Dedans Dehors n°69 Des prisons sans peine, des peines sans prison

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Pour que cesse la « honte »

Des prisons sans peine, des peines sans prison Ministère de la Justice : changement (de style) dans la continuité Mobilisation : la prison craque, ses personnels aussi Suicides : l’hécatombe continue Contrôleur des prisons, CNDS : la prison au ban des accusés Les dépôts ne doivent plus être des dépotoirs Tour de France pénitentiaire : la « grande boucle » tourne à vide

Observatoire international des prisons Section française

5 € N°69 Juillet 2009


EDITORIAL

Le candidat et la prison C’était le programme électoral qu’un candidat proposait aux citoyens de sa ville. Il avait fait un sondage auprès des détenus de la prison du district. Quelle était la couleur qu’ils trouvaient la plus ridicule en matière d’habillement ? Réponse : le rose. Dans son programme, le candidat proposait donc d’habiller tous les taulards en uniforme rose. Il avait aussi calculé le prix quotidien de la gamelle des chiens, dans le chenil de la police municipale. Alors, aux électeurs, il faisait une autre promesse, calculatrice en main : désormais, le repas des prisonniers coûterait moins cher que la pâtée des chiens. Et puis, il y avait les entraves aussi : nourris moins que des bêtes et vêtus d’humiliation, les détenus devraient en plus porter des fers aux pieds pour se déplacer à l’extérieur des bâtiments. Le candidat a été élu avec plus de 80 % des voix. Bien sûr, cela se passe aux États-Unis, à Phoenix, exactement. On peut donc tranquillement en rire, en trembler, en fantasmer, comme de tout ce qui nous vient d’Amérique. On a bien tort. Les histoires de prisons françaises se racontent dans les institutions européennes, comme ici, celle des détenus de Phoenix : des récits de honte, d’arbitraire, d’horreur. Sur ce dossier, nous battons tous les records de condamnations devant la Cour des droits de l’homme à Strasbourg et qui s’en inquiète ici, en dehors d’un petit milieu ? Écoutez plutôt ce qui se dit tous les jours dans les bistrots ou les salons, dans les familles ou à la télé. La future loi pénitentiaire ? Bien trop gentille. Des clochards meurent de froid alors que les taulards font la grasse matinée devant la télé. Les suicides de détenus ? « Si certains tiennent à rétablir eux-mêmes la peine de mort, ce n’est pas moi qui les en empêcherai ». Le propos est lancé, à haute voix et sans aucune gêne, dans la salle d’attente d’un médecin. Autour, ça rigole franchement. On n’est pas à Phoenix, mais à Paris Rive Gauche. Je suis journaliste et j’écris – entre autres – sur la condition pénitentiaire depuis plus de 20 ans. Pendant tout ce temps, en France, elle ne s’est pas améliorée. Elle a empiré. Face à ce constat, comment en parler, quel engagement collectif prendre ? Je suis entrée à l’OIP pour des questions bien davantage que pour des réponses sur l’état de nos prisons. Oui, je dis bien « nos » prisons : nous y sommes enfermés, nous aussi, tant que nous estimerons que priver quelqu’un de ses droits et de sa dignité, c’est bon pour la société. Florence Aubenas Présidente de l’OIP

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SOMMAIRE 3 Actu Ministère de la Justice : changement (de style) dans la continuité La prison craque, ses personnels aussi Premier rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté : radiographie de la « France captive » Déontologie : la prison au ban des accusés Tour de France cycliste pénitentiaire : une « Grande boucle » qui tourne à vide Suicides en prison : l’hécatombe continue Les dépôts ne doivent plus être des dépotoirs 24 De facto : « Son inquiétude, c’est de mourir en prison alors qu’il n’a pas été condamné à mort » La crise de la pastille Condamné à indemniser des détenus, l’État fait appel Mutinerie à Amiens Violé en prison, un détenu attaque l’Etat Questions de santé… et de procédure

27 Dossier

Pour que cesse la « honte ». Des prisons sans peine, des peines sans prison Déconstruction d’un discours (présidentiel) Une politique pénale « libéraleautoritaire » Interview de Martine Herzog-Evans : « Tout le monde attend la patrie autoproclamée des droits de l’Homme au tournant » Au dessus des lois et en dehors du droit La démonstration de Markus Jaeger L’avertissement de Dan Kaminski Deux parlementaires face à la loi pénitentiaire Des Règles Péniblement Expérimentées Interview de Bertrand de Quatrebarbes : « Une labellisation reste quelque chose de très vague » Labellisation, piège à…

49 Lettres ouvertes

DEDANS DEHORS publication bimestrielle de la section française de l’Observatoire international des prisons, association loi 1901, 7 bis, rue Riquet, 75019 Paris, Tél.: 01 44 52 87 90, Fax: 01 44 52 88 09, e-mail : contact@oip.org Internet : http://www.oip.org Directrice de la publication : Florence Aubenas Rédaction en chef : Patrick Marest Rédaction : Frédérique Dallant, Sébastien Daniel, Tito Galli , Patrick Marest, Stéphane Laurent, Floralie Quentin. Secrétariat de rédaction : Marie-Anne Duverne, Anne Fellman, Julie Namyas, Pascale Poussin. Identité graphique : MG., L.D.<dlaranjeira@caramail.com> Maquette : Claude Cardot/Vélo Photos : Cglpl, D.R, Marc Pirrone, Pierre Pitkowicz. Impression : Imprimerie Expressions 2-GP, 10 bis, rue Bisson, 75020 Paris Tél. : 01 43 58 26 26 ISSN : 1276-6038 numéro CPPAP en cours Diffusion sur abonnement au prix annuel de 30  Prix au numéro : 5 € Couverture : D.R.


ACTU

Ministère de la Justice

Changement (de style) dans la continuité Après une Rachida Dati qui s’est mis à dos le monde de la justice et de la prison, c’est un duo atypique qui est en charge du ministère de la Justice « et des libertés » : Michèle Alliot-Marie et Jean-Marie Bockel. Qu’attendre de l’ancien premier flic de France et de l’ex secrétaire d’État aux anciens combattants sur le dossier prison ? Un changement de style… dans la continuité.

L

a rumeur a enflé dans les heures précédant l’annonce officielle du remaniement, le 23 juin : le gouvernement comporterait un ministère des prisons, avec à sa tête Christine Boutin. D’autant plus crédible au lendemain du retentissant « l’état de nos prisons est une honte pour notre République » de Nicolas Sarkozy dans son discours devant le Congrès à Versailles, l’hypothèse avait de quoi séduire. La création d’un portefeuille spécifique et son attribution à une personnalité continuant à incarner la prise de conscience parlementaire de 2000 sur le désastre carcéral pouvaient être interprétées comme le signe tangible d’une volonté politique de réformer, en s’attaquant à la toute puissance de l’administration pénitentiaire. C’est un scénario différent qui a été choisi par le chef de l’État en assignant à la place Vendôme un duo composé de Michèle Alliot-Marie et Jean-Marie Bockel. Avec, on peut le craindre, un tout autre sens.

« Travailler ensemble sur tous les textes » Michèle Alliot-Marie nommée ministre de la justice et des libertés. S’il ne fait guère de doute que la nouvelle garde des Sceaux, étrangère à l’exubérance médiatique et brouillonne d’une Rachida Dati, prendra sur ce plan le contre-pied de l’ancienne, en sera-t-il de même sur la politique pénale et pénitentiaire ? Rien n’est moins sûr. D’autant plus que l’ex « premier flic de France » a inauguré ses nouvelles attributions en se précipitant à l’Assemblée nationale pour vanter les mérites de l’arsenal répressif envisagé pour lutter contre les violences en bandes et à l’école. Une énième loi suscitée par un fait divers qui réactive de fait la « loi anti-casseur » puisqu’il suffira d’appartenir à une bande et non d’avoir commis un acte délictueux pour être pris dans le filet pénal et, potentiellement, être placé derrière les barreaux. Sans parler de la mise en place de « fouilles » à l’entrée des écoles et de l’extension des dispositifs de vidéosurveillance aux

Michèle Alliot-Marie lors de sa visite à la maison d’arrêt de Fresnes ». (© D. R)

alentours. Une nouvelle étape franchie dans la « carcéralisation » de la société. Et l’augure, on peut le redouter, d’un nouveau type de variations sur le thème, que l’on savait cher à Mme Dati, de « prison hors les murs ». Symptomatique. Symbolique en revanche est la nomination de Jean-Marie Bockel en qualité de secrétaire d’État auprès de la ministre de la justice. Car le secrétariat d’État en question est sans périmètre. Annoncé alternativement en charge de « la réforme de l’administration pénitentiaire, la modernisation des prisons et la construction de nouvelles prisons » ou de « la réforme des prisons, la modernisation de l’administration pénitentiaire… et la construction de nouvelles prisons », l’ex secrétaire d’État aux anciens combattants reste pour l’instant impassible, tant ce changement de maroquin est pour lui une « promotion ». Il n’en reste pas moins que les atermoiements relatifs à son domaine de compétence traduisent ce dont la presse s’est fait écho, à savoir un conflit entre la garde des Sceaux et son secrétaire d’État pour savoir qui s’occupera des prisons. Lutte qui semble devoir se conclure au détriment du second, tant l’annonce par Alliot-Marie que Bockel allait « s’occuper de tout » et qu’ils allaient « travailler ensemble sur tous les textes » fleure une répartition de responsabilité sur le registre, ministre… et secrétaire de la ministre. Dedans Dehors N°69 Juillet 2009

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« Les prisons, école de la délinquance » Quoi qu’il en soit, et même si la prison accède au nombre des « priorités nationales » depuis Versailles, il n’est pas sûr que le dossier ne subisse d’autre reprise en main que celle de la pénitentiaire. Car l’un comme l’autre des nouveaux locataires de la place Vendôme ne semblent pas connaître grand chose à la question. À Michèle Alliot-Marie, zélatrice zélée d’une ligne dure et sécuritaire (voir sa gestion du dossier Tarnac) on doit un manuel de 60 pages sur « le fondamentalisme en milieu carcéral », cette juriste de formation estimant que « les prisons françaises sont un lieu de recrutement privilégié pour les islamistes radicaux ». JeanMarie Bockel ne se distingue guère plus. On notera de la part du « promu » la visite de la prison de Montluc : il voulait voir la cellule de Jean Moulin. Et, quelques lignes sur le site internet de son « club », « La Gauche Moderne » : « Aujourd’hui, nos prisons sont souvent dans un état indigne de notre démocratie et, en outre, sont devenues des écoles de la délinquance et de la récidive. C’est inadmissible. » Et d’ajouter : « Tout doit être fait pour limiter le recours à l’emprisonnement, qui ne devrait concerner que les personnes dont la liberté peut nuire à la société. De nombreuses autres formules doivent être privilégiées : amendes, travaux d’intérêt général, bracelet électronique… Par ailleurs, un effort considérable doit être fait pour la construction de nouvelles prisons, y compris en recourant au partenariat public/privé, afin que la promiscuité soit limitée, que les conditions d’hygiène, de santé, de dignité humaine soient assurées. » Pour conclure : « On devrait également parvenir à une situation où chaque personne emprisonnée pour une longue période puisse bénéficier d’un travail ou d’une formation. Le temps de la prison doit être un temps utile et préparer la réinsertion ». Soit l’abécédaire de ce que le projet de loi pénitentiaire met en avant pour soigneusement escamoter les objectifs réels d’une réforme écrite par l’administration du même nom. La remise à niveau idéologique n’étant pas nécessaire, place au terrain. D’abord à la maison d’arrêt de Fresnes. En duo. Même si, à en croire Le Figaro, Bockel s’est au dernier moment invité au côté d’Alliot-Marie. Une visite au pas de charge d’une prison propre comme un sou neuf et sans détenu. La pénitentiaire aura tout de même eu le temps de vanter les mérites d’un quartier sortant composé de cellules avec trois lits superposés, mais équipé d’une poignée d’ordinateurs flambant neuf connectés (en septembre) à une « cyber-base », une sorte d’accès ultra sécurisé à Internet. Pour l’accès à la lumière dans les cellules, c’est une autre histoire, Claude d’Harcourt ne tarissant pas d’éloges sur les « caillebotis », ceux-là mêmes que le Jean-Marie Delarue a brocardés dans son rapport annuel. À l’issue de cette visite, évoquant « l’état déplorable » des établissements pénitentiaires, Michèle Alliot-Marie a déclaré : « Le problème de la prison, ce n’est pas qu’un problème de surpopulation » mais aussi un problème « qualitatif ». En ajoutant : « Nous avons besoin de construire de nouvelles places de prison, c’est l’une des missions que le président de la République m’a confiées » mais « aussi améliorer la qualité ». Nous n’en saurons pas plus. Interrogée sur les suicides, la garde des Sceaux montre qu’elle a été bien briefée : « Un plan d’action est mis en œuvre actuellement. Avec, notamment, la mise en place de draps indéchirables et de cellule sans point d’accrochage. Bien évidemment, cela ne suffit pas. Il faut aussi prendre en compte la personnalité des Dedans Dehors N°69 Juillet 2009

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Pour Michèle Alliot-Marie, « Le problème de la prison, ce n’est pas qu’un problème de surpopulation » mais aussi un problème « qualitatif » détenus. Mais, depuis quelques années, le taux de suicide est en baisse et des efforts ont été fait, à l’image de ce qui se passe à Fresnes ». Las, les faits sont têtus, quelques jours plus tard, un détenu s’y donnait la mort. Réduit au silence à Fresnes, JeanMarie Bockel, a jeté son dévolu dès le lendemain sur la maison d’arrêt de Strasbourg. Venu pour « marquer le coup » et se faire une « piqûre de rappel », il a été servi : 765 détenus pour 444 places (soit un taux d’occupation de 172 %), des cellules où l’on est au minimum deux mais aussi parfois à six dans 15 m2. Ce qui ne l’empêchera pas d’affirmer péremptoirement que les détenus y sont « humainement respectés », même si la maison d’arrêt est « une prison de conception un peu ancienne ». Son credo ? « Continuer à humaniser les prisons existantes » et en « construire de nouvelles », l’application des règles pénitentiaires européennes devant rester pour lui « un objectif ». Pour une mise en œuvre immédiate et intégrale, on repassera.

Incertitudes sur la loi pénitentiaire Sur le projet de loi pénitentiaire, le duo a encore du mal à s’accorder. À Fresnes, Michèle Alliot-Marie est questionnée sur la procédure d’urgence. La réponse claque : elle ne tolèrera aucune « mesures dilatoires » pour un « texte important » et même si le « calendrier parlementaire est particulièrement encombré ». À Strasbourg, Jean-Marie Bockel, dira : « Il y a un travail qui doit se faire après l’adoption au Sénat de manière à ce que cette loi réponde vraiment à ce qu’on attend ». On comprend mieux les réactions plutôt dubitatives des acteurs du monde carcéral et de la justice aux premiers pas de l’un et de l’autre, quand bien même Alliot-Marie se sera fendu d’une visite au Palais de la Justice de Paris dans la perspective de renouer le « dialogue ». Pas simple. L’Union syndicale des magistrats ironise déjà sur la nouvelle dénomination de la Chancellerie, le ministère de la justice « et des libertés » : « Quand on est obligé de mettre des mots sur des évidences, c’est que ces évidences sont en danger ». L’optimisme n’est pas plus de mise à la CGT Pénitentiaire : certes « la politique que le Président a insufflée et demandée à Mme Dati, est aujourd’hui reconnue par tous comme un échec, même par le Président lui-même ». Mais « point de réjouissances : le nouveau ministre ne fera pas plus de miracles, même si le style risque d’être différent ». En effet, « la messe est dite. Nicolas Sarkozy a la solution pour améliorer l’état des prisons : en construire d’autres. Remake de ce qui se fait depuis 30 ans : le président réitère d’une façon chronique les veilles recettes inefficaces et ce, d’autant qu’il multiplie la prolifération de loi ultra-répressives et la prolifération de nouveaux délits ». Le soupir de soulagement qui aura accompagné le départ de Rachida Dati n’aura été qu’une brise légère et de courte durée. L’été risque d’être lourd dans les prisons. Frédérique Dallant


La prison craque, ses personnels aussi

© Pierre Pytkowicz

Par son ampleur et sa conclusion, la mobilisation des surveillants en mai dernier a mis en lumière la profondeur du malaise qui traverse l’ensemble des personnels de l’institution. Ainsi que l’instrumentalisation dont font l’objet les Règles pénitentiaires européennes.

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ue retenir du mouvement des personnels pénitentiaires qui a récemment secoué le monde carcéral si habitué à craquer dans le silence et l’indifférence ? Des surveillants gazés et matraqués à l’entrée de ces prisons qu’ils voulaient bloquer pour dire leur colère ? Des détenus refusant, comme à Laon, de remonter de promenade, en solidarité avec les « matons » ? Un directeur de prison coincé dans son pavillon, ses subordonnés en ayant condamné les portes ? Ou bien encore l’explosion, sous la pression d’une négociation menée tambour battant par la Chancellerie, de l’Unité syndicale à l’origine de la mobilisation ? Ce qui est sûr, c’est que cette « grève » qui n’en a pas le nom, laissera des traces. Pas simplement parce que ce mouvement aura suscité parmi les personnels autant d’espoir que de déception, laissant ici et là le goût amer d’une fin en queue de poisson et d’une formidable occasion manquée. Aussi et surtout parce qu’elle aura permis de mesurer l’étendue de l’ambigüité qui entoure la « mise en œuvre » dans notre pays des Règles pénitentiaires européennes. Cela faisait une bonne quinzaine d’années que les principales organisations représentatives de la pénitentiaire - l’Ufap, FO et la CGT - n’étaient pas parvenues à s’entendre sur une liste de revendications. L’initiative d’une action commune était donc en elle-même le révélateur du profond divorce des surveillants avec leur hiérarchie et leur autorité de tutelle. L’éclectisme des récriminations et requêtes traduisant tant une défiance face à une direction de l’administration pénitentiaire brocardée pour sa gestion des ressources humaines « unilatérale et autoritaire », « bafouant le dialogue social », que de la perplexité devant une série d’instructions controversées de Rachida Dati sur la prévention des suicides. Le tout s’accompagnant d’une exigence d’« améliorations des conditions de vie et de travail » avec pour fondement, posture assez rare pour être soulignée, une interpellation de la politique pénale et pénitentiaire : « face à la multiplication des tâches liées à une surpopulation carcérale infernale, à de nouvelles missions (RPE, PSE...) sans moyen supplémentaire, les personnels arrivent à saturation. Travailler perpétuellement dans l’urgence, être dans l’obligation de composer avec les

uns et les autres, être réduits à de simples porte-clefs ou de simples exécutants le doigt sur la couture est le quotidien de chacun d’entre nous. Les mesures alternatives à l’incarcération et les aménagements de peine doivent être favorisés en lieu et place du tout carcéral : aujourd’hui, plus de 15 000 détenus sont condamnés à une peine de moins d’un an de prison et plus de 7 000 détenus à des peines de moins de 6 mois ! »

Une mobilisation à la hauteur des enjeux À l’appui de cette plateforme revendicative établie dès octobre 2008, les organisations réunies dans une « Unité syndicale » créée pour l’occasion avaient appelé le 1er avril 2009 à une mobilisation d’ampleur pour le début du mois de mai. Un mouvement de protestation des surveillants de prison qui s’étalerait sur quatre jours, avec une montée graduelle de l’intensité des actions de blocage organisées devant les établissements pénitentiaires. D’abord une paralysie des entrées et sorties judiciaires (transferts, écrous, extractions) prévue pour les 4 et 5 mai puis, en sus, celle des intervenants extérieurs (avocats, concessionnaires et travail pénal) pour les 6 et 7. Quant à la suite, les syndicats évoquaient des « modalités d’actions » qui « se renforceront et resteront à définir ». Dans un contexte intramuros que la moindre étincelle pouvait embraser, une telle perspective d’agitation n’a bien évidemment pas laissé la Chancellerie sans réagir. Rachida Dati a convoqué l’Unité syndicale le 30 avril pour tenter de désamorcer la crise comme elle l’avait fait six mois plus tôt. À l’époque, sa proposition de « groupes de travail » lui avait permis d’échapper in extremis au « blocage général » prévu pour le 20 octobre. Cette fois l’initiative sera vaine, au point de se solder par un caustique « L’unité syndicale a claqué la porte : rendez-vous désormais devant les portes [des prisons]. Inutile pour la ministre de nous appeler si elle n’emploie pas le mot négociation ! » À défaut d’être étouffée, la gronde sera placée sous haute surveillance. Avec menace par l’administration de sanctions disciplinaires « en cas d’acte collectif d’indiscipline ou de cessation concertée du service ». Et annonce par la ministre d’interventions immédiates des « forces Dedans Dehors N°69 Juillet 2009

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Face-à-face tendu entre les forces de l’ordre et les surveillants devant la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis . (© Pierre Pytkowicz)

de l’ordre » pour dégager l’accès des établissements des piquets de « grévistes ». Le décor est planté. Il va se révéler être en trompe l’œil. En effet, aucune des parties prenantes n’a véritablement intérêt à ce que le conflit s’éternise ou s’enlise. Au soir des deux premières journées d’action, l’Unité syndicale fait ses comptes : elle a d’ores et déjà fait le plein de la mobilisation possible et envisageable, plus de 4 000 surveillants « en repos » bloquant 120 des 194 prisons de l’Hexagone. Par ailleurs, face à une garde des Sceaux soucieuse de mettre fin au plus vite à un mouvement qui menace de se durcir suite aux prestations musclées des CRS, les syndicats savent qu’ils peuvent tirer parti du conflit latent qui l’oppose à la direction de l’administration pénitentiaire. Et de fait, le « relevé de décisions » établi au soir du troisième jour de conflit, après une nuit de tractations, sonne comme un désaveu cinglant pour Claude D’Harcourt et ses collaborateurs, par ailleurs soigneusement tenus à l’écart de la négociation qui s’est engagée. Dans ces conditions, la chancellerie obtient sans difficulté de l’Ufap et FO qu’elles convainquent leurs troupes respectives de cesser les hostilités. Entonnant l’air du « il faut savoir finir un mouvement » et arguant de l’aval de 60 % des personnels, les deux organisations valident le lendemain le document proposé par la garde des Sceaux. Au grand dam de la CGT qui s’époumone à rappeler que le texte final ne diffère guère de sa version rejetée la veille par la base et pas davantage des propositions spontanées de la ministre fin avril : octroi de 177 postes pour permettre le passage de 3 à 4 surveillants la nuit dans les petits établissements, octroi de 174 postes supplémentaires (pour 194 prisons !), en sus des 1 264 d’ores et déjà prévus pour 2009 mais qui seront immédiatement absorbés par les nouveaux établissements, paiement ou récupération des heures supplémentaires, fin de suppression des primes en cas de congé maladie, mise en place d’un bureau d’aide sociale au sein de la DAP… Peine perdue. Devenu officiellement « protocole d’accord », le relevé de décisions est signé en grandes pompes le 11 mai. Il comporte treize points. Parmi ceux-ci, la suppression de la circulaire du 8 avril 2009 visant à renforcer la « surveillance spéciale » des détenus repérés comme suicidaires, et le réexamen de la circulaire du 5 juin 2008 sur le développement du sport et l’allongement de la durée des parloirs. Mais aussi une « suspension des Règles pénitentiaires Dedans Dehors N°69 Juillet 2009

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européennes sans moyen et prise en compte des problématiques de la surpopulation pénale » qui va faire couler beaucoup d’encre.

Les RPE otages d’un jeu de dupes Et pour cause. Les Règles pénitentiaires européennes apparaissent comme la principale victime collatérale de ce conflit, se retrouvant non seulement au cœur de la rupture entre Rachida Dati et Claude d’Harcourt mais également à l’épicentre d’un règlement de compte violent entre les organisations syndicales et la direction de l’AP. « Le DAP et ses collaborateurs ont reçu une leçon, ils doivent maintenant se mettre au travail pour les personnels et non pour leur carrière et leur ego ! », tonnent l’Ufap et FO dans un tract le 12 mai. Imperturbable, Claude d’Harcourt fait savoir de son côté que « les RPE continueront à s’appliquer coute que coute, c’est notre stratégie de réforme, il n’y a à mon sens pas d’alternative ». Un bras de fer qui a d’ailleurs tout du jeu de dupes, tant est patente l’instrumentalisation dont fait l’objet dans notre pays la recommandation du 11 janvier 2006 du Comité des ministres du Conseil de l’Europe. Avec d’un côté une institution qui, pour tenter d’asseoir l’idée que « la prison n’a pas attendu le projet de loi pénitentiaire pour changer », n’a de cesse de claironner que « les RPE constituent un cadre éthique et une charte d’action pour le service public pénitentiaire ». Tout en prenant soin de souligner qu’elles « n’ont pas de valeur contraignante » et qu’elles « doivent, pour la plupart, s’appliquer “dans la mesure du possible” ». Et de l’autre une Rachida Dati qui, après avoir affirmé sans vergogne devant le Sénat que le projet de loi n’était « rien d’autre que la transcription intégrale des RPE », concède deux mois plus tard, à la stupéfaction générale, un moratoire sur leur mise en œuvre. Comprend qui peut, comprend qui veut. En effet, loin de souhaiter l’abandon des Règles pénitentiaires européennes, l’Unité syndicale a réclamé un « vrai débat » à leur sujet, pointant du doigt les tenants et aboutissants de la communication institutionnelle qui entoure leur « mise en œuvre » dans notre pays. Que reprocher à des organisations de personnels rappelant inlassablement que « les RPE ne prendront tout leur sens qu’accompagnées d’une nouvelle politique pénale et d’une réelle évolution et reconnaissance des personnels pénitentiaires » ? Que dire de plus lorsqu’elles soulignent l’impératif de « garan-


ACTU tir les moyens strictement nécessaires à leur mise en place afin d’assurer aux personnels des conditions décentes d’exercice de leur fonction » ? Et qu’ajouter lorsqu’elles soulignent la nécessité « d’ouvrir des négociations sur l’application des Règles destinées aux personnels de surveillance » ? D’évidence, le potentiel réformateur des dites Règles tient à la cohérence fondamentale du corpus des recommandations du Conseil de l’Europe dans lequel elles s’insèrent. La crédibilité de la démarche se prévalant de leur respect dans notre pays souffre donc irrémédiablement de l’absence de remise en cause de la de politique pénale et pénitentiaire qui y est menée depuis quelques années. En outre, les personnels ne sont pas dupes de la manipulation qui tend à laisser penser que les RPE sont respectées dans les prisons françaises (alors même que seules huit d’entre elles font l’objet d’une expérimentation depuis l’automne 2006). Et encore moins de la mystification de la labellisation RPE des établissements (dès lors que celle-ci ne concerne que le seul respect d’un processus purement formel de procédures). C’est la raison pour laquelle, les organisations syndicales ont centré leurs critiques sur la méthode employée par l’administration pénitentiaire en des termes par ailleurs extrêmement lucides : « Comment pouvons-nous accepter sous prétexte d’une certification AFNOR et d’une remise de diplômes aux directeurs bien notés accompagnés d’un globe de cristal, que les agents subissent continuellement l’application de mesures RPE sans aucun moyen humain, matériel alors même que la surpopulation pénale bat son plein ! »

« À la veille de son départ du ministère de la Justice, tant attendu, Mme Dati semble vouloir conclure son bilan catastrophique concernant l’administration pénitentiaire dans un feu d’artifice de décisions inadaptées, contradictoires, surréalistes et surtout dangereuses pour l’avenir de notre institution et de ses personnels. » Ce tract de FO Direction, le principal syndicat des directeurs de prison, publié au plus fort de la mobilisation des surveillants, annonce-t-il une nouvelle poussée de fièvre à la rentrée ? Christophe Marquès, le patron de FO Surveillants, a eu beau déclarer pour justifier son paraphe au bas du protocole d’accord qu’« il faut savoir sortir la tête haute d’un conflit », son homologue de l’Ufap semblait plus circonspect : « C’est un oui mais il n’est pas massif », précisait en effet Jean-François Forget à l’instant de la signature. Chacun des deux sachant pertinemment que l’Unité syndicale a volé en éclats avec leur paraphe et, en conséquence, le départ de la table des négociations de la CGT. Et alors même qu’« il n’y a pas eu d’AG des personnels partout » pour décider de la fin du mouvement, constate amère sa secrétaire générale Céline Verzeletti. Pas sûr effectivement que les 174 postes supplémentaires acquis dans la dernière ligne droite - soit le passage de 3 à 4 surveillants la nuit pour une cinquantaine de petits établissements - suffise à redonner de l’espoir à une profession traversée par un profond malaise identitaire et professionnel. Ni que les rodomontades de Forget et Marquès concourent à calmer un corps en voie d’insubordination. Sébastien Daniel

© D.R.

Céline Verzeletti, de la CGT Pénitentiaire : « La colère est intacte » Au lendemain d’un congrès annuel où la récente mobilisation des surveillants fut au centre des débats Céline Verzeletti, secrétaire générale de la CGT Pénitentiaire, revient sur la polémique qui a suivi le « moratoire » sur les Règles pénitentiaires européennes, ainsi que sur les modalités et l’organisation des luttes à venir des personnels. DD : Quel est votre sentiment sur le « moratoire » décidé sur les Règles pénitentiaires européennes qui a fait polémique y compris chez les personnels ? Céline Verzeletti : On n’a jamais demandé la suspension des RPE. Au contraire, on demandait d’avoir les moyens pour les mettre en œuvre. Mais, très rapidement, les deux autres syndicats [Ufap et FO] ont laissé entendre que, si on ne les avait pas, mieux valait les suspendre. D’un point de vue tactique, c’était acter le fait qu’on aurait, de toute façon, pas de moyens supplémentaires. Et, au-delà, quand on sait à quel point nos conditions de travail sont liées aux conditions de détention, c’est parfaitement contre-productif. Ce mouvement est-il susceptible de reprendre ? De fait, on a eu affaire à un véritable détournement de

la mobilisation. Mais la colère est intacte et la situation, d’ici cet automne, ne risque pas de s’améliorer. Nul doute donc qu’à la rentrée, l’envie d’en découdre sera forte. Il faudra donc que la mobilisation parte, non d’en haut, mais de la base et soit inter-catégoriel. Parce que, surveillants, travailleurs sociaux, personnels administratifs, on est tous dans la même galère. Il n’y a pas eu le traditionnel blocage des parloirs. Pour autant ne pensez-vous pas que la forme que prend l’action des surveillants devrait évoluer ? Si cela fait longtemps qu’on considère que nos conditions de travail dépendent des conditions de détention, on s’est rendu compte avec ce mouvement que cette idée se diffuse, alors que, jusqu’à présent, on avait encore trop souvent tendance à les opposer. Une idée circule, celle d’une mobilisation sur le registre de « journées porte ouverte » qui verraient les personnels inviter élus et médias pour les sensibiliser et pour qu’ils rendent compte de la réalité des prisons. C’est une piste. Localement, on pourrait envisager que des élus, des parlementaires et des journalistes fassent des demandes communes pour visiter une prison. Cela mettrait l’administration pénitentiaire au pied du mur. Soit refuser et cela voudrait dire qu’il y a quelque chose à cacher, soit accepter et donner à voir ce qui se passe réellement en prison. Entretien réalisé par SD Dedans Dehors N°69 Juillet 2009

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SPIP : probation et/ou travail social ? Les travailleurs sociaux de la pénitentiaire ont protesté début juin contre la refonte de leurs statuts, de leurs métiers et de leurs missions, refusant l’abandon de l’aspect social de leur travail et le sacrifice de l’insertion au profit d’une approche purement criminologique.

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ardi 9 juin. Des centaines de treillis défilent au son d’une marche militaire place Vendôme. Rachida Dati tirerait-elle sa révérence sur un accent un peu plus martial que d’habitude ? Pas du tout. Avant d’aller distribuer des « bracelets électroniques anti-récidive » devant l’Assemblée nationale à l’appel de la CGT, de la CFDT et de Solidaires, les travailleurs sociaux de l’administration pénitentiaire ont simplement tenu à se faire entendre par la garde des Sceaux. Dans le style musical qu’ils jugent le plus approprié pour décrire la tonalité de la réforme des services d’insertion et de probation (SPIP) en cours. « Travailleurs sociaux, pas militaires, dans l’administration pénitentiaire », entend-on parmi les slogans. « Si le protocole passe, l’insertion trépasse », lit-on sur le T-shirt d’une manifestante.

« Redéfinir le métier » En ligne de mire ? Le « protocole relatif à la réforme statutaire des personnels d’insertion et de probation », discuté dernièrement entre la direction de l’administration pénitentiaire et les syndicats. S’il ne s’agit pour l’instant que d’un projet, le document vise, entre autres, à « redéfinir le métier » de conseiller d’insertion et de probation (CIP) puisqu’il conviendrait de « distinguer les métiers et missions dévolues aux CIP et aux assistants de services sociaux ». À en croire ce document : « Il est nécessaire de reconnaître aujourd’hui un cœur de métier spécifique au CIP qui, par son action sur le passage à l’acte, son rôle dans l’individualisation des peines et des mesures pénales pré-sententielles (qui suppose après une évaluation la mise en place d’un suivi adapté au profil des personnes condamnées ou prévenus), son implication dans l’aménagement des peines, se place désormais clairement sur le champ pénal et criminologique, avec une méthodologie propre et pour objectif la prévention de la récidive. » Dedans Dehors N°69 Juillet 2009

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Et d’enfoncer le clou : « Si le métier de CIP se caractérise par une approche globale, y compris sociale du justiciable, sans laquelle aucune évaluation criminologique n’est possible, le cadre judiciaire de son intervention en fait un métier spécifique justifiant un statut spécifique. » En clair, aux CIP la prévention de la récidive sur la base d’une expertise criminologique et aux assistants sociaux (300 pour un corps de 2 500 personnes, prenant en charge 68 000 personnes écrouées et 160 000 personnes en milieu ouvert) le social, mais plus pour longtemps puisqu’il leur faudra choisir rapidement entre « rester dans le champ du travail social » (et donc être moins bien lotis que leurs collègues) et intégrer à terme le corps des CIP. Et pour faire passer la pilule, une revalorisation statutaire et donc salariale. Sauf que, pour la CGT, la CFDT et Solidaires, la pilule ne passe pas. Pour Samuel Aze, CIP syndiqué à la CGT, « ce protocole est scandaleux pour trois raisons. Parce qu’il va se traduire par une flexibilité accrue du temps de travail, puisque les problèmes de souseffectifs ne sont en rien réglés. Parce que, par le biais de primes au mérite, il veut nous demander, à nous, travailleurs sociaux qui travaillons sur ce qui n’est pas quantifiable parce qu’humain, de nous soumettre à des objectifs chiffrés. Et enfin, concernant l’évolution de nos missions, parce qu’on va nous demander de nous limiter à une approche criminologique et donc d’abandonner une approche globale ». Sa collègue de la CFDT, Marie-Thérèse Bueb, renchérit : « C’est comme si on avait attendu Sarkozy et Dati pour travailler sur la prévention de la récidive. À croire que, jusque-là, on s’était contenté de faire de la poterie et du macramé. Or, depuis plus de vingt ans, les CIP et les travailleurs sociaux font le même métier et ont tous la double casquette. À la fois l’exécution et l’aménagement de la peine mais aussi une approche socio-éducative sans laquelle il n’est pas de prévention de la récidive possible ». Et ces professionnels d’asséner : « Le but du jeu, c’est de produire de la statistique et de faire de la gestion des flux en nous faisant assurer le rôle de gare de triage. »

Dérive sécuritaire Un dévoiement des missions des SPIP pour Michel Pouponnot, assistant social CGT à Poitiers : « On est en pleine dérive sécuritaire puisque ce que l’on va nous demander, ce n’est plus de tenir compte de l’individu que l’on a en face de nous mais de le normaliser en gérant son exclusion et sa délinquance. Sauf qu’à vouloir faire de l’aménagement de peine sans travail social de réinsertion, on ne lutte pas


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Manifestation des travailleurs sociaux de la pénitentiaire place Vendôme. (© D.R.)

contre la récidive, on y contribue ». Un point de vue que partage manifestement le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Lors de son audition, le 13 mai dernier, par la commission des lois de l’Assemblée, Jean-Marie Delarue constatait qu’« à la suite du conflit de l’an dernier, des groupes de travail se sont réunis et ont fait des propositions », et malgré cela, il lui apparaissait « que les CIP sont l’exemple-type de ces professions exténuées, dévalorisées, découragées ». Ajoutant que « beaucoup de détenus se plaignent amèrement de n’avoir plus aucun contact avec les conseillers » car « si les CIP consacrent leur temps à travailler sur les dossiers d’aménagements de peine, ils n’en ont plus pour rencontrer les détenus ; autrement dit, ils se présentent en commission d’application des peines pour parler de dossiers de détenus qu’ils connaissent de moins en moins. La

profession se trouve ainsi tiraillée entre son devoir juridique et son devoir social. » Initiée au printemps 2008, la mobilisation des travailleurs sociaux ne semble donc pas prête de s’émousser. Elle pourrait reprendre de plus belle à la rentrée, la CGT Pénitentiaire appelant de ses vœux un mouvement inter catégoriel au sein de l’administration pénitentiaire. En attendant, avant d’être entendue à l’Assemblée nationale par trois députés socialistes, une délégation a été reçue place Vendôme. En vain : « Le ministère reste droit dans ses bottes, faisait savoir en sortant l’un des émissaires, estimant avec l’administration pénitentiaire qu’il doit y avoir une refonte du métier et des missions des CIP. Avec le risque, en attendant l’arbitrage de Matignon, que ne disparaisse à terme le travail social assuré jusque-là par les SPIP. » Stéphane Laurent

Fleury vs Fleury Il est des hasards de calendrier fâcheux. Lors de leur mobilisation, les surveillants sont sortis de l’ombre et de l’obligation de réserve dans lequel les maintient leur statut spécial. Or, quasi au même moment, se sera tenu à la cour d’appel de Paris un procès horsnormes : 339 surveillants de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis portant plainte pour diffamation contre une journaliste du Parisien, Elisabeth Fleury. Son crime ? Avoir publié le 14 novembre 2006, à l’occasion des États généraux de la condition pénitentiaire, le témoignage d’un homme venant d’effectuer 18 mois de préventive et qui dénonçait les trafics, le comportement de certains surveillants, affirmant notamment

avoir assisté au viol d’un détenu par une dizaine d’autres « sans que personne n’intervienne ». Si les faits avaient été classés sans suite, faute d’avoir été établi, la cour d’appel vient à nouveau de débouter les 339 surveillants de prison, estimant qu’ils n’avaient « pas démontré que l’article litigieux visait chacune d’elle personnellement et leur avait porté préjudice ». La journaliste, ayant reçu le soutien, entre autres, de Gabriel Mouesca, ancien président de l’OIP, a rappelé qu’il ne s’agissait pas de « porter atteinte au métier de surveillant » mais au contraire d’interpeler l’administration pénitentiaire afin « de laisser les journalistes entrer dans les prisons et témoigner ». S.D.

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Premier rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté

Radiographie de la « France captive » Rendu public le 8 avril, le premier rapport annuel du Contrôleur général des lieux de privation de liberté force l’attention. Adoptant le regard de l’ethnologue, Jean-Marie Delarue dresse un portrait saisissant de ce qu’il nomme la « France captive ». Avec à la clé, un éclairage sur la réalité de la prison contemporaine qui sonne comme un réquisitoire contre la politique pénitentiaire de notre pays.

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ean-Marie Delarue avait prévenu 1. Son rôle consistant à « vérifier que chaque personne privée de liberté est traitée avec dignité », il veillerait à ce qu’aucun détenu n’en soit dépossédé au travers de « comportements contraires à ses droits essentiels » ou du fait « du fonctionnement ou des règles applicables ». Pour ce faire, il annonçait une méthode : adopter le regard de l’ethnologue et « saisir la réalité de ces lieux qui ne livrent pas toujours leurs secrets ». Mission accomplie. En quelques 120 pages, le premier rapport annuel du Contrôleur général des lieux de privation de liberté dresse un portrait de la « France captive » qui a tout d’un « j’accuse ». Et va donc à l’essentiel : « Tout ce que produit la prison conduit ceux qui la connaissent au mieux à en sortir très troublés dans leur personnalité, au pire à ne leur laisser que la possibilité matérielle de réitérer ». Un réquisitoire qui n’accable pas seulement la politique pénitentiaire mise en œuvre dans notre pays. Si Jean-Marie Delarue évoque l’« oubli social » dont font l’objet les détenus ou la « conviction de l’opinion très anciennement ancrée selon laquelle les mauvaises conditions d’existence des détenus sont la “juste” contrepartie de l’infraction commise », c’est pour mieux distinguer ce que, dans la politique pénale, il lui parait nécessaire de relever. Qu’il s’agisse de « l’élargissement des poursuites pénales », de « la condamnation à des peines de prison pour des infractions qui étaient peu poursuivies jusqu’alors », de « la modification du régime des causes d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité

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pénale » ou de « l’alourdissement des peines prononcées, qu’il soit le fait de la loi ou le fait du juge ». Et de marteler : « Il n’y aura de modification importante en prison qu’au jour où l’opinion aura compris que sa propre sécurité passe par une amélioration substantielle de la détention et où la population sous main de justice aura un volume compatible avec le nombre de places offertes ». Car, s’« il est incontestable que, depuis une dizaine d’années, la prison suscite de nouveau l’intérêt grâce à la mobilisation de pionniers associatifs, intervenants en détention ou parlementaires », un intérêt qui « renforce l’action politique et administrative », « il ne faut pas se cacher que cet intérêt et ces efforts sont loin de produire des effets modifiant substantiellement les données de la situation ». Une situation que Jean-Marie Delarue s’emploie à décrire au travers d’un « bref inventaire des principaux constats opérés en 2008 ». En précisant d’emblée que loin d’être des « anecdotes », ce qu’il a consigné dans son rapport correspond à « ce qui était le plus partagé ». Au sein des maisons d’arrêt, principal type d’établissements pénitentiaires visité par ses équipes en 2008. Et donc en déclinant méthodiquement les « conséquences du surpeuplement ». Au delà de la « promiscuité quasi-obligatoire » qui constitue « une source de violence carcérale aujourd’hui scandaleuse », il pointe un surencombrement qui « concerne tout ce qui se passe en dehors de la cellule ». Et qui affecte l’ensemble des aspects de la vie quotidienne des détenus et des personnels au point d’engendrer un véritable cercle vicieux qui « rigidifie le système tout en le faisant tourner en surrégime ». Pour autant, insiste le Contrôleur général, la surpopulation des prisons « ne suffit pas à décrire la situation carcérale, dont la


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Le contrôleur général des lieux de privation de liberté veut lutter contre « l’opinion très anciennement ancrée selon laquelle les mauvaises conditions d’existence des détenus sont la « juste » contrepartie de l’infraction commise ». (© cglpl. Tous droits réservés)

vérité subsisterait même si la population des détenus revenait à un volume compatible avec le nombre de places ». Une « vérité » qu’il restitue à l’aune des objectifs assignés à la peine et des missions confiées à l’administration pénitentiaire. La réinsertion ? « On est frappé par l’ennui général » palpable dans les prisons « où l’on souffre profondément d’inactivité, d’insuffisance de travail et d’insuffisance de loisirs » assène JeanMarie Delarue lors de son audition par la commission des lois de l’Assemblée, décrivant le détenu comme « quelqu’un qui est placé dans une situation d’“inactivité artificielle”, comme l’on parle de “coma artificiel” ». « Ce qui ne manque pas d’inquiéter au regard de la resocialisation » que la prison a « pour mission de promouvoir » ajoute-t-il. La sécurité ? Le Contrôleur général dépeint les établissements pénitentiaires comme « des lieux de violence et de crainte » qui, « à de rares exceptions près, vivent sous un régime de rapports de force ». Des lieux où, « souvent aux interstices de procédures par ailleurs bien réglées », des « comportements condamnables, certes minoritaires » se produisent parmi les personnels. Des lieux marqués par « la difficulté de parvenir à un équilibre entre sécurité et dignité des personnes », tant « le premier de ces impératifs » prévaut « parfois de manière univoque, sur le second ». Evoquant les fouilles à répétition ou le droit d’expression des détenus lors de la conférence de presse de présentation du rapport, Jean-Marie Delarue ira jusqu’à comparer les « besoins de sécurité » à « un ogre jamais rassasié ». Guère étonnant dès lors que, ce jour-là, le Contrôleur général ait dit comprendre que cette « France captive » ne puisse « se défaire d’un certain sentiment d’arbitraire ». Et que dans son rapport il défende l’idée que « les droits fondamentaux, c’est simple : c’est

le droit à la vie, à un travail, à une vie de famille, à l’intimité. Le droit de s’exprimer, d’être en bonne santé… ». Patrick Marest 1. Lire l’interview de Jean-Marie Delarue dans Dedans dehors, n°66, novembre 2008. Comment contacter le contrôleur général ? Par internet : www.cglpl.fr Par courrier : Monsieur le contrôleur général des lieux de privation de liberté, 16-18 quai de la Loire, BP 10301, 75921 Paris, cedex 19 Par téléphone : 01 53 38 47 80

Pour le contrôleur général des lieux de privation de liberté, « les droits fondamentaux, c’est simple : c’est le droit à la vie, à un travail, à une vie de famille, à l’intimité. Le droit de s’exprimer, d’être en bonne santé... » Dedans Dehors N°69 Juillet 2009

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Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté est intransigeant. Notamment sur le fichage des personnes qui lui écrivent ou lui répondent. Témoin de l’âpreté du conflit qui l’oppose sur ce sujet à la Chancellerie et à l’administration pénitentiaire, la véritable guerre de tranchée lancée par ces dernières sur le mode du silence, du mépris et de la menace.

Jean-Marie Delarue face aux menaces de la pénitentiaire «

Nous n’avons pas encore abordé des sujets très délicats », assène Jean-Marie Delarue aux députés de la commission des lois devant qui il est venu, le 13 mai dernier, rendre compte de ses activités près d’un an après sa nomination. Avec « la corruption des fonctionnaires, l’alcoolisme en détention ou les trafics » commenceront « les vraies difficultés ». D’emblée, le ton est donné : l’autorité indépendante qu’il représente entend bien asseoir son autorité en toute indépendance et n’écarter aucune des questions qui taraudent le monde carcéral, fussent-elles saillantes ou plus enfouies. Assurément, il n’y aura pas plus de complaisance demain qu’il n’y a eu de connivence hier de sa part. Et pourtant, à entendre le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, c’est la situation présente qui l’inquiète. D’abord parce que l’administration pénitentiaire (AP) se distingue des autres administrations soumises à son contrôle par des pratiques qui montrent sans équivoque qu’elle est bel et bien décidée à lui mettre des battons dans les roues. Ensuite parce qu’il est évident pour Jean-Marie Delarue que « la question essentielle est la suivante : quelle valeur le Gouvernement et l’administration accordent-ils à nos recommandations ? » Poser la question étant déjà, d’une certaine manière, y répondre.

Fichage et flicage des détenus et des personnels Face aux députés, Jean-Marie Delarue se veut retenu dans le propos, mais on sent qu’il ne décolère pas. Il fait état de ce qu’il a découvert. D’abord « l’habitude » prise par l’institution « de recueillir les noms des détenus qui entrent en relation avec nous » et la création d’« un tableau nominatif national, comportant le nom du détenu auteur de la saisine, le motif de la saisine et la réponse apportée par la direction au contrôleur général ». Ensuite le fait qu’« il ne fait guère de doute que les noms des personnes entenDedans Dehors N°69 Juillet 2009

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dues par les contrôleurs, qu’elles appartiennent aux agents de l’établissement ou relèvent de l’état de privation de liberté, sont soigneusement relevés ». Enfin, « qu’un peu trop souvent encore, le courrier des détenus est ouvert. » Et de conclure, devant une commission des lois médusée : « J’ai donc indiqué à l’administration pénitentiaire que, quelques qu’aient été ses motivations, je ne souhaitais pas voir perdurer ces pratiques ». En effet, la constitution d’un tel fichier est « contraire, sinon à la lettre, du moins à l’esprit des textes », se voit-il contraint de rappeler. Un arrêté de la garde des Sceaux du 25 avril 2008 prévoit que « les détenus peuvent correspondre sous pli fermé » avec le Contrôleur général. De surcroît, l’article 21 du protocole facultatif des Nations unis « interdit toute sanction à l’égard d’une personne qui aura communiqué des informations » au mécanisme de contrôle et « institue une protection des renseignements confidentiels recueillis » par ce dernier. Quand bien même cette disposition ne figure pas dans la loi du 30 octobre 2007, le protocole s’applique. Or, écrit Jean-Marie Delarue dans son rapport, « quelles que soient les intentions des auteurs de cette pratique (il en est de bonnes et il en est qui sont les pires), on ne voit pas très bien quel usage utile l’administration peut faire de ces indications (…) Dès lors on peut craindre que le tableau, éventuellement à l’insu de leurs auteurs, soit destiné à ajouter aux caractères identifiés des détenus leur propension à saisir le contrôle général ». Et d’ajouter : « par son existence même, ce tableau risque d’inciter les personnels déconcentrés à faire de même et à identifier certains détenus comme les auteurs de correspondance qu’il vaut mieux éviter d’écrire ». D’où la crainte que « le contrôle institué en 2007 » ne cesse « rapidement, faute d’être alimenté par des correspondances que les détenus n’oseraient plus écrire ». D’autant que les « personnes privées de liberté, vulnérables de ce fait, peuvent être soumises à toutes sortes d’indications erro-


ACTU Aux critiques du contrôleur sur la pose de caillebotis sur les fenêtres, la Chancellerie a répondu qu’il s’agissait de la « solution la plus appropriée et préférable au grillage ou au métal déployé qui constituaient un obstacle encore plus important à l’éclairage naturel » (© cglpl. Tous droits réservés)

nées ou de persuasions insistantes ou même, dans certains cas, davantage », complète Jean-Marie Delarue en faisant état d’une personne ayant été traité de « balance ». Et de conclure, sans ambiguïté : « Ces errements doivent être évités. Le contrôle général, qui ne cesse jamais d’être informé, y est très attentif ». Rien ne laisse présager que l’AP mette un terme à l’ensemble de ces pratiques. En témoigne, la réaction épidermique de son directeur à la lecture du passage concernant le fichier nominatif dans le rapport annuel de Jean-Marie Delarue. Quelques jours après sa parution, Claude d’Harcourt s’est en effet fendu d’un courrier au Contrôleur général où il se dit « surpris à la fois par les insinuations et par la méthode ». « Vous savez, écrit-il, l’importance que nous attachons depuis l’origine à un suivi rigoureux de vos préconisations, dès lors que nous les considérons recevables » (sic). Droit dans ses bottes, le directeur de l’AP martèle : « Que les noms apparaissent dans un tableau n’est rien d’autre que le meilleur moyen de retrouver convenablement le dossier dont il s’agit » (re sic). Et de s’étrangler : « Critiquer publiquement un service public en sachant que pour des raisons déontologiques la réponse n’est pas destinée à bénéficier de la même publicité que la critique que vous lui faites pose également problème ». Cela n’a pas empêché Jean-Marie Delarue d’alerter les sénateurs comme les députés de telles pratiques, comptant sur les parlementaires pour qu’ils exercent pleinement leur responsabilité en affermissant autant que de besoin le cadre légal et règlementaire qui entoure l’intervention du contrôle général en milieu carcéral.

Entre silence, mépris et menaces Un impératif, à plus d’un titre. D’abord parce que les représentants de l’AP ne cachent pas (plus ?) leurs critiques à l’égard du Contrôleur. Ainsi, en janvier dernier, lors de l’inauguration de la

prison de Roanne par François Fillon, ses recommandations sur la prison de Villefranche-sur-Saône avaient déjà suscité de la part de l’ancien directeur de cet établissement « modèle » une longue plainte : « Les personnels souhaitaient à l’instar de nombreux pays la création d’un contrôleur général. Il y avait donc de fortes attentes. Après le temps de l’espoir, ce fut celui de la déception, de la démobilisation. Nous attendons un contrôle nouveau, autre qu’un contrôle sanction ». Une nécessité, ensuite, parce que la Chancellerie semble accorder aux recommandations du Contrôleur le même crédit qu’à celles d’autres autorités indépendantes (on pense notamment là à la Commission nationale de déontologie de la sécurité). En témoignent tant le silence assourdissant du ministère de la justice au moment de la parution du premier rapport annuel de JeanMarie Delarue, que la nature des réponses écrites à ses rapports de visite. Ainsi, à l’occasion de sa visite de Villefranche-sur-Saône, le Contrôleur général n’avait pas manqué de faire connaitre son point de vue sur l’expérimentation des régimes différenciés ou le dispositif imaginé pour empêcher le jet de détritus par les fenêtres des cellules. Les « observations » de la Chancellerie, datées du 17 décembre dernier, sont on ne peut plus éclairantes. Sur le « parcours individualisé » : « le régime mis en place paraît plus adapté que le principe du régime unique qui ne peut s’appliquer qu’en référence aux détenus les plus difficiles ». Sur les caillebotis ? C’est la « solution la plus appropriée et préférable au grillage ou au métal déployé qui constituaient un obstacle encore plus important à l’éclairage naturel ». Une fin de non-recevoir non exempte de menaces puisque la ministre dit, en substance, que si les détenus se plaignent d’être relégués dans un régime ne laissant que peu d’espoir d’amélioration ou du manque de lumière, on pourrait faire pire…

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Devant les journalistes, Jean-Marie Delarue fut catégorique : « Soit la France engage les réformes pour se mettre en conformité avec ses engagements, soit ce sera au juge de le faire » Un « niet » que réitérera de manière plus globale le directeur de l’AP dans une lettre datée du 12 mai dernier. Sur les 155 observations que le contrôleur a fait, « vous avez souhaité attirer l’attention de Madame la ministre de la Justice, sur 64 d’entre elles, écrit Claude d’Harcourt. Elle a répondu à l’ensemble des ces 64 observations en s’engageant, pour 55 d’entre elles, à les mettre en œuvre. Pour les 9 autres, ainsi que pour les 23 autres observations contenues dans les rapports, mais pour lesquelles vous n’aviez pas attiré son attention, celle-ci vous a précisé la politique conduite dans chacun des domaines concernés ». Un « Circulez, y a rien à voir » dont ne se satisfait pas Jean-Marie Delarue.

Améliorer les conditions de détention et de travail Réagissant à un courrier du directeur de l’AP lui signalant qu’il n’avait aucun pouvoir d’instruction à l’égard des chefs d’établissement des lieux qu’il visite, le Contrôleur général s’est vu contraint de rappeler la large initiative en termes d’avis et de recommandations que lui confère la loi à Claude d’Harcourt. Et d’asséner : « Il appartient à l’administration de définir la suite qu’elle entend leur réserver ». On saisit mieux, pourquoi, devant les députés, Jean-Marie Delarue a fait montre d’une certaine inquiétude : « C’est au niveau des recommandations qu’il pourra être amené à faire que le Contrôleur général pourrait rencontrer des problèmes ». À défaut d’avoir la certitude absolue d’être entendu, l’ancien vice-président du Conseil d’État veut se faire bien comprendre. « Soit la France engage les réformes pour se mettre en conformité avec ses engagements, soit ce sera au juge de le faire », a-t-il déclaré lors de la conférence de presse de parution du rapport. Et pas question de se laisser enfermer dans cette fausse alternative telle qu’énoncée à l’Assemblée : « Soit vous réformez les prisons et vous aggravez les conditions de travail, soit vous ne la réformez pas et vous aggravez les conditions de détention. » Pour lui, en effet, « l’amélioration de la vie des détenus et des personnels de surveillance doivent être deux objectifs complémentaires et non contradictoires ». Pas facile à faire comprendre à un Claude d’Harcourt qui, en se lançant dans ce qui s’apparente à une véritable guerre de tranchée aussi indécente qu’inconséquente, conforte l’image d’une institution incapable d’admettre la moindre critique. Mais fallait-il s’attendre à une autre attitude de la part du directeur de l’AP, lui qui, moins d’une semaine après la nomination de Jean-Marie Delarue, déplorait à demi-mot « les très nombreux contrôles réalisés par des organismes externes » et estimait qu’« avant d’être externe, le contrôle devrait être interne » 1 ? Un an a passé. La méfiance a laissé place à la défiance. Patrick Marest 1 « Le système pénitentiaire est-il réformable ? », intervention de Claude d’Harcourt, Ecole de Paris, 19 juin 2008. Dedans Dehors N°69 Juillet 2009

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Le Contrôle en chiffres Créé par la loi du 30 octobre 2007 et mis en place le 13 juin 2008 après la nomination de Jean-Marie Delarue, le Contrôle général des lieux de privation de liberté regroupe désormais une équipe de 26 personnes (12 contrôleurs à temps plein, 10 à temps partiel et 4 administratifs). M. Delarue a demandé pour 2010 six emplois supplémentaires (4 contrôleurs et 2 administratifs) : « Ce renforcement est rendu nécessaire en particulier par la nécessité de vérifier sur place la réalité des faits allégués dans des courriers de plus en plus nombreux ; par ailleurs les contrôleurs supplémentaires permettraient d’effectuer des visites plus longues dans chaque établissement (pouvant aller jusqu’à dix jours contre quatre à cinq jours aujourd’hui) ». Saisines : En 2008, l’instance a fait l’objet de 144 saisines et table donc sur un rythme annuel de 400 à 500. Actuellement, le contrôleur reçoit « sept à huit lettres par jour », soit 1 500 lettres estimées pour 2009. 86 % des saisines sont relatives au fonctionnement des établissements pénitentiaires. 68 % sont le fait de la personne intéressée ou de son conseil. 10 % des saisines ont donné lieu à une décision d’incompétence, 3 % ont été classées sans suite, 42 % ont été suivi d’une enquête et 45 % seront examinées, notamment lors de visites. Le délai moyen de réponse est de 11 jours. À noter que l’instance peut être saisie par toute personne physique ou morale. Et que Jean-Marie Delarue a fait savoir à la commission des lois du Sénat le 10 juin 2009 qu’il « avait interprété la saisine par voie de courrier comme lui permettant, à l’instar des visites qu’il effectue, de formuler des recommandations à l’intention des chefs d’établissements ». Visites : En 2008, 52 visites ont été effectuées par les équipes du contrôleur général des lieux de privation de liberté (81 visites en 2009, soient une moyenne de 16 par mois et un rythme annuel de 150). Les visites sont toujours effectuées par au moins deux contrôleurs pendant une journée. Pour les établissements les plus importants, les visites réunissent jusqu’à cinq contrôleurs pendant trois ou quatre jours. Elles peuvent être programmées (avec un préavis d’une semaine) mais sont en général impromptues.


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Déontologie : la prison au ban des accusés Cette année encore, le rapport de la Commission nationale de déontologie de la sécurité est accablant. En particulier pour la pénitentiaire.

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a Commission nationale de déontologie de sécurité (CNDS) ne chôme pas. En témoigne son rapport 2008 qui recense 152 saisines ayant donné matière à 103 avis dont 38 ont motivé une demande de poursuites disciplinaires, 11 étant transmis à des procureurs de la République afin de juger de l’opportunité de poursuites pénales. Comme chaque année, l’administration pénitentiaire (AP) a eu son lot d’avis faisant état de manquements à la déontologie, parfois gravissimes, de la part de ses personnels.

CNDS a estimé qu’il s’agissait là de « dossiers particulièrement importants à ses yeux » qui n’avaient « pas été suivis d’effet ». Emblématique à plus d’un titre, la CNDS consacre dans son dernier rapport une étude thématique relative à la « déontologie des forces de sécurité en présence de mineurs ». Pour asséner que le « climat répressif » qui règne (loi sur la récidive, rapport Varinard, fichier Edvige…) « ne devrait en aucun cas faire perdre de vue aux forces de sécurité qu’un mineur, même délinquant, même dangereux, est toujours une personne vulnérable ». Et ajouter, quand bien même la commission n’aurait été saisie « qu’à trois reprises d’affaires concernant des mineurs incarcérés », qu’elle constate « combien la solitude dans laquelle vivent souvent les

Sur la prison, des plaintes « emblématiques » Le champ carcéral inquiète d’ailleurs tout particulièrement la Commission, au point qu’elle débute le chapitre dédié par cette mise en garde : « Si le nombre de réclamations relatives au fonctionnement de l’administration pénitentiaire est très inférieur à celui des plaintes concernant la police et la gendarmerie, la gravité des manquements constatés mérite une attention particulière. En effet, compte tenu de la difficulté pour les détenus de demander à des parlementaires de saisir la Commission, la CNDS estime, malgré leur nombre restreint, que ces plaintes sont emblématiques de dysfonctionnements ». Significatif, d’ailleurs, le fait que l’un des deux dossiers de l’année ayant valu publication d’un rapport spécial au Journal Officiel concerne la pénitentiaire, pour « des violences commises en milieu pénitentiaire, favorisées par de multiples négligences simultanées ou successives du personnel pénitentiaire et traitées de manière inadéquate par la direction de l’établissement » (en référence à des faits survenus en juin 2006 à la maison d’arrêt de Nîmes). La

Sur les 152 saisines qu’a traité la commission nationale de déontologie de la sécurité en 2008, 18 concernaient l’administration pénitentiaire. (© D.R.) Dedans Dehors N°69 Juillet 2009

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jeunes détenus (du fait de relations familiales conflictuelles ou de l’éloignement géographique découlant de leur incarcération) et les troubles psychologiques dont souffrent beaucoup d’entre eux rendent particulièrement éprouvante leur expérience du monde carcéral. » Aussi « convient-il de faire preuve d’une extrême vigilance à leur égard et de prendre très au sérieux les signes de leur mal-être physique ou psychologique ». Et de marteler : « Une telle vigilance aurait pu contribuer notamment à éviter le suicide par pendaison d’un détenu âgé de 16 ans au sein du tout nouvel établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM) de Meyzieu en 2008 ». La CNDS épingle « le manque total de coordination et de circulation de l’information », « l’absence de réunion spécifique concernant la situation du jeune détenu, malgré des tentatives de suicides répétées » ou la note d’information du directeur dans laquelle était prodigué ce « modèle » de conseil en matière de prévention : « Vous êtes fortement incité à travailler autour de la question du suicide » (lire ci-contre le verbatim).

Contre la « loi du silence » en prison Parmi les 147 dossiers traités en 2008, 18 relevaient de dysfonctionnements constatés en prison. Le bilan de la CNDS est éloquent : « absence de prise en compte d’une prescription médicale », « durée d’isolement excessive », « placement à l’isolement sans motif suffisant », « place au quartier disciplinaire mené de façon désorganisée », « extraction médicale effectuée dans des conditions dégradantes », « traitement dégradant sur un détenu hospitalisé », « violences illégitimes sur des détenus fragiles », « agressions de la part de codétenus », favorisées par la « passivité des surveillants » ou par « l’incapacité à assurer la sécurité au sein des cours de promenades ». En clair, l’ordinaire de la détention, la Commission dénonçant au passage la « loi du silence » qui règne derrière les barreaux. Stéphane Laurent Plus d’informations sur le site : www.cnds.fr. À noter que, contrairement au Contrôleur général des lieux de privation de liberté, la CNDS doit être saisie par le biais d’un parlementaire ou d’une institution comme la Halde, le médiateur de la République ou le Défenseur des enfants.

« On n’a pas été associé au code de déontologie de la pénitentiaire » Nathalie Duhamel, secrétaire général de la commission nationale de déontologie de la sécurité, répond à nos questions. DD : Le projet de loi pénitentiaire prévoit qu’un code de déontologie sera adopté par voie de décret en Conseil d’État. La Commission a-t-elle été associée à son élaboration ? Non. La CNDS n’a pas été associée à ce projet. Il nous reste donc à espérer qu’auront été pris en compte tant les recommandations récurrentes de la Commission que les principes de comportements individuels et collectifs qu’elle promeut depuis 9 ans. DD. Dans l’organigramme actuel de la direction de l’administration pénitentiaire figure les noms de plusieurs personnels de direction qui furent mis en cause par la CNDS pour des faits graves. Qu’est-ce que cela vous inspire ? Dans un premier temps de la surprise, dans un deuxième temps une certaine lassitude devant le constat du peu de suites qu’ont eu nos demandes, après instruction des dossiers, de sanctions individuelles. Cela dit, des années après les faits, tout être humain peut changer ! Directeurs, surveillants comme détenus. Entretien réalisé par Patrick Marest

« Face aux mineurs en souffrance, faire preuve de la plus grande vigilance » « La Commission déplore que la garde des Sceaux reprenne à son compte les arguments du directeur d’établissement et de la directrice des services éducatifs de l’EPM de Meyzieu, selon lesquels la médiatisation de ce drame serait à l’origine d’une recrudescence du risque de suicides similaires. Cette explication – qui tend à faire porter la responsabilité des trop nombreux suicides de mineurs en détention sur ceux qui les dénoncent – exonère tous les responsables des manquements constatés et n’est pas de bon augure pour les réformes à entreprendre. Plus encore, la Commission s’inquiète de la persistance de l’analyse selon laquelle les mineurs qui commettent des tentatives de suicide n’auraient pas un désir conscient de mourir, mais Dedans Dehors N°69 Juillet 2009

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Verbatim

se livreraient par là à un chantage afin d’obtenir un transfert ou des mesures d’indulgence. La Commission considère que ce raisonnement est porteur de risques graves dès lors qu’il conduit à excuser, par une explication sommaire, une attention insuffisante à l’égard de jeunes détenus qui, quelles que soient les raisons de leur geste, mettent leur vie en danger. La CNDS estime que les interrogations psychiatriques sur le désir conscient ou non de mourir ne sauraient l’emporter sur l’absolue nécessité de faire preuve de la plus grande vigilance pour que les mineurs en souffrance, lorsqu’ils sont détenus, ne soient pas poussés à démontrer leur douleur dans un bras de fer à l’issue tragique avec l’administration pénitentiaire. »


ACTU

Arrivée au stade Charletty de l’ultime étape, le 19 juin, du tour de France Pénitentiaire. (© D.R.)

Tour de France cycliste pénitentiaire

Une « grande boucle » qui tourne à vide

Mobilisant l’attention des médias pendant pratiquement tout le mois de juin, le premier Tour de France cycliste pénitentiaire a donc réussi son objectif. Bilan d’une opération de communication hors du commun.

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l est des coïncidences malheureuses. Lors de son étape finale au stade Charletty le peloton du premier « Tour de France pénitentiaire » comptait une soixantaine de détenus. Soit peu ou prou le nombre de suicides en détention comptabilisés depuis le début de l’année. En effet, à la date de ce vendredi 19 juin, 65 personnes s’étaient données la mort derrière les barreaux. Et, ironie du sort, deux d’entre elles, les 11 et 18 juin, au sein de la maison d’arrêt de Loos, établissement dirigé par Jean-Jacques Chapu, l’instigateur de cette « grande boucle ». Mais en ce jour d’arrivée triomphante, le directeur ne veut avoir à l’esprit que ce « beau projet à construire dans le cadre d’un aménagement de peine ».

2200 km, 15 étapes et aucune échappée Parti de Valenciennes le 4 juin, ce peloton un peu spécial a parcouru 2 200 kilomètres, enchainé 15 étapes, et réuni pas moins

de 320 participants. Dont 198 détenus qui auront pu, par ce biais, sortir le temps d’une journée de leur quotidien avant d’y retourner. Car la petite troupe à vélo est mixte, les détenus ayant dans leurs roues des personnels de la pénitentiaire mais aussi parfois un juge de l’application des peines. En fait, le peloton ne dépasse jamais les soixante coureurs. Seul un groupe de huit détenus de la maison d’arrêt de la ville de départ, a eu le « privilège » d’effectuer l’ensemble du parcours. Ou plutôt six, deux d’entre eux ayant fait un retour prématuré en cellule suite à un « incident ». Ils n’avaient pas respecté les consignes : ne pas s’approcher de la voiture tampon, ne pas s’arrêter pour uriner, respecter l’allure imposée. Et de fait, d’autres détenus rejoignaient ce noyau dur le temps d’une étape, extraits des prisons d’Argentan, d’Agen ou de Béziers… Quelques blessures, beaucoup de sueur, aucune tentative d’évasion. Dans ce « tour de France qui a des prisons pour étapes », comme l’écrit Libération, rien n’a été laissé au hasard. La luxueuse plaquette éditée pour l’occasion par l’administration pénitentiaire se veut transparente : « Tous volontaires, les détenus participants ont été sélectionnés suivant des critères d’ordre médical et sportif, mais ont également dû démontrer leur motivation, leur disponibilité et leur attachement à la vie de groupe ». En clair, ils ont été triés sur le volet. D’abord, il fallait qu’ils ne soient pas condamnés à une longue peine. « On ne va pas choisir Dedans Dehors N°69 Juillet 2009

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un gars qui a pris quinze ans dans ses premières années, il a des chances de faire une échappée », lâche hilare un surveillant. Et puis un « bon comportement » en détention. Et, last but not least, un « projet à la sortie ».

L’effort, le partage... Car l’opération n’est pas seulement une « opération d’envergure » qui « répond aux Règles pénitentiaires européennes en s’inscrivant dans le parcours d’exécution de la peine des personnes condamnées », c’est aussi « un défi de réinsertion sociale par le sport ». Mieux, « ce projet a pour ambition de favoriser l’intégration de notions telles que l’effort, le partage, l’estime de soi. Des valeurs indispensables pour permettre aux personnes détenues de prouver à elles-mêmes et aux autres qu’elles sont capables de relever des défis et d’accomplir des exploits ». Pour les personnes concernées c’est « une véritable chance de réinsertion sociale et professionnelle », en allant « à la découverte d’un univers méconnu, voire inconnu »… Une prose en quadrichromie, sur papier glacé. Elément parmi tant d’autres, d’une vaste entreprise de communication qui ne parvient guère à camoufler le fait que l’institution craque de tous côtés. Et que les détenus se sentent manipulés dans cette affaire.

« On est les faire-valoir de la pénitentiaire » Et ils le disent. Certes, aucun n’oubliera « de sitôt cette aventure », mais certains ne cachent pas leur amertume face au grand raout médiatique dans lequel ils se retrouvent à Charletty. « On est les faire-valoir de l’administration pénitentiaire et du ministère de la Justice, dira l’un d’eux. Certes, personne ne nous a mis le couteau sous la gorge pour y participer mais on nous a bien fait comprendre que ce serait mieux pour nous si on était volontaire. Moi, j’espérais en retirer de la considération et, pourquoi pas, gratter quelques jours. Je suis conditionnable, je fais des études, je n’ai aucun problème de discipline. Mais la seule chose que j’en retirerai, c’est du mépris. » Un autre ajoute : « Pendant ce temps-là, on ne parle pas de nos conditions de détention ». Pas vraiment le genre de propos que sont censés recueillir les journalistes invités en nombre et venus en masse, qui se pressent autour d’une garde des Sceaux dont il se dit que c’est l’une des dernières apparitions avant son exil strasbourgeois. Un troisième en profite pour interpeller la ministre : « Et les grâces présidentielles, Mme Dati, vous les oubliez les grâces présidentielles ! » Panique dans les rangs des officiels. De courte durée. L’insolent est vite encadré et écarté. Pendant ce temps-là, l’ancien cycliste et figure de la (vraie) grande boucle, Marc Madiot, tente de faire bonne mesure, en s’adressant au reste du peloton : « dans quelques jours, le vélo va vous manquer ». Au dessus des portes de Charletty, une pancarte : « Toute sortie est définitive ». Pas le genre de déclaration susceptible d’être placardée au frontispice des prisons, se disent deux détenus qui profitent d’un instant de relâchement dans la surveillance pour griller une cigarette. À proximité du boulevard des maréchaux. Ils se regardent, se sourient, avant de rebrousser chemin. Le soir même, ils dormiront en cellule. Stéphane Laurent

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Quand l’Administration pénitentiaire fait dans la com’, c’est toujours très sobre... (© D.R.)

suicides en prison L’État de nouveau condamné A l’instar des suicides, les condamnations de l’État se multiplient. Ainsi, en mai, l’État s’est fait condamner par deux fois suite au suicide d’un détenu. Première affaire. Le 14 mai, le tribunal administratif de Strasbourg, suite à un suicide survenu le 14 décembre 2004 à la maison d’arrêt de Metz, l’a condamné à verser 15 000 euros à ses parents et 5 000 euros à ses frères et sœurs. Le 13 décembre au soir, les surveillants avaient découvert le détenu dans sa cellule en état d’ébriété. À l’issue de la fouille de sa cellule, lui avait été retirés un bidon d’alcool artisanal ainsi qu’un poste de radio. En revanche, tant la drogue qu’il avait en sa possession que le canif et le rasoir avec lesquels il s’est entaillé et la rallonge électrique avec laquelle il s’est pendu lui avaient été laissés. Seconde affaire. Le 22 mai 2009, c’est au tour du tribunal administratif de Melun de condamner l’État à verser 30 000 euros de dommages et intérêts à la famille d’un détenu qui s’est pendu, en février 2005, après avoir été placé seul en cellule suite à trois mois d’hospitalisation. Le tribunal a estimé que « l’administration pénitentiaire a commis une succession de fautes, constitutives d’une faute lourde de nature à engager la responsabilité de l’État, qui a grandement facilité le passage à l’acte » de ce détenu qui avait déjà tenté de se suicider en novembre 2004, perdant partiellement l’usage de son bras et de sa main gauche. Pour l’avocat de la famille, il est nécessaire que « les juges mettent leur nez derrière les barreaux et que l’administration pénitentiaire se sente responsabilisée ».


ACTU

Suicides en prison : l’hécatombe continue Alors qu’à la mi-2009, on compte plus de 75 suicides derrière les barreaux, la Chancellerie, après avoir écarté Louis Albrand, met en place un « plan d’action » qui, mené par le professeur Terra, reste au milieu du gué tant il s’en tient à des mesures « techniques » pour empêcher, coûte que coûte, les détenus de se suicider.

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’anecdote prêterait presque à sourire s’il n’était question du suicide en prison. Attendu le 3 avril place Vendôme pour une de ces traditionnelles cérémonies de remise de rapport officiel au ministre commanditaire, Louis Albrand a décidé de jouer la politique de la chaise vide face à Rachida Dati. Louis Albrand est le nom du docteur que la Garde des Sceaux avait chargé, au lendemain d’une série de suicides très médiatisée à l’automne 2008, de rédiger un rapport. Pour évaluer la politique de prévention du suicide en milieu carcéral. Autrement dit, pour mesurer l’efficacité des mesures préconisées avant lui par un autre médecin, le professeur Jean-Louis Terra, qui avait remis en décembre 2003 son propre pensum sur la question au ministre de l’époque, Pascal Clément. Rappelons l’objectif du plan mis en œuvre sous sa houlette dès l’année suivante : réduire de 20 % en cinq ans le nombre des suicides parmi les détenus. À l’aune des données des années 2004 et 2008, qui se sont toutes deux soldées par 115 suicides, un bilan des démarches préventives mises en œuvre était pour le moins devenu indispensable.

« Il faut une révolution pénitentiaire »

Car controverse il y a. Qui repose essentiellement sur la volonté persistante de l’administration pénitentiaire de ne pas mettre en œuvre – voire de lire à l’envers – le principe posé par la circulaire du 29 mai 1998 selon lequel « une politique de prévention n’est légitime et efficace que si elle cherche, non à contraindre le détenu à ne pas mourir, mais à le restaurer dans sa dimension de sujet et d’acteur de sa vie ». Une idée force, fruit de l’électrochoc consécutif aux 138 suicides survenus en 1996, dont Albrand préconise le respect scrupuleux. Et ce, d’autant plus vivement, qu’il a pu jauger à quel point les mesures actuellement privilégiées par la pénitentiaire en matière de prévention du suicide s’en éloignent. Avec, à la clé, le bilan catastrophique du premier semestre 2009 qui se solde par 72 suicides. Du jamais vu depuis plus de dix ans. Un second semestre aussi mortifère que le premier aboutirait à 140 suicides en fin d’année. Et, depuis la fin juin, le bilan s’est encore alourdi puisqu’en date du 6 juillet, le chiffre s’élevait à 76. Dans ces conditions, la rhétorique de l’administration pénitentiaire justifiant son refus de communiquer sur le sujet par la contagion par mimétisme qu’elle entrainerait apparait pour ce qu’elle est : le paravent d’une institution incapable de remettre en cause fondamentalement l’approche qu’elle a

Louis Albrand n’est donc jamais venu au rendez-vous. Un rendez-vous qui lui avait été fixé, un mois plus tôt, dans le courrier qui accompagnait une volumineuse enveloppe de l’administration pénitentiaire (AP). Et pour cause. Il avait eu la désagréable surprise d’y découvrir une dizaine d’exemplaires du « rapport Albrand »… C’est peu dire qu’il n’a guère goûté la méthode, d’autant qu’à la lecture de « son » rapport, il n’a pas vraiment reconnu la lettre et l’esprit des constats et recommandations de la commission qu’il animait. En cause un « interventionnisme » de l’administration dans la rédaction du document confirmé depuis par l’un des membres de la commission. Un interventionnisme doublé d’un caviardage de la préface qu’il avait écrite. Louis Albrand n’est pas venu, mais il n’est pas resté pour autant silencieux. Qualifiant de « mascarade » la mise en scène à laquelle il était invité, il a lancé un appel solennel au prochain Garde des Sceaux pour s’attaquer « à l’humanisation des prisons ». Ajoutant : « Il faut une révolution pénitentiaire. Chaque année, il y a plus d’une centaine de vies à sauver ». Une « polémique absurde », s’est empressée de répondre la Chancellerie, pour tenter de faire face à la controverse. Dessin de Babouse dans le cadre de la campagne du Genepi «Ma prison va craquer»


Pour le docteur Louis Albrand, « chaque année, il y a plus d’une centaine de vies à sauver » de la personne détenue. Au point de travestir les chiffres et leur évolution. « Depuis quatre ans, le nombre de suicides, rapporté à l’ensemble de la population carcérale, est en baisse. Il y a quatre ans, on en était à 22 pour 10 000 détenus. Aujourd’hui, on en est à 17 », affirme à qui veut l’entendre Claude d’Harcourt, le directeur de l’AP. La réalité est un peu différente. Quatre ans auparavant, en 2005, le taux de suicidité s’élevait à 20,5, l’année s’étant soldée par 122 suicides. Quant à la situation actuelle, si les 115 suicides recensés en 2008 ramènent le taux de suicidité à 17,2, l’hécatombe du premier semestre 2009 le fait grimper à 22, 9.

Le retour du professeur Terra Bien évidemment, l’administration pénitentiaire ne manque pas de mettre en avant un énième « plan d’action » de lutte contre les suicides. Le dernier en date est signé de Rachida Dati, et a été lancé en catimini quelques jours avant son départ de la place Vendôme, le 15 juin. Son existence et le détail des mesures qu’il prévoit ont été révélés par voie syndicale. Ce plan sera mis en œuvre par Jean-Louis Terra. Pourtant, en janvier 2009, après la succession de suicides survenus dans les premiers jours de l’année, celui-ci avait fait part, dans l’émission « C dans l’air », de ses doutes : « J’ai fait des recommandations qui ont été beaucoup suivies, j’ai eu deux années avec un bon résultat et maintenant, j’ai un doute. C’est-à-dire que ce que j’ai proposé et qui a été accepté par les autres, ce n’était pas suffisant. Cette crise montre qu’il faut faire autre chose ». Un mea culpa qui semble avoir fait long feu. Tant le « nouveau » plan d’action frappe par son absence de rupture avec l’approche actuelle : effort en terme de « formation continue », rappel des « bonnes pratiques », mise en place d’une « grille d’évaluation du potentiel suicidaire », de « commissions pluridisciplinaires prévention suicide », de « commissions interrégionales de prévention du suicide et de suivi des actes suicidaires », d’un « entretien avec le ou les codétenus(s) de la personne suicidée », d’un « débriefing en deux temps pour les personnels » ou de « groupes de parole Santé-Pénitentiaire ». Certes, un certain nombre d’expérimentations vont être lancées, ciblant la vingtaine d’établissements les plus « touchés ». Devrait y être systématisée « la prise en considération du risque suicidaire au moment du placement au quartier disciplinaire » (où le taux de suicide est sept fois supérieur à celui en prison, d’ores et déjà sept fois supérieur à celui relevé en France) et la mise en place d’une « boîte aux lettres » pour les familles afin de pouvoir prévenir en cas de crainte sur le risque suicidaire. Pour autant – pour ne prendre que cet exemple – « l’introduction au QD de la radio et l’accès au téléphone » ne sera expérimentée que dans un seul établissement.

Des « cellules de protection d’urgence » Rien ne laisse donc espérer une remise en cause de la stratégie en vigueur consistant essentiellement à empêcher – coûte que coûte – les détenus de se suicider. Il semble même qu’elle soit appelée à être poussée dans le futur à l’extrême. Comme le Dedans Dehors N°69 Juillet 2009

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laisse entrevoir la mise en place dans une dizaine de prisons, de « cellules de protection d’urgence ». C’est-à-dire des cellules « lisses » sans point d’arrimage de liens avec « utilisation de vêtements déchirables et de couvertures indéchirables ne pouvant être transformés en liens ». Par ailleurs, va être expérimentée, comme cela se fait dans d’autres pays, la « formation des détenus au soutien d’un codétenu en souffrance ». En contrepartie, les premiers auront droit à la télévision gratuite, à davantage de parloir, à un accès facilité au téléphone et seront prioritaires au regard des places disponibles pour le travail et les activités. Leur participation à la prévention du suicide en prison sera aussi prise en compte dans leur parcours d’exécution de peine, ouvrant droit à des aménagements de peine, des remises de peine, des libérations conditionnelles anticipées voire des grâces. Précisément le type de mesures que le bon sens inviterait plutôt à systématiser pour les « codétenus en souffrance ». Avant que de les étendre à l’ensemble des détenus.

La politique du « tout carcéral » Les syndicats sont pour l’heure dubitatifs. En effet, pour la CGT Pénitentiaire, « l’augmentation du nombre de suicides est la conséquence directe de la politique du “tout-carcéral” conduite par le gouvernement ». Fidèle à elle-même, l’ancienne Garde des Sceaux expliquait que la question du suicide en prison serait résolue à terme par « l’amélioration des conditions de détention qui sera immanquablement produite par l’ouverture d’un nombre important de nouveaux établissements et par l’adoption d’une nouvelle loi pénitentiaire ». La nouvelle ne semble pas disposée à changer de registre. Interrogée sur les suicides, Michèle AlliotMarie a déclaré : « Il y a un certain nombre de cas psychiatriques lourds en prison. D’où l’importance de construire dans les hôpitaux des emplacements pour les héberger. D’où la nécessité pour les primo-délinquants d’avoir un système qui va les isoler des multirécidivistes. Nous devons donc avoir un éventail des conditions d’emprisonnement qui correspondent à la diversité des prisonniers ». En clair, pour la Chancellerie, les suicides en prison, c’est le fait des fous et c’est de la faute des multirécidivistes. La solution ? La différenciation des régimes de détention prônée par la loi pénitentiaire. Autrement dit, une prison où les droits effectifs des détenus sont modulables au bon vouloir de l’administration pénitentiaire. Dont le savoir est des plus limités lorsqu’il s’agit de percevoir la souffrance d’un « numéro d’écrou » ou d’entendre la détresse d’un « matricule ». En tête, les critiques du contrôleur général des lieux de privation de liberté qui, à propos du « parcours individualisé » mis en place à la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône, aura noté qu’il « consiste à opérer un tri parmi les condamnés en proposant une évolution à certains et en laissant les autres sans espoir d’amélioration de leur sort ». « Errare humanum est, perseverare diabolicum »… Stéphane Laurent 1 Ce texte est paru depuis sous forme de tribune dans Le Figaro le 25 mars dernier sous le titre « Pour que le mot prison ne rime plus avec indignité »


ACTU

Les dépôts ne doivent plus être des dépotoirs La justice vient de donner raison aux avocats parisiens en reconnaissant que les conditions de détention au dépôt du palais de justice n’étaient pas « décentes ». Si le Parquet a fait appel, la garde des Sceaux a déjà débloqué un million d’euros. Et fait livrer quelques dizaines de matelas.

Une cellule du dépôt du palais de justice de Créteil lors de sa visite fin 2008. (© D.R.)

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ne petite dizaine d’avocats, une brochette de journalistes : affluence peu ordinaire à la 23e chambre du tribunal correctionnel de Paris, chargée des comparutions immédiates. Il faut dire que l’audience du 28 mai dernier était tout sauf ordinaire. Ce jour-là, le juge d’instruction Pascal Gand devait rendre public son rapport sur la visite du dépôt du palais de justice et le tribunal examiner la demande d’annulation de plusieurs procédures de comparution immédiate initiée par les secrétaires de la conférence du barreau de Paris.

Odeur nauséabondes, cafards… Depuis le 17 avril, les jeunes avocats demandent systématiquement l’annulation des procédures de comparutions immédiates en s’appuyant sur l’état du dépôt et de la souricière. En témoigne

le rapport de leur visite fin février où ils décrivent des cellules « sales, non nettoyées », sans « point d’eau digne de ce nom » ni intimité, dénonçant au passage des fouilles dont le nombre est « trop élevé », se déroulant, de surcroît, au dépôt, « dans le couloir ». Or, soulignent-ils, « c’est à l’issue de ce temps de rétention au dépôt ou à la souricière dans les conditions les plus dégradantes que [les] personnes affrontent leurs juges, doivent raconter leur vérité, leur vie, répondre aux questions qui détermineront leur futur immédiat. Comment, dans de telles conditions, peuvent-elles avoir encore la force et la lucidité pour se défendre ? Comment peuvent-elles donner une bonne image d’elle-même alors qu’elles n’ont aucun accès pendant tout ce temps à des douches, aucun moyen de se rendre présentable, de se reposer ? » Dans leur combat, les avocats ont e reçu le soutien du bâtonnier de l’Ordre, M Christian CharrièreBournazel et suscité la curiosité de plusieurs parlementaires qui auront interpelé qui le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, qui le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale. Sans surprise, Pascal Gand, ayant passé le 13 mai dernier plus de neuf heures au dépôt, a fait le même constat que les secrétaires de la Conférence : « odeur nauséabonde » de la cellule d’avant-fouille où, dans 28 m2, peuvent rester « quatre heures » durant « jusqu’à 40 personnes », « aucune protection de l’intimité » lorsque les personnes vont aux toilettes, « contraste entre les cellules individuelles rénovées et les cellules collectives vétustes », exiguïté des « cellules d’attente » dont celle réservée aux femmes fait 77 cm de large ! Toutefois, le magistrat a constaté « quelques changements » intervenus, comme par hasard, avant sa visite. Ainsi, la veille, a eu lieu une opération de « désinsectisation », n’empêchant pas le juge d’instruction de croiser la route de « cafards ». De plus, le « local d’avant-fouille », le jour de sa visite, était fermé « pour travaux, les toilettes étant bouchées ». Par ailleurs, une « note de service » a, fort opportunément, inversé la logique de « remplissage » des lieux, les personnes étant désormais prioritairement affectées en cellule individuelle et non plus collectives. Enfin, après sa visite, auront été livrés en urgence « 75 matelas »… Dedans Dehors N°69 Juillet 2009

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«Ce n’est pas un débat nouveau » Face à l’avocat Matthieu Brochier, qui, rappelant que « la justice ne peut être sereine que quand les personnes le sont », s’est appuyé sur l’article 803-3 du code de procédure pénale pour demander la nullité des procédures de comparution immédiate, le dépôt ne constituant pas, au regard de leur état et comme le dispose la loi, « des locaux spécialement aménagés », le procureur, Naïma Roudloff, en charge du dépôt, est restée droite dans ses bottes. Estimant que « ce n’est pas un débat nouveau », elle s’est appuyée principalement sur les récents arrêts de la cour de Cassation selon lesquels il n’y a « ni responsabilité civile du juge ou de la justice, ni responsabilité pénale de l’État » en matière de conditions de détention. Rappelant en outre qu’« en province, on attend souvent sur un simple banc » (la cour de Cassation ayant validé une attente de 23 heures !), elle a justifié l’absence de papier toilette et de matelas « pour des raisons de sécurité » tout comme l’absence de couverture « parce qu’il était auparavant autorisé de fumer au dépôt ». Raillant la présence de « deux cafards », mettant en avant des travaux engagés depuis 2006 et devant s’achever cette année, elle a demandé le rejet de la demande de nullité, jugeant en substance que seule la durée maximum de rétention – 20 heures – pouvait jouer. Et d’asséner qu’en dernière instance, si la personne apparaissait à l’audience « amoindrie, on pouvait toujours renvoyer l’affaire ». De quoi faire bondir les avocats, l’un d’eux, Vincent Olivier, interpelant ainsi le procureur : « Si l’on suit votre raisonnement jusqu’au bout, au dépôt, on peut tout faire ». C’est donc très logiquement que la présidente du tribunal, Christine Servella-Huertas – rappelant l’article 66 de la Constitution (selon lequel l’autorité judiciaire est garante des libertés individuelles) et l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme (« nul ne peut

être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ») et s’appuyant, comme les avocats, sur les articles 802 et 803 du code de procédure pénale – a annulé les trois procédures de comparution immédiate, estimant que les conditions de détention au sein du dépôt n’étaient pas « décentes ».

Un million d’euros en urgence Si le parquet a, sans surprise, fait appel, le ministère de la Justice, à peine une heure après la décision du tribunal, « a décidé d’affecter en urgence une somme de 1 million d’euros pour rénover les locaux du dépôt du tribunal de grande instance de Paris ». Et tandis que le Syndicat de la Magistrature a fait part de sa visite, en décembre, du dépôt et de la souricière de Paris et rappelé que ceux de Créteil et de Bobigny avaient, eux aussi, été mis à l’index (lire par ailleurs), l’un des secrétaires de la conférence, Me Pierre de Combles de Nayves, nous aura dit : « Depuis des années, tout le monde dit que c’est scandaleux sans que rien ne se passe. Là, si on a eu gain de cause, c’est parce qu’après un mois et demi de réflexion, de mobilisation, on a trouvé une articulation juridique. Au passage, il sera difficile d’agir de la même manière pour la souricière. Néanmoins, la réaction du ministère montre que, quand la justice remplit son rôle, la société bouge et le pouvoir politique est contraint de faire ce qu’on lui demande de faire. » Et de conclure : « Cela n’arrive pas par hasard : en ce moment, les gens ont la prison à fleur de peau. Alors, si, comme annoncé, le dépôt est rénové, on en sera profondément heureux pour notre justice. Mais attention, si l’on continue d’affecter des personnes dans des cellules collectives où elles sont entassées, sans avoir le droit ni à une douche ni au respect de leur intimité, ce n’est pas un matelas qui changera la donne. » Stéphane Laurent

Les précédents Le 15 février 2006, le commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe Alvaro Gil-Robles, dans son rapport sur le respect effectif des droits de l’homme en France relatif à sa visite du 5 au 21 septembre 2006, écrit : « La situation matérielle de certains dépôts reste désastreuse et ne correspond en aucun cas aux besoins d’une société moderne ». S’il se félicite des « travaux engagés » au sein de celui du TGI de Bobigny, à propos de celui de Paris, il estime que « l’intérieur continue de donner une image très peu flatteuse de la justice française ». Le 27 octobre 2008, six magistrats ont visité le dépôt du TGI de Créteil et ont constaté que les conditions de détention n’étaient « pas conformes aux règles minimales d’hygiène et de salubrité ». A la suite de ce rapport, des procédures de comparution immédiate avaient été annulées. Mais le 13 mai dernier, la cour d’appel de Paris a annulé ces décisions du TGI de Créteil, estimant qu’« une éventuelle violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme, si elle est susceptible d’engager la responsabilité de la puissance publique en raison Dedans Dehors N°69 Juillet 2009

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du mauvais fonctionnement du service public de la Justice, ne saurait constituer une cause de nullité de procédure », reconnaissant toutefois qu’un passage au dépôt « peut être de nature à amoindrir les capacités physiques et intellectuelles et peut porter atteinte aux droits de la défense » de la personne jugée. Un pourvoi en cassation a été formé. Le 8 avril 2009, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, suite à la visite le 13 octobre 2008 du dépôt du TGI de Bobigny, a demandé « un entretien permanent pour mettre fin aux conditions d’hygiène qui, dans les cellules, sont indignes », mais aussi à ce que la « configuration des lieux » soit revue car « le respect de l’intimité n’est pas garanti », et à ce que la « confidentialité des entretiens » soit « assurée ». Outre des remarques sur la nourriture, la toilette et l’éclairage (et donc le sommeil), il écrit : « Toute personne doit pouvoir comparaître dignement devant son juge ; cette exigence rejoint celle des droits de la défense. La situation actuelle ne le permet pas ». Stéphane Laurent


Dépôt, souricière : mode d’emploi

ACTU

En préambule, rappelons que la démarche des avocats parisiens n’a concerné que le dépôt. Toutefois, le rapport des secrétaires de la conférence concerne la souricière comme le dépôt.

L

a souricière du palais de justice de Paris, sous contrôle de l’administration pénitentiaire, est une zone d’attente des détenus écroués qui sont extraits des diverses maisons d’arrêt en vue de leur comparution devant une juridiction, de leur audition par un magistrat instructeur ou de toute audience devant la chambre de l’instruction ou le juge des libertés et de la détention. La souricière est composée de 60 cellules côté 2 hommes et 16 côté femmes. Ce sont des cellules de 3 m où se trouvent, en moyenne, trois détenus, avec un banc et un urinoir « à la turque ». Seuls les détenus particulièrement signalés sont placés seuls en cellule. Dans les souterrains du palais, se trouve un endroit d’attente, en l’occurrence une cage grillagée

Des toilettes, inutilisables et souillées, du dépôt du palais de justice de Créteil. (© D.R.)

d’1,50 m de profondeur, de 4 m de longueur et de 1,80 m de hauteur, dans lequel les détenus attendent, suite au retard éventuel dans la présentation au magistrat. Les fouilles se déroulent à chaque changement d’autorité entre gardiens (pour la souricière, les personnels de l’administration pénitentiaire) et gendarmerie (seule habilitée à circuler au sein du palais et à les présenter aux juges) et ont lieu dans une cellule vide. Le dépôt du palais de justice de Paris est, lui, placé sous le contrôle de la Préfecture de police de Paris. Y sont placés les personnes déférées à l’issue de leur garde à vue. D’après l’article 803-2 du code de procédure pénale, une fois la garde à vue levée, ils doivent être immédiatement entendus par un magistrat, le jour même. Toutefois, l’article 803-3 prévoit une dérogation instaurant la possibilité de placer le prévenu dans des « locaux spécialement aménagés », pour une durée maximum de 20 heures. Le dépôt se compose d’une cellule de pré-fouille, les fouilles ayant lieu ensuite directement dans le couloir, le juge Pascal Gand ayant, lui, constaté qu’elles se déroulaient dans des « box qui cachent les parties basses ». À l’issue de la fouille, est remis une notice précisant à la personne retenue qu’elle a droit à un avocat, à un médecin et de prévenir un proche. Si les avocats ont relevé l’existence de trois cellules pour les mineurs d’environ 7 m2 (où ils peuvent être deux par cellule), d’une cellule « VIP » ainsi que d’une cellule capitonnée, le juge d’instruction Pascal Gand, lui, a compté 22 cellules individuelles récemment rénovées et 23 cellules collectives vétustes. Ces dernières, d’environ 7 à 8 m2, peuvent accueillir trois personnes. On y trouve, outre un urinoir séparé d’un muret de moins d’un mètre, trois lits superposés, en l’occurrence de simples planches en bois sans matelas ni couverture, le juge ayant noté que la hauteur sous-plafond ne permettait que difficilement à l’occupant du lit le plus haut de se tenir assis. À noter qu’il n’y a (exception faite de la cellule VIP) pas de papier toilette ; que la chasse d’eau est actionnée de l’extérieur ; que, pour boire, il faut demander des bouteilles aux policiers ; et que, si chaque cellule est équipée de sonnette, elle peut être désactivée. Enfin, il existe trois cellules d’attente grillagées, deux pour les hommes, une pour les femmes, cette dernière faisant 77 centimètres de largeur. Stéphane Laurent Dedans Dehors N°69 Juillet 2009

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« Son inquiétude, c’est de mourir en prison alors qu’il n’a pas été condamné à mort » « S’il s’évade, il crève », a déclaré dans La Dépêche du 23 juin dernier, l’avocat d’un détenu, E. A, condamné à 20 ans de réclusion et qui, atteint d’un cancer des poumons mais classé comme « DPS » (Détenu particulièrement surveillé) suite à une évasion en 2003, se voit accompagné à chaque extraction par une lourde escorte. Suite à un malaise, survenu dans la nuit du 21 au 22 juin et alors qu’il devait consulter à Marseille un cancérologue pour une radiothérapie, il lui était proposé de faire les 1 050 kilomètres qui sépare l’établissement pénitentiaire du lieu de consultation dans les conditions suivantes : menotté et entravé, assis sur un rebord métallique faisant office de banc à l’arrière d’un fourgon cellulaire non climatisé. Et ce, bien sûr, sans aucune halte, malgré sa faiblesse, ses douleurs et un taux de créatine qui l’oblige à s’hydrater et à uriner régulièrement. Dans de telles conditions, il a, très logiquement, refusé l’extraction. Pourtant, en mars dernier, le tribunal administratif de Pau avait demandé à ce que sa demande d’être rayé du répertoire des DPS soit examinée au plus vite. Sans succès, le ministère de la Justice campant sur ses positions. Une « position ferme » de l’administration pénitentiaire qu’a dénoncée le Contrôleur général des lieux de privation de liberté qui traduit, selon lui, « un net déséquilibre entre les droits fondamentaux de la personne détenue et la sécurité ». Pourtant, ce détenu, depuis qu’un cancer des poumons a été diagnostiqué le 4 août 2008 (et qui n’a été soigné que cinq mois plus tard), a besoin de subir, dans le cadre d’une chimiothérapie, des extractions régulières à l’hôpital. Son combat, poursuit son conseil, « est bien d’accéder aux soins les plus pointus pour pouvoir continuer à vivre et c’est ce que lui contestent le ministère public et l’administration pénitentiaire en lui limitant de fait l’accès aux soins ou plutôt en le lui autorisant dans des conditions insupportables, en raison du maintien de son statut de DPS ». Un statut qui le voit flanqué à chaque fois de « 20 à 30 personnes de la gendarmerie et des équipes régionales d’intervention et de sécurité jusque dans les lieux de soins », dénonce son avocat.

La crise de la pastille

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Incarcéré à Fleury-Mérogis depuis décembre 2007 et constatant depuis plusieurs mois une dégradation de ses fonctions respiratoires, un détenu vient de demander une expertise au juge administratif, soupçonnant les pastilles chauffantes vendues par l’administration pénitentiaire (AP) d’en être à l’origine. Le soupçon se nourrit de différentes études et préconisaDedans Dehors N°69 Juillet 2009

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Des conditions indignes dont l’OIP a rappelé qu’elles avaient valu à la France d’être condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme pour traitement inhumain à raison du maintien en détention d’un prisonnier atteint d’un cancer et de l’utilisation de menottes et d’entraves pendant ses extractions vers l’hôpital. Si les deux expertises demandées par le juge d’application des peines ont estimé son état de santé compatible avec la détention, le médecin de la maison centrale où il est incarcéré a bien précisé que cette dernière « n’est pas adaptée à cet état clinique et aux risques de complications de ce type de traitement ». Quant au commandant du groupement de gendarmerie, il a lui-même reconnu, lors d’une réunion en février à la préfecture que « la qualité de DPS ne permet aucune souplesse au dispositif. Compte tenu du moment de l’intervention et des impératifs du service, un délai de 20 minutes à une heure sera nécessaire pour mettre en place l’escorte ». Tant les conditions d’extraction que d’hospitalisation sont éprouvantes pour ce détenu dont l’inquiétude, comme l’a confié sa mère à La Dépêche, c’est « de mourir en prison alors qu’il n’a pas été condamné à mort et qu’il lui reste trois ans et demi à purger dans le meilleur des cas, un peu plus de huit dans le pire ». Si, pour elle, « l’enjeu est politique », la confrontation est plutôt carcéro-carcérale. En témoigne une « fiche de comportement » d’un détenu où, malgré l’éloignement entre sa famille et son lieu d’incarcération, il est noté qu’« il n’a pas à ce jour adopté de positions radicales comme avaient pu le faire » un certain nombre de détenus, dont E.A… Pas étonnant alors de voir un ancien braqueur qui avait tenté de s’évader subir, après les fameuses « rotations de sécurité », des hospitalisations avec menottes et entraves. Dernièrement, le juge administratif a fait volte-face et rejeté une nouvelle demande pour que ce détenu puisse ne plus être répertorié comme DPS. En conséquence, un recours auprès du Conseil d’État vient d’être déposé. (AFP, La Dépêche)

tions qui n’ont toujours pas conduit l’AP à retirer de la vente les dites pastilles. Dès 2005, sollicité par l’UCSA de la maison d’arrêt, le centre antipoison de Paris avait pourtant pointé la dangerosité du gaz issu de leur combustion – le formaldéhyde – à l’origine « d’eczéma, d’urticaire, de rhinoconjonctivite et d’asthme allergique ». Une substance que le centre international de recherche sur le cancer juge par ailleurs cancérigène, mutagène et reprotoxique. En juillet 2005, saisi par la Direction générale

de la santé, l’Institut national de veille sanitaire avait estimé à son tour que les pastilles pouvaient présenter un risque majeur pour la santé (car dégageant en outre de l’ammoniac, des oxydes d’azote et de carbone) et conclu qu’elles « ne devraient pas être utilisés en atmosphère confinée ». En vain. Alors que le rapport d’activité 2007 de la maison d’arrêt de Fresnes mentionne que l’utilisation de ses pastilles « pose problème », l’AP s’est contentée de diffuser, en avril 2008, une notice d’utilisation

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de facto qui rappelle l’importance d’aérer la cellule et de se tenir à distance du réchaud. Pourtant, elle sait parfaitement que les cellules ne sauraient être aérées convenablement et que les détenus continuent d’utiliser ces pastilles pour cuisiner et non pas seulement pour réchauffer des boissons et des plats. Et pour cause : les « chauffes » sont interdites et le circuit électrique de bien des établissements pénitentiaires, du fait de sa vétusté, ne permet que rarement l’utilisation de plaques chauffantes. (OIP)

Condamné à indemniser des détenus, l’État fait appel

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Une « bombe », d’après Me Etienne Noël, correspondant de l’OIP. En effet, le 7 mai dernier, le tribunal administratif de Rouen a condamné en référé l’État à verser à trois détenus 3 000 euros chacun, à titre de provision, parce qu’ils étaient incarcérés « dans des conditions n’assurant pas le respect de la dignité inhérente à la personne humaine ». Ils sont en effet incarcérés depuis deux ans à la maison d’arrêt « Bonne Nouvelle » - un édifice ouvert en 1864 et comptant entre 700 et 850 détenus pour 650 places – dans des cellules ne disposant pas de « ventilation spécifique du cabinet d’aisance ni de cloisonnement véritable avec la pièce principale ». Et le tribunal de dénoncer la « promiscuité et l’absence de respect de l’intimité » mais aussi un « manquement aux règles d’hygiène et de salubrité », les toilettes étant situées « à proximité du lieu de prise des repas » dans des cellules où s’entassent entre deux et trois détenus pour une superficie comprise entre 10,80 et 12,36 m2. Comme le raconte l’un des plaignants : « Les sanitaires ont une paroi en PVC avec deux portes battantes pour me cacher des regards, mais, malheureusement, pas des odeurs. Les bactéries se multiplient et vivent dans cette pièce ». De fait, le tribunal a très logiquement suivi une première décision qu’il avait pris en mars dernier, se fondant sur une expertise datant de 2006, estimant en outre qu’il y avait « une infraction au règlement sanitaire départemental qui s’impose dans tous les lieux publics », a indiqué Me Noël. Droit dans ses bottes, le ministère public avait demandé le rejet de la requête, l’estimant « irrecevable », notamment en raison de « l’absence de certitude quant au préjudice subi ». Sans

surprise, l’administration pénitentiaire a fait appel de cette condamnation. L’affaire sera donc rejugée par la cour administrative d’appel de Douai. Etienne Noël ne désarme pas puisqu’il attend un rapport d’expertise, commandité en janvier dernier, sur la qualité de la nourriture servie en cellule. La décision de la cour administrative d’appel devrait tomber à la mi-juillet. Et si la condamnation était confirmée, nul doute que d’autres détenus pourraient s’en emparer pour faire valoir leurs droits. (OIP, Afp, Paris Normandie)

Mutinerie à Amiens

5 Dix-sept détenus ont participé, vendredi 19 juin (le jour de l’arrivée du tour de France Pénitentiaire à Charletty), à une mutinerie. Vers 17 heures, ils ont refusé de remonter de promenade, réclamant des réfrigérateurs et des heures supplémentaires de promenade. Bilan : une intervention vers 23 heures des équipes régionales d’intervention et de sécurité, transfert des trois « meneurs » vers d’autres établissements et placement à l’isolement d’un autre détenu. Comme l’a rappelé la CGT Pénitentiaire, la maison d’arrêt d’Amiens compte plus de 700 détenus pour 320 places. Par ailleurs, toujours d’après ce syndicat, ce mouvement aurait été porté par des détenus venant d’autres établissements et ayant connu d’autres conditions de détention. « C’est le problème en France, a souligné le délégué Luc Rody. Aucun établissement n’a la même réglementation. » Ce mouvement a valu à la directrice de la maison d’arrêt le courrier d’un syndicaliste qui, constatant que « les listes de produits pouvant être cantinés comportent des produits frais pour lesquels la chaîne du froid doit être respectée », écrit : « Il ne m’apparaît pas illégitime de poser la question des conditions ultimes de leur conservation. Si votre réponse ne peut être que celle de les envoyer au frais au fond de l’un de vos mitards crasseux et destinés à réduire la personne qui peut y être placée à la plus simple expression de son animalité (manger, dormir, déféquer, tourner en rond) sans possibilité de « cantiner » alors je ne peux que vous suggérer de changer le slogan de vos campagnes de recrutement qui soulignait que « la prison change – changez là avec nous ! »… (OIP, Afp)

Violé en prison, un détenu attaque l’État

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Dans Var Matin, Me Didier Hollet ne mâche pas ses mots : « Mon client paie durement la défaillance du service pénitentiaire. Il a été placé dans la même cellule qu’un autre détenu réputé dangereux et poursuivi pour viol aggravé. L’administration a sa part de responsabilité dans cette affaire. J’en ai ras-le-bol d’entendre parler de brimades, de jeux sexuels, de viols en prison de la part de codétenu. Il y a un moment où il faut agir. L’État doit assurer la sécurité des personnes placées sous sa surveillance ». Le 4 septembre 2008, un détenu, poursuivi dans le cadre d’une affaire de vol, est placé en détention provisoire à la prison de La Farlède (Toulon). Et, le soir même, pris à partie par son codétenu dès son entrée dans la cellule puis au cours d’une promenade, il se fera violé par ce dernier, sous la menace d’une lame de rasoir. L’examen médical confirmera, outre les nombreuses estafilades, le viol. Son avocat vient donc d’adresser une demande préalable au garde des Sceaux, en préambule à un recours contentieux, visant à reconnaître la responsabilité de l’administration pénitentiaire pour faute lourde. En effet, outre le fait d’avoir été placé dans la même cellule qu’un détenu poursuivi pour viol aggravé et qui, d’après l’avocat, « s’est déjà exhibé devant d’autres détenus et a été sanctionné » pour cela, le plaignant aura appuyé vingt-deux fois sur l’interphone réservé aux appels d’urgence. En parallèle, une procédure pénale est en cours, une information ayant été ouverte pour viol, la commission d’indemnisation des victimes d’infractions ayant été également saisi, le détenu et son conseil réclamant 75 000 euros. « Le ministère a deux mois pour donner les suites nécessaires à ma demande, nous a expliqué e M  Hollet. Je m’appuie, entre autres, sur la décision du tribunal administratif de Rouen de 1999, qui, à ma connaissance, n’a pas été contestée ». Le 16 mars 1999 – année où le directeur de la maison d’arrêt de Laon avait été suspendu suite au viol d’un détenu – le tribunal administratif de Rouen avait condamné l’État pour des faits analogues. En attendant, le détenu a changé d’établissement… (OIP, Var Matin) Dedans Dehors N°69 Juillet 2009

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Questions de santé… et de procédures Handicap et suspension de peine

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Lors du colloque organisé par l’OIP le mois dernier, une personne en fauteuil roulant apostrophe les politiques présents : « Si j’ai pu sortir de prison, cela veut dire que les 5 000 personnes handicapées actuellement en prison peuvent le faire aussi ». Et, en effet, la décision à l’appui de la suspension de peine dont cet homme vient de bénéficier est susceptible d’intéresser nombre d’autres détenus. Elle est l’œuvre de la cour d’appel de Douai et date du 17 avril. La cour a estimé que, même si le pronostic vital n’était pas engagé, ce détenu paraplégique et souffrant d’une « fistule anale et d’escarres », nécessitait « des soins (sondages urinaires, touchers rectaux) dans un local aménagé ». Elle a considéré son état de santé comme « compatible avec une incarcération à la condition que les locaux soient adaptés à une personne se déplaçant en fauteuil roulant », mais constaté dans le même temps que la prison où il était incarcéré était « parfaitement inadaptée » en ajoutant qu’« il est par ailleurs établi qu’aucun établissement pénitentiaire adapté à l’état de santé » de ce détenu était « susceptible d’accueillir ce dernier ». En conséquence, la cour a ordonné, en vertu de l’article 720-1-1 du code de procédure pénale, la suspension de peine de cet homme et sa remise en liberté.

Myopathie et suspension(s) de peine

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Un autre détenu, lui, a été remis en liberté suite à un arrêt le 2 juin dernier de la cour d’appel de Versailles. En effet, le 18 mai 2004, il avait bénéficié d’une suspension de peine médicale, deux experts ayant conclu à une « dystrophie musculaire facio-scapulo-humérale avec destruction des fibres musculaires, troubles de la respiration, apnées du sommeil, atrophie musculaire », s’acheminant vers « une paralysie inéluctable des quatre memDedans Dehors N°69 Juillet 2009

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bres, du tronc et des muscles respiratoires ». Mais, en 2006, comme il est tenu de le faire, le juge d’application des peines a demandé une nouvelle expertise. Sans se prononcer (contrairement aux précédentes) sur la compatibilité avec l’incarcération, celle-ci a confirmé que le détenu souffrait d’une « myopathie » pour l’instant modérée mais qui s’acheminera – quand bien même cette évolution sera « lente » – vers une « paralysie des membres avec nécessité de déplacements en fauteuil roulant avec troubles respiratoires ». Le 17 octobre dernier, le même expert a conclu à la compatibilité de son état de santé avec la détention, en le soumettant à un examen neurologique annuel et en lui confiant un appareil pour l’apnée du sommeil. Si l’expert estime qu’il aura « du mal à utiliser un fauteuil roulant compte tenu de l’absence de force dans les bras », il juge que le détenu « a tendance à exagérer » ! En conséquence, le JAP, refusant une nouvelle expertise, a mis fin à la suspension de peine. Le détenu a donc été réincarcéré le 12 janvier dernier. Quant à elle, la cour d’appel de Versailles, « considérant qu’il est incontestable que la maladie dont est atteint » le détenu « ne peut que s’aggraver » et soulignant « qu’il apparaît contraire à la dignité humaine de maintenir en détention un condamné qui se retrouve à ce jour isolé en cellule dans une maison d’arrêt surchargée, où il ne peut ni sortir ni s’occuper », a ordonné sa remise en liberté.

Schizophrénie et (non) suspension de peine

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En revanche, le 14 mai dernier, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a rejeté la demande de remise en liberté d’un détenu schizophrène incarcéré aux Baumettes à Marseille. Pourtant, celui-ci souffre d’une psychose chronique de type schizophrénique, se manifestant par des troubles hallucinatoires et délirants. Suivi depuis l’âge de 13 ans, il a été hospitalisé en psychiatrie entre 1996 et 2004. Las, le

17 octobre 2005, purgeant une peine de deux mois de prison pour atteinte aux biens, il a été mis en examen pour avoir mis le feu à la cellule qu’il partageait avec un codétenu, un incendie entraînant la mort de ce dernier. Bien que deux expertises aient fait valoir qu’il souffrait « d’un trouble psychiatrique ayant dans une large part altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes », estimant qu’il « ne semble pas accessible à la sanction pénale » et qu’une « stabilisation des troubles » ne pouvait être espérée qu’à « l’aide d’un traitement neuroleptique voire d’une hospitalisation en UMD » (unité pour malade difficile), il a été condamné à dix ans de prison le 13 novembre dernier. Son avocat a fait appel et demandé sa remise en liberté, son maintien en détention constituant un traitement inhumain. En effet, durant toute la durée de l’instruction, il a été affecté au sein d’un service médico-psychologique régional (SMPR), dont il a été extrait par ailleurs pour de nombreuses hospitalisations d’office. Et, dernièrement, malgré le diagnostic d’une « recrudescence anxieuse avec mise en avant de ses idées délirantes et anciennes », il a été réintégré le 17 mars à la prison de Marseille, puis au SMPR avant d’être plaer cé, du 23 mars au 1  avril, en détention normale. Des va-et-vient qui ne peuvent que lui être préjudiciable. Et un maintien en détention qui – outre qu’il contrevient à l’article D 398 du code de procédure pénale et à la jurisprudence européenne (CEDH Rivière c. France, 11 juillet 2006) – est des plus problématiques. En effet, en mai 2006, au SMPR des Baumettes, on ne trouva rien de mieux que de le placer en cellule avec un détenu, qui, dépressif, venait de mettre le feu à sa cellule ! Une décision totalement absurde qui déboucha sur une altercation avec les surveillants, comme en témoigne une saisine récente de la Commission nationale de déontologie de la sécurité. Tout cela n’a pas empêché la cour d’appel d’Aixen-Provence de rejeter sa demande de remise en liberté. Son avocat s’est donc pourvu en cassation. (OIP)

de facto


dossier « L’état de nos prisons, nous le savons tous, est une honte pour notre République ». N’en déplaise à l’administration pénitentiaire, le constat, fait par Nicolas Sarkozy devant le Congrès réuni à Versailles, est indéniable. La situation carcérale française reste cette « humiliation » dont prirent conscience les parlementaires au fil des travaux de leurs commissions d’enquêtes en 2000. Un monde d’exception pour l’État de droit et d’exclusion pour les droits de l’homme dont les multiples rapports nationaux ou internationaux n’ont eu de cesse depuis lors de démontrer la persistance. Un désastre humain et social dont le premier rapport

Pour que cesse la « honte »

Des prisons sans peine, des peines sans prison annuel du Contrôleur général des lieux de privation de liberté atteste qu’il perdure près de dix ans après. S’il ne fait aucun doute que « l’état de nos prisons est une honte », il est certain que l’injonction du président de la République – en « construire de nouvelles » – ne saurait être présentée comme une solution crédible pour résorber la surpopulation. Et encore moins comme un renversement de perspective pour ce qui est de la condition pénitentiaire. De fait, la politique pénale centrée sur l’emprisonnement dont il est l’artisan et la politique pénitentiaire concentrée sur la construction de prisons dont il est partisan sont les deux faces d’une même pièce qui a tout du mauvais vaudeville et de la monnaie de singe. En effet, la multiplication des peines d’emprisonnement ne protège pas plus la sécurité dehors que l’extension infinie du nombre de places de prison ne garantit la dignité dedans. Le réquisitoire présidentiel sur l’indignité dans laquelle vivent les détenus et l’impasse qui consisterait à attendre qu’ils se réinsèrent dans ces conditions appelle une réforme qui ne se borne pas à l’amélioration éphémère des conditions matérielles dans lesquelles s’effectue la peine privative de liberté. Disparue de l’agenda politique en 2001, la révolution culturelle et juridique qu’appelait de ses vœux le rapport Canivet a laissé place en 2002 à une idéologie répressive et punitive. Un tournant dont l’administration pénitentiaire a su tirer profit. Au prétexte de la diversification croissante des populations incarcérées et de l’hétérogénéité des longueurs de peines prononcées, elle a impulsé en toute illégalité une profonde évolution de ses modes de gestion de la détention basée sur l’instauration des régimes différenciés. Là réside le seul objectif que l’institution poursuit au travers de son projet de loi pénitentiaire : consacrer le caractère discrétionnaire de ses décisions et introduire une rupture dans le principe de l’égalité des droits des détenus. Autrement dit perpétuer le règne de la carotte et du bâton. Pour que cesse la « honte », il faut poser l’exigence d’une « prison sans peine » et ouvrir le débat d’une « peine sans prison ». C’est précisément ce à quoi nous invitent les Règles pénitentiaires européennes dont le respect de la lettre et de l’esprit impose de ne pas les détacher de l’ensemble des recommandations du Conseil de l’Europe. C’est dire si la condamnation pour traitement inhumain et dégradant que vient d’infliger à la France la Cour européenne des droits de l’homme est opportune pour dissiper définitivement la double illusion d’une « institution qui se réforme » et d’une « prison qui change ». Patrick Marest


dossier

Déconstruction d’un discours (présidentiel) Il y a la « honte », bien sûr. Mais il y a aussi et surtout ce que le discours de Nicolas Sarkozy entend légitimer : le lancement d’un nouveau programme de construction de prisons. Une annonce dont le président de la République tente habilement de camoufler le dessein : poursuivre et amplifier une politique pénale dont l’alpha et l’oméga est l’emprisonnement.

Pour Nicolas Sarkozy, les prisons sont une « honte », il faut donc en construire d’autres... (© Marc Pirrone)

F

aut-il comprendre que Nicolas Sarkozy regardait Canal + le 14 novembre 2006 ? Et qu’il n’est pas resté totalement insensible au documentaire « la Honte de la république » diffusé par la chaine cryptée ce soir-là, en conclusion d’une quinzaine de jours d’une programmation spéciale sur les prisons… On se souvient de son plaidoyer, quelques semaines plus tard, le 13 février 2007, dans la foulée de sa réponse aux États généraux de la condition pénitentiaire, à l’occasion de sa visite à la prison pour femmes de Rennes : « La prison doit changer, la prison va changer ! ». Un engagement qui a fait long feu. Tant les actes de l’élu n’ont eu depuis que peu à voir avec les paroles du candidat. Et le discours de l’été 2009 devant le Congrès, s’il reprend les accents de l’indignation, ne laisse aucun doute sur la nature de la feuille de route imposée à la nouvelle équipe en charge de la justice, des libertés et des Sceaux : construire des prisons.

« Une nécessité morale » ! Versailles. Le lieu est solennel. Le discours ne l’est pas moins. Le début de l’intervention est certes classique : « Le débat sur la liberté ? C’est aussi le débat sur la sécurité, sur les prisons, Dedans Dehors N°69 Juillet 2009

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estime le président de la République. Quelle est la liberté de celui qui a peur de sortir de chez lui ? Quelle est la liberté pour les victimes si leurs agresseurs ne sont pas punis ? Comment peut-on parler de justice quand il y a 82 000 peines non exécutées parce qu’il n’y a pas de places dans les prisons ? » La suite, elle, en revanche, moins convenue : « Comment accepter à l’inverse que la situation dans nos prisons soit aussi contraire à nos valeurs de respect de la personne humaine. La détention est une épreuve dure. Elle ne doit pas être dégradante. Comment espérer réinsérer dans la société ceux qu’on aura privés pendant des années de toute dignité ? » Et le chef de l’État d’asséner en conclusion : « L’état de nos prisons, nous le savons tous, est une honte pour notre République quelque soit par ailleurs le dévouement du personnel pénitentiaire Il nous faut construire des places de prisons et d’hôpitaux pour les détenus souffrant de troubles psychiatriques. C’est une nécessité pour la liberté de tous. C’est une nécessité morale. » Une nécessité morale ? Assurément la situation des prisons au regard du droit et des droits est déshonorante pour la démocratie française. Pourtant, la nécessité de restaurer la dignité des hommes et des femmes qui y croupissent – et par la même, celle des personnels qui y travaillent – ne saurait être satisfaite par la seule amélioration des conditions matérielles de détention, à laquelle ne parvient que très temporairement l’ouverture de quelques établissements neufs. Certes, la décision de construire des prisons nouvelles pourra être jugée salutaire dès lors, comme ce fut le cas quand la gauche gouvernait, qu’il s’agit moins d’augmenter le nombre de places dont on dispose que de substituer à des cloaques révoltants un cadre un peu plus conforme au minimum de décence requis. Sauf que là, la démarche confine au cynisme tant elle ne vise qu’à soutenir une politique pénale centrée plus que jamais sur le recours systématique à l’emprisonnement et que risquerait de paralyser l’embolie du système carcéral. La morale n’a décidément rien à voir là dedans.


pour que cesse la honte des prisons sans peine, des peines sans prison « 82 000 peines non exécutées » Il n’est qu’à voir, pour s’en convaincre, le postulat de départ du chef de l’État pour justifier son annonce d’un nouveau programme de construction de prison. Nicolas Sarkozy argue de l’existence de « 82 000 peines non exécutées ». Un chiffre tiré d’un rapport de l’Inspection générale des services judiciaires qui aura fait bondir l’ensemble des acteurs de la Justice. Outre que le nombre réel de condamnations non mises à exécution est bien moindre – quelques dizaines de milliers tout au plus comme le rapporte le site d’information Mediapart – il ne s’explique en rien par un quelconque déficit en place de prisons mais, pour l’essentiel, par des considérations purement juridiques, au demeurant fort pertinentes… voire par l’absence de moyens pour actualiser les adresses des condamnés ou pour les retrouver. Qu’importe, plus c’est gros, plus ça passe. En ces temps de crise propices au populisme, tout semble bon pour faire trembler dans les chaumières. Le président de la République sait faire. Et il ne s’en prive pas. Y compris dans le registre subliminal. À l’écouter ce ne sont pas moins de 80 000 condamnés qui demeurent en toute liberté, lâchés dans la nature… On n’est pas si loin d’autres registres démagogiques. Par exemple, celui de Jean-Marie le Pen qui s’époumone depuis dix ans à demander la construction en urgence de 100 000 places de prisons, « pour assurer la sécurité des Français ». L’analyse du propos du chef de l’État et de sa portée réelle appelle donc une déconstruction de son discours. Dans ce qu’il dit comme dans ce qu’il ne dit pas. Et dans ce qu’il dit sans le dire. D’emblée, on notera qu’à aucun moment, le président ne parle de la loi pénitentiaire. Un vent pour Rachida Dati et un

camouflet pour l’administration pénitentiaire (AP). De fait, c’est cette dernière qui fait les frais de la rhétorique choisie par Nicolas Sarkozy. En effet, il est notoire que depuis sa prise de fonction en février 2006, l’actuel directeur de l’AP, Claude d’Harcourt, ne supporte rien moins que d’entendre ici ou là, un peu partout, ce « discours de la honte ». Dans un texte paru au printemps dernier dans la revue Commentaire, Jérôme Filippini, sa « tête pensante », enjoint donc de « dépasser » ce discours, qui ne serait que « le reflet de la haine de soi qu’éprouve une démocratie qui n’assume pas de porter en elle une fonction répressive ». Pour ne pas dire « le caractère d’une pensée au fond stérile sur le rôle, la place et les moyens de la prison dans une société démocratique ». Voire : « au mieux l’exutoire des prurits d’indignation, au pire le paravent du cynisme ». Et l’homme lige d’excommunier la « honte » du vocabulaire contemporain car elle « n’est jamais un guide efficace pour l’action ». Le crédo de la Direction de l’administration pénitentiaire ? « Assumer la prison pour la changer ». Filippini est presque lyrique dans sa conclusion : « Si notre démocratie parvenait, sinon à aimer, du moins à assumer la prison, alors on peut être sûr que la prise en charge des personnes détenues et le travail de ceux qui s’y consacrent seraient grandement facilités. Sans ce changement de regard, on peut craindre que la condition carcérale reste prisonnière des faux semblants qui rassurent à bon compte et anesthésient l’action ». Si l’on n’imagine sans peine que Nicolas Sarkozy est étranger au moindre scepticisme quand à la pertinence de l’emprisonnement et qu’il partage cette ambition de réconcilier la Nation avec ses prisons, force est de constater qu’il n’en adopte pas pour autant le même axiome de base. Peut-être a-t-il simplement compris ce

La France condamnée pour « traitement inhumain et dégradant » Il n’y a pas que l’état des prisons qui peut être qualifié de « honte » pour notre République. Il y a aussi la façon dont est gérée la détention des personnes condamnées à de longues ou de très longues peines. Ainsi, la France vient d’être condamnée, le 9 juillet dernier, par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) pour « traitement inhumain et dégradant ». Depuis le début de son incarcération, Cyril Khider, inscrit au répertoire des détenus particulièrement signalés, a subi pas moins de quatorze transferts. Dans le même temps, il a été placé à l’isolement plusieurs mois durant et a subi, tout au long de sa détention, des fouilles corporelles intégrales et régulières. Alors que le Conseil d’État a annulé en février 2008 le système des rotations de sécurité, la CEDH a estimé que les transferts subi par Cyril Khider ont créés chez lui « un sentiment d’angoisse quant à son adaptation dans les différents lieux de détention et la possibilité de continuer de recevoir les visites de sa famille » et ont rendu « quasi impossible la mise en place d’un suivi médical cohérent sur le plan psychologique ». La Cour va plus loin : face à la « dégradation de l’état de santé psychologique et somatique du requérant », elle a dénoncé tant la mise à l’isolement, à plusieurs

reprises et sur de longues périodes, que le « caractère répété » des fouilles qui lui étaient imposées. Qui, outre qu’elles « ne paraissent pas être justifiées par un impératif convaincant de sécurité, de défense de l’ordre ou de prévention des infractions pénales », ont été « de nature à créer en lui le sentiment d’avoir été victime de mesures arbitraires », accentuant « son sentiment d’humiliation et d’avilissement ». La Cour a également condamné la France en raison de la violation du droit à un recours effectif et a prévenu qu’elle allait examiner les requêtes contre la France de deux autres détenus sur la conformité du régime disciplinaire des détenus au principe du procès équitable et sur la compatibilité des modalités d’intervention des ERIS (les unités spéciales d’intervention) avec l’interdiction des traitements inhumains et dégradants. En conséquence, l’OIP appelle de ses vœux une réorientation radicale de la gestion de la détention des personnes condamnées à de longues peines. Et constate, outre les carences en la matière du projet de loi pénitentiaire, le fait que ce dernier va accentuer le pouvoir discrétionnaire de l’administration pénitentiaire de porter atteinte aux droits fondamentaux des détenus, en contradiction totale et flagrante avec la jurisprudence européenne. Floralie Quentin Dedans Dehors N°69 Juillet 2009

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dossier Pour le sénateur UMP Jean-René Lecerf : « En 2012, on aura 64 000 places et ça suffit, il faudra se débrouiller avec »

© D.R.

que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté – qu’il a nommé – dit quant à lui parfaitement comprendre, à savoir que la « France captive » ne puisse « se défaire d’un certain sentiment d’arbitraire ». Ce que la direction de l’AP refuse maladivement d’entendre. Et encore moins de changer. En témoignent tant la résistance qu’elle a opposée à toute modification du contenu de « sa » loi pénitentiaire lors de son passage au Sénat que les réactions épidermiques que provoquent chez elle les critiques récurrentes de Jean-Marie Delarue.

faire savoir que cette « prison de demain » est en « contravention avec les règles européennes qui prévoient un détenu par cellule ». Mais, comme le souligne un représentant de la CGT Pénitentiaire : « Ces établissements étant gérés par des entreprises privées, elles ont tout intérêt à les remplir ». Une analyse que réfute l’administration pénitentiaire qui préfère s’enorgueillir d’avoir mis un terme aux pénalités versées aux « partenaires » privés en charge des établissements à gestion mixte quand le taux de surpopulation dépassait les 120 %. Au point d’entendre son directeur déclarer : « Nous avons supprimé cette clause et la surpopulation est maintenant répartie plus équitablement ». La surpopulation est maintenant répartie plus équitablement ! Sans commentaire.

« À mesure que les constructions s’étendent, le nombre de prisonniers augmente »

« La surpopulation est aussi un problème qualitatif »

La logique consistant à multiplier les programmes de construction de nouvelles prisons pour augmenter la capacité d’accueil du parc pénitentiaire français doit faire face à de farouches oppositions. Dans Nord Eclair, Jean-René Lecerf, le rapporteur au Palais du Luxembourg de la loi pénitentiaire, sentant venir ce type de fuite en avant a prévenu : « Il faut finir le plan Perben qui prévoit la construction de 13 200 places. On aura ainsi 64 000 places et ça suffit, il faudra se débrouiller avec ! » Pas simplement parce qu’une nouvelle place de prison coûte en moyenne selon lui « 106 400 euros ». Mais parce que, depuis 1987, les programmes immobiliers qui se sont succédés (Chalandon 13 000 places, Méhaignerie 4 000, Perben 13 200) n’ont fait que confirmer l’adage qui veut que « plus on construit, plus on remplit », ne permettant en rien de résorber la surpopulation carcérale. Comme le rappelle Jean-René Lecerf dans son rapport : « Déjà en 1830, le ministre de l’intérieur constatait, dans son rapport à la Société Royale des prisons, qu’“à mesure que les constructions s’étendent, le nombre de prisonniers augmente” ». D’autant que les derniers établissements, livrés à la hâte dans le cadre d’un PPP (partenariat public-privé) ont montré toutes leurs limites. Parce que l’on a affaire à de véritables usines carcérales, alors même que tous les acteurs plaident pour des lieux de détention « à dimension humaine ». Un point de vue partagé par Jean-Marie Delarue qui prévient : « On doit réfléchir soigneusement avant de jeter des plans d’équipement à venir, à la fois à la conservation d’établissements de taille modeste et à la dimension des établissements neufs ». En clair, il demande la reconfiguration de la dizaine d’établissements dont l’ouverture est programmée d’ici 2012 avec une contenance moyenne de 650 places. D’autant plus que ces « nouvelles » prisons sont d’emblée flanquées de centaines de lits supplémentaires au point de démultiplier leur capacité d’accueil. Lors de la dernière ouverture en date, celle du centre pénitentiaire de Nancy-Maxéville, l’Ufap n’a pas manqué de Dedans Dehors N°69 Juillet 2009

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Autre aspect : quel sera le financement de ces nouvelles prisons ? À l’issue de sa visite à Fresnes, la nouvelle garde des Sceaux, Michèle Alliot-Marie a laissé entendre que le nouveau programme de construction, comme la rénovation d’un certain nombre d’établissements vétustes, pourraient être financés par le « grand emprunt » annoncé le même jour par le président de la République. Il est manifeste que la nouvelle locataire de la place Vendôme est aussi peu au fait de ce qu’est la prison (Claude d’Harcourt s’est vu obligé de lui expliquer ce qu’étaient le « yoyotage » et les « caillebotis ») que des règles de base de l’économie de ce genre d’opérations. Une méprise immédiatement corrigée par le premier ministre, François Fillon répliquant qu’il n’était « pas question de financer ainsi des places de prison », car « ça, c’est du tout venant ». De l’ordinaire. Qui relève d’un financement par un « partenariat public privé » où l’État loue pendant des décennies une prison bâtie et gérée par le privé pour, à terme, devenir propriétaire d’une ruine… En tout état de cause, comme l’a alors soulignée Michèle AlliotMarie en tentant de se rattraper, le problème de la surpopulation « est aussi un problème qualitatif ». Certes. Le sénateur UMP Jean-René Lecerf ne dit d’ailleurs rien d’autre dans son rapport sur le projet de loi pénitentiaire : « L’accroissement des capacités des établissements pénitentiaires a vocation à répondre à la surpopulation actuelle. Il est impératif qu’il ne s’accompagne pas d’une nouvelle augmentation de la population pénale », écrit-t-il. À cet égard, les prévisions de l’administration pénitentiaire selon lesquelles l’effectif de détenus pourrait atteindre 80 000 dès 2012 ne laissent pas d’inquiéter. Les commissions d’enquête parlementaires du Sénat et de l’Assemblée nationale avaient précisément souhaité « rompre le cercle vicieux entre l’accroissement du nombre de détenus et l’augmentation des capacités d’accueil en prison ». Et de conclure : « L’une des clefs de cette rupture se trouve dans l’évolution des politiques pénales ». En la matière, tout reste à faire. Ou plutôt à défaire. Sébastien Daniel


pour que cesse la honte des prisons sans peine, des peines sans prison

La justice sous tension

Une politique pénale « libérale-autoritaire » Depuis près de dix ans la politique pénale n’a eu de cesse de remplir les prisons, l’incarcération restant au centre du dispositif pénal, tel un mètre-étalon. De fait, on assiste à l’instauration d’un « nouveau modèle de justice néolibérale » voire « libéral-autoritaire » qui, au nom de la sécurité et de l’efficacité, fait tourner à plein régime le système judiciaire. Au risque de l’implosion.

«J

’ai toujours dit que la sécurité était une chaîne », a tonné dernièrement, à l’Assemblée nationale, la nouvelle ministre de la Justice « et des libertés », Michèle Alliot-Marie. Son parcours, en soit, est éloquent : en quelques années, elle sera passée de la Défense à l’Intérieur avant de s’occuper de la justice et des prisons. S’il n’est pas besoin

Sans commentaire... (© D.R.)

d’être marxiste-léniniste pour convenir avec le père de la révolution russe que « la solidité d’une chaîne dépend de son maillon le plus faible », il faut être grand clerc pour savoir qui, de la police, de la justice ou de la prison, est « le maillon faible ». Ce qui est sûr, c’est que la chaîne est soumise à des tensions de plus en plus importantes. Et ça grince. Explosion du nombre de gardes à vue (un demi-million l’an dernier), engorgements des tribunaux et, en bout de chaîne, renforcement de la surpopulation carcérale. On appelle cela le principe des vases communicants, auquel s’ajoute une convergence de vues et d’objectifs sans laquelle la « chaîne de sécurité » risquerait de craquer.

La prison au centre du dispositif pénal Car, de fait, politique pénale et politique pénitentiaire sont intimement liées. Et comment pourrait-il d’ailleurs en être autrement dès lors que la direction des affaires criminelles et des grâces et la direction de l’administration pénitentiaire dépendent toutes deux du même ministère. Certes, en dernière instance, le fournisseur patenté des prisons, ce sont les tribunaux. Et leur commanditaire est le législateur, qui forge la loi qu’appliquent les juges. Avec, dans son dos, la statue du commandeur, l’exécutif : officiellement, le gouvernement, officieusement, le locataire de l’Elysée. L’ex « premier flic » de France. Ainsi, depuis près de dix ans (avec, comme tournant symbolique, le 11 septembre 2001), la France n’a cessé de renforcer un arsenal répressif qui, plus que jamais, met la prison au centre du dispositif pénal. Au nom de l’antiterrorisme, au moindre fait divers et à la faveur de quelques campagnes électorales, les lois sécuritaires et les dispositifs punitifs se sont multipliés : loi Perben 2, LOPSI 2, peine-plancher, lutte contre la récidive, rétention de sûreté… Sans parler de la refonte à venir de la justice des mineurs. Dernier exemple en date ? La loi Estrosi, ressuscitant une législation de sinistre mémoire, la loi « anticasseurs » adoptée à la fin des années Dedans Dehors N°69 Juillet 2009

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dossier À en croire le numéro deux de l’administration pénitentiaire, « le juge n’a pas besoin de la loi pour être plus ou moins répressif »... soixante-dix. Puisque sera punie de trois ans de prison et de 45 000 euros d’amende le fait de « participer, en connaissance de cause » à une bande. Résultat de cette décennie placée sous le signe de l’empathie sécuritaire : « En 2001, il y avait 46 500 détenus. Aujourd’hui, on en est à plus de 68 000, constate Jean-François Beynel, le numéro deux de l’administration pénitentiaire. Comme si l’Éducation nationale avait eu à prendre en charge la scolarisation de sept millions d’élèves supplémentaires ». La prison reste donc la sanction de référence et la durée de la peine le mètre-étalon de la réponse judiciaire (et donc politique). Certes, Jean-François Beynel, citant deux affaires récentes, celle du « Chinois » (la remise en liberté en octobre 2001 d’un braqueur multirécidiviste) et celle d’Outreau, aura fait remarqué qu’« à droit constant, le “Chinois”, c’est, en quelques mois, 4 000 détenus supplémentaires et Outreau, c’est 5 000 de moins ». Assénant : « Le juge n’a pas besoin de la loi pour être plus ou moins répressif ». Sauf que ces derniers temps, il y est fortement incité car, avec ou sans loi, le juge sait qu’à chaque fois, il aura le politique dans son dos pour lui dire s’il doit être clément avec les « présumés innocents » ou intraitables avec les « forcément coupables ». Symptomatique, la « circulaire annuelle de politique pénale pour 2009 » que Rachida Dati a diffusé en début d’année à tous les parquets généraux, désignant les bons et les mauvais élèves en matière d’application des peines-plancher ou au regard du taux d’appel.

Peines-plancher, rétention de sûreté… Emblématiques en la matière sont les peines-plancher qui visent à transformer les juges en simple « presse-bouton » devant appliquer docilement le tarif prédéfini correspondant à l’infraction commise, au délit reproché. Pas étonnant, en outre, de voir la « victime » sanctifiée et brandie pour que le juge considère même les malades mentaux « pénalement responsables au moment des faits », selon l’expression consacrée. D’ailleurs, c’est un collège d’experts qui, dans le cadre de la rétention de sûreté, statuera sur la dangerosité potentielle du détenu avant de déterminer ou non s’il peut sortir de prison ou, au contraire, subir les affres de la rétention, cette « prison après la prison ». De fait, rarement on aura autant demandé au juge de rendre des comptes. Et rarement on se sera autant méfié de lui, comme de l’institution qu’il représente, la Justice. En témoignent les premières pistes du comité Léger sur la réforme du code pénal et du code de procédure pénale : la suppression du juge d’instruction et l’instauration du plaider-coupable aux assises. À un juge indépendant, on préfère la perspective d’un parquet aux ordres, quand bien même Nicolas Sarkozy consentirait à lui garantir une certaine forme d’indépendance. À un procès en bonne et due Dedans Dehors N°69 Juillet 2009

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forme (c’est-à-dire avec du temps devant lui, et sur le principe du contradictoire), on oppose l’efficacité d’une simple tractation, d’un « deal » : aveu de culpabilité contre peine de prison moins lourde. Mais peine de prison quand même… Cette défiance à l’égard du juge se retrouve également au niveau du volet « aménagement de peine » du projet de loi pénitentiaire. Pas étonnant que lors d’un récent colloque organisé par l’OIP, la juriste Martine Herzog-Evans ait parlé de « déjudiciarisation », les aménagements de peines devenant quasi automatiques pour les détenus dont le reliquat de peine est de moins de deux ans. Or, comme elle l’a affirmé : « Les aménagements de peine, ça marche quand il y a une sélection et une préparation. Mais quand on a affaire à des mesures automatiques, quand on jette les gens dehors sans aucune préparation, on a un taux de retour en prison important ». De fait, pour Jean-Claude Bouvier, juge d’application des peines (JAP), quand bien même faudrait-il se saisir de tous les outils pour faire sortir les gens de prison : « Les aménagements de peine se doivent d’être déconnectés tant de la question de la surpopulation carcérale que de la politique pénale ». Le JAP de Créteil rappelle ainsi qu’il n’est là pour jouer ni les plombiers

En attendant le « plaider coupable »... (© D.R.)


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Le grand bond en arrière. (© D.R.)

chargés de vidanger le trop-plein carcéral ni les VRP multicarte d’une politique pénale à la petite semaine.

Un nouveau modèle de justice Mais, comme l’a martelé Rachida Dati au Sénat en introduction du débat sur la loi pénitentiaire, cette dernière « n’est pas là pour désengorger les prisons ». Il serait d’ailleurs illusoire de croire que la politique pénitentiaire puisse « rectifier le tir » de la politique pénale. Même si la mise en avant par la place Vendôme de « sa politique d’aménagements des peines » – et particulièrement du fameux « bracelet électronique » – traduit (sans jamais l’avouer) la volonté de vouloir vider d’un côté des prisons qu’on s’évertue de remplir de l’autre. In fine, politique pénale et politique pénitentiaire tirent dans le même sens. Et ce qui va se jouer derrière les barreaux avec la loi sur les prisons n’est pas étranger à ce qui se joue en ce moment dans les tribunaux du côté de la justice. À savoir, l’instauration d’un « nouveau modèle de justice » qu’Antoine de Garapon, de l’Institut des hautes études sur la justice, qualifie de « néolibéral » voire de « libéral-autoritaire », comme il l’a démontré, dernièrement, dans la revue Esprit. Sa traduction ? « L’application de la LOLF [loi d’orientation de la loi de finance, N.D.L.R.] à la justice, la généralisation du traitement en temps réel des affaires pénales, l’introduction du plea bargaining à la française (c’est-à-dire de la possibilité pour un prévenu d’acquiescer voire de négocier sa peine avec le procureur) »… Mais aussi « les peines-plancher, la rétention de sûreté, le jugement des malades mentaux, l’institution d’un juge des victimes ». Ce modèle de justice, comme l’a développé Antoine de Garapon, s’articule autour de trois critères : « L’efficacité, une métavaleur qui prime désormais toutes les autres, le respect des choix du sujet justiciable considéré comme un acteur rationnel

vers lequel se déplace le centre de gravité de la justice et, enfin, la sécurité qui donne au tout une référence substantielle, prête à sidérer les procédures judiciaires ». En clair, c’en est fini de la justice d’antan qui prenait son temps et de la hauteur ! Au nom de la sécurité et de l’efficacité, elle doit, en temps réel et impérativement, donner une réponse à cet acteur purement rationnel (et donc hautement prévisible) qu’est le justiciable. Ou plutôt un tarif. Aujourd’hui, tout se paie. Et tout se négocie. Le plaider-coupable signe l’avènement d’une justice du troc : s’avouer coupable permettra de faire l’économie d’un procès et de quelques années de prison. Quant à la suppression du juge d’instruction, elle renforcera une justice à deux vitesses : à ceux qui en ont les moyens, les avocats capables de prouver leur innocence, aux autres les foudres d’un parquet tout puissant. Grâce à une justice tournant à plein régime, ils finiront dans une prison à deux ou trois vitesses, par la grâce des régimes différenciés. Et, si jamais était décelée la moindre once de dangerosité, les quelques « incurables » auront droit à la rétention de sûreté. Car, d’un bout à l’autre de la « chaîne de sécurité » – qui commence avec l’interpellation et finit « au mieux » avec la sortie de prison – la logique est la même : sous couvert de réponse individualisée, c’est une gestion, à flux tendu bien entendu, de stocks. Des stocks d’êtres humains déshumanisés parce que classifiés, catégorisés, attendant d’être normalisés avant d’être un jour, peut-être, relâché. Et si ça ne fonctionne pas, ils auront du moins été contenus « le temps qu’il faut ». Dans quelles conditions et avec quels desseins ? On entre là dans l’univers des tenants et aboutissants de la politique pénitentiaire. C’est-à-dire dans la réalité concrète de la vie quotidienne au fond des cachots. C’est à ce moment que l’on peut entendre, si l’on prête l’oreille, le cri du prisonnier : « Je ne suis pas un numéro, je suis un homme libre ». Sébastien Daniel

Pour la juriste Martine Herzog-Evans, « quand on jette les gens dehors sans aucune préparation, on a un taux de retour en prison important » Dedans Dehors N°69 Juillet 2009

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dossier

« Tout le monde attend la patrie autoproclamée des droits de l’Homme au tournant » Face à une loi pénitentiaire dans la très droite ligne de la politique pénale menée depuis l’automne 2001, la juriste Martine Herzog-Evans dénonce, notamment avec la logique de régimes différenciés, le détournement des règles pénitentiaires européennes par la France.

Quelle est l’origine de la loi pénitentiaire et comment expliquer le fait qu’elle est écrite par et pour l’administration pénitentiaire ? L’origine de la loi pénitentiaire est à rechercher au cœur de la période 1999-2002, quand politiques et médias ont « découvert » ce qu’était la prison, avec le rapport Canivet sur le contrôle extérieur de mars 2000. On se situait encore dans l’avant 11 septembre 2001. Et, de fait, le Premier président de la Cour de cassation a mis en lumière que la nécessité d’une loi pénitentiaire était avant tout juridique. Il manquait à la prison des normes, les innombrables circulaires et décrets ne réglant pas tout. Qui plus est lorsqu’ils émanent de l’administration elle-même, ce qui est, pour elle, un moyen d’imposer, sans contrôle, ses propres choix. Voilà pour l’origine. Malheureusement, ces bonnes raisons de faire une loi pénitentiaire ont fait long feu. D’autres motivations ont pris le dessus. L’administration veut désormais une loi pour asseoir juridiquement ce qu’elle fait sans texte. Car, entre temps, elle a lancé ses propres expérimentations : la constitution des Equipes régionales d’intervention et de sécurité (Eris), la politique de fermeture des portes en maisons centrales ou l’instauration de régimes de détention différenciés, cette dernière démarche s’inspirant de ce qui se fait dans les pays anglo-saxons au nom d’une certaine rationalité. Le tout dans un contexte fortement marqué par la politique pénale imposée par Sarkozy depuis 2002… C’est vrai, et avec comme facteur aggravant cette marque que Nicolas Sarkozy a imprimé à toutes les administrations, à savoir le « paraître ». Le chef de l’Etat préfère la communication à l’inDedans Dehors N°69 Juillet 2009

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formation et l’impression à la réalité. Or, face à la litanie de rapports (internationaux comme internes) qui dressait des prisons françaises un tableau loin d’être valorisant, il lui fallait renvoyer l’image d’une prison qui respecte les normes internationales. D’où la mise en place de tout le dispositif qui, en France, entoure les Règles pénitentiaires européennes (RPE), notamment le processus de labellisation des établissements. Mais aussi la loi pénitentiaire. La rhétorique officielle avance constamment qu’il s’agit de respecter les RPE alors qu’en fait, il n’y a aucune volonté de combler systématiquement les lacunes juridiques de la France en matière de droit pénitentiaire. Pire ! Pour les rares règles dont on donne l’impression de vouloir les intégrer, la philosophie est inversée. Là encore, je pense aux régimes différenciés. Si les RPE les mentionnent, c’est précisément pour encadrer et restreindre au maximum cette tentation de différencier les régimes (c’est-à-dire de catégoriser les détenus en fonction de leur dangerosité) afin d’éviter une aggravation et une utilisation exagérée des régimes sécuritaires. Or, c’est tout l’inverse qui est fait ! La loi pénitentiaire s’inscritelle dans une logique gestionnaire de la politique pénale ? On est au-delà d’une simple logique gestionnaire. De fait, la loi pénitentiaire, la politique pénale que l’on connaît depuis 2002, tout cela est cohérent : on a affaire à une logique purement répressive de neutralisation et de contrôle. Prenons à nouveau les régimes différenciés. Ce qu’il y

La juriste Martine Herzog-Evans. (© Anthony Voisin)


pour que cesse la honte des prisons sans peine, des peines sans prison a derrière, c’est la volonté de créer un régime de contrôle des comportements des détenus en parallèle à la discipline et à ces sanctions occultes qu’étaient l’isolement et les transferts. Parce qu’en fait, aux yeux de l’administration, tout cela est encore trop contraignant. In fine, tout se passe comme si, à mesure que le droit conquiert des espaces en prison, notamment en réduisant le champ discrétionnaire des « mesures d’ordre intérieur », l’administration pénitentiaire en cherche d’autres. En ce sens, les régimes différenciés sont, pour l’AP, une véritable trouvaille : quand quelqu’un commet une faute qui ne relève pas d’une sanction disciplinaire ou quand on a tout simplement envie de s’affranchir des procédures, il y a les régimes différenciés. C’est une reprise en main de l’institution sur les établissements, en cohérence totale avec la politique pénale actuelle qui veut, elle aussi, contrôler au maximum les comportements. Est-on, comme dans le domaine pénal, dans une nouvelle logique « contractuelle » ? Même cette logique est en perte de vitesse. Le contrat, c’était encore la doctrine des « resocialisateurs » qui espéraient que les gens allaient adhérer à leur propre transformation et mettre fin à leur parcours délinquant. Aujourd’hui, on est en pleine régression. On est dans l’autoritarisme, dans le contrôle, dans l’ordre : peu importe que les gens soient d’accord ou pas, on les force. Si c’est un contrat, il est de dupes puisqu’au mieux, il n’y a le choix qu’entre la carotte et le bâton. Ainsi, quand, au sein d’un établissement, il y a trois régimes de détention, il n’y a le choix qu’entre aller vers un régime plus souple ou plus dur. Et quand il n’y en a que deux, le choix est encore plus réduit : rester dans le régime commun ou subir un régime plus strict. N’oublions jamais qu’il s’agit avant tout de sanctionner des comportements. Et ajoutons qu’on n’est pas seulement dans le contrôle des détenus mais aussi dans le contrôle de ce que font les juges. Quelles vont être les conséquences d’une telle réforme ? Par la mise en place de régimes différenciés, en créant donc de nouveaux espaces de séparation, l’administration cherche, d’une certaine manière, à répondre à la montée des tensions en détention liées à l’incarcération des malades mentaux, aux changements sociologiques au sein de la population carcérale et, plus largement, à la surpopulation. Sauf qu’elle se trompe de méthode et, à mon avis, elle est même en train de construire son propre lit mortuaire. Car, quand on enlève toute convivialité, toute humanité, toute liberté d’aller et venir – en gros, quand on ferme les portes – c’est là que les incidents surgissent. Il faut donc se préparer à des établissements ultra-violents, comme aux États-Unis et en Angleterre, les régimes différenciés étant un élément central de la dégradation des conditions de détention. D’ailleurs, on assiste en ce moment aux États-Unis à un vaste mouvement de réflexion pour revenir en arrière et remettre la ressocialisation au coeur du système pénitentiaire. De plus, dans ces régimes, très peu d’efforts seront faits en

matière d’insertion ou de préparation à la sortie. On sait donc déjà ce que cela va produire. D’ailleurs, que pensez-vous du volet « aménagement de peine » de la loi pénitentiaire ? Il est totalement contre-productif. Certes, semble avoir été compris que les aménagements de peine, ça marche. Mais, ce qui n’a pas été saisi, c’est que, si ça marche, c’est parce qu’il y a une préparation en amont, l’intervention d’un juge et un suivi. Or, avec la loi pénitentiaire, les aménagements de peine deviennent quasi automatiques. Comme si l’on avait oublié qu’il est extrêmement compliqué de sortir de prison. Là, on va lâcher les gens dans la nature avec à peine de quoi de se payer un ticket de transport. La solution ne résidera ni dans l’instauration d’un contrôle accru ni dans cet ersatz de prison que serait le placement en foyer sous surveillance électronique. À moins qu’on ne cherche par là qu’à instaurer une prison sans barreau ni surveillant. Et donc une prison moins chère… Ce qui compte, n’est-ce pas de vider des prisons qu’on s’évertue de remplir ? Évidemment. C’est aussi, là encore, une question d’image : il ne faudrait pas que la France donne l’impression d’avoir des prisons à la grecque ou à la russe, ces deux pays ayant été, ces derniers temps, particulièrement épinglés par les instances du conseil de l’Europe. Il s’agit aussi d’éviter les condamnations de la Cour européenne des droits de l’homme. Pas étonnant alors de voir les RPE instrumentalisées par l’AP ou servir de monnaie d’échange à la Chancellerie pour se sortir d’un conflit avec les surveillants ? Arrêtons de nous leurrer : quand la France dit qu’elle respecte les règles pénitentiaires européennes, c’est un mensonge. Sur les 108 RPE, elle n’en respecte – ou plutôt n’en expérimente – vraiment qu’une seule : celle sur les quartiers arrivants. À ce titre, les surveillants n’ont pas eu tort de dire que, du fait de la surpopulation et au regard des conditions de travail et de détention, il leur était impossible de respecter les RPE. À plus forte raison celle sur les quartiers arrivants qui nécessite du temps, des moyens, de la disponibilité, du travail en réseau… Comme Rachida Dati était en mauvaise posture, elle a décidé d’un moratoire. Or, la solution n’était pas de tout arrêter mais, au contraire, de régler le problème de la surpopulation et de respecter enfin des RPE qui, d’ailleurs, ne sont pas toutes incompatibles avec la surpopulation. J’ai, pour les RPE, une grande tendresse car, pour des règles non contraignantes, elles ont une force d’attraction phénoménale. Après la chute du mur, les pays de l’Est s’étaient empressés de les recopier pour prouver qu’ils étaient devenus des démocraties respectueuses des droits de l’homme. Quand on est la patrie autoproclamée des droits de l’homme, il ne faut pas s’étonner d’être attendu au tournant sur les RPE. Propos recueillis par SD

« Quand la France dit qu’elle respecte les règles pénitentiaires européennes, c’est un mensonge. Sur les 108 RPE, elle n’en respecte – ou plutôt n’en expérimente – vraiment qu’une seule : celle sur les quartiers arrivants. » Dedans Dehors N°69 Juillet 2009

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dossier

Loi pénitentiaire

Au dessus des lois et en dehors du droit

Interpelée en permanence depuis dix ans sur son incapacité à garantir le respect de l’Etat de droit et des droits de l’homme, l’administration pénitentiaire n’entend modifier en rien son approche de la personne détenue et de ses modes de fonctionnement. Pire, elle a écrit « sa » propre réforme qui vise principalement à une rupture dans l’égalité des droits des détenus et à légaliser les régimes de détention différenciés.

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n 1984, le sociologue Philippe Robert, dans « La question pénale », écrivait : « Pour tenter de pallier les périls nés de la sur-occupation carcérale, on combine une libéralisation du régime ordinaire avec la mise en place de régimes d’exception très sévères ». À la fin des années soixante-dix, venaient d’être mis en place, quasi conjointement, les peines de sureté et l’octroi, en régime ordinaire, de droits supplémentaires. Avec cette lourde mise en garde du garde des Sceaux de l’époque, Jean Lecanuet, rappelant « à la population pénale que les avantages qui lui sont procurés ont évidemment pour contrepartie le respect constant de l’ordre et de la discipline indispensables au développement libéral de la vie en collectivité ». Un « donnant-donnant » qui ne fait que confirmer que la prison n’a jamais fait que reprendre d’une main ce qu’elle donnait de l’autre.

« Adapter les établissements »… Ironie du sort : ce constat de Philippe Robert intervenait quelques années avant le lancement du premier programme de construction d’envergure en France depuis plus d’un siècle, le fameux plan Chalandon de 13 200 places de prisons. Et environ dix ans avant que l’Inspection générale de l’administration et l’Inspection générale des services judiciaires ne livrent, en 1993, suite à une série d’évasions et de mutineries, un rapport consacré à « l’emprisonnement prolongé des détenus difficiles et dangereux » souffrant de plus en plus souvent de « troubles mentaux ». Les termes d’un débat sans équivoque étaient posés : « Soit trouver les mécanismes correcteurs de l’augmentation du nombre Dedans Dehors

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de longues peines et de la durée de celle-ci, soit adapter les établissements à cette donne nouvelle ». Le contexte a changé mais les problématiques carcérales ne changent guère et les solutions qu’avance la pénitentiaire pour y faire face sont peu ou prou les mêmes. Preuve s’il en est, de la pertinence du constat attristé de Christian Carlier dans la revue de la CGT selon lequel l’administration pénitentiaire (AP) « évolue » dans un « monde de peu d’idées, mais d’idées perpétuellement ressassées sans que jamais elles ne se perdent. » Emblématique de cette démarche : la loi pénitentiaire. Une loi écrite par et pour l’administration du même nom. Nous ne sommes plus dans les années quatre-vingt-dix : ce ne sont plus seulement les longues peines qui obsèdent l’institution mais, outre la sempiternelle surpopulation carcérale, les nouveaux profils des « publics » qu’elle doit accueillir. En juillet 2007, lors de la mise en place du « Comité d’orientation restreint » chargé « d’accompagner la réflexion » de Rachida Dati sur la future loi pénitentiaire, la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) écrivait, dans un document baptisé « Les Enjeux » qu’elle s’attend à « un accroissement sensible de la population incarcérée qui pourrait atteindre 80 000 détenus en 2017 ». Et de pointer :


pour que cesse la honte des prisons sans peine, des peines sans prison « l’augmentation des personnes âgées et des jeunes, l’allongement de durée des longues peines ainsi que l’accroissement des courtes, et enfin l’apport des détenus en provenance d’Europe de l’Est ».

tion relève exclusivement de la « prophétie auto-réalisatrice ». En vertu de l’effet Pygmalion, les « fortes têtes » se comportent, sans surprise, comme des « fortes têtes » et les détenus « amendables » comme, éventuellement, capables de s’amender…

Séparer le « bon grain » de « l’ivraie »

Trier, classer, séparer

Résultat ? La DAP joue les ventriloques avec la garde des Sceaux, qui, le 3 mars au Sénat, déclare tout de go : « Le projet de loi prévoit de différencier les régimes de détention » et « de mettre en œuvre des droits individuels issus notamment des règles pénitentiaires européennes ». Las, depuis Lecanuet, rien n’a véritablement bougé : ce que la prison donne d’une main, elle le reprend de l’autre. Car, qu’est-ce que la différenciation des régimes de détention ? Si l’on peut remonter jusqu’à l’immédiat après-guerre et aux « régimes progressifs » de la réforme Amor, les régimes différenciés, après avoir été abolis au milieu des années soixante-dix, ont ressurgi ces dernières années sous la forme d’expérimentations en centre de détention. Une mesure avant tout de « contention », a constaté le sociologue Gaëtan Cliquennois puisqu’il s’agit, avant tout de séparer « le bon grain » de « l’ivraie » après évaluation au quartier « arrivants ». De fait, ce que la Chancellerie comme l’AP souhaitent voir généralisée, c’est une prison à deux ou trois vitesses, les premières expérimentations articulant un régime probatoire renforcé (où les portes des cellules sont fermées en permanence, les détenus n’ayant droit qu’à trois heures de promenades), un régime commun (où les portes ne sont ouvertes que quelques heures) et un régime dit de confiance (où les portes sont ouvertes quasi en permanence). Avec la possibilité, théorique, de passer d’un régime à l’autre. Sauf qu’au sortir de sa première incursion en prison, à la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a pris la mesure du danger que représente l’instauration des régimes différenciés, fussent-ils camouflés dans la rhétorique pénitentiaire sous le vocable inoffensif et fédérateur de « parcours individualisé ». Pour Jean-Marie Delarue, cette initiative, « à première vue positive », ne consiste en fait qu’à « opérer un tri parmi les condamnés, en proposant une évolution à certains et en laissant les autres sans espoir d’amélioration de leur sort » : « une pure et simple ségrégation », assène-t-il. Mais cet avertissement, comme celui de Gaëtan Cliquennois semble superbement ignoré. Pourtant, comme l’a mis en lumière le chercheur, la différenciation des régimes de déten-

In fine, la DAP et la Chancellerie oscillent entre nostalgie et pragmatisme. Nostalgie des quartiers de haute sécurité (QHS), abolis, avec la peine de mort, par la gauche en 1981, le directeur de l’AP râle : « Ce sont les abus constatés dans l’utilisation des QHS qui ont provoqué non seulement [la suppression des régimes différenciés] mais aussi la disparition de toute les mesures officielles de dangerosité des détenus, à l’exception de la catégorie très restreinte des détenus particulièrement surveillés ». Et pragmatisme puisque Claude d’Harcourt avoue que « se sont créées des listes officieuses tant il est vrai que la question de l’évaluation de la dangerosité des détenus est la condition de la mise en œuvre de programmes de réinsertion ». Bien évidemment, il faut que ce retour en arrière soit enrobé d’un discours novateur. Dati, devant le Sénat, l’ose : « Le projet de loi porte en lui une vision humanisée de la prison. La philosophie pénale qui a inspiré notre système pénitentiaire (...) est centrée sur la théorie des “délits et des peines” de Cesare Beccaria et non sur la personne du condamné. » Et d’enfoncer le clou : « Le projet de loi met un terme à cette conception dépassée de la prison. Il vous propose de concevoir l’incarcération à partir de la personnalité du détenu et pas uniquement à partir de la peine ». La rhétorique a été travaillée. Elle est presque aussi bien huilée que la manière dont l’AP manipule les Règles pénitentiaires européennes pour leur faire dire qu’elles préconisent en toutes lettres les régimes différenciés (ou l’encellulement collectif). Il faut néanmoins reconnaitre à la DAP une certaine franchise : « Au nom d’une approche égalitaire des détenus, qui restreint la possibilité de créer des catégories, au nom de sa non-prédictibilité, qui interdit de considérer que telle caractéristique prédispose à tel comportement, il nous a été impossible de parvenir à une véritable classification des détenus qui est pourtant le fondement de tout régime différencié digne de ce nom ». La démagogie n’est pas loin. « Faut-il traiter de la même manière un voleur de bicyclette et un Khider ? », s’interroge de manière faussement naïve Beynel, sans inclure dans son raisonnement que l’un comme l’autre finiront immanquablement et pareillement derrière les barreaux. Et que c’est la question de l’individualisation de la sanction qui doit être posée. Qui ne manque pas, elle, d’interroger la place de l’emprisonnement dans le code pénal et dans la réalité des jugements prononcés par les tribunaux. L’ambivalence de la DAP est là : osant devant un parterre de magistrats de tonitruants « la pénitentiaire sera ce que vous en ferez » ou « la pénitentiaire a besoin d’un judiciaire qui sait ce qu’il veut », elle ne critique qu’à demi-mot une pratique judiciaire qui fait fi du principe pourtant consacré d’individualisation de la peine, tant N°69 Juillet 2009

Une coursive de la maison d’arrêt de Fresnes. (© D.R.)

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dossier L’AP pose ses conditions : « La pénitentiaire a besoin d’un judiciaire qui sache ce qu’il veut » elle sait qu’elle peut en tirer profit en arguant de la nécessité, par défaut, de consacrer celui de l’individualisation… de l’exécution de la peine. Et par là même son rêve ancestral de régimes de détention différenciés dans le cadre desquels elle conserve la possibilité de conditionner l’effectivité des droits des détenus. Autrement dit, quand la justice ne fait pas son boulot, la pénitentiaire se découvre un nouveau métier. Trier, classer, séparer… Fustigeant l’égalitarisme, tout est bon pour remettre en cause l’égalité de droit et de traitement entre détenus. Et, au prétexte d’une « individualisation » de la peine, du parcours et du traitement, le véritable but est de classer, catégoriser pour mieux contenir. Et, à ce titre, la simple répartition des détenus en fonction de la durée de leur peine ne suffit plus. Peu à peu, la durée de la peine s’efface derrière cet autre critère que serait celui de « dangerosité ». Avec, lorsqu’on pousse le raisonnement jusqu’à l’absurde, ces deux monstruosités juridiques que sont la responsabilisation pénale des malades mentaux et la rétention de sûreté. Cette dernière n’étant rien d’autre que la résurgence de ce que Robert Badinter nomme, dans le dernier numéro de la revue Prison-Justice, la « peine de substitution » à la peine de mort. On passe donc, pour paraphraser le sénateur socialiste, d’une « justice d’insertion » à une « justice d’élimination ». Et la prison, opportunément, s’y adapte.

La consécration de l’arbitraire À la lumière de ce nouvel outil de gestion des flux et des stocks de la pénitentiaire, l’octroi de « droits individuels » aux détenus apparaîtrait presque anecdotique. Mais, malheureusement, cette « largesse » du législateur vis-à-vis de la pénitentiaire participe également de l’arbitraire concédée à cette dernière. Comme le dit le sociologue Gilles Chantraine, les détenus sont « de plus en plus gouvernés à travers leur liberté ». Au prétexte de refonder le droit pénitentiaire, la loi consacre son arbitraire. En témoigne l’article 10 de la loi pénitentiaire : « L’administration pénitentiaire garantie à tout détenu le respect de ses droits. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l’intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l’âge, de l’état de santé et de la personnalité des détenus ». Quelle restriction ne trouvera pas alors sa justification ? D’autant que les « régimes différenciés » consacreront la fin de l’égalité de droit entre les détenus et permettront à l’AP de se servir de l’octroi ou du retrait des droits comme on agite la carotte et le bâton. Le nouveau « modèle néo-libéral » voire « libéral-autoritaire » de justice qu’analyse Antoine Garapon trouve donc sa traduction en prison. À l’instar du justiciable, le détenu est un être forcément rationnel qui, en conscience, pèse le pour, le contre, pour adapter son comportement aux situations Dedans Dehors N°69 Juillet 2009

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« Comment espérer réinsérer dans la société ceux qu’on aura privés pendant des années de toute dignité ? » : Nicolas Sarkozy.. (© D.R.)

qu’il rencontre et aux conséquences auxquelles il s’expose. Plus qu’ailleurs, en prison, tout se paie, tout se monnaie.

Le mecano des RPE De fait, la loi pénitentiaire vient consacrer des années de « bricolage » de l’AP. Pas étonnant alors de la voir se servir de ce corpus que sont les 108 Règles pénitentiaires européennes (RPE) comme d’un meccano carcéral. En oubliant qu’elles sont un bloc et qu’elles s’appuient sur un socle. L’ensemble du corpus élaboré en matière pénale et pénitentiaire par le Conseil de l’Europe, qu’il émane du Comité des ministres, du Comité de Prévention de Torture, du Commissaire aux droits de l’homme ou de la Cour de Strasbourg. Dans son discours au Congrès, Nicolas Sarkozy s’est interrogé à voix haute sur la capacité d’une prison qui ne respecte pas la dignité des personnes détenues à permettre leur retour dans de bonnes conditions dans la collectivité. La question est bien celle-ci. Y répondre de façon rationnelle suppose de réorienter conjointement politique pénale et politique pénitentiaire. De sorte que ne pèse plus sur le système judiciaire et l’institution carcérale une commande politique indécente autant qu’absurde. « Il faut que ça rentre autant que cela doit rentrer, quitte à laisser sortir », entend-on à la Direction des affaires criminelles et des grâces. « Il faut que ça tienne sans trop de casse », répond en écho la direction de l’administration pénitentiaire. Or, une « nécessité morale » s’impose. Indiscutablement. Ne plus sacrifier, dans une démocratie qui se veut « irréprochable », le respect des droits fondamentaux les plus élémentaires d’une large part de la population. Autrement dit, penser des « prisons sans peine » et des « peines sans prison ». Stéphane Laurent


pour que cesse la honte des prisons sans peine, des peines sans prison

La « démonstration » de Markus Jaeger Directeur de la coopération avec les structures nationales de droits de l’homme à la direction générale « droits de l’Homme et affaires juridiques » du Conseil de l’Europe, Markus Jaeger a interrogé l’intitulé du colloque de l’OIP : « Une prison sans peine, des peines sans prison », une pétition de principe ou un objectif réaliste ? Une prison sans peine : une pétition de principe ancrée dans le droit international… « Il y a, en prison, une peine – l’enfermement – dont découle une certaine pénibilité. Toute peine supplémentaire est interdite : selon la loi, le juge condamne à l’enfermement et à rien d’autre. Parmi les « peines supplémentaires », on pense à la torture, aux humiliations, aux conditions de détention dommageables à la santé mentale et physique, au fait d’être séparé de sa famille, aux dangers émanant des codétenus. Au regard du droit international, il est interdit d’exposer quelqu’un purgeant une peine de réclusion à ces peines supplémentaires, certaines d’entre elles, comme la torture, faisant l’objet d’interdictions spécifiques, comme en témoigne l’existence du Comité de prévention de la torture. Au plan international, on va même plus loin. Ainsi, les Règles pénitentiaires européennes (RPE) visent à contrer certains effets de la réclusion considérée, en elle-même, comme dommageable. Ces « effets secondaires » doivent être contrés et, même si les RPE ne sont pas contraignantes, elles obligent à faire en sorte que la prison soit sans peine. De plus, l’état de droit ne doit pas s’arrêter aux portes de la prison. Ne serait-ce que parce que c’est au nom du droit et de la loi qu’on enferme. Voilà pourquoi l’actuel commissaire européen aux droits de l’homme et son prédécesseur se sont penchés sur les procédures disciplinaires et de mise à l’isolement, en veillant à ce que les organes qui statuent en prison soient réellement indépendants et qu’existent des procédures semblables à ce qui existe en dehors. Las, on est encore loin du compte. Quoi qu’il en soit, la prison sans peine est une pétition de principe ancrée dans le droit international. Mais alors, une prison sans peine, est-ce possible ? Là, les vues divergent. Certains disent qu’une prison sans peine serait dommageable à l’effet dissuasif du droit pénal et de l’enfermement. De ce point de vue, le réalisme plaiderait pour un peu plus de peine que le simple enfermement. Par ailleurs, qu’en est-il de la protection de la société ? Sur ce point, d’une certaine manière, la prison est neutre : quand on est en prison, on ne peut nuire

Markus Jaeger, l’ancien bras droit du commissaire européen aux droits de l’Homme. (© Anthony Voisin)

à la société. En revanche, ceux qui militent pour une peine de prison un peu « costaude » estiment qu’améliorer les conditions de détention risque de coûter cher à la collectivité. Certes. Mais, si on est réaliste, que ce soit d’un point de vue moral, financier ou systémique, un détenu qui sort après avoir connu de mauvaises conditions de détention va coûter cher. Parce qu’il sera malade, au chômage ou récidiviste. D’un point de vue réaliste, donc, une prison sans peine est une nécessité. »

… la prison sans peine ne pouvant être garantie, il faut des peines sans prison « Qu’en est-il alors des peines sans prison ? Est-ce une pétition de principe d’un point de vue international que de voir un État disposer de peines sans prison et y recourir plus souvent ? L’auteur d’une infraction ou d’un crime ne doit subir d’autre peine que celle de l’enfermement si c’est cette peine-là qui est prévue par la loi. Le droit à une peine alternative n’existe pas au plan international. Toutefois, comme nous l’avons observé, en France et ailleurs, le droit à une prison sans peine n’est pas garanti. Or, si un détenu a droit à une prison sans peine mais qu’on ne puisse le lui en faire bénéficier, le réalisme commande qu’on ne le mette pas en prison. Donc, si la peine alternative n’est pas en soi un postulat du droit international, elle le devient par le constat d’échec à lui offrir une prison sans peine. Puisque les prisons sans peine ne sont pas garanties, on arrive à l’impossibilité y compris de droit de se cantonner à la seule peine d’enfermement. En découle une obligation de trouver d’autres peines. Donc, saluons les juges qui refusent d’envoyer en prison les personnes qu’ils condamnent de sorte qu’elles ne subissent pas une double ou une triple peine ».

Pour Markus Jaeger, « Puisque les prisons sans peine ne sont pas garanties, il faut trouver d’autres peines » Dedans Dehors N°69 Juillet 2009

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Le criminologue et juriste Dan Kaminski. (© Anthony Voisin)

L’avertissement de Dan Pour le criminologue et juriste belge, s’il est primordial de lutter pour le respect des droits des détenus, il faut se méfier du détournement dont ils pourraient faire l’objet.

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rolongeant la démonstration de Markus Jaeger (lire par ailleurs), le juriste et criminologue belge Dan Kaminski, examinant la question des droits des détenus à l’aune de la loi pénitentiaire, a plaidé, en attendant l’avènement d’un « monde sans peine », et dans la perspective de « peines sans prison », pour des « prisons sans peine ». S’il adhère totalement à la vision de Françoise Tulkens, juge belge à la Cour européenne des droits de l’Homme, selon laquelle « tout comme le droit à la vie refuse aujourd’hui la peine de mort, le droit à la liberté refusera un jour l’enfermement comme peine », Dan Kaminski estime que d’ici là, et dans cette perspective, « la promotion des droits des détenus doit servir à ce que soient réduits à la fois l’inhumanité de l’expérience de la prison et le recours à l’enfermement ».

Respecter les droits du « plus contraint des hommes » En effet, pour lui, « les droits de l’homme n’ont de pertinence et de sens que s’ils sont les droits du plus démuni, du plus contraint Dedans Dehors N°69 Juillet 2009

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des hommes ». D’autant que, citant Sonja Snacken, la présidente du Conseil de coopération pénologique du Conseil de l’Europe, si « la dissuasion est l’objectif de la peine », elle l’est « au stade de l’édification de la loi », en tout cas plus certainement qu’au stade du jugement qui, lui, est « distributif » ou qu’au stade de l’exécution de la peine, censée être, elle, « resocialisatrice ». Un propos dont Dan Kaminski souligne qu’il rejoint celui de trois directeurs de prison belges qui, dans une tribune, ont déclaré que la reconnaissance et la mise en œuvre des droits des détenus devaient être « rapide (une décision préjudiciable et injuste produisant des effets irrémédiables immédiats en prison), lisible, mobile et surreprésentée (du fait de la privation de droit qu’induit l’incarcération, la prison doit être un lieu de sur-droit) ». Estimant que « les droits des détenus doivent devenir des obligations institutionnelles » – en clair, une véritable « politique pénitentiaire » en tant que telle et non des privilèges octroyés au cas par cas – il milite pour que tout soit fait afin de « lever les obstacles culturels à la pleine effectivité des droits en prison » : l’obstacle « sécuritaire », l’obstacle « pénologique » (c’est-à-dire la soumission des droits à l’un ou l’autre objectif de la peine),


pour que cesse la honte des prisons sans peine, des peines sans prison

Pour Dan Kaminski, « les droits des détenus doivent devenir des obligations institutionnelles » l’obstacle « économique » (en clair, le conditionnement des droits en prison aux ressources en prison) et l’obstacle « social » qui consisterait à considérer comme « normal » que le détenu soit moins bien traité que l’homme libre.

Des détenus « gouvernés à travers leur liberté » Toutefois, le juriste et criminologue belge a lancé un sévère avertissement quant aux détournements dont le droit peut faire l’objet en prison. S’étonnant au passage du fait que, d’après la jurisprudence européenne, « le droit pénal est un outil qui permet de défendre les droits de l’homme » (lui qui permet, en les envoyant

de gestion, une « conduite des conduites » – s’inspire, d’après Dan Kaminski, de ce qui se passe dans le reste de la société. Le « droit devient un dispositif de discrimination entre sujets méritants et mauvais sujets ». Et de citer Charles Dickens qui, en son temps, avait écrit : « Il est monstrueux que le pauvre malhonnête soit mieux traité que le pauvre honnête ». Une formule elle-même « monstrueuse » puisqu’elle vise uniquement à « réduire la qualité de vie des pauvres malhonnêtes et non à améliorer les conditions de vie des pauvres honnêtes ». Une formule hélas toujours d’actualité à l’heure de la dérégulation généralisée et où la « politique sociale devient méritocratique ». Et qui explique qu’en prison, sur la question centrale

Kaminski en prison, de les en priver), il constate que le droit des détenus est de plus en plus soumis aux « objectifs pénologiques » et à leur « variation ». Autrement dit, les droits des détenus deviennent un « instrument » entre les mains de l’administration pénitentiaire au service d’un ou plusieurs objectifs de la peine plus qu’un « instrument de défense et de soutien de la dignité de l’homme détenu ». Le risque est donc que les droits des détenus deviennent un « droit emprisonné ». Pire ! Comme l’a mis en lumière le sociologue Gilles Chantraine, les détenus sont de plus en plus « gouvernés à travers leur liberté ». Cette stratégie « cynique » de l’administration pénitentiaire – et dont la plus belle illustration est la mise en place des régimes différenciés qui, après avoir été un simple mode de « contention », dixit Gaëtan Cliquennois, devient un mode

de « l’encellulement individuel », Rachida Dati milite pour ne le reconnaître que comme un « droit opposable », un « droit qui se mérite, c’est-à-dire qui se monnaie et se paie », un « levier de revendication si coûteux qu’il est préférable de ne pas s’en prévaloir ». Voilà pourquoi, dépassant le cadre de la prison, Dan Kaminski a conclu son intervention en martelant : « Si nous vivons dans des conditions pires que les détenus, faisons de cette jalousie une arme politique pour améliorer les standards déréglés de la vie de tous, au lieu de nous satisfaire d’une vie inchangée en amoindrissant celle des détenus ». Un raisonnement qui s’applique aussi et tout particulièrement au « rapport tendu entre détenus et surveillants ». Stéphane Laurent

Markus Jaeger et Dan Kaminski. (© Anthony Voisin)

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dossier A gauche de Patrick Marest, le sénateur UMP Hugues Portelli. (© Anthony Voisin)

Deux parlementaires face à la loi pénitentiaire Interroger les politiques pénales et carcérales à l’aune du projet de loi pénitentiaire à mi-chemin de son parcours parlementaire. Tel était le thème de la journée de réflexion organisée par l’OIP, le mois dernier, avec la complicité de deux élus en pointe sur ces questions, le député socialiste Jean-Jacques Urvoas et le sénateur UMP Hugues Portelli.

L

e constat est simple : depuis dix ans, la crise du système pénitentiaire français s’amplifie sans qu’aucune des évolutions engagées et réformes envisagées n’affirme la rupture nécessaire avec une doctrine de la peine et une pratique carcérale incapables d’appréhender l’emprisonnement comme une sanction de dernier recours et de garantir le respect de la dignité de la personne privée de liberté. Loin de restaurer l’État de droit et les droits de l’homme en prison, l’actuel projet de loi pénitentiaire consacre la dérive de l’institution dans un processus de soumission disciplinaire qui ouvre paradoxalement la perspective d’une nouvelle dégradation substantielle des conditions de vie et de travail derrière les murs. Dans ce contexte, il importait d’interroger à la lumière des préconisations du Conseil de l’Europe tant l’objet que les orientations de la politique pénale et pénitentiaire de notre pays. Voilà pourquoi l’OIP a organisé, le 5 juin à Paris, un colloque intitulé « Une prison sans peine, des peines sans prison ». L’occasion pour Markus Jaeger, ancien bras droit du commissaire européen aux droits de l’Homme et le juriste et criminologue Dan Kaminski de questionner l’intitulé du colloque. Une opportunité aussi pour

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le juge d’application des peines Jean-Claude Bouvier et la juriste Martine Herzog-Evans de confronter leur point de vue sur le volet pénal de la loi pénitentiaire. Ce colloque fut marqué par ailleurs par l’intervention de deux parlementaires, le député socialiste Jean-Jacques Urvoas et le sénateur UMP Hugues Portelli. Le premier nous disant l’ingratitude du travail parlementaire d’un élu de l’opposition et l’impuissance qui en découle ; le second, les difficultés à porter un regard autre sur la prison quand on est de droite dans une assemblée de droite.

« La loi est insuffisante » Hugues Portelli ne (se) raconte pas d’histoire : la loi pénitentiaire est bel et bien une « loi faite par et pour l’administration pénitentiaire. Il fallait la transformer en une loi sur et pour la population incarcérée ». Toutefois, ajoute-t-il, « on a gardé la partie sur l’administration pénitentiaire parce qu’il fallait un vrai cadre juridique, celui existant étant notoirement insuffisant. En effet, le juge administratif a supprimé par morceaux ce qui était auparavant exclu du contrôle judiciaire, à savoir les mesures d’ordre


pour que cesse la honte des prisons sans peine, des peines sans prison

Pour le sénateur UMP Hugues Portelli, « avec la sociologie du Sénat, on a fait le maximum » intérieur. Il fallait donc que le droit de l’administration pénitentiaire soit bien calé, ne serait-ce que pour agir contre ». Quant à la question des droits des détenus, « la version originale de la loi était succincte, reconnaît le professeur de droit constitutionnel. On a donc dû y injecter des éléments en s’appuyant notamment sur le Conseil de l’Europe. En l’état, on peut estimer, à juste titre, que la loi est insuffisante. Mais, avec la sociologie du Sénat, on a fait le maximum ». Ainsi, sur la question des fouilles corporelles, « on était minoritaires pour les supprimer ». Toutefois, le sénateur UMP notera, entre autres éléments favorables, le fait d’avoir pu « travailler sur le texte de la commission et avant que le conseil constitutionnel n’autorise le ministre à être présent à toutes les délibérations. Ce qui nous a permis de travailler entre nous, sans être dans l’ombre de la statue du commandeur ». Ajoutant : « Sur la question de l’insertion, le texte de loi n’est pas bon. On avait envisagé la mise en place d’un RMI en prison mais on a vu rapidement que la ligne budgétaire que l’on avait prévue a été supprimée. Cela nous invite à préparer un projet de loi spécifique sur la réinsertion des détenus ». Et de conclure : « La loi pénitentiaire ne règlera que ce qu’elle peut régler. Elle n’est pas tout et bon nombre d’éléments ne sont pas dans la loi mais dépendent de tous les acteurs de la société. Notamment en inscrivant la prison dans son environnement. Je pense notamment au travail à mettre en œuvre avec des collectivités territoriales ». Et de citer le « partenariat global » qu’il a mis en place, en tant que sénateur du Val d’Oise et également maire d’Ermont, avec la maison d’arrêt d’Osny : « Tous les services communaux vont dans la prison. On a donc mis en place un atelier théâtre, un atelier d’écriture. Les détenus ont

aussi la possibilité de passer un brevet d’arbitre de foot et nous employons à la mairie un certain nombre de détenus ».

« La loi, ça ne se fait pas comme dans les livres » Quant au député socialiste Jean-Jacques Urvoas, lui aussi professeur de droit, il en est arrivé à la conclusion suivante : « La loi, ça ne se fait pas comme dans les livres. Certes, il y a des parlementaires qui ne connaissent rien à la pénitentiaire. Malgré tout, sur la prison, tout est connu : les problèmes évoqués par l’Europe, les conditions de détention indignes d’un état de droit, le rapport d’Hammarberg selon lequel il n’y a aucune volonté politique pour résoudre le problème de la surpopulation carcérale… Le diagnostic est posé et tout le monde est d’accord sur la thérapie à appliquer. Ainsi, au sein de mon groupe parlementaire, on est d’accord pour redonner des droits aux détenus et redonner un sens aux missions des personnels de l’administration pénitentiaire, qui sont des missions de garde mais aussi, ne n’oublions pas, de réinsertion. On est d’accord aussi sur la nécessité de limiter le pouvoir discrétionnaire de l’administration pénitentiaire. Il faut trouver un nouvel équilibre. Tout le monde est d’accord, tout est connu. Et pourtant, rien ne bouge. Ou alors, quand ça bouge, c’est dans le mauvais sens ». La raison ? « En France, on légifère vite et mal. En un an, on aura voté 103 lois. Lors de la dernière loi, on a examiné un amendement toutes les 80 secondes, des amendements que l’on examine parfois à deux ou trois heures du matin. On a certes des moyens pour travailler, on peut faire bouger le texte, on a l’appui et l’expertise de bien des acteurs. Sauf que les députés (pas simplement ceux de l’opposition dont la situation est encore plus délicate), ce sont 577 PME face à une machine – le ministère de la Justice, l’Administration pénitentiaire – qui connait tous les rouages, qui a d’ores et déjà balisé le terrain et qui sait où elle va. » Pour le député socialiste, « l’essentiel sera de gagner du temps. Je ne suis d’ailleurs pas de ceux qui regrettent que le projet de loi pénitentiaire ne soit toujours pas inscrit à l’agenda parlementaire. En tout cas, on regardera attentivement deux choses. Qui sera le nouveau garde des Sceaux et qui sera le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale. Il semble que, pour ce dernier, ce sera Jean-Paul Garraud, député UMP de la Gironde. Si mes collègues du Sénat ont pu voir quelqu’un comme Jean-René Lecerf porter la loi, il n’est pas sûr qu’on ait autant de chance à l’Assemblée nationale et tout porte à croire que les 310 députés UMP voteront comme on leur dira de voter. La bataille sera donc très dure, même si on aura, à nos côtés, des alliés comme le Conseil d’État ou encore le contrôleur général des lieux de privation de liberté. Il faudra que la loi soit le plus clair possible pour que la part d’arbitraire qui règne en prison soit la plus faible possible. Et il nous faudra mener une autre bataille, de front : c’est la bataille de l’opinion ».

La bataille de l’opinion D’où ce cri du cœur de cet ancien détenu qu’est Pierre Botton à la fin de la journée en direction des deux élus : « Quand vous aurez expliqué aux Français que la prison, ça peut arriver à chacun de nous et que personne ne veut vivre ce que l’on vit en prison, cette bataille de l’opinion, vous l’aurez gagnez ». Sébastien Daniel Dedans Dehors N°69 Juillet 2009

Le député socialiste Jean-Jacques Urvoas. (© Anthony Voisin)

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Le Tour de France Pénitentiaire a été présenté par l’Administration pénitentiaire comme s’inspirant des règles pénitentiaires européennes.... (© D.R.)

Des Règles Péniblement Expérimentées La nature et les conditions de l’expérimentation des règles pénitentiaires européennes en France permettent paradoxalement de confirmer l’hostilité de l’administration pénitentiaire à la lettre et à l’esprit des recommandations ou injonctions du conseil de l’Europe.

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u’est-ce qui permet à la fois à l’administration pénitentiaire d’imposer placidement à six détenus de dormir dans une cellule d’une quinzaine de m², de prétendre jouer au yoyo avec leurs droits selon leur personnalité, leur dangerosité, leur « effort de réinsertion », d’amuser la galerie avec un tour de France, mais aussi de coller à ses prisons un label qui fait office de cache-misère dans les documents officiels ? Et, accessoirement, qu’est-ce qui sert au ministère de la Justice de monnaie d’échange dans un conflit avec les surveillants de prison ? Les Règles pénitentiaires européennes. Ou plutôt, l’interprétation très libre qu’en fait la France.

Une retranscription « quasi intégrale »… Il n’est pas un document, pas un événement qui, produits par la rue du Renard, n’omettent de mentionner les fameuses RPE. Elles sont mises à toutes les sauces et servent toutes les causes. Au Sénat, quand il s’agit de faire passer une loi pénitentiaire qui ne serait que leur retranscription « quasi intégrale ». Face aux Dedans Dehors N°69 Juillet 2009

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médias, quand c’est en leur nom qu’on justifie la fin de l’encellulement individuel ou les mérites des régimes différenciés. Face aux syndicats, quand on dégaine un « moratoire » sur leur application pour calmer un mouvement social. Etc. Mais que sont ces fameuses RPE ? Leur ébauche date de 1973. Leur première révision de 1987. Leur dernière version, après réécriture intégrale, date de janvier 2006. Elaborées sous l’égide du Comité de coopération pénologique du Conseil de l’Europe et adoptées par le Comité des ministres. Leur force : s’inspirer du texte des Nations Unies sur le traitement des détenus datant de 1955, mais aussi et surtout des principes établis au fil de ses rapports par le Comité européen pour la prévention de la torture, comme de la jurisprudence la plus récente de la Cour européenne des droits de l’homme. Leur faiblesse, relative : être le fruit d’une âpre négociation entre les 47 Etats membres. Les RPE sont des « soft laws » : il s’agit de recommandations et non de directives. Elles disposent toutefois d’un pouvoir d’attraction particulièrement important et constituent, in fine, un minima sur lequel les pays européens se sont accordés.


pour que cesse la honte des prisons sans peine, des peines sans prison Un minima dans lequel, pourtant, la France ne consent qu’à piocher parcimonieusement et à sa guise. À son rythme. Et, au besoin, en changeant la lettre et l’esprit de telle ou telle Règle qui la désoblige. C’est simple et sans danger : qui ira lire dans le détail les 108 Règles ? C’est pourtant ce qu’il convient de faire pour mesurer à quel point l’administration pénitentiaire se moque du monde quand elle prétend en faire son « cadre d’action », sa « charte éthique ». Le lecteur réalisera alors que ces 108 Règles établissent en fait plus de 300 principes, chacun étant agrémenté de « commentaires », très précis. Très explicites aussi sur la « prison », telle que la conçoit le conseil de l’Europe. Pour ne pas dire la tolère.

Huit règles expérimentées sur 108 ! Par un des tours de passe-passe dont elle a le secret, l’administration pénitentiaire laisse entendre à qui veut bien le croire que la France « met en œuvre » les RPE. En fait, l’institution n’en respecte, au mieux, que huit. Enfin, respecter est un bien grand mot. La pénitentiaire en « expérimente » huit. Et il suffit d’en respecter une – ou plutôt de suivre les procédures visant à leur application – pour que l’Afnor, l’organisme ad hoc, accorde à l’établissement le label RPE. Un parcours du combattant… Sachant que peu d’observateurs s’astreindront à la lecture des Règles, un peu moins encore à l’exercice qui consiste à comparer attentivement l’ensemble des dits Règles, principes et commentaires au « droit pénitentiaire » français (ou plutôt ce qui en fait office), l’administration pénitentiaire a eu beau jeu de se revendiquer des RPE, de n’en expérimenter qu’une infime sélection et de labelliser à tour de bras. Le tout sans craindre que personne n’y regarde de très près. À quelques exceptions notables, cependant. Notamment la juriste Martine Herzog-Evans (lire entretien) qui, après avoir accepté en connaissance de cause de siéger au sein de la « commission nationale de suivi des RPE » en a claqué la porte. Après y avoir rappelé en substance ce qui précède et pris acte qu’elle ne pouvait exprimer une parole critique sans se faire rappeler à l’ordre. Un regard critique porté publiquement et utilement par la CGT Pénitentiaire, dans un récent numéro de sa revue (Expressions pénitentiaires»). Sur la seule véritable Règle que la France expérimente, à savoir celle concernant les quartiers arrivants. Des critiques que Jean-Marie Delarue, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, a réitérées devant la commission des lois de l’Assemblée nationale, considérant qu’il lui « revient de porter un jugement sur la manière dont les RPE s’appliquent ». Ecoutons-le : « Je considère que certaines règles sont extrêmement bénéfiques, par exemple la création de quartiers arrivants. Mais malheureusement, du fait de la surpopulation, souvent les personnes ne peuvent y rester qu’un ou deux jours. C’est aussi en application de ces règles qu’on a installé des téléphones, ce qui paraît une excellente mesure. Le problème, c’est que dans la plupart des établissements, on a mis ces téléphones dans les cours et qu’ils deviennent ainsi l’occasion de pressions violentes entre détenus. Si on a fait cela, c’est pour éviter d’accroître le nombre de mouvements, que les surveillants sont déjà bien en peine de maîtriser. » Et de conclure : « On est ainsi confronté dans les établissements pénitentiaires à un choix douloureux : réformer, et aggraver les conditions de travail des personnels, ou ne pas réformer, et aggraver les conditions de vie des détenus. »

Une loi pénitentiaire contraire aux RPE Faute d’une refonte simultanée de la politique pénale et de la politique pénitentiaire, les RPE en sont réduites à être au centre d’un choix cornélien alors qu’elles-mêmes et les corpus dans lesquels elles s’inscrivent invitent à réfléchir à « des prisons sans peine » en même temps qu’à « des peines sans prison ». Au regard des dispositions de la loi pénitentiaire relatives à la fouille ou au placement en quartier disciplinaire, le législateur ne semble toujours pas l’avoir compris. Pire ! En réintroduisant une « obligation d’activité », il va jusqu’à remettre en cause la convention sur le travail forcé ou obligatoire adopté en 1930 par l’Organisation internationale du travail. Il ne faut alors guère s’étonner si le garde des Sceaux, en prononçant un « moratoire » sur l’application des RPE pour se sortir d’un conflit avec les personnels de la pénitentiaire, a la tentation de jeter le bébé avec l’eau du bain. En attendant, au sein de l’Administration péniten-

Rachida Dati et Claude d’Harcourt se sont déchirés autour de la question du moratoire sur l’application des règles pénitentiaires européennes. (© D.R.)

tiaire, Jean Charbonniaud a été nommé pour piloter le comité d’évaluation des moyens à mettre en œuvre pour appliquer la poignée de ces règles péniblement expérimentées par la France. Et devait rendre sa copie à la mi-juillet. Frédérique Dallant Dedans Dehors N°69 Juillet 2009

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« Une labellisation reste quelque chose de très vague » Dans le cadre de sa « mise en œuvre » des Règles pénitentiaires européennes, l’administration pénitentiaire décrit la labellisation des établissements comme « gage de qualité de la démarche ». Bertrand de Quatrebarbes, président du réseau « France Qualité Publique », nous explique ce qu’est une « démarche qualité » et nous aide à décrypter le processus de labellisation des prisons. Entretien. Quels sont les objectifs du réseau France Qualité Publique ? Notre but est de promouvoir la qualité publique. Pas seulement celle au sein des services publics mais aussi auprès de tous les acteurs remplissant une mission d’intérêt général. Pour cela, nous travaillons – avec des collectivités locales, des ministères, des organismes publics, des associations, des syndicats, des personnalités – sur un certain nombre de thèmes, comme la satisfaction des usagers, leur participation, la qualité de l’accueil, des politiques publiques… Pour ce qui est de la prison, la question est d’ores et déjà réglée puisque les usagers si les détenus n’ont pas voix au chapitre… En effet, dans le cadre d’une démarche qualité, l’objectif est d’aboutir à une prise en compte des points de vue des différentes parties prenantes. Il est donc indispensable de mettre toutes les parties concernées autour de la table car celui qui ne sera pas ou peu représenté ne pourra pas faire valoir son point de vue. Tout le monde doit pouvoir débattre ensemble. C’est incontournable. Quelle serait pour vous une démarche qualité digne de ce nom sur la prison ? Il faut d’abord, comme je viens de le dire, réunir tous les acteurs en présence. Puis, il faut se poser la question essentielle : les prisons, à quoi ça sert ? Puis mettre à plat l’ensemble des fonctions, en se mettant d’accord sur les formulations, sans en mettre aucune de côté. La prison sert-elle à mettre des gens de côté ? A les punir ? A les réinsérer ? Quelles sont les sous-fonctions ? Il s’agira ensuite d’identifier les indicateurs de mesure de chaque fonction pour pouvoir en évaluer les résultats au regard des objectifs qui seront fixés (mettre de côté, réinsérer…). Il faut aussi identifier les moyens et les procédures qu’il faut mettre en œuvre pour remplir les fonctions. L’évaluation devra, bien entendu, se faire dans le temps et régulièrement pour dégager des pistes en vue d’améliorer les résultats ainsi que les processus pour y parvenir. L’implication de chacun sera nécessaire : les politiques, le personnel pénitentiaire comme la société civile ou les détenus eux-mêmes. Dedans Dehors N°69 Juillet 2009

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Capture d’écran du logiciel de « suivi comportemental » mis en place par l’Administration pénitentiaire dans le cadre des RPE. (© D.R.)

Quelle est la différence entre une labellisation et une certification ? La certification est une procédure extrêmement réglementée suivie par la DGCCRF (la « répression des fraudes », N.D.L.R.) : les parties prenantes doivent être mobilisées, l’animateur doit être accrédité, le travail résultant doit faire l’objet d’un enquête publique… A contrario, une labellisation reste quelque chose de très vague. De fait, la valeur d’une labellisation dépendra de celle de l’organisme qui la délivre. Il arrive même qu’on se retrouve, dans le cadre d’une démarche de labellisation, avec des dispositions qui sont en deçà de la loi ! Pour les prisons, c’est l’Afnor qui délivre un label RPE aux établissements mettant en place au moins l’une des huit règles pénitentiaires européennes qu’expérimente l’administration pénitentiaire. Qu’en penser ? Non que je fasse une confiance aveugle à l’Europe mais le fait qu’il s’agisse de règles européennes est un gage de qualité. Nos partenaires européens sont souvent plus sérieux que nous dans


pour que cesse la honte des prisons sans peine, des peines sans prison

Pour le responsable du réseau « France Qualité Publique », la première question à se poser est la suivante : « Les prisons, à quoi ça sert ? » Les syndicats devaient être entendus par Jean Charbonniaud, responsable du comité d’évaluation des moyens à mettre en œuvre pour l’application des règles pénitentiaires européennes. (© D.R.)

ce domaine. L’Afnor est accréditée et, bien qu’en concurrence, bénéficie d’une image de sérieux. Et que penser du fait que la France n’expérimente que huit règles sur les 108 qu’a définies le Conseil de l’Europe ? Cela ne semble pas très ambitieux mais il faut être réaliste et procéder par paliers. Ce qu’il faut mesurer, c’est le niveau d’avancement, la progression. Cela ne va pas sans efforts mais pas sans moyens non plus. Sans quoi, vous risquez plus de décourager les gens qu’autre chose. L’Afnor s’appuie sur une commission « indépendante ». Outre que les détenus ou leurs familles n’ont pas voix au chapitre, que penser du fait que l’un des rares chercheurs un peu critique – en l’occurrence Martine Herzog-Evans – a rapidement démissionné ? C’est malheureusement souvent le cas. Il faudrait voir pourquoi certains acteurs importants ne sont pas présents. La présence de chercheurs est importante. La contradiction fait avancer le débat. L’Afnor sait animer des débats contradictoires dans ses commissions. In fine, le chercheur Christophe Dejours, dans un documentaire, expliquait que la « démarche qualité » n’avait pas empêché qu’une catastrophe comme l’explosion de l’usine AZF survienne. Que faut-il en en déduire ? Que le risque zéro n’existe pas. Toutefois, si ce n’est pas tous les quatre matins qu’une usine explose ou qu’un avion s’écrase, c’est aussi parce que des procédures très strictes sont mises

en place. Sans démarche qualité la catastrophe est quasiment garantie. Avec une démarche qualité, les risques sont progressivement réduits mais pas inexistants. Au-delà, quel est votre regard sur la prison ? Cet avis est personnel et je ne suis pas un spécialiste de la question. Il me semble qu’il y a trop de monde en prison. Mettre de plus en plus de monde en prison, à quoi ça sert ? On n’a toujours pas eu de débat sur le rôle de la prison. Il suffit de voir ce qui se passe aux États-Unis : c’est l’un des pays où le taux d’emprisonnement est parmi les plus élevés et, malgré tout, la délinquance n’a pas reculé. Si ça ne fait pas baisser la délinquance d’enfermer les gens, à quoi ça sert ? N’oublions pas que la prison est de plus une école de perfectionnement au crime et que près de 50 % des gens qui y ont été y retournent. D’autant qu’enfermer les gens, outre que ce n’est pas naturel, ça coûte cher. On dit que lorsqu’on investit 1 dans la sécurité, on gagne 10 alors que lorsqu’on investit 1 dans la prévention, on gagne 100. La prison, comme la police et l’armée fait partie des coûts de non-qualité d’une société. Ne vaudrait-il pas mieux investir dans les parents, les instituteurs, les dispositifs d’accompagnement, les quartiers et les catégories en difficultés ? Redonner du sens au travail en taxant l’argent facile ? Cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas de prisons mais il faudrait certainement mieux cibler ceux qui doivent y aller. Un débat qui doit réunir tout le monde, tous les acteurs. Et, pour cela, il faut que l’information sur les prisons, sur leur état, leur fonctionnement, les bonnes pratiques étrangères soient le plus possible diffusées et partagées. Entretien réalisé par Stéphane Laurent Dedans Dehors N°69 Juillet 2009

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dossier

À

Labellisation, piège à...

en croire les documents de l’administration pénitentiaire, les Règles pénitentiaires européennes seraient désormais sa « charte d’action ». Mais, il faut très vite déchanter. Ainsi, sous la plume de son directeur, Claude d’Harcourt, on apprend que les RPE, « des recommandations sans valeur contraignantes », s’appliquent « dans la mesure du possible ». Mieux ! « Si la majorité des règles est reconnue en totalité ou partiellement, leur application pose parfois des difficultés, dans les maisons d’arrêt notamment, en raison de l’ancienneté de certains établissements, de la surpopulation carcérale ou encore au regard de la réglementation ». D’où, pour l’instant, une simple « expérimentation » des RPE. Et encore, pas toutes, simplement de huit d’entre elles. A savoir « l’organisation de l’accueil des détenus entrants, le repérage et l’orientation de la population pénale, l’élaboration d’un parcours d’exécution de la peine et l’ouverture d’un livret individuel, le maintien des liens familiaux, la possibilité pour le détenu de contacter à tout moment un personnel, y compris la nuit, le respect d’un cadre éthique pour les personnels et, enfin, la nécessaire information au public ». On est donc loin des 108 règles qui, quand bien même ne seraient-elles point contraignantes, constituent, du fait même qu’elles sont le fruit d’un compromis entre la presque cinquantaine d’Etats composant le conseil de l’Europe, un minimum. Cette expérimentation d’abord circonscrite à une soixantaine d’établissements avant d’être généralisée à l’ensemble, a vu la mise en place de procédures codifiées, notamment un « référentiel RPE » avec, en région, des « référents RPE ». Et, pour couronner le tout, une « labellisation », assurée, avec « avis conforme d’une commission indépendante », par un organisme ad hoc : l’Afnor.

Avec l’AFAQ, l’Afnor (ces deux organismes ont depuis fusionné) a mis en place ses pratiques de labellisation au cours des années quatre-vingt-dix, dans l’industrie, d’abord, dans les services, ensuite. À cette époque, commandait le concept de « l’assurance qualité » qui consistait à créer dans une entreprise des procédures, à les écrire, à prévoir des modes de révision, de contrôle et de mise à jour. Le travail de l’Afnor consiste donc à vérifier que les procédures existent, qu’elles sont écrites et qu’elles sont appliquées. En aucun cas, la qualité des produits et des services n’est contrôlée. Obligation de moyens, en quelque sorte, pas de résultat. Voilà pourquoi un établissement peut facilement recevoir le « label RPE » pour la mise en place d’un « quartier arrivants », peu importe ensuite si, du fait de la surpopulation, les détenus ne puissent y passer que 24 ou 48 heures, peu importe si le personnel qui y est affecté n’est pas forcément celui qui a été formé en conséquence, et qu’importe, après tout, si dans certains quartiers arrivants, on parque des détenus qu’on ne sait mettre ailleurs. Quant à la commission « indépendante », la démission de Martine Herzog-Evans, en dit long sur la réalité de ses marges de manœuvres. La juriste a en effet peu apprécié « la discipline » à laquelle les membres de la commission devaient se résoudre, étant elle-même rappelée à l’ordre pour les critiques qu’elle avait pu émettre et accusée de « double jeu ». In fine, l’AP se tresse et s’adresse elle-même ses propres lauriers, selon ses propres critères. Autant dire que les détenus n’ont toujours pas voix au chapitre. Curieux pour une administration qui se dit soucieuse désormais de ses « usagers ». Tito Galli

Certification, labellisation... C’est une plaquette tout ce qu’il y a de plus officiel. Elle émane du ministère de l’Economie, des finances et de l’industrie. Son titre : « La certification des produits industriels et des services en sept questions ». Un mode d’emploi, en quelque sorte, et des plus intéressants. Ainsi, en page 2, au paragraphe « Certification et qualité », est écrit : « Qualité et certification apparaissent le plus souvent comme complémentaires car la certification permet à une entreprise de valoriser les efforts qu’elle a accomplis dans le sens de la qualité ». Cependant, poursuit le document, « l’obtention d’une certification n’est pas forcément un gage de la qualité des produits ou des services offerts par l’entreprise puisqu’elle constate la conformité à des “exigences spécifiées” qui peuvent être fixées à un niveau qui ne correspond pas aux attentes des consommateurs ». Un peu plus loin, au paragraphe « Certification et label », on apprend qu’« on peut rencontrer des démarches de type “label” (hors du domaine agricole) ou “contrôlé par un organisme indépendant”. Elles ne constituent pas des certifications. Ces pratiques ne Dedans Dehors N°69 Juillet 2009

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sont pas encadrées par des dispositions réglementaires mais sont licites tant qu’elles n’induisent pas de confusion avec une véritable certification dans l’esprit du public ». On comprend mieux alors pourquoi, dans le documentaire de Jean-Michel Carré, « J’ai mal au travail », le psychiatre et psychanalyste Christophe Dejours, auteur de Souffrances en France et fondateur de la psychodynamique du travail, assène : « La qualité totale est le pire des contresens possibles. Car, qu’est-ce que cela veut dire, sinon que je vais frauder pour essayer de faire croire que j’ai la qualité totale. Tout le monde ment. Cela oblige la plupart d’entre nous à tricher et à mentir pour obtenir la certification, condition même de la survie économique. Et puis, tout d’un coup, retour du réel : tout s’effondre. On se rend compte que l’entreprise n’est pas du tout ce qu’elle prétend être ». Ajoutant, à propos de l’explosion de l’usine AZF : « C’était une entreprise qui avait la qualité totale et toutes les certifications. Maintenant, tout est faux. Il n’y a pas de qualité totale si on prend des sous-traitants... »


LETTRES OUVERTES

“Le but de la loi pénitentiaire ? Nous déshumaniser” Personne détenue dans un centre de détention, mai 2009 « La loi pénitentiaire n’a pas d’autre but que de rabaisser les détenus à l’état de déshumanisation. Ce système d’une hypocrisie totale nous pousse à devenir des êtres dénués de tout sentiment noble. On nous pousse à devenir des dénonciateurs, des barbares. Je n’ai pas peur de dire que plus on fait d’années de prison, plus on devient animal, plus on a des idées de destruction, pour nous-mêmes ou contre les autres. Ici, tous les ans, on reçoit un papier du SPIP (Service pénitentiaire d’insertion et de probation, N.D.L.R.), avec, pour instruction, d’écrire ce que l’on a fait au cours de l’année et nos projets pour l’année à venir. Alors, chaque année, on remplit gentiment ce papier et voilà ! Le tour est joué, on peut prouver à la société que les détenus ont un suivi personnel et que la fonction de réinsertion est remplie. Car, après ça, il n’y a rien d’autre. Comme dirait l’autre, ça fait « Pschiitt » ! Même pour entreprendre des études, on n’est pas du tout aidé. Certes, nous sommes des adultes. Mais qui peut croire que nous, détenus, pouvons nous réinsérer sans aide ? Or, en vérité, si nous avons enfreint la loi, c’est qu’il faut, quelque part, nous rééduquer. Mais non, on nous laisse là, las, fatigué, dépressif, drogué, enragé, entre loup et on veut faire croire à la société que l’administration réinsère…

Pourtant, depuis mon incarcération, je n’ai pas fui devant mes responsabilités et j’ai la volonté de me racheter. Mais je suis à bout de souffle. J’ai passé le brevet, le titre professionnel de tourneur numérique, le BEP de comptabilité, le bac français où j’ai obtenu de très bonnes notes, et cette année, je passe les autres épreuves du Bac STG. J’ai toujours suivi les entretiens au SMPR, j’ai toujours versé volontairement à la partie civile. J’ai arrêté la drogue, les vices en tous genres, car, au fond de moi, j’ai la volonté de m’en sortir, pour prouver à la société que même lorsque le pire a été commis, on peut s’en relever. Mais je ne peux compter que sur moi-même. Bien sûr, il y a les soins proposés par le SMPR, mais qui peut croire qu’une séance de dix minutes par mois avec un psy peut favoriser la moindre remise en question ? Et encore moins une guérison ? Quant aux soins en détention, c’est tout aussi limité. Que vous ayez mal au bras, au ventre, aux dents ou à la poitrine, on vous propose toujours la même chose. Et quand on obtient le droit de se faire soigner à l’hôpital, ne comptez pas sur le respect de l’intimité : c’est soit une consultation en public, soit une opération en public. Avec, bien sûr, les menottes et autres chaînes… Désormais, on nous dit qu’il n’y aura plus de secret médical. Mais y en a-t-il vraiment eu avant ? Au niveau du travail, je constate que la nouvelle loi fait l’impasse sur la question.

C’est pourtant, à mon avis, là où il faudrait faire le plus. En prison, le droit du travail est inexistant. Quand on a besoin de vous, on vous appelle. Mais, en période de crise, on vous demande de rester en cellule : on appelle ça du chômage. Mais non payé bien sûr. Tout comme les deux ou trois semaines de vacances par an. Et si l’on est malade, c’est la même chose. Si le patron est de mauvaise humeur et veut vous virer manu militari, il peut le faire sans aucun problème… La plupart d’entre nous n’ont jamais travaillé dehors. Dans ces conditions, comment voulezvous donner goût au travail ? Car on nous traite comme du bétail. De plus, il faut savoir qu’en prison, tout s’achète. Et les prix sont exorbitants. Même nos études, on doit les payer. En ce qui me concerne, je suis « auxi ». Je fais du ménage, je gagne 150 euros par mois. Il faut enlever 40 euros par mois de versement volontaire aux parties civiles et 10 euros pour le frigo. Il me reste 100 euros pour me nourrir correctement. Disons que je mange bien une semaine par mois. J’oublie tous les petits plaisirs. J’ai tenté de piocher dans mon livret A ouvert par la prison mais on me l’a refusé. On m’a dit : « Vous savez, votre argent, il faut le garder pour dehors car 5 000 euros, ce n’est rien du tout ». C’est vrai. Mais alors, pourquoi eston payé au lance-pierre ? Face à ce système, il faut lutter comme un forcené pour voir et faire des choses Dedans Dehors N°69 Juillet 2009

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LETTRES OUVERTES

positives. Mais je peux vous certifier que beaucoup se laissent aller. Ils choisissent ce chemin car ils ne trouvent personne pour les accompagner et changer de cap. Pourquoi nous enfermer tant d’années, à quoi ça rime, qu’est-ce que cela veut dire, que veulent-ils faire de nous ? En agissant ainsi, le pouvoir devient barbare et criminel. Ainsi, sans le savoir, il se place à la même bassesse que nous, détenus. C’est ainsi que l’on devient enragé, révolté, haineux, que l’on se façonne une personnalité qui n’est pas la nôtre pour tromper les autres. C’est ce cercle qu’il faut briser une bonne fois pour toutes. On a fait du mal, on nous propose de nous en faire. Où croyez-vous que cela puisse nous emmener ? On patauge dans la boue. Avec, face à nous, d’énormes obstacles à franchir. Et, au lieu de nous y aider, de nous apporter un peu de considération, au contraire, on nous plonge la tête dans la merde et on nous dit de nous en sortir ! Cela ne peut fonctionner. Bien sûr, il y en aura toujours qui parviendront à s’en sortir. Mais les autres, les plus fragiles, les plus faibles, les plus atteints psychologiquement, on en fait quoi ? On les laisse et quand la sortie est là, on les lâche comme ça. Après, on va s’étonner de les voir récidiver… On va alors faire une nouvelle loi, encore plus restrictive que la précédente. Jusqu’où va-t-on aller ? Jusqu’à remettre en cause l’abolition de la peine de mort ? Et puis après, pensez-vous qu’il n’y aura plus de crimes ? Mais non, on le sait bien, pas plus la peine de mort que les longues peines, ni même la prison ne font baisser la criminalité. Il faut prendre le problème dans l’autre sens. On le sait, il y aura toujours des crimes et délits, hélas, trois fois hélas. Mais en mettant l’intérêt sur la considération humaine, je suis certain que l’on peut arriver à quelque chose de positif. C’est là l’axe essentiel auquel doit réfléchir le législateur. Cette question-là n’est ni de gauche, ni de droite. C’est une question humaine, une question fondamentale. La société aurait tout à gagner à regarder ses prisons en face, à vraiment faire le point et tenter d’aller de l’avant plutôt que de faire une énième loi restrictive qui oublie l’essentiel : le droit des détenus, la considération auquel il a droit, le respect de l’homme. Car un détenu reste un homme et il le restera jusqu’à la fin de sa vie, quoi qu’on en dise. ». Dedans Dehors N°69 Juillet 2009

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“La loi pénitentiaire ne permettra pas à la France de respecter ses engagements internationaux” Personne incarcérée dans un centre pénitentiaire. Avril 2009 « A la lecture du projet de loi pénitentiaire, je constate qu’il ne change pas grand-chose sur le fond du problème, si ce n’est pour renforcer la sécurité en délaissant le social. Ce projet manque d’ambition et, une fois de plus, ne garantit pas les droits de l’être humain privé de liberté. La réinsertion n’est pas sa priorité. Il néglige les droits de la défense. Et, plus grave encore, il prévoit l’élaboration d’un parcours d’exécution de la peine qui sera précédé d’un bilan de personnalité établi à l’issue d’une période d’observation. Comme si la personne privée de liberté n’était pas assez observée… Malgré les grands discours du ministre de la Justice, la politique suivie en ce moment va en effet dans le sens du remplissage des prisons et ne prévoit pas d’enrayer le nombre d’incarcérations. Pourtant, les chiffres sont alarmants et démontrent la nécessité de développer les « aménagements

© D.R.

de peine ». Certes, cette loi devrait le permettre. Mais, si cela réduira effectivement le nombre de personnes en prison, ce chiffre ne risque pas de baisser puisque les peines planchers allongent, elles, la durée des séjours en prison. On se demande d’ailleurs pourquoi les « grâces présidentielles » ont été supprimées puisque ce geste du chef de l’État permettait ainsi de désengorger les prisons françaises. Ce qui, une fois de plus, démontre la politique du « tout répressif » du gouvernement. Car, à ce jour, notre gouvernement est obsédé par la récidive. Or, depuis 30 ans – que dis-je, depuis 200 ans, comme l’a noté le Sénat dans son rapport sur la prison – le ministère de la Justice est le premier des récidivistes tant est grand le décalage entre ses discours et ses actes. Le constat est simple : ce projet de loi dont le contenu est on ne peut plus criticable (ce qui est infiniment regrettable), ne permettra pas à la France de respecter ses engagements internationaux. »


COMMANDES

Adhésion, don 66 adhésion simple à la section française de l’OIP 66 adhésion de soutien 66 adhésion à prix réduit (détenu, RMIste, chômeur, étudiant) 66 je souhaite participer à l’activité d’un groupe local 66 je fais un don à la section française de l’OIP

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En tant que donateur, vous bénéficiez d’une déduction fiscale à hauteur de 66 % du montant de votre don dans la limite de 20 % de vos revenus imposables. À titre d’exemple, un don de 100 € ne vous coûtera en réalité que 34 €.

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66 je m’abonne à Dedans dehors pour un an (6 numéros) 66 je suis adhérent et je m’abonne à Dedans dehors 66 je fais abonner gratuitement un détenu qui l’aura demandé 66 je suis détenu et je souhaite m’abonner gratuitement

Commandes Les ouvrages de l’OIP 66 rapport 2005 : les conditions de détention en France 66 rapport 2003 : les conditions de détention en France 66 le guide du sortant de prison La revue Dedans dehors 66 n° 35 « liberté d’expression : faire sauter la chape de plomb » 66 n° 38 « rapport Warsmann. alternatives : l’occasion manquée » 66 n° 39 « les prisons françaises en 2003 une descente aux enfers » 66 n° 40 « dix ans après la réforme : la santé toujours incarcérée » 66 n° 41 « loi Perben 2 : vers un raz-de-marée carcéral ? » 66 n° 42 « les dix ans du code pénal : le grand enfermement » 66 n° 43 « rapport CNDS : des pratiques archaïques et médiévales » 66 n° 44 « droits dedans : pour la reconnaissance des droits des détenus » 66 n° 45 « prison : quelle réforme vaut la peine ? » 66 n° 46 « vieillir et mourir en prison » 66 n° 47 « prison : peine du pauvre, pauvre peine » 66 n° 48 « récidive, récidivistes : ne pas se tromper de débat » 66 n° 49 « sécurité renforcée en prison : la fabrique de violences » 66 n° 50 « le rapport Burgelin : le risque de peines de folie » 66 n° 51 « sida en prison : prévenir la maladie, libérer les malades » 66 n° 52 « étrangers en prison : aux confins de l’absurde » 66 n° 54 « politiques pénale et pénitentiaire : l’Europe en éclaireur » 66 n° 55 « travail des détenus : à bout de souffle » 66 n° 56 « réforme de la détention provisoire : l’occasion gâchée » 66 n° 57 « affirmer la primauté de l’objectif de réinsertion » 66 n° 58/59 « états généraux de la condition pénitentiaire » 66 n° 60 « les alternatives sortent de l’ombre » 66 n° 61 « contrôle extérieur : l’heure du choix » 66 n° 62 « peines minimales, danger maximal » 66 n° 63 « régimes de détention différenciés - l’envers du décor » 66 n° 64 « rétention de sureté et irresponsabilité pénale » 66 n° 65 « la France a rendez-vous avec ses prisons » 66 n° 66 « saisir la réalité de ces lieux secrets » 66 n° 67-68 « Le législateur face à la loi pénitentiaire : l’humiliation pour de la République » 66 n° 69 « Pour que cesse la « honte » Des prisons sans peine, des peines sans prison » 66 la série 2001 (du 23 au 28) 66 la série 2002 (du 29 au 34) 66 la série 2003 (du 35 au 40) 66 la série 2004 (du 41 au 46) 66 la série 2005 (du 47 au 52) 66 la série 2006 (du 53 au 58-59) 66 la série 2007 (du 58-59 au 63) Tous les prix comprennent les frais de port. Pour l’étranger, nous consulter.

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rapport 2005 : les conditions de détention en France OIP/ La Découverte, 2005, 288 p., 20  (hors frais de port)

le guide du sortant OIP/ La Découverte, 2006, 416 p., 22  (hors frais de port)

Dedans dehors n°67-68

Bulletin à renvoyer à OIP, section française, 7 bis, rue Riquet 75019 Paris

Nom .................................................................................... Prénom ........................................................ Profession ............................................................ Organisme ...................................................... Adresse .................................................................................................................... Code postal . .......................... Ville ......................................................................................................................................... Tél. . .................................................................. Fax .................................................................. e-mail ........................................................................................................................................................................... Je suis membre du groupe local de ............................................................................................ Je vous adresse un chèque de ................................. € à l’ordre de l’OIP-SF


ADRESSES Pour tout renseignement sur les activités de l’OIP en France : OIP section française 7 bis, rue Riquet 75019 Paris tel : 01 44 52 87 90 fax : 01 44 52 88 09 e-mail : contact@oip.org site : www.oip.org

Pour témoigner et alerter sur les conditions de détention en France : Permanence juridique Elsa Dujourdy : 01 44 52 87 96 elsa.dujourdy@oip.org Marie Crétenot : 01 44 52 87 94, marie.cretenot@oip.org 7 bis, rue Riquet 75019 Paris

L’OIP en région  Les coordinations régionales mènent leur action d’observation et d’alerte au sujet de tous les établissements pénitentiaires de la région concernée, en lien avec les groupes et correspondants locaux présents : Pour contacter les coordinations régionales : Région Ile-de-France François Bès 7 bis, rue Riquet 75019 Paris 01 44 52 87 95 06 64 94 47 05 fax : 01 44 52 88 09 francois.bes@oip.org

Région Nord-Pas-de-Calais Anne Chereul 70, rue d’Arcole BP 211 59018 Lille Cedex 06 63 52 10 10 anne.chereul@oip.org

Régions Poitou-Charentes, Aquitaine et Limousin Barbara Liaras BP 238 37, rue Gambetta 86006 Poitiers cedex 09 75 46 16 96 06 22 90 27 60 barbara.liaras@oip.org

Région Rhône-Alpes Céline Reimeringer 57, rue Sébastien Gryphe 69007 Lyon 09 50 92 00 34 fax : 09 55 92 00 34 celine.reimeringer@oip.org

Les groupes et correspondants locaux assurent l’observation et l’alerte de la (les) prison(s) présente(s) dans leur ville, en lien avec les coordinations régionales et le secrétariat national : Pour les contacter vous pouvez joindre le secrétariat national : contact@oip.org ou 01 44 52 87 90 Aix-en-Provence, Agen (Eysses), Aiton, Amiens, Angoulême, Arras, Avignon, Baie-Mahault, Bapaume, Basse-Terre, Bayonne, Bédenac, Béthune, Bois d’Arcy, Bonneville, Bourg-en-Bresse, Chambéry, Douai, Ducos, Dunkerque, Fleury-Mérogis, Fresnes, Grenoble (Varces), Laon, Le Puy-en-Velay, Lille, Longuenesse, Lyon, Marseille, Maubeuge, Meaux, Melun, Metz,Nancy, Nanterre, Nîmes, Niort, Osny, Paris La Santé, Poissy, Poitiers, Porcheville, Privas, Remire-Montjoly, Rennes, Rochefort, Saintes, Saint-Etienne, Saint-Martin-de-Ré, Saint-Quentin-Fallavier, Toulon, Toulouse (Seysses), Valence,Valencienne, Versailles, Villefranche-sur-Saône, Villepinte.

Qu’est-ce que l’OIP ? Considérant que l’emprisonnement est une atteinte à la dignité de la personne, la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP), juridiquement créée en janvier 1996, agit pour la défense des droits fondamentaux et des libertés individuelles des personnes détenues. Que fait l’OIP ? Concrètement, l’OIP dresse et fait connaître l’état des conditions de détention des personnes incarcérées, alerte l’opinion, les pouvoirs publics, les organismes et les organisations concernées sur l’ensemble des manquements observés ; informe les personnes détenues de leurs droits et soutient leurs démarches pour les faire valoir ; favorise l’adoption de lois, règlements et autres mesures propres à garantir la défense de la personne et le respect des droits des détenus ; favorise la diminution du nombre de personnes détenues, la limitation du recours à l’incarcération, la réduction de l’échelle des peines, le développement d’alternatives aux poursuites pénales et de substituts aux sanctions privatives de liberté. Comment agit l’OIP ? Organisation indépendante des pouvoirs publics, l’OIP ne sollicite aucun mandat ou subvention du ministère de la Justice, s’interdit de prendre part à l’action d’aucun gouvernement, de soutenir aucun parti politique ou de prendre position à l’occasion de toute consultation électorale. Pour faciliter la mise en œuvre de ses objectifs, l’Observatoire suscite la création de coordinations régionales et de groupes locaux en charge de l’observation d’un lieu de détention et composés exclusivement de membres de l’OIP.


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