Le législateur face à la loi pénitentiaire :
l’humiliation pour de la République La France à nouveau fustigée par l’Europe • Le Conseil d’État montre la voie au législateur Le Contrôleur met à mal la « prison modèle » • Des magistrats dressent le portrait de la misère carcérale Suicides : « Le symptôme d’un système à bout de souffle » • la CNDS hausse le ton
Observatoire international des prisons Section française
10 € N°67-68 Avril 2009
EDITORIAL
La prison ne fera pas (toujours) sa loi Françoise Tulkens, juge à la Cour européenne des droits de l’homme, n’y va pas par quatre chemins. « Non, sauf rares exceptions, la vie en prison ne permet pas de responsabiliser les auteurs d’actes criminels ou délictueux, ni de les faire entrer dans un processus de réparation, que ce soit vis-à-vis de la victime ou de la société. Les objectifs abstraits de la réhabilitation et du traitement sonnent creux face à la réalité concrète de l’enfermement et de ses effets dévastateurs ». Dans sa préface au lumineux témoignage ponctuant trente ans de pratique d’un aumônier des prisons belges 1, la criminologue ne s’arrête pas là : « Tout comme le droit à la vie refuse aujourd’hui la peine de mort, je pense que le droit à la liberté refusera un jour l’enfermement comme peine ». À n’en point douter, le propos raisonnera d’une façon singulière dans notre pays. Ici, la future ex-garde des Sceaux est susceptible de s’enorgueillir de son concept de « prison hors les murs ». Ici, l’actuelle direction de l’administration pénitentiaire n’a de cesse d’évoquer la « malédiction foucaldienne » pour tenter de justifier la crise du système carcéral et masquer ses propres errements et turpitudes. On ne s’étonnera donc guère, qu’ici, une réforme indigne de ce nom achève dans les prochaines semaines son hiératique parcours parlementaire. Aboutissement d’un processus qui aura vu tout à la fois l’administration pénitentiaire réussir à détourner le fameux « grand rendezvous de la France avec ses prisons » de son objet social originel, et le législateur perdre sa dignité en acceptant de se soustraire à sa responsabilité édificatrice du droit de la prison et des droits des prisonniers. Il est dès lors certain que la loi pénitentiaire ne changera rien à une prison qui n’avait pas changé, tant elle s’obstine aujourd’hui comme hier – et possiblement demain davantage encore – à déshabiller l’homme de ses droits fondamentaux au prétexte de « contraintes inhérentes à la détention ». Triste patrie des droits de l’homme. Ou plus exactement triste « patrie de la Déclaration des droits de l’homme », comme le rectifie désormais, amer, Robert Badinter. À l’heure du débat à l’Assemblée, un examen de conscience s’impose. Nous invitent à ce sursaut tant Mme Tulkens que le président de la Cour de Strasbourg, le français Jean-Paul Costa, qui estimait lors de sa prise de fonction en janvier 2007 : « Le problème majeur pour les droits de l’homme en France me semble être celui des prisons ». Patrick Marest 1. « Peines en prison : l’addition cachée », de Philippe Landenne, éd. Larcier, 2008
SOMMAIRE 3 Actu Politique pénale et conditions de détention : la France à nouveau fustigée par l’Europe Suicides en prison : « Le symptôme d’un système à bout de souffle » Recommandations sur Villefranchesur-Saône : le Contrôleur met à mal la « prison modèle » Des magistrats dressent le portrait de la misère carcérale Non-respect de la déontologie par les personnels pénitentiaires : la CNDS hausse le ton « Longues peines » : pour éviter les évasions violentes, rendre l’espoir 21 De facto : Valenciennes : sept détenus portent plainte pour violences ; La surpopulation, facteur de contamination de l’infection tuberculeuse ; Déjà deux meurtres dans les prisons depuis le début de l’année ; Réforme de la justice des mineurs : le mystère reste entier ; etc.
27 Dossier
La France face à ses prisons : l’humiliation pour de la République Projet de loi pénitentiaire adopté au Sénat : une réforme en mode régressif majeur Les acteurs du monde carcéral jugent la réforme : du dépit à l’exaspération La Commission sénatoriale déçue mais résignée Régime de droits différenciés Vers la fin du secret médical pour les détenus ? L’encellulement individuel des prévenus en sursis ? Avis de la CNCDH : la « consécration des restrictions au droit » Verbatim : explications de vote au Sénat
72 En actes Respect des droits fondamentaux des détenus : le Conseil d’État montre la voie au législateur Conditions d’hébergement indignes : la Cour de Cassation refuse de protéger les détenus 79 Lettres ouvertes
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DEDANS DEHORS publication bimestrielle de la section française de l’Observatoire international des prisons, association loi 1901, 7 bis, rue Riquet, 75019 Paris, Tél.: 01 44 52 87 90, Fax: 01 44 52 88 09, e-mail : contact@oip.org Internet : http://www.oip.org Directrice de la publication : Laurence Herszberg Rédaction en chef : Stéphanie Coye et Patrick Marest Rédaction : Jean Bérard, Anne Chereul, Stéphanie Coye, Marie Crétenot, Stéphanie Djian, Elsa Dujourdy, Marie-Anne Duverne, Barbara Liaras, Patrick Marest, Lionel Perrin, Hugues de Suremain. Secrétariat de rédaction : Stéphanie Coye, Stéphanie Djian, Marie-Anne Duverne, Anne Fellmann, Julie Namyas, Pascale Poussin. Identité graphique : MG., L.D.<dlaranjeira@caramail.com> Maquette : Claude Cardot/Vélo Photos : Olivier Aubert, Michel Baret, Samuel Bollendorf, Bertrand Desprez / Agence Vu, Michel Gasarian, Michel Le Moine, Anne-Marie Marchetti, Célia Quilleret, Aimée Thirion, Olivier Touron. Remerciements à : Agence VU, Editing, L’oeil public Impression : Imprimerie Expressions 2-GP, 10 bis, rue Bisson, 75020 Paris Tél. : 01 43 58 26 26 ISSN : 1276-6038 numéro CPPAP en cours Diffusion sur abonnement au prix annuel de 30 Prix au numéro : 5 € Couverture : Michel Le Moine
ACTU
Politique pénale et conditions de détention
La France à nouveau fustigée par l’Europe Les rapports se suivent et se ressemblent. Comme son prédécesseur en février 2006, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Thomas Hammarberg, a rendu à la fin du mois de novembre 2008 un « mémorandum » sévère sur l’état de nos prisons, comme sur les politiques pénales et pénitentiaires conduites actuellement. Inquiet du peu d’ambition du projet de loi pénitentiaire et de certaines de ses dispositions ou omissions, il stigmatise les conditions dans lesquelles sont mises en œuvre les règles pénitentiaires européennes.
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igne évident que la prison ne change pas, ou simplement à la marge, chaque année, ou presque, une instance internationale rend un rapport alarmant, après s’être penché sur le système pénitentiaire français. L’acte d’accusation est signé cette fois de Thomas Hammarberg, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, une instance qui vise à promouvoir la prise de conscience et le respect des droits de l’homme. Son rapport rejoint celui rédigé presque trois ans plus tôt par son prédécesseur, Alvaro Gil-Robles, ainsi que ceux du Comité européen de prévention de la torture (CPT) en 2004 et 2007, pour ne citer que les plus récents, ou encore des Nations Unies (cf. encadré page suivante). Élaboré après une visite en France en mai 2008, le « mémorandum » de Thomas Hammarberg, rendu public le 20 novembre dernier, accable l’état de nos prisons et vilipende les politiques pénales et pénitentiaires menées dans notre pays. Cette mise en cause s’ac-
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compagne de surcroît d’une sérieuse mise en garde sur le projet de loi pénitentiaire présenté par le gouvernement : « Les projets actuels de modifications législatives ne doivent pas ignorer les droits fondamentaux des détenus ». L’administration pénitentiaire (AP) a malheureusement pris une regrettable habitude : celle de minimiser ou d’éluder les constats dressés, opposant une fin de non-recevoir aux demandes pressantes qui lui sont faites en matière de protection des droits de l’homme. Cette fois-ci n’échappe pas à la règle.
L’instrumentalisation par l’administration pénitentiaire Pire. Dans une entreprise de désinformation pour le moins indécente, l’AP a cru bon d’accompagner promptement la publication du rapport par un communiqué intitulé : « Le Commissaire aux Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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« Le Commissaire restera vigilant à ce que des pratiques telles que les fouilles corporelles soient strictement encadrées ou que la mise en place de régimes différenciés ne soit pas légalisée. » droits de l’homme du Conseil de l’Europe constate les efforts de l’administration pénitentiaire ». Se gardant bien de contester, arguments à l’appui, le bien fondé des constats dressés par Thomas Hammarberg, elle tente de faire croire que ce dernier décerne « un encouragement à la poursuite de la politique pénitentiaire que le gouvernement a engagée ». Par exemple, selon l’AP, le Commissaire « constate, avec satisfaction, le respect “effectif” par la France des droits de l’homme des détenus ». En fait, l’expression « le respect effectif des droits de l’homme des détenus » est le titre d’une partie du mémorandum, dont le contenu rassemble l’ensemble des observations réalisées, dont le caractère alarmant est irréfutable. Le communiqué affirme de la même façon que « le mémorandum relève que “la transparence affichée de l’administration doit être saluée” », alors que cette incise ne vise que la démarche de diffusion des Règles pénitentiaires européennes (RPE) effectuée auprès des personnels (paragraphe 19, page 6).
L’AP poursuit sa tentative d’instrumentalisation du rapport en indiquant ensuite qu’il « fait état, également, d’améliorations substantielles dans la gestion de l’isolement des détenus (amélioration des droits apportés) ». Sur ce sujet, le mémorandum note pourtant qu’il « est regrettable » que dans le cadre des réformes entreprises, « les autorités n’aient pas pris la décision d’autoriser les détenus concernés à accéder aux activités ordinaires de la prison et de limiter plus strictement la durée maximale d’isolement » (paragraphe 27, page 7). La réponse du gouvernement, rendue publique en même temps que le rapport du Commissaire européen, était déjà du même acabit. Y étaient mises en avant, au travers d’une rhétorique désormais bien huilée, outre la nécessité d’augmenter le nombre de places de prison, « la mise en œuvre des Règles pénitentiaires européennes » et « l’élaboration du projet de loi pénitentiaire ». Soit deux points sur lesquels le Commissaire exprime, précisément, de nombreuses réserves.
L’ONU à double tranchant Quelques mois avant le mémorandum du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, la France avait déjà essuyé de vives critiques émanant cette fois de l’Organisation des Nations Unies (ONU). La première salve est venue du Conseil des droits de l’homme, lors de l’« Examen périodique universel » (EPU) auquel la France était soumise le 14 mai 2008. Durant une sorte d’« oral » de trois heures, elle s’est vue contrainte à rendre des comptes à ses pairs sur la situation des droits fondamentaux sur son territoire. Et ces derniers ne se sont pas gênés pour dire ce qu’ils en pensaient. La Suisse, « préoccupée par les conditions de détention, et plus spécialement par la surpopulation carcérale », a ainsi bombardé le représentant de la France de questions sur « les mesures prévues pour régler ce problème », mais aussi « sur la nouvelle législation prévoyant des peines plus sévères pour les récidivistes » et sur les « conséquences de cette loi pour un système qui paraissait bien avoir déjà atteint la limite de ses capacités ». Estimant « urgent de changer les mauvaises conditions de détention actuelles », les Pays-Bas ont quant à eux demandé à la France « quelle échéance elle envisageait pour atteindre les normes internationales dans les prisons ». Le Mexique a également exprimé ses « préoccupations […] à propos de l’élargissement de la définition du terrorisme, de la durée de la détention provisoire et du délai d’accès à un avocat », tandis que la Côte d’Ivoire « a recommandé d’éviter que Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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puissent être expérimentées sur les détenus […] des armes à impulsion électrique provoquant une douleur aiguë qui pouvait constituer une forme de torture ». La seconde salve est venue du Comité aux droits de l’homme, chargé d’examiner l’application du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. À l’issue de l’examen du rapport réalisé par la France, l’instance des Nations Unies a adopté des « observations finales » le 22 juillet 2008, dans lesquelles elle s’est dite insatisfaite de « la surpopulation et [des] conditions par ailleurs mauvaises qui règnent dans les prisons ». « Des préoccupations demeurent, a-t-elle ajouté, quant aux comportements non déontologiques de certains agents pénitentiaires, notamment le recours inapproprié à l’isolement cellulaire et les violences ». Un autre blâme portait sur « la longueur de la détention provisoire » : « La pratique institutionnalisée d’une détention prolongée aux fins d’enquête, avant la mise en accusation définitive et le procès pénal, est difficilement conciliable avec le droit garanti dans le Pacte d’être jugé dans un délai raisonnable ». Enfin, le Comité s’est inquiété « que l’État partie [soit] habilité [...] à placer des personnes condamnées pénalement en rétention de sûreté pour des périodes renouvelables d’une année, en raison de leur “dangerosité” à l’issue de la peine », ce qui « pourrait continuer de poser des problèmes au regard des articles 9, 14 et 15 du Pacte ». Et d’inviter la France à « réexaminer la pratique ». En vain. (OIP)
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à une sévère critique du dessein poursuivi par le ministère de la Justice. La première observation est que « la réforme proposée de la législation pénitentiaire ne doit pas occulter le respect des droits fondamentaux des personnes détenus », mais au contraire « couvrir certains éléments importants pour [leur] protection ». Sont citées à titre d’exemple « les questions du maintien des liens et contacts familiaux, de l’accès aux prestations sociales de droit commun, du droit de vote en prison, du travail équitablement rémunéré, de la réduction substantielle de la durée de placement au quartier disciplinaire ou du placement en isolement », mais également la recherche « de solutions effectives et de moyens […] pour améliorer les conditions matérielles ». Tous ces points, estime le Commissaire, « ne doivent pas être éludés ». Ce que fait pourtant largement le projet de loi. La deuxième observation exprimée par Thomas Hammarberg est qu’il « restera vigilant à ce que des pratiques telles que les fouilles corporelles soient strictement encadrées ou que la mise en place de régimes différenciés ne soit pas légalisée ». « Le plein respect des droits de l’homme ne doit pas souffrir des considérations sécuritaires », rappelle-t-il.
Accès aux soins Ces « considérations sécuritaires » sont également reprochées à l’administration pénitentiaire dans ce qu’elles guident la conduite actuelle de sa politique, et notamment en matière de « trai© Conseil de l’Europe tement des personnes atteintes de troubles mentaux ». Le Commissaire note en effet, comme l’avait fait avant Une sévère mise en cause de la politique lui le CPT dans son dernier rapport, que trop souvent, « au lieu pénitentiaire d’être hospitalisés, certains malades relevant de la psychiatrie Concernant les RPE, le Commissaire commence par rappeler que, sont placés en quartier d’isolement, voire en quartier disciplisi elles sont « un socle fondamental qu’il convient de respecter naire ou encore font l’objet de régimes de détention plus stricts, et de mettre en œuvre au plus vite », elles « ne sont qu’une base dans le cadre des régimes différenciés ». Cette situation intoléminimum » et « ne devraient pas empêcher les autorités d’adop- rable conduit Thomas Hammarberg à demander aux autorités de ter une loi plus protectrice pour les détenus ». Il déplore ensuite « se montrer vigilantes sur une gestion disciplinaire des personque « l’expérimentation en cours ne porte que sur un nombre nes souffrant de troubles mentaux et à développer les aménalimité de recommandations et ne concerne qu’une partie des gements de peine à leur égard. » En vain là encore, puisque le établissements ». Aussi recommande-t-il qu’elles soient intégra- gouvernement se contente de répliquer que « les conditions de lement et « rapidement appliquées à l’ensemble des détenus ». placement dans ces quartiers [d’isolement ou disciplinaire, ndlr] Une exhortation qui ne trouve cependant que peu d’écho chez sont encadrées par des textes précis qui prévoient notamment les autorités françaises qui ne daignent apporter aucun élément la place et le rôle des autorités sanitaires » et que « la décision d’engagement sur les perspectives d’extension de l’expérimen- de placement au QD [quartier disciplinaire] est suspendue si un tation (huit règles) aux autres recommandations (en tout 108 médecin juge l’état de santé de la personne (notamment psychiarègles, auxquelles correspondent 315 préconisations distinctes), trique) incompatible avec le placement en cellule disciplinaire ». ou à tous les établissements (28 sites pilotes sur un total de Les questions relatives à la santé sont largement abordées dans 192 lieux de détention). Concernant le projet de loi pénitentiaire, le mémorandum, et notamment la remise « en cause [du] caracbien que refusant de « se prononcer en détail sur un texte qui tère intangible du secret médical », qui « risque d’en altérer les pourrait subir de nombreuses modifications au cours de son fondements ». Face aux difficultés persistantes dans ce domaiprocessus d’adoption », le Commissaire a néanmoins souhaité ne, le Commissaire n’a pu qu’inviter « les autorités françaises à « faire quelques observations générales », qui aboutissent de fait assurer la continuité des soins en prison, à pleinement respecter Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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Le Commissaire dit n’être « pas convaincu par la détermination de Rachida Dati à prendre des mesures à la hauteur de la situation ». le secret médical, à strictement limiter le recours au menottage lors des consultations ainsi qu’à permettre aux détenus nécessitant une prise en charge particulière d’en bénéficier ».
Des conditions de détention « intolérables » Le problème de la surpopulation suscite les blâmes les plus virulents du Commissaire. « Sept détenus sur dix sont écroués dans des établissements surpeuplés », observe-t-il, dans des conditions « intolérables », pour les détenus comme pour les personnels, qui « subissent tous les dysfonctionnements de la gestion pénitentiaire française ». Cet « énorme problème » avait été dénoncé par Thomas Hammarberg dès le lendemain de sa visite.1 Racontant avoir vu à la maison d’arrêt de Fresnes (Val-de-Marne) « de petites cellules occupées par deux ou trois détenus », ce qui provoque des « tensions entre eux » qu’on « perçoit vite », il avait alors estimé « regrettable » le décret de juin 2008 pris soi-disant pour organiser la mise en œuvre de l’encellulement individuel pour les prévenus, mais qui en fait « renverse le droit existant » et transforme le principe « en une simple possibilité, de surcroît sur la base d’une demande ». Il se disait également « surpris » par la permanence d’« un tel niveau de surpopulation, alors que cela fait des années qu’on critique cette situation », et par le « peu de progrès effectués ». Selon lui, « les mesures nécessaires n’ont pas été prises pour y remédier » et il n’a « pas été convaincu par la détermination de Rachida Dati à prendre des mesures à la hauteur de cette situation ». Aussi, appelle-t-il « instamment les autorités françaises à répondre immédiatement aux conditions inacceptables de détention des détenus contraints de vivre dans des cellules surpeuplées et souvent vétustes », et « à reconnaître de nouveau l’encellulement individuel comme un droit pour tous les prévenus ». En retour, le gouvernement renvoie cependant une fois de plus à la construction de places – dont le Commissaire a pris soin de souligner qu’une « telle réponse ne peut être suffisante » car « elle n’est pas, en règle générale, propre à offrir une solution durable » 2 – et aux parties sur les alternatives et les aménagements de peine du projet de loi pénitentiaire, pour lesquelles le Commissaire a précisé que « ces dispositions requièrent un certain délai avant d’avoir un impact réel ».
La politique pénale en cause Il faut dire qu’appliquer les recommandations du Commissaire reviendrait, pour le gouvernement, à renoncer à l’ensemble de sa politique pénale, tant celle-ci est critiquée dans le mémorandum. Constatant une situation marquée par le « durcissement des peines prononcées par les juridictions pénales et par un recours accru à la mise en détention », Thomas Hammarberg exprime en effet la crainte de voir la « tendance […] s’accentuer avec la mise en place de la nouvelle loi du 10 août 2007 » relative aux peines planchers. Le Commissaire se montre également « préoccupé par Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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les sanctions sévères prises par les juridictions pour mineurs », notamment avec l’instauration des peines planchers, mais aussi par l’annonce d’un possible abaissement de l’âge auquel des sanctions pénales peuvent être prises, alors qu’il devrait selon lui « être relevé et non abaissé ». Soulignant que « plus de 3 000 mineurs [sont] détenus chaque année en France », il rappelle que « le problème de la délinquance juvénile ne sera pas résolu par le durcissement des peines », mais qu’au contraire, « une politique réussie nécessite des mesures permettant la prévention, la réhabilitation et l’intégration sociale des jeunes en difficultés ». Enfin, le représentant du Conseil de l’Europe s’inquiète également de la mise en œuvre de la rétention de sûreté, et plus particulièrement du « risque d’arbitraire qui découle de l’appréciation de la dangerosité du criminel », alors que cette dernière « n’est pas un concept juridique ou scientifique clair ». Par ailleurs, poursuitil, « la logique du risque zéro ne devrait pas devenir la règle, au détriment des libertés individuelles ». Aussi, il « appelle à la plus grande vigilance » et à « une extrême précaution dans l’application de la rétention de sûreté », qui ne doit pas « mener à un emprisonnement perpétuel ». Définitivement sourd aux critiques, le gouvernement rétorque que toutes les précautions ont été prises, que des « experts ont travaillé […] sur les moyens d’évaluation de la dangerosité les plus sérieux et les plus objectifs » et que « la rétention est donc bien, comme le préconise le mémorandum, l’ultime réponse à un état de dangerosité constaté ». Aucun des arguments avancés n’a semble-t-il convaincu Thomas Hammarberg. Après avoir pris connaissance de la réponse, le Commissaire a en effet choisi d’enfoncer le clou dans un communiqué annonçant la publication du rapport, où il insiste à nouveau sur le « risque d’arbitraire » de la rétention et en appelle encore une fois « à la plus grande vigilance ». Sur les autres sujets, il hausse également le ton en dénonçant « les conditions de vie inacceptables de nombreux détenus, qui doivent faire face à une surpopulation, une absence de vie privée, des locaux vétustes, et une hygiène pauvre » ou encore « le haut niveau de suicides dans les prisons françaises, [...] symptôme des défaillances structurelles du système pénitentiaire ». Dans 3 une interview donnée au Monde, il s’est dit également « très déçu », parce qu’il pensait que le rapport de son prédécesseur « aurait conduit à d’authentiques changements », ce qui « n’est pas le cas ». Malheureusement, tout semble indiquer que le sien n’aura guère plus d’influence. Stéphanie Coye et Patrick Marest 1. « Les mesures contre la surpopulation en prison ne sont pas prises », Libération, 24 mai 2008 ; « La surpopulation carcérale montrée du doigt », Le Monde, 24 mai 2008. 2. Citation de la Recommandation R (99) 22 du Conseil de l’Europe concernant le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale, 30 septembre 1999. 3. « La France ne donne pas l’exemple », Le Monde. fr, 20 novembre 2008.
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La série noire se poursuit dans les prisons françaises. Pas moins de 30 personnes détenues se sont suicidées depuis le début de l’année. Plus que jamais sont mises en cause les défaillances structurelles de l’institution pénitentiaire et sa politique de prévention se bornant à tenter d’empêcher le passage à l’acte. Le rapport de la Commission Albrand, qui suggère d’agir principalement sur les causes de la sursuicidité carcérale, semble vouloir réhabiliter une démarche préconisée il y a plus de dix ans, mais restée sans suite. Faute pour l’administration pénitentiaire de se résoudre à tirer les conséquences d’une toute autre approche de la personne détenue.
Suicides en prison
« Le symptôme d’un système à bout de souffle » U n jeune homme de 17 ans s’est donné la mort dans la nuit du 13 au 14 mars 2009 à la maison d’arrêt de Moulins-Yzeure (Allier). C’est le premier suicide d’un détenu mineur recensé cette année (trois en 2008). Il porte à au moins 30 le nombre des décès à la suite d’un acte suicidaire survenus dans les prisons françaises depuis le 1er janvier. Un chiffre d’autant plus inquiétant qu’il est déjà amplement supérieur aux 21 suicides dénombrés au terme du premier trimestre 2008 et semble indiquer une nouvelle aggravation de la tendance déjà fortement à la hausse relevée au terme de l’année écoulée. Les 115 suicides inventoriés en 2008 révélaient en effet une augmentation de 20 % par rapport à 2007 (96 suicides), le taux de suicide croissant dans le même temps de deux points (17,2 contre 15,2 pour 10 000 détenus). Dans ce contexte, la publication du rapport du docteur Louis-Etienne Albrand, chargé d’animer une commission d’étude par la garde des Sceaux le 3 novembre dernier, est très attendue. Dans la préface de ce document (que l’OIP s’est procuré), le psychiatre formule un diagnostic sans appel : « Au bout du compte, le record français des suicides en prison est vraisemblablement le symptôme d’un système à bout de souffle ». Un verdict identique à celui établi en novembre dernier par le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe : « Le nombre élevé de suicides dans les prisons françaises est un symptôme des déficiences structurelles du système pénitentiaire ».
« Il faut faire autre chose » Ces analyses font écho à la confession concédée par le professeur Jean-Louis Terra, 1 qui a élaboré en 2003 l’actuelle politique de prévention des suicides en prison et supervise sa mise en
œuvre : « J’ai fait des recommandations qui ont été beaucoup suivies, j’ai eu deux ans avec un bon résultat et maintenant, j’ai un doute, c’est-à-dire que ce que j’ai proposé et qui a été accepté par les autres, ce n’était pas suffisant, cette crise montre qu’il faut faire autre chose ». En effet, il ressort du constat dressé par la commission Albrand que « la grande majorité des détenus qui sont passés à l’acte avaient déjà été repérés pour des modifications de comportement ou des actes d’auto agressions ». Ceci démontre à l’évidence que l’intensification de la détection du risque suicidaire et le renforcement de la stratégie de « surveillance spéciale » ne sauraient suffire à enrayer un phénomène qui renvoie à bien d’autres considérations. La multiplication des démarches visant prioritairement à empêcher le passage à l’acte, telle la suggestion récurrente de remplacer les draps en tissu par des draps en papier, démontre que beaucoup de chemin reste à parcourir. L’aggiornamento que suppose l’objectif de la commission Albrand de « diviser le nombre de suicides en prison par deux » impose tout autant de prendre la mesure des « déficiences structurelles » de l’institution pénitentiaire et d’agir sur les causes de la sursuicidité carcérale, que de réhabiliter la philosophie définie en mai 1998 en ces termes : « une politique de prévention n’est légitime et efficace que si elle cherche, non à contraindre le détenu à ne pas mourir, mais à le restaurer dans sa dimension de sujet et d’acteur de sa vie ». L’acceptation d’une telle révolution culturelle par l’administration pénitentiaire est pour le moins hypothétique. Mais il n’est pas trop tard pour que le législateur se saisisse de ces questions. Le débat parlementaire sur le projet de loi pénitentiaire lui en offre l’occasion. Patrick Marest 1. Dans un reportage de l’émission « C dans l’air » du 23 janvier 2009 sur France 5. Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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Recommandations sur Villefranche-sur-Saône
Le Contrôleur met à mal la prison modèle Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a rendu ses premières recommandations suite à la visite d’un établissement pénitentiaire. Concernant la « prison modèle » de Villefranchesur-Saône, elles constituent un cinglant désaveu de la politique pénitentiaire menée, et notamment des régimes différenciés que le gouvernement ambitionne d’étendre grâce à sa loi pénitentiaire. Une première salve qui laisse présager d’un contrôle efficace et soucieux de la personne détenue.
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on premier rapport devrait être publié au début du mois d’avril 2009. On en sait cependant désormais un peu plus sur les tenants et aboutissants de la démarche initiée par Jean-Marie Delarue dans le cadre de sa fonction de Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne semble vouloir faire ni dans le fauxsemblant, ni dans la demi-mesure. Dans ses premières recommandations, datées du 24 décembre 2008 et rendues publiques au Journal officiel du 6 janvier 2009, Jean-Marie Delarue prouve en effet non seulement qu’il ne s’en laisse pas conter lors de ses visites, mais également qu’il ne mâche pas ses mots. La visite de contrôle, effectuée par quatre membres de son équipe et luimême, du 23 au 25 septembre 2008, se déroulait pourtant dans une des prisons « modèles » de l’administration pénitentiaire (AP) : Villefranche-sur-Saône (Rhône). Ouverte en 1990, cette maison d’arrêt présente la caractéristique d’être relativement épargnée par la surpopulation. Alors que les établissements de même type de la direction interrégionale connaissaient en moyenne un taux d’occupation de 138,4 % au 1er janvier 2009, Villefranche-surSaône se payait le luxe de n’accueillir « que » 736 détenus pour 636 places (115,7 %). Une situation atypique qui n’est peut-être pas étrangère au fait qu’il s’agit d’un des sites pilotes pour l’expérimentation des Règles pénitentiaires européennes (RPE) et pour la politique que l’administration pénitentiaire (AP) entend mettre en œuvre, notamment grâce à son projet de loi pénitentiaire. Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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Elle constitue de ce fait une vitrine pour l’AP, qui la cite d’autant plus en exemple, (comme on peut le voir dans la brochure « Règles pénitentiaires européennes : une charte d’action pour l’AP. Bilan 2007, perspectives 2008 » 1) qu’il s’agit du premier établissement à avoir entamé une démarche de « labellisation ». C’est également cette prison qu’avait choisi l’AP pour réaliser, en partenariat avec RMC, une opération de communication inédite : l’organisation d’une émission de radio en direct d’un établissement, le 28 mars 2008. Sur l’antenne, Claude d’Harcourt, le directeur de l’AP, avait alors déclaré que Villefranche « montre que, quand des personnels ont la volonté de changer les choses, quand il y a une orientation politique claire, on peut les changer […], donc on peut changer la prison avec du temps et de la volonté ».
La face cachée des régimes différenciés dévoilée Aux dires de l’AP, la « différenciation des régimes » et le « parcours d’exécution de peine » (PEP) sont censés être la simple traduction des règles 51-4 2 et 103.2 3. Expérimenté jusqu’à présent en dehors de tout cadre légal, ce double dispositif a été introduit dans le projet de loi pénitentiaire présenté par le gouvernement (article 51), qui le décrit comme un « outil essentiel de préparation à la réinsertion et de lutte contre la récidive ». Le PEP consiste en une sorte de contrat, réévalué chaque année, par lequel le détenu s’engage à, selon les cas, suivre une formation ou une psychothérapie, indemniser les parties civiles, être plus respectueux avec les personnels, etc. Selon l’exposé des motifs du texte du projet de loi, cela permet ainsi « à chaque détenu de se donner des objectifs », puis à l’administration « de suivre, avec le détenu, l’évolution de son parcours carcéral et les efforts réalisés pour donner un sens à la peine et, par voie de conséquence, préparer une sortie sans récidive ». Quant au principe de différenciation des régimes de détention, il consiste pour sa part à prévoir, comme son nom l’indique, des régimes différents, au sein d’un même établissement, ou selon les établissements, pour lesquels l’affectation s’effectue « en fonction de la dangerosité des condamnés, de leur personnalité et de leurs efforts en matière de réinsertion ». Selon le gouvernement, l’objectif est « de diversifier la prise en charge des détenus au regard de la variété de leurs profils et de leurs besoins, et de la faire évoluer en fonction de leur conduite en détention, de leur volonté de se réinsérer socialement, et de leur capacité à évoluer », mais aussi
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d’assurer « un meilleur équilibre au sein des détentions, en permettant l’adaptation des règles applicables à la personnalité de chaque détenu ». Du discours à la réalité, il y a cependant non pas un pas, mais un véritable abîme. D’après les constatations du Contrôleur, « ce “parcours” consiste à opérer un tri parmi les condamnés, en proposant une évolution à certains d’entre eux et en laissant les autres sans espoir d’amélioration de leur sort ». Les « bons » détenus sont alors « gratifiés d’un “contrat ”», « quelquefois bien réel, mais parfois aussi vide de tout contenu (ni engagement du détenu, ni activité offerte par l’administration) ». Quant aux « mauvais », ils n’ont droit à « aucune proposition de projet ou d’activité ». « L’illusion du “parcours”, explique JeanMarie Delarue, peut donc se traduire en définitive par une pure et simple ségrégation entre les différents bâtiments ou étages de l’établissement, avec les détenus susceptibles d’évolution […] et ceux qui seront laissés pour compte de manière souvent irréversible durant tout leur temps de détention ». Aussi, prévient-il, « si des projets adaptés à chacun peuvent être mis en œuvre en détention, ce n’est qu’à la condition qu’un cheminement bien réel soit proposé à tous les détenus sans exception et que les moyens correspondants soient dégagés ».
Un traitement des plaintes insuffisant et inopportun © Baret
Pour contacter le Contrôleur général Monsieur le Contrôleur général des lieux de privation de liberté 16-18 quai de la Loire B.P. 10301 75921 Paris CEDEX 19 Tél. : 01 53 38 47 80 Mail : chantal.brandely@cglpl.fr Les personnes détenues peuvent lui écrire sous pli fermé, ainsi que toute personne physique (proche, avocat, intervenant, etc.) ou morale agissant dans le domaine des droits de l’homme, sur tout problème mettant en cause les droits de la personne (transfert, travail, soins, etc.), à l’exception de ceux relevant d’une procédure pénale ou d’une décision judiciaire. Le contrôleur peut ensuite s’autosaisir des dysfonctionnements sur lesquels il a été informé, soit par le biais de visites, soit en prenant contact avec les autorités pour régler le problème.
Un autre point emblématique de l’expérimentation des RPE fait l’objet d’un constat tout aussi sévère de la part du Contrôleur : le traitement des requêtes des détenus. La règle 70.1. recommande que soit donnée aux détenus la possibilité « de présenter des requêtes et des plaintes individuelles ou collectives au directeur de la prison ou à toute autre autorité compétente ». Il s’agit d’une des 8 règles retenues par la direction de l’AP, censée s’appliquer d’ores et déjà dans une centaine d’établissements, dont Villefranche-sur-Saône. Selon Jean-Marie Delarue pourtant, « la possibilité de recours des détenus contre des décisions qui leur sont applicables apparaît insuffisamment développée ». Plusieurs dysfonctionnements ont en effet été observés lors de la visite. En premier lieu, « les lettres en la matière peuvent être ouvertes par celui dont on se plaint » et « leur acheminement n’est pas garanti ». En second lieu, « elles peuvent demeurer sans réponse », alors que, soutient-il, « même maladroite ou erronée, la demande du détenu ne saurait être ignorée. Faute de quoi, le recours à la protestation désordonnée, violente, est inévitable à court ou moyen terme », car « l’absence d’écoute le justifie aux yeux des intéressés ». « Tout détenu a droit au recours hiérarchique [et] doit avoir les moyens de l’exercer » rappelle le Contrôleur. Ce qui implique que « les éléments matériels pour user de ce droit doivent [lui] être procurés » (« y compris à celui qui ne sait pas écrire »), que « la lettre doit parvenir directement à son destinataire », que « la confidence nécessaire doit être respectée » et qu’« une réponse motivée doit être donnée ». Et d’inviter les autorités à réaliser « des efforts substantiels » en la matière. Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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Pour Jean-Marie Delarue, la différenciation des régimes s’apparente à « une pure et simple ségrégation entre les détenus susceptibles d’évolution et ceux qui seront laissés pour compte de manière souvent irréversible ». Des regrets face à la primauté de la prévention de la récidive
Les cours de promenade, « lieux de tous les dangers »
Dans un autre chapitre de ses recommandations, portant sur « les conditions de travail difficiles des personnels », et notamment ceux de l’insertion et de la probation, le Contrôleur s’en prend également à un deuxième axe de la politique pénitentiaire et pénale menée actuellement, celui de la toute puissance des démarches effectuées au nom de la prévention de la récidive, au détriment de la réinsertion dans son acceptation traditionnelle. Les travailleurs sociaux, explique-t-il en effet, sont « surchargés de tâches bureaucratiques et de cas à traiter », notamment les « dossiers nécessaires pour les procédures d’application des peines et de sortie de l’établissement, tâches qui ne correspondent d’ailleurs pas aux motivations d’origine de nombre d’entre eux ». Ce surcroît de travail les conduit à délaisser, « parce qu’ils ne peuvent faire autrement », deux actions que le Contrôleur juge « majeures ». La première renvoie à tout ce qui emprunte à « l’écoute et la prise en considération du tout-venant des préoccupations des condamnés […] dont les demandes restent sans réponse dans des délais raisonnables ». La seconde concerne l’intervention sociale, qui « est défaillante aujourd’hui ». Avec pour conséquence, un « découragement des personnels d’insertion et de probation », comme l’illustrent « par exemple la rotation importante des effectifs », et le « vif mécontentement des détenus à leur endroit ». On est bien loin du témoignage présenté dans la brochure sur le bilan des RPE, où un conseiller d’insertion affirmait que, grâce à la mutualisation des connaissances, à « l’observation que permet le temps passé au quartier arrivants et à la commission pluridisciplinaire », « le SPIP se trouve porteur d’informations qui optimisent le dispositif d’insertion et d’aménagement de la peine » et permettront « une préparation à la sortie individualisée, une réelle prévention de la récidive ». Pour le contrôleur, il est urgent de « restaurer […] la qualité de cette prise en charge », ce qui doit passer « par des effectifs renforcés, par un effort constant d’écoute en détention […], par une meilleure prise en considération des facteurs personnels dans les commissions d’application des peines, par la réponse aux préoccupations quotidiennes de tous les détenus sans exception ». Le tout supposant une présence plus importante en détention, « pour pouvoir tout à la fois répondre aux sollicitations et mettre en œuvre (tout autant que suivre) des activités socioéducatives et culturelles intéressant le plus grand nombre possible de détenus ». Cette recommandation ne vise d’ailleurs pas que les travailleurs sociaux.
Tout en prenant soin de préciser que « les directeurs d’établissement et leurs adjoints assurent dans des conditions difficiles une tâche très lourde », le Contrôleur estime que la « multiplicité [de leurs fonctions, ndlr] ne doit toutefois pas les détourner de l’essentiel », à savoir « la bonne connaissance de la détention et des personnes qui s’y trouvent ». Aussi propose-t-il de revoir l’emploi du temps des responsables des établissements pénitentiaires afin de leur permettre « de passer du temps en détention, de recevoir ceux des détenus qui le souhaitent en audience, de répondre à leurs demandes écrites et, plus généralement, d’avoir une connaissance précise et renouvelée des personnes incarcérées ». Ce dont « convient » Rachida Dati qui, d’après Jean-Marie Delarue, a demandé « aux directrices adjointes de l’établissement visité de renforcer leur présence en détention ». Le Contrôleur s’inquiète également de l’absence des personnels dans les cours de promenade. « Le personnel ne s’y introduit jamais, peut-on lire dans ses recommandations, et surveille ces cours depuis des postes avoisinants ou par vidéosurveillance ». Même lorsqu’une rixe ou une agression se déroule, explique-t-il, « il faut attendre que les détenus aient réintégré le bâtiment pour reprendre le contrôle de la situation ». De ce fait, les cours de promenade sont devenues des « lieux de tous les dangers », où se produisent « menaces, rackets, violences, jets de projectile, trafics… », tant elles sont un « espace dépourvu de règles », dans des établissements pourtant « soumis à des normes multiples et incessantes ». Pour des détenus, qui plus est « massivement privés d’activités », elles constituent logiquement « un exutoire au confinement en cellule et comme un marché, un substitut aux privations » et deviennent « le réceptacle de toutes les tensions et toutes les frustrations ». Selon le Contrôleur, « les conséquences en sont triples : le plus fort impose sa loi ; des blessures graves sont fréquemment constatées ; bon nombre de détenus refusent d’aller en promenade, de peur des agressions ». Tout en soulignant que la protection des personnels pénitentiaires est pour lui « un impératif », Jean-Marie Delarue insiste sur la nécessité de faire évoluer cette situation, de se lancer dans une « reconquête des cours de promenade », afin que celles-ci retrouvent leur fonction première : « un lieu de promenade, c’est-à-dire de détente, de sociabilité ou de possibilité de rester seul ». Un « processus de longue haleine » qui nécessite la volonté d’œuvrer à une coexistence entre surveillants et détenus, « progressivement, dans certaines hypothèses, dans certains établissements, jusqu’à s’appliquer en toutes circonstances et en tous lieux ».
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Privés de toute vision du ciel Un dernier point fait l’objet d’une recommandation très critique du Contrôleur : les « caillebotis », ces grilles épaisses et ajourées fixées aux fenêtres des cellules en sus des barreaux, dont désormais tous les établissements pénitentiaires s’équipent afin d’éviter la réception ou l’envoi d’objets par la fenêtre ou le jet des ordures à l’extérieur. Selon Jean-Marie Delarue, « la pose de caillebotis a pour effet de plonger les cellules dans la journée dans une quasi-obscurité », ce qui renforce fortement l’« impression d’isolement et d’ombre » des détenus, a « pour effet de les priver de toute vision du ciel ». De ce fait, les caillebotis « aggravent la vie cellulaire déjà difficile ou très difficile » et « attisent les sentiments dépressifs ou de colère ». D’autant que, « si les jets divers (et le “yoyotage”) peuvent s’en trouver diminués », ils sont « rarement supprimés ». Ce gain est en outre « de court terme », puisque « il accroît les tensions supplémentaires de moyen et long terme, du fait du sentiment de contrainte et de pression qu’ils engendrent sur les détenus, lesquels, invisibles derrière les caillebotis, sont renforcés dans leur anonymat ». « Par conséquent, peut-on lire dans le rapport, on ne doit pas douter qu’à terme, les relations avec les personnels seront encore plus difficiles. » Aussi propose-t-il de « résoudre autrement » les problèmes de sécurité et d’hygiène posés, notamment par un « renforcement de l’efficacité des nettoyages et de la collecte des déchets ».
L’administration pénitentiaire piquée au vif À travers cette première recommandation semble transparaître un élément essentiel de la philosophie qui guide Jean-Marie Delarue : la recherche constante d’une compréhension de ce que subissent et ressentent les personnes détenues. Comme il l’a souligné, « toutes [ses] recommandations ont trait aux souffrances que peuvent engendrer certaines conditions de détention ». 4
La démarche laisse présager à la fois d’un contrôle soucieux de la personne incarcérée et exigeant vis-à-vis de l’administration pénitentiaire, ce qui a manifestement eu l’effet immédiat d’indisposer cette dernière et notamment l’ancien directeur de Villefranche-sur-Saône. Piqué au vif et saisissant l’occasion qui lui était présentée d’intervenir quelques instants devant le Premier ministre en marge de l’inauguration de la prison de Roanne, le 19 janvier 2009, il a cru bon devoir s’épancher en ces termes : « Les personnels de l’AP souhaitaient à l’instar de nombreux pays la création d’un contrôleur général […] Il y avait donc de fortes attentes. Après le temps de l’espoir, ce fut celui de la déception, de la démobilisation après la première recommandation […] recommandation à laquelle je fus particulièrement sensible puisque je dirigeais Villefranche jusqu’à l’été dernier. […] Nous attendons un contrôle nouveau, autre qu’un contrôle sanction […] C’est un contrôle de ce type, un contrôle constructif qui sera alors mobilisant, stimulant, encourageant pour l’AP et ses personnels ». On ne saurait mieux témoigner du désarroi de l’institution face à la perspective d’un contrôle s’écartant de toute complaisance et connivence. Qui augure mal d’une attitude de l’administration pénitentiaire à l’égard des recommandations de Jean-Marie Delarue qui soit fondamentalement différente de celle qu’elle affiche pour les préconisations du Comité de prévention de torture ou du Commissaire européen pour les droits de l’homme. Stéphanie Coye 1. Document mis en ligne sur le site du ministère de la justice le 28 août 2008, http://www.justice.gouv.fr/art_pix/brochure_2008_rpe. pdf 2. « Chaque détenu est ensuite soumis à un régime de sécurité correspondant au niveau de risque identifié. » 3. « Dès que possible après l’admission, un rapport complet doit être rédigé sur le détenu condamné décrivant sa situation personnelle, les projets d’exécution de peine qui lui sont proposés et la stratégie de préparation à sa sortie. » 4. Les Échos, 7 janvier 2009. Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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Des magistrats dressent le
portrait de la misère carcérale C’est un document de huit pages seulement, mais qui résume à lui seul toute la misère de la vie carcérale. Révélé par Libération le 22 novembre 2008, ce rapport a été rédigé par quatre juges de l’application des peines (JAP) après qu’ils se sont rendus à la maison d’arrêt de Fresnes (Val-deMarne) le 24 mai. Cette obligation de visite – imposée à tous les JAP, mais dont peu s’acquittent – a pour but de vérifier les conditions dans lesquelles les condamnés exécutent leur peine. Des conditions qui, à Fresnes comme dans de nombreuses maisons d’arrêt, sont affligeantes.
Surpopulation majeure Alors que l’établissement compte 1 418 cellules de 9 m2, soit autant de places théoriques, 2 433 personnes y sont détenues le jour de la visite, le 24 mai 2008. Ce qui est loin d’être une situation exceptionnelle pour cette maison d’arrêt. « Cela fait longtemps qu’on ne descend plus en dessous de la barre des 2 000, explique en effet un des magistrats à Libération. La surpopulation est devenue un état de fait durable sans que ne se dessine aucun espoir d’amélioration ». Des lits supplémentaires ont donc été installés : 3 700 en tout selon un recensement effectué en 2007. Au moment de la visite, près de 15 % des cellules sont triplées. Six cents détenus se retrouvent ainsi contraints de cohabiter à trois dans une cellule de 9 m2. Chacun peut dormir dans un lit (superposé), mais il n’y a pas assez de place pour que chacun dispose d’une petite table. Un détenu leur explique qu’il « entame son septième mois de détention à trois ». Certains se plaignent « du manque d’intimité ». Beaucoup soulignent « qu’ils préfèreraient être seuls en cellule ». Selon les informations recueillies par les juges, une « augmentation du nombre de situations d’urgence médicale » est constatée, « liée directement à la commission d’acte d’automutilation résultant souvent de la volonté des personnes détenues de se retrouver seules ». Dans un tel contexte, les « tensions entre détenus se multiplient, notamment dans les cellules à trois condamnés », ainsi que les « situations de stress et d’angoisse », d’autant que « les choix de répartition des détenus à l’intérieur des cellules […] apparaissent d’autant plus délicats à respecter et à combiner ». Si les personnels pénitentiaires mettent en effet « tous Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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en avant la nécessité d’une vigilance et d’une attention accrues, ainsi que l’exigence d’entretiens individuels », ils reconnaissent également que « cet objectif est actuellement impossible à atteindre au vu des difficultés existantes ».
Difficultés d’accès aux soins Les médecins constatent également la multiplication de « pathologies spécifiques » à la surpopulation, telles que des « problèmes rhumatologiques liés à la position des corps dans les cellules doublées ou triplées qui obligent les détenus à se courber et la trop grande limitation du nombre de douches par semaine ». Dans un contexte où « la qualité de l’offre de soins en détention souffre de la situation existante », elle aussi. Les juges notent par exemple l’augmentation de personnes souffrant de troubles psychiatriques ou toxicomanes, le « cas de détenus qui nécessiteraient une aide par une tierce personne », « la nécessité de la création d’un cabinet de consultation supplémentaire (médecine générale) sur la première division » ou encore l’absence de kinésithérapeute ou d’ophtalmologiste. Un détenu interrogé explique à ce sujet « qu’il n’a pas ses lunettes », que de ce fait « il a une vision floue » mais que « pour l’instant il n’a pas reçu de réponse » à sa demande pour voir un ophtalmologiste. Un autre raconte « que s’il faut attendre une semaine pour voir quelqu’un de l’UCSA [unité de consultations et de soins ambulatoires] après en avoir fait la demande, les délais sont en revanche beaucoup plus longs lorsqu’il s’agit de voir un dentiste ». Pour ce qui est des délais pour bénéficier d’actes médicaux à l’extérieur, ils sont même, d’après les magistrats,
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« considérables » : « trois mois pour obtenir un IRM ou un scanner, parfois plus ». L’unité psychiatrique d’hospitalisation, de 47 lits, qui traite essentiellement la maladie mentale et notamment la gestion des crises psychiatriques, tourne, elle, toujours à « plein, avec un turn-over très rapide (une douzaine d’entrées et de sorties par mois en moyenne) ».
« Sans réponse à ce jour » Quasiment tous les détenus rencontrés par les magistrats se plaignent également de la vacuité de leur temps d’incarcération et de l’ennui qu’il provoque. L’un raconte par exemple avoir demandé à travailler en novembre 2007, car il a besoin d’aider sa famille, mais être toujours sur liste d’attente à la fin du mois de mai 2008. Un autre l’est depuis huit mois, un autre encore depuis 15 mois. Un de ces détenus est pourtant reconnu comme « indigent ». Beaucoup expliquent également avoir demandé à participer à des formations et activités, comme l’atelier informatique, le sport ou des cours. À de rares exceptions, la plupart sont au mieux sur liste d’attente, au pire « sans réponse à ce jour ». Les jeunes majeurs (moins de 21 ans) ne sont pas mieux lotis. Trois d’entre eux, incarcérés dans une même cellule, relatent « avoir fait des demandes – essentiellement pour participer à des activités sportives, pour aller à l’école ou pour suivre une formation – sans avoir de réponse à ce jour ». Aussi occupent-ils « leur journée en regardant la télévision ou en écoutant la musique ». Une situation particulièrement difficile à vivre, notamment pour les personnes condamnées à de longues peines qui attendent leur affectation dans un autre établissement et pour qui les personnels sont dans « l’impossibilité d’apporter […] des réponses concrètes sur le délai prévisible du transfert ». Pour nombre de détenus, la seule activité hors cellule se limite donc à la promenade, mais, même là, la surpopulation se fait sentir. Un détenu raconte en effet que « les cours sont trop petites (elles font environ 30 mètres carrés) », obligeant les détenus à « slalomer afin de ne pas se heurter », sans possibilité de s’asseoir ou de faire de l’exercice. Le même détenu « ajoute que ça sent très mauvais » et « qu’il y a des rats ». Ce que confirme un autre, qui précise que les abords des cours sont « jonchés de détritus ». Un autre encore dit même avoir renoncé à y aller, « cette activité, en raison de ses conditions de déroulement, n’apportant aucune détente ».
Une réinsertion impossible Un détenu rencontré par les magistrats se plaint également d’attendre depuis trois mois une réponse à sa demande d’aménagement de peine. « C’est trop long », leur fait-il remarquer. Même sa demande pour voir un conseiller d’insertion et de probation (CIP), rédigée « trois fois de suite […], n’a pas reçu de réponse ». Les travailleurs sociaux invoquent « un trop grand nombre de dossiers », ce qui les « oblige à sacrifier un travail de “fond” en entretien ». Leurs partenaires extérieurs sont également « complètement saturés » avec pour conséquence « un délai très
important entre le signalement par le service pénitentiaire d’insertion et de probation et la survenue du premier entretien ». Ils dénoncent aussi « le manque de places d’hébergement sur l’extérieur (places de semi-liberté, places adaptées à la situation de personnes rencontrant des troubles du comportement) » et « la disparition de la seule structure de placement à l’extérieur qui existait sur le département ». Jusqu’au projet de création d’un quartier « courtes peines » qui se trouve compromis par la surpopulation, car il nécessite « une mise à disposition d’espaces et de cellules qui manquent cruellement ». Stéphanie Coye
Après les matelas au sol, les matelas au plafond 66 980. C’est le nombre de personnes écrouées au 1er février 2009, et parmi elles 62 744 détenues (16 471 prévenues et 46 273 condamnées). 1 Le nombre de places étant de 52 589, le taux d’occupation s’élève ainsi en moyenne dans les prisons françaises à plus de 119 %. En moyenne, car près de la moitié des 235 établissements ou quartiers le dépassent. 46 d’entre eux connaissent une densité comprise entre 120 à 150 %, 47 oscillent entre une densité de 150 à 200 % et 14 dépassent un taux d’occupation de 200 %. Pour accueillir ces détenus toujours plus nombreux, l’administration pénitentiaire n’est pas à court d’imagination ! Interpellée par la députée Marguerite Lamour sur la surpopulation à la maison d’arrêt de Brest (Finistère) et le fait que des détenus y dormaient sur des matelas, Rachida Dati a répliqué le 9 septembre 2008 que « l’administration pénitentiaire expérimente des solutions pour permettre de résoudre ce problème en installant des lits pliants ou des lits amovibles ». Désormais, un autre type de couchage est mis en place dans certains établissements : les « triplettes », c’est-à-dire des lits superposés à trois étages. C’est ce qu’a dénoncé l’UFAP au mois de novembre. Selon son secrétaire général, Jean-François Forget, en visite à la maison d’Arras (Pas-de-Calais), « le premier sommier est à 20 cm du sol, le troisième lit est à 40-50 cm du plafond et à 2,50 m de haut ». Comme le résume Frédéric Charlet, le secrétaire régional adjoint : « Celui qui est en haut bouffe le plafond, celui en bas mange la poussière ». Avec pour conséquence, un risque de chute majeur. Au mois de novembre, un détenu de cette maison d’arrêt s’est d’ailleurs tordu la cheville en tombant. (AFP, 20 minutes, La Marseillaise, Midi Libre) 1. Les personnes écrouées non détenues sont les personnes en aménagement de peine « non hébergées », c’est-à-dire les personnes sous surveillance électronique ou en placement extérieur.
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Non-respect de la déontologie par
La CNDS hausse Sans doute lassée de voir ses recommandations prises à la légère par la Chancellerie et l’administration pénitentiaire, la Commission nationale de déontologie de la sécurité a décidé, en novembre dernier, de rendre désormais publique la totalité de ses avis, au fur et à mesure de leur adoption. Plus d’une dizaine ont ainsi été mis en ligne sur son site, dénonçant des pratiques graves de surveillants, une surévaluation courante de la dangerosité des détenus, mais aussi des négligences coupables aux conséquences dramatiques. © Bertrand Desprez
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les personnels pénitentiaires
le ton L
a Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) a rendu au cours des derniers mois une série d’avis particulièrement sévères à l’encontre de l’administration pénitentiaire. Au-delà du constat une fois de plus posé sur les dysfonctionnements graves qui affectent les établissements pénitentiaires, la Commission s’insurge de l’absence de réaction sérieuse de la part des autorités concernées. Aussi, en réponse au « refus par le garde des Sceaux de prendre la mesure de l’extrême gravité du comportement de ses fonctionnaires », la CNDS a eu recours, le 2 décembre 2008, à une procédure exceptionnelle, utilisée seulement deux fois en neuf ans d’existence, consistant à publier au Journal officiel un « rapport spécial ». Cette décision est intervenue alors que 15 jours plus tôt, le 13 novembre, elle avait également décidé de publier mensuellement ses avis dès leur adoption, alors que ceux-ci n’étaient jusqu’alors rendus disponibles que dans son rapport annuel. Cette visibilité nouvelle découle certes de l’attitude du ministère de la Justice et de l’administration pénitentiaire, mais aussi de la gravité des constats effectués. Les avis dressent ainsi au fil des mois un tableau de la vie en détention qui ne lasse pas d’inquiéter. Car ce qu’ils révèlent comme pratiques abusives ou simples « négligences » aux conséquences pouvant se révéler dramatiques ne sont malheureusement que les turpitudes ordinaires vécues dans les prisons françaises.
Graves négligences à Nîmes dans l’agression d’un détenu Son rapport spécial publié au Journal officiel le 2 décembre 2008 porte sur les circonstances dans lesquelles un détenu de la maison d’arrêt de Nîmes (Gard) s’est fait agresser par d’autres, le 12 juin 2006. E.M. venait d’être condamné à la réclusion criminelle à perpétuité à l’issue d’un procès très médiatisé. Afin d’assurer sa sécurité, la direction de l’établissement avait largement diffusé des consignes particulières de protection, prohibant la présence sur la coursive d’autres détenus lors de l’ouverture de sa cellule, et prescrivant un accompagnement systématique lors des déplacements ainsi qu’une surveillance étroite. Le jour de l’agression, plusieurs cellules ont pourtant été ouvertes simultanément, permettant à quatre ou cinq détenus de s’introduire dans la cellule d’E.M. et de le frapper violemment. Les agresseurs ont ensuite pu quitter la coursive sans être identifiés. La direction n’a pas engagé d’enquête administrative, ni dressé de rapport des faits, ni même fait procéder à l’audition de la victime et des témoins. Pour la Commission, « la multiplicité, la simulta-
néité et la gravité des fautes relevées laissent supposer, selon toute vraisemblance, une connivence, pour certains [...] agents, avec ces détenus ». « Les carences de la direction dans le suivi administratif de l’agression sont tout aussi nombreuses et caractérisées », poursuit la CNDS. Quant à la réponse de la garde des Sceaux, « au regard de la modestie de ces réactions, de leur évidente disparité avec la gravité toute particulière des manquements fautifs ci-dessus détaillés, la Commission considère que ses recommandations n’ont pas été suivies d’effet. [...] Le refus, par la garde des Sceaux, de prendre la mesure de l’extrême gravité du comportement de ces fonctionnaires justifie la décision exceptionnelle de la Commission d’établir et de faire publier le présent rapport. »
Une administration qui prend des libertés avec les règles de droit Les investigations menées par la CNDS dans différentes autres affaires mettent également en évidence le non-respect de la réglementation par l’autorité pénitentiaire. Qu’il s’agisse de décisions de placement à l’isolement (avis du 17 novembre 2008) ou de « rotations de sécurité », qui consistent à transférer régulièrement certains détenus (avis du 27 juin 2008), les prétendues « nécessités du service » prennent systématiquement le pas sur le respect des droits de la personne. Ces deux avis illustrent également les dérives possibles de l’évaluation par les personnels de la dangerosité des détenus, dont la loi pénitentiaire entend pourtant faire le b.a. ba non seulement du métier de surveillant, mais également de l’individualisation de la peine et de la différenciation des régimes de détention. Dans la première affaire, concernant un détenu qui a passé au total, par périodes
Les avis de la CNDS dressent au fil des mois un tableau de la vie en détention qui ne lasse pas d’inquiéter. Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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Qu’il s’agisse de décisions de placement à l’isolement ou de rotations de sécurité, les prétendues « nécessités du service » prennent systématiquement le pas sur le respect des droits. successives, douze ans, six mois et quinze jours à l’isolement, la Commission note que la décision de prolonger cette mesure par la direction de Lannemezan (Hautes-Pyrénées) est fondée sur des faits dont certains relèvent de la simple suspicion – le dossier de M.G. indiquait, sans apporter d’élément probant, qu’il aurait été à l’origine d’un mouvement collectif - et sur le profil pénal de la personne concernée - il s’était évadé en 1992 et avait refait une tentative d’évasion en 2003. Elle rappelle qu’une décision de placement à l’isolement doit être motivée de façon précise et circonstanciée, au regard de risques avérés et actuels de troubles à l’ordre et à la discipline. Et elle enfonce le clou : « Dans les différentes décisions de prolongation transmises à la Commission, aucune justification n’apparaît quant à la nécessité de prolonger l’isolement de M. M.G. après son transfèrement ». Dans l’autre affaire, les décisions de transferts répétés (huit en huit ans) infligés à un détenu sont fondées sur une base tout aussi hasardeuse. « Il apparaît néanmoins, explique la Commission, que c’est surtout la suspicion réciproque qui est à l’origine d’une vie carcérale ponctuée par des transferts. [...] La dangerosité de M. U.Y. semble avoir été évaluée davantage en raison de sa capacité à fédérer autour de lui une partie de la population pénale qu’à la suite de faits réellement commis en détention ». D’autant plus qu’en l’espèce, le dernier transfert a été assorti d’un placement à l’isolement de trois mois, durée maximale prévue ab initio avant renouvellement éventuel. La pratique de ces rotations de sécurité, dont le Comité de prévention contre la torture a recommandé la suppression dès 1991, et à nouveau en 2006, a d’ailleurs fait l’objet d’une autre dénonciation de la CNDS, dans un avis du 17 novembre 2008.
Traitements inhumains ou dégradants Il est par ailleurs inquiétant de constater que les rotations de sécurité ne sont pas les seules pratiques très graves qui perdurent malgré de précédentes condamnations par la CNDS ou des instances internationales. Il en est ainsi des fouilles intégrales répétées. Dans son avis du 17 novembre 2008, la Commission note que « pendant toute la durée de son isolement à la maison centrale de Lannemezan [Hautes-Pyrénées], soit plus de six mois, M. M.G. a fait l’objet de trois à quatre fouilles à nu “inopinées” hebdomadaires et d’un nombre difficilement calculable de fouilles à nu à chaque entrée, à chaque sortie du bâtiment C, notamment pour se rendre à l’UCSA [unité de consultations et de soins ambulatoires], et à chaque fois qu’il a reçu des visites à l’intérieur du quartier d’isolement. » Le 25 octobre 2006, par exemple, M.G. doit être extrait à l’hôpital pour une consultation. Pour cela, il « a fait l’objet d’une première fouille à nu à la sortie Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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du QI [quartier d’isolement] [...]. Il a fait l’objet d’une deuxième fouille avant de sortir de l’établissement avec l’escorte. À son retour, il a de nouveau été fouillé à son arrivée à l’établissement [...] puis à l’arrivée au QI ». La Commission a pour sa part considéré qu’une telle fréquence n’était « pas justifiée ». Par ailleurs, elle note que « M. M.G. était entravé et menotté lors de ses examens médicaux, le dernier s’étant déroulé en présence de six fonctionnaires de l’escorte à l’intérieur de la salle, alors que neuf gendarmes sécurisaient les lieux à l’extérieur ». Pour la CNDS, il ne fait aucun doute que cette « surabondance de moyens de sécurité [...] a été disproportionnée par rapport au respect de la confidentialité de ces examens ». La France avait déjà été condamnée pour violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme le 12 juin 2007 (Cour européenne des droits de l’homme, Frérot c/France), sur des constatations similaires.
Des difficultés inacceptables dans l’accès aux soins médicaux Ce type de pratiques inacceptables a fait l’objet d’un grand nombre de critiques et de recommandations de la CNDS par le passé et une étude spécifique sur les difficultés d’accès aux soins, notamment les problèmes lors des extractions médicales et des hospitalisations, est également parue dans son rapport annuel 2007, rendu public le 8 avril 2008. Malgré tout, plusieurs avis sur ce sujet ont encore été publiés. Un avis du 15 décembre dernier dénonce ainsi l’extraction, le 10 septembre 2006, d’une personne détenue à la maison centrale de Poissy (Yvelines), âgée de 60 ans et aveugle, qui a été menottée et entravée durant son transport à l’hôpital. L’homme a également subi les examens médicaux en présence des surveillants. Pendant le retour à la prison, toujours menotté et entravé, l’homme a été en outre installé dans le fourgon de l’administration pénitentiaire sur un fauteuil roulant qui n’avait pas été correctement stabilisé. Bringuebalé dans tous les sens, il s’est cogné la tête à plusieurs reprises. Enfin, le courrier qu’il a adressé à l’OIP pour l’informer de sa situation a été retenu par l’AP, en toute illégalité. Dans son avis, jugeant que ces moyens de sécurité n’étaient là encore « pas justifiés », la CNDS n’a pu que rappeler une fois de plus la circulaire du 18 novembre 2004 relative à l’organisation des extractions médicales pour les détenus, aux termes de laquelle « M. S.S. aurait dû bénéficier des conditions d’extraction prévues dans la circulaire et compatibles avec son handicap et son état de santé ». Or, « aucune évaluation individualisée de sa dangerosité pour autrui ou pour lui-même, des risques d’évasion et de son état de santé n’a été sérieusement réalisée ». Aux interrogations de la Commission à
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ce sujet, le premier surveillant avait pour sa part déclaré « qu’il croyait avoir respecté les consignes de son établissement et qu’il ne savait pas qu’il avait une marge de manœuvre ».
Non-respect des prescriptions médicales Ce que cet avis, et d’autres, mettent en évidence, est une désinvolture - pour ne pas dire un certain mépris - des personnels à l’égard des détenus dont l’état de santé nécessite une vigilance particulière. En témoigne un autre avis, daté du 22 septembre 2008, dans lequel la Commission trouve cette fois « regrettable » que les prescriptions médicales dont devait bénéficier un détenu incarcéré à Fleury-Mérogis (Essonne) « aient été communiquées de façon informelle ou sur feuilles volantes jusqu’à la rédaction d’une note », et cela « plus d’un mois après son arrivée au CJD [centre pour jeunes détenus] et deux jours avant sa libération ». Polytraumatisé à la suite d’un accident, F.I. a des difficultés à se déplacer et doit suivre une hygiène très stricte pour éviter toute infection. Son état de santé explique que, bien que majeur, il ait été affecté au Centre pour jeunes détenus. « Les consignes données par l’encadrement pour adapter les conditions de vie de M. F.I. à son état de santé n’étaient pas connues de l’ensemble des agents se succédant à l’étage et n’étaient en conséquence pas respectées ». Et la Commission de recommander « que la direction de Fleury prenne toutes les mesures nécessaires pour s’assurer de la bonne santé des personnes détenues, la première des mesures étant de respecter les prescriptions édictées par le personnel médical. Également, que les consignes d’ordre médical, destinées à faire bénéficier une personne d’un régime de détention particulier en raison de son état de santé, fassent sys-
tématiquement l’objet d’un document consultable par tous les personnels devant en assurer l’application, à chaque prise de poste. » Les services médicaux ne sont pas non plus exempts de tout reproche. Dans un avis du 9 février 2009 portant sur les circonstances d’un suicide commis le 27 mars 2008 au quartier disciplinaire de la maison d’arrêt de Nanterre (Hauts-de-Seine), « la CNDS s’interroge sur la pertinence d’examens psychiatriques de détenus étrangers ne parlant pas le français, effectués en l’absence d’un interprète ». De ce fait, « même après sa tentative de suicide le jour de son arrivée en détention, M. P.A. [n’a] pas bénéficié du suivi nécessaire, en n’étant pas soumis au questionnaire psychiatrique mis en place à la maison d’arrêt », ce que « la Commission déplore ». Dans ces conditions, elle « condamne le maintien au quartier disciplinaire d’un détenu suffisamment malade pour qu’une hospitalisation d’office ait été envisagée lors de sa dernière consultation, moins de deux jours avant son suicide » et « recommande que chaque arrivant puisse bénéficier dans les heures suivant son écrou d’un entretien effectif avec un personnel qualifié permettant de déceler les risques de suicide ».
Des établissements structurellement inadaptés, un personnel insuffisant Différents avis, portant pourtant sur des établissements très divers par leur taille ou leur nature, pointent également des problèmes structurels tout aussi graves. Saisie suite au décès d’un jeune détenu battu à mort dans une cour de promenade de Fleury-Mérogis, le 25 août 2007, la Commission note que « faute de moyens humains et matériels suffisants, la surveillance des Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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Différents avis, portant pourtant sur des établissements très divers par leur taille ou leur nature, pointent des problèmes structurels graves. cours de promenade était dérisoire » et « ne permettait pas d’assurer la sécurité des personnes qui s’y trouvaient ». De fait, deux surveillants, l’un dans un mirador et l’autre dans le couloir qui longe la cour de promenade, observaient les 226 détenus qui se trouvaient dans la cour au moment de la bagarre, mais ni l’un ni l’autre ne pouvaient voir ce qui se déroulait sous le préau de ladite cour, par ailleurs dépourvue de caméra de surveillance. Une fois la bagarre constatée, le processus d’intervention laisse suffisamment de temps pour que les protagonistes aient le temps d’échanger plusieurs coups. « Un certain temps, relate l’avis, était en effet nécessaire pour la constatation d’un début de bagarre sous le mirador, suivi d’un attroupement estimé à environ cent détenus, pour l’appel du surveillant à la première surveillante à l’aide de son émetteur, pour la transmission de l’ordre de faire un appel au micro, pour le temps de déplacement indispensable pour atteindre l’unique micro, énoncer le message et obtenir ainsi la fin de la bagarre et la dispersion de l’attroupement. » Pire, « lorsqu’une personne est blessée, elle peut soit regagner par ses propres moyens la porte d’accès au bâtiment, soit s’y faire conduire par des codétenus », mais « aucune consigne particulière ne prévoit une intervention de fonctionnaires de l’administration pénitentiaire [...] parce qu’[une telle opération] présente des risques de vulnérabilité pour les agents ». La Commission note par ailleurs dans ce même avis que les bagarres au sein des cours de promenades sont fréquentes et quasiquotidiennes, le préau étant le lieu habituel des règlements de compte. L’identification des auteurs de violences reste rarissime. Et de conclure sur « l’incapacité de l’administration pénitentiaire à maintenir l’ordre au sein de ces cours et d’assurer la sécurité des détenus ». Ces constatations de la Commission font écho à celles, plus récentes encore, du Contrôleur général des lieux de privation de liberté suite à sa visite à la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône (Rhône) du 23 au 25 septembre 2008, qui attestent de la récurrence du problème (cf. p. 8 à 11).
Des drames qui ne sont pas des accidents La CNDS conclut que « dès lors, le décès du jeune D.A. n’est pas un “accident” malheureux, mais le résultat d’une succession de déficiences qui, si elles ne sont pas imputables à tel ou tel membre de l’administration pénitentiaire, résultent de la faiblesse de l’organisation de la surveillance des cours de promenade, des difficultés de protection immédiate et d’extraction des victimes hors des cours de promenade, de l’impunité des auteurs de violences, toutes ces déficiences étant rapidement repérées et mises à profit par les détenus les plus violents ». La succession de déficiences, ou de négligences, revient régulièrement dans les avis, dans celui sur l’agression de Nîmes, mais également dans un daté du 19 décembre 2005, qui souligne « les négligences, Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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voire les fautes graves, commises dans la surveillance du détenu K.B. », retrouvé mort en cellule à la maison d’arrêt de Gap (Hautes-Alpes). Ce jeune homme âgé d’un peu plus de 18 ans, dont c’était la première incarcération, a été placé en cellule avec un récidiviste dont le risque d’agressivité « était parfaitement connu du chef d’établissement ». L’infirmière qui le voit l’avant-veille de sa mort décrit un patient « dans un état déplorable, presque moribond » et qui ne tenait pas debout. La nuit du décès, les surveillants ont fait deux rondes, mais le hublot de veille étant cassé, et le lit du jeune K.B. masqué par une serviette de toilette, ils n’étaient pas en mesure de le voir. À l’ouverture des portes le matin, en présence du chef d’établissement, les personnels n’ont pas pénétré dans la cellule et ne se sont toujours pas assuré de l’intégrité physique de K.B. C’est le codétenu qui a donné l’alerte à 9 h 30. K.B. est alors trouvé décédé, allongé sur le ventre, son oreiller taché de sang au niveau du nez et de la bouche. Le chef d’établissement et le surveillant principal sont épinglés pour leurs négligences, ainsi que le manque d’organisation et de concertation entre le service médical et l’administration pénitentiaire. L’avis rendu le 17 novembre 2008 sur les circonstances du suicide d’un adolescent de 16 ans à l’établissement pour mineurs (EPM) de Meyzieu (Rhône) pointe lui aussi une succession terrifiante d’erreurs et de dysfonctionnements. Entre son arrivée à l’établissement le 17 décembre 2007 et son décès le 2 février suivant, l’adolescent a en effet subi dix changements d’affectation au sein de l’établissement, « sans qu’aucune cohérence à ces transferts puisse être décelée ». Le 4 janvier, alors qu’il a déjà fait trois tentatives de suicide depuis son arrivée, il est placé dans une unité dite « de confiance », où il n’y a pas d’éducateurs - qui sont d’ailleurs en sous-effectif à l’EPM (24 au lieu des 36 prévus, en décembre 2007). À l’issue de sa quatrième tentative de suicide, le directeur de l’établissement a remis à l’adolescent une note l’invitant fortement à « travailler autour de la question du suicide ». La Commission, prenant acte des « innombrables alertes », déplore le manque de coordination entre les services pénitentiaires et de la protection de la jeunesse, « qui laisse à l’initiative de chacun le soin de veiller à la cohérence des mesures à prendre ». Au final, la Commission « considère que de graves lacunes, notamment dans la coordination par le chef d’établissement du travail des différents intervenants [...] a empêché la prise en compte, en temps réel et de manière efficace, de la souffrance de M. J.K. et des conséquences dramatiques qu’elle devait entraîner ». Venue visiter l’EPM peu après ce suicide, la garde des Sceaux estimait que ce type d’établissement était un « outil tout à fait adapté aux nouvelles formes de délinquance des mineurs ». Voilà qui explique son peu d’empressement à tenir compte des recommandations de la CNDS – et des autres instances – et à les mettre en œuvre. Barbara Liaras
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« Longues peines »
Pour éviter les évasions violentes, rendre l’espoir C’est un « acte de guerre », a déclaré le directeur de l’administration pénitentiaire dans la nuit du 15 au 16 février 2009, quelques heures après l’évasion de Christophe Khider et Omar Top El Hadj de la maison centrale de Moulins-Yzeure (Allier). Si la rhétorique n’est pas inédite – en mars 2003, le garde des Sceaux Dominique Perben avait déjà qualifié d’« opération de type militaire » l’évasion d’Antonio Ferrara – force est de constater qu’elle franchit un cran supplémentaire dans ce registre lexicologique, et inscrit délibérément l’institution dans une logique belliciste. L’évasion et l’hypermédiatisation l’entourant sont appréhendées par les autorités pénitentiaires comme une humiliation suprême. Qui ne suscite pas seulement chez elles posture martiale et enflure verbale, mais leur permet de légitimer un nouveau tour de vis sécuritaire dans l’enceinte carcérale, tel qu’envisager la fouille à corps des familles. Ce sont pourtant la fuite en avant technologique et le durcissement perpétuel des régimes de détention qu’il conviendrait d’interroger. Pour comprendre - comme nous y invite l’historien Jean Bérard, dans une tribune publiée sur le site d’information Médiapart et que nous reproduisons ci-dessous - ce qui pousse ces personnes appelées à être détenues pendant un temps infini à des tentatives qu’elles savent désespérées. Elles n’ignorent pas que, avec cinq évasions recensées en 2008, les prisons françaises satisfont plus que jamais à leur réputation d’être les moins perméables d’Europe. Comme elles sont convaincues que l’évasion est leur seule chance de sortie réelle. Elles n’ont d’autres choix alors que la liberté souvent fugace de l’évadé ou la mort lente du détenu condamné à la perpétuité de fait.
Par Jean Bérard, auteur avec Gilles Chantraine de 80 000 détenus en 2017 ? Réforme et dérive de l’institution pénitentiaire, Éditions Amsterdam avec Vacarme, septembre 2008, 171p., 9 euros. Tribune parue le 20 février 2009 sur le site de Médiapart.
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’administration pénitentiaire, suite à l’évasion de Moulins et après une rencontre avec les syndicats, a annoncé la mise en place d’un groupe de travail sur la gestion des longues peines. Ce travail a déjà été mené il y a quinze ans dans des circonstances très comparables. Missionnées en 1993, à la suite de violentes évasions, tentatives d’évasion et mutineries, notamment dans les maisons centrales de Moulins, Saint-Maur et Clairvaux, l’inspection générale de l’administration et l’inspection générale des services judiciaires avaient en effet réfléchi aux causes de ces événements tragiques. 1 Elles avaient conclu que « le fait que ces détenus n’avaient, compte tenu de la durée de
leur condamnation, ni espoir raisonnable d’être libéré à moyen terme, ni crainte réelle de voir leur peine alourdie, n’est sans doute pas étranger à la violence de leurs tentatives ». Or, constataient-elles, le nombre de détenus condamnés à de telles peines allait croissant et leur gestion était « source de difficultés considérables ». Les rédacteurs formulaient une alternative claire : « Soit trouver les mécanismes correcteurs de l’augmentation du nombre des longues peines et de la durée de celle-ci, soit adapter les établissements à cette donnée nouvelle ».
Une libération toujours plus lointaine La branche de l’alternative qui s’est effectivement réalisée n’est pas mystérieuse. Pour ne prendre l’exemple que de la peine la plus sévère, une enquête publiée en 2005 portant sur 151 personnes initialement condamnées à mort commuées ou à perpétuité et libérées entre 1995-2005 a montré que leur durée moyenne Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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« C’est une garantie fondamentale pour le personnel pénitentiaire que la personne détenue ait un espoir de sortie. » de détention – près de 20 ans – était « supérieure de trois ans à celle observée » lors des précédentes enquêtes. Parmi cette cohorte, « un condamné sur cinq (20,5 %) avait été incarcéré pendant plus de 22 ans », alors qu’auparavant « ces très longues durées de détention étaient rares » (seulement 1,6 % parmi ceux libérés entre 1961 et 1980). De plus, l’examen des dossiers des condamnés à perpétuité dont la peine était en cours d’exécution au 1er mai 2005 (562 personnes) laissait percevoir l’amplification de cette tendance : 23 % d’entre elles étaient en effet condamnées depuis au moins 20 ans, 17 depuis 30 ans ou plus, dont trois depuis 40 ans ou plus. 2 La situation a été aggravée depuis par l’adoption de nouveaux textes allongeant les périodes de sûreté et mettant en place une mesure d’enfermement après la peine, qui rend tout à fait vraisemblable la perspective, pour des personnes aujourd’hui condamnées à de longues peines, de n’être simplement jamais libérées. L’administration pénitentiaire ne s’y est pas trompée.
Une sécurité toujours plus renforcée L’adaptation qu’elle a menée et celle qu’elle projette dans le cadre de la prochaine réforme pénitentiaire consiste à repérer des détenus « dangereux », en particulier par l’incitation à l’échange des informations pénitentiaires, judiciaires et médicales, à les classer, et à (tenter de) les gérer par l’affectation dans des maisons centrales sécuritaires, par le placement à l’isolement, par des transferts. Pour la mise en œuvre complète d’une telle politique, le rapport de 1993 dénonçait « l’entrave des mythes et des symboles » entourant en particulier l’idée des quartiers de haute sécurité (QHS) « dont la charge symbolique est si forte qu’elle paraît paralyser toute réflexion sérieuse sur un traitement différencié des détenus les plus dangereux ». Dans un texte 3 de 2007 visant à préparer la réforme actuellement débattue au Parlement, l’actuelle administration pénitentiaire ne dit pas autre chose : « Les abus constatés dans l’utilisation des Quartiers Haute Sécurité (QHS) ont provoqué non seulement leur suppression, mais aussi la disparition de toutes les mesures officielles de la dangerosité des détenus, à l’exception toutefois de la catégorie très restreinte des Détenus particulièrement surveillés (DPS). Naturellement se sont recréées ipso facto des listes officieuses. » Ce qui va nous être proposé au nom du respect supposé conjoint des droits des détenus et de la sécurité est donc la mise en place de maisons centrales à la sécurité renforcée, et l’établissement, bien officiel cette fois-ci, des listes de personnes destinées à un tel enfermement. Ces prisons ne ressembleront pas exactement aux QHS de sinistre mémoire. Ce qui se déroulait il y a trente ans, dans la très grande violence dont témoignent ceux qui ont fréquenté ces quartiers, trouvera une nouvelle jeunesse par un ensemble de dispositifs visant à tendre vers un isolement absolu. C’est ce qui est bien connu aux Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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États-Unis sous le nom de « supermax ». Il s’agit d’enfermer les personnes vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sans possibilités de contact, sans promenade autre que dans une petite pièce, sans activité, sans travail. Comme l’a expliqué la directrice pour les États-Unis de Human Rights Watch, ces prisons trouvent leur justification dans le fait, dans ce pays, qu’« il n’y a plus de libérations anticipées [...], il y a seulement des régimes de détention de plus en plus sévères ». 4
« Que la personne détenue ait un espoir de sortie » Interrogé sur le lien entre l’évasion de Moulins et la question des longues peines, le directeur de l’administration pénitentiaire a répondu qu’il n’y en avait aucun. Il y a donc fort à craindre que la seconde branche de l’alternative du rapport de 1993 – « trouver les mécanismes correcteurs de l’augmentation du nombre des longues peines et de la durée de celle-ci » – ne soit pas explorée. Elle vaut peut-être d’être rappelée, ne serait-ce que parce que c’est celle que nous indiquent les recommandations 5 du Conseil de l’Europe et de la Commission nationale consultative des droits de l’homme. 6 Ces instances expliquent qu’une autre gestion des personnes condamnées à de longues peines nécessite d’approcher le plus possible leur mode de vie de celui du monde libre, pour préparer leur retour dans la société par le travail, les activités, les relations avec leur famille, les possibilités d’une vie collective. Cela n’est évidemment possible qu’à une condition : que les personnes aient l’espoir, dans un délai qui ne défie pas totalement une anticipation rationnelle, d’une libération. Autrement dit, que la société reconnaisse que sa sécurité n’est pas moins assurée par un système qui ménage la possibilité d’un retour accompagné et encadré à la vie libre, plutôt que par l’allongement sans fin de peines sans contenu ni sens autre que de briser les personnes qui les subissent. Enfin, plus que la fouille des familles ou l’arrivée de chiens renifleurs, c’est la meilleure protection apportée aux surveillants. Comme l’expliquait le rapport de 1993, « c’est une garantie fondamentale pour le personnel pénitentiaire que la personne détenue ait un espoir de sortie ». 1. Direction de l’administration pénitentiaire, « L’emprisonnement prolongé des détenus difficile et dangereux », avril 1993. 2. Annie Kensey, « Durée effective des peines perpétuelles », Cahiers de démographie pénitentiaire, n° 18, novembre 2005. 3. Direction de l’administration pénitentiaire, « Projet de loi pénitentiaire, Enjeux », juillet 2007. 4. Jamie Fellner, « Sécurité maximale, le (contre-) modèle américain, Dedans Dehors, mai-juin 2005. 5. Recommandation concernant la gestion par les administrations pénitentiaires des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée, 2003. 6. Sanctionner dans le respect des droits de l’homme, La Documentation française, 2007.
de facto Déjà deux meurtres dans les prisons depuis le début de l’année
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eux meurtres de détenus sont déjà survenus depuis le début de l’année dans les prisons françaises. Le premier a eu lieu dès le 1er janvier 2009 au quartier maison centrale du centre pénitentiaire du Port (La Réunion). Dans l’après-midi, un jeune détenu réunionnais est tué dans une cour de promenade, durant une bagarre mêlant près d’une quarantaine de personnes. La victime, sérieusement blessée à la carotide par un coup de couteau, est transportée à l’hôpital où elle décède peu de temps après. Les semaines précédentes avaient été marquées par un contexte de violences et une dégradation de la situation dans les prisons françaises, dénoncés par les syndicats de surveillants. Le 24 février 2009, c’est un détenu du quartier maison centrale du centre pénitentiaire de Lannemezan (Hautes-Pyrénées) qui est mort des suites de ses blessures.
La surpopulation, facteur de contamination de l’infection tuberculeuse
5 Une quinzaine de personnes ont été infectées par le bacille tuberculeux, appelé aussi bacille de Koch, à la maison d’arrêt de Villepinte (Seine-Saint-Denis), entre la fin du mois de février et le 7 mars 2009. Et le bilan ne va peut-être pas s’arrêter là car, à la demande du préfet et de l’administration pénitentiaire, une vaste opération de dépistage a été organisée, concernant quelques 1 200 personnes incarcérées ou ayant eu à séjourner dans l’établissement. Le samedi 28 février 2009, l’administration pénitentiaire avait également confirmé qu’un détenu et trois surveillants de la maison d’arrêt de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) avaient été détectés. Le 13 février, Force ouvrière avait déjà alerté sur le cas de six surveillants de la maison d’arrêt de Moulins (Allier), qui avaient contracté la tuber-
L’homme de 44 ans a été tué d’un coup de lame artisanale portée à la gorge lors d’une rixe. Une enquête administrative doit être menée parallèlement à l’enquête judiciaire pour définir les circonstances de ce drame. Face à la succession de meurtres survenus en détention ces dernières années, la Commission des lois du Sénat a tenu, par un amendement au projet de loi pénitentiaire, à rappeler « l’obligation pour l’administration pénitentiaire de garantir la sécurité des personnes détenues à toute heure du jour et de la nuit ». Par ailleurs, si cette disposition est votée, la responsabilité de l’État en cas de décès des suites d’une agression par un codétenu pourra être engagée devant le juge administratif, même en l’absence de faute de l’administration pénitentiaire. (AFP, Clicanoo)
culose, une contamination liée, toujours selon le syndicat, à la mauvaise prise en charge de deux détenus tuberculeux arrivés l’été dernier. Ces nouveaux cas viennent illustrer un phénomène récurrent qui s’amplifie avec la promiscuité induite par la surpopulation qui favorise la transmission et rend plus difficile la prévention. « Un problème général de santé publique qui peut toucher tout le monde, pas uniquement la détention » a tenté de relativiser Rachida Dati, la ministre de la Justice, qui s’est défaussée en annonçant qu’elle allait saisir la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, à ce sujet. Une circulaire émise par la direction de l’administration pénitentiaire datée du 26 juin 2007 rappelle pourtant que si le taux d’incidence de la tuberculose est de 10,2 pour 100 000 habitants en France métropolitaine, elle atteint 72 pour 100 000 en prison, un chiffre « probablement sous-estimé » (les chiffres datant de 2003). Le code de procédure pénale prévoit également un dépistage systématique et obligatoire de la tuberculose dans le cadre du circuit ar-
rivant des détenus, « dans les plus brefs délais » (article D. 384-1). Mais faute de moyens, celui-ci n’est pas toujours immédiat. À Villepinte par exemple, qui compte environ 900 détenus pour 600 places, il faut approximativement 120 jours pour passer une radio pulmonaire, seul moyen de dépister la tuberculose. Et même quand les délais sont moins longs, de nombreux détenus condamnés à de petites peines passent entre les mailles. Impossibilité matérielle d’assurer un dépistage dans les temps du fait de la surpopulation, manque de moyens et de formation, promiscuité en cellule favorisant la contamination, etc., les orientations de politique pénale et pénitentiaire influent bien, en la rendant particulièrement difficile, sur la prévention des maladies infectieuses, quoiqu’en dise la garde des Sceaux. Et puisque d’évidence, il s’agit d’une question de « santé publique », il est urgent que le ministère concerné prenne à la fois toute sa responsabilité et sa place. Pour régler le « problème ». (OIP, AFP) Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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Réforme de la justice des mineurs : le mystère reste entier
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L’idée d’incarcérer les enfants dès l’âge de 12 ans a été abandonnée. C’est ce qu’a annoncé la garde des Sceaux le 16 mars, lors de l’ouverture d’un centre éducatif fermé, occasion qu’elle a saisie pour présenter très succinctement son projet de réforme du droit pénal des mineurs. Son discours faisait suite aux propositions émises le 3 décembre dernier par la « Commission Varinard » visant une énième réforme de l’ordonnance de 1945
sur la justice des mineurs. Contrairement à ce qu’avait préconisé cette dernière, les enfants continueront d’être incarcérés à partir de 13 ans. C’est là l’annonce centrale de la Chancellerie. Pour le reste, ainsi que l’écrit le juge pour enfants Jean-Pierre Rosenczveig sur son blog, « on attendait pour mars un projet de loi sur le droit pénal des mineurs, on a un discours ». À l’instar de ce dernier, l’Association française des magistrats de la jeunesse (AFMJ) et le syndicat d’éducateurs SNPES-PJJ constatent que rien n’a été précisé tant sur le contenu de la réforme que sur le calendrier prévu. L’existence voulue d’un « code de la justice pénale des mineurs » est confirmée. Or, comme
le constate la Défenseure des enfants, Dominique Versini, « en proposant de créer un “Code de la justice pénale des mineurs” la commission Varinard réduit clairement la perception et le traitement des mineurs au champ de la délinquance et minore la place de l’éducatif pour favoriser la réintégration des enfants délinquants dans la société ». Dans la même optique, les « mesures éducatives » seront supprimées au profit des seules « sanctions éducatives » et « peines », au nom de la clarification des mesures applicables aux mineurs. Et qu’importe si les « santions éducatives » ont été introduites il y a seulement sept ans par une loi votée par la même majorité. De
Les culs-de-basse-fosse disciplinaires de SaintQuentin-Fallavier
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es conditions dans lesquelles s’effectuent certains « séjours » au sein du quartier disciplinaire (QD) du centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier (Isère) sont pour le moins sordides et dégradantes. Un détenu a ainsi été laissé plusieurs semaines dans une cellule précédemment sinistrée par un incendie. Placé préventivement au QD le 8 janvier 2009, avant d’être condamné quatre jours plus tard à la durée maximale de 45 jours, il se trouvait toujours dans cette cellule calcinée le 26 janvier, date à laquelle la sénatrice de l’Isère, Annie David, s’est rendue dans l’établissement. Dans son compte-rendu de visite du 29 janvier, elle a décrit la pièce comme étant dans un « état très délabré » et a déclaré s’être trouvée « à la limite de la suffocation » en raison de l’« odeur très forte » qui subsistait. D’après l’hôpital de rattachement, le service médical aurait, dès les premiers jours, demandé un changement de cellule. Mais celui-ci n’a pas été réalisé, faute de places libres dans les autres cellules disciplinaires de l’établissement. Un second détenu a quant à lui été maintenu plus d’un mois dans une cellule disciplinaire glaciale, dont la fenêtre ne fermait pas. Il y a été placé le 20 octobre 2008, pour purger une sanction de 45 jours également. Malgré le froid et ses plaintes répétées à ce sujet, l’homme n’en est ressorti que le 25 novembre, le jour où son avocat a
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déposé une requête devant le tribunal administratif pour que soit désigné en urgence un huissier afin de constater les conditions de détention imposées à son client. L’expert s’est rendu dans l’établissement le 2 décembre et a constaté qu’effectivement, la fenêtre en plexiglas « ne [fermait] pas sur environ 15 cm, dans sa partie basse » et que la température variait « de 15 à 18 degrés » au cours de l’après-midi. On n’ose imaginer à combien elle descendait la nuit… D’autant que, pendant ce mois de novembre, Météo France a prévu à plusieurs reprises des températures en dessous de 0 °C dans la région. L’unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA), contactée le 20 novembre par l’OIP, avait pourtant affirmé que la fenêtre pouvait être close, que le détenu avait seulement « du mal à la fermer » et que des effets lui avaient été fournis pour qu’il ait chaud. La direction de l’établissement n’avait pour sa part pas répondu à l’OIP. Sollicitée une nouvelle fois concernant la cellule calcinée, elle a assuré le 3 février que « le problème n’existe pas et n’a jamais existé », avant toutefois d’indiquer que la pièce « a été repeinte récemment ». Puis de se murer à nouveau dans le silence lorsqu’il lui a été demandé s’il était habituel de maintenir en service une cellule endommagée dans l’attente de sa réfection. (OIP)
de facto
de facto même, dans un contexte où le nombre de places de prison pour mineurs augmente singulièrement et où les deux tiers des mineurs qui sont incarcérés sont en détention provisoire, il est fait abstraction de toute réflexion sur la place et le rôle de la prison dans l’arsenal pénal des mineurs. On n’entrevoit pas non plus une définition claire des régimes de détention applicables aux mineurs, absente du projet de loi pénitentiaire. La Convention internationale relative aux droits de l’enfant exige pourtant que « tout enfant soit traité [...] d’une manière tenant compte des besoins d’une personne de son âge ». Le Conseil d’État avait d’ailleurs sévèrement rappelé à l’ordre la Chancellerie en la matière, en annulant partiellement, le 31 octobre dernier, un décret prévoyant un régime d’isolement similaire pour les mineurs et les majeurs. La ministre fait fi de ces appels, et pour cause : dans un document diffusé à l’occasion de son discours et intitulé « Justice des mineurs, ce qui a changé », les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) sont classés parmi les « structures d’accueil » aux côtés des structures d’hébergement. Nul doute qu’un des tournants majeurs du discours politique sur la justice des mineurs consiste à banaliser l’incarcération des enfants. Pour l’instant, les juges des enfants résistent à cette tentation. Mais vu les moyens supplémentaires alloués à la prison au détriment des structures éducatives, on peut légitimement s’interroger : jusqu’à quand ? (OIP, Libération, AFP, SNPES-PJJ, http://jprosen.blog.lemonde.fr)
La grogne des personnels s’étend
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Rachida Dati pensait avoir endormi la grogne syndicale. Il n’en est rien. Pire, elle s’étend désormais non seulement aux personnels de surveillance, mais également aux directeurs de prison. Concernant les premiers, malgré la tenue de groupes de travail promis par la garde des Sceaux le 22 octobre 2008, après plusieurs semaines de bras de fer, le mécontentement semble toujours aussi fort au sein de l’unité syndicale formée en septembre et réunissant les trois principales organisations de personnels (UFAP, FO et CGT). En atteste un commu-
niqué du 26 février 2009, faisant suite à un rendez-vous avec leur ministre de tutelle où elle devait, « suite aux réflexions menées », annoncer « des propositions visant à améliorer les conditions d’exercice des personnels de surveillance ». Les syndicats y expriment leur déception sur la faiblesse de la portée des mesures annoncées, qui « restent en deçà des attentes légitimes des personnels », telles la « coquille vide » du bureau d’action sociale ou le fait « qu’aucun acte fort, notamment en termes d’emplois, n’ait été posé immédiatement ». Faute d’obtenir satisfaction, l’unité syndicale menace à nouveau d’appeler « les personnels à passer à l’action ». Un ultimatum similaire a été émis par le principal syndicat des directeurs de prison. Jusqu’à présent, même sous couvert d’un mandat syndical, ces derniers s’étaient pourtant toujours montrés soucieux de leur devoir de réserve et de ne pas dénigrer leur institution. Réunis du 24 au 27 novembre 2009, le bureau national de FO direction a cependant décidé que la modération, « ça suffit », et qu’il devait désormais entrer « dans l’offensive ». Les raisons de la colère sont précisées dans un communiqué du 27 novembre. En premier lieu, la « forte dégradation des conditions de détention », qui se traduit par une « surpopulation toujours à des niveaux historiques », « une multiplication des violences », « la diminution de l’offre en matière de travail pénitentiaire, le manque de formations professionnelles et d’activités […], les difficultés inhérentes à la prise en charge sanitaire des personnes détenues », notamment celles souffrant de troubles mentaux, etc. Face à la « recrudescence » des incarcérations et l’empilement des « textes répressifs », Bernard Lévy, directeur de la maison d’arrêt d’Aix-en-Provence (Bouches-duRhône) est explicite : « N’incarcérons pas n’importe comment ! ». « Quel peut être le sens de la peine dans de telles conditions ?, s’est également insurgé Éric Moretti, directeur adjoint du centre pénitentiaire d’Aiton (Savoie), avant de répondre lui-même : “C’est une mise à l’écart. Point barre !”». La seconde critique formulée par le syndicat porte sur l’instauration d’une « “pénitentiaire à plusieurs vitesses” où seuls les établissements choisis pour faire l’objet d’une “labellisation” [dans le cadre de l’expé-
rimentation des Règles pénitentiaires européennes] bénéficient d’un renforcement de leurs moyens humains et financiers ». Autre point noir dénoncé par les directeurs : « l’important fossé entre leurs réalités quotidiennes et les préoccupations uniquement événementielles de leur autorité de tutelle ». « La gestion par la ministre de la Justice des événements récents » (le meurtre d’un codétenu à Rouen et l’augmentation des suicides) « a fini de rompre la confiance des directeurs envers leur hiérarchie ». Dans une lettre ouverte rendue publique quelques jours plus tard, le 4 décembre 2008, le syndicat a d’ailleurs ironiquement interpellé Rachida Dati, lui expliquant que « les directeurs de prisons, soucieux de satisfaire [ses] exigences, sont particulièrement inquiets de ne pas avoir reçu de nouvelles consignes “d’urgence” de [sa] part depuis au moins une quinzaine de jours ». La première initiative « offensive » prise a été d’ouvrir leur réunion à la presse et à d’autres organisations professionnelles. La seconde est, pour le moment, un simple avertissement : si aucune mesure n’est prise, le syndicat appellera « les directeurs à adopter une attitude de défiance à l’égard de leur hiérarchie », puis explorera « toutes les pistes […] pour faire entendre [son] mécontentement ». (OIP, Le Monde, Charlie Hebdo)
Fleury-Mérogis : ça gratte au D4
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Depuis des mois, les détenus du bâtiment D4 de la maison d’arrêt de FleuryMérogis (Essonne) ont à souffrir, outre de la promiscuité, de piqûres et de démangeaisons provoquées par la présence de parasites. Des puces ou des punaises de lits, selon la société de désinfection dont les interventions depuis cet été ont été inefficaces. En effet, d’après un courrier du 28 janvier 2009 de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) de l’Essonne, « la prolifération de ces insectes perdure », d’une part parce que « le produit utilisé par la société ne détruit pas les œufs de ces insectes qui éclosent avec un effet retard », d’autre part parce que « le produit utilisé pour être pulvérisé est moins concentré que celui qui serait utilisé dans Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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un espace non occupé par une personne pour des raisons de nocivité ». Le seul moyen d’y mettre fin serait « selon les recommandations de la société, [de] vider un secteur de détention de manière absolue pendant une période de 24 ou 48 heures afin que le produit puisse agir efficacement », mais également de démonter « l’ensemble des mobiliers de chaque cellule pour traiter les interstices pouvant contenir des œufs ». Une solution qui embarrasse visiblement la direction de l’établissement. Au lieu de suivre les recommandations de la société, et se mettre ainsi en conformité avec l’article D.349 du code de procédure pénale qui
prévoit que « l’incarcération doit être subie dans des conditions satisfaisantes d’hygiène et de salubrité », le directeur de la maison d’arrêt a précisé à la DDASS qu’il envisageait plutôt de changer de prestataire de services « compte tenu de l’absence de résultat probant de leurs interventions ». (OIP)
Bilan mitigé pour les peines minimales
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Après plus d’un an d’application, quel bilan peut-on tirer des peines dites « plan-
chers » ? C’est ce qu’ont voulu savoir deux députés, l’un de la majorité, Guy Geoffroy (UMP), l’autre de l’opposition, Christophe Caresche (PS). Et le moins que l’on puisse dire, c’est que leur bilan est mitigé. D’après leur rapport, au er 1 décembre 2008, 18 358 jugements de tribunaux correctionnels ont porté sur des cas de récidive légale et ont donné lieu à 9 001 condamnations à une peine plancher prévue par la loi du 10 août 2007 « renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs ». Dans 51 % des cas, les magistrats décident donc de passer outre. Et même dans les cas où ils l’appliquent, ils l’assortissent
Valenciennes : sept détenus portent plainte pour violences
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a démarche est pour le moins exceptionnelle. Ce ne sont pas de moins de sept personnes détenues à la maison d’arrêt de Valenciennes (Nord) qui ont déposé une plainte contre X, en date du 10 mars 2009, pour traitements inhumains ou dégradants, violences par personne dépositaire de l’autorité publique et menaces. Coordonnée par l’avocat Jean-Philippe Broyart, l’initiative est singulière. D’abord, parce qu’elle est le résultat d’une investigation de près d’un an, pendant lequel il a accumulé peu à peu des témoignages concordants. Selon Me Broyart, des détenus auraient notamment « été battus violemment, laissés nus dans des cellules du quartier disciplinaire ou auraient subi des menaces de toutes sortes ». Ensuite, parce que l’avocat a appuyé cette plainte sur plusieurs cas « pour rendre crédible la parole des détenus et éviter le classement sans suite », car « plusieurs plaintes [individuelles] pour des faits similaires dans la maison d’arrêt de Valenciennes [avaient] déjà été classées ». Les faits révélés par Me Broyart sont confortés par d’autres « témoignages écrits et oraux de détenus concernés par les violences de la part de personnels pénitentiaires » recueillis par un visiteur de prison, Claude Veyer, qui se rend toutes les deux semaines, voire toutes les semaines, à la maison d’arrêt. « En apportant ces témoignages à la plainte déposée par Me Broyart, je prends le risque de perdre mon habilitation […]. Mais je ne peux prendre le risque de laisser faire ces pratiques si elles existent véritablement », conclut-il. L’écho médiatique rencontré par cette initiative a provoqué une réaction instantanée des autorités pénitentiaires. D’autant que, selon Me Broyart, Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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« deux ou trois noms » de surveillants reviennent régulièrement dans les témoignages recueillis. « Dès que nous avons eu accès à cette plainte, nous avons réagi immédiatement en diligentant une enquête interne », a déclaré à l’AFP Hélène Liban, secrétaire générale à la direction interrégionale de Lille, ajoutant qu’« il en va de la crédibilité de l’administration pénitentiaire : pas question de ne pas jouer la transparence, que les faits soient avérés ou non ». Me Broyart envisage de déposer prochainement plusieurs autres plaintes, demandant auprès du parquet général à ce que soit désigné un juge d’instruction. À l’heure actuelle, seul le commissariat de Valenciennes a été saisi de l’enquête. À l’aune de la gravité des faits allégués, l’ouverture d’une information judiciaire s’impose, tant est indispensable un examen approfondi et contradictoire. Il en va de la crédibilité de l’enquête. Quant à la certitude que des actes et dysfonctionnements de ce type, s’ils étaient avérés, fassent l’objet du traitement judiciaire qu’ils supposent, nul n’en doutera. Comme nul ne doute de la capacité de l’administration pénitentiaire de redorer le blason de la maison d’arrêt de Valenciennes grâce à l’organisation par l’établissement d’un tour de France pénitentiaire cycliste qui, démarrant le 4 juin pour un parcours des 2 030 km, mobilisera huit de ses détenus. Et si cela ne suffit pas, gageons que le nouveau directeur, Philippe Lamotte, mettra les bouchées doubles pour atteindre son objectif de « mettre en place les règles pénitentiaires européennes », lui qui estimait à son arrivée que l’établissement avait « tout pour réussir la labellisation » dès 2010. (OIP, AFP, La Voix du Nord, Nouvel Observateur)
de facto
de facto dans la majorité de leur décision (56,4 %) d’une partie avec sursis. Ce dont on peut se réjouir. Sauf que « la ventilation de la part des condamnations dans lesquelles a été prononcée une peine minimale en fonction de la peine encourue est édifiante », expliquent les deux députés. En effet, « cette part est d’autant plus importante que la peine encourue est faible » et « les infractions donnant lieu au prononcé d’une peine minimale sont principalement les vols et atteintes aux biens ». Ainsi, alors que « le dispositif […] avait été conçu pour lutter contre la récidive d’actes graves, notablement de violences faites aux personnes », « on constate qu’il concerne principalement les “petites” infractions et qu’il n’est pas ciblé sur les actes les plus insupportables pour la société ». L’influence de la loi sur la récidive et sur la population carcérale n’a quant à elle pas pu être évaluée, car « il est encore trop tôt ». Le rapport cite seulement une « étude lancée dernièrement sur les condamnations définitives inscrites au casier judiciaire national », comparant les données des quatrièmes trimestres 2006 et 2007. Selon ces premiers résultats, les condamnations en récidive auraient diminué de 2,75 %, tandis que la population carcérale aurait enflé de 2,5 % du fait de la loi, en raison de l’augmentation du « quantum moyen de la partie ferme de 6,1 mois en 2006 à 10,1 mois en 2007 ». Sur les autres volets de la loi (suppression de l’excuse de minorité, incitation à se soigner en détention sous peine de retrait de réductions de peine, généralisation de l’injonction de soins, etc.), les rapporteurs indiquent qu’il n’est pas non plus possible d’en dresser un bilan, faute d’éléments, ce qu’ils « déplorent ». Ils notent toutefois que le nombre de médecins coordinateurs est passé de 147 à 211, « bien loin donc des 450 annoncés lors du vote de la loi ». Ce bilan plus que mitigé n’a cependant guère fait douter Rachida Dati sur l’opportunité de son dispositif. Selon le Syndicat de la magistrature, par une « circulaire annuelle de politique pénale pour 2009 », elle a au contraire mis au pilori les tribunaux qui n’en prononcent pas assez et les parquets ne faisant pas suffisamment appel en cas de non application de « sa » loi. Histoire de faire remonter les statistiques. (OIP)
Les dépôts des palais de justice franciliens dénoncés
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L’état de certains « dépôts », ces locaux où sont placées les personnes en attente de comparution dans l’enceinte des tribunaux, est dénoncé depuis des années. Deux viennent d’être de nouveau placés sous les feux de l’actualité. Le dépôt du palais de justice de Paris a ainsi été visité durant le procès de l’évasion d’Antonio Ferrara, à l’initiative des prévenus et de leurs avocats. Selon l’un de ces derniers, Me Éric Plouvier, le lieu, où les accusés passent plusieurs heures dans la journée, est « d’une puanteur extrême » et « il n’y a pas de lumière naturelle ». Son confrère, Me Fabrice Orlandi, le compare à « un chenil », affirmant que « c’est absolument immonde ». Aussi ont-ils demandé à la Cour de se déplacer jusqu’à la « souricière », comme on surnomme le dépôt, pour que magistrats et jurés puissent voir par eux-mêmes cet environnement « inqualifiable ». Ce qui s’est fait dans la nuit du 20 au 21 novembre 2008. Quelques jours plus tôt, six magistrats avaient rendu public un rapport réalisé suite à leur visite du dépôt du tribunal de Créteil (Val-deMarne), le 27 octobre 2008. Les constats sont là encore affligeants. Le dépôt possède en effet 28 cellules, dont seulement 15 étaient utilisables le jour de la visite. D’une surface « comprise entre 7 et 8,5 mètres carrés », elles ne sont censées accueillir que deux personnes la journée et une seule la nuit. Certains jours cependant, jusqu’à cinq prévenus peuvent y être placés. « Les policiers, indiquent les magistrats, font état d’un chiffre record, l’année dernière, de 57 personnes retenues dans une journée ». Les cellules sont en outre « toutes dégradées, sombres, marquées par l’usure et constellées par des inscriptions ». Elles ne contiennent par ailleurs « aucun dispositif de séparation des toilettes ». Faute d’aération suffisante, « l’air est confiné, et charrie des odeurs nauséabondes ». Dans une cellule, occupée, les WC sont même « cassés et […] ne fonctionnent plus : des excréments jonchent la faïence des WC ». Une situation qui, de l’aveu du chef du dépôt, « provoque d’importantes tensions et l’énervement des personnes
prévenues ». C’est pourtant placées dans cette situation indécente que, au cours du mois précédant la visite, en septembre, ont comparu pas moins de 716 personnes. Ayant pris connaissance de ce rapport d’inspection, plusieurs avocats ont immédiatement demandé l’annulation des comparutions immédiates de leurs clients qui avaient passé la nuit au dépôt, pour non-respect de l’article 803-3 du Code de procédure pénale, qui prévoit que les prévenus peuvent comparaître le lendemain de la fin de leur garde à vue, après avoir été retenus « dans des locaux de la juridiction spécialement aménagés ». Plusieurs procédures ont effectivement été annulées, totalement ou partiellement (dans ce cas, les prévenus ont été reconvoqués pour être jugés). Une décision similaire avait déjà été rendue en juin 2008. Pour la première fois, des juges d’Évry (Essonne) avaient décidé, en raison de l’état des geôles de leur tribunal, de la remise en liberté d’une jeune femme. L’avocat de cette dernière, Laurent Caruso, leur avait demandé de « casser » la procédure, en raison de ces « conditions de détention […] inhumaines, indignes d’un pays comme le nôtre » et surtout contraires à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui proscrit les traitements inhumains ou dégradants. (OIP, AFP, Le Parisien)
La grâce républicaine remplacée par le cadeau du prince
5 Des remises de peine en guise de cadeau de Noël ! C’est ce qu’ont obtenu 27 détenus triés sur le volet par l’Élysée. Hostile au système des grâces collectives octroyées traditionnellement chaque année pour le 14 juillet, mais abolies de fait depuis son élection, puis définitivement supprimées le 23 juillet 2008 par la réforme constitutionnelle, le Président de la République, Nicolas Sarkozy, a en effet remis au goût du jour les grâces individuelles attribuées en fonction du mérite. Fin novembre 2008, il a pour ce faire demandé à Rachida Dati d’établir une liste d’une quarantaine de prisonniers susceptibles de bénéficier d’une telle mesure en raison de « leur comporteDedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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ment particulièrement digne d’intérêt ». Parmi les critères, Nicolas Sarkozy évoque « une détermination hors du commun à suivre une formation professionnelle, à rechercher un emploi ou à suivre des soins », « la preuve d’un courage ou d’une solidarité exemplaire » ou un effort pour « indemniser significativement leurs victimes ». En étaient bien sûr exclus, vu l’auteur de la commande, les auteurs de crimes ou délits de nature sexuelle ou de violences graves, ainsi que les récidivistes. Cette annonce a suscité rapidement une polémique car elle est apparue surtout comme un moyen de permettre à son ami Jean-Charles Marchiani, ancien préfet du Var et incarcéré depuis le 26 mai 2008, d’être libéré de façon
anticipée, et sans faire trop de vague. Le directeur de l’administration pénitentiaire, Claude d’Harcourt, s’est donc vu contraint de demander à l’ensemble des directeurs interrégionaux d’identifier les prisonniers considérés comme potentiellement méritants d’un tel geste de clémence présidentielle. Les critères étant tellement restrictifs, seuls 27 détenus ont pu être dénichés. Vingt-deux ont bénéficié par décret du 23 décembre 2008 d’une grâce partielle, parmi lesquels, sans surprise, Jean-Charles Marchiani, et cinq autres d’une grâce totale qui leur a permis de bénéficier d’une sortie immédiate. Sur le terrain, on reste perplexe sur l’opportunité d’une mesure dont la justification n’apparaît pas clairement
et dont les critères arbitraires semblent plus relever du fait du prince que d’une appréciation objective. La sélection de ces détenus méritants s’est en effet faite « de façon très officieuse », ont regretté plusieurs syndicats de surveillants et de directeurs de prison. Le système semble pourtant avoir vocation à être pérennisé, comme l’a annoncé le directeur de l’administration pénitentiaire dans un message adressé le 6 février dernier à l’ensemble des directeurs interrégionaux, et appelant les directeurs d’établissements pénitentiaires à recenser les détenus « particulièrement méritants ». La liste devra désormais parvenir tous les premiers du mois à l’Élysée. (AFP, Le Monde, Le Point)
Moins de prison ! Multiples incarcérations d’un jeune homme en dépit d’un lourd handicap mental En dépit d’un lourd handicap mental engendré par une anomalie chromosomique congénitale, S.B., un jeune homme de 22 ans, a fait l’objet en janvier 2009 d’une condamnation à un an d’emprisonnement ferme, pour avoir agressé un passant dans la rue et volé un téléphone portable. Depuis décembre 2007, c’est sa quatrième condamnation à une peine de prison ferme pour de petits délits (dégradation d’abribus, feu de poubelles, menus vols, etc.). Soit autant d’incarcérations qui se révèlent très déstructurantes. Il a d’ailleurs tenté à plusieurs reprises de se suicider durant ces périodes de détention et a également fait l’objet d’une hospitalisation d’office. Les juges ont pourtant de nouveau estimé que sa place était en prison, s’appuyant sur les expertises médicales réalisées. À en croire ces dernières en effet, S.B. est un « sujet fruste, déficient mental » et qui a « un fonctionnement pathologique de la personnalité », mais dont le trouble psychique aurait seulement, au moment des faits, « altéré son discernement ou le contrôle de ses actes », et non pas aboli. Selon ces mêmes expertises toutefois, il « ne semblerait que partiellement accessible à une sanction pénale » et nécessitait « des soins en milieu hospitalier psychiatrique, soins vis-à-vis desquels il ne [pouvait] consentir » ou, à défaut, « une prise en charge psychiatrique ambulatoire » et « un traitement psychotrope adapté ainsi qu’un accompagnement socio-éducatif cadrant ». C’est cependant à la maison d’arrêt de Loos (Nord) que S.B. s’est retrouvé. Et les incidents n’ont guère
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tardé à se produire. Le 17 février 2009, alors qu’il était agité, une altercation a eu lieu avec un personnel de surveillance. S.B. a immédiatement été placé au quartier disciplinaire. C’est là qu’il a été victime d’un grave malaise cardiaque, dont la raison demeure à ce jour inconnue. Le service médical indique en effet ne pas savoir « précisément ce qui s’est passé au quartier disciplinaire ». D’après lui, « il n’y a pas pour l’instant de notion de violence », ni « relation de cause à effet entre le placement au quartier disciplinaire et le malaise du jeune homme ». Selon la famille, S.B. n’a pas d’antécédents médicaux pour ce type de problème. Plus de trois semaines après le malaise, son état de santé inspire encore aux médecins les plus grandes réserves. Un certificat médical en date du 3 mars 2009 indique qu’il est « actuellement trop tôt pour préjuger de l’évolution ultérieure ou du risque de séquelles fonctionnelles et neurocognitives éventuelles, possiblement invalidantes ». Il précise cependant que S.B. « présente une lourde pathologie chronique, durablement incompatible avec son maintien en détention, et pouvant engager le pronostic vital en raison des graves complications que son état clinique actuel pourrait engendrer. Monsieur B. est actuellement en phase de réveil lent d’un coma et nécessite des soins de nursing, des traitements et une surveillance permanente ». En plus de l’anomalie dont il souffre, il risque de conserver désormais de graves séquelles neurologiques. Une demande de suspension médicale de peine a été déposée. (OIP)
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dossier
Le législateur face à la loi pénitentiaire :
l’humiliation pour de la République
Adopté début mars au Sénat, le projet de loi pénitentiaire devrait achever son parcours parlementaire en mai à l’Assemblée nationale. Sans engager la révolution culturelle et juridique qui aurait permis d’espérer une évolution en profondeur de la condition pénitentiaire. Ainsi, près de dix ans après ses commissions d’enquête, le Parlement se déjuge en refusant de transformer l’institution carcérale en un service public régi par l’État de droit et satisfaisant à l’exigence d’une approche de la personne détenue reconnue comme sujet de droit. Pire, le législateur se dérobe face à sa responsabilité en entérinant une réforme conçue par et pour l’administration pénitentiaire, qui consacre une différenciation des régimes de détention et des droits des détenus dont l’effet principal est d’élargir son pouvoir discrétionnaire. Ce faisant, il sonne le glas de l’émergence d’une prison républicaine.
dossier l’administration pénitentiaire semble en passe de réussir l’incroyable tour de force d’imposer « sa » réforme de la prison, à l’aune de ses propres critères, contraintes et objectifs
«N
ous avons plusieurs motifs de fierté, pourquoi ne pas le dire. » L’euphorie de l’administration pénitentiaire est manifeste. Ostentatoire même. Au point que son directeur a immédiatement tenu à faire connaître sa satisfaction aux cadres de l’institution 1. Il est vrai que les débats sénatoriaux n’ont guère transformé la nature et la teneur du projet de loi adopté en conseil des ministres le 28 juillet 2008, un texte élaboré par ses services. Ni la centaine de modifications acceptée par la Commission des lois du Sénat lors de ses réunions des 17 décembre 2008 et 5 février 2009, ni la quarantaine d’amendements votée pendant les débats, du 3 au 6 mars 2009, n’ont bouleversé l’équilibre global de la réforme promue par le préfet Claude d’Harcourt. Le simulacre de bras de fer entre l’administration pénitentiaire et le sénateur désigné rapporteur du projet de loi, Jean-René Lecerf, est apparu au grand jour dès lors que la réécriture du texte à laquelle il s’est astreint n’a pas suscité l’ire de la Chancellerie. Loin du déluge d’amendements gouvernementaux que n’aurait pas manqué de susciter sa contestation de la lettre et de l’esprit de la réforme, seuls huit avenants ont été déposés sur le bureau du Palais du Luxembourg. Dont la moitié sera finalement retirée au fil de la discussion. On a connu guerre de tranchée législative plus acharnée. Preuve s’il en est que la bataille n’a pas eu lieu. Un comble, pour qui garde en mémoire ce qui devait constituer l’objet social du « grand rendez-vous de la France avec ses prisons » 2, à savoir l’aptitude de la future loi pénitentiaire à satisfaire à l’exigence d’une approche de la personne détenue enfin reconnue comme sujet de droit dans un univers désormais régi par l’État de droit. Mais aussi, plus pragmatiquement, sa capacité à apporter une solution immédiate et durable à la situation désastreuse des conditions de vie et de travail dans les prisons françaises. Difficile, dès lors, de rester de marbre face à l’auto satisfecit d’un Jean-René Lecerf assénant que les travaux du Sénat ont débouché sur un « texte de rupture » 3. De fait, celui-là même qui avait déploré un projet de loi gouvernemental « resté au milieu du gué » 4 s’est refusé à endosser la responsabilité qui lui était pourtant dévolue, celle d’incarner un législateur franchissant le Rubicon. Autrement dit, un législateur assumant de jouer pleinement le rôle que lui confère la constitution et définissant tant le droit de la prison que les Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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éventuelles restrictions apportées aux droits des prisonniers. Ce à quoi l’invitaient précisément et explicitement, à presque dix ans d’intervalle, (…) les conclusions de la commission constituée en juillet 1999 autour de l’ancien Premier président de la cour de cassation, Guy Canivet, tout comme l’intervention publique du Conseil d’État en décembre 2008. Robert Badinter avait prédit, à juste raison, que « la fenêtre de réforme » se refermerait très vite au lendemain de la publication conjointe des rapports des commissions d’enquête parlementaire en 2000. Il est à craindre que, sitôt le projet de loi examiné au pas cadencé de l’Assemblée nationale, la porte des prisons claque brutalement. Renvoyant aux calendes grecques la révolution culturelle et juridique qu’imposait l’évolution en profondeur de la condition pénitentiaire.
le législateur face à la loi pénitentiaire
L’incroyable tour de force de l’administration pénitentiaire La crise du système carcéral français a été maintes fois analysée, décrite sous ses multiples aspects et ses causes profondes sont identifiées de longue date. Pour autant, les réformes incontournables qu’appelait la situation désastreuse des conditions de vie et de travail derrière les barreaux ont sans cesse été ajournées de l’agenda politique. Pire, sous la pression insupportable de l’augmentation de la population détenue et de l’allongement de la durée des peines encourues, prononcées et effectuées,
Or, il faut bien l’admettre, l’administration pénitentiaire semble en passe de réussir l’incroyable tour de force d’imposer « sa » réforme de la prison, à l’aune de ses propres critères, contraintes et objectifs. Et du même coup, de parvenir à s’affranchir de l’obligation de mettre en œuvre les préconisations récurrentes et convergentes des instances nationales ou internationales de protection des droits de l’homme.
Des enjeux éludés La prison jouit d’un droit d’exception depuis plus de deux siècles. Le texte adopté par le Sénat le conforte. Les impératifs liés au respect de l’État de droit et des droits de l’homme appelaient à mettre un terme à cette exonération du droit commun, synonyme d’un renoncement manifeste, si ce n’est volontaire, aux valeurs qui fondent notre société. Bien au-delà de la satisfaction apparente d’exigences juridiques formelles, il s’agissait d’instaurer un cadre normatif de nature à apaiser les rapports interindividuels se nouant au sein des lieux de détention et à limiter la violence institutionnelle que provoque immanquablement la mise en œuvre d’un pouvoir de contrainte s’exerçant quotidiennement à l’abri du regard extérieur. Pour y parvenir, le texte devait répondre à une série d’exigences qui ont été très clairement énoncées depuis près d’une décennie en même temps que s’est imposée la nécessité impérieuse d’une intervention de la représentation nationale pour fixer les règles régissant la vie de nos concitoyens incarcérés. Résultat d’un travail d’analyse et de mise en perspective de la situation carcérale d’une qualité exceptionnelle, les rapports respectifs de 5 6 Guy Canivet et des commissions d’enquête parlementaires , ont parfaitement mis en évidence, en 2000, les carences du droit de la prison auxquelles le législateur se devait de remédier, comme ils ont dégagé dès cette date et très clairement les principes qui devaient le guider dans l’élaboration du contenu de la réforme.
© Aubert
la dégradation de la condition pénitentiaire n’a eu de cesse de s’amplifier. La nécessité de tourner le dos à une situation inacceptable, quoique contestée par le ministère de la Justice – la garde des Sceaux a honteusement relativisé cet état de fait en concédant le 3 mars dernier que « les prisons françaises n’ont pas toujours été à l’honneur de la France » – et empêchée par une administration pénitentiaire pourtant frappée d’un fort discrédit, s’imposait au législateur. Si personne ne s’illusionnait sur la capacité du Parlement à remédier, au travers de la seule loi pénitentiaire, à l’ensemble des maux dont souffre l’institution et qui relèvent pour une large part de l’orientation résolument sécuritaire donnée à la politique pénale, il était attendu d’une réforme des prisons digne de ce nom qu’elle réintègre le service public pénitentiaire dans la continuité de l’espace public démocratique.
Or, les améliorations que les sénateurs se sont efforcés d’apporter ne permettent pas, loin s’en faut, de combler les béances d’un texte conçu par, et pour l’administration pénitentiaire ; et pas davantage de remédier aux graves régressions qu’il comporte du point de vue de l’exercice effectif des droits fondamentaux en prison (lire « la commission sénatoriale déçue, mais résignée », p. 45-50).
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dossier « Il ne faut pas laisser l’administration pénitentiaire régir seule de telles atteintes à la liberté » (Rapport de la Commission d’enquête de l’Assemblée Nationale en 2000) Pourtant, le Parlement ne doit plus se désintéresser du champ pénitentiaire au point de laisser toute liberté à l’administration gestionnaire pour édicter le droit qui la régit. Il lui revient de tirer toutes les conséquences de l’idée développée par la commission Canivet, et qui s’est aujourd’hui imposée, selon laquelle « pour avoir perdu sa liberté d’aller et de venir, la personne détenue n’en conserve pas moins toutes ses autres libertés. L’État de droit, que la hiérarchie des normes assure sur le fondement de la Constitution, conserve le même contenu et la même force dans le milieu carcéral que dans la société libre, sans pouvoir être amoindri ou dissocié. Les droits et garanties du détenu, autres que sa liberté d’aller et de venir, ne peuvent donc recevoir de 7 limitations que de la loi » . Ainsi, à l’instar de ce que soulignait la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale, « le foisonnement des normes applicables en prison serait acceptable s’il pouvait exister entre elles une véritable hiérarchie. Il s’avère au contraire qu’un nombre très important de contraintes, touchant à des libertés aussi essentielles que le droit à la vie privée ou le droit d’expression, sont régies par des dispositions réglementaires ou par la voie de circulaires. Il en est ainsi par exemple (…) de la mise en œuvre du droit de la défense dans les sanctions disciplinaires. Il est pourtant absolument indispensable de recourir à une loi pénitentiaire pour régir des questions aussi essentielles que celles-ci. Deux raisons à cela : on ne peut imaginer qu’il y ait deux qualités de normes selon qu’il s’agit d’un citoyen libre ou d’un citoyen détenu. La garantie des droits est la même, le détenu n’étant privé que de sa liberté d’aller et de venir. Il ne faut pas non plus laisser l’administration pénitentiaire régir seule de telles atteintes à la liberté ; un débat public s’impose, et c’est dans le débat que peuvent être discutées des limitations. » 8. Si l’administration pénitentiaire s’est « plus que toute autre [...] pendant longtemps habituée à produire ses propres normes, et cela avec la permission de la loi en l’état des dispositions de l’article 728 du code de procédure pénale » 9, elle est aujourd’hui largement encouragée à poursuivre son actuel mode discrétionnaire d’action, avec l’unique souci de gestion de la détention, ignorant celui des êtres humains qu’elle a la responsabilité de protéger. La suppression de cet article, qui concède au pouvoir exécutif le soin de « détermine [r] l’organisation et le régime intérieur des établissements pénitentiaires » et qui, pour cette raison, est fustigé par nombre d’instances nationales et internationales, devait être l’une des décisions phares de la réforme. Il n’en est rien. Ce qui a pour conséquence directe de laisser le champ libre à une administration pénitentiaire qui ne fait pas Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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mystère du principal objectif de la réforme qu’elle promeut : balayer « une approche égalitaire des détenus, qui restreint la possibilité de créer des catégories, qui interdit de considérer que telle caractéristique prédispose à tel comportement », et qui l’a empêchée « de parvenir à une véritable classification des détenus digne de ce nom » 10. Ce faisant, ainsi que le notent des chercheurs, la commande de l’administration au législateur « signe le mode spécifique d’intégration des droits par l’institution, qui est de prévoir d’emblée des possibilités de dérogation, c’est-àdire de gestion de l’ordre par le maintien d’un pouvoir discrétionnaire » 11. C’est tout le principe des régimes différenciés (lire « régimes de droits différenciés », p. 51-55), dont la Chancellerie exige du législateur qu’il le marbre dans la loi, après que l’administration pénitentiaire l’ait expérimenté pendant des années, en dehors de tout cadre légal. À l’exigence constitutionnelle de la reconnaissance de droits égaux, l’institution oppose ainsi classification des détenus et différenciation corrélative des régimes de détention. Eu égard à la rupture qu’elles opèrent par rapport au principe de la prééminence du droit, ces dispositions du projet de loi, qui représentent le bénéfice le plus attendu de la réforme du point de vue de la pénitentiaire, impliquaient que le législateur s’oppose à une telle perspective. D’autant que cette démarche ségrégative s’appuie sur une « période d’observation pluridisciplinaire » comprenant, au lendemain du vote sénatorial, un « bilan de personnalité et de santé » dont l’administration pénitentiaire entend qu’il justifie d’imposer une vision « pragmatique » du secret médical, qui consiste ni plus ni moins qu’à exiger des médecins un partage opérationnel d’informations, au mépris de l’intérêt de leurs patients. Une régression qui signifierait le retour à la médecine pénitentiaire d’avant la réforme initiée en 1994 par Simone Veil (lire « vers la fin du secret médical pour les détenus ? », p. 56-60). Ainsi le projet de loi pénitentiaire, tel qu’adopté par le Sénat (lire « une réforme en mode régressif majeur », p. 36-39), ne s’affranchit pas du dessein poursuivi par l’administration de soustraire, tout à la fois au débat législatif et au débat contentieux devant le juge administratif, ses méthodes d’action et les ingérences opérées dans les droits des détenus. Si bien qu’au lendemain de l’adoption du texte, Claude d’Harcourt pouvait communiquer sa « fierté » à l’ensemble des cadres de l’institution. « Nous avons toujours pensé qu’il nous revenait de savoir ce que nous voulions, qu’il s’agissait de ne pas tout attendre des autres, qu’il fallait nous mettre en route nous-mêmes, produire des résul-
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tats, éprouver des solutions, engager des expérimentations, en somme y croire pour que le politique lui-même y croit » 12.
Un débat parlementaire escamoté À l’indignité du contenu de la réforme - qui reste peu ou prou la sienne à ce jour -, le gouvernement a ajouté la forfaiture d’une déclaration d’urgence frappant son examen au Parlement. Dépossédé de l’entière mainmise sur les textes sur lesquels se basent désormais les discussions législatives, et conscient du calendrier particulier marquant les premiers pas d’application de la réforme constitutionnelle, il a eu l’indécente audace de déclarer l’urgence sur le projet de loi pénitentiaire à la veille de son débat en séance au Sénat, pendant la période de suspension des travaux du Parlement. Une procédure qui a pour effet de limiter le débat parlementaire à une seule lecture dans chaque Chambre, donc de réduire l’espace de discussion du législateur. Elle permet à la garde des Sceaux une programmation contrôlée de son agenda personnel, puisque sa candidature récente aux élections européennes l’obligera à quitter son poste au plus tard début juin. Ce qui vaut la qualification d ‘« urgence de convenance », entendue à plusieurs reprises au Sénat. Prenant connaissance avec consternation de cette décision gouvernementale, les États généraux de la condition pénitentiaire 13 ont estimé cette décision « injustifiable et illégitime ». Injustifiable, car le choix d’une telle procédure apparaît fondamentalement incompatible avec le « grand rendez-vous de la France avec ses prisons » annoncé par la garde des Sceaux depuis l’été 2007 et sans cesse ajourné depuis lors. Illégitime, car comme l’avait souligné la Commission des lois, le texte gouvernemental a suscité une « déception largement partagée » (lire « les acteurs du monde carcéral jugent la réforme », p. 40-44) parmi les
une reconnaissance de la personne détenue comme sujet de droit dans un univers désormais régi par l’État de droit : tel est l’objet social d’une réforme digne de ce nom
Un statut juridique pour le détenu L’évidence sous-jacente a été rappelée par le sénateur socialiste Alain Anziani à l’ouverture des débats au Sénat : « Un détenu reste un homme malgré les murs de sa prison. À l’exception de la liberté d’aller et de venir, qui lui a été retirée provisoirement, il conserve les droits qui sont ceux de l’homme. » En 2000, le rapport de la commission conduite par le Premier président de la Cour de cassation, Guy Canivet, prenant acte de la spécificité d’un univers dans lequel le droit occupe une place déterminante, puisque l’institution met en œuvre la contrainte étatique, s’est attaché à dresser un inventaire des normes qui y sont appliquées. Il a établi que la situation juridique du détenu est régie par une profusion de circulaires et de notes de services, dont le contenu répond avant tout aux nécessités de la mission de sécurité de l’administration pénitentiaire, laquelle bénéficie en pratique d’une large priorité sur celle de réinsertion sociale. La personne détenue se trouve de facto dans une situation d’assujettissement visà-vis de l’institution pénitentiaire, peu compatible avec le principe de prééminence du droit qui prévaut dans toute société démocratique. Autrement dit, l’exercice des droits du détenu est subordonné « à ce qui est objectivement, voire subjectivement, compatible avec l’ordre, la discipline et la sécurité, les ‘‘droits’’ tendant alors à devenir des faveurs, des privilèges accordés ou retirés selon ces impératifs, voire à être annihilés ». Face à ce constat, le plus haut magistrat du pays préconisait au terme de sa mission l’intervention du législateur pour déterminer un régime de détention « conforme aux principes fondamentaux d’un État régi par la prééminence du droit et l’objectif primordial de la garantie des droits de l’homme ». Le Parlement devait selon lui être guidé par la conviction que « pour résoudre le paradoxe qui consiste à réinsérer une personne en la retirant de la société, il n’y a d’autre solution que de “rapprocher autant que possible la vie en prison des conditions de vie à l’extérieur, la société carcérale de la société civile”. » S’inscrivant dans cette perspective, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) insiste pour sa part, depuis 2002, sur la nécessité pour le législateur de changer de regard sur la personne détenue en demandant qu’elle soit « effectivement appréhendée tout à la fois comme un humain, un citoyen, un justiciable et un usager ».
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dossier le texte met en lumière la schizophrénie de la politique pénale en France : le gouvernement augmente l’usage de l’emprisonnement d’un côté, et prône les aménagements de peine de l’autre.
acteurs du monde des prisons vis-à-vis d’une réforme « à droit constant », voire « en retrait par rapport au droit en vigueur ». Sachant que « la navette parlementaire est l’une des conditions de l’approfondissement du débat politique et de l’amélioration du travail législatif » 14, de nombreuses voix se sont élevées contre cette urgence, relayant l’appel des États Généraux. Mais le gouvernement continue de mépriser les demandes visant à lever cette urgence, formulées par les groupes PS, PC et Vert de l’Assemblée nationale et du Sénat, mais aussi par de nombreux parlementaires de la majorité, parmi lesquels Jean-René Lecerf lui-même, Jean-Luc Warsmann (président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale), Bernard Accoyer (président de l’Assemblée nationale) et, de façon plus ambiguë, par Gérard Larcher, le président du Sénat. Aujourd’hui, le gouvernement fait valoir de manière éhontée que les dispositions du nouvel article 45 de la Constitution, qui permet aux Conférences des présidents du Parlement de s’opposer conjointement à une déclaration jugée inopportune, ne sont pas applicables. Aussi choquante soit-elle, cette déclaration d’urgence est hélas parfaitement cohérente avec l’intégralité du processus d’élaboration du texte. Sous couvert d’un « comité d’orientation restreint » (COR) - dont la création n’avait d’autre finalité que de lui permettre de s’affranchir des principes de réforme issus des préconisations convergentes émises depuis dix ans par quantité d’instances -, le gouvernement a de fait donné carte blanche à l’administration pénitentiaire dans l’écriture du projet de loi. Mise en situation d’élaborer sa propre réforme, l’institution n’a pas manqué l’occasion qui lui était offerte. Rien n’est plus mensonger que les propos introductifs de la garde des Sceaux qui, le 3 mars, a osé dire aux sénateurs que « le projet de loi pénitentiaire a été élaboré dans un esprit de concertation ». La quasitotalité des membres du COR, et pas seulement, parmi eux, les organisations syndicales, ont déploré l’instrumentalisation dont ils faisaient l’objet dans le cadre d’une consultation « alibi », soulignant l’écart entre leurs préconisations et le texte déposé sur le bureau du Sénat. Une telle démarche « marque l’aveu du refus » par le gouvernement « de mener un débat de fond et de changer le regard de la société sur la prison », comme le dénonce le syndicat pénitentiaire de la CGT (UGSP-CGT). Quant à la Commission nationale consultative des droits de l’homme, Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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qui réclame une loi pénitentiaire depuis des années, elle n’a été saisie qu’en juin 2008, une fois le texte bouclé, et aucune trace de ses travaux antérieurs ne se retrouve dans le projet de loi du gouvernement (lire « Avis de la CNCDH : la “consécration des restrictions aux droits” », p. 67-70).
Les députés face à leur responsabilité Le Parlement doit « reprendre la main sur l’organisation et le régime intérieur des établissements pénitentiaires » affirmait, péremptoire, Jean-René Lecerf à l’ouverture du débat du Sénat. On sait ce qu’il advint de cette profession de foi. Elle est restée lettre morte, son auteur lui-même n’en ayant pas tiré les conséquences. Il s’agit désormais de ne plus se payer de mots. Il revient aux députés de sauver l’honneur du Parlement. En opposant une fin de non-recevoir tant à la lettre qu’à l’esprit du texte soumis à
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leur examen, et en s’engageant résolument dans la restauration effective de l’État de droit dans l’enceinte carcérale. Pour prétendre à une telle réforme, digne de ce nom, de la prison, ils doivent inscrire leur démarche dans le droit fil des conclusions de leur propre commission d’enquête de 2000 : « On ne peut imaginer qu’il y ait deux qualités de normes selon qu’il s’agit d’un citoyen libre ou d’un citoyen détenu. La garantie des droits est la même, le détenu n’étant privé que de sa liberté d’aller et de venir. Il ne faut pas non plus laisser l’administration pénitentiaire régir seule des atteintes à la liberté : un débat public s’impose et c’est dans le débat que peuvent être discutées des limitations ». Le bilan des débats du Sénat dressé par le rapporteur Lecerf fournit paradoxalement quelques arguments aux députés. Sur des dispositions prévues dans le projet de loi, telle la durée maximale de placement au quartier disciplinaire : « Nous sommes passés de 45 à 30 jours de placement. Notre premier rapport était plus ambitieux, avec 20 jours pour tout le monde. C’est encore beaucoup, nous sommes les derniers de la classe. ». Ou sur des dimensions dramatiquement absentes de la réforme envisagée, telle la prévention du suicide en milieu carcéral : « On n’est pas bon et même parmi les plus mauvais d’Europe. La surveillance effrénée va à l’encontre de l’objectif poursuivi. Le rapport du docteur Albrand confirme que ce n’est pas en faisant des rondes qu’on limite le risque suicidaire. » Ou encore, sur l’un des aspects les moins contestés du projet de loi, quand il prétend s’engager résolument à réduire la détention provisoire, à favoriser les alternatives aux courtes peines d’emprisonnement et à développer © Aimée Thirion
Le rôle primordial de la loi Il est impérieux de rétablir l’État de droit en prison. À cet égard, le projet de loi adopté par le Sénat est extrêmement lacunaire, donc ambivalent dans ses intentions. En premier lieu, la réforme envisagée maintient des pans entiers du droit dans le champ réglementaire alors même que sont pourtant constitutionnellement garantis les libertés et droits fondamentaux en question. De ce fait, l’autorité administrative conservera l’entière maîtrise de la définition des conditions de leur exercice derrière les murs. Ensuite, s’agissant des rares dispositions énoncées, elles s’analysent en réalité en de simples habilitations données à l’administration pénitentiaire pour déterminer effectivement les règles applicables aux personnes incarcérées. Autrement dit, il est demandé au législateur de débattre de vagues dispositions, qui sont muettes quant au contenu concret des restrictions aux droits fondamentaux que l’administration apportera demain sur leur fondement, par décret. Que ces actes réglementaires soient ensuite déférés à la censure du juge de l’excès de pouvoir, et l’administration aura alors beau jeu de se retrancher derrière les dispositions de la loi. Le respect de la hiérarchie des normes implique pourtant, qu’enfin, le législateur se conforme à l’article 34 de la Constitution de 1958 qui lui donne compétence exclusive pour fixer « les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ». Il ne l’a pas fait depuis cinquante ans, préférant laisser perdurer une disposition introduite à la fin des années 1950, l’article 728 du code de procédure pénale, qui prévoit en effet qu’« un décret détermine l’organisation et le régime intérieur des établissements pénitentiaires ». Afin de mettre un terme à ce régime d’exception, la CNCDH, réitérant une demande « d’abrogation de l’article 728 » qu’elle avait déjà formulée, a recommandé dans un avis et une étude sur le projet de loi pénitentiaire en date du 6 novembre 2008 que « tous les éléments déterminants du respect des garanties fondamentales des droits des détenus » soient inscrits dans la loi.
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dossier
Le juge administratif se prononce sur la responsabilité des parlementaires La jurisprudence des juridictions administratives est désormais à l’unisson de cette conception du statut juridique du détenu qu’il appartient au législateur de reconnaître. Dans ses conclusions sous l’arrêt de la Section du contentieux du Conseil d’État/OIP du 31 octobre 2008, Mattias Guyomar souligne ainsi que « le passage d’un ‘‘détenu sujet’ à un ‘‘détenu citoyen’ a consacré une nouvelle logique juridique : celle d’un détenu qui, à l’exception de la liberté d’aller et venir, conserve tous les droits puisés dans sa qualité de citoyen (...) Dans ces conditions et eu égard aux conséquences des mesures d’organisation des établissements pénitentiaires sur l’exercice des droits dont les détenus restent titulaires, nous pensons qu’il appartient au législateur d’encadrer plus précisément la détermination du régime intérieur de ces établissements. Compte tenu de l’évolution du statut des détenus, nous n’excluons pas que l’article 728 du code de procédure pénale soit désormais entaché d’incompétence négative ». De même, rendu à propos d’une question relative au versement d’une pension de retraite, l’arrêt B. du Conseil d’État en date du 10 décembre 2008 rappelle qu’il n’appartient qu’au « [seul législateur] de restreindre la faculté pour un détenu de disposer librement de ses biens ». En effet, comme l’explique son commissaire au gouvernement, Julien Boucher, « il faut partir du principe qu’il en va de la libre disposition de leurs biens comme des autres droits et libertés fondamentaux des détenus : sauf si la loi en dispose autrement, ceux-ci en jouissent comme tout autre personne, dans la seule limite des contraintes inhérentes à leur détention ». Au cours d’une conférence de presse organisée par le Conseil d’État le 17 décembre 2008 sur l’évolution de sa jurisprudence concernant les droits des personnes détenues, opérée au travers d’une série de décisions récentes rendues dans des actions initiées ou accompagnées par l’OIP, Mattias Guyomar a déploré que « tout ce qui relève de la vie en détention est réglementaire » et exprimé le souhait que « le rehaussement des normes pénitentiaires » trouve sa place dans la loi pénitentiaire (dans un article paru dans Le Monde du 19 décembre 2008). (lire p. 72 à 76)
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l’aménagement des peines de durée moyenne : « On va faire fondre le nombre de personnes en détention provisoire grâce à l’assignation à résidence avec bracelet électronique. Les aménagements de peine seront distribués plus largement ». Très bien. Il ne reste qu’à lever l’une des ambigüités fondamentales d’un texte qui intervient dans une réalité marquée tout à la fois par une augmentation continue des peines d’emprisonnement prononcées, un allongement des durées de détention et par la faiblesse insignes des outils au service de la réinsertion. Dans un tel contexte, c’est la viabilité même des dispositions votées qui est en jeu. La garde des Sceaux a, involontairement sans doute, projeté une lumière crue sur la formidable schizophrénie qui caractérise la politique pénale en France. Une schizophrénie marquée par un nombre incalculable de discours vantant la nécessité des alternatives à l’incarcération et des aménagements de peine, et maintenant par l’augure d’une politique audacieuse en la matière. Qui restera mort-née, sauf à dégager les moyens humains et matériels, tout comme les équipements et les mécanismes de partenariat avec l’extérieur qui manquent, en effet, et depuis toujours. Il importe que les députés expriment haut et clair ce que la loi passe sous silence, et que le budget de la Justice n’a
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tentiaire réorientée et cohérente. Inutile de tergiverser. Ce sont là les seuls éléments tangibles qui soient susceptibles d’offrir l’espoir d’une amélioration en profondeur et durable des conditions de vie et de travail derrière les barreaux. Une attente légitime de l’ensemble des acteurs du monde carcéral. Qui patientent depuis plus de dix ans. Rien ne serait plus injustifiable que de perpétuer le désastre humain et social que constitue le système carcéral de notre pays. Rien ne serait plus indécent que d’ajouter à l’« humiliation pour la République », jadis dénoncée, la honte d’une démocratie repoussant davantage l’émergence d’une prison républicaine. Stéphanie Djian, Patrick Marest, Hugues de Suremain
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pas prévu. Ce faisant, ils pourront aller plus loin que leurs collègues sénateurs qui, restant fidèles à leur indignation de 2000, ont infligé un sérieux camouflet au gouvernement sur la question de l’encellulement individuel (lire « l’encellulement individuel des prévenus en sursis ? », p. 61-66). Par exemple, en refusant d’acter de l’impossibilité de garantir l’application du droit de tout détenu à disposer d’une cellule individuelle avant cinq ans. Donc en réduisant la période de ce nouveau moratoire. Chacun sait que la définition par le législateur des restrictions admissibles à l’exercice des droits fondamentaux en prison et la fixation de normes de qualité, accessibles, précises et prévisibles, constituent les exigences incontournables de la réforme à initier. Et personne n’ignore que cette réforme du droit qui régit le domaine pénitentiaire, nécessairement pensée et écrite dans le langage des droits de l’homme, se fait d’autant plus pressante que la France a l’ambition de promouvoir leur valeur universelle au plan international. Il convient donc de ne plus retarder la mise en œuvre des points de réforme réclamés à l’unisson par toutes les instances nationales ou internationales de protection des droits de l’homme dans le cadre d’une politique pénale et péni-
1. Éditorial publié dans La lettre des Cadres de l’administration pénitentiaire. n° 351, du 9 au 13 mars 2009 2. Selon l’expression, employée à moult reprises, par la garde des Sceaux, Rachida Dati. 3. Nord Eclair, Jean-René Lecerf pour une prison école de la réinsertion, 21 mars 2009. 4. Rapport au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale sur le projet de loi pénitentiaire, Jean-René Lecerf. 5. Rapport sur l’amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires, Commission présidée par Guy Canivet, remis au garde des Sceaux le 6 mars 2000. 6. Assemblée nationale, La France face à ses prisons, Rapport de la Commission d’enquête sur la situation des prisons françaises, juin 2000 ; Sénat, Prisons : une humiliation pour la République, Commission d’enquête sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France, rapport du 28 juin 2000. 7. Rapport sur l’amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires, mars 2000, p. 65 8. Assemblée nationale, La France face à ses prisons, Rapport de la Commission d’enquête sur la situation des prisons françaises, juin 2000, p. 140. 9. Didier Boccon-Gibod, avocat général à la Cour de Cassation, Propos introductifs sur la prison et la loi pénitentiaire, article paru dans Revue pénitentiaire et de droit pénal, n° 4, octobre - décembre 2008. Dossier « Enjeux et perspectives de la loi pénitentiaire – Première partie ». 10. Loi pénitentiaire, les enjeux, direction de l’administration pénitentiaire, juillet 2007. 11. G. Chantraine et J. Bérard, 80 000 détenus en 2017 ?, éd. Amsterdam, juin 2008. 12. Op. cit. La lettre des cadres de l’administration pénitentiaire. 13. Organisations regroupées dans les Etats généraux de la condition pénitentiaire : Confédération générale du travail (CGT pénitentiaire), conseil national des barreaux (CNB), Emmaüs-France, fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS), Fédération nationale des unions de jeunes avocats (FNUJA), Ligue des droits de l’homme (LDH), Observatoire international des prisons (OIP), Syndicat des avocats de France (SAF), Syndicat de la magistrature (SM), Syndicat national de l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaire (SNEPAP-FSU), Union syndicale des magistrats (USM). 14. Rapport du Président Jean-Jacques Hyest fait au nom de la commission des lois du Sénat sur le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République, 11 juin 2008. Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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Projet de loi pénitentiaire adopté au Sénat
une réforme en mode régressif majeur
C’est au Sénat, là même où une commission d’enquête avait qualifié en 2000 les prisons françaises d’« humiliation pour la République », que s’est tenu le premier épisode, entre les 3 et 6 mars, du débat parlementaire sur le projet de loi pénitentiaire. Il en ressort un texte qui, bien qu’abondamment amendé par les sénateurs, ne traduit pas la volonté du législateur de mettre fin à la situation, inacceptable au regard des exigences de l’Etat de droit et indécente au regard des droits de l’homme, qui caractérise notre système carcéral. Décryptage d’une série de dispositions accumulant demi-mesures, faux-semblants et régressions inadmissibles.
Une évolution sous la forme de régressions Dans le projet de loi adopté par le Sénat, le champ des restrictions autorisées à l’exercice des droits fondamentaux des personnes détenues est considérablement élargi (article 10), leur définition incluant désormais « celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l’intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l’âge, de l’état de santé et de la personnalité des détenus. » En l’état du droit, outre la limitation classique en droit constitutionnel tenant à la sauvegarde de l’ordre public, le juge administratif s’en tient aux contraintes inhérentes à la détention (CE, 27 mai 2005, OIP, Blandin et Bret), qui est du reste le champ circonscrit par la commission Canivet. Il en est ainsi de la légalisation (article 51) de la différenciation des régimes de détention selon la personnalité et la dangerosité supposée des détenus, dispositif expérimenté depuis quelques années par l’administration pénitentiaire et dont elle attendait la consécration législative (lire « Régimes de droits différenciés », p. 51-55). En s’abstenant de définir la nature des différences de traitement auxquelles seront confrontés les détenus de par leur placement en régime ouvert ou fermé, et en supprimant l’obligation de motiver spécialement une décision de placement en régime plus sévère, les sénateurs ont cédé devant la volonté du Gouvernement. Ce bouleversement des règles d’organisation et Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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de fonctionnement de l’ensemble des établissements induit une différenciation des droits des détenus qui est opérée au mépris des observations formulées par la CNCDH à l’égard d’un dispositif venant « décupler les pouvoirs que détient l’administration sur l’individu incarcéré et accroître très nettement les risques d’arbitraires » et de l’avertissement du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, qui avait fait savoir qu’il resterait « vigilant » quant au fait que « la mise en place de régimes de détention différenciés ne soit pas légalisée » au travers du vote de la loi pénitentiaire. Il en est de même en matière disciplinaire (article 53), le Sénat laissant en l’état la procédure disciplinaire sans remédier aux graves carences, au regard des exigences du procès équitable, de la composition de la commission de discipline. La présence d’au moins une personne extérieure à l’administration pénitentiaire ne saurait être assimilée à une disposition permettant de garantir l’impartialité et l’indépendance d’une commission qui demeure présidée par le chef d’établissement. Par ailleurs, l’abaissement de la durée maximale de placement en quartier disciplinaire à 30 jours, contre 45 aujourd’hui, est très sensiblement en retrait du seuil maximal de 20 jours préconisé par le rapport du Sénat de 2000 et voté à l’unanimité en avril 2001. Cette durée maximale de 30 jours continue à distinguer négativement la France au regard de l’ensemble des pays européens qui prévoient une durée de placement bien moins longue (trois jours en Irlande, neuf en Belgique, quatorze au Royaume-Uni). Se conformant à
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la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, le Sénat a admis que la sanction disciplinaire constitue par ellemême une situation d’urgence susceptible de porter une atteinte grave aux droits fondamentaux des personnes, donc justifiant l’intervention du juge des référés. L’administration pénitentiaire se voit attribuer (article 24) la possibilité de décider de faire pratiquer sur un détenu des fouilles des cavités internes (toucher rectal ou vaginal), qui requiert l’intervention d’un médecin sollicité par l’autorité judiciaire. Jusqu’ici les fouilles corporelles internes ne pouvaient être pratiquées que dans les conditions du droit commun, c’est-à-dire dans le cadre d’une procédure judiciaire mettant en cause l’intéressé. L’introduction d’une obligation d’activité (article 11 ter) expose les détenus au travail forcé et à une négation de leur droit au respect de la vie privée. Quant à l’autonomie reconnue à la personne, elle est gravement bafouée par l’obligation fait au détenu qui « ne maîtrise pas les enseignements fondamentaux » d’apprendre la lecture, l’écriture et le calcul, et à celui qui ne « maîtrise pas la langue française » de l’apprendre.
La reconnaissance d’un taux horaire minimum de rémunération est un pas important mais insuffisant : la France demeure dotée d’une législation des plus archaïques pour ce qui est du travail en prison.
© Quilleret Célia Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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dossier La durée maximale de placement au quartier disciplinaire baisse de 45 à 30 jours, mais la procédure disciplinaire demeurera inéquitable Un grave recul résulte de la possibilité donnée à l’administration d’interdire l’accès en prison (article 19) aux publications « contenant des menaces graves contre la sécurité des personnes et des établissements ou des propos ou signes injurieux ou diffamatoires à l’encontre des agents et collaborateurs du service public pénitentiaire ainsi que des personnes détenues. » Risque d’être interdit demain l’accès aux journaux ou revues comportant des articles faisant état, par exemple, d’un avis de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, les personnels de l’établissement mis en cause pouvant déclarer s’estimer diffamés.
Une nouvelle procédure parlementaire C’est une toute nouvelle procédure d’examen par le Parlement dont a bénéficié le projet de loi pénitentiaire, conséquence de la révision de la Constitution française votée l’été dernier. Jusqu’à présent en effet, députés ou sénateurs discutaient en séance publique des projets de loi tels que présentés par le gouvernement, ainsi que des amendements proposés par la Commission des lois, chargée d’un examen er préalable des textes. Mais depuis le du 1 mars, les parlementaires se penchent désormais directement sur la version modifiée par la Commission des lois, tandis que le gouvernement peut, s’il le souhaite, proposer des amendements pour rétablir le texte initial. Vu le retard pris pour son examen et la date de son inscription à l’ordre du jour du Sénat, le 3 mars, le projet de loi pénitentiaire est le premier texte à inaugurer cette procédure. Pour en tenir compte, la Commission des lois s’est donc penchée une seconde fois sur le texte le 4 février 2009. Une première réunion avait déjà eu lieu le 17 décembre, au cours de laquelle 95 amendements avaient été proposés par le rapporteur désigné, Jean-René Lecerf, et adoptés. Mais la commission a jugé souhaitable que d’autres membres puissent également proposer des amendements, en vue de leur intégration éventuelle. Une ultime réunion de la Commission des lois s’est donc tenue le matin même du jour où à débuté la discussion en séance au Palais du Luxembourg, pour se prononcer sur les amendements déposés par le gouvernement.
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Les restrictions possibles à la liberté de correspondance sont étendues (article 17). L’actuel droit en vigueur limite les possibilités de rétention de courrier aux cas de « menaces précises contre la sécurité des personnes ou celles des établissements ». Les critères retenus dans le texte sont plus larges, puisqu’il est prévu que l’administration pourra en décider ainsi lorsque la correspondance « paraît compromettre gravement la réinsertion du détenu ou le maintien de l’ordre et la sécurité ».
Des avancées toutes en retenue Les sénateurs ont adopté une mention dans la loi du droit au respect de la dignité de la personne détenue (article 10). Ce droit, garanti tant par la Constitution et de la Convention européenne des droits de l’homme, était déjà rappelé par la partie réglementaire du Code de procédure pénale. Cette consécration législative n’est néanmoins pas neutre, dès lors qu’elle témoigne de la volonté du législateur de garantir le respect de ce droit dans le cadre de toutes décisions relatives à la vie quotidienne des détenus et au fonctionnement des établissements pénitentiaires. Les détenus disposeront du « droit de téléphoner aux membres de leur famille » et pourront « être autorisés à téléphoner à d’autres personnes pour préparer leur réinsertion » (article 16). Cette disposition représente une avancée importante pour les prévenus, qui n’ont actuellement pas accès au téléphone. Le Gouvernement a néanmoins refusé d’élargir ce droit aux « proches », tout en assurant au cours des débats que la notion de famille sera interprétée de manière extensive. La reconnaissance d’un taux horaire minimum de rémunération (article 13 bis) indexé sur le SMIC pour le travail en prison constitue un petit pas en avant. Le législateur s’est cependant abstenu de définir ce taux et de consacrer des règles minimales en termes de conditions et relations de travail. Les personnes détenues restant privées du bénéfice de tous les droits et de toutes les protections individuelles et collectives (salaire décent, durée du travail, cotisation à l’assurance-chômage, représentation, etc.), la France demeurera dotée de l’une des législations les plus archaïques au sein des pays d’Europe comparables pour ce qui est du travail en prison. La permanence des soins doit être assurée (article 20), impliquant l’intervention des personnels de santé le soir et le weekend, satisfaisant ainsi aux demandes répétées du Comité de prévention de la torture du Conseil de l’Europe. La définition de la mission du médecin intervenant en milieu carcéral est clarifiée
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Quand la Commission des affaires sociales s’en mêle ! Une autre entité du Sénat s’est également autosaisie du projet de loi pénitentiaire, de façon beaucoup plus volontaire : la Commission des affaires sociales. Elle s’est penchée plus particulièrement sur les questions de santé - parce qu’il s’agit d’un « sujet que le texte n’abordait que de façon marginale » –, ainsi que sur celles liées à la réinsertion. Lors d’une réunion du 17 février, elle a adopté une série d’amendements afin « d’améliorer la qualité des soins ». Elle a notamment prévu un article énonçant que « l’administration pénitentiaire et les personnels soignants garantissent le droit au secret médical des détenus ainsi que le secret de la consultation », ceci « afin de mettre fin à des pratiques attentatoires au droit à la santé des détenus ». D’autres amendements introduisent également une rémunération par l’administration pénitentiaire des personnes aidant les détenus handicapés, l’interdiction de demander un acte non médical aux médecins traitant des détenus (comme pour les fouilles intégrales), l’instauration d’une visite médicale à la libération, la possibilité de consulter un médecin extérieur, etc. Estimant en outre que la surpopulation carcérale est à l’origine de la majorité des problèmes d’hygiène et de santé constatés en prison, la commission a fait la proposition qu’aucun détenu ne puisse être incarcéré dans un établissement affichant un taux d’occupation supérieur à 120 %. Par ailleurs, elle a préconisé qu’un détenu ayant séjourné au moins un an dans un service médico-psychologique régional (SMPR) soit placé dans « des établissements spécialisés hors du milieu carcéral pour la durée restante de sa peine ». Pour « favoriser la réinsertion des détenus », la commission a également adopté une série d’amendements visant à rendre obligatoire la signature d’un « contrat de travail administratif », mais aussi l’« indexation de leur rémunération sur le Smic ». Autant de propositions courageuses, qui ont été défendues lors du débat au Sénat par le président de la Commission, Nicolas About, avec vaillance et efficacité. Au grand dam du gouvernement, plusieurs ont en effet été adoptées par les sénateurs, et notamment celles sur le secret médical ou sur l’impossibilité de demander aux médecins et aux personnels soignants intervenant en milieu carcéral un « acte dénué de lien avec les soins, la préservation de la santé du détenu ou les expertises médicales ».
dans le sens du respect de l’éthique de son serment (article 20 bis nouveau). Conformément au code de déontologie médicale qui impose aux médecins et aux personnels soignants de n’intervenir que dans l’intérêt du patient, aucun acte « dénué de liens avec les soins et la préservation de la santé du détenu » ne pourra leur être demandé, ce qui exclut qu’ils prennent part à toutes démarches répondant aux nécessités gestionnaires de l’administration et en particulier à la mise en œuvre de la mission de garde.
Moins de prison… mais autant de détenus C’est finalement sur le volet du projet de loi gouvernemental qui ne relève pas tant de la matière purement « pénitentiaire » que de la matière « pénale » qu’il faut noter les améliorations les plus substantielles, élargissant les moyens (juridiques) à la disposition des magistrats pour limiter le recours à la détention provisoire, favoriser le recours aux alternatives à l’incarcération pour les peines d’emprisonnement de courte durée et l’aménagement des peines d’emprisonnement de durée moyenne. Bien évidemment, comme l’a souligné pendant les débats le sénateur Robert Badinter : « par rapport à la politique et à la philosophie pénales qui ont marqué les deux dernières années, de telles mesures constituent un changement si radical que l’on ne peut que s’en étonner et, en même temps, en tirer tout le parti nécessaire ». Quant à la question des moyens – humains et financiers cette fois – dévolus à cette réorientation pénale, elle ne semble pas plus avoir de chance d’être abordée durant les débats sur le projet de loi pénitentiaire que lors des discussions sur le budget du ministère de la Justice. Ce qui augure, à l’aune de la politique d’ultima ratio prônée par le Conseil de l’Europe en matière de recours aux peines d’emprisonnement, d’une énième pétition de principe du législateur, résigné à ce qu’aucun effet notable n’en soit attendu sur le nombre d’entrées en prison et la durée des périodes de détention. On comprend mieux dès lors, la velléité du gouvernement, dans son texte initial, de s’affranchir du droit à l’encellulement individuel des prévenus et des condamnés. C’est du reste, sur ce point crucial que réside la principale source de satisfaction de l’examen du projet de loi au Sénat. Le maintien du principe d’encellulement individuel (article 49) a été adopté à l’unanimité (lire « l’encellulement individuel des prévenus en sursis ? », p. 61-66). Tenté jusqu’à la dernière minute de faire voter sa suppression, le gouvernement a néanmoins retiré son amendement en ce sens. Ce qui n’a pas empêché une prise de position inquiétante du garde des Sceaux. Contestant que le droit pour tout détenu de disposer d’une cellule individuelle soit un élément essentiel du respect de la dignité de la personne, elle ne laisse guère de doute quant à la volonté de l’administration pénitentiaire de donner suite autrement qu’à la marge et de satisfaire autrement qu’exceptionnellement aux demandes d’encellulement individuel qui lui seront adressées pendant la période de moratoire de cinq ans. Stéphanie Djian, Patrick Marest, Hugues de Suremain Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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dossier
Les acteurs du monde carcéral jugent la réforme :
Du dépit à l’exaspération
On a beau prêter l’oreille, aucune voix ne s’est fait entendre pour exprimer un soutien enthousiaste et sans faille au projet de loi pénitentiaire du gouvernement (ces réactions datent d’avant l’examen par le Sénat). Un comble. Attendue depuis plus de dix ans par l’ensemble des acteurs du monde des prisons, la réforme proposée ne satisfait finalement personne. Chacun, des surveillants aux travailleurs sociaux en passant par les cadres de direction, des magistrats aux avocats, des intervenants au milieu associatif extérieur, a d’abord fait une variation sur le thème de la déception. Puis de l’exaspération, face à un texte « vide », « manquant d’ambition », voire « inquiétant ». Morceaux choisis…
Syndicats pénitentiaires « Un texte vide » « Depuis plusieurs mois, nous attendions le fameux projet de loi pénitentiaire concocté par les penseurs de la rue du Renard sur diligence de Rachida Dati, ministre de la Justice. La première lecture laisse présager que certaines fonctions pourront être confiées à des personnes de droit public ou privé selon une habilitation définie par décret en Conseil d’État ! […] C’est le démantèlement du service public. Aujourd’hui, l’UFAP-UNSa, première organisation au sein de l’administration pénitentiaire, dénonce le manque d’ambition de Rachida Dati au regard d’un texte “vide” où les personnels sont les grands oubliés […]. Bien au contraire, il s’agit d’astreindre encore plus les fonctionnaires pénitentiaires en leur imposant de prêter serment (sans pour autant qu’ils aient plus de moyens). Concernant la gestion des détenus, deux mesures ressortent de ce projet : l’assignation à résidence à toutes les sauces, pour les prévenus et les condamnés ; un nouveau moratoire sur l’encellulement individuel permettant de différer [son] application […] de 5 ans. […] L’UFAPUNSA s’interroge sur la finalité de ce projet qui est en totale contradiction avec les lois votées dernièrement, notamment celle relative à la récidive, intégrant des peines planchers. Cette loi répond uniquement à la gestion d’un flux carcéral, qui se traduit actuellement par une surpopulation inquiétante ! L’UFAP-UNSa n’acceptera pas d’être prise en otage par nos pourfendeurs de Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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la rue du Renard et de la place Vendôme et dénonce un projet de loi purement économique, dénué de réelle volonté d’avancer. […] » Union fédérale de l’administration pénitentiaire (UFAP-UNSa) « L’UFAP/UNSa dénonce le projet de loi pénitentiaire », communiqué du 12 juin 2008.
« La pénitentiaire va manquer son “grand rendez-vous avec l’histoire”. » « La CGT considère qu’une nouvelle fois, à l’inverse de ce que prétend la ministre, la pénitentiaire va manquer son “grand rendez-vous avec l’histoire”. […] La CGT estime aujourd’hui : • que la ministre a “instrumentalisé” le COR qui a servi d’alibi à la “concertation” tandis qu’autre part s’écrivait le texte final ; que l’absence totale d’implication de Mme Dati dans les débats préparatoires a été très préjudiciable. Jamais ministre de la Justice n’a été aussi négligente et absente en matière de dialogue social ; • qu’aucune proposition n’a été retenue visant à améliorer les missions des personnels et du service public pénitentiaire, qui aurait dû, selon nous, être axée autour du projet de sortie de la personne placée sous main de justice et de la lutte contre les récidives ;
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• que les règles pénitentiaires européennes (RPE) introduites dans le texte, avec lesquelles nous sommes en accord, vont pour la plupart perdre du sens et venir se fracasser à la réalité budgétaire et à la politique pénale conduite par le gouvernement [...] » Union générale pénitentiaire – Confédération générale du travail (UGP-CGT). « La CGT pénitentiaire demande à rencontrer l’ensemble des groupes politiques à l’Assemblée Nationale et au Sénat », communiqué du 10 juin 2008.
« Tous les moyens doivent être donnés. » « Le Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière se félicite de la volonté à terme du développement des peines alternatives à l’incarcération qui ne pourront que faciliter la baisse du nombre des détenus. […] Il est grand temps qu’un effort sans précédent soit fait sur le développement du bracelet électronique et sur les travaux d’intérêt général. Pour cela, tous les moyens doivent être donnés aux personnels et en premier lieu ceux des services socio-éducatifs, trop peu nombreux encore pour gérer les 67 000 personnes sous écrou […]. Le Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière se satisfait de la volonté de la ministre de la Justice d’accorder la prestation de serment aux personnels […]. Cette loi pénitentiaire ne doit cependant pas gommer les véritables problèmes, rencontrés tous les jours dans les établissements pénitentiaires, liés à la surpopulation pénale […], à la vétusté des structures et à la catégorie pénale de personnes incarcérées dont plus de 20 % rencontrent des troubles psychiatriques. » Syndicat national pénitentiaire - Force Ouvrière (SNP-FO), « C’est parti pour la loi pénitentiaire », communiqué du 11 juin 2008.
« Une ambition modeste » « Le syndicat FO des directeurs de prison a déploré vendredi l’“ambition modeste” du projet de loi pénitentiaire […]. “Les dispositions ciblées à caractère social relèvent du catalogue et ne sont pas représentatives des attentes exprimées par les différentes filières professionnelles de l’Administration pénitentiaire”, a écrit dans un communiqué FO-Direction, majoritaire. Le syndicat […] “déplore le manque de concertation [...] et un calendrier ne permettant aucun amendement complémentaire”. “Il appartiendra aux élus de la Nation d’être réceptifs dans le débat parlementaire à venir”, poursuit le communiqué. “Dans la phase après la concertation […], on n’a pas eu la possibilité d’échanger, on aurait pu au moins discuter des articles un par un”, a déclaré à l’AFP Michel Beuzon, secrétaire général du syndicat. “Cette loi, on l’accompagnera, elle est nécessaire pour le fonctionnement du service public, mais il y a peu de lisibilité sur les missions du personnel”, a-t-il ajouté. »
« Insuffisant » « Il s’agit d’une nécessité, car depuis trop longtemps, l’administration qui contraint le plus les libertés individuelles n’est régie dans son immense majorité que par des règles de niveau réglementaire. […] Nous avons toujours souhaité que la loi pénitentiaire définisse clairement, dans un article préliminaire, le sens donné à la peine. Le projet actuel ne fait que redéfinir les missions de l’administration pénitentiaire, ce qui nous apparaît tout à fait insuffisant. Toutefois, il est intéressant de constater que le projet précise que “l’administration pénitentiaire garantit à tout détenu le respect des droits fondamentaux”, ce qui permet de repositionner le détenu en tant que véritable citoyen. […] D’autres éléments nous apparaissent intéressants comme la diminution, encore trop limitée par rapport aux autres pays européens, du quantum des sanctions de placement en cellule disciplinaire. Cependant, en dehors de ces avancées importantes mais malheureusement trop anecdotiques, nous regrettons que le principe du numerus clausus pour les maisons d’arrêt n’ait pas été retenu ni même évoqué. […] Aucune véritable évolution de la prise en charge criminologique n’est envisagée. […] Nous pensons que le parc carcéral français doit s’adapter à la dangerosité pénitentiaire réelle des détenus qui nous sont confiés. Nous estimons que la majorité des détenus présents en établissement ne nécessitent pas les contraintes de sécurité pénitentiaire qu’on leur impose […]. Ainsi, il nous semble que ce projet aurait dû être beaucoup plus ambitieux et que les effets d’annonce n’ont pas été respectés. » Syndicat national des cadres pénitentiaires (SNCP-CFE/CGC), « Projet de loi pénitentiaire », communiqué du 18 juillet 2008.
« La loi manque d’une réelle ambition. » « Après plusieurs reports et malgré de nombreuses versions, ce texte n’a pas la portée fondamentale que les personnels pénitentiaires attendaient. […] Certes, les droits des détenus progressent : l’accès au téléphone, l’entrée des entreprises d’insertion, la domiciliation qui permettra aux détenus d’accéder plus facilement aux prestations sociales. Mais [...] des insatisfactions demeurent comme le droit du travail qui ne sera pas plus effectif qu’auparavant. [...] De façon globale, la loi manque d’une réelle ambition. [...] Le nouveau moratoire de cinq années provoque beaucoup d’amertume et de désespoir, et cela d’autant que le reste du texte ne nous apparaît pas contenir des dispositions qui permettront à l’issue de ce délai d’assurer un encellulement respectueux des droits des personnes. (SNEPAP-FSU) « Prison : le projet de loi “n’a pas la portée” attendue selon le Snepap-FSU », AFP, 28 juillet 2008.
Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière Direction (SNP-FODirection), « Loi pénitentiaire : un projet à l’“ambition modeste”, regrette FO-Direction », AFP, 27 juin 2008. Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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dossier
Associations et intervenants « Aucune vision claire de ce que doit être la peine » « Le projet de loi pénitentiaire qui va être soumis demain aux parlementaires ne s’avère pas à la hauteur des attentes des partenaires de l’administration pénitentiaire que nous sommes. Il ne répond pas de façon satisfaisante à la situation extrêmement critique des personnes détenues ni aux besoins des services de réinsertion et des personnels de surveillance. Certaines avancées comme les aménagements de peine ouvrent des pistes intéressantes dont il conviendra de mesurer l’impact réel. [...] Le projet de loi en l’état actuel est bien en deçà d’une loi d’orientation telle qu’annoncée par la garde des Sceaux dès sa nomination : aucune vision claire de ce que doit être la peine à l’intérieur des murs de la prison ne se dégage, faute de clarification des missions de l’administration pénitentiaire. Ces missions restent définies en creux : la garde est en fait la fonction principale, des motifs d’ordre ou de sécurité peuvent justifier la restriction de presque tous les droits fondamentaux des détenus ; la réinsertion, elle, reste secondaire. Alors que la France est régulièrement
pointée du doigt [...], nous espérions que les Règles pénitentiaires européennes seraient largement prises en compte [...]. Notre déception est donc forte, mais nous sommes aussi très inquiets de l’absence de réponses convaincantes à cette question essentielle : nos prisons vont-elles enfin être utiles ? Rien n’est moins sûr. [...] Pour que les droits non retirés par une décision de justice puissent être exercés par la personne incarcérée, il convient que les ministères concernés (Santé, Travail, Éducation nationale, Logement) s’impliquent fortement et assument la mission de service public qu’ils ont vis-à-vis de toutes les personnes vivant en France, à l’intérieur comme à l’extérieur des murs de la prison. Pour que les citoyens et leurs élus exercent à bon escient leur jugement et leur droit d’expression sur nos prisons, il est indispensable que cette loi pénitentiaire, en tant que politique publique, soit assortie d’une procédure d’évaluation démocratique et publique. » Tribune conjointe de l’Association nationale des visiteurs de prisons (ANVP), du Groupement étudiant national d’enseignement des personnes incarcérées (Genepi) et de la Fédération des associations réflexion, action, prison et justice (Farapej).« Une loi pénitentiaire sans vision », Libération, 2 mars 2009.
© bertrand desprez
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« De la poudre aux yeux » « Il s’agit de la première loi organique concernant les prisons – proposée uniquement parce que la France doit se mettre en conformité avec les recommandations du Conseil de l’Europe –, mais ce projet ne s’attaque pas frontalement au problème des prisons françaises. Il ne le prend que par le petit bout de la lorgnette, en mettant en avant la solution du bracelet électronique, alors qu’il y a bien d’autres problèmes. C’est de la poudre aux yeux. […] Le problème de la surpopulation carcérale, avec un taux actuel de 126 % d’occupation des prisons, n’est pas conjoncturel. L’augmentation des effectifs est permanente. […] Rachida Dati pense libérer 12000 places via le bracelet électronique, mais ça paraît impossible parce que les moyens en personnel sont insuffisants. […] De plus, cette loi organique ne dit pas un mot sur le travail en prison. Actuellement, les travailleurs incarcérés ne bénéficient d’aucune disposition du droit du travail : pas de protection maladie liée à leur activité, pas de médecine du travail, pas de CHSCT (Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail), une rémunération bien inférieure au Smic. » Fédération des associations réflexion, action, prison et justice (Farapej) Georges Sobieski (président), « Il y a un vrai problème de moyens », Métro, 28 juillet 2008.
« Il manque une réflexion globale. » « Les aumôniers catholiques se sont beaucoup mobilisés auprès des hommes politiques et attendaient cette loi depuis de nombreuses années. Beaucoup de mesures vont dans le bon sens. La détention provisoire à titre exceptionnel et les aménagements de peine vont permettre de redonner les moyens de la présomption d’innocence et de désengorger un peu les prisons. Le bracelet électronique est l’une des solutions pour réinsérer progressive-
ment des détenus. C’est très positif. […] Nous croyons à cette loi, mais elle ne fonctionnera que si on donne des moyens suffisants à l’administration pénitentiaire. Elle ne doit pas non plus dispenser d’un grand débat sur la justice. Tant qu’il n’y aura pas de pédagogie auprès des citoyens sur le sens de la peine, nous resterons dans la conception selon laquelle il faut des peines longues pour les criminels. Celles-ci ne produisent que des bombes à retardement. On accumule les lois, mais il manque une réflexion globale. » Aumônerie catholique des prisons, Jean-Louis Reymondier (aumônier national), « Des mesures qui vont dans le bon sens. », La Croix, 12 juin 2008.
« On se préoccupe trop de la sécurité et pas assez du social. » « Je crains que cette loi ne change pas les choses sur le fond. La politique suivie en ce moment va en effet dans le sens du remplissage des prisons. Je ne crois pas non plus que l’on parvienne à enrayer le nombre de détenus alors que les chiffres sont alarmants. Une mesure comme le bracelet électronique est utile, mais si la prison reste la peine de référence, elle ne règle rien. Elle va seulement permettre de limiter la surpopulation des prisons. Le problème de fond est qu’on se préoccupe trop de la sécurité et pas assez du social. Preuve en est la grève des personnels sociaux qui se déroule en ce moment. J’ai vu quelques mesures positives […]. Mais en prison, le plus urgent est de développer les aménagements de peine. Or, dans notre société obsédée par la récidive, il faudrait des moyens conséquents pour que la loi pénitentiaire soit à la hauteur. » Aumônerie protestante des prisons, Jean-Marc Dupeux (aumônier national), « On va seulement limiter l’engorgement des prisons », La Croix, 12 juin 2008.
Syndicats de magistrats et d’avocats « Le texte ne permettra pas à la France de respecter ses engagements internationaux. » « Le projet manque manifestement d’ambition, il ne garantit pas les droits de l’être humain privé de liberté, il ne fait pas de la réinsertion la priorité absolue et néglige les droits de la défense. […] Le projet énumère des droits qui cèdent toutefois devant les traitements d’exception décidés par l’administration sur base de critères imprécis. […] Plus grave encore, le projet prévoit article 51 - l’élaboration d’un parcours d’exécution de la peine
qui sera précédé d’un bilan de personnalité établi à l’issue d’une période d’observation. Ce texte est évidemment très critiquable qui crée des distinctions entre les détenus sur la base de critères particulièrement incertains et qui dépendent de l’appréciation souveraine de l’administration pénitentiaire. […] Les décisions de l’administration pénitentiaire sont prises dans des conditions quasi occultes. Il est dès lors difficile d’initier un contentieux en cas de contestation […]. On peut d’ailleurs s’interroger sur la constitutionnalité de ce texte qui donne à l’administration pénitentiaire des pouvoirs exorbitants. […] Le texte renvoie à un décret qui sera pris en Conseil d’État pour la détermination du régime disciplinaire […], ce qui est infiniment regrettable. Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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dossier […] Le texte […] ne permettra pas à la France de respecter ses engagements internationaux. Il ne consacre pas le principe selon lequel la détention ne doit compromettre que la liberté d’aller et venir mais ne pas atteindre l’exercice des autres droits fondamentaux qui s’attachent à la personne humaine. […] Il semble oublier que l’augmentation du recours à l’emprisonnement n’est pas une fatalité. » Conseil national des barreaux, Richard Sedillot (vice-président de la commission Libertés), « Rapport sur le projet de loi pénitentiaire », 14 février 2009.
« La philosophie de cette loi est très inquiétante. » « C’est une grande déception. Tout le monde attendait une grande loi pénitentiaire, or on se retrouve avec un projet qui ne représente aucune avancée significative, que ce soit sur les droits des détenus ou le sens de la peine. […] Favoriser les aménagements de peines, c’est d’abord donner des moyens au service social, aux antennes médicales en prison pour effectivement permettre d’accompagner les gens, de les prendre en charge véritablement pendant leur incarcération, de les aider à préparer un projet de sortie qui s’inscrive dans le cadre d’un aménagement de peine. […] Il y a un grand décalage entre les discours et les actes, nous ne voyons rien venir en termes de renforcement des moyens. […] Sur le sens de la peine, le projet de Rachida Dati reste silencieux. […] On affirme des droits qu’on accorde aux détenus, mais, en même temps, ce ne sont pas des droits opposables. À chaque fois, le texte prévoit que l’administration pénitentiaire (AP) pourra s’y opposer pour le bon ordre de l’établissement ou pour des raisons de sécurité. On voit immédiatement les dérives possibles car toutes les décisions sont laissées au libre arbitre de l’AP. On peut déjà être inquiet quant à l’effectivité des droits des détenus. […] La philosophie de cette loi est très inquiétante. […] Nous espérons que les débats parlementaires vont permettre d’améliorer ce texte. Il faut que les députés, gauche et droite confondues, se souviennent qu’en 2000, ils avaient à l’unisson écrit dans un rapport sur l’état des prisons françaises qu’elles étaient «la honte de la République». » Syndicat de la magistrature (SM), Emmanuelle Perreux (présidente), « La loi pénitentiaire est une grande déception », L’Humanité, 29 juillet 2008.
« Quelle va être la ligne budgétaire ? » « L’idée de l’année dernière, c’est qu’il fallait renforcer les peines d’emprisonnement ferme, enfermer à tours de bras, et un an après, constatant sans doute que les prisons sont des cocottesminutes, il faut essayer de trouver des solutions pour mettre les gens dehors [...]. Maintenant, un type qui se prendra par exemple 18 mois fermes pourra voir sa peine convertie de façon à ne jamais aller en prison, ça, évidemment les Français ne le savent Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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pas ! [...] On aimerait savoir quelle va être la ligne budgétaire dégagée en urgence par le gouvernement pour mettre en place ce qui est annoncé. Si c’est à budget constant, il n’y aura pas le commencement d’un début de mise en place. » Union syndicale des magistrats (USM), Laurent Bedouet (secrétaire général), « Loi pénitentiaire : l’USM (magistrats) dénonce les «contradictions» de Dati », AFP, 11 juin 2008.
« Une déclinaison de ce qui existe déjà » « Cette loi permettra plus d’aménagements de peine, ce qui réduira le nombre de personnes en prison, certes. Mais, entre les peines planchers qui allongent les séjours en prison et la suppression des grâces présidentielles, il semble difficile de diminuer sensiblement la surpopulation carcérale. [...] L’assignation à résidence est une déclinaison de ce qui existe déjà, avec le contrôle judiciaire qui place sous surveillance électronique. Pour améliorer la situation, il faut que l’administration pénitentiaire fasse de gros efforts afin de mettre les bracelets électroniques à disposition. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, même si on progresse. [...] Le projet de loi paraît encourager les aménagements et étend ses possibilités. Cette souplesse aura sans doute un impact […]. On pourrait faire encore mieux, mais en débloquant des fonds. Il faut d’abord éviter que prévenus et détenus entrent en prison, en faisant de gros efforts sur les alternatives à la détention. Nous n’avons pas les moyens d’appliquer les décisions de sursis avec les mises à l’épreuve. Quand une personne est condamnée pour une première agression sexuelle à une peine de sursis avec obligation de soins, on sait qu’elle n’aura pas de rendez-vous avec un médecin avant six mois et que le suivi sera quasi impossible. Même chose pour les conduites en état d’ivresse et la toxicomanie. Si la personne était bien suivie après une première condamnation, le risque de récidive chuterait et la population carcérale diminuerait d’autant. » Association nationale des juges de l’application des peines (ANJAP), Martine Lebrun (présidente), « Difficile de diminuer le nombre de détenus », Le Parisien, 11 juin 2008.
Appel à témoignage Vous êtes incarcérés ou avez un proche qui l’est, écrivez-nous pour vous donner vos sentiments et analyses sur le projet de loi pénitentiaire présenté par le gouvernement au Parlement. En quoi pensezvous qu’il va changer quelque chose à la condition carcérale ? Jugez-vous qu’il est à la hauteur de la situation ? Quelles dispositions vous semblent intéressantes ou décevantes ? Envoyez vos témoignages à Dedans Dehors, 7 bis rue Riquet, 75019 Paris ou contact@oip.org
le législateur face à la loi pénitentiaire
La Commission des lois sénatoriale
déçue, mais résignée Comme la plupart des observateurs, la Commission des lois, chargée d’examiner le projet de loi pénitentiaire avant sa discussion par la Haute Assemblée, a elle aussi éprouvé une profonde déception en découvrant l’indigence du texte qui leur était présenté. Piégés par leur volonté de voter coûte que coûte cette loi tant attendue et par le souci de ne s’opposer frontalement ni à la Chancellerie ni à l’administration pénitentiaire, ses membres se sont cependant résolus à ne l’amender qu’à la marge. Retour sur le travail de la Commission, réalisé préalablement à l’examen en séance par le Sénat.
A
u terme de ses travaux préparatoires - une quarantaine de visites d’établissements pénitentiaires et une centaine d’auditions -, la Commission des lois du Sénat, réunie le 17 décembre 2008, puis à nouveau le 4 février dernier, n’a pu qu’arriver à la même conclusion que celle de l’ensemble du monde carcéral. Suscitant « une déception largement partagée », explique-t-elle, « le projet de loi semble être resté [...] au milieu du gué ». À l’exception de quelques avancées, comme l’accès au téléphone ou la possibilité de domiciliation des détenus à l’établissement pénitentiaire, le texte est au mieux « à droit constant », voire en « retrait par rapport au droit en vigueur ». Il mérite donc « d’être très largement amélioré ». Dans cette optique, la Commission a adopté pas moins de 108 modifications, la plupart sur proposition du rapporteur, le sénateur UMP Jean-René Lecerf. Une intervention massive quantitativement parlant, mais qui, d’un point de vue qualitatif, laisse un goût amer. Même profondément remanié, le projet de loi pénitentiaire suscite en effet la même déception et témoigne de l’abandon de toute volonté d’une réforme profonde de la condition carcérale. Les critiques exprimées quelques années plus tôt par le même Sénat, lors de la Commission d’enquête en 2000, sur l’« absence de politique d’envergure » ou sur la mise en œuvre de « réformes chaotiques » semblent aujourd’hui bien lointaines.
Le droit à l’encellulement individuel rétabli et élargi L’apport principal de la Commission réside dans le rétablissement du principe de l’encellulement individuel, que la Chancellerie avait cru bon de supprimer. Au préalable, Jean-René Lecerf a pris soin dans son rapport de réfuter un à un les arguments avancés pour justifier de son abandon. Le gouvernement s’était dit convaincu que « l’encellulement individuel pour tous ne doit plus être considéré comme l’objectif à atteindre absolument », car « il n’est en rien démontré que ce mode d’hébergement soit conforme à la demande réelle même des détenus et à leur intérêt ». Faux, rétorque le sénateur, il est au contraire « l’une des plus fortes garanties de la dignité des conditions de détention ». En outre, « l’aspiration à une cellule individuelle reste forte » chez les détenus. Et de citer l’exemple de la maison d’arrêt de Rouen où certains « souhaitent être placés à l’isolement » et « provoquent même des procédures disciplinaires […] pour obtenir une cellule individuelle au quartier disciplinaire ». Quant au faible nombre de requêtes déposées suite au décret de juin 2008 1, preuve, aux yeux de la Chancellerie, de la préférence des détenus pour la cellule collective, il s’explique « par les conditions dissuasives posées » et par « le risque d’un éloignement de l’environnement familial ». Redoutant « que Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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dossier « Il est impératif [que le programme de construction en cours] ne s’accompagne pas d’une nouvelle augmentation de la population pénale », ont prévenu les sénateurs. la nouvelle rédaction proposée […] ne conduise à une banalisation du premier [l’encellulement collectif] au détriment du second [l’encellulement individuel] », le rapporteur a donc proposé de rétablir ce principe, un amendement adopté à l’unanimité par la Commission, qui en a voté un deuxième dans la foulée, accordant ce même droit aux condamnés, en maisons d’arrêt comme en établissements pour peine. Au vu du programme de construction en cours, les sénateurs ont en effet estimé que « l’objectif de l’encellulement individuel n’est pas hors d’atteinte ». Pas hors d’atteinte, mais pas acquis non plus. Ils ont donc retenu le principe d’un nouveau moratoire de cinq ans pour son application, mais en prenant soin de l’accompagner d’un avertissement. « Il est impératif [que le programme de construction en cours] ne s’accompagne pas d’une nouvelle augmentation de la population pénale », ont prévenu les sénateurs. Et ce d’autant que « la construction de places […] atteint aujourd’hui ses limites ». Autrement dit, si un nouveau programme immobilier était présenté, les sénateurs refuseraient de voter le budget nécessaire. Le reste des modifications n’est cependant pas de la même veine. oriale de 2000 dont tant les conclusions que les exigences avaient marqué les esprits.
Le législateur reconnaît sa responsabilité… Un des principaux reproches formulés par la commission d’enquête sénatoriale de 2000 portait sur le système pénitentiaire, fustigé pour être le lieu du « règne de l’arbitraire ». L’application du droit, expliquaient les sénateurs dans leur rapport, y « est largement arbitraire » et « illusoire ». Les raisons étaient parfaitement identifiées. D’une part, le droit est fondé essentiellement « sur les dispositions réglementaires surabondantes du code de procédure pénale et sur une multitude de circulaires et de notes de service ». D’autre part, les quelques dispositions législatives existantes se contentent d’affirmer « des principes, comportant des dérogations et des rédactions suffisamment « souples », afin de ne pas entraver le bon fonctionnement des établissements ». Aux termes de l’article 34 de la Constitution pourtant, seul le législateur, c’est-à-dire le Parlement, a autorité pour décider de restrictions aux droits fondamentaux des individus. Celles-ci doivent donc découler d’une loi, et non de décrets, circulaires ou notes édictés par la Chancellerie, voire par l’administration. Sauf… en matière pénitentiaire. Comme l’explique le gouvernement dans l’étude d’impact qu’il a fournie aux sénateurs 2, le législateur a en effet délégué « au pouvoir réglementaire la faculté de restreindre les libertés des détenus », notamment par Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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l’article 728 du code de procédure pénale (CPP), qui spécifie qu’« un décret détermine l’organisation et le régime intérieur des établissements pénitentiaires ». Depuis de nombreuses années, les critiques se multiplient contre cet état de fait. Jean-René Lecerf en a pareillement convenu lors de la seconde réunion, en février 2009, de la Commission des lois, expliquant que le projet de loi pénitentiaire devait permettre « au législateur d’assumer pleinement sa compétence ».
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… Mais se refuse à l’assumer Malgré une série d’amendements sur nombre des dispositions du texte élaboré par les services de la Chancellerie, son intervention est pourtant minimale, pour ne pas dire minimaliste. La Commission des lois a commencé par réécrire l’article 10, qui prévoyait que « les droits des détenus ne peuvent faire l’objet d’autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à leur détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention des infractions et de la protection de l’intérêt des victimes », ces restrictions devant tenir « compte de l’âge, de la personnalité et de la dangerosité des détenus ». La reformulation sénatoriale vise à affirmer l’obligation pour l’administration pénitentiaire (AP) de garantir les droits des détenus avant d’en rappeler les limites. Mais la nouvelle rédaction est d’une portée avant tout symbolique car l’espace discrétionnaire laissé à l’administration pénitentiaire pour justifier de dérogations à ces droits reste le même, à l’exception de la référence à la « dangerosité » que les sénateurs ont supprimée. Quant à la
modification de l’article 728 du CPP, elle se limite à prévoir que le fonctionnement des établissements sera désormais déterminé par « des règlements intérieurs-types » élaborés toujours pas décret, ce dernier devant toutefois être pris après consultation du Conseil d’État. Dès lors, faute d’intervenir sur l’essentiel, les sénateurs ont tenté, au cas par cas, d’encadrer un peu plus les restrictions prévues aux droits des détenus. Une tâche des plus ardues, vu que l’AP avait saisi l’opportunité du projet de loi pour obtenir l’élargissement de sa marge de manœuvre en la matière, confortant nombre de restrictions actuelles, et tentant même ici ou là à les renforcer, voire les amplifier. Les sénateurs n’ont pu que limiter les dégâts. Concernant le droit à la correspondance par exemple, le texte gouvernemental prévoyait que tout courrier pouvait être retenu « pour des motifs liés au maintien de l’ordre et de la sécurité ou à la prévention des infractions ». Les sénateurs ont restreint cette possibilité aux cas où il « paraît compromettre gravement la réinsertion du détenu ou le maintien de l’ordre et la sécurité ». Ce qui revient tout de même à élargir les possibilités de rétention par rapport au droit en vigueur qui les limite aux cas de « menaces précises contre © DR la sécurité des personnes ou celles des établissements ». Une disposition similaire a été prévue concernant les publications écrites et audiovisuelles qui ne pourront être retenues que si elles contiennent des menaces « graves » contre la sécurité ou « des propos ou signes injurieux ou diffamatoires », alors que le texte initial utilisait les qualificatifs plus flous d’« injurieux ou outrageants ». La réglementation actuelle rend pour sa part possible la retenue seulement dans les cas, là encore, de « menaces précises contre la sécurité ». Elle prévoit également que la décision ne peut être prise que par le ministre de la Justice, alors que la nouvelle rédaction donne ce pouvoir à « l’autorité administrative », c’està-dire à n’importe quel directeur de prison.
Des avancées à la portée réduite Oscillant entre recul et statu quo, le reste des amendements suscite la même déception, même si parfois quelques timides améliorations sont introduites. La Commission des lois a par exemple fait un premier pas dans la reconnaissance du droit d’expression des détenus, mais l’a limité à une consultation formelle sur le panel des activités qui leur sont proposées. Les Règles pénitentiaires européennes (RPE) prévoient pourtant un champ beaucoup plus large, comprenant toutes les « questions relatives à leurs conditions générales de détention » (règle n° 50). Le Conseil de l’Europe fait même référence, dans les commentaires de ses Règles, à la possibilité Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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dossier L’apport de la Commission réside dans le rétablissement du principe de l’encellulement individuel, que la Chancellerie avait cru bon de supprimer. pour les détenus « d’élire des représentants » ou de leur « accorder un droit d’association ». Concernant le maintien des relations extérieures, et notamment avec les proches, les sénateurs se sont contentés d’insérer dans la loi le droit pour tout détenu à au moins un parloir hebdomadaire, « dont la durée doit être fixée en tenant compte de l’éloignement de sa famille », ainsi les unités de vie familiale et parloirs familiaux. Mais, alors que le rapport de JeanRené Lecerf souligne que le critère des liens familiaux « devrait être considéré en priorité dans les choix d’affectation, comme le préconise la Règle pénitentiaire européenne n° 17-1 […] et la CNCDH », aucun amendement en ce sens n’a été introduit. Après la première réunion de la Commission, rien n’était prévu non plus sur la santé, et notamment sur la psychiatrie, pourtant décrite, à regret, comme « le volet oublié de la loi » par le rapporteur. Finalement, sur proposition de la sénatrice communiste Nicole Borvo Cohen-Seat, un amendement a été adopté soulignant que doit être pris compte « l’état psychologique des personnes détenues […] lors de leur incarcération et pendant leur détention », mais sans plus de précision. Il rappelle également que « la qualité et la continuité des soins sont garanties aux personnes détenues dans des conditions équivalentes à celles dispensées à l’ensemble des personnes accueillies dans les établissements de santé publics ou privés » – un principe déjà garanti par le Code de la santé publique – et affirme l’obligation pour l’AP d’assurer « un hébergement, un accès à l’hygiène, une alimentation et une cohabitation propices à la prévention des affections physiologiques ou psychologiques ».
Des engagements oubliés Concernant la procédure disciplinaire, la Commission des lois se contente d’intégrer à la commission de discipline – pourtant qualifiée de processus organisant une « véritable atteinte aux droits fondamentaux du détenu » par l’UMP durant la campagne présidentielle 3 – une personne extérieure à l’administration pénitentiaire, sans préciser quels seront son rôle et ses pouvoirs, appelés à être définis par un décret en Conseil d’État. La durée de placement maximum en cellule de discipline a quant à elle été abaissée : 30 jours en cas de violence contre les personnes et 20 pour les autres cas, contre 40 et 21 dans le projet de loi gouvernemental, et 45 actuellement. On attendait mieux. Dans son rapport, Jean-René Lecerf citait en effet comme exemple de « garanties [qui] méritent d’être complétées car elles sont en deçà des références admises en Europe » le placement en cellule disciplinaire, qui « dépasse rarement 20 jours dans les pays voisins ». Ce maximum de 20 jours avait d’ailleurs été retenu par le Sénat dans le passé, une première fois en juillet 2000 dans le cadre des mesures préconisées à l’issue de sa comDedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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mission d’enquête, puis une seconde le 26 avril 2001 à l’issue du vote unanime d’une proposition de loi relative aux conditions de détention dans les établissements pénitentiaires et au contrôle général des prisons. Ces deux initiatives furent portées par Jean-Jacques Hyest, le président de ladite commission d’enquête. Neuf ans plus tard, ce dernier, qui préside désormais la Commission des lois, s’est cependant opposé à l’abaissement à 30 jours au motif qu’« il était indispensable de prendre en considération les réactions des personnels ». Jean-René Lecerf a utilisé le même argument pour ramener à 30 (…) et 20 jours les durées maximales de placement, alors qu’il proposait au départ un abaissement à 28 et 15 jours. Deux avancées importantes sont cependant à souligner au regard des amendements sénatoriaux retenus par la Commission. La première est la reconnaissance au détenu du droit à déposer un recours en urgence devant le juge administratif pour faire suspendre une décision de placement au quartier disciplinaire, mais également à l’isolement. L’autre avancée concerne les fouilles. Tel que rédigé par le gouvernement, l’article les concernant était en effet d’une portée particulièrement large, puisqu’il indiquait seulement que leur nature et leur fréquence étaient « adaptées aux circonstances de la vie en détention, à la personnalité des détenus et aux risques que leur comportement fait courir à la sécurité des personnes et au maintien de l’ordre dans les établissements ». La Commission a considéré pour sa part que les fouilles ne pouvaient se justifier que « par la présomption d’une infraction ou par les risques que le comportement des détenus fait courir » et que, par ailleurs, les fouilles intégrales n’étaient possibles « que si les autres moyens d’investigation, moins attentatoires à la dignité de la personne (fouille par palpation, contrôle par moyens électroniques), sont insuffisants ». Toutefois, la Commission entérine dans le même temps d’importantes régressions sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres.
Des régressions validées Le recul le plus marquant résulte de la possibilité conférée à l’administration d’imposer au détenu des fouilles des « cavités corporelles », laquelle n’est actuellement possible que dans le cadre de procédure judiciaire. Un autre est le maintien en maison d’arrêt des personnes condamnées ayant un reliquat de peine de deux ans, alors même qu’en 2000 les sénateurs membres de la commission d’enquête critiquaient l’utilisation « sans vergogne comme variable d’ajustement du système pénitentiaire » des maisons d’arrêt « confrontées à une surpopulation pénale gonflée par les condamnés à plus d’un an d’emprisonnement ou en attente de transfert dans un établissement pour peines ». À l’époque, le transfert en établissements pour peine des personnes
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condamnées à plus d’un an constituait même la première mesure d’urgence à prendre. Il était même proposé « d’affecter en établissements pour peine les prévenus lorsque leur instruction est achevée ou lorsqu’ils sont en attente d’appel ou de cassation ». Cette décision se justifiait par le fait que « la surpopulation relative en centre de détention serait infiniment moins difficile à supporter qu’en maison d’arrêt », que « les locaux et le régime des établissements pour peine offrent des activités collectives très larges, alors que celles-ci sont aujourd’hui presque inexistantes en “régime maison d’arrêt” » et que les détenus n’y « sont pas soumis à l’encellulement au cours de la journée ». Il faut dire que ces différences existent moins aujourd’hui et existeront encore moins dans le futur puisque la Commission des lois a également validé l’existence des régimes différenciés, expérimentés depuis quelques années dans les centres de détention et qui ont pour conséquences d’imposer à un grand nombre de personnes condamnées un quasi « régime maison d’arrêt », avec isolement cellulaire de jour comme de nuit et un moindre accès aux activités collectives. Tout en reconnaissant qu’il s’agit d’« un régime plus rigoureux », la Commission a choisi d’accorder à l’administration pénitentiaire ce qu’elle souhaitait plus que tout, c’est-àdire une base légale à un système créé et développé en marge du droit et qui commençait à entraîner des condamnations de l’État par le juge administratif. Cet enjeu est clairement énoncé
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dans l’étude d’impact transmise aux sénateurs : « La base juridique de cette expérimentation apparaît insuffisante et imprécise et les risques contentieux liés à l’affectation des détenus dans différents régimes mis en place à titre expérimental dans certains établissements, s’ils apparaissent encore marginaux, sont susceptibles de se développer au regard de la jurisprudence récente du Conseil d’État ». L’instrumentalisation manifeste dont fait l’objet la Commission des lois ne semble guère lui poser problème, puisqu’elle s’est contentée d’ajouter que la décision de placement doit « être spécialement motivée ». 4 Ce qui ne constitue nullement une garantie supplémentaire par rapport au droit en vigueur, la motivation s’imposant déjà aux termes de la loi du 11 juillet 1979 et le juge administratif ne faisant pas véritablement in concreto de différences selon que la décision est soumise à une obligation « simple » ou « spéciale » de motivation.
Le renoncement au RMI carcéral Enfin, une autre avancée très attendue est passée à la trappe : le « RMI carcéral ». Quelques semaines plus tôt, Jean-René Lecerf, alors rapporteur pour la Commission des lois du projet de loi de finances 2009, avait pourtant déposé un projet d’amendement visant à abonder de cinq millions d’euros le programme « Administration pénitentiaire » « afin de permettre au Parlement de discuter d’un revenu minimum carcéral lors de l’examen du projet de loi pénitentiaire ». L’amendement avait finalement été retiré, car, avait-t-il expliqué alors, il avait « reçu des engagements politiques parlementaires et gouvernementaux » pour que la discussion ait lieu. La question a effectivement été abordée dans les travaux préparatoires de la Commission sur la loi pénitentiaire. De nombreuses personnes auditionnées ont plaidé pour sa création, comme le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, Jean-Claude Viout, procureur et ancien président du Comité d’orientation restreint (COR) ou encore le Haut commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté lui-même. Martin Hirsch a en effet plaidé pour l’extension du dispositif de revenu de solidarité activité (RSA) 5 aux personnes détenues, expliquant que c’était non seulement possible, avec « un coût limité – huit millions d’euros sur dix milliards d’euros – », mais également souhaitable, notamment pour « éviter des ruptures de droits à l’entrée et la sortie de prison ». Conscient de l’existence « dans le monde politique de très fortes réserves et de nombreuses oppositions », il a proposé d’accompagner sa mise en place d’« un réel travail de pédagogie », qui insisterait « sur les contreparties et obligations qui accompagneraient l’octroi d’une telle allocation, sur le faible coût d’un tel dispositif […], sur la diversité des publics qui pourraient être concernés, et enfin, sur son efficacité incontestable en termes d’insertion ». Malgré ces soutiens de poids, Jean-René Lecerf a cependant renoncé car la mesure « ne semblait pas recueillir aujourd’hui un assentiment suffisant » ! Il faut dire qu’après s’être déclarée favorable dans un premier temps à l’instauration d’un RMI, Rachida Dati avait ensuite fait volte face, assénant qu’il s’agirait d’un « assistanat ». Lors de son audition par la Commission, elle a maintenu le cap, puis fait un petit pas en se disant Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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dossier Le rapporteur de la Commission des lois a reconnu que le projet de loi pénitentiaire devait permettre « au législateur d’assumer pleinement sa compétence ». Mais il laisse à l’exécutif le soin de déterminer « l’organisation et le régime intérieur des établissements pénitentiaires ». Paradoxe. « prête à discuter de l’institution d’une obligation d’activité pour les détenus majeurs, liée à un revenu minimal ». C’est donc la solution qui a été retenue : « l’octroi d’une aide en numéraire en échange de l’engagement de suivre une formation » et une obligation pour le détenu, lorsqu’une activité lui est proposée, d’y participer. L’« obligation de moyens pour développer le nombre d’activités proposées au sein des prisons » pour l’administration pénitentiaire, évoquée dans le rapport de la Commission, n’a pour sa part fait l’objet d’aucun amendement.
Piégés La Commission des lois a pourtant proposé ces amendements en pleine connaissance de cause et après une analyse particulièrement lucide de la situation. Son rapport décrit en effet parfaitement la prison, « un lieu où les droits et la sécurité doivent être garantis » mais où « tel n’est pas toujours le cas » ; la surpopulation, qui « entraîne une très forte dégradation des conditions de détention » ; la réinsertion, qui est assurée « encore très imparfaitement » ; le droit pénitentiaire, « qui laisse encore une large place à l’appréciation discrétionnaire de l’administration », etc. Elle est tout aussi consciente des enjeux de la loi et n’a pas manqué de souligner à quel point ce texte « était attendu ». Mais c’est précisément ce dernier aspect qui a conduit les sénateurs à se laisser enfermer dans un piège redoutable dont il leur a été impossible de s’extraire. La loi pénitentiaire est espérée et annoncée depuis tant de temps qu’il n’est pas concevable pour eux de la repousser plus longtemps. « Au regard de la situation des prisons, explique en effet Jean-René Lecerf, l’adoption de ce texte déposé le 28 juillet 2008 sur le bureau du Sénat ne pouvait être plus longtemps différée ». Un sentiment largement partagé hors de l’enceinte sénatoriale, comme le montre par exemple le communiqué rédigé par le député socialiste André Vallini le 15 janvier dernier, demandant au gouvernement d’« inscrire d’urgence le projet de loi pénitentiaire à l’ordre du jour de l’Assemblée ». C’est pourtant bien au nom de cet enjeu qu’il était nécessaire de prendre le temps d’élaborer une loi pénitentiaire capable de conduire à la réforme tant attendue. Et face à l’indigence de la version présentée par le gouvernement, les parlementaires avaient toute légitimité pour exiger la constitution d’une commission indépendante Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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chargé d’élaborer un nouveau projet. Tel n’a pas été leur choix. Dès lors, un autre piège s’est refermé sur eux. Dans l’introduction de son premier rapport, la Commission explique en effet avoir « été animée par le souci de concilier deux convictions », dont l’une est qu’« aucune réforme d’ampleur ne se fera sans l’adhésion de l’administration pénitentiaire ». Ce souci va se retrouver tout au long des discussions. Amené à se positionner sur un amendement élargissant les possibilités de recours en urgence, Jean-René Lecerf a insisté sur la nécessité « de rester attentif aux préoccupations de l’administration pénitentiaire dont l’adhésion est nécessaire au succès de la réforme pénitentiaire ». Chaque avancée doit ainsi être négociée, comme l’illustre la question de l’abaissement de la durée du placement en quartier disciplinaire ou (…) celle du RMI. Ce faisant, la Commission des lois renonce à mettre un terme à l’« humiliation » dénoncée neuf ans plus tôt et à ce qu’elle a pourtant présenté comme étant son objectif : « donner à la loi toute son efficacité ». L’abandon progressif des exigences formulées par le Sénat en 2000 est la conséquence directe de sa résignation face à l’imperium de l’administration pénitentiaire. La déclaration d’urgence pour laquelle a opté in extremis le gouvernement témoigne, preuve s’il en était encore besoin, de la volonté de l’exécutif de réduire à une peau de chagrin l’espace d’intervention du législateur dans la définition de la règle du jeu carcéral. En dédaignant au passage que ce dont il est question est le respect des droits de l’homme dans nos prisons. Stéphanie Coye 1. Le délai laissé à l’AP pour mettre en œuvre l’obligation d’encellulement individuel des prévenus arrivant à son terme le 13 juin 2008, la Chancellerie a pris un décret afin d’« organiser [sa] mise en œuvre ». Celui-ci prévoit une procédure complexe, des délais d’examen très longs et la possibilité de transférer les détenus dans une autre maison d’arrêt, n’importe où en France. 2. Annexée au rapport de Jean-René Lecerf. 3.. « Justice : le droit de confiance », document réalisé par la Direction des études de l’UMP pour la Convention sur la justice du 3 mai 2006. 4. Sur amendement du gouvernement, la nécessité de motiver les décisions a été retirée. 5. Allocation qui va peu à peu remplacer les autres minimas sociaux, et notamment le RMI.
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Régimes (de droits) différenciés Le Sénat a accepté sans rechigner de donner une base légale à la différenciation des régimes de détention. Ce dispositif de ségrégation des personnes selon leur « personnalité » et leur « dangerosité » était l’un des points cardinaux de la réforme promue par l’administration pénitentiaire. Applicable aux prévenus comme aux condamnés, ce système fait l’objet de vives critiques tant il se révèle à l’usage un redoutable outil de restriction sélective des droits fondamentaux des détenus. Une régression phénoménale pour la sécurité juridique des personnes privées de liberté, déjà pour le moins déplorable. © Michel Lemoine
«I
l s’agit là d’une histoire racontée aux enfants, car la réalité est toute autre », s’est exclamé le sénateur Alain Anziani, porte-parole du groupe PS lorsque la garde des Sceaux a fait valoir, lors des débats au Sénat sur l’article 51 du projet de loi pénitentiaire, que « le placement en régime de détention différencié n’empêche pas les détenus de conserver leurs droits ». L’affirmation ne l’a pas convaincu. Pas plus, du reste, que les explications du directeur de l’administration pénitentiaire lors de son audition par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) n’avaient
levé les craintes de l’institution. Dans un avis du 8 novembre 2008, elle a fermement exprimé son opposition à la perspective de différenciation des régimes de détention qui ne manquerait pas de « décupler les pouvoirs que détient l’administration sur l’individu incarcéré et accroître très nettement les risques d’arbitraires » 1. Un point de vue qui rejoint celui, tout aussi tranché, du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe. Thomas Hammarberg a fait savoir qu’il « restera vigilant » quant au fait que « la mise en place de régimes de détention différenciés ne soit pas légalisée » 2 au travers du vote de la loi Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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pénitentiaire. Sans compter la critique virulente du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, qui a assorti sa première recommandation sur le domaine pénitentiaire d’une sévère mise en garde contre ce qu’il qualifie de « pure et simple ségrégation » (lire p. 8-9). Le Sénat ne semble pas avoir porté de crédit à ces cris d’alarme. Manifestement abusé par l’apparente banalité sous laquelle ces dispositifs se présentent, qui masque la profonde évolution qu’opère l’administration pénitentiaire au travers de leur généralisation, décidée à restaurer son entier pouvoir au sein des lieux de détention dont elle a la charge. C’est pourtant l’ensemble de la population carcérale qui se trouve là exposée à un durcissement potentiel de ses conditions de détention. La classification des détenus et la différenciation des régimes dans lesquels ils seront affectés en conséquence accentuant l’état de subordination dans laquelle la personne incarcérée se trouve vis-à-vis de l’autorité administrative, ouvrant ainsi la voie à une détérioration plus forte encore de la situation dans les prisons.
© Michel Lemoine
dossier
Les implications d’une légalisation Le débat au Sénat s’est placé début mars sous le signe de la confrontation entre la théorie et la pratique. Et, quoi que prétende l’administration pénitentiaire, le placement en régime de détention différencié influe bel et bien sur l’effectivité des droits que conservent les détenus. La situation observée dans les centres de détention ayant déjà mis en œuvre ce dispositif en atteste. La ministre l’a implicitement admis en proposant d’introduire dans le texte une phrase indiquant que « le placement d’une personne détenue sous un régime de détention plus sévère ne saurait porter atteinte aux droits des détenus visés à l’article 10 de la loi ». Pourquoi une telle mention si le risque était inexistant ? Certainement pas pour rassurer les opposants à ce système, l’article 10 en question étant lui-même porteur de restrictions importantes aux droits à la discrétion de l’administration pénitentiaire (lire « une réforme en mode régressif majeur », p. 36-39). En généralisant le principe de la différenciation des régimes de détention, le texte accentue très nettement l’instabilité des situations juridiques des détenus. Les dispositions du projet de loi tel qu’adopté par le Sénat ont pour objet et pour effet de supprimer en matière de régime de détention toute référence à une norme générale et impersonnelle dont le détenu pourrait revendiquer le respect. À la place, est institué un régime mouvant, qui évoluera au gré des besoins et des exigences de l’administration péniten-
tiaire. Les personnes détenues pourront voir du jour au lendemain leurs conditions d’existence bouleversées par un placement en régime plus strict en fonction des appréciations portées sur leur compte par les personnels pénitentiaires.
La subjectivité au cœur du système Aujourd’hui, ces appréciations sont en partie établies à l’aide de grille d’évaluation, de questionnaires accompagnés de motsclés, qui sont de nature à altérer et peser sur la réalité, à la fois parce qu’elles conduisent les professionnels à prendre des prises de positions tranchées concernant les personnes et parce qu’elles entraînent un stigmate très fort du détenu (« manipulateur », « ingérable », etc.) qu’il conservera pour le restant de sa
L’administration pénitentiaire, par la voix de la ministre, fait valoir les meilleures intentions sous-jacentes à un système basé sur la peine, sur la base des concepts flous et subjectifs de « dangerosité » et « personnalité ». Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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le législateur face à la loi pénitentiaire détention, compte tenu de la mémoire qui en est conservé par les logiciels informatiques utilisés. Car point n’est besoin d’insister sur le fait que les critères de prédictibilité du comportement sur lequel l’évaluation repose n’ont aucun fondement scientifique, alors même que la classification emporte des conséquences décisives sur les conditions d’exécution de la peine et in fine la durée du temps passé derrière les barreaux. Qu’elle soit conduite dans la perspective de la classification du détenu ou qu’elle intervienne dans le cadre du « parcours d’exécution de peine », l’évaluation de la personnalité repose sur des bases irrecevables. Des grilles conduisent par exemple les conseillers d’insertion et de probation à évaluer un risque de récidive « faible/moyen/élevé » en inscrivant des scores à des items concernant la capacité à « respecter des consignes », « planifier des échéances », « accepter de faire des efforts physiques » ou « être conscient de ses lacunes ». L’Etat-major de la sécurité, service créé en 2003 au sein de la direction de l’administration pénitentiaire, a diffusé le 7 novembre 2008 une grille d’évaluation de la dangerosité. Comme l’explique la note d’accompagnement, « la grille dangerosité présente six grands points et comptabilise le nombre de oui et de non à différentes items. L’item devra être coché dès lors qu’il répond à la situation du détenu. » L’évaluation aboutit à une classification ou non dans quatre catégories à risque (vulnérabilité en détention, risques auto-agressifs, risques hétéro-agressifs, risques liés à la sécurité). L’administration pénitentiaire, par la voix de la ministre, fait valoir les meilleures intentions sous-jacentes à un système qui individualiserait la peine, sur la base des concepts flous et subjectifs de « dangerosité » et « personnalité » qui ont trouvé leur place dans le projet de loi. En y incorporant le critère de la santé, les sénateurs y ont ajouté un affront au principe du secret médical [lire « vers la fin du secret médical pour les détenus ? », p. 56-60].
Un bouclier pour se protéger du contrôle du juge De surcroît, l’exercice d’un contrôle sur les mesures prises par l’administration dans le cadre du régime différencié va s’avérer extrêmement délicat, même si, comme cela est probable, le Conseil d’Etat entérine la position des juridictions qui considèrent que les décisions de placement en régime strict sont susceptibles de recours. Comment faire juger qu’une décision en parfaite adéquation avec le score obtenu sur une grille dévaluation de façon
apparemment parfaitement objective, procède d’une erreur d’appréciation et est donc illégale ? Comment obtenir le retrait d’une appréciation négative résultant d’une case cochée dans une grille d’évaluation ? Avant l’examen du projet de loi, la commission des lois du Sénat avait introduit une exigence de motivation spéciale en cas de placement de la personne sous un régime de détention plus sévère. Cet apport n’était déjà pas suffisant pour limiter effectivement le pouvoir de l’administration, compte tenu des modalités d’évaluation de la personnalité retenues, qui reposent sur des grilles et des référentiels de dangerosité et donnent l’illusion d’une appréciation objective. Mais il était utile. Or il a été supprimé.
L’état de subordination de la personne détenue entériné Avec l’article 51 du projet de loi, l’administration pénitentiaire demande au législateur de lui accorder une très large habilitation. Celle-ci doit lui permettre de définir, à l’abri de toute censure juridictionnelle, les régimes de détention conformes à ses exigences. Cette démarche est d’autant plus condamnable qu’elle vise à accentuer encore ceux des traits de fonctionnement de l’institution qui étaient les plus décriés par les rapports de 2000 (tant celui du Guy Canivet que ceux des commissions d’enquête parlementaires), eux-mêmes à l’origine de l’affirmation de la nécessité d’une loi pénitentiaire. Le système, loin d’accroître l’autonomie des intéressés, accentue considérablement la domination de l’administration sur eux et l’arbitraire des décisions qu’elle prend. À tous les niveaux : du surveillant qui remplit le logiciel comportemental sans aucun contrôle, à la direction centrale qui décide de l’affectation dans un établissement à sécurité plus ou moins stricte, en passant par les conseillers de probation qui font de la réadaptation sociale « au forceps », en contraignant le détenu à participer aux groupes de parole, à adhérer au sens de sa peine, à se montrer en phase avec ce qu’on attend de lui, être capable de gérer ses émotions sous peine de se voir imputer des troubles de la personnalité, etc. La personnalité, et le comportement qui en est le révélateur, étant le point de référence des différents acteurs, les récriminations ne se font plus sur la base objective d’un manquement à un interdit posé par la règle de droit (la faute disciplinaire classique) mais d’appréciations purement subjectives. Il n’y a plus de liste limitative des comportements prohibés, toute façon d’être du détenu pouvant désormais donner lieu à une réaction coercitive de l’institution.
Article 51 du projet de loi « 1° Dès leur accueil dans l’établissement pénitentiaire et à l’issue d’une période d’observation pluridisciplinaire, les détenus font l’objet d’un bilan de personnalité et de santé. Un parcours d’exécution de la peine est élaboré par le chef d’établissement et le directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation pour les condamnés, en concertation avec ces derniers, dès que leur condamnation est devenue définitive. Le projet initial et ses modifications ultérieures sont portés à la connaissance du juge de l’application des peines.
2° Le premier alinéa est complété par deux phrases ainsi rédigées : « Leur régime de détention est déterminé en prenant en compte leur personnalité, leur santé, leur dangerosité et leurs efforts en matière de réinsertion sociale. Le placement d’une personne détenue sous un régime de détention plus sévère ne saurait porter atteinte aux droits des détenus visés à l’article 10 de la loi pénitentiaire (...). »
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dossier « La norme et son application doivent être constantes et égales pour tous, sans varier selon les détenus, les surveillants ou les établissements », disait le rapport Canivet en 2000, unanimement salué. La CNCDH a mis en cause cette dimension du projet de loi en soulignant que « les actes ou les attitudes susceptibles de donner lieu à la mise en œuvre d’un régime plus sévère ne sont pas énoncés dans un texte préexistant, mais répondra à une appréciation globale de la personne sur la base de critères fourre-tout de dangerosité et de personnalité. La Déclaration de 1789 proclame pourtant en son article 5 que ‘‘tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché et nul ne peut être contraint de faire ce qu’elle ne prévoit pas’’ ».
Vers une aggravation des maux de la prison Dans un tel système, le détenu n’a plus aucune prise sur le cours de son existence puisqu’il ne peut pas répliquer aux observations qui sont faites à son égard, et dont il n’a pas connaissance. L’état d’impuissance dans lequel il est placé est accentué par le fait que ces appréciations vont conditionner le regard de l’ensemble des acteurs qui interviennent autour de lui, qu’ils soient membres de l’administration pénitentiaire ou intervenants extérieurs. D’autre part, la volatilité de la situation des détenus du point de vue du régime de détention applicable constitue une violence institutionnelle redoutable qui ne peut qu’accentuer le climat de tension qui règne en prison. L’imprévisibilité de la survenance des événements en détention est un facteur majeur de passage à l’acte violent, d’après l’ensemble des travaux réalisés. Selon un rapport sur la violence en prison commandité par le ministère de la Justice, « L’arbitraire et l’injustice, dès lors qu’ils s’expriment dans un cadre coercitif, sont des violences en tant que telles dans la
mesure où ce cadre n’autorise aucune échappatoire et ne permet pas de contestation. Mais au-delà de leur caractère violent, les sentiments d’arbitraire et d’injustice sont générateurs de violence par la frustration qu’ils engendrent et par la réparation symbolique qu’ils appellent et qui ne peut s’exprimer que par la production d’une violence réactive envers des tiers ou envers soi-même. » 3 Contrairement à la rhétorique avancée par l’administration pénitentiaire, la généralisation du système ne s’accompagnera pas d’un abaissement du niveau de sécurité pour la majorité des détenus, mais conduira à accroître les mesures de contrainte et de sécurité à l’égard de ceux qui sont réputés difficiles ou dangereux. La situation observée dans les centres de détention qui ont mis en œuvre le régime différencié en atteste. Ces établissements fonctionnaient jusqu’alors selon un régime souple unique et uniforme, avant qu’une partie de la détention ne se voie dédiée au régime rigoureux des maisons d’arrêts. La période récente a été marquée par la multiplication des régimes spéciaux de détention, ainsi que l’a déploré le Comité Européen de prévention de la Torture (CPT) dans son dernier rapport, ceci constituant même à ses yeux le trait le plus marquant et le plus inquiétant de la situation carcérale française.
L’assemblée nationale ira-t-elle à l’encontre de sa propre philosophie ? Ce système est aux antipodes de ce que préconisait le rapport Canivet : l’élaboration d’un corpus de « normes de qualité,
Un système pour partie disciplinaire En centre de détention, l’affectation en régime fermé est souvent utilisée en lieu et place d’une procédure disciplinaire, voire en complément. Il est ainsi très fréquent que, suite à une faute disciplinaire ou à une simple suspicion de faute, un détenu soit affecté en régime fermé, sans passer devant la commission de discipline et donc sans être condamné pour l’infraction. Des détenus sont également placés en régime fermé en attendant leur passage devant la commission disciplinaire ou après un passage au quartier disciplinaire. L’affectation en régime fermé est alors une double sanction, vécue comme telle par les détenus. Un confinement en cellule peut aussi s’effectuer en régime fermé. Comme l’explique les
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comptes rendus de réunion du comité de pilotage de la mise en œuvre du régime différencié à Maubeuge, l’affectation en régime fermé constitue « un pallier supplémentaire et une alternative pour un écart de comportement qui ne nécessite pas une décision de mise en prévention au quartier disciplinaire ». De fait, on trouve ainsi, comme corollaire de l’instauration des régimes différenciés, une baisse importante des procédures disciplinaires. Ce qui sert d’arguments à l’administration pénitentiaire pour affirmer que la différenciation des régimes permet une baisse des incidents et violences, alors qu’ils sont en fait gérer autrement, et avec bien moins de garanties pour le détenu.
le législateur face à la loi pénitentiaire
accessibles, précises et prévisibles ». Il soulignait que « le défaut de praticabilité des règles et la trop grande part d’appréciation qu’elles laissent à l’Administration sont à l’origine de litiges et de frustrations ». Et indiquait que, « apparemment favorable aux personnels pénitentiaires, cette latitude leur nuit en réalité par l’indécision permanente dans laquelle elle les place, comme par les tolérances qu’elle leur autorise. L’inégalité de traitement qu’elle engendre ne peut, à terme, que provoquer un désordre préjudiciable aux personnels eux-mêmes. La norme et son application doivent être constantes et égales pour tous, sans varier selon les détenus, les surveillants ou les établissements ». Un avis auquel s’était bien évidemment rangée la commission d’enquête de l’Assemblée nationale en 2000. Peut-on espérer qu’il sera suivi d’effets en 2009 au travers d’un refus net et précis des députés d’avaliser un système porteur de tant de tensions en prison ? La désignation du député Jean-Paul Garraud, en qualité de
rapporteur du projet de loi pénitentiaire pour la commission des lois du Palais Bourbon, laisse entrevoir le contraire. L’élu UMP n’a pas réputation d’être un pourfendeur de l’usage par l’administration pénitentiaire des concepts de « dangerosité » et de « personnalité ». N’a-t-il pas, du reste, lui-même recommandé en 2006 l’extension des commissions pluridisciplinaires, intrinsèquement peu respectueuses du secret médical ? Nul doute qu’il se fera l’avocat du gouvernement pour prôner une utilisation extensive des régimes différenciés. Hugues de Suremain, Stéphanie Djian 1. CNCDH, Etude sur le projet de loi pénitentiaire, 6 novembre 2008, p. 38. 2. Mémorandum faisant suite à sa visite en France du 21 au 21 mai 2008. 3. Lucie Melas et François Ménard, Production et régulation de la violence en prison : Avancées et contradictions, Institut Fors, janvier 2002.
Une réforme sans rapport avec le droit européen Pour appréhender les régimes différenciés, doivent d’emblée être dissipées les ambiguïtés provoquées par la référence faites aux règles pénitentiaires européennes (RPE) et au principe de l’individualisation de la peine dans le discours accompagnant leur mise en œuvre, référence qui s’avère en réalité dénuée de pertinence. En premier lieu, là Règle 51 (les articles 51-1 à 51-5) des RPE a pour objet d’assurer le respect d’un principe de proportionnalité dans la mise en œuvre des mesures de sécurité. Le système mis en place en France, qui repose sur l’appréciation du comportement, constitue essentiellement un outil administratif de gestion de la détention, avec une finalité hybride, d’ordre à la fois disciplinaire et de contrôle. Les premiers régimes différenciés ont en effet été instaurés de façon empirique par les chefs d’établissement en centre de détention. Ce durcissement visait à contrôler davantage la population incarcérée pour permettre à la fois d’augmenter les effectifs des établissements pour peines et de faire face à l’afflux de personnes que les personnels ne savent pas « gérer ». En maisons d’arrêt, la mise en place des régimes différenciés permet à l’inverse de faire face à la présence d’un très grand nombre de condamnés, en y instaurant de simili quartiers centres de détention. Dans tous les cas, l’affectation dans tel ou tel régime est utilisée comme moyen de pression sur les détenus pour leur faire changer de comportement, leur faire respecter le règlement et les soumettre à l’autorité des personnels. En second lieu, les dispositifs promus aujourd’hui constituent en réalité de vieilles lunes de l’administration, puisqu’ils ont été élaborés au début des années 1990. En effet, une première circulaire de 1990 est venue poser le principe d’une différenciation des régimes à l’intérieur des centres de détention issus du programme 13 000 et prévus
pour les courtes peines d’emprisonnement. Ce texte ne semble pas avoir été véritablement suivi d’effet et deux ans plus tard, en novembre 1992, le rapport du groupe de travail sur la gestion des longues peines préconise une réforme pénitentiaire selon deux axes complémentaires : la mise au point de « projets d’exécution de peine » assimilables à un « contrat » passé entre le détenu et l’administration pénitentiaire ; l’instauration de « régimes de détention différenciés » dans les établissements pour peines. Le projet d’exécution de peine a été de nouveau préconisé par la commission Cartier sur la prévention de la récidive, mise en place en 1993 par M. Pierre Méhaignerie. Mais si en eux-mêmes, les dispositifs décrits à l’époque sont très proches de ceux entérinés aujourd’hui, des différences substantielles d’approches doivent être relevées, puisque l’administration demeurait alors animée d’une vision de ses missions nettement plus axée sur la réinsertion. En effet, contrairement à ce que laisse entendre la rhétorique employée par l’actuelle direction de l’administration pénitentiaire pour accompagner la mise en place des régimes différenciés, ceux-ci s’intègrent dans un système qui se distingue du régime progressif préconisé par la Réforme Amor au lendemain de la seconde guerre mondiale, et qui est étranger au principe de l’individualisation de la peine. Ainsi, le régime progressif, conformément au principe de l’individualisation de la peine, est un dispositif axé sur l’accompagnement à la sortie du détenu, par étapes qui le rapprochent progressivement des conditions de la vie libre. Tel n’est pas le cas du régime différencié, dans lequel le détenu passe du régime strict au régime ouvert et inversement, en fonction de considérations strictement internes à la prison, le juge de l’application des peines étant tenu à l’écart de ces procédures.
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dossier
Vers la
fin du secret médical
pour les détenus ?
La loi pénitentiaire était une chance unique de renforcer les droits du patient détenu et de régler les nombreux blocages et dysfonctionnements persistants malgré la réforme de 1994, qui a retiré la médecine du giron de l’administration pénitentiaire. Bien loin de cet objectif, le gouvernement tente au contraire d’imposer une vision « pragmatique » du secret médical, en exigeant des médecins un partage opérationnel d’informations, au mépris de l’intérêt de leurs patients. Une régression qui signifierait le retour à la médecine pénitentiaire d’un autre siècle.
L
e secret médical dont sont censés bénéficier, comme toute personne, les patients détenus, survivra-t-il à la loi pénitentiaire ? Ce n’est pas sûr. Absente du projet de loi tel que proposé par le gouvernement et modifié par la Commission des lois, la question a en effet suscité des débats animés devant le Sénat, aboutissant aux votes de dispositions aux logiques contradictoires. Le 6 mars, dernier jour de l’examen du texte, les sénateurs ont en effet adopté un article qui prévoit que, à leur arrivée dans un établissement, les personnes détenues font l’objet d’une « période d’observation pluridisciplinaire » comprenant un « bilan de personnalité et de santé » (article 51). Sur cette base est ensuite déterminé le régime de détention qui leur est appliqué, en fonction de leur personnalité, de leur dangerosité et de leurs efforts en matière de réinsertion sociale, et, de nouveau, de leur santé. Autrement dit, des informations d’ordre médical pourraient être demandées, si ce n’est exigées, des médecins par l’administration pénitentiaire, afin que celle-ci puisse évaluer les détenus, et notamment leur « dangerosité », et déterminer leur régime de détention (lire l’article précédent, p.51 à 55).
Le Sénat se contredit La veille, sur proposition du sénateur centriste et président de la Commission des affaires sociales, Nicolas About, deux nouveaux articles avaient pourtant été adoptés afin, au contraire, de renforcer le secret médical et de clarifier la position du médecin intervenant en milieu carcéral vis-à-vis de son patient et de l’administration pénitentiaire (AP). Le premier (article 20 A) énonce en effet que tant celle-ci que les personnels soignants « garantissent le droit au secret médical des détenus ainsi que le secret de la consulDedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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le législateur face à la loi pénitentiaire
tation ». Le second (article 20 bis) précise quant à lui qu’aucun « acte dénué de lien avec les soins, la préservation de la santé du détenu ou les expertises médicales ne peut être demandé aux médecins et aux personnels soignants intervenant en milieu carcéral ». Cette disposition, a expliqué Nicolas About, vise à « réaffirmer que les médecins et les personnels soignants en prison sont là pour soigner des malades et non pour effectuer des missions de sécurité, comme les fouilles des cavités corporelles ». Une « condition indispensable pour que ces professionnels conservent toute leur crédibilité aux yeux des détenus et que des liens de confiance puissent s’établir ». Ce qui exclut la participation des personnels soignant à toutes démarches répondant aux nécessités gestionnaires de l’administration, et en particulier à la mise en œuvre de la mission de garde – telles que l’évaluation et la classification des détenus en fonction de leur dangerosité. Et qui clarifie ainsi leur mission dans le sens du respect du code de déontologie médicale, dont il convient de rappeler qu’il impose aux personnels soignants de n’intervenir que dans l’intérêt du patient.
Un enjeu fondamental L’objectif poursuivi par Nicolas About est de « garantir que le prisonnier malade bénéficie des mêmes droits que n’importe quel © Aubert
patient ». Comme il le rappelle, ces droits ont déjà été « consacrés en 1994 », par la loi relative à l’accès aux soins des personnes détenues. En retirant la prise en charge sanitaire à l’administration pénitentiaire (AP) et en la confiant au service public hospitalier, cette réforme a suscité une véritable révolution dans le milieu carcéral et permis une amélioration sensible des soins. Elle impliquait notamment que l’AP ne peut, en principe, apporter des restrictions aux droits du patient, au nom de la sécurité et du bon fonctionnement des établissements pénitentiaires. Pour autant, d’importants blocages persistaient. Au point que la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les prisons qualifiait en 2000 la réforme d’« inachevée ». Depuis, la situation ne s’est pas améliorée, bien au contraire. À l’opposé de l’orientation prise en 1994, ces dernières années ont été marquées par une tentative de reprise en main de ce secteur par l’AP, avec pour conséquence, comme l’a mis en avant Nicolas About devant les sénateurs, des « entorses fréquentes » aux droits du patient détenu, « et tout particulièrement en ce qui concerne le respect du secret médical, en prison ou lors des consultations à l’hôpital ». Suite à une évasion lors d’une extraction médicale, l’administration pénitentiaire a par exemple rédigé une note (18 novembre 2004), qui prévoit, lorsque qu’un détenu doit être conduit à l’hôpital, trois « niveaux de surveillance » selon sa « dangerosité », dont le troisième implique, outre le port de menottes et entraves, la présence des surveillants pendant l’examen ou l’entretien avec le personnel soignant, au mépris absolu du secret médical. Dans la pratique, le niveau de surveillance le plus élevé est presque systématiquement appliqué. Lors de sa dernière visite, le CPT a ainsi observé que, à l’unité d’hospitalisation sécurisée (UHS) du Centre hospitalier de Moulins-Yzeure (Allier), « malgré le fait que les deux chambres de l’UHS […] étaient sécurisées, les détenus étaient systématiquement fixés à leur lit, sans interruption, le plus souvent avec des entraves aux chevilles et avec une main menottée au cadre du lit » et « trois fonctionnaires de police étaient présents aux côtés du patient pendant tout acte médical, même le plus intime ».
Condamnations unanimes Ces conditions d’hospitalisation ont suscité de très nombreuses réactions indignées. Le Comité national consultatif d’éthique médicale a ainsi estimé que « ces pratiques constituent incontestablement une humiliation et un traitement inhumain et dégradant, mettent en péril la relation de confiance entre le médecin et le malade [...] et peuvent porter atteinte à la qualité de l’examen médical et des soins » 1. Suite à sa visite en France en 2005, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe avait également considéré que « les dispositions introduites par cette circulaire nuisent aux droits de la personne », « entravent l’accès aux soins » et peuvent « constituer une humiliation et un traitement inhumain et dégradant ». Et ce, d’autant que « les chiffres relatifs aux évasions en 2004 [4 évasions sur 55 000 extractions] ne peuvent en rien motiver l’imposition de telles mesures ». Aussi demandait-il d’« abroger sans délai la circulaire ». Une recommandation similaire a été faite par le CPT, la CNCDH ou encore la Commission nationale de déontologie de la sécurité. Chaque Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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dossier année, celle-ci se voit saisie de cas problématiques, et rend systématiquement des avis sévères sur l’application de la circulaire. L’un d’entre eux, de novembre 2007, concernait par exemple un détenu qui avait été menotté et entravé durant le trajet et dans la salle d’attente de l’hôpital, avant de voir un médecin en présence de plusieurs surveillants. L’homme avait pourtant bénéficié de plusieurs permissions de sortir, dont la dernière quelque jours auparavant. Dans un avis plus récent (15 décembre 2008), la Commission a dénoncé l’extraction, le 10 septembre 2006, d’une personne détenue à la maison centrale de Poissy (Yvelines), âgée de 60 ans et aveugle, qui a été menottée et entravée durant son transport à l’hôpital et a dû subir les examens médicaux en présence de surveillants. Face à la pression exercée par toutes ces instances, la direction de l’AP a fini par prendre une nouvelle circulaire, en date du 20 mars 2008, précisant « un certain nombre de règles pratiques », « afin de permettre une application plus adéquate des textes ». N’est cependant traitée que la question des menottes et entraves, tandis que le problème du non respect du secret médical est laissé en état.
Le « partage opérationnel d’informations »… Cette circulaire est loin d’être le seul exemple de la propension de l’administration pénitentiaire à passer outre le secret médical. Désormais, elle tente même de l’instrumentaliser à des fins sécuritaires. Depuis plusieurs années déjà, elle cherche en effet à imposer le « bilan de personnalité et de santé » introduit par l’article 51 du projet de loi pénitentiaire, hors de tout cadre légal. Sont ainsi développées, au sein de chaque établissement, des
« commissions pluridisciplinaires uniques », compétentes pour examiner la situation de chaque détenu, évaluer sa dangerosité et le risque éventuel qu’il représente, pour décider notamment de son affectation dans tel ou tel régime. Et la pression est forte pour que chaque type de personnel y participe, des surveillants aux travailleurs sociaux, en passant par les médecins et les psychiatres. Ces derniers disposent en effet d’informations intéressant au plus haut point l’administration pénitentiaire dans son fantasme panoptique de tout connaître du détenu, mais qui, jusqu’à présent au moins, étaient censées être confidentielles, car couvertes par le secret médical. Elle expérimente également depuis plusieurs années, en toute confidentialité, un outil informatique, appelé au départ « logiciel de suivi comportemental ». Conçu par un surveillant de la maison d’arrêt d’Amiens, il permet la centralisation et le partage des informations entre les différents services, ceux de l’administration pénitentiaire bien sûr, mais aussi ceux rattachés à d’autres ministères, à commencer par celui de la Santé. Les services médicaux (UCSA et, le cas échéant, SMPR) sont ainsi invités à donner leur appréciation sur l’état général du patient, s’il est sous traitement ou sous suivi psychologique ou psychiatrique, s’il a des antécédents de dépendance, d’hospitalisation, de tentatives de suicide, mais aussi son comportement avec le personnel médical, son rapport à la santé, etc. Là encore, au mépris du secret médical.
… légalisé L’idée de ce partage opérationnel d’information avait pourtant été écartée quelques années plus tôt, dans un rapport interne
Rappeler les soignants à leur déontologie Aujourd’hui, face à toutes ces offensives contre leurs règles déontologiques, les personnels soignants n’adoptent malheureusement pas toujours l’attitude attendue de leur part. Si certains refusent de renseigner le logiciel de suivi comportemental, d’autres l’ont d’ores et déjà intégré dans leur quotidien. Il en est de même de la présence de surveillants ou de forces de l’ordre lors de soins à l’hôpital. D’après une enquête menée par trois étudiants à l’hôpital de Montpellier auprès des infirmiers et manipulateurs en électroradiologie médicale 1, il ressort que « la quasi totalité des détenus pris en charge à l’hôpital pour un examen ou une hospitalisation » sont « munis de moyens de contrainte » et « sont, pour la plupart, sous surveillance directe des forces de l’ordre même durant un examen médical ». Or, les infirmières « répondent à l’unanimité qu’elles ne se sentent pas gênées par [cette] présence ». Pour ce qui est des manipulateurs, seulement la moitié d’entre eux ont déclaré demander aux forces de l’ordre de sortir durant l’examen. Et encore, ce n’était pas expli-
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citement pour préserver le secret médical mais pour « ne pas exposer les forces de l’ordre inutilement aux rayons ionisants ». Le centre hospitalier de Creil, qui accueille les personnes détenues à Liancourt (Oise), pour répondre aux exigences de sécurité imposées par l’administration pénitentiaire, a même été jusqu’à rédiger une instruction, en date du 18 décembre 2007, faisant fi, purement et simplement, du respect du secret médical. Adressée tant aux personnels du centre hospitalier qu’aux personnels pénitentiaires chargés des escortes, elle précise que les consultations médicales doivent se dérouler « selon les critères définis par l’autorité pénitentiaire » et que, dans le cas où un détenu demande le « respect strict de la confidentialité du diagnostic », l’entretien doit avoir « lieu en milieu pénitentiaire par l’intermédiaire du médecin de l’UCSA ». 1. Floriane Amaury, Sonia Bendjeddou et Mylène Garrigues, « La prise en charge des détenus en milieu hospitalier », Institut de formation de manipulateurs d’électroradiologie médicale de Montpellier, 2008.
le législateur face à la loi pénitentiaire
sur « La sécurité des établissements pénitentiaires et des personnels » qui, bien que faisant écho aux demandes des agents en faveur d’un « décloisonnement » des services, avait conclu à « l’impossibilité du secret partagé » 2. Mais la tentation était semble-t-il trop forte. Et l’administration pénitentiaire a désormais besoin d’asseoir ses pratiques illégales sur un texte législatif. Dans son document sur les « hypothèses DAP » pour le projet de loi pénitentiaire, en date de juillet 2007, elle explicite ainsi son désir de voir légaliser le concept de « secret partagé », « lorsque la divulgation de ces informations serait rendue nécessaire pour des raisons de sécurité publique ou du respect de l’intégrité des personnels ». Deux mois plus tôt, le rapport de l’Inspection des services pénitentiaires (ISP) diligentée suite à un meurtre d’un détenu accompagné d’un acte de cannibalisme par un homme incarcéré à la maison d’arrêt de Rouen (Seine-Maritime) en janvier 2007, avait opportunément fuité dans la presse. Selon les inspecteurs, le drame était principalement dû à l’insuffisance de la communication entre les services pénitentiaire et psychiatrique de l’établissement et à une conception trop rigoureuse du secret médical. En fait, les services pénitentiaires disposaient d’une expertise psychiatrique qui suffisait à les alerter, mais l’occasion était trop belle et l’ISP ne l’a pas manqué. Elle a donc recommandé l’instauration d’« un véritable partage d’informations », assurant que « le secret médical n’est pas contradictoire avec l’organisation d’un système d’information partagée ». Le législateur l’a exaucé quelques mois plus tard, en février 2008, en introduisant une première disposition dans la loi sur la rétention de sûreté, qui rend possible, et même obligatoire, la transmission d’informations médicales aux personnels pénitentiaires par les médecins pour « tout risque sérieux pour la sécurité des personnes ». Certes, les rédacteurs du texte n’ont pas manqué de préciser que le signalement doit se faire « dans le respect des dispositions relatives au secret médical » mais cette réserve a tout d’une précaution oratoire rendue inopérante par la conjonction de l’obligation de sécurité énoncée (« les personnels soignant ayant connaissance d’un risque sont tenus de la signaler ») et de l’indétermination du contenu des informations à transmettre (celles qui sont « utiles à la mise en œuvre de mesures de protection »). L’inquiétude est de mise. La multiplication de ces modifications du code de la santé publique conduira inévitablement le personnel médical à donner à l’autorité pénitentiaire des indications de plus en plus nombreuses sur la nature des pathologies ou troubles du patient.
Un principe consubstantiel à l’acte de soigner « Tout médecin, quelles que soient ses modalités d’exercice, est tenu de veiller à ce que des soins soient dispensés dans le strict respect de la déontologie ». C’est ce qu’a rappelé le Conseil national de l’ordre des médecins, suite aux propos tenus par la garde des Sceaux en août 2007, qui avait été jusqu’à souhaiter « que l’administration pénitentiaire puisse avoir accès au dossier médical ». Le secret médical, précisait alors l’instance, est un principe « intangible », et ce « dans toutes circonstances », car il est consubstantiel à l’acte de soigner. C’est ce qu’a tenté de
rappeler également Nicolas About tout au long des débats du Sénat à travers ses amendements, en soulignant que « la qualité des soins passe par le respect du secret médical et d’abord par le secret du contenu de la consultation médicale ». C’est par ailleurs les critiques faites à la médecine pénitentiaire sur les manquements au secret médical qui avaient largement contribué à la mise en œuvre de la réforme du système de santé en prison
La permanence des soins introduite dans la loi L’obligation d’assurer une permanence des soins a fait l’objet d’une reconnaissance inédite et fracassante dans le projet de loi pénitentiaire lors de son examen par le Sénat. Dans la version initiale du texte, l’article 20 se contentait en effet seulement de rappeler le principe selon lequel « la qualité et la continuité des soins sont garanties aux personnes détenues dans des conditions équivalentes à celles dispensées à l’ensemble des personnes accueillies dans les établissements de santé publics ou privés ». Sur proposition de Nicolas About, le sénateur UMP président la Commission des affaires sociales, et malgré l’avis défavorable du gouvernement, a été ajoutée la notion de « permanence » entre la qualité et la continuité des soins. Cette adjonction est fondamentale. L’absence de personnels médicaux dans les établissements pénitentiaires la nuit et les week-ends est en effet fréquente et particulièrement problématique. Le Conseil de l’Europe, tant dans sa recommandation sur les « Aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire » que dans ses Règles pénitentiaires européennes, affirme en effet le principe d’accès des détenus à un médecin à toute heure du jour et de la nuit et la présence d’une personne compétente pour donner les premiers soins. C’est aussi ce qu’a préconisé le Comité européen de prévention de la torture (CPT) à l’issue de ses différentes visites, ainsi que la Commission d’enquête sur les prisons de l’Assemblée nationale en 2000, qui demandait à ce que soit assurée une garde médicale. En dépit de ces recommandations, à quelques exceptions près, les UCSA comme les SMPR n’en prévoient toujours pas en dehors de leurs heures d’ouverture. Ce qui entraîne des ruptures de traitements médicaux en cas d’incarcération durant le week-end ou encore d’importants délais d’intervention en cas d’urgence, aux conséquences d’autant plus dommageables que seuls les gradés sont habilités à ouvrir la cellule d’un détenu la nuit, et que nombre de carences ou défauts des équipements permettant aux détenus d’avertir quelqu’un en cas de problème sont constatés.
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dossier L’administration pénitentiaire va pouvoir demander des informations médicales pour des impératifs de gestion
Une vision « pragmatique » du secret médical On comprend dès lors la panique ressentie par la garde des Sceaux, et surtout par le directeur de l’AP, présent à ses côtés dans l’hémicycle, lorsque les articles de Nicolas About ont été votés. Rachida Dati s’est immédiatement inquiétée des « effets collatéraux dommageables » de l’article. « Il ne faudrait pas que demain, [les personnels soignants] ne puissent plus participer aux commissions interdisciplinaires », a-t-elle expliqué, ou que les médecins ne puissent plus « donner des informations indispensables au juge d’application des peines pour les réaménagements de peine et la réinsertion » - ce qui « est indispensable […] si l’on veut éviter des drames ». « Il faut avoir une vision pragmatique de cette notion de secret médical », a-t-elle été jusqu’à lancer. Il paraît bien loin le temps où Pierre Pradier, chargé par la Chancellerie d’une mission d’évaluation sur « La gestion de la santé dans les établissements du programme 13 000 » notait,
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dans son rapport de 1999, que le secret médical est « une exigence minimale » auquel « le malade, détenu, ou non, a droit », « un principe de base sur lequel plus personne ne songe à revenir mais qu’il convient parfois de réaffirmer avec insistance ». Il n’avait que trop raison. Les articles de Nicolas About ont été adoptés, mais, dès le lendemain, les sénateurs se déjugeaient en entérinant, avec l’article 51, la collaboration des médecins à la classification des détenus selon leur dangerosité. Ce qui invalide la clarification des rôles des médecins et personnels soignants en milieu carcéral recherchée par le sénateur centriste. Et, parce que les choses ne pouvaient en rester là pour le gouvernement, celui-ci a réclamé une seconde délibération sur l’article 20 bis, implorant les sénateurs « de supprimer une disposition qui vise à interdire aux médecins et aux personnels soignants d’intervenir dans tout ce qui ne touche pas aux soins ». On ne doit qu’au retour courroucé de l’intéressé dans l’hémicycle la mise en échec de cette tentative, le gouvernement ayant été alors contraint de retirer son amendement de suppression. L’Assemblée nationale pourrait se montrer pour sa part plus conciliante. Plutôt que de renforcer les droits des personnes détenues, la loi pénitentiaire aboutirait alors à un recul de quinze ans, actant du retour de la médecine pénitentiaire d’avant 1994. Stéphanie Coye 1. « La santé et la médecine en prison », décembre 2006. 2. Jean-Marc Chauvet, Rapport sur la sécurité des établissements pénitentiaires et des personnels, Ministère de la Justice, 19 octobre 2001.
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en 1994 par Simone Veil. Le code de déontologie médicale, dans son article 4, énonce que « le secret professionnel, institué dans l’intérêt des patients, s’impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi », ce qui « couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession, c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu et compris ». À moins que la loi en dispose autrement, un personnel soignant ne peut donc légitiment participer à des commissions pluridisciplinaires en fournissant des renseignements sur ses patients.
le législateur face à la loi pénitentiaire
L’encellulement individuel des prévenus en sursis ?
Alors que le Parlement appréhende depuis le xixe siècle le droit à l’encellulement individuel comme un élément essentiel du respect de la dignité de la personne, la Chancellerie estime désormais qu’il « ne doit plus être considéré comme l’objectif à atteindre absolument », car « il n’est en rien démontré que ce mode d’hébergement soit conforme à la demande réelle même des détenus et à leur intérêt ». Elle n’hésite pas, pour en convaincre le plus grand nombre, à avancer des arguments plus fallacieux les uns que les autres. Les sénateurs n’ont pas été dupes. Il reste désormais à savoir si les députés adopteront la même attitude. Le gouvernement, lui, semble bien ne pas avoir dit son dernier mot.
L
ors de la Convention sur la justice organisée par l’UMP le 3 mai 2006 dans le cadre de la campagne pour les élections présidentielles, Nicolas Sarkozy avait déclaré vouloir « créer des établissements spéciaux pour les personnes provisoirement détenues », où « l’encellulement individuel doit y être garanti, la sécurité et la dignité des personnes particulièrement protégées et les atteintes aux droits réduites au strict nécessaire ». Ces engagements avaient été réitérés dans sa réponse aux États généraux de la condition pénitentiaire, en janvier 2007, auxquels il avait assuré que « le principe de l’encellulement individuel pour toute personne qui le souhaite, dans des conditions respectueuses de l’intimité, doit être garanti ». Près de deux ans se sont depuis écoulés. Entre-temps, Nicolas Sarkozy est devenu président, et renie désormais les promesses du candidat. Non seulement l’engagement ne sera pas tenu, mais son gouverne-
ment a tenté, dans le projet de loi pénitentiaire qu’il a présenté, de mettre purement et simplement fin au principe d’encellulement individuel pour les prévenus. Le texte prévoyait en effet que les personnes (…) en détention provisoire « sont placées soit en cellule individuelle soit en cellule collective » ; les cellules collectives devant « être adaptées au nombre de détenus qui y sont hébergés » ; des détenus qui doivent par ailleurs « être aptes à cohabiter » et dont la « sécurité doit être assurée ». Si les personnes en « font la demande », elles sont placées en cellule individuelle, sauf toutefois, comme dans la législation actuelle, « si leur personnalité justifie, dans leur intérêt, qu’elles ne soient pas laissées seules », ou « si elles ont été autorisées à travailler, ou à suivre une formation professionnelle ou scolaire et que les nécessités d’organisation l’imposent ». Et même pour cela, le gouvernement s’octroyait un délai de cinq ans durant lequel il Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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dossier
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pouvait y déroger « au motif tiré de ce que la distribution intérieure des maisons d’arrêt ou le nombre de détenus présents ne permet pas leur application ». Les sénateurs, et en premier lieu le rapporteur du projet de loi, Jean-René Lecerf, ont heureusement réécrit l’article et rétabli le principe de l’encellulement individuel, en maintenant toutefois le moratoire de cinq ans. Devant la fronde soulevée, le gouvernement a fait marche arrière, mais pour un temps seulement. Rachida Dati a en effet précisé que la « réflexion commune » devait se poursuivre, afin d’« aboutir à un dispositif respectueux des droits des détenus, certes, mais aussi conforme aux nécessités de la réinsertion et compatible avec les conditions matérielles de notre parc pénitentiaire ». Puis d’ajouter : « J’espère que nos débats parviendront à vous convaincre que l’encellulement individuel n’est pas le seul moyen de respecter la dignité des détenus ».
Revirement L’encellulement individuel des prévenus est pourtant un principe parmi les plus anciens du droit pénitentiaire. Après une première tentative infructueuse sous la monarchie parlementaire, il a été introduit dans la loi sur le régime des prisons départementales du 5 juin 1875. À ce jour, il découle de l’article 716 du code de procédure pénale, qui prévoit que « les personnes mises en examen, prévenus et accusés soumis à la détention provisoire, sont placées au régime de l’emprisonnement individuel de jour et de Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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nuit ». Des exceptions étaient cependant prévues permettant à l’administration pénitentiaire d’y déroger « en raison de la distribution intérieure des maisons d’arrêt ou de leur encombrement temporaire ». En 2000, députés et sénateurs ont décidé de les supprimer, accordant un délai de trois ans au gouvernement pour faire face. Pour le député socialiste Jacques Floch, auteur de l’amendement qui a permis cette modification, l’importance de ce principe faisait qu’il « ne devrait [...] souffrir aucune dérogation ». Son point de vue était alors largement partagé par les parlementaires de tous bords, suscitant même un vote à l’unanimité des députés en deuxième lecture. Pierre Albertini, député centriste, avait par exemple expliqué qu’il en allait de « la dignité même des personnes » et que « si l’on veut déverrouiller le problème et prendre en compte les conditions – bien souvent inhumaines – dans lesquelles les détenus se trouvent entassés, au mépris de toute intimité, il faut le faire de manière volontaire ». Celui dont le nom circulait, avant sa nomination au gouvernement, comme un des possibles successeurs de Rachida Dati au ministère de la Justice, Patrick Devedjian, avait lui aussi « naturellement » soutenu l’amendement. Quelques mois plus tard, les commissions d’enquête parlementaires sur les prisons avaient réaffirmé cette nécessité. À la veille de l’échéance, lorsqu’un second report de cinq ans avait été introduit dans la loi du 12 juin 2003 renforçant la lutte contre la violence routière, le garde des Sceaux de l’époque, Dominique Perben, avait clamé haut et fort qu’« il ne s’agit pas de revenir sur le principe de l’encellulement individuel ».
le législateur face à la loi pénitentiaire
« le principe de l’encellulement individuel pour toute personne qui le souhaite, dans des conditions respectueuses de l’intimité, doit être garanti » (Nicolas Sarkozy) Son collègue Gilles de Robien, défendant le texte devant le Sénat au nom du gouvernement, en avait fait autant, s’engageant à ce que « ce critère dérogatoire [...] conserve un caractère exceptionnel et [soit d’] une durée d’application limitée dans le temps ». Ce délai a pris fin le 13 juin 2008. L’encellulement individuel des prévenus doit donc en principe être strictement appliqué, sans que l’administration pénitentiaire puisse se retrancher derrière l’« encombrement » des maisons d’arrêt. Sauf qu’entre-temps, tout semble avoir changé. Le gouvernement actuel se dit en effet « aujourd’hui convaincu que l’encellulement individuel pour tous ne doit plus être considéré comme l’objectif à atteindre absolument ». Et pour justifier sa décision, il soutient qu’« il n’est en rien démontré que ce mode d’hébergement soit conforme à la demande réelle même des détenus et à leur intérêt », mais qu’au contraire, « il est constaté que beaucoup de détenus ne souhaitent pas être seuls en cellule ». Il s’enorgueillit en revanche « de transcrire dans notre droit la Règle pénitentiaire européenne 18-6 qui prévoit que l’on ne peut déroger à l’encellulement individuel que dans le cas où les détenus sont reconnus aptes à cohabiter et s’ils sont placés dans une cellule à usage collectif ».
Un principe au cœur de la réforme Cette référence aux Règles pénitentiaires européennes (RPE) a de quoi rendre amer, d’autant que l’argument est repris par certains parlementaires. Le député René Couanau, dans son rapport sur la loi de finances 2008, écrivait ainsi que « les Règles pénitentiaires européennes [...] sont d’une certaine façon plus souples » et qu’« il n’existe donc pas dans le droit positif français, ni dans les Règles pénitentiaires européennes, de prescription absolue d’encellulement individuel ». S’est-il seulement donné la peine de lire les RPE ? On peut en douter car, contrairement à ce qu’il avance, les Règles insistent particulièrement sur la nécessité de l’encellulement individuel. Comme on peut le lire dans les commentaires, le Conseil de l’Europe a en effet volontairement choisi de maintenir ce principe, « bien [qu’il] continue à être très largement enfreint en pratique », notamment parce que sa « non-application [...] est parfois un moyen de faire face au surpeuplement des prisons », ce qu’il juge « inacceptable en tant que solution à long terme ». La Règle 18-5 vient donc rappeler aux États membres, dont la France, que « chaque détenu doit en principe être logé pendant la nuit dans une cellule individuelle, sauf lorsqu’il est considéré comme préférable pour lui qu’il cohabite avec d’autres détenus », tandis que la Règle 96 prévoit que les prévenus « doivent avoir le choix de disposer d’une cellule individuelle, sauf s’il est considéré comme préférable qu’ils cohabitent avec d’autres détenus ou si un tribunal a ordonné des conditions spécifiques d’hébergement ». « Il importe de noter »,
insistent encore les commentaires, « que cette exception porte uniquement sur les cas dans lesquels un détenu peut clairement bénéficier de la cohabitation avec d’autres détenus ». Si le Conseil de l’Europe appuie autant sur la nécessaire application de ce principe, c’est que l’encellulement individuel est au cœur de la réforme du système pénitentiaire. De nombreuses autres instances l’ont rappelé, comme le Conseil économique et social, dans son Avis sur les conditions de la réinsertion socioprofessionnelle des détenus en France de février 2006, ou encore la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) qui, tant dans son Étude sur les droits de l’homme dans la prison de 2004 que dans son Étude sur l’accès aux soins des personnes détenues de 2006, a rappelé qu’il s’agit du « seul régime de détention à même de garantir l’intégrité physique et psychique des personnes incarcérées », ainsi que « la préservation de la dignité des personnes ». C’est pourquoi, concluaitt-elle, « il revient au législateur et au pouvoir exécutif de créer les conditions pour que ce principe soit respecté. La loi devrait énoncer clairement qu’il ne peut y être dérogé que sur demande expresse du détenu ou pour assurer sa protection ». Dans son avis sur le projet de loi pénitentiaire, la CNCDH a maintenu en novembre 2008 la même position, demandant « avec fermeté la réintroduction dans la loi du droit à toute personne détenue de disposer d’une cellule individuelle », rappelant que « l’application stricte, sans report possible, est l’unique façon d’empêcher l’incarcération dans des conditions constitutives d’un traitement inhumain ou dégradant ». Ce même état d’esprit avait guidé les parlementaires en 2000 lorsqu’ils ont décidé de mettre fin aux dérogations laissées à l’administration pénitentiaire en la matière et guident les sénateurs aujourd’hui.
Cynisme et mauvaise foi Le deuxième argument avancé par la Chancellerie, selon lequel la plupart des détenus ne souhaiteraient pas être seuls en cellule, n’est pas moins cynique. Pour le prouver, Rachida Dati met en avant le peu de demandes faites par les prévenus pour obtenir leur encellulement individuel depuis qu’il n’est plus possible pour l’administration pénitentiaire de déroger à ce principe, soit depuis le 13 juin 2008. L’argument a commencé à être avancé un mois avant l’échéance, lors d’une conférence de presse organisée le 19 mai, au cours de laquelle la garde des Sceaux avait annoncé la parution prochaine d’un décret pour « organiser la mise en œuvre » de cette obligation. Il revient depuis comme un leitmotiv dans toute la communication de la Chancellerie. Dans sa rédaction actuelle, l’article prévoit pourtant d’ores et déjà qu’il peut être dérogé à l’encellulement individuel « si les intéressés en font la demande » ou « si leur personnalité justifie, dans leur intérêt, Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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dossier Lors de la consultation organisée par les Etats Généraux de la condition pénitentiaire en 2006, 84 % des personnes détenues ont réclamé la mise en œuvre de l’encellulement individuel et plaçaient cette action parmi les trois prioritaires pour améliorer les conditions matérielles de détention. qu’ils ne soient pas laissés seuls ». Aucune modification législative n’est donc nécessaire. Mais peu importe. Dès le 30 juin, l’administration pénitentiaire faisait savoir que seules vingt-huit demandes n’avaient pas obtenu de réponses favorables depuis la parution du décret, sans préciser toutefois ni le total des requêtes, ni le nombre de celles acceptées. Un mois plus tard, une nouvelle annonce était faite : moins de 40 des 17 495 prévenus auraient demandé à bénéficier de l’encellulement individuel à la fin du mois de juillet. La démonstration était faite. Ainsi, la quasi-totalité des détenus apprécierait d’être enfermés à deux, voire à trois, si ce n’est quatre, dans des cellules de 9 m2, de devoir faire les gestes les plus intimes sous le regard d’une ou plusieurs autres personnes ? Ils se seraient donc déjugés, à peine deux ans après avoir été consultés dans le cadre des États généraux de la condition pénitentiaire ? Ils étaient alors 84 % à réclamer la mise en œuvre de l’encellulement individuel et plaçaient cette action parmi les trois prioritaires pour améliorer les conditions matérielles de détention. Non, bien sûr. Ce que n’a pas manqué de souligner Jean-René Lecerf. « L’aspiration à une cellule individuelle reste forte » chez les détenus, explique-t-il dans son rapport. Et de citer l’exemple de la maison d’arrêt de Rouen où certains « souhaitent être placés à l’isolement » et « provoquent même des procédures disciplinaires […] pour obtenir une cellule individuelle au quartier disciplinaire ». Quant au faible nombre de requêtes déposées suite au décret, il s’explique seulement « par les conditions dissuasives posées » et par « le risque d’un éloignement de l’environnement familial ». Effectivement, au terme du décret et au vu de la situation des maisons d’arrêt, réclamer l’application de son droit à bénéficier d’une cellule individuelle revient ni plus ni moins pour le détenu (…) à renoncer à sa vie de famille et rendre plus difficile l’exercice de sa défense.
Échange parloirs contre cellule individuelle Si l’encellulement individuel n’est pas possible dans la maison d’arrêt où elle se trouve, la personne doit en effet « déposer auprès du chef d’établissement une requête pour être transférée [...] dans la maison d’arrêt la plus proche permettant un tel placement ». Or, chaque détenu sait ce qu’il en est de la surpopulation carcérale et ce qui lui en coûtera de demander une cellule individuelle. Comme l’explique une directrice de maison d’arrêt du Nord-Est de la France, « les centres susceptibles de les accueillir se trouvent parfois à des centaines de kilomètres. C’est l’isolement garanti ». 1 La crainte d’un éloignement géograDedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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phique de leurs proches, de leurs avocats, l’emporte sur le désir d’accéder à un espace à soi. En outre, la procédure prévue par le décret et sa circulaire d’application est une véritable usine à gaz, en elle-même de nature à décourager n’importe qui de faire une demande. La circulaire de l’État-major de la sécurité en date du 25 juin ne prévoit ainsi pas moins de huit étapes. La première, dite « étape préalable », c’est-à-dire intervenant avant même le dépôt formalisé de la requête, consiste pour le chef d’établissement à « examiner la situation pénale » du prévenu qui formule une demande « et, le cas échéant, lui expliquer qu’il relève des dispositions des 2° et 3° de l’article 716 du CPP », c’est-à-dire qu’il ne peut être placé seul en raison de sa personnalité ou des nécessités qu’impose l’organisation du travail ou de la formation professionnelle. L’étape suivante (première étape) vise à « informer » la personne qu’elle peut déposer une requête pour être transférée. Elle doit ensuite adresser sa requête (deuxième étape), puis le chef d’établissement prendre contact avec la direction interrégionale pour identifier les endroits où il reste des places en cellules individuelles, qui elle-même, si la recherche est infructueuse, devra prendre contact avec l’administration centrale « pour qu’une recherche soit effectuée dans les autres directions »
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(troisième étape). S’en suivent la formulation d’« une ou plusieurs propositions de transfèrement » ou l’information qu’« aucune proposition ne peut lui être faite » (quatrième étape), l’information pour avis du magistrat chargé de l’instruction (cinquième étape), la réception de cet avis par l’établissement (sixième étape), puis enfin l’organisation du transfert (septième étape). En tout, on peut estimer qu’une période de quatre mois est nécessaire pour que puisse aboutir une demande. Or, selon le dernier rapport de la Commission de suivi de la détention provisoire, plus de six prévenus sur dix sont condamnés définitivement après quatre mois, et se retrouvent donc exclus du bénéfice du décret. Les syndicats pénitentiaires ont également avancé d’autres raisons pour expliquer le peu de demandes déposées. Dans un communiqué du 10 septembre 2008, le Syndicat national des cadres pénitentiaires (SNCP) affirme ainsi « qu’une majorité des détenus prévenus souhaitent une cellule individuelle » et que « la faiblesse du nombre de détenus ayant utilisé le décret du 10 juin 2008 s’explique uniquement par le professionnalisme des personnels pénitentiaires qui, pour préserver les équilibres de détention durant les mois d’été, ont réalisé un gros travail d’explication à destination des détenus sur la réalité de cette procédure ». Une attitude que le syndicat qualifie de « responsable » et qui « a permis d’éviter le pire, à savoir le ressentiment et le sentiment d’injustice au sein de la population pénale ». Un autre syndicat, FO-Direction, a, quant à lui, décidé de rendre publiques des recommandations de directions interrégionales « préconisant une réponse volontairement lente aux demandes d’affectation en cellule individuelle ». 3
[...] être respecté en 2012 » car « les nouveaux établissements pénitentiaires [issus du programme de construction en cours] comportent de manière systématique des cellules collectives ». Ainsi, comme le souligne ironiquement le journaliste du Monde Alain Salles dans un article du 30 juillet 2008, « pendant que les députés continuaient en 2003 à défendre l’encellulement individuel tout en prolongeant le moratoire pour l’appliquer, le plan de construction prévoyait une majorité de cellules collectives ». L’assertion de la garde des Sceaux est évidemment fausse.
Les condamnés seront maintenus deux ans en maison d’arrêt Pour les commissions d’enquête parlementaires de 2000, la présence en maisons d’arrêt de condamnés constituait une « injustice criante ». Aussi proposaient-elles d’« interdire strictement le maintien des détenus condamnés définitivement à plus d’un an ». à l’opposé, le projet de loi adopté par le Sénat prévoit de repousser d’un an leur transfert en établissement pour peines. Ce qu’ont validé les sénateurs sans sourciller. Seront désormais susceptibles d’êtres maintenues en maison d’arrêt les personnes condamnées à une peine inférieure ou égale à deux ans de prison, ou dont le reliquat est inférieur à deux ans, contre un an jusqu’à présent, ainsi que les détenus dont le reliquat est supérieur mais qui « bénéficient d’aménagement de peine ou sont susceptibles d’en bénéficier rapidement ». Comme pour la suppression du principe de l’encellulement individuel, le gouvernement affirme que cette modification vise à assurer une « meilleure prise en compte des souhaits des détenus », certains préférant selon lui « être maintenus à proximité de leur résidence afin de favoriser le maintien des liens familiaux, lequel est parfois compromis par l’éloignement vers un établissement pour peines ». Alors qu’en établissements pour peines, les condamnés peuvent en effet bénéficier de davantage de permissions de sortir, d’un accès plus important aux services d’insertion et de probation, aux activités, à l’enseignement, à la formation professionnelle et au travail, et donc de possibilités pour élaborer un projet d’aménagement, indemniser les éventuelles victimes et préparer leur sortie. À l’inverse, ceux maintenus en maisons d’arrêt doivent subir les conditions de vie extrêmement dégradées en raison de la surpopulation. En faisant passer le seuil d’un à deux ans pour bénéficier d’une affectation en établissement pour peines, les rédacteurs du projet de loi se contentent seulement de mettre la loi au diapason de la réalité carcérale. Soit l’inverse de ce qu’il était attendu d’une loi pénitentiaire.
Les cellules individuelles définitivement doublées ?
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Enfin, un dernier argument est avancé, aussi surprenant qu’inquiétant. À en croire la ministre et l’exposé des motifs de son projet de loi, « le principe de l’encellulement individuel ne pourra
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dossier Si des cellules collectives sont effectivement prévues, le programme fonctionnel élaboré par la direction de l’administration pénitentiaire et l’Agence de maîtrise d’ouvrage des travaux du ministère de la Justice (AMOTMJ) en vue de la construction des nouveaux établissements indiquait clairement que « les cellules sont principalement individuelles ». Dans son rapport sur la loi de finances pour 2008, le député René Couanau donnait les précisions suivantes : « Sur les 13 200 places nouvelles, 4 900 seront construites en établissements pour peine, avec environ 80 % de places en cellules individuelles ; les 8 300 autres en maison d’arrêt, avec environ 66 % de places en cellules individuelles : soit sur les 13 200 places nouvelles, 9 500 places en cellules individuelles et 3 700 en cellules doubles. Au total, le nombre de places créées aura fait progresser le taux de places individuelles de 70 à 75,4 %, mais surtout aura permis de faire disparaître la quasi-totalité des structures à dortoirs. » Pourquoi alors la ministre laisse-t-elle entendre que les nouveaux établissements comportent principalement des cellules collectives ? De deux choses l’une : soit le gouvernement déforme volontairement la réalité pour servir ses arguments et faire voter son texte, soit décision a été prise de doubler les cellules qui ouvriront. Cette dernière hypothèse a de quoi inquiéter car, si le projet de loi prévoyait que les cellules collectives devaient être « adaptées », il n’était nulle part expliqué ce que l’on entendait par là et quels seraient les critères pour en juger.
Des normes minimales pour les cellules collectives Dès 1991, le Comité européen de prévention de la torture avait fixé comme norme, dans son deuxième rapport général, une surface de 7 m2 par détenu. En France, les seules dispositions existantes sont celles indiquées dans une circulaire de l’administration pénitentiaire en date du 17 mars 1988. Pour qu’une cellule puisse accueillir deux détenus, sa surface doit être supérieure à 11 m2. En dessous, seule une personne peut censément y être placée. Lors d’un séminaire organisé par les « Amis de l’école de Paris », le 19 juin 2008, le directeur de l’administration pénitentiaire, Claude d’Harcourt, a cependant déclaré que selon lui « on peut admettre d’héberger deux détenus dans une cellule de 9 m2 - certains étudiants, par exemple, ne sont pas mieux lotis ». Selon lui, il suffirait que « cette cellule ait été conçue pour cela », c’est-à-dire « que les sanitaires soient convenablement cloisonnés et que chaque détenu dispose d’un vrai lit et d’une vraie armoire ». Depuis, différents syndicats ont exprimé leurs inquiétudes sur la politique menée en ce domaine par la DAP. Lors du comité technique paritaire qui s’est tenu le 16 septembre dernier, l’UFAP a ainsi dénoncé dans sa déclaration liminaire « le dispositif bis d’accroissement des capacités [...] ordonné partout
où l’on peut rajouter des lits, quitte à en scier les pieds ! ». Dans un communiqué du 15 septembre 2008, le syndicat national des cadres pénitentiaires a quant à lui été jusqu’à faire référence à un « principe posé par l’administration pénitentiaire de ne plus prendre en compte les effectifs théoriques des établissements prévus avec un encellulement individuel mais de calculer le surencombrement sur la base d’un effectif opérationnel dans lequel la plupart des cellules est équipée de 2 lits pour une superficie prévue pour un seul détenu ». Quelques jours plus tard, dans une lettre ouverte au Président de la République, le syndicat a réitéré ces accusations : « On essaye de remplacer la notion de capacité théorique par la notion de capacité opérationnelle. Cela signifie que l’on passe du nombre de places de détention par mètre carré au nombre de lits installés dans les cellules indépendamment de leur superficie. On réfléchit même à ce qui est acceptable en termes de sur-encombrement, faisant de ce dernier non plus une exception mais le principe de fonctionnement des maisons d’arrêts ». À ce jour, aucune modification du calcul des capacités n’apparaît dans les statistiques de l’administration pénitentiaire. Même si elle n’est pas respectée, la norme reste donc celle fixée par la circulaire de 1988. Mais qu’en sera-t-il demain ? Les déclarations de la ministre, du directeur de l’administration pénitentiaire ou des syndicats ne peuvent que légitimement soulever des inquiétudes. Une circulaire est un texte réglementaire qui peut être remplacé par un autre du jour au lendemain par la DAP. Ainsi, comme le soulignaient les membres de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale en 2000, « la définition de la surpopulation est [...] étroitement dépendante des critères retenus par l’administration pénitentiaire dans la définition du nombre de places dans les prisons ». La loi pénitentiaire leur donne l’occasion de modifier cela, en maintenant d’abord le principe d’encellulement individuel, et en introduisant ensuite des normes minimales et une définition précise des cellules qui peuvent accueillir un ou deux détenus. Et ce d’autant que les Règles pénitentiaires européennes les y invitent, en affirmant que « le droit interne doit définir les conditions minimales requises » et qu’il convient de « prévoir des mécanismes garantissant que le respect de ces conditions minimales n’est pas atteint à la suite du surpeuplement ». Stéphanie Coye 1. « Les prévenus ne se précipitent pas sur les cellules individuelles », La Croix, 20 août 2008. 2. Sous-direction de la direction de l’administration pénitentiaire, en charge de la gestion de la détention, de la sécurité et du renseignement pénitentiaire. 3. FO-Direction, Lettre ouverte à Rachida Dati, 19 septembre 2008.
« Le droit à toute personne détenue de disposer d’une cellule individuelle (...) est l’unique façon d’empêcher l’incarcération dans des conditions constitutives d’un traitement inhumain ou dégradant » (CNCDH) Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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le législateur face à la loi pénitentiaire
Avis de la CNCDH
la “consécration des restrictions aux droits” Bien que saisie tardivement par le gouvernement, la Commission nationale consultative des droits de l’homme n’a pas manqué l’occasion qui lui était donnée de dénoncer vertement un projet de loi pénitentiaire qui se caractérise par son « manque général d’ambition » et qui « entérine l’approche selon laquelle l’administration pénitentiaire fait prévaloir ses nécessités propres ». Dans un Avis de décembre 2008, elle déplore ainsi la relégation à un niveau purement déclaratif de la volonté affirmée de se doter d’une loi fondamentale sur le service public pénitentiaire.
En présentant un tel projet de loi pénitentiaire, le gouvernement passe à côté de l’occasion de faire cesser les critiques fortes et concordantes sur l’état des prisons françaises. C’est la conclusion à laquelle est parvenue la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) après avoir passé au crible le texte. Dans son Avis du 8 décembre 2008, contenant 57 recommandations étayées par une Étude publiée conjointement, et qui s’appuie sur ses précédents travaux, la Commission déplore que le gouvernement ne s’inscrive pas dans une démarche de mise en conformité avec la réglementation internationale et européenne, notamment les Règles pénitentiaires européennes (RPE), pourtant brandies par l’administration pénitentiaire (AP) comme étant son « cadre éthique et [sa] charte d’action ». Aux yeux de la CNCDH, trois points rendaient pourtant « impérative » la réforme du droit de la prison : « restituer à la loi le domaine qui est le sien dans le champ carcéral » ; « consacrer l’application du droit commun dans les établissements pénitentiaires » ; « restaurer la personne détenue comme sujet de droit ». L’enjeu essentiel n’est autre, rappelle-t-elle, que le respect de l’État de droit dans les prisons. Las, sur aucun de ces trois points, la réponse n’est à la hauteur des attentes et des engagements nationaux ou internationaux.
Une volonté de réformer « essentiellement déclarative » Concernant les deux premiers, la France « ne s’engage pas dans une refonte du droit de l’univers carcéral », lit-on dans l’Avis. Aussi, « la volonté affirmée [par le gouvernement] de “doter la France d’une loi fondamentale sur le service public pénitentiaire” [reste] essentiellement déclarative [et] voit ainsi sa crédibilité considérablement réduite ». En donnant « toute latitude à l’autorité administrative pour régir par voie réglementaire l’essentiel », poursuit la CNCDH, le projet de loi « ne contribue pas à résorber le déséquilibre de l’édifice actuel du droit pénitentiaire », pourtant maintes fois mis en exergue. Dès 2000, celui qui était alors le Premier président de la Cour de Cassation, Guy Canivet, avait pourtant invité les autorités à défricher le maquis juridique qui régit la prison et à restreindre la latitude laissée à l’administration pénitentiaire de fixer les règles applicables aux personnes détenues dans des matières relevant de la compétence du législateur 1. Mais la démarche de consacrer la prééminence de la loi dans l’univers du droit de la prison a fait long feu. À la trappe également la normalisation de la vie carcérale, et donc le rapprochement avec le droit commun, tel que préconisé, Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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dossier Pour la CNCDH, le texte « consacre la possibilité […] de restreindre de manière discrétionnaire les droits des personnes détenues ». entre autres, par les RPE. La Commission constate dans son Avis que le gouvernement, à l’inverse, « privilégie la consécration des restrictions aux droits en tant que principe, à celle des droits euxmêmes » et que « la personne détenue se voit toujours appliquer un droit d’exception a minima ». Pourtant, « l’exposé des motifs du projet de loi pénitentiaire reprend à son compte l’observation faite par la Commission d’enquête de l’Assemblée Nationale selon laquelle “on ne peut imaginer qu’il y ait deux qualités de normes selon qu’il s’agit d’un citoyen libre ou d’un citoyen détenu. La garantie des droits est la même, le détenu n’étant privé que de sa liberté d’aller et de venir” ». Sauf que, note la CNCDH, « on ne retrouve aucunement dans le projet de loi la déclinaison de ce principe ». La Commission s’inquiète même que cette carence n’ait pour conséquence l’effet inverse à celui espéré, à savoir que le pouvoir discrétionnaire de l’AP soit encore élargi.
tien des critères actuels de répartition des condamnés. D’autres dispositions sont aussi pointées du doigt, au fil de l’Étude. Dans le domaine de la protection du droit au rapprochement familial par exemple, « outre qu’il soit à droit constant et n’apporte pas de réelle sécurité juridique, le texte ignore totalement des éléments, pourtant fondamentaux » et « laisse entière la discrétion de l’administration pénitentiaire en la matière, sans l’obliger de surcroît à motiver ses décisions », notamment celles concernant l’octroi, la suspension ou le retrait de permis de visite. Ce que la Commission juge « regrettable ». L’instance alerte également sur le pouvoir unilatéral auquel est subordonné le « détenu-travailleur », en estimant « inacceptables » les arguments avancés dans l’exposé des motifs pour justifier le statu quo en la matière.
Le pouvoir discrétionnaire de l’administration renforcé
La Commission note également maintes régressions par rapport à la situation actuelle du droit, pourtant particulièrement défaillante. Par exemple, le maintien des condamnés en maison d’arrêt serait étendu à ceux dont la peine ou le reliquat de peine est inférieur ou égal à deux ans – contre un actuellement. Ne reculant devant aucune hypocrisie, l’exposé des motifs invoque
Troisième point, troisième échec. Alors qu’il convenait que la loi restaure la personne détenue comme sujet de droit, le projet « entérine l’approche selon laquelle l’administration pénitentiaire fait prévaloir ses nécessités propres », rendant illusoire la protection effective des libertés fondamentales de l’individu. Est particulièrement épinglé le chapitre iii du projet de loi. L’article 10, souligne la Commission, ouvre ainsi cette partie sur les droits des détenus en ne les reconnaissant que de manière négative et en mentionnant les seules restrictions apportées à ces droits, sans poser comme base essentielle que l’administration est garante de leur respect. Poursuivant, l’Avis constate ainsi que le texte « consacre dans le cadre d’une réforme à droit constant la possibilité laissée à l’administration pénitentiaire de restreindre de manière discrétionnaire les droits des personnes détenues ». Le recours excessif à des formulations du type « les contraintes inhérentes » à la détention, le « maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements », la « prévention des infractions » ou « la protection de l’intérêt des victimes », offre en effet à l’administration la possibilité de restreindre à sa guise les droits et sur une base éminemment incertaine. Aussi l’instance juge-t-elle utile de rappeler les principes d’universalité des droits et de non discrimination face aux critères flous et subjectifs de « personnalité » et de « dangerosité ». Lui parait également particulièrement « inquiétante » « l’habilitation conférée par le projet de loi à la différenciation des régimes de détention, entre établissements et à l’intérieur d’un même établissement ». C’est d’ailleurs parce que la Commission estime que « le régime différencié vient décupler les pouvoirs que détient l’administration sur l’individu incarcéré et accroître très nettement les risques d’arbitraire » qu’elle a demandé le mainDedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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Un droit en régression…
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le maintien des liens familiaux, ou le risque d’une éventuelle « rupture [d’un projet d’aménagement de peine] occasionnée par le changement d’établissement ». L’Étude ne manque pas de rappeler que « les condamnés maintenus en maisons d’arrêt se retrouvent soumis à des conditions de détention dégradées en raison de la surpopulation, sans possibilité d’isolement de nuit et enfermés généralement pendant 22 à 23 heures par jour, compte tenu du nombre limité d’activités, de places de travail ou de formation, et ce parfois pendant plusieurs années, dans l’attente de leur affectation en établissements pour peine ». Le droit à l’encellulement individuel, dont l’Étude rappelle qu’il « constitue un élément essentiel à la préservation de la dignité des personnes et à la protection de leur intégrité physique », devient également une simple possibilité, soumise à une demande expresse des détenus et accordée en fonction des disponibilités. La Commission écorne au passage l’argument avancé dans l’exposé des motifs, dont « on ne [sait] sur quelles bases il s’appuie », selon lequel l’encellulement individuel ne correspondrait pas à la demande des détenus, ni à leur intérêt. Elle juge inacceptable que ce principe soit abandonné « par pragmatisme pénitentiaire ». Régression encore lorsque sont consacrées par le législateur des pratiques qui, telles les fouilles corporelles, « peuvent être constitutives d’un traitement inhumain et dégradant ». Par ailleurs, des pans essentiels à une véritable réforme de l’institution carcérale sont totalement ignorés.
De grands absents Socle de la pyramide, l’organisation et le régime intérieur des établissements pénitentiaires, qui déterminent la condition de la personne détenue et donc l’exercice de ses droits. Ces éléments d’importance majeure resteraient du ressort du décret (art. 728 du code de procédure pénale), alors que leur encadrement législatif était, lit-on dans l’Étude, la « raison d’être de la loi pénitentiaire ». La CNCDH a demandé à plusieurs reprises que soit mis un terme à cette situation qu’elle estime contraire à l’État de droit et aux obligations internationales de la France. Peine perdue. Sont également absentes du texte, regrette la Commission, des dispositions qui permettraient d’encadrer ou de garantir certains aspects essentiels de la vie quotidienne des personnes détenues : l’isolement administratif, les décisions d’affectation, d’orientation ou de transfert, la liberté d’expression et d’association, le droit au rapprochement familial, la formation et le travail, etc. La Commission rappelle également que « la diffusion des écrits des détenus est fortement limitée et soumise à la censure discrétionnaire de l’administration » sans que le texte ne vienne remédier à cette situation. Et la litanie pourrait se poursuivre, comme dans le domaine de la santé par exemple. La Commission ne peut en effet que constater « avec regret l’absence de […] dispositions de nature à astreindre l’administration pénitentiaire à prendre les mesures nécessaires pour garantir le plein respect des prescrip-
Le gouvernement droit dans ses bottes Aux critiques et recommandations de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH, lire ci-contre), le Premier ministre répond soit par le refus, soit par le déni, soit par des incantations, le tout teinté d’une mauvaise foi certaine. Foin du renversement de perspective tant attendu. La messe est dite, les droits des détenus peuvent attendre. Lorsque la CNCDH demande à ce que soit limitée la latitude de l’autorité administrative à régir par voie réglementaire le fonctionnement des établissements pénitentiaires ainsi que les droits des détenus, il rétorque que ces questions ne relèvent pas de la compétence du législateur : « Le Gouvernement a par ailleurs opté [...] pour la seule codification [...] des dispositions de procédure pénale et a choisi de ne pas alourdir ce code avec des dispositions relatives aux droits des détenus qui n’ont pas vocation à y être inscrites ». L’actuel membre du Conseil constitutionnel, ancien Premier président de la cour de cassation, Guy Canivet, sur les travaux 1 duquel s’appuie la CNDCH, appréciera. L’obsession sécuritaire est éga-
lement affichée sans vergogne lorsqu’il s’agit d’écarter la recommandation visant à renoncer aux fouilles intégrales. Invoquant le droit commun censé s’appliquer, par exemple en matière de liens familiaux, ou le code de la santé publique en matière d’accès aux soins, le gouvernement ignore volontairement les difficultés qui se posent dans l’exercice de ces droits. Au point que l’on peut se demander à travers quel prisme déformant sont lus les rapports faisant état de ces problèmes graves, qu’ils émanent de la CNCDH, du Comité de prévention de la torture ou du Commissaire européen pour les droits de l’homme. Refusant de prendre les dispositions qui s’imposent pour renverser une situation catastrophique, sur le plan juridique comme sur le plan matériel, la France persévère à maintenir son système pénitentiaire dans un état de crise et un contexte de discrédit permanents. 1. Commission présidée par Guy Canivet, Premier président de la Cour de Cassation, Rapport sur l’amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires, remis au Garde des Sceaux le 6 mars 2000.
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dossier La CNCDH souligne que « la surpopulation et l’inflation carcérales ne pourront être contenues que par le biais d’une politique pénale cohérente et stable ». tions du Code de la santé publique en détention et assurer l’effectivité de l’accès aux soins ». En particulier, les constats posés depuis des années par les organismes internationaux et nationaux sur « l’état dramatique » 3 de la psychiatrie ne semblent pas émouvoir le gouvernement. Rien à ce sujet, souligne la CNCDH, ni sous l’angle d’une amélioration substantielle de l’accès aux soins psychiatriques, ni sous celui d’une remise en cause de la dérive pénale qui caractérise la réponse à la maladie mentale. De façon plus générale, alors que l’objectif d’une équivalence de soins entre l’intérieur et l’extérieur est loin d’être atteint, le texte s’attache essentiellement à apporter des restrictions au droit commun et laisse de côté de nombreux aspects, qui, comme la continuité des soins ou les situations de handicap et de dépendances, sont pourtant parfaitement identifiées comme particulièrement défaillants.
De bonnes dispositions mises en péril par l’incohérence des politiques pénales Seules les sections i et ii du titre ii, relatives aux aménagements et aux alternatives à la détention échappent à ce constat désolant, abstraction faite des remarques de la Commission sur l’intégration « inopportune » dans cette partie de dispositions contestées concernant les régimes de détention. Elle salue notamment l’idée affirmée dans l’article 32 selon laquelle la peine d’emprisonnement ferme en matière correctionnelle ne peut être prononcée que si la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur rendraient toute autre sanction manifestement inadéquate, et se félicite du pas supplémentaire franchi par le projet de loi lorsqu’il incite le juge correctionnel à recourir aux peines alternatives pour sanctionner les délits. Deux aspects lui semblent cependant faire défaut : l’applicabilité de cette mesure aux comparutions immédiates et la cohérence de la politique pénale. La CNCDH souligne en effet que « la surpopulation et l’inflation carcérales ne pourront être contenues que par le biais d’une politique pénale cohérente et stable, et non par le développement incessant de programmes immobiliers ». On ne peut pas, dit la Commission en substance, en s’appuyant sur l’Étude majeure qu’elle a produite en 2006 sur les alternatives à la détention 3, maintenir dans un même arsenal législatif des dispositions dont la logique est rigoureusement inverse. Ainsi faudrait-il abroger la loi du 10 août 2007 sur les « peines planchers », tout comme les restrictions des possibilités d’aménagements de peine ab initio pour les condamnés récidivistes. Autre danger sur lequel la CNCDH « alerte les pouvoirs publics » : « le risque d’un important décalage entre les principes édictés […] et les moyens de leur application sur le terrain ». Rappelant que « le nombre de places et les moyens disponibles dans le cadre des mesures de milieu ouvert [sont] largement insuffisants » et Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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que « les services pénitentiaires d’insertion et de probation et les juges de l’application des peines rencontrent déjà toutes les difficultés pour mettre en œuvre les dispositions existantes », la CNCDH tient à souligner que « la loi pénitentiaire ne pourra à elle seule infléchir les pratiques judiciaires et pénitentiaires dès lors que les moyens et outils nécessaires à sa mise en œuvre feront défaut ».
Un avis pour rien ? Las, l’appréciation de l’instance nationale de protection des droits de l’homme sur le projet de loi pénitentiaire ne semble guère intéresser les autorités françaises. Alors que la secrétaire d’État aux droits de l’homme évoquait le 16 janvier 2009 une situation « dramatique » et « intolérable » dans les prisons, dont le pays devait avoir « honte », le gouvernement, dans sa réponse du 13 janvier à la CNCDH, écarte de façon quasi-systématique les recommandations de la Commission (lire ci-contre). Cette fin de non-recevoir ne doit pas étonner. D’abord parce que la saisine de la CNCDH par le gouvernement n’a été faite qu’a posteriori, une fois le projet de loi bouclé. Ensuite, parce que cet Avis et cette Étude reprennent pour l’essentiel les précédents travaux de la CNCDH, que la Chancellerie avait déjà délibérément ignorés, comme d’ailleurs les recommandations formulées par d’autres instances et même certaines obligations découlant d’instruments internationaux censés s’imposer à la France. Reste à espérer que les parlementaires sauront se montrer plus conscients de la nécessité d’une évolution radicale. De fait, en proposant une centaine d’amendements, la Commission des lois du Sénat a non seulement exprimé sa déception vis-à-vis du texte gouvernemental, mais aussi sa volonté de l’améliorer. Les aménagements proposés ne sauraient pourtant entretenir l’illusion d’une réforme à la hauteur des enjeux et besoins. Les débats au Parlement se doivent d’initier une réorientation globale du projet de loi à l’aune des principes établis par la CNCDH. Les sénateurs et députés, en n’oubliant rien des conclusions auxquelles ils étaient parvenus en 2000 à l’issue de leur commission d’enquête, ont une lourde responsabilité. Barbara Liaras 1. Commission présidée par Guy Canivet, Premier président de la Cour de Cassation, Rapport sur l’amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires, remis au Garde des Sceaux le 6 mars 2000. 2. Comité européen pour la prévention de la torture (CPT), Rapport relatif à la visite effectuée en France du 27 septembre au 9 octobre 2006, 10 décembre 2007, § 203. 3. CNCDH, Sanctionner dans le respect des droits de l’Homme, Volume II – «Les alternatives à la détention», Etude réalisée par Sarah Dindo, La Documentation Française, 2006.
le législateur face à la loi pénitentiaire
Explications de votes au Sénat À l’issue des débats des 3 au 6 mars 2009, chacune des formations politiques a été invitée à expliciter son vote. Les groupes PS, PC, Verts et RDSE (Rassemblement démocratique et social européen) se sont abstenus. Seuls les groupes UMP et Union centriste ont voté pour l’adoption du texte final. Verbatim. Alain ANZIANI, pour le groupe Socialiste
Au cours de ces quatre jours de discussion, nous aurons concentré tous nos efforts pour tenter, finalement, sur de nombreuses dispositions, d’ouvrir les portes que le Gouvernement s’était évertué à fermer, mû par la volonté de faire entrer le maximum de détenus dans les cellules des prisons. Il y a là une véritable contradiction, que nous avons soulevée à maintes reprises : rien ne sert de remplir à ras bord les prisons si, ensuite, on s’efforce de les vider, en empruntant, de surcroît, des voies plus secrètes(...). Nous avons eu essentiellement trois vrais points de désaccord entre nous. Il s’agit, tout d’abord, de la question des fouilles corporelles, (...) de la cellule disciplinaire, des régimes différenciés de détention. (...) Je voudrais inviter non seulement Mme le garde des sceaux, mais aussi l’administration pénitentiaire dans son ensemble à toujours se dire que, dans les prisons, la réalité n’est pas toujours celle qu’ils présentent. Souvent, malheureusement, elle est bien différente. Je ne vous fais pas un procès d’intention, je fais simplement un constat. (...) Vous nous privez d’un vrai consensus sur cette loi pénitentiaire. Nous le regrettons et pour cette raison, nous ne pouvons que nous abstenir.
Robert del PICCHIA, pour le groupe Union pour un Mouvement Populaire (UMP)
Nous avons fait aujourd’hui œuvre utile, en donnant à la présente loi toute sa portée et en améliorant de façon significative les conditions de détention. Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe UMP votera sans réserve en faveur du texte de la commission des lois sur ce projet de loi majeur, qui doit permettre à la société tout entière de porter un regard nouveau sur les prisons.
Anne-Marie PAYET, pour l’Union Centriste
Cette loi n’avait pas pour objet de régler le problème des moyens, qui est sans doute l’un des points les plus sensibles du débat sur le monde carcéral. (...) De même, la politique carcérale définie par la loi pénitentiaire n’est pas une branche de la politique de santé publique. Or, le rapport de notre commission des lois le souligne, les prisons accueillent de plus en plus de personnes atteintes de troubles mentaux du fait de la réduction du nombre de lits dans les hôpitaux psychiatriques. La prison se substitue à l’hôpital, en raison des carences de ce dernier. (...) Nous nous sommes montrés particulièrement attachés au maintien du principe de l’encellulement individuel des prévenus. (...) ce qui sauvegarde un principe fondamental de notre droit pénitentiaire. Nous regrettons que le texte n’aborde pas le problème du transfèrement des prisonniers, en vue de favoriser le reclassement familial des détenus à leur libération, maintenir et améliorer leurs relations avec leurs proches. (...) Le
texte tel qu’il a été modifié nous semble maintenant équilibré et nous le voterons, tout en veillant à ce que les futures orientations budgétaires permettent sa mise en œuvre.
Anne-Marie Escoffier, pour le Rassemblement Démocratique et Social Européen
Nous voulons dire notre vive satisfaction face à la sagesse du Gouvernement qui s’est rangé derrière le texte de la commission des lois pour préserver le principe de l’encellulement individuel, lequel est présent dans notre droit depuis plus d’un siècle. En revanche, nous avons regretté la frilosité du Gouvernement sur certaines propositions, telles que l’extension des droits d’expression des personnels pénitentiaires, les fouilles, la facilitation des mesures de réinsertion, les régimes différenciés de détention ou le régime disciplinaire. Ces attitudes ne manqueront pas, dans la réalité, d’amenuiser les effets de la réforme. Nous avons regretté notamment que la pression du concept sécuritaire ait globalement pesé sur notre débat. Nous aurions enfin tous apprécié que ce texte pût être examiné selon la procédure normale, et non pas sous l’empire d’une déclaration d’urgence. (...) Il est dommage, pour un sujet aussi grave, d’avoir brûlé les étapes. Pour toutes ces raisons, notre groupe pourra dire, pour certains d’entre nous, son accord en votant en faveur de ce texte et, pour les autres, le plus grand nombre, exprimer ses réserves en s’abstenant.
Nicole BORVO COHEN-SEAT, pour le groupe Communiste Républicain et Citoyen
Ce texte n’a pas la densité d’un texte fondamental. En effet, ni les principes qui devraient guider une loi pénitentiaire, ni les droits fondamentaux qui doivent être reconnus à des sujets de droit, ne sont ici énoncés. (...) Les principes qui sont inscrits dans le projet de loi et dont nous pouvons nous réjouir sont immédiatement assortis de renvois au règlement, aux décrets, et donc à l’administration pénitentiaire, ou de restrictions. Cela fut le cas pour les dispositions relatives aux régimes différenciés de détention, aux fouilles et aux quartiers disciplinaires. On peut certes se réjouir de voir enfin votée une loi pénitentiaire. Mais ce texte répond-il pleinement aux attentes de tous ceux qui sont attachés aux droits des personnes détenues et au respect des personnels ? Je ne le crois pas ! Nous ne pouvons que saluer les avancées obtenues en matière d’aménagement de peine, car nous y tenons beaucoup. (...) L’absence de moyens ne manquera pas de se faire sentir en la matière. (…) Des pas en avant ont cependant été faits, et tout pas en avant nous agrée ; mon groupe s’abstiendra donc.
Jean Desessard, pour le groupe des Verts (rattaché au Sénat au groupe Socialiste)
Le texte (...) est bien loin, et c’est heureux, du projet indigent qui nous a été soumis par le Gouvernement, et nous sommes conscients des améliorations qui ont été apportées. Cependant, pourquoi sommesnous restés à mi-chemin, alors que nous aurions pu, enfin, donner à notre pays une loi pénitentiaire digne de ce nom ? (...) Nous regrettons que notre optimisme ait désormais le goût amer de la déception et de la frustration. Nous ne voterons pas contre ce texte, parce qu’il porte en lui des avancées que nous ne pouvons pas ignorer. Mais nous ne voterons pas pour non plus, en raison de son caractère incomplet, et finalement timide sur des aspects qui nous semblaient pourtant fondamentaux. En conséquence, les sénatrices et sénateurs Verts s’abstiendront. Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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Respect des droits fondamentaux des détenus
en droit
Le Conseil d’État montre la voie au législateur
Le 17 décembre 2008, le Conseil d’État a organisé une conférence de presse pour rendre publiques ses dernières décisions en matière pénitentiaire. À cette occasion, il a affirmé haut et fort qu’il entendait renforcer son contrôle sur les décisions de l’administration pénitentiaire, mais aussi et surtout que la personne détenue reste titulaire de tous ses droits « sauf si la loi en dispose autrement ». Une démarche inédite, et particulièrement salutaire à la veille de l’examen par le Parlement du projet de loi pénitentiaire, qui laisse pour l’essentiel le soin à l’exécutif de fixer les règles sur les droits des détenus et le fonctionnement des établissements pénitentiaires. © Samuel Bollendorf
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en droit « Le juge administratif prend ses responsabilités ! ». C’est en substance le message qu’a voulu délivrer le Conseil d’État lors d’une conférence de presse organisée le 17 décembre 2008. L’événement avait pour but de présenter les évolutions opérées par la jurisprudence administrative dans le domaine pénitentiaire, et notamment quatre décisions prises récemment et qualifiées de « coup de semonce » et d’« avertissement » par Martine HerzogEvans, professeur de droit spécialiste de l’application des peines. 1 Trois des quatre commissaires au gouvernement 2 des sous-sections en charge du contentieux pénitentiaire – Isabelle de Silva, Mattias Guyomar et Julien Boucher – étaient présents pour les commenter à la presse. Une démarche inédite qui, comme le souligne Martine Herzog-Evans, « traduit une volonté de faire avancer les choses et d’avoir une influence lors de la discussion de la loi pénitentiaire ».
Le juge administratif prend ses responsabilités… La première idée forte qu’ont voulu mettre en avant les commissaires est « que le juge administratif, et donc le Conseil d’État, est amené à contrôler de plus en plus les décisions de l’administration pénitentiaire ». Ce qui est loin d’avoir toujours été le cas. « Le juge administratif n’a pas tenu sa place », a reconnu Mattias Guyomar, et « cette carence a permis qu’il existe en prison des zones de non-droit ». Durant très longtemps en effet, la plus haute juridiction administrative a considéré que les décisions de l’administration pénitentiaire relevaient du champ des « mesures d’ordre intérieur » (car considérées comme relevant du fonctionnement interne de l’établissement et indispensables au maintien de l’ordre) et n’étaient donc pas susceptibles de recours de la part des détenus. Depuis une quinzaine d’années cependant, ce champ se réduit peu à peu. Le premier arrêt majeur en la matière est l’arrêt Marie du 17 février 1995, sur le placement en cellule disciplinaire. Le Conseil d’État fixe alors comme principe que le contrôle par le juge est fonction de l’incidence de la décision sur la situation des détenus. Huit ans plus tard, la juridiction accepte de contrôler les décisions de placement à l’isolement (30 juillet 2003, Remli), ainsi que celles relatives aux fouilles corporelles (8 décembre 2003, Frérot). Il y a un peu plus d’un an, plusieurs décisions étendent le contrôle du juge au transfert d’une maison centrale à une maison d’arrêt, au déclassement d’emploi et aux rotations de sécurité (14 décembre 2007, B., P. et P.). Le 14 novembre 2008, le Conseil d’État estime ensuite que les décisions relatives aux
fouilles corporelles intégrales d’un détenu lors d’une extraction judiciaire sont également susceptibles de lui être déférées. Enfin, dans un arrêt symboliquement pris le jour même de la conférence de presse, l’instance reconnaît aux détenus la possibilité de contester devant le juge administratif les décisions de placement à l’isolement en urgence ou au quartier disciplinaire à titre préventif (cf. le détail p. 75, décision n° 2). Décision après décision, grâce à la pression constante exercée par les détenus ou l’OIP, le Conseil d’État infléchit ainsi sa position jusqu’à définir, souligne le communiqué annonçant la conférence de presse, les « contours [d’]un véritable droit pénitentiaire ». Pour autant, l’accès au juge reste très difficile pour les détenus, et il l’est encore plus dans les procédures de référés qui, seules, permettent de faire cesser, en urgence, une situation attentatoire aux droits ou aux libertés. Par ailleurs, de nombreuses décisions restent encore dans le champ des mesures d’ordre intérieur. La haute juridiction a d’ailleurs pris soin de préciser dans son communiqué que « ce mouvement ne signifie […] pas que la finalité ultime de ce processus soit la soumission intégrale des décisions de l’administration », car « la prison reste un univers particulier, dans lequel il n’est pas illégitime que l’administration conserve un certain pouvoir ». Une position cependant largement nuancée par Mattias Guyomar, qui a indiqué pour sa part que « la dépendance des détenus vis-à-vis de l’administration pénitentiaire doit justifier de pouvoir recourir au juge » et que « plus rien ne doit lui échapper ».
... et appelle le législateur à en faire de même « Toutes ces décisions ont la même caractéristique », a-t-il poursuivi : « élever le niveau des droits garantis ». Un des arrêts récents du Conseil d’État présenté lors de la conférence de presse affirme ainsi explicitement que, à l’exception de celui d’aller et venir, le détenu, comme toute personne, « garde tous ses droits » (cf. le détail p. 75, décision n° 1). Comme l’indique Julien Boucher dans ses conclusions, « sauf si la loi en dispose autrement, ceuxci en jouissent comme toute autre personne ». Par cette décision, il reconnaît la compétence exclusive du législateur pour fixer les restrictions apportées à l’exercice des droits et des libertés en milieu carcéral, et non pas l’administration pénitentiaire ou la Chancellerie par un décret ou une circulaire. L’article 34 de la Constitution française prévoit en effet que c’est « la loi [qui] fixe les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens ». Cet arrêt constitue un revire-
« Le juge administratif n’a pas tenu sa place et a permis qu’il existe en prison des zones de non-droit », a reconnu un magistrat du Conseil d’État. Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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ment majeur de la jurisprudence du Conseil d’État qui, jusque-là, admettait largement la compétence du pouvoir réglementaire. Il était cependant prévisible, et attendu. Au mois d’octobre en effet, lors de l’examen d’un recours de l’OIP contre un décret sur l’isolement (cf. Dedans Dehors, n° 66, pp. 24-26), Mattias Guyomar avait pris une position similaire en estimant que les dispositions législatives omettant de définir précisément les règles affectant les droits fondamentaux et confiant ce soin au pouvoir réglementaire étaient inconstitutionnelles. Les conséquences de la jurisprudence issue de ces deux arrêts sont tout à fait décisives, notamment pour la discussion du projet de loi pénitentiaire. Comme l’a en effet souligné Julien Boucher devant la presse, « quand on feuillette le code de procédure pénale, on se rend compte que l’ensemble des mesures qui concernent la pénitentiaire relèvent du règlement, et on ne peut que le regretter ». Aussi a-t-il estimé qu’« il serait bon que la loi régisse davantage ce qui se passe en prison. » Mais le projet de loi pénitentiaire n’apporte guère d’avancée sur ce plan. Le gouvernement a en effet tablé sur une loi se limitant à des énoncés très généraux, conçus essentiellement pour servir de point d’appui à des dispositions réglementaires. Cette vision de l’ordonnancement du droit applicable à la prison n’a plus lieu d’être au regard de la jurisprudence actuelle. Et les parlementaires se doivent d’en tirer toutes les conséquences alors même que le vote de la loi pénitentiaire leur donne l’occasion d’exercer pleinement leur rôle.
détention pénitentiaire est une tâche particulièrement difficile ». Comme il l’explique dans son dossier de presse, le Conseil d’État a cependant « progressivement abandonné ce critère restrictif ». Il ne s’agit « plus de sanctionner un fait grave, mais un manquement aux obligations normales des services pénitentiaires ». Une première étape en ce sens avait été franchie en 2003, lorsque la haute juridiction avait jugé que la responsabilité des services pénitentiaires pouvait être engagée à raison du suicide d’un détenu, considéré comme la « conséquence d’une succession de fautes imputables au service pénitentiaire ». 3 L’arrêt du 17 décembre dernier vient entériner cette jurisprudence en faisant désormais peser, explique Isabelle de Silva, « une obligation de moyens de l’administration pénitentiaire ». Faisant référence à d’éventuelles critiques sur l’impossibilité pour celle-ci de répondre à ces exigences, parce qu’elles iraient « au-delà des moyens actuellement consentis […] (en termes par exemple de mise aux normes des cellules ou de renforcement des équipements de lutte contre l’incendie) », elle a tenu à affirmer que « le standard de protection juridictionnelle ne peut être défini à la seule aune des moyens budgétaires ». Avant de conclure que « peut-être cette décision, à la suite d’autres décisions prises par les tribunaux et les cours, contribuera-t-elle à terme à l’amélioration des conditions de vie des détenus dans l’espace pénitentiaire ». C’est bien le moins que l’on puisse espérer, et que ce rehaussement des normes pénitentiaires par le Conseil d’État se traduise dans la législation. Stéphanie Coye et Hugues de Suremain
Une responsabilité de l’administration pénitentiaire engagée plus largement La dernière évolution mise en avant par les commissaires est la tendance à reconnaître plus largement la responsabilité de l’État dans les événements survenus en détention. En atteste l’un des arrêts rendus, toujours le 17 décembre 2008, concernant le décès d’un jeune homme dans la nuit du 22 au 23 juillet 1996, dans une cellule de la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy (Yvelines) (cf. le détail p. 76, décision n° 3). Par cette décision, l’instance confirme que, en cas de mort d’un détenu, y compris accidentelle, une faute dans l’organisation ou le fonctionnement des services pénitentiaires peut suffire à engager la responsabilité de l’État, alors que pendant longtemps la commission d’une « faute lourde », c’està-dire d’une certaine gravité, était estimée nécessaire. Selon la commissaire Isabelle de Silva, cette approche « reposait sur l’idée que la surveillance exercée sur les détenus dans le cadre de la
1. Interrogée par Alain Salles, « Pour le Conseil d’État, la loi doit garantir les droits des prisonniers », Le Monde, 18 décembre. 2. Magistrats indépendants qui, après avoir exposé les faits, les arguments des parties et la jurisprudence, donnent une appréciation juridique sur la solution à donner au litige. 3. Conseil d’État, Mme C., 23 mai 2003. L’administration pénitentiaire avait dans un premier temps omis de notifier à un détenu l’ordonnance prolongeant sa détention provisoire, puis, alors qu’il protestait violemment contre ce qu’il pensait être une détention arbitraire de sa détention, n’était pas intervenu.
Pour les Commissaires au gouvernement, « il serait bon que la loi régisse davantage ce qui se passe en prison. » Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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en droit Décision n° 1 : Un détenu peut disposer librement de ses biens et de son argent Dans une décision du 10 décembre 2008, les juges considèrent qu’un détenu peut disposer librement d’une pension de retraite ou d’une autre allocation, et donc la déposer sur le compte bancaire de son choix. Cette possibilité avait été refusée au plaignant par l’administration pénitentiaire, sur la base de l’article D.319 du code de procédure pénale, qui énonce que le compte nominatif ouvert par la prison pour chaque personne au moment de son incarcération « est ensuite crédité ou débité de toutes les sommes qui viennent à être dues au détenu, ou par lui, au cours de sa détention ». Cette disposition avait été prévue par un décret du ministère de la Justice du 7 mars 1975. Or, comme l’a expliqué Julien Boucher lors de la conférence de presse, la libre disposition des biens est, pour toute personne, un « droit fondamental » qui ne peut donc, de ce fait, être restreint que par le seul législateur, et non par une disposition réglementaire. En l’espèce, « aucune disposition législative » n’interdit aux détenus de disposer librement de leurs biens. L’intervention du législateur1 s’est en effet limitée à fixer les conditions de répartition des sommes perçues par le détenu entre les trois parts du compte nominatif (parties civiles et créanciers d’aliments, pécule de libération et sommes laissées à sa libre disposition). Soulignant que le compte nominatif a été créé parce que la circulation d’argent est interdite en détention, le commissaire au gouvernement, suivi par les juges du Conseil d’État, a considéré que l’article ne vise de ce fait que les sommes dont le détenu est susceptible d’être en possession au sein même d’un établissement pénitentiaire, c’est-à-dire celles qu’il avait sur lui lors de son incarcération et qu’il décide de conserver, celles envoyées par les personnes titulaires d’un permis de visite ou celles liées à la rémunération d’un travail effectué en prison. « Pour le reste, c’est lui qui choisit », a conclu Julien Boucher. Conseil d’État, Monsieur B., décision n° 303624, 10 décembre 2008.
Décision n° 2 : l’isolement en urgence et le placement préventif au mitard susceptible de recours Dans un arrêt du 17 décembre 2008, le Conseil d’État a considéré que les décisions de placement à l’isolement en urgence ou au quartier disciplinaire à titre préventif pouvaient être contrôlées par le juge administratif. Il avait été saisi par l’OIP qui demandait l’annulation du décret du 21 mars 2006 relatif aux décisions prises par l’administration pénitentiaire (n° 2006-337). Ce texte prévoit que le chef d’établissement, ou un agent d’encadrement ayant reçu délégation pour le faire, peut décider en urgence du « placement provisoire à l’isolement du détenu, si la mesure est l’unique moyen de préserver la sécurité de l’établissement ou des personnes », en s’affranchissant des obligations nées de la loi du 12 avril 2000 qui imposent aux administrations, avant de prendre une décision défavorable à un administré, d’entendre les observations de ce dernier, assisté s’il le souhaite d’un avocat ou d’un mandataire. Une disposition similaire donne le même pouvoir, en cas de suspicion d’une faute disciplinaire, pour placer préventivement un détenu au quartier disciplinaire sans attendre la réunion de la commission de discipline, « si la mesure est l’unique moyen de mettre fin à la faute ou de préserver l’ordre à l’intérieur de l’établissement ». Dans le premier cas, le placement peut durer jusqu’à cinq jours ; dans le second, deux. L’OIP avait demandé l’annulation du décret au motif notamment qu’il ne respectait pas les principes de nécessité et de proportionnalité. Lors de l’audience du Conseil d’État, Mattias Guyomar a conclu au rejet de la requête, estimant que « les dispositions attaquées n’emportent aucune violation systématique [...] de l’exigence de proportionnalité qui conditionne la légalité des mesures ». Il a cependant ajouté que « c’est au stade de la mesure individuelle que devra être assuré le respect de son caractère proportionné au comportement litigieux », et notamment le fait que le placement était bien « l’unique moyen » de préserver la sécurité ou l’ordre de l’établissement, ou encore de mettre fin à la faute. Or, jusqu’à présent, le Conseil d’État refusait de contrôler de tels placements, les considérant comme des mesures d’ordre intérieur. Le commissaire a donc demandé aux juges de revoir leur jurisprudence, en mettant en avant les conséquences de cette mesure qui non seulement « a pour effet d’entraîner une aggravation des conditions de détention », mais est également « portée à la connaissance du juge de l’application des peines et est, ce faisant, prise en compte pour l’appréciation du comportement du détenu ». Les magistrats ont suivi les conclusions du commissaire. Conseil d’État, Section française de l’Observatoire international des prisons, décision n° 293786, 17 décembre 2008. Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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Décision n° 3 : l’État reconnu fautif dans la mort de Jawad Zaouiya
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Dans un arrêt rendu le 17 décembre 2008, le Conseil d’État a clôturé une bataille juridique de plus de douze ans entre les parents d’un jeune homme décédé en prison et l’administration pénitentiaire, donnant définitivement raison aux premiers. Les faits remontent à la nuit du 22 au 23 juillet 1996, dans une cellule de la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy (Yvelines) où avaient été placés trois jeunes détenus, dont le fils des requérants, Jawad Zaouiya. Voulant être affecté dans une autre cellule, l’un d’entre eux avait menacé de mettre le feu s’il n’obtenait pas satisfaction, puis avait mis sa menace à exécution cinq minutes plus tard, à 1 h 25. L’alerte avait été immédiatement donnée, mais le personnel de garde ne disposant pas des clés des portes la nuit, la cellule n’avait pu être ouverte qu’après un important délai. Entre-temps, deux des occupants étaient morts, asphyxiés par la fumée, celui qui avait mis le feu et Jawad. Depuis, les parents de ce dernier se battaient pour obtenir la condamnation de l’administration pénitentiaire. Le Conseil d’État leur a donné raison, estimant que l’« ensemble des circonstances » ayant conduit aux décès « présentait un caractère fautif » de nature à engager la responsabilité de l’État. « Le danger provoqué par la combustion des matelas en mousse [...], de même que la fréquence des incidents provoqués par des détenus enflammant leur matelas, étaient connus de l’administration pénitentiaire, sans que celle-ci ait mis en œuvre de dispositions préventives appropriées », souligne l’arrêt. Sont aussi en cause « le système de dégagement des fumées [...] inadapté » et « l’impossibilité pratique et matérielle pour le surveillant de nuit d’accéder rapidement au matériel de lutte contre l’incendie ». Ce faisant, l’instance confirme que, en cas de décès d’un détenu, y compris accidentel, une faute dans l’organisation ou le fonctionnement des services pénitentiaires peut suffire à engager la responsabilité de l’État. Conseil d’État, Garde des Sceaux, ministre de la Justice c/M. et Mme Zaouiya, n° 292088, 17 décembre 2008.
Décision n° 4 : l’État doit prendre des mesures préventives pour protéger la vie des détenus Ce même 17 décembre 2008, la question des feux de matelas a fait l’objet d’une autre décision du Conseil d’État qui rappelait alors que « l’administration pénitentiaire est tenue, à chaDedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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que échelon pertinent, de prendre les mesures nécessaires pour protéger la vie des détenus ». Il avait été saisi de ce sujet par l’OIP, inquiet de la fréquence et du danger de ces incendies. Trois jours avant la conférence de presse du Conseil d’État, un homme est d’ailleurs décédé dans ces conditions à la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône (Rhône). Composés de mousse de polyuréthane, les matelas dont sont équipés les lits en détention normale dégagent en effet en se consumant des gaz hautement toxiques, pouvant entraîner la mort en quelques minutes. Ils sont dotés d’une housse ignifugée, mais qui peut facilement être ôtée par les détenus. C’est pourquoi l’Observatoire avait demandé au ministre de la Justice de les doter, dans l’ensemble des établissements pénitentiaires, d’une housse inamovible, comme cela existe déjà dans les quartiers disciplinaires, et de prendre, sur la base d’études préalablement réalisées, une réglementation concernant le matériel de literie assurant une protection efficace des détenus. La Chancellerie n’ayant pas daigné répondre à cette requête, le Conseil d’État a été saisi. Sa décision spécifie que le ministre de la Justice et, à leur niveau, les directeurs des établissements pénitentiaires, sont tenus de prendre les mesures nécessaires pour protéger la vie des détenus. Le « droit à la vie » est en effet protégé par l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Selon la jurisprudence de la Cour européenne, découlent de cet article à la fois des obligations dites « négatives » – s’abstenir de provoquer volontairement la mort – mais aussi des « obligations positives », comme notamment le fait de prendre préventivement des mesures pour protéger les personnes. Ce qui est, selon les dires de Mattias Guyomar lors de la conférence de presse, « reconnu très clairement pour la première fois » dans cet arrêt. Le Conseil d’État n’a cependant pas été jusqu’à considérer que le refus implicite du garde des Sceaux de remplacer les matelas méconnaissait les obligations lui incombant. Se fiant aux affirmations de l’administration pénitentiaire, le juge a opéré une analyse erronée des possibilités d’équipement, croyant que les matelas présentant des garanties de résistance au feu étaient forcément très inconfortables, à l’instar de ceux utilisés depuis peu dans les quartiers disciplinaires, et qu’il n’était pas établi que toute autre solution moins radicale assurerait un surcroît de protection par rapport au matériel utilisé en détention ordinaire. Estimant dès lors qu’il n’y a « pas de situation satisfaisante », « le Conseil d’État n’a pas imposé le changement », a expliqué Isabelle de Silva, sauf « lorsqu’il y a un risque particulier », tenant notamment au comportement des détenus ou à celui de leurs codétenus, ou encore à la configuration de leurs cellules. L’administration pénitentiaire a alors l’obligation de fournir les matelas les plus résistants, utilisés dans les quartiers disciplinaires. Sous peine pour l’État, si un nouvel accident se produit sans que cette obligation n’ait été respectée, de voir sa responsabilité de nouveau être engagée. Conseil d’État, Section française de l’Observatoire international des prisons, décision n° 305594, 17 décembre 2008. Stéphanie Coye et Hugues de Suremain 1. Article 728-1 du code de procédure pénale, introduit par la loi n° 90-589 du 6 juillet 1990 modifiant le code de procédure pénale et le code des assurances et relative aux victimes d’infractions.
en droit Conditions d’hébergement indignes
La Cour de cassation refuse de protéger les détenus Appelée le 20 janvier dernier à se prononcer pour la première fois sur l’applicabilité des dispositions pénales réprimant l’hébergement contraire à la dignité humaine, la Cour de cassation s’est refusée à reconnaître la possibilité pour les personnes détenues de porter plainte sur ce fondement. Elle accorde ainsi un régime d’exception aux personnes en charge des services pénitentiaires, mettant ces dernières à l’abri de toutes poursuites.
L
a prise en charge matérielle des personnes détenues est donc soumise à un régime d’exception au droit commun. La Cour de cassation en a décidé ainsi dans un arrêt du 20 janvier 2009. Saisie par un détenu de la maison d’arrêt de Rouen (Seine-Maritime), elle était appelée à trancher une question inédite pour elle, mais fondamentale : peut-il y avoir des poursuites en vertu de l’article 225-14 du code pénal réprimant les conditions d’hébergement contraires à la dignité en milieu carcéral ? Autrement dit, la répression s’appliquant en droit commun à un propriétaire privé qui louerait à une personne vulnérable un hébergement indigne doit-elle s’appliquer aux autorités en charge des personnes détenues ? La réponse à cette question comportait de lourdes conséquences pour les dizaines de milliers de prisonniers qui s’entassent actuellement dans des maisons d’arrêt surpeuplées, vétustes et insalubres. Une position favorable au requérant aurait contenu implicitement l’expression d’une volonté d’affirmer que les prisonniers devaient, au même titre que les autres citoyens, bénéficier des garanties apportées par la loi pénale. En répondant négativement, la Cour de cassation a décidé que ces détenus devaient continuer de croupir dans ces établissements et met les personnes qui en sont responsables à l’abri de toute poursuite pénale.
Une esquive non argumentée La Cour de cassation était saisie d’un pourvoi contre un arrêt du 3 avril 2008, par lequel la Cour d’appel de Rouen avait confirmé le refus d’instruire la plainte déposée contre X par un détenu. À la suite du juge d’instruction, elle avait en effet considéré que les faits incriminés relevaient de l’appréciation non du juge pénal mais du juge administratif et que les dispositions de l’article 225-14 « induisent comme contrepartie à l’hébergement, une forme d’exploitation de la personne hébergée en vue d’un certain enrichissement de l’exploitant des lieux, excluant ainsi la situation du détenu en milieu carcéral ». Ces motifs ne tiennent pas. D’une part, il est de jurisprudence constante qu’une pro-
cédure peut être exercée devant les juridictions pénales même dans l’hypothèse où la faute reprochée au fonctionnaire n’aurait constitué qu’une « faute de service » relevant du juge administratif pour son indemnisation. D’autre part, les personnes incarcérées ne peuvent se soustraire à l’hébergement qui leur est imposé, de sorte que l’objection de la gratuité de l’hébergement ne peut être retenue. La Cour de cassation a pourtant également jugé que les faits « n’entrent pas dans les prévisions de l’article 225-14 du code pénal et ne peuvent admettre aucune qualification pénale ». La décision n’est pas plus argumentée. La justice n’aura donc pas à apprécier « la réalité des mauvaises conditions d’hébergement [...] de nature à porter atteinte à la préservation de la dignité des détenus ». Elle ne serait d’ailleurs sans doute pas parvenue à la nier tant l’évocation des conditions matérielles de détention par le requérant, telle qu’elle ressort des rapports d’expertise produits, est éloquente : des cellules de 10,80 m2 à 12,36 m2 dans lesquelles il devait cohabiter avec une ou deux autres personnes, un accès à la lumière limité, un système d’aération sommaire, une absence de séparation des sanitaires, etc. Le tribunal administratif de Rouen, que le requérant avait d’abord saisi d’une demande d’indemnisation, avait jugé « qu’eu égard à la durée particulièrement longue de l’encellulement dans de telles conditions, à la taille des cellules, à la promiscuité et l’absence de respect de l’intimité du requérant qui en est résulté, M. D. [était] fondé à soutenir qu’il a été incarcéré dans des conditions n’assurant pas le respect de la dignité inhérente à la personne humaine ». L’État avait été condamné à verser au détenu une indemnisation de 3 000 euros.
Une instruction en cours à Nancy La Cour de cassation de son côté n’a pas jugé devoir jouer le rôle qu’appelait une telle situation. Elle y était pourtant invitée par son procureur général. Celui-ci avait en effet appelé à une toute autre décision, en estimant nécessaire l’ouverture d’une information judiciaire dans ses réquisitions communiquées lors de l’audience, Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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© Aimée Thirion
le 6 janvier. Dans un autre dossier, la Cour d’appel de Nancy (Meurthe-et-Moselle) s’était également prononcée en faveur de poursuites suite à une plainte déposée par une personne détenue dans la maison d’arrêt de la ville. En effet, dans un arrêt du 1er mars 2007, les juges avaient estimé que, « abstraction faite de l’impossibilité légale de mettre en cause la responsabilité pénale de l’État », des conditions indignes de détention tombaient bien sous le coup de la loi pénale. Selon les magistrats, « la personne détenue est, du fait de la privation de sa liberté d’aller et venir, incontestablement en situation de vulnérabilité » et « la détention s’analyse, au moins en partie, comme un hébergement ». Il revenait donc au juge d’instruction de s’assurer dans chaque cas de « la réalité du caractère éventuellement incompatible avec la dignité humaine des conditions d’hébergement réservées à la personne détenue », puis de rechercher les « personnes physiques en position, notamment en raison de leurs fonctions, de les créer ou d’y mettre un terme ». En conséquence, ils avaient ordonné l’ouverture d’une information judiciaire, qui est du reste toujours en cours. Dans cette affaire, c’est la Cour européenne, que le requérant avait d’abord saisi, qui lui avait conseillé cette démarche. Ne pouvant intervenir qu’après épuisement des voies de recours internes, elle avait invité l’intéressé à porter plainte auprès d’un juge d’instruction sur le fondement de l’article 225-14 du Code pénal.
Une décision lourde de conséquences Désormais, du fait de la décision de la Cour de cassation, l’information judiciaire devrait s’éteindre. La Haute cour exclut ainsi ces Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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deux personnes et, au-delà, l’ensemble des détenus, du champ d’application de la loi, les privant de sa protection. Selon un document interne du ministère de la Justice de juillet 2007 pourtant, « la majorité [du] patrimoine [pénitentiaire] est ancien (54 % des bâtiments ont été construits avant 1920) et n’est plus conforme aux normes d’hygiène et de sécurité obligatoires pour l’hébergement des personnes écrouées ». « Un établissement sur deux est antérieur à 1920 », explique en effet ce texte, certains datant même du xiiie siècle. Parmi eux, « vingt-cinq établissements sont identifiés comme devant fermer au plus vite ». Ces conditions matérielles insupportables mettent en jeu la responsabilité collective de la société française. Il incombait dès lors aux juridictions nationales de veiller à la prééminence du droit en prison, en s’assurant notamment que n’était pas pénalement répréhensible la décision prise par les autorités publiques de ne pas prendre les mesures immédiates nécessaires à la protection de la dignité des détenus, alors qu’elles étaient dûment informées de leur sort indigne. Le Conseil d’État assume désormais sa responsabilité dans ses domaines de compétences (lire à ce sujet l’article précédent). La Cour de cassation s’y refuse, en consacrant l’immunité juridictionnelle des autorités, et ce dans une affaire mettant en cause de possibles traitements inhumains et dégradants. Elle place ainsi notre droit en violation du droit international. Ce que ne manquera pas de condamner la Cour européenne des droits de l’homme, qui va être saisi pour violation du droit d’accès au juge et de l’obligation positive d’identifier et de punir les auteurs de traitements inhumains ou dégradants. Marie-Anne Duverne et Hugues de Suremain
“Quand nous nous opposons
LETTRES OUVERTES
à cette pratique humiliante,
on nous menace ”
Personne incarcérée dans une maison d’arrêt, mars 2009.
« Il est dégradant pour les détenus que certains surveillants, après chaque parloir, pratiquent une fouille corporelle complètement à nu, alors que d’autres le font intelligemment et dans le respect de la personne et de son âge (j’ai plus de soixante ans). Nous sommes dans une petite prison, nous nous connaissons
« La vie au quotidien est cent fois mieux à cet étage… » Personne incarcérée dans une maison d’arrêt, février 2009. « La maison d’arrêt dans laquelle je suis incarcéré est une “prison pilote”, le téléphone y a été installé. Il faut être condamné pour y avoir droit et on ne peut pas, en principe, téléphoner plus de 20 minutes par mois. Rapidement, j’ai appris qu’il y avait un secteur où le téléphone n’est pas limité. En raison de la distance qui me sépare des gens que j’aime, je me suis empressé d’écrire au directeur afin d’y aller, et de pouvoir garder ainsi des liens avec mes proches. J’ai été accepté dans ce “régime de confiance” après trois mois de détention environ. Ce n’est pas comme en centre de détention, les portes sont fermées, mais nous avons plein d’avantages par rapport aux autres étages. Tout d’abord, il y a une salle d’activités avec un écran plat, quelques sièges confortables et des tables pour jouer aux cartes. Dans les autres secteurs, il n’y a rien de tout cela. Ici, les cellules sont pro-
tous. Quand nous nous opposons à cette pratique humiliante, on nous menace en nous agitant textes de loi et conseil de discipline. Ces pressions peuvent être considérées comme de la torture morale. On pourrait avoir au moins un peu d’humanité et ne pas nous considérer comme moins que des animaux. Ne cherchez pas pourquoi il y a autant de suicides dans les prisons. »
pres, repeintes à neuf et dotées d’un petit écran plat au-dessus de la porte. Nous prenons également des douches tous les jours. Il y a quelques surveillants qui refusent quand on leur demande, mais c’est rare et, bientôt, on espère que les portes seront ouvertes. La place est faite pour le barillet, mais nous n’avons pas la clef. Il y a des surveillants qui nous laissent déjà ouverts et d’autres non. Il y a quelques inoccupés à l’étage, mais, bien entendu, toute demande de travail émanant d’ici a beaucoup plus de chance de voir sa requête aboutir. Je dois vous dire, pour être honnête, qu’il y a beaucoup de personnes de quarante ans et plus. Je pense également que la moitié des détenus a été condamnée pour des histoires de mœurs. La vie au quotidien y est cent fois mieux, mais cela crée des jalousies car tous les condamnés devraient y avoir droit. En promenade, nous sommes mélangés avec les autres qui, eux, n’ont aucun avantage, et cela crée des tensions très fortes en détention lorsqu’un détenu d’un autre secteur se voit refuser un travail, ou l’accès au régime de confiance. Pour ne plus faire partie de ce régime de confiance, il faut avoir un rapport disciplinaire. Des fois, il suffit de bien peu de
choses, ce qui nous donne l’impression d’être sur un siège éjectable. »
« Au troisième étage se trouvent les “cachetonneux” » Personne incarcérée dans la même maison d’arrêt que le courrier précédent, février 2009. « Dans ce bâtiment, on n’a le droit qu’à trois douches par semaine. Les douches sont insalubres. Il n’y a pas d’écoulement au sol pour les eaux usées, l’auxiliaire doit nettoyer au racloir. Les murs sont sales et jamais nettoyés. Au troisième étage se trouvent les “cachetonneux”, des détenus avec un lourd traitement médicamenteux, manquant totalement d’hygiène, qui restent souvent à côté de l’eau de la douche pour ne pas se laver. Il y a quinze jours, l’un d’eux a déféqué au beau milieu d’une douche. Un autre jour, un autre s’est affalé dans les escaliers, son pantalon baissé au niveau des genoux, les fesses à l’air. Il paraissait perdu sous l’effet d’un médicament très puissant. Il n’a pas sa place ici ! C’est à l’hôpital qu’il devrait être ! »
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LETTRES OUVERTES
« Pour y arriver, nous travaillons même les jours fériés et les week-ends » Personne détenue dans un centre pénitentiaire, février 2009. « Je travaille en cellule depuis plus de deux ans. J’effectue un travail à la tâche transformé en travail rémunéré à l’heure sur les fiches de paye. Le nombre d’heures réalisées peut être deux fois supérieur à celui indiqué sur le bulletin. En effet, pour gagner suffisamment, il faut faire des journées non-stop. Faire des mises en sachets de vingt épingles, puis des mises en cartons de trente sachets rapporte 1,33 euros par carton. Pour y arriver, nous travaillons même les jours fériés et les week-ends, en dépit de l’interdiction de travailler les jours de repos. La direction ferme les yeux. Certains présents depuis plus d’un an ne sortent même jamais, c’est une main d’œuvre facile, sans risque de revendication. Les arrêts maladie ne sont pas indemnisés. J’ai eu le droit à zéro lorsque j’ai été arrêté il y a quelque temps, parce que je m’étais blessé dans le cadre d’un travail. Je me suis débrouillé pour reprendre très rapidement car si l’arrêt dure, c’est le déclassement. Le droit du travail ne s’applique pas ici, il n’y a pas de hausse des salaires, et nous sommes, comme tout un chacun, tributaires de l’augmentation des prix à l’extérieur. J’ai calculé il y a quelque temps que j’avais mis de côté pour ma libération moins de vingt euros. Que faire avec ça ? L’argent que nous gagnons sert pour le reste. »
« L’habitude ne fait pas loi » Personne détenue dans un centre pénitentiaire, août 2008. « Pourquoi, lorsqu’on est extrait pour se rendre à l’hôpital, doit-on systématiquement être harnaché comme Hannibal Lecter ? Il a été dit à un détenu qui refusait d’être attaché, pour le forcer à accepter cette torture, que c’était lui qui souffrait et qui avait besoin de soins. Il lui a été dit que c’était comme ça pour tout le monde. Le droit aux soins ne devrait pas être soumis au chantage. L’habitude ne fait pas loi et nul ne devrait être au-dessus de celle-ci. C’est une atteinte pure et simple à nos droits les plus élémentaires, et une Dedans Dehors N°67-68 Avril 2009
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violation évidente de la Convention européenne des droits de l’homme. Ce n’est pas parce que personne ne dit rien que c’est normal. Bizarrement, c’est une des rares fois où on ne s’entend pas dire, pour couper court à toutes polémiques, “c’est la loi, on ne fait que l’appliquer !” L’administration pénitentiaire n’a pas l’habitude que les détenus soient des procéduriers, faut-il vraiment en arriver là ? En même temps, les rares fois où des détenus ont osé attaquer l’administration en justice, ils ont souvent gagné ! Alors, à bon entendeur… »
« J’aurais bien voulu protester » Personne détenue dans un centre de détention, septembre 2008. « J’ai eu la chance de faire une petite sortie à l’hôpital. Bien agréable de pouvoir contempler la campagne à travers les vitres de la voiture. Mais ce genre de balade n’a pas que des côtés agréables. C’est même une sacrée expédition. D’abord, on n’est prévenu que la veille. Puis, il y a le passage obligé à la fouille. Je ne vous fais pas un dessin. Puis me voilà parti, menottes aux poignets, escorté par trois surveillants dont un ne me quittera pas de la matinée. Il y a quand même un avantage : vu la particularité du patient, on passe avant tout le monde. Mais là, ça commence à se compliquer un peu. J’entre dans la salle d’examen où m’attend le spécialiste (ah oui, je ne vous ai pas dit, c’était pour une coloscopie) qui me demande de me déshabiller et de prendre place. Pas franchement drôle. Mais là où c’est encore moins drôle, c’est que mon surveillant ne prétendait pas m’ôter les menottes. Il a fallu toute la persuasion du spécialiste pour que je sois enfin libéré de mes bracelets. Encore moins drôle que moins drôle, c’est que le surveillant est resté dans la salle durant toute la durée de l’examen, au mépris total du secret médical. J’aurais bien voulu protester, mais la coloscopie aurait été annulée. Intérieurement, j’étais furieux. Une fois la coloscopie terminée, je m’adresse au surveillant : “Maintenant que vous m’avez vu nu pendant une demi-heure et que vous avez même pu constater que je ne cachais aucun objet illicite au plus profond de mes entrailles, vous n’allez quand
même pas procéder à une nouvelle fouille en arrivant au centre de détention. – Ben si c’est le règlement !” J’ai bien failli lui dire que, dans certaines circonstances, on avait le droit, que dis-je, le devoir de désobéir aux ordres, mais je me suis retenu. Arrivé au centre, nous nous arrêtons devant la salle de fouille. Là, il hésite un peu et me souffle à l’oreille : “C’est bon, allez-y, mais surtout ne le dites à personne”. Promis, personne ne le saura ! »
« Les détenus sont aussi des patients ! » Personne détenue dans une maison d’arrêt, juin 2008. « Alors qu’il existe un service médical qui me semble convenable ici, il est difficile d’être bien soigné et en temps voulu. Lorsque les soins sont nécessaires, en l’occurrence les soins dentaires, il est ici (comme pour tous les soins d’ailleurs, et même pour les entretiens avec le médecin psychiatre et le psychologue, qui impliquent une préparation intérieure) impossible d’être prévenu à l’avance. Alors qu’il ne devrait pas être difficile de fixer des rendez-vous ou plus exactement de communiquer aux détenus qui sont aussi des patients (!) ces rendez-vous. En effet, les praticiens s’organisent nécessairement et tiennent pour eux-mêmes, bien logiquement, un carnet de rendez-vous. Que l’on imagine ce que cela peut être d’être réveillé le matin pour le rendez-vous chez le dentiste. S’habiller en vitesse, sous la pression d’un surveillant qui, même avec courtoisie, invite à se dépêcher, sans même avoir le temps d’avaler une tasse de café ou surtout de se brosser les dents, pour se retrouver à peine dix minutes plus tard sur le siège du dentiste, n’est pas particulièrement confortable. J’ajoute que sortir du lit nu et s’habiller devant le surveillant ne me gène pas le moins du monde. Nous sommes à notre époque, entre hommes, et personne n’est dérangé par la nudité sous la douche et même lors des fouilles corporelles, si ce n’est, en ce seul cas, une dimension différente car humiliante, même si on en conçoit, parfois du moins, la nécessité. Mais se brosser les dents devant un témoin, cracher, ajuster un appareil dentaire, est une situation qui me gène et qui relève à mon sens plus de l’intimité, et de la pudeur, que la nudité
LETTRES OUVERTES naturelle. Ne serait-il pas possible d’être averti par courrier intérieur informel ou par le personnel pénitentiaire, de tel rendez-vous médical, comme on avertit les détenus en d’autres circonstances ? Je vois et perçois dans cette attitude désinvolte une sorte de mépris, partant du principe qu’un détenu en cellule est nécessairement disponible et à merci, alors qu’à l’inverse on encourage, légitimement, les détenus à exercer des activités culturelles et autres, en cellule notamment. »
« Le placement au quartier disciplinaire est monnaie courante contre toute revendication » Personne détenue dans une maison d’arrêt, août 2008. « Je suis incarcéré depuis plus de deux ans, en attente de jugement. Nous ne sommes pas écoutés, aucun de nos droits n’est respecté, l’abus ou l’excès de pouvoir est permanent… L’inquiétude est de mise. J’ai été victime, après un séjour de 4 jours au QD (non justifié, même le recours de 7 jours n’a pas été possible par l’exécution immédiate de la sentence) de vols et de dégradation volontaire de mes effets personnels par les autorités en poste. Ils ont vidé le contenu de mes cantines (huile, vinaigre, eau de javel etc) dans mes couvertures qui me servaient de couchage. J’ai eu mon poste de radio, ma brosse à cheveux, mon miroir, etc cassés volontairement, ce qui a été constaté par les premiers surveillants en poste ce jour. Ils m’ont placé au 3e étage, soit-disant pour quelques jours en l’attente d’une cellule seule, alors que j’avais une mobilité réduite me déplaçant avec deux béquilles. La prise de courant alimentant la télévision avait été coupée, la fenêtre cassée, absence du cache-néon (lumière intense), WC insalubres, bref un lieu immonde. Hormis cela, je n’ai aucune activité malgré de nombreux courriers, je n’ai qu’une séance de sport par semaine depuis un mois après une dure bataille. Cela reste à l’initiative du chef de division. Je suis catalogué comme exigeant et procédurier, cela dérange, on me le fait payer. Tout achat que je veux faire en cantine extérieure m’est refusé systématiquement. Les cantines ordinaires nous
sont livrées moisies, écrasées, ou pas livrées mais déduites de votre pécule. J’ai beau m’élever contre ce système, rien n’y fait. Que faire ? Je ne vous parle même pas des cours de promenade de 40 m2 que l’on partage avec les rats, le sol est jonché de leurs excréments, nous y sommes parqués entre 30 à 40 détenus. Cela ne peut plus durer. Le placement au QD est monnaie courante contre toute revendication, d’ailleurs il existe une liste d’attente. Les conditions de détention sont déplorables, l’interdiction est permanente, les repas sont infâmes et servis à la louche comme au siècle dernier. Quand les coupures électriques surviennent le soir, le surveillant de garde nous répond « j’en ai rien à foutre mon gars », ou « ferme ta gueule connard » etc, nous laissant jusqu’au lendemain midi sans TV alors que l’on paie ce service 8,38 euros par semaine pour huit chaînes. Il nous faut plus de 4 mois pour voir un dentiste qui nous dit que tout va bien malgré une douleur persistante, le détartrage il vous est gentiment dit de le faire à votre sortie de prison. Comment je vais faire, m’attendant à une lourde peine ? Nous n’avons pas de point d’eau ou de toilettes en promenade, devant faire une attente de deux heures, durée du temps de promenade. Même si vous êtes malade vous restez en promenade. Nous n’avons à notre disposition qu’un produit vaisselle, crème à récurer, 10 cl de javel et une éponge par cellule (3 détenus) pour le mois. Pas de frigo, pas ou peu de ventilateurs, pas de cabine de toilette. Ils ouvrent la porte de
la cellule même si vous êtes aux WC, où toutes les coursives et eux-mêmes ont un vis-à-vis avec votre intimité. Ils vous jettent à terre le linge propre et repassé que nos familles apportent, répondant que nous n’avions pas à venir en prison si nous ne voulions pas vivre cela. »
« Beaucoup de détenus ont faim » Personne détenue dans une maison d’arrêt, janvier 2009. « Je tenais à vous informer de notre combat à la maison d’arrêt pour pouvoir nous alimenter correctement. Effectivement, la société qui gère les cantines, ainsi que leurs prix exorbitants, s’occupe également de l’élaboration des repas ainsi que de leur fabrication. Nous sommes dans une situation catastrophique. Neuf repas sur dix partent directement à la poubelle. Beaucoup de détenus ont faim et avec le temps, on perd du poids. Une altercation a même eu lieu entre un surveillant et le responsable de la société. Le premier lui a dit qu’il devrait avoir honte, qu’il n’oserait pas donner ça à un chien compte tenu notamment de l’odeur à l’ouverture des barquettes. Le responsable lui a répondu : “on fait ce qu’on peut” et, de toute façon, ce sont des détenus. Sur les bons de cantine, il n’y a ni viande, ni pâtisserie. Depuis que je suis ici je n’ai jamais eu une seule fois de la viande, à part de la viande hachée. » © Anne-Marie Marchetti
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Pour connaître la réalité carcérale au quotidien de personnes détenues
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Pour faire savoir qu’en 2008, mort derrière les murs, et déjà plus de
personnes se sont données la
personnes en 2009
Pour faire valoir les droits des personnes détenues face à un quotidien inhumain et dégradant, à la non application du droit commun en prison, à la promiscuité imposée, au manque de soins, à la pauvreté, à la violence...
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rapport 2005 : les conditions de détention en France OIP/ La Découverte, 2005, 288 p., 20 (hors frais de port)
le guide du sortant OIP/ La Découverte, 2006, 416 p., 22 (hors frais de port)
Dedans dehors n°66
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Les groupes et correspondants locaux assurent l’observation et l’alerte de la (les) prison(s) présente(s) dans leur ville, en lien avec les coordinations régionales et le secrétariat national : Pour les contacter vous pouvez joindre le secrétariat national : contact@oip.org ou 01 44 52 87 90 Aix-en-Provence, Agen (Eysses), Aiton, Amiens, Angoulême, Arras, Avignon, Bapaume, Bayonne, Bédenac, Béthune, Bois d’Arcy, Bonneville, Bourg-en-Bresse, Chambéry, Douai, Dunkerque, Fleury-Mérogis, Fresnes, Grenoble (Varces), Laon, Le Puy-en-Velay, Lille, Longuenesse, Lyon, Marseille, Maubeuge, Meaux, Melun, Metz,Nancy, Nanterre, Nîmes, Niort, Osny, Paris La Santé, Poissy, Poitiers, Privas, Rennes, Rochefort, Saintes, Saint-Etienne, Saint-Martin-de-Ré, Saint-Quentin-Fallavier, Toulon, Toulouse (Seysses), Valence,Valencienne, Versailles, Villefranche-sur-Saône, Villepinte.
Qu’est-ce que l’OIP ? Considérant que l’emprisonnement est une atteinte à la dignité de la personne, la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP), juridiquement créée en janvier 1996, agit pour la défense des droits fondamentaux et des libertés individuelles des personnes détenues. Que fait l’OIP ? Concrètement, l’OIP dresse et fait connaître l’état des conditions de détention des personnes incarcérées, alerte l’opinion, les pouvoirs publics, les organismes et les organisations concernées sur l’ensemble des manquements observés ; informe les personnes détenues de leurs droits et soutient leurs démarches pour les faire valoir ; favorise l’adoption de lois, règlements et autres mesures propres à garantir la défense de la personne et le respect des droits des détenus ; favorise la diminution du nombre de personnes détenues, la limitation du recours à l’incarcération, la réduction de l’échelle des peines, le développement d’alternatives aux poursuites pénales et de substituts aux sanctions privatives de liberté. Comment agit l’OIP ? Organisation indépendante des pouvoirs publics, l’OIP ne sollicite aucun mandat ou subvention du ministère de la Justice, s’interdit de prendre part à l’action d’aucun gouvernement, de soutenir aucun parti politique ou de prendre position à l’occasion de toute consultation électorale. Pour faciliter la mise en œuvre de ses objectifs, l’Observatoire suscite la création de coordinations régionales et de groupes locaux en charge de l’observation d’un lieu de détention et composés exclusivement de membres de l’OIP.