Dedans Dehors n°72-73 Libérons la parole détenue !

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ACTU

Dedans Dehors N°72-73 DÊcembre 2010

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L’OIP organise un débat public le samedi 11 décembre 2010 à Lyon. Son thème : la liberté de parole individuelle et le droit d’expression collective des prisonniers et des acteurs du monde carcéral, derrière et en dehors des murs.

Libérons la parole détenue !

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a date et le lieu ne doivent rien au hasard. Le cadre de la Journée mondiale commémorant la Déclaration universelle des droits de l’homme permet de se rappeler que « tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression » et que « toute personne a droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques ». Quant au choix de la capitale des Gaules, il est doublement fondé. C’est d’abord un rappel de l’histoire puisque c’est dans les maisons d’arrêt de Perrache qu’au début des années 1980 est né l’Écrou, premier journal réalisé en prison ouvrant un espace commun d’expression aux détenus, aux personnels et aux intervenants. Mais surtout, c’est un écho à la clameur inhabituelle et unanime entendue à Lyon depuis le passage des prisons de Saint-Paul, Saint Joseph et Montluc, insalubres, à celle de Corbas, flambant neuve. Des détenus qui disent préférer la crasse et les rats des anciennes cellules plutôt que la modernité aseptisée des nouvelles du fond desquelles « personne ne vous entend » 1. Jusqu’aux fonctionnaires pointant du doigt les nouveaux établissements où « chacun est de plus en plus isolé » 2. En passant par Jean-Marie Delarue qui ne comprend pas « comment on a pu imaginer une prison qui cherche à faire taire alors que la réinsertion suppose que l’on parle » 3. Tous dénoncent avec vigueur le renforcement de l’isolement social et la réduction de la liberté d’expression à l’intérieur. Alors que la liste des obstacles dressés contre la prise de parole des personnels et des intervenants n’a d’égale que l’énergie déployée pour faire taire les prisonniers, l’administration compte sur le renoncement du monde carcéral à s’exprimer. Nous posons à l’inverse que rien ne peut justifier le maintien de la chape de plomb qui pèse sur les conditions d’incarcération, de travail et d’intervention. Pour décrire, interroger et combattre le silence imposé à tous, nous invitons toutes les voix de la prison à venir s’élever à l’occasion du débat public du 11 décembre. Nous voulons savoir et faire savoir : qu’en est-il de votre droit à vous exprimer ? La liberté d’expression en prison n’a peut-être jamais été autant au cœur des préoccupations des divers acteurs du monde carcéral. Sous le titre, « Prison : la dernière grande muette ? » des prises de paroles ont été organisées aux quatre coins de la France

dans la semaine du 22 au 28 novembre par les nombreuses associations du Groupe national de concertation prison. Cependant, cette porosité plus grande des murs à la parole semble vue d’un mauvais œil par certains représentants de l’administration pénitentiaire. Le 30 octobre, l’OIP a reçu un fax de la direction de la maison d’arrêt de Corbas, l’enjoignant de « ne plus procéder à de nouvelles distributions » de tracts informant de la tenue du débat du 11 décembre devant l’enceinte de l’établissement. L’association devant se contenter de « déposer des tracts à l’accueil familles ». En guise de motivation, le chef d’établissement estime que « la distribution de tracts sur le domaine pénitentiaire est de nature à gêner l’activité de l’accueil des familles et des proches de détenus mais également les personnels et les différents intervenants ». Cette décision peutêtre lue comme une forme de contribution au débat, renseignant utilement sur la conception du dialogue en vogue au sein de l’institution : une communication sans discussion possible et sans échange direct. Toute autre approche étant susceptible de « gêner l’activité » des services pénitentiaires. En fait de gêne, la direction ne fait état que de « remarques reçues de différents intervenants ». Or, sur l’ensemble des proches de personnes détenues, personnels pénitentiaire et intervenants extérieurs rencontrés aux abords de l’établissement depuis le 30 septembre, seules quelques personnes avaient fait part à l’OIP de leur désapprobation quant au sujet du débat organisé. Au cours de quatre demi-journées de présence au pied des murs, l’association a pu, au contraire, avoir des échanges riches et nombreux, y compris avec les personnels pénitentiaires. Gageons que le débat se déroule plutôt sous cet hospice.

L’OIP, interdit de distribuer des tracts... sur la liberté d’expression

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1. « On est arrivés dans une prison sans rats, sans cafards, sans humanité », Libération, 24 février 2010, entretien avec Alain Cangina, sorti de prison en octobre 2009. 2. « Prisons fermées : « L’univers carcéral se déshumanise » », Le journal du Dimanche, 27 juillet 2010, entretien avec la secrétaire générale de la CGT pénitentiaire. 3. 20 minutes, 11 décembre 2009, CGLPL : « Je suis pessimiste sur le sort de Corbas ».


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«Il est difficile de s’exprimer et encore plus de dénoncer» En marge des discours syndicaux, le témoignage direct de surveillants est rare. Et parce que cette parole est astreinte « au respect de la discrétion et du secret professionnel », elle est souvent anonyme. Tel est le cas de l’entretien reproduit dans ces colonnes. Notre interlocuteur est en poste à la maison d’arrêt de Corbas depuis son ouverture, après avoir longtemps officié dans les prisons lyonnaises de Perrache. Il revient sur les premiers mois de fonctionnement d’un établissement censé incarner « la prison de demain » et le malaise généralisé qu’il suscite. © Bruno Emsallem

« Corbas, c’est la prison de demain, une prison plus digne », avait déclaré Rachida Dati en juillet 2008, à l’issue de sa visite du chantier de la prison de Corbas. Près d’un an et demi après son ouverture, quel bilan tirez-vous de ce nouvel établissement ? Cette prison a évolué techniquement pour les personnels et les détenus (sécurité, hygiène…), mais a régressé dans le contact humain. Les anciens surveillants le savent bien, c’est un savant mélange entre autorité et écoute, compréhension et règlement, dialogue et force, qui permet de faire vivre un étage. Or, aujourd’hui, les effectifs restreints et inexpérimentés ne permettent plus de recréer cette alchimie complexe qui doit faire cohabiter le mieux possible des hommes sous la contrainte. Est-ce que vos conditions de travail se sont améliorées, entre la prison de Perrache et la nouvelle prison de Corbas ? Si vous voulez parler des conditions matérielles à Perrache, ce n’était pas brillant. Les locaux étaient vétustes et inadaptés.

La plupart des bureaux en détention avaient une petite fenêtre à 3 mètres de hauteur et on ne voyait pas l’extérieur. Malgré tout, l’établissement avait une histoire et les personnels étaient fiers d’effectuer leur travail dans des conditions difficiles un peu, comme le sont les mineurs de fond. C’est pour les détenus que les conditions matérielles étaient les plus dures. Des douches en nombre insuffisant, pas de vraie salle de sport et, surtout, une capacité d’accueil de 350 détenus alors que l’effectif était de 800. Les cellules avaient trois lits superposés et très souvent un quatrième détenu devait coucher sur un matelas posé au sol la nuit et glissé sous le lit le jour. Mais les conditions de travail ne sont pas exclusivement liées à la propreté et à la nouveauté des locaux. Qu’entendez-vous par là ? Les conditions matérielles se sont améliorées, mais il faut aussi tenir compte de la qualité du travail. Et à ce niveau-là, je pense que les conditions de travail se sont globalement dégradées. En effet, dans les nouvelles prisons, on cherche à optimiser les ressources au maximum. La charge de travail a nettement augDedans Dehors N°72-73 Décembre 2010

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« À Perrache, les détenus s’entassaient à quatre dans des cellules insalubres, le quatrième dormait sur un matelas posé au sol ! » menté pour tout le monde, à tous les niveaux. Un surveillant fait donc beaucoup plus de choses, ce qui ne lui laisse plus de temps pour l’observation et la communication, qui font pourtant partie intégrante de son travail. Peu de temps après l’ouverture, Corbas a vu les détenus protester, notamment en refusant de remonter de promenade. Quel regard avez-vous porté sur ces mouvements et comment les expliquiez-vous ? Les problèmes sont intervenus car nous n’avions plus le temps de gérer. Lorsqu’un détenu a un problème, son interlocuteur c’est le surveillant. Si le surveillant n’a pas le temps pour en parler, pour agir ou considère que le problème n’est pas prioritaire, alors le détenu est impuissant. De même lorsque la gestion de la détention ne tient compte que de l’urgence, alors la tension monte et les personnels fatigués n’arrivent plus à atténuer cette tension. Pour qu’une détention marche bien, il faut pouvoir placer les détenus en cellule en fonction d’un certain nombre de critères, mais quand tout est plein ce n’est pas possible. À cette période-là, les hébergements étaient tellement plein – 860 détenus pour 690 places – qu’il a fallu se battre pour qu’il n’y ait pas de matelas au sol. C’était d’ailleurs la grande crainte de la direction régionale, dont la stratégie de communication était « tout va très bien ». Les détenus qui se sont rebellés avaient peu de revendications solides, c’était surtout l’expression du malaise qui régnait à Corbas. Ces mouvements, qui sont restés non violents, ont été durement réprimés par les ERIS [équipes régionales d’intervention et de sécurité, N.D.L.R.] et des détenus ont été placés au quartier disciplinaire avant d’être transférés.

Qu’en est-il pour les surveillants ? Pour les personnels, c’est différent car la prison n’est pas leur principal lieu de vie. Il faut bien comprendre que les surveillants de Perrache ont vécu une « délocalisation » et une « restructuration » forcée. Pour un certain nombre de personnels, il y a eu des changements qui ont chamboulé leur vie : les changements d’horaires, qui ont eu une influence sur le mode de vie du conjoint, l’école et les activités des enfants ou les activités extra-professionnelles de l’agent. Pour certain, la distance domicile/travail a été augmentée de 20 kilomètres. Un personnel qui devait parcourir 30 kilomètres pour se rendre à son travail doit aujourd’hui en parcourir 50. De plus, de nombreuses personnes utilisaient le train et les transports en commun. À Corbas, il y a peu de bus et ils ne correspondent pas toujours aux horaires de début et de fin de service, il n’y a pas non plus de transport le dimanche. Les difficultés liées au changement ont été amplifiées par ces contraintes subies et le malaise s’est traduit, chez les personnels, par « c’était mieux avant ». J’ai de la nostalgie pour « la vieille taule » où j’ai travaillé presque toute ma carrière, mais pas de regret. L’évolution matérielle était nécessaire et ceux qui souhaitent retourner à Perrache n’ont rien compris.

La maison d’arrêt a été pointée du doigt par les personnels et les intervenants, à l’unisson des détenus. Le sentiment était unanime chez tous : tout le monde voulait retourner à Perrache. Est-ce toujours le cas ? Je trouve révoltant que les gens disent préférer retourner à Perrache. Rappelez-vous que pendant des années, chaque fois qu’un politique ou un journaliste y passait, il s’indignait et criait qu’il fallait fermer cette « prison de la honte ». Ça me révolte de faire comme si les rats, la crasse ou les douches collectives n’avaient jamais existé. Il est nécessaire de tenter de faire le tri entre les résistances aux changements qui s’expriment naturellement chez tout le monde, et les réalités objectives. Matériellement, il y a eu des avancées qu’il ne faut pas nier. Perrache

Comment expliquez-vous néanmoins les critiques persistantes ? Il faut reconnaître que Corbas ne résout pas tout. L’architecture et la technique ne favorisent pas du tout la communication, et les ressources humaines mises à disposition sont en totale inadéquation avec les besoins d’un point de vue quantitatif et qualitatif. Nous sommes trop peu de personnels et, de plus, beaucoup débutent dans le métier. Les formations sont quasi inexistantes car le manque d’agents ne le permet pas. Les surveillants débutants sont donc formés sur le tas par leurs collègues plus anciens de six mois et, dès que ces derniers en ont la possibilité, ils demandent à partir dans des établissements ou dans des services plus tranquilles, et le cycle recommence.

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était prévue pour 350 détenus, alors qu’elle contenait entre 800 et 1 000 détenus. C’était une conception de l’incarcération d’un autre temps (douches communes trois fois par semaine maximum, cour de promenade exiguë, etc.). Les détenus s’entassaient à quatre dans des cellules insalubres, sachant que le quatrième dormait sur un matelas posé au sol ! Les détenus qui veulent retourner à Perrache ne sont sûrement pas ceux qui étaient victimes de la promiscuité. Vous savez, quand on enferme quatre personnes jour et nuit dans une petite pièce, les relations et les choses du quotidien se dégradent rapidement. Et quand il s’agit de personnes qui s’expriment par la violence ou qui ont des problèmes psychologiques, les tensions débouchent sur des bagarres, des viols, du racket et parfois des morts. La prison de Corbas, prévue pour 690 détenus, en héberge un peu plus de 700. Si l’effectif est raisonnable, l’administration peut mettre en cellule simple ou double les détenus en fonction de leur souhait ou de leur comportement. Dans cette nouvelle prison, les détenus peuvent se doucher quand ils en ont envie, sans risquer de « glisser sur une savonnette » dans les douches collectives, comme c’était le cas avant. Sans oublier qu’ils ont des toilettes hors de la vue du codétenu.


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© Bruno Emsallem

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a eu des mots très durs à l’encontre de Lyon-Corbas, disant qu’il ne comprenait pas « comment on a pu imaginer une prison qui cherche à faire taire alors que la réinsertion suppose que l’on parle ». Qu’est-ce que cela vous inspire ? À peine la prison trop vétuste est-elle fermée que la nouvelle est trop déshumanisée. Ces prisons ont été créées par des architectes qui ont répondu à un cahier des charges précis rédigé par l’administration pénitentiaire. Rationalisation, efficacité, sécurité sont les maîtres-mots de ces projets. Ce sont des choix politiques et économiques qui ont conduit à la réalisation des nouveaux sites. Le CGLPL peut brandir ses recommandations mais nous, nous allons devoir travailler avec cet outil pendant au moins 30 ans. Alors peut-être faut-il se poser la question des moyens à mettre en œuvre pour faire évoluer son constat. Dans son dernier rapport 1, Jean-Marie Delarue souligne également que certains personnels de l’administration pénitentiaire sont réticents à l’idée de s’exprimer « en raison des « représailles » qui pourraient s’ensuivre ». Avezvous cette impression également et la comprenez-vous ? Tous les personnels de l’administration pénitentiaire sont sous statut spécial et doivent faire preuve de « discrétion ». Il est donc difficile de s’exprimer, mais il est encore plus dur de dénoncer,

« Beaucoup de surveillants ne cautionnent pas les violences envers les détenus. Pourtant, aucun d’eux ne les révélera en raison de cette loi du silence. »

en raison de l’esprit de corps très poussé qui lie les personnels. Beaucoup de surveillants ne cautionnent pas le manque de respect ou les violences (verbales, physiques ou psychologiques) envers les détenus. Pourtant, aucun d’eux ne révélera des comportements inacceptables en raison de cette loi du silence. Michèle Alliot-Marie a promis des établissements « à taille humaine », annonçant que les nouvelles prisons ne feront pas plus de 700 places. Corbas fait 690 places. Redoutezvous que les futurs établissements soient de « futurs » Corbas ? Un établissement à taille humaine, c’est 200 places réparties en unité de 50 détenus maximum, sûrement pas 700 places. Je ne me fais pas d’illusion, les futurs établissements ne seront pas de petites structures car aujourd’hui les prisons à taille humaine ferment pour être remplacées par des structures énormes. Et puis, quelle que soit la taille de la prison, ce sont les hommes (surveillants, travailleurs sociaux et intervenants) qui la rendent plus humaines, or les nouvelles structures sont particulièrement économes en ressources humaines. Merci pour votre témoignage. Dernière question : pourquoi avez-vous souhaité prendre la parole dans les colonnes de notre revue ? J’ai souhaité m’exprimer car il est très difficile de saisir la complexité du monde carcéral. Pourtant, l’institution souffre d’un manque de transparence et de communication qui laisse la place au fantasme, à l’ignorance et au soupçon. Vous avez une vision du monde carcéral qui manque de réalisme et j’ai une vision qui manque sans doute de recul. Mais nous avons la même envie d’évolution et d’amélioration de la prison. Propos recueillis par Céline Reimeringer 1. Rapport annuel du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Année 2009, http://www.cglpl.fr/wp-content/uploads/rapport_2009_Dalloz.pdf

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Maison d’arrêt de Tours (1)

Intervenants extérieurs : ils dénoncent «des manquements aux droits de l’homme»

Connue pour être l’une des deux maisons d’arrêt les plus surpeuplées de la métropole, la vieille prison de Tours a été le théâtre, depuis le début de l’année, de deux mouvements de protestation. De la part des surveillants, puis des intervenants extérieurs. Les premiers ont bloqué l’accès de l’établissement en avril, tandis que les seconds rédigeaient une « lettre ouverte » cet été. Des mobilisations qui se sont soldées par des sanctions particulièrement dures à l’encontre des uns et une fin de non-recevoir pour les autres. Retour sur cette fronde au sein de la prison tourangelle.

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epuis dix ans, la situation se dégrade à tous les niveaux » à la maison d’arrêt de Tours, affirme Murielle Legagneux. La responsable des visiteurs de prison, également présidente de l’association socioculturelle, ne mâche pas ses mots : « On ressent un ras-le-bol et une démotivation du personnel. Quand les surveillants vont mal, c’est toute la détention qui souffre. Cela se ressent sur les détenus. » Comme nombre des intervenants extérieurs, elle estime que les actions de sensibilisation auprès de la direction comme les tentatives de dialogue ont été vaines. Face à cette inertie, les responsables de neuf associations locales — dont la plupart œuvrent au quotidien au sein de l’établissement 1 — ont adressé le 23 juillet une lettre ouverte au préfet d’Indre-et-Loire et au procureur général du tribunal de grande instance de Tours. L’initiative est remarquable. D’abord parce que l’interpellation publique est une démarche peu courante de la part des bénévoles intervenant en détention dans notre pays. Ensuite parce que la nature même de la requête témoigne de la détermination des signataires. Au delà de « les informer des manquements aux droits de l’Homme constatés » dans la prison tourangelle, le courrier vise à obtenir une « entrevue au cours de laquelle » les deux autorités administrative et judiciaire exposeront « les actions envisagées pour remédier à cette situation indigne de la République ». Et, de fait, la liste des griefs est longue.

«

« Une violence induite par le surnombre face à une offre de service inadaptée » Les intervenants pointent la surpopulation chronique de la maison d’arrêt – « qui dépasse parfois 300 détenus pour 142 places » –, dont les « conséquences néfastes » se font sentir sur tous les aspects de la vie quotidienne. Qu’il s’agisse de « l’accès et la qualité » des soins, des parloirs, de la nourriture, des formations et des emplois, ou encore des « conditions de sécurité », de « l’exercice des droits usuels », de la « garantie de l’intimité » ou de « l’accès au SPIP et à l’aide des CIP ». Avec, à la clé, une « violence induite » tant « par le surnombre, face à une offre de Dedans Dehors N°72-73 Décembre 2010

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services inadaptée », que « par la difficulté des personnels d’encadrement impuissants à entretenir des relations avec les personnes détenues des relations personnalisées et de soutien » ou « par le stress de personnes livrées à elles-mêmes, sans qu’une régulation des pressions, des tensions, des rapports de force puisse être conduite de façon viable ». Un constat dressé de longue date par la direction de l’établissement elle-même. « Le taux d’encadrement reste à un niveau élevé et cette surpopulation ne permet pas de faire une gestion saine des détenus », peut-on lire dans son rapport d’activité 2007. Immédiatement relayée par la presse locale (La Nouvelle République, France 3 Centre) et nationale (Libération), la lettre ouverte est restée sans réponse à ce jour malgré l’intervention du député de la circonscription qui « soutient pleinement associations et appel » 2. Un silence d’autant plus préoccupant qu’une telle fin de non-recevoir laisse le champ libre à l’administration pénitentiaire, qui n’apprécie guère de voir déballé au grand jour ce qu’elle considère comme du linge sale à laver en famille. Si, pour l’heure, les signataires qui interviennent dans l’établissement n’ont pas eu à subir de mesures de rétorsion de la part de sa direction ou de la hiérarchie interrégionale, la vigilance est de mise. L’extraordinaire sévérité des sanctions prononcées à l’encontre de certains des surveillants de la maison d’arrêt de Tours mobilisés – quelques mois avant les intervenants [voir notre article] pour prendre à témoin l’opinion des effets de la surpopulation – laisse craindre une réaction du même ordre. Le retrait d’agrément ou, plus insidieusement, son non renouvellement ne sont pas rares, permettant à l’institution de juguler à bas bruit ce type d’initiatives qu’elle a tôt fait de présenter comme des manquements au devoir de réserve. Patrick Marest 1. Association national des visiteurs des prisons (ANVP), Cimade, Comité d’aide aux détenus, Croix Rouge française, Entraide’Ouvrière, Groupement étudiant national d’enseignement aux personnes incarcérées (GENEPI), Ligue des droits de l’Homme, Planning familial, Secours Catholique. 2. Jean-Patrick Gille, député PS d’Indre-et-Loire, le 26 juillet 2010 sur son site : http:// www.jean-patrick-gille.fr/article.php3?id_article=2627. 3. UGSP-CGT, Expressions pénitentiaires, n° 35, septembre 2010, p. 6.


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Maison d’arrêt de Tours (2)

Surveillants pénitentiaires : le silence est d’or... sous peine de sanctions Peu encline à laisser ses agents exprimer leur mécontentement, l’administration pénitentiaire a sévèrement sanctionné un mouvement de surveillants qui s’est déroulé, cet été, à la maison d’arrêt de Tours. Trois agents - dont un représentant syndical - ont fait l’objet d’un abaissement d’échelon.

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ans le collimateur des associations cet été, la direction de la maison d’arrêt de Tours a également connu un début de printemps agité, marqué par un mouvement de ses agents et surtout par les suites disciplinaires qui lui ont été données. L’affaire est désormais dans les mains du tribunal administratif d’Orléans, appelé à se prononcer dans les prochaines semaines sur la sanction particulièrement sévère dont ont fait l’objet trois surveillants – dont un représentant syndical – considérés comme les leaders du blocage des portes organisé le 6 avril dernier. Lassés de travailler en sous-effectifs au sein d’un établissement en proie à une surpopulation endémique, une trentaine de surveillants 1 avaient, ce jour-là, barré le passage pendant une heure et demie au juge de l’application des peines et au procureur, les empêchant de siéger à la commission d’application des peines.

Un droit syndical a minima Pour ce type de mobilisation, « on peut recevoir un blâme, parfois une suspension de trois jours, avec sursis ou non », commente un surveillant. C’est une mesure d’une toute autre nature qui a été prise à l’encontre des trois frondeurs. Ils ont sur le champ fait l’objet d’un abaissement d’échelon, dont la conséquence est de réduire à l’avenir de 80 euros leurs salaires mensuels. « C’est extrêmement rare, quasiment du jamais vu », ajoute notre interlocuteur. Parmi eux, un agent de 54 ans qui s’apprête à partir à la retraite. « Il ne pourra donc pas rattraper l’échelon qu’il a perdu, les changements d’échelon s’effectuant tous les deux ans. Bien évidemment, cela aura des conséquences sur sa pension, qui sera diminuée », explique-t-il. Outre la particulière rigueur des sanctions prononcées, une autre dimension de la répression enclenchée par l’administration force l’attention. Au mépris des garanties élémentaires censées protéger l’action syndicale, le responsable du SPS (Syndicat pénitentiaire des surveillants non gradés, partie prenante de la mobilisation) a — lui-même — subi le même traitement. Difficile de ne pas voir s’affirmer là la volonté de l’institution de contenir toute expression publique de la contestation interne 2, quitte à réduire

à peau de chagrin le maigre espace dans lequel se morfond le « libre exercice du droit syndical » depuis l’instauration du statut spécial des personnels pénitentiaires en 1958. Alors même que ce statut spécial les prive du droit de grève, les surveillants n’ont finalement d’autres alternatives que d’organiser leur mobilisation sur leurs heures de repos et aux portes de l’établissement. À la lumière du mouvement tourangeau, il semble désormais acquis pour l’institution que le blocage de ces dernières entre définitivement dans le champ des interdits qui frappent la profession 3. Et que la mise au pas engagée concerne tout personnel, titulaire d’un mandat syndical ou non. Une direction donnée par la loi pénitentiaire, qui « affirme ou réaffirme le non droit d’expression et de manifestation des personnels », commente avec amertume Céline Verzeletti, secrétaire générale de l’UGSP-CGT 4.

Pour une mobilisation de ce type, « on peut recevoir un blâme, l’abaissement d’échelon c’est quasiment du jamais vu. » Cette évolution est d’autant plus inquiétante qu’elle intervient dans un contexte où, dans son dernier rapport, le Contrôleur général de lieux de privation de liberté évoque tout à la fois qu’une nécessité de « devoir de réserve » à son égard a pu être soutenue par l’administration pénitentiaire, et que le personnel pénitentiaire craint parfois de lui adresser ses doléances « en raison des représailles qui pourraient s’ensuivre » 5. Des représailles qui n’épargnent pas le sommet de l’institution. Comme en attestent les « mutations » récentes de la directrice interrégionale ses services pénitentiaires de Bordeaux et de la directrice de l’École nationale de l’administration pénitentiaire, qui avaient rendu compte – à leurs services – d’une réunion durant laquelle le directeur de l’administration pénitentiaire évoquait un déficit de 82 millions d’euros dans une de ses lignes budgétaires, celle des « ressources humaines ». Patrick Marest 1. Sur un total de 51 agents : 3 personnels du corps de commandement, 4 premiers surveillants et 44 surveillants. 2. La Direction interrégionale de Dijon a annoncé, au printemps dernier, le transfert de 40 détenus et une révision du service de personnel afin de donner plus de temps de repos aux surveillants. Côté moyens, une petite enveloppe a été débloquée pour que les agents soient munis désormais de talkie-walkie. 3. Ce mouvement n’a pas paralysé l’entrée des familles pour les parloirs. 4. UGSP-CGT, Expressions pénitentiaires, n° 35, septembre 2010, p. 2. 5. Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Rapport d’activité 2009, p. 12. Dedans Dehors N°72-73 Décembre 2010

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Le futur Code de déontologie enjoint aux « collaborateurs du service public pénitentiaire », autrement dit les intervenants extérieurs, d’avoir un « comportement dont l’exemple est de nature à susciter le respect ». Une injonction salutaire dès lors quelle ne concerne pas la part d’ombre de la condition carcérale : alors qu’il a joué un rôle décisif dans la révélation de violences commises par certains personnels de la maison d’arrêt de Valenciennes, un visiteur de prison est désormais persona non grata dans les prisons françaises.

Maison d’arrêt de Valenciennes

«Vous avez dénoncé par voix de presse et d’avocat…» « Je reçois votre lettre du 15 février 2010 et suis, je dois vous l’indiquer, consterné. […] Vous m’annoncez – avec une grande pudeur – le refus de renouvellement de votre habilitation en qualité de visiteur. Vous en diminuez la gravité. Il n’est peut-être pas grave d’interrompre un engagement désintéressé du point de vue de la personne concernée […]. Mais, en tout état de cause, il est sûrement grave de constater qu’une administration de l’État tire de cette manière les conséquences de ses propres errements ». Ces quelques lignes, toute de colère contenue, émanent de Jean-Marie Delarue. Il répond à Claude Veyer, qui vient de porter à sa connaissance les raisons pour lesquelles l’institution carcérale vient de lui signifier la fin de son action bénévole au sein de la maison d’arrêt de Valenciennes. Sans nul doute, la réaction du Contrôleur atteste de l’enjeu crucial que revêt à ses yeux la question de la liberté d’expression en prison, et notamment celle des « intervenants extérieurs », qu’ils soient visiteur de prison, aumônier, membre du Genepi, etc. En la matière, il est vrai, l’inquiétude est de mise. À l’instar du traitement infligé à Claude Veyer, les procédures de retraits d’agrément se multiplient. Et la mésaventure de ce dernier éclaire tout autant sur la prétention de cette administration à empêcher toute prise de parole publique sur la part d’ombre de la condition carcérale, que sur la vigueur de la politique d’évincement mise en œuvre à l’encontre des « fortes têtes ».

Violences commises par des personnels en poste dans l’établissement Claude Veyer a agi en conscience. Et c’est précisément ce que lui reproche le directeur de la DISP (direction interrégionale des services pénitentiaire) de Lille. « Vous avez dénoncé par voix Dedans Dehors N°72-73 Décembre 2010

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de presse et d’avocat les dysfonctionnements de la maison d’arrêt de Valenciennes qui vous semblaient “en votre âme et conscience” insupportables », écrit Alain Jégo dans un courrier daté du 20 janvier 2010. « Cependant, vous n’avez pas jugé utile et nécessaire d’en informer ni la DISP du Nord, ni le chef d’établissement », ajoute-t-il, avant de délivrer sa sentence. « J’ai le regret de vous informer que je n’envisage pas le renouvellement d’agrément en qualité de visiteur de prison ». Épilogue provisoire d’une histoire qui ne devrait pas en rester là. En effet, les « dysfonctionnements » survenus dans la prison de Valenciennes ont été révélés grâce aux témoignages de sept personnes qui y étaient détenues, qui ont décidé de déposer une plainte contre X le 10 mars 2009 et de saisir la Commission nationale de déontologie et de la sécurité (CNDS) dans la foulée. Si elle s’imposait, dès lors que les détenus allèguent de mauvais traitements et de violences commises par des personnels en poste dans l’établissement, il apparaît que le rôle de Claude Veyer dans cette double mobilisation de la justice et de l’autorité indépendante a été déterminant. À bon escient, d’ailleurs. Ces allégations sont apparues à ce point étayées que le tribunal de grande instance de la ville a décidé de l’ouverture d’une enquête, confiée à pas moins de trois juges d’instruction au vu du volume des dossiers. Qu’en juillet 2010, un ancien chef de détention de l’établissement a été mis en examen pour « violences exercées par personne dépositaire de l’autorité publique n’ayant pas entraîné d’incapacité de travail supérieure à huit jours ». Et que quatre surveillants le sont également pour le chef de « violences volontaires avec arme » ou pour avoir établi de faux rapports d’intervention. À bon escient donc, puisque ces comportements sont passibles de lourdes sanctions pénales. Mais pas « à juste titre ». C’est du moins ce que lui reproche


ACTU l’administration pénitentiaire. Et d’autant plus qu’il a alerté en parallèle les médias. Une publicité dont elle se serait bien passée. Le tout valant à l’intéressé d’être désormais persona non grata dans les prisons françaises. Claude Veyer a répondu au courrier de Jean-Marie Delarue. Pour lui expliquer qu’il ne souhaitait pas « plaider pour prolonger une habilitation qui n’est, semble-t-il, pas souhaitée », sa proposition d’intervenir désormais dans une autre prison du département étant restée lettre morte à côté du directeur interrégional. « C’est donc plus sur le fond du dossier que sur la forme qu’il peut être opportun de ne pas baisser les bras », ajoute-t-il, lui qui avait pris soin d’attendre un an avant d’agir, souhaitant s’assurer que les faits relatés par certains détenus rencontrés lors de sa venue hebdomadaire à la maison d’arrêt n’étaient pas une rumeur sans fondement. Pour lui, désormais, il s’agit de ne pas laisser « le champ libre à une pratique [qu’il] estime déplorable », conclut le visiteur. Il sera présent parmi d’autres « collaborateurs du

service public pénitentiaire », encore en fonction ou évincés, au colloque organisé par l’OIP sur la libération de la parole détenue. Patrick Marest

À l’instar du traitement infligé à Claude Veyer, les procédures de retraits d’agrément se multiplient

Les intervenants extérieurs soumis à la même loi du silence que le personnel pénitentiaire Le manquement au devoir de réserve, notion particulièrement vague, à l’origine de nombreuses évictions d’intervenants extérieurs, est une arme redoutable dont la loi du 24 novembre 2009 n’a pas privé l’administration. Au travers de son article 11, le législateur lui a même laissé le soin de rédiger un code de déontologie commun à ses « agents » et aux intervenants extérieurs, estampillés « collaborateurs du service public pénitentiaire ». L’autorité administrative n’a bien évidemment pas manqué l’occasion de rappeler à ces derniers la ligne jaune à ne pas franchir. Dans le texte – adopté en comité technique paritaire ministériel le 19 novembre contre l’avis des principales organisations syndicales de personnels, et désormais soumis sous la forme d’un décret au Conseil d’État – les « conditions d’exercice » d’un intervenant sont particulièrement encadrées. Y figure notamment qu’il « s’abstient de toute entrave au fonctionnement régulier des établissements ou services » et « ne divulgue aucune information relative à [leur] sécurité ». Comme le déplore, l’UGSP-CGT, il s’agit là de « termes généraux et particulièrement flous », qui permettent « de pouvoir reprocher n’importe quoi à n’importe qui ». Autrement dit, un code disciplinaire qui « renforce et affirme le pouvoir souverain d’une administration pénitentiaire résolument réactionnaire » (UGSP-CGT, Expressions pénitentiaires, n° 35, septembre 2010, p. 6). Dont les consignes – susceptibles d’être invoquées pour tout acte, propos ou écrit – reviennent ni plus ni moins à aligner les limitations de la liberté d’expression des différents intervenants sur celles imposées aux personnels. PM Dedans Dehors N°72-73 Décembre 2010

11 © O.Aubert/Picturebank


Centre de détention de Nantes (Loire-Atlantique)

Épidémie d’infections cutanées Quatre personnes actuellement ou récemment détenues au centre de détention de Nantes ont déposé, le 24 août 2010, une requête en référé devant le tribunal administratif de la ville. Elles demandent la désignation d’un collège d’experts chargé de dresser un état des lieux « de l’étendue des affections dermatologiques et infectieuses chez les personnes détenues » au sein de l’établissement. Mais également « des anciens détenus », en « précisant le nombre de patients affectés, la nature et l’origine des affections diagnostiquées, le degré de gravité et de contagion des affections ». La requête sollicite également une évaluation de l’adéquation des « moyens de prévention et de pro-

tection » mis en œuvre. La juridiction ne s’est pas encore prononcée. Cependant, si elle accède à cette demande, l’expertise devrait permettre de faire toute la lumière sur l’épidémie d’infections cutanées à staphylocoque qui sévit dans la prison nantaise depuis plus de deux ans. Des infections qui, provoquant chez les personnes affectées la survenance de furoncles, requièrent des soins importants. En effet, pas moins de trois interventions chirurgicales ont été nécessaires pour l’une d’entre elles. À l’occasion de la dernière opération que ce détenu a dû subir, l’unité fonctionnelle d’antibiothérapie du centre hospitalier de Nantes avait relevé en mai la présence de « lésions abcédées chez quatre autres prisonniers » et pré-

conisé l’organisation d’une « décontamination multisite des patients et de leurs codétenus » afin de mettre un terme à la contagion. Néanmoins, cette recommandation est restée lettre morte, d’après les requérants. Reconnaissant pourtant en juillet « la présence d’une bactérie de type staphylocoque en détention », la direction de l’établissement s’est contentée de conseiller aux personnes incarcérées de « se laver les mains régulièrement ». Il aura, par ailleurs, fallu attendre le 26 octobre pour qu’une séance d’« information sur l’épidémie d’infections cutanées à staphylocoque » – mesure on ne peut plus minimale – soit organisée au sein du centre de détention. (OIP)

Centre de détention de Muret (Haute Garonne)

Menottes et entraves pendant une crise cardiaque Victime d’un infarctus du myocarde dans sa cellule durant la nuit du 14 au 15 juillet 2010, une personne incarcérée a été extraite du centre de détention de Muret menottée aux barrières du brancard et entravée aux pieds, alors même qu’elle était perfusée aux deux bras et placée sous surveillance cardiaque permanente par monitoring. Hospitalisée dans le service des soins intensifs de cardiologie du centre hospitalier de Toulouse, elle a « subi les soins de préparation au bloc opératoire et l’intervention avec des entraves aux pieds », selon le médecin cardiologue. Ce dernier avait pourtant demandé au préalable que « les moyens de contrainte lui soient ôtés pour permettre l’intervention », expliquant « l’urgence et la gravité de [son] état de santé » aux Dedans Dehors N°72-73 Décembre 2010

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membres de l’escorte pénitentiaire. Malgré tout, ceux-ci ont imposé à l’équipe médicale de faire un choix entre « les menottes ou les entraves ». Par ailleurs, l’intervention s’est déroulée sous le regard permanent et direct des membres de l’escorte, présents dans le bloc opératoire, au mépris du principe de confidentialité des soins. Avant son hospitalisation, cette personne avait dû patienter plus de trois heures avant d’être prise en charge par l’équipe médicale du SAMU. Ressentant de vives douleurs thoraciques, elle avait été privée de la possibilité de décrire personnellement ses symptômes au médecin régulateur du centre 15 lors de l’appel du surveillant gradé de permanence cette nuit-là, ce qui a eu pour conséquence de perturber le diagnostic. Elle a donc dû at-

tendre l’arrivée du personnel soignant de la prison pour bénéficier d’une prise en charge médicalisée adaptée. Interrogées par l’OIP sur l’ensemble de ces dysfonctionnements, la direction de Muret et la direction interrégionale des services pénitentiaires de Toulouse se sont refusées à faire tout commentaire sur cette « situation particulière ». La députée de la Haute-Garonne Monique Iborra a saisi la Commission nationale de déontologie de la sécurité de ces faits le 17 septembre 2010. Et la personne détenue a demandé réparation auprès du ministère de la Justice le 14 octobre pour violation du secret médical et traitement attentatoire à la dignité. Pour l’heure, aucune réponse ne lui a été apportée. (OIP)

de facto


de facto Centre de détention de Tarascon (Bouches du Rhône)

Suppression définitive d’un permis de visite : une décision disproportionnée, selon les juges En supprimant de façon définitive, le 7 avril 2008, le permis de visite de la compagne d’une personne incarcérée au centre de détention de Tarascon, le directeur de l’établissement « a pris une mesure disproportionnée par rapport aux buts poursuivis », a déclaré, le 14 octobre dernier, la cour administrative d’appel de Marseille, confirmant ainsi l’annulation de la décision prononcée dix mois plus tôt par le tribunal administratif de la ville. La cour a estimé que si « le comportement de l’intéressée a incontestablement été de nature à troubler le maintien de la sécurité et du bon ordre au sein de l’établissement », le caractère définitif de la suspension de permis était injustifié au regard des faits. Le 15 mars 2008, la requérante avait « refusé d’entrer seule dans le parloir » en vue d’attendre son concubin. Elle s’était enfermée dans les toilettes et n’en était sortie « qu’après que

les surveillants [ont] fait usage de la force ». « Reconduite hors de l’établissement après avoir proféré des insultes et tenté de faire chuter lesdits agents dans les escaliers », elle avait « réussi à s’introduire de nouveau à l’intérieur » de la prison, « avant d’en être définitivement expulsée ». La décision de la cour a été prise sur la base de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, qui prévoit que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale ». Et que « l’ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit » ne peut avoir lieu que si « elle est prévue par la loi » et « nécessaire » au maintien de l’ordre ou à la prévention des infractions. Ce jugement témoigne du contrôle étroit que pourrait jouer désormais le juge administratif en matière de suppression et de suspension de permis de visite décidées par l’administration pénitentiaire. (OIP)

© Olivier Touron

Centre pénitentiaire de Longuenesse (Pas-de-Calais)

Sanglé en chambre d’isolement psychiatrique pendant quinze jours Hospitalisé d’office en juin 2010, un jeune homme incarcéré au centre pénitentiaire de Longuenesse a été placé en chambre d’isolement dans le service de psychiatrie du centre hospitalier de Lens, alors même qu’il est reconnu « adulte handicapé » avec un taux d’incapacité évalué entre 50 et 79 % en raison de troubles psychiques. Pendant près de deux semaines — soit toute la durée de son séjour -, il a été maintenu attaché à son lit d’hôpital par une ceinture ventrale et une sangle au niveau des pieds et des mains. Lors d’une visite de son avocate,

le détenu n’a pas même été détaché afin de lui permettre de s’entretenir dans une pièce prévue à cet effet. Jointe par l’OIP, la direction de l’hôpital a déclaré que la mesure de contention était appliquée « dans le cadre d’une prescription médicale, prise pour protéger le patient contre lui-même ». En précisant qu’elle avait été « bien expliquée au patient », que « des observations journalières » étaient réalisées, et qu’elle faisait « en sorte que le séjour soit le plus court possible ». Lors d’un entretien téléphonique entre la famille de l’intéressé et l’équipe

soignante, la contention a toutefois été justifiée en d’autres termes, étant soulignés tant le statut de détenu du patient qu’un antécédent d’évasion lors d’une précédente hospitalisation. Une observation que le service de psychiatrie, également contacté par l’OIP, s’est refusé à commenter, soulignant néanmoins que « l’hôpital psychiatrique de Lens n’était pas un hôpital sécurisé comme une unité pour malade difficile (UMD) ». Avant d’ajouter : « On fait ce qu’on peut avec ce qu’on a. » (OIP) Dedans Dehors N°72-73 Décembre 2010

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Centre de détention d’Argentan (Orne)

Plaintes pour violence commise par des personnels : le parquet tarde à rendre ses conclusions… Le directeur du centre de détention d’Argentan avait prévenu l’OIP : « Les faits laissent interrogatifs », ils « s’apparentent à une bavure », mais cela nécessite d’« attendre les conclusions définitives de l’enquête » qui sera « difficile ». Difficile, et donc longue… Onze mois après les faits, l’enquête préliminaire est toujours en cours. Le 8 janvier 2010, un incident éclate entre un surveillant et un détenu, au moment d’aller en promenade. Estimant que le détenu ne se montre pas assez prompt pour sortir de cellule, le surveillant referme la porte. Le détenu tambourine sur celle-ci et se plaint via l’interphone auprès de l’agent du poste central. Ce dernier décide de se rendre sur les lieux, et pénètre avec un autre surveillant dans la cellule. C’est un détenu avec le visage fortement tuméfié que les personnels soignants

découvrent au quartier disciplinaire, où il a été conduit par la suite. Son état de santé est tel qu’un transport aux urgences est décidé, un certificat y étant dressé, qui fait état d’une fracture du nez, de plusieurs plaies et d’hématomes au niveau du visage et de douleurs sur le haut du corps. Dans l’édition du 20 janvier de Ouest-France, les personnels impliqués donnent leur version des faits : ceinturé par un surveillant, le détenu aurait réussi à faucher le second, entraînant une chute collective des trois protagonistes. C’est cette chute qui serait à l’origine de la blessure du détenu, tombé face contre terre, l’un des surveillants se faisant mal à la main en heurtant l’angle du lit. Un scénario qui ne correspond pas vraiment avec le contenu des comptes-rendus versés à la procédure disciplinaire. Ni tentative de fauchage, ni

chute de quiconque. Mais un détenu qui affirme avoir été frappé. Et des surveillants qui prétendent n’avoir eu pour objectif que de le maîtriser dès lors qu’il s’est jeté sur eux en tentant de leur assener un coup de poing. En tout état de cause, le 11 janvier, la commission de discipline de l’établissement condamne le détenu au quartier disciplinaire, sans qu’aucun des protagonistes ne soit entendu. Le 13, l’intéressé subit une intervention chirurgicale au visage. Le 14, il est replacé au mitard dès son retour de l’hôpital. Interrogé par l’OIP dans cette période, le procureur de la République du tribunal de grande instance d’Argentan avait déclaré qu’il s’agissait d’un « dossier sensible » et qu’il entendait bien faire toute la lumière sur cette affaire. Le détenu, qui a déposé plainte pour violences, attend toujours. (OIP)

Centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier (Isère)

... tandis qu’ailleurs les allégations s’accumulent sans enquête approfondie « En général, quand un détenu est blessé, la tendance est plutôt à soumettre le dossier à un magistrat instructeur. » Les faits semblent contredire cette déclaration du parquet du tribunal de grande instance de Vienne. Si les altercations parfois violentes survenant entre détenus et surveillants, au sein du centre pénitentiaire de SaintQuentin-Fallavier, débouchent presque systématiquement sur des plaintes de ce derniers, qui valent aux détenus de comparaître devant la justice, force est de constater que les allégations de mauvais traitements visant des personnels ne donnent pas lieu à une enquête approfondie et impartiale, comme l’exigent les textes Dedans Dehors N°72-73 Décembre 2010

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internationaux. Ainsi, le 28 mai 2010, le tribunal correctionnel de Vienne était appelé à juger un détenu qui se présente à l’audience le visage tuméfié, explique à l’audience avoir fait l’objet de violences de la part de surveillants et avoir signalé ces faits lors de son audition par les gendarmes dans le cadre des poursuites dirigées à son encontre. Malgré ces allégations, le parquet n’estimera pas nécessaire d’ouvrir une enquête. Qu’importe la « lèvre enflée » de l’intéressé, que le magistrat attribue à la seule « maîtrise du détenu au moment des faits ». Et qu’importe que l’intéressé ait expressément demandé, lors d’un entretien avant l’audience, à ne pas retourner

à la prison de Saint-Quentin-Falla­vier par peur de représailles. Par ailleurs, les plaintes que déposent les détenus de cet établissement restent généralement sans suite. Ainsi, le parquet a été saisi le 2 décembre 2009 pour des violences subies par une personne à la suite d’une fouille à corps. Elle avait joint à sa plainte un certificat médical attestant de contusions, d’hématomes à divers endroits du corps et notamment sur le visage, ainsi que d’une plaie à la main droite « ayant nécessité quatre points de suture » de nature à entraîner une interruption temporaire de travail (ITT) de cinq jours. Dans son compte rendu

de facto


de facto professionnel, l’« officier chargé de la sécurité », présent lors des faits, s’était contenté de constater la blessure à la main, indiquant qu’une intervention avait été rendue nécessaire par le fait que « le détenu s’avançait alors brusquement en direction du surveillant », sans apporter d’explication sur l’origine des blessures. En avril 2009, une plainte pour violences de personnels avait également été déposée par une troisième personne détenue, sur la base d’un certificat médical, constatant une « tuméfaction au niveau

de la pommette gauche », une « ecchymose frontale droite » et « au niveau du sourcil droit » pouvant donner lieu à une ITT de deux jours. Dans le compte rendu concernant cet incident, adressé le 20 avril 2009 à sa hiérarchie, le directeur de l’établissement s’était borné à indiquer que lors d’une fouille corporelle intégrale à laquelle l’intéressé ne voulait pas se soumettre, son comportement avait nécessité « l’usage de la force » par deux personnels, qui l’avaient maintenu « à l’aide de deux clés de bras ». Là encore, aucune

explication n’était fournie quant aux conditions dans lesquelles étaient survenues les blessures constatées. Aucune de ces allégations n’a pour l’heure fait l’objet de suites communiquées aux avocats des intéressés. Une seule information a été ouverte concernant « un coup de tête dans le nez » qu’aurait reçu un détenu d’un surveillant, en février 2010. Il est à souhaiter qu’elle apporte la démonstration de l’intérêt que porte le parquet à ce qui se passe effectivement dans cet établissement. (OIP)

Centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier (Isère)

Des protestations «légitimes» sanctionnées parce que «collectives» Le 15 janvier 2010, trois personnes détenues au quartier maison d’arrêt du centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier se sont vues infliger une sanction de confinement disciplinaire pour avoir, cinq jours plus tôt, refusé pacifiquement, avec une cinquantaine d’autres prisonniers, de réintégrer leurs cellules à l’issue de la promenade. Le soir même, une quatrième personne, qui devait être affectée au sein du quartier centre de détention de l’établissement, a été subitement transférée à la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône (Rhône). L’administration a considéré ce détenu comme meneur du mouvement de protestation parce qu’il s’impatientait de cette affectation censée être imminente. Pour expliquer leur refus de remonter de promenade, les

protestataires ont évoqué le manque d’activités et des dysfonctionnements dans la gestion des cantines. Un état de fait confirmé tant par de nombreux intervenants que par la direction de l’établissement et la société en charge de la commande et de la livraison des produits. Selon cette dernière, de nombreux retards dans la remise des produits ont été causés par le refus de l’autorité pénitentiaire d’accepter une réorganisation provisoire des services de la société pour faire face aux congés de plusieurs de ses salariés au cours de cette période. Une explication que conteste la direction qui souligne, quant à elle, que le représentant local de l’entreprise était seul responsable des dysfonctionnements et a d’ailleurs été licencié. Il apparaît que le manque d’acti-

vités soulevé par les détenus est bien réel, l’administration indiquant à l’OIP qu’« un travail [était] en cours » à ce sujet. La « légitimité des revendications des détenus » a aussi été reconnue par la direction interrégionale des services pénitentiaires de Lyon. Cependant, cette dernière a estimé qu’une telle démarche collective, même pacifique, ne pouvait être « entendable » en détention. Et était passible de sanctions disciplinaires. Une approche qui laisse songeur sur l’application effective, dans l’avenir, d’une disposition insérée par le législateur dans la loi du 24 novembre 2009 : « Les personnes détenues doivent être consultées par l’administration pénitentiaire sur les activités qui leur sont proposées. » (OIP)

Centre pénitentiaire de Longuenesse (Pas-de-Calais)

Annulation d’une mesure d’isolement Par un jugement du 7 mai 2010, le tribunal administratif de Lille a annulé une mesure d’isolement prise le 3 juillet 2007 à l’encontre d’une personne détenue au centre pénitentiaire de Longuenesse. La sanction avait été justifiée au motif de l’« implication dans des préparatifs de mouvements collectifs » de l’intéressé au sein de la maison d’arrêt de Lille-Seque-

din (Nord) dans laquelle il était précédemment incarcéré. Cependant, l’administration pénitentiaire s’est avérée incapable d’étayer ses accusations, la juridiction estimant que les pièces du dossier n’établissent pas que « le comportement en détention du requérant ait porté atteinte au bon ordre de la détention ou à la sécurité de l’établissement ». Et d’ajouter :

« Si le garde des Sceaux, ministre de la Justice, soutient que des informations concordantes laissent supposer que l’intéressé était l’instigateur d’un mouvement collectif, il n’apporte aucun élément de nature à établir la réalité de ses affirmations. » (OIP)

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Maison d’arrêt de Varces (Isère)

Une réduction de la durée maximale de placement au mitard dure à digérer Depuis l’entrée en vigueur de la loi pénitentiaire, le 25 novembre 2009, le Code de procédure pénale prévoit que le temps passé en cellule disciplinaire ne peut excéder 30 jours. Et non plus 45 jours comme précédemment. Une évolution que l’administration pénitentiaire ne semble pas pressée de faire entrer dans la réalité. En témoigne la nature de ses réactions quand elle a été interpellée au sujet de décisions prononcées ces derniers mois dans plusieurs établissements. En janvier 2010, la commission de discipline du centre de détention d’Argentan (Orne) a ainsi sanctionné de 35 jours de « mitard » (dont dix avec sursis) un détenu, à la suite d’une altercation avec des surveillants au cours de laquelle il, a en outre, subi des violences importantes. (voir article suivant). Appuyé par l’OIP, ce détenu a soulevé en urgence l’illégalité de la mesure devant le juge des référés du tribunal administratif de Caen. En retour, le ministère de la Justice a fait savoir à la juridiction que la

punition avait été levée « compte tenu du fait que l’intéressé [avait] exécuté les deux tiers d’une sanction reconnue comme élevée », conduisant mécaniquement le juge des référés à rendre une ordonnance de non-lieu à statuer. En juin 2010, plusieurs sanctions de 45 jours ont été prononcées à l’encontre de deux personnes détenues à la maison d’arrêt de Lille-Séquedin (Nord), l’administration arguant cette fois de l’absence de publication des décrets d’application de la loi pénitentiaire pour justifier son recours au droit antérieur. Une position d’autant moins recevable que le Conseil d’État lui avait rappelé, le 20 mai, dans une décision relative aux fouilles corporelles, que « les lois entrent en vigueur le lendemain de leur publication au Journal officiel, à moins que leur application soit manifestement impossible avant que n’aient été prises des mesures réglementaires d’application ». C’est donc sans surprise que le juge des référés du tribunal administratif

de Lille a considéré, par deux décisions du 13 juillet 2010, que l’administration avait « méconnu la loi ». Et que « cette méconnaissance porte par elle-même une atteinte grave et immédiate à l’intérêt public qui s’attache au respect de la loi par les autorité publiques ». Malgré cela, deux autres personnes, incarcérées à la maison d’arrêt de Varces (Isère), ont écopé, quelques jours plus tard, de sanctions de 45 jours de quartier disciplinaire. Cependant, avant que le juge des référés, saisi par l’une d’entre elles, ne se prononce, la durée de la sanction a été ramenée à 30 jours par la Direction interrégionale des services pénitentiaires de Lyon. La leçon semble finalement avoir été entendue. Dans une note du 28 juillet 2010, la Direction de l’administration pénitentiaire a finalement donné pour consigne à ses services déconcentrés de respecter le quantum maximal fixé par le législateur. (OIP)

Centre pénitentiaire d’Aiton (Savoie) Une remise en liberté difficilement acquise malgré un état de santé incompatible avec la détention Placée en détention provisoire le 29 septembre 2008, une personne atteinte d’une insuffisance coronarienne chronique et évolutive pour laquelle elle est soignée depuis 2001 a eu peine à obtenir une remise en liberté, bien qu’il ait été certifié que son incarcération au centre pénitentiaire d’Aiton compromettait sa prise en charge. Il aura fallu attendre le 17 juin 2010 pour que cette décision soit prononcée par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Grenoble. Préalablement, sa demande de mise en liberté, sous contrôle judiciaire, avait été refusée par le juge des libertés et de la détention. Celui-ci avait estimé, dans une décision du 3 juin, que « la détention » de cette personne « constitue l’unique moyen », « de [la] préserver » et de « mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l’ordre Dedans Dehors N°72-73 Décembre 2010

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public ». Sans égard pour une expertise médicale réalisée le 13 mai soulignant que l’état de santé de l’intéressé est « incompatible avec la détention provisoire en maison d’arrêt classique » et « difficilement compatible avec la détention en structure pénitentiaire médicalisée sauf à l’y laisser jusqu’à son procès ». Une expertise qui précisait que le détenu « nécessite une surveillance cardiologique constante, ce qui ne peut être assuré au centre pénitentiaire d’Aiton ». Et qu’il « a besoin également », « sur le plan psychologique », « d’un suivi important tout aussi difficilement assuré » dans l’établissement. Il y avait « 90 % de probabilité, au minimum, pour que » celui-ci « soit mal soigné » en prison, avait expliqué l’expert à l’OIP au lendemain du rejet de la demande de remise en liberté. Hospitalisé

à plusieurs reprises, au centre hospitalier de Grenoble notamment, où il avait subi, en novembre 2009, un quadruple pontage, suivi d’une hospitalisation à l’unité hospitalière sécurisée interrégionale de Lyon, le détenu avait également attiré l’attention de plusieurs médecins. Tel un cardiologue de cet hôpital qui avait certifié, en mai dernier, que son « incarcération compromet une prise en charge optimale ». Appuyant ainsi le constat dressé dès janvier 2010 par un médecin du centre hospitalier de Chambéry, qui assure les soins au sein de la prison, et avait attesté que la détention dans sa situation « complique considérablement la prise en charge, qui nécessite à la fois de potentielles extractions en urgence, mais également des examens spécialisés difficiles à mettre en œuvre » en milieu pénitentiaire. (OIP)

de facto


ACTU

Contrôleur des prisons :

l’heure du choix

« À peine voté, pas même nommé, déjà supprimé », écrivions-nous dans ces colonnes après l’adoption de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. En effet, l’une des réformes qu’elle annonçait – à savoir la création d’un Défenseur des droits – est appelée à rimer avec la suppression de moult autorités administratives indépendantes, et parmi elles, du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Nous étions au lendemain de la loi du 30 octobre 2007 qui venait de l’instituer. Et à la veille de la nomination à ce poste de JeanMarie Delarue. Notre crainte – qu’il soit le premier et dernier titulaire du poste – se confirme. Par la voix du nouveau garde des Sceaux, le gouvernement vient de faire savoir qu’il ne « voit aucune objection de principe » à ce que le Contrôleur général fasse l’objet d’« une intégration au sein de la nouvelle autorité ». À condition que celle-ci intervienne « après 2014 », Jean-Marie Delarue « ayant été nommé pour six ans le 13 juin 2008, et effectuant sa mission à la satisfaction de tous ». D’ici là, il ne lui « semble pas opportun de remettre cette dernière en cause » 1. Les dés semblent donc jetés. À voir. Les arguments déployés par le ministre de la justice pourraient bien avoir la trajectoire du boomerang. « Si le Gouvernement ne l’a pas proposé d’emblée, et si le Sénat ne l’a pas spécifié non plus, c’est que la mission du Contrôleur présente un certain nombre de particularités : il procède à des contrôles et à des vérifications indépendamment de tout fait signalé ou de tout litige alors que le défenseur jouera plutôt un rôle d’intermédiation dans un litige en cours », a-t-il plaidé devant la commission des lois de l’Assemblée nationale le 30 novembre 2010. Un excellent plaidoyer auquel il convient d’ajouter un second, développé par le gouvernement de longue date, puisqu’il figurait dans l’étude d’impact 2 accompagnant le dépôt à l’automne 2009 de son projet de loi. Abordant la question de la cohérence du champ de compétence d’un Défenseur des droits appelé à conjuguer des missions de médiation et des missions de contrôle, qui sont de natures différentes, il indique qu’une « telle configuration pourrait s’avérer contre-productive » puisque « l’efficacité de l’action du défenseur ne serait que difficilement garantie dans certains domaines d’intervention marqués par une technicité particulière ». Dans ces conditions, on ne peut que s’associer à l’interpellation du garde des Sceaux par le député Jean-Jacques Urvoas : « Pourquoi persister à conjuguer ces missions alors que vous en connaissez les risques ? » 3. Et d’ici que Michel Mercier lui réponde, rappeler à ce dernier le point de vue de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, pour qui « le regroupement d’autorités dans une structure unique ne signifie pas pour autant le maintien et a fortiori le renforcement de

leur capacités d’action ». En souhaitant avec elle « le maintien des autorités existantes qu’elles soient directement ou indirec 4 tement concernées par l’actuel projet de loi organique » . Lui rappeler encore l’avis formulé par le Comité contre la torture des Nations-Unies, qui s’est déclaré « soucieux qu’à terme le Contrôleur général puisse être amené à disparaître ». En exigeant avec lui que soient prises toutes « les mesures nécessaires visant à assurer son fonctionnement effectif et non-interrompu », dès lors qu’il s’agit « du mécanisme de contrôle institué sous le Protocole facultatif à la Convention » 5 ratifié par la France. Lui rappeler enfin que la France devra répondre de ses choix politiques devant le Comité européen pour la prévention de la torture, organe du conseil de l’Europe chargé de veiller au respect des dispositions de la Convention européenne pour la prévention de la torture, qui a entamé sa visite en France le 28 novembre 2010. Une solution susceptible d’éviter à notre pays les foudres de l’ensemble des instances nationales et internationales de défense des droits de l’homme existe. Il suffit au gouvernement de reprendre à son compte la proposition qui lui a été faite en octobre dernier dans un rapport d’information du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques sur les autorités administratives indépendantes. Dans les termes exacts dont l’un de ses auteurs, le député UMP Christian Vanneste, l’a présentée lors de la réunion de la commission des lois : « Il est prévu de rattacher la CNDS au Défenseur des droits. Cela ne nous paraît guère logique, car elle a une compétence voisine de celle du Contrôleur des lieux de privation de liberté. C’est ce regroupement-là que nous proposons – et puisque le Contrôleur est en place jusqu’en 2014, nous souhaitons que l’on suspende l’intégration de la CNDS au défenseur des droits et que l’on prévoie sa fusion avec le Contrôleur en 2014 » 6. Elsa Dujourdy 1. Assemblée nationale, Commission des lois, compte-rendu de la séance du 30 novembre 2010. 2. Projet de loi instituant un Défenseur des droits, étude d’impact, p.33, septembre 2009. 3. Assemblée nationale, Commission des lois, op. cit. 4. CNCDH, Avis sur le Défenseur des droits et ses annexes, 4 février 2010. e 5. CAT, Observations finales, examen du 6 rapport périodique, 24 mai 2010. 6. Assemblée nationale, Commission des lois, op. cit.

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Loi pénitentiaire :

l’heure des comptes à rendre © DR

Plus d’un an a passé depuis la promulgation de la loi pénitentiaire, le 24 novembre 2009. Chez certains, l’inquiétude quant au devenir de la réforme votée se fait sentir. Chez d’autres, elle a déjà laissé place à l’amertume. Tels le sénateur Jean-René Lecerf. Alors qu’a commencé la discussion de la loi de finances 2011, l’heure est manifestement venue pour ce dernier de demander des comptes à l’administration pénitentiaire.

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ersonnage clé du vote de la loi pénitentiaire à l’automne dernier, le sénateur Jean-René Lecerf hausse le ton. On peut le comprendre. Lui qui s’emporta contre un projet de réforme restant « au milieu du gué » avant de saluer avec enthousiasme l’adoption par le Parlement d’un « texte de rupture », il a certainement en mémoire une autre de ses déclarations : « si cette loi est un échec, ce sera le plus grand regret de ma carrière » 1. Et de fait, force est de constater que cette loi, soit disant « fondatrice » reste virtuelle, sa mise en œuvre étant suspendue à la publication de plusieurs décrets d’application. Certes, courant octobre, sont parus les textes relatifs aux aménagements de peine. Mais pour ce qui est de la parution de ceux, plus nombreux, appelés à concrétiser les dispositions concernant directement les conditions de détention, l’horizon reste incertain. Pour ne pas dire bouché. « L’adoption des mesures réglementaires a beaucoup tardé au risque de susciter une certaine déception » déplore Jean-René Lecerf. Une aberration dès lors que l’on se souvient de la décision du pouvoir exécutif d’opter pour la procédure d’urgence, un choix qui avait suscité l’incompréhension légitime tant des acteurs du champ carcéral, que du législateur, dont l’intervention s’en était trouvée ipso facto réduite à peau de chagrin. La désagréable sensation d’avoir été dupé sur toute la ligne transparait dans l’avis qu’il a rendu, ce 18 novembre, sur le programme « administration pénitentiaire » du projet de loi de finances (PLF) pour 2011. Il y relève Dedans Dehors N°72-73 Décembre 2010

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que l’exercice budgétaire ne prend pas « toute la mesure des exigences nouvelles liées à la mise en œuvre de la loi pénitentiaire ». Une désillusion d’autant plus forte qu’à l’automne 2009, il avait estimé que le budget proposé dans le cadre du précédent PLF ne prenait déjà pas suffisamment en compte les « conséquences » de cette loi, alors même qu’elle venait d’être adoptée solennellement dans un contexte de défiance des observateurs du monde des prisons. Jean-René Lecerf le mesure mieux que quiconque, les perspectives ne sont guère réjouissantes. Il sait que le budget 2011 est « contraint », par la crise économique bien sûr, mais plus encore par « l’ouverture des établissements pénitentiaires dans le cadre du programme 13 200 places et par la création des emplois de surveillant qu’elle implique ». Et il n’ignore rien du fait que le prochain exercice le sera tout autant, en conséquence de « l’annonce de création de 5 000 places supplémentaires au titre d’un nouveau programme immobilier ». Un choix jugé « difficilement compatible » avec « le rééquilibrage des recrutements en faveur des services pénitentiaires d’insertion et de probation nécessaire pour assurer le développement des aménagements de peine », qu’il considère pourtant comme une « réorientation impérative en 2012 ». Fort de ce contexte, se refusant à cautionner une situation où les rares avancées attendues de la loi pénitentiaire sont renvoyées aux calendes grecques, le sénateur UMP apparait manifestement convaincu, désormais, de la nécessité de marquer à la


ACTU culotte l’administration pénitentiaire. Il s’est donc penché dans le détail sur les objectifs qu’elle s’était assignée pour l’année à venir. Verdict : « insuffisants ». Pointant « des lacunes évidentes au regard de plusieurs orientations de la loi pénitentiaire », JeanRené Lecerf enfonce le clou. Ici et là, « la cible fixée apparaît en-deçà des objectifs souhaitables ». Et d’ailleurs, cette administration « dispose-t-elle des outils adaptés pour évaluer son action ? » interroge-t-il. Réponse : « La grille des indicateurs de performance figurant dans les documents budgétaires, quasiment inchangée malgré l’adoption de la loi pénitentiaire, soulève des interrogations à cet égard ». Et de fait, examinant un à un les objectifs pour 2011, l’analyse est acide, la critique virulente. Exemple parmi d’autres, l’ambition affichée pour ce qui est du taux de détenus bénéficiant d’une activité rémunérée (travail et formation professionnelle) s’élève à 37,4 %. Une progression « bien modeste » au vu du résultat enregistré en 2009 de 35,7 %, qui fait douter de la « capacité de l’administration pénitentiaire à se mobiliser autour de l’ardente obligation de développer des activités ». Un doute qui serait devenu une certitude si Jean-René Lecerf avait décelé le stratagème grossier de l’institution, qui consiste à inclure dans son calcul les personnes bénéficiant d’un aménagement de peine alors même que leur éventuelle activité rémunérée est le fruit de leurs propres démarches. Autre objectif dans le viseur du sénateur, celui censé concrétiser l’une des dispositions les plus médiatisées de la loi du 24 novembre 2009, à savoir le droit à l’encellulement individuel. Si un indicateur relatif au nombre de détenus par cellule est bel et bien apparu 2, son « calcul ne semble permettre qu’une approche partielle », qui révèle d’« une approche réductrice » de la question. Il note par ailleurs que l’« évaluation des violences dont les détenus sont victimes » est aujourd’hui « inexistante » alors qu’« elle serait pourtant un indicateur précieux sur l’évolution des conditions de détention ». On ne peut bien évidemment qu’encourager et accompagner une telle attention portée à l’action de l’institution carcérale au travers de l’examen scrupuleux des objectifs qu’elle se donne et du suivi de leur réalisation. Pour autant, à l’heure où des comptes lui sont – enfin – demandés, il convient d’élargir cette salutaire interpellation à la teneur même des décrets d’application de la loi pénitentiaire appelés à paraitre. Leur contenu, en ce qu’il est d’ores et déjà connu, devrait susciter une colère redoublée chez Jean-René Lecerf, et il faut le souhaiter, de la part des élus de tous bords. En effet, présentés au printemps de cette année aux organisations syndicales 3, ces textes actent de la volonté inébranlable de cette administration de ne se laisser dicter sa conduite par quiconque, fusse-t-il législateur. Les dispositions envisagées concernant le parcours d’exécution de la peine (PEP) illustrent à merveille le contournement de la lettre et l’esprit de la loi votée par la représentation nationale, dans lequel s’engage la pénitentiaire. Là où l’emblématique article 89 du texte promulgué précisait que le PEP se doit d’être conçu « en concertation » avec le détenu, le projet de décret prévoit quant à lui qu’il est « mis en œuvre après avoir été élaboré en recherchant l’adhésion de l’intéressé ». La nuance est de taille. L’administration entend bien pouvoir imposer le PEP au condamné sans que son adhésion n’ait été obtenue et, en outre, sans qu’on ne sache rien des démarches qu’elle se propose d’engager pour rechercher cette adhésion. Cette perspective est

La désagréable sensation d’avoir été dupé sur toute la ligne d’autant plus inquiétante que, toujours aux termes de ce projet de décret, le parcours d’exécution de la peine sera bel et bien l’un des éléments constitutifs des « modalités de prise en charge » – nouvelle dénomination des régimes différenciés – dont fera l’objet la personne. Au côté de sa « capacité à respecter les règles de vie en collectivité », elle-même établie en prenant « en compte la personnalité de l’intéressé, son comportement au sein de l’établissement et dans les établissements précédemment fréquentés, sa santé, sa dangerosité et ses efforts en matière de réinsertion sociale ». De cet éventail de critères, tous aussi subjectifs les uns que les autres, découlera la nature plus ou moins « sévère » du régime de détention auquel le condamné sera soumis. Légitimant si besoin les mises en garde qui avaient été exprimées à l’égard de la différenciation des régimes de détention, tant par le Commissaire européen aux droits de l’homme, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté que l’OIP. Ayant tout à la fois opté pour la légalisation de ce mode de gestion de la population détenue et refusé d’encadrer strictement l’usage qui pourrait en être fait par l’administration pénitentiaire, le législateur a accepté l’augure d’un pouvoir discrétionnaire s’exerçant sans limite. Y compris, a posteriori du vote de la loi, puisque cet ensemble de dispositions figure au sein d’un décret « simple », c’est-à-dire dans une matière soustraite à l’intervention réelle du conseil d’État, dont le simple avis est requis. Toutes aussi préoccupantes sont les dispositions prévues, dans un décret cette fois soumis à validation de la Haute juridiction administrative, pour le code de déontologie prévu à l’article 11 de la loi pénitentiaire. « Suffoquant », tel est le terme employé par le SNEPAP quand l’organisation syndicale y lut que l’administration pénitentiaire concourait « à la garantie des libertés et à la défense des institutions de la République, au maintien de l’ordre public et de la sécurité intérieure et à la protection des personnes et des biens », une bien singulière extension des missions que n’avaient envisagée un seul instant ni Jean-René Lecerf, ni l’un quelconque de ses collègues élus. Pas plus « grand rendez-vous de la France avec ses prisons » tel me que promis par M Dati en son époque, que « point de départ d’une modernisation profonde de notre politique pénitentiaire » comme annoncé à la sienne par Michelle Alliot-Marie, la loi pénitentiaire semble appelée à rester éternellement la propriété exclusive de l’administration du même nom. Tout comme la capacité de ce texte à améliorer ici ou là les conditions de vie et de travail à l’intérieur des murs reste soumise à son bon vouloir. Gageons que les acteurs parlementaires en prennent enfin la pleine mesure. Samuel Gautier 1. Nord Eclair, 21mars 2009, « Jean-René Lecerf pour une prison école de la réinsertion ». 2. Ou plutôt réapparu : il fut en effet intégré dans le projet de loi de finances pour 2002 avant d’en disparaître dans celui élaboré pour 2005. 3. Avis du comité technique paritaire de la direction de l’administration pénitentiaire en date du 26 mai 2010 ; Avis du comité technique paritaire du ministère de la justice en date du 8 juin 2010. Dedans Dehors N°72-73 Décembre 2010

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Alors que l’examen périodique universel de la situation des prisons françaises au regard des droits de l’Homme s’était soldé en 2008 par des critiques d’une rare virulence, les observations réalisées au printemps 2010 par le Comité contre la torture des Nations-Unies vont encore plus loin. L’acte d’accusation est double. Sont contestés tant les tenants et aboutissants de la politique pénale de notre pays, que l’esprit et la lettre de la réforme pénitentiaire incarnée par la loi du 24 novembre 2009.

Politique pénale et pénitentiaire

L’ONU accentue sa pression sur les autorités françaises A

ppelé à examiner la situation de la France au regard de l’application et du respect de la Convention internationale contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le Comité contre la torture des Nations-Unies (CAT) a délivré le 14 mai 2010 ses observations finales. Il en ressort un tableau édifiant, suffisamment grave à ses yeux pour qu’il l’assortisse d’une demande expresse en direction des autorités françaises : assurer « une large distribution sur son territoire des conclusions et recommandations du Comité, dans toutes les langues appropriées, par le biais de sites Internet officiels, de la presse et des organisations non gouvernementales ». Requête restée lettre morte. Une recension des principales observations relatives aux champs pénal et carcéral s’imposait donc dans ces pages. Dans le domaine de la politique répressive, la charge est massive. D’une part, le CAT se dit « vivement préoccupé par la mesure dite de rétention de sûreté », qui lui apparaît « de nature à soulever des questions au titre de l’article 16 », c’est-à-dire au titre des actes constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Pour lui, la rétention de sûreté représente une « violation flagrante avec le principe fondamental de la légalité en droit pénal », en raison de « l’absence d’éléments matériels objectivement définissables et prévisibles, l’absence de lien causal entre l’infraction et la peine en jeu, ainsi que par sa possible application rétroactive », mais aussi parce qu’elle « ne semble dotée d’aucune limite temporelle d’enfermement ». Sa conclusion est sans appel : le Comité recommande à la France de procéder à « l’abrogation de ce dispositif ». D’autre part, il critique le « recours accru à la détention » en France, qui est le « corollaire direct » des « nombreuses lois pénales récentes, visant un durcissement des peines et une diminution de la récidive ». En conséquence, il invite notre pays « à entreprendre une réflexion Dedans Dehors N°72-73 Décembre 2010

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importante sur les effets de sa politique pénale récente sur la surpopulation carcérale », l’enjoignant notamment « d’envisager un recours plus important à la substitution de peines non privatives de liberté aux peines d’emprisonnement encourues en l’état actuel ».

Une mise en cause de l’esprit et la lettre de la loi pénitentiaire La sévérité des appréciations formulées sur la situation des prisons françaises n’est pas moins marquée. Pouvoir discrétionnaire sans borne de l’administration pénitentiaire, usage abusif du quartier disciplinaire, absence de stratégie de prévention du suicide, différenciation des régimes de détention, nature et régime des fouilles, usage du pistolet à impulsion électrique… L’instance onusienne épingle nombre des aspects de la politique pénitentiaire mise en œuvre, manifestant un désaveu cinglant des choix opérés par l’administration pénitentiaire et validés par le législateur au travers la loi du 24 novembre 2009. Exprimant sa « préoccupation » sur l’une des carences majeures de ce texte, le CAT engage la France « à prendre les mesures idoines pour assurer un contrôle de la marge discrétionnaire, et du potentiel corollaire d’arbitraire, inhérents aux prérogatives dont a été investie l’administration pénitentiaire ». Il suggère que ce contrôle soit « entrepris notamment à travers des visites régulières par les mécanismes de contrôle indépendants existants, qui devraient à leur tour soumettre immédiatement aux autorités judiciaires appropriées toute irrégularité ou toute méthode pouvant s’apparenter à une mesure arbitraire constatée ». Dans le collimateur du Comité, figure notamment le placement à l’isolement, dont il réclame, à l’instar de la sanction de cellule disciplinaire, qu’il devienne « une mesure exceptionnelle et limitée


ACTU dans le temps ». Une exigence d’autant plus insistante qu’elle intervient après qu’il a relevé « que plus de 15 % des personnes détenues qui ont mis fin à leurs jours en 2009 subissaient une sanction en quartier disciplinaire », et s’est déclaré « vivement préoccupé » du fait que la France est « l’un des pays d’Europe où le nombre de décès par suicide en milieu carcéral est parmi les plus élevés ». Par ailleurs, le CAT s’est opportunément penché sur le point névralgique que constitue l’instauration de régimes différenciés au sein des établissements pénitentiaires. Il en conteste radicalement les fondements et s’inquiète fortement de ses effets. Dès lors qu’elle s’opère « sur la base d’une classification des détenus sur des critères subjectifs, tels la personnalité ou la dangerosité », affirme le Comité, une telle différenciation « emporte nécessairement des conséquences pouvant relever de l’arbitraire dans les conditions d’exécution de la peine ». Cette crainte se double d’une mise en garde de portée générale : « Il est ainsi possible d’imaginer qu’un traitement punitif disciplinaire, ou des privations d’accès à certains droits en détention, pourraient, par leur répétition, leur absence de justification, et/ou la façon arbitraire dont ils sont dispensés constituer des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. » La France est à nouveau fermement blâmée en raison de la pratique de fouille intégrale qu’elle persiste à imposer aux personnes détenues. Le Comité se déclare à la fois « préoccupé par la nature intrusive et humiliante des fouilles corporelles, a fortiori internes » et « soucieux que le régime relatif à la fréquence et aux modalités des fouilles dans les prisons émane de l’administration pénitentiaire ». Réclamant dans l’immédiat « un strict contrôle de l’application du régime des fouilles corporelles, a fortiori les fouilles intégrales et internes, en veillant à ce que seules les méthodes les moins intrusives, et les plus respectueuses de l’intégrité physique des personnes, soient appliquées, et qui soient dans tous les cas conformes à la Convention », le Comité recommande en outre « la mise en place de mesures de détection par équipement électronique annoncée par l’État partie », ainsi que « la généralisation d’un tel mécanisme, de façon à supprimer totalement la pratique des fouilles corporelles ». Le CAT se dit « particulièrement préoccupé par l’annonce » faite par les autorités françaises de leur « volonté d’expérimenter l’usage du pistolet à impulsion électrique, au sein de lieux de détention ». Et ce, alors même que « l’usage de ces armes peut provoquer une douleur aiguë, constituant une forme de torture, et que dans certains cas, il peut même causer la mort », d’une part. Et « que le Conseil d’État, dans un arrêt du 2 septembre 2009, a annulé le décret du 22 septembre 2008 autorisant son emploi par les agents de la police municipale », d’autre part.

la France est « l’un des pays d’Europe où le nombre de décès par suicide en milieu carcéral est parmi les plus élevés » rer le fonctionnement effectif et non interrompu du mécanisme de contrôle institué sous le Protocole facultatif à la Convention », le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. La même requête est formulée pour ce qui est « des autres instances indépendantes complémentaires », telles le Médiateur de la République, le Défenseur des enfants et la Commission nationale de déontologie et de sécurité qui, « outre leur rôle de médiation, assurent une fonction essentielle de contrôle du respect des droits, et veillent ainsi au respect de l’application de la Convention, avec chacune une expertise particulière ». Si le prochain rendez-vous donné à la France par le CAT est fixé au 14 mai 2014, ce dernier n’envisage pas de laisser la bride sur le cou des autorités concernées. La Chancellerie se voit enjoindre de « fournir d’ici un an des informations » sur les suites données à certaines de ses requêtes. Il en est ainsi de celles relatives à « l’imposition de fouilles corporelles » ou à « l’usage qui est fait » du Taser « dans les lieux de détention ». Également de « la mise en œuvre concrète et périodique des recommandations » de Jean-Marie Delarue. Mais aussi, alors que le Comité s’est déclaré « particulièrement préoccupé face à la persistance d’allégations qu’il a reçues au sujet de cas de mauvais traitements qui auraient été infligés par des agents de l’ordre public à des détenus et à d’autres personnes entre leurs mains », des mesures prises « pour veiller à ce que chaque allégation de mauvais traitements imputable à des agents de l’ordre fasse promptement l’objet d’une enquête transparente et indépendante, et que les auteurs soient sanctionnés de manière appropriée ». Patrick Marest

« Soucieux des conséquences de la création, par la réforme constitutionnelle de 2008 », d’un Défenseur des droits, le CAT invite la France « à prendre les mesures nécessaires visant à assu-

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L’exigence d’un contrôle extérieur maintenu et effectif

Manfred Nowak, rapporteur spécial au comité contre la torture de l’ONU, jusqu’au 31 octobre 2010 Dedans Dehors N°72-73 Décembre 2010

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Suspension de peine pour raisons médicales

Le parcours d’un combattant en fin de vie Deux ans. C’est le temps qu’il aura fallu à J.L., 67 ans, incarcéré depuis 1988 et atteint d’une grave maladie pulmonaire, pour voir sa peine suspendue. Chronique de la difficulté à ramener l’institution judiciaire à la raison (médicale).

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a cour d’appel de Nîmes a ordonné, le 2 novembre 2010, la suspension de la peine de J.L., « pour raison médicale grave ». Au bout d’un très long périple mobilisant plusieurs équipes soignantes et pas moins de quatre experts, la juridiction a fini par admettre « qu’aucun établissement en France n’est à ce jour capable de recevoir ce condamné, pour l’exécution de sa peine », permettant ainsi à l’intéressé de bénéficier d’une disposition emblématique de la loi du 4 mars 2002, dite loi Kouchner. Celle-là même qui prévoit la possibilité, pour une personne incarcérée, de bénéficier d’une suspension de peine dès lors que deux expertises médicales concordantes concluent soit à un pronostic vital engagé, soit à un état de santé durablement incompatible avec la détention.

2009 : du centre pénitentiaire à l’UHSI Détenu depuis 1988, J.-L. est atteint de longue date d’une insuffisance respiratoire, conséquence d’un tabagisme ancien et important. En février 2009, la dégradation de son état de santé impose une hospitalisation en soins intensifs à l’Hôpital Nord de Marseille. Un premier diagnostic est alors établi : il souffre d’une broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO), compliquée d’un emphysème qui détériore progressivement ses poumons. Ce qui nécessite qu’il fasse l’objet d’une oxygénothérapie permanente par extracteur. Il est néanmoins renvoyé en détention, au centre pénitentiaire (CP) d’Avignon-le-Pontet (Vaucluse), où il est incarcéré depuis 2005. C’est à ce moment que J.L. demande à bénéficier d’une suspension de peine pour raisons médicales. Celle-ci apparaît d’autant plus légitime que tous les certificats élaborés par ses médecins traitants et les experts désignés soulignent en permanence la gravité de son état de santé mais aussi de l’aggravation de celui-ci. Le 16 septembre 2009, l’un de ces experts note « une évolution de l’aggravation très rapide » et conclut « à un pronostic vital engagé à moyen terme avec un état de santé durablement incompatible avec la détention ». Un avis confirmé le 27 novembre par le médecin pneumologue suivant ce patient pour le compte de l’Unité hosDedans Dehors N°72-73 Décembre 2010

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pitalière sécurisée interrégionale (UHSI) de Marseille, qui relève une aggravation de son état de santé « attestée par un handicap sévère au moindre effort et d’autre part par une oxygénodépendance continue avec un débit de 6 litres/minute ». Entre-temps, en octobre, J.-L. présente un nouvel épisode de décompensation respiratoire sévère qui entraîne son hospitalisation en urgence en service de réanimation pendant plusieurs jours, puis à l’UHSI pendant près d’un mois. Cette nouvelle détresse respiratoire a pour effet de majorer sa dépendance à l’oxygène et d’aggraver sa déficience fonctionnelle, déjà « qualifiée d’importante » par l’un des médecins-experts. Il est néanmoins de nouveau réincarcéré fin novembre. Dans un compte rendu daté du 2 décembre, le service médical du CP d’Avignon évoque un patient « ne se déplaçant plus qu’en fauteuil roulant » et « limité dans les actes ordinaires de la vie ». La présence de deux extracteurs dans sa cellule, pour répondre à sa dépendance majorée à l’oxygène, entraînant une « majoration de l’inconfort et du bruit », les soignants évoquent « un pronostic vital […] des plus réservés ». L’administration pénitentiaire elle-même fait savoir qu’elle doit faire face, avec le cas de J.L., à « une prise en charge complexe en raison de son assistance respiratoire, difficilement compatible avec son maintien au centre pénitentiaire d’Avignon ». En dépit de cette évolution péjorative et de ces multiples avis convergents, la demande de suspension de peine déposée par J.L. est rejetée par le tribunal de l’application des peines (TAP) du tribunal de grande instance (TGI) d’Avignon, par un jugement rendu en première instance le 21 décembre 2009. Ce refus est motivé par le fait que les différentes expertises réalisées — cinq expertises, auprès de quatre experts différents — ne concluaient pas de manière concordante à l’engagement d’un pronostic vital du fait de la maladie ou à l’incompatibilité durable de l’état de santé avec la détention. Le Tribunal s’appuie notamment sur l’une des dernières expertises réalisées le 16 décembre. Bien que notant « une aggravation sur le plan fonctionnelle » qui se traduit par une réduction des déplacements, l’expert avait conclu pour sa part à « l’absence de pronostic vital engagé à court terme », ajoutant même que « les soins dispensés en milieu carcéral apparaissent conformes aux soins habituellement organisés en ambulatoire ».

2010 : de l’UHSI à la suspension de peine Le 26 janvier 2010, J.-L. est de nouveau hospitalisé dans un état grave en service de réanimation, puis transféré à l’UHSI de Mar-


ACTU

© Nicole Henry-Crémon / Editing

seille. Le 26 février, la décision est prise de le maintenir au sein de cet unité. En raison de sa dépendance accrue à l’oxygène, il devient désormais nécessaire de le faire bénéficier d’une cuve d’oxygène liquide, « impossible à mettre en place en détention » pour des raisons de sécurité (risque d’explosif), relève le service médical de l’UHSI. Pourtant, contre toute attente, la chambre de l’application des peines de la cour d’appel de Nîmes, saisie en appel, ordonne en avril une nouvelle expertise, au prétexte que les termes d’un certificat du 24 mars remis par le personnel soignant sont ambigus. De fait, celui-ci évoque « un pronostic vital engagé à plus ou moins court terme ». En mai, le même médecin produit un nouveau certificat médical attestant de l’incompatibilité de l’état de santé du patient avec la détention. Il y affirme cette fois que « l’évolution de sa maladie engage maintenant le pronostic vital à court terme », ajoutant que « M. L. relève actuellement de soins continus et palliatifs pouvant être assurés par une hospitalisation à domicile, à proximité d’un hôpital comportant un service de pneumologie et une réanimation ». En toute logique, ce diagnostic aurait dû permettre à la cour d’appel de Nîmes de se saisir des dispositions de l’article 79 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, d’application immédiate, qui prévoit la possibilité d’ordonner, en cas d’urgence et si le pronostic vital est engagé, le bénéfice d’une suspension de peine sur la base « d’un certificat médical établi par le médecin responsable de la structure sanitaire dans laquelle est pris en charge le détenu ». D’autant que cette possibilité ouverte par le législateur semblait la seule en mesure de satisfaire à la préconisation pourtant nuancée de l’un des experts : « Il est certain que l’état de santé de ce patient se précarise lentement, qu’il reste à la merci d’une décompensation brutale en dehors de laquelle la durée de survie peut actuellement s’apprécier en mois malgré un traitement adéquat et correctement appliqué. » Néanmoins, si « aucun élément objectif ne permet de déclarer un pronostic vital engagé à très court terme », « le traitement ne peut plus être matériellement appliqué dans un centre pénitentiaire dans la mesure où les capacités d’extraction à partir de l’air ambiant sont dépassées et où seul un container en oxygène pur pourrait matériellement permettre un tel débit ». Campant sur ses positions, la cour d’appel n’a pas tiré les conclusions qui s’imposaient. Pire, par un arrêt du 15 juillet, elle a demandé qu’une nouvelle expertise soit réalisée, afin de savoir si l’Etablissement

public de santé national de Fresnes (EPSNF), structure « où sa peine pourrait continuer d’être exécutée », pouvait le prendre en charge. En réponse, l’expert sollicité a indiqué que cet établissement était inadapté à la prise en charge d’un tel patient, « étant donné la sévérité de cette insuffisance respiratoire », concluant que « la seule structure adaptée actuellement à [son] état de santé se trouve être l’UHSI de l’Hôpital Nord de Marseille où il réside depuis le début de l’année 2010 ». L’affaire est alors renvoyée au 5 octobre 2010, puis mise en délibéré. Prenant enfin acte qu’il était impossible à ce jour que soit assurée au sein d’un établissement pénitentiaire l’« oxygénothérapie à haut débit » que l’état de santé de J.L. requiert, la cour d’appel a finalement ordonné la suspension de sa peine. Dans un ultime rebondissement, la juridiction a suspendu l’exécution de sa décision au résultat d’une enquête, visant à s’assurer que son domicile pouvait bien être équipé, en toute sécurité, d’une cuve à oxygène. J.-L. a donc dû encore patienter un temps avant de rentrer chez lui. Au total, il aura fallu près de deux années pour que les magistrats de Nîmes acceptent de se soumettre à la raison médicale. Elsa Dujourdy

Suspension de peine rejetée pour un détenu atteint d’un cancer des poumons Incarcéré depuis septembre 1997 au Centre pénitentiaire de Lannemezan, N.M. a vu sa demande de suspension de peine pour raison médicale rejetée, en septembre 2010, par la cour d’appel de Pau, qui confirme ainsi la décision du 25 juin 2010 du tribunal de l’application des peines de Tarbes. Par deux fois, les juges ont conclu à l’absence d’expertises médicales concordantes permettant d’établir que N.M. était atteint d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que son état de santé était durablement incompatible avec le maintien en détention. N.M. souffre pourtant de plusieurs pathologies dont un cancer des poumons, pour lequel il a subi une pneumonectomie (ablation complète du poumon) et suivi une chimiothérapie. Son état de santé s’avère irrémédiablement dégradé. Depuis l’opération, il présente une insuffisance respiratoire chronique évaluée entre 40 et 50 %, un état « définitif et susceptible d’aggravation ». « Selon les recommandations internationales et celles de l’InCA [Institut national du cancer] », N.M. a un taux de survie à cinq ans de l’ordre de 20 %, « sans prendre en compte la comorbidité cardiaque qui grève encore le pronostic », relève l’un des médecins-experts qui l’ont examiné. Présentant une gêne constante dans la réalisation de tous les actes de la vie quotidienne, il se retrouve dans l’incapacité de réaliser un effort même modéré et ne peut plus travailler. Un tableau clinique alarmant mais encore insuffisant pour voir sa peine suspendue, ont estimé les juges sis dans le chef-lieu des Pyrénées-Atlantiques. ED

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La pénitentiaire nuit gravement à la santé Attendu par tous les personnels soignants et les observateurs du monde carcéral, un plan d’action censé traduire une nouvelle politique de santé à l’égard des personnes détenues s’avère un jeu de dupes. Et pour cause, les pouvoirs publics se contentent de réaffirmer les principes établis par la réforme de 1994. Sans garantir la protection absolue du secret médical auquel la pénitentiaire entend substituer la notion de « partage opérationnel d’information ».

28 octobre 2010. Roselyne Bachelot est encore en fonction au ministère de la Santé et Michèle-Alliot Marie officie toujours à la Chancellerie. Les deux ministres ont décidé d’apparaître côte à côte devant la presse. À l’ordre du jour, la présentation d’un « plan d’actions stratégiques » pour la période 2010-2014, destiné à asseoir la « politique de santé pour les personnes placées sous main de justice ». La conférence se déroule dans

© O.Aubert/Picturetank

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les locaux de l’avenue Duquesne, c’est cependant la garde des Sceaux qui tient les rênes et s’exprime la première : « La prise en charge sanitaire des détenus est une priorité que nous partageons. Qu’il s’agisse d’améliorer la prise en charge médicale des détenus, de renforcer la prévention et l’accès aux soins, ou de mieux prévenir le suicide, une action commune et volontariste était nécessaire. Comment prévenir la récidive si nous


ACTU n’offrons pas de soins adaptés à la pathologie qui a conduit aux faits ? Comment inciter à la réinsertion si nous ne savons pas garantir aux détenus des conditions d’hygiène et de soins décentes ? » Vient le tour de la ministre de la Santé : « Les personnes détenues ont, comme l’ensemble de nos concitoyens, des droits imprescriptibles. Parmi ces droits, le droit à la santé, le droit aux soins, doit impérativement être garanti. Il y va, bien évidemment, de l’état de santé d’une population déjà fragilisée. Et il y va, plus largement, du modèle de société que nous voulons promouvoir. Pourquoi les personnes détenues seraientelles écartées de la politique de santé ? Pourquoi leur infliger ce qui ressemble bien à une double peine ? » Deux univers. Et bien évidemment deux approches. Que l’on perçoit d’ailleurs à la lecture des 86 pages du document support à la communication interministérielle. Aucune des carences qui caractérisent la situation des soins en prison n’apparaît avoir été évacuée, ni même minimisée. Certes, ces constats sont bien établis et depuis fort longtemps. Mais, dans la description du contexte dans lequel ce « plan d’actions tout à la fois ambitieux et pragmatique » s’inscrit, aucun ne manque à l’appel (voir encadrés). Et pourtant, quand vient le moment d’en tirer les conséquences, les « 6 axes, 18 mesures et 40 actions » qui constituent le plan stratégique apparaissent, à l’instar des financements associés, bien en retrait. Tellement

en-deçà des enjeux de santé publique en présence que l’on peine à croire Mme Bachelot quand elle susurre : « Il s’agit d’un plan sanitaire, dont mon ministère a la responsabilité ». C’est manifestement une autre partition qu’entend jouer la Chancellerie, dont il n’est pas certain que la santé des détenus sorte renforcée, dans l’immédiat comme à l’avenir. Mmes Alliot-Marie et Bachelot ont particulièrement insisté sur ce point. Le plan est le fruit d’une « collaboration inédite entre les deux ministères ». Et la première de vanter les mérites d’une élaboration effectuée « main dans la main », tandis que la seconde encense un système où personnels soignants et pénitentiaires œuvreront « en bonne entente, dans le respect des missions de chacun ». Ce rideau de fumée doit être dissipé. « Le statut du détenu prime toujours celui du malade », indiquait l’Académie de médecine en octobre 2008. Un constat réitéré en octobre 2010 par l’Association des professionnels de santé exerçant en prison : « La loi de 1994 a permis l’entrée de l’institution hospitalière dans l’institution pénitentiaire, mettant du même coup en présence deux logiques différentes, l’une sanitaire, l’autre sécuritaire. Classiquement, la logique sécuritaire prévaut et fait obstacle à la prévention et aux soins 1. » Constats dont certaines conséquences ont été soulignées par le sénateur Nicolas About, à l’aube de la discussion sur le projet de loi pénitentiaire : les soignants peuvent se retrouver à la fois 

Déjà lu, déjà entendu, et mille fois promis

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es raisons d’agir ne manquent pas. Que l’on prenne la question, à l’instar du plan d’action interministériel, sous l’angle « des besoins objectivés par la prévalence élevée de plusieurs pathologies », « des besoins de santé liés aux caractéristiques sociodémographiques », « des besoins croissants compte tenu de l’évolution démographique » ou encore « des besoins de santé en lien avec l’impact de l’incarcération ». Problème : les « trois grands principes » qui ont « présidé à la rédaction de ce plan » ont un goût de déjà lu, de déjà entendu, et de déjà promis. Mille fois. Qu’il s’agisse d’affirmer la nécessité que « les personnes incarcérées doivent bénéficier de la même qualité et continuité de soin que la population générale », ou que « les plans et les programmes de santé publique doivent être mis en œuvre en milieu carcéral », ou encore que « la prévention et les soins initiés ou poursuivis pendant la période de l’incarcération doivent contribuer au maintien et à l’amélioration de l’état de la santé ». Ces rappels en forme de pétitions de principes ne sont certes pas inutiles. Mais à ce stade du plan d’action, rien ne permet d’espérer une amélioration sensible de la santé en milieu carcéral. Mais est-ce véritablement sa vocation ? Son objectif réel n’est pas même dissimulé : le plan reposant « en grande partie sur un socle de mesures déjà en cours », il s’agit en fait, « pour beaucoup, de les consolider », « pour certaines d’en assurer l’application » et « pour d’autres d’en adapter la mise en œuvre ». Au moins les choses sont claires. « Six axes, 18 mesures et 40 actions » constituent ce plan. Les six axes – « améliorer la connaissance de la santé des personnes détenues permettant d’adapter les politiques de soins à mettre en place ;

renforcer la prévention et la promotion de la santé au bénéfice de cette population tenant compte de ses caractéristiques particulières ; garantir à chaque personne détenue le même accès aux soins que pour la population générale ; assurer à cette population un accès aux droits sociaux conforme à la réglementation ; assurer à tous les professionnels de santé une formation adaptée à leur exercice professionnel ; s’assurer du respecter des normes et des règlements relatif aux conditions d’hygiène, de sécurité et de salubrité » – parlent d’eux-mêmes de la situation à laquelle ils sont censés remédier. Précision utile : ils « ont pour objectif d’impulser un nouvel élan et de porter une nouvelle ambition en mettant l’accent prioritairement sur cinq mesures phares ». De six axes, nous voilà passés à cinq mesures phares : « Le renforcement d’une politique de prévention du suicide concertée entre les différents intervenants, le développement d’actions d’éducation et de promotion de la santé, l’accessibilité des personnes détenues à des soins en santé mentale adaptés à leur état de santé, l’amélioration de l’organisation, de la gestion et du suivi des structures sanitaires, et la définition des modalités d’accès aux droits des personnes détenues en aménagement de peine. » Soit précisément les objectifs assignés à la loi du 18 janvier… 1994. Qui, comme ne manque pas de le souligner le document de 86 pages réalisé à l’appui de la communication interministérielle, « a profondément modifié le paysage de la prise en charge sanitaire de personnes détenues en les intégrant au système de santé de droit commun ». D’où la nécessité d’un Plan d’actions stratégiques 2010-2014. D’ici à quatre ans, il n’est pas totalement certain que les raisons d’agir aient disparu. Dedans Dehors N°72-73 Décembre 2010

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« confrontés aux conditions de vie des détenus qu’ils savent incompatibles avec une protection de leur santé physique et mentale » et « contraints d’examiner à l’hôpital des détenus menottés et entravés en présence d’un surveillant 2 ». Ce n’est pas tout. Les membres du corps médical, et en particulier les psychiatres, sont de plus en plus priés de fournir des informations sur leurs patients détenus, notamment en renseignant le cahier électronique de liaison qui, sous les atours d’un document permettant de rassembler les observations relatives à un détenu, s’avère être un « logiciel de suivi comportemental » (voir encadré). Mais aussi en participant aux réunions de commissions pluridisciplinaires uniques (CPU) appelées à devenir le cadre dans lequel se décident nombre des aspects du parcours carcéral de la personne et le régime de détention auquel elle est soumise. La question de la collaboration des personnels de santé à cette

instance fait l’objet de vifs débats au sein de la profession. Une question dont s’est emparé leur ministère de tutelle en créant le 19 décembre 2008 un groupe de travail piloté par la Direction générale de la santé portant sur le « partage d’informations ». Dans le plan, il est indiqué que « la nature et le contenu des informations à échanger entre le personnel soignant, pénitentiaire et éducatif sont définis par les conclusions du groupe de travail ». Il convient plutôt d’y lire « seront ». Car si ces conclusions devaient être rendues publiques au dernier trimestre 2009, elles semblent encore, à ce jour, être à l’état de réflexion. Laissant particulièrement démunis les professionnels de santé face aux pressions de l’administration pénitentiaire. Les rares indications figurant dans le plan d’action permettent néanmoins d’entretenir l’espoir d’une clarification allant dans le sens de l’opinion émise par le Conseil d’État, qui a rappelé, à l’initiative de l’OIP, que « le détenu a, comme tout malade, droit 

Des besoins de santé

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e constat d’un état de santé très dégradé de la population carcérale française, mis en évidence par « la prévalence élevée de plusieurs pathologies », est à l’origine de ce plan d’actions – connu aussi sous l’appellation de Plan santé. Car les données sur lesquelles il s’appuie sont en tous points alarmantes : 1,04 % des détenus sont atteints du sida, 4,2 % d’hépatites – contre, respectivement, 0,23 % et 0,84 % de la population générale ; un quart consomme au moins deux substances « psycho-actives » (tabac avec plus de 20 cigarettes par jour, alcool, drogues…) ; 30 % des détenus présentent une consommation excessive d’alcool ; les cas de tuberculose sont 8

à 10 fois plus nombreux que dehors. La radioscopie de la santé mentale n’est guère plus encourageante : 3,8 % des détenus sont atteints de schizophrénie nécessitant un traitement (quatre fois plus que dans la population générale) ; 17,9 % souffrent d’une dépression inquiétante, 12 % d’anxiété généralisée. « Un trouble psychiatrique plus ou moins grave est repéré chez 55 % des arrivants en détention » et « le taux de recours aux soins psychiatriques est dix fois supérieur chez les détenus par rapport aux personnes libres », affirme la garde des Sceaux. Funeste tableau, que « le vieillissement progressif de la population carcérale » ne pourra que contribuer à assombrir encore. BL

La prison pathogène

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i les auteurs du Plan santé déplorent que « les conséquences de l’incarcération sur la santé des personnes détenues n’[aient] pas fait l’objet jusqu’à présent d’études spécifiques en France », ils n’en discutent pas la réalité : « L’impact des conditions d’incarcération sur les besoins de santé est reconnu. » En outre, « les caractéristiques propres à l’incarcération […] génèrent une violence qui s’exerce contre soi ou contre les autres, avec des conséquences tant sur la santé physique que mentale ». Violence qui se traduit, relève la garde des Sceaux, par « l’augmentation des actes auto-agressifs dans les établissements pénitentiaires : 2 599 tentatives de suicides et 2 426 automutilations ont été comptabilisées en 2009, contre 1 699 et 2 187 en 2008 ». Un constat qui, réitéré d’année en année, ne manque pas de susciter programmes et déclarations. « Sur ce sujet majeur de santé publique, personnels de santé et équipes pénitentiaires doivent contribuer, ensemble, à améliorer l’efficacité de leurs interventions », tonne Roselyne BacheDedans Dehors N°72-73 Décembre 2010

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lot. Tandis que Michèle Alliot-Marie renchérit en insistant sur la nécessité de « tout faire pour prévenir » ces « drames humains ». L’annonce de la diminution des suicides entre 2009 et 2010, fruit « des mesures et d’une mobilisation forte du personnel », peut néanmoins être interrogée au regard des « problèmes méthodologiques » soulevés par ce triste décompte. Car sur ce thème comme sur les autres aspects de la santé somatique et psychique des personnes détenues, les outils de mesure et de suivis restent très imparfaits. Conscient de cet état de fait, le ministère de Roselyne Bachelot a défini la nécessité d’« améliorer la connaissance de la santé des personnes détenues permettant d’adapter les politiques de soins à mettre en place » car, si « les informations disponibles concernent pour la plupart la santé des entrants en prison », « les conséquences de l’incarcération sur la santé des personnes détenues n’ont pas fait l’objet jusqu’à présent d’études spécifiques », tant au niveau somatique qu’au niveau de la santé mentale. BL


ACTU  au secret médical et à la confidentialité de son entretien avec son médecin 3 ». En effet, évoquant la participation des personnels soignants aux CPU au volet « prévention du suicide », le document témoigne, d’une part, de ce qu’elle ne va pas de soi, et, d’autre part, qu’elle ne peut être envisagée qu’à certaines conditions. Il doit y avoir « communication préalable de l’ordre du jour » et « les objectifs (repérage, définition d’une prise en charge adaptée et évaluation des mesures prises, étude de pistes d’amélioration) de ces commissions » devront avoir « été préalablement précisés ainsi que les modalités de compte rendu ». Cette réserve, même minimaliste, acte de l’inquiétude qui traverse, à bon escient, les services du ministère de la Santé. Dont il est attendu qu’ils confirment leur opposition résolue au principe de « partage opérationnel d’information » proposé par l’administration pénitentiaire. Dans la pratique quotidienne, malmené par ce concept élastique, le secret médical devient un « secret de polichinelle 4 », qui constitue une atteinte flagrante aux règles fondamentales de la déontologie médicale, et contredit l’objectif de normalisation des soins apportés aux détenus. Face à la prégnance d’une réalité où le discours de santé publique porté par les acteurs soignants rentre en contradiction avec nombre des règles de fonctionnement du milieu pénitentiaire, il importe que les pouvoirs publics soient garants d’une désincarcération de la santé, élément incontournable tout à la fois d’un processus de décloisonnement de l’institution carcérale et d’une protection effective des droits des patients détenus. Barbara Liaras

© Michel Le Moine

1. APSEP, Le suivi des traitements à l’épreuve de la détention, 12 octobre 2010. 2. Sénat, Avis présenté au nom de la Commission des Affaires sociales sur le projet de loi pénitentiaire par M. Nicolas About, annexe au procès-verbal de la séance du 17 février 2009 3. Conseil d’État, Observatoire international des prisons, 30 mars 2005, n° 276017, et Duval, 15 octobre 2007, n° 281131 4. Sénat, Avis présenté au nom de la Commission des Affaires sociales sur le projet de loi pénitentiaire, op. cit.

Prévention du suicide : une modeste incursion dans le domaine pénitentiaire

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our ce qui est de la prévention du suicide en milieu pénitentiaire, l’engagement interministériel du plan d’action éclaire sur la place laissée au médical : « Un plan d’action a été publié par la garde des Sceaux le 15 juin 2009. Certaines des actions proposées, mises en place dans un cadre expérimental, impliquent les professionnels de santé exerçant en détention. » C’est que l’on appelle une portion congrue. S’agissant d’un enjeu majeur de santé publique, les politiques mises en œuvre devraient être, sinon coordonnées, du moins articulées sous le regard et le pilotage du ministère de la Santé. Or, ce dernier se fait discret sur la question. Et peine à prendre ses responsabilités alors que le Guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes détenues qu’il avait élaboré en 2004 est explicite : « La prévention du suicide en milieu carcéral passe d’abord par une logique globale de mise à niveau de l’environnement et des conditions de détention de la personne détenue. Il s’agit de favoriser le maintien de la santé mentale de celle-ci. » Aujourd’hui, l’administration pénitentiaire est à la barre. La « lutte sans merci contre les suicides », décrétée par Rachida Dati en introduction de son plan d’action de juin 2009,

se place dans la continuité de la politique de prévention mise en place depuis 2003. Pourtant, les « progrès [sont] extrêmement fragiles », reconnaissait la garde des Sceaux. Qu’importe, avec son obstination pour viatique, Michèle Alliot-Marie, qui lui a succédé place Vendôme, affirmait vouloir renforcer ce plan et poursuivre dans la même voie. Soit une approche centrée sur le repérage de la crise suicidaire et l’empêchement du passage à l’acte, fort éloignée de la lettre et de l’esprit de la circulaire du ministère de la Justice de 1998, selon laquelle « une politique de prévention n’est légitime et efficace que si elle cherche, non à contraindre le détenu à ne pas mourir, mais à le restaurer dans sa dimension de sujet et d’acteur de sa vie ». Face à cette inflexibilité, l’accent mis sur « l’évaluation des actions conjointes de la politique de prévention du suicide » et le strict encadrement de la participation des personnels soignants aux Commissions pluridisciplinaires uniques consacrées à la prévention du suicide apparaissent comme une bien modeste incursion dans ce qui reste le domaine réservé de la pénitentiaire. Et le Plan d’action, une occasion manquée. BL Dedans Dehors N°72-73 Décembre 2010

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Prévention du VIH : l’essentiel occulté

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e milieu carcéral est un milieu à risque au regard du VIH. En témoigne par exemple le fait que « les prévalences pour le VIH et le VHC chez les usagers de drogue ayant un antécédent d’incarcération sont plus élevées que chez ceux n’ayant jamais été incarcérés ». Par ailleurs, les conditions de détention ont un impact certain sur l’accès aux soins des personnes contaminées : « des ruptures de traitement liées à l’arrivée en détention sont signalées. Elles peuvent être engendrées par une forte crainte chez les personnes concernées de la rupture de la confidentialité et de la stigmatisation par leurs codétenus et les personnels pénitentiaires ». Inscrites depuis 1994 comme une des missions fondamentales des Unités de consultations et de soins ambulatoires (UCSA), les actions de prévention sont encore jugées insuffisantes. Car « dans la réalité, l’accès aux dépistages est variable, le taux de rendu des résultats n’est pas optimal, les procédures de proposition de renouvellement hétérogènes ». Il s’agit donc dans un premier temps de mettre en œuvre une « amélioration de la proposition systématique du dépistage du VIH, des hépatites B et C, et de la syphilis lors de la visite entrant ». Proposition qui devra être renouvelée systématiquement « au cours de l’incarcération (au moins une fois par an), lors de l’entrée en établissement pour peine, ainsi que lors de la consultation de sortie ». Outre le dépistage, il importe d’« agir sur les déterminants de la santé des personnes détenues ». Les risques liés aux pratiques sexuelles sont envisagés de façon ambitieuse, puisqu’il s’agit rien moins que d’« aboutir à la reconnaissance de l’intimité et de la sexualité des personnes détenues ». Le Plan admet que dans un contexte ou la sexualité des personnes détenues n’est pas reconnue par le droit, sauf pour être punie disciplinairement, la crainte de la sanction, des brimades et de la stigmatisation fait peser une forte contrainte sur l’aveu de l’existence d’une activité sexuelle, consentie ou non. L’« amélioration de l’accessibilité des préservatifs mascu-

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lins, féminins, des gels et lubrifiants, des digues dentaires au sein des UCSA, dans les parloirs familiaux, les Unités de vie familiale, lieux de passage fréquentés par les personnes détenues, au moment de la sortie en permission et de la libération » devra donc s’accompagner de programmes d’éducation et de promotion de la santé. Une des lacunes majeures de ce plan d’action sanitaire est d’occulter – une fois encore – un champ crucial dans la prévention du VIH : la réduction des risques de contamination par voie sanguine pour les usagers de drogue. Les recommandations en ce sens émanant d’autorité sanitaires ne manquent pourtant pas. L’ONUSIDA estimait ainsi qu’« à défaut de pouvoir complètement empêcher la circulation des produits illicites », « il est urgent d’ouvrir la prison à un élément essentiel de la politique de réduction des risques : l’accès à du matériel stérile d’injection » (ONUSIDA, Rapport de progrès pour la France 2008). Ou plus récemment, l’expertise collective de l’INSERM sur la réduction des risques chez les usagers de drogues, rendue publique le 5 juillet 2010 : « Le groupe d’experts recommande en premier lieu que conformément aux recommandations de l’OMS, le principe d’équité d’accès aux soins et aux mesures de réduction des risques entre prison et milieu libre soit appliqué ». Ce qui inclue, entre autres, de remédier à « l’absence d’accès au matériel stérile ». Un sujet encore largement tabou en France. « La question a été posée sur l’opportunité de la mise en place d’un programme d’échanges de seringues », mais « les conditions ne sont pas franchement réunies », a indiqué Roselyne Bachelot. « Alors que le plan est très précis sur les mesures pour éviter la contamination lors des tatouages, il ne dit rien sur les échanges de seringues : ça dérange. C’est pourtant ce qui a réussi à diminuer les contaminations, dehors, dans les années quatre-vingt-dix » (Libération, 28 octobre 2010), fait valoir Laura Petersell, d’Act Up. BL


ACTU

Réchauds à pastille combustible

La prison sur le grill Épinglés depuis de nombreuses années par plusieurs autorités sanitaires, les réchauds à pastille combustible sont de nouveau mis en cause. Un rapport d’expertise médicale établit clairement le lien entre la toxicité des pastilles et l’état de santé dégradé d’un ancien détenu. Son avocat demande la condamnation de l’État à des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi.

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uire des pâtes ou préparer un café n’est pas sans conséquence sur la santé. Du moins en prison, quand les détenus sont contraints d’utiliser des réchauds à pastilles combustibles. Ce qui est souvent le cas, car dans bon nombre d’établissements, l’administration pénitentiaire refuse d’autoriser l’usage des plaques électriques chauffantes, notamment en raison de la vétusté des installations. Pour cuisiner, ceux-ci doivent alors acheter des pastilles, commercialisées généralement sous les marques Chof’vit ou Amiflam. Des produits en principe dédiés au camping, comme l’atteste la mention « ne pas utiliser dans une atmosphère confinée » qui figure sur leur emballage.

Depuis que l’administration a décidé 1 de leur mise en vente en 1996, détenus et personnels soignants s’inquiètent d’une éventuelle toxicité de ces pastilles. Les soupçonnant d’être à l’origine d’une toux chronique et de crises d’asthmes, N.M., incarcéré à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis entre décembre 2007 et février 2010, a demandé une expertise médicale. Ordonnée par le tribunal administratif de Versailles le 19 octobre 2009, remise le 10 septembre 2010, l’expertise établit clairement le lien entre cette toxicité et l’état de santé dégradé de N.M. : « Le déclenchement des symptômes respiratoires est indéniablement lié à l’utilisation des [pastilles] Amiflam », observe le médecin expert. Après avoir souligné leur caractère toxique, dû au gaz potentiellement cancérigène issu de leur combustion, l’expert estime que l’utilisation de ces réchauds « devrait être proscrite » en milieu « confiné ». De tels avertissements sont légions, de longue date. En 2005, l’inspection générale des affaires sanitaires, interpellée par l’OIP et des plaintes de détenus auprès des services médicaux en prison, avait interrogé l’administration pénitentiaire. En janvier 2007, le comité de coordination de toxicovigilance (CCTV), mandaté par la direction générale de la santé, observait que « ces pastilles ne devraient pas être utilisées en atmosphère confinée » 2, après avoir constaté, lors d’une étude menée à la maison d’arrêt de Strasbourg, que « neuf détenus sur dix se déclarent gênés par ces pastilles ». Pourtant, ce comité n’a pas tiré les conclusions de ses propres constatations : « il conviendrait de préconiser l’ouverture des fenêtres au moment de leur utilisation. […] Une petite affiche pourrait être remise à chaque

© Catherine Richard/Signatures

L’utilisation des pastilles peut provoquer des problèmes respiratoires

détenu au moment de l’achat de ces pastilles », ont avisé timidement les experts. Cette singulière approche du principe de précaution n’a pas franchement convaincu la direction régionale des affaires sanitaires et sociales (DRASS) d’Île-de-France. Dans son rapport sur la maison d’arrêt de la Santé, remis en mars 2008, elle relève l’absurdité de cette mesure : « La ventilation des cellules nécessaire à l’usage de ce mode de réchauffement est impossible à respecter dans la disposition d’une cellule ». Aussi, la DRASS alerte sur la nécessité de changer les systèmes électriques défaillants pour proposer « des plaques chauffantes et des fours à microondes ». Une recommandation identique avait été faite, dès novembre 2007, par ce même service à la direction de la maison d’arrêt de Fresnes, après avoir relevé la « nocivité avérée » des pastilles utilisées par les détenus. Une préconisation passablement ignorée par l’administration qui a préféré se conformer à celle – nettement moins contraignante – du rapport du CCTV. Dedans Dehors N°72-73 Décembre 2010

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Diffusée en avril 2008 dans l’ensemble des établissements pénitentiaires, la « notice d’information type relative aux pastilles chauffantes » recommande notamment aux détenus de « pratiquer une aération de la cellule pendant et après la combustion des pastilles ». Or, l’administration sait parfaitement que les cellules ne sauraient être aérées convenablement puisque les fenêtres, de petite taille, sont obstruées par des grillages, des barreaux ou des caillebotis de sécurité. De plus, la notice préconise de « maintenir une certaine distance » lors de l’utilisation des pastilles « afin d’éviter d’inhaler les vapeurs qui s’en dégagent ». Mais « quand on est deux dans 9 m2, on voit mal comment on peut faire pour se tenir éloignés », ironise Maître Dimitri Pincent, avocat de N.M. (lire son interview ci-contre). Ces pastilles doivent servir d’« appoint pour réchauffer de l’eau ou une boisson et non pour cuisiner un plat », rappelle l’administration. Certes, mais dans ce cas, pourquoi vend-elle des produits et plats à cuire (riz, pâtes, conserves) et des ustensiles de cuisine (poêles, casseroles) alors même qu’il n’existe que ce moyen pour les cuisiner ? Le ministère de la Justice a admis, en février dernier, que « ces pastilles […] sont nécessaires pour réchauffer des boissons ou des aliments, faute de disposer d’installations électriques supportant la généralisation des plaques chauffantes ». Avant d’ajouter qu’« il n’est pas envisageable actuellement de [les] supprimer » 3. Une posture dénoncée par Jean-Marie Delarue, qui n’a pas manqué d’épingler la pérennisation de ce système de cuisson toxique en cellules suite à plusieurs visites d’établissements, telles Villefranche-sur-Saône, Chartres, Angers, ou Compiègne. Selon lui, autoriser les plaques électriques « permettrait de retirer de la cantine l’achat des pastilles combustibles dont l’administration pénitentiaire indique par note le risque cancérigène, ce qui, pour le contrôle général, apparaît pour le moins incohérent… » 4. D’autant que le Contrôleur général a pu constater, notamment à Villefranche-sur-Saône, que l’absence de mise à disposition de plaques chauffantes, « comme ailleurs, n’est pas due à des obstacles techniques », et que « le risque de saturation du réseau électrique pourrait être pris en compte en introduisant principalement des plaques à la puissance limitée ». En s’abritant derrière des consignes hypocrites, la « sensibilisation » de l’administration sur ce sujet « paraît malheureusement bien factice », écrit Dimitri Pincent, dans une lettre envoyée à la garde des Sceaux, le 14 octobre dernier. Courrier dans lequel il note que « l’administration pénitentiaire n’a pas daigné se déplacer à la réunion de l’expertise médicale du 4 mai 2010, la première sur cette problématique, ni même s’excuser de son absence auprès de l’expert ». Gonzague Rambaud 1. Ces pastilles ont remplacé les comprimés d’alcool gélifié vendus en cantine, dont l’administration pénitentiaire craignait le détournement de l’usage. Ces comprimés pouvant servir de base pour fabriquer des breuvages alcoolisés. 2. Évaluation des risques liés à l’utilisation de l’hexaméthylènetètramine, combustible utilisé en milieu pénitentiaire. CCTV. Janvier 2007. 3. Réponse du garde des Sceaux à une question écrite de M. Aeschlimann, député des Hauts de Seine, J.O., 2 octobre 2010. 4. Rapport de visite de la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône, 23‑25 septembre 2008. Dedans Dehors N°72-73 Décembre 2010

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Avocat de N.M., incarcéré à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis entre décembre 2007 et février 2010, Dimitri Pincent cherche à engager la responsabilité de l’État pour la mise en vente aux détenus de pastilles chauffantes toxiques. Quel est l’état de santé de N.M. depuis sa sortie de prison ? Il souffre toujours d’une faiblesse respiratoire, il crache des déjections jaunâtres et doit suivre un traitement quotidien pour compenser sa gêne respiratoire. Dans son rapport, l’expert dit que l’état de Monsieur N.M. n’est pas a priori susceptible d’amélioration clinique. Une aggravation respiratoire est toujours possible malgré l’arrêt de l’exposition aux pastilles Amiflam. Il est énormément handicapé dans la vie courante, son état de santé n’est pas consolidé aujourd’hui. Si son état clinique devait s’aggraver, il faudrait pratiquer un scanner thoracique en coupes fines et un lavage broncho-alvéolaire, relève le médecin expert. Que pensez-vous des mises en garde formulées par l’administration, qui conseille notamment une « aération » lors de l’utilisation de ces pastilles en cellule ? On en arrive à un principe de bon sens : on ne fait pas de barbecue dans une cuisine ! La marque Amiflam apparaît dans des marchés publics qui ont été lancés par le ministère de la Défense pour les légionnaires ou militaires en opération spéciale. C’est du matériel de camping. C’est parfait pour dehors, mais à l’intérieur, c’est complètement fou, a fortiori dans une cellule. Dans sa notice d’utilisation, l’administration recommande aussi de veiller « à maintenir une certaine distance lors de l’utilisation de ces pastilles afin d’éviter d’inhaler les vapeurs qui s’en dégagent ». Mais 2 quand on est deux dans 9 m , on voit mal comment on peut faire pour se tenir éloigné de la flamme d’un réchaud ? L’État semble ainsi considérer que le matériel de cuisson des militaires en plein air peut aussi servir aux détenus en milieu confiné. Quelles actions avez-vous engagé et quelles suites allez-vous donner à cette affaire ? Avant le rapport d’expertise médicale, j’avais fait une demande indemnitaire, que l’État a rejetée. J’ai ensuite saisi le tribunal administratif de Versailles pour demander la condamnation de l’État à des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par mon client. Sans attendre le résultat définitif qui prendra du temps, je vais demander une provision en référé1 sur la base du rapport d’expertise, qui met en lumière, selon mon opinion, une faute grossière de l’administration. En effet, cette dernière a vendu une marchandise qui est nocive pour la santé des détenus. Et cela a causé un préjudice pour mon client. Celui-ci souhaite faire interdire la commercialisation de pastilles chauffantes dans tout établissement pénitentiaire situé sur le territoire français. Si l’État ne faisait pas droit à cette demande officielle, je présenterai cette demande en justice au nom de cet ancien détenu qui peut personnellement témoigner de la nocivité de ces produits. Propos recueillis G.R.

© DR

Pour se prémunir, l’administration pénitentiaire préconise d’ouvrir les fenêtres et de se laver les mains


ACTU

Le mitard, espace paradoxal de liberté Dominique Gutknecht a une trajectoire carcérale hors norme. Incarcéré depuis 23 ans, il en a passé 13 au « mitard ». Non qu’il soit un détenu particulièrement « indiscipliné », « difficile » ou même « dangereux » aux yeux de l’administration pénitentiaire, mais par choix. Le sien. Pour prendre à contre-pied l’institution, en la privant de la possibilité de faire usage du quartier disciplinaire comme l’un des éléments de sa gestion de la détention des longues peines. « Envoyez-moi au mitard ». La requête est pour le moins inattendue émanant d’une personne détenue, qui plus est condamnée à une très longue peine. C’est pourtant ce que demande invariablement Dominique Gutknecht lors de son arrivée dans chacun des établissements où il est affecté. Avec succès. Sans qu’aucune violence, ni verbale, ni physique, ne puisse justifier aux yeux de l’administration pénitentiaire ce placement au quartier disciplinaire (QD). Et de fait, l’intéressé totalise

désormais pas moins de 156 mois de séjours volontaires dans différents QD de l’hexagone. Bien évidemment, il ne s’agit nullement dans le cas d’espèce de la manifestation d’une aspiration à être en cellule individuelle, comme ce peut être le cas en maison d’arrêt, où l’un des seuls moyens pour un détenu d’en bénéficier est de formuler une demande de placement à l’isolement ou de provoquer artificiellement une procédure disciplinaire. Dedans Dehors N°72-73 Décembre 2010

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Dominique Gutknecht se souvient très précisément de ce qu’il l’a poussé à « revendiquer » un régime dont personne n’ignore les lourdes contraintes qui le caractérisent. Le 8 juillet 1997, alors qu’il est l’un des pensionnaires de la centrale de St Maur, une protestation collective contre la baisse des rémunérations prend la forme d’un refus de reprendre le travail. Il est de la partie et écope d’un placement à l’isolement. « Je me me suis opposé, à ma manière, à cette mesure en demandant à être mis au quartier disciplinaire », raconte-il. « J’ai simplement décidé d’officialiser une sanction relativement dissimulée, non en la subissant mais en l’imposant, ce qui n’est pas exactement la même chose ! ». Un crédo qu’il ne quitte plus depuis. Lannemezan, Clairvaux, Moulins-Yzeure, Ensisheim… de mitard en mitard, d’une centrale à l’autre, il va réitérer sa demande, obtenant gain de cause avec plus ou moins de facilité selon les sites où il débarque au gré des transferts. Il est parfois laissé à l’abandon au fond d’une cellule disciplinaire, parfois trainé par les surveillants pour être placé, de force, au quartier d’isolement, ou en détention « ordinaire ». C’est ce qui se produit, notamment, à la centrale de Moulins en janvier 2001. En réaction, il se mutile, tente en vain de se couper une phalange du doigt de pied, casse divers objets dans la cellule où il est affecté et en macule les murs de ses excréments.

Être « plus libre, plus vivant, plus digne » Désorientée face à cette forme singulière de resistance à l’institution et jusque là impuissante devant une telle obstination, la pénitentiaire décide de sortir de cette spirale. Dominique Gutknecht est affecté à la centrale de St-Martin-de-Ré, le 19 avril 2007, où l’on va s’employer à rapprocher autant que possible ses conditions de vie au sein du QD d’un régime ordinaire de détention. Il est ainsi invité à conserver les produits qu’il a « cantinés » et peut sortir en promenade deux fois par jour. Ce changement de stratégie, qui vise à « normaliser » la vie quotidienne de l’intéressé au mitard en amenuisant les contraintes qui lui sont généralement associées va porter ses fruits. Désormais, selon un rituel bien établi, Gutknecht campe au QD une trentaine de jours, puis accepte d’en être extrait l’espace d’une journée, de sorte à passer quelques coups de fils et renouveler sa « cantine ». Ces affaires « réglées », il est temps pour lui de repartir dans « son » mitard, au prétexte constant d’un refus de réintégrer sa cellule. Et le cycle se perpétue. Ce modus vivendi ne convient cependant pas à la pénitentiaire. Elle maintient la pression sur Gutknecht qui finit par accepter l’idée d’envisager une sortie du QD. En posant ses conditions : il accepte d’être placé à l’isolement s’il bénéficie d’un travail rémunéré. Las, elles sont impossibles à satisfaire à St Martin, où il n’y a pas de travail en cellule disponible, et pas d’opportunité de travail par conséquence pour les détenus isolés. Le détenu reste donc au mitard. Au grand dam de la direction de l’établissement. En mai 2008, alors que Gutknecht formule une demande de suivi psychologique auprès des personnels soignants, il lui est répondu que les psychologues ne consultent pas… au QD. Sans qu’il soit envisagé de lui proposer de se rendre dans les locaux de l’UCSA. Il se passera de leur assistance. Le chef d’établissement demande alors, avec son accord, que l’interessé soit transféré en centre de détention, établissement dont le régime de vie est censé être plus souple qu’en maison centrale. Et choisit le CD Dedans Dehors N°72-73 Décembre 2010

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Lannemezan, Clairvaux, Moulins-Yzeure, St Maur, Ensisheim..., d’une centrale à l’autre, Dominique Gutknecht aspire, coûte que coûte, à être placé au mitard. de Caen (voir article ci-contre), qui a la réputation d’être l’un des rares établissements où le recours au quartier disciplinaire est exceptionnel, voire quasi inexistant. Gutknecht y arrive le 8 décembre 2009. Il est curieusement placé au QD conformément à sa demande. Mais se voit d’emblée imposer un régime de fouilles à nu quotidiennes, au retour de la cour où il effectue seul sa promenade. « Ces fouilles sont un moyen de pression pour le faire sortir du quartier », témoignera un intervenant. Le directeur-adjoint de l’établissement présente les choses un peu différemment : « Caen étant un établissement assez ouvert, au régime assez souple, les personnels n’ont pas l’habitude d’avoir quelqu’un au QD. C’est une situation nouvelle pour eux, ils appliquent donc le règlement à la lettre, mais ça va aller en s’allégeant ». Et de fait, après qu’il ait été soumis pendant un mois et demi à ce régime, les fouilles s’espacent quelque peu. Pourtant, Gutknecht a encore obtenu gain de cause. Il est toujours dans un mitard. Et saisit le tribunal administratif de la ville d’une requête en référé liberté, afin que le juge ordonne la suspension immédiate de ce régime de fouilles. Si ce dernier lui donne raison, le 21 avril, le ministère dévide de faire immédiatement appel de la décision. Le 20 mai 2010, jour de l’audience, devant le Conseil d’État, il est transféré. Une nouvelle stratégie est déployée. Il est envoyé au quartier maison centrale de ChâteauThierry, établissement connu pour les relations individuelles que tentent d’instaurer les personnels de surveillance avec les détenus qui y sont affectés, essentiellement des personnes souffrant de troubles psychiatriques. Craignant d’être soumis sans son consentement à un traitement médicamenteux, il accepte de demeurer en détention ordinaire. La situation semblant s’être « normalisée ». Mais Gutknecht n’ayant pas sa place dans ce type d’établissement, un nouveau transfert est décidé, vers la maison centrale d’Arles. Si son état d’esprit s’est quelque peu modifié, motivé notamment par les perspectives de formation qui lui sont proposées à son arrivée, le 22 juin, l’interessé s’engage néanmoins dans un bras de fer dès lors que la direction de cet établissement refuse catégoriquement d’accéder à sa requête : passer une dernière période


ACTU de trois mois au mitard, et ainsi « boucler la boucle ». Une kyrielle d’incidents va s’en suivre. Pas moins de 150 rapports seront dressés en moins de trois mois, qui jamais ne déboucheront sur un placement au mitard. La pénitentiaire semble être parvenue à ses fins. Ce que commente avec un certain détachement Dominique Gutknecht : son obstination tenace « était bien sûr un cri à la fois de révolte, d’impuissance, et de détresse ». Ce qu’il voulait tient en quelques mots « malgré tous les ennuis que vous pouvez deviner », il s’agissait d’être « plus libre, plus vivant, plus digne ». Pourtant, l’issue de cette singulière histoire tient de la victoire à la pyrrhus pour l’administration pénitentiaire. En effet, tout au long de son parcours carcéral, ce dernier l’a privé d’un usage du quartier disciplinaire tel qu’elle le conçoit, à savoir comme l’instrument indispensable et indépassable du maintien du « bon ordre et de la sécurité » dans les lieux de détention. Dans cet entêtement final à refuser d’accéder à la demande du détenu, elle témoigne

– bien involontairement – de la remarquable pertinence de la recommandation qui a été formulée par la Commission nationale consultative des droits de l’homme. L’instance a préconisé en mars 2004 « d’ériger le confinement en cellule individuelle comme régime de sanction le plus contraignant », précisément parce que la mise en oeuvre d’une telle alternative à la cellule de punition est un facteur essentiel d’apaisement des tensions pouvant survenir en détention. Si la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 manifeste l’hostilité de l’institution à cette évolution, force est de constater que c’est bel et bien cette sanction qui est infligée à Dominique Gutknecht dans la centrale d’Arles, dont la réputation sécuritaire est séculaire. Ce n’est pas le moindre des paradoxes qu’elle puisse apparaître pour l’administration comme un élément de réponse à la protestation d’un détenu contre la perte totale d’autonomie induite par la gestion pénitentiaire, en particulier pour les longues peines. Barbara Liaras

L’humiliation, en outil de gestion du comportement Dès son arrivée au centre de détention de Caen, en décembre 2009, Dominique Gutknecht s’est vu appliquer un régime de fouilles intégrales systématiques. Objectif inavoué : le faire sortir de sa revendication d’être placé en permanence au quartier disciplinaire (QD). Fortement déstabilisé par ce procédé, mais ne cédant point, l’intéressé s’en plaint, par écrit, auprès du chef de détention – sans résultat. Le 24 février 2010, l’OIP publie un communiqué dénonçant ce que la jurisprudence qualifie de traitement inhumain et dégradant. Dans un consternant souci de donner à ce régime un verni de légalité, est diffusée une nouvelle version du règlement intérieur du QD, datée du 2 mars. Un nouveau paragraphe y figure : « pour tous les déplacements hors du quartier disciplinaire (promenades, rendez-vous UCSA…, extractions, audiences…) une fouille à corps sera exigée à l’aller et au retour. Au départ de la cellule, une fouille par palpation sera effectuée sauf si le gradé ou l’officier responsable décide d’une autre mesure pour raisons de sécurité. Au retour en cellule, il s’agira exclusivement d’une fouille à corps. » Le 14 juin, l’OIP demandera le retrait de cette disposition, qui viole l’article 3 de la CEDH et méconnait les dispositions de l’article 57 de la Loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, qui encadre les fouilles corporelles. Entretemps, le 19 avril, Gutknecht dépose au tribunal administratif de la ville une requête en référé liberté, demandant au juge d’ordonner la suspension immédiate de ce régime de fouilles. Son avocat soutient que « le régime dénoncé est actuellement appliqué quotidiennement, sans perspective d’allègement, qu’il provoque chez son destinataire un état de détresse morale qui va aller en s’accentuant jour après jour, au fur-et-à mesure que les fouilles corporelles s’accumuleront […] C’est particulièrement vrai s’agissant d’un sujet fragile psychologiquement et enkysté dans une réalité d’un dépouillement extrême (isolement social quasi complet, une cellule de quelques mètres carrés, sans accès à la télévision ou la radio), et par conséquent d’autant plus vulnérable ». Admettant tout à la fois l’urgence

à statuer et l’« atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale », le juge a donné droit à cette requête le 21 avril. Saisi en appel par le garde des Sceaux, le conseil d’Etat a confirmé cette décision dans une ordonnance rendue le 20 mai 2010. Reconnaissant la recevabilité en l’espèce de la procédure de référé-liberté, très strictement encadrée, il ouvre une voie de recours effectif, c’est à dire une chance d’obtenir une décision à brève échéance, avant que la mesure en cause n’ait pris fin. La plus haute juridiction administrative a en effet admis que « le caractère quotidien des fouilles corporelles en cause crée une situation d’urgence au sens de l’article L. 521‑2 du code de justice administrative ». Elle confirme donc la décision rendue un mois plus tôt par le tribunal administratif de Caen, qui motivait principalement son ordonnance par les « graves répercussions psychologiques » que les fouilles corporelles quotidiennes « sont susceptibles de comporter sur l’intéressé ». Sur le fond, la Haute juridiction valide également le raisonnement du tribunal administratif en retenant que « ni [le] comportement ni [les] agissements [de l’intéressé] ne faisaient apparaître d’éléments justifiant qu’il soit soumis à un régime de fouilles corporelles intégrales pratiquées quotidiennement à l’issue de sa promenade » et que dès lors, « l’application d’un tel régime » au requérant constitue « une atteinte grave et manifestement illégale » à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme qui prohibe les tortures et traitements inhumains et dégradants et à l’article 57 de la loi pénitentiaire. Si cette ordonnance doit être saluée, on ne peut oublier qu’une telle avancée reste en grande partie théorique. En effet, les personnes incarcérées ne bénéficiant pas d’appui extérieur demeurent confrontées à des difficultés concrètes difficilement surmontables pour saisir le juge administratif et faire valoir devant lui une argumentation susceptible de prospérer, en particulier en matière BL d’urgence. Dedans Dehors N°72-73 Décembre 2010

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À l’ombre des retraites Le travail en prison ne permet pas aux personnes détenues d’acquérir une retraite décente. En raison de la faiblesse des rémunérations perçues. Mais aussi de l’impossibilité qui leur est faite de souscrire au régime complémentaire de protection sociale.

À

sa sortie de prison, T., 62 ans, s’enquiert de ses droits à la retraite, après avoir travaillé 21 ans au service général de plusieurs établissements pénitentiaires. En réponse à sa demande d’information, la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) lui indique par courrier le montant brut mensuel de sa retraite : 22,40 euros à compter du 1er avril 2009 ou 129,47 euros à compter du 1er janvier 2013. T. a choisi d’attendre ses 65 ans pour percevoir une « meilleure » retraite… Il a acquis 35 trimestres. Bien loin des 158 trimestres qui assurent un régime complet de retraite aux personnes nées, comme lui, en 1947. Certes, T. a travaillé exclusivement durant ses deux longues périodes de détention (1977 à 1990-1998 à 2007). De fait, il ne peut prétendre à une pension pleine en raison de son déficit d’annuités 1. Est-ce suffisant pour justifier que 21 années de travail en prison permettent de valider seulement 35 trimestres ? Sur la même période, un salarié extra-muros n’auraitil pas acquis 84 trimestres 2 ? Comment expliquer ce différentiel de 49 trimestres entre un travailleur captif et un employé lambda ? La réponse se trouve dans les fiches de paie des détenus.

Dix années de travail en prison pour treize trimestres validés Exclus du bénéfice de la protection du droit du travail, les détenus sont soumis à des modalités de rémunérations déro-

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gatoires au droit commun qui se caractérisent par la faiblesse de leur montant. En moyenne, ceux-ci n’ont gagné, en 2009, que 355 euros brut par mois, soit 26,5 % du SMIC brut. Or, les règles de droit commun concernant le niveau de cotisations à l’assurance vieillesse leur sont appliquées. Et l’obtention d’un trimestre suppose d’atteindre une somme au moins égale à 200 fois le SMIC horaire brut – 1 742 euros en 2009. Vu les rémunérations des détenus, valider un trimestre par an en prison est déjà un tour de force. Valider deux trimestres relève de l’exception. À preuve, sur neuf années d’incarcération au cours desquelles elle a régulièrement travaillé, B. a acquis seulement… 13 trimestres. Âgée de 62 ans, cette ex-détenue pourrait percevoir aujourd’hui 118 euros par mois, calculée sur la base de 29 trimestres, dont un tiers obtenus sous écrou. B. préfère se tourner vers des minima sociaux (revenu de solidarité active jusqu’à  3 ses 65 ans ou allocation de solidarité aux personnes âgées ) plus avantageux. « Que voulez-vous que je fasse avec ça, c’est moins qu’un loyer ? ! J’ai travaillé quasiment sans interruption, sauf la première année où j’étais en observation. Je ne m’attendais pas à avoir aussi peu », a-t-elle confié à l’OIP.

Les détenus ont été (quasiment) ignorés de la réforme des retraites Une situation d’autant plus inéquitable que les détenus sont privés de la possibilité de cotiser au régime de protection sociale complémentaire. Ce qui pèse directement sur le montant des retraites auxquels ils peuvent prétendre. Puisque la part provenant de l’assurance vieillesse peut, par conséquent, ne pas être être assortie de l’allocation de retraite complémentaire qui représente, en général, près de la moitié du montant perçu par les salariés retraités. Et, de fait, interrogé par l’OIP, Jean-René Lecerf, rapporteur du projet de loi pénitentiaire au Sénat, recon-


© Thierry Pasquet/Signatures

naît que « la retraite n’existe pas » aujourd’hui pour les détenus ayant travaillé longtemps en prison. « Pour eux, cette retraite et rien, c’est pareil », commente-t-il. Tellement rien que l’on oublie que les détenus contribuent, comme n’importe quel salarié, à alimenter les fonds de la CNAV. Les détenus sont restés complètement ignorés des travaux législatifs sur la réforme des retraites. Aucune occurrence « prison », « détenu », « sortant de prison » « travail carcéral » n’apparaissait dans le projet de loi. Jusqu’à ce que le groupe communiste au Sénat se saisisse des constats dressés par l’OIP. S’appuyant sur le fait que les droits acquis par un détenu puissent se résumer à 22,40 euros brut par mois après 21 années de travail derrière les barreaux, les sénateurs du groupe ont déposé, le 18 octobre 2010, un amendement visant à ce que les personnes incarcérées se voient appliquer des contrats de travail. Rejeté, comme l’avait été toute proposition en ce sens lors des débats concernant le

ACTU

Après avoir travaillé 21 ans au service général de plusieurs établissements pénitentiaires, T., 62 ans, touchera une retraite de 129 euros par mois projet de loi pénitentiaire, cet amendement a néanmoins été suivi d’un second, porté par le même groupe. Celui-là demandait à ce qu’il soit inscrit dans la loi que le gouvernement remette au plus tard le 31 décembre 2010 « un rapport portant sur l’assimilation des périodes de travail en détention comme des périodes de cotisations à part entière » aux commissions compétentes de l’Assemblée et du Sénat. Le rapporteur du projet de loi sur la réforme des retraites s’est prononcé contre, sans aucune forme de justification. Toutefois, le ministre du travail, Eric Woerth, y a souscrit. À condition de bénéficier de « davantage de temps ». À savoir « jusqu’au 30 juin 2011 ». Ainsi rectifié, l’amendement a été adopté. La situation particulière des personnes incarcérées a ainsi été prise en compte in extremis. En tout état de cause, la question des retraites reflète la situation du travail carcéral qui est « loin d’être le nirvana, c’est le moins que l’on puisse dire ! », estime le sénateur du Nord (voir encadré). Dans ce contexte, pourquoi ne pas avoir intégré une réévaluation substantielle des rémunérations, lors des discussions préalables au vote de la loi le 24 novembre 2009 ? « On ne peut pas tout faire en même temps. Dans un premier temps, il faut développer quantitativement et qualitativement le travail. Il sera temps ensuite d’envisager des modalités de paiement du travail carcéral pour qu’il soit davantage comparable à ce qui se passe à l’extérieur », se justifie-t-il. En attendant une hypothétique réévaluation des salaires et/ou l’instauration de contrats aidés, la main d’œuvre carcérale est bradée et on le fait savoir : « Budget serré : ne bloquez pas vos projets, passez par la prison », lit-on sur le plateau d’un étonnant jeu de société promotionnel distribué aux entrepreneurs Rhône-Alpins par l’administration pénitentiaire.

© Thierry Pasquet/Signatures

Gonzague Rambaud 1. Les personnes nées en 1947 doivent comptabiliser 39,5 années. 2. Nombre de trimestres acquis par un salarié employé à temps plein sur 21 années. 3. 460,09 euros pour le RSA. 708,85 euros brut pour l’ASPA (montants pour une personne seule)

Des travailleurs (et futurs retraités) sans droit Miroir amplificateur, les retraites reflètent le parcours professionnel d’un salarié. En l’occurrence, le travailleur-détenu évolue dans une zone de non droit dont la pierre angulaire se niche dans l’article 717-3 du code de procédure pénale. Lequel souligne expressément que « les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l’objet d’un contrat de travail » dans l’enceinte d’une prison. De fait, tous les droits attachés au contrat de travail disparaissent : pas de SMIC, pas d’indemnités chômage, de maladie ou d’accident du travail, pas de congés payés, ni de droit syndical. Un système totalement dérogatoire au droit commun qui permet aux entreprises de s’implanter en prison à moindre frais. Et de bénéficier notamment de taux de cotisations considérablement minorés (assurance maladie, maternité, vieillesse, accidents du travail). Un eldorado économique qui fait dire à certains que la prison est une délocalisation... à domicile ciblant un public captif rémunéré trois à à quatre moins qu’à l’extérieur. GR Dedans Dehors N°72-73 Décembre 2010

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Le tour de force des «étudiants-détenus»

© Simon Jourdan

Parent pauvre de l’Éducation Nationale, l’enseignement en prison est contrarié par la vie carcérale et les contraintes imposées par l’administration pénitentiaire. Un carcan peu propice aux études, d’autant que les enseignants se font rares derrière les murs, notamment les professeurs d’université, réduits à la portion congrue. Enquête sur les « étudiants-détenus »

S

i apprendre à lire et à écrire ou préparer son baccalauréat n’a rien d’une sinécure en prison, commencer ou poursuivre des études supérieures avec le statut de détenu relève de la course d’obstacles. Et pour cause, censé assurer une « éducation de qualité équivalente à celle dispensée dans le monde extérieur » de sorte à garantir « les meilleures chances de formation et de réinsertion professionnelle » 1, le ministère de l’Éducation nationale n’affecte en moyenne que l’équivalent d’un poste d’enseignant à temps plein pour cent personnes incarcérées. Les caractéristiques de la population qui se retrouve derDedans Dehors N°72-73 Décembre 2010

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rière les murs justifieraient pourtant que la prison soit déclarée « zone d’éducation prioritaire » : 10 % des entrants en prison en 2008 se trouvaient en situation d’illettrisme, 13 % éprouvaient des difficultés de lecture et 89 % étaient sans diplômes ou titulaires d’une certification inférieure au baccalauréat, selon les données du ministère de la justice. Las, les prisons françaises sont loin de bénéficier du personnel, mais aussi des crédits et de l’équipement « nécessaires pour permettre aux détenus de recevoir une éducation appropriée » 2. Ce qui est pourtant l’exigence minimale posée par le conseil de l’Europe.


ACTU Un poste d’enseignant à temps plein pour cent élèves-détenus Cette pénurie de moyens humains et financiers a pour conséquence la concentration des maigres ressources disponibles sur l’enseignement de niveau primaire, collège, ou lycée. Quand ce n’est pas sur l’alphabétisation de base. Autant dire que les détenus de qualification supérieure – qui représentent seulement 2 % de l’ensemble des personnes suivant des cours en détention – ne sont pas une priorité pour les services de la rue de Grenelle. Et de fait, l’affectation de professeurs de niveau universitaire derrière les murs est rare. Partiellement financée jusqu’à aujourd’hui par le ministère… du travail, elle semble même être en voie d’extinction au vu des difficultés de l’université Paris VII à maintenir son intervention au sein de quatre prisons de la région francilienne (lire notre article). Dans ce contexte, les personnes détenues n’ont d’autre solution que de recourir à l’enseignement à distance pour entrevoir l’espoir d’accéder à une formation universitaire. Problème : la débauche d’interdits et de limitations que recèle la règlementation pénitentiaire leur bouchent singulièrement l’horizon. D’abord, la moindre démarche – inscription à la faculté ou aux examens, commande de manuels à caractère pédagogique – suppose d’obtenir une autorisation exceptionnelle. Ensuite, l’entrée effective de livres ou fournitures se heurte au principe de prohibition de toute remise par le biais des parloirs comme sur les restrictions draconiennes qui encadrent la réception de colis.

Affirmée comme un droit, l’éducation en prison s’apparente davantage à un privilège « Tu fais le con en détention, t’auras pas de livres » Des libéralités existent certes ici ou là, mais elles diffèrent d’un établissement à l’autre et s’appliquent de manière arbitraire. « On te laisse rentrer des livres, tu fermes ta gueule. Tu fais le con en détention, t’auras pas de livres ! C’est comme ça que se ça se passe. C’est malheureux à dire mais c’est tous les jours comme ça », rapporte Farid, 24 ans, étudiant en BTS 3. En tout état de cause, la possession du matériel nécessaire aux études suppose la mobilisation d’un tiers. Et s’ils sont nombreux ceux qui ont leur mot à dire – qu’il s’agisse de la direction de la prison, des surveillants, du centre scolaire de l’établissement ou du responsable local d’enseignement – ils ne manifestent pas tous la meilleure volonté. Cette bonne volonté est pourtant indispensable, dès lors que, contrairement aux étudiants inscrits comme eux dans une formation ouverte à distance – mais libres – les détenus sont privés de tout accès à internet 4. Du coup, faute d’identifier une personne ressource susceptible de lui procurer nombre de documents disponibles exclusivement en téléchargement, l’étudiant incarcéré devra se contenter des manuels ou des polycopiés de cours qui lui auront été remis. Par ailleurs, l’impossibilité d’accéder au réseau l’empêchera de bénéficier

«Notre enveloppe annuelle est passée de 50 000 à 15 000 euros» Maître de conférences en littérature comparée à Paris-Diderot et directrice de la section des étudiants empêches (SEE), Crystel Pinçonnat revient sur les difficultés budgétaires de cette filière d’enseignement en prison unique en France. Pourquoi le financeur historique et principal de la SEE est la DTREFP, sous-tutelle du ministère du travail, et non l’éducation nationale ? Dans les années 1990, le professeur qui s’occupait de la SEE, un médecin, avait eu l’idée de faire une demande à la Formation Professionnelle, qui avait alors estimé que notre mission portait la leur, un niveau d’étude supérieur mettant sur la voie d’une meilleure réinsertion professionnelle. Aujourd’hui, on estime que le cursus universitaire ne relève pas de la formation professionnelle… Jusqu’à la rentrée 2009-2010, le ministère du travail finançait la filière à hauteur de 35 000 euros. De fait du retrait de cette subvention, notre dotation annuelle est passée de 50 000 à 15 000 euros pour la rentrée 2010-2011. À quelle hauteur l’Éducation Nationale participe-t-elle au budget global de la SEE ?

L’apport de notre ministère de tutelle passe par l’UPR (Unité Pédagogique Régionale), placée directement sous l’autorité du recteur d’Académie. Celle-ci intervient en fournissant des professeurs et des heures. Notre dotation annuelle (15 000 euros) provient, quant à elle, de l’Université Paris-Diderot. Depuis la loi relative l’autonomie des universités (LRU), adoptée le 10 aout 2007, les budgets des Universités et de l’Éducation Nationale sont distincts. L’UPR a-t-elle décidé d’abonder pour compenser la perte des crédits alloués par le ministère du Travail Comment allez vous compenser la perte de cette subvention ? L’Unité Pédagogique Régionale est intervenue longtemps à près de 50 % des heures dispensées. Aujourd’hui, son apport finance environ 60 % de nos activités. L’UPR nous soutient, mais ellemême subit des restrictions, elle ne peut donc abonder davantage. Nous recherchons le financement des fondations, tel celui de la Fondation de la Banque Populaire qui vient de nous allouer 12 000 euros, toutefois ces fonds ne sont pas utilisables pour payer des enseignants, car cela ne relève pas de la mission des fondations. Ils vont nous permettre de financer des conférences. Propos recueillis GR Dedans Dehors N°72-73 Décembre 2010

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des conseils prodigués par les enseignants ou des échanges entre élèves, qui se font aujourd’hui par le biais de la correspondance électronique ou des forums de discussion. À supposer qu’il est franchi tous ces obstacles, le détenu devra faire avec les contraintes d’un environnement carcéral, peu propice à la lecture et aux études : « les étudiants nous disent avoir du mal à se concentrer car ils vivent dans le bruit en permanence. Certains travaillent la nuit pour avoir du calme. Même pour la lecture, ils ont du mal à s’immerger », nous explique Crystel Pinçonnat, professeur de littérature comparée et directrice pédagogique de la « section des étudiants empêchés » de Paris VII (lire l’entretien). « L’éducation est affirmée comme un droit dans la loi, dans les faits c’est plutôt un privilège », affirme Fanny Salane, docteur en sciences de l’éducation et auteure de l’ouvrage Être étudiant en prison : l’évasion par le haut (lire l’entretien). Patrick Marest 1. Convention relative à l’enseignement en milieu pénitentiaire, ministères de la Justice et de l’Éducation nationale, 29 mars 2002 2. Recommandation n°R (89) du comité des ministres aux états membres sur l’éducation en prison 3. Fanny Salane, Être étudiant en prison : l’évasion par le haut, La documentation Française, 2010. 4. À l’exception d’une expérimentation réalisée dans sept établissements pénitentiaires à destination d’une poignée de personnes détenues.

L’unique filière d’enseignement supérieur intramuros est en danger Les détenus de la maison d’arrêt de Fresnes engagés dans un cursus universitaire d’histoire ne bénéficient plus de certains cours depuis un an. « Faute de moyens suffisants, nous ne pouvons plus dispenser autant d’heures de cours », explique Crystel Pinçonnat (voir son entretien), directrice pédagogique de la section des étudiants empêches (SEE) de l’université Paris VII et professeur de littérature comparée, qui intervient à ce titre dans les maisons d’arrêt de Paris-la Santé et de Poissy. En cause, le fait que depuis sa création il y a 35 ans, la SEE est une structure financée à la marge par son ministère de tutelle, celui de l’Education nationale. En effet, dotée d’un budget annuel de 50 000 euros, elle ne fonctionnait en grande partie depuis le milieu des années 1990 que grâce aux subsides d’un autre ministère – celui du Travail – par le biais de la direction régionale du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle (DRTEFP) d’Île-de-France. Coup de théâtre le 22 décembre 2008, quand la SEE reçoit un courrier de cette dernière qui l’informe de la suppression de la précieuse subvention. Dans un courrier du 9 février 2009, la DRTEFP précise sa décision avec concision et pragmatisme. Son directeur explique ainsi que le ministère du travail souhaite se « recentrer sur les publics de bas niveau et sur les actions professionalisantes préparant aux métiers de niveau IV et V », en clair ceux accessibles avec un CAP, un CEP ou le Bac. Aussi, sans remettre en question la « qualité du partenariat engagé depuis de nombreuses années », est-il demandé à l’université Paris VII de bien vouloir comprendre que « dans le contexte économique Dedans Dehors N°72-73 Décembre 2010

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actuel, nos priorités sont orientés vers l’accès à la demande d’emploi ». Du coup, les cours de licence d’histoire à Fresnes, filière qui mobilisait « quatre à cinq enseignants sur l’année », ont été supprimes. Seules les filières lettre modernes, ou celles visant le diplôme d’accès à l’enseignement universitaire (DAEU) et sa préparation : le pré DAEU, ont pu être maintenues. À l’exception toutefois du cursus préparant au DAEU au sein de la maison d’arrêt des femmes de Fresnes, car il regroupait un trop petit nombre de détenues. Seule faculté de France à proposer un enseignement supérieur au sein même des établissements pénitentiaires (quatre au total en région francilienne), la SEE était constituée depuis toujours autour de professeurs statutaires de Paris VII, mais aussi de chargés de cours qu’elle est désormais dans l’incapacité de rémunérer. Auréolée d’un certain prestige aux yeux de la petite centaine d’étudiants inscrits chaque année, cette filière unique en son genre pourra-t-elle, à terme, maintenir son activité ? « Nous avons fait une demande de subvention au conseil régional d’Ile-de-France avant l’été, nous attendons sa réponse, explique Crystel Pinçonnat, la demande porte notamment sur la possibilité d’offrir des bourses spécifiques aux détenus-étudiants ». La requête a tout son sens. Outre qu’il est particulièrement abusif de continuer de priver les détenus d’un accès aux bourses dédiées aux étudiants sous prétexte qu’ils sont « nourris et logés », il est plus que temps que le ministère de l’Éducation nationale soit placé face à ses responsabilités. Patrick Marest


ACTU

Maitre de conférence à l’Université Paris Ouest-Nanterre, Fanny Salane, auteur de l’ouvrage Etre étudiant en prison. L’évasion par le haut, tiré de sa thèse de Doctorat en sciences de l’éducation (Université Paris Descartes), décrit le parcours du combattant des étudiants © Olivier Touron

emprisonnés. Un statut difficile à endosser derrière les murs.

«L’éducation est affirmée comme un droit dans la loi, dans les faits c’est plutôt un privilège» Quelles contraintes les « détenus-étudiants » rencontrentils dans leur parcours universitaire ? La promiscuité, inhérente à la vie carcérale, perturbe les études. Un détenu peut avoir du mal à se concentrer lorsqu’il partage sa cellule, mais pas seulement. La promiscuité, c’est aussi le sentiment de vivre avec les autres même lorsqu’on est seul en cellule. Cela se manifeste notamment par le bruit et par le manque d’espace pour travailler, mettre ses affaires, rédiger… Par ailleurs, le temps carcéral est très haché, il y a des interruptions permanentes : activités, travail, parloirs, surveillants qui rentrent en cellule, etc. C’est très compliqué de s’isoler. Les « détenus-étudiants » sont aussi coupés de la vie universitaire : ils suivent leurs études par correspondance et ont très peu de contacts avec les enseignants. Or, l’enseignement à distance est de plus en plus dématérialisé, le dialogue avec les professeurs passe essentiellement par internet, qui est interdit en prison. Cette interdiction les empêche aussi d’avoir accès à certains cours, exclusivement téléchargeables sur

internet. Ils sont alors tributaires du responsable local d’enseignement ou de leurs familles pour récupérer certains documents. Les étudiants-détenus apparaissent à la fois isolés et dépendants… Faire des études, c’est trouver ou retrouver une autonomie par la pensée. Or, dans le contexte carcéral, la dépendance à des tiers ressort beaucoup. Une dépendance qui permet des moyens de pression et la possibilité de faire passer des choses comme des privilèges et les retirer en fonction de tels ou tels comportements. Ainsi, le règlement et les obstacles pour faire rentrer des livres varient fortement d’un établissement à l’autre : dans certains, l’entrée de livres nécessite des autorisations multiples et pour d’autres cela se fait relativement facilement. Ceux qui ont un solide soutien à l’extérieur seront un peu moins dépendants de l’administration pénitentiaire car ils seront alors dépendants de leurs proches. Cependant, une autorisation ne garanti pas une Dedans Dehors N°72-73 Décembre 2010

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© Claudine Doury

Ne pas jouer le jeu du « bon détenu » peut donner lieu à des sanctions informelles qui affectent leur bon déroulement des études. entrée facilitée et automatique des livres. Les détenus se trouvent toujours à la merci d’un refus Le droit à l’éducation, formulé expressément dans la convention du 29 mars 2002 relative à l’enseignement en milieu pénitentiaire, s’applique-t-il ? L’éducation est affirmée comme un droit dans la loi, dans les faits c’est plutôt un privilège. Ne pas jouer le jeu du « bon détenu » peut donner lieu à des représailles, à des sanctions informelles qui affectent leur bon déroulement des études. Ainsi, il arrive que les « détenus-étudiants » subissent de petites humiliations au quotidien qu’ils analysent comme des signaux pour leur rappeler le contexte dans lequel ils évoluent et leur situa-

tion d’infériorité. Empêchement de se rendre au centre scolaire, « oublis » lors d’un examen, etc. C’est à travers un ensemble de vexations, de contraintes, de décisions appliquées arbitrairement et unilatéralement qu’une forme de violence indirecte s’exerce en milieu carcéral lors du déroulement des études. Ces brimades sont une manière aussi de rappeler au détenu-édudiant la chaine de dépendance. Si ces agissements existent, j’ai aussi rencontré beaucoup de surveillants admiratifs par rapport aux « détenusétudiants ». Ces derniers rapportent d’ailleurs parfois que la qualité des échanges et le regard porté sur eux est valorisé grâce à leur « statut » d’étudiant. Propos recueillis par GR

Des études à la peine Nul n’illustre mieux ce décalage entre le principe et la réalité que le parcours imposé à Monsieur V, 50 ans, actuellement détenu au centre de détention de Bapaume (lire article). Incarcéré en 2001 avec son BEPC pour tout bagage scolaire, Monsieur V, 50 ans, est actuellement titulaire d’une licence d’histoire. Il se bat désormais du fond de sa cellule du centre de détention de Bapaume pour mener à terme son master et élargir ses compétences, en tentant de perfectionner son anglais. Retour sur son parcours du combattant. Des son entrée en prison, Monsieur V. a repris, virtuellement et sans internet, le chemin du lycée puis de la faculté. Après l’obtention de son baccalauréat, il s’inscrit en histoire et décroche son premier diplôme d’étude supérieure. Décidé à poursuivre son cursus, il s’inscrit en licence en 2007, année de son transfèrement de la maison d’arrêt de Douai à celle de Lille-Séquedin. À son arrivée dans le nouvel établissement, il réclame des ouvrages nécessaires à la préparation de ses examens. Malgré des demandes répétées, certains livres ne lui ont été restitués que trois jours avant le début des épreuves. Nouvelle mésaventure en juin 2010, lors de la session des examens. Après avoir à nouveau couru en vain derrière des livres et du matériel pour préparer son master d’histoire, Monsieur V, désormais détenu à Bapaume, décide de se lancer dans une licence d’anglais. Autre cursus, nouvelles embûches. Inscrit en première année (L1), il a attendu fort longtemps pour passer ses examens. Alors que la première session était prévue entre le 12 avril et le 7 mai 2010, le responsable local d’enDedans Dehors N°72-73 Décembre 2010

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seignement n’a pas engagé de démarches avec le service de la scolarité de l’université avant le 18 mai. Contactée par l’OIP, la faculté de Rennes 2 déclare ne pas avoir pu organiser pour lui de session de rattrapage en raison du « retard avec lequel le service scolaire de la prison a pris contact avec l’Université pour la mise en place des examens ». Au final, Monsieur V n’a pu valider que son premier semestre hormis certaines options pour lesquelles il a été notifié absent. Et pour cause : les épreuves d’option n’ont pas été envoyées au centre de détention car « le service scolaire de la prison n’a jamais sollicité les départements et unités de recherche concernés », précise l’université bretonne. Alors que le « succès à un examen scolaire ou universitaire » et des « progrès réels dans le cadre d’un enseignement ou d’une formation » (Article 721-1 du code de procédure pénale : « Une réduction supplémentaire de la peine peut être accordée aux condamnés qui manifestent des efforts sérieux de réadaptation sociale, notamment en passant avec succès un examen scolaire, universitaire ou professionnel traduisant l’acquisition de connaissances nouvelles, en justifiant de progrès réels dans le cadre d’un enseignement ou d’une formation ») sont (notamment) requis comme gages d’une volonté manifeste de réinsertion sociale de la part de tout détenu, les aventures de Monsieur V témoignent d’une certaine forme d’injonction paradoxale en milieu pénitentiaire. Patrick Marest


en droit Référé-liberté pour les détenus placés au «mitard» :

une loi pour rien ?

L

Faute de présomption d’urgence, la reconnaissance, dans la loi pénitentiaire, de la possibilité pour les détenus placés au quartier disciplinaire d’exercer une procédure de référé-liberté contre la décision prise à leur encontre reste sans impact. Le Conseil d’État n’a pas saisi cette consécration comme une invitation à rendre effectif le droit à un contrôle de légalité à brefs délais.

’article 726 du Code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, prévoit en son dernier alinéa que « lorsqu’une personne détenue est placée en quartier disciplinaire, ou en confinement, elle peut saisir le juge des référés en application de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative ». C’est-à-dire suivant la procédure de « référé-liberté » qui permet d’obtenir, en cas d’urgence, une mesure de suspension de l’exécution de la décision, dans un délai très bref (quarante-huit heures), dès lors que le juge estime qu’elle porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Mais que recouvre « l’urgence » dans le cadre de ces sanctions disciplinaires ? Lors de l’introduction de cette disposition par voie d’amendement au cours de l’examen du projet de loi au Sénat, une présomption d’urgence avait été aménagée : les parlementaires estimaient que le placement en cellule disciplinaire ou de confinement constitue « une situation d’urgence susceptible de porter une atteinte grave à ses droits fondamentaux ». Pour les sénateurs du groupe socialiste, auteurs de cet amendement voté avec le soutien de la commission des Lois, l’urgence doit être considérée comme « satisfaite de droit 1 » pour permettre un recours effectif dans de brefs délais. Pendant les débats, le sénateur socialiste Alain Anziani avait même enfoncé le clou : « La procédure ne ser-

vira à rien » à défaut d’une présomption d’urgence clairement reconnue et établie, car, si « pour nous, elle est évidente », les « tribunaux se demandent souvent si la condition d’urgence est remplie ». Cependant, la présomption d’urgence a été retirée lors de la poursuite des travaux parlementaires à l’Assemblée nationale. Le rapporteur du projet de loi a jugé que cet « ajout » n’était « pas opportun 2 ». Et les membres de la commission des Lois du Palais Bourbon l’ont majoritairement suivi, avec l’aval du gouvernement. En conséquence, la loi s’est contentée de formaliser une voie de recours d’ores et déjà ouverte, depuis 2000, aux personnes faisant l’objet d’une sanction disciplinaire. Dont l’application s’est révélée jusque-là apporter nulle protection pour les détenus, aucune procédure de référé-liberté n’ayant été accueillie favorablement par les juges en matière disciplinaire, avant l’adoption de la loi. Dans ces conditions, on pouvait espérer que les juridictions administratives répondraient à l’invitation du législateur qui, par la voix du rapporteur du projet de loi devant l’Assemblée, rappelait que « c’est au juge des référés – que le détenu peut d’ores et déjà saisir – d’apprécier l’urgence de la situation qui lui est soumise ». Et rendent effectives les possibilités de recours à brefs délais, c’est-à-dire avant que la décision litigieuse ne soit d’ores et déjà exécutée. Las, c’était sans compter avec le Conseil d’État, Dedans Dehors N°72-73 Décembre 2010

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Une autre voie possible : le référé-suspension

cette méconnaissance porte par elle-même une atteinte grave et immédiate à l’intérêt public qui s’attache au respect de la loi par les autorités publiques ». La condition d’urgence étant remplie, le juge a accueilli les demandes des deux requérants. Pour autant, une telle décision, qui figure, sinon la seule, une des très rares décisions de référé-suspension obtenues par des détenus placés en cellule disciplinaire, ne peut cacher que les juges continuent de rappeler de façon constante que « la modification temporaire du régime de détention qui résulte pour l’intéressé de son placement en cellule disciplinaire, définie par l’article D. 251-3 du Code de procédure pénale, ne peut, en l’absence de circonstances particulières, être regardée par elle-même comme constitutive d’une situation d’urgence ». Et qu’il reste par conséquent très difficile pour le prisonnier de démontrer en quoi son placement en cellule disciplinaire emporte un préjudice « grave et immédiat », selon la formule jurisprudentielle consacrée, qui, seul, justifie l’intervention du juge de l’urgence.

en droit

Malgré la désignation, par le législateur, de la procédure du référé-liberté comme voie royale pour contester en urgence les mesures de placement en cellule disciplinaire ou en confinement, une autre procédure, celle du référé-suspension, prévue par l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, est également accessible aux détenus punis. Et, étant moins contraignante (le juge n’est pas tenu à un délai de 48 heures pour statuer), elle est susceptible d’être plus souvent couronnée de succès. En effet, l’urgence est couramment appréciée par le juge de façon plus souple en référé-suspension qu’en référé-liberté. Ainsi, par deux ordonnances (TA Lille, ord. réf., 13 juillet 2010, n° 1004031 et 1004042, devenues définitives) du 13 juillet 2010, le tribunal administratif de Lille a estimé que, « en infligeant une sanction de placement en cellule disciplinaire d’une durée de quarante-cinq jours, supérieure à la durée maximum fixée, comme il a été dit, par le législateur, la commission de discipline de la maison d’arrêt de Lille Sequedin a, par la décision attaquée, méconnu la loi ; que

LP

dont une décision récente assombrit cette perspective. Par un arrêt du 22 avril 2010, la haute juridiction a annulé une décision rendue quelques jours plus tôt par le tribunal administratif de Lyon. Saisi d’une requête en référé-liberté contre une sanction de 30 jours de placement au quartier disciplinaire exécutée dans la foulée d’une précédente, ce dernier avait estimé que « la gravité de la sanction prononcée à l’encontre » du requérant « et les effets qu’elle peut provoquer sur l’état physique et psychique d’un détenu qui se trouve désormais en cellule disciplinaire depuis près de deux mois sont de nature à caractériser suffisamment une situation d’urgence au sens des dispositions de l’article L.521-2 3 ». L’intéressé avait fait l’objet de sanctions pour refus « de se soumettre à une mesure de sécurité définie par les règlements et instructions de service » car il s’était opposé à plusieurs reprises, de manière totalement pacifique, à ce qu’une seconde personne soit placée dans la cellule, prévue pour une seule personne, qu’il occupait. Statuant en appel, le Conseil d’État a écarté l’analyse du tribunal et reproché au

Comment démontrer en urgence les conséquences psychiques, par essence impalpables ? 42

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en droit requérant de n’avoir invoqué « aucune circonstance propre à sa situation physique ou psychique de nature à caractériser une situation d’urgence », bien que celui-ci ait « fait état, de manière générale, du climat anxiogène du quartier disciplinaire et de la violence psychologique résultant d’un placement prolongé sous ce régime ». En conséquence, la plus haute juridiction administrative s’est refusée à examiner si la décision de l’administration pénitentiaire était, en l’espèce, attentatoire de manière grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Une avancée « virtuelle » Cette décision, « contraire à l’esprit de la loi pénitentiaire », vient « rappeler combien l’avancée inscrite dans la loi » invitant les détenus à « saisir le juge des référés » est « virtuelle » si elle est remise « en question par la plus haute des juridictions », a souligné le député socialiste Jean-Jacques Urvoas dans un communiqué du 26 avril 2010. Un avis partagé par divers commentateurs spécialisés. « Comme trop souvent en matière pénitentiaire, il vient d’être décidé que faute d’apporter des éléments concrets et précis (tentative de suicide par exemple), l’isolement [disciplinaire] ne pouvait être considéré comme constituant une situation d’urgence 4 », a-t-il été notamment déploré. Car, concrètement, la formule du Conseil d’État conduit à une appréciation de l’urgence cantonnée à l’existence d’un dommage avéré chez le requérant, relatif à sa situation psychique ou physique. En d’autres termes, si le détenu n’a pas déjà commis d’actes auto-agressifs ou suicidaires, il ne semble pas pouvoir exister, pour le juge, d’urgence à statuer en référé-liberté. Il est à ce titre remarquable que la seule procédure de ce type rendue en matière disciplinaire et couronnée de succès, depuis l’adoption

de la loi pénitentiaire, ait concerné un détenu qui avait déjà réalisé une tentative de suicide grave et qui avait été par la suite maintenu au « mitard 5 ». Le juge se maintient donc hors la possibilité d’exercer un contrôle préventif des conséquences des mesures disciplinaires qui lui sont soumises. Il exige en outre une preuve que le prisonnier, du fond de sa cellule disciplinaire, ne pourra presque jamais rapporter. En effet, comment démontrer en urgence, hors expertise qui prendrait elle-même un temps considérable, quelles sont les conséquences psychiques, par essence impalpables, d’une mesure de placement en cellule disciplinaire, alors qu’au surplus, la plupart du temps, les personnels soignants en milieu pénitentiaire se refusent à prendre position ? Le 21 octobre dernier, « le détenu qui exigeait une cellule individuelle », comme l’a appelé Le Monde 6, a saisi la Cour européenne des droits de l’Homme d’une requête tendant à faire valoir que par la décision rendue par le Conseil d’État, il a été privé de voie de recours effective. Une fois encore, et malgré la loi pénitentiaire, il faudra attendre l’intervention des juges de Strasbourg pour faire entrer le droit dans la prison. Lionel Perrin 1. Jean-René Lecerf, vice-président de la commission des Lois au Sénat, séance législative du 6 mars 2009. 2. Jean-Paul Garraud, Rapport sur le projet de loi pénitentiaire au nom de la commission des Lois, Assemblée nationale, 8 septembre 2009. 3. TA Lyon, ord. réf., 7 avril 2010, n° 1002179. 4. E. Péchillon, « Lorsque la surpopulation conduit à des sanctions disciplinaires : l’impossible mise en œuvre de l’encellulement individuel en maison d’arrêt », Actualité Juridique Pénal, 2010, p. 299. 5. TA Grenoble, ord. réf., 16 décembre 2009, N° 0905563, devenue définitive. 6. Jolly, « Annice M., le détenu qui exigeait une cellule individuelle », Le Monde, 23 avril 2010.

Le juge de l’urgence doit aussi contrôler les avis médicaux « De nombreux médecins considèrent qu’ils ne peuvent apporter leur concours à la mise en œuvre de régimes de détention notoirement néfastes pour la santé de leurs patients » (CNCDH, Étude et recommandations sur « L’accès aux soins des personnes détenues », adoptés 19 janvier 2006), ainsi que le relève la Commission nationale consultative aux droits de l’Homme. D’où un certain malaise quand il est demandé aux soignants un avis sur la compatibilité de l’état d’une personne fragile psychologiquement avec son maintien en cellule de punition, comme le prévoient les textes (Art. D.251-4 du Code de procédure pénale). Ainsi, en décembre 2009, après la tentative de pendaison d’un détenu devant passer 45 jours en cellule disciplinaire au centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier, le médecin de prison estimait que l’intéressé est « suivi au quartier disciplinaire par le médecin généraliste

ainsi que par le médecin psychiatre. Par ailleurs, les infirmiers lui distribuent son traitement en mains propres de façon quotidienne, il ne présente aucune incompatibilité avec le quartier disciplinaire et n’a posé aucun problème de nature épileptique depuis son arrivée ». Violant au passage le secret médical, c’est ce qu’il indiquait à l’administration pénitentiaire, qui l’avait questionné en ce sens pour se défendre devant le tribunal administratif, saisi en référé-liberté par le détenu. Des constatations médicales jugées « peu circonstanciées » par le juge, qui a considéré que le maintien de cette personne au quartier disciplinaire malgré sa « fragilité psychologique » était constitutive d’« une atteinte grave et manifestement illégale » au droit « au respect de son intégrité physique et mentale » (TA Grenoble, ord. réf., 16 décembre 2009, n° 0905563, LP devenue définitive).

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Conditions de détention :

les condamnations de l’État se systématisent Les condamnations de l’État se multiplient. Statuant au fond ou en « référé-provision 1 », de toutes parts, les juridictions administratives mettent en lumière les fautes commises par l’administration pénitentiaire à raison de la violation de la dignité des personnes soumises à la surpopulation, à la promiscuité ou à des conditions d’hygiène insuffisantes en prison.

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en droit

otable décision, parmi les récentes condamnations de l’État, celle du tribunal administratif de Rouen. Celuici a alloué, le 11 juin 2010, des indemnités allant de 250 à 4 000 euros 2 à 38 personnes détenues ou anciennement détenues à la maison d’arrêt de la ville, en compensation de conditions de détention « n’assurant pas le respect de la dignité inhérente à la personne humaine ». Faute de « respect de l’intimité des détenus » et des « règles d’hygiène et de salubrité ». Les magistrats ont, en effet, relevé que les requérants avaient été maintenus « pour des durées variant de trois semaines à plus de quatre ans », avec « un ou deux autres codétenus », dans des « cellules d’une superficie de 10 à 13 m2 » qui « ne comportaient pas, pour la plupart », de « ventilation spécifique du cabinet d’aisance ni de cloisonnement véritable avec la pièce principale ». Cette décision s’inscrit dans la droite ligne dune jurisprudence initiée en mars 2008 par ce même tribunal. Suivant laquelle l’administration pénitentiaire est tenue, en toute circonstance, d’assurer « le respect de conditions satisfaisantes d’hygiène et de salubrité ». Mais aussi de garantir « le respect de la dignité inhérente à la personne humaine » 3. Nombreux tribunaux et cours administratives d’appel se sont, depuis, placés dans ce sillage jurisprudentiel. Ainsi à Lyon, la cour administrative d’appel a annulé, en avril 2010, les ordonnances du tribunal administratif de Clermont-Ferrand qui avaient rejeté, en décembre 2009, les requêtes en responsabilité pour conditions d’hébergement indignes de trois personnes détenues dans la maison d’arrêt. Après avoir relevé l’absence de cloisonnement véritable et de ventilation des toilettes situées à proximité du lieu de prise des repas ; « l’insalubrité » des locaux, « aggravée par la promiscuité résultant de leur sur-occupation » ; l’impossibilité « de se mouvoir normalement » en raison de « l’exiguïté » ou de « la suroccupation » des cellules ; et l’insuffisance du « renouvellement » de « l’air ambiant » dû à la petitesse des fenêtres, la Cour a conclu que la responsabilité de l’État, « dont les services de l’administration pénitentiaire doivent assurer le respect des normes d’hygiène et de dignité prescrites en milieu carcéral » 4, était engagée. Dedans Dehors N°72-73 Décembre 2010

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Le « maintien de l’ordre et de la discipline » : un frein au contrôle de l’État Cependant, l’impact concret de ces décisions reste relatif. Elles obligent l’État à indemniser les détenus en raison des conditions de détention qu’ils ont subies, mais ne contraignent pas directement l’administration pénitentiaire à respecter les normes en vigueur. Or, le juge administratif, en charge du contrôle de l’action de l’administration, semble plus prudent quand il lui est demandé d’enjoindre l’administration à ne plus imposer de telles conditions de détention aux personnes incarcérées. Ainsi, saisi par l’OIP, le tribunal administratif de Versailles a estimé, dans un jugement du 8 juillet 2010, que l’état des quartiers disciplinaires de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, dont l’association demandait la fermeture au vu de leur état d’insalubrité notoire, contrevenait aux règles d’hygiène applicables et au principe de respect de la dignité humaine. Mais, pour le juge, « la méconnaissance de ces dispositions » n’était pas « telle qu’elle entacherait d’illégalité la décision attaquée » du directeur de l’établissement, qui avait refusé de fermer les quartiers en cause suite à la demande de l’OIP. En somme, les règles d’hygiène et le principe de la dignité seraient, pour le juge, négociables au regard de la nécessité du « maintien de l’ordre et de la discipline au sein des établissements pénitentiaires ». Une position qui ne manque pas d’inquiéter tant on connaît la propension de l’administration pénitentiaire à justifier toutes ses pratiques au nom du maintien de l’ordre. L’association a fait appel de la décision du tribunal. Lionel Perrin

1. 2. 3. 4.

Code de justice administrative, article R. 541-1. Les indemnités varient suivant le temps passé en détention. TA Rouen, 27 mars 2008, n° 0602590, devenue définitive. CAA Lyon, ord. réf., 8 avr. 2010, n° 09LY02916, 09LY02917 et 09LY02918.


ACTU internationale

Le 4 août dernier, un tribunal fédéral a ordonné à la Californie de réduire sa population carcérale 1, affirmant que la surpopulation sans précédent y était la cause première des traitements inhumains infligés aux détenus dans le cadre de leur prise en charge médicale et psychiatrique. Elle a affirmé que la surpopulation elle-même est devenue « criminogène », au détriment de la sécurité publique, et que, dans ces conditions, le système carcéral ne bénéficie plus « ni au public, ni aux détenus ».

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De la surpopulation carcérale en Californie L

es juges ont donné deux ans à l’État californien pour réduire la densité carcérale de près de 200 % à 137,5 %, soit une réduction de près d’un tiers de ses détenus : « Les détenus de Californie, actuels et futurs (et la population générale de l’État), ne peuvent plus attendre. » Avec 36 millions d’habitants, la Californie est l’État le plus peuplé des États-Unis. Ses 33 prisons le sont aussi : 156 352 personnes y étaient incarcérées en août 2008. Sans compter les 8 000 personnes incarcérées dans d’autres États, ni la dizaine de milliers qui purgent leur peine dans des « camps » dits de réhabilitation ou de programmes « communautaires ». Autrement dit, un taux d’incarcération record. Depuis les années 1970, la population carcérale a augmenté de 750 %. Dans sa décision, la Cour énumère les causes de la surpopulation, avant d’en examiner les effets. Elle pointe à la fois une politique pénale répressive infla-

tionniste et l’absence de préparation à la sortie des personnes détenues. En Californie, 90 % des personnes détenues sortent en libération conditionnelle, et plus de la moitié retournent en prison dans les deux ans. Simplement pour n’avoir pas respecté les conditions de leur libération anticipée. Ainsi, la moitié des détenus libérés n’ont participé à aucun programme (réinsertion, formation, travail…) durant toute leur détention 2. En 2005, plus de 66 % des détenus libérés y retournaient dans les trois ans 3.

Depuis les années 1970, la population carcérale a augmenté de 750 % En octobre 2006, le gouverneur Arnold Schwarzenegger a déclaré l’état d’urgence dans les prisons, constatant l’existence d’une « crise de la surpopulation » qui « s’aggrave chaque jour » et Dedans Dehors N°72-73 Décembre 2010

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© P. Brault/Upian

crée un « péril extrême » pour la sécurité et la santé des détenus comme du personnel pénitentiaire 4. Pourtant, malgré de nombreux rapports et des procédures judiciaires, rien n’y a fait : « L’État a été incapable ou n’a pas voulu mettre en œuvre les réformes nécessaires pour éviter la détérioration » du système carcéral, assène la Cour. « Les violences entre détenus sont presque impossibles à prévenir », l’installation de lits de fortune – lits superposés – et la transformation de gymnases en dortoir sont généralisées, « les maladies infectieuses se répandent plus facilement », les détenus n’ont pas accès à un niveau minimal de soins, ce qui aggrave leur état de santé et accroît le risque suicidaire, aucun espace n’est accordé à la mise en œuvre des programmes d’éducation, formation, ou autre. « En bref, les prisons de Californie sont pleines à craquer et impossible à gérer », résume la Cour. Rendant nécessaire, selon elle, la « mesure de dernier recours » que constitue une injonction de réduire la population carcérale, qui certes « n’est pas en soi une panacée », mais bien un « préalable » indispensable à toute réforme carcérale. À la source de cette décision, deux class actions (actions judiciaires collectives 4) : les affaires Coleman et Plata ont été engagées distinctement par deux groupes de détenus, la première en 1990 et la seconde en 2001, et reposent tous deux sur le niveau « constitutionnellement inadéquat » de prise en charge médicale (psychiatrique pour l’une, somatique pour l’autre), pointant ses conséquences « graves, et souvent fatales » selon la Cour. L’affaire Coleman, pour laquelle une requête a été initialement déposée en 1990, regroupe les détenus californiens souffrant de graves maladies psychiatriques. Après cinq ans de contentieux, un tribunal a établi que l’État de Californie violait le huitième amendement de la Constitution (qui prohibe les « peines cruelles et inhabituelles ») en ne leur fournissant pas un accès adéquat aux soins psychiatriques, notant l’absence de système de dépistage efficace et de programme de prévention du suicide, les délais importants pour obtenir une prise en charge, le niveau insuffisant de cette prise en charge, et le manque important de personnel compétent, et, plus généralement, des conditions de vie qui ne peuvent qu’aggraver les troubles psychiatriques. La requête dans l’affaire Plata a été déposée en 2001, au nom de l’ensemble des détenus californiens, par dix détenus ayant subi un grave préjudice à cause de l’indifférence délibérée quant à leurs soins médicaux. Dedans Dehors N°72-73 Décembre 2010

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En 2005, un tribunal avait noté que le système de prise en charge médicale dans les prisons de l’État était dans un état « irréparable » : « Le mal déjà fait ne pourrait être plus grave » et « le risque de blessures et décès futurs est presque garanti en l’absence d’action drastique ». Constatant, notamment, des délais dans l’accès aux soins, même en cas d’urgence, des insuffisances dans les soins spécialisés, une prise en charge qualitativement et quantitativement insuffisante, ne garantissant par la confidentialité, l’absence de protocole pour le suivi de malades chroniques (diabètes, VIH, hépatites, etc.) et un manque important de personnel compétent. En 2006, suite à la proclamation de l’état d’urgence, les plaignants de Plata et de Coleman ont tous deux déposé des requêtes afin qu’une formation exceptionnelle de trois juges fédéraux statue sur une injonction de réduction de la population carcérale, mesure exceptionnelle que prévoit une loi fédérale de 1996 et qui ne peut être prononcée que par une telle juridiction 6. Fin juin 2007, les tribunaux statuant sur les deux affaires se sont joints pour examiner la requête des demandeurs, laquelle a été accordée en juillet. Un procès commun a eu lieu en décembre 2008 devant la Cour de trois juges.

« La surpopulation carcérale peut constituer en elle-même un traitement inhumain et dégradant » La Cour a conclu qu’à ce stade critique aucune mesure autre qu’une injonction de réduction de la population carcérale n’était à même de remédier aux traitements cruels infligés aux détenus en l’absence de prise en charge médicale et psychiatrique adéquate, menaçant « chaque jour la vie et la santé des détenus de Californie ». Et que l’État pouvait s’exécuter sans porter atteinte à la sécurité publique et au fonctionnement de son système de justice pénale. Car réduire substantiellement la population carcérale n’implique pas « d’ouvrir la porte des prisons », précise la Cour. Cherchant à traiter les causes structurelles de la surpopulation, elle évoque en particulier la possibilité pour l’État de développer le système de crédits de réduction de peine, dans le cadre de programmes de réinsertion, et l’usage de peines alternatives pour les condamnés à de très courtes peines et les personnes

« A ce stade critique aucune mesure autre qu’une injonction de réduction de la population carcérale n’était à même de remédier aux traitements cruels infligés aux détenus »


ACTU internationale

La Cour s’est attardée sur le fait « très anormal » que la Californie renvoie en prison un nombre considérable de personnes en libération conditionnelle.

détenues libérées n’ayant pas respecté les mesures de contrôle qui leur étaient imposées à la sortie. Prenant en compte le contexte de crise budgétaire sans précédent dans laquelle est actuellement plongé l’État de Californie, la Cour exclut tout nouveau programme de construction et précise que « la réduction de la population carcérale engendrera des économies ». À la demande des requérants, et sur la base de nombreuses études comparatives et auditions, la Cour a notamment considéré que la facilitation de libérations anticipées par le développement du système de crédits de réduction de peine, accompagné de programmes de réinsertion, permettrait de réduire la durée des peines de quelques mois sans « avoir d’effet adverses sur les taux de récidive ou sur la valeur dissuasive de l’emprisonnement ». Au contraire : les programmes de réinsertion permettent aux détenus d’obtenir des diplômes scolaires ou universitaires, d’accomplir une formation professionnelle ou encore de suivre des cures de désintoxication en échange d’une réduction de peine. Ils leur donnent les outils nécessaires pour une réinsertion réussie, ce qui « bénéficie à la sécurité publique ». En outre, la Cour s’est attardé sur le fait « très anormal » que la Californie renvoie en prison un nombre considérable de personnes en libération conditionnelle, un quart d’entre elles ayant simplement manqué à leurs obligations posées par les mesures de contrôle 7. Ce qui « met en danger la sécurité publique et engorge le système de justice pénale ». Ces obligations sont généralement des rendez-vous périodiques avec un superviseur de probation, un couvre-feu à respecter ou des conditions de réinsertion (trouver un travail, un logement, etc.). Lorsqu’un détenu manque un rendez-vous, le cercle vicieux est inexorable : sa libération conditionnelle est révoquée, il est réincarcéré dans une prison surpeuplée dans laquelle il ne peut pas préparer sa sortie et sa réinsertion, et ainsi de suite. La Cour a constaté que cette pratique est encore plus grave pour les détenus présentant des troubles psychiatriques. Et considère que le développement de programmes de réinsertion, tant en prison qu’à l’extérieur, pour les détenus en liberté conditionnelle permettrait de réduire la population carcérale, préparer les détenus à leur réintégration dans la société, et protéger cette dernière.

L’État a fait appel auprès de la Cour suprême La Cour a demandé à l’État de proposer un plan de réduction dans les 45 jours. Ce fut chose faite mais, dans une nouvelle décision du 21 octobre, la Cour a rejeté le plan qui lui était soumis. Le 12 novembre 2009, le gouverneur Schwarzenegger a présenté un nouveau plan pour la mise en œuvre de l’injonction de réduction, tout en soulignant qu’il ne pourrait l’appliquer intégralement en l’absence de réforme législative. Entre autres mesures, celui-ci prévoit des changements dans l’exécution des peines, notamment dans l’obtention de crédits de réduction de peine, envisage des alternatives à la réincarcération suite à la révocation d’une libération conditionnelle, et entend étendre le programme de délocalisation des personnes détenues en supprimant ce que l’État considère comme des entraves à sa mise en œuvre, à savoir le consentement de la personne et l’aide d’un avocat… Les trois juges, ayant considéré le plan de nouveau insatisfaisant, ont ordonné le plafonnement de la population carcérale. L’État a fait appel auprès de la Cour suprême. En juin 2010, celle-ci a décidé de reporter la question de juridiction afin d’entendre les arguments de fond. Elle devait entendre les arguments oraux sur ce plafonnement le 30 novembre 2010. Une décision pourrait être rendue début 2011. Si la jurisprudence fédérale américaine reconnaît depuis longtemps que de telles injonctions peuvent être nécessaires afin de garantir des droits constitutionnellement protégés dans les prisons 8, c’est la première fois aux États-Unis qu’une juridiction admet que la surpopulation carcérale est la cause première de la violation d’un droit constitutionnel. En d’autres termes, que la surpopulation carcérale peut constituer en elle-même un traitement inhumain et dégradant. Selon David Fathi, directeur de programme chez Human Rights Watch, « cette affaire aura un effet sur les autres États. Ils devront faire face à l’idée que s’ils n’adressent pas les problèmes de leurs prisons, les tribunaux interviendront ». Beatrix J.S. Allan et Stéphanie Djian

1. Ralph Coleman, et al. v. Arnold Schwarzenegger, et al., and Marciano Plata et al., v. Arnold Schwarzenegger, et al, Three judge Court Opinion and Order, 4 août 2009. Les extraits de cette décision cités tout au long de cet article ont été traduits librement par les auteurs. 2. CDCR « Meeting the Challenges of Rehabilitation in California’s Prison and Parole System : A Report from Governor Schwarzenegger’s Rehabilitation Strike Team » de décembre 2007. 3. Bennet Report d’août 2008 et Austin Report de novembre 2007, cités par la Cour dans sa décision du 4 août. 4. CDCR 4 octobre 2006, Surpopulation carcérale — Proclamation de l’état d’urgence par le gouverneur de Californie. 5. Une class action est une action en justice qui permet à un groupe de personnes (physiques ou morales) de faire reconnaître leurs droits et/ou d’obtenir réparation pour le préjudice commun qu’ils ont subi. La requête est déposée par un ou plusieurs plaignants nommés au nom d’un groupe défini. 6. La loi fédérale nommée « Prison Litigation Reform Act 1996 » prévoit qu’un « Prisoner Release Order » (injonction de libérer des détenus) puisse être délivré seulement par une cour à trois juges. Cf. 18 U.S.C. § 3626 (a) (3) (B). 7. Thomas Hoffman, directeur des opérations d’aménagements de peines pour adultes du California Department of Corrections and Rehabilitation (CDCR). th 8. Duran v. Elrod, 713 F.2d 292 (7 Cir. 1983), Newman v. Alabama, 683 F.2d 1312 (11th Cir. 1982) ou encore Rutherford v. Pitchess, No. CV 75-4111 (C.D. Cal.).

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en actes L’indicible en images 2010 est une année riche dans le domaine de la photographie carcérale. Après l’initiative du musée Carnavalet autour des prisons parisiennes, les rencontres d’Arles ont pris le relais, exposant des prises de vue réalisées lors des visites du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Une invitation à dépasser « le mur des idées reçues ».

J

ean-Marie Delarue est lucide. Pour mener à bien sa mission – « rendre compte de la prison, telle qu’elle est, afin de veiller à la sauvegarde des droits fondamentaux des personnes captives » –, il dispose de peu d’armes, et sait mieux que quiconque devoir compter sur sa « force de persuasion ». S’il ne méconnaît ni l’impact de ses écrits, ni l’influence de ses prises de parole, il est condamné à faire feu de tous bois. Raison pour laquelle il a demandé à ses contrôleurs, pendant chaque visite, d’« éclairer leur constat » par des photographies. François Hébel, le commissaire des rencontres d’Arles, a eu accès à l’ensemble de ce corpus inédit et prolixe d’images. En découlent une certitude – « l’univers carcéral français est une insulte à la condition humaine » – et une nécessité : il faut les donner à voir et permettre à chacun d’aller « derrière le mur des idées reçues ». L’exposition qu’il a conçue et organisée passée, reste un ouvrage, Promenade en prison, qui associe comme elle une sélection de photographies à des extraits choisis des rapports du Contrôleur. Un choix délibéré. Car « sans doute ces images ne disent-elles pas tout. Ni l’angoisse et la solitude, ni le silence ou les cris, ni l’appréhension, ni l’incapacité de se définir ou de se dire… », écrit Jean-Marie Delarue dans sa présentation. Et si elles sont assorties « de quelques commentaires pour mieux témoigner du contexte », poursuit-il, « au moins donnent-elles à voir ce qui en constitue l’origine et la trame ». La présence de texte est apparue indispensable à François Hébel, qui pointe « les limites de la photographie », qui « ne dit pas les nuances qui constituent l’échec de l’incarcération ». Et de fait, souligne-t-il, « une télévision, un atelier de travail, une bibliothèque sur une photo semblent offrir des possibilités aux prisonniers qui, en fait, n’existent pas pour la plupart d’entre eux et en tout cas pas sur une base régulière ». Le réalisme et l’acuité des photos réunies dans le recueil et le parti pris de montrer pour démontrer laissent entrevoir, sans guider, les réalités d’un quotidien en dehors du reste du monde. Ici les choses semblent d’un autre âge, les peintures défraîchies paraissent l’avoir toujours été, le temps est en retard. Toutes les valeurs qui règlent la vie quotidienne à l’extérieur semblent avoir Dedans Dehors N°72-73 Décembre 2010

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abandonné les lieux. Dans les établissements les plus anciens, le désordre, les vitres ternies, le mobilier rudimentaire, témoignent de la vétusté, de l’oubli des règles élémentaires d’hygiène et d’esthétique. À l’instar de ce plan resserré où l’on voit simultanément un évier encombré et des toilettes contigus, triste allégorie de l’hygiène carcérale. Au dessus de l’évier trône une serviette rose, paravent de fortune pour protéger un semblant d’intimité, là, juste à côté de levier et de la balayette. Au fil de l’exposition, le souci de la lumière est absent. Les cellules sont obscurcies par le maillage serré des caillebotis métalliques, le ciel des cours de promenades couvertes de grillage devient inatteignable. Dans les établissements nouveaux, lisses et rutilants à première vue, règne une froideur qui révèle les difficultés à entretenir un contact humain. L’obsession de la sécurité a pris le pas sur le reste. Les grilles, les détecteurs de métaux, les équipements de sécurité les plus modernes remplacent la surveillance active exercée par les surveillants. Mais l’œilleton n’a pas disparu, comme le dévoile une des photographies présentées. Où l’on découvre les portes de cellules fermées, sur un couloir désert, n’était la présence de deux gardiens, dos à dos, l’œil chacun rivé sur une cellule. Marie-Anne Duverne

Tous droits réservés « Rencontres d’Arles 2010 »

en actes

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L’État de droit en prison :

une promesse constamment tenue en échec

Grégory Salle, La part d’ombre de l’État de droit - La question carcérale en France et en République fédérale d’Allemagne depuis 1968, Éditions EHESS, septembre 2009

L

e « bon État de droit », qui serait « celui qui emprisonne le moins possible », est la référence ultime dès lors qu’est abordée la question pénitentiaire. Dans La part d’ombre de l’État de droit – La question carcérale en France et en République fédérale d’Allemagne depuis 1968, le sociologue Grégory Salle propose une analyse de cette notion juridique et de son articulation avec la problématique carcérale. Il en dessine les contours, analyse comment l’on glisse d’une définition à l’autre. Sa démarche, qu’il qualifie de « généalogique », part des années 1968, des deux côtés du Rhin. En France comme en RFA, la critique radicale exprimée à la veille des années 1970 a contraint la prison et l’État à se réajuster, imposant la figure de l’État de droit comme principal prisme d’appréhension de la question carcérale. En Allemagne, cela s’est traduit en 1976 par une loi pénitentiaire fixant la réinsertion comme mission première de la prison. Au début des années 1980, malgré la montée en puissance du concept de « sécurité intérieure » et l’arrivée au pouvoir, en 1982, des coalitions néo-conservatrices, l’effectif carcéral décroît, fruit des réformes pénales des années antérieures. En France au même moment, la population carcérale enfle de façon continue, y compris après 1981, au moment où l’effort de réalisation de l’État de droit inclut la volonté de mettre en retrait la prison comme outil punitif. Orchestré par Albin Chalandon, à partir de 1986, le programme de construction et de privatisation des prisons appelle « une conception restrictive Dedans Dehors N°72-73 Décembre 2010

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de l’État de droit », observe Gregory Salle. De nouvelles places de prisons qui permettent, de facto, d’éluder une réflexion sur l’intérêt des peines de prison pour la société. Vingt-cinq ans après, ni les rapports parlementaires de 2000, ni les exigences portées par les États généraux de la condition pénitentiaire en 2006 ne sont parvenus à stopper l’inflation carcérale. En présentant encore la construction de prisons de 800 places comme une solution infaillible à la surpopulation carcérale et aux maux de l’enfermement, l’État ne change pas de ligne et légitime, en signant des partenariats public-privé, la délégation aux entreprises privées, instaurée par le ministre de la Justice de la première cohabitation. Or, « si la gestion déléguée constitue, aux yeux de ses partisans, la seule voie réaliste permettant d’adhérer plus étroitement aux principes de l’État de droit, c’est en faisant l’économie d’une réflexion sur l’opportunité d’un recours accru à la prison, qu’un fatalisme d’État présente comme inéluctable », analyse Grégory Salle. Deux questions « au moins » sont laissées de côté depuis les années 1968, souligne l’auteur. Celle des relations entre la prison et le fonctionnement d’ensemble des rapports sociaux : qui est emprisonné et pourquoi ? Et celle de la prise de parole des détenus : seraient-ils dans l’incapacité de formuler un point de vue légitime sur leur condition ? En lieu et place d’un débat invitant à repenser la place de la prison dans la cité, le discours « expert » prolifère, au sein duquel « se greffe une floraison de discours gestionnaires, voire simplement comptables, sur les moyens d’assurer l’efficacité de la prison, à quoi s’ajoute une évocation de la réinsertion qui fait souvent figure de supplément d’âme sociologique, mais se garde bien de plonger dans la trame des rapports sociaux », analyse le sociologue. Dans son éclairage socio-historique, d’une déroutante actualité, Grégory Salle nous invite à dépasser une approche trop légaliste de la question pénitentiaire et à inscrire la critique de la prison dans celle de la société. Barbara Liaras


LETTRES OUVERTES

L’évacuation de la prison de Draguignan Le 16 juin 2010, en raison des inondations, les 436 détenus du centre pénitentiaire de Draguignan (Var) sont évacués et transférés vers d’autres établissements du sud de la France et du Sud-Ouest. Témoignage d’un d’entre eux. Tout a commencé le mardi 15 juin 2010. Il pleuvait depuis le matin. La veille aussi, il avait plu sur Draguignan, mais d’une pluie plus fine. Vers 21 heures, il pleuvait toujours. Pas d’eau à boire, et pas d’électricité, bien sûr. Les hélicos tournaient devant nous dans le noir, fouillant inlassablement avec leur phare la cime des arbres, les toits des entreprises de l’autre côté du mur. Nous voyions les treuillages, les sauvetages. Ce sont les images qui ont été relayées par toutes les chaînes de télévision. Et cela s’est passé sous nos yeux, à 150 mètres environ, de l’autre côté du mur. Compte tenu de la pluie qui ne cessait de tomber, et de l’obscurité de la nuit, nous ne pouvions plus savoir quel était le niveau de l’eau. La nuit est passée ainsi. Les hélicos ont cessés de tourner vers 1 h 30 et ont repris vers 7 heures, l’eau étant alors un peu descendue. Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Nous n’avions aucune information, et les surveillants n’en n’avaient pas beaucoup plus que nous. Ce n’est pas rien d’évacuer une prison. Comme les systèmes de sécurités étaient HS, il y avait des renforts de personnels de sécurité. Habillés comme des hommes du GIPN ou du

RAID, en tout cas armés jusqu’aux dents et peu enclins à la rigolade. Ils vivaient comme nous depuis deux jours, dans les mêmes conditions que nous, et lorsqu’à une heure du matin ils sont venus nous chercher, ils devaient être aussi fatigués que nous et avaient probablement hâte d’en finir. Donc pas d’humour ou même pas envie de parler. Juste aboyer des ordres. Debout ! Face au mur ! Mains écartées en haut ! Jambes écartées ! Palpation. Deux mètres plus loin, à poil, fouille à corps. Menottes, fourgon après prise des empreintes. Nous sommes alors épuisés, à demi endormis. Nous avons soif, et nous n’avons pas eu à manger depuis plus de 36 heures. Le sol est recouvert d’une couche de boue fine qui glisse comme de la pommade sous la semelle de mes pieds. Arrivé à Marseille, prison des Baumettes, à 4 heures du matin. Prison poisseuse, sale. Attente, couloirs, attente, greffe un par un, empreintes, photos, fouilles à poil, couloir, attente, couloir, attente entre deux grilles, couloir, attente, cellule d’attente collective, sortie un par un, couloir, attente, bureau, état civil, couloir, attente, bureau, adresses, téléphone, affectation bâtiment, couloir, attente, couloirs, attente, escaliers… Maintenant, nous sommes trois dans cette cellule, nous arrivons à nous organiser. Je dis que nous sommes arrivés à dompter l’espace. Le lendemain matin, vers 9 heures, ce sont le effluves d’urine remontant jusqu’à

mes narines qui me réveillent. Tout est conforme au décor pisseux qui est plus sordide que tout ce que j’ai vu jusqu’à ce jour. Même la prison St Roch [à Toulon, N.D.L.R.] en 1986 me semblait plus propre. Les locaux ressemblent à ceux de La Havane, de Haïti, lorsque l’on voit à la télé ces gens qui vivent dans des endroits sordides avec la peinture écaillée, humide, poisseuse, graisseuse. On a l’impression que si l’on pose les mains dessus, on va y rester collé ou attraper des maladies. Les cafards sont présents en légion, les araignées sont heureuses dans tous les recoins sombres et humides. Je suis certain que si l’on faisait des mesures de salubrité comme lorsque l’on veut vendre ou louer un appartement, la « permanence du plomb » dans les peintures rendrait l’endroit impropre à la vie humaine. Nous ne recevrions pas l’autorisation de vendre ou de louer en l’état. Après les peintures et la propreté, viennent les équipements. Les huisseries sont toutes usées, cassées, il n’y a plus de crémones aux fenêtres, les vitres sont cassées. Des générations de barbares se sont succédées dans ces lieux et ont rendu probablement toute tentative d’entretien vaine. Nous sommes, la France, probablement en infraction totale avec la législation européenne. Je veux croire que l’on nous a logés d’urgence dans des locaux qui sont conservés en l’état au cas où. Je ne suis pas certain de cela, mais je préfère le croire.

« Je sais que cela ne leur plaît pas qu’un détenu écrive à l’OIP. » Personne détenue dans un centre pénitentiaire, juin 2010 Je me permets de vous relater ce qui m’est arrivé de plus grave dernièrement. En quartier disciplinaire, on m’a refusé mon couchage, matelas plastifié, pas de couverture (j’avais froid), pas de chaise, obligé d’être debout pendant une quinzaine de jours. Insulté à plusieurs reprises par des gradés « La merde, au trou ». « Je

t’emmerde. Va te faire enculer, etc. » J’ai déposé plainte auprès du Procureur. J’ai écrit au Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Je n’ai vu un médecin qu’à travers une grille ! J’ai écrit au ministre de la Santé, qui m’a répondu. La lettre a été ouverte par l’administration pénitentiaire. Actuellement je suis en quartier d’isolement, privé de tout (formation, sport, messe, musculation, etc.). J’ai

1 h 30 de promenade dans une cour sale, avec des odeurs d’égout permanentes. J’ai fait un malaise en promenade avant d’être placé au quartier disciplinaire. Je suis tombé au niveau de la coursive. Personne n’a bougé, ni détenus, ni surveillants. Je sais que cela ne leur plaît pas qu’un détenu écrive à l’OIP. Je n’ai plus rien à perdre. Dedans Dehors N°72-73 Décembre 2010

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LETTRES OUVERTES

«Je suis d’accord pour une sanction mais pas pour que ma famille soit sanctionnée» Personne détenue dans un centre pénitentiaire, septembre 2010 Cela fait cinq ans que je me bats pour obtenir un rapprochement familial, j’ai écrit plusieurs fois à la personne qui gère mon dossier au Ministère, ma famille n’arrête pas de lui téléphoner mais elle refuse toujours de leur parler. J’ai même écrit au Président de la République, au garde des Sceaux et même, à plusieurs reprises, à différentes directions régionales d’où dépendaient les établissements où j’ai été affecté, mais à chaque fois, au lieu de me rapprocher, on m’a toujours éloigné

et franchement j’en ai plus que marre et je souffre de plus en plus psychologiquement. J’ai fait plusieurs fois des grèves de la faim et de la soif et j’ai même attenté à mes jours. Mes parents sont âgés et malades, ils ne peuvent pas se déplacer sur de longues distances à cause de leur état de santé et c’est très difficile pour eux financièrement. Mes frères et sœurs, pour qui c’est très dur financièrement, habitent eux aussi dans la région où se situe l’établissement où je souhaite être transféré. J’ai aussi un jeune fils qui vit avec sa mère dans la même région, que

je ne peux voir qu’une fois par an à cause de la distance et qui en souffre aussi énormément. Veuillez faire quelque chose au plus vite pour que je sois rapproché de ma famille. Je suis d’accord : je suis en prison pour effectuer une sanction, mais pas pour que ma famille soit sanctionnée elle aussi, et surtout pas pour que mes liens familiaux soient brisés. Car la base de la réinsertion c’est avant tout les liens familiaux d’un détenu et pourtant le Code de procédure pénale stipule bien que les liens familiaux d’un détenu doivent être maintenus.

«Il m’a été demandé de me dévêtir complètement en plein milieu du dortoir» Personne détenue dans un centre pénitentiaire, juin 2010 J’ai subi une fouille de la part d’un surveillant de mon bâtiment, fouille que je ne conteste certainement pas car elle fait partie de son travail normal. Par contre, ce que je ne considère pas comme normal c’est le fait qu’il m’a été demandé de me

dévêtir complètement en plein milieu du dortoir, sous les yeux d’autres détenus. Je me suis senti humilié et ai trouvé cela dégradant de devoir exposer ainsi les parties les plus intimes de mon anatomie. J’ai eu le sentiment de perdre toute dignité. Depuis cette fouille, je subis de nombreuses moqueries à propos de mon

physique et je suis devenu la risée d’une partie des autres détenus. Vous comprendrez aisément que cela me met énormément mal à l’aise. D’autant plus que je ne vois pas ce qui a pu motiver cette humiliation car, depuis mon incarcération, je n’ai rencontré aucun problème avec le personnel pénitentiaire.

«La direction refuse de me donner du travail sous prétexte qu’on m’a classé DPS.» Personne détenue dans un centre pénitentiaire, aout 2010 J’ai été incarcéré il y a près de cinq ans et devrais être jugé par la cour d’assises dans quelques mois. Malgré de nombreuses démarches, la direction du centre pénitentiaire où je suis détenu refuse de me donner du travail sous prétexte qu’on m’a classé DPS [détenu particulièrement signalé, N.D.L.R.]. Avant que l’on décide de me classer DPS – pour je ne sais quelle raison- on me refusait également l’accès aux ateDedans Dehors N°72-73 Décembre 2010

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liers, tous les prétextes étaient bons : « Vous n’êtes pas jugé, etc. » On m’a également rétorqué, alors que je voulais travailler aux cuisines, qu’en procédure criminelle l’accès au service général n’était pas possible. Alors que l’auxiliaire du premier étage est en détention préventive dans une procédure criminelle. Et je ne parle pas de toutes les personnes qui ont été condamnées dans des procédures criminelles et qui travaillent à des postes du service général – « cantinier, cuisine, etc. ». L’un de

mes voisins de cellule, qui m’a donné votre adresse, avait le même problème suite à sa condamnation pour une très longue peine. Maintenant, il travaille aux ateliers, qui sont très sécurisés car ce centre pénitentiaire est réputé sécuritaire. Depuis le début de mon incarcération, je n’ai eu aucun problème avec l’administration pénitentiaire, j’ai toujours été correct. Je demande juste le droit de pouvoir travailler pour occuper mes journées et avoir un peu d’argent pour cantiner.


LETTRES OUVERTES

«Je suis profondément déçu de la manière dont certains agents traitent les détenus.» Personne détenue dans un centre pénitentiaire, novembre 2010 Je viens d’avoir un sérieux problème avec un agent pénitentiaire. Je suis un sportif professionnel d’une trentaine d’années. Récemment, j’indique au surveillant de l’étage que j’aimerais faire le ménage dans ma cellule. Le surveillant — un stagiaire — m’a indiqué poliment qu’il demanderait la raclette à l’auxi et donc me la remettrait. Mais entre-temps un second surveillant, qui n’était même pas en poste à l’étage, a ouvert ma cellule et m’indique que non, je ne ferai pas le ménage, que c’est lui le chef et c’est lui qui décide. J’étais donc très étonné de ce comportement, je me suis approché du surveillant. Un de ses collègues est venu à son tour devant la porte de ma cellule. Voyant celuici, je lui explique le problème, il se sentait gêné car vraiment, pour une histoire de

ménage, et surtout en prison où la propreté est primordiale… Après ces quelques échanges, voyant que le surveillant qui n’était pas de l’étage restait buté car il ne voulait pas me laisser en paix, je signale donc au surveillant stagiaire d’appeler le chef. Et là, aussitôt le surveillant (pas le stagiaire) me saisit le bras et m’agrippe par la gorge. Face à cette agression, je n’ai pas riposté et j’ai regardé le surveillant stagiaire en lui disant « vous constatez ce que fait l’agent, c’est de l’abus de pouvoir ». Je suis toujours tenu par le surveillant, qui me pousse violemment, ce qui m’entraîne à la renverse. Je tombe la tête la première dans ma cellule contre le carrelage froid. Je suis à terre, sonné. J’indique au surveillant « ne fermez pas, je ne vais pas bien, j’ai mal, ma tête tourne ». Mon codétenu appelle les agents en leur disant que je suis au sol, ceux-ci lui

répondent de s’occuper de ses histoires. Le détenu qui est en face de ma cellule, ayant vu toute la scène, se manifeste par sa porte, en appelant les agents en leur disant « appelez le chef, vous ne pouvez pas le laisser comme ça ». À force de persévérance, il arrive à faire venir le chef 40 minutes après, j’avais un peu repris mes esprits, j’étais choqué. Le chef me parle, je lui explique. Je ne vais voir un médecin que le lendemain. J’aurais pu coucher le surveillant, mais j’ai gardé mon calme. Bien évidemment, si je m’étais simplement défendu, j’aurais eu de graves problèmes. Mais imaginez si je m’étais ouvert le crâne dans ma chute. Personne n’est venu m’ouvrir alors que j’étais sonné au sol. Je fais du sport donc j’ai pu récupérer mais c’est pas une raison, je suis profondément déçu de la manière dont certains agents traitent les détenus.

«On m’a dit qu’il était dans mon intérêt de me taire et d’obéir» Personne détenue en maison centrale, septembre 2010 Si je me permets de vous écrire, ce n’est nullement pour obtenir une quelconque intervention de votre part mais uniquement pour apporter un témoignage face à une injustice. Après plus de quinze ans d’incarcération, il est compréhensible que je ne peux me permettre d’attendre tranquillement ma fin de peine sans aucune perspective d’avenir. Donc, dès mon arrivée à la centrale en février dernier, j’ai entrepris, avec l’aide de la conseille ! re d’insertion et de probation, des démarches en vue d’acquérir un emploi, un logement et éventuellement une libération anticipée en semi-liberté conditionnelle. À ce titre, le juge d’application des peines m’a accordé ma première permission pour rencontrer mon futur employeur. L’entretien s’étant favorablement déroulé, je commençais enfin à voir le bout du tunnel. Parallèlement, en détention, au bout de quelques mois, j’ai sollicité une place d’auxi d’étage afin de subvenir à mes besoins immédiats. Au

début, pour faire bonne figure, je me suis plié à leurs exigences jusqu’à qu’excédé, je m’insurge contre cet acharnement. On m’a alors menacé de déclassement et on m’a « gentiment » rappelé que j’étais en préparation de sortie, que j’avais obtenu une permission et qu’il était dans mon intérêt de me taire et d’obéir. Ne pouvant accepter ce chantage, j’ai démissionné et, pour ne pas laisser mon ressentiment et ma colère m’aveugler, en refusant la réintégration, je me suis placé volontairement au quartier disciplinaire afin d’y attendre mon transfert. Malgré mes demandes répétées d’explication sur le comportement de ces agents, personne n’a su, ou voulu me répondre. J’y vois, moi, une volonté de nuire. À savoir, me pousser à bout jusqu’à ce que je craque. Pari gagné, puisqu’au quartier disciplinaire (d’où je vous écris) depuis une vingtaine de jours, des remises de peine vont m’être retirées, reculant d’autant ma libération. Plus grave encore, même si je suis transféré prochainement, tous mes efforts de réinsertion sont d’ores et déjà réduits à néant.

Je vais devoir tout reprendre à zéro avec toute l’incertitude que cela comporte car bien entendu, en définitive, tous les torts me seront attribués et les autorités s’empresseront de voir dans mon attitude une dangereuse irrationalité. Certes, je reconnais que je n’ai pas toujours été un détenu modèle et que ma détention fut émaillée d’actes de violence envers des agents de la pénitentiaire. Mais ces faits remontent à presque dix années. J’estime avoir lourdement payé mes erreurs passées. Depuis, j’essaye de mon mieux de me racheter une conduite, mais aux yeux de certains ce n’est pas suffisant. Que faut-il faire lorsque l’administration pénitentiaire, dans son ensemble, exige des efforts et des garanties de réinsertion et que, dans le même temps, des agents de cette même administration ont le pouvoir, en toute impunité, d’anéantir vos projets avant même leur concrétisation ? Pour toute réponse, on m’informe que c’est peut-être injuste mais l’injustice existe même à l’extérieur et qu’il faut l’accepter… Dedans Dehors N°72-73 Décembre 2010

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LETTRES OUVERTES

«Loin, très loin de la campagne publicitaire vue à la télé.» Personne détenue en maison d’arrêt, novembre 2010 Je me trouve en maison d’arrêt. Je ne connais pas les centres de détention et donc ce qui y est différent pour ce qui est des conditions de vie, des activités, de l’accès aux soins ou du comportement des surveillants et des infrastructures. Je ne parlerai donc que de ce que je connais, les maisons d’arrêt. Il serait si simple qu’un surveillant mette « monsieur » devant votre nom lorsqu’il vous appelle. Il serait si peu coûteux

quand vous lui dîtes « bonjour », qu’il vous réponde. Cela ne paraît pas grandchose, mais une petite moitié d’entre eux seulement y arrive. Je ne parle pas du manque de personnels pénitentiaires dans certains établissements qui fait que le surveillant ne peut être à l’écoute du détenu. Loin, très loin de la campagne publicitaire vue à la télé. Dans les nouveaux établissements, moderne et ultrasécurisé, quand vous avez besoin que le surveillant ouvre la porte pour diverses raisons (parloirs, infirmerie, psycholo-

gue…), on en est toujours au papier qu’il faut glisser dans la porte. On doit hurler à la fente de la porte et espérer que le surveillant ne soit pas trop occupé. J’ai attendu parfois jusqu’à 45 minutes et manqué plus d’un rendez-vous à cause de cela. Alors que dans l’ancienne maison d’arrêt où je me trouvais, qui a une vingtaine d’années, on appuie sur un bouton, un voyant signale votre appel et le personnel arrive dans les cinq à dix minutes.

«Treize jours sans nouvelles d’une personne en prison ? Au pays des droits de l’Homme ! Proche d’une personne détenue en maison d’arrêt, septembre 2010 Mon ex-compagnon a été placé en garde à vue puis déféré à la maison d’arrêt, au service de psychiatrie. Nous sommes des plus inquiets, sachant que depuis qu’il est incarcéré, nous n’avons reçu aucune réponse à nos courriers, aucun retour de linge, bien que son frère se déplace tous les jours afin de lui apporter de quoi se changer. Presque treize jours sans nouvelles, nous ne savons pas pourquoi tant de murs se dressent

devant nous. Nous sommes convaincus que l’on nous cache des choses. Que s’est-il passé lors de son interpellation ? A-t-il subit des violences ou des actes discriminatoires ? Nous n’arrivons pas à avoir la moindre information le concernant. Même son avocat commis d’office ne semble pas s’intéresser à lui, il a fallu que je le supplie d’aller le voir, afin de savoir dans quel état physique et psychologique il se trouve. Sinon, il ne serait pas allé le visiter avant des semaines. Pourquoi est-il placé en psychiatrie,

entre quatre murs, dans une prison alors qu’il est considéré comme primo-délinquant. J’ai peur que l’on nous cache son réel état de santé, je redoute qu’il soit dans une blouse blanche, attaché à son lit, et sédaté afin de « noyer le poisson », et de ne pas dire à ses proches qu’il a subit des maltraitances afin que ses ecchymoses ne soient plus visibles. Treize jours sans nouvelles d’une personne en prison en France ! Au pays des droits de l’Homme !

«D 444-1 CPP» Personne détenue en maison d’arrêt, août 2010 Une partie du livre que j’écris vient d’être saisie, aucun document officiel n’est venu me justifier cette décision que je ne comprends pas, après des mois d’échanges sans problème et sans encombre. Par ailleurs, divers de mes courriers ont été interceptés et conservés pendant plusieurs mois. Ce sont Dedans Dehors N°72-73 Décembre 2010

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mes destinataires qui m’ont alerté. Mes demandes de renseignements n’ont abouti qu’à un mot griffonné m’indiquant que ces courriers étaient entre les mains du chef « aux fins de contrôle ». Puis un jour j’ai reçu (et mes destinataires aussi) les courriers. Échaudé par cet incident, j’ai demandé des explications. J’ai eu une réponse sur un post-it : « D 444-1 CPP ». On ne peut rêver plus bref et plus anonyme. Écrire est mon

unique plaisir, la lecture étant rendue très aléatoire par le manque d’accès à la bibliothèque, par ailleurs d’une pauvreté affligeante. Ne plus pouvoir échanger des parties de mon ouvrage de manière officielle, en raison de la crainte diffuse d’une confiscation de mon travail, me pose un énorme problème et amoindrit mon énergie vitale.


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rapport 2010 : les conditions de détention en France

30 € 15 € 25 

OIP/ La Découverte, 336 p., 28  (frais de port inclus)

Commandes Les ouvrages de l’OIP 66 rapport 2010 : les conditions de détention en France 66 rapport 2005 : les conditions de détention en France 66 rapport 2003 : les conditions de détention en France 66 le guide du sortant de prison La revue Dedans dehors 66 n° 35 « liberté d’expression : faire sauter la chape de plomb » 66 n° 38 « rapport Warsmann. alternatives : l’occasion manquée » 66 n° 39 « les prisons françaises en 2003 une descente aux enfers » 66 n° 40 « dix ans après la réforme : la santé toujours incarcérée » 66 n° 41 « loi Perben 2 : vers un raz-de-marée carcéral ? » 66 n° 42 « les dix ans du code pénal : le grand enfermement » 66 n° 43 « rapport CNDS : des pratiques archaïques et médiévales » 66 n° 44 « droits dedans : pour la reconnaissance des droits des détenus » 66 n° 45 « prison : quelle réforme vaut la peine ? » 66 n° 46 « vieillir et mourir en prison » 66 n° 47 « prison : peine du pauvre, pauvre peine » 66 n° 48 « récidive, récidivistes : ne pas se tromper de débat » 66 n° 49 « sécurité renforcée en prison : la fabrique de violences » 66 n° 50 « le rapport Burgelin : le risque de peines de folie » 66 n° 51 « sida en prison : prévenir la maladie, libérer les malades » 66 n° 52 « étrangers en prison : aux confins de l’absurde » 66 n° 54 « politiques pénale et pénitentiaire : l’Europe en éclaireur » 66 n° 56 « réforme de la détention provisoire : l’occasion gâchée » 66 n° 58/59 « états généraux de la condition pénitentiaire » 66 n° 60 « les alternatives sortent de l’ombre » 66 n° 61 « contrôle extérieur : l’heure du choix » 66 n° 62 « peines minimales, danger maximal » 66 n° 63 « régimes de détention différenciés - l’envers du décor » 66 n° 64 « rétention de sureté et irresponsabilité pénale » 66 n° 65 « la France a rendez-vous avec ses prisons » 66 n° 66 « saisir la réalité de ces lieux secrets » 66 n° 67-68 « Le législateur face à la loi pénitentiaire : l’humiliation pour de la République » 66 n° 69 « Pour que cesse la « honte » Des prisons sans peine, des peines sans prison » 66 n° 70-71 « Prison : le recul de l’histoire » 66 n° 72-73

66 la série 2001 (du 23 au 28) 66 la série 2002 (du 29 au 34) 66 la série 2003 (du 35 au 40) 66 la série 2004 (du 41 au 46) 66 la série 2005 (du 47 au 52) 66 la série 2006 (du 53 au 58-59) 66 la série 2007 (du 58-59 au 63) Tous les prix comprennent les frais de port. Pour l’étranger, nous consulter.

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rapport 2005 : les conditions de détention en France OIP/ La Découverte, 2005, 288 p., 24 € (frais de port inclus)

le guide du sortant OIP/ La Découverte, 2006, 416 p., 26 € (frais de port inclus)

Dedans dehors n°70-71

Bulletin à renvoyer à OIP, section française, 7 bis, rue Riquet 75019 Paris

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COMMANDES

Prisons d’autres temps et d’autres mœurs ?

Adhésion, don


ADRESSES

Pour tout renseignement sur les activités de l’OIP en France : OIP section française 7 bis, rue Riquet 75019 Paris tel : 01 44 52 87 90 fax : 01 44 52 88 09 e-mail : contact@oip.org site : www.oip.org

Pour témoigner et alerter sur les conditions de détention en France : Permanence juridique Elsa Dujourdy : 01 44 52 87 96 elsa.dujourdy@oip.org Marie Crétenot : 01 44 52 87 94, marie. cretenot@oip.org 7 bis, rue Riquet 75019 Paris

L’OIP en région  Les coordinations inter-régionales mènent leur action d’observation et d’alerte au sujet de tous les établissements pénitentiaires des régions concernées en lien avec les groupes et correspondants locaux présents : Pour contacter les coordinations inter-régionales : Régions Ile-de-France, Guyane, Guadeloupe, Martinique, Nouvelle-Calédonie, Polynésie François Bès 7 bis, rue Riquet 75019 Paris 01 44 52 87 95 fax : 01 44 52 88 09 francois.bes@oip.org

Régions Nord-Pas-de-Calais, Picardie, Haute-Normandie Anne Chereul 19 place Sébastopol 59000 Lille 09 61 49 73 43 06 63 52 10 10 fax: 03 28 52 34 13 anne.chereul@oip.org

Régions Aquitaine, Limousin, Poitou-Charentes Barbara Liaras 37, rue Gambetta 86006 Poitiers cedex 09 75 46 16 96 06 22 90 27 60 barbara.liaras@oip.org

Régions Rhône-Alpes, Auvergne Céline Reimeringer 57, rue Sébastien Gryphe 69007 Lyon 09 50 92 00 34 06 50 73 29 04 fax : 09 55 92 00 34 celine.reimeringer@oip.org

Pour les cinq inter-régions où l’OIP n’a pas encore implanté de coordination, les groupes et correspondants locaux assurent l’observation et l’alerte de la (les) prison(s) présente(s) dans leur ville en lien avec le secrétariat national. Pour les contacter vous pouvez joindre le secrétariat national : contact@oip.org ou 01 44 52 87 90 Aix-en-Provence, Avignon, Bayonne, Laon, Marseille, Metz, Nancy, Nîmes, Toulon, Toulouse (Seysses).

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Qu’est-ce que l’OIP ? Considérant que l’emprisonnement est une atteinte à la dignité de la personne, la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP), juridiquement créée en janvier 1996, agit pour la défense des droits fondamentaux et des libertés individuelles des personnes détenues. Que fait l’OIP ? Concrètement, l’OIP dresse et fait connaître l’état des conditions de détention des personnes incarcérées, alerte l’opinion, les pouvoirs publics, les organismes et les organisations concernées sur l’ensemble des manquements observés ; informe les personnes détenues de leurs droits et soutient leurs démarches pour les faire valoir ; favorise l’adoption de lois, règlements et autres mesures propres à garantir la défense de la personne et le respect des droits des détenus ; favorise la diminution du nombre de personnes détenues, la limitation du recours à l’incarcération, la réduction de l’échelle des peines, le développement d’alternatives aux poursuites pénales et de substituts aux sanctions privatives de liberté. Comment agit l’OIP ? Organisation indépendante des pouvoirs publics, l’OIP ne sollicite aucun mandat ou subvention du ministère de la Justice, s’interdit de prendre part à l’action d’aucun gouvernement, de soutenir aucun parti politique ou de prendre position à l’occasion de toute consultation électorale. Pour faciliter la mise en œuvre de ses objectifs, l’Observatoire suscite la création de coordinations régionales et de groupes locaux en charge de l’observation d’un lieu de détention et composés exclusivement de membres de l’OIP.


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