Dedans Dehors n°74-75 Quand les idées reçues dictent leurs lois

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L oi sur l’exécution des peines : le mirage carcéral Fouilles à nu : une campagne de recours de l’OIP

Politique pénale :

quand les idées reçues dictent leurs lois dossier avec Brigitte Sifaoui, Jean-Louis Senon, Jean-Paul Jean, Norman Bishop Observatoire international des prisons Section française

10 € N°74-75 Décembre 2011


EDITORIAL

Une radiographie carcérale Il y a six ans que le rapport de l’OIP sur Les conditions de détention en France n’était pas paru. D’où la nécessité d’offrir une radiographie des politiques pénales et pénitentiaires de 2005 à 2011, dégageant les lignes de force des évolutions intervenues dans le champ pénal. En analysant leurs fondements, en pointant leurs contradictions. La même focale s’imposait pour parvenir à une photographie de l’univers carcéral la plus juste, c’est-à-dire aussi documentée et détaillée que possible, dix ans après la parution des rapports parlementaires et deux ans après l’adoption de la loi pénitentiaire. Résultat : un volumineux ouvrage apportant au travers de 13 chapitres thématiques l’éclairage attendu de l’Observatoire sur la réponse pénale, l’institution pénitentiaire, les conditions de vie et de travail derrière les murs. En tentant de démêler le vrai du faux dans ce que les pouvoirs publics, le ministère de la Justice ou l’administration pénitentiaire, disent de la réalité, proclament de ce qui a changé ou annoncent de ce qui va changer. En tentant donc de mesurer les dénis qui perdurent, les aggravations constatées intramuros, les régressions observées dans les droits des détenus, mais aussi les efforts consentis ou les avancées obtenues… L’ouvrage est disponible auprès de l’OIP depuis le 7 décembre, il le sera en libraire le 5 janvier. Et parce que la crise ambiante justifie plus que jamais le respect du principe de solidarité, ce rapport vient de faire l’objet d’une diffusion gratuite de 1 800 exemplaires au sein des bibliothèques des prisons françaises, dans le cadre de la journée mondiale des droits de l’Homme du 10 décembre. La rédaction

N°74-75 Décembre 2011

SOMMAIRE 3 Actu : Loi sur l’exécution des peines : le mirage carcéral Le Sénat déconstruit le budget pénitentiaire Une prévention de la récidive au rabais La surpopulation, cancer des prisons françaises La justice des mineurs passée au karcher La fouille intégrale systématique dans le viseur du juge administratif L’isolement au minimum absolu Libérer l’accès au Web 21 De facto Les cadres pénitentiaires jugent sévèrement leur administration Placé à l’isolement pour s’être exprimé sur ses conditions de détention L’interdiction de téléphoner à l’OIP est « nulle et non avenue » Envois autorisés d’objets en prison : une absurdité chasse l’autre TV : un long chemin vers l’uniformisation DEDANS DEHORS des tarifs publication bimestrielle Droits à la retraite des personnes de la section française de détenues : le Gouvernement ne tient pas l’Observatoire international des ses engagements prisons, association loi 1901, Les ERIS accusées de violences 7 bis, rue Riquet, 75019 Paris, Pas de sanction pour des surveillants Tél.: 01 44 52 87 90, Fax: 01 44 52 88 09, ayant bâillonné un détenu e-mail : contact@oip.org Déontologie de la sécurité : saisir le Internet : http://www.oip.org Défenseur des droits Obstacle au droit de visite d’un détenu Directrice de la publication : hospitalisé : le juge administratif rappelle Florence Aubenas le préfet à l’ordre Rédaction en chef : Des transferts para-disciplinaires privent Sarah Dindo, Barbara Liaras trois détenus martiniquais de toute visite Rédaction : de leurs proches Anne Chéreul, Marie Crétenot, La prise en charge médicale de deux Nicolas Ferran, Samuel Gautier, Claire Mangeard, détenus reportée pour cause de Lionel Perrin, cérémonie d’investiture de la nouvelle Jérémie Sibertin-Blanc. directrice Secrétariat de rédaction : Expertises psychiatriques : un « frein Marianne Bliman, injustifié » aux aménagements de peine Marie-Anne Duverne, Pas de promenades ni d’activités depuis Julie Namyas, Zina Rouabah. plus trois ans pour un homme vulnérable Identité graphique : Pas aux normes, le bâtiment principal de MG., détention reste ouvert L.D.<dlaranjeira@caramail.com> Maquette : Claude Cardot/Vélo 26 Dossier Crédits photos et remerciements : Politique pénale : quand les idées Samuel Bollendorff, reçues dictent leurs lois Jérôme Brézillon, Avec Brigitte Sifaoui, auteure de l’homme Bertrand Desprez, qui a tué mon frère ; Jean-Louis Senon, Sébastien Erome, Michel Gasarian, psychiatre et universitaire ; JeanJack Guez / AFP, Bernard Le Bars, PaulJean, avocat général et universitaire ; Michel Le Moine, Norman Bishop, expert scientifique Anne-Marie Marchetti, auprès du Conseil de l’Europe. Thierry Pasquet, Jacqueline Salmon et 42 En droit Aimée Thirion. Conditions de détention : la mise aux Remerciements à : normes peut-être demandée en urgence VU, EDITING et à Marie Karsenty Insalubrité : les établissements récents ne de SIGNATURES sont pas épargnés Impression : CEDH : les ERIS font encore condamner Imprimerie Expressions 2-GP, la France 10 bis, rue Bisson, 75020 Paris Régimes différenciés : la décision de Tél. : 01 43 58 26 26 placement en secteur « portes fermées » ISSN : 1276-6038 est attaquable devant le juge administratif Diffusion sur abonnement au prix Des conditions d’extractions médicales annuel de 30  jugées comme traitement dégradant Prix au numéro : 7,5  Photographie couverture : 45 En actes Bernard Le Bars Mémoires de prison Suppression des droits civiques… à perpétuité Politique de sécurité : dix ans d’imposture Droit à l’image pour les prisonniers « La prison doit devenir une peine alternative » Dans la peau d’un surveillant Que savez-vous des nouvelles prisons ? « Ici l’ombre, les voix captives » 47 Lettres ouvertes


ACTU

Loi sur l’exécution des peines :

le mirage carcéral

© Jack Guez/AFP

À partir du 10 janvier, les députés examineront en urgence le projet de loi sur l’exécution des peines, qui prévoit notamment un accroissement du parc carcéral de plus de 24 000 places. Un programme coûteux, contre-productif à prévenir la récidive, qui s’inscrit dans une logique d’exécution des peines à la chaîne, se souciant peu du contenu de la réponse pénale et des conditions de son application.

« Pour assurer une exécution normale des peines d’emprisonnement, la France a besoin de 80 000 places de détention. » C’est en ces termes que Nicolas Sarkozy annonçait le 13 septembre au centre pénitentiaire de Réau l’un des objectifs-phare de la loi de programmation relative à l’exécution des peines. Dans l’exposé des motifs du projet déposé à l’Assemblée nationale deux mois plus tard, il est confirmé qu’il s’agit de construire non pas 30 000, mais 24 397 places d’ici la fin de l’année 2017, essentiellement « afin d’assurer l’exécution des courtes peines d’emprisonnement ». Ces peines de deux ans et moins qui ont été dans la même législature décrétées comme passibles d’un aménagement de peine avant leur mise à exécution en détention. Des nouvelles prisons pour courtes peines, dont la taille va être augmentée, à l’image d’un dessein « d’industrialisation de la captivité » dénoncé par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté 1. Dedans Dehors N°74-75 Décembre 2011

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Objectif : 80 000 places Le nouvel accroissement du parc carcéral se fonde sur « le scénario le plus probable d’évolution de la population carcérale », selon lequel le nombre de personnes détenues devrait s’élever à « 80 000 à horizon 2017, ce qui suppose de porter la capacité du parc carcéral à 80 000 places à cette échéance » 2. Le raisonnement paraît imparable. Il se base en fait sur le choix résolument arbitraire d’un scénario parmi quatre, exposés dans l’étude d’impact adossée au projet de loi. Le premier scénario aboutissait à un nombre de 61 400 détenus en 2017, alors qu’il était de 64 147 au 1er octobre 2011. Le calcul intègre une stabilisation du nombre de condamnations à des peines d’emprisonnement ferme à 140 000 par an à partir de 2012, un stock de peines en attente d’exécution non résorbé et une augmentation des personnes sous surveillance électronique (à 13 000, contre 7 886 en nov. 2011). Cette prédiction d’une baisse du nombre de détenus n’a pas semblé convenir aux projets sarkozystes. Recalé. Dans le deuxième scénario, le nombre de condamnations se stabilise également, mais le stock de peines en attente est réduit à 50 000, contre 85 000 en juin 2011. Le nombre de personnes détenues en 2017 serait alors de 72 000. Pas assez. Le troisième scénario prévoit la même réduction du stock à 50 000 peines en attente, mais une progression des condamnations à un rythme de 2 % par an, « soit le taux de croissance annuel moyen constaté sur la période 2003-2011 ». Un taux moyen n’intégrant pas d’importantes variations au cours de cette période, tant les pratiques de la magistrature s’avèrent mouvantes au gré des pressions politicomédiatiques. Il est en outre calculé sur huit années, période de référence qui aurait pu tout aussi bien être étendue à quelques années supplémentaires, pour un résultat différent… de 78 500 détenus. Toujours insuffisant. Le dernier scénario reprend la progression des condamnations de 2 % par an, mais avec cette fois un stock de peines en attente de 35 000, « soit un niveau proche du stock incompressible estimé, compte tenu des délais de procédure ». On est heureux que soit finalement reconnue une part « incompressible », loin des déclarations tonitruantes à l’égard du « fléau de l’inexécution des peines »… Le dernier scénario, selon lequel 80 100 personnes seraient détenues en 2017, rencontre les faveurs de l’exécutif, sans la moindre explication sur les raisons de ce choix. Rappelons que par le passé, ce type de « prédictions » s’est toujours avéré surévalué. Dès 1987, le programme Chalandon de 13 000 places est engagé sur la base d’une projection de 65 000 à 70 000 détenus en 1990 : ils seront 45 000. Le programme Méhaignerie de 4 000 places en 1994 est initié sur la base d’une projection de 70 000 détenus en 2000 : ils seront 51 441 ! En revanche, l’augmentation du parc carcéral ayant tendance à faire augmenter les incarcérations, si 80 000 places sont effectivement disponibles en 2017, il y a fort à parier qu’elles seront remplies. Une fois l’argument statistique réprouvé, reste un projet politique. Celui de rapprocher le taux de détention de la France de 96 détenus pour 100 000 habitants de la moyenne européenne de 143,8. Un taux français que le Gouvernement explique « en grande partie par l’insuffisance du parc carcéDedans Dehors N°74-75 Décembre 2011

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ral, très inférieur à la capacité moyenne des pays européens » (France : 83,5 places de prison pour 100 000 habitants. Conseil de l’Europe : 138). Et de se réjouir : avec 80 000 places, « la capacité carcérale française passera à un ratio de 117 places pour 100 000 habitants. Elle se rapprochera de la moyenne européenne » 3. Pour Jean-Paul Jean, avocat général près la cour d’appel de Paris, « cette moyenne européenne n’a pas une grande signification, elle recouvre des situations et des choix politiques extrêmement différents. On sait que plus on construit de prisons, plus on prononce de peines d’emprisonnement » 4. Telle est la perspective souhaitée.

Des prisons pour courtes peines L’essentiel des nouvelles places envisagées en sus des programmes déjà annoncés ou en cours concerne des courtes peines d’emprisonnement. Il s’agit d’une part d’augmenter la capacité des « établissements nouveau concept » – qui ne sont pas encore construits – de manière « à accroître le nombre de places pour courtes peines disponibles ». D’autre part, de nouveaux établissements spécialement dédiés aux courtes peines seront construits : le nouveau programme de constructions porte ainsi « exclusivement sur des structures pour courtes peines » 5. Au total ce sont 7 500 places pour courtes peines qui devraient être créées d’ici 2017. Renoncer aux aménagements de peines ? Une telle option sous-tend un renoncement à aménager les peines d’emprisonnement de deux ans et moins, à l’inverse des dispositions de la loi pénitentiaire adoptée le 24 novembre 2009 6. Si la construction de prisons pour courtes peines est considérée comme nécessaire « pour réduire le stock de peines en attente d’exécution » 7, il n’est donc plus envisagé de les convertir ou de les aménager après leur prononcé (en surveillance électronique, libération conditionnelle, travail d’intérêt général…) Pour appuyer sa proposition, le Gouvernement se fonde sur une interprétation erronée du chiffre des peines en attente d’exécution. Dans l’étude d’impact du projet de loi, il réaffirme en effet que les 85 600 peines fermes délictuelles en attente d’exécution fin juin 2011 ne peuvent plus faire l’objet d’un aménagement de peine. « La durée moyenne de ces peines est évaluée à 145 jours, soit 4,7 mois. Après prise en compte des crédits de réduction automatique de peine, cette durée moyenne est ramenée à 112 jours, soit 3,7 mois. […] On constate donc que le nombre de courtes peines en attente d’exécution reste important, alors même que la loi pénitentiaire a entendu développer l’aménagement des peines ab initio. […] Il convient de rappeler que la décision d’aménagement relève de l’appréciation souveraine des juridictions. » Et d’en conclure que « pour ces courtes peines, les magistrats considèrent que la personnalité et la situation des condamnés justifient une incarcération ». Le Gouvernement confond ici les aménagements de peine prononcé ab initio par la juridiction de jugement, qui peut aménager/convertir une courte peine ferme qu’elle vient de décider, et les peines d’emprisonnement en attente dans les services de l’application des peines, qui doivent dans un second temps examiner toutes les peines de deux ans et moins prononcées sans mandat de dépôt, en vue de leur aménagement (semi-liberté, placement sous surveillance


ACTU velles prisons pour courtes peines concerneraient des condamnés « ne présentant pas de dangerosité particulière. Cette catégorie de détenus constitue aujourd’hui la majorité des personnes incarcérées, et la plupart des peines qui sont en attente d’exécution sont précisément des courtes peines ». Si ces condamnés ne présentent pas de « dangerosité particulière », il est permis de se demander pour quelles raisons ils doivent nécessairement purger leur peine en prison. Afin de mieux prévenir la récidive, toutes les études montrent qu’il est préférable d’exécuter ces peines en milieu ouvert. Les taux de récidive les plus élevés concernent les détenus qui ont purgé la totalité de leur peine en prison (63 % de « re-condamnation » dans les cinq ans). Les libérés conditionnels récidivent moins (39 %), tout comme les bénéficiaires d’un autre aménagement de peine (55 %) ou encore les condamnés à une peine alternative (45 %) 11. Dès lors, une première étape pour limiter la récidive réside dans le fait d’éviter l’emprisonnement le plus possible, en ce qu’il aggrave la situation sociale, psychique, familiale des personnes, a tendance à perpétuer les phénomènes de violence et à renforcer les personnes dans un « statut de délinquant ». Le Conseil de l’Europe évoque ainsi que « dans la plupart des cas, la privation de liberté est loin d’être le meilleur recours pour aider l’auteur d’une infraction à devenir un membre de la société respectueux de la loi » 12.

© Thierry Pasquet

électronique, placement à l’extérieur ou libération conditionnelle) ou de leur conversion (travail d’intérêt général, jours-amende) 8. Le fait que l’aménagement de peine n’ait pas d’emblée été prononcé par la juridiction de jugement ne signifie donc pas qu’il ne puisse pas être décidé ensuite par le JAP. Il faut dire que le rapport de l’Inspection générale des services judiciaires (IGSJ) de mars 2009 par lequel tout a commencé a pu orienter les décideurs en ce sens, en indiquant que les 82 000 peines d’emprisonnement en attente d’exécution équivalaient à 1,6 fois le nombre de places disponibles en établissement pénitentiaire, « comme si toutes ces peines étaient destinées à être exécutées en prison alors même que 90 % d’entre elles sont susceptibles d’aménagement sur le fondement de l’article 72315 du code de procédure pénale », rappelait déjà l’Association nationale des juges de l’application des peines 9. Les services de l’application des peines engorgés subissent certains retards à examiner l’ensemble de ces peines, ce qui supposerait un renforcement massif de leurs moyens, tout comme ceux des services pénitentiaires d’insertion et de probation, chargés de mettre en œuvre les mesures d’aménagement. En réalité, si la majorité des auteurs de délits condamnés à des courtes peines les exécutaient en milieu ouvert, le parc carcéral actuel (57 268 places, 48 354 cellules) serait non seulement suffisant, mais il permettrait d’ores-et-déjà d’appliquer le principe de l’encellulement individuel, dans le respect des Règles pénitentiaires européennes 10. Les alternatives plus efficientes à prévenir la récidive. Dans son discours de Réau, Nicolas Sarkozy avait annoncé que les nou-

Afin de clarifier la réponse pénale, la rendre plus lisible pour tous, l’idéal serait néanmoins d’accroître le recours aux solutions alternatives à la prison dès le prononcé de la peine, plutôt que d’adopter des dispositions législatives visant à prononcer plus systématiquement l’emprisonnement (peines plancher, notamment) et d’autres dispositions visant à les aménager aussitôt. Pour l’avocat général Jean-Paul Jean, « le discours est hypocrite, voire schizophrène. Le message adressé au juge est “prononcez des peines de prison et exécutez-les”. Dans le même temps, on dit aux juges de l’application des peines : “libérez-les le plus vite possible”. Je préfèrerais que le juge soit tenu d’assumer les peines qu’il prononce, et n’en prononce qu’avec parcimonie, plutôt que de se dire “je prononce une peine, que le JAP aménagera” 13. »

Une politique coûteuse pour le contribuable Outre sa dimension contre-productive en termes de prévention de la récidive, la prison coûte cher. Dans un contexte de crise économique, la construction de 24 397 places engagerait l’Etat dans un investissement de 3,08 milliards d’euros. Cette somme a été calculée sur la base d’un coût de construction unitaire de référence, « hors coût d’acquisition foncière », comme le précise l’annexe du projet de loi. Si bien que le montant nécessaire à l’acquisition de terrains pourrait s’ajouter encore à cette somme : il est indiqué qu’une « trentaine de sites nouveaux devront être recherchés pour construire des établissements spécifiques pour les courtes peines. Ces établissements devront être localisés dans des zones très urbanisées. L’administration pénitentiaire ne dispose d’aucune réserve foncière préalable pour l’implantation de ces nouveaux établissements, à l’exception des sites de Bordeaux, d’une part, et des Baumettes à Marseille, d’autre part. » Ces montants viendraient s’ajouter à ceux du programme de construction de 13 200 places initié en 2002 et toujours en cours, Dedans Dehors N°74-75 Décembre 2011

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pour lequel 3,8 milliards restent à verser sur les 4,02 engagés 14. Enfin, les frais de fonctionnement annuels pour 24 397 places supplémentaires sont évalués à 748 millions 15. La prison coûte autrement plus cher au contribuable que les réponses pénales alternatives : le coût d’une journée de détention est évalué à 84 euros, celui d’une journée en placement extérieur à 27 euros, en surveillance électronique à 12 euros… 16 Des mesures telles que le travail d’intérêt général, le sursis avec mise à l’épreuve ou la libération conditionnelle apparaissent encore plus avantageuses en termes financiers, ainsi que d’efficacité à prévenir la récidive et favoriser l’insertion des condamnés. L’exposé des motifs du projet de loi vante les moindres coûts de fonctionnement des prisons dédiées aux courtes peines, essentiellement en ce que le taux d’encadrement par des personnels de surveillance y sera inférieur de moitié (0,22) par rapport aux autres établissements (0,45), du fait de « la faible dangerosité des personnes détenues » concernées. Il s’agit là de la seule indication sur le régime envisagé pour ces nouvelles prisons…

Nouvelle classification et taille des établissements Le projet de loi comporte également une nouvelle classification des établissements, actuellement scindés en maisons d’arrêt et établissements pour peine (centres de détention et maisons centrales). La nouvelle typologie envisagée tient compte de la « diversité de profil des détenus » et distingue quatre types d’établissements : « à sécurité renforcée », « à sécurité normale », « à sécurité adaptée », « à sécurité allégée ». Les arguments sont identiques à ceux invoqués pour la généralisation des « régimes différenciés » au sein d’un même établissement : il s’agit de « rompre avec l’uniformité de la prise en charge, et de ne plus imposer aux personnes condamnées à de courtes peines des contraintes de sécurité conçues pour des profils plus dangereux » 17. Une nouvelle fois, il est question de « prises en charge » différenciées, alors qu’en réalité, seul le niveau de sécurité varie. Loin d’une démarche de prévention de la récidive, toutes les contraintes pèsent sur les publics les plus « difficiles » et « en difficulté », à l’intention desquels davantage d’accompagnement et de moyens devraient au contraire être prévus. Autre évolution : la taille des établissements déjà programmés ou des nouvelles constructions se voit partout accrue, afin d’augmenter le nombre de places, en dépit des conséquences sur les relations et la violence en détention. La capacité d’accueil des établissements « nouveau concept » passe ainsi de 90 à 150 places. Celle des établissements du nouveau programme immobilier (NPI) annoncé en mai 2011 sera augmentée en moyenne de 532 à 650 places, avec une capacité pouvant aller jusqu’à 850 places en région parisienne. Le tout permettant de créer 9 500 places au lieu des 7 400 initialement prévues. Quant aux structures pour courtes peines, elles « prendront la forme soit de quartiers pour courtes peines adossés à des établissements pénitentiaires classiques, soit d’établissements pour courtes peines autonomes. Dans le premier cas, leur capacité sera de 150 places ; dans le second cas, de 190 places » 18. A plusieurs reprises, le Contrôleur général a pourtant invité les pouDedans Dehors N°74-75 Décembre 2011

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L’OIP adresse une lettre aux parlementaires Le 28 novembre 2011, l’ensemble des parlementaires a reçu une lettre ouverte les invitant à voter contre la nouvelle augmentation du parc carcéral prévue dans le projet de loi relatif à l’exécution des peines. « À quelques mois de l’élection présidentielle, n’engagez pas le pays dans le gouffre économique d’une prison qui a démontré son échec à prévenir la récidive », interpelle l’Observatoire. Parmi les réponses reçues, celle du sénateur socialiste Richard Yung, rappelant le refus du Sénat d’une augmentation du nombre de places de prison dans le cadre du projet de loi de finances 2012, et inscrivant sa formation politique dans l’optique d’un développement « des alternatives à la détention, afin que la prison redevienne la peine ultime de notre échelle pénale, réservée aux crimes les plus graves ».

voirs publics à privilégier la construction de petites structures : « On est passé à une idée consistant à concentrer les effectifs de détenus pour diminuer les coûts d’investissement et – espèret-on sans doute – ceux de fonctionnement […]. L’expérience aidant, le contrôle général persiste plus que jamais dans son point de vue, qui l’amène à penser que des établissements de plus de deux cents détenus génèrent des tensions, et donc des échecs multiples, incomparablement plus fréquents que ceux qui sont plus petits » 19. Sarah Dindo 1. Communiqué du 23 nov. 2011 2. Annexe du projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines, déposé à l’Assemblée nationale, 23 nov. 2011. 3. Etude d’impact du projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines, déposé à l’Assemblée nationale, 23 nov. 2011. 4. Cf. dossier de ce numéro de Dedans-Dehors. 5. Annexe du projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines, déposé à l’Assemblée nationale, 23 nov. 2011. 6. Articles 79 et suiv. de la loi du 24 nov. 2009. 7. Projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines, exposé des motifs, 23 nov.2011. 8. Articles 723-15 et 474 du Code de procédure pénale. 9. Revue de l’application des peines, novembre 2009. 10. Règle 18.5 des Règles pénitentiaires européennes, stipulant que « chaque détenu doit en principe être logé pendant la nuit dans une cellule individuelle, sauf lorsqu’il est considéré comme préférable pour lui qu’il cohabite avec d’autres détenus », Recommandation du 11 janvier 2006. 11. A.Kensey, A.Benaouda, « Les risques de récidive des sortants de prison – Une nouvelle évaluation », Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques, DAP/ PMJ5, mai 2011. 12. Conseil de l’Europe, conférence d’Istanbul, novembre 2005. 13. Cf. dossier de ce numéro de Dedans-Dehors. 14. Annexes budgétaires du PLF 2012 15. Sur la base d’un coût journalier de 84 euros. 16. PLF 2012, annexes budgétaires et site du ministère de la Justice (présentation du PSE, 15 juil.2011) 17. Annexe du projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines, déposé à l’Assemblée nationale, 23 nov. 2011. 18. Annexe du projet de loi, op.cit., 23 nov. 2011. 19. CGLPL, Rapport 2010.


ACTU

Le Sénat déconstruit le budget pénitentiaire Sur la base de l’avis très critique de Jean-René Lecerf (UMP), la commission des lois du Sénat a rejeté en bloc le budget de l’administration pénitentiaire dans le projet de loi de finances 2012. Une première.

services de l’application des peines et des services pénitentiaires d’insertion et de probation afin de favoriser un aménagement des courtes peines plus rapide, un suivi effectif des personnes en milieu ouvert et une amélioration de la qualité de l’accompagnement ».

17 novembre. L’avis de Jean-René Lecerf sur le budget de l’administration pénitentiaire (AP) dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) emporte l’adhésion de la commission des lois du Sénat 1. Elle estime que les orientations budgétaires présentées ne traduisent pas celles données par le législateur : « Suivant son rapporteur, la commission des lois a constaté que la traduction financière des grandes orientations de la loi pénitentiaire n’apparaissait pas clairement dans le projet de loi de finances. Elle a noté que les indicateurs de performance supposés éclairer les choix de la politique pénitentiaire n’avaient transcrit que de manière très formelle, les objectifs poursuivis par le législateur en 2009. » Au final, elle a donné un avis défavorable à l’adoption des crédits de la mission « Justice – Administration pénitentiaire » inscrits au PLF pour 2012.

Renouvelé en qualité de rapporteur en charge du dossier des prisons au sein d’une commission des lois désormais présidée par le socialiste Jean-Pierre Sueur, le sénateur UMP du Nord s’emploie avec constance à dissiper les rideaux de fumée derrière lesquels la situation carcérale apparait telle qu’en elle-même : réglementairement toilettée mais pratiquement inchangée. Sur les indicateurs de performances de l’AP, censés à la fois refléter ses priorités et permettre de contrôler leur suivi, il estime que « le choix des indicateurs eux-mêmes soulève des réserves ». Quel sens donner à un « taux de détenus bénéficiant d’une activité rémunérée » si cette indication n’est pas « pondérée » par « le nombre d’heures travaillées » ? Comment ne pas s’étonner d’une très forte augmentation du « taux d’évasions en aménagement de peine » justifiée en ces termes : « le développement de certaines mesures d’aménagement de peine a concerné des publics qui ne bénéficiaient jusqu’alors pas de telles mesures avec un risque correspondant tenant à leur éventuelle incapacité à en respecter les termes » ? Le rapporteur suggère une toute autre analyse : « on peut craindre qu’à la faveur du développement de la surveillance électronique, l’administration pénitentiaire ne soit tentée de faire l’économie de l’encadrement humain pourtant indispensable à la mise en place de ce dispositif ». Rappelons effectivement que cette mesure n’est généralement accompagnée d’aucun suivi socio-éducatif, alors que certains des publics concernés sont ceux qui présentent le plus de difficultés (sociales, sanitaires, comportementales…) et qu’il est connu que les contraintes du bracelet électronique sont difficiles à tenir au-delà de quelques mois. Autres indicateurs dans le viseur du sénateur : les taux d’occupation des UHSI et des UHSA 2, dont il est « douteux » que leur hausse « traduise en quoi que ce soit l’amélioration des conditions de détention ». Ou le nombre d’établissements pénitentiaires ayant actualisé leur protocole avec les services de soins, qualifié de « mesure à caractère purement administratif ».

Un autre sens des priorités Il y a tout juste un an, J-R. Lecerf déplorait un budget 2011 déjà « contraint » par la crise économique mais plus encore par « l’ouverture des établissements pénitentiaires dans le cadre du programme 13 200 places et par la création des emplois de surveillant qu’elle implique ». Après l’annonce d’un parc de 80 000 places de détention à l’horizon 2017, il « redoute » plus que jamais « que l’accroissement des capacités de détention n’ait d’autre effet que d’encourager de nouvelles incarcérations, à rebours de la volonté exprimée notamment par les commissions d’enquêtes du Sénat et de l’Assemblée nationale » de 2000 de « rompre le cercle vicieux entre l’accroissement du nombre de détenus et l’augmentation des capacités d’accueil en prison ». Une nécessité d’autant plus impérieuse que « la mise en œuvre du nouveau programme immobilier risque de concentrer de nouveau les moyens sur la création d’emplois de personnels de surveillance au détriment des emplois de conseiller d’insertion, et partant des mesures d’aménagement de peine ». Avec à la clé, « un volet essentiel de la loi pénitentiaire » qui « se trouverait ainsi affecté par la priorité donnée aux constructions à venir ». C’est précisément le propos développé par l’OIP dans sa « lettre ouverte aux parlementaires » du 28 novembre, les engageant à refuser la construction de prisons pour courtes peines, au bénéfice d’un « renforcement massif des moyens des

Des indicateurs pour écrans de fumée

Marie Crétenot 1. Sénat, avis sur le projet de loi de finances 2012, tome XII Justice : administration pénitentiaire, par Jean-René Lecerf (UMP), 17 nov. 2011. 2. Unités hospitalières sécurisées interrégionales (soins somatiques) et Unités hospitalières spécialement aménagées (soins psychiatriques).

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Une prévention de la récidive

au rabais

Dans son volet « prévention de la récidive », le projet de loi sur l’exécution des peines ne prévoit pas de moyens supplémentaires pour les SPIP et se contente d’annoncer la généralisation déjà prévue de dispositifs en cours : diagnostic à visée criminologique et programmes de prévention de la récidive. Il renforce encore le poids que la justice pénale fait peser sur les psychiatres, sollicités pour lui désigner les détenus les plus « dangereux » et ceux qui ne respecteraient pas leur injonction de soins.

Afin de « mieux évaluer le profil des personnes condamnées », l’annexe du projet de loi annonce une série de mesures venant confirmer la confusion régnant entre diagnostic criminologique, évaluation de la « dangerosité » et expertise psychiatrique, ainsi que le peu de cas accordé au secret rofessionnel des soignants ou des personnels d’insertion et de probation.

« Diagnostic à visée criminologique » Le projet de loi annonce une nouvelle fois la généralisation du « diagnostic à visée criminologique » (DAVC), grille d’entretien commune à tous les conseillers d’insertion et de probation (CPIP). Après une longue gestation, elle était déjà planifiée pour le 1er mars 2012 selon une circulaire de la DAP du 8 novembre 2011 1. Rappelons que ce document comporte cinq parties : situation pénale/respect des obligations ; rapport à la condamnation/l’acte ; situation personnelle et familiale ; situation médicale ; parcours d’exécution de la peine. Les questions posées rassemblent celles que la plupart des CPIP examinaient déjà avec la personne au cours de leurs premiers entretiens, avec l’avantage d’intégrer des éléments parfois négligés, tels que les « leviers et ressources de la personne », à savoir les facteurs favorables à une insertion et une sortie de délinquance sur lesquels la personne peut s’appuyer. En revanche, le DAVC ne peut aucunement prétendre constituer un outil « se conformant aux règles européennes de probation (REP) » comme l’affirme la circulation d’application de la DAP. Le Conseil de l’Europe se réfère en effet à des outils d’évaluation conçus sur la base de la recherche anglo-saxonne, qui font Dedans Dehors N°74-75 Décembre 2011

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porter le diagnostic sur « les risques, les facteurs positifs et les besoins, les interventions nécessaires pour répondre à ces besoins ainsi qu’une appréciation de la réceptivité de l’auteur d’infraction à ces interventions » 2. Une recherche méconnue en France, qui n’a pas été intégrée dans la phase d’élaboration du DAVC, conçu uniquement sur la base des pratiques existantes en France. Simple grille d’entretien, le DAVC ne constitue pas un outil d’évaluation des facteurs de risques/besoins/réceptivité. Le CPIP qui le remplit n’est pas même aiguillé quant aux conclusions à tirer de tel ou tel type de réponse. En ce sens, le DAVC ne fait que formaliser des pratiques actuelles et il ne peut en être attendu d’évolution majeure en termes d’évaluation des problématiques des personnes en lien avec leur passage à l’acte. Autre divergence fondamentale avec les règles européennes : le DAVC ne réserve pas d’espace au recueil de l’avis du détenu ou du probationnaire. Les REP insistent pourtant sur la nécessité de leur participation active à cette « appréciation formelle, ce qui implique notamment que leurs avis et souhaits personnels soient dûment pris en compte » 3. Cette approche de coélaboration du diagnostic, résultant d’un échange de vues, les points de désaccords étant inscrits dans le document, est sauf exception inexistante au sein l’administration pénitentiaire française, qui ne forme pas ses professionnels en ce sens. Les REP indiquent également que les personnes suivies doivent « être informées de la procédure et des conclusions de l’appréciation ». La circulaire rappelle pour sa part le droit d’accès et de rectification des personnes à leurs données personnelles figurant dans le DAVC, qu’elles peuvent « exercer en saisissant le procureur de la République ». Pour le Conseil de l’Europe, ce


ACTU Il est même probable que nombre de personnels refusent dès lors de renseigner ce document, comme leurs organisations syndicales les y encouragent d’ores-et-déjà. Le syndicat SNEPAP a ainsi renouvelé son « appel au boycott du DAVC ». Il considère que « la seule visibilité par les autorités judiciaires du Siège et du Parquet sur les hypothèses de travail des personnels d’insertion et de probation et les conséquences qui peuvent en découler pour la situation pénale des personnes sous main de justice, suffisent à disqualifier un outil qui ne sert désormais plus que la communication institutionnelle de la DAP et du ministère. » 6 Enfin, la création annoncée dans l’annexe du projet de loi de « 103 emplois de psychologue pour la mise en œuvre de cette mesure » laisse perplexe, le DAVC n’étant rempli que par les personnels d’insertion et de probation.

Centres nationaux d’évaluation

© Thierry Pasquet

droit implique une remise directe et systématique du document à la personne. Le projet de loi de programmation confirme enfin le problème majeur de confidentialité entourant cet outil dès sa mise en ligne informatique. Il indique en effet que « les données du DAVC seront intégrées dans Cassiopée. À ce titre, elles seront utilisables par les parquets et les services d’application des peines ». Il est par ailleurs indiqué que « l’application Cassiopée sera interfacée avec les services de police et de gendarmerie en 2013 » 4. Comme l’indiquent des personnels des SPIP dans le cadre d’une étude sur la probation, « une telle option entre en contradiction avec les exigences du secret professionnel, qui s’imposent notamment dans l’optique d’instaurer une relation de confiance. A défaut, il sera difficile d’entreprendre un accompagnement sur des questions souvent sensibles liées au passage à l’acte délinquant. Le risque d’utilisation de ces données à d’autres fins que celle de l’évaluation et de l’élaboration d’un plan de suivi réduira nécessairement l’expression autant du probationnaire que du professionnel dans le cadre du DAVC. » 5

La confusion des genres est encore de mise avec l’annonce de trois nouveaux centres nationaux d’évaluation, dans lesquels devront passer pour quelques semaines les détenus « condamnés à une longue peine, qui présentent un degré de dangerosité a priori supérieur ». Si l’approche pluridisciplinaire apparaît judicieuse, le seul diagnostic clinique des psychiatres n’intégrant pas les dimensions liées au milieu de vie et au contexte relationnel, ce type d’évaluation apparaît d’emblée mal engagé en France, les pouvoirs publics se fondant sur une notion de « dangerosité » dénuée de fondement scientifique. Dans les pays qui pratiquent des expertises criminologiques alliant observations cliniques et outils d’évaluation, personne ne prétend plus mesurer la « dangerosité » d’une personne, mais les « facteurs de risque » de commission d’une nouvelle infraction, auxquels elle est exposée à un instant T : ces facteurs relèvent aussi bien de sa situation sociale (absence d’activité, isolement, relations cantonnées au milieu délinquant…) que de son rapport personnel à la loi et aux limites (croyances de ne pas pouvoir agir autrement, que l’acte délinquant est justifié, etc.). L’évaluation des facteurs de risque se distingue d’une évaluation de la « dangerosité », impossible à réaliser et relevant d’une conception erronée selon laquelle un individu pourrait être intrinsèquement « à risque ». Plutôt que de servir à décider de mesures de sûreté ou d’aménagements de peine, ces évaluations gagnent en outre à être utilisées pour mieux cibler l’accompagnement des personnes sur leurs besoins.

Les soignants sous le joug judiciaire Toujours dans une optique de prévention de la récidive, l’article 5 du projet de loi vise à imposer aux soignants en milieu fermé, de délivrer au détenu soumis à une injonction de soins, ainsi qu’au Dedans Dehors N°74-75 Décembre 2011

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Le Conseil de l’Europe indique que « l’expérience de l’apprentissage au sein d’un groupe de personnes vivant la même situation peut être très efficace » juge de l’application des peines « des attestations indiquant si le patient suit ou non de façon régulière le traitement proposé par le juge de l’application des peines ». Cette disposition déjà en œuvre en milieu ouvert – où un médecin coordonnateur fait néanmoins l’interface entre le médecin traitant et le juge – ne manquera pas de susciter des inquiétudes. Passons outre la formulation d’un « traitement proposé par le JAP », comme s’il était désormais acquis qu’un magistrat ait compétence à prescrire un traitement… L’article 5 dispose que la remise d’attestations au JAP a pour objectif de lui permettre de se prononcer sur « le retrait des réductions de peine, l’octroi de réductions de peine supplémentaires ou l’octroi d’une libération conditionnelle ». Est ainsi encore renforcé un détournement des soins à des fins de décision judiciaire, incitant la personne détenue à se conformer en apparence à la thérapie, sachant qu’en dépendront des décisions relatives à sa privation de liberté. Le professionnel doit-il attester uniquement du fait que le détenu se présente aux rendez-vous, ou signifier si la thérapie est purement formelle ou réelle, voire si elle est « efficace », et selon quels critères ? Selon l’étude d’impact, le magistrat pourra grâce à cette disposition, « se prononcer, en toute connaissance de la réalité du suivi de soins, sur le retrait ou l’octroi de réductions de peines ou le prononcé d’un aménagement de peines. Le contrôle de la réalité de la démarche de réinsertion par le détenu en sera renforcé. » Une naïveté ayant pour conséquence de risquer d’éloigner encore un peu plus les personnes détenues de la rencontre avec des soignants dont elles ont parfois tant besoin.

Des programmes de prévention de la récidive sans moyens Sur le contenu de l’accompagnement assuré par les SPIP, l’annexe du projet de loi annonce que « les programmes de prévention de la récidive [PPR] seront généralisés à tous les établissements pénitentiaires, et incluront obligatoirement un volet spécifique relatif à la délinquance sexuelle. Ces programmes seront élaborés et mis en œuvre par une équipe interdisciplinaire, comprenant notamment des psychologues. » En premier lieu, il convient de rappeler que les PPR, groupes de paroles développés par de nombreux SPIP depuis 2007, ne concernent pas que les établissements pénitentiaires, mais aussi et surtout le milieu ouvert, plus propice à la réalisation de telles actions. En second lieu, ils ne peuvent tous inclure un volet relatif à la délinquance sexuelle, puisque chaque programme porte sur un Dedans Dehors N°74-75 Décembre 2011

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type d’infraction, celui pour lequel la personne a été condamnée : parmi les 156 PPR comptabilisés fin 2010, 32 % portaient sur les violences à caractère sexuel, 30 % sur les violences familiales et conjugales, 14 % sur les violences, 10 % sur les délits routiers… 7 Quant à l’élaboration et la mise en œuvre par une équipe pluridisciplinaire, seuls les CPIP peuvent animer ces groupes de parole, le psychologue n’intervenant que pour superviser les professionnels en dehors des séances. Ces programmes ont l’avantage d’introduire en France le travail de groupe, alors que le Conseil de l’Europe indique que « l’expérience de l’apprentissage au sein d’un groupe de personnes vivant la même situation peut être très efficace » 8. La manière dont ils sont développés en France reste néanmoins artisanale, les professionnels des SPIP étant chargés d’en élaborer eux-mêmes le contenu, alors que les programmes de même nature développés dans d’autres pays sont élaborés et évalués par des chercheurs ; les professionnels chargés de les animer suivent une véritable formation et une méthode éprouvée qui fait pour l’instant défaut en France. Pour développer de tels programmes, les SPIP auraient également besoin de davantage de moyens. Or, le projet de loi de programmation ne prévoit la création que de 88 emplois de CPIP « mobiles », « pour renforcer les SPIP en cas de pic d’activités ». Cette annonce pourrait faire sourire, si on ignorait la situation dramatique de nombre de ces services. Pour justifier le maintien du nombre d’emplois de CPIP à son niveau actuel, le Gouvernement s’appuie sur un rapport des inspections des finances et des services judiciaires de juillet 2011 ayant estimé que « le niveau actuel des effectifs de personnel d’insertion et de probation apparaît globalement adapté ». Pour parvenir à cet invraisemblable résultat, les inspections ont tablé sur un effectif de référence correspondant à 82 personnes suivies par CPIP. Lorsqu’on prétend lutter contre la récidive, développer les PPR et autres méthodes d’accompagnement… ce sont des ratios de 25 (comme en Suède) à 40 (comme au Canada) personnes à suivre par conseiller qu’il faut nécessairement viser, et non maintenir ceux de 80 en moyenne, avec des pics de 150-200 dans certaines périodes. Le Gouvernement ne prévoit que de répondre à ces pics conjoncturels à travers la mise en place d’équipes mobiles. Concrètement, cela signifie que des CPIP arriveront dans un service pour une courte période, au cours de laquelle ils rencontreront des personnes condamnées dont ils n’assureront pas le suivi jusqu’à son terme, le tout en l’absence de connaissance du territoire et du réseau de partenaires locaux chargés de compléter le suivi du SPIP en matière d’insertion et de soins… Vous avez dit prévention de la récidive ? Sarah Dindo 1. DAP, circulaire relative au DAVC, 8 nov. 2011. 2. Règle 66, Recommandation Rec(2010) sur les Règles du Conseil de l’Europe relatives à la probation, 20 janvier 2010. 3. Règles 67 et 68, Recommandation CM/Rec(2010) sur les Règles du Conseil de l’Europe relatives à la probation, 20 janv. 2010. 4. Annexe du projet de loi, op.cit., 23 nov. 2011. 5. S. Dindo, « SME : la peine méconnue – une analyse des pratiques de probation en France », DAP/PMJ1, mai 2011. 6. Snepap, « Circulaire DAVC : il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir », 15 nov. 2011. 7. S. Dindo, op.cit., DAP/PMJ1, mai 2011. 8. Commentaire relatif à la Règle 77 de la Recommandation CM/Rec(2010) sur les Règles du Conseil de l’Europe relatives à la probation, 20 janv. 2010.


ACTU

La surpopulation, cancer des prisons françaises Le candidat Nicolas Sarkozy affirmait dans sa réponse aux États généraux de la condition pénitentiaire en janvier 2007 qu’« être condamné à une peine de prison, ce n’est pas être condamné à être maltraité par d’autres détenus, à ne plus avoir de contacts avec sa famille, à vivre dans une er cellule surpeuplée, à se sentir acculé au suicide ». Au 1 novembre 2011, 64 % des personnes incarcérées sont détenues dans une prison surpeuplée.  1 Le taux d’occupation moyen est de 128 % dans les maisons d’arrêt .

Les prisons ne désemplissent plus. Depuis l’« affaire de Pornic » en janvier 2011 et les instructions du ministère de la Justice aux Parquets qui s’en sont suivies, le nombre de personnes détenues atteint des pics historiques : elles sont 65 262 au 1er décembre 2011, soit une hausse de 6,2 % cette année. Avec des conséquences directes sur les conditions de vie et de travail en détention : la moitié des établissements ou quartiers ont une densité supérieure ou égale à 100 %.

Sitôt construites, sitôt remplies Censées apporter un remède à la surpopulation, les nouvelles prisons sont d’emblée affectées par le phénomène. La maison d’arrêt de Lyon-Corbas, mise en service en mai 2009, accueille 882 détenus pour 690 places en novembre 2011. « 50 % [d’entre eux] sont en attente de leur jugement, […] présumés innocents, [et] les autres sont des condamnés à de courtes peines », relevait le député André Gérin dans son courrier au ministre de la Justice après sa visite de l’établissement le 10 février 2011. « Nous sommes au cœur de tout ce qui concourt à la surpopulation carcérale en France et qui nous a valu, à plusieurs reprises, la condamnation de la Cour européenne des droits de l’Homme », conclut-il. En décembre 2011, la maison d’arrêt de Coulaines près du Mans héberge quant à elle 490 détenus pour 401 places 2, soit un taux d’occupation de 122 %. « Prison de demain » vantée par François Fillon lors de son inauguration en novembre 2009, elle est « entrée dans la triste normalité du paysage français », soulignait le 24 mars Samuel Pelé, secrétaire local du syndicat UFAP. Deux semaines plus tôt, « une grève de l’obéissance » avait été observée par des détenus évoquant notamment « l’isolement ressenti et vécu dans ce béton glacé ». Secrétaire local de la CGT-pénitentiaire, Arnaud Marrau qualifie

cette prison neuve de « poudrière », avec une hausse importante des conflits entre personnes détenues. Une personne détenue au centre pénitentiaire de Rennes-Vezin, ouvert en mars 2010, écrit en novembre 2011 : « On nous a assuré que nos conditions de détention seraient nettement meilleures que dans l’ancienne prison Jacques Cartier et il est vrai que nous avons des douches en cellule et que nous avons obtenu des cellules individuelles. Mais depuis juillet 2011, nous nous retrouvons à trois détenus dans une cellule de 9 m² (une personne sur le lit et les deux autres par terre, sur des matelas plein de poussière). On n’arrive plus à respirer, ni à préserver notre intimité. Il y a de plus en plus de tensions entre détenus et avec les surveillants. » Dans le quartier maison d’arrêt de cet établissement, dix cellules du service médico-psychologique régional (SMPR) ont même été réquisitionnées par l’administration pénitentiaire le 1er novembre, sur les trente dont les soignants disposent pour les hospitalisations de jour. Le quartier de 480 places a vu le nombre de personnes détenues passer de 456 à 567, soit une hausse de près de 25 % entre janvier et novembre 2011. L’occupation des cellules du service de psychiatrie entraîne « une cohabitation de patients et de non-patients dans un même espace », remettant « fortement en cause le secret médical et la confidentialité des soins », s’insurge le docteur Henry, chef de service du SMPR de Rennes.

Des atteintes à la dignité qui se banalisent… Promiscuité, tensions, indisponibilité du personnel. Au 1er décem­bre, 594 personnes détenues dormaient sur un matelas posé à même le sol, contre 220 il y a un an (soit une augmentation de 170 %). Autant de conséquences observées à la Dedans Dehors N°74-75 Décembre 2011

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« Est-ce que le but est de nous entasser comme des animaux ? » Courrier de mai 2011 d’une personne détenue à la maison d’arrêt de La Roche-sur-Yon « A mon arrivée en 2009, j’ai été contraint de coucher sur un matelas au sol dans une cellule de 9 m² où nous étions quatre et ceci pendant plus d’un mois. Durant l’année 2011, nous nous sommes une nouvelle fois retrouvés à quatre dans une cellule de 9 m². Afin de dénoncer ces conditions inhumaines de détention, j’ai, avec l’aide de mon avocate, déposé un recours devant le tribunal administratif de Nantes. Nous avons obtenu gain de cause contre le ministre de la Justice. Aujourd’hui encore et malgré ce recours, cette situation vient de se renouveler. Est-ce que le but de cette maison d’arrêt est d’entasser les êtres humains comme des animaux ? Les lourdes difficultés d’hygiène liées à la surpopulation et la vétusté, les odeurs, le manque de lumière naturelle, la promiscuité, l’impossible circulation de l’air ne sont plus tolérables. La capacité d’accueil de la maison d’arrêt est de 40 et nous sommes presque 110. Si vous refusez de coucher sur un matelas au sol, on vous menace de quartier disciplinaire. Il n’y a pas assez à manger pour tout le monde : certains gardiens, pour ne pas que l’on se plaigne auprès des détenus qui distribuent les repas, préfèrent faire eux-mêmes le service pour éviter les conflits ».

maison d’arrêt de Nantes, qui a vu son nombre d’occupants augmenter de plus de 15 % durant les trois premiers mois de l’année. Début avril, la situation était qualifiée d’« intenable » par le représentant régional de la CGT-pénitentiaire. « On est obligé de mettre des matelas par terre, il n’y a pas suffisamment de lits. Cela pose plein de problèmes : conflits entre détenus, problèmes de cohabitation. Au final, on n’a ni le temps ni les moyens de s’occuper des condamnés à des peines lourdes et de mener un travail de fond pour les insérer dans la prison, puis de préparer leur réinsertion », déplore Alexis Grandhaie. Les quartiers pour mineurs ne sont pas épargnés. Le 20 septembre, le syndicat UFAP dénonçait « la surpopulation chronique du quartier des mineurs [du centre pénitentiaire de Perpignan] et les problèmes qui en découlent (bagarres, temps d’activités des détenus réduit…) ». Rappelant que « pour les mineurs, l’encellulement individuel est obligatoire » et dénonçant des « cas de gale » dans ce quartier, le syndicat faisait alors état de « 4 cellules doublées ». Il s’inquiétait également du « retour d’une quinzaine de matelas au sol (soit 3 détenus par cellule de 9 m2) » au quartier hommes. Le 23 novembre, le même syndicat déplorait l’absence de séparation entre les femmes mineures et majeures détenues à la maison d’arrêt de Strasbourg. Signalant qu’une femme, incarcérée la veille, dormait sur un matelas à même le sol, le syndicat dénonçait une « situation intolérable », portant Dedans Dehors N°74-75 Décembre 2011

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atteinte « à la dignité humaine ». A la maison d’arrêt de Saintes, établissement de 80 places qui a vu le nombre de personnes hébergées passer de 80 à 120 entre janvier et novembre, « la situation se dégrade très vite » selon Christophe Beaulieu, délégué régional Force Ouvrière. Il dénonce « un établissement qui cherche [à obtenir] la labellisation RPE mais qui continue de mélanger les prévenus et les condamnés ». Et de décrire une « prison surpeuplée et oubliée », dont « l’état de délabrement va rapidement impacter sur l’hygiène et la sécurité », et qui ne fera l’objet d’aucun investissement, sa fermeture étant programmée pour 2017 3.

Outre-mer : alerte rouge La situation en Outre-mer atteint son paroxysme : la densité moyenne des établissements pénitentiaires y est de 128 %, contre 112 en métropole au 1er octobre. « Ce qui a été observé lors de la visite inopinée, par quatre contrôleurs, du centre pénitentiaire de Nouméa, appelé Camp Est, en Nouvelle-Calédonie, du mardi 11 au lundi 17 octobre 2011, par son ampleur, relève d’une violation grave des droits fondamentaux », alerte JeanMarie Delarue, utilisant de manière exceptionnelle une procédure d’urgence en publiant ses observations dès le 6 décembre 4. Il décrit un établissement pénitentiaire où « les personnes détenues sont entassées dans des cellules insalubres où elles subissent une sur-occupation atteignant 300 % dans le quartier de la maison d’arrêt ». Cette dernière est « composée de cellules de 12 m2 où cohabitent jusqu’à six personnes ». « Les activités [qui y sont] proposées sont quasi-inexistantes », « les personnes détenues n’ont pas accès au téléphone », « il est impossible de prendre rendez-vous pour les parloirs », « l’accès aux soins est très difficile ». Dans les cellules, « l’intimité n’est pas assurée », la chaleur « est vite éprouvante », « les grilles d’aération sont souvent obstruées afin d’empêcher les rats de rentrer », « les remontées d’égouts fréquentes empestent l’atmosphère », des matelas sont posés à même « un sol crasseux et humide où circulent des rats et des cafards ». C’est également en Outre-mer que des établissements pour peine sont surpeuplés, ce qui reste exceptionnel en métropole4. Au 1er novembre 2011, 547 personnes, dont 402 en Outre-mer, étaient incarcérées en surnombre dans des établissements pour peine. Une situation semble-t-il ignorée du ministère de la Justice, qui affirme qu’« en France, seules les maisons d’arrêt peuvent connaître une situation de surpopulation. Les établissements pour peine ne connaissent pas ce phénomène car le nombre de personnes affectées sur ces sites correspond au nombre de places disponibles » 5. En Polynésie, le centre de détention de Faa’a-Nuutania (246 détenus pour 61 places) affichait un taux record de sur-occupation de 403 % en novembre 2011. Les personnes détenues s’accordent à décrire cette prison comme « insalubre et invivable ». Le quartier centre de détention de Ducos en Martinique atteint pour sa part une densité de 125 %. Le rapport d’activités de l’établissement mentionne d’ailleurs pour chaque quartier un nombre de places théoriques, de lits installés et de détenus ! Le quartier maison d’arrêt-hommes comportait ainsi 137 places théoriques, 259 lits installés et 320 détenus au 1er janvier 2011. Un rapport réalisé


ACTU

© Michel Gasarian

par deux sénateurs en avril 2011 signale que dans ce quartier, « des cellules individuelles peuvent comporter jusqu’à quatre lits ». Ils indiquent avoir été « particulièrement frappés par le climat violent généré par le phénomène de surpopulation carcérale, qu’ils n’ont pas perçu ni au centre de Rémire-Montjoly en Guyane ni dans les deux établissements de Guadeloupe » 7. Le quartier « accueil » n’est pas épargné, avec 15 places théoriques, 59 lits installés et 47 détenus. Une situation dénoncée par l’UFAP dans une lettre au garde des Sceaux d’avril 2011 : « Sachez qu’il séjourne actuellement plus de 50 détenus pour 15 places dans ce qui s’appelle “quartier arrivant”. » Des quartiers arrivants censés se conformer aux Règles pénitentiaires européennes, tout au moins dans leur traduction à la française… Samuel Gautier

1. 118 établissements ou quartiers sur 245 ont une densité supérieure ou égale à 100 %. DAP, statistiques mensuelles de la population écrouée et détenue en France, 1er nov. 2011. 2. Chiffre fourni par la direction de l’établissement au 7 décembre 2011. 3. En visite à Saint-Jean d’Angély le 5 mai, Michel Mercier, garde des Sceaux, a confirmé la construction d’un nouvel établissement pénitentiaire de 336 places sur le site de l’ancien camp militaire de Fontenet, pour compenser les fermetures programmées des prisons de Saintes et de Rochefort. 4. « Recommandations du Contrôleur général des lieux de privation de liberté prises en application du deuxième alinéa de l’article 9 de la loi du 30 octobre 2007 et relatives au centre pénitentiaire de Nouméa (Nouvelle-Calédonie) », JORF n° 0282 du 6 décembre 2011. er 5. Au 1 novembre 2011, les centres de semi-liberté de Corbeil, Gagny, Lyon, le centre pour peines aménagées de Villejuif et le quartier centre de détention de Nantes étaient sur-occupés en métropole. 6. Réponse du garde des Sceaux, à la question écrite n° 110109 du député de Meurthe-et-Moselle Christian Eckert concernant la surpopulation dans les établissements pénitentiaires français, JORF du 25 octobre 2011. 7. Rapport d’information n°410 (2010-2011) de MM. Christian Cointat et Bernard Frimat, fait au nom de la commission des lois, déposé le 6 avril 2011.

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La justice des mineurs passée au karcher Le 10 août 2011, une nouvelle loi réformant la justice des mineurs a été promulguée1 : la sixième en dix ans. Invoquant des jeunes de plus en plus délinquants, confortés dans leur « sentiment d’impunité » par le « laxisme des juges », les parlementaires ont rapproché encore un peu plus la justice des mineurs de celle des majeurs, notamment par la création d’un tribunal correctionnel pour mineurs et l’instauration d’une procédure de jugement accélérée. La déconstruction de l’ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante se poursuit.

© Michel Le Moine

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A en croire le garde des Sceaux Michel Mercier, qui reprend là l’antienne de ses prédécesseurs, les jeunes d’aujourd’hui « ne sont plus les mêmes qu’hier ». Leur délinquance a triplé en trente ans, affirme le député Christian Estrosi lors de la présentation du texte à l’Assemblée nationale le 22 juin. Peu importe que ces chiffres soient régulièrement relativisés ou même démentis par les chercheurs et acteurs concernés.

Contre-vérités sur la délinquance des mineurs La Commission nationale consultative des droits de l’Homme remet les pendules à l’heure : les données relatives à la délinquance des mineurs « correspondent à des statistiques d’activité des services de police et de justice, et la seule conclusion dont on est certain est celle de l’augmentation de l’efficacité et de la réactivité de ces services » 2. Laquelle répond à une volonté gouvernementale d’apporter une réponse systématique à « tout acte de délinquance commis par un enfant ou un adolescent ». Légende aussi que celle des magistrats laxistes : la justice des mineurs affiche un taux de réponse pénale (poursuites devant les tribunaux, alternatives aux poursuites ou composition pénale) de 93,9 % en 2010 3, chiffre en progression constante depuis plus de dix ans. Le chercheur Laurent Mucchielli rapporte de son côté que les enquêtes de victimation et de délinquance auto-reportées montrent une baisse tendancielle des infractions commises par les mineurs depuis le début des années 1990 4. Et les chiffres apportent un démenti catégorique à l’idée selon laquelle ils commettraient de plus en plus jeunes des actes de plus en Dedans Dehors N°74-75 Décembre 2011

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plus violents. Analysant les statistiques du ministère de la Justice, L. Mucchielli souligne qu’« en 2009, la justice française a condamné 1 870 mineurs de moins de 13 ans pour des infractions pénales (essentiellement du vandalisme, des bagarres et des petits vols), ce qui ne représente que 3,4 % des mineurs condamnés et seulement 0,3 % de l’ensemble des personnes condamnées » 5. Enfin, « si la délinquance des jeunes est un phénomène qui persiste, ceux-ci persistent rarement dans la délinquance » note le sociologue Nicolas Bourgoin. En « la concevant avant tout comme une inadaptation temporaire pouvant être corrigée par des mesures éducatives », le législateur de l’ordonnance du 2 février 1945 a, selon lui, vu juste 6. Les Principes directeurs des Nations unies pour la prévention de la délinquance juvénile rappellent en ce sens que « le comportement ou la conduite d’un jeune qui n’est pas conforme aux normes et valeurs sociales générales relève souvent du processus de maturation et de croissance et tend à disparaître spontanément chez la plupart des individus avec le passage à l’âge adulte ». Et mettent en garde contre la tentation de « qualifier un jeune de “déviant”, de “délinquant” ou de “prédélinquant” », attitude qui « contribue souvent au développement chez ce dernier d’un comportement systématiquement répréhensible » 7.

Juge des enfants, juge mineur La loi du 10 août 2011 s’inscrit à l’inverse de tels principe en créant les tribunaux correctionnels des mineurs (TCM) qui, dès janvier 2012, seront chargés de tous les dossiers dans lesquels la peine encourue par un mineur récidiviste de plus de 16 ans


ACTU est supérieure ou égale à trois ans – ce qui englobe de fait une très grande majorité des dossiers. Dans la perspective de l’ordonnance de 1945, un enfant délinquant est avant tout un enfant en danger, qu’il convient de protéger et d’accompagner par des mesures prioritairement éducatives. C’est le rôle du juge pour enfants, qui assure la continuité de l’action judiciaire entre éducatif et répressif et garantit un accompagnement au long cours. L’enfant connaît « son » juge, et vice-versa 8. Le tribunal correctionnel pour mineurs (TCM), par sa composition, enterre cette spécificité. Son président restera certes un juge des enfants, mais pas nécessairement celui qui a suivi le mineur qui comparait. Il sera entouré de deux assesseurs, qui peuvent être aussi bien des magistrats que des personnes issues de la société civile – ni formées, ni spécialisées. Les tribunaux pour enfants se trouvent ainsi dessaisis « des situations les plus complexes qui requièrent pourtant une adaptation réfléchie, concertée et souple de la réponse judiciaire » 9.

Toujours plus rapide, toujours plus répressive Entretenant la confusion entre la nécessité d’apporter une réponse rapide à un adolescent en dérive, et celle d’un jugement à bref délai, la loi introduit la possibilité de convoquer un mineur devant le tribunal, dès l’âge de 13 ans, directement par un officier de police judiciaire, sur instruction du procureur de la République, sans passage préalable devant le juge des enfants. Il faut pour cela que des investigations sur les faits ne soient pas nécessaires, et qu’une enquête de personnalité ait été effectuée au cours des douze derniers mois. Cette procédure de jugement accélérée, applicable y compris aux primo-délinquants, supprime la phase pré-sententielle, « pourtant extrêmement fructueuse pour engager un travail sur la prise de conscience, la mobilisation de l’environnement, l’élaboration d’un projet éducatif » 10. Enfin, la lutte contre la récidive nécessitant, aux yeux du législateur, le recours accru à « une action éducative en milieu plus contraint » 11, la loi du 10 août ouvre la porte à un fort accroissement des placements en Centres éducatifs fermés (CEF), en élargissant les conditions du contrôle judiciaire des mineurs de plus de 13 ans. « Cette modification » lit-on dans l’exposé des motifs, « permettra de placer [le mineur] dans un centre éducatif fermé », y compris s’il est primo-délinquant. Possibilité que le ministre de la Justice entend bien voir utilisée dans sa pleine mesure. Une circulaire du 2 décembre 2011 12 adressée à tous les procureurs leur demande « s’agissant des mineurs âgés de 13 à 16 ans pour lesquels la détention provisoire n’est pas possible […] de requérir leur placement sous contrôle judiciaire avec obligation de respecter les conditions d’un placement dans un centre éducatif fermé et ce, même si le mineur n’est pas connu des services de police ou de justice ». Le placement en CEF est aussi préconisé « lorsque sera envisagée une remise en liberté du mineur avec placement sous contrôle judiciaire, […] et ce, quand bien même l’intéressé ne serait ni réitérant ni récidiviste. » De quoi largement remplir les 20 nouveaux CEF prévus dans le projet de loi de programmation sur l’exécution des peines qui sera soumis au débat parlementaire en janvier 2012. En pâtira notamment la diversité des modalités de prise en charge des mineurs concernés, puisque « dans un souci d’optimisation des moyens existants », peut-on

EPM : l’utopie disciplinaire « L’EPM réaliserait-il, par une ruse de l’histoire, l’utopie disciplinaire ? » Une étude portant sur les établissements pour mineurs met en évidence le « formidable système de contrainte » auquel sont soumis les mineurs qui y sont détenus. La qualité de la « prise en charge globale » du mineur, fondée sur la volonté de prendre en compte la complexité des parcours délinquants, de ne pas réduire un jeune à son statut de détenu, devient dans ces établissements dépendante de la connaissance et de la maîtrise de « l’ensemble des faits et gestes, des pensées et projets des détenus ». Impliquant l’administration pénitentiaire, la Protection judiciaire de la jeunesse, l’Éducation nationale et l’hôpital public, ce processus aboutirait à une forme de « retotalitarisation » selon les auteurs. Le jeune, confronté à des « logiques d’action hétérogènes » de la part des différentes institutions intervenantes, est constamment soumis à surveillance, objet d’observations consignées dans un cahier électronique de liaison et sur-sollicité. Là où, dans les quartiers mineurs, « l’impératif sécuritaire est prépondérant et omniprésent », et « réduit de nombreux jeunes à une situation d’abandon », les mineurs en EMP sont exposés à une forme de « suractivité », qui découle notamment des attentes des différents protagonistes. Il n’empêche, « il en va de l’EPM comme de la prison en général : structurellement, dans un tel microcosme, le faux-semblant est roi et le pouvoir d’inculcation des normes sociales douteux ». Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques (CLERSE), Les prisons pour mineurs, Controverses sociales, pratiques professionnelles, expériences de réclusion, étude dirigée par Gilles Chantraine, juillet 2011.

lire dans l’annexe du texte, « ces vingt centres éducatifs fermés supplémentaires seront créés par transformation de foyers d’hébergement existants ». Claire Mangeard et Barbara Liaras 1. Loi n° 2011-939 du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs. 2. CNCDH, avis sur la réforme de la justice pénale des mineurs, adopté le 23 juin 2011. 3. Ministère de la Justice, Les chiffres clés de la Justice, 2011. 4. Laurent Mucchielli, L’invention de la violence. Des peurs, des chiffres, des faits, Librairie Arthème Fayard, 2011. 5. Laurent Mucchielli, Les mineurs délinquants menacent-ils la société française ?, 20 avril 2011. 6. Nicolas Bourgoin, La délinquance des mineurs : vrai enjeu politique, faux problème social, 6 décembre 2011. 7. Principes directeurs des Nations unies pour la prévention de la délinquance juvénile, points 5-e et 5-f., adoptés et proclamés par l’Assemblée générale dans sa résolution 45/112 du 14 décembre 1990. 8. Le Conseil constitutionnel a estimé dans sa décision du 8 juillet 2011 que ce dispositif portait atteinte au principe d’impartialité des juridictions, et demandé er une mise en conformité d’ici au 1 janvier 2013. 9. Association des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF), Avis sur le projet de loi sur la participation des citoyens à la justice pénale et le jugement des mineurs… ou comment faire échapper l’enfant à son juge, juin 2011. 10. AMJF, op. cit., juin 2011. 11. Exposé des motifs de la loi n° 2011-939 du 10 août 2011. 12. Circulaire relative aux mesures de contrainte visant à prévenir la réitération d’actes graves par des mineurs, 2 décembre 2011. Dedans Dehors N°74-75 Décembre 2011

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La fouille intégrale systématique dans le viseur du juge administratif L’OIP mène une campagne de recours contre la pratique humiliante de la fouille à nu en détention, à laquelle l’administration continue de recourir de manière systématique en certaines occasions, alors que la loi pénitentiaire implique d’en faire un usage exceptionnel et qui doit être justifié au cas par cas. Avec en ligne de mire son remplacement par des moyens de contrôle électronique plus respectueux de la dignité humaine. S’exprimant au nom du Gouvernement français le 27 avril 2010, Jean-Baptiste Mattéi rassurait le Comité contre la torture des Nations Unies sur la pratique des fouilles intégrales en détention, en relevant qu’avec la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 « leur caractère systématique est désormais proscrit » et qu’elles ne peuvent avoir lieu « qu’en cas de nécessité suggérée par des indices sérieux » 1. Le tournant opéré par la loi pénitentiaire est en effet notable, tant il est vrai que le droit antérieur n’offrait aucune limite au pouvoir de l’administration dans ce domaine. Abrogé en décembre 2010, l’article D.275 du code de procédure pénale disposait que « les détenus doivent être fouillés fréquemment et aussi souvent que le chef de l’établissement l’estime nécessaire » et précisait que les personnes détenues ayant accès aux parloirs devaient faire l’objet d’une fouille systématique. Une circulaire du 14 mars 1986, abrogée en avril 2011, habilitait également administration à faire un usage systématique des fouilles intégrales dans certaines situations (à l’issue des parloirs, au retour des ateliers, ou après une extraction). Elle précisait que les personnes mises à nu devaient se pencher et tousser afin de vérifier qu’elles ne cachaient aucun objet dans l’anus. La circulaire du 14 avril 2011 est certes revenue sur cette obligation mais permet toujours à l’administration d’imposer aux personnes fouillées d’écarter les jambes pour permettre un contrôle visuel de l’entrejambe.

Le caractère exceptionnel de la fouille intégrale affirmé par la loi pénitentiaire Comme l’a souligné la Cour européenne des droits de l’Homme, ces mises à nu contraintes portent « par nature » atteinte à la dignité humaine. A l’instar du Comité européen de prévention de la torture (CPT) ou de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), la Cour a ainsi affirmé n’avoir Dedans Dehors N°74-75 Décembre 2011

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« aucune difficulté à concevoir qu’un individu qui se trouve obligé de se soumettre à un traitement de cette nature se sente de ce seul fait atteint dans son intimité et sa dignité, tout particulièrement lorsque cela implique qu’il se dévêtisse devant autrui, et plus encore lorsqu’il lui faut adopter des postures embarrassantes » 2. Si les juges français et européens n’interdisent pas pour autant l’emploi des fouilles intégrales en détention, ils exigent qu’elles soient absolument nécessaires sur le plan de la sécurité et réalisées selon des modalités adéquates. A plusieurs reprises, la France a été condamnée pour ne pas avoir respecté ces exigences, les fouilles litigieuses étant alors qualifiées de traitements dégradants 3. Dans ce contexte jurisprudentiel, le législateur de 2009 se saisissant pour la première fois de cette question, a choisi de ne pas interdire la pratique des fouilles à nu pour la remplacer par des moyens de contrôle électronique, comme le réclamaient l’OIP ou la CNCDH 4. L’article 57 pose néanmoins le principe de la subsidiarité du recours aux fouilles intégrales, ces dernières n’étant possibles « que si les fouilles par palpation ou l’utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes ». « Ce faisant » expliquait le sénateur Jean-René Lecerf, « nous préparons l’avenir, les cas de fouille intégrale devant se réduire avec le progrès technique ». Et le député Jean-Paul Garraud de confirmer que les équipements modernes de détection « permettront certainement la suppression des fouilles intégrales ». Par ailleurs, l’article 57 de la loi pénitentiaire encadre d’ores-etdéjà l’usage des fouilles en le soumettant aux principes de nécessité et de proportionnalité : elles « doivent être justifiées par la présomption d’une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et


ACTU au maintien du bon ordre dans l’établissement. Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues. » La décision de recourir à une fouille intégrale doit donc désormais être individualisée, c’est-àdire être prise en considération de la personne à laquelle elle doit être appliquée. Dans son rapport sur le projet de loi pénitentiaire, Jean-Paul Garraud rappelait qu’en 2000 « la commission d’enquête du Sénat avait dénoncé le caractère trop systématique des fouilles, les qualifiant d’“automatisme pénitentiaire” conduisant à effectuer des fouilles selon les mêmes fréquences et les mêmes modalités quel que soit le degré de dangerosité de la personne ». Avec la loi du 24 novembre 2009, le législateur a clairement entendu donner aux fouilles intégrales un caractère exceptionnel et mettre ainsi un terme à leur usage systématique.

La loi pénitentiaire inappliquée Deux ans après le vote de ces dispositions, le bilan de leur application est cependant bien sombre. La promesse d’un remplacement progressif des fouilles intégrales par le recours à des instruments modernes de détection se heurte à l’absence de volontarisme politique. Le sénateur Jean-René Lecerf a récemment critiqué en ce sens le projet de loi de finances pour 2012 en relevant qu’il « ne prévoit pas de financement pour permettre l’expérimentation de matériels de détection qui éviterait le recours à des pratiques ressenties comme humiliantes pour les personnes détenues » 5. Par ailleurs, les détenus sont encore soumis, dans de nombreux établissements, à des régimes de fouilles intégrales systématiques. Cette résistance à l’application des dispositions votées par le législateur s’est encore récemment exprimée par la voie d’un communiqué de l’UFAP du 13 décembre, dans lequel le syndicat affirme ne pas accepter la remise en cause de la systématicité des fouilles intégrales à l’issue de tout contact avec l’extérieur « essentielle », selon lui, « à la survie du système carcéral en France » 6. Depuis quelques mois, l’OIP, ainsi que plusieurs personnes détenues, se sont donc tournés vers les juges. En juillet, l’Observatoire a saisi le Tribunal administratif de Lille pour obtenir la suspension d’une note du directeur du centre de détention de Bapaume prévoyant que toutes les personnes détenues ayant accès aux parloirs devaient faire l’objet de fouilles intégrales. Quelques jours avant l’audience, l’administration faisait savoir qu’elle avait décidé d’abroger cette note. Au mois d’août, un détenu du centre de détention de Salon-deProvence introduisait un référé avec le soutien de l’OIP pour obtenir l’arrêt des fouilles intégrales systématiques à son encontre à l’issue des parloirs. Saisi en appel, le Conseil d’Etat s’est prononcé contre l’existence de fouilles intégrales visant de façon systématique, et sans distinction, l’ensemble des détenus ayant accès aux parloirs dans cet établissement, et a relevé, à propos du requérant, que de telles fouilles n’étaient pas nécessaires au maintien de la sécurité au regard de ce que l’intéressé a toujours eu un « comportement paisible et correct » 7. Quelques semaines plus tard, le Tribunal administratif de Marseille

suspendait à la demande de l’OIP la décision du directeur de Salon-de-Provence soumettant tous les détenus à des fouilles systématiques après les parloirs 8. Fin novembre, la directrice du centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse était condamnée en référé liberté par le Tribunal administratif de Lyon pour soumettre depuis plusieurs mois une personne détenue à des fouilles à nu à l’issue des parloirs sans que ne soit démontrée la nécessité de ces mesures sur le plan de la sécurité, le juge des référés estimant qu’une « atteinte grave et manifestement illégale » était portée « à la liberté fondamentale du requérant de ne pas subir de traitements inhumains et dégradants contraires à la dignité humaine » 9. D’autres décisions faisant suite à des recours de l’OIP sont attendues des Tribunaux administratifs de Strasbourg et de Rennes sur les régimes de fouilles intégrales systématiques en vigueur au centre de détention d’Oermingen et au centre pénitentiaire de Rennes. Commentant cette campagne de l’OIP, le sénateur Jean-René Lecerf, qui fut rapporteur de la loi pénitentiaire, estime qu’« il y a des secteurs en prison où il y a de la violence, des bagarres, des tentatives d’évasion, et la tentation est forte de passer outre à la réglementation et à la volonté du législateur. Je suis dans une position très inconfortable, mais si ces recours permettent de faire avancer les choses, j’en serais très satisfait » 10. Gageons en effet qu’après avoir fait la sourde oreille aux prescriptions de la loi pénitentiaire, l’administration pénitentiaire entendra celles des juges… Nicolas Ferran 1. Audition de la France par le CAT, 17 avril 2010. 2. CEDH, Frérot c/France, 12 juin 2007. 3. CEDH, Frérot c/France, op. cit. ; Khider contre France, 9 juil. 2009 ; El Shennawy contre France, 21 janv. 2011 – CE, 20 mai 2010, X. et Observatoire international des prisons, n° 339259. 4. Avis du 6 novembre 2008 sur le projet de loi pénitentiaire 5. Avis de la commission des lois du sénat sur le projet de loi de finances 2012. 6. Bureau Régional UFAP Lyon, 13 décembre 2011 7. 9 sept. 2011, garde des Sceaux c/M. D., n° 352372 8. 3 nov. 2011, OIP, n° 1106682. 9. TA Lyon, 28 nov. 2011, n° 1107154. 10. Le Monde, 20 octobre 2011.

extrait du documentaire La honte de la République, CINÉTÉVÉ - CANAL+ - 2006

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L’isolement

au minimum absolu Déplorant les « effets extrêmement dommageables » de l’isolement disciplinaire ou de sécurité « sur la santé mentale, somatique et le bien-être social » des détenus, le Comité de prévention de la torture (CPT) recommande dans son rapport général de novembre 2011 de n’autoriser le « mitard » que pour une durée inférieure à 14 jours et d’engager une mutation profonde de l’isolement administratif. Dans son 21e rapport général d’activités 1 publié le 10 novembre, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) se penche sur les différentes formes de mise à l’écart dont peut faire l’objet une personne détenue au sein de la prison. Qu’elles résultent « de la décision d’un tribunal » (une personne en détention provisoire ne doit pas être en contact avec certains détenus ou avec tout détenu en raison de l’enquête pénale), « d’une sanction disciplinaire imposée au sein du système pénitentiaire » (le détenu est placé au quartier disciplinaire, le « mitard »), « d’une mesure administrative préventive » (le détenu est placé contre son gré en quartier d’isolement), « ou d’une mesure de protection du détenu concerné » (le détenu est isolé à sa demande). Les constats empiriques du Comité confirment les résultats de la recherche 2 : l’isolement disciplinaire ou de sécurité « peut avoir des effets extrêmement dommageables sur la santé mentale, somatique et le bien-être social » des personnes qui y sont soumises ; ces effets « peuvent être immédiats et augmentent d’autant plus que la mesure se prolonge et que sa durée est indéterminée ». Dès lors, ce type de mesure « soulève en soi potentiellement des questions au regard de l’interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants » estime le CPT, ajoutant qu’il « peut créer une opportunité s’agissant de mauvais traitements délibérés de détenus, loin de l’attention des autres détenus et du personnel ». Dans ce contexte, le Comité affirme qu’il est non seulement « possible de réduire le recours à l’isolement au minimum absolu » mais impératif « de faire en sorte que, lorsqu’il est mis en œuvre, ce soit pour la durée nécessaire la plus brève, de rendre chaque régime d’isolement le plus constructif possible et de garantir que des procédures sont en place afin que l’autorité y recourant soit tenue d’en rendre compte ». Conséquence : la France a encore bien des avancées à consentir pour satisfaire aux attentes du Conseil de l’Europe, Dedans Dehors N°74-75 Décembre 2011

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notamment pour ce qui est de la durée maximale de placement en quartier disciplinaire ou le contenu de la mesure d’isolement administratif.

14 jours au plus de « mitard »… Particulièrement opportune à l’heure où notre pays semble se satisfaire des dispositions relatives au régime disciplinaire telles qu’issues de la loi pénitentiaire (article 91), l’initiative du CPT sonne comme un appel au législateur à remettre l’ouvrage sur le métier. On retiendra en premier lieu la « tendance » relevée dans nombre de pays européens « vers une réduction de la durée maximale d’isolement à des fins disciplinaires ». À cette aune, la France aurait presque pu être citée en exemple, elle qui vient de la diminuer de 45 à 30 jours. « C’est encore beaucoup trop ! », tonne le secrétaire exécutif adjoint du Comité, Fabrice Kellens. Et pour cause. Le CPT « considère que cette durée maximale ne devrait pas excéder 14 jours » et « devrait de préférence être plus courte ». Plus largement, le propos du Comité renvoie la règlementation française à nombre de ses insuffisances. Selon lui, la diminution de la durée maximale de placement au quartier disciplinaire acte de la reconnaissance par les autorités pénitentiaires des « dangers inhérents à cette sanction » comme de ses « effets potentiels très dommageables ». Il revenait donc au Parlement d’affirmer clairement que le quartier disciplinaire ne peut être utilisé que « pour la période de temps la plus brève possible », mais aussi doit être réservé à « des cas exceptionnels et en tout dernier recours ». Le silence de la loi du 24 novembre 2009 sur ce point témoigne de sa faible portée réformatrice, à l’instar de la plupart des autres préconisations du CPT sur la situation de jure ou de facto de l’isolé disciplinaire dans notre pays. Qu’il s’agisse de la limitation des droits qu’il subit : « toute restriction


ACTU en mesure de solliciter un réexamen à tout moment » de l’opportunité qu’il soit maintenu à l’isolement et « d’obtenir des rapports indépendants pour de tels réexamens ». Assurément, l’on se trouve à des années-lumière de la règlementation française issue de la loi pénitentiaire : le directeur de la prison décide seul d’un placement initial à l’isolement pour une durée maximale de trois mois. L’isolement peut ensuite être prolongé indéfiniment, après débat contradictoire, par périodes de trois mois. Une autorité judiciaire est saisie, mais seulement dans le cas où la mesure est appliquée depuis plus d’un an, et elle ne peut donner qu’un avis consultatif.

© Aimée Thirion

des contacts avec les proches » ne devrait pouvoir être imposée « que lorsque l’infraction a un lien avec ces contacts ». De la procédure disciplinaire : « certains pays autorisent le directeur de la prison à imposer une période maximum donnée, réservant à un tribunal d’exécution des peines la possibilité d’imposer une période plus longue ». Des conditions d’exécution de la sanction : « toute cellule [disciplinaire] mesurant moins de 6 m2 devrait être mise hors service ». Ou de la décision de mettre fin à un placement au « mitard », qui « devrait être prise lorsque nécessaire en raison de l’état de santé ou du comportement du détenu ».

Changement de cap pour l’isolement ! Plus exigeantes encore, les attentes du CPT en matière d’isolement administratif supposeraient d’engager une véritable révolution copernicienne. En effet, le Comité n’admet en définitive ce type d’isolement que pour une durée extrêmement réduite – quelques heures tout au plus – l’intéressé devant « être libéré dès que les raisons de l’imposition de la mesure ont disparu ». « Dans tous les cas où la mesure se poursuit audelà de 24 heures », ajoute-t-il, « il convient de procéder à un réexamen complet de tous les aspects du cas en vue de mettre fin à la mesure le plus rapidement possible ». Le Gouvernement français doit désormais mieux comprendre pourquoi, devant des durées d’isolement se comptant en semaines et en mois, voire en années, le CPT affirme dans chacun de ses rapports consécutifs à ses visites dans notre pays, qu’une telle mesure « peut constituer un traitement inhumain et dégradant ». Parce qu’il s’agit fréquemment de « placements de très longues durées » et de « décisions souvent indéterminées » – deux éléments aggravant « les effets négatifs de la mesure » – le CPT rappelle le « besoin de contrôles très stricts ». Dans l’hypothèse d’une mesure devant se prolonger pour une durée supérieure à 24 heures, il demande tout à la fois l’intervention d’« un organe extérieur à la prison où est détenu l’intéressé, par exemple un haut fonctionnaire de l’administration pénitentiaire », l’instauration d’« un droit de recours auprès d’une autorité indépendante » et, si la décision est confirmée, la convocation d’« une réunion interdisciplinaire » devant laquelle le détenu serait « invité à présenter son point de vue ». Il précise que « le détenu doit être

Plus en avant, le CPT prend à rebrousse poil l’approche traditionnelle que l’administration pénitentiaire a de l’isolement, à savoir un placement seul en cellule dans un quartier spécial situé à l’écart du reste de la détention, avec, sauf exception, une impossibilité de participer aux promenades et activités collectives, qui invalide toute perspective de travailler en atelier, de suivre une formation professionnelle ou de prendre part aux activités socioculturelles et sportives. La finalité assignée à l’isolement par le Comité – condition sine qua non de son acceptation d’une telle mesure – est d’une toute autre nature : il s’agit une mesure temporaire destinée à faire face à une menace précisément identifiée. Dans ce cadre, « les détenus placés à l’isolement administratif devraient bénéficier d’un programme individualisé, axé sur la manière de traiter les motifs de l’isolement. Ce programme devrait chercher à maximiser les contacts avec autrui – le personnel pour commencer puis, dès que possible, d’autres détenus appropriés – et proposer un éventail d’activités le plus vaste possible pour occuper les journées. Il devrait y avoir un fort encouragement de la part du personnel pour que le détenu participe à des activités et les contacts avec le monde extérieur devraient être facilités. Pendant toute la durée de l’isolement administratif, l’objectif global devrait être de convaincre le détenu à réintégrer le régime normal ». Rappelant que « l’indicateur le plus significatif des dommages que peut infliger » l’isolement disciplinaire ou de sécurité « est le nombre considérablement plus élevé de suicides parmi les détenus qui y sont soumis par rapport à celui dans la population pénitentiaire générale », le CPT réaffirme avec une fermeté inédite qu’il constitue « une restriction grave des droits d’un détenu et qu’il emporte des risques intrinsèques inhérents » pour la personne. Raison pour laquelle il tente de lui opposer une digue : « le niveau des dommages potentiels ou réels doit être au moins aussi grave et pouvoir être traité seulement par ce moyen ». À tout le moins, le respect de ce principe de proportionnalité rejoint la cohorte des réformes à inscrire à l’ordre du jour. Marie Crétenot 1. Etabli pour la période du 1er aout 2010 au 31 juillet 2011. 2. Sharon Shalev, A sourcebook on Solitary Confinement, Mannheim Centre for Criminology, London, 2008. Dedans Dehors N°74-75 Décembre 2011

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Libérer l’accès au Web Dans un avis du 20 juin 2011 1, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté invite les pouvoirs publics à respecter le droit d’expression en ouvrant l’accès à Internet et aux messageries électroniques aux personnes détenues. La « libre communication des pensées et des opinions » étant l’un « des droits les plus précieux de l’Homme », tout citoyen « peut donc parler, écrire, imprimer librement » (article 11 de la déclaration des droits de l’Homme), rappelle le Contrôleur. Pour les personnes détenues, il appartient dès lors à l’administration pénitentiaire de garantir l’exercice de ce droit « sous les seules réserves nécessaires au maintien de la sécurité et au bon ordre des établissements, à la prévention de la récidive et à l’intérêt des victimes », comme le prévoit la loi pénitentiaire (article 22).

Internet : l’heure est venue ! Il en va tout autrement en réalité. Pour ce qui est de l’accès à Internet, il est impossible dans la plupart des établissements, à l’exception de cinq d’entre eux 2, qui l’expérimentent dans des locaux partagés sous la supervision d’un formateur : seuls quelques services en ligne sont alors accessibles. Le Contrôleur préconise que des « dispositions soient prises à bref délai pour que chaque établissement assure » dans des locaux collectifs « le lien avec les services en ligne, l’administration pouvant » juste se réserver « de rendre impossible l’accès à certains d’entre eux », aux seuls motifs prévus par la loi. Dans ce cadre, l’accès aux services de messagerie en ligne devrait également « être assuré, dans les seules limites ouvertes par la loi pour les correspondances, auxquels les messages doivent être assimilés ». C’est ainsi que les courriels devraient intégrer les possibilités de correspondance pour les personnes détenues, subissant le même type de contrôle avant envoi et réception. Une option à laquelle le ministère de la Justice oppose une fin de non recevoir, répondant que « même si des solutions techniques existent, l’administration pénitentiaire n’est pas aujourd’hui en capacité, financièrement et humainement, de mettre en œuvre les mécanismes de contrôle des messages entrant ou sortant de comptes de messagerie ». Dans une toute autre logique, le Contrôleur rappelle pour sa part que l’accès aux services en ligne est d’autant plus important pour les personnes privées de leur liberté d’aller et venir qu’il constitue « un moyen très privilégié d’accéder à une grande part de l’information provenant de l’extérieur (presse, forDedans Dehors N°74-75 Décembre 2011

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mation, annonces d’emploi, démarches administratives, enseignement…) ». En ce sens l’assouplissement des règles d’accès à l’informatique est nécessaire « si l’on veut améliorer la réinsertion des personnes détenues et la prévention de la récidive ».

Adapter les moyens de contrôle et non le droit d’utilisation Pour ce qui est de l’usage d’ordinateurs en cellule, le Contrôleur général interroge la légalité de certaines dispositions règlementaires, tel l’alinéa 3 de l’article D.449-1 du code de procédure pénale, qui prévoit que le matériel informatique peut, dans certains cas, être confisqué par l’administration jusqu’à la fin de peine de l’acquéreur, sans autre procédure que le recueil d’observations écrites de l’intéressé. Il déplore également que les dispositions régissant l’acquisition de matériel informatique par les détenus, ainsi que la conservation de documents sur support informatique, « reçoivent des applications très sensiblement différentes » d’une prison à une autre. Il évoque les « nombreuses situations dans lesquelles tel matériel autorisé en cellule dans un établissement ne l’était pas dans un autre », si bien des personnes détenues se voient confisquer, à l’occasion d’un transfert, « un périphérique, un logiciel ou un support de stockage » dont ils avaient « l’usage depuis longtemps ». Par ailleurs, certaines interdictions de matériels ne s’avèrent en rien « liées aux nécessités de l’ordre », mais à l’incapacité de l’administration « d’en contrôler l’usage ou le contenu ». Ce serait dès lors à l’administration de prévoir les dispositifs de contrôle nécessaires pour permettre aux personnes détenues d’utiliser les moyens informatiques modernes. Un changement de prisme auquel le ministère reste littéralement autiste, indiquant notamment que « la limitation actuelle des disques durs est justifiée par le temps de traitement du logiciel de fouille Scalpel ». Barbara Liaras 1. Avis du contrôleur général des lieux de privation de liberté du 20 juin 2011 relatif à l’accès à l’informatique des personnes détenues. 2. Marseille, Bordeaux-Gradignan, Amiens, Saint Martin-de-Ré et Metz-Queuleu.


de facto Les cadres pénitentiaires jugent sévèrement leur administration Dans une enquête de mars 2011 réalisée par le Syndicat national des directeurs pénitentiaires (SNDP), les directeurs des services pénitentiaires ou adjoints attribuent une note moyenne de 4,5/10 aux conditions matérielles de détention dans leur établissement – 21,7 % attribuent 2/10. Des actions de lutte contre la récidive ? 33 % n’en n’ont aucune à proposer aux détenus et 92 % rencontrent des obstacles dans la conduite de leurs projets locaux : manque de personnel, effectif déficitaire des services d’insertion et de probation (SPIP), parcours d’exécution de peine (PEP) au rabais, frilosité de la hiérarchie et résistances syndicales. En matière disciplinaire, près d’un directeur sur dix déclare qu’il ne « peut pas garantir la mise en œuvre de tous les droits des détenus lorsqu’il envisage de prendre une décision défavorable (respect du principe du contradictoire, information préalable, information sur le recours possible à un avocat…) ». Les directeurs évoquent également la « non réalisation de tous les contrôles de sécurité nécessaires », des entretiens avec les arrivants, ou encore « la non-vérification des

conditions de travail des détenus suite aux contrôles de l’inspection du travail »… La cohérence des politiques pénitentiaires et d’exécution des peines se voit quant à elle attribuer une note de 3,8/10. « Politique de lutte contre la récidive indigente », « sous encadrement », « pauvreté de la réflexion » et « politique démagogique du fonctionnaire bouc émissaire » apportent autant d’explications à la « perte de confiance et désillusion » des cadres à l’égard de leur administration, à mettre en relation avec une vague de onze départs de directeurs de prison depuis décembre 2010, à raison d’un par mois. « L’AP doit faire face à une forte vague de départs et ne semble guère s’en émouvoir. C’est pourtant une génération de cadres de premier plan qui s’en va, une douzaine de quadragénaires dotés d’une solide expérience et qui passaient pour “l’aile réformiste” de la pénitentiaire » (Le Monde, 20 sept.2011). Victimes eux aussi de la chape de plomb pesant sur l’institution, les directeurs ayant répondu à l’enquête du SNDP sont 74 % à regretter « de ne pas pouvoir communiquer avec

L’interdiction de téléphoner à l’OIP est « nulle et non avenue » Il n’existe aucun fondement juridique pour exclure le numéro de l’OIP de la liste des vingt numéros que chaque personne détenue est autorisée à appeler, aux termes de la note de la direction de l’administration pénitentiaire du 29 octobre 2009. Ce dont à convenu le directeur de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, où un détenu s’était vu refuser cette possibilité. C’est en réalité une « confusion avec des directives nationales interdisant aux personnels pénitentiaires de communiquer avec l’OIP et de lui transmettre les documents officiels qui pouvaient leur être demandés », qui avait conduit à ce refus. Le chef d’établissement a donc demandé à l’OIP de considérer cette décision de refus comme

« nulle et non avenue ». Si la situation a été rétablie à Fleury-Mérogis, l’Observatoire s’est néanmoins inquiété dans un courrier adressé début septembre au directeur de l’administration pénitentiaire (et resté sans réponse) qu’une confusion similaire puisse se produire dans d’autres établissements. Il était demandé qu’il soit rappelé à l’ensemble des directeurs que les détenus ne peuvent se voir opposer un refus de communiquer avec l’OIP. Il déplorait également la persistance des consignes interdisant aux personnels pénitentiaires de répondre à toute sollicitation de l’association, participant d’un défaut de transparence plus global du service public pénitentiaire.

l’extérieur (presse, lycées, universités) davantage qu’il ne leur est permis ». Une enquête salutaire réalisée par un syndicat sur la base de 56 réponses à un questionnaire, qui permet aux cadres pénitentiaires de décrire enfin sans plan de communication la réalité des prisons et de leurs conditions de travail.

Centre de détention de Bédenac

La prise en charge médicale de deux détenus reportée pour cause de cérémonie d’investiture de la nouvelle directrice Le 7 septembre, la direction du centre de détention de Bédenac a notifié au service médical (UCSA) l’annulation de deux extractions médicales programmées huit jours plus tard pour deux patients nécessitant des examens avant une intervention chirurgicale. Le motif ? Les personnels pénitentiaires qui devaient assurer l’escorte sont réquisitionnés pour l’organisation de la cérémonie d’investiture de la nouvelle directrice de l’établissement. La prise en charge médicale des deux détenus se voit dès lors retardée de trois à quatre mois. Un retard « clairement préjudiciable à la santé des patients détenus » selon le médecin coordinateur de l’UCSA, qui regrette que la direction n’ait pas jugé utile, avant de prendre cette décision, de l’interroger sur « l’importance médicale de ces extractions » et « les conséquences médicales éventuelles d’une telle annulation ». Dedans Dehors N°74-75 Décembre 2011

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Centre de détention de Roanne

Placé à l’isolement pour s’être exprimé sur ses conditions de détention La direction de la prison de Roanne a décidé de placer un détenu à l’isolement, le 18 novembre, en raison de son « attitude qui consiste à donner le sentiment à l’extérieur, par des moyens condamnables et mensongers, que le régime de vie à Roanne est proprement scandaleux ». Des quatre motifs invoqués, aucun ne correspond à ceux qui sont légalement prévus pour justifier une telle décision. Le premier grief de l’administration concerne « une pétition adressée à l’OIP sur le fonctionnement des parloirs familles et des UVF que nous a transmis votre avocat le 13 octobre 2011 ». En fait de pétition, la direction n’a pu produire qu’un courrier que l’avocat du détenu lui avait transmis pour soutenir la démarche de son client. En second lieu, elle reproche à l’intéressé « [ses] demandes répétées d’être entendu aux côtés de [son] avocat par le Chef d’établissement suite à cette pétition ». Ensuite, la direction s’appuie sur « un courrier ano-

nyme » qu’elle aurait reçu mi-octobre, et qui dénonce ce détenu « comme ayant incité à un mouvement collectif ». Enfin, elle fonde sa décision sur « un courrier en recommandé » adressé début novembre, « dans lequel vous présentez une lettre que vous envisagez d’envoyer au ministère de la Justice et à d’autres autorités ». Et relève que « cette lettre reprend les mêmes sujets que la pétition transmise par votre avocat », et « doit également faire l’objet d’une diffusion à la population pénale […] pour multiplier les signatures ». Rien qui ne corresponde aux dispositions légales selon lesquelles l’isolement est une mesure « de protection ou de sécurité » (article 726-1 du code de procédure pénale) qui doit « procéder de raisons sérieuses et d’éléments objectifs et concordants » permettant « de redouter des incidents graves de la part de la personne détenue concernée ou dirigés contre elle »*. La direction du centre de

détention de Roanne n’a pourtant pas hésité à placer G.A. à l’isolement dès le 14 novembre, et ce de manière conservatoire, c’est-à-dire avant toute décision officielle, et avant que l’intéressé puisse faire valoir ses observations avec l’assistance d’un avocat. Cette procédure conservatoire n’est permise qu’en cas d’urgence lorsqu’elle « est l’unique moyen de préserver la sécurité des personnes ou de l’établissement ». Le 14 décembre, le tribunal administratif de Lyon, saisi d’une requête en urgence (référé), a refusé d’examiner la demande de suspension de la mesure d’isolement, estimant que la condition d’urgence n’était pas remplie. C’est-à-dire qu’il n’y avait « aucune atteinte grave et immédiate » aux intérêts du détenu. Cette décision pose une nouvelle fois la question de l’effectivité des voies de recours pour les personnes détenues. * Circulaire du 14 avril 2011 relative au placement à l’isolement des personnes détenues.

Centre de détention de Roanne

Expertises psychiatriques : un « frein injustifié » aux aménagements de peine Un seul expert psychiatre dans le ressort du tribunal de grande instance de Roanne, des procédures pour obtenir l’organisation d’une expertise psychiatrique confuses, une absence fréquente d’information par les services concernés : autant d’obstacles que doivent affronter les condamnés du centre de détention de Roanne pour obtenir un aménagement de peine. Dans une circulaire du 20 novembre 20071, la Chancellerie tentait d’anticiper les retards que risquait de créer la multiplication des infractions nécessitant une expertise

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préalable à un aménagement. Rappelant que « le recours aux aménagements de peine » constitue « le meilleur outil de lutte contre la récidive », la circulaire entendait « clarifie(r) et simplifie(r) les conditions du recours à l’expertise afin que cette exigence ne constitue pas un frein injustifié à ces aménagements ». En vain, à Roanne. Les deux juges de l’application des peines (JAP) de ce tribunal, contactées par l’OIP en juillet 2011, se disent « parfaitement conscientes de la frustration et du sentiment d’injustice que peuvent ressentir les

condamnés concernés » et « malheureusement impuissantes face à cette situation ». Précisant avoir « à maintes reprises alerté [leur] hiérarchie à ce sujet », elles indiquent que ces difficultés « sont parfaitement connues du service de l’application des peines depuis près de 18 mois maintenant ». Dans un courrier du 1er mars dernier adressé à tous les condamnés de Roanne, les juges demandent aux détenus concernés par cette situation « d’être patients ».

de facto


de facto Droits à la retraite des personnes détenues : le Gouvernement ne tient pas ses engagements Le 6 juillet, à l’Assemblée nationale, le ministre du Travail avait annoncé que le rapport portant sur l’assimilation des périodes de travail en détention à des périodes de cotisation à l’assurance vieillesse était « en cours de finalisation » et serait « transmis au Parlement avant l’étude de la prochaine loi de financement de la sécurité sociale ». Le projet de loi sur le financement de la sécurité sociale a été adopté le 29 novembre en lecture définitive, sans remise préalable du rapport. Le Gouvernement était pourtant tenu, en vertu d’une disposition de la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites (art. 94), de remettre ce rapport « au plus tard le 30 juin 2011, aux commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat ». Cet engagement avait été pris, et intégré dans la loi, à la faveur d’un amendement défendu par le groupe communiste au Sénat. Le ministre du Travail s’y était déclaré favorable, estimant qu’un rapport sur les questions de retraite pour les détenus « permettrait d’examiner plus précisément la question

du travail en prison et des cotisations », que « ce sujet n’est pas tabou » et qu’« il doit être examiné ». Aucune explication n’est avancée par les pouvoirs publics pour justifier du non-respect de cette disposition légale, alors même que l’élaboration de ce rapport était la seule perspective ouverte pour que soit prise en compte la situation particulière des personnes incarcérées. Pour rappel, un travailleur à l’extérieur percevant le SMIC peut valider quatre trimestres par an pour sa retraite, tandis qu’un travailleur détenu peut en valider tout au plus un ou deux du fait de la faiblesse de sa rémunération. En effet, la validation d’un trimestre pour la retraite suppose des revenus au moins égaux à 1722 euros brut en 2010 (200 fois le SMIC horaire). Or, les revenus mensuels des travailleurs détenus ne dépassent pas 343 euros en moyenne. Le paradoxe consiste à soumettre les personnes incarcérées aux règles de droit commun pour la cotisation à l’assurance vieillesse, tandis que leurs modalités de rémunération sont pour leur part dérogatoires au droit du travail.

Déontologie de la sécurité : saisir le Défenseur des droits Le Défenseur des droits (DDD), créé par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 et la loi organique du 29 mars 2011, exerce désormais les missions jusque là dévolues à la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), autorité administrative indépendante chargée de veiller au respect de la déontologie des personnes exerçant des activités de sécurité. Les modalités de saisines sont facilitées : contrairement à la saisine de la CNDS, qui ne pouvait être qu’indirecte (passant par un parlementaire), la saisine du Défenseur peut être réalisée par la victime elle-même ou ses ayants-droits, mais aussi par des personnes témoins. Il reste possible de passer

par un député ou un sénateur (y compris représentant français au parlement européen) qui, outre les réclamations individuelles, peuvent aussi saisir le DDD sur des questions plus générales. Les associations, dont l’OIP, peuvent continuer d’assurer un rôle d’intermédiaire en alertant les élus sur des dossiers nécessitant une enquête, ou bien en portant des informations directement à la connaissance du Défenseur, qui le cas échéant s’auto-saisira. La confidentialité des correspondances avec le DDD est garantie par le Décret n° 2011-1311 du 17 octobre 2011. Défenseur des droits, 7 rue Saint Florentin, 75049 Paris Cedex 08.

Envois autorisés d’objets en prison : une absurdité chasse l’autre L’arrêté du 24 février 2011 relatif à la réception ou l’envoi des objets au sein des établissements pénitentiaires autorisait enfin les enfants à adresser un dessin à leur parent incarcéré. Pourvu que leur œuvre ne dépasse pas 10 cm dans sa plus grande dimension… Cette disposition dénoncée notamment par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, a été supprimée par un nouvel arrêté, pris le 27 octobre. Celui-ci ne limite plus la taille des dessins d’enfants. Mais fixe un maximum de 17 cm pour les objets « non métalliques » réalisés par les enfants mineurs. Probablement pour éviter qu’une lame ne soit glissée dans un boa en pâte à sel. Ou qu’un coussin en feutrine ne soit rembourré avec des substances illicites.

TV : un long chemin vers l’uniformisation des tarifs Annoncée en octobre 2010, l’harmonisation des tarifs de location des postes de télévision à 8 euros mensuels par cellule, soit « à prix coûtant » selon la Chancellerie, entre en vigueur à partir du 1er janvier 2012… pour les établissements en gestion publique seulement. Dans la cinquantaine d’établissements en gestion privée, l’alignement sur ce montant ne sera effectif qu’à compter du 1er janvier 2013, les prestataires privés ayant demandé un délai supplémentaire. Pour eux, les tarifs fixés en 2009 à 18 euros par mois et par personne détenue restent donc en vigueur jusqu’à cette date. Les prix de location ne faisaient auparavant l’objet d’aucun encadrement. A la maison d’arrêt d’Aix-Luynes, par exemple, chaque occupant d’une cellule devait s’acquitter d’une contribution mensuelle de 36 euros. Progressivement, prennent ainsi fin les tarifs prohibitifs et les inégalités considérables imposés aux détenus. Mais la gratuité de l’accès à la télévision préconisée par la commission d’enquête sénatoriale en 2000, n’est toujours pas de mise. Dedans Dehors N°74-75 Décembre 2011

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Maison d’arrêt de Lyon-Corbas

Calvados

Obstacle au droit de visite d’un détenu Les ERIS accusées hospitalisé : le juge administratif de violences rappelle le préfet à l’ordre Le 15 juillet 2011, le juge des référés du tribunal administratif de Caen a enjoint le préfet « de ne pas faire obstacle à l’exercice du droit de visite » des proches de R.S., hospitalisé au CHU de Caen depuis le 9 juin. Sa fille et sa concubine avaient saisi le juge après avoir été empêchées à plusieurs reprises de se rendre au chevet de leur proche atteint d’un œdème pulmonaire et victime d’un infarctus mettant en jeu son pronostic vital. Interrogé par l’OIP sur les procédures d’octroi des autorisations de visites aux proches de détenus hospitalisés, ainsi que sur les motifs des refus à l’égard de la famille de R.S., le cabinet préfectoral a indiqué qu’il « y a un minimum de sécurité à assurer » et « un minimum de procédure à respecter », précisant que « dans la mesure où cette personne n’est pas placée en chambre carcérale », les visites sont soumises à autorisation. Et de répondre, à la question de savoir comment une per-

sonne dont le pronostic vital est engagé pourrait représenter un risque d’atteinte à l’ordre public, que Monsieur R.S. « reste un détenu ». Le jour du dépôt de la requête, deux visites de deux heures ont finalement été accordées aux proches de R.S., les 15 et 16 juillet. Cependant, le juge a considéré qu’au regard de son état de santé, ce n’est qu’à la « condition que soient aménagées plus souplement et sur une plus longue période les conditions de visites », qu’il peut être « admis qu’aucune atteinte grave et manifeste n’est portée […] au droit des intéressées au respect de leur vie privée et familiale ». Le juge a donc demandé au préfet d’assurer pour les proches de R. S des plages de visite de trois heures pendant toute la durée de l’hospitalisation et de leur offrir un droit de visite à tout moment, sous réserve de l’avis de l’équipe médicale, en cas de « brutale et irrémédiable aggravation » de son état de santé.

Deux personnes ont saisi le parquet de Lyon, le 12 janvier 2011, des « violences volontaires » qu’elles auraient subies lorsqu’elles étaient incarcérées à la maison d’arrêt de Lyon-Corbas. Les deux plaintes visent des « incidents » qui sont « survenus lors de l’intervention des ERIS » (équipes régionales d’intervention et de sécurité), le 30 mai 2010 et le 6 décembre 2009. Les ERIS étaient déjà mises en cause pour des faits semblables dans une plainte classée par le parquet de Lyon en septembre 2010. Pour l’OIP, la répétition de telles allégations nécessite l’ouverture d’une information judiciaire portant sur l’ensemble des faits, afin d’obtenir des explications sur l’origine des blessures constatées et sur les raisons de l’intervention physique des agents. Ces plaintes, non encore abouties, font écho à la condamnation prononcée par la Cour européenne des droits de l’Homme le 20 octobre 2011 à l’encontre de la France, dans un dossier mettant également en cause les ERIS (cf. rubrique « en droit »).

Maison d’arrêt de Lille-Sequedin

Pas de sanction pour des surveillants ayant bâillonné un détenu Le ministère de la Justice n’entend pas donner suite aux préconisations de la CNDS (avis n°2009-27 publié le 10 juin 2011), notamment en ce qui concerne l’engagement de poursuites disciplinaires à l’encontre d’un agent ayant fait l’usage d’un bâillon sur un détenu. Au terme de deux ans d’enquête, la CNDS établit qu’un bâillon, plus précisément « une serviette (...) pliée et placée autour de la tête du détenu au niveau de la bouche », a bien été utilisé, le 28 février 2008, par le personnel de surveillance de la maison d’arrêt de Sequedin. Dans ses recommandations, la CNDS demande à l’administration de Dedans Dehors N°74-75 Décembre 2011

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« recherch[er] l’identité du surveillant ayant fait l’usage du bâillon et que des sanctions disciplinaires soient prises à son encontre ». Le ministre de la Justice répond par la négative, expliquant que « l’ancienneté de l’incident et l’impossibilité d’identifier les protagonistes sur la bande vidéo enregistrée depuis la caméra de vidéo-surveillance de la coursive, interdisent aujourd’hui la conduite d’une enquête administrative permettant d’établir avec certitude la matérialité des faits et d’en identifier l’auteur ». Si aucune enquête administrative n’a effectivement été diligentée par l’Inspection des services pénitentiaires, la direction de la

maison d’arrêt de Sequedin a établi dès le 29 février 2008 un rapport circonstancié sur l’incident. Il y est fait totale abstraction de l’usage du bâillon, mais y figure la liste nominative des douze agents présents lorsque M.B. a été maîtrisé. Dans ces conditions, l’identification de l’agent, dont le visage était « nettement reconnaissable sur la bande vidéo », ne relevait pas de l’impossible pour l’administration pénitentiaire. La CNDS déplore ainsi n’avoir pas été autorisée à interroger ce fonctionnaire, soulignant que « ses collègues, entendus par la commission, [avaient] prétendument oublié son nom ».

de facto


de facto Des transferts para-disciplinaires privent trois détenus martiniquais de toute visite de leurs proches Les transferts de détenus de la Martinique à la Guadeloupe semblent devenir une pratique récurrente, venant se substituer à une procédure disciplinaire contradictoire et emportant de graves conséquences sur le maintien des liens familiaux. Incarcéré au centre pénitentiaire de Ducos (Martinique), F.C., père de famille, a ainsi été transféré à Baie-Mahault (Guadeloupe) le 8 juillet 2010. Sa famille étant domiciliée en Martinique, il n’a plus reçu de visites depuis plus d’un an. Bien qu’aucune notification écrite ne lui ait alors été apportée, ce transfert avait été effectué à la suite d’un accrochage verbal avec un surveillant, pour lequel aucune procédure disciplinaire n’avait été engagée, ce qui lui aurait permis de bénéficier d’un débat

contradictoire et de se faire assister d’un avocat. Y.S., incarcéré lui aussi à Ducos depuis cinq ans, a été transféré début mai 2011 à Baie-Mahault, là encore sans notification écrite motivant la décision. En réponse à une saisine du détenu le 17 mai 2011, la mission Outre-mer de l’administration pénitentiaire, indique maintenir sa décision au motif qu’il aurait, « en dépit de ses dénégations, effectivement participé au mouvement collectif de plusieurs dizaines de détenus, troublant ainsi gravement l’ordre et la sécurité de l’établissement ». Un troisième détenu a sollicité l’OIP le 6 septembre 2011, expliquant avoir été transféré de Ducos à Baie-Mahault depuis plus de quatre mois, « sans même savoir pourquoi », ce qui l’empêche depuis lors de

recevoir des visites de sa famille, dont celle de sa fille de 9 ans, qui venaient le « voir très souvent au parloir ». Les contacts avec le monde extérieur sont « indispensables pour lutter contre les effets potentiellement néfastes de l’emprisonnement », rappellent les Règles pénitentiaires européennes. Ce qui signifie, explicite le commentaire, que les autorités judiciaires et pénitentiaires doivent « s’efforcer de créer les conditions permettant de maintenir ces contacts du mieux possible »*. L’administration pénitentiaire peine encore à prendre la pleine mesure d’un texte qu’elle considéra comme sa « charte d’action ». * Conseil de l’Europe, Règle 24, commentaire de la Recommandation du comité des ministres aux États membres sur les RPE, 11 janvier 2006.

Maison d’arrêt de Varces

Pas aux normes, le bâtiment principal de détention reste ouvert Dans une décision du 27 juin 2011, confirmée par le Conseil d’État le 21 septembre, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté pour « défaut d’urgence » la demande de l’OIP visant à obtenir la fermeture du bâtiment principal de détention dans l’attente de sa remise aux normes de sécurité incendie. En mai 2007, la commission préfectorale chargée de la sécurité incendie avait donné un avis défavorable à la poursuite de l’exploitation de ce bâtiment, dans lequel se trouvent la plupart des cellules. Pour étayer ses préconisations, la commission estimait que les défaillances de la sécurité étaient suffisamment lourdes pour l’amener « à redouter l’enchaînement des étapes suivantes en cas d’incendie » : « possibilité de développement rapide du sinistre du fait de l’existence de zones à fort potentiel calorifique non isolées », « propagation rapide et généralisée des fumées et gaz de combustion dans les étages via les cages d’escaliers, d’ascenseurs et les gaines techniques », « diffi-

culté à enrayer la propagation du sinistre du fait du sous-dimensionnement et de la vulnérabilité des moyens de secours » et pour finir, « impossibilité de transférer les détenus vers une zone de mise à l’abri du fait de l’absence de tout désenfumage et de protection des volumes de dégagement ». La crainte d’un tel scénario devait s’avérer pleinement justifiée. Le 28 septembre 2008, suite au meurtre d’un détenu tué par balle depuis l’extérieur de la prison, les ateliers avaient été incendiés et les fumées s’étaient propagées aux bâtiments de détention, situés au-dessus des ateliers, par l’extérieur via les fenêtres, mais aussi par l’intérieur du bâtiment. L’absence totale de dispositif d’évacuation des fumées avait entravé et retardé le travail des secours. Selon un compte-rendu de l’incident rédigé par le direction de la maison d’arrêt, c’est en raison de l’« épaisseur » et de la « toxicité » des fumées que « l’hypothèse de l’évacuation de l’ensemble des détenus » envi-

sagée par la cellule de crise mise en place, avait été « abandonnée ». Cet épisode n’a pas conduit l’administration à prendre les mesures nécessaires. Tout comme un autre événement survenu le 25 décembre 2009, M.M. étant décédé dans l’incendie qu’il avait déclenché dans sa cellule du quartier disciplinaire. Ce quartier, qui venait pourtant d’être entièrement rénové, étant dépourvu de tout système de détection, l’incendie n’a été découvert que par l’agent en poste au mirador, lequel a ensuite répercuté l’alerte. Les personnels pénitentiaires n’ont pu extraire eux-mêmes le détenu de sa cellule, la fumée ayant rapidement « envahi le couloir », comme l’a relevé un témoin de la scène entendu dans le cadre de l’enquête, précisant que « sans masque, cela était impossible d’accéder à l’extrémité du couloir où se trouvait la cellule ». Ce sont finalement les pompiers, dépêchés sur les lieux, qui ont extrait trop tardivement le détenu de sa cellule. Dedans Dehors N°74-75 Décembre 2011

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dossier

Politique pénale :

quand les idées reçues

© Bernard Le Bars

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politique pénale : quand les idées reçues dictent leurs lois

dictent leurs lois S ’il est un domaine où fantasmes et contre-vérités cohabitent, c’est bien celui du crime, de la délinquance et de la peine. « Ce qui domine est la désinformation et la propagation des idées reçues, par exemple que la peine de mort peut faire reculer la criminalité ou que les taux d’homicide sont en hausse », estime Denis Salas, magistrat. Les idées reçues concernent aussi bien les auteurs d’infraction que la nature de la délinquance ou de la réponse pénale. Il n’est pas un crime médiatisé sans que ne soit brandie la figure du « monstre » à bannir de l’humanité. Comme s’il fallait que chacun puisse aussitôt s’en démarquer. « Ils sont nous », affirmait à l’inverse l’OIP dès sa création en 1990. Le psychiatre Jean-Louis Senon rappelle ainsi que nous sommes tous porteurs de sentiments tels que « la violence, la haine, la rage, la jalousie », qui « dans certaines circonstances, peuvent conduire au passage à l’acte criminel ». Acteurs et professionnels relèvent souvent, en se plongeant dans un dossier pénal, qu’un passage à l’acte, même grave, peut arriver plus facilement que l’on ne veut bien l’admettre. Nombre d’études criminologiques analysent ce contexte dans lequel une personne a « basculé », cette succession d’évènements et de situations ayant agi pour elle comme des facteurs déclencheurs : séparation d’un conjoint, perte d’un travail, alcoolisme, rupture de soins, isolement, fréquentations… Des conseillers d’insertion et de probation expliquent que « le passage à l’acte criminel est un passage à l’acte dynamique, c’està-dire que la personne n’était pas pré-déterminée à le commettre dans n’importe quelles circonstances. Le passage à l’acte s’est produit dans un contexte particulier où une pluralité de facteurs se sont trouvés réunis » 1. Une telle approche ne se veut ni banalisante, ni dé-responsabilisante, à la recherche d’un équilibre entre la part de choix individuel et des facteurs sociaux qui alimentent les comportements dits « déviants » (précarité, discriminations, délitement du lien social…). Elle permet également de mieux accompagner les personnes ayant commis un jour une infraction, ce qui nécessite préalablement de chercher à comprendre. « Reconnaître eux-mêmes le scénario d’un délit représente une valeur positive pour les délinquants parce qu’il leur sera possible d’identifier plus tôt en eux-mêmes les signaux de risque et de parvenir à une solution tous seuls ou avec l’aide de leur entourage », explique le professeur néerlandais Bas Vogelvang 2.

La tyrannie du discours sécuritaire Chercheurs et praticiens sont aussitôt taxés d’« angélisme » lorsqu’ils essaient de relativiser l’ampleur du phénomène cri-

minel, notamment en rappelant le caractère exceptionnel de la récidive d’homicide lorsqu’elle se produit. Le sociologue Laurent Mucchielli déclenche de violentes critiques, lorsqu’il se contente de relayer les résultats d’une enquête de victimation de l’Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale (ONDRP), mis en place par Nicolas Sarkozy. Une enquête plus fiable que les chiffres de la police car elle inclut les faits non dénoncés. Elle indique qu’en 2011, en dehors des vols avec violence ou menace commis sur des femmes, l’ensemble des infractions se situe à un niveau stable, voire en baisse. Les actes de vandalisme contre le logement ou le véhicule sont ceux les plus fréquemment déclarés par les ménages (8 %). Ils sont en légère baisse, tout comme les agressions sexuelles ou violences au sein du foyer. Une forte baisse est observée s’agissant des vols de voiture et autres vols sans violence ni menace. Le niveau des cambriolages et des viols avec violence ou menace apparaît stable. Contrairement à une autre idée répandue, « on vérifie une fois de plus que les violences sexuelles les plus fréquentes surviennent au sein de la famille et non de la part d’inconnus ». Autant de résultats qui « ont tant de mal à être entendus dans le débat public. […] Ils invitent à rechercher ailleurs que dans l’évolution de la réalité délinquante les raisons de l’importance du sentiment d’insécurité parmi nos concitoyens » 3.

Demande de sécurité, demande de répression ? Un autre champ d’idées reçues relève de la demande des citoyens. A écouter certains discours politiques, l’insécurité est érigée en tête des fléaux dont souffrirait la population. A en juger le baromètre mensuel de la Sofres, il apparaît que « la sécurité des biens et des personnes » arrive en fait au dixième rang des préoccupations des Français, loin derrière le « chômage et l’emploi », « la santé et la qualité des soins », « l’évolution du pouvoir d’achat », « le financement des retraites »… 24% des personnes interrogées citent la sécurité comme l’une de leurs préoccupations et 2 % comme la première. Elles sont 76 % à citer le chômage et l’emploi. Globalement, les questions sociales sont celles qui soulèvent le plus d’inquiétudes : le « logement », les « inégalités sociales », « l’environnement et la pollution », le « financement de l’assurance maladie » se placent avant la sécurité 4. Les idées reçues sont également légion quant à la demande des victimes. Allongement des peines, mesures de sûreté, peines minimales pour les récidivistes, construction de prisons Dedans Dehors N°74-75 Décembre 2011

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dossier pour courtes peines… le législateur n’a plus de limites quand il s’agit d’inventer des dispositifs au nom des victimes. Lors de l’examen de la loi sur la rétention de sûreté en janvier 2008, la garde des Sceaux Rachida Dati invoqua le « petit Enis, enlevé et violé à l’âge de cinq ans alors qu’il jouait devant chez lui. Sans sûreté, il ne peut y avoir de vie. Je pense à la jeune AnneLorraine Schmitt, violée et tuée alors qu’elle se rendait dans sa famille en RER ». Il semble pourtant que la demande des victimes soit plus variable et complexe que celle de la répression vengeresse. La criminologue belge Sonja Snacken explique que les recherches victimologiques montrent que leurs principales attentes relèvent d’un « besoin de se sentir reconnu et respecté en tant que victime », d’obtenir des explications sur les faits et l’action judiciaire… et pas tant de « l’allongement des peines ou l’abolition de la libération conditionnelle » 5. Brigitte Sifaoui nous en offre un exemple, en expliquant qu’elle aurait préféré, plutôt que 30 ans de prison sans contenu pour l’assassin de son frère, qu’on lui dise : « on va le garder 5 ou 10 ans, pendant lesquels [un] travail thérapeutique va être accompli et les conditions de sa sortie bien préparées ».

Industrialisation des peines sans contenu Là se situe la dimension largement occultée des politiques pénales dites « populistes » : le contenu, les conditions d’exécution de la peine et sa finalité importent peu. Il s’agit tout juste de prononcer et d’exécuter plus de peines, plus systématiquement et plus rapidement. Une industrialisation de l’enfermement, de la surveillance électronique, dont on se demande rarement si elle pourra permettre aux auteurs d’infraction d’évoluer, personnellement et socialement, et si la sécurité en sera effectivement renforcée. Les prisons sont surpeuplées ? Les conditions de détention souvent indignes ? Les personnels pénitentiaires peu disponibles et formés à l’accompagnement des auteurs d’infraction ? La prison produit davantage de récidive que les peines et mesures alternatives ? Peu importe. Des peines sont prononcées, elles doivent être exécutées, même si cela vient aggraver la situation des condamnés, renforce leur niveau d’exclusion, leur sentiment d’humiliation… et au final la délinquance. Une autre justice est possible, une justice humaniste, appréhendant l’infraction comme un appel à l’intégration sociale, une demande de repères structurants. Une justice privilégiant la symbolique de la réparation, à travers des mesures d’accompagnement en milieu ouvert pour la majorité des cas, plutôt que celle de l’exclusion et de la stigmatisation trop bien incarnée par la prison. Sarah Dindo

1. CIP interviewé, dans « SME : la peine méconnue – une analyse des pratiques de probation en France », S. Dindo, DAP/PMJ1, mai 2011. 2. Bas Vogelvang, professeur de probation et de politique de sécurité aux PaysBas, in S. Dindo, op. cit., mai 2011. 3. Laurent Mucchielli, « Le rapport de l’ONDRP dément en réalité l’augmentation des violences », 22 nov. 2011. 4. TNS Sofres, « Baromètre des préoccupations des Français », novembre 2011. 5. Sonja Snacken, in Actes du colloque « L’exécution des décisions en matière pénale en Europe : du visible à l’invisible », DAP-Ministère de la justice, 2009.

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Idée reçue n° 1 :

« L’opinion publique est répressive » Denis Salas, magistrat, directeur scientifique des Cahiers de la Justice « Il faut ne pas assimiler hâtivement sévérité et opinion publique. L’opinion publique est infiniment plus volatile et plus malléable, beaucoup moins unitaire qu’on pourrait le croire. Elle peut être à la fois portée par un sentiment punitif (quand la colère du public est alimentée par les médias de masse) tout en soutenant la réhabilitation et des mesures de compensations pour les victimes. C’est la conjonction, à la faveur d’un fait divers criminel, d’un discours politique, des médias de masse et du silence des autres points de vue qui produit les lois les plus sévères. Ce qui domine est la désinformation et la propagation des idées reçues, par exemple que la peine de mort peut faire reculer la criminalité ou que les taux d’homicide sont en hausse. Difficile dans ces conditions de faire la part des choses ». Actes du colloque « L’exécution des décisions en matière pénale en Europe : du visible à l’invisible », DAP-Ministère de la justice, 2009.

Idée reçue n° 2 :

« Le taux de détention augmente parce que la criminalité augmente » Sonja Snacken, criminologue, Conseil de l’Europe « Ce n’est pas la criminalité mais la politique pénale qui détermine le taux de détention. Face à un accroissement de la délinquance juvénile, certains pays décident d’incarcérer davantage les mineurs, d’autres de développer la prévention ou les mesures éducatives. Plusieurs éléments de politique pénale viennent ainsi déterminer si les changements de criminalité auront une influence sur la population pénitentiaire. La Finlande nous offre l’exemple le plus récent d’une politique pénale « réductionniste », ce pays étant parvenu en 25 ans (1975-2000) à passer d’un taux de détention de 120 à 50 détenus pour 100 000 habitants, tout en voyant sa criminalité augmenter. A l’origine de cette décroissance, le désir de rejoindre les autres pays scandinaves qui avaient alors des taux moins élevés pour une criminalité comparable ». Audition réalisée dans le cadre de l’étude CNCDH, « Sanctionner dans le respect des droits de l’Homme – Les alternatives à la détention », Documentation française, 2007.


politique pénale : quand les idées reçues dictent leurs lois

« Viser la reconstruction,

pas la vengeance »

Cadre de santé, Brigitte Sifaoui est l’auteur d’un récit relatant son parcours depuis l’assassinat de son frère quand elle avait 13 ans à sa rencontre avec l’auteur du crime en détention. Elle déplore l’instrumentalisation des victimes dans la définition des politiques pénales et en appelle à recentrer le débat autour du contenu de la peine.

Brigitte Sifaoui, auteur de L’homme qui a tué mon frère, Albin Michel, 2005.

La politique pénale actuelle est largement menée au nom des victimes et de leurs proches, qui seraient demandeurs de peines les plus lourdes possibles, « à la hauteur » de la souffrance subie. Qu’en pensez-vous ? Ma demande à l’égard du système pénal n’a jamais été de cet ordre, tant il était évident pour moi que l’assassin de mon frère souffrait déjà. J’ai la conviction que ce n’est pas en faisant souffrir quelqu’un qu’il va avoir des prises de conscience et se grandir. Je crois que la demande de vengeance à l’égard d’un criminel provient davantage de personnes qui n’ont pas vécu le drame directement. Dans ma famille, nous étions tellement accablés que nous avions surtout du mal à croire à ce qui était arrivé : qu’est-ce ce qui avait pu se passer dans la tête de cet homme, pourquoi cet enfant, pourquoi nous ? Au moment du procès, mes parents ont demandé que la peine de mort – encore en vigueur – ne soit pas requise, estimant que cela ne ferait pas revenir leur fils et plongerait une autre famille dans le deuil. Nous avons plutôt vécu la peine de réclusion criminelle à perpétuité comme un soulagement, dans le registre : « il ne pourra plus faire de mal ». Aujourd’hui, je pense que l’essentiel se situe davantage dans le contenu que dans la durée de la peine : que fait-on de ces années d’emprisonnement ou de suivi judiciaire ? En 30 ans de détention, l’assassin de mon frère n’a bénéficié d’aucun suivi psychologique ou psychiatrique, aucun travail de réflexion sur son acte. J’aurais préféré qu’on me dise : « on va le garder 5 ou 10 ans, pendant lesquels ce travail thérapeutique va être accompli et les conditions de sa sortie bien préparées ». Dans certains cas, il faut mettre la personne à l’écart pendant un certain temps pour protéger la société, mais la peine doit alors l’aider à se reconstruire – si elle le veut bien, ce qui n’est pas toujours évident.

La prison d’aujourd’hui le permet-elle ? Lors de mes stages et interventions comme soignante en établissement pénitentiaire, j’ai surtout vu des détenus en pleine démolition interne. D’autres reconnaissaient avoir évolué en détention, mais ils estimaient être désormais prêts à sortir et ne comprenaient pas les refus répétés d’aménagement de peine. J’ai aussi rencontré plusieurs détenus qui avaient été tellement marginalisés, que pendant un temps, la prison leur avait redonné un cadre. Ils avaient redécouvert le rythme de vie, dormir la nuit et être éveillé le jour, manger à heures régulières, se laver… Pendant un temps court, le bénéfice peut être de trouver un cadre structurant. Dans le milieu sanitaire, nous travaillons de plus en plus à partir de l’idée de « soin individualisé ». A mon sens, le milieu judiciaire devrait aussi prévoir un suivi très individualisé des personnes ayant commis de graves infractions. Or, l’univers carcéral n’y est pas propice : pour aider quelqu’un à réintégrer la société, l’on a vraiment intérêt à le respecter et lui montrer qu’il vaut quelque chose. Ce n’est pas en le rabaissant, en écoutant ses appels téléphoniques, en lisant ses courriers, qu’on va le faire accéder à sa propre dignité et lui apprendre à respecter celle des autres.

© Samuel Bollendorff

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dossier Des études victimologiques montrent que le niveau de « satisfaction » à l’égard du système pénal dépend surtout de la réponse apportée à certains besoins : se sentir reconnu et respecté en tant que victime, réparation et dédommagement par l’auteur de l’infraction, information sur les faits et sur la procédure pénale, soutien émotionnel... Je placerais en premier le soutien psychologique, dont j’aurais eu besoin dès le départ, notamment pour trouver la force de me rendre aux obsèques de mon frère. Puis, le besoin d’explications sur les faits, il est très important de pouvoir en reconstituer précisément le déroulé. C’est là qu’on se rend compte que cela peut arriver relativement facilement. Ce sont des contextes, des moments où tout bascule. Après, il reste toujours un grand mystère autour du passage à l’acte. Le plus important est de travailler à réduire les risques de récidive, même si le risque zéro n’existe pas. L’un des moyens est d’être exemplaire avec les auteurs d’infraction : ce n’est pas en étant corrompu soit même qu’on lutte contre la corruption ; ce n’est pas en étant violent avec quelqu’un qu’on le rend moins violent. Pour avoir vu des soignants et des éducateurs dans les prisons, il y a quelquefois un travail extraordinaire réalisé avec les détenus, mais dans un contexte qui ne le favorise pas. Vous citez une lettre d’un détenu à une mère dont la fille a été assassinée : « la raison pour laquelle les deux parties les plus affectées sont tenues à l’écart l’une de l’autre est qu’il faut rendre le criminel encore plus monstrueux aux yeux des victimes, qu’il ne connaisse jamais la douleur quasiment insupportable qu’il fait endurer à la famille de la victime, et que cette famille ne le voit jamais comme un être humain ». Que peut apporter aux proches de la victime une rencontre avec l’auteur du crime ? Cette lettre a été adressée par un condamné à mort américain correspondant avec une Anglaise dont la fille a été assassinée de multiples coups de couteaux, et qui voulait rencontrer le meurtrier. Le fait de rencontrer l’auteur du crime peut aider à intégrer le réel, surtout quand on n’a pas assisté au procès (ce qui est mon cas). Cela ne veut pas dire qu’on va tout comprendre et que tout peut s’expliquer. Pour ma part, c’était une façon de capter la réalité, et d’être sûre que mon frère était mort, car j’avais toujours quelque part cet espoir de le voir réapparaître. La rencontre m’a montré qu’il avait bien été tué, puisque son assassin existait, qu’il se trouvait là en face de moi, me racontant ce qu’il avait fait. Le manichéisme consistant à désigner d’un côté d’affreux monstres meurtriers et de l’autre des anges victimes et leurs familles qui vont souffrir toute leur vie, est une simplification qui ne nous aide pas à assimiler la réalité. On oublie qu’il y a une part d’ombre en chacun de nous et que nous pourrions tous un jour dans un certain contexte basculer dans le versant monstrueux, ou tout au moins franchir certaines limites. Quelles sont les conditions pour qu’une rencontre auteurvictime soit saine et bénéfique pour les deux parties ? Pour ce qui me concerne, j’avais décidé de le rencontrer une seule fois. Il ne s’agissait pas de créer un lien, mais de m’en libérer, car il avait été omniprésent dans mon esprit. Et effectiveDedans Dehors N°74-75 Décembre 2011

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ment, cette rencontre m’a énormément servi dans ma vie personnelle : beaucoup de choses se sont alors débloquées. La première des conditions est évidemment que l’un et l’autre aient envie de se rencontrer. Il faut à mon sens laisser la demande venir de la victime ou de ses proches. Beaucoup de détenus ont envie de contacter la famille, mais pour ma part, je crois que je l’aurais vécu comme une agression. J’ai eu besoin d’attendre d’être prête à faire la démarche. S’il n’avait pas été d’accord, j’aurais dû l’accepter, car un prisonnier garde au moins cette liberté de refuser les visites qui lui sont proposées.

© Samuel Bollendorff

Autre condition : il faut être accompagné psychologiquement, car il s’agit d’une rencontre particulièrement bouleversante. La présence de l’éducatrice (CPIP) et de la psychologue de l’établissement pendant la rencontre a aussi été essentielle, je l’ai ressentie comme une protection pour l’un et pour l’autre. Elles veillaient, donnaient le cadre, intervenant très peu... Quand il m’a fallu faire une pause à un moment, l’une d’elles m’a accompagnée. Je les avais déjà rencontrées au préalable, il y avait eu un entretien obligatoire avec la psychologue, qui a pu s’assurer que je ne venais pas animée d’un esprit de vengeance, pour lui faire du mal. L’éducatrice avait également pris les choses en mains pour que la rencontre ait lieu, alors que ma demande au directeur traînait sur un bureau depuis plusieurs mois. Elle l’a estimée judicieuse pour le détenu, à une étape cruciale de son projet de vie, avec une demande de libération conditionnelle (LC). Ce n’était pas gênant pour vous que cette demande de LC entre en ligne de compte ? Non, car j’étais de toutes façons déterminée à accomplir ma démarche pour moi-même. Que cela lui soit utile par ailleurs, ce n’était pas moi qui aurais à en décider. Il était déjà en prison depuis 29 ans… C’est justement une autre idée répandue : les victimes ou leurs proches seraient opposés à toute forme de libération avant la fin de peine, dans le cadre d’un aménagement (libération conditionnelle, bracelet électronique, etc.). Qu’en pensez-vous ? Tout dépend de ce qui s’est passé pendant l’incarcération. Si la LC intervient parce que la personne est en état de se retrouver dans la société, a de quoi tenir psychologiquement, financière-


politique pénale : quand les idées reçues dictent leurs lois ment et affectivement, je ne vois pas l’intérêt qu’elle reste en prison. Il faut leur donner leur chance, mais nécessairement en assurant un suivi et un soutien social aux personnes libérées. La sécurité des citoyens passe par de meilleures conditions d’accompagnement des personnes qui ont commis des infractions, en prison ou à l’extérieur. Auriez-vous pu rencontrer l’assassin de votre frère en dehors d’une prison ? Oui, mais pas en dehors de tout cadre. Le critère est davantage l’accompagnement par des professionnels veillant à ce que tout se passe dans de bonnes conditions. L’arrivée dans la maison centrale, imaginer des centaines d’hommes enfermés dans ces bâtiments, c’était très lourd. Il y aurait peut-être moyen de prévoir un autre cadre pour ce genre de rencontres, par exemple que le détenu bénéficie d’une autorisation de sortie exceptionnelle. J’ai néanmoins pu ouvrir les yeux sur le monde carcéral : j’y suis retournée en stage professionnel du côté des soignants, puis pour présenter mon livre à des détenus. Vous avez créé des liens avec des personnes incarcérées depuis la parution de votre livre. Quel est le sens de cette implication ? Et de votre arrivée au conseil d’administration de l’OIP ? Des prisonniers de la centrale de Lannemezan m’ont écrit, nous avons correspondu pendant deux ans, jusqu’à ce qu’ils organisent ma venue pour un débat. Ils étaient une trentaine, le débat s’est déroulé en dehors de la présence d’un surveillant, que j’avais refusée, les détenus se sont très bien régulés entre eux. Entendre le récit d’une proche de victime permet à certains de comprendre des choses : ils ont pu s’apercevoir que le désir de vengeance n’était pas nécessairement présent. Ils m’ont aussi questionnée sur les sommes qu’ils versent aux victimes, qui absorbent souvent l’essentiel de ce qu’ils gagnent en travaillant. J’ai pu leur expliquer que ces indemnités m’avaient aidée à payer

sept années de psychothérapie, que la participation de l’assassin avait du sens puisque j’avais entrepris ce travail essentiellement à cause de la mort de mon frère. Les trois détenus avec lesquels j’avais correspondu pendant deux ans ont été autorisés à m’interviewer après la conférence pour le journal interne de la prison, alors qu’un parloir nous avait été refusé. En effet, pour le directeur, je devais opter soit pour le statut d’amie de détenus et avoir droit au parloir, soit pour celui d’intervenante et en être privée, faute de quoi tous les intervenants commenceraient à vouloir rencontrer les détenus qui les ont fait venir… Nous avons passé un grand moment, l’un des plus forts de ma vie : la rencontre improbable entre une personne ayant souffert d’un crime horrible et des hommes qui à un moment de leur vie ont commis un acte grave. Je continuais ce que j’avais commencé avec l’assassin de mon frère, mais d’une manière sublimée, dépassant mon cas personnel. La façon dont sont traités les prisonniers, ou dont les médias peuvent aborder la délinquance et la criminalité, nécessite que ceux qui ont côtoyé la prison en témoignent. Pour qu’on arrête de construire des établissements pénitentiaires à l’extérieur des villes comme des abattoirs. Qu’on les intègre dans notre vie pour en faire quelque chose. C’est le sens de mon entrée au conseil d’administration de l’OIP. La manière dont les drames humains et la violence sont utilisés par les politiques, constitue aussi à mes yeux une forme de terrorisme. Je veux montrer que des personnes qui ont été victimes peuvent avoir une approche différente. Il ne s’agit pas tant de me battre pour les prisonniers que pour le respect de la dignité humaine. Pour l’avoir expérimenté, lorsqu’on ne peut pas écrire à une personne incarcérée sans que ce courrier ne soit ouvert, sans faire attention au moindre mot dont on sait qu’il va être lu, on sort du cadre de la dignité humaine. Propos recueillis par Sarah Dindo

Idée reçue n° 3 :

« Les victimes veulent des peines plus longues et pas de libération conditionnelle » Sonja Snacken, criminologue, présidente du Conseil de coopération pénologique du Conseil de l’Europe « Les recherches victimologiques démontrent que les attentes et besoins des victimes varient entre individus et selon le type de victimisation (crimes contre la personne ou contre les biens). Cependant, certains besoins se retrouvent chez toutes les victimes : le besoin de se sentir reconnu et respecté en tant que victime, le besoin de réparation et de dédommagement par l’auteur de l’infraction, le besoin d’information et d’explication tant du délit que de la procédure pénale, le support émotionnel. Des études empiriques ont démontré que ce sont ces aspects-là qui conditionnent la satisfaction des victimes et la légitimité du sys-

tème pénal ou pénitentiaire, et non pas l’allongement des peines ou l’abolition de la libération conditionnelle (McCoy & McManimon, 2002). Ceci se comprend parfaitement dans le contexte des recherches psychologiques sur la procedural justice, qui expliquent que l’acceptation d’une décision judiciaire ou autre dépend plus de la perception de la légitimité et de l’équité de la procédure décisionnelle que du résultat (Tyler, 2005) ». Actes du colloque « L’exécution des décisions en matière pénale en Europe : du visible à l’invisible », DAP-Ministère de la justice, 2009.

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dossier

« Dé-psychologiser » la criminalité

Psychiatre et universitaire, Jean-Louis Senon ramène à sa juste place la part de la folie dans la criminalité, la plupart des auteurs de crime n’étant pas atteints de maladie mentale. Il estime que les ressorts du passage à l’acte existent en tout être humain et relativise les possibilités d’y répondre par le soin.

Les psychotiques, et plus généralement les personnes atteintes de troubles mentaux, sont aujourd’hui désignés comme des figures de la « dangerosité ». Quelle est leur part réelle dans la criminalité ? En réalité, la plupart des auteurs de crimes ne sont pas atteints de maladie mentale. Les données internationales montrent que seuls 2 à 5 % des auteurs d’homicide et 1 à 4 % des auteurs de violences sexuelles sont atteints d’une maladie mentale (troubles schizophréniques ou troubles de l’humeur). Une étude réalisée en 2010* montre également que les malades mentaux sont plus souvent victimes qu’auteurs – de 7 à 17 fois plus souvent victimes que la population générale. Les crimes sur-représentés dans les médias ne sont en règle générale pas des « crimes de fous ». Il nous faut admettre que la violence, la haine, la rage, la jalousie, sont des sentiments humains, dont nous sommes tous porteurs et qui peuvent conduire, dans certaines circonstances, au passage à l’acte criminel. En chacun d’entre nous, il y a du clair et de l’obscur. Dans le cadre de moments particuliers de notre vie, nous pouvons être amenés à éprouver ces sentiments, qui peuvent constituer les moteurs de l’activité criminelle. Les troubles mentaux sont-ils néanmoins des facteurs favorisant le passage à l’acte délinquant ? Lorsque le crime est commis par un malade mental, les facteurs déterminants du passage à l’acte sont la consommation d’alcool, très fréquente dans le passage à l’acte criminel, ou la consommation de drogues. Ce sont aussi les difficultés des malades liées à une impossibilité d’insertion, lorsqu’une personne n’a plus aucune communication sociale et se trouve en quelque sorte abandonnée à elle-même. Nos patients sont victimes de la stigmatisation, de la mise à l’écart, de la difficulté à trouver une place et à être reconnu dans une société où tout un chacun doit être parfait. La nature de la maladie mentale est également déterminante. La plupart des schizophrènes ne sont jamais vioDedans Dehors N°74-75 Décembre 2011

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lents. Ceux qui peuvent l’être ont des idées délirantes de persécution, que les cliniciens savent reconnaître et traiter. Une autre situation est celle des patients qui entretiennent des idées dépressives très intenses, que l’on appelle « mélancoliques ». Ils peuvent alors s’en prendre à leurs proches, croyant les délivrer du mal qu’ils apportent à toute la famille. Nous sommes alors très vigilants, mais ces cas sont exceptionnels. La loi du 25 février 2008 organise la participation du malade mental à une forme de procès public qui aboutit à une déclaration d’irresponsabilité. Cette disposition traduit la conviction que le procès est nécessaire pour les victimes et fait partie d’un processus thérapeutique pour l’auteur des faits. Qu’en disent les soignants ? Depuis les fondements du droit romain, l’on considère que le malade mental, déjà bien assez puni par sa maladie, n’a pas à répondre par une sanction d’éventuels actes criminels. Ce principe est remis en cause dans la plupart des pays ces dernières années, dans l’idée qu’il ne serait pas légitime qu’un malade mental auteur d’un crime se dérobe à son procès. Avant 2008, l’article 122-1-al. 1 du Code pénal prévoyait qu’en cas d’abolition du discernement au moment de l’acte, un non-lieu devait être prononcé – ce qui signifie qu’il n’y a pas lieu de poursuivre, et non que l’événement n’a pas eu lieu. La loi « rétention de sûreté » du 25 février 2008 a modifié ce point du droit, en imposant un procès qui dans un premier temps fait la preuve que la personne malade est bien l’auteur du fait criminel. Il est effectivement important, notamment pour les victimes, que le crime, ses attendus et le passage à l’acte soient bien validés par l’action judiciaire. Le second niveau, qui pose problème, prévoit la comparution devant le tribunal de l’auteur malade mental. Celui-ci peut alors se trouver en grande difficulté pour parler de ce qui s’est passé au moment de son passage à l’acte. Lorsqu’a été jugé à Pau le meurtrier de deux infirmières, un patient schi-


politique pénale : quand les idées reçues dictent leurs lois

© Bernard Le Bars

zophrène, le contenu de son délire, qu’il a dû exposer, a sidéré les familles : comment comprendre qu’il devait poignarder ses victimes pour se protéger lui-même du monstre vert qui était en train de l’absorber ? Ce sont des explications qui ne peuvent apaiser la douleur des victimes. Le procès prétend alors traiter d’une double souffrance : celle des victimes, de leurs familles, et celle de l’auteur d’un passage à l’acte criminel, souvent horrible et très déterminé. Nos sociétés doivent à mon sens reprendre la réflexion autour de ce grand principe qui a fondé nos règles de droit selon lequel on ne sanctionne pas un malade. Les psychiatres sont de plus en plus sollicités pour effectuer des « expertises de dangerosité », en particulier après le procès dans le cadre de l’octroi d’aménagements de peine ou le prononcé de mesures de sûreté. Que permettent les méthodes d’évaluation utilisées par les soignants aujourd’hui en France ? Nos sociétés traversées par le sentiment d’insécurité sont à la recherche d’outils permettant d’éliminer la subjectivité et de prédire de façon mathématique les comportements, ce qui est impossible. Nous devons accepter l’idée qu’il n’y a pas de risque zéro dans le domaine criminel : le crime est inhérent au fonctionnement de notre société et il n’existe pas de société sans crime. Dans ce contexte, l’évolution de l’expertise demandée aux psychiatres est notable. Avant 2005, nous étions essentiellement sollicités au stade pré-sentenciel pour déterminer si la personne poursuivie était atteinte d’un trouble mental ayant pu abolir ou altérer son discernement au moment des faits. Depuis 2005, la « pré-libération » est devenue la préoccupation majeure du

législateur, qui a voté une succession de textes impliquant des évaluations du risque de récidive demandées aux psychiatres, en vue de décider de maintenir ou non un enfermement. En France, nous n’utilisons pas les outils actuariels développés par les anglo-saxons, qui permettent d’évaluer les facteurs de risque. Nous privilégions une approche clinique et individualisée. Je pense que nous évoluerons raisonnablement vers une formule équilibrée entre ces deux modes d’évaluation. Il faut aussi relever que la psychologisation de la réponse pénale est une utopie : il ne suffit pas de confier les criminels à des psychiatres pour éradiquer le crime. Les facteurs psychologiques ne constituent qu’un des aspects du passage à l’acte criminel, aux côtés de facteurs sociaux, environnementaux, comportementaux, etc. L’évaluation des risques de rechute ou de récidive ne peut donc s’envisager que dans le cadre d’une approche multi-professionnelle, croisant des méthodes actuarielles avec des évaluations psychologiques, sociologiques, psycho-affectives, etc. Selon les textes et rapports, le nombre de personnes détenues atteintes de troubles psychiatriques varie de 5 à 30 %. Pouvez-vous expliquer ces variations ? Tout dépend des pathologies dont il est question. Le cœur de l’activité psychiatrique réside dans la prise en charge des psychoses schizophréniques. Dans la plupart des pays démocratiques, il y a entre 4 et 8 % de schizophrénies en détention. On y ajoute en France les psychoses paranoïaques, ce qui donne l’impression d’effectifs plus importants. Par ailleurs, certaines études comptabilisent les troubles anxieux, affectant environ 30 % de la population détenue. Souffrir de ce type de troubles est bien Dedans Dehors N°74-75 Décembre 2011

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dossier légitime quand on est en prison. Les détentions en France sont soit surencombrées dans des établissements anciens, soit relativement déshumanisées dans les établissements récents. La présence humaine y est réduite, les parcours sont gérés par cartes magnétiques d’identification, les rapports avec les surveillants sont restreints – alors qu’ils sont extrêmement importants dans la vie et l’équilibre psychologique du détenu. Les troubles dépressifs en détention sont également tout à fait compréhensibles : une personne sous le coup d’une instruction menaçante, dans l’obligation de faire face à un passage à l’acte criminel grave, traverse des périodes dépressives durables. Il faut donc regarder ces chiffres avec prudence et hauteur de vue. Néanmoins, l’expertise ces dernières années a omis d’examiner attentivement la situation des schizophrènes. Les soins qui leurs sont apportés peuvent permettre de les stabiliser, de sorte que lorsqu’ils commettent un délit, l’expert peut refuser de reconnaître une abolition du discernement. Or, la décision de les emprisonner ne prend pas en considération les conséquences néfastes que peut avoir une détention sur l’évolution de la pathologie. Pire, il est apparu que la maladie psychiatrique était un facteur aggravant de la peine. La Haute autorité de santé a dès lors proposé une révision de l’article 122-1 al.2, visant à ce que l’altération du discernement puisse être à l’origine d’une peine minorée, compensée par une obligation de soins. Les juridictions semblent d’autant plus enclines à condamner des personnes atteintes de troubles mentaux qu’il est considéré que les soins peuvent être assurés en milieu carcéral. Quelles sont les possibilités et les limites de la prise en charge en détention ? En prison comme en milieu hospitalier, les équipes sont sur-sollicitées par un afflux de demandes. Ce sont des patients qui ne peuvent plus recevoir de réponses adaptées dans notre société, qui accèdent très mal à la médecine générale, sont très peu observants à la prise en charge et aux traitements, et passent souvent par les services d’urgence, n’ayant pas la capacité à bénéficier de soins réguliers par des services spécialisés. Cet afflux a un impact sur les différents niveaux de soins prodigués. Le premier niveau consiste à soigner les pathologies psychiatriques à proprement parler : schizophrénies, dépressions… Le deuxième niveau consiste à soigner les co-morbidités : alcoolisme, toxicomanies, prises de toxique. Le troisième niveau, lorsque les équipes en ont la possibilité, ce qui n’est pas évident dans tous les établissements pénitentiaires, c’est la prise en charge des psychopathologies du passage à l’acte. La priorité a été fixée sur les auteurs de violences sexuelles, car il est impensable que tous les crimes listés dans les obligations de la loi rétention de sûreté du 25 février 2008 (actes de torture et de barbarie, prise d’otages, etc.) puissent effectivement être pris en charge. Tant pour des questions d’effectifs que parce que l’on ne sait pas soigner le crime. Propos recueillis par Barbara Liaras * Haute autorité de santé, audition publique, Dangerosité psychiatrique : Étude et évaluation des facteurs de risque de violence hétéro-agressive chez les personnes ayant une schizophrénie ou des troubles de l’humeur 10 décembre 2010.

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Idée reçue n° 4 :

« Les auteurs de crimes ont forcément une pathologie mentale » Denis Salas, magistrat, directeur scientifique des Cahiers de la Justice « La confusion dans l’opinion entre maladie mentale et crime, entre schizophrénie et criminalité, est indéniable. Une enquête réalisée par l’OMS-Lille portant sur 40 000 Français montre que les Français associent nettement meurtre, inceste et folie. On sait pourtant qu’un homicide est commis par un malade mental dans 1 cas sur 20 à 50 selon les pays (soit 2 à 5%) et chez les auteurs de violence sexuelle une pathologie psychiatrique n’est retrouvée que dans 3 à 5% des cas ». Actes du colloque « L’exécution des décisions en matière pénale en Europe : du visible à l’invisible », DAP-Ministère de la justice, 2009.

Idée reçue n° 5 :

« Il suffit d’obliger les auteurs d’infraction à se soigner » Ordre national des médecins « Le soin ne peut avoir d’intérêt que si la personne reconnaît son comportement comme pathologique, qu’il en fait la demande, afin d’être aidé à contrôler son comportement comme dans les pathologies addictives, ou certaines pathologies des délinquants sexuels. (...) L’obligation est dans certains cas une mesure utopique : la personne peut feindre l’adhésion à la prise en charge dans le seul but d’obtenir le bénéfice d’un aménagement de peine, il peut exercer une pression sur le médecin pour obtenir des appréciations favorables. (...) Le suivi médico-psychiatrique est un élément essentiel dans la réintégration sociale d’un détenu condamné à une longue peine [mais] dans le respect des droits du patient et du code de déontologie. Le médecin doit s’efforcer de le convaincre de la nécessité, pour lui, d’accepter les soins, (...) mais en lui reconnaissant la capacité d’exprimer sa volonté en refusant les soins ». Les soins et les injonctions de soins en milieu pénitentiaire et leurs conséquences sur la situation pénale de l’intéressé, rapport du 7 février 2008.


politique pénale : quand les idées reçues dictent leurs lois

« Incarcérer à tout va constitue une erreur grave » Les textes accumulés depuis 2001 érigent un droit dérogatoire pour les récidivistes, condamnés à entrer plus facilement en prison, y rester plus longtemps et en sortir plus difficilement. Une approche contre-productive selon Jean-Paul Jean, avocat général près la cour d’appel de Paris et professeur associé à l’université de Poitiers, qui déplore la « pauvreté navrante des sources scientifiques utilisées par le législateur français* ».

Jean-Paul Jean, avocat général et universitaire

Depuis une dizaine d’années émerge un nouveau « droit de la récidive », véritable droit d’exception sur le traitement des affaires en récidive. Cette distinction dans la réponse pénale à l’égard de la « récidive légale » vous paraît-elle globalement justifiée ? C’est la caractéristique des dix dernières années dans les choix de législation pénale. Il en résulte deux catégories de délinquants : les primaires et les récidivistes. Au stade du prononcé de la peine, l’aggravation de la sanction encourue constitue un principe traditionnel de tout système répressif. Pour autant, la recherche a clairement établi que les peines automatiques et renforcées ne sont efficaces qu’en tant qu’instrument de neutralisation temporaire. La prison produisant de la récidive, incarcérer à tout va constitue une erreur grave, là où une solution plus intelligente aurait pu être trouvée. Or aujourd’hui, les dispositions législatives vont bien au-delà de l’aggravation de la peine. Les récidivistes constituent désormais une catégorie juridique soumise à des régimes dérogatoires à toutes les étapes du processus judiciaire, qui les conduit à entrer plus facilement en détention, à y rester plus longtemps, et à en sortir plus difficilement. Au stade même de la détention provisoire, un récidiviste est soumis à des règles défavorables, le juge n’ayant pas besoin de motiver sa décision, alors que la personne mise en cause est présumée innocente dans cette nouvelle affaire.

Que pensez-vous en particulier de l’idée traduite par les « peines-plancher », selon laquelle il faudrait systématiquement punir plus sévèrement en cas de récidive ? Les textes pénaux qui s’accumulent depuis 2001 marquent une rupture progressive avec les principes fondamentaux du droit pénal, s’articulant autour des principes de proportionnalité et d’individualisation de la peine. Une personne qui récidive devrait faire l’objet d’une évaluation criminologique qui permette de trouver la peine la mieux adaptée. On peut décider d’une aggravation de la peine, si la personne effectivement a un comportement de plus en plus délinquant. Mais si elle se trouve dans une phase décroissante de sa délinquance, une réponse adaptée (de type milieu ouvert, lui permettant de conserver une vie sociale, de rechercher un emploi...) doit être apportée. La pire des choses, c’est le caractère automatique. Une personne peut être récidiviste, mais dans des faits de moindre gravité, plus espacés, à un âge où elle commence à se lasser et à essayer de s’insérer. On voit aujourd’hui des révocations d’anciennes peines avec sursis et des emprisonnements fermes mis à exécution au moment où la délinquance du condamné commençait à diminuer ou qu’il s’était stabilisé. De plus en plus de sanctions prononcées en récidive le sont en outre dans le cadre de la comparution immédiate, procédure trop rapide pour procéder à une évaluation sérieuse. Observez-vous des différences entre les représentations véhiculées sur « le récidiviste », principale cible des réformes pénales récentes, et la catégorie juridique effectivement concernée ? Dedans Dehors N°74-75 Décembre 2011

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dossier Le discours politique et médiatique entretient dans l’opinion publique la confusion entre récidive et dangerosité – qui plus est à travers la figure emblématique du délinquant sexuel. On fait croire que les peines plancher s’appliquent aux délinquants les plus dangereux. En fait, elles n’ont que très peu d’effets pour les crimes, puisque les cours d’assise dépassent souvent le niveau des peines minimales prévues pour les récidivistes. Elles ont en revanche un effet considérable pour les délits, puisqu’elles se situent à un niveau environ trois fois supérieur au quantum moyen des peines prononcées antérieurement. Cette sur-pénalisation concerne d’abord les auteurs de vols, de recels et de conduite en état alcoolique, qui représentent à eux seuls les trois quarts des récidivistes : 58,8% des condamnations en récidive concernent des atteintes aux biens. Le phénomène de la récidive et du processus de sortie de délinquance vous paraît-il suffisamment étudié et connu des concepteurs des lois sur la récidive ? Les textes se succèdent, sans études d’impact ni évaluation des réformes précédentes. On note à la fois un manque de recherches en criminologie appliquée, et un refus du politique d’utiliser certaines études disponibles, qui n’ont que peu d’impact sur la conduite de l’action publique. Avant l’adoption en urgence de la loi du 10 août 2007 instaurant les peines plancher, Mme Dati, alors garde des Sceaux, avait refusé que soit rendu public le rapport de la Commission sur la récidive présidée par le Professeur Jacques-Henri Robert, parce qu’il n’allait pas dans le sens voulu. Il soulignait notamment que les sociétés anglo-saxonnes ayant eu fortement recours aux peines minimales constataient qu’elles engendraient souvent un accroissement de la récidive.

L’inspection générale des services judiciaires (IGSJ) a avancé en 2009 le chiffre de 82 000 peines d’emprisonnement ferme en attente d’exécution (85 600 fin juin 2011). Que recouvrent ces chiffres ? Ce chiffre a été utilisé de manière démagogique. Le rapport de l’IGSJ indique que l’essentiel de ces peines en attente d’exécution sont des « peines convertibles ». La loi est ainsi faite qu’un certain nombre de peines d’emprisonnement doivent ou peuvent être converties [en surveillance électronique, semi-liberté, placement extérieur, libération conditionnelle...], ce qui demande du temps. En second lieu, certaines courtes peines peuvent rencontrer des difficultés de mise à exécution, notamment parce que les personnes ont changé de domicile, ce qui retarde le suivi des dossiers. Troisièmement, il y a une part d’opportunité : quand les prisons sont surpeuplées, certains procureurs préfèrent ne pas mettre à exécution une courte peine qui risque d’avoir un effet criminogène et ils ont raison. Enfin, le rapport de l’IGSJ met en évidence l’encombrement des services des JAP et des SPIP, qui passent leur temps à trouver des solutions pour convertir en mesures de milieu ouvert des peines fermes prononcées comme l’exige la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009. Dans son rapport sur l’exécution des peines, Eric Ciotti souligne que le ratio de places de détention est inférieur en France (83,5 pour 100 000 habitants) à la moyenne européenne (138), pour en conclure que l’on manque de capacité pénitentiaire. Qu’en pensez-vous ? Face à l’augmentation de la délinquance, nos sociétés ne sont pas condamnées à la montée indistincte de l’emprisonnement et du contrôle des individus. Cette moyenne européenne n’a pas

Idée reçue n° 6 :

« Augmenter le nombre de places de prison permet de remédier à la surpopulation carcérale » Sonja Snacken, criminologue, présidente du Conseil de coopération pénologique du Conseil de l’Europe « Presque tous les pays ayant eu recours à un accroissement du parc pénitentiaire ont vu leur taux de détention s’accroître, les nouvelles prisons se retrouvant à leurs tours surpeuplées. Si l’on n’agit pas sur les facteurs d’accroissement de la population pénitentiaire, on ne règle pas le problème. A l’inverse, il faut se garder de croire que l’on va résorber la surpopulation simplement en limitant la capacité pénitentiaire et sans agir sur les causes. La capacité pénitentiaire ne constitue pas un facteur isolé, mais un facteur parmi d’autres pour agir sur la surpopulation. Le refus de construire de nouvelles prisons ou le numerus clausus ne peuvent avoir de sens qu’en s’intégrant dans une démarche réductionniste plus globale. (…) Ainsi, les Pays-Bas ont pratiqué un numerus clausus au niveau de la détention provisoire. Ils ont adopté un système de classement des prévenus en 3 catégories, la catégorie A étant celle des prioritaires. Si un juge voulait emprisonner un suspect de la catégorie A en l’absence

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de place en prison, un C devait être relâché pour libérer une place. Cela a engendré de longues listes d’attente, les magistrats étaient très mécontents. Un scandale a alors éclaté, une personne suspectée d’un viol ayant été relâchée faute de place. Or, nous savons aujourd’hui que des étudiants étaient alors détenus dans la même prison pour avoir refusé de montrer leur carte d’identité. Le système a alors été abandonné (autour de 1999), notamment parce qu’il ne semblait pas suffisamment protéger la société. Cela nous montre que si la politique pénale n’est pas acceptable pour les acteurs du système judiciaire, ils trouvent le moyen de la mettre en échec ». Audition réalisée dans le cadre de l’étude CNCDH, Sarah Dindo, « Sanctionner dans le respect des droits de l’homme – Les alternatives à la détention », Documentation française, 2007.


politique pénale : quand les idées reçues dictent leurs lois

© Bernard Le Bars

« On fait croire que les peines plancher s’appliquent aux délinquants les plus dangereux. En fait, elles n’ont que très peu d’effet pour les crimes, mais un effet considérable pour les délits, pour lesquels elles se situent à un niveau en moyenne trois fois supérieur aux peines prononcées antérieurement »

une grande signification, elle recouvre des situations et des choix politiques extrêmement différents. On sait que plus on construit de prisons, plus on prononce de peines d’emprisonnement. Il faut aussi souligner que l’augmentation depuis 10 ans du budget global du ministère de la Justice n’a pas profité aux tribunaux, car l’essentiel de l’augmentation des crédits et des créations de postes est allé à l’administration pénitentiaire. Il me paraîtrait plus judicieux de réfléchir aux modalités de réponse pour chaque type de délinquance : comment prend-on en charge les toxicomanes, quelle politique vis-à-vis des délinquants sexuels, les auteurs de conduite en état alcoolique en récidive et quels types de peines sont les mieux adaptés pour chacune de ces catégories ? La question de la mise à exécution de l’ensemble des peines peut-elle se poser indépendamment de leurs conditions

d’exécution et de leur contenu ? Est-ce qu’il suffit que la peine prononcée soit exécutée pour que « justice soit faite » et la prévention de la récidive mieux assurée ? C’est vraiment la question centrale. La peine doit être personnalisée, adaptée, proportionnée... et comprise. Les conditions du prononcé de la peine sont absolument déterminantes. Il existe en droit un « sursis au prononcé de la peine » [ajournement avec mise à l’épreuve], par lequel le tribunal peut déclarer la culpabilité et reporter la décision sur le prononcé de la peine à une autre audience. Ce dispositif n’est quasiment jamais appliqué, car il demande trop de temps et ne correspond pas aux options politiques retenues. Il pourrait pourtant s’appliquer à beaucoup de peines d’emprisonnement délictuel, ce qui permettrait de prendre en compte des éléments criminologiques, avec la participation du SPIP. Dedans Dehors N°74-75 Décembre 2011

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dossier Les mesures alternatives sont souvent mal comprises du grand public, qui les considère comme une forme d’inexécution de la peine. Comment y remédier ? Dans l’inconscient des sociétés, la seule vraie peine, c’est la prison. Depuis 1975 qu’existent les peines dites « alternatives à la prison », on n’a pas réussi à faire comprendre qu’une peine peut être autre chose que la prison, sauf pour l’amende, et peut-être le TIG. La probation est une peine, avec un contrôle, un suivi social, des soins... Pour ces peines en milieu ouvert, il faudrait trouver des références claires, un concept fédérateur ; voici un travail pour les chercheurs et les philosophes. Les aménagements ab initio ou 723-15 [conversion des courtes peines de prison avant leur mise à exécution] sont également très mal compris. Il est question de revenir sur ce dispositif élargi aux peines de 2 ans par la loi pénitentiaire : qu’en pensez-vous ? Le discours est hypocrite, voire schizophrène en la matière. Le message adressé au juge est : « prononcez des peines de prison et exécutez-les ». Dans le même temps, on dit aux juges de l’application des peines : « libérez-les le plus vite possible ». On fait entrer des gens par la porte pour les faire sortir aussitôt par la fenêtre. Parce que les prisons sont surchargées et pour éviter les incidents en détention. Il serait préférable que moins de personnes n’entrent en prison, et que, beaucoup moins nombreuses, les peines d’emprisonnement prononcées soient réellement exécutées. C’est pour cette raison que la loi pénitentiaire suscite une réelle réticence. Elle permet de faire exécuter sous le régime de la semi-liberté ou avec un bracelet électronique une peine ou un reliquat de peine pouvant aller jusqu’à deux années d’emprisonnement – une année pour les récidivistes. Ce type de politique brouille la compréhension. Un tribunal peut prononcer une peine de deux ans et le JAP, voire le tribunal lui-

« Face à l’augmentation de la délinquance, nos sociétés ne sont pas condamnées à la montée indistincte de l’emprisonnement et du contrôle des individus ».

même, peut décider que la personne ne fera pas une journée de prison. Je préférerais que le juge soit tenu d’assumer des peines qu’il prononcerait avec plus de parcimonie, plutôt que de se dire « je prononce une peine, sans exécution provisoire, que le JAP aménagera ». Ensuite, le condamné a un droit normal à la libération conditionnelle ou à d’autres aménagements. Il faut revenir à quelques principes simples, ce qui ne veut pas dire incarcérer plus, au contraire, mais faire des choix clairs et assumés. Propos recueillis par Barbara Liaras * Jean J-P, « Les politiques criminelles face à la récidive », in Les Récidivistes, sous la direction de Allinne J-P. et Soula M., Presses universitaires de Rennes, 2010.

Idée reçue n° 7 :

« Il faut punir plus sévèrement les récidivistes » Sonja Snacken, criminologue, présidente du Conseil de coopération pénologique du Conseil de l’Europe La recherche sur la « désistance » (processus de sortie de délinquance) « montre que les délinquants n’arrêtent pas du jour au lendemain de commettre des délits. Il s’agit d’un processus, au sein duquel des facteurs sociaux tels que la formation d’une famille et le fait de trouver un emploi jouent un rôle important. De même, la sortie de la délinquance commence par une diminution de la fréquence, de l’intensité et de la gravité des actes. Or, la culture pénale n’intègre pas cette dimension progressive, la première récidive étant sanctionnée par une incarcération. En prison, il est encore plus difficile de conserver son emploi et sa famille, et la personne ressort avec des problèmes plus graves qu’à son entrée. Le concept d’une récidive fondée sur un seul acte ne tient pas compte de la complexité du processus d’interruption de l’activité délinquante. En vertu d’une conception à plus

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long terme de « réduction des dommages », le thérapeute estime pour sa part que le toxicomane se trouve sur le bon chemin s’il apprend à contrôler sa dépendance. Il continuera à travailler avec lui, même si le toxicomane rechute une fois. Alors que la justice pénale prend conscience un peu partout que la peine de prison ne peut pas résoudre les problèmes criminogènes et fait appel à des thérapeutes ou des services extérieurs, elle veut souvent leur imposer sa propre philosophie. Ainsi exige-t-elle du thérapeute qu’il fasse rapport de toute récidive, de tout manquement aux conditions. Le système pénal pourrait faire preuve de plus de modestie et notamment se demander pourquoi un thérapeute estime qu’une certaine forme de récidive ne signifie pas l’échec total de la mesure ». CNCDH, op.cit., Documentation française, 2007.


politique pénale : quand les idées reçues dictent leurs lois

« Commencer par ne pas nuire » A l’instar de la pratique médicale, la justice pénale devrait commencer par chercher à ne pas aggraver la situation des personnes, notamment en évitant le plus possible l’emprisonnement et en développant des solutions alternatives. Norman Bishop, ancien responsable des recherches de l’administration pénitentiaire de Suède, expert scientifique auprès du Conseil de l’Europe, explique qu’une sanction sévère n’est ni plus dissuasive, ni plus efficiente à prévenir la récidive.

Norman Bishop, expert scientifique auprès du Conseil de l’Europe

L’allongement ou la systématisation de peines d’emprisonnement a-t-il un effet dissuasif sur la délinquance ? La recherche en psychologie a montré qu’infliger une sanction peut entraîner des modifications du comportement, mais seulement à condition d’être certaine, réellement appliquée, le tout rapidement après l’acte. Or, ces conditions sont rarement réunies en matière policière et pénale. De nombreux types de délits restent peu détectés par la police. Lorsqu’ils le sont, il est loin d’être certain que des poursuites, une condamnation et son exécution s’en suivront. En tout état de cause, ce processus est si long que la sanction est exécutée relativement longtemps après le délit. Par ailleurs, certaines personnes commettent des délits impulsifs, sans en mesurer les conséquences. Dans ce cas, la nature de la peine encourue n’entre aucunement en ligne de compte dans le fait de commettre ou non l’infraction. Pour toutes ces raisons, le fait de durcir les peines n’a pas d’effet dissuasif sur la délinquance. La recherche criminologique montre même que le caractère certain d’être « pris » (la détection) a plus d’effet dissuasif que la sévérité de la sanction. Dans les cas où la détection est certaine, la dissuasion est souvent obtenue sans punition, ou avec une sanction modérée. A titre d’exemple, un simple panneau indiquant un radar conduit les automobilistes à réduire leur vitesse. De même, une coopération de voisinage pour assurer la surveillance des habitations tend à réduire les cambriolages.

Les mesures de libération conditionnelle pour finir la peine en milieu ouvert sont-elles nocives pour la sécurité publique ? La plupart des détenus trouvent exceptionnellement difficile la transition de la condition de détenu à celle de citoyen libre, particulièrement ceux qui ont purgé de longues peines. Cette difficulté de réadaptation peut les pousser à se tourner vers des amis et un mode de vie délinquants. C’est pourquoi dans sa Recommandation (2003) 22, le Conseil de l’Europe invite instamment les gouvernements à recourir à la libération conditionnelle, à savoir une sortie de prison, dans le cadre d’une prise en charge, avant que la totalité de la peine soit purgée. La législation suédoise prévoit que tous les détenus, sauf les condamnés à perpétuité ou les très courtes peines, doivent automatiquement sortir de prison aux deux-tiers de leur peine, le dernier tiers étant consacré à la libération conditionnelle. La date de sortie étant connue à l’avance, cela laisse du temps pour la préparer convenablement. En réalité, ce qui est le plus nocif pour la sécurité publique, c’est l’absence de recours généralisé à la libération conditionnelle, laquelle doit être basée sur une préparation efficace de la libération et une véritable prise en charge postlibération. Les instances décisionnaires qui refusent d’octroyer des libérations conditionnelles et insistent sur l’exécution pleine et entière de la peine de prison portent une lourde responsabilité dans la récidive en laissant retourner dans la communauté des personnes sans mesures de contrôle et sans assistance. Dedans Dehors N°74-75 Décembre 2011

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dossier

© Jérôme Brézillon

En France, les psychiatres et autres professionnels sont de plus en plus sollicités pour produire des « évaluations de la dangerosité » sur la base desquelles il peut être décidé d’octroyer ou non un aménagement de peine, mais aussi une mesure de sûreté après la peine. La confusion étant de mise entre les notions de « dangerosité » et de « prévention des risques », où en est la recherche internationale sur cette question ? Le « risque » représente la probabilité qu’une nouvelle condamnation ou un comportement spécifique vont se produire. Les outils pour l’évaluer sont connus et utilisés depuis plus de 50 ans. Ils ont été conçus sur la base de recherches portant sur la vie et la carrière criminelle d’un grand nombre de délinquants, afin de mettre en lumière les facteurs qui sont statistiquement associés à la récidive. L’un des inconvénients de ces évaluations actuarielles est qu’elles se sont d’abord basées sur des faits « historiques » — par exemple, l’âge de la première condamnation, le nombre de condamnations antérieures, et le type de délit — qui ipso facto ne peuvent être changés. Elles fournissaient ainsi des indications sur la probabilité qu’une récidive ait lieu, mais très peu sur la manière dont on peut réduire le risque. Ces dernières années, cet inconvénient a été pris en compte en intégrant les facteurs personnels et sociaux actuels de la vie de la personne qui peuvent contribuer à la récidive. Les dernières générations d’outils d’évaluation prennent en compte ces « facteurs dynamiques », tels une dépendance aux drogues ou à l’alcool, une agressivité non contrôlée, des problématiques d’emploi, d’environnement relationnel, etc. Ils deviennent dès lors un indicateur utile sur les problèmes personDedans Dehors N°74-75 Décembre 2011

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nels et sociaux qui doivent être considérés dans le cadre du suivi de la personne pour prévenir la récidive et favoriser sa réinsertion. Le Système d’évaluation « OASys », actuellement utilisé par les services de probation en Angleterre, est un excellent exemple d’outil moderne qui évalue à la fois le risque d’un comportement délinquant futur et permet un travail de probation ciblé en vue de réduire le risque qui découle des facteurs dynamiques. Bien que les outils d’évaluation des risques se soient considérablement améliorés ces dernières années, il faut bien être conscient qu’ils n’indiquent qu’une probabilité de récidive ; ils ne peuvent en aucun cas formuler une prédiction précise du comportement futur d’une personne. Même si un individu fait partie d’un groupe présentant une probabilité de risque de récidive de 80 %, il peut faire partie des 20 % qui ne récidiveront pas. Il faut donc nécessairement une évaluation « clinique » sous forme d’entretiens, pour compléter l’outil actuariel. En ce sens, la position d’un agent de probation peut être comparée à celle d’un médecin, dans une situation où il doit choisir entre différents traitements. Il est guidé par la somme considérable de connaissances médicales disponibles, qui lui indiquent les probabilités d’efficacité de chaque traitement dans tel et tel cas. Mais le médecin fera également intervenir sa connaissance clinique du patient et son expérience personnelle de la pratique de la médecine. Quelles sont les formes de réponse pénale qui obtiennent les meilleurs résultats en matière de prévention de la récidive ?


politique pénale : quand les idées reçues dictent leurs lois

« Les instances décisionnaires qui refusent d’octroyer des libérations conditionnelles portent une lourde responsabilité dans la récidive en laissant retourner dans la communauté des personnes sans mesures de contrôle et d’assistance » Le parallèle avec la pratique médicale est également utile en matière de prévention de la récidive : la première leçon apprise par un médecin est de ne pas porter préjudice à son patient, c’està-dire de ne pas dégrader sa situation. Dans le domaine pénal, le recours excessif à l’emprisonnement représente l’exact inverse de ce principe. La recherche a largement démontré qu’à moins que des efforts considérables soient fournis pour proposer des prises en charge constructives, la prison est l’école du crime. En l’absence de tels programmes, les détenus parlent entre eux de leurs délits, nouent de nouveaux contacts, et sont confortés par le traitement qui leur est réservé dans une « identité de délinquants ». De sorte qu’une première étape pour prévenir la récidive est d’éviter l’emprisonnement le plus largement possible. La législation et les pratiques judiciaires devraient ainsi promouvoir l’utilisation la plus

large possible des sanctions qui peuvent être mises en œuvre en milieu ouvert : amendes, rappels à la loi, travail d’intérêt général, obligation de soins, probation… Dans les cas où il paraît impossible d’éviter la prison, alors le régime pénitentiaire doit être organisé en toute conformité avec les Règles pénitentiaires européennes (RPE). Les détenus doivent notamment avoir la possibilité d’exercer des responsabilités et avoir une liberté de parole au sein de l’établissement pénitentiaire. La Règle 50, qui demande aux administrations pénitentiaires de favoriser les « comités de détenus » pour discuter avec l’encadrement des problèmes de la vie en détention, constitue un exemple de mesures visant à reconnaître les prisonniers comme des personnes capables d’exercer des responsabilités. Au delà de ces principes généraux, la seule réponse pénale qui offre des possibilités réelles de réduire la récidive sont les programmes spécifiques qui en ont fait la preuve à travers des évaluations rigoureuses. Les programmes basés sur les théories cognitives et comportementales développés notamment au Canada ont prouvé leur efficacité pour prendre en charge des facteurs criminogènes spécifiques. Ils doivent être conçus en relation étroite avec des chercheurs sur la base des résultats de la recherche, puis soumis à une évaluation rigoureuse. Il reste malheureusement rare en Europe de disposer d’une capacité de recherche soutenue et systématique. Une majorité du travail entrepris, en milieu pénitentiaire ou dans le cadre de la probation, reste basé sur des croyances et espoirs. Propos recueillis par Sarah Dindo

Idée reçue n° 8 :

« Plus la peine encourue est sévère, plus elle est dissuasive » Sonja Snacken, criminologue, présidente du Conseil de coopération pénologique du Conseil de l’Europe « Allonger les peines dans l’espoir de contrer la récidive est un reflexe tout aussi traditionnel qu’inefficace, puisque basé sur une conception erronée et dépassée de la récidive. Dans la théorie pénale classique ainsi que dans la théorie du choix rationnel moderne, la récidive est un acte volontaire, commis par un délinquant rationnel qui pèse les avantages du crime face aux désavantages de la sanction. Il suffit dès lors d’augmenter la peine pour dissuader les délinquants de récidiver. A la demande du Home Office, l’Institut de criminologie de l’université de Cambridge fit une métaanalyse des études publiées sur les effets dissuasifs de la sévérité des peines et conclût que rallonger la longueur de la peine n’augmente pas la dissuasion (Bottoms, Von Hirsh e.a., 1999). Le Home Office décida de ne pas en tenir compte, apparemment suivi en cela par la France ». « Les études empiriques sur la prévention générale semblent suggérer que l’effet dissuasif des peines sur la criminalité est très limité. Tout d’abord, il ne peut y avoir d’effet que dans des formes de criminalité rationnelles, et bon nombre de crimes

même très graves ne le sont pas. Ensuite, il apparaît que dans la criminalité rationnelle, c’est plutôt le « rappel à la norme » d’une part, et « la peur du gendarme » d’autre part, qui font effet. Le rappel à la norme réitère la valeur bafouée par l’acte délinquant en le sanctionnant, mais il n’est nullement besoin de longues peines pour effectuer ce rappel. Dans « la peur du gendarme », c’est l’évaluation subjective du risque d’appréhension et la certitude subjective de la réaction pénale qui influencent les comportements et non pas le type, la sévérité ou les conditions d’exécution de la peine prévue légalement. C’est la raison pour laquelle les pays scandinaves, où la prévention générale a toujours été un objectif important de la politique pénale, se contentent de jours-amendes, de peines en communauté ou de peines de prison relativement courtes (une peine d’un an est déjà considérée comme une peine « longue ») ». Actes du colloque « L’exécution des décisions en matière pénale en Europe : du visible à l’invisible », DAP-ministère de la justice, 2009.

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Conditions de détention : la mise aux normes peut-être demandée en urgence

en droit

Le droit pour les détenus d’exiger de l’administration les travaux ou mesures nécessaires à la protection de leur dignité a été reconnu pour la première fois en décembre 2010 par le tribunal administratif de Nantes 1. Le juge a ainsi annulé le refus de la direction de la maison d’arrêt locale d’entreprendre diverses mesures de mise en conformité demandées par l’OIP et l’Association pour la défense des droits et de la dignité des détenus et de leurs familles (A4DF44). En juin 2006, les deux associations étaient intervenues en vain auprès de la direction pour obtenir « le cloisonnement des lieux d’aisance en détention ordinaire comme en quartier disciplinaire », la « mise aux normes des installations électriques et du dispositif d’aération » ainsi que « la stricte mise en œuvre des règles de séparation des détenus en fonction de leur catégorie pénale » (prévenus et condamnés). Les requérantes s’appuyaient sur les constats d’un rapport d’expertise d’août 2004. Plus de six ans après ce rapport, et plus de quatre ans après la demande des associations, le tribunal a relevé que dans « la totalité des cellules de la maison d’arrêt hommes », les WC n’étaient pas cloisonnés jusqu’au plafond ; qu’au sein du quartier disciplinaire, les toilettes, « à la turque », « ne comport(ai)ent aucune séparation avec l’espace cellulaire » et que dans ces conditions, « l’intimité des personnes incarcérées » n’était pas assurée. Pire, ces installations sanitaires se trouvaient « à proximité immédiate des lieux de prise

des repas ». Les juges ont souligné que l’éclairage ne comportait qu’un « point central de faible puissance », que le système d’aération était insuffisant et enfin que la séparation entre prévenus et condamnés n’était pas effective. Ils en ont conclu que « les conditions à la maison d’arrêt hommes de Nantes (avaien)t méconnu » les dispositions du Code de procédure pénale et du règlement sanitaire départemental relatives à l’hygiène et à l’affectation des détenus en cellule. Alors que les condamnations de l’État du fait des conditions d’hébergement imposées aux prisonniers se sont multipliées, accordant aux détenus réparation pour le préjudice subi 2, cette décision du tribunal de Nantes ajoute que, si un traitement inhumain et dégradant est en cause, les refus opposés par l’administration de procéder aux travaux nécessaires pourraient être contestés « par la voie d’une procédure de référé », c’est-à-dire en urgence. On comprend dès lors que le ministre de la Justice ait fait appel. En attendant, alors que la Cour européenne des droits de l’Homme estime que les États doivent respecter la dignité des détenus « quelles que soient les difficultés d’ordre financier ou logistique » auxquelles ils doivent faire face 3, les prisonniers de toute la France pourraient bien être inspirés par cette première… 1. TA Nantes, 8 décembre 2010, N°0604759. 2. TA Marseille, référé, 27 juin 2011, N°1102260, TA Rouen, décisions des 28 et 30 juin 2011 notamment. er 3. CEDH, Mamedova c/Russie, 1 juin 2006.

Régimes différenciés : la décision de placement en secteur « portes fermées » est attaquable devant le juge administratif « Par sa nature et par ses effets sur ses conditions de détention, notamment au regard de l’objectif de réinsertion sociale, la décision par laquelle un détenu est placé en régime différencié pour être affecté à un secteur dit portes fermées […] constitue une décision susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ». Le Conseil d’Etat, dans un arrêt du 28 mars 2011, a reconnu qu’au regard de son impact considérable sur le quotidien du détenu, la décision de placement en secteur fermé ne saurait-être une « mesure d’ordre intérieur » insusceptible de recours devant le juge. La plus haute juridiction administrative n’a pas manqué de relever en effet que « les détenus sont affectés en secteur portes fermées en raison de leur comportement, pour une durée d’un mois renouvelable et y font l’objet d’une surveillance renforcée ; qu’à la différence des autres détenus, ils ne disposent pas des clés de leur cellule, dans laquelle ils doivent prendre leurs repas et où ils sont en principe enfermés seuls ; que les activités culturelles et d’enseignement sont accomplies au sein même de l’unité de vie et qu’ils ne peuvent accéder à la bibliothèque que sur un créneau horaire réservé ». Cet arrêt consacre un nouveau recul de la notion de « mesure d’ordre intérieur », dont le champ a déjà été restreint au cours des dernières Dedans Dehors N°74-75 Décembre 2011

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années, le juge administratif n’ayant cessé d’accroître l’étendue * de son contrôle sur l’action de l’administration pénitentiaire . Pour autant, l’arrêt rendu par la Haute Juridiction est loin d’être pleinement satisfaisant. Si les personnes détenues peuvent saisir le juge, ce dernier a néanmoins tenu à soustraire l’administration à certaines contraintes légales. Pour le Conseil d’Etat en effet, « la décision par laquelle le directeur du centre de détention affecte temporairement un détenu dans un secteur de détention dit portes fermées n’entre dans aucune des catégories de décisions qui doivent être motivées en application de l’article 1er de la loi du 11 juillet 1979 ». Dès lors, une telle décision n’a pas non plus à être précédée de la procédure contradictoire préalable prévue par l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l’administration. * Ont ainsi été reconnus ces dernières années comme susceptibles de recours : le transfert d’un détenu d’une maison centrale à une maison d’arrêt (CE, 14 déc. 2007, Garde des Sceaux c/M. Boussouar, n° 290730), le déclassement ou le retrait d’emploi (CE, 14 déc. 2007, Planchenault, n° 290420), la décision de soumettre un détenu à des « rotations de sécurité » (CE, 14 déc. 2007, Payet, n° 306432) ou à des fouilles corporelles intégrales CE, 14 nov. 2008, n° 315622), le placement préventif à l’isolement (CE 17 déc. 2008, OIP, n° 293786), l’inscription sur le répertoire des détenus particulièrement signalés (CE, 30 nov. 2009, garde des Sceaux c/Khelli, n°318589).


en droit CEDH : les ERIS font encore condamner la France Pour la deuxième fois cette année, la France est condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) pour traitement inhumain et dégradant dans le cadre d’une intervention des équipes régionales d’intervention et de sécurité (ERIS). Dans un arrêt du 20 octobre 2011, la Cour estime que l’une des séquelles constatées sur un détenu suite à une intervention des ERIS « atteint indubitablement le seuil minimum de gravité » requis pour constituer un traitement inhumain et dégradant (article 3 de la Convention européenne). Elle ajoute que « l’absence totale d’explication » sur l’origine de la fracture constatée et « l’impossibilité d’établir les circonstances exactes dans lesquelles le requérant a été blessé, alors qu’il se trouvait sous le contrôle des agents de l’État, ne l’empêche pas de parvenir à un constat de violation » de l’article 3. Il suffit ainsi pour la Cour qu’il soit établi que le 3 décembre 2005, « un agent repoussa le requérant vers le fond de la cellule avec un bouclier, puis deux autres le saisirent, l’allongèrent sur le sol avant de le menotter. Il fut ensuite soulevé et transporté dans la cellule du quartier d’isolement. La même méthode fut employée dans l’après-midi pour faire sortir le requérant de sa cellule et l’emmener à la promenade ». Après cet épisode et deux autres interventions de quatre membres ERIS sur Eric Alboréo, « mesurant 1, 72 m et pesant 66 kg », celui-ci présentait des lésions aux poignets et au visage, et une douleur sous-costale droite. Un rapport médico-légal du 27 mars 2009 établit un « traumatisme thoracique avec fracture de la huitième côte droite en décembre 2005 », consolidée « avec séquelle à type de cal osseux hypertrophique et douloureux ». Les juridictions pénales nationales, saisies d’une plainte avec constitution de partie civile, n’avaient renvoyé aucun des auteurs des faits devant une juridiction de jugement estimant « qu’aucune violence illégitime » n’avait été commise. En première instance, le juge d’instruction avait été jusqu’à condamner le plaignant « pour procédure abusive » à « une amende de 500 euros ». Une pratique que n’a cependant pas sanctionnée la Cour européenne, jugeant que « la responsabilité en droit pénal dans les systèmes juridiques internes, dont les standards en matière de preuves s’inspirent de la présomption d’innocence » ne « doit pas être confondue avec la responsabilité en droit international ».

Insalubrité : les établissements récents ne sont pas épargnés

Les conditions de détention dans les maisons d’arrêt de Bois d’Arcy et Nanterre, entrées en service en 1980 et 1991 ont également été jugées non conformes au Code pénal ou au règlement sanitaire départemental. Dans deux décisions du 8 juillet 2011, le tribunal administratif de Versailles a reconnu que ce manquement constituait « une faute de nature à engager la responsabilité de l’État ». Un cabinet d’expertise mandaté en avril 2010 suite aux requêtes des deux plaignants avait constaté dans ces deux établissements que le système de ventilation ne fonctionnait pas, les grilles étant bouchées par du papier toilette ou recouvertes de peinture. A Nanterre, cette « défaillance » résultait « du démanchement et de l’absence de remise

en place, par les personnels de surveillance, des gaines souples de raccordement lors des opérations de fouille des dispositifs de ventilation ». Dans les cellules, l’air ne peut être renouvelé qu’en ouvrant la fenêtre, ce qui entraîne par temps froid « une chute sensible de la température, dont le ressenti est accentué par le taux d’humidité dans les cellules ». Cette situation perdure à Bois d’Arcy « quasiment depuis la mise en activité de la maison d’arrêt, soit environ 25 ans ». Une insuffisance d’autant plus problématique que les toilettes « sont situées dans un réduit qui n’est pas entièrement cloisonné » et que « les lavabos des cellules sont dépourvus d’eau chaude ». Les experts ont également constaté qu’à Nanterre, « la superficie réelle des cellules présentées par l’administration pénitentiaire comme étant de 9,5 m² est inférieure à 9 m² ». Dans les deux cas, la juridiction administrative a néanmoins refusé d’enjoindre à l’administration pénitentiaire de réaliser les travaux qui lui auraient permis de se mettre en conformité avec les textes.

Des conditions d’extractions médicales jugées comme traitement dégradant

Par un arrêt du 26 mai dernier, la CEDH a de nouveau condamné la France, à l’unanimité, pour « traitement dégradant ». En cause, les menottes et entraves imposées à un détenu âgé de 61 ans et porteur d’une prothèse à la hanche, lors de plusieurs extractions et consultations médicales aux centres hospitaliers d’Amiens et Laon entre février 2000 et septembre 2005. La CEDH a estimé que les moyens de contrainte imposés « étaient disproportionnés au regard des nécessité de sécurité ». Relevant en outre « la surveillance d’au moins un agent de l’escorte lors des actes médicaux, au mépris de la déontologie », la Cour fait siennes les analyses du Comité de prévention de la torture qui avait recommandé d’effectuer les examens/consultations/soins médicaux de détenus hors de l’écoute et – sauf demande contraire du médecin concerné – hors de la vue du personnel d’escorte. La Cour européenne a également considéré que la surveillance constante du détenu par un personnel pénitentiaire lors de l’examen médical constituait en soi une atteinte à la déontologie médicale. Une position qui bouscule celle adoptée par le Conseil d’Etat dans une décision du 15 octobre 2007. La juridiction avait estimé que les dispositions de la circulaire du 18 novembre 2004 permettant la présence du personnel pénitentiaire et l’usage de moyens de contrainte pendant la consultation médicale n’étaient pas contraires au principe du secret médical. Laissant aux fonctionnaires pénitentiaires la responsabilité de définir « les modalités de surveillance directe ou indirecte et si nécessaire, de contrainte proportionnée conciliant sécurité et confidentialité de l’entretien avec le médecin ». L’« entorse à la confidentialité* » ainsi tolérée par le juge administratif français est susceptible, aux yeux de la cour européenne, de mettre en cause la responsabilité juridique et professionnelle des médecins, du fait, notamment, de la violation de l’article 4 du Code de déontologie médicale qui prévoit que « le secret professionnel institué dans l’intérêt des patients s’impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi ». * Jean-Marie Delarue, Interview accordée au Bulletin d’information de l’Ordre national des médecins, juillet-août 2011. Dedans Dehors N°74-75 Décembre 2011

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en actes Mémoires de prison Flammarion vient de publier La prison doit changer, la prison va changer, avait-il dit, entretien croisé de Véronique Vasseur et Gabriel Mouesca. La phrase est de Nicolas Sarkozy, les auteurs sont « deux figures emblématiques » qui « incarnent l’indignation et l’interpellation citoyennes sur la question carcérale ». Ils commentent année après année ce qui a marqué la décennie dont il était attendu qu’elle lave notre pays de l’humiliation d’une prison d’autres temps et d’autres mœurs. Pour rappeler le contexte de l’année 2000 dans lequel une fenêtre s’entrouvrit sur le fol espoir d’une réforme en profondeur du système pénitentiaire, et surtout pour tenter de comprendre comment cette fenêtre se refermât avant que d’être murée. Ces deux amis de l’OIP ont accepté de remuer le couteau dans la plaie, même si l’un et l’autre se disent « étrangers à toute tentation de Venise ». La chronique de ces années nous dit aussi le temps long de la concrétisation, toujours partielle, de certaines revendications. Celle d’un droit à l’intimité, que satisferont le fait de disposer d’une cellule individuelle ou de rencontrer ses proches dans une unité de visite familiale. Celle d’un contrôle extérieur et indépendant, susceptible de vérifier in situ la réalité de droits souvent arrachés, toujours assimilés à des privilèges que l’on accorde ou retire. Car soumis au bon vouloir d’une institution qui demeure « un Etat dans l’Etat… », pour Véronique Vasseur, «… à la mentalité de citadelle assiégée », ajoute Gabriel Mouesca. Dans un dialogue riche et incisif, l’ouvrage apporte sa pierre à la construction d’une mémoire collective de la lutte pour le respect du droit à la dignité des personnes détenues. La prison doit changer, la prison va changer, avait-il dit, 226 pages, 18 €, Flammarion

Suppression des droits civiques… à perpétuité Dix ans après avoir terminé de purger les 17 ans de prison auxquels il avait été condamné, Gabriel Mouesca n’en finit pas de répondre de faits datant de près de trente ans. Suite à un courrier du 8 août 2011, il s’est vu contraint de renoncer à se présenter aux élections sénatoriales de septembre 2011, un mois après avoir annoncé sa candidature. Un courrier en provenance de la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice, l’informant qu’il reste frappé d’incapacité électorale jusqu’en 2032. Il devrait dès lors attendre d’avoir 71 ans

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pour se présenter aux élections. Quoi de plus normal pour un sénateur ? Ayant été condamné avant 1994, l’ancien président de l’OIP-section française ne peut bénéficier des modifications introduites cette année là dans le Code pénal : suppression de toutes les privations automatiques des droits civiques, hormis quelques cas précis, et limitation à dix ans de la durée maximale d’une interdiction. Par le jeu des demandes de relèvement, l’esprit de la loi aurait pu être respecté. Mais aujourd’hui, c’est une interdiction de 47 ans qui continue de courir. Une véritable peine perpétuelle.

Que savez-vous des nouvelles prisons ? A l’occasion de sa campagne annuelle sur les conditions de détention dans le monde, l’ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture) invite ses adhérents et sympathisants à interpeller le Premier ministre, avant mi-janvier 2012, pour rendre effectives les recommandations faites à la France par le Comité européen contre la torture. Une action grand public est également proposée, demandant un moratoire sur la construction des nouvelles prisons, qui « se caractérisent avant tout par leur déshumanisation, leur taille excessive, leur localisation éloignée de tout et une recrudescence de la violence ». À l’appui, un livret intitulé Que savez-vous des nouvelles prisons ? et une carte-action à retourner au ministre de la Justice. Acat-France, 7 rue Georges Lardennois, 75019 Paris www. acatfrance.fr

Politique de sécurité : dix ans d’imposture « La systématisation des réponses répressives a eu pour effet d’engorger durablement le système pénal annihilant sa réactivité et la pertinence de son action au profit d’une standardisation mécanique ». La contribution de la fondation Terra Nova passe au crible dix années de politique de sécurité. Statistiques mensongères, fièvre législative, recul de la prévention de la délinquance et vidéo-surveillance : « L’étude de ces quatre domaines d’action permet de démontrer la supercherie à l’œuvre dans [l’] exercice d’autosatisfaction » qu’est le bilan gouvernemental en la matière. Les victimes, omniprésentes dans le discours public, deviennent l’unité de mesure de la lutte contre la délinquance : « depuis 2002, plus de 1 153 000 victimes ont été épargnées », proclame le président en janvier 2007*. Dans une magistrale pré-


face, Robert Badinter démolit cette rhétorique : « cette immense armée fantôme de victimes épargnées n’a d’existence que comptable […] On parle de victimes virtuelles, qui ont pour premier mérite de ne pas exister ». L’argumentaire d’une politique du chiffre est passé au crible : « Le recueil même des statistiques n’est pas fiable et a fait l’objet de nombreuses interventions et directives destinées à répondre avant tout aux besoins de communication politique et qui sont aujourd’hui bien connues : réticence voire refus d’enregistrement de plainte, recours à la main courante, modulation de la qualification juridique, changements dans les modalités de décompte des infractions, etc. » En écho à l’ancien garde des Sceaux, qui s’interroge sur la compétence des ministres successifs de la Justice ou de la majorité parlementaire qui doivent « tous les six mois reprendre leur ouvrage pour améliorer le droit des victimes », les auteurs s’alarment. « Les lois votées, du fait même de leurs conditions d’irruption sur l’agenda politique et d’élaboration, génèrent deux effets pervers qui freinent l’action des institutions : insécurité juridique endémique et aggravation des symptômes auxquels la loi était censée répondre. Ainsi, les dispositifs destinés à endiguer la prostitution n’ont fait qu’aggraver la situation des personnes prostituées. » Récusant la réponse pénale comme modalité privilégiée de la sanction des comportements réprouvés par le corps social, les auteurs appellent à une « dépénalisation de pans numériquement importants de contentieux ». Ce qui donnerait « l’oxygène nécessaire à la réforme et au bon fonctionnement du système pénal » et favoriserait d’« autres modes de sanction et de « prise en charge » permettant d’améliorer la qualité du « vivre ensemble » ». L’imposture : Dix années de politique de sécurité de Nicolas Sarkozy, Par Valérie Sagant, Benoist Hurel, Eric Plouvier, préface de Robert Badinter, Fondation Terra Nova, novembre 2011. * Intervention de Nicolas Sarkozy, conférence de presse du 11 janvier 2007 à l’Hôtel de Beauvau.

Droit à l’image pour les prisonniers Depuis le printemps 2011, l’administration pénitentiaire bloque la diffusion du documentaire Le déménagement, où détenus et personnels ont choisi de témoigner à visage découvert de leur arrivée dans une prison nouvellement construite. En cause : un courrier de la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) adressé aux producteurs, dans lequel elle « souhaite que l’anonymat physique et patronymique des personnes détenues soit respecté ». En clair, l’administration demande à ce que leurs visages soient floutés avant toute diffusion télévisuelle. En filigrane, apparaît toute l’ambiguïté de l’article 41 de la loi pénitentiaire de 2009, qui reconnaît d’une part que « les personnes détenues doivent consentir par écrit à la diffusion de leur image ou de leur voix lorsque cette diffusion ou cette utilisation est de nature à permettre leur identification ». Le même article permet

néanmoins à l’administration de s’opposer à certaines diffusions si cela « s’avère nécessaire à la sauvegarde de l’ordre public, à la prévention des infractions, à la protection des droits des victimes ou de ceux des tiers ainsi qu’à la réinsertion de la personne condamnée ». En l’espèce, la DAP n’invoque aucune de ces nécessités pour justifier son objection. Les auteurs du film refusant de flouter les visages, France Télévision en suspend la diffusion. « Trente ans après l’abolition de la peine de mort, on coupe encore de manière symbolique les têtes des condamnés », soulignent les auteur et producteur du documentaire dans une lettre ouverte du 17 juin 2011 adressée aux ministres de la Justice et de la Culture. L’administration pénitentiaire avait déjà tenté, en mars 2011, d’empêcher la diffusion télévisuelle d’À l’ombre de la République, documentaire de Stéphane Mercurio sur le travail du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, montrant lui aussi les visages des prisonniers l’ayant accepté. Canal plus était pour sa part passé outre les demandes de la DAP et avait diffusé le film tel quel. Il est aujourd’hui permis de se demander si la condition du « floutage » des visages imposée au nom d’une protection de détenus qui ne l’ont pas demandée, ne constitue pas pour l’administration pénitentiaire un nouveau prétexte pour empêcher la diffusion de documentaires dont elle estime qu’ils portent atteinte à… son image.

Dans la peau d’un surveillant « Caleçon, s’il vous plaît ! Encore amorphe, le détenu ôte son sous-vêtement et le tend à mon collègue […] Je reste silencieux et serre les dents. Gêné. Honteux de me trouver là, honteux d’être tout habillé, honteux de mon uniforme face à cet inconnu qui me présente ses fesses blanches et son sexe circoncis. La prison vient de me happer, là, en une seconde, tout entier. » Arthur Frayer, journaliste devenu surveillant pénitentiaire « parce que c’était la meilleure manière de rentrer dans cet univers », témoigne sans juger du quotidien dans les trois établissements où il a été affecté au cours de cette expérience : Fleury-Mérogis, la plus grande prison d’Europe, le centre de détention de Châteaudun « vaisseau spatial posé dans un désert rural » et la maison d’arrêt d’Orléans avec ses 230 % de taux d’occupation. La misère et la folie, omniprésentes, et pour les personnels, « la tension continue, régulière, persistante ». Qui finit par brouiller les repères, troubler les références. « Les choses s’embrouillent dans mon esprit. Qu’est-ce qui est bien ou mal, en définitive ? […] Plus que la fatigue physique, c’est la lente usure morale qui déjà me mine. » Ou comment le fonctionnement de l’institution conduit à renoncer à ses valeurs, à se contenter d’assurer « une détention sans vagues ». Où « détenus et surveillants [sont] tous embarqués dans la même galère ». Arthur Frayer, Dans la peau d’un maton, Fayard, 2011

en actes

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en actes « La prison doit devenir une peine alternative » Trente ans après l’abolition de la peine de mort, quels combats reste-t-il à mener ? Telle est la question posée dans la revue du GENEPI Le passe murailles (numéro de juillet 2011) à une vingtaine d’acteurs du milieu judiciaire et pénitentiaire. Outre les voix officielles du garde des Sceaux et du directeur de l’administration pénitentiaire, résonnent celles du magistrat Serge Portelli, du Contrôleur Jean-Marie Delarue, ou de l’avocat Henri Leclerc. « Le champ pénal est aujourd’hui un champ de ruines » accuse ce dernier. « On doit se demander si, depuis trente ans, la justice n’a pas trop cédé à l’air du temps », questionne le Contrôleur général en déplorant que l’on continue à « s’aveugler sur ce que produit la prison. […] La société carcérale […] engendre misère et désespoir, désapprend les liens sociaux, encourage la marge ». La loi pénitentiaire, « grand rendez-vous manqué » selon les mots de Jean-Jacques Urvoas, député qui fut très impliqué dans les débats autour de ce texte, n’aura pas permis d’apporter un embryon de réponse. En consacrant « le règne sans partage du « sauf si » » cette loi tant attendue fait « de la règle l’exception et de l’exception la règle ». « La France devra faire d’autres choix de société ! C’est nécessaire et incontournable ! » Cette interpellation de Céline Verzeletti, secrétaire générale de la CGT pénitentiaire, pose la question de l’avenir. Pas question pour Nicolas Frize (LDH) de « participer de plus en plus à la perfectibilité d’une machine sociale, qui punit tout ce qu’elle est incapable d’accueillir, tout ce qu’elle a déjà rejeté par impuissance ». Pour Serge Portelli, « la réforme suivant l’abolition de la peine de mort aurait dû être celle de la suppression des très longues peines de prison ». Mais « personne n’a osé dire qu’il y avait là autant d’inhumanité que de cruauté et surtout un affreux non-sens » s’insurge le vice président du TGI de Paris. Il invite à faire preuve d’intelligence, de créativité et de courage pour mettre un terme à ce qu’il qualifie d’« hymne à l’enfermement ». « Il faut que l’emprisonnement prenne le rang de peine alternative », préconise-t-il. « Le temps est venu, écrit enfin Gabi Mouesca, de remettre chaque personne humaine – y compris celles et ceux ayant commis des actes très graves – dans une logique d’appartenance au corps social ». Génépi, 12 rue Charles Fourrier, 75013 Paris

Accéder au juge coûte désormais 35 €

L’OIP s’est associé à la contestation initiée par plusieurs associations et syndicats (dont les syndicats des avocats de France,

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de la magistrature, la CGT, la Ligue des droits de l’Homme…) contre une nouvelle disposition instaurant, depuis le 1er octobre, un droit de timbre de 35 euros pour toute action en justice. Les signataires dénoncent une taxe « injuste, pesant uniformément sur l’ensemble des justiciables, sans tenir compte ni de la nature des droits qu’ils cherchent à faire valoir ni de la situation des citoyens « moins égaux que les autres » lorsqu’ils sont placés en situation d’infériorité objective dans certains contentieux ». De fait, les personnes détenues sont déjà confrontées à des difficultés concrètes pour saisir le juge administratif et le voir opérer un contrôle juridictionnel sur la vie carcérale, et ce droit de timbre vient dresser un nouvel obstacle. Les exceptions prévues par l’article 54 de la loi de finances rectificative du 29 juillet, notamment pour les personnes admises à l’aide juridictionnelle, ne joueront pas pour toutes les personnes détenues – soit qu’elles sont juste au dessus du seuil d’attribution de l’aide juridictionnelle soit qu’elles engagent des procédures sans l’assistance d’un avocat. Pour contester leurs conditions de détention, attaquer une décision prise à leur encontre par l’administration pénitentiaire ou obtenir du juge la communication d’un document que l’administration refuse de leur fournir, les détenus devront dans certains cas s’acquitter de cette taxe. Elle affecte aussi les associations, qui engagent chaque jour des actions contentieuses pour faire valoir les droits des personnes les plus vulnérables, et qui sont pour leur part, sans exception, désormais soumises au paiement de ce droit de timbre. Reconnaissant l’atteinte portée au principe de l’égal accès des citoyens à la justice, les sénateurs ont répondu à la demande des signataires du texte et ont adopté, le 16 novembre, un nouveau texte en vue d’abroger cette disposition. Reste à l’Assemblée nationale à faire de même.

« Ici l’ombre, les voix captives »

Les étudiants du GENEPI Île de France animent une émission diffusée tous les samedis de 17 h 30 à 18 heures sur Radio Campus Paris (93.9 FM). « Ici l’ombre, les voix captives » aborde chaque semaine des problématiques associées à l’univers carcéral et, tous les premier et troisième samedis du mois, laisse place, sur les ondes, à des échanges de messages entre les prisonniers et leurs proches. Sont concernées les prisons de Bois d’Arcy, Fleury-Mérogis, Fresnes, Meaux, Melun, Nanterre, Osny, Paris la Santé, Poissy, Réau, Versailles et Villepinte. Pour adresser un message à un détenu, on peut l’enregistrer sur la boîte vocale de l’émission (06 74 24 38 28) ; téléphoner le samedi matin, de 10 h 30 à 11 h 30 (01 49 96 65 37) ; ou adresser un courrier électronique ou postal, qui sera lu à l’antenne. lesvoixcaptives@gmail.com ; Radio Campus Paris, Émission Ici l’ombre, les voix captives - Maison des initiatives étudiantes, 50, rue des Tournelles, 75003 Paris.


LETTRES OUVERTES

« L’honneur qu’il me reste… » Personne détenue, juin 2011 « Je souhaite vous faire part d’un incident pour me permettre, en le partageant, d’en alléger le poids. Aujourd’hui vers 15 h 15, j’ai rencontré mes parents au parloir. Je passe à la fouille à nu avant et après, toujours dans les box destinés à cet effet, équipés depuis quelques semaines de rideaux sensés protéger un peu la dignité des détenus, s’ils étaient utilisés, et de tapis de sol peut-être plus hygiéniques que les bouts de carton précédemment employés. A la fin du parloir, au lieu d’être reconduit dans ces locaux pour la fouille, j’ai été amené dans une des petites cellules d’attente du dispatching (surface de 1,2 m sur 1,5 m). C’est là qu’un surveillant a décidé de me fouiller. J’ai immédiatement manifesté ma désapprobation en lui disant que je ne trouvais pas ça normal. Ce à quoi il m’a répondu que c’était comme ça. Je lui ai indiqué la saleté du

sol et, agacé, je lui ai tendu mon pantalon d’une manière qui ne lui a pas plu. C’est à ce moment qu’un groupe de trois détenus (des auxis) est passé devant la cellule. Ces cellules sont totalement ouvertes sur le hall et le passage qui y mène. J’ai trouvé cela inacceptable, mais je me fais sûrement des idées. Toujours est-il que ce surveillant m’a redonné mon pantalon nerveusement en m’indiquant que je n’avais qu’à pas venir en prison. Refermant la porte à barreaux après avoir terminé sa mission, il est revenu trois minutes après pour me dire : « Ça y est, t’es calmé ? Tu ferais bien de la fermer, vu pourquoi t’es là ». Je supporte de moins en moins ce genre de choses. Je me défends comme je peux depuis plus de onze années pour qu’on ne me vole pas aussi l’honneur qu’il me reste et auquel je tiens bêtement ».

© JérômeBrézillon

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« Ils m’ont laissée plantée là » Compagne d’un détenu, courrier à la direction interrégionale des services pénitentiaires, juin 2011 « Mon mari s’est suicidé par pendaison au centre de détention d’Uzerche le 11 juin 2011. Ce même jour, comme chaque samedi, je me suis rendue au parloir, pour 10 h 15. En donnant ma carte d’identité, on m’a dit de patienter quelques instants, une personne allait venir me rencontrer. Quelques minutes plus tard, deux personnes sont sorties, un surveillant et une femme en civile. Ils m’ont emmenée à l’abri des familles, dans un bureau, cela a pris deux minutes : « Votre mari s’est pendu, bon courage à vous » et ils m’ont laissé plantée là, sans se préoccuper de savoir si j’étais venue seule et s’ils devaient prévenir la famille. Une heure a suivi, le même surveillant est revenu me voir dehors, me demandant si je souhaitais voir le procureur […]. Pendant cette longue attente, je n’ai eu aucun soutien psychologique de part et d’autre, comment faire face, quand on n’a aucune réponse et aucun interlocuteur à qui parler ? Plus tard, au vu de la photocopie du courrier laissé par mon mari et qui m’était destiné, il s’est avéré que son décès s’est produit dans la nuit, pourquoi ne m’a-t-on pas prévenue avant mon arrivée au centre de détention ? Dans la mesure où je n’ai bénéficié d’aucune aide, d’aucun accompagnement et d’aucune possibilité de voir le corps. Par ailleurs, le procureur m’a certifié que je recevrais le compte rendu d’enquête dans les trois semaines, je n’ai toujours rien reçu à ce jour, je ne sais toujours pas à quelle heure mon mari est réellement décédé. Le suicide est déjà d’une telle violence et d’un tel mystère, que même, si cela vous parait un détail, pour moi, il m’est nécessaire, voir indispensable de me préciser ces faits. […] Le mercredi, j’ai demandé à récupérer la gourmette de mon mari, car je souhaitais qu’il parte dignement avec ce qu’il avait de plus cher. Elle était à la fouille. Après une forte insistance de ma part, on me l’a accordée et demandé de venir la récupérer à 11 heures ce même jour. J’y suis allée, en traversant la cour d’entrée de l’établissement, suivie d’un surveillant, j’ai vu les personnels du SPIP. […] Ni la CIP de mon mari, ni sa collègue, ni personne d’ailleurs, n’a eu un bonjour, ne serait-ce qu’un petit mot gentil à mon égard. […] Cette indifférence, je l’ai ressentie comme un coup de poignard. Un jour elle s’était permis de dire à mon mari que « c’était glauque de se marier en prison », mais c’est d’y mourir qui l’est. […] Il aurait été préférable qu’elle consacre ce moment à faire le point sur sa situation, car il souhaitait depuis un certain temps changer de travail, mais sa demande n’a jamais été prise en compte. Son désespoir à Uzerche, je peux l’entendre, car il n’y a rien de tel que de vivre dans l’indifférence. Comment entrevoir des possibilités d’avenir quand l’incarcération ne devient que des jours d’ennui et de gamberge ? Quand les séjours en prison aggravent la déso-

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cialisation, brident l’initiative, la responsabilité, la conscience des autres et de soi ? Quand face à la moindre tentative de demande d’aide, qu’elle soit médicale, administrative, il faut attendre, toujours attendre, quand les réponses restent sans réponse… Mon mari s’est suicidé en prison, alors que j’étais persuadée que l’endroit où il se trouvait était avant tout un endroit protégé et surveillé. Mais l’une des contraintes carcérales la plus désastreuse est sans doute l’anonymat. Et pour la famille, l’indifférence… »

« Il faut tout négocier, c’est épuisant » Compagne d’un détenu, courrier à l’OIP, octobre 2011 « Mon conjoint est incarcéré en Ile-de-France depuis juillet 2011. Depuis août, je vais le voir régulièrement, notamment avec notre fils, âgé de 4 ans. J’avoue aujourd’hui être épuisée des conditions dans lesquelles se déroulent les parloirs. Pas de lieux appropriés pour les enfants, pas le droit aux jouets, pas le droit aux livres, ni même aux dessins. Enfin, la vérité est plutôt qu’il faut « négocier » et, qu’en fonction du surveillant, tel ou tel objet pourra ou ne pourra pas passer le seuil du parloir. Sans compter la saleté des lieux. Parfois je m’interroge : « Qui suis-je devenue pour accepter que l’on traite mon enfant de la sorte ? Aije renoncé à ma dignité pour que mon fils puisse voir son père ? » Il y a quelques semaines, j’ai dû déployer toute mon énergie pour pouvoir accéder au parloir parce qu’une erreur informatique avait inscrit à mes côtés mon beau-frère au lieu de mon fils… Des surveillants, qui me voient pourtant avec mon fils toutes les semaines, m’ont posé cette question qui résonne à mes oreilles presque comme une insulte : « Qui nous dit que cet enfant est le vôtre ? » J’ai le défaut de ne pas être mariée. On ne m’a jamais demandé de produire mon livret de famille et du coup j’avais renoncé à l’emporter. Heureusement que j’ai pensé à montrer ma carte de mutuelle et celle de mon fils, ce qui m’a permis de démontrer que nous avions le même numéro de sécurité sociale. J’avais à mes côtés mon fils qui demandait en larmes à voir son papa. Je me suis battue de toutes mes forces. Au final, nous avons pu entrer, mais à quel prix ? Celui d’avoir dû supplier des surveillants, celui d’avoir dû prouver que mon fils était bien mon fils. […] Je me demande quel objectif poursuivent les dirigeants des maisons d’arrêt. Cherchent-ils à épuiser les quelques familles qui viennent pour partager un moment avec leur proche ? En tous cas, aujourd’hui, c’est ainsi que je le ressens. D’un surveillant à l’autre, d’un jour à l’autre, les règles changent et c’est épuisant ».


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rapport 2011 : les conditions de détention en France

30 € 15 € 25 

OIP/ La Découverte, 336 p., 28  (frais de port inclus)

Commandes Les ouvrages de l’OIP 66 rapport 2011 : les conditions de détention en France 66 rapport 2005 : les conditions de détention en France 66 le guide du sortant de prison La revue Dedans dehors 66 n° 35 « liberté d’expression : faire sauter la chape de plomb » 66 n° 38 « rapport Warsmann. alternatives : l’occasion manquée » 66 n° 39 « les prisons françaises en 2003 une descente aux enfers » 66 n° 40 « dix ans après la réforme : la santé toujours incarcérée » 66 n° 41 « loi Perben 2 : vers un raz-de-marée carcéral ? » 66 n° 42 « les dix ans du code pénal : le grand enfermement » 66 n° 44 « droits dedans : pour la reconnaissance des droits des détenus » 66 n° 45 « prison : quelle réforme vaut la peine ? » 66 n° 46 « vieillir et mourir en prison » 66 n° 47 « prison : peine du pauvre, pauvre peine » 66 n° 48 « récidive, récidivistes : ne pas se tromper de débat » 66 n° 49 « sécurité renforcée en prison : la fabrique de violences » 66 n° 50 « le rapport Burgelin : le risque de peines de folie » 66 n° 51 « sida en prison : prévenir la maladie, libérer les malades » 66 n° 52 « étrangers en prison : aux confins de l’absurde » 66 n° 54 « politiques pénale et pénitentiaire : l’Europe en éclaireur » 66 n° 56 « réforme de la détention provisoire : l’occasion gâchée » 66 n° 58/59 « états généraux de la condition pénitentiaire » 66 n° 60 « les alternatives sortent de l’ombre » 66 n° 61 « contrôle extérieur : l’heure du choix » 66 n° 62 « peines minimales, danger maximal » 66 n° 63 « régimes de détention différenciés - l’envers du décor » 66 n° 64 « rétention de sureté et irresponsabilité pénale » 66 n° 65 « la France a rendez-vous avec ses prisons » 66 n° 66 « saisir la réalité de ces lieux secrets » 66 n° 67-68 « Le législateur face à la loi pénitentiaire : l’humiliation pour de la République » 66 n° 69 « Pour que cesse la « honte » Des prisons sans peine, des peines sans prison » 66 n° 70-71 « Prison : le recul de l’histoire » 66 n° 72-73 « C’est l’heure »

66 la série 2001 (du 23 au 28) 66 la série 2002 (du 29 au 34) 66 la série 2003 (du 35 au 40) 66 la série 2004 (du 41 au 46) 66 la série 2005 (du 47 au 52) 66 la série 2006 (du 53 au 58-59) 66 la série 2007 (du 58-59 au 63) Tous les prix comprennent les frais de port. Pour l’étranger, nous consulter.

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le guide du sortant OIP/ La Découverte, 2006, 416 p., 26 € (frais de port inclus)

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Bulletin à renvoyer à OIP, section française, 7 bis, rue Riquet 75019 Paris

Nom ..................................................................................... Prénom ........................................................ Profession ............................................................ Organisme ...................................................... Adresse .................................................................................................................... Code postal ............................ Ville ..........................................................................................................................................

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COMMANDES

Prisons d’autres temps et d’autres mœurs ?

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Pour tout renseignement sur les activités de l’OIP en France : OIP section française 7 bis, rue Riquet 75019 Paris tel : 01 44 52 87 90 fax : 01 44 52 88 09 e-mail : contact@oip.org site : www.oip.org

Pour témoigner et alerter sur les conditions de détention en France : Permanence juridique Elsa Dujourdy : 01 44 52 87 96 elsa.dujourdy@oip.org Samuel Gautier : 01 44 52 87 94, samuel.gautier@oip.org 7 bis, rue Riquet 75019 Paris

L’OIP en région  Les coordinations inter-régionales mènent leur action d’observation et d’alerte au sujet de tous les établissements pénitentiaires des régions concernées en lien avec les groupes et correspondants locaux présents : Pour contacter les coordinations inter-régionales : Régions Ile-de-France, Guyane, Guadeloupe, Martinique, Nouvelle-Calédonie, Polynésie François Bès 7 bis, rue Riquet 75019 Paris 01 44 52 87 95 fax : 01 44 52 88 09 francois.bes@oip.org

Régions Nord-Pas-de-Calais, Picardie, Haute-Normandie Anne Chereul 19 place Sébastopol 59000 Lille 09 61 49 73 43 06 63 52 10 10 fax: 03 28 52 34 13 anne.chereul@oip.org

Régions Aquitaine, Limousin, Poitou-Charentes Barbara Liaras 37, rue Gambetta 86000 Poitiers 09 75 46 16 96 06 22 90 27 60 barbara.liaras@oip.org

Régions Rhône-Alpes, Auvergne Céline Reimeringer 57, rue Sébastien Gryphe 69007 Lyon 09 50 92 00 34 06 50 73 29 04 fax : 09 55 92 00 34 celine.reimeringer@oip.org

Pour les cinq inter-régions où l’OIP n’a pas encore implanté de coordination, les groupes et correspondants locaux assurent l’observation et l’alerte de la (les) prison(s) présente(s) dans leur ville en lien avec le secrétariat national. Pour les contacter vous pouvez joindre le secrétariat national : contact@oip.org ou 01 44 52 87 90 Aix-en-Provence, Avignon, Bayonne, Laon, Marseille, Metz, Nancy, Nîmes, Toulon, Toulouse (Seysses).

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Qu’est-ce que l’OIP ? Considérant que l’emprisonnement est une atteinte à la dignité de la personne, la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP), juridiquement créée en janvier 1996, agit pour la défense des droits fondamentaux et des libertés individuelles des personnes détenues. Que fait l’OIP ? Concrètement, l’OIP dresse et fait connaître l’état des conditions de détention des personnes incarcérées, alerte l’opinion, les pouvoirs publics, les organismes et les organisations concernées sur l’ensemble des manquements observés ; informe les personnes détenues de leurs droits et soutient leurs démarches pour les faire valoir ; favorise l’adoption de lois, règlements et autres mesures propres à garantir la défense de la personne et le respect des droits des détenus ; favorise la diminution du nombre de personnes détenues, la limitation du recours à l’incarcération, la réduction de l’échelle des peines, le développement d’alternatives aux poursuites pénales et de substituts aux sanctions privatives de liberté. Comment agit l’OIP ? Organisation indépendante des pouvoirs publics, l’OIP ne sollicite aucun mandat ou subvention du ministère de la Justice, s’interdit de prendre part à l’action d’aucun gouvernement, de soutenir aucun parti politique ou de prendre position à l’occasion de toute consultation électorale. Pour faciliter la mise en œuvre de ses objectifs, l’Observatoire suscite la création de coordinations régionales et de groupes locaux en charge de l’observation d’un lieu de détention et composés exclusivement de membres de l’OIP.


P R I S O N S D E S

INTERNATIONAL

OBSERVATOIRE

Le rapport Les conditions de détention en France : l’outil de référence pour savoir et faire savoir. Aidez-nous à le diffuser le plus largement possible dedans et dehors Observatoire international – des prisons section française 7 bis, rue Riquet 75019 Paris tél. 01 44 52 87 90 fax 01 44 52 88 09 contact@oip.org http://www.oip.org Association loi 1901 à but non lucratif SIRET 40766804500054 Code APE 9499Z

À

l’heure où la question de la prévention et de la répression de la délinquance et du crime s’est installée au coeur du débat public, la radiographie de l’univers carcéral français réalisée par l’OIP n’est pas seulement une initiative citoyenne salutaire, elle constitue une véritable démarche d’utilité publique. En retraçant les évolutions des politiques pénales et pénitentiaires au cours de la période 2005-2011, dans toutes leurs nuances et contradictions, ce rapport permet à chacun de connaître l’usage qui est fait de l’emprisonnement et la réalité de ce qui se passe derrière les murs de nos prisons. Alors même que l’institution pénitentiaire fait l’objet d’une remise en cause permanente sur sa capacité à respecter l’État de droit et les droits de l’Homme, le nombre de personnes incarcérées atteint des niveaux historiques et les plans de construction de nouvelles prisons se succèdent. Au terme d’un long processus d’élaboration, la loi pénitentiaire de novembre 2009 n’a finalement pas apporté d’avancée majeure dans la reconnaissance de droits visant à protéger la personne détenue. Elle vient même entériner certaines régressions, telle la mise en place de « régimes différenciés ». Quant à l’injonction paradoxale faite au juge de systématiser la réponse « prison » (peines plancher) et de transformer les courtes peines d’emprisonnement en surveillance électronique, elle s’est accompagnée d’un tournant législatif qui ajoute à des peines de plus en plus longues des mesures de sûreté pour les auteurs d’infractions les plus graves, sur la base d’une évaluation de la « dangerosité » hasardeuse et artisanale.

Je fais un don* de 50 € ou plus qui permet à l’OIP de diffuser gracieusement le Rapport aux personnes détenues ■ 50 €

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