur d’une possible désignation de complaisance »4. Et fait même craindre que la perspective d’entrée en fonction du contrôleur ne soit plus d’actualité. Entre-temps, le « Comité Balladur », chargé de réfléchir à la modernisation des institutions, a en effet préconisé la création d’un « Défenseur des droits fondamentaux », qui aurait « tout ou partie des attributions du Médiateur de la République, du Défenseur des enfants, du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, de la Halde et de la CNIL ». À la suite de ce rapport, un projet de loi constitutionnelle a été préparé, qui prévoit la création d’« un Défenseur des droits des citoyens », sans plus de précisions. Le texte a été transmis au Conseil d’État. Son passage à l’Assemblée est annoncé pour le mois de mai. On saura alors si le Contrôleur tant attendu est dissous dans cette nouvelle institution avant même d’avoir été nommé.
Pour le député
Jean-Jacques Urvoas,
l’ajournement sans fin de la nomination
ne fait « qu’alimenter la rumeur
d’une possible désignation de complaisance ».
Manque de transparence Une déclaration récente de Rachida Dati a pu laisser penser un temps que l’exécutif allait faire montre d’une plus grande transparence. Lors d’un forum organisé le 28 février 2008 par le site d’information Rue89, elle a annoncé que « les candidats feront l’objet d’une audition par les commissions au Parlement avant la nomination ». Cet engagement n’a pas fait long feu. Dans son point presse du 10 avril, Guillaume Didier a fait savoir que le gouvernement avait reçu « pas mal de candidats », dont certains « méritent une analyse un peu plus fine » parce qu’il s’agit de « gens à qui personne n’aurait pu penser, des gens qui ne sont pas connus ». « Toutes les candidatures sont examinées », a-til alors expliqué, mais « le gouvernement proposera à l’avis des commissions des deux assemblées le candidat qui semble être le meilleur ». Un seul nom devrait donc être soumis à l’appréciation des députés et sénateurs membres des commissions des lois.
Stéphanie Coye 1) Expression tirée d’une nouvelle du même nom d’Alphonse Daudet et désignant un personnage « fantôme », dont on parle mais qui n’apparaît jamais. 2) Statut des personnes travaillant sous contrat dans la fonction publique, sans disposer du statut de fonctionnaire. 3) L’ACAT-France, les aumôneries catholique et protestante des prisons, Ban Public, la FARAPEJ, le GENEPI, la Ligue des droits de l’homme, l’OIP, le syndicat de la magistrature, la CGT pénitentiaire, etc. 4) « Avons-nous créé un fantôme ? », Libération, 19 mars 2008. N°65 Avril 2008
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La rétention de sûreté, qui permet d’enfermer certains criminels considérés comme dangereux après leur peine et pour une durée potentiellement infinie, vient de faire son entrée dans notre système pénal. Le Conseil constitutionnel a en effet choisi de valider cette peine qui ne dit pas son nom, en réduisant quelque peu les possibilités d’application immédiate. Celle-ci sera possible, non pas directement à la sortie de prison, mais si une personne, placée sous surveillance de sûreté, ne respecte pas les obligations de la mesure.
L’enfermement après la C’est fait. Désormais, des personnes1 pourront faire l’objet d’une « surveillance de sûreté »2 et le cas échéant être enfermées dans des « centres socio-médico-judiciaires de sûreté », pour une durée d’un an indéfiniment renouvelable, après avoir purgé leur peine, sans avoir commis une nouvelle infraction, mais parce qu’une commission aura considéré qu’elles présentent une « particulière dangerosité ». La loi qui les instaure est en effet parue au Journal officiel du 26 février 20083, après que la très grande majorité de ses dispositions ait été validée par le Conseil constitutionnel.
« Ni une peine, ni une sanction », selon le Conseil constitutionnel
cation aux personnes condamnées pour des faits commis avant la publication de la loi, estimant que, « eu égard à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite et au fait qu’elle est prononcée après une condamnation par une juridiction », la rétention était contraire à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui affirme que « nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Cette censure implique que les personnes qui purgent actuellement une peine ne pourront être placées en rétention directement à leur sortie de prison. Elles pourront cependant faire l’objet d’une surveillance de sûreté et, si elles ne respectent pas les obligations de la mesure, être ensuite enfermées dans un centre de rétention. La loi reste donc au moins en partie rétroactive.
Désormais, un condamné peut être soumis à
Les huit membres de l’institution ont estimé dans leur décision du 21 février que « la rétention de sûreté n’est ni une peine, ni une sanction ayant le caractère d’une punition » et que « la surveillance de sûreté ne l’est pas davantage ». De ce fait, ni l’une ni l’autre ne violeraient la présomption d’innocence ou le principe selon lequel les atteintes portées à l’exercice des libertés individuelles doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées. Eu égard notamment « à l’extrême gravité des crimes visés et à l’importance de la peine prononcée par la cour d’assises », ainsi qu’aux « garanties » prévues pour « réserver la rétention de sûreté aux seules personnes particulièrement dangereuses parce qu’elles souffrent d’un trouble grave de la personnalité », les « Sages » ont considéré qu’elle apparaissait « en adéquation avec sa finalité ». Dans le même temps, ils ont cependant refusé son appli-
une surveillance jusqu’à
sa mort et, s’il ne respecte
Le Conseil constitutionnel a également exprimé une réserve d’importance concernant l’application future de la rétention directement à la sortie de prison, qui devrait fortement inciter le Gouvernement et les prochains à renforcer notablement les soins psychiatriques en prison, au risque sinon de donner une arme juridique aux personnes qui contesteront leur placement. Lors de l’examen du texte, le Sénat avait introduit un nouvel article au Code de procédure pénale (art. 717-1 A) prévoyant une évaluation, dans l’année qui suit la condamnation définitive, des personnes condamnées à une peine et pour une infraction susceptibles
pas ses obligations,
être enfermé dans un centre de rétention.
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Une réserve importante
ACTU d’entraîner une mesure de rétention, afin de déterminer des « modalités de prise en charge sociale et sanitaire au cours de l’exécution de sa peine » et un « parcours d’exécution de la peine individualisée ». Selon le Conseil constitutionnel, découle de cet article la nécessité que le condamné puisse, « pendant l’exécution de sa peine, bénéficier de soins ou d’une prise en charge destinés à atténuer sa dangerosité ». « Il appartiendra, dès lors, à la juridiction régionale de la rétention de sûreté, explique l’instance, de vérifier que la personne condamnée a effectivement été mise en mesure de bénéficier, pendant l’exécution de sa peine, de la prise en charge et des soins adaptés au trouble de la personnalité dont elle souffre ». À défaut, la
collectives, des dizaines d’associations de droits de l’homme et d’organisations de magistrats, avocats ou psychiatres lui avaient adressé leurs observations, en complément de la saisine effectuée par les parlementaires socialistes. Jusqu’à des magistrats de la Cour de cassation, tels que Jean-Pierre Dinti lhac et Roland Kessous, qui étaient sortis de leur réserve habituelle pour faire paraître une tribune dans Le Monde, fustigeant un texte « porteur de lourdes menaces pour les libertés » et cette « peine après la peine, sans infraction, [qui] bouleverse la philosophie de notre droit pénal, qui procède de la Déclaration des droits de l’homme ». Mais les arguments juridiques avancés n’ont eu guère de poids. Il faut dire que le matin même où
peine désormais possible rétention ne peut être considérée comme « nécessaire au but poursuivi » et est donc anti-constitutionnelle.
Parution opportune d’une liste de criminels La décision du Conseil constitutionnel a provoqué étonnement et mécontentement, d’autant que, dans les jours précédents l’examen de la loi par le Conseil, les prises de positions contre la loi s’étaient multipliées. Regroupées dans des démarches
se réunissait l’instance est opportunément parue dans Le Parisien une liste établie par la Chancellerie de « criminels particulièrement dangereux » libérables entre le 22 janvier 2008 et le 20 décembre 2010. Soit 31 hommes et une femme condamnés pour des « crimes [qui] frappent par leur violence ou leur caractère répétitif » – que le document prend soin de décrire – et dont, selon le quotidien qui cite une « source interne » au ministère de la Justice, « la très prochaine sortie de prison peut faire craindre pour la sécurité de chacun d’entre nous ».
Vers la fermeture de l’hôpital pénitentiaire de Fresnes ? Le choix de l’établissement public de santé national de Fresnes (EPSNF, Val-de-Marne) pour accueillir le premier centre de rétention, dès septembre 2008, était connu depuis l’annonce faite par Rachida Dati lors des débats à l’Assemblée nationale. Ce qui en revanche l’était moins, c’était que l’hôpital doit fermer d’ici 2012. La décision a été annoncée lors d’un conseil d’administration de la structure le 18 mars dernier, à la surprise générale des présents. La question de la pérennité de l’EPSNF se pose cependant depuis longtemps et a été de nouveau soulevée par la Cour des comptes au début de l’année. Dans un rapport rendu public en février, l’institution s’est en effet inquiétée de l’état de l’hôpital, demandant que des « mesures correctrices » soient apportées « sans délai » pour faire face aux « risques d’accidents » encourus par les patients, notamment en raison de « la pénurie de personnels ». Le bloc opératoire, cite par exemple le rapport, « ne réunit pas les conditions de sécurité sanitaire », de même que l’unité de dialyse qui ne comprend ni médecin spécialiste ni personnel en nombre suffisant. S’étonnant du budget de la structure, la Cour a appelé également les autorités à « clarifier le rôle » de l’EPSNF, notamment suite à l’ouverture ces dernières années des Unités hospitalières de soins interrégionales (UHSI) et de chambres sécurisées au sein des hôpitaux de proximité, qui ont entraîné une baisse de l’activité sanitaire de l’établissement de Fresnes. En réponse, Rachida Dati s’était cependant contentée de préciser que « l’administration pénitentiaire souhaite que le rôle de l’EPSNF soit clarifié quant à ses orientations médicales [...] dans le cadre du schéma national d’hospitalisation des personnes détenues », sans faire aucune référence à une possible fermeture. La brutalité de l’annonce a donc surpris les personnels. Depuis, le directeur de l’administration pénitentiaire, Claude d’Harcourt, a confirmé aux organisations syndicales, lors d’une visite à l’hôpital, sa fermeture probable d’ici quatre ans, après l’ouverture d’une UHSI de 80 à 100 places. La chirurgie devrait être transférée à l’hôpital de la Pitié-Salpetrière dès cette année. Quant au centre de rétention, aucune information n’a pour l’instant été donnée sur les conditions de son ouverture, de son fonctionnement ou de son devenir. (OIP) N°65 Avril 2008
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Vers une nouvelle loi ? Rachida Dati s’est félicitée de cette décision du Conseil constitutionnel, qui fait notamment sien le principal argument de la garde des Sceaux sur la nature juridique de la rétention, « une mesure de sûreté et non une peine ». Mais le président de la République, de même que plusieurs associations de victimes d’agressions sexuelles, n’ont pas affiché la même satisfaction. Bien au contraire. Dès le lendemain de la décision, Nicolas Sarkozy a annoncé son intention de saisir le Premier président de la Cour de Cassation, Vincent Lamanda, afin que celui-ci lui fasse des propositions pour permettre « une application immédiate » du texte, provoquant aussitôt un nouveau tollé dans les
milieux judiciaires, et au-delà. Dans une lettre de mission datée du 25 février 2008, le chef de l’État a rectifié légèrement le tir, rappelant que la décision du Conseil « s’impose à tous » et demandant cette fois au haut magistrat d’examiner « la situation née de la décision », afin de lui faire, dans un délai de trois mois, « toutes propositions utiles d’adaptation de notre droit pour que les condamnés, exécutant actuellement leur peine [...] puissent se voir appliquer un dispositif tendant à l’amoindrissement de ces risques ». Selon le Président, « l’objectif légitime de la protection des victimes ne peut se satisfaire pleinement d’un délai de quinze ans pour appliquer la totalité des dispositions [de la loi] ». Insistant sur le fait que, « derrière ces questions juridiques arides, c’est de drames humains dont il s’agit », il se
« Ma réinsertion, je me la ferai tout seul » Ce récit provenant d’un centre de détention qui accueille majoritairement des auteurs d’infractions sexuelles est éclairant sur les carences et défaillances auxquelles sont confrontés les détenus. Une situation qui empêche tout processus efficace de préparation à la sortie et dont les conséquences en matière de réinsertion sont désastreuses. Loin de s’interroger sur ses propres turpitudes, le gouvernement a préféré inventer la rétention de sûreté. Une réponse dilatoire à un problème qui demeure donc en l’état.
« Il n’y a plus de psychiatre attitré. [...] Pour le moment, c’est le chef de service de l’hôpital psychiatrique qui assure un minimum les suivis, en relais avec certains de ses confrères, mais lui-même est conscient que cela est bien insuffisant. L’unité fonctionne avec deux psychologues et deux infirmières psychiatriques pour plus de 420 détenus. Alors comment assurer un suivi sérieux ? [...] Pour ma part, il m’a fallu attendre plus de N°65 Avril 2008
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9 mois avant de rencontrer un psychologue. Et dire que dans 4 mois je serai libre... [...] À Toul, plus de 80 % de la population pénale est là pour des délits ou des crimes à connotation sexuelle, des “pointeurs”, des “tutus“, des “papillons“ comme on dit dans le langage carcéral. Avant, on avait la paix, mais ce n’est plus le cas. Le CD de Toul était classé centre de détention national et avait vocation à recevoir de longues peines. Voilà 2 ou 3 ans que nous accueillons des petites peines. [...] Pour eux, dès lors qu’on est européen, âgé de plus de 40 ans, on est tous des pédophiles notoires, mais que savent-ils vraiment de nos histoires ? Ce que des surveillants mal intentionnés leurs montrent par le biais de GIDE [le système de gestion informatisée des détenus]. Alors on se fait insulter, cracher dessus, agresser. [...] Je gagne entre 150 et 180 € à l’atelier où on est payé à la production (façonnage, encartage), ce qui fait un coût horaire entre 1 et 1,50 €. À combien est le SMIC ? J’effectue des versements à hauteur de 35 € par mois [pour indemniser les victimes]. Je crois largement dépasser le taux de 10 % souhaité par le juge de l’application des peines. Pourtant, on m’a retiré 22 jours de réduction de peine supplémentaires. Si on travaille, c’est pour payer les parties civiles et pour cantiner un tant soit peu, car on ne peut pas dire que le travail que nous effectuons ici est source de réinsertion. Que dire des fameux CIP [conseillers d’insertion et de probation], grand titre qui veut à la fois tout dire et rien dire. Quand j’ai
ACTU dit « convaincu que les responsables juridiques ne sauraient, sans faillir à leurs devoirs, se laisser aller à la résignation ». La réponse sera donnée à la fin du mois de mai. Stéphanie Coye 1) Sont concernées les personnes condamnées à une peine de réclusion criminelle de 15 ans ou plus pour des crimes d’assassinat ou de meurtre aggravé, de torture ou acte de barbarie aggravé, de viol aggravé, d’enlèvement ou de séquestration aggravé (si la victime est mineure, la qualification « aggravé » n’est pas nécessaire). 2) Qui peut être assortie d’une injonction de soins, d’une assignation à domicile ou d’un placement sous surveillance électronique mobile. 3) Loi n°2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.
reçu ma convocation pour passer mon bilan de compétences, j’avais plusieurs problèmes à résoudre. J’ai rencontré un “bricard”, très à l’écoute et très humain. [...] Il a envoyé un mail à mon travailleur social. La réponse est tombée le lendemain : le CIP allait me rencontrer la semaine suivante. J’ai passé mon évaluation le 7 février. Je n’ai toujours pas rencontré mon CIP. [...] Et que dire de la formation professionnelle. Là aussi de sérieuses coupes franches ont été faites. [...] J’ai demandé un aménagement de peine de type chantier extérieur. À ma grande stupéfaction, aucune des associations n’avaient de place. Je sortirai donc en fin de peine et ma réinsertion, je me la ferai tout seul. J’ai déjà effectué les démarches pour l’hébergement et la formation. En attendant celle-ci, j’ai trouvé une entreprise de travail temporaire et suis prêt à accepter n’importe quelle proposition honnête. Cerise sur le gâteau : les permissions. Je suis moi-même permissionnable depuis 2002, j’ai obtenu ma première permission en 2007. [...] Je suis sorti en permission le même jour qu’un détenu libéré, un bon copain, et j’ai pu comprendre le dur parcours d’un sortant de prison auprès des ASSEDIC, ANPE, CPAM, CAF et autres, car je l’ai accompagné et ai rempli les divers documents. On demande un RIB pour le versement des ASSEDIC. Quand on n’a pas de compte, il faut en ouvrir un, ce qui retarde d’autant l’ouverture des droits. Comme maintenant le téléphone portable est un outil devenu presque exigé – l’ANPE peut vous envoyer des SMS pour vous proposer une place –, il faut pouvoir s’en acheter un, mais quand on nous relâche avec 150 € en poche... Et la seule solution que proposent les CIP d’ici c’est le SAMU 115. Autrement dit la rue, ou presque, en plein mois de décembre. Que dire ? Pour les détenus démerdards, tout va bien, mais pour les détenus illettrés ou les sans-familles, comment font-ils ? Et on s’étonne des taux importants de récidivistes. [...] Alors, amis lecteurs et détenus, le seul conseil que je vous donne : votre réinsertion, faites-là vousmêmes ou avec l’aide de vos CIP, qui ne sont pas tous à mettre dans le même panier, et prenez-vous y deux ou trois ans avant votre fin de peine. » Personne détenue au centre de détention de Toul (Meurthe-etMoselle), mars 2008.
La réquisition de salles d’activités thérapeutiques à Amiens annulée par le tribunal Le 3 avril 2008, le tribunal administratif d’Amiens (Somme) a annulé une décision de la direction de la maison d’arrêt de la ville réquisitionnant des salles du service médico-psychologique régional (SMPR) pour en faire un quartier de semi-liberté. Les magistrats ont estimé que l’établissement n’était pas compétent pour la prendre. Une telle décision aurait en effet dû être prise conjointement avec l’agence régionale d’hospitalisation (ARH), la Direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP) et l’hôpital. Or, non seulement il s’agissait d’une décision unilatérale, mais elle était en outre intervenue contre l’avis du préfet et contre la volonté de l’hôpital, l’ARH ayant pour sa part été tenue à l’écart de la procédure. Cette réquisition avait pour but d’accroître le nombre de cellules de l’établissement, dans le cadre du « dispositif d’accroissement des capacités » (DAC). Ce programme, initié en 2004 au niveau national, visait alors à récupérer rapidement 1 500 places de détention supplémentaires. Pour ce qui la concerne, la direction de la maison d’arrêt d’Amiens avait décidé dès cette année-là de réaménager en quartier de semi-liberté des locaux d’hospitalisation de jour du SMPR. Étaient touchées dans un premier temps les chambres d’hospitalisation inutilisées, puis les deux salles servant à la tenue d’ateliers et d’activités thérapeutiques collectives telles que des groupes de parole sur la toxicomanie, la gestion des émotions, la victime, ou les auteurs d’agressions sexuelles. L’opération a coûté 193 300 euros, mais le quartier de semi-liberté n’a jamais été mis en service. En revanche, la quasi totalité des activités thérapeutiques ont été interrompues, le SMPR ayant été contraint de libérer les salles d’activité dès novembre 2005. À l’époque, la direction de l’établissement avait proposé de les remplacer par des espaces situés en sous-sol. Ceux-ci étant déjà utilisés pour l’enseignement et le service pénitentiaire d’insertion et de probation, le SMPR avait jugé la proposition inappropriée. Dans un courrier du 19 avril 2005, il avait fait part à la direction de « son extrême préoccupation » face à cette solution considérée comme « très mauvaise [...] parce qu’elle nuirait inévitablement au principe de confidentialité ». Le Préfet avait également exprimé, dès juin 2004, lors de la réunion de la commission de surveillance, son souhait que « la transformation des pièces du SMPR à d’autres fins (nouvelles cellules) ne soit définitivement arrêtée ». La direction n’avait rien voulu savoir. Et vient d’être condamnée pour cela. (OIP) N°65 Avril 2008
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conditions de détention indignes
La justice accepte un détenu L
a décision est tombée le 27 mars 2008. Et elle est historique. Pour la première fois, un tribunal administratif, celui de Rouen, a reconnu à une personne détenue le droit d’être indemnisée, notamment « eu égard à la durée particulièrement longue de l’encellulement dans de telles conditions, à la taille des cellules, à la promiscuité et l’absence de respect de l’intimité ». Les juges ont en effet considéré qu’en l’incarcérant « dans des conditions n’assurant pas le respect de la dignité inhérente à la personne humaine en méconnaissance de l’article D.89 du Code de procédure pénale »1, ainsi que des dispositions du même code en matière d’hygiène et de salubrité, l’administration pénitentiaire avait eu « un comportement fautif de nature à engager [sa] responsabilité ».
10,5 m2 pour 3 La requête avait été déposée par Christian D., incarcéré à la maison d’arrêt de Rouen depuis le 2 décembre 2002 dans des conditions qu’il estimait « dégradantes » et « portant atteinte à sa dignité ». Durant quatre années, il avait été successivement placé avec d’autres codétenus dans sept cellules différentes, dont la plus grande avait une superficie de 12,36 m2. Il a notamment partagé, explique son avocat dans le mémoire qu’il a déposé devant le tribunal, « avec deux autres détenus une cellule de 10,5 m2, comprenant, notamment, deux lits superposés, un lit simple, un lavabo et des WC qui ne sont séparés du reste de la cellule que par un muret d’une hauteur de 90 cm ». Ces cellules « ne comportaient pas de ventilation spécifique du cabinet d’aisance ni de cloisonnement véritable avec la pièce principale ». Les « cabinets » étaient « au surplus non munis d’occlusion de la cuvette et situés à proximité immédiate du lieu de prise des repas ». Ce qu’ont confirmé les rapports des deux experts, un médecin hygiéniste et un architecte, désignés par le tribunal à la demande du plaignant afin de « constater les conditions anormales dans lesquelles il est détenu ». Leurs conclusions sont en effet édifiantes.
Des risques majeurs pour la santé Le rapport du médecin liste notamment les risques encourus par les personnes détenues du fait d’« obligations légales non satisfaites », alors qu’elles « sont des recommandations d’hygiène de bases qui s’appliquent à toutes les formes possibles d’habitation N°65 Avril 2008
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individuelle mais aussi collective », et notamment celles liées à l’absence de séparation des toilettes, qui « constitue un manquement grave au Code de la Santé publique et au règlement sanitaire départemental ». Selon le médecin, dans ces conditions, « le risque de transmission interhumaine de germes pathogènes d’origine fécale (virus de l’hépatite C, B, salmonelles, virus des diarrhées épidémiques) à partir des latrines est majeur ». Il existe également un « risque de transmission de pathogènes bronchopulmonaires par transmission aérienne (grippe, tuberculose, méningites à méningocoque) » estimé « très important », et d’autant plus que, « en hiver, l’aération des locaux par ouverture de la fenêtre n’est pas toujours possible à cause du froid ». Ou encore un « risque de contracter une infection digestive ou pulmonaire, à partir d’un sujet malade », « majoré dans les conditions actuelles de détention à la maison d’arrêt de Rouen, comparativement à la vie civile ». Enfin, « l’utilisation d’appareils chauffants non contrôlée, non munis d’évacuation des gaz, explique le médecin, expose au risque d’intoxication au monoxyde de carbone et au risque d’incendie ».
« Les locaux doivent répondre aux exigences de l’hygiène » Pour le tribunal, il résulte des textes en vigueur2 « que si l’administration pénitentiaire peut déroger au principe de l’encellulement individuel du fait de la distribution intérieure des maisons d’arrêt, elle ne peut le faire que dans le respect de conditions satisfaisantes d’hygiène et de salubrité et le respect de la dignité inhérente à la personne humaine ». Le Code de procédure pénale (CPP) prévoit en effet que « l’incarcération doit être subie dans des conditions satisfaisantes d’hygiène et de salubrité, tant en ce qui concerne l’aménagement et l’entretien des bâtiments, le fonctionnement des services économiques et l’organisation du travail, que l’application des règles de propreté individuelle et la pratique des exercices physiques ». En outre, « les locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement, doivent répondre aux exigences de l’hygiène, compte tenu du climat, notamment en ce qui concerne le cubage d’air, l’éclairage, le chauffage et l’aération ». Et il n’a fait aucun doute pour le tribunal que les conditions de détention à Rouen « constituent, dans les circonstances de l’espèce, un manquement aux règles d’hygiène et de salubrité telles qu’elles sont définies dans le code de procédure pénale ».
d’indemniser
ACTU
Le Tribunal administratif de Rouen (Seine-Maritime) vient de reconnaître pour la première fois le droit d’un détenu à être indemnisé en raison des conditions d’incarcération indignes et insalubres qu’il a dû subir durant plus de quatre ans. Une décision symbolique, qui, dans le contexte de surpopulation des prisons françaises, ouvre une voie de recours inédite aux personnes incarcérées.
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13 © Bertrand Desprez / Agence Vu
Un jugement symbolique Christian D. demandait une indemnisation de 15 000 euros pour le préjudice subi. Il réclamait également qu’injonction soit faite à l’administration d’effectuer les travaux nécessaires afin de rendre l’établissement conforme aux prescriptions du règlement sanitaire départemental, sous peine d’une astreinte de 1 000 euros par mois de retard. Sur le premier point, le tribunal a estimé qu’il faisait « une juste appréciation du préjudice moral » en lui allouant la somme de 3 000 euros et, sur le second, qu’il ne lui revenait pas d’adresser des injonctions à l’administration, et qu’il ne pouvait donc exiger d’elle d’effectuer des travaux de mise en conformité. Comme le souligne le magistrat Michel Huyette3, « il s’agit d’une condamnation quasiment symbolique », notamment au vu du montant des dommages et intérêts alloués, « correspondant à 2 euros par jour ». Elle ouvre cependant une brèche décisive dans les possibilités de recours pour les détenus soumis à des conditions de détention indignes. Ce dont le tribunal avait parfaitement conscience. Dans ses conclusions, le commissaire du gouvernement, un magistrat indépendant chargé de faire connaître son appréciation sur le litige, arguait que ce jugement serait susceptible d’entraîner « des conséquences difficiles à gérer pour le ministère de la justice, dès lors que les conditions dans lesquelles le requérant a été détenu sont fréquemment rencontrées, notamment en maisons d’arrêt ». Et d’autant plus dans un contexte où la population carcérale ne cesse d’augmenter.
Vers un développement des plaintes Selon les dernières statistiques mensuelles publiées par l’administration, 65 842 personnes étaient écrouées au 1er mars 2008, contre 62 204 l’année dernière à la même date, et 57 621 cinq ans plus tôt. Le nombre de places s’élève pour sa part à 50 737 : 148 établissements ou quartiers connaissent ainsi une situation de surpopulation et, pour 16 d’entre eux, la densité carcérale est égale ou supérieure à 200 %. Même quand ces taux ne sont pas atteints, des détenus en sont réduits dans de nombreuses prisons
à dormir sur des matelas posés à même le sol. C’est le cas par exemple à la maison d’arrêt de Seysses (Haute-Garonne) ou à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), dont le surpeuplement se situe autour de 130 %. Et la situation n’est pas prête de s’arranger, puisque la direction de l’administration pénitentiaire estime qu’elle pourrait être amenée à prendre en charge pas moins de 80 000 personnes d’ici dix ans. Déjà, semble se profiler un nouveau plan de construction, alors même que le dernier initié ne date que de 2002. C’est ce qu’a par exemple préconisé le député René Couanau dans son rapport sur le budget 2008, réalisé au nom de la commission des finances, dans lequel il affirme qu’une « nouvelle programmation s’impose et doit être préparée dès aujourd’hui ». À l’issue du programme en cours, le parc pénitentiaire français aura pourtant doublé en vingt-cinq ans, passant de 30 000 à 60 000 places, sans avoir permis de résorber la surpopulation carcérale. Arc-bouté sur une politique pénale aux effets notoirement inflationnistes, le gouvernement se refuse à mettre en œuvre les recommandations du Conseil de l’Europe susceptibles de réduire de façon drastique le surpeuplement des prisons. Dans ce contexte, les plaintes des détenus relatives aux conséquences de la surpopulation sur leurs conditions de vie quotidienne ont donc toutes les chances de prospérer. Christian D. a pour sa part également déposé plainte contre X devant le Procureur de la République de Rouen sur le fondement de l’article 225-14 du Code pénal, qui réprime le fait de soumettre une personne vulnérable à des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine. L’administration pénitentiaire, elle, se contente de faire appel du jugement. Stéphanie Coye 1) « à l’égard de toutes les personnes qui lui sont confiées par l’autorité judiciaire, à quelque titre que ce soit, le service public pénitentiaire assure le respect de la dignité inhérente à la personne humaine et prend toutes les mesures destinées à faciliter leur réinsertion sociale. » 2) Et plus particulièrement les articles 716, D.83, D.189, D.349 et D.350 du Code de procédure pénale 3) « Quand les juges condamnent le ministère de la justice », www. huyette.net, 31 mars 2008.
Pour la première fois, des syndicats pénitentiaires s’unissent contre la surpopulation en Europe C’est une première en Europe. Le 28 février 2008, des syndicats pénitentiaires de dix pays, dont la CGT, ont organisé une journée d’action commune pour dénoncer la surpopulation carcérale. L’initiative en revient à la Fédération syndicale européenne des services publics (FSESP), qui revendique 200 organisations syndicales membres, représentant 8 millions de travailleurs. Pourquoi ? Parce que le problème concerne « la plupart des prisons d’Europe », qui « renferment plus de détenus qu’elles ne peuvent en accueillir dans des conditions humaines et garantes de la santé physiologique et psychologique », avec « des conséquences graves, et souvent mortelles sur les conditions de vie et de travail ». Par cette action commune, les syndicats espèrent créer les conditions d’ouverture du « large débat public » dont « l’Europe a besoin » et inscrire « la question de la surpopulation carcérale à l’agenda de l’UE [Union européenne, ndlr] ». La principale manifestation a donc eu lieu à Bruxelles (Belgique), devant le bâtiment où se tenait un Conseil européen des ministres de la Justice et de l’Intérieur, afin de réclamer de meilleures conditions de vie et de travail dans les prisons et la réduction du nombre de détenus « par un effort d’amélioration et d’investissement dans la prévention, la protection juridique, la réinsertion et des alternatives viables à l’emprisonnement ». Utopistes ? Non, rétorquent-ils, citant à l’appui « certains pays [qui] ont ou avaient un bilan bien meilleur que d’autres », « des démarches plus efficaces et mesurées, de nouvelles initiatives et beaucoup d’exemples de bonnes pratiques dont on peut s’inspirer ». Autre mot d’ordre : le maintien du service public, à l’heure où « le surpeuplement carcéral est souvent utilisé comme argument par les partisans de la privatisation » et où, « plutôt que de s’attaquer au fond du problème, certains gouvernements de l’Union européenne s’en débarrassent ou envisagent de s’en débarrasser en cédant leur gestion et la construction de nouvelles prisons à des entreprises privées ». (OIP) N°65 Avril 2008
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ACTU
Le 4 février dernier, était annoncé le suicide d’un adolescent dans un établissement pénitentiaire pour mineur (EPM). Les conditions dans lesquelles ce drame est intervenu renforcent les inquiétudes des personnels de ces prisons et des syndicats de la Protection judiciaire de la jeunesse qui dénoncent le climat de violences régnant dans ces établissements et la gestion qui en est faite. Les critiques pleuvent. Mais la Chancellerie reste de marbre.
Après le suicide d’un mineur, les EPM sous le feu des critiques C’est l’histoire d’un extraordinaire gâchis. Le samedi 2 février 2008, Julien, un garçon de 16 ans, a été retrouvé pendu dans la cellule qu’il occupait à l’établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM) de Meyzieu (Rhône). Il avait été incarcéré le 17 décembre 2007 pour une durée de deux mois. Suivi par un psychiatre, l’adolescent supportait très mal l’enfermement et a fait deux tentatives de suicide. La première entre Noël et le jour de l’An. La seconde au début du mois de janvier. Selon son père, qui l’a vu deux fois au parloir, Julien a pris beaucoup de poids, une quinzaine de kilos. Il a aussi multiplié les incidents, ce qui lui vaut d’être changé plusieurs fois d’unités au sein de l’EPM. Le 26 janvier, il a mis le feu à l’un de ses vêtements. L’incendie s’est propagé à la cellule. Julien devait sortir le 4 février pour être placé dans un centre éducatif renforcé à Perpignan (Pyrénées orientales). Mais quelques jours plus tôt, il a été présenté au tribunal de grande instance et mis en examen pour l’incendie de sa cellule. Sa sortie proche est reportée. Le père affirme que, le 1er février, une éducatrice l’a appelé pour lui dire qu’il ne pouvait plus voir son fils pour une durée indéterminée, suite à une décision du juge des enfants, que Julien devait « arrêter son délire » et qu’elle allait lui annoncer qu’il était placé sous mandat de dépôt pour quatre mois. Selon l’administration pénitentiaire, les personnels ont
au contraire « bataillé pour essayer de le sauver », mais Julien « était dans la transgression absolue, dans la volonté suicidaire maximale ». Son père a décidé de porter plainte. Pour lui comme pour son avocat, il est clair que les appels au secours de Julien n’ont pas été entendus.
Multiplication des critiques Ce suicide a provoqué aussitôt de nombreuses réactions. À commencer par celles du syndicat SNPES-PJJ, opposé aux EPM, et pour qui ce décès vient « rappeler dramatiquement aux idéologues et apprentis sorciers qu’une prison resterait une prison avec son cortège de violence subie et de loi du silence ». Les diatribes se succèdent alors les unes aux autres dans la presse. Demeurés relativement silencieux depuis l’ouverture des premiers établissements, en juin 2007, des personnels et syndicats de l’administration pénitentiaire comme de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) commencent à dénoncer dysfonctionnements et déficiences de ces nouveaux dispositifs. Titré « La parole se libère », un article, paru dans Lyon Capitale le 21 février 2008, cite même un juge pour enfant de Bourg-en-Bresse, qui, avec certains de ses collègues du tribunal de la ville, préfère N°65 Avril 2008
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envoyer les plus jeunes mineurs dont ils s’occupent à la maison d’arrêt de Varennes-le-Grand (Saône-et-Loire). Il faut dire que, depuis l’ouverture des EPM, les incidents se multiplient. Dès le 18 juin 2007, soit cinq jours seulement après l’arrivée des premiers adolescents au sein de l’EPM de Meyzieu, quatre garçons saccageaient des locaux à la solidité toute relative (les cloisons étant notamment composées de plaques de plâtre). Depuis, selon les personnels de l’établissement, les incidents seraient « quasi-quotidiens ». La prison est le théâtre d’une violence permanente qui n’existait pas dans les quartiers mineurs de Lyon ou de Villefranche-sur-Saône, d’où viennent la plupart des enfants incarcérés à Meyzieu.
Sur-occupation Une des raisons invoquées le plus fréquemment pour expliquer cette tension continue est l’inadaptation des emplois du temps. Selon le dossier de presse rédigé par le ministère de la justice à l’occasion de l’ouverture du premier EPM de Lavaur, chaque mineur devait se voir « proposer un emploi du temps personnalisé, tenant compte de ses besoins et de ses problématiques, comprenant des heures d’enseignement général et technique à raison d’une vingtaine d’heures par semaine, ainsi que des heures d’activités socioculturelles et sportives, réparties tout au long de la semaine, y compris les samedis et dimanches ». Mais, à en croire les intervenants, loin d’une individualisation selon les besoins, la sur-occupation généralisée et le trop grand nombre d’activités de groupes n’ont d’autres conséquences que de sus-
Les EPM en bref Les Établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) ont été créés par la Loi d’orientation et de programmation de la justice du 9 septembre 2002, qui en prévoyait sept, pour une capacité globale de 420 places. Six ont déjà ouverts à Lavaur (Tarn) et Meyzieu (Rhône) en juin 2007, à Quiévrechain (Nord) en septembre, à Marseille (Bouches-du-Rhône) en novembre, à Orvault (Loire-Atlantique) début février 2008 et enfin à Porcheville (Yvelines), au mois d’avril 2008. L’ouverture du dernier, à Chauconin (Seine et Marne), est prévue pour le mois de septembre prochain. À titre d’exemple, la construction de celui d’Orvault a coûté 12,5 millions d’euros. Présenté comme une « salle de classe entourée de murs » – une enceinte de six mètres de haut, mais sans mirador –, un EPM est divisé en six ou sept unités, dont au moins une doit être réservée aux « arrivants », prévues pour accueillir chacune dix mineurs, âgés de 13 à 18 ans. Chacun devait être, de son réveil jusqu’au coucher, occupé entre l’école (20 heures d’enseignement par semaine), le sport et des activités socio-éducatives. Au début du mois de février 2008, selon les chiffres donnés par l’administration pénitentiaire, 167 adolescents y étaient incarcérés. N°65 Avril 2008
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citer chez les adolescents une agitation fébrile. D’autant que les règles sont des plus strictes, notamment pour des adolescents en difficulté et souvent désocialisés : « respect des horaires dès le lever (à 7 h 30) ; respect de l’hygiène et des locaux [dont] lit fait à 8 h 00 le matin ; activités à caractère impératif (seul assouplissement le week-end) ; discipline pendant les mouvements : déplacements en rang et en silence ; respect des adultes (exemple : on se lève lorsqu’un adulte entre dans une salle de formation ou d’activité). » Dans un tel contexte, explique le SNPES-PJJ, « les mineurs qui subissent l’angoisse de la situation carcérale trouvent un exutoire à celle-ci pendant les temps collectifs en s’engouffrant dans des rapports de violence. La massivité de ces temps et le caractère obligatoire des activités décuplent ces phénomènes de groupe. Ceux-ci sont amplifiés par la prégnance du système disciplinaire carcéral qui ne permet ni la parole libre, ni les espaces de négociation. »
Incapacité à endiguer les tensions Les autorités semblent bien en peine pour contenir la violence et les tensions qui règnent au sein de ces lieux. Depuis l’ouverture de l’EPM de Meyzieu, la gestion de l’établissement a pris un virage largement disciplinaire. Selon Sylvie Garde-Lebreton, présidente de la commission des mineurs du Barreau de Lyon, les passages en commission de discipline sont bien plus nombreux à l’EPM que précédemment au sein de la maison d’arrêt de Lyon (les avocats commis d’office assistaient au maximum un mineur par mois dans le cadre de procédures disciplinaires) et les sanctions pleuvent. Il faut dire que la Chancellerie a donné des directives claires en la matière. Dans le dossier de presse de juin 2007, on peut ainsi lire que « les règles de vie et la discipline […] sont articulées autour de l’idée de tolérance zéro et de respect ». Autre tentative pour contenir les tensions : une « unité
Depuis l’ouverture de l’EPM de Meyzieu, la gestion de l’établissement a pris un virage largement disciplinaire. particulière », explique le directeur de la PJJ, « pour les jeunes en difficulté avec le collectif », fonctionnant avec quatre à six jeunes pour six éducateurs afin de « permettre une adaptation progressive au collectif avec un aller et retour possible vers les unités classiques ». Cette unité serait cependant plutôt utilisée, selon le SNPES-PJJ « dans une logique disciplinaire, à des fins d’isolement des jeunes jugés ingérables en collectif », et ce « en contradiction avec les décrets sur la détention des mineurs »1. Lors d’une visite de l’établissement, un correspond de Libération y a constaté la présence d’un jeune souffrant de troubles du comportement et s’est entendu préciser par le directeur de l’établissement que « s’il y avait une structure intermédiaire médicalisée, sans doute en dépendrait-il ». Enfin, une autre mesure est utilisée pour venir à bout des mineurs récalcitrants : le transfert. Parmi les quatre auteurs du saccage de locaux de l’EPM de Meyzieu en juin dernier, deux ont ainsi été transférés dans des maisons d’arrêt. Selon le SNPES-PJJ, le problème dépasse largement le cadre
ACTU
Pour Rachida Dati, les EPM sont un « outil tout à fait adapté aux nouvelles formes de délinquance des mineurs ». de Meyzieu. « Un tri est, aujourd’hui, opéré, explique le syndicat d’éducateurs, les jeunes les plus difficiles sont orientés vers les quartiers mineurs », appelés ainsi « à devenir des lieux de relégation supplémentaire des jeunes incarcérés », « tandis que ceux qui font valoir leur motivation sont orientés vers les EPM » 2.
Manque de moyens L’insuffisance de moyens est une autre critique récurrente. Selon les personnels éducatifs, « l’ouverture de deux unités supplémentaires et la présence effective en détention de 28 éducateurs ne [leur] permet pas de couvrir une présence et un accompagnement éducatif pour toutes les unités ». Quant au « travail […] pour élaborer le projet de sortie des mineurs incarcérés », il se voit « réduit de plus en plus », les éducateurs devant assumer en parallèle « des fonctions d’agent de collectivité ». Pourtant, ce projet de sortie était un objectif prioritaire. Les EPM devaient même, selon le directeur de l’administration pénitentiaire, permettre au « jeune condamné [de] penser à la sortie lorsqu’il entre ». Au début du mois de février, les éducateurs ne disposaient pas de téléphone, tandis que la psychologue n’avait, elle, pas de bureau. Et la situation des autres EPM n’est guère enviable. À Marseille, selon Le Canard enchaîné du 26 mars 2008, « faute de personnel dans la moderne prison pour mineurs de Marseille, les activités sportives sont passées de dix à six heures par semaine, le courrier est en retard, les parloirs ramenés à quarante-cinq minutes bihebdomadaires ». À Orvault, une semaine avant l’ouverture, aucun surveillant n’était prévu pour gérer les parloirs. Pourtant, là encore, la Chancellerie avait annoncé que « le maintien des liens familiaux est un enjeu fort du projet éducatif ». Les parents devaient même être « associés à la vie en détention de leur enfant et informés chaque semaine des progrès réalisés et des difficultés rencontrées ». Difficile à imaginer quand on voit que, les EPM étant pour la plupart peu ou pas desservis par les transports en commun, des familles sont obligées de marcher jusqu’à vingt minutes pour venir visiter leurs enfants. Et à leur arrivée à Meyzieu ou Lavaur, elles doivent attendre dehors, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige, car aucun local d’accueil n’a été construit.
Ne rien changer « Nous sommes dans une expérimentation », se défend Paul Louchouarn, directeur interrégional adjoint à Lyon. Et pour cause. « L’ouverture a été très politique et très médiatique, rappelle Alain Dru, secrétaire général de la CGT PJJ. Il fallait montrer vite que cela fonctionnait ». D’où sans doute la situation observée à l’ouverture de Meyzieu, un établissement qui possédait un cabi-
net de dentiste, mais ni le matériel ni le dentiste. Le téléphone n’était pas installé dans l’infirmerie. Les arrivées d’eau n’étaient pas toutes encore pourvues de robinets. Le projet scolaire n’était pas non plus élaboré et la formation professionnelle – entretien du matériel de parcs et jardins – n’a débuté qu’en septembre. Celle d’horticulture n’était toujours pas mise en place au début de 2008. Plus globalement, aucune réflexion sur ce qui était attendu de l’enfermement de mineurs n’a précédé cette création. La loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 s’est contentée de justifier les EPM par le nombre insuffisant de places pour les mineurs en détention et la dégradation, bien réelle, des quartiers existants : « 400 places seront créées dans de nouveaux établissements pénitentiaires spécialisés pour l’accueil des mineurs. L’objectif, à terme, est de favoriser au maximum la suppression des quartiers de mineurs au profit de ces nouveaux établissements spécialisés. » Dans son discours d’inauguration de l’EPM de Meyzieu, le 9 mars 2007, Pascal Clément expliquait pareillement que ce type de lieu était issu d’une « approche pragmatique », car « notre système carcéral a été trop longtemps marqué par le surencombrement et la vétusté ». Le ministère de la Justice est ainsi passé à côté de l’opportunité offerte pour définir enfin clairement le sens de la peine pour les mineurs, une réflexion d’autant plus nécessaire que la majorité d’entre eux se trouvent incarcérés dans le cadre de détention provisoire et n’entre en prison que pour des durées de l’ordre de deux mois, à l’instar de Julien. Venue visiter Meyzieu après son suicide, Rachida Dati, toute de blanc vêtue, maintient pour sa part sa position : les EPM sont un « outil tout à fait adapté aux nouvelles formes de délinquance des mineurs » et leur création « nous met en conformité avec les règles pénitentiaires européennes ». Depuis, elle a annoncé une énième réforme de l’ordonnance de 1945 sur les mineurs délinquants et un groupe de travail a été nommé afin d’étudier sa « mise à plat ». Selon Le Figaro, qui a pu consulter un document confidentiel dressant les pistes de travail déjà tracées par la Chancellerie, l’idée serait notamment de rendre la justice des mineurs « plus réactive et plus adaptée » aux évolutions de la délinquance et de définir un âge minimum de responsabilité pénale. D’inquiétantes perspectives qui feront probablement l’économie d’un bilan impartial – c’est-à-dire effectué par une instance extérieure aux services du ministère de la Justice – de l’expérimentation du fonctionnement des premiers EPM. Stéphanie Coye et Lionel Perrin 1) Communiqué du SNPES-PJJ du 8 février 2008. 2) Communiqué du SNPES-PJJ du 5 février 2008. N°65 Avril 2008
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Prévention du suicide défaillante au quartier disciplinaire de Nanterre U
n homme de 23 ans, souffrant de problèmes psychiatriques, s’est pendu au quartier disciplinaire de la maison d’arrêt de Nanterre (Hauts-de-Seine) dans la nuit du mercredi 26 au jeudi 27 mars 2008. Il y avait été placé trois semaines auparavant, à la suite de violences à l’encontre d’une surveillante. Conformément à la procédure, il avait été vu plusieurs fois par des médecins, mais ceux-ci n’avaient pas diagnostiqué de problème particulier. Jusqu’au mardi précédant le suicide. Ce jour-là, un psychiatre constate une aggravation de l’état psychologique du jeune homme, au point de se demander si une hospitalisation d’office ne doit pas être envisagée. Mais le détenu, polonais, ne parle pas français et seulement un peu anglais ce qui rend, selon le service médical, le diagnostic psychiatrique « particulièrement difficile, voire impossible ». Un second entretien est fixé au jeudi, afin de trouver un interprète. En attendant, malgré son état, le jeune homme est laissé au quartier disciplinaire. Interrogé sur la raison de ce maintien, le directeur de l’établissement reconnaît que « le risque de retournement de sa violence contre lui n’a peut-être pas été suffisamment pris en compte », mais que « si même lui, directeur, avait reçu des avis lui conseillant de le faire sortir, il n’aurait peut-être pas pris cette décision » car le jeune homme « était jugé dangereux ». « Le risque, s’il sortait, était la violence sur agent » et « on n’avait pas les
moyens d’y faire face », explique encore la direction. Durant son incarcération, l’intéressé avait pourtant déjà tenté de mettre fin à ses jours. Selon un membre de l’Union fédérale autonome pénitentiaire (UFAP), interrogé par l’AFP, il faisait même preuve d’un « comportement étrange et imprévisible » et n’avait « rien à faire en prison ». Et encore moins au quartier disciplinaire. Le risque suicidaire lié au placement dans ce lieu est en effet connu depuis longtemps. Le taux de suicide y est plus de sept fois supérieur à celui observé dans le cadre d’un régime de détention normal. C’est pourquoi, comme bien d’autres avant lui, le professeur Jean-Louis Terra, chargé par la Chancellerie d’une mission sur la prévention du suicide, avait recommandé en 2003 « la recherche d’alternatives au quartier disciplinaire », l’interdiction d’y placer « les personnes détenues en crise suicidaire » ou l’instauration d’un « examen psychiatrique » destiné à « vérifier que les troubles qui motivent le placement au quartier disciplinaire ne sont pas dus à une crise suicidaire ». Pour sa part, la Commission nationale consultative des droits de l’homme a estimé en 2004 que « la sursuicidité au quartier disciplinaire implique que les autorités lui substituent d’autres formes de sanction, comme le confinement en cellule individuelle ». Autant de recommandations qui, pour des considérations sécuritaires, sont restées lettres mortes. (OIP, AFP, Le Parisien)
Privatisation des prisons : e un 3 lot attribué à Bouygues
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N°65 Avril 2008
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Le 15 février 2008 a été signé à grand renfort médiatique le troisième contrat de partenariat public privé (PPP) entre l’État et le groupe Bouygues, pour une maison d’arrêt de 510 places à Nantes (Loire-Atlantique) et deux centres pénitentiaires de 688 et 798 places à Annœullin (Nord) et Réau (Seine-et-Marne). Ces contrats d’un nouveau genre – le premier a été signé en décembre 2005 – mettent en place une
de facto
de facto privatisation quasi totale des prisons (hors la direction, la surveillance et la réinsertion) en déléguant à une ou plusieurs entreprises la conception, le financement, la construction, la maintenance, ainsi que la gestion des « services », c’est-à-dire l’entretien des bâtiments, la restauration des personnes détenues, le travail et la formation, etc. Les trois établissements seront ensuite loués à l’administration pénitentiaire (AP), pendant 27 ans, pour un montant annuel s’élevant à 48 millions d’euros. À en croire Guillaume Didier, le porteparole de la chancellerie, qui s’exprimait lors du point presse qui avait lieu la veille de la signature, le système des PPP aurait « vraiment fait ses preuves », permettrait de construire un établissement « dans des délais plus rapides » – 18 mois à deux ans, contre trois ans pour l’État – et aurait même été « salué par la Cour des comptes dans plusieurs rapports parce que, pour un surcoût très modique, il y a un meilleur service rendu à la fois au personnel et aux personnes ». Dans un rapport rendu public le 19 janvier 2005 (Garde et réinsertion. La gestion des prisons), la dite Cour des comptes s’était pourtant montrée très critique sur la gestion mixte, le système qui prévalait jusqu’à présent et se limitait à la délégation des seuls « services ». Elle y constatait en effet l’incapacité de l’administration à évaluer les résultats comparés de la gestion publique et de la gestion mixte « en l’absence d’outils et de méthode d’analyse des coûts et des résultats des deux modes de gestion auxquels elle a recours » et donc à « fonder ses choix sur des critères objectifs ». La Cour pointait en outre le risque d’un déséquilibre de l’allocation des ressources budgétaires de l’administration pénitentiaire. En effet, « pour la gestion mixte, les dépenses budgétaires résultent d’un contrat dont le respect s’impose à l’État ». De ce fait, l’AP n’a « d’autre choix que d’utiliser comme variable d’ajustement les dotations qu’elle alloue aux établissements à gestion publique », « ce qui pose la question de l’égalité de traitement [des détenus] selon leur lieu d’incarcération ». Enfin, alors que le porteparole parle d’un « surcoût très modique », la Cour des comptes avait estimé pour sa part que, « selon les échantillons retenus et les exercices considérés, l’écart entre la gestion mixte et la gestion publique va de 8,5 % à plus de 50 % du coût de cette dernière ». Reste que les contrats de PPP, en étalant l’investissement sur 27 ans, permettent de construire et d’ouvrir rapidement les 13 200 places votées en 2002. Ce qui, en l’état des finances publiques, serait impossible autrement. (OIP)
Victime d’un viol en juin 2006, un détenu de Caen attend toujours d’être opéré
5 Victime d’un viol le 12 juin 2006 au centre pénitentiaire de Caen (Calvados), R.D. est toujours dans l’attente de l’intervention chirurgicale nécessitée par la déchirure
anale dont il souffre depuis, faute d’escorte pour assurer sa garde à l’hôpital. L’opération était pourtant programmée pour le mois de novembre 2007, mais a été annulée, selon la direction du centre pénitentiaire, à la demande des services de police. C’est la seconde fois que l’intervention est reportée. Au printemps 2007, R.D. avait en effet rencontré le chirurgien, puis l’anesthésiste du centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen et l’opération avait été programmée pour le mois de
Les effets post-traumatiques de l’isolement reconnus par le juge administratif
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e 1er avril 2008, le juge des référés du tribunal administratif de Melun (Seineet-Marne) a ordonné en urgence la suspension d’un placement au quartier disciplinaire, considérant que la mesure menaçait la santé physique ou psychique de la personne qui en faisait l’objet. À cette date, le détenu se trouvait au « mitard » depuis le 10 mars, sur décision de la commission de discipline du centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin, qui lui avait infligé une punition de 30 jours. L’intéressé avait introduit un recours hiérarchique devant le directeur régional des services pénitentiaires, lui demandant d’annuler la sanction, puis saisi, le 20 mars, le tribunal de Melun afin de faire suspendre la mesure en attendant la décision interrégionale. C’est la seconde fois qu’une juridiction administrative fait droit à une telle demande en matière disciplinaire. Surtout, c’est la première fois qu’un juge prend en considération les effets post-traumatiques qui continuent d’affecter un détenu après la levée d’un séjour prolongé à l’isolement. Durant son incarcération, le requérant y avait en effet placé plusieurs années, à la suite de quoi, explique l’ordonnance du tribunal, il avait « développé [...] une pathologie invalidante de l’appareil musculo-squelettique et une pathologie psychiatrique ». « Dans ces conditions », le juge administratif a considéré que la « mise en cellule disciplinaire [de l’intéressé] pour une aussi longue durée porte une atteinte grave et immédiate à sa situation en menaçant sa santé physique ou psychique » et que l’urgence était donc justifiée. Pour être susceptible d’aboutir, ce type de requête – dite référé-suspension, car elle vise à faire suspendre immédiatement par le juge une décision administrative en cours d’exécution – doit en effet remplir deux conditions. Il faut qu’il existe d’une part un doute sérieux quant à la légalité de la décision administrative et d’autre part une urgence à la suspendre, notamment parce que son exécution « porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre ». Selon le ministère de la Justice, cette seconde condition n’était pas satisfaite et devait en outre être appréciée « en tenant compte des contraintes pesant sur l’administration pénitentiaire et de la nécessité de maintenir l’ordre public carcéral ». Pour le tribunal cependant, si « le comportement difficile de l’intéressé crée à l’administration pénitentiaire des contraintes particulières pour maintenir le bon ordre à l’intérieur du centre de détention », il y a « lieu de prendre en compte également la gravité des effets d’une mise en cellule disciplinaire pendant une durée de trente jours sur la santé physique et mentale d’une personne soumise à un tel traitement ». Le magistrat a donc fait droit à la demande de l’intéressé et ordonné sa sortie de la cellule disciplinaire jusqu’à la décision du directeur interrégional. (OIP) N°65 Avril 2008
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Augmentation de 39 % des détenus de plus de 60 ans Le processus de vieillissement de la population carcérale, à l’œuvre depuis plus de vingt ans, ne cesse de s’amplifier. Selon des données rendues publiques par la ministre de la Justice en réponse à deux questions des députés Thierry Mariani et Marc Goua (questions n° 10854 n° 10077), le nombre de personnes âgées de plus de 60 ans a augmenté de près de 39 % au cours des cinq dernières années, passant de 1 683 en 2002, à 2 337 en 2007. Parmi elles, 76 étaient âgées d’au moins 80 ans au 1er décembre 2007, dont une avait atteint les 90 ans. Selon la ministre, « la direction de l’administration pénitentiaire est attentive [à leurs] conditions de détention » et l’adaptation de ces dernières aux personnes âgées « est une priorité de la conception des nouveaux programmes de construction des établissements pénitentiaires qui pré-
voient une cellule aménagée pour 150 places de détention et au moins une dans chaque établissement, quelle que soit sa taille ». Dans un avis de janvier 2004, l’Académie de Médecine avait pour sa part relevé que « la plupart sont incarcérées dans des établissements inadaptés aux handicaps physiques liés à l’âge : nombreux escaliers, absence d’ascenseurs, absence de plans inclinés rendant inaccessibles de nombreux locaux, y compris les locaux médicaux, voire les lieux de promenade, a fortiori pour ceux qui doivent utiliser un fauteuil roulant ». Comme le souligne une étude menée par l’Observatoire régional de la santé en Basse-Normandie, publiée en mars 2007, les personnes âgées sont en outre « plus soumises à la violence d’autrui, ont un accès moins facile au travail et aux activités socioculturelles, connaissent des difficultés dans la recherche d’une structure d’accueil à la sortie (maison de retraite par exemple), et bénéficient plus difficilement des aménagements de peine que les autres détenus ». (OIP)
avec sursis. Il est également privé de visite depuis le 1er décembre 2007, le permis de visite de sa concubine, qui est quasiment la seule personne à venir le voir, ayant été suspendu pour six mois, au motif qu’elle a diffusé devant la prison un document faisant état de cas de gale dans l’établissement. Selon elle, cette situation serait « étouffée » au lieu « d’être déclarée pour que toutes les dispositions sanitaires soient prises pour enrayer ces cas isolés ». Pour l’administration pénitentiaire, la concubine de K.N. a « perturbé l’ordre de l’établissement par la diffusion de fausses informations ». Si l’existence d’un cas de gale s’est effectivement avérée infondée, il est cependant vrai que la per-
sonne qui avait occupé la cellule de K.N. avant lui présentait les symptômes de la maladie. La literie avait pour cela été changée par le détenu en charge du service général, « probablement » muni de gants selon le service médical, mais aucune autre mesure n’avait été prise, notamment pour informer collectivement les détenus ou leurs proches. Comme il l’a expliqué au cours de la procédure disciplinaire, K.N. avait cependant appris incidemment l’information. Durant son placement au quartier disciplinaire, il a en outre été régulièrement privé des repas qui lui avaient été prescrits. La quasi-totalité de ses dents ayant été arrachées quelques jours plus tôt lors d’une hospitalisation, l’unité de consul-
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© Cécilia Quilleret / Radio France
juillet suivant, avant d’être annulée, sans que R.D. ne soit informé des raisons. Là encore, l’explication donnée aujourd’hui par l’unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) sur les causes de l’annulation est un problème d’escorte. Le diagnostic de la déchirure anale remonte pourtant au début de l’année 2007. Après l’agression sexuelle dont R.D. avait été victime, l’UCSA lui avait prescrit dans un premier temps un traitement anti-hémorroïdaire de plusieurs mois, avant de l’orienter finalement vers le CHU de Caen, qui a diagnostiqué la déchirure anale. R.D. attend ainsi depuis près de deux ans. Ces cas d’annulations d’hospitalisations sont loin d’être rares. Depuis de nombreuses années, ils sont même monnaie courante. Selon le rapport d’activité 2006 du centre pénitentiaire de Caen, « sur 52 hospitalisations hors permission de sortir, 30 ont été annulées et reportées, dont 67 % par la police, 3 % par la personne détenue, 20 % par le CHU et 3 % par l’UCSA ». (OIP)
Sanctionnés pour avoir alerté sur des risques de gale
5 Parce qu’il a refusé d’être maintenu dans une cellule précédemment occupée par une personne possiblement affectée par la gale, K.N., incarcéré au centre de détention de SaintQuentin-Fallavier (Isère), a fait l’objet d’un « placement préventif » au quartier disciplinaire le 21 novembre 2007, avant de se voir condamné 48 heures plus tard par la commission de discipline de l’établissement à 30 jours, dont 10 N°65 Avril 2008
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de facto
de facto L’AP mise en cause par la famille d’un jeune homme décédé à Valence
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érémy avait 19 ans. Il était incarcéré à la maison d’arrêt de Valence (Drôme) où il purgeait une peine d’un an de prison pour vol. Il est mort à l’hôpital de la ville le 4 mars 2008, après avoir été découvert dans la nuit, suffoquant, un sac plastique sur son visage. Quelques jours plus tard, après les résultats de l’autopsie, le procureur de la République de Valence a annoncé que le décès faisait suite à « un acte homicide perpétré vraisemblablement pas son codétenu », des traces de strangulation ayant été relevées. Deux jours avant le décès, lors d’un parloir, sa sœur, sa mère et sa grandmère affirment avoir constaté des traces de violence que le jeune homme a imputées à son compagnon de cellule. « On a signalé ces coups à des membres du personnel pénitentiaire, déclare la grand-mère de Jérémy, on a demandé à ce qu’il soit vu par un médecin. Au lieu de cela, on l’a remis à son bourreau. » Du même âge, celui-ci était incarcéré depuis avril 2007 pour une tentative d’assassinat. Selon un aumônier de la maison d’arrêt, Guillaume Recoin, interrogée par Le Monde, ce dernier « était un malade, c’est évident. Il n’était pas cohérent dans ses propos, incapable de rester assis. Tout le monde savait qu’il y avait un souci avec ce garçon. La semaine avant le drame, j’avais dit au médecin qu’il fallait le mettre à part, le soigner. » Ce que confirme l’avocate de la famille, Me Buffard. D’après elle, les premiers éléments de l’enquête indiquent que l’administration était effectivement « au courant du caractère dangereux et impulsif du codétenu » et que, « compte tenu de l’état dans lequel Jérémy était avant sa mort, aucun surveillant qui l’avait vu ne pouvait ignorer qu’il était victime de violences ». Une information judiciaire pour homicide volontaire a été ouverte par le parquet. Les autorités de la maison d’arrêt ont également fait savoir qu’une enquête administrative était en cours. En visite à Valence le lundi 7 avril, la garde des Sceaux a affirmé qu’il fallait « laisser prospérer » l’information judiciaire et l’enquête administrative en cours, confiant à un de ses conseillers le soin de recevoir la famille. Cette dernière n’entend cependant pas en rester là et a annoncé que, si le parquet ne s’autosaisissait pas, elle déposerait plainte contre X pour non-assistance à personne en danger. (AFP, Dauphiné Libéré, France Soir, Le Monde, Libération)
5 Condamné au « mitard » pour avoir ramassé un paquet de café. L’affaire est tellement ridicule que, le 7 mars 2008, la direction interrégionale des services pénitentiaires de Paris n’a pu qu’annuler les sanctions prononcées un mois plus tôt (deux jours de quartier disciplinaire et un déclassement de l’emploi de cuisinier au mess) à l’encontre d’un détenu de la maison centrale de Poissy (Yvelines). Ce sont surtout les moyens mis en œuvre pour aboutir à cette condamnation, parfaitement décrits dans les rapports d’incidents, qui retiennent l’attention. Le 2 février 2008 au matin, arrivant au mess où avait été découvert peu de temps avant « un morceau de substance illicite », un lieutenant de l’établissement y voit R.Q. « en train de fumer une cigarette ». Imaginant immédiatement qu’il s’agit du destinataire du paquet, il décide de le piéger. Il fait « fabriquer un paquet factice avec du marc de café », le fait déposer près de l’endroit où a été trouvée la drogue et place deux agents en faction à proximité. L’un d’eux, une surveillante « cachée au 1er étage du bâtiment d’hébergement des surveillants », affirmera ensuite avoir vu R.Q. ramasser le paquet tandis qu’un autre détenu, B., « continuait à guetter les fenêtres ». Sur la base de cette simple « observation », les deux détenus ont immédiatement été placés au quartier disciplinaire, à titre préventif. En fin de journée, B. en est sorti en raison
© Claudine Doury
tations et de soins ambulatoires (UCSA) de la prison avait en effet demandé la mise en place d’un régime mixé. Selon le service médical, les repas étaient bien préparés en cuisine, mais « se perdaient en route ». K.N. a donc dû se contenter de manger ce qu’il pouvait des repas non moulinés qui lui étaient apportés, ajoutés à des compléments alimentaires fournis par l’UCSA, « qui ne remplacent pas un repas ». Tout en convenant que l’existence du problème « n’est pas impossible », la direction de l’établissement affirme pour sa part être « surprise » et ajoute que K.N. « est un affabulateur » et que l’UCSA « n’est pas toujours là lors de la distribution des repas ». (OIP)
Piégé par des surveillants, un détenu obtient l’annulation de sa sanction
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d’un « état psychologique dégradé » pour être « placé en surveillance spéciale jour et nuit ». R.Q. est resté quant à lui en cellule disciplinaire jusqu’à sa comparution en commission de discipline, deux jours plus tard. Il a alors déposé un recours auprès de la direction interrégionale. Qui, constatant que « les faits ne [sont] pas démontrés et ne [peuvent] l’être », a finalement annulé les sanctions. Restent, pour RQ, les deux jours de mitard qu’il a effectués pour rien et la perte de son emploi de cuisiner comme du salaire qu’il aurait perçu s’il n’avait pas été déclassé. (OIP)
Relations sexuelles au parloir : pas vu, pas pris
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Les relations sexuelles entre deux personnes au cours d’un parloir ne constituent une faute que si elles sont imposées à la vue d’autrui. C’est ce que le tribunal administratif de Nan-
tes (Loire-Atlantique) vient de rappeler, dans sa décision du 25 octobre 2007, à la direction de la maison d’arrêt de la ville. Deux ans plus tôt, le 9 mai 2006, celle-ci avait sanctionné un détenu au travers d’une suppression de parloir sans dispositif de séparation pendant trois visites, assortie d’un sursis de trois mois, pour avoir fait l’amour avec sa concubine à l’occasion d’une visite dix jours plus tôt. Personne n’avait assisté aux ébats du couple, mais l’administration en avait eu connaissance parce que le détenu avait eu un problème d’ordre médical. Elle a décidé de le sanctionner pour avoir commis la faute disciplinaire mentionnée à l’alinéa 5 de l’article D.249-2 du Code de procédure pénale, c’est-à-dire avoir « imposé à la vue d’autrui des actes obscènes ou susceptibles d’offenser la pudeur ». Ce qui ne pouvait être le cas, puisqu’aucun témoin n’avait assisté à la scène. Le tribunal a donc tout naturellement estimé que la direction de la maison d’arrêt avait « commis une erreur
Moins de prison ! Les dommages médicaux et familiaux d’une détention provisoire Placée en détention provisoire depuis près d’un an et demi, une femme, gravement malade, s’est vue refuser pour la troisième fois en février 2008 une remise en liberté pour raison médicale. Depuis son incarcération, elle a vu également ses deux filles, âgées de 11 et 16 ans, être placées dans une famille d’accueil et ses droits sociaux et son logement être supprimés. Soupçonnée d’être mêlée à une affaire de stupéfiants, M.G., sénégalaise de 45 ans, est incarcérée depuis le 21 décembre 2006, à la maison d’arrêt des femmes de FleuryMérogis (Essonne) puis à Fresnes (Val-de-Marne). Déjà condamnée pour un délit similaire, M.G. était titulaire d’une autorisation de séjour pour soins et bénéficiait de l’allocation pour adulte handicapé. Ses deux filles, âgées de 11 et 16 ans, étaient scolarisées et l’aînée avait décroché une bourse au mérite. Suite à l’incarcération de leur mère, elles ont d’abord été prises en charge au sein du domicile familial par un proche, puis par « un tiers digne de confiance », avant d’être finalement placées en famille d’accueil en décembre 2007, le loyer du logement ne pouvant plus être réglé. Les allocations dont la famille bénéficiait ont été interrompues car la mère n’a pu faire renouveler son titre de séjour, ses demandes d’autorisation de sortie pour se rendre à la préfecture ayant été refusées par le juge. Les enfants ont de plus en plus de mal à supporter cette situation, et notamment la fille aînée, dont les résultats scolaires ont fortement baissé. Depuis l’annonce du placement, M.G. a tenté par deux fois de se suicider. Au fil des mois, son état de santé s’est dégradé, au point de nécessiter plusieurs hospitalisations. Chacune des remises en liberté a cependant été refusée au motif qu’il existe un « risque de réitération du délit ». L’instruction est close depuis le mois de décembre. Selon l’avocat de M.G, il n’y a aucun élément nouveau depuis une confrontation organisée au mois de juin 2007. La date du procès n’est toujours pas connue. (OIP) N°65 Avril 2008
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dans la qualification des faits ». Reste que, si rien n’interdit à un détenu d’avoir des relations sexuelles, celles-ci ne peuvent que se dérouler dans des conditions inacceptables. Ni les unités de visites familiales, ni les « parloirs familiaux », qui se déroulent dans des pièces fermées, ne sont généralisés à l’ensemble des établissements. Pourtant, comme le souligne la juriste Martine Herzog-Evans dans le numéro de janvier de AJ Pénal, « leur développement est une urgence », car « la situation actuelle place tant les personnels que les détenus et leurs proches dans des situations complexes et embarrassantes » et « peut conduire [...] à des décisions disciplinaires ridicules ». (OIP, AJ Pénal)
Villepinte : sous la pression, la direction accepte d’augmenter les possibilités de parloirs
5 Sessions de parloirs complètes, ligne téléphonique sonnant occupée ou dans le vide, borne informatique de réservation saturée. Depuis plusieurs mois, les familles rencontraient les plus grandes difficultés pour rendre visite à leurs proches incarcérés à la maison d’arrêt de Villepinte (Seine-Saint-Denis). Interpellée par l’OIP, puis par le préfet et des parlementaires, l’administration pénitentiaire s’est enfin décidée à prendre le problème à bras-lecorps. Dans un communiqué du 13 février, la direction interrégionale a rendu public « une série de mesures », devant « permettre d’augmenter le nombre de parloirs et d’améliorer le mécanisme de réservation » : ouverture de deux cabines de parloirs supplémentaires, portant leur nombre à 28 ; ajout de deux tours de parloirs le lundi, à 10 heures et 11 heures ; augmentation de la plage horaire permettant de réserver des parloirs par téléphone, désormais possible entre 8 h 30 à 11 h 30 du lundi au vendredi. Il était temps. Depuis le mois de septembre dernier, en raison de la surpopulation de l’établissement - 856 personnes au 1er janvier 2008 pour moins de 600 places - l’administration pénitentiaire n’était plus en mesure d’assurer le nombre minimum de visites prévu par le Code de procédure pénale (une par semaine pour les condamnés et trois pour les prévenus). Pour tenter de réserver un parloir, les personnes étaient très souvent contraintes de renouveler leurs appels téléphoniques
de facto
de facto La CNDS appelle au respect de l’éthique médicale en prison Comme chaque année depuis 2001, la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) a rendu public son rapport annuel. Et comme chaque année, ce dernier fait apparaître des manquements graves de la part des personnels des ministères concernés, et notamment ceux de l’administration pénitentiaire. Dans les 14 dossiers en lien avec le milieu carcéral qu’elle a eu à traiter, l’autorité administrative indépendante a déploré un « cas de violences illégitimes », des fouilles « conduites sans discernement », « un usage excessif du dispositif de surveillance renforcée », « un transfèrement injustifié par des raisons d’ordre ou de sécurité » ou encore un « non-respect des règles encadrant la procédure disciplinaire ». Le rapport relate également des cas de manquement à la déontologie dans des domaines touchant à la santé des détenus, notamment un défaut de surveillance « ayant favorisé le décès d’une personne détenue particulièrement vulnérable », plusieurs situations de maintien à l’isolement de détenus malgré des avis médicaux contraires ou, pour la énième fois, des extractions médicales pour des consultations à l’hôpital au cours desquelles les détenus ont été abusivement menottés ou entravés. La fréquence de ces problèmes et l’absence de prise en considération de nombre des recommandations formulées par la Commission l’ont conduit à intégrer au présent rapport une étude spécifique sur les conditions d’accès aux soins des personnes privées de liberté. Un document basé sur les 127 dossiers qu’elle a eu à traiter depuis sa création, dont un tiers concerne des faits survenus en prison. Une manière de rappeler aux policiers, gendarmes et, bien sûr, aux personnels pénitentiaires leur « devoir d’assistance et de surveillance envers les personnes dont ils ont la responsabilité » et le principe selon lequel « la privation de liberté ne doit pas entraîner pour autant la suppression des droits fondamentaux de la personne malade », et notamment le droit à la permanence des soins, au secret médical, à la confidentialité de l’examen médical, à la continuité et au suivi des soins. Mais aussi de lancer un avertissement aux différentes autorités responsables : « La récurrence des dysfonctionnements constatés et la gravité de leurs conséquences ne peuvent qu’inciter la Commission à adopter pour l’avenir des exigences plus strictes du respect des règles ». (OIP)
pendant plusieurs heures avant d’obtenir une réponse. Certaines, celles qui le pouvaient, en étaient réduites à se rendre jusqu’à la prison afin d’utiliser la borne de réservation électronique mise à disposition dans le local d’accueil des familles. Ou du moins essayer. La mère d’une personne détenue affirme que c’est ce qu’elle a tenté de faire le 5 février, après avoir téléphoné en vain. Arrivée sur place, elle s’est rendu compte que la borne, qui ne permet de prendre un rendez-vous que dans les deux semaines suivantes, était saturée. Elle est donc rentrée chez elle sans avoir pu réserver de parloir. Après avoir, dans un premier temps, en octobre 2007, fait connaître ces dysfonctionnements et leurs conséquences, l’OIP a interpellé en février 2008 les autorités départementales, politiques et administratives. Certaines d’entre elles, comme le préfet de Seine-Saint-Denis ou la sénatrice verte Dominique Voynet, ont à leur tour demandé des explications à l’administration pénitentiaire, qui cette fois a réagi. (OIP)
Plainte déposée contre les atteintes au secret médical à Creil
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Un recours pour excès de pouvoir a été déposé par l’OIP devant le tribunal administratif d’Amiens (Somme) contre la direction du centre hospitalier Laennec de Creil. Pour répondre aux exigences de sécurité imposées par l’administration pénitentiaire, ce dernier n’a en effet rien trouvé de mieux que de rédiger une instruction, en date du 18 décembre 2007, faisant fi, purement et simplement, du respect du secret médical. Adressée tant aux personnels du centre hospitalier qu’à ceux du centre pénitentiaire de Liancourt chargés des escortes, elle précise que les consultations médicales doivent se dérouler « selon les critères de sécurité définis par l’autorité pénitentiaire », à savoir en présence des surveillants, et que, dans le cas où un détenu demande le
« respect strict de la confidentialité du diagnostic », l’entretien doit avoir « lieu en milieu pénitentiaire par l’intermédiaire du médecin de l’UCSA ». Le « respect strict » du secret médical est pourtant dû à tout patient. C’est ce qu’a expressément rappelé le Conseil d’État dans deux affaires récentes : « Les mesures de sécurité mises en œuvre par l’administration pénitentiaire lors de l’extraction et du séjour dans un établissement hospitalier d’un détenu doivent […] assurer en toute hypothèse, la confidentialité des relations entre les détenus et les médecins qu’ils consultent ». (OIP)
Un détenu obtient la condamnation d’un surveillant pour dénonciation calomnieuse
5 Le fait est suffisamment rare pour être signalé. Une personne détenue à la maison d’arrêt de La Santé (Paris) a obtenu fin mars du Tribunal de grande instance (TGI) de Paris la condamnation d’un surveillant pour dénonciation calomnieuse. Ce dernier avait accusé le plaignant de l’avoir menacé de mort. Dans une note adressée à sa hiérarchie le 4 juillet 2007, dont le site d’information Rue89 publie des extraits, le surveillant affirme que « ayant surpris [le détenu] en train de faire les œilletons du rez-de-chaussée », il l’aurait « sommé de rejoindre poliment le lieu […] de sa destination première », mais que l’homme aurait « refusé de céder [aux] injonctions ». Le surveillant explique qu’il l’a « donc tiré par le bras » et que le détenu l’aurait alors « menacé en ces termes : “surveillant, de toute façon dehors, vous êtes un homme mort” ». Ces allégations avaient conduit le détenu à passer devant la commission de discipline, mais celle-ci l’avait acquitté. En effet, deux témoins de la scène, incarcérés également, avaient affirmé qu’aucune menace de mort envers le surveillant n’avait été proférée. Le détenu faussement accusé n’a pas voulu en rester là et a décidé de poursuivre le surveillant en justice. « Une question de principe », explique son avocat. Le tribunal lui a donné raison en condamnant l’agent pénitentiaire à une amende avec sursis. Et au versement d’un euro de dommages et intérêt, soit la somme que le plaignant demandait. Toujours pour le principe. (Rue89)
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© Bertrand Desprez / Agence Vu
Une mère abusivement privée du droit de voir son fils à Loos
5 Le 3 mars 2008, Mme D.S., âgée de 55 ans, a enfin pu voir son fils, détenu à la maison d’arrêt de Loos (Nord), auquel elle n’avait pu rendre visite depuis un mois. Le 15 février, en appelant le service des parloirs pour confirmer un rendez-vous prévu le lendemain, elle avait en effet appris qu’elle ne pourrait en bénéficier car son permis avait été suspendu le 2 février - date de son dernier parloir -, et ce pour une durée d’un an. Un « incident » avait certes eu lieu ce jour-là mais elle n’avait pas été informée qu’une suite y serait donnée. Sujette à l’hypoglycémie, D.S. avait dans les poches de son manteau, au moment d’accéder au parloir, des biscuits et carrés de chocolats qui ont « justifié » le passage à plusieurs reprises du vêtement sous les rayons X. Puis la décision d’une surveillante de refuser le parloir. D.S. avait ainsi dû rentrer chez elle, à 160 km de là, en ayant seulement pu déposer, après insistance, un sac de linge propre pour son fils. Le 28 février, elle a finalement reçu une lettre de la direction de la maison d’arrêt l’informant officiellement que « suite à l’incident du 2 février 2008, [son] permis de visite a été suspendu », mais qu’il est désormais rétabli, car c’est « à tort » qu’il lui « a été répondu que [son] permis de visite était suspendu pour une année ». Sans autre explication, ni sur le motif de cette sanction, ni sur les raisons pour lesquelles elle n’en a pas N°65 Avril 2008
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été informée et donc n’a pu se défendre. Le 4 mars, elle a appelé le directeur de la maison d’arrêt pour avoir plus d’informations. En réunion, celui-ci l’a renvoyée vers le secrétariat de direction, qui l’a lui-même orientée vers le service des parloirs, qui n’a pas pu non plus la renseigner. À sa question : « était-ce à cause des trois carrés de chocolats que j’avais dans la poche ? », la réponse fut « c’est sûrement cela ». (OIP)
Suspension médicale de peine : le droit à l’expertise refusé
5 Les juridictions de l’application des peines peuvent désormais rejeter une demande de suspension de peine pour raisons médicales, sans même faire procéder au préalable à une expertise médicale. Par une décision en date du 24 octobre 2007, la Cour de cassation a en effet considéré qu’il leur appartient « d’apprécier souverainement, au vu des éléments soumis à leur examen, si le demandeur peut bénéficier d’une suspension » et que « seul l’octroi de la mesure nécessite le recueil préalable de deux expertises ». La haute juridiction avait été saisie par une personne détenue qui s’était vue refuser par le juge une mesure de suspension médicale de peine, un refus basé sur le simple examen des documents médicaux que le requérant avait présentés. La Chambre de l’application des peines de Nîmes avait déjà confirmé en appel le juge-
ment, estimant que les éléments produits ne permettaient pas de conclure que la personne présentait une pathologie engageant son pronostic vital, ou que son état de santé était incompatible avec la détention, notamment parce qu’elle était en activité à temps plein. Le détenu s’était donc pourvu en cassation. La Cour de cassation a estimé que si, aux termes de l’article 712-12 du Code de procédure pénale, les juridictions de l’application des peines peuvent procéder ou faire procéder « à tous examens, auditions, enquêtes, expertises, réquisitions [...] ou autres mesures utiles », il n’est pas précisé que le condamné puisse introduire des demandes d’actes, ni que le juge soit tenu d’y répondre. Ce faisant, la Cour de cassation poursuit son mouvement de durcissement des conditions et modalités d’octroi de la mesure, dont la mise en œuvre pose pourtant de multiples problèmes. Dans un arrêt du 28 septembre 2005, la Chambre criminelle de la Cour avait en effet déjà estimé, dans le cas d’une pathologie engageant le pronostic vital, que la mort devait être prévisible « nécessairement à court terme » et que cette condition n’était pas remplie lorsque les expertises établissaient l’impossibilité de prévoir le délai d’engagement du pronostic vital. Dans un précédent arrêt du 23 juin 2004, la Chambre avait également estimé que, lorsqu’une première expertise médicale concluait que le condamné ne remplissait pas les conditions d’octroi, le juge de l’application des peines pouvait rejeter la demande sans ordonner de seconde expertise. Désormais, il peut donc le faire sans même faire procéder à la première. (OIP, AJ Pénal)
de facto
temoignages
« Je ne veux plus tolérer l’immobilisme ou la résignation. Je souhaite que la Justice montre l’exemple en offrant aux personnes handicapées des conditions d’existence spécifiques à leurs besoins. » C’est ce qu’a déclaré Rachida Dati le 21 novembre dernier, lors de la présentation du plan d’action de son ministère en faveur des personnes handicapées.
À
la lecture des témoignages écrits entre 2003 et aujourd’hui, on comprend que ces besoins sont loin d’être satisfaits en détention. Au point que la France s’est vue condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme le 24 octobre 2006. Une étude menée en 2000 dans la région Ouest1 fait pour sa part état d’une longue liste de problèmes liés à l’inadaptation des locaux : « toilettes trop basses et peu accessibles », « lavabos et armoires difficilement utilisables », « portes trop étroites pour le passage d’un fauteuil », etc. Son auteur, Laurent Delaplace, cite le cas d’une personne obèse devant dormir dans un lit superposé et obligée de « tirer la table pour monter dessus », ou encore de détenus obligés de « circuler à quatre pattes » en raison de l’encombrement des cellules. Autre problème : l’absence de personnels qualifiés qui conduit ces personnes à faire appel à des codétenus, ce qui « pose des problèmes éthiques, de qualité et de continuité des soins », ainsi que, parfois, de racket. Une autre étude réalisée plus récemment
incapacité et handicap en prison
non-assistance à personne dépendante © Nicole Henry-Crémon / Editing
2 en Basse-Normandie est parvenu à des constats similaires : « parc pénitentiaire […] totalement inadapté », personnes « plus soumises à la violence d’autrui », qui « ont un accès moins facile au travail et aux activités socioculturelles », « connaissent des difficultés dans la recherche d’une structure d’accueil à la sortie […] et bénéficient plus difficilement des aménagements de peine que les autres détenus ». L’étude met également en avant l’existence de carences dans la prise en charge médicale, et notamment dans « l’accès […] particulièrement difficile » à la kinésithérapie, ainsi qu’aux appareillages et aides techniques. Pourtant, les personnes dépendantes sont plus nombreuses en prison qu’à l’extérieur3 et la situation ne va pas s’améliorer du fait du vieillissement de la population carcérale. Face à cela, la réponse des pouvoirs publics se résume cependant à prévoir au moins une cellule aménagée par nouvel établissement. Sans s’interroger sur le sens que peut avoir encore la peine pour ces personnes. N°65 Avril 2008
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« L’isolement et le confinement sont insupportables pour un non-voyant. » Personne aveugle, maison centrale de Poissy (Yvelines), 12 mai 2006.
« À mon arrivée à Poissy, je n’étais qu’une personne handicapée par sa non-voyance, sa non-olfaction et des douleurs aux cervicales, psychiquement relativement bien, ne demandant qu’à poursuivre une psychothérapie et à m’investir dans de la formation, un travail ou diverses activités. J’ai eu des entretiens comme tout nouvel arrivant avec des responsables des différents services. Il m’avait semblé être entendu. Plus de deux ans se sont écoulés et rien n’a changé. Je suis dans un lieu dit “unité sanitaire”, où l’isolement et le confinement sont insupportables pour un non-voyant. À la maison d’arrêt d’Orléans, les surveillants et l’encadrement me rendaient visite régulièrement pour s’enquérir de mon état et mes déplacements étaient beaucoup plus faciles. Le responsable des ateliers a testé lui-même la condition d’aveugle pour trouver la meilleure orientation possible. Cela a permis une rémunération et un travail pendant plus d’un an. Ici, on ne m’a toujours pas autorisé du matériel pour apprendre à lire et à écrire. Étant placé au deuxième étage et les ateliers, les services sociaux et les bureaux étant au rez-de-chaussée, un déplacement personnel m’est complètement impossible. Les soins corporels que je ne peux faire se font toujours à la demande, par écrit, en me rendant à l’infirmerie. Étant dans le noir total et ne pouvant guère bouger, je suis obligé de passer 90 % de mon temps sur mon lit. Je subis de multiples fois par jour l’intrusion de personnes qui ne préviennent ni de leur arrivée, ni ne frappent à la porte. Lors de fouilles de ma cellule, on peut modifier l’ordre de rangement de toutes mes affaires, là encore sans prévenir. Or, vu mon handicap, cet ordre et ce rangement sont capitaux pour moi. Je touche une pension de la Cotorep qui est ponctionnée à la base de 70 % parce que “pris en charge par l’État”. On pourrait me fournir du matériel pour améliorer ma vie quotidienne, mais tous les produits hors remboursement par la sécurité sociale doivent être à ma charge. »
« Sourd et muet, un lourd handicap dans le monde carcéral » Personne sourde et muette, centre pénitentiaire de Fresnes (Valde-Marne), mars 2008.
« J’ai 28 ans et suis sourd et muet, un lourd handicap dans le monde carcéral. J’ai été condamné à une très lourde peine de prison, 30 ans. Depuis un mois, il y a un détenu qui parle la langue des signes, avec qui je suis en cellule, mais je dois être transféré d’ici la fin mars à Poissy (Yvelines) et je crains de vivre les mêmes problèmes et angoisses que mes années précédentes. Je vais très mal psychologiquement. Je n’ai plus de famille pour m’aider. Comment puis-je faire pour avoir un interprète pour m’aider lors de mes entretiens avec les psychologues, pour vendre mes compétences, pour avoir du travail, pour disN°65 Avril 2008
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cuter avec les différents services ? J’aimerais avoir également la télévision avec une possibilité d’activer le sous-titrage afin que je puisse suivre le journal, les films, etc. Je ne touche aucune pension de la Cotorep depuis que j’ai 18 ans. »
« Pas de douche, même pas accès à un robinet » Personne en fauteuil roulant, maison d’arrêt de Brest (Finistère), puis de Fresnes (Val-de-Marne), juillet 2003 à janvier 2004.
« Je n’ai pas de douches et même pas accès à un robinet. C’était mon codétenu qui m’apportait une bassine d’eau, mais il a changé et celui qui est avec moi marche avec des béquilles... J’ai des problèmes de dos qui me font souffrir énormément et j’ai passé plusieurs nuits blanches à cause de cela. Certaines nuits, il m’est même arrivé de dormir assis sur mon fauteuil, la tête sur la table. Je n’ai toujours pas pris l’air depuis mon arrivée car il m’est impossible d’avoir accès à la cour de promenade. Tout ce que j’ai, c’est une heure de bibliothèque le lundi. Je ne me suis pas verticalisé depuis le 8 mai. » (2 juillet 2003) « Depuis le 17 juillet, mon état s’est complètement dégradé. Une escarre s’est formée au niveau de mon assise (fessier). On me demande de rester alité et de ne plus m’asseoir, mais c’est impossible. » (24 juillet 2003) « Je ne comprends vraiment pas. Je devais être transféré à l’hôpital pénitentiaire de Fresnes et me retrouve à la maison d’arrêt. On m’a mis dans une cellule aménagée où je suis avec un autre handicapé complètement alité. Je n’ai donc aucune aide. Je n’ai pas de kiné, pas de sport, etc. La promenade est grande comme trois cellules. Elle est pour les handicapés, mais pas un seul ne sort. C’est inadmissible et surtout ingérable pour ma famille. Tant de kilomètres si ça avait été pour être hospitalisé, j’aurais compris, mais ce n’est pas le cas. » (3 août 2003) « On ne m’a pas donné mes sondes alors que ça fait trois jours que je les réclame et là, on me sort que c’est le 15 août, que ce n’est pas possible. On m’a ramené quatre sondes de femmes, ce qui ne peut pas servir. C’est vraiment honteux. Sans sonde, je vais avoir la vessie qui va me brûler le ventre et des fuites urinaires. » (15 août 2003)
temoignages et Juliette à 15 heures. Je m’y étais inscrit, mais personne n’est venu me chercher. Pourquoi ? Je pense que cela doit être encore un problème d’accès pour les fauteuils roulants. Une discrimination de plus. » (27 mai 2003) « À Osny, on me fournit une pelle et une balayette pour faire le ménage dans ma cellule. Du haut de mon fauteuil, ce n’est pas évident. Le Code de procédure pénale et le bon sens prévoient pourtant ce cas de figure. Ici, les détenus nécessitant de la kiné n’en ont pas. » (22 juin 2003)
« Très peu de chance d’obtenir une suspension de peine » Personne à mobilité réduite, maison d’arrêt de Sequedin (Nord), 25 février 2008. © Michel Le Moine
« Au mois de septembre, j’avais alerté le service médical sur l’état de mon fauteuil car celui-ci avait les pneus complètement usés et la chambre à air apparaissait. On est venu à cinq reprises prendre les dimensions de mes pneus en rétorquant à chaque fois que le papier avait été égaré. Ce qui devait arriver a fini par arriver ! Au début du mois de novembre, une roue a fini par crever et elle l’est toujours. Les freins de mon fauteuil ne fonctionnent même plus. Je n’ai toujours aucun soin kiné, et cela depuis le 9 mai. Nous n’avons accès à rien, aucune activité. On est enfermé 24 heures sur 24 en cellule. Je ne peux aller à la bibliothèque que le jeudi pendant une heure ou deux et pour cela, il faut que j’enlève une roue à mon fauteuil pour pouvoir y entrer et la remettre à l’intérieur. De même pour la sortie ! » (24 janvier 2004)
« Isolé des autres détenus sous prétexte que je suis en fauteuil » Personne en fauteuil roulant, maison d’arrêt de Fresnes (Val-deMarne) et d’Osny (Val-d’Oise), avril-juin 2003.
« Je suis confiné 24 heures sur 24 en cellule, sans pouvoir me doucher car ce n’est pas adapté à un paraplégique. On m’a filé du matériel médical (sonde urinaire) périmé. Je n’ai aucune possibilité de faire quelque activité que ce soit. Je suis coincé en cellule ou en promenade, seul, isolé des autres détenus sous prétexte que je suis en fauteuil. J’ai interpellé les autorités et le procureur de Créteil quant à mes conditions de détention, mais je n’obtiens pas de réponse. J’ai donc porté ma requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme. J’attends les suites. » (8 avril 2003) « Le lundi 12 mai, j’ai eu la visite d’une inspectrice de la DDASS [direction départementale des affaires sanitaires et sociales]. Elle m’a dit qu’elle faisait un rapport mais qu’il ne fallait pas que je m’attende à de grands changements. Le vendredi 16 mai, le directeur de la maison d’arrêt est venu me voir en cellule. Un quart d’heure plus tard, on m’apportait une “chaise-fauteuil” avec laquelle je peux enfin prendre ma douche. Après trois mois, c’est grand temps car je commençais à “sentir le bouc”. » (19 mai 2003) « Le 22 mai était prévue une représentation-concert de Roméo
« J’ai très peu de chance d’obtenir cette suspension de peine, bien que ma santé ne soit pas des meilleures, mais bon... Depuis que je suis arrivé ici, je ne suis jamais sorti en promenade car je me déplace avec une canne et j’ai des problèmes d’équilibre assez importants puisque la partie gauche de mon cerveau est mal irriguée. Aussi, je lis et regarde la télé. Voilà toutes mes occupations. Pour le moment, rien n’est fait pour mon état de santé. Je devais me rendre à Créteil au mois de novembre dernier pour un pontage et au mois de décembre à Toulouse pour mon cancer, mais rien. J’espère qu’il ne sera pas trop tard lorsque l’on voudra bien me laisser aller me soigner. Sinon, je serai dans les statistiques des morts en prison. Oui, c’est vrai, je suis un peu démoralisé. Ça passera... »
« Je suis resté alité pendant six mois. » Personne en fauteuil roulant, maison d’arrêt d’Amiens (Somme), 18 décembre 2006.
« J’ai fait une attaque cérébrale. À mon retour à la prison, je n’ai pu obtenir aucune aide thérapeutique ou médicale. Je suis resté alité pendant six mois car j’étais paralysé. Un an après, j’ai enfin pu bénéficier de kinésithérapie, mais on m’avait attribué un fauteuil roulant inadapté. Et, tout au long de mon incarcération, je n’ai pu bénéficier d’aide adéquate à mon handicap. »
« Je n’ai aucun contact. » Personne en fauteuil roulant, centre de détention de Tarascon (Bouches-du-Rhône), 22 juillet 2003.
« Je suis paraplégique en fauteuil roulant. J’ai plusieurs pathologies conséquentes de cette paralysie : un diabète insulinodépendant qui a entraîné une obésité morbide, une hypertension, et je suis cardiaque. Depuis trois mois, je n’ai pas pu prendre de douche. L’administration m’a répondu qu’elle devait s’équiper. Mais toujours rien. D’autre part, je suis isolé dans l’aile des arrivants. Leur régime est fermé pendant la période d’observation. Je n’ai donc aucun contact avec eux. Je ne peux participer à aucune activité comme la bibliothèque, l’école, les activités N°65 Avril 2008
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culturelles, la formation, puisque ces dernières sont situées dans un bâtiment sans ascenseur, au premier étage bien sûr. Je ne parle même pas de l’accès au stade. Malgré de nombreuses discussions avec la direction, la situation reste la même. Je constate que l’établissement pénitentiaire de Tarascon, établissement public, ne respecte en aucune façon la loi sur l’accessibilité des personnes handicapées4. »
« Je ne peux pas exercer mes droits » Personne aveugle et en fauteuil roulant, maison centrale de Poissy (Yvelines), 13 mars 2008.
« Il est incompréhensible de la part de la direction de ne pas avoir pris de décision concernant des particularités selon les handicaps. Par exemple, la lecture et l’écriture assistées par
ordinateur me sont interdites. Cela concerne également mon installation dans une cellule non conforme, ainsi que l’accès aux douches et aux lieux collectifs. La lecture d’une notification de remises de peine supplémentaires ne m’a pas été faite complètement, en particulier sur les délais d’appel à respecter. N’étant pas informé, je ne peux exercer mes droits. » 1) « Dépendance pour les actes de la vie quotidienne en milieu carcéral dans la région pénitentiaire Ouest », École nationale de la santé publique, Rennes, avril 2001. 2) Observatoire régional de la Santé de Basse-Normandie « Étude des besoins des détenus âgés et/ou handicapés en Basse-Normandie en 2006 », Mars 2007. 3) « Le handicap est plus fréquent en prison qu’à l’extérieur », Insee première, n°854, juin 2002. 4) La loi pour l’égalité des droits et des chances du 11 février 2005 prévoit l’accessibilité des établissements recevant du public dans un délai qui ne peut excéder dix ans, mais les prisons font l’objet de règles spécifiques.
Devenu paraplégique en prison, un homme obtient 340 000 euros d’indemnisation Le 31 décembre 2007, la Cour administrative d’appel de Paris a condamné conjointement l’État et l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) à verser la somme de 340 000 euros en réparation des préjudices subis par une personne devenue paraplégique en prison 12 ans plus tôt. Les expertises ont en effet fait apparaître que les fautes commises par l’administration pénitentiaire et les services de santé avaient « à part égale compromis les chances réelles de rétablissement dont l’intéressé aurait dû bénéficier ». Incarcéré à la maison d’arrêt de la Santé (Paris) depuis le 17 septembre 1994, l’homme a commencé à souffrir de douleurs thoraciques persistantes après une chute dans sa cellule, le 30 juin 1995. Suite à un examen radiologique, il a été soumis à un traitement antituberculeux à partir du 25 juillet. Trois semaine plus tard, lors d’une hospitalisation à l’hôpital Cochin, les médecins ont diagnostiqué un « mal de Pott » – infection due au bacille de la tuberculose –, avec une lésion de la 4e vertèbre thoracique. Le scanner n’ayant pas mis en évidence la nécessité d’une intervention chirurgicale immédiate, les médecins n’ont pas pris la décision d’hospitaliser le détenu, mais ont invité leurs confrères de la maison d’arrêt à prendre rendez-vous dans un délai d’un mois pour la réalisation d’une imagerie par résonance magnétique (IRM) et d’une nouvelle consultation orthopédique. De retour en détention, l’état de santé du patient s’est rapidement détérioré. Pourtant, indique le jugement, « aucune surveillance médicale particulière adaptée » n’a été mise en place. La seule mesure prise a été une nouvelle extraction à l’hôpital Cochin pour y pratiquer une IRM, le 7 septembre. Celle-ci a confirmé l’« aggravation très sensible de l’état du malade », ce qui aurait, selon la Cour, « nécessité une consultation en urgence d’un chirurgien orthopédique ». Or l’homme a été renvoyé à la maison d’arrêt de la Santé, où son état s’est encore aggravé. Le 14 septembre, il a finalement été hospitalisé en urgence, avant d’être opéré le 18. Trop tardivement. Il était désormais atteint d’une paraplégie définitive. Pour la Cour, au vu des expertises réalisées par la suite, il ne fait aucun doute que « la cause de la paraplégie réside dans la circonstance que M. n’a pas bénéficié d’une attention médicale suffisante pour permettre un transfert précoce en service de chirurgie orthopédique ». « Ce défaut d’attention médicale, expliquent les magistrats, a induit pour l’intéressé une “perte de chance radicale de récupération de sa paraplégie, dès lors qu’il conservait plus de 50 % de possibilités d’amélioration à défaut de guérison complète ”selon un expert et “aurait pu éviter ou limiter le déficit neurologique constaté” selon l’autre expert si l’intervention chirurgicale pratiquée le 18 septembre, en urgence, avait pu être anticipée ». La Cour a donc estimé que le « défaut de surveillance médicale au sein de la prison constitue une faute engageant la responsabilité de l’État », de même que, pour l’AP-HP, le fait de s’abstenir d’hospitaliser le patient à la suite de l’IRM. Ce faisant, elle a confirmé le jugement rendu en première instance par le tribunal administratif de Paris en janvier 2006. Jugement dont le ministère de la Justice avait fait appel, en réclamant une nouvelle expertise, de même que l’AP-HP, qui demandait « à la Cour de limiter le montant de l’indemnisation allouée à de plus justes proportions ». Soulignant « l’entière imputabilité des dommages subis [...] à l’administration pénitentiaire », elle sollicitait en outre « la condamnation de l’État à lui verser la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles ». Aucun des arguments ni requêtes des deux ministères n’auront convaincu les juges. (OIP) N°65 Avril 2008
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Une ethnologue parmi les jeunes de Fleury
plongée effrayante dans une prison modèle
Après son immersion en maison centrale, publiée en 2000, c’est dans le monde des adolescents que nous entraîne aujourd’hui Léonore Le Caisne, après avoir « traîné » pendant une année au quartier mineurs du centre de jeunes détenus de FleuryMérogis. Un voyage dont il est difficile de sortir indemne.
Pendant un an, d’août 2003 à juillet 2004, l’ethnologue s’est rendue au centre de jeunes détenus (CJD) de Fleury-Mérogis (Essonne) pour y « étudier la sociabilité des garçons », dans le cadre d’une Léonore Le Caisne, recherche commanditée par le ministère de la Justice. Elle compAvoir 16 ans à Fleury. tait aussi, explique-t-elle dans Ethnographie d’un centre l’introduction de l’ouvrage qu’elle de jeunes détenus, Seuil, vient de publier, « observer le tra2008, 341p., 21 euros. vail du personnel », ainsi que, plus généralement, « la manière dont l’institution mettait en œuvre sa vocation de garde et de resocialisation ». Et le constat est effarant.
Aucun projet éducatif Alors qu’on lui « avait présenté la prise en charge des détenus mineurs dans cet établissement comme un modèle de travail éducatif, explique-t-elle, je découvrais, avec un découragement certain, que le ménage est la seule activité que les surveillants ont à proposer aux garçons qui s’ennuient ou s’impatientent en cellule ». Ce quartier modèle ne propose en effet aucun projet éducatif, les activités socio-éducatives y sont rares et ne concernent qu’une demi-douzaine de mineurs sur une soixantaine, les formations professionnelles sont inexistantes et le nombre de places au centre scolaire limitées. Côté personnel, les surveillants – « des fonctionnaires stagiaires arrivés là pour profiter des plages horaires intéressantes » et qui, « contrairement au discours tenu à l’administration pénitentiaire, [...] n’ont suivi aucune formation particulière » – connaissent à peine les mineurs qui leur sont confiés, ce que « seuls deux ou trois regrettent ouvertement ». « Les psychologues et le psychiatre, dont on loue pourtant la présence, poursuit Léonore Le Caisne, restent cantonnés à l’infirmerie du rez-de-chaussée et attendent que les garçons viennent à eux », « ce qui, on s’en doute, arrive peu ». Quant aux éducateurs, « trop peu nombreux », ils
« se contentent d’accueillir les “arrivants” à travers des entretiens très administratifs ». « En fait, explique l’ethnologue, seul l’aumônier catholique et le vieil éducateur [...] venaient encore rendre visite aux mineurs. »
Les réjouissances du « pliage » Mais c’est surtout la violence des rapports sociaux qui choque, et notamment le récit que Léonore Le Caisne fait des « interventions » des surveillants sur les adolescents : « L’alarme qui résonne à tous les étages signale à tous l’“intervention” immédiate [...] En quelques secondes, le premier surveillant et une nuée d’agents, qu’ils soient en charge des détenus mineurs ou des détenus majeurs, arrivent sur les lieux essoufflés. C’est le moment pour certains de décharger leur agressivité, et de se venger des jeunes dont l’impunité supposée les irrite. [...] Les réjouissances du “pliage” sont dans l’air. Pas question de manquer la fête. Quatre agents s’emparent des protagonistes, les enjoignent de se coucher à terre ou les y aident par une “balayette” bien ajustée. Ils leur replient bras et jambes sur le dos, les soulèvent de terre et les transportent allongés. » Pourquoi une telle violence ? « Y’a qu’la force qu’ils comprennent ! », réplique un surveillant.
Normalisation de la délinquance Dans ce contexte, observe Léonore Le Caisne, « les jeunes détenus ont tout loisir de détourner le sens de leur séjour carcéral tel que le pensent les magistrats », c’est-à-dire « créer un choc salutaire à une prise de conscience ». Ils banalisent au contraire le lieu, le transformant en annexe de leur cité, et « normalisent leurs infractions », les présentant comme des « pratiques de leurs classes d’âge et finalement propres à la “culture de rue” ». Et leur incarcération ne fait que renforcer ce cercle vicieux : « Punis plus pour la répétition que pour la nature de leurs infractions, les adolescents savent que pour les mêmes actes d’autres semblables à eux n’ont pas été incarcérés. Aussi, dans leur logique et en l’absence de tout travail socio-éducatif et psychothérapeutique, rien de plus cohérent que de s’engouffrer dans la brèche et de se dire que les magistrats considèrent ces infractions comme des actes spécifiques à la jeunesse ». Et l’ethnologue de s’inquiéter : « En conduisant à la condamnation automatique de l’adolescent récidiviste, et donc en réduisant l’individualisation de sa peine, c’est-à-dire la prise en compte de la nature des faits et de la personnalité et de l’histoire de leur auteur, la “loi Dati” [sur les peines planchers, ndlr] ne risque-t-elle pas d’enferrer les garçons dans leur représentation déresponsabilisante d’appartenance à une communauté spécifique ? » Stéphanie Coye N°65 Avril 2008
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en actes L’histoire de la prison par ceux qui la vivent « Pourquoi ce sentiment de répétition historique des mêmes dysfonctionnements et des mêmes dénonciations ? Pourquoi ce silence, cette amnésie politique et sociale qui, entre chaque crise, touchent la question du fonctionnement des prisons et du sens de la peine ? » Pour répondre à cette question, l’historienne Hélène Bellanger s’est penchée sur l’évolution de l’institution carcérale depuis 1945. Découpé en grandes périodes – « la prison de la France résistante », « le temps du silence », « la prison politique », « les années de plombs », etc. –, son ouvrage met en lumière ses permanences et ses évolutions, jusqu’au « populisme pénitentiaire » qui pervertit aujourd’hui la politique pénitentiaire, comme le « populisme pénal » a perverti la politique pénale. Mais il n’est pas qu’un simple livre d’histoire. Car Hélène Bellanger a choisi de mêler aux faits historiques et à leurs analyses les témoignages de ceux qui, durant ces soixante ans, ont vécu au cœur de l’institution, les surveillants et les personnes détenues. « Le pari de ce livre, explique ainsi l’auteure dans sa préface, fut de travailler sans exclusive à la fois sur “la prison rêvée” et sur les prisons réelles, sur les politiques pénitentiaires et sur le quotidien en confrontant les témoignages ». La « grande Histoire » côtoie ainsi les petites. Les secondes donnent corps à la première et permettent surtout, précise Hélène Bellanger, de « saisir ce décalage entre discours et réalité » et de « comprendre “comment ça avait changé” ». On y lit par exemple comment les surveillants ont vécu les réformes de 1975 ou des années 80, et comment certains ont craint que l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir en 1981 s’accompagne de l’abolition des prisons. Ce choix de mêler dans un même ouvrage travail scientifique et recueil de témoignages ne manquera pas de perturber certains chercheurs en sciences humaines, mais l’auteure assume : « une légère mise en roman des sciences sociales est peut-être le bon tribut à payer au développement de l’intérêt public ». Une tentative d’informer et, peutêtre, dit Hélène Bellanger en citant le philosophe Paul Ricœur, de susciter une indispensable « indignation citoyenne sur “ce qui reste un scandale pour l’intelligence et le cœur” ». Hélène Bellanger, Vivre en prison. Histoires de 1945 à nos jours, Hachette Littératures, 2007, 334 p., 20 euros.
Récidivistes : arrêt sur images L’un rackette et agresse un quidam, un autre deal du crack, un autre encore est un délinquant sexuel. À première vue, les douze personnes dont Serge Portelli, vice-président du tribunal de Paris, dresse les portraits dans son dernier livre ne semblent pas avoir grand-chose à voir les unes avec les autres. Toutes ont cependant en commun d’avoir un casier judiciaire des plus fournis, des « récidivistes », et surtout, un nombre incalculaN°65 Avril 2008
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ble de rendez-vous ratés avec la justice. Tel Khaled, « petit voleur de portables », une quinzaine de condamnations au compteur, dont les « jugements variaient peu ». « La justice ne s’était jamais beaucoup intéressée au passé de Khaled », explique le magistrat. Elle aurait pourtant appris beaucoup. N’ayant jamais connu sa mère, il vit enfant avec son père et sa belle-mère avec laquelle il a une relation marquée, selon les rapports des services sociaux, par une « totale incompréhension et une sourde hostilité ». Sa souffrance est « visible à l’œil nu ». Il n’est pas mauvais élève mais multiplie les fugues et finit par être placé en foyer. Entre-temps, il a découvert le cannabis, embraye sur l’héroïne et part dans « une vertigineuse descente aux enfers » : les premières arrestations pour détention de stupéfiants, les premiers vols pour financer sa consommation, les premières condamnations, la prison. Puis l’éternel retour derrière les barreaux. Il y a aussi Henri, handicapé de naissance, qui n’a jamais été scolarisé, n’a jamais travaillé mais a été condamné vingt-cinq fois avant qu’un magistrat, enfin, demande une expertise ; ou encore Roland, enfant battu et abusé par son père, violé par son entraîneur de foot, devenu à son tour agresseur sexuel et qui ne sera orienté vers une consultation spécialisée qu’à l’âge de 37 ans. Fulminant contre la « diabolisation des récidivistes », le magistrat s’emploie à montrer que les Khaled, Henri ou Roland ne sont en rien « un autre », « un étranger », mais « des hommes et des femmes qui sont infiniment plus que la somme de leurs actes, même si l’addition est parfois longue ». Serge Portelli sait que, ce faisant, il s’expose à de vives critiques. Mais, explique-t-il, « à les approcher, on sent bien que la récidive n’est pas arrivée par hasard. Qu’elle s’inscrit dans un parcours particulier qu’il serait fou d’ignorer si l’on veut éviter la répétition, rompre l’enchaînement. » Ainsi, dans un contexte où la seule solution présentée pour lutter contre la récidive est « de condamner vite et fort […] sans prendre même le temps de réfléchir », il invite ses collègues à prendre leur temps, à écouter. Car « questionner “l’enfer” de la récidive, se demander qui est de l’autre côté, dans le box des prévenus, c’est aussi aider les victimes ». Serge Portelli, Récidivistes, Grasset, 2008, 261 p., 17,90 euros.
Chroniques du « cyclone sécuritaire » intra-muros Septième ouvrage de Jann-Marc Rouillan, Chroniques carcérales retrace sa dernière période de détention, de 2004 à 2007, à travers une cinquantaine de textes parus régulièrement dans une revue marseillaise (C.Q.F.D.) et dédiés « aux vieilles fouines qui ont toujours su contourner la loi et les règlements pénitentiaires ». D’une plume corrosive, le cofondateur d’Action directe, incarcéré en février 1987, raconte le « minutieux assassinat du temps qui passe », la vie quotidienne au fil des centrales et les événements qui l’ont rythmée : l’évacuation de la maison centrale d’Arles inondée, les « baluchonnages en pleine nuit par une nuée de cagoules », les nombreux « passages au QI sans toucher les deux mille balles », les blocages - « grève des ateliers, de tous les travaux intérieurs… grève des activités, des plateaux-repas et des cantines… » ou la « petite gymnastique » des fouilles à corps : « Les testicules à droite !... Les tes-
ticules à gauche !.. Les oreilles ! ». Il raconte aussi les histoires de « collègues », comme celle d’un « gars qui s’appelait Roland et qui venait d’Aubervilliers », « sorti dans une caisse en sapin ». Il donne surtout à voir le « cyclone sécuritaire » et « les dérives buissonnières des maisons centrales » à l’œuvre ces dernières années, illustrés par « la création des ERIS, pâles copies du RAID et autres GIPN » et la militarisation rampante des surveillants : « Maintenant, dans tous les secteurs, les galonnés sont équipés de menottes et de gants, de ces fameux gants matelassés sur les phalanges afin d’éviter les fractures quand ils cognent. » « Même à l’hôpital de Fresnes, grand mouroir des prisons françaises, explique-t-il, le chef d’étage roule des épaules avec son équipement d’intervention ». À la centrale de Moulins, la direction « acclimate les méthodes américaines de la “nouvelle prison”, déclinant le théorème de la tolérance zéro, de la “fin de l’impunité” et autres pensums réactionnaires », avec « des unités d’encagoulés [...] à demeure, prêtes à foncer dans le tas ». Désormais, poursuit-il, « les prisons ressemblent de plus en plus à des commissariats. Ces deux dernières années, nous avons été témoins de ce changement de cap. Avec la détérioration accélérée des conditions de détention, nous allons vers une simple garde à vue ad vitam aeternam. » Ce témoignage devrait être le dernier ouvrage de Jann-Marc Rouillan sur l’univers carcéral. Placé en semi-liberté, il se dit convaincu qu’il ne peut plus parler, une fois sorti, de la prison. En espérant que d’autres suivront sa trace, pour continuer à chroniquer « à partir du pays de dedans, le pays de dehors ». Jann-Marc Rouillan, Chroniques carcérales (2004-2007), Agone, 2007, 215 p., 10 euros.
Présupposés et stratégies de la frénésie sécuritaire
Depuis 2002, la France est prise d’une véritable frénésie sécuritaire, qui n’a fait que s’aggraver depuis la dernière élection présidentielle. Et depuis lors, sociologues, juristes ou politologues ont redoublé leurs mises en garde contre la démagogie politico-médiatique qui entoure l’application progressive dans notre pays des concepts de tolérance zéro et autres droit à la sécurité. En vain. Pour tenter de faire davantage entendre leur voix, le directeur du CESDIP, Laurent Mucchielli, a pris l’heureuse initiative de convier neuf d’entre eux, tous spécialistes reconnus dans leur discipline, pour dresser avec lui « un premier bilan général de l’évolution des politiques de sécurité et du fonctionnement des institutions pénales depuis le début des années 2000 ». Le ton est donné dès l’introduction. Chercheurs « indépendants du pouvoir politique, qui exercent librement leur esprit critique face à des décisions qui semblent de moins en moins guidées par des évaluations précises des problèmes, pour être au contraire de plus en plus orientées tantôt par des présupposés idéologiques, tantôt par des stratégies de communication médiatique », Laurent Mucchielli, Bruno Aubusson de Cavarlay, Jean Danet, Eric Heilmann, Christine Lazerges, Philippe Milburn, Christian Mouhanna, Pierre Pazza, Mathieu Rigouste et Serge Slama ont adopté une démarche qui se situe à l’exact opposé de
celle qu’ils dénoncent. S’appuyant sur des statistiques, études et analyses scientifiques, leurs contributions rappellent la réalité des phénomènes de criminalité, de délinquance des mineurs ou encore d’immigration, et décryptent les politiques menées en ce domaine, l’inflation législative, l’introduction de techniques de management, la « nouvelle culture du contrôle », celle du résultat, etc. Un livre à mettre d’urgence entre toutes les mains. Laurent Mucchielli (dir.), La Frénésie sécuritaire. Retour à l’ordre et nouveau contrôle social, La Découverte, 2008, 138 pages, 10 euros.
Documentaire
De la prison à la liberté Après son opération spéciale « Prisons françaises : l’urgence », à l’occasion des États généraux de la condition pénitentiaire en novembre 2006, Canal + prouve une nouvelle fois son engagement sur la question carcérale en diffusant, le 5 mai 2008, un documentaire consacré cette fois à la préparation à la sortie et aux aménagements de peine. Son réalisateur, Martin Blanchard, a filmé le parcours de trois hommes « plus vraiment en prison mais pas encore en liberté », des prémisses de la constitution de leur dossier d’aménagement de peine jusqu’aux premiers mois qui suivent leur retour à l’extérieur, « alors qu’ils sont “entre deux vies” ». Un travail d’autant plus méritoire que, précise la production dans le dossier de presse, « en France, dès que l’on enquête sur le monde carcéral, rien n’est simple ». L’administration pénitentiaire a donné son accord de principe, mais ne leur « a pas facilité la tâche » : « centres de détention imposés par le ministère, autorisations de tournage délivrées à la dernière minute, choix des condamnés âprement discuté, scènes à tourner négociées dans la douleur ». Au final pourtant, alors qu’il illustre ce que l’institution carcérale prétend faire de mieux, le documentaire révèle l’extraordinaire parcours du combattant auquel est confronté un détenu dès lors qu’il peut prétendre au bénéfice d’une semi-liberté ou d’une libération conditionnelle. Le téléspectateur n’ignorera presque plus rien des carences de la préparation à la sortie, du faible nombre d’aménagements de peine – accordés au compte-gouttes, comme une immense faveur que l’on ferait au condamné – du peu d’accompagnement et d’écoute dont ils bénéficient après leur libération et, plus généralement, du manque de moyens mis en œuvre et de volonté politique. Parce que « dans une société qui prône le risque zéro et où le principe de précaution est sacralisé, il est politiquement risqué d’augmenter de manière significative les moyens engagés dans la réinsertion des détenus ». Résultat : « très peu de détenus ont accès à des aménagements de peine et à des sorties “encadrées” », alors même que « chaque fois que l’on fait l’effort d’aménager une peine, avec un projet de sortie un tout petit peu construit, on fait baisser le risque de récidive ». Une « donnée incontournable », mais « qui ne semble pourtant pas émouvoir les pouvoirs publics ». « Entre deux vies. De la prison à la liberté », documentaire de 90 mn, réalisé par Martin Blanchard, produit par Maha productions et Les bons clients, diffusé sur Canal + le 5 mai 2008.
en actes
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LETTRES OUVERTES
“Les visiteurs ne sont pas
un exutoire !”
Personne rendant visite à un détenu de la maison d’arrêt de Nice (Alpes-Maritimes), 28 janvier 2008 « L’entrée des visiteurs le mercredi a lieu à 13 heures. Le temps des visites est de ¾ d’heure. À cette issue, vers 13h45, nous (enfants compris évidemment) sommes “enfermés” dans une pièce, sans aucune aération, au confort d’un autre siècle, durant 10, 15, voire 20 minutes, selon le temps nécessaire à la fouille du linge apporté. Ce lieu angoissant, sale, puant car jamais aéré, est fermé par une porte en fer. Ce 23 janvier, après 50 minutes d’enfermement, les visiteurs étaient toujours dans cette immonde pièce. Une des femmes présentes ayant un enfant à l’extérieur (confiée à une gardienne) s’est permise, au bout d’un certain temps, de s’inquiéter, de toquer à cette porte en fer et d’appeler un gardien. Aucun résultat. Une autre jeune fille, apparemment perturbée, a pris l’initiative de donner de violents coups de pied dans la porte, sans effet. L’ambiance dans cette pièce était de l’ordre de l’hystérie croissante et insupportable. Finalement, après une heure, un gardien a ouvert la porte, très énervé, et a demandé quel était le problème. La dame dont l’enfant attendait à l’extérieur a vainement essayé de lui expliquer son problème.
« les geôles du palais de justice de Créteil » Femme incarcérée à la maison d’arrêt de Fresnes (Val-de-Marne), février 2008. « Savez-vous dans quelles conditions les détenues macèrent avant leur audition dans le bureau du juge d’instruction : saleté des cellules, odeurs nauséabondes d’urine, lumière dans les yeux, pas de fenêtre, aération vétuste, banquette dégoûtante en béton, inconfort et froid, crasse sur les murs (café, excréments, sang) ? Aucune possibilité de lire car on N°65 Avril 2008
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Le gardien, vociférant, ne l’a pas écoutée, expliquant lui-même son cas, qui apparemment avait seul de l’intérêt, précisant que s’il n’était pas là, c’est qu’il était occupé ailleurs, que s’il était occupé ailleurs, c’est qu’il avait du travail et que, vu le comportement des visiteurs, il nous laissait là et appelait son chef de service. À son arrivée, ce dernier a posé pour seule question : “Qui n’est pas content, ici ?” La dame s’est manifestée et il l’a invitée à sortir pour s’expliquer, refermant la porte à clef. Après trois minutes, retour de la dame. Le chef de service a demandé si quelqu’un d’autre n’était pas content, avec un ton très autoritaire n’incitant pas vraiment à une réponse. Il a précisé que si on était pressé, on ne venait pas en visite ! Il a de nouveau refermé la porte, en disant que, puisque c’était ainsi, nous resterions un quart d’heure de plus enfermés. Je peux tout à fait comprendre les journées difficiles des gardiens. En revanche, les visiteurs n’ont en aucun cas à subir les effets des dysfonctionnements. Ils ne sont pas un exutoire ! Les visites sont généralement des moments d’émotion intense pour les familles et un tel abus de pouvoir est insupportable. Je précise qu’un enfant était présent ce jour-là. Comment a-t-il vécu cette violence ? »
nous supprime nos livres au motif qu’on va boucher les toilettes... qui le sont déjà ! On reste donc assise ou couchée à ne rien faire parfois jusqu’à 14 heures de suite (sauf le temps de l’audition). Le lavabo est repoussant. On n’ose pas y boire, se demandant quel microbe on va attraper. Pour aller aux toilettes, il faut faire vite puisque les policiers – même les hommes – peuvent à tout moment jeter un œil dans la cellule et nous surprendre dans une position humiliante (et cela arrive). Nous n’avons qu’une hâte lorsque nous séjournons dans les geôles du palais de justice de Créteil : retourner le plus vite possible dans nos cellules à Fresnes. Ces
conditions d’attente pour une audition ou un jugement sont dignes du Moyen-Âge et sont une honte pour notre République. »
« bac + 8 » Homme incarcéré en maison d’arrêt, 24 mars 2008 (1e partie) « Toute la volonté politique, pour des raisons contre-productives et entièrement médiatiques, concourt à des allongements effrénés des peines qui s’additionnent à l’aggravation marquée des peines maximales, constatée depuis des décennies. L’acharnement se poursuit tout
LETTRES OUVERTES autant après la condamnation. Cela se traduit pour moi par : a) des délais d’attente incroyables (et illégaux ?), sûrement inacceptables, pour un départ en centre de détention (CD), allant de 8 ou 9 mois à un an, voire deux ! ; b) un refus explicite de l’octroi de toute liberté conditionnelle, justifié non par mon comportement en prison, ni par mon manque d’efforts de réinsertion, mais par l’appartenance de mon affaire à un type de délit ; c) et comme si cela ne suffisait pas, les réductions de peine supplémentaires (RPS) sont diminuées du simple fait du délit reproché, dit “à caractère sexuel” et par les conditions imposées pour les obtenir, comme effectuer un travail, suivre une formation ou un enseignement. J’ai travaillé pendant un temps, dans l’espoir d’obtenir un peu plus de considération, puis arrêté, avec l’impression très nette de gaspiller ma vie dans un job très mal payé, sans intérêt et répétitif. Pour un architecte de près de 60 ans, ce “job” est d’un niveau inférieur à ceux que je fus amené à faire. C’est une régression totale. En ce qui concerne les formations, j’ai passé mon brevet de secouriste, ce qui rajoute un diplôme, fort
utile j’en conviens, à mes Bac + 8. Cela a duré trois demi-journées. Et après ? Me faut-il suivre un CAP de tôlier ou de boulanger ? Il y a peu de chances qu’à mon âge, je m’installe ou recherche un tel emploi. Restent les enseignements, mais pour la plupart, ils ne correspondent pas à mon niveau d’études : on imagine mal que je m’inscrive à un cours d’alphabétisation du niveau primaire en français ou en mathématique. Et mes autres tentatives (même modestes) d’inscription n’ont jamais été satisfaites, car les cours étaient toujours complets. Il est intéressant aussi de signaler la difficulté d’obtention des deux expertises psychiatriques, utilisée comme un moyen de refuser les aménagements, sans avoir à s’en justifier, et donc sans contestation possible. J’ai été convoqué en octobre pour le simple refus, institutionnel, de ma première demande, pour absence des deux expertises. Quelques jours plus tard, j’ai eu l’officialisation par ordonnance de ce refus motivé mais, contrairement à la loi, il m’a fallu attendre deux mois supplémentaires, et faire intervenir un avocat, pour avoir en main l’ordonnance corollaire de désignation
des experts. Et on m’a prévenu que ceuxci (parce qu’il n’y en avait pas assez) ne pourraient intervenir avant 6 mois... Si ce délai est tenu ! Alors seulement, on pourra déposer une nouvelle demande, qui prendra environ 3 mois. En tout, pour simplement déposer la première vraie demande susceptible d’être accordée, il faudra un an et demi à deux ans ! N’est-ce pas exagéré ? Mais le problème le plus préoccupant reste pour moi le délai de mon départ en CD, lequel conditionne tout (meilleures conditions de vie, meilleures possibilités d’obtention de RPS, de permissions de sortir, de conditionnelle, etc.), et donc l’espoir de sortir enfin, un jour, de cet enfer. »
« pointeur » Homme incarcéré en maison d’arrêt, 24 mars 2008 (2e partie) « Une chose est parfaitement insupportable en prison : la ségrégation, non sociale, ethnique ou autre, mais entre les “isolés” et “non isolés”. Cette ségrégation tolérée, sinon organisée, rend une peine quatre
© Cécilia Quilleret / Radio France
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LETTRES OUVERTES
Les détenus doivent choisir : activités ou travail, ou parloir, ou culte, ou promenade, ou infirmerie fois plus pénible. L’administration utilise ce système de “caste” interne (diviser pour mieux régner) pour simplifier son travail. Alors que les surveillants devraient avoir l’ordre absolu de réprimer toute expression de mépris, menaces, voire plus, des “non isolés” sur les “isolés” – ou “pointeurs”, “violeurs“ et j’en passe... –, il n’y a aucune punition pour des faits qui, dans la vie à l’extérieur, vaudraient poursuites judiciaires. Ce qui fait la torture, c’est à la fois la violence de l’expression, due à une totale permissivité, doublée de ce qu’ils croient être une valorisation personnelle, et surtout la répétition permanente des mêmes injures, des mêmes attitudes, quels que soient l’heure du jour, le lieu ou l’occasion, même si elles ne vous sont pas directement adressées. Il n’est peutêtre pas inutile, pour rendre compte de cette ambiance délétère, d’en citer quelques-unes : outre les traditionnels “fils de pute”, “enculé”, “la putain de...” – soyons crus pour être crû – et autres insultes à caractère sexuel, fleurissent les insultes contre les mères, les sœurs, grands-mères, et parfois les membres masculins de la famille, et même les morts... Tous tour à tour “enculés” avec moult détails précis décrivant la manœuvre. Et parfois des expressions bizarres telle que “mange tes morts !” Ceci montre que la peine de prison n’est pas vécue de la même façon, ni avec la même violence par tous – quoi que ceci ne soit pas mesurable. Cette discrimination est une des choses les plus intolérables. C’est d’autant plus vrai que ce harcèlement est permanent. Chacun a peur d’aller aux douches, qui sont pourtant prévues pour cette raison à 7h15 ; chaque trajet est dangereux, en particulier dans certains lieux comme l’escalier principal, source de bien de dangers. C’est un peu la roulette russe. La hantise : se retrouver seul contre plusieurs. Tout devient problématique : les parloirs avec la famille, N°65 Avril 2008
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avec l’avocat, aller à l’infirmerie, chez le docteur ou le dentiste. Et même les promenades car, si les “isolés” y sont isolés des “non isolés”, ils reçoivent malgré tout quotidiennement, depuis les fenêtres, des insultes et des menaces incessantes, violentes, quand ce n’est pas de la javel, des œufs, des yaourts, des confitures ou de l’urine... À tel point que la grosse majorité des “isolés” (trop souvent la totalité) ne sortent plus en promenade ou même de leur cellule. Toutes ces conditions sont propices à la démoralisation et, un jour, c’est l’espoir qu’on perd. L’idée de suicide est alors immédiatement présente. »
« une application de plus en plus stricte du règlement » Intervenant en maison d’arrêt, 30 mars 2008 « Les familles doivent prendre leur premier rendez-vous de parloirs par téléphone. Ensuite, une carte magnétique leur est donnée et la prise de rendez-vous se fait par une borne dans les locaux de l’accueil des familles. Depuis quelques mois, les personnes qui téléphonent n’ont souvent pas de réponses : elles essaient pendant des heures, se mettent à plusieurs, pour rien. Il y avait une personne à mi-temps qui répondait au téléphone. Par suite de compression de personnel, ce poste a été supprimé et la tâche est confiée aux surveillants de parloirs. Ils sont quatre. Dans le même temps, deux font entrer les visiteurs, deux font venir les détenus. Puis, pendant le parloir, deux assurent la surveillance et deux fouillent les sacs de linge amenés par les familles. Ils ne peuvent donc répondre au téléphone. Comme la sonnerie finit par devenir insupportable, ce que l’on comprend, ils finissent
par décrocher le téléphone. Le problème dure depuis l’été dernier, sans aucune amélioration. Nous avons affaire également à une application de plus en plus stricte du règlement. La remise du linge devient par exemple très compliquée. Avant, le linge d’un arrivant pouvait être déposé n’importe quand, puis seulement les jours de parloirs, puis maintenant aux heures de parloirs. Comme dans d’autres prisons, il y a le téléphone du dimanche, mais les détenus en ont été privés plusieurs dimanches de suite. Les détenus fréquentent également de moins en moins les activités car ils doivent choisir : activités ou travail, ou parloir, ou culte, ou promenade, ou infirmerie. Pour réduire les déplacements. »
« La justice ne lui a même pas permis de passer les 13 derniers jours de sa vie en famille. » Femme d’une personne décédée en centre de détention, 20 janvier 2008 « Mon mari était au centre de détention de Salon-de-Provence (Bouches-du-Rhône) comme détenu condamné avec un HIV. Il a demandé plusieurs conditionnelles médicales qui ont toutes été refusées. La dernière en date était le 14 février 2006. Mon époux est décédé le 27 février 2006 au service de soins intensifs de l’hôpital, qui ne m’a pas prévenue, ni le centre de détention, du décès. Je trouve cela inhumain. Sur quels critères, avec des pathologies aussi lourdes, les magistrats se basent-ils ? Je ne vois pas où les droits de l’homme se trouvent respectés. La justice ne lui a même pas permis de passer les treize derniers jours de sa vie en famille. »
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Adhésion, don 66 adhésion simple à la section française de l’OIP 66 adhésion de soutien 66 adhésion à prix réduit (détenu, RMIste, chômeur, étudiant) 66 je souhaite participer à l’activité d’un groupe local 66 je fais un don à la section française de l’OIP
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rapport 2005 : les conditions de détention en France
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OIP/ La Découverte, 2005, 288 p., 20 (hors frais de port)
Commandes Les ouvrages de l’OIP 66 rapport 2005 : les conditions de détention en France 66 rapport 2003 : les conditions de détention en France 66 le guide du prisonnier 66 le guide du sortant de prison La revue Dedans dehors 66 n° 32 « mineurs : désignés coupables » 66 n° 33 « détenus : précarité sociale et fragilité familiale » 66 n° 34 « toxicomanies : sortir du dogme répressif » 66 n° 35 « liberté d’expression : faire sauter la chape de plomb » 66 n° 36 « bracelet électronique : le miroir aux alouettes » 66 n° 37 « nombre record de détenus : contre la préférence carcérale » 66 n° 38 « rapport Warsmann. alternatives : l’occasion manquée » 66 n° 39 « les prisons françaises en 2003 une descente aux enfers » 66 n° 40 « dix ans après la réforme : la santé toujours incarcérée » 66 n° 41 « loi Perben 2 : vers un raz-de-marée carcéral ? » 66 n° 42 « les dix ans du code pénal : le grand enfermement » 66 n° 43 « rapport CNDS : des pratiques archaïques et médiévales » 66 n° 44 « droits dedans : pour la reconnaissance des droits des détenus » 66 n° 45 « prison : quelle réforme vaut la peine ? » 66 n° 46 « vieillir et mourir en prison » 66 n° 47 « prison : peine du pauvre, pauvre peine » 66 n° 48 « récidive, récidivistes : ne pas se tromper de débat » 66 n° 49 « sécurité renforcée en prison : la fabrique de violences » 66 n° 50 « le rapport Burgelin : le risque de peines de folie » 66 n° 51 « sida en prison : prévenir la maladie, libérer les malades » 66 n° 52 « étrangers en prison : aux confins de l’absurde » 66 n° 53 « nouvelles prisons : du pareil au pire » 66 n° 54 « politiques pénale et pénitentiaire : l’Europe en éclaireur » 66 n° 55 « travail des détenus : à bout de souffle » 66 n° 56 « réforme de la détention provisoire : l’occasion gâchée » 66 n° 57 « affirmer la primauté de l’objectif de réinsertion » 66 n° 58/59 « états généraux de la condition pénitentiaire » 66 n° 60 « les alternatives sortent de l’ombre » 66 n° 61 « contrôle extérieur : l’heure du choix » 66 n° 62 « peines minimales, danger maximal » 66 n° 63 « régimes de détention différenciés - l’envers du décor » 66 n° 64 « rétention de sureté et irresponsabilité pénale » 66 n° 65 « la France a rendez-vous avec ses prisons » 66 la série 2001 (du 23 au 28) 66 la série 2002 (du 29 au 34) 66 la série 2003 (du 35 au 40) 66 la série 2004 (du 41 au 46) 66 la série 2005 (du 47 au 52) 66 la série 2006 (du 53 au 58-59) 66 la série 2007 (du 58-59 au 63) Tous les prix comprennent les frais de port. Pour l’étranger, nous consulter.
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24 € = 15 € = 28 € = 26 € =
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le guide du prisonnier, OIP/ La Découverte, 2004, 576 p., 24 (hors frais de port)
le guide du sortant OIP/ La Découverte, 2006, 416 p., 22 (hors frais de port)
Dedans dehors n°64
Bulletin à renvoyer à OIP, section française, 31 rue des Lilas 75019 Paris
Nom .................................................................................... Prénom ........................................................ Profession ............................................................ Organisme ...................................................... Adresse .................................................................................................................... Code postal . .......................... Ville ......................................................................................................................................... Tél. . .................................................................. Fax .................................................................. e-mail ........................................................................................................................................................................... Je suis membre du groupe local de ............................................................................................ Je vous adresse un chèque de ................................. € à l’ordre de l’OIP-SF
ADRESSES
Pour tout renseignement sur les activités de l’OIP en France : OIP section française 7 bis, rue Riquet 75019 Paris tel : 01 44 52 87 90 fax : 01 44 52 88 09 e-mail : contact@oip.org site : www.oip.org
Pour témoigner et alerter sur les conditions de détention en France : Permanence juridique Marie Crétenot : 01 44 52 87 94, marie.cretenot@oip.org 31, rue des lilas 75019 Paris
L’OIP en région Les coordinations régionales mènent leur action d’observation et d’alerte au sujet de tous les établissements pénitentiaires de la région concernée, en lien avec les groupes et correspondants locaux présents : Pour contacter les coordinations régionales : Région Ile-de-France François Bès 31, rue des Lilas 75019 Paris 01 44 52 87 95 fax : 01 44 52 88 09 francois.bes@oip.org
Région Nord-Pas-de-Calais Anne Chereul 70, rue d’Arcole BP 211 59018 Lille Cedex 06 63 52 10 10 anne.chereul@oip.org
Région Poitou-Charentes Barbara Liaras 8, bd du maréchal de Lattre de Tassigny 86000 Poitiers 06 22 90 27 60 barbara.liaras@oip.org
Région Rhône-Alpes Céline Reimeringer 57, rue Sébastien Gryphe 69007 Lyon 09 50 92 00 34 fax : 09 55 92 00 34 celine.reimeringer@oip.org
Les groupes et correspondants locaux assurent l’observation et l’alerte de la (les) prison(s) présente(s) dans leur ville, en lien avec les coordinations régionales et le secrétariat national : Pour les contacter vous pouvez joindre le secrétariat national : contact@oip.org ou 01 44 52 87 90 Aix-en-Provence, Agen (Eysses), Aiton, Amiens, Angoulême, Arras, Avignon, Bapaume, Bayonne, Bédenac, Béthune, Bois d’Arcy, Bonneville, Bourg-en-Bresse, Chambéry, Douai, Dunkerque, Fleury-Mérogis, Fresnes, Grenoble (Varces), Laon, Le Puy-en-Velay, Lille, Longuenesse, Lyon, Marseille, Maubeuge, Meaux, Melun, Metz,Nancy, Nanterre, Nîmes, Niort, Osny, Paris La Santé, Poissy, Poitiers, Privas, Rennes, Rochefort, Saintes, Saint-Etienne, Saint-Martin-de-Ré, Saint-Quentin-Fallavier, Toulon, Toulouse (Seysses), Valence,Valencienne, Versailles, Villefranche-sur-Saône, Villepinte.
Qu’est-ce que l’OIP ? Considérant que l’emprisonnement est une atteinte à la dignité de la personne, la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP), juridiquement créée en janvier 1996, agit pour la défense des droits fondamentaux et des libertés individuelles des personnes détenues. Que fait l’OIP ? Concrètement, l’OIP dresse et fait connaître l’état des conditions de détention des personnes incarcérées, alerte l’opinion, les pouvoirs publics, les organismes et les organisations concernées sur l’ensemble des manquements observés ; informe les personnes détenues de leurs droits et soutient leurs démarches pour les faire valoir ; favorise l’adoption de lois, règlements et autres mesures propres à garantir la défense de la personne et le respect des droits des détenus ; favorise la diminution du nombre de personnes détenues, la limitation du recours à l’incarcération, la réduction de l’échelle des peines, le développement d’alternatives aux poursuites pénales et de substituts aux sanctions privatives de liberté. Comment agit l’OIP ? Organisation indépendante des pouvoirs publics, l’OIP ne sollicite aucun mandat ou subvention du ministère de la Justice, s’interdit de prendre part à l’action d’aucun gouvernement, de soutenir aucun parti politique ou de prendre position à l’occasion de toute consultation électorale. Pour faciliter la mise en œuvre de ses objectifs, l’Observatoire suscite la création de coordinations régionales et de groupes locaux en charge de l’observation d’un lieu de détention et composés exclusivement de membres de l’OIP.