Dedans Dehors n°79 Expression en prison : La parole disqualifiée

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Conférence de consensus et mission « surpopulation » : les conclusions Baumettes : à l’assaut de l’indignité Le droit du travail entrera-t-il en prison ?

Expression en prison :

la parole disqualifiée dossier avec Jean-Marie Delarue, Hélène Castel, FO-Direction, Marion Vacheret...

Observatoire international des prisons Section française

7,50 € N°79 Mars 2013


EDITORIAL

Pour le droit à l’intimité : 16 ans après… « Pour notre droit à l’intimité et à notre sexualité. » Ainsi est titré le manifeste adressé à l’OIP en mars 2013 par des détenus de la maison d’arrêt de Lyon Corbas. Ils demandent la construction d’unités de vie familiale (UVF) dans cet établissement construit récemment sans en être doté. « Nous est reconnu le droit à la santé physique et mentale, mais le fait de ne pas pouvoir avoir des rapports sexuels contredit de manière structurelle notre droit à la santé […] et cela a des conséquences. » Alors que toute expression collective des prisonniers reste prohibée, une telle démarche relève d’une forme de désespérance. D’en être encore là. Trente-neuf ans après la déclaration de Valéry Giscard d’Estaing : « La prison doit se borner à la privation de liberté, rien de plus. » Seize ans après la campagne de l’OIP pour le droit à l’intimité, demandant la mise en place de « parloirs spéciaux » pour recevoir des visites prolongées garantissant l’intimité des rencontres. Le sociologue Michaël Faure s’interrogeait alors : « Comment la prison peut-elle imaginer réinsérer […] si elle détruit la dimension psychoaffective de l’être ? » Treize ans après cette préface de la magistrate Catherine Giudicelli, alors en poste à la direction de l’administration pénitentiaire : « Le respect de la dignité de la personne, si lié à celui de son intimité, doit être au cœur, comme base essentielle et fondatrice, de toute conception et de toute pratique de la vie en détention » (in M. Herzog-Evans, L’intimité du détenu et de ses proches en droit comparé). En 2003, la première UVF ouvrait au centre pénitentiaire de Rennes. Depuis 2009, toute personne détenue est censée pouvoir bénéficier d’au moins une visite trimestrielle, pour une durée de 6 à 72 heures, dans ce type de structures. En théorie seulement, car seuls 24 établissements pénitentiaires sur 191 (soit 13 % !) en sont aujourd’hui dotés. « On ne parle pas de privilèges, sinon de notre droit à la santé », soulignent les auteurs du manifeste. Une évidence qui se heurte encore et toujours au mur de l’anachronique chasteté des prisons françaises. Où l’on ferme les yeux sur les effets déstructurants, pour les personnes et pour les couples, de rencontres limitées aux parloirs sous surveillance. C’était insupportable hier. Cela reste tout aussi intenable aujourd’hui. Samuel Gautier

Sommaire 1 Conférence de consensus Prévention de la récidive : un revirement culturel… à confirmer Entendre les « usagers » 6 Actu Surpopulation : un rapport parlementaire pour refonder la politique pénale Baumettes : à l’assaut de l’indignité La leçon du contrôleur général… Le droit du travail entrera-t-il en prison ? 16 De facto Harmonisation des tarifs TV : l’Etat se défausse Le café n’est plus un produit dangereux en prison Peines plancher : 12 000 années de prison supplémentaires prononcées, ... 18 Actu En prison pour soigner son alcoolisme 20 De facto Valenciennes : l’Etat condamné à verser 12 000 euros à un jeune détenu schizophrène Mayotte : 19 mineurs pour six places à la maison d’arrêt de Majicavo Ile-de-France : interrogations autour de trois décès Caen : le suicide d’une transsexuelle met en évidence des carences de prise en charge, ... 24 Actu Dix mois d’attente pour un permis de visite 25 Zoom Maison d’arrêt de Saint-Brieuc : une prison au bord de la rupture 30 Dossier Expression en prison : la parole disqualifiée Avec Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté ; M.D., ancien détenu ; Hélène Castel et Manuelle Borgel, association La parole est à l’accusé ; Eric Carré, surveillant ; Jimmy Delliste, Catherine Ehrlacher et Valérie Mousseeff, du syndicat FO-direction ; André Vallotton, président du Conseil de coopération pénologique du Conseil de l’Europe ; Marion Vacheret, professeure de criminologie de l’université de Montréal 53 Tribune La surpopulation permet au système de fonctionner, par Vincent Spronck, directeur de maison d’arrêt en Belgique 56 En droit Surpopulation : l’Italie condamnée par la Cour européenne L’administration pénitentiaire condamnée à verser un complément de salaire à un prisonnier Les sanctions disciplinaires assorties d’un sursis soumises au contrôle du juge administratif Indemnisation pour examen médical à l’hôpital en présence de l’escorte 58 En actes Prison : la peine des proches ; « Ils sont comme nous, et nous comme eux » ; Syndicat de la magistrature : « Attendre, c’est déjà renoncer » ; El Shennawy : une peine sans fin ?... 60 Lettres ouvertes

N°79 Mars 2013

DEDANS DEHORS publication bimestrielle de la section française de l’Observatoire international des prisons, association loi 1901, 7 bis, rue Riquet, 75019 Paris, Tél. : 01 44 52 87 90, Fax : 01 44 52 88 09, e-mail : contact@oip.org Internet : http://www.oip.org Directeur de la publication : Antoine Lazarus Rédaction en chef : Sarah Dindo, Barbara Liaras Rédaction : Sacha Besuchet , François Bes, Anne Chereul, Marie Crétenot, Nicolas Ferran, Samuel Gautier. Secrétariat de rédaction : Marianne Bliman, Diane Carron, Elsa Dujourdy, Julie Namyas. Identité graphique : MG., L.D. < dlaranjeira@caramail. com > Maquette : Claude Cardot/Vélo © Photos, remerciements à : Bruno Amsellem Olivier Aubert Samuel Bollendorf Jean-Claude Coutausse Bertrand Desprez Samuel Gautier Nicole Henry-Cremon G.Korganow pour le CGLPL Bernard Le Bars Michel Le Moine Mathieu Pernot Célia Quilleret Olivier Touron. Et aux agences : EDITING, French-Politics pour Le Monde, Picturetank, SIGNATURES, VU. Impression : Imprimerie Expressions 2-GP, 10 bis, rue Bisson, 75020 Paris Tél. : 01 43 58 26 26 ISSN : 1276-6038 Diffusion sur abonnement au prix annuel de 30 € Photographie couverture : Michel Le Moine


Conférence de consensus

Prévention de la récidive : Un revirement culturel… à confirmer Remis le 20 février, le rapport du jury de la conférence de consensus a le mérite d’affirmer au-delà d’un cercle d’initiés la nécessité de sortir de la « référence prison ». Il était illusoire d’attendre davantage d’un processus rapide réunissant des participants d’horizons divers, alors que les « experts » et « professionnels » français ne parviennent pas à s’accorder sur les réponses et méthodes les mieux à même de prévenir la récidive. Il reste au gouvernement à confirmer ce revirement culturel par des mesures concrètes, en vue d’un réel basculement de l’emprisonnement vers une probation consolidée.

© Jean-Claude Coutausse french-politics pour Le Monde

Remise du rapport du jury de la Conférence de consensus sur la prévention de la récidive au Premier ministre le 20 février 2013

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e revirement culturel était attendu par l’oip depuis

15 ans. Le jury de la conférence de consensus confirme avant toute chose la nécessité de sortir de la « référence prison ». Estimant disposer « d’éléments fiables pour remettre en cause l’efficacité de la peine de prison en termes de prévention de la récidive », il recommande de la concevoir « non plus comme une peine de référence, mais comme une peine parmi d’autres », prononcée « seulement lorsqu’il est établi qu’elle est indispensable à la sécurité de la société ». Une série de mesures visant à réduire le champ d’intervention de la justice pénale est ainsi préconisée, tels la réduction

du nombre d’incriminations passibles d’une peine d’emprisonnement (sans préciser lesquelles), la fin de la « création de délits nouveaux » et la contraventionnalisation de certains contentieux. Sans se prononcer sur la dépénalisation de certains délits, le jury encourage le législateur à « reconsidérer la place que notre société doit attribuer à l’intervention pénale et à d’autres modes de régulations civile ou administrative ». Il recommande d’en finir avec la quête d’un taux de réponse pénale toujours plus élevé comme « indicateur de performance » des parquets, alors qu’il leur revient d’effectuer un tri sur l’opportunité des poursuites. Autant de pistes d’ordre général qui devront être traduites en mesures concrètes par le Gouvernement dans la loi annoncée pour juin, afin de sortir de l’illusion d’une justice pénale ayant pour fonction de régler l’ensemble des litiges et conflits, au risque d’être surtout nocive et stigmatisante.

En finir avec un « droit spécial » pour récidivistes ? Contestant la politique de la précédente législature ayant aggravé systématiquement la répression à l’égard des récidivistes, le jury estime qu’elle se fonde sur des postulats erronés, étant « conçue principalement en fonction des cas les plus Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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Le jury recommande une amélioration de l’accès aux dispositifs sociaux et sanitaires de droit commun pour les personnes sous main de justice, qui en sont « fréquemment exclues ». extrêmes, qui sont pourtant les cas les plus rares ». Au nom du principe d’individualisation des peines, il considère « nécessaire d’abandonner les peines plancher », sans effet « scientifiquement évalué sur la récidive » alors qu’elles ont « contribué notablement à la surpopulation carcérale ». Le jury demande également la suppression des restrictions d’accès aux aménagements de peine pour les récidivistes, car ce sont « précisément les personnes les plus fragiles au regard de la récidive qui se trouvent ainsi écartées de l’application des mesures les plus susceptibles de répondre efficacement à leurs problématiques ». Un nouveau système de libération conditionnelle (LC) est préconisé comme « mode normal de libération des détenus ». Cette mesure, considérée comme l’une des plus « efficaces et constructives pour prévenir la récidive et favoriser la réinsertion sociale » par le Conseil de l’Europe ne concerne en France qu’une minorité de sortants de prison. Le jury se prononce de manière un peu floue en faveur d’un système mixte, la LC devenant « d’office » pour la plupart des condamnés, mais restant « discrétionnaire » (sur décision de la juridiction de l’application des peines) pour les « longues peines, en particulier les peines de réclusion criminelle », semble-t-il en fonction de la nature des faits et du reliquat de peine. D’autres ont avancé des propositions plus précises, tel le député Dominique Raimbourg dans son rapport sur la surpopulation carcérale.

Consolider la probation ? Si le jury de consensus propose à son tour la création d’une « peine de probation », dans l’optique de « diminuer » le prononcé de courtes peines de prison, le rapport reste relativement pauvre sur son contenu. Elle viendrait remplacer l’ensemble des peines non privatives de liberté, en premier lieu le sursis avec mise à l’épreuve (SME), sans qu’il ne soit précisé si le sursis simple serait aussi supprimé, avec un risque de basculement sur une peine de probation plus contraignante pour de nombreux condamnés n’ayant pas nécessairement besoin d’être suivis. Sur « l’évaluation des personnes », qui devrait être en réalité l’évaluation de la « situation » des personnes et des facteurs de récidive, le jury de consensus préconise de « ne pas s’interdire l’étude d’outils déjà évalués à l’étranger et de conduire une réflexion sur les conditions de leur adaptation en France ». Il apparaît en effet indispensable d’améliorer le repérage avec les probationnaires de l’intensité et de la nature du suivi dont ils ont besoin. Sur le contenu de la prise en charge, le jury se Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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contente d’avancer quelques pistes, tels des « modes de réparation » (médiation, réparation du préjudice, travail d’intérêt général, rencontre auteur-victime) ou un « travail sur les facteurs de réinsertion » (accès logement, recherche d’emploi, formation, accès aux soins). Il recommande une amélioration de l’accès aux dispositifs sociaux et sanitaires de droit commun pour les personnes sous main de justice, qui en sont « fréquemment exclues ». Il s’agirait d’organiser en détention la présence d’assistants de service social et des permanences des différents services publics. Et aussi d’inscrire la prise en charge des « publics justice » dans les dispositifs locaux et départementaux. Le jury omet cependant de préciser ce qui devrait être développé par les SPIP, écartant tout un pan de la recherche sur les méthodes de prise en charge évaluées comme les plus pertinentes à l’étranger (entretien motivationnel, programmes éducatifs, good lives model…). Il semble dès lors opter pour une sorte de « protectionnisme français », se contentant de préconiser un « guide des bonnes pratiques » et un référentiel des méthodes déjà appliquées. Tout en relevant que les méthodes développées en France « souffrent d’un manque de structuration et de rigueur ». Pour faire de la peine de probation autre chose qu’un nouvel habillage de l’existant, il apparaît pourtant indispensable de renforcer la crédibilité et la qualité du suivi en milieu ouvert. Cela nécessite non seulement une augmentation massive du nombre de personnels d’insertion et de probation, « dont les effectifs devront se rapprocher des normes européennes » selon le jury, sans précision supplémentaire. Une condition préalable pour que les probationnaires puissent bénéficier d’un suivi immédiat et de rendez-vous réguliers autant que de besoin. Cela implique également d’introduire des outils d’évaluation et méthodes d’accompagnement à l’efficacité éprouvée, ainsi que de développer une recherche visant à évaluer ce qui marche et ne marche pas. Comment en effet convaincre les juges de remplacer des peines de prison par des peines de probation sans améliorer considérablement la qualité et la densité du suivi hors milieu carcéral ? La question est laissée sans réponse par la conférence de consensus et il faudra compter sur le gouvernement pour y remédier. En matière de recherche, le jury se contente de recommander un regroupement des différentes unités statistiques du ministère de la Justice dans une structure qui serait également chargée de construire des « analyses de parcours » et d’évaluer l’impact des politiques publiques. Il n’insiste pas suffisamment sur la nécessité de développer, outre les études déjà réalisées, un autre type d’évaluation développé par les anglosaxons permettant d’avancer des résultats sur les méthodes d’accompagnement qui « marchent » le mieux. L’enjeu est de taille : afin de contrer durablement la force symbolique de la peine de prison comme seule à même d’incarner la « réprobation sociale », la probation doit pouvoir avancer des résultats. Les pratiques des professionnels de la probation


Conférence de consensus

© Jean-Claude Coutausse french-politics pour Le Monde

Sortie du jury de la conférence de consensus après la remise de son rapport à Matignon

doivent également être guidées et améliorées au vu des indications apportées par la recherche. A défaut, dès la prochaine récidive grave d’un probationnaire, la facilité du « tout carcéral » risque de reprendre les rênes de la politique pénale. Une éventualité face à laquelle le jury invite « les pouvoirs publics au plus haut niveau » à assurer une communication pédagogique auprès de « tous les acteurs concernés, notamment les services de police et de gendarmerie » ainsi qu’auprès du « public en général », y compris « à l’occasion d’accidents dans la prise en charge des personnes sous main de justice ». Est également préconisée « une plus grande liberté » des personnels « dans leurs contacts avec les médias », notamment pour sensibiliser « aux réalités de la détention et de la probation ».

La condition du prisonnier ré-envisagée à minima Une certaine timidité se retrouve également sur le contenu de la peine de prison, à propos de laquelle le jury demande pourtant une « réforme profonde ». Il s’accorde sur « la nécessité de

respecter la dignité de la personne détenue et d’aller dans le sens d’une citoyenneté renforcée ». Mais les mesures préconisées restent en deçà d’un tel objectif (droit d’expression collective, rencontres détenus-victimes, adaptation du droit du travail « dans la mesure du possible »). Plusieurs pays ont déjà développés des régimes « ouverts » de détention et de respect des droits beaucoup plus progressistes dont il ne semble, là encore, pas vraiment question de s’inspirer. Portes des cellules ouvertes jusqu’à 23 heures, circulation libre à l’intérieur de l’unité, salles d’activités en libre accès, cuisines communes, droit de réunion et d’association, comité de détenus chargés de négocier des avancées avec l’administration, système des « pairs aidants » (anciens détenus venant aider les condamnés à préparer leur sortie), travail, formation ou programme pour chaque détenu, accès à internet et autorisation des téléphones portables… autant de mesures permettant d’envisager la prison tout autrement, comme un espace public le plus normalisé possible. Sarah Dindo Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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Entendre les « usagers » Davantage de peines de substitution et des incarcérations moins longues, des conditions de détention dignes, un soutien aux liens familiaux, de la formation qualifiante, des aménagements de peine le plus tôt possible, un suivi dès la sortie… Telles sont les principales demandes de groupes de détenus venus expliquer les ressorts de la récidive le 14 février, devant la ministre de la Justice entourée d’un parterre de professionnels. Une sorte de « parenthèse », loin des cloisonnements habituels.

L

es

« experts » les plus applaudis pendant l’audition

publique de la conférence de consensus auront sans conteste été les « personnes sous main de justice ». Ils étaient huit représentants de groupes ayant planché à Bois d’Arcy, Arles et Angers sur les questions du comité d’organisation. Ils sont venus dire que parmi les « facteurs de récidive », il y a la prison. La prison où « le manque de respect » est de rigueur, parce qu’on y partage une cellule à trois, on y dort à 60 cm de la cuvette des W-C, comme l’explique François. La prison faite d’ennui et d’oisiveté, alors que dans certains établissements, « il n’y a pas d’activités et il faut attendre six mois pour simplement accéder à la salle de sport ». Les détenus qui ont la chance de travailler sont « payés 1,40 euros de l’heure, c’est de l’esclavage, ils n’ont même pas le droit de parler pendant le travail », interpelle-t-il. Même écho de la part de Charlie, qui explique que « la réinsertion commence par la vie quotidienne en détention. L’hygiène est un facteur fort pour le respect de soi et des autres, donc il faudrait un accès quotidien aux douches ». Il poursuit avec la demande de « respect du code de travail, alors que nous cotisons aux différentes caisses sociales » : sont ici dénoncés des « salaires ne permettant pas au détenu de continuer à subvenir aux besoins des siens ».

Une gestion pénitentiaire uniquement « répressive » Le système carcéral est perçu comme « uniquement répressif » : la « gestion des détenus par l’administration » a ainsi tendance à générer « de la haine, donc de la récidive, qui est une forme de suicide ». Le groupe de Bois d’Arcy demande à cet égard la suppression des quartiers disciplinaire et d’isolement, « qui sont des prisons dans la prison ». A la maison centrale d’Arles, Sylvain raconte avoir trouvé « une autre gestion des personnes détenues, privilégiant la parole et l’échange. Quand il y a un problème, avant de mettre la personne au cachot, on essaie d’abord de comprendre les raisons qui ont pu amener la personne à s’énerver, on essaie de l’aider, il y a un système de médiation entre détenus et AP, ça fait du bien Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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d’avoir la parole et de pouvoir être entendus ». L’enjeu n’est pas seulement éthique, ni strictement pénitentiaire, puisque « la manière dont les détenus sont traités influera directement sur leur état d’esprit à la sortie », ajoute Charlie. Les détenus soulignent aussi toute l’importance du maintien des liens familiaux pour favoriser la réinsertion. Mehdi a été incarcéré à 19 ans, il en a 30 : il vient d’obtenir sa première permission après 11 ans de détention, pour venir témoigner à la conférence de consensus, alors qu’il n’en a jamais eu pour maintenir les liens avec ses femme et enfants. Il dénonce les « conditions indignes » des parloirs de la maison d’arrêt de Fresnes, avec ce muret entre le détenu et son visiteur : « vous n’avez pas le droit de serrer dans vos bras votre femme et vos enfants, ni de les embrasser, sachant que l’instruction peut durer longtemps, d’un à quatre ans ». Et de demander s’il est anormal que des personnes aient ensuite « de la haine en sortant de prison ? » Le groupe d’Angers explique lui aussi que « la façon dont sont traitées les familles peut les décourager » de venir au parloir et le détenu se retrouver seul, sans soutien. Le groupe d’Arles demande la généralisation des unités de vie familiale (UVF), s’appuyant sur l’expérience de Mehdi : « la première fois que j’ai mis les pieds dans une UVF, je me suis senti à nouveau papa et époux, ce que je n’avais plus ressenti depuis des années ».

Prison, « école du crime » Le groupe d’Angers relate qu’en détention, « on apprend comment obtenir de faux papiers », « on côtoie et on subit la pression des réseaux de la drogue », qui circule abondamment. Et de conclure d’une phrase qui déclenche éclats de rire et applaudissements : « vous entrez avec un CAP de voleur à la tire, vous en ressortez avec un Master en criminologie ». Les détenus déplorent tous le manque de préparation à la sortie, qui « devrait commencer dès l’entrée en prison ». Pour Sylvain, il faudrait largement « tabler sur la formation professionnelle qualifiante » dans les établissements pour peine, car le niveau d’études est « très faible » et les détenus craignent d’être « incapables d’évoluer dans un milieu professionnel ». Le groupe de Bois d’Arcy déplore quant à lui la « non présence


Conférence de consensus de Pôle emploi en détention ». Et celui d’Angers propose la création d’un « quartier sortants », comme il existe un « quartier arrivants ». Il s’agirait de préparer intensivement la sortie, notamment à travers une aide pour les démarches administratives. Des démarches dont le groupe de Bois d’Arcy souligne la lenteur, même pour un renouvellement de passeport (trois mois) ou une reconnaissance de paternité (« six mois, avec l’adresse de la maison d’arrêt figurant sur l’acte de naissance de l’enfant, à son détriment »). Certains regrettent le manque de présence, et parfois de compétence, des conseillers d’insertion et de probation. D’autres soulignent l’importance de leur travail, demandent que leurs effectifs soient renforcés : « ils ont trop de dossiers », alors qu’ils sont les mieux placés pour favoriser la réinsertion, car « ils connaissent parfaitement le milieu carcéral ».

« Même les plus durs ont envie de changer » L’importance des aménagements de peine est soulignée, notamment pour les condamnés à de longues peines, « les oubliés du débat actuel », comme le déplorent Sylvain et Mehdi. Ils pointent du doigt des détentions provisoires trop longues, qui découragent les familles, empêchent les prévenus « de prendre conscience de la gravité de [leurs] actes, en [les] focalisant sur la procédure ». L’allongement général des quantum de peines est dénoncé, tout comme les périodes de sûreté : « on ne peut pas se projeter dans l’avenir avec des peines de 20-30 ans, on n’en voit pas le bout ». La plupart des libérations conditionnelles (LC) sont accordées trop tard, une fois que le détenu est proche de sa fin de peine : « le détenu est usé, il avait fait tout le nécessaire sans jamais obtenir de LC, il broie du

ressentiment, cela n’a plus de sens » ; « Il préfère finir sa peine que d’accepter une LC tardive à laquelle il ne croit plus ». Sylvain suggère des rencontres régulières avec « tous les acteurs » (l’AP, le juge, le CPIP, le détenu), au cours desquelles des objectifs seraient posés, et s’ils sont atteints, l’aménagement de peine serait « garanti ». Il estime nécessaire de sortir du caractère très aléatoire de l’aménagement de peine pour une raison simple : « Quand on commence à tendre la main, même aux plus durs, je n’en connais pas beaucoup qui n’aient pas envie de changer et de retrouver une vie normale ». Sylvain, Mehdi, François et les autres rappellent ainsi que la prévention de la récidive préoccupe aussi les personnes confrontées à la justice, ces « usagers » qui craignent de ne plus « savoir vivre dehors », d’être « lâchés dans la nature sans encadrement », d’être définitivement « catalogués » et de retrouver leur « milieu naturel, à partir duquel [ils] auront de grandes chances de retourner en prison ». Ils font écho à nombre de facteurs favorisant la sortie de délinquance répertoriés par la recherche internationale : « le soutien de la famille, être traité avec respect par la justice et l’administration, du travail et de la formation qualifiante en prison, des permissions de sortir, des aménagements de peine le plus tôt possible, un encadrement dès la sortie, ne pas retourner dans mon environnement « naturel » »… C’est ainsi que la conférence de consensus aura au moins montré à un large auditoire l’importance d’intégrer dans les débats, mais aussi dans les pratiques, les constats et points de vue des usagers, rejoignant largement ceux d’autres « experts ». Sarah Dindo

© Samuel Bollendorf

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Surpopulation  :

un rapport parlementaire pour refonder la politique pénale Chargée de proposer des mesures de lutte contre la surpopulation carcérale, la mission d’information parlementaire menée par Dominique Raimbourg1 avance 76 mesures… visant pour la plupart à faire de l’emprisonnement un ultime recours en matière correctionnelle.

L

’une est partie de l’objectif de la prévention de la

récidive, l’autre de résorber la surpopulation des prisons. Pourtant, conférence de consensus et mission parlementaire parviennent à la même conclusion : la nécessité de réformer en profondeur la politique pénale afin de mettre un terme à la surenchère « sécuritaire » générant toujours plus d’incarcérations.1

Faire de l’emprisonnement un ultime recours La mission Raimbourg propose un arsenal très complet de mécanismes visant à faire véritablement de l’emprisonnement « le dernier recours en matière correctionnelle ». Concernant les comparutions immédiates, grandes pourvoyeuses de courtes peines de prison, la mission préconise l’instauration d’un « délai (d’un mois, par exemple) entre la déclaration de culpabilité et le prononcé de la peine, afin que celleci puisse être adaptée à la personnalité de l’auteur des faits ». Cette césure du procès en deux temps aurait le mérite de permettre un vrai débat sur la nature et la durée de la peine à partir d’une meilleure connaissance de la situation du prévenu. Sont également préconisés le fait de « réduire de moitié le quantum encouru en cas d’altération du discernement », de faciliter le prononcé du sursis simple en permettant au juge « de fixer sa durée » ou en supprimant le système de « révocation automatique », d’améliorer la rapidité et la qualité des rapports présentenciels afin de permettre au juge de prononcer davantage d’aménagements ab initio ou de peines de probation… La mission invite à supprimer toute une série de dispositifs tels que les peines plancher, la possibilité de « décerner un mandat de dépôt à l’issue du jugement contre un récidiviste lorsque la peine est inférieure à un an », les « limites 1 Rapport d’information sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale présenté par MM. Dominique Raimbourg et Sébastien Huyghe, 23 janvier 2013. Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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au recours au sursis avec mise à l’épreuve pour sanctionner les récidivistes » La mission parlementaire propose enfin de réfléchir à la dépénalisation de différentes incriminations créées sous la précédente législature, dont certaines sont « difficiles à caractériser » ou dont l’« utilité pratique est certainement limitée » : racolage passif, mendicité agressive, occupation d’un terrain en réunion, occupation d’un hall d’immeuble, vente à la sauvette… « La résolution des problèmes posés par ces délits […] passe nécessairement par l’accompagnement social des personnes concernées, lequel peut être mené indépendamment de toute poursuite pénale ». D’autres types de délits « tels que l’usage de stupéfiants, la conduite sans permis ou malgré sa suspension, le défaut d’assurance et la conduite sous l’emprise de l’alcool ou de stupéfiants » pourraient devenir des contraventions de cinquième classe sanctionnées soit par des amendes, soit par des peines de probation.

Le plébiscite des peines non privatives de liberté Les peines d’amende, de restrictions de droits (interdictions d’exercer une activité, suspension ou annulation du permis de conduire…) ou d’obligation (de réparer le préjudice, d’indemniser la victime, de suivre un stage de sensibilisation sur les drogues…) apparaissent non seulement méconnues mais insuffisamment exploitées par les juridictions. Le rapport Raimbourg préconise d’en faire dans certains cas des « peines principales en lieu et place de la peine d’emprisonnement encourue pour les délits pour lesquels la peine privative de liberté est particulièrement inadaptée ». La mission rend aussi compte des difficultés auxquelles se heurte le développement du travail d’intérêt général « alors que l’intérêt de la mesure est unanimement salué ».


ACTU de mesures, sur quel corpus va-t-il s’appuyer, dans les mois qui viennent, pour concrétiser cette volonté ?

Renforcer les aménagements de peine La mission prévoit toute une série de mesures visant à faciliter l’accès aux aménagements de peine : supprimer l’automaticité de l’évaluation pluridisciplinaire de dangerosité pour pouvoir prétendre à une libération conditionnelle ou le recours obligatoire « aux expertises psychiatriques dans le cadre de la préparation d’un aménagement de peine », supprimer également « l’ensemble des restrictions aux aménagements de peine imposées aux récidivistes ».

© Bertrand Desprez/VU

Elle propose d’une part d’accroître la marge de manœuvre des SPIP dans le choix du lieu de travail des condamnés. Et d’autre part d’instaurer des clauses dans les contrats locaux de sécurité afin de développer le nombre de places de TIG. Si un « accroissement suffisant » n’était pas atteint d’ici trois ans, il faudrait envisager de « rendre obligatoire, pour les services de l’Etat, les collectivités territoriales et les établissements publics », la création d’un certain nombre de postes de TIG. La mission parlementaire rejoint enfin le jury de la conférence de consensus sur la proposition de créer une nouvelle peine de probation, dénommée ici « contrainte pénale » – ce qui la réduit à une fonction de contrôle d’obligations, écueil pourtant déjà souligné à l’égard du sursis avec mise à l’épreuve. Il s’agirait « d’une peine principale pour certains délits, en lieu et place de la courte peine privative de liberté actuellement prévue », dont le « contenu serait variable en fonction du délit, de la situation et de la personnalité de la personne jugée ». Estimant trop ambitieux qu’elle soit « encourue pour environ la moitié des délits qui existent en droit français », le Rapporteur « estime plus prudent et plus efficace d’expérimenter la mise en œuvre de cette peine en choisissant d’en faire la peine principale d’un petit nombre de délits pour lesquels elle apparaît particulièrement pertinente. » Comme le jury de la conférence de consensus, il n’apporte pas suffisamment d’éléments sur le contenu de cette nouvelle peine, se contentant de proposer de « favoriser les travaux de recherche criminologique », afin de « définir des programmes efficaces de prise en charge des personnes placées sous main de justice ». Une lacune d’autant plus préoccupante que les pouvoirs publics manquent d’informations sur les méthodes de suivi actuellement en vigueur en France et sur celles développées dans certains services de probation étrangers dont l’impact est mieux évalué et le contenu grandement enrichi par la recherche. Alors que le gouvernement affirme vouloir développer ce type

La mission appelle à augmenter le nombre de places de semi-liberté, principalement par « la création de centres de semi-liberté autonomes plutôt que de quartiers de semi-liberté ». Il importe également pour le rapporteur de veiller à ce que les centres soient implantés à proximité des bassins d’emploi et accessibles par les transports en commun. Il suggère également d’y « autoriser les entrées et sorties de jour comme de nuit », et d’assouplir les conditions dans lesquelles les astreintes horaires des condamnés peuvent être modifiés, ces deux propositions visant à rendre les horaires compatibles avec les emplois occupés par les personnes en semi-liberté. Ou encore, d’y installer des « points phone » et d’autoriser les téléphones portables, dans la mesure où « il paraît peu judicieux de priver des personnes qui exercent ou recherchent un emploi de la possibilité de communiquer avec l’extérieur lorsqu’elles sont en détention ».

Les courbes sont têtues La circulaire d’orientation prise par la garde des Sceaux en septembre pour réduire le nombre de personnes détenues a manqué son objectif. De 66 126 détenus au 1er septembre 2012, les chiffres grimpaient à 66 746 au 1er février – après avoir atteint un sommet au mois de décembre. De tels résultats attestent, s’il en était besoin, qu’une circulaire ne suffit pas à contrer tout un arsenal législatif développé pour favoriser l’emprisonnement. Si la loi pénale n’est pas entièrement revisitée – ce que souhaite la garde des Sceaux, manquant de soutien du gouvernement et du président de la République – la situation des prisons et les pratiques judiciaires resteront inchangées. « Entre le 1er janvier 2002 et le 1er janvier 2012, le nombre de personnes placées sous écrou » a connu « une hausse de 52 %, et le nombre de personnes détenues […] un accroissement de 34 % » souligne le rapport Raimbourg. Une augmentation « nettement plus marquée que celle de la population dans son ensemble » (croissance de 7 %). De fait, le taux de détention en France est passé de 85 personnes écrouées pour 100 000 habitants en 2000 à 103 pour 100 000 en 2011. Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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La mission demande qu’il soit remédié à « l’érosion des financements alloués aux associations partenaires » des SPIP pour les mesures de placement extérieur. Ces associations, « chargées à la fois de l’accompagnement social, de l’hébergement, de la restauration, de l’emploi ou de la formation », assurent une transition très encadrée entre la détention et la vie libre. Cette mesure, reconnue « très efficace auprès des personnes les plus désocialisées », est pourtant de moins en moins prononcée.

livrées à leur isolement, ce qui entrave le processus de réadaptation sociale ». Une critique étendue à la surveillance électronique de fin de peine (SEFIP), qui se voit par là même cantonnée à « un simple mécanisme de’’désencombrement’’ des établissements pénitentiaires ». La mission propose dans un premier temps de renforcer l’accompagnement socio-éducatif des personnes placées sous surveillance électronique, et dans un second temps d’évaluer ces mesures.

Enfin, « la crédibilisation des peines et mesures de milieu ouvert […] implique une forte mobilisation en faveur des services pénitentiaires d’insertion et de probation, dont les moyens humains sont aujourd’hui limités et les méthodes de travail perfectibles. » La mission souligne la nécessité d’un « renfort des effectifs des SPIP », et fixe un objectif de 50 personnes suivies par conseiller – contre 120 en moyenne aujourd’hui. Mais elle s’accommode dans le même temps de la création de « 63 emplois dans les SPIP en 2013 », estimant qu’elle « se place dans cette perspective », alors qu’en réalité, elle ne comble pas même pas tous les départs.

Augmenter le parc carcéral et instaurer un numerus clausus

Libération conditionnelle de principe pour les peines inférieures à cinq ans La libération conditionnelle (LC) « permet un retour à la liberté à la fois accompagné et contrôlé ». Si mission parlementaire et conférence de consensus s’accordent sur la nécessité d’adopter un modèle de LC d’office, la mission se montre plus précise dans les modalités de cette réforme : pour les condamnés à une peine inférieure ou égale à cinq ans, examen obligatoire à mi-peine et LC automatique aux deux-tiers de la peine, sauf opposition du juge de l’application des peines ; pour les condamnés à une peine de plus de cinq ans, maintien d’un système discrétionnaire (décision du JAP) avec examen obligatoire à mi-peine ; pour les condamnés à perpétuité, examen après 18 ans d’incarcération. Le volet « automatique » de ce système mixte présente l’avantage de soulager le juge de l’application des peines de « la pression sociale et médiatique croissante pesant sur lui », qui le conduit « à y recourir avec parcimonie », comme en témoigne le faible nombre de LC accordées. Et le maintien d’une LC laissée à la discrétion du JAP pour les longues peines apparaît « plus acceptable pour l’opinion publique que la libération conditionnelle automatique au bénéfice de l’ensemble des condamnés ».

La surveillance électronique en question « La montée en puissance du placement sous surveillance électronique » explique très largement l’augmentation du nombre d’aménagements de peine observé depuis une dizaine d’années : « alors qu’il ne comptait que pour 29,5 % des aménagements de peine au 1er janvier 2005, il représentait, au 1er janvier 2012, 74 % de l’ensemble des mesures. » Le député souligne « l’insuffisance de l’accompagnement socio-éducatif » dont pâtit cette mesure envisagée comme un simple contrôle des déplacements. « Souvent, les personnes qui en bénéficient sont Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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En dépit de préconisations volontaristes pour réduire les emprisonnements, la mission parlementaire se prononce en faveur d’une poursuite de « l’expansion du parc immobilier pénitentiaire afin de porter à 63 500 le nombre de places de prison », à l’inverse du jury de la conférence de consensus qui écarte « tout accroissement du parc pénitentiaire actuel ». Le rapporteur estime que cette proposition, calée sur une option déjà prise par le gouvernement, répond à un « déficit structurel de places de prison » et serait le « seul moyen de faire de l’encellulement individuel une réalité ». Un argument qui témoigne du faible impact attendu d’une politique pénale alternative… « Si l’effet des propositions » contenues dans le rapport « n’était pas suffisant », Dominique Raimbourg propose également de « recourir au numerus clausus ». Le dispositif « serait atteint non pas en freinant la mise à exécution des peines d’emprisonnement prononcées, mais en permettant aux condamnés d’accéder plus rapidement à des mesures de libération conditionnelle ou d’aménagement de peine ». Lorsqu’un établissement atteint un seuil d’occupation préalablement déterminé, « le condamné dont le reliquat de peine serait le plus court bénéficierait d’un aménagement de peine […], d’une mesure de SEFIP, ou encore, de manière subsidiaire, d’un crédit de réduction de peine » égal à la durée de l’incarcération restant à subir. Persuadé « des effets positifs » d’un tel dispositif, le Rapporteur convient néanmoins de sa « relative complexité ». Pour ceux qui resteraient incarcérés en maison d’arrêt, le rapport Raimbourg souhaite que s’engage « une réflexion sur les conditions de détention » dans ces établissements, « caractérisées par une rigueur dont les justifications ne sont pas toujours évidentes ». Est notamment mis en cause le régime fermé, imposant « le maintien en cellule, parfois plus de vingt heures par jour, de personnes qui ne disposent que de quelques heures de promenade ». De telles conditions de détention, « source d’une oisiveté largement répandue, obèrent les chances de réinsertion, en faisant de l’incarcération un temps inutile ». Est également suggérée la « construction d’établissements pénitentiaires à sécurité allégée, sur le modèle du centre de détention de Casabianda », alors qu’il ressort de « l’audition des syndicats de surveillants que la majorité des personnes incarcérées ne présente pas de risque d’évasion ». Un risque à partir duquel l’ensemble du régime appliqué en détention reste pourtant pensé. Barbara Liaras et Sarah Dindo


ACTU

Baumettes  :

à l’assaut de l’indignité

© G. Korganow pour le CGLPL

Cour de promenade de la maison d’arrêt des hommes. Inondation avec la pluie, 2012.

Des conditions de détention « sans doutes inhumaines, sûrement dégradantes ». Il aura fallu un coup de semonce du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, un emballement médiatique, puis l’intervention du juge administratif saisi par l’OIP, pour que des mesures d’urgence soient enfin prises dans la prison marseillaise. Visant à mettre aux normes les installations électriques, dératiser, assurer le ramassage des détritus, cloisonner les w.-c.… Les travaux engagés apparaissent aussi indispensables qu’insuffisants, alors que tout autre établissement public ne respectant pas les normes d’hygiène et de sécurité aurait été fermé.

C

’est par « le combat contre la prolifération des

rats1 » qu’ont enfin démarré les opérations de réhabilitation du centre pénitentiaire des Baumettes : « interventions intensifiées2 » d’une société spécialisée dans la lutte contre les rongeurs, et affectation de trente personnes détenues supplémentaires au « service général » pour contribuer au nettoyage et à la désinfection. Un programme de rénovation des cellules les plus vétustes est enclenché, comprenant la réfection des sanitaires (avec pose de « cloisons d’intimité »), des travaux d’électricité, de peinture et de plomberie, la pose de nouveaux châssis de fenêtre et une désinfection totale. Au passage, l’occasion est saisie de poser des caillebotis aux fenêtres, mesure privilégiée par l’administration pour lutter contre les jets de détritus, avec pour conséquence d’assombrir encore 1 Courrier du directeur interrégional des services pénitentiaires au député Jean-Jacques Urvoas, 21 février 2013. 2 Ibid. Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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un peu plus les cellules. Six personnels qualifiés recrutés en décembre 2012 s’ajoutent aux six contractuels techniques déjà présents dans l’établissement. Dans ces conditions, assure le directeur interrégional des services pénitentiaires (DISP), il faudra dix mois pour rénover 200 cellules, à raison d’une par jour en moyenne. Le quartier homme en comprend 973.

Coup de semonce A l’origine de cette vaste opération, le choc suscité par les révélations largement médiatisées du Contrôleur général et la publication des photos prises durant la mission des vingtdeux contrôleurs du 8 au 19 octobre 2012. L’état d’insalubrité et de délabrement de la prison décide le Contrôleur à mettre en œuvre, pour la seconde fois depuis sa création, la procédure d’urgence réservée aux situations où il constate une violation grave des droits fondamentaux. Saisissant la garde des Sceaux, il l’enjoint de prendre des mesures significatives destinées à mettre un terme à ce qu’il qualifie de « traitement inhumain et dégradant ». Le Contrôleur donne à voir des « conditions d’existence misérables » : cellules ravagées par l’humidité, dont les « équipements électriques, totalement défaillants, exposent les personnes détenues à des dangers manifestes d’électrisation, voire d’électrocution ; carreaux de fenêtre cassés, dont les bouts de verre se trouvent encore dans le châssis ; chariots de repas entreposés à côtés de poubelles débordant de détritus, plateaux repas déposés à même le sol, présence d’immondices partout dans les locaux… » Le Contrôleur relève que « depuis deux ans, les rats pullulent (on en voit même dans la journée), et s’ajoutent aux autres nuisibles », les surveillants étant réduits à faire « leur ronde de nuit en tapant des pieds pour les éloigner ». Et de conclure : « L’insalubrité et l’absence d’hygiène sont consubstantielles à la plus grande partie de l’établissement. »

« L’épée du droit » « Compte tenu de l’intention clairement affichée des autorités publiques de ne pas adopter de réaction immédiate et concrète aux recommandations formulées », des actions en justice sont initiées par l’OIP, en collaboration avec le Barreau de Marseille, le Syndicat des avocats de France, le Conseil national des barreaux et le Syndicat de la magistrature. Il s’agit de contraindre l’administration à prendre en urgence les mesures indispensables à la protection des personnes. « Si l’Etat est paresseux, si rien ne le mobilise, même pas la manifestation ostensible de sa nullité, on va le prendre à la gorge, on va agir à sa place. On va lui mettre l’épée du droit dans les reins », commente l’avocat général Philippe Bilger sur son blog le 25 décembre 2012. C’est ainsi que le tribunal administratif de Marseille ordonne à l’administration pénitentiaire, le 14 décembre, de faire en sorte que chaque cellule « dispose d’un éclairage artificiel et d’une fenêtre en état de fonctionnement ». Il exige de « faire procéder à l’enlèvement de détritus » dans les cellules et les parties communes, et ordonne d’autres mesures relevant de l’hygiène ordinaire. Le 22 décembre 2012, le Conseil d’Etat, saisi en appel de cette décision, impose une « opération d’envergure » de Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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dératisation et de désinsectisation de la prison dans un délai de dix jours. La juridiction relève que « la carence de l’Administration dans l’entretien de la prison avait porté une atteinte grave et manifestement illégale » aux libertés fondamentales des détenus. Le 10 janvier 2013, le tribunal administratif de Marseille ordonne à l’administration pénitentiaire de procéder, cette fois sous trois mois, à des travaux en matière d’étanchéité de l’un des bâtiments, à l’installation de « cloisons d’intimité » permettant de séparer les toilettes dans 161 cellules, à la mise en conformité des installations électriques et à la remise en état des monte-charges dévolus aux transports des déchets. Une véritable mise sous tutelle de l’administration par les juges, qui se refusent néanmoins à accéder à la principale demande formulée par l’OIP, à savoir la fermeture des bâtiments les plus délabrés (A, B et D) dans l’attente de leur rénovation. Et rechignent ainsi à combler le fossé séparant un établissement pénitentiaire de n’importe quel autre établissement public, dont la fermeture serait imposée devant un tel non-respect des normes d’hygiène et de sécurité.

Vingt ans d’abandon et d’investissements inutiles Lorsque le ministère de la Justice affirme dans sa réponse au Contrôleur général que depuis dix ans, l’Etat « a investi quelque 7,9 millions d’euros pour le maintien en condition opérationnelle de l’établissement », Jean-Marie Delarue rétorque que les mesures prises au fil des ans n’ont apporté « aucune amélioration substantielle ». L’utilisation du budget destiné à l’entretien et à la maintenance de l’établissement, accru, selon le ministère, de 12 % entre 2011 et 2012 pour atteindre 572 000,00 euros, ne manque pas de susciter des interrogations. D’autant que les données recueillies par le Contrôleur dressent un tout autre tableau : diminution de 26 % en deux ans des « crédits de maintenance courante », de 58 % de la somme inscrite au titre de « l’hygiène et propreté des détenus », ou encore de 36,7 % pour la ligne « fournitures et travaux ». En vingt ans, les alertes n’ont pourtant pas manqué. Le Comité européen de prévention de la torture (CPT) notait déjà en 1991 que « l’état général des cellules et de leur équipement était d’une vétusté avancée » et que les conditions de détention dans cette prison relevaient du « traitement inhumain et dégradant ». En septembre 2005, le commissaire européen aux Droits de l’homme se disait particulièrement « choqué des conditions de vie observées aux Baumettes », ajoutant que « le maintien de détenus en leur sein [lui] parai [ssait] être à la limite de l’acceptable et à la limite de la dignité humaine ». Suite à une visite en novembre et décembre 2008, l’Agence régionale sanitaire (ARS) Provence-Alpes-Côte-d’Azur s’alarmait, elle aussi, des conditions de vie dans l’établissement. Tout comme la sous-commission départementale pour la sécurité, qui demandait en avril 2011 la fermeture des locaux compte tenu de la dégradation des systèmes électriques et des risques d’incendie qui en résultent. Sans résultat.


ACTU

Humidité dans un « entredeux » cellules d’une coursive de la maison d’arrêt des hommes, 2012.

© G. Korganow pour le CGLPL

La tentation de l’inertie Le ministère de la Justice s’apprêtait à persister dans son inertie, au vu de la réponse faite le 4 décembre 2012 au rapport du Contrôleur. Une réponse qui se contente de rappeler un projet de restructuration du centre pénitentiaire, déjà annoncé depuis plusieurs années et dont l’achèvement était programmé pour 2017. Et Jean-Marie Delarue d’afficher son scepticisme : « Les travaux actuellement projetés conduiront à démolir […] la partie la moins dégradée de ce vaste ensemble (le centre pénitentiaire des femmes). Cette opération ne peut prendre sens que si elle est jumelée avec la rénovation (ou la reconstruction, plus onéreuse) du bâtiment (la maison d’arrêt des hommes). Toute autre solution ne changera pas les conditions de vie inacceptables qui existent aujourd’hui et dont la plupart des interlocuteurs du contrôle général ont souligné les graves conséquences. » Le 8 janvier 2013, Christiane Taubira se rend aux Baumettes, prison « emblématique du manque de volonté politique trop longtemps subi par l’institution », pour présenter sa politique pénitentiaire. Pour désengorger la maison d’arrêt et accueillir les personnes détenues « dans de meilleures conditions », elle invoque sa circulaire du 19 septembre 2012, dont elle escompte « une baisse des effectifs dans les établissements pénitentiaires ». Les effets attendus ne sont pas au rendez-vous : la maison d’arrêt marseillaise affiche 138 % d’occupation au 1er novembre 2012 – soit le même taux qu’en septembre, octobre ayant vu le taux grimper à 140 %. Les opérations de « désencombrement » ont permis de le ramener à 127 % au mois de janvier, au détriment d’autres établissements de la région : le quartier maison d’arrêt d’Aix-Luynes est passé de 136 % à 144 % d’occupation entre novembre 2012 et janvier 2013. Dans une véritable économie de la pénurie – de budget, de travail, d’activités –, la surpopulation des Baumettes rime avec violences et caïdat, avait également souligné le Contrôleur. « Le moindre bien (éventuellement le comportement) s’achète et se vend. » Un marché générant « des créances et des dettes, des injonctions de payer, des rackets, des menaces. L’agression sanctionne celui qui ne veut ou ne peut plus payer ». Des personnes « n’osent plus sortir de leur cellule, même pour

la douche, pour la promenade ou pour accéder aux soins ». Des phénomènes face auxquels la garde des Sceaux se contente d’appeler les parquets à la plus grande fermeté « pour identifier et traduire en justice les auteurs de tels faits » – s’attaquant aux symptômes et non aux causes. Lors des débats sur le projet de loi pénitentiaire en 2009, la députée Christiane Taubira avait tenu un tout autre discours : « On ne peut pas se prévaloir des turpitudes de l’Etat, qui n’a toujours pas su mettre fin à la surpopulation carcérale, pour justifier que l’on aille crescendo dans la répression d’attitudes qui sont générées par le confinement, par la réduction de l’espace vital, par les conditions de vie extrêmement pénibles des détenus.3 »

Une vigilance maintenue Pour veiller à l’exécution des décisions de justice et à la mise en œuvre de ses recommandations, Jean-Marie Delarue annonce déjà une « contre-visite » des Baumettes en 2013. Six députés, conduits par Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois, entendent également veiller au grain. Si « la dératisation et le nettoyage ont été engagés, les crédits de maintenance stabilisés », reconnaît le député, « l’objectif final est encore loin4 ». Un scepticisme partagé par le président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), pour lequel « dix jours de dératisation ne suffiront pas pour apporter une vraie amélioration ». « L’Assemblée est solidaire des actions de l’OIP », poursuit-il, se disant « soulagé que l’on sorte enfin de ce statu quo insupportable et de l’immobilisme qui planaient sur la prison des Baumettes. » Mais aussi profondément choqué d’« imaginer qu’à la veille de l’année 2013 l’on doit prendre des mesures d’urgence et d’envergure de dératisation et de désinsectisation dans un établissement pénitentiaire en France5 ». « Si j’étais l’Etat, j’aurais honte », conclut Philippe Bilger. Barbara Liaras 3 Assemblée nationale, séance du 17 septembre 2009. 4 Marsactu, 9 janvier 2013. 5 Jean-Claude Mignon, communiqué de presse, 23 décembre 2012. Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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La leçon du Contrôleur général… Abordant la dernière année de son mandat, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté dresse, dans son rapport d’activité 2012, un bilan des revirements culturels nécessaires à la réforme pénale et pénitentiaire en France.

Messages pour les politiques

A

l’ensemble de ses lecteurs, Jean-Marie

Delarue

demande, en avant-propos de son 5e rapport d’activité1, de « se défaire de trois attitudes ». La première, qui revient à estimer qu’« ils n’ont que ce qu’ils méritent, […] se retourne contre ceux qui la prennent : si la privation de liberté s’accompagne de traitements inhumains, quel sera l’état des êtres qui les auront endurés au jour de leur sortie ? ». La deuxième emprunte à « un relativisme de bon ton », affirmant que la situation des lieux de privation de liberté dans « d’autres pays est bien pire ». Une « allégresse administrative » à laquelle le contrôleur rétorque qu’il « n’y a pas de thermomètre de la souffrance », ni de « petites entorses, de coups de griffe bénins, de méconnaissances blagueuses » des droits fondamentaux. La troisième, « la plus paralysante », tendrait à « interdire de mettre en cause un dispositif de privation de liberté au motif que ceux qui le servent font bien des efforts pour le faire fonctionner, que leur vie quotidienne est harassante, parfois dangereuse ». Une affirmation tout aussi exacte qu’elle s’inscrit à l’encontre des intérêts des personnels : « Ceux qui défendent une conception de la sécurité qui fait fi de la dignité des personnes sont les premières victimes de leurs convictions. » 1 Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Rapport d’activité 2012, 390 p., Dalloz.

Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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A l’adresse de l’ancienne majorité, le Contrôleur général conteste de nouveau, en écho à son avis de juin 2012 relatif au nombre de personnes détenues, la pertinence d’un fort accroissement du parc carcéral. En effet, la croissance du nombre de détenus s’explique avant tout par une politique pénale ayant favorisé une extension « des infractions punies de prison », un « développement de procédures de jugement plus rapides », « la mise en œuvre de peines minimales »… A des maux identifiés, des remèdes adaptés, parmi lesquels « interroger le bien-fondé de l’emprisonnement pour certaines infractions et certaines personnes », « soumettre à examen la capacité du système pénitentiaire à prévenir la récidive », « développer de nouvelles peines hors emprisonnement – qui ne seront pas pour autant moins efficaces », « accroître l’aménagement des peines » en privilégiant les mesures « durables et facilitant la réinsertion » à la différence de procédés tels que le placement sous surveillance électronique, qualifié à l’oral par Jean-Marie Delarue de « mesure paresseuse ». Il répond aux critiques ayant pu entourer son rejet d’un numerus clausus, « comme si refuser de prescrire un médicament dangereux revenait à se prononcer contre la guérison ». Un tel mécanisme reviendrait à décider de mettre fin à une détention « du seul fait de la situation des effectifs de l’établissement », aboutissant à ce que deux détenus « abrités à des moments différents dans le même établissement » aient une exécution de peine différente, « sans relation avec ce qu’ils sont ni ce qu’ils ont commis ». Le numerus clausus pourrait aussi impliquer « de faire attendre à la porte de la prison qu’une place se libère », avec pour effet de voir exécuter des peines « des mois ou des années » après leur prononcé,


ACTU à l’encontre de personnes parfois réinsérées dont les efforts seraient ainsi ruinés. A l’adresse de la nouvelle majorité, le Contrôleur apporte son soutien aux nouvelles orientations de politique pénale définies dans la circulaire du 19 septembre 2012, s’appuyant sur les « dispositions qui privilégient les mesures à l’incarcération et d’aménagement des peines ». Mais il signifie qu’elles « ne règlent pas toutes les questions ». En l’absence de réforme législative, la procédure pénale reste en effet « tiraillée entre des inspirations diverses ». S’il se félicite du « ralentissement de la construction de nouvelles prisons », il interroge sur « la rénovation nécessaire des anciennes ». Il faudra également, selon lui, « se préoccuper de la manière dont vivent en prison les personnes détenues tout autant que les personnels », rappelant à cet égard que « le changement de cadre matériel ne suffit pas à améliorer le climat qui prévaut dans les établissements ». Il faudra enfin convaincre l’opinion publique de la nécessité de telles évolutions, en résistant à « l’envie de solutions expéditives que suscite tel ou tel crime odieux ».

au-delà du transport et de l’arrivée, pendant « tout le séjour à l’hôpital », au cours de consultations ou d’interventions médicales, avec « menottage au lit » dans certains lieux… De tels traitements entraînent de la part de personnes détenues « des refus de se soigner », en renonçant à être envoyées à l’hôpital. Si le risque d’évasion est faible – quinze à vingt évasions par an, soit un taux de 2 pour 10 000 extractions, selon les estimations du Contrôleur –, il engage la responsabilité des personnels chargés de l’escorte, soumis à une obligation de résultat. Une responsabilité qui n’est pas « établie à l’aune des moyens employés », mais du « résultat obtenu » (absence d’évasion). Du point de vue du surveillant, si une seule personne s’évade sous son autorité, c’est « sa carrière qui est compromise ». Du point de vue du Contrôleur, « l’inconfort et l’humiliation de dizaines de milliers de personnes, le refus de soins de plusieurs centaines, sont un prix élevé à payer ». Si bien qu’il préconise, en la matière, de passer d’une obligation de résultat à une obligation de moyens, afin de limiter le recours aux menottes et aux entraves « aux seules hypothèses où il est indispensable ». Les personnels d’escorte deviendraient ainsi responsables d’avoir adopté les « techniques de contrainte en relation avec le risque réellement encouru, c’est-à-dire proportionnées aux caractéristiques de la situation (temps de transport, configuration des lieux…) et de la personne (état physique, âge, tentatives antérieures d’évasion…) », mais non plus de l’évasion. Un glissement qui pourrait être adopté pour bien d’autres mesures de sécurité, et qui « vaudrait, pour les personnes incarcérées, comme pour les personnels, de l’or ». Sarah Dindo

© Bernard Le Bars/Signatures

Menottes et entraves, une recommandation en « or » Parmi les nombreuses préconisations plus concrètes du rapport, relevons celle concernant l’usage des moyens de contrainte, en particulier les menottes et entraves au cours des extractions hospitalières des détenus. La réglementation a beau inviter à « adapter la contrainte au risque présenté par la personne transportée à l’hôpital, notamment le risque d’évasion ». En réalité, « la presque totalité des extractions dans la presque totalité des établissements visités se fait toujours avec menottes et entraves, autrement dit en mettant en œuvre le niveau de sécurité le plus élevé ». Avec pour conséquence des « déplacements malaisément ou difficilement supportés », des « humiliations profondes d’apparaître en public entre deux personnes en uniforme, dans un grand cliquetis de chaînes, source d’effroi pour les personnes présentes ». De telles mesures sont, en outre, maintenues le plus souvent

Le temps médiatique… et celui du contrôle L’accélération de la publication des rapports de visite du Contrôle général n’est pas à l’ordre du jour. Les rapports récemment publiés sur son site concernent des visites de prisons de 2010, soit une publicité rendue près de trois ans plus tard. Une situation qui en annule la portée médiatique, sauf utilisation de la procédure d’urgence (à deux reprises, pour les Baumettes et Nouméa). Dans le rapport d’activité 2012, une amélioration « substantielle dans les mois qui viennent » des délais d’achèvement et de publicité des rapports de visite est annoncée comme « peu probable ». Le Contrôleur l’explique notamment par la procédure de confection des rapports, impliquant « un double échange contradictoire, le premier avec le chef d’établissement, le second avec l’autorité ministérielle », auxquels des délais de réponses plus brefs ne peuvent être imposés afin de rester compatibles « avec la possibilité de s’informer et de peser les termes de la réplique ». En 2012, les équipes du Contrôleur se sont rendues dans 25 établissements pénitentiaires, ce qui porte à 141 sur 191 le nombre de prisons visitées depuis 2008. La durée moyenne des visites en détention est de cinq jours, recouvrant un éventail de trois à douze jours. Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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Le droit du travail entrera-t-il en prison ? Deux actualités juridiques pourraient être à l’origine d’une évolution des droits des travailleurs détenus. En février 2013, le Conseil des prud’hommes de Paris a condamné une entreprise pour non-respect des procédures de licenciement à l’égard d’une détenue, alors que les juridictions prud’hommales s’étaient toujours refusées à se prononcer sur le travail en prison. En mars, une question prioritaire de constitutionnalité a été transmise au Conseil constitutionnel, mettant en cause la légalité de l’absence de contrat de travail en prison.

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8 février 2013,

le conseil des prud’hommes

(CPH) de Paris a accepté d’examiner les récriminations d’une détenue contre l’entreprise pour laquelle elle travaillait à la maison d’arrêt de Versailles. Plus encore : il a condamné l’entreprise pour ne pas avoir versé à la détenue des indemnités de licenciement, assimilant pour la première fois les relations de travail en prison à celles du milieu libre. Cette décision n’allait pas de soi, dans la mesure où les juridictions prud’hommales s’étaient jusqu’à présent toujours déclarées incompétentes dans ces litiges, leur compétence s’appuyant sur l’existence d’un contrat de travail. Le CPH de Paris a considéré que l’article 717-3 du Code de procédure pénale (CPP), qui exclut le contrat de travail en prison, n’était pas conforme à certaines normes internationales, dont la convention sur le travail forcé de l’Organisation internationale du travail (OIT), ratifiée par la France. Le CPH a donc décidé de ne pas tenir compte de cet article et estimé que la détenue se trouvait dans une position de salariée visà-vis de l’entreprise.

Le Conseil constitutionnel appelé à se prononcer La légalité de l’article 717-3 est par ailleurs posée dans une affaire portée devant le conseil des prud’hommes de Metz. Dans le cadre d’un litige opposant un détenu à la société Sodexo à propos des rémunérations perçues, les avocats du plaignant ont formé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Cette procédure permet de soulever l’inconstitutionnalité d’une disposition législative et de demander au Conseil constitutionnel de se prononcer avant que l’affaire ne soit examinée. Pour cela, il faut que la juridiction saisie, puis la Cour de cassation, estiment que la question a un caractère sérieux : une condition remplie, selon le CPH de Metz et la Cour de cassation. Dans un arrêt du 20 mars 2013, celleci a en effet reconnu que l’absence de contrat de travail est Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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« susceptible d’avoir pour effet de porter atteinte au droit pour chacun d’obtenir un emploi, au droit de grève et au droit, pour tout travailleur, de participer par l’intermédiaire de ses délégués à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ». Autant de droits garantis par le préambule de la Constitution de 1946. La question a donc été transmise au Conseil constitutionnel, qui devra se prononcer dans les trois mois. Dans les deux cas, c’est l’écart entre la situation des travailleurs libres et celles des travailleurs détenus qui est pointé : l’état de détention justifie-t-il de priver les détenus de contrat de travail et de tous les droits afférents ? Le CPH de Paris a répondu non. Reste à savoir ce que dira le Conseil constitutionnel. Sans contrat ni bénéfice de ce fait de la protection de la législation sociale, les détenus ne peuvent prétendre à des indemnités en cas de licenciement chômage technique ou arrêt de travail pour raisons médicales, ni au SMIC, à des congés payés ou des droits syndicaux…

Une administration rétive à appliquer la loi L’administration n’applique même pas les modestes avancées issues de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 en matière de rémunération. En effet, malgré l’introduction d’un taux horaire indexé sur le SMIC (entre 20 % et 45 % selon le travail exercé), l’administration continue de se référer au système antérieur. Au service général, c’est-à-dire pour les tâches effectuées pour le compte de l’administration, c’est toujours un tarif journalier qui prévaut, et en production, une rémunération à la pièce – le concessionnaire fixe une cadence qu’il faut respecter pour pouvoir bénéficier d’un taux horaire avoisinant 45 % du SMIC. Ces modes de calcul aboutissent généralement à des rémunérations inférieures aux taux prévus par la loi. A titre d’exemple, un détenu ayant assuré en 2012 la gestion de la bibliothèque de la maison d’arrêt de Mulhouse, à raison de quatre journées par semaine, entre cinq et six heures


ACTU

L’état de détention justifie-t-il de priver les détenus de contrat de travail et de tous les droits afférents ? Le Conseil des Prud’hommes de Paris a répondu non. © Célia Quilleret

par jour, n’a bénéficié que d’une rémunération équivalente à 1,33 euro de l’heure, alors qu’il aurait dû toucher 20 % du SMIC, soit 1,88 euro de l’heure. En juillet, août et septembre, il n’a ainsi perçu que 112 euros pour 84 heures de travail, au lieu de 158 euros. A sa sortie de prison, il a demandé à percevoir le différentiel mais il s’est vu répondre, dans un courrier du 23 janvier, que « la rémunération [au service général] ne se fait pas en heure mais sur la base d’une journée de travail ». En production, le système de rémunération appliqué aboutit par ailleurs à ce que le nombre d’heures inscrit sur les bulletins de paye ne corresponde pas au temps effectivement travaillé. Il est en effet déterminé en rapportant le nombre de pièces traitées à la cadence horaire fixée par le responsable d’atelier. Le juge administratif n’a heureusement pas les mêmes réticences à appliquer la loi. Dans une décision du 26 décembre 2012, le tribunal administratif de Toulouse a fait droit à la demande indemnitaire d’un détenu auquel le taux horaire n’avait pas été appliqué. Le juge a estimé que la dette de l’administration n’était pas « sérieusement contestable1 ». Encore faut-il que les détenus connaissent leurs droits et entreprennent des recours devant les juridictions administratives pour les faire respecter…

De maigres acquis déjà menacés Dans son avis sur le projet de loi de finances pour 2013, le sénateur Jean-René Lecerf n’a pas manqué de relever les « vives résistances » que rencontre l’application des seuils de rémunération prévus par la loi. Il relate que les entreprises concessionnaires estiment qu’une « rémunération horaire conduirait non seulement à écarter une partie des travailleurs n’ayant pas les qualités requises », c’est-à-dire les moins productifs, « mais obligerait aussi à procéder à une mesure effective du temps de travail accompli, ce qui serait source de tensions supplémentaires au sein de la détention2 ». Or, au lieu de rappeler que le travail en prison vise la réinsertion des détenus et qu’en ce sens il est nécessaire de leur permettre de bénéficier de rémunérations décentes, le sénateur envisage de revenir sur ces maigres droits acquis. En effet, pour lui, si l’application du taux horaire « devait corroborer les préoccupations des entreprises concessionnaires, le législateur serait sans doute conduit à intervenir de nouveau ». 1 Voir rubrique « De facto » de ce numéro. 2 J.-R. Lecerf, Avis sur le projet de loi de finances pour 2013 : Justice : Administration pénitentiaire, Sénat, 22 novembre 2012.

Un argument similaire avait été utilisé lors de l’examen de la loi pénitentiaire pour rejeter l’idée d’un alignement des droits des détenus sur ceux des travailleurs libres. Le principe d’un contrat de travail avait été écarté en regard de la « forte opposition » suscitée par cette perspective dans le « monde de l’entreprise3 ». Les normes associées au contrat « créeraient des droits au profit des détenus », dont l’application serait source de « charges financières fortement dissuasives pour les entreprises », souligne l’exposé des motifs de la loi pénitentiaire. Dans ce texte, il est également énoncé que « les obligations nées de l’état de détention [doivent] prim [er] toutes les autres ». En effet, pour l’administration, « les contraintes de sécurité et plus généralement de fonctionnement d’un établissement pénitentiaire [sont] fondamentalement incompatibles4 » avec l’application du droit du travail. L’OIT réfute une telle conception. Pour cet organe de l’ONU, « il est évident que leur condamnation ne signifie pas que les prisonniers ne devraient pas jouir des droits dont bénéficient les autres citoyens ; et ce, d’autant moins s’ils sont employés à un travail productif pour des employeurs privés5 ». Comme le souligne le spécialiste du droit du travail Philippe Auvergnon, « la relation entre enfermement et travail doit être partout revisitée », et d’autres pays européens montrent la voie. En Espagne, la rémunération « est proche du salaire minimum interprofessionnel applicable hors prison6 », rappelle-t-il. En Italie, « la grève est possible », dans « le respect de la réglementation de la prison ». Aux horaires habituels de travail, le travailleur détenu reste dans sa cellule. En France, souligne le juriste, le travail reste uniquement « conçu comme une activité occupationnelle participant avec d’autres à la paix sociale », ce qui autorise à l’envisager de manière complètement dérogatoire au droit commun et ne privilégier que les intérêts des entreprises et de l’administration pénitentiaire. Or, « le travail pourrait être bien plus que cela s’il était juridiquement reconnu et décemment rémunéré ; il contribuerait alors directement au maintien de la dignité de la personne incarcérée et de ses liens sociaux ». Sacha Besuchet et Marie Crétenot 3 Exposé des motifs de la loi pénitentiaire. 4 DAP, Projet de loi pénitentiaire : hypothèses DAP, septembre 2007. 5 OIT, Rapport général de la commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations, 2001. 6 Ph. Auvergnon, « Le travail en prison dans quelques pays européens : du non droit au droit aménagé , Bulletin de droit comparé du travail et de la Sécurité sociale, 2007. Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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Harmonisation des tarifs TV : l’État se défausse Annoncée pour le 1er janvier 2013, l’uniformisation des tarifs de location d’un téléviseur à 8 euros par mois et par cellule, c’est-à-dire à prix coûtant, était fortement attendue en détention. Cet engagement pris par le précédent garde des Sceaux en octobre 2010 devait mettre un terme aux sur-tarifications et à la diversité des prix selon les lieux de détention. L’engagement ne sera pas tenu. Selon une note de la direction de l’administration pénitentiaire du 19 octobre 2012, le « directeur du cabinet du garde des Sceaux a décidé que la mise en œuvre de ce nouveau tarif

serait différée » dans les établissements en gestion déléguée. Et ce, « pour limiter les conséquences financières » inhérentes à la modification nécessaire des contrats passés avec les prestataires privés gérant les parcs de téléviseurs. Réduire les tarifs de location imposerait en effet de verser une compensation financière aux prestataires privés. Et l’Etat ne veut pas payer cette somme, qui s’élèverait à 10 millions d’euros et n’aurait pas « été provisionnée ni budgétisée pour 2012 ni 2013 ». Le ministère a donc choisi d’attendre « l’échéance des contrats en cours

d’exécution ». Ce qui reporte l’harmonisation des tarifs à… 2018, les contrats arrivant à terme entre le 31 décembre 2015 et le 31 décembre 2017. En attendant, l’inégalité reste de mise. Les personnes incarcérées dans une prison en gestion déléguée – soit près de la moitié de la population détenue (45 %) – demeurent soumises à un tarif de 18 euros par mois, les autres bénéficiant du tarif à prix coûtant depuis le 1er janvier 2012. A titre de comparaison, pour 2013, plus de 138 millions d’euros sont budgétés pour l’accroissement du parc carcéral.

Rétention de sûreté : un deuxième pensionnaire

© Samuel Bollendorf

Le café n’est plus un produit dangereux en prison Interdit de vente en cantine depuis 1986, le café vient d’être autorisé par une note du 23 janvier 2013 de l’état-major de sécurité de la direction de l’administration pénitentiaire. La caféine était en effet considérée comme susceptible de troubler l’ordre interne en raison de son effet excitant. Cette décision fait suite à l’interpellation du Contrôleur général estimant l’interdiction non justifiée « compte tenu de la vente en cantine d’autres produits pouvant présenter des caractéristiques analogues, par exemple le Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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Coca-Cola ». Combien de temps faudra-t-il attendre pour que la farine ou le scotch ne soient plus perçus comme de potentiels dangers ? Certains établissements bannissent en effet la farine par crainte qu’elle ne soit utilisée comme de la colle. D’autres interdisent la vente de scotch – qui, comme l’expliquait l’administration au Canard Enchaîné en juillet 2011, « peut servir à se pendre ». La bêtise peut aussi être blessante, relevait le journal. Note DAP/EMS2 du 21 janvier 2013 relative à la vente de café en cantine.

Ayant enfreint les obligations liées à sa mesure de surveillance de sûreté, un sexagénaire a été placé en rétention de sûreté provisoire le 9 novembre 2012. Une mesure levée le 22 décembre, la juridiction régionale de la rétention de sûreté (JRSS) ayant estimé que cette période de rétention avait dû « lui permettre de comprendre l’intérêt qui est le sien de respecter à la lettre ses obligations », et décidé de renforcer la surveillance de sûreté par un placement sous surveillance électronique mobile. C’est la seconde personne « retenue » depuis l’ouverture en 2008 du Centre socio-médico-judiciaire (CSMJ) de Fresnes, qui tournait à vide jusqu’à l’arrivée, le 23 décembre 2011, d’un premier pensionnaire, maintenu dans les lieux jusqu’au 2 février 2012. La garde des Sceaux, Christiane Taubira, a annoncé le 8 décembre 2012 son intention de supprimer cette mesure. OIP, coordination régionale Ile-de-France

de facto


de facto Peines plancher : 12 000 années de prison supplémentaires prononcées « Près de 12 000 années » d’emprisonnement ferme supplémentaires ont été prononcées sur la période 20082010, suite à la loi du 10 août 2007 instituant des peines minimales en cas de récidive criminelle ou correctionnelle. Un accroissement dû essentiellement à la multiplication et à l’allongement des courtes peines de prison, selon une étude réalisée par le service statistique du ministère de la Justice. Avant comme après le texte, les délits commis en récidive restent très majoritairement sanctionnés par des peines d’emprisonnement, ferme ou avec sursis – autour de 94 %. En revanche, le quantum des peines s’est alourdi : pour l’emprisonnement ferme, le quantum est passé de 8,2 mois à 11 mois, soit +34 %. « Pour évaluer l’impact de la loi du 10 août 2007, indique Fabrice Leturcq,

il faut comparer les peines prononcées avant et après la loi ». Le pôle d’évaluation des politiques pénales élabore une base de comparaison « comprenant, d’une part, les condamnations éligibles [à une peine plancher] prononcées après la loi (entre 2008 et 2010), d’autre part des condamnations prononcées entre 2004 et 2006 présentant les mêmes caractéristiques : infractions encourant au moins trois ans, commises en récidive après le 11 août 2003 ». Le « taux de peines minimales prononcées (TPM) » ainsi calculé « a largement augmenté ». Pour les infractions encourant des peines de trois ans, le TPM est passé de 12,9 % à 45,8 %. Il est sensiblement inférieur pour les délits les plus graves : entre 6 % et 7 % avant la loi, et entre 37 % et 38 % après la loi. Cette construction montre un impact

« particulièrement important en matière de vols, de destructions-dégradations ou d’infractions à la législation sur les stupéfiants puisque les peines plancher sont prononcées six fois plus souvent qu’avant ». « Sur la période 2004-2010, observe enfin l’auteur, le nombre de condamnations prononcées en récidive a été multiplié par plus de deux, alors que le nombre des condamnations hors récidive est demeuré relativement stable. » Une évolution qu’il explique « davantage par les changements législatifs » visant à lutter contre la récidive et les pratiques des juridictions que par « une explosion de la récidive au sens criminologique. » F. Leturcq, Infostat justice n° 118, Peines plancher : application et impact de la loi du 10 août 2007, octobre 2012

Conseil de l’Europe : une recommandation volontariste sur les détenus étrangers « L’augmentation de la circulation des personnes d’un pays à l’autre a donné lieu à un nombre croissant d’étrangers détenus en prison. » Une recommandation du Conseil de l’Europe, adoptée le 10 octobre 2012, invite les Etats membres à développer des mesures spécifiques pour répondre à leur situation et besoins spécifiques. La « surreprésentation » des étrangers souvent constatée au sein des populations carcérales – en France, ils représentaient 17,6 % des personnes écrouées au 1er janvier 2012 – résulte notamment d’une « probabilité plus grande pour eux d’être placés en détention provisoire dans l’attente de leur procès ou condamnés à des peines d’emprisonnement ». Mais aussi d’un accès restreint aux aménagements de peine. Pour le Comité des ministres, souhaitant

éliminer toute discrimination à cet égard, le fait de n’être ni ressortissant ni résident d’un Etat ne saurait être suffisant « pour conclure à un risque de fuite ». La reconnaissance des « difficultés auxquelles peuvent être confrontés ces détenus en raison de facteurs tels que la différence de langue, de culture, de coutumes et de religion, et l’absence de liens familiaux et de contacts avec le monde extérieur » exige également des mesures volontaristes : s’assurer qu’ « au moment de l’admission et pendant toute la détention, les détenus étrangers se voient communiquer des informations dans une langue qu’ils comprennent » ; qu’ils bénéficient d’« un programme d’activités équilibré » ; que l’application des règles relatives à l’hygiène, aux vêtements ou

au régime alimentaire « respecte leurs préférences culturelles et religieuses »… Pour atténuer l’éventuel isolement des détenus étrangers, une attention particulière doit être accordée au maintien et au développement de leurs relations avec le monde extérieur, y compris les contacts avec leurs familles et amis. A cette fin, « les règles régissant les appels téléphoniques (entrants et sortants) ainsi que d’autres formes de communication doivent être appliquées avec souplesse ». Recommandation CM/Rec (2012) 12 du Comité des ministres aux Etats membres relative aux détenus étrangers, adoptée le 10 octobre 2012

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En prison pour soigner son alcoolisme

C

En difficulté pour respecter son obligation de soins, Virginie a vu son sursis avec mise à l’épreuve révoqué en novembre 2012, ce qui l’a amenée en détention en janvier. Condamnée pour conduite en état alcoolique, elle est venue rejoindre la liste des détenus de la maison d’arrêt déjà surpeuplée de Sequedin. Alors qu’est annoncée une politique pénale n’utilisant l’emprisonnement qu’en « ultime recours », l’incarcération des malades suit son cours… ondamnée à deux mois d’emprisonnement assor-

tis d’un sursis avec mise à l’épreuve (SME) pour des faits de conduite en état alcoolique commis en 2008, Virginie ne conduit plus depuis cette date. Le suivi en alcoologie qu’elle a initié dans le cadre de son obligation de soins reste néanmoins insuffisant, si bien que le juge de l’application des peines a révoqué le sursis, sans tenir compte des difficultés psychologiques, physiques et sociales accumulées par Virginie, ni de l’absurdité de son incarcération. Le 7 février 2013, elle est ainsi venue augmenter la liste des détenus de la maison d’arrêt déjà surpeuplée de Sequedin (taux d’occupation de 138,6 % au 1er février).

« Des troubles neurologiques avec troubles de la marche » Virginie a 42 ans, elle porte les conséquences physiques et mentales d’un alcoolisme ancré depuis de nombreuses années. Un certificat médical du 12 février 2013 atteste notamment de « troubles neurologiques avec troubles de la marche » qui lui imposent une aide pour tous ses déplacements. Elle est également sujette à des « trous de mémoire », et présente depuis peu des « troubles de la miction ». Son état de santé « nécessite des investigations en milieu hospitalier qui ne sont pas compatibles avec une incarcération », précise son médecin. Elle a également connu récemment un état dépressif suite à une procédure de divorce après laquelle elle s’est retrouvée sans domicile fixe, hébergée tantôt chez sa mère tantôt chez sa sœur. Pendant sa mise à l’épreuve, elle n’est pas parvenue à respecter son obligation de soins, notamment en raison de ses difficultés de déplacement, de son état de santé mentale et du processus de prise de conscience nécessaire à l’engagement de soins en matière d’alcoolisme. « Malgré des analyses sanguines témoignant d’une consommation alcoolique particulièrement ancrée, Virginie n’avait jamais entrepris de suivi spécialisé » durant ses 18 mois d’épreuve, a ainsi noté le juge, décidant dans un premier temps de prolonger le délai Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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d’épreuve de 18 mois supplémentaires. Bien qu’ayant assuré lors du débat contradictoire « avoir pris conscience de sa problématique alcoolique et de la nécessité de la traiter », Virginie n’a pu justifier au cours de ce second délai d’épreuve que de « deux rendez-vous honorés au Square [service de soins spécialisés en addictologie au centre hospitalier de Béthune] ». Le JAP a donc considéré qu’elle n’avait « jamais respecté l’unique obligation particulière de la mesure probatoire, à savoir l’obligation de soins ». Et procédé, par jugement du 13 novembre 2012, à la révocation totale du SME, afin de « sanctionner les manquements constatés », quand bien même « le casier judiciaire de l’intéressée ne comporte aucune autre condamnation » et qu’« aucun élément ne permet de penser qu’elle aurait commis de nouveaux faits délictueux pendant la peine de sursis avec mise à l’épreuve ».

Un manque d’accompagnement ignoré Dans cette décision, le magistrat raisonne en termes de respect formel d’une obligation, ce qui n’est ni dans l’intérêt de la probationnaire, ni de la société. Il néglige le processus motivationnel et de prise de conscience nécessaire à l’engagement dans des soins en alcoologie. Il ne tient pas compte de l’aggravation de l’état de la personne engendré par l’incarcération, entraînant un risque de rechute accru et des coûts plus importants pour la justice et la santé. Il ignore que le suivi de Virginie assuré par le SPIP, qualifié de « normal », n’a pu se mettre en place que douze mois après le début du second délai d’épreuve, le jugement de prolongation du délai d’épreuve ayant été prononcé sept mois après le terme du premier délai. Elle a alors bénéficié de quatre rendez-vous, en octobre et novembre 2011 puis en janvier et avril 2012. Des rendezvous qui semblaient pourtant lui être profitables puisqu’à deux reprises, ils ont été suivis d’une consultation au service d’addictologie du centre hospitalier de Lens. La décision de révocation ne tient pas véritablement compte non plus du faible nombre de structures de soins en alcoologie dans le Pas-de-Calais et des longs délais d’attente qui en découlent :


ACTU

« Il faut bien compter trois mois pour un premier rendez-vous », confirme le juge de l’application des peines, déplorant ce décalage entre le moment où la personne manifeste sa volonté de se soigner et sa prise en charge effective. Entre temps, « la personne peut avoir perdu sa motivation et être retombée dans l’alcoolisation massive ». Quant à la possibilité d’un suivi à domicile, pertinent pour des personnes comme Virginie confrontées à des difficultés de mobilité et dont il peut être jugé préférable qu’elles ne conduisent pas, « cela ne se fait pas », selon l’association Square. Laquelle précise que « le seul dispositif existant vient de s’arrêter, faute de financement ». Ainsi, il n’existe d’autres solutions pour un suivi en alcoologie que de se déplacer à l’hôpital ou de se faire aider par son médecin traitant. Cette dernière option venait d’être prise par Virginie, qui allait mieux après avoir retrouvé un logement fin 2012, avait réduit sa consommation d’alcool et commencé à envisager de nouvelles solutions avec son médecin traitant.

© Nicole Henry-Cremon

Est-ce bien la « peine » ? Pas d’aménagement pour les très courtes peines C’est dans ce contexte que Virginie est arrêtée le 7 février 2013 à son domicile et conduite au commissariat de Lens. Sa famille aura beau apporter en urgence les documents médicaux attestant de son état de santé très dégradé, dans l’espoir qu’elle puisse bénéficier d’un aménagement de peine… Elle sera écrouée le soir même à la maison d’arrêt de Sequedin. Contacté par l’OIP, le juge de l’application des peines (JAP) a indiqué qu’une fois le SME révoqué, son service « n’a plus la main sur un éventuel aménagement, le parquet ramenant généralement la peine à exécution. Si la personne signale des difficultés particulières, le parquet peut alors saisir le JAP en vue d’un aménagement de peine ». Ce qu’il n’a pas jugé utile de faire en l’espèce, pas plus qu’il n’a considéré l’état de santé de Virginie comme incompatible avec la détention. En prison, Virginie a la possibilité de demander un aménagement de peine ou d’être « proposée par le SPIP [service pénitentiaire d’insertion et de probation] de Sequedin pour une SEFIP [surveillance électronique fin de peine] », ce qui « peut aller très vite », indique le JAP de Béthune. Pas si simple, selon le SPIP, qui explique la difficulté d’élaborer un projet d’aménagement dans de brefs délais pour les très courtes peines, sauf « lorsqu’il y a un problème très grave et que le service médical signale un état de santé incompatible avec la détention ». Quant à la SEFIP, « un certain temps est nécessaire avant que la personne apparaisse sur les listes présentées au parquet de Lille. » Qui, en outre, a pour politique de ne pas examiner les reliquats de peine de moins d’un mois. Virginie exécutera donc sa peine en totalité, déduction faite des 14 jours de remises de peine réglementaires.

Faute de dispositif adapté à l’extérieur, c’est donc en prison que Virginie connaîtra le sevrage. De sa cellule qu’elle ne quitte quasiment plus, Virginie écrit des lettres désespérées à sa famille. Elle aurait refusé le Valium qu’on lui proposait, estimant qu’il s’agissait d’une drogue. Elle se plaint d’avoir « mal partout, mal à en pleurer la nuit, aux jambes, à la colonne vertébrale et au bassin ». Virginie dit ne plus dormir la nuit, ne plus arriver à marcher, et uriner sans cesse. Alerté par l’OIP, le service médical a assuré que sa situation avait été prise en compte et qu’elle était vue régulièrement. Les examens nécessaires n’ont toutefois pas pu être programmés, « les délais d’attente à l’hôpital de rattachement étant plus longs que la durée de sa peine ». Sans cacher ses interrogations sur le sens de cette détention, le service médical indique cependant ne réaliser de signalement en vue d’un aménagement de peine « pour raisons médicales » que lorsque le pronostic vital est engagé ou lorsque les soins ne peuvent être prodigués en prison. Une telle succession d’impasses illustre les limites de la peine de sursis avec mise à l’épreuve dans un contexte où les SPIP comme les structures sanitaires et sociales disposent de moyens d’accompagnement très restreints. Il donne à voir l’intérêt que pourrait représenter une peine de probation autonome, accompagnée de moyens renforcés. A condition néanmoins que la magistrature entame, elle aussi, certaines évolutions culturelles. Dans ses préconisations sur la peine de probation, le jury de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive affirme ainsi que « le non-respect des règles et des conditions fixées dans le plan de probation n’entraînera pas automatiquement une sanction-couperet mais pourra appeler un effort pour mieux accompagner le condamné ». Tout l’inverse de la logique appliquée dans le cas de Virginie… Anne Chereul Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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Valenciennes

L’État condamné à verser 12 000 euros à un jeune détenu schizophrène Le 7 janvier 2013, le juge des référés de la Cour d’appel de Douai a condamné l’Etat à verser à H.M., jeune schizophrène détenu depuis avril 2011 à la maison d’arrêt de Valenciennes, une provision de 12 000 euros en réparation du préjudice moral né de conditions matérielles indignes et d’une absence de prise en charge adaptée à son état de santé. « L’administration pénitentiaire garantit à toute personne le respect de sa dignité et de ses droits. » Sur le fondement de cet article de la loi pénitentiaire, le juge a condamné l’Etat à verser 3 000 euros à H.M. « pour réparer le préjudice né des conditions matérielles et générales de détention » imposées

depuis plus d’un an et demi. Le juge relève qu’« au cours de la majeure partie de sa détention » à Valenciennes, H.M. a dû « partager des cellules de 9 m2 avec un ou deux codétenus » en raison de la surpopulation et « dormir sur un matelas à même le sol dans les cas où ils étaient trois codétenus ». La situation « s’est trouvée aggravée pour la période d’hiver » et « par la présence de nuisibles ou la remontée d’odeurs nauséabondes des canalisations ». Le juge lui octroie, en outre, 9 000 euros pour réparer le préjudice né de la « prise en charge inadaptée de ses troubles de santé » : H.M. n’a pas bénéficié de soins adaptés et continus, alors que plusieurs expertises avaient constaté une

« schizophrénie appelant absolument des soins psychiatriques », afin d’éviter « une pérennisation ou une aggravation de sa maladie ». Il lui aura « fallu attendre 13 mois pour qu’il obtienne une réelle prise en charge psychiatrique », en hospitalisation d’office, « après qu’il eut cessé de s’alimenter ». La souffrance morale de H.M., excédant, selon le juge, celle inhérente à la détention, s’exprimait « par des actes d’agressivité constatés pendant sa détention » ou par des « refus de parloirs avec des membres de sa famille », ainsi que par « le refus de se nourrir ». Un calvaire qui a duré jusqu’à la libération de H.M. en fin de peine, le 17 mars. OIP, coordination régionale Nord

Polynésie

Entrave aux démarches judiciaires de détenus contre leurs conditions de détention Durant 77 jours, le directeur du centre pénitentiaire de Faa’a Nutania, avec l’aval du procureur de la République, a retenu les courriers adressés le 10 octobre 2012 à une vingtaine de prisonniers par Tamarii Nuutania, association polynésienne de défense des détenus. Dans ces courriers contenant un questionnaire de l’OIP sur les conditions de détention, les avocats de l’association indiquaient la marche à suivre pour engager des recours devant le tribunal administratif contre l’indignité de leurs conditions de détention. Le directeur s’est justifié par la crainte d’« une action collective » au sein d’une prison « sensible », l’association comptant près de 200 adhérents détenus. Parallèlement, le parquet général a saisi l’Ordre des avocats, soutenant que la démarche des défenseurs pouvait être assimilée à du démarchage, pratique interdite à cette profession. Des accusations vite levées, le bâtonnier fustigeant Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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un « comportement d’un autre âge » de la part du parquet, jugeant que l’action, « pleinement justifiée par la situation actuelle notoirement intolérable et indigne des conditions de détention », était «  déontologiquement irréprochable » et « parfaitement légitime ». Le parquet de Papeete a également ouvert une enquête préliminaire à l’encontre des représentants de l’association Tamarii Nuutania. Le président et le secrétaire ont été auditionnés, des saisies sur l’ordinateur du président et une visite à son domicile effectuées. L’enquête sera classée deux mois et demi plus tard. Après une levée de boucliers des avocats et des associations de défense des détenus, les courriers et questionnaires sur les conditions de détention adressés aux détenus ont été remis à leurs destinataires. La situation au centre pénitentiaire de Faa’a-Nuutania ne s’est pas améliorée

pour autant. Au 1er février 2013, les 54 places de la maison d’arrêt étaient occupées par 183 détenus (taux d’occupation de 338,9 %), tandis que le centre de détention présente un taux d’occupation de 215,3 %. Vétusté, promiscuité, problèmes d’hygiène, manque d’activité et de travail reviennent régulièrement dans les plaintes adressées à l’OIP. Le 21 janvier 2013, une lettre ouverte des femmes détenues alertait également sur leurs conditions de détention et la surpopulation de leur quartier. Le 27 février puis le 7 mars 2013, pour la première fois en Polynésie, l’Etat a été condamné par le tribunal administratif de Papeete à indemniser deux détenus en raison de l’indignité de leurs conditions de détention. Les requêtes des détenus adhérents de l’association Tamarri Nuutania devraient suivre. OIP, coordination régionale Outre-mer

de facto


de facto Mayotte

19 mineurs pour six places à la maison d’arrêt de Majicavo Ses taux d’occupation régulièrement supérieurs à 200 % placent la maison d’arrêt de Majicavo (Mayotte) parmi les plus surpeuplées de France. Son quartier mineurs n’est pas épargné : le 1er août 2012, il hébergeait 23 mineurs pour six places réparties en trois cellules. Au 1er janvier 2013, avec 19 mineurs détenus, le taux de sur-occupation est de 317 %. Une surpopulation rare dans les établissements pénitentiaires pour mineurs traduisant, comme le constatait en mars 2012 une mission diligentée par le Sénat, « l’absence de solutions alternatives à Mayotte de type centres éducatifs fermés (CEF) ou centres éducatifs renforcés (CER), ainsi que l’inadéquation entre les moyens de l’administration pénitentiaire et les évolutions rapides de la délinquance ». Un constat partagé par le procureur de la République, alertant la mission sur le fait qu’« aucune solution appropriée ne [pourrait] être mise en œuvre sans une mise à niveau préalable des moyens d’accueil et d’hébergement, notamment

d’urgence », aucune « structure intermédiaire pour les mineurs entre les foyers et la maison d’arrêt » n’étant disponible sur l’île en raison notamment du manque de « ressources suffisantes » des collectivités territoriales. Face à l’augmentation du nombre de mineurs détenus, l’administration pénitentiaire a pris, à partir de septembre 2011, « des mesures particulières1 » afin de « préserver la sécurité des mineurs », mise en péril par « la promiscuité et l’exiguïté des locaux » et d’« améliorer leurs conditions de vie ». Des mineurs en surnombre ont ainsi été affectés au quartier femmes, hébergeant deux détenues, qui ont alors été « affectées au quartier d’isolement », avec « un régime de détention ordinaire ». Le nombre de mineurs incarcérés continuant d’augmenter, pour approcher puis dépasser la vingtaine à l’été 2012, l’AP s’oriente 1 Réponse de la mission des services pénitentiaires de l’Outre-mer à un courrier de l’OIP, 16 octobre 2012.

alors vers une politique de transferts – comme pour les détenus majeurs – vers l’île de la Réunion, pourtant située à 1 500 km de Mayotte. Cette solution, bien que réalisée, selon l’AP, « avec l’accord des autorités judiciaires, de la PJJ et des représentants légaux », pose non seulement le problème de l’éloignement géographique et familial, mais aussi des « difficultés d’adaptation de la part des détenus mahorais ou anjouannais ainsi que des phénomènes de rejet » de la part des Réunionnais. Saisi par l’OIP, le Défenseur des droits répond en décembre 2012, à l’issue d’une visite à Mayotte, avoir « constaté l’ensemble des faits dénoncés » et annonce, dans un rapport à venir au premier trimestre 2013, « des axes de réflexion et d’intervention pour tenter de remédier aux atteintes aux droits et à l’intérêt supérieur des enfants sur ce territoire », la situation « des enfants en conflit avec la loi » devant y être « abordée ». OIP, coordination régionale Outre-mer

Rouen

Libération tardive d’un prévenu en attente de soins Libéré le 29 janvier 2013, A.P. peut enfin subir l’intervention chirurgicale lui permettant d’espérer recouvrer la mobilité de son doigt, indispensable à l’exercice de son métier de plaquiste. Programmée le 27 juin 2012, cette opération complexe a dû être annulée en raison de son placement en détention provisoire à la maison d’arrêt de Rouen le 1er juin. Plusieurs certificats médicaux précisaient que l’opération « pourrait être pratiquée sur Rouen, mais les suites opératoires seraient incompatibles avec le maintien en détention normale. Elle exigerait a priori deux à trois mois pour être réalisée dans de bonnes conditions et que la convalescence se termine ». L’avocat d’A.P. a immédiatement interjeté appel

contre l’ordonnance de mise en détention provisoire et demandé « son assignation à résidence sous surveillance électronique ». Une demande rejetée le 21 juin 2012, la chambre de l’instruction mettant en avant l’absence de « délais impératifs » pour l’opération. Le 8 août 2012, une nouvelle demande de remise en liberté est rejetée – un refus confirmé en appel le 30 août – au motif que les documents médicaux produits ne permettent pas « d’évaluer la nécessité et l’urgence de l’opération envisagée ». Le 24 septembre, le juge des libertés et de la détention (JLD) prolonge la détention provisoire d’A.P., soulignant à nouveau que « ce type d’opération dont l’urgence n’[est] pas démontrée pouvait

intervenir dans le cadre carcéral », et « qu’aucun élément nouveau ne permet de remettre en cause cette appréciation ». Il faudra encore quatre mois au JLD pour prendre la mesure du caractère « impérieux » de recourir « dans les plus brefs délais à une intervention chirurgicale » et prononcer, le 28 janvier, la remise en liberté de l’intéressé. L’opération est fixée au 23 avril 2013. OIP, coordination régionale Nord

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Ile-de-France

Interrogations autour de trois décès Trois décès survenus entre novem­ bre 2012 et mars 2013 dans des établissements pénitentiaires d’Ile-deFrance ont conduit l’OIP à saisir, le 14 mars 2013, l’Inspection des services pénitentiaires et l’Inspection générale des affaires sociales. Le 2 novembre au matin, à la maison d’arrêt des femmes (MAF) de Fleury-Mérogis, une détenue est retrouvée morte à l’ouverture des cellules. La veille, elle se serait plainte à plusieurs reprises de douleurs au bras et dans la poitrine. Les personnels pénitentiaires sont alertés. Dans la soirée, le médecin de garde est appelé plusieurs fois. Occupé à la maison d’arrêt des hommes (il y aura été sollicité près d’une vingtaine de fois), il ne se déplacera pas à la MAF. Plusieurs fois dans la nuit, il semble que la codétenue ait appelé et que les personnels pénitentiaires aient contacté le

médecin de garde, mais ni le centre 15 ni les secours, comme le prévoit la procédure en cas d’urgence médicale. Le 16 février au matin, un homme est, cette fois, trouvé mort à l’ouverture des cellules à la maison d’arrêt de Paris la Santé. L’autopsie montrera un hématome sous-dural. La veille, il aurait eu un malaise dans la cour de promenade, serait tombé au sol et se serait violemment cogné à la tête. Il perd alors connaissance, codétenus et surveillants le remontent en première division où, se plaignant de maux de tête, il est examiné, dans la coursive, par un médecin qui le laisse ensuite réintégrer sa cellule, sans demander d’examen complémentaire. Durant la nuit, des détenus des cellules voisines l’entendent appeler plusieurs fois et se plaindre de violents maux de tête. Les secours ne sont pas appelés.

Le 5 mars, un détenu est retrouvé pendu au quartier disciplinaire de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, où il avait été placé la veille suite à une altercation avec un membre du personnel. Il était auparavant placé au service psychiatrique de l’établissement (SMPR), en raison d’actes suicidaires répétés. L’administration pénitentiaire a-t-elle sollicité un avis médical pour le faire sortir du SMPR et le placer au quartier disciplinaire ? Si un avis médical positif a été donné, le risque suicidaire ayant justifié son placement au SMPR n’aurait-il pas dû être pris en compte ? Autant d’interrogations, voire de carences, qui posent une nouvelle fois la question de l’accès aux soins dans les établissements pénitentiaires. OIP, coordination régionale Ile-de-France

Caen

Le suicide d’une transsexuelle met en évidence des carences de prise en charge Transsexuelle âgée de 41 ans, Nathalie s’est pendue dans la nuit du 14 au 15 novembre 2012, dans sa cellule du centre de détention de Caen. Martial pour l’état-civil, elle avait appris le jour même que son recours visant à lui permettre d’utiliser son prénom féminin était rejeté par la Chambre des affaires familiales, au motif qu’elle n’avait pas encore entamé de transformation irréversible. Le énième courrier qu’elle avait commencé à rédiger pour obtenir une prise en charge médicale afin d’entamer sa transformation (traitement hormonal et chirurgie) s’arrête, selon son avocat, au milieu d’une phrase. Incarcérée depuis 2006 et transférée à Caen en juillet  2011, Nathalie avait entrepris une procédure de changement d’identité sexuelle avant Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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ce transfert, et s’était déclarée transsexuelle dès son arrivée à Caen. L’hôpital pénitentiaire de Fresnes et le CHU de Caen étant incompétents dans la prise en charge pluridisciplinaire de sa transsexualité, elle demandait régulièrement, en vain, une orientation vers une structure médicale spécialisée. Une carence récurrente d’orientation et de prise en charge des personnes transsexuelles incarcérées déjà déplorée par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans un avis du 30 juin 2010 : même informées, les personnes détenues n’ont, indique-t-il, «  nullement accès à l’offre de soins existant hors des établissements pénitentiaires en la matière ». Tout au long de sa détention, Nathalie s’est plainte du manque de respect de

sa transsexualité, voire de véritables brimades. Fouilles à nu ayant pour seul but de constater qu’elle demeure anatomiquement un homme, interdiction de certains effets féminins ou de produits spécifiques… Des refus et brimades qui entraînent régulièrement des incidents. Le 23 février 2012, elle est sanctionnée d’un avertissement pour avoir « déchiré [son] étiquette de porte […] en prétextant qu’elle portait [son] prénom (Martial) et [qu’elle ne pouvait] le supporter ». Le 14 juin, il lui est reproché en commission de discipline de détenir un fer à défriser, qu’elle soutient pourtant avoir en sa possession depuis son arrivée de Fresnes. Elle est relaxée. Le 25 juin, alors qu’elle a l’accord de la direction et du responsable des ateliers de porter

de facto


de facto un maquillage léger en détention, les surveillants l’empêchent d’accéder maquillée au travail et la réintègrent de force dans sa cellule, lui occasionnant une journée d’arrêt de travail. En raison de la « gestion de [sa] féminisation », afin « d’assurer sa sécurité » – ce qu’elle conteste formellement – et du fait du trouble prétendument causé en détention par sa transsexualité, Nathalie est de surcroît soumise, à partir du 2 mai 2012, à un régime

différencié proche de l’isolement, le « régime contrôlé contraint », qui limite ses relations en détention, réduit son accès au travail et la prive de toute activité socioculturelle. Dans les observations portées sur le PV de décision d’affectation en régime contraint de la Commission pluridisciplinaire unique du 2 mai 2012, le chef d’établissement note : « Le placement en régime différencié doit vous permettre de réévaluer votre gestion de détention. Il nous permettra

aussi de réétudier avec vous les particularités propres à un régime de détention ouvert, les attitudes, les comportements à éviter ainsi que les règles à respecter, le tout afin de vous permettre une meilleure préparation à la sortie qui, somme toute, s’avère proche. » Condamnée à une peine de 15 ans, Nathalie était libérable le 16 mars 2019. OIP, Coordination Ile-de-France

Nouméa

Améliorations en cours suite au rapport Imbert-Quaretta Une enveloppe de 32 millions d’euros vient d’être allouée à la rénovation et l’extension du Camp Est, le centre pénitentiaire de Nouméa. L’annonce fait suite à un rapport remis par Mireille Imbert-Quaretta, mandatée par la ministre de la Justice en septembre 2012 pour « procéder sur place à une évaluation complète de la situation et avancer les propositions propres à remédier aux difficultés ou insuffisances constatées ». Le rapport propose l’abandon du projet, controversé, de construction d’une nouvelle prison à Dumbea, au profit d’une rénovation/ restructuration en moins de deux ans du centre pénitentiaire actuel. Le « plan d’urgence » décidé suite à la visite du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, en octobre 2011, doit se poursuivre, notamment la réhabilitation des quartiers d’hébergement, la construction d’un centre pour peines aménagées, la création d’une zone d’activité et de parloirs familiaux et la réfection des vestiaires du personnel. Le Contrôleur avait vigoureusement dénoncé « une violation grave des droits fondamentaux d’un nombre important de personnes », activant pour la première fois sa procédure d’urgence. Durant le dernier trimestre 2011 et le premier semestre 2012, l’OIP et la Ligue des droits de l’homme de

Nouvelle-Calédonie, destinataires de nombreuses plaintes de détenus, leur suggèrent d’engager des recours. Les deux associations adressent aux prisonniers concernés des questionnaires sur les conditions de détention, afin de préparer la rédaction des recours par les avocats. Le 1er août 2012, le tribunal administratif de Nouméa accorde une indemnisation à 30 détenus pour les conditions subies dans l’établissement. Et le 22 novembre, 121 autres détenus obtenaient une indemnisation du ministère de la Justice, sans passer par les tribunaux. Par-delà les mesures de réhabilitation du Camp Est, la mission Imbert-Quaretta appelle à « réorienter la politique pénale », en particulier par le développement des mesures alternatives aux poursuites, et en « plaçant les aménagements de peines au rang de priorité ». Le taux d’incarcération demeure en effet « près de deux fois plus élevé en Nouvelle-Calédonie que sur l’ensemble du territoire français », sans qu’apparaisse de « corrélation avec le taux de criminalité ». Une situation à laquelle la mission n’a pas trouvé « d’explication évidente ». Les jeunes kanaks représentent « plus de 90 % des personnes détenues au Camp Est. […] Il est impossible d’ignorer cette réalité dans la détermination des modalités de la « réponse

pénale » », juge la mission, invitant à « renforcer la participation d’assesseurs mélanésiens » appelés à siéger au tribunal correctionnel et à « rechercher les modalités possibles d’une « médiation pénale coutumière »». Depuis la visite du CGLPL en octobre 2011, le taux d’occupation du quartier maison d’arrêt du Camp Est a été ramené de 331,7 % à 165,7 % au 1er février 2013. Celui du quartier centre de détention est monté de 133,1 % à 143,7 %. Un signe parmi d’autres qu’en dépit des efforts conjugués des personnels pénitentiaires, judiciaires et de leurs administrations de tutelle, le chemin à parcourir reste long. M. Imbert-Quaretta, Rapport sur les difficultés de prise en charge de la population pénale au centre pénitentiaire de Nouméa, novembre 2012

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Dix mois d’attente pour un permis de visite

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Détenu depuis janvier 2012, Damien a dû attendre dix mois et le rejet de son pourvoi en cassation, avant que sa compagne n’obtienne l’autorisation de lui rendre visite. En cause, la politique du parquet général de Rouen, qui ne délivre de permis qu’aux membres de la famille, entendue au sens le plus strict. Une situation révélatrice du manque de garanties apportées par la loi pénitentiaire au maintien des liens des détenus avec leurs proches. étenu depuis le

13 janvier 2012 à la maison

d’arrêt de Rouen, Damien a attendu dix mois avant de recevoir sa première visite. Les demandes de sa compagne Catherine ont systématiquement été rejetées par le procureur général, dont les décisions de refus exigent laconiquement « un justificatif de vie commune avec Monsieur T. (document aux deux noms, même adresse). » Un document que Catherine n’a pas été en mesure de fournir, le couple ne vivant pas sous le même toit. Catherine n’a donc pu attester de la réalité du lien qui les unit : « Nous nous connaissons depuis de nombreuses années, nous avons vécu une première relation à l’âge de 19 ans. Nous nous sommes retrouvés l’année dernière et avons débuté une nouvelle relation en septembre 2011. Nous souhaitons tous les deux que notre histoire se poursuive. »

Une approche restrictive de la notion de famille Les services du parquet général ont indiqué, le 6 juin 2012, avoir pour politique de ne délivrer de permis de visite « qu’aux personnes de la famille, à la condition qu’elles n’aient aucun lien avec l’affaire, et à l’épouse ». En l’absence de liens juridiquement établis (mariage ou Pacs), la compagne d’un détenu ne peut obtenir de permis qu’« à la condition d’attester d’une vie commune » avec le détenu. Une telle politique ferait suite à un incident survenu à la maison d’arrêt, lorsque l’épouse d’un détenu se serait retrouvée en présence de la maîtresse de son mari. Elle illustre à quel point le droit de visite pour les personnes prévenues (non définitivement condamnées, comme Damien, qui avait alors intenté un pourvoi en cassation) est insuffisamment protégé par la loi. L’autorité judiciaire compétente peut ainsi refuser d’octroyer un permis pour tout motif, sauf à l’égard des membres de la famille pour lesquels seules les « nécessités de l’instruction » peuvent justifier un refus audelà d’un mois. Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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En outre, le parquet général de Rouen adopte une conception plus restrictive de la notion de « famille » que celle de l’administration pénitentiaire, dont une circulaire précise qu’elle doit s’entendre « des personnes justifiant d’un lien de parenté ou d’alliance juridiquement établi (ascendants et descendants, collatéraux, conjoints pacsés ou mariés, concubins) et des personnes ne justifiant pas d’un tel lien mais attestant d’un projet familial commun avec la personne détenue1 ». Le même texte prévoit qu’un permis de visite peut être accordé aux « personnes justifiant d’un intérêt autre que familial pour visiter la personne détenue (proches, amis, personnes contribuant à l’insertion sociale ou professionnelle du détenu) ».

Absence de recours Autre manifestation du manque de garanties apportées par la loi dans le cas de Damien : l’absence de recours. Les refus de permis de visite à une personne mise en examen et placée en détention provisoire prononcés par le juge d’instruction peuvent faire l’objet d’un recours auprès du président de la chambre de l’instruction. Mais lorsque la personne, ayant exercé un pourvoi en cassation, n’est pas condamnée définitivement, et que par définition l’instruction est close… il existe un vide juridique et aucune autorité ne semble compétente pour examiner le recours de ses proches contre un refus de permis de visite. En l’occurrence, Damien n’étant plus en instruction, le recours introduit contre la décision du parquet général a été renvoyé… au parquet général, qui a confirmé sa propre décision. Ce n’est que fin octobre, lorsque le greffe judiciaire a enregistré la décision de rejet du pourvoi en cassation, que Damien a été considéré comme définitivement condamné. Le chef d’établissement pénitentiaire est alors devenu compétent pour l’octroi du permis de visite, et l’a accordé en quelques jours. Le 8 novembre, le couple se retrouvait enfin pour son premier parloir, après dix mois d’attente. Anne Chereul 1 Circulaire du 20 février 2012 sur le maintien des liens avec l’extérieur.


ACTU

Maison d’arrêt de Saint-Brieuc :

une prison au bord de la rupture

© Samuel Gautier/OIP

Le 21 février 2013, le Syndicat de la magistrature (SM), le Syndicat des avocats de France (SAF) et l’Observatoire international des prisons (OIP) ont tiré la sonnette d’alarme. Vétusté des locaux de détention, surpopulation chronique, manque de moyens humains et financiers, ou encore pauvreté de l’offre de travail et de formation : les conditions de détention à la maison d’arrêt de Saint-Brieuc sont « indignes d’un pays tel que la France », s’est insurgée Dorothée Calonne du Teilleul, avocate au barreau de la ville. Et le magistrat François Heinisch de dénoncer un système carcéral « à bout de souffle » et une politique pénale « qui n’a plus de sens ».

D

ans la rue des

Fusillés,

la maison d’arrêt de

Saint-Brieuc « baigne dans son jus ». Édifié en 1903, cet édifice cathédrale, avec des coursives latérales à la coloniale vieillit mal. C’est le constat unanime que dressent l’ensemble des intervenants, personnes détenues et personnels pénitentiaires de cet établissement. « Ce n’est pas la prison des Baumettes mais les conditions de vie y sont difficiles », estime ainsi l’avocat briochin Éric Tabard, qui y intervient régulièrement.

« Les gens souffrent en silence » « Les gens souffrent en silence et ne disent rien », confiait Luis, détenu à la maison d’arrêt, en septembre 2012. Il décrit des cellules humides et sales, dans lesquelles « la lumière naturelle est largement insuffisante », où il y a « de la moisissure, des trous dans les murs, de la peinture crasseuse ». Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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Bruno, 37 ans, racontait en août dernier que dans sa cellule « il n’y a pas de frigo donc pas de viande ni de produits frais sinon, la nourriture se perd ». Celle qui est distribuée est, selon lui, « ignoble et froide à chaque repas […] et elle ne permet pas de répondre [aux] besoins nutritionnels ». Lorsque les détenus veulent cuisiner des produits achetés par le biais de la cantine et qu’ils ne peuvent acquérir un réchaud ou des pastilles combustibles « trop chères et très mauvaises pour la santé », ils font brûler une serpillière dans de l’huile. Les détenus se voient par ailleurs privés d’eau chaude en cellule. « Les douches, auxquelles nous ne pouvons accéder que trois fois par semaine, ne garantissent pas notre intimité ni notre sécurité, relate Jean-Pierre, les toilettes sont séparées du reste de la cellule uniquement par un muret. Il n’y a pas d’aération : les odeurs et les bruits se répandent donc dans toute la cellule… Pendant qu’un occupant de la cellule va aux toilettes, l’autre reste assis sur le lit ». Les parloirs se déroulent dans une grande salle, propre, mais qui « n’offre aucune intimité pour les neuf détenus et leurs familles qui s’y retrouvent ». La promenade a lieu dans « trois petites cours au toit grillagé. La plus grande fait 30 m², vous pouvez vous y retrouver à cinquante ou soixante. Il y a des règlements de compte ». Des allégations confirmées par Sébastien Dutescu, délégué local Ufap-Unsa (voir entretien ci-après), ainsi que par des avocats et magistrats choqués par ce qu’ils ont découvert lors de leur visite de l’établissement, le 21 février : « il n’y a aucune intimité dans les cellules, qui sont par ailleurs particulièrement sombres », souligne Yann Plouzen, avocat au barreau de Saint-Brieuc. « Le bâtiment est très mal isolé : il y fait froid l’hiver et chaud l’été, ajoute-t-il, les douches sont collectives et il n’y en a que trois par étages, soit neuf en tout ! » Quant aux installations électriques, « le directeur n’a pas les 30 000 euros – c’est le chiffre qu’il nous a annoncé – pour les remettre aux normes ». Deux anciens détenus de la maison d’arrêt ont d’ailleurs porté plainte devant le tribunal administratif de Rennes pour faire reconnaître ces conditions de détention comme inhumaines et dégradantes.

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A quatre dans 12 m², à trois dans 9 m² Pour 68 places théoriques au grand quartier de l’établissement, ce sont le plus souvent – et depuis des années – entre 120 et 170 personnes qui sont hébergées. En juillet puis en novembre 2012, l’établissement a ainsi affiché un taux d’occupation de 248 %. « Avec un tel taux de remplissage, on mélange les prévenus et les condamnés, les fumeurs et les nonfumeurs… », déplorait alors Bruno Dambricourt, surveillant et délégué de la CGT pénitentiaire, qui prévenait : « on est au bord de la rupture ». Une situation « génératrice de tensions », confirme Nathalie Hervé, conseillère d’insertion et de probation au SPIP des Côtes-d’Armor. A Saint-Brieuc, « il y a trois détenus dans 9 m², quatre dans 12 m² et, si l’on enlève la surface qu’occupent les lits, les sanitaires, les meubles, il reste moins de 3 m² d’espace libre pour trois détenus », fustige l’avocate Dorothée Calonne du Teilleul. En avril 2011, alors que 216 personnes étaient écrouées à la maison d’arrêt, les syndicats de surveillants relayaient, dans une lettre adressée au directeur, le « rasle-bol » du personnel face à la surpopulation. Yvon Abergel, de la CGT pénitentiaire, comparait alors l’établissement à « une marmite en train de bouillir et dénonçait un fatalisme insupportable » de la direction centrale de l’administration pénitentiaire1. Une marmite qui parfois déborde, comme ce fut le cas le 26 juin 2011, lorsqu’un début d’émeute éclata dans la prison2. Ou encore le 14 mars 20123, dix jours seulement après que les syndicats pénitentiaires eurent alerté la députée Corinne Erhel4, l’informant d’incidents survenus dans la salle de sport de l’établissement et de l’intervention – à la demande de la direction – de l’équipe régionale d’intervention et de sécurité (ERIS) de Rennes. « Un décret interministériel de novembre 1982 dispose que, dans un chenil, un chien doit avoir au moins 5 m². Quand on voit les conditions de détention à la prison de SaintBrieuc, cela fait réfléchir ! », soupire le magistrat François Heinisch. « Depuis plus de deux ans que je suis à Saint-Brieuc, je 1 « On ne passera pas l’été comme ça », Ouest-France, vendredi 15 avril 2011. 2 « Saint-Brieuc : début d’émeute à la prison », Ouest-France. fr, 2-3 juillet 2011. 3 « Encore des incidents à la maison d’arrêt — Saint-Brieuc », Ouest-France. fr, 14 mars 2012. 4 « Les gardiens de prison chez la députée », Ouest-France. fr, 4 mars 2012.


ACTU

Des visiteurs de prison… privés de visites Depuis décembre 2010, les neuf visiteurs de prison des Côtesd’Armor, membres de l’association nationale des visiteurs de prison (ANVP), se voient contraints de ne rencontrer « que les détenus attribués par les conseillers d’insertion et de probation et validés par la commission pluridisciplinaire unique hebdomadaire du vendredi matin ». Et ne peuvent plus accéder à la maison d’arrêt de Saint-Brieuc le samedi. Un sérieux tour de vis intervenu après un incident impliquant un intervenant extérieur (non membre de l’ANVP et qui n’entrait pas en détention le samedi). « Dans l’histoire, ce sont les détenus qui trinquent », déplore un visiteur. Concédant qu’elle pouvait « paraître comme un retour en arrière », cette décision justifiée par le manque de personnels présents le week-end selon la direction, a été prise pour protéger les visiteurs « de toute pression possible de la part des personnes détenues »… © DR

n’ai vu qu’empirer la situation. En septembre 2012, la direction de la maison d’arrêt a tiré la sonnette d’alarme, voulant à tout prix éviter de se voir contrainte de mettre des matelas au sol. En décembre 2012, on a battu tous les records. » Une situation qui a amené les différents acteurs locaux « à faire des efforts : le parquet a essayé de modifier sa politique en limitant les comparutions immédiates, les magistrats ont fait incarcérer des détenus à Rennes, Brest, Lorient ou encore Saint-Malo, ce qui complique considérablement le maintien des liens familiaux et nécessite l’organisation d’escortes pour les différentes auditions… ». Mais « cela n’a rien changé ou presque ». Le 21 février 2013, l’établissement hébergeait 144 détenus, qui rencontrent des difficultés d’accès aux soins, aux activités, à un poste de travail ou à une formation.

« Un milieu où se concentrent les difficultés » « J’ai demandé à voir un psychologue dès mon entrée en détention mais quatre mois plus tard, par manque de personnel, je n’ai toujours vu personne », rapporte Christophe, incarcéré en septembre 2012. Des difficultés d’accès aux soins que confirme le docteur Michel Aubry, responsable de l’UCSA de la maison d’arrêt : « Il y a en effet eu une période difficile, notamment avec une psychiatre qui a pris un congé maternité et un autre qui a fait un infarctus il y a trois semaines. L’hôpital de rattachement, dont dépendent les psychiatres qui interviennent à la maison d’arrêt, doit également faire face à des soucis de recrutement, mais c’est en train de se résoudre. Deux psychiatres assurent désormais deux vacations d’une demijournée par semaine. » Le docteur Aubry estime que « 80 % des détenus sont fumeurs, 50 % concernés par des problèmes d’addiction à l’alcool, plus de 25 % à la drogue et que 7 % des détenus sont sous traitement de substitution ». Ses consultations ont lieu tous les matins de la semaine, « dans un milieu

où se concentrent les difficultés ». Il y a également « énormément de problèmes dentaires, confie-t-il, un dentiste est parti à la retraite et, là aussi, cela a entraîné des difficultés importantes, mais un nouveau praticien intervient depuis deux mois, à raison de quatre demi-journées par semaine dans un cabinet « bien équipé » ».

« Un quart des détenus ne sortent jamais de leur cellule » Pour Julien, « une journée classique se résume à dormir et à ne rien faire. Passer six mois ici, c’est comme passer deux ans à l’extérieur. Il n’y a rien à faire de la journée et cela dure des semaines, des mois. Il faut être très fort moralement et physiquement ». L’établissement voit pourtant intervenir en ses murs un instituteur, des formateurs du code de la route ou encore une monitrice de sport. Mais, selon Cyril Cantin, coordonnateur des activités socioculturelles depuis deux ans, au moins « un quart des détenus ne sortent jamais de leur cellule ». Plusieurs activités hebdomadaires sont pourtant proposées : ateliers d’échecs, de dessin, de vidéo ou encore de sophrologie. Mais elles peinent à mobiliser les détenus puisque le plus souvent, seules « cinq ou six personnes y participent » à l’exception des activités sportives. Quant aux partenariats extérieurs, noués par exemple avec la bibliothèque municipale et le musée d’art et d’histoire, ils permettent « aux deux ou trois personnes qui ont participé à des activités de se rendre à des événements locaux, une fois les permissions de sortir accordées par le juge de l’application des peines et il y a une ou deux sorties chaque année au musée ». Cyril Cantin dénonce lui aussi la vétusté et les limites des locaux mis à sa disposition : « le point négatif, c’est la salle polyvalente, très vétuste et encombrée notamment de tables de ping-pong », qui ne permet pas d’organiser des spectacles ou des rencontres dans de bonnes conditions. Bien que correctement équipée, la bibliothèque est également « trop petite ». Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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« Il n’y a rien à faire de la journée et cela dure des semaines, des mois. Il faut être très fort moralement et physiquement. » (détenu) Pénurie de postes de travail En ce qui concerne les postes de travail ou les places en formation, ils s’avèrent particulièrement difficiles à obtenir. « Depuis mon arrivée ici, j’ai fait plus de cinquante demandes au gradé pour travailler et je n’ai que des refus ou pas de réponse ! » écrivait Julien à l’OIP en août dernier. Seuls une dizaine de détenus sont en effet employés au service général (en cuisine, à la buanderie, à la distribution des repas ou encore à la comptabilité). Et quatre ou cinq autres aux ateliers pour effectuer des tâches répétitives et très peu qualifiantes (mise sous enveloppe de jetons pour des jeux de société et contrôle de pas de vis). Douze détenus suivent une formation professionnelle, aux métiers du bâtiment notamment, dispensée par l’association Préface sur une période de cinq mois. Leur profil : détenus en fin de peine, volontaires, peu diplômés mais motivés, porteurs d’un projet qu’ils ne savent pas comment réaliser. Les membres de l’association ECTI, des chefs d’entreprise retraités, apportent un soutien important à ces détenus quelque peu « privilégiés ». « Nous les accompagnons dans la rédaction de CV et de lettres de motivation, nous les mettons en situation en réalisant des simulations d’entretiens d’embauche », confie Pierre Maillard, un ancien de la marine marchande et délégué départemental de l’association. Une initiative qui dure depuis plus de deux ans et semble porter ses fruits puisque « sur 63 détenus pris en charge, 64 % ont un travail ou une solide formation, avec zéro récidive ». Enfin, chaque année, une dizaine de détenus se voient proposer de participer à un chantier d’insertion en maçonnerie et en restauration du patrimoine par l’association Adalea : des détenus en fin de peine embauchés pour six mois, qui profitent également d’un accompagnement social. Sébastien Dutescu se félicite de ces initiatives mais déplore le « trop faible nombre de personnes » qui en bénéficient. Un constat partagé par François Heinisch, juge de l’application des peines, qui souligne la « grande qualité » du travail effectué par ces intervenants, mais le peu de personnes concernées.

L’aménagement de peine, une priorité contrariée Le même juge revendique une politique volontariste en matière d’aménagement de peine, avec « un taux d’aménagements prononcés ab initio de 97 % en 2012, contre 60 % en 2011. Si nous étions restés sur le même taux qu’en 2011, il y aurait une centaine de personnes en plus à la maison d’arrêt ». Et d’ajouter : « Malheureusement, je ne peux pas faire plus ! » Le service de l’application des peines de Saint-Brieuc est en effet celui qui affiche le taux d’aménagement le plus important en Bretagne : sur 186 personnes condamnées, 64 bénéficiaient d’une mesure d’aménagement au 1er janvier 2012, soit 34,4 %. Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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Au 1er janvier 2013, ce pourcentage s’élevait à 40,5 %5. Le nombre de placements sous surveillance électronique, « aménagement très demandé » selon Brigitte Chevret, JAP à SaintBrieuc, est quant à lui passé de 51 à 74 en un an, soit une hausse de 45 %. Néanmoins, la magistrate déplore « des projets de sortie mal construits […], dont on sent qu’ils sont montés au dernier moment et qui ne prennent pas en compte le long terme ». Cela est dû pour partie aux « très grandes difficultés » auxquelles le SPIP des Côtes-d’Armor est confronté depuis plusieurs mois : manque de moyens humains, arrêts maladie et congés maternité non remplacés… « A Saint-Brieuc, on a onze postes ouverts, mais nous ne sommes actuellement que 5,1 temps plein et deux contractuels embauchés pour six mois », déplore Nathalie Hervé. « Une bonne proportion de détenus » sort donc de la maison d’arrêt en fin de peine, selon François Heinisch. Il s’agit notamment des personnes condamnées à de très courtes peines, « pour lesquelles la durée de détention empêche de construire un véritable projet de sortie », de celles dont les liens familiaux

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ont été rompus et qui ne disposent pas de soutien à l’extérieur, ou encore de détenus plus âgés, qui ne sont plus en situation de recherche d’emploi ou dans une démarche de formation. « Nous voyons parfois des personnes seules devant la prison avec leurs cartons, qui viennent d’être libérées, sans un sous en poche et sans savoir où aller, confie un intervenant de la maison d’arrêt. Il n’est pas difficile de deviner qu’elles seront réincarcérées peu de temps après. »

Pour « une autre politique pénale » Si la fermeture du Château des Fusillés et la construction d’un nouvel établissement, un temps envisagés, ne sont plus à l’ordre du jour, la limitation des incarcérations, les lourds travaux de rénovation, la « création de lieux de vie » et l’« augmentation du personnel », réclamés depuis plusieurs années par les différents services et intervenants6, apparaissent indispensables. De même, la politique ambitieuse menée localement en matière 5 Statistique mensuelle de la population écrouée et détenue en France, situations au 1er janvier 2012 et au 1er janvier 2013, DAP. 6 « La maison d’arrêt doit être désengorgée », Ouest-France. fr, 2 septembre 2011.


ACTU d’aménagement de peine gagnerait à être précédée d’une politique volontariste de prononcé de peines alternatives. François Heinisch ne manque pas de le souligner : « Dans 90 % des cas où il n’y a pas de mandat de dépôt, nous prononçons à Saint-Brieuc un aménagement de peine, notamment sous forme de travail d’intérêt général. Pourquoi ne pas prononcer directement une telle peine au moment de l’audience en correctionnelle ? » Il dénonce par la même occasion l’incohérence du précédent gouvernement, qui a aggravé les peines tout en élargissant la possibilité de les aménager. Et le magistrat de plaider pour la systématisation de la libération conditionnelle, sauf dans certains cas particuliers, pour l’exclusion du champ pénal d’un certain nombre d’infractions ou encore pour la création d’une peine de probation « qui serait réellement déconnectée de l’emprisonnement et qui nécessiterait inévitablement des moyens humains et financiers supplémentaires ». A Saint-Brieuc comme ailleurs, « seule une autre politique pénale, faisant de la prison une véritable sanction de dernier recours, permettra de résorber durablement la surpopulation carcérale ».

N.B. : Contactée dans le cadre de la rédaction de cet article, la direction de la maison d’arrêt de Saint-Brieuc nous a fait savoir que la direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP) de Rennes « interdisait aux personnels de direction des établissements de communiquer avec l’OIP ». Elle n’a donc pas souhaité s’exprimer sur la situation au sein de la maison d’arrêt.

La revue Dedans Dehors recalée La direction de la maison d’arrêt de Saint-Brieuc et le gestionnaire de la bibliothèque jugent depuis plusieurs années « inopportune » la diffusion de la revue Dedans Dehors auprès des personnes détenues dans l’établissement. Après une réflexion commune « pour savoir s’il était bon de toujours parler prison [aux personnes détenues] », ils ont estimé que c’était « bien de leur parler d’autre chose »…

Samuel Gautier

« Des travaux de rénovation engagés au compte-gouttes » La parole à Sébastien Dutescu, secrétaire Ufap-Unsa Justice à la maison d’arrêt de Saint-Brieuc. Quel constat dressez-vous au sujet des conditions de vie des personnes détenues et de travail des personnels pénitentiaires à la maison d’arrêt de Saint-Brieuc ? Cela fait des années que nous dénonçons la situation qui prévaut à l’heure actuelle ! Même si depuis le début de l’année le nombre de personnes hébergées a un peu baissé, on est quand même à 150 % de taux d’occupation, très largement au-dessus de la capacité d’accueil. Les conditions de détention, ce sont trois détenus dans 9 m², pas d’eau chaude ni de douche en cellule, des locaux vétustes, humides et dégradés… Tout cela engendre inévitablement des tensions. L’établissement subit également de plein fouet la RGPP (révision générale des politiques publiques) et la baisse du nombre de personnels. Les départs à la retraite ne sont pas systématiquement remplacés. Il y a une grande lassitude chez les personnels. Pendant ce temps, ce sont les gens qui sont dedans qui paient les pots cassés. Qu’en est-il des promesses de rénovation et de modernisation ? La rénovation, c’est un grand mot. Elle se résume le plus souvent à un coup de peinture, on refait un peu de carrelage, on change un évier, un w.-c. cassé ou encore une fenêtre. C’est du cache-misère : on fait des travaux quand on n’a plus le choix et au compte-gouttes. La porte de sécurité de la prison n’a été changée que parce que l’autre ne tenait plus, rongée par la rouille. On a fait un escalier pour accéder aux étages… simplement parce que le précédent était en bois et qu’il était à deux doigts de s’effondrer. Si l’on veut respecter les conditions de vie des personnes, il faut aller bien au-delà. Il ne suffit pas

de remettre un coup de peinture. Il est possible de configurer différemment les lieux, avec des cellules d’une ou deux places, disposant de douche et d’eau chaude. Nous n’avons même pas de chariot chaud-froid pour distribuer les repas. C’est bien la peine de se mettre aux normes en cuisine… Il y a de gros investissements à faire pour cet établissement, mais on nous rétorque systématiquement qu’il n’y a pas de budget. Il y a surtout un manque de volonté politique. Et en ce qui concerne la réinsertion ? L’établissement n’offre pas assez de travail aux détenus et il ne dispose pas des capacités matérielles nécessaires à l’accueil des entreprises. Il faut absolument mettre fin à cette logique d’entassement cellulaire en vigueur actuellement et faire en sorte que la réinsertion devienne réellement une priorité, en augmentant notamment le nombre de personnels et en renforçant le SPIP qui, dans les Côtes-d’Armor, fait face à de grosses difficultés. Nous sommes dans une région dynamique, proche de la mer : l’écologie, tout le monde sait que c’est l’avenir et l’on pourrait très bien imaginer par exemple que des détenus apprennent des métiers du secteur. D’ailleurs, la plupart n’attendent que ça. De mon point de vue, il faudrait réhabiliter cette prison, en la gardant en centre-ville mais en faisant de très gros travaux de rénovation. Ou alors il faudrait la démolir entièrement et la reconstruire, car tout le monde sait que rénover des bâtiments anciens, cela coûte une fortune. Enfin, il faut instaurer un numerus clausus. C’est une aberration d’accueillir plus de détenus que le nombre de places. Il n’y a aucune autre solution pour nous donner les moyens d’assurer nos missions. Propos recueillis par Samuel Gautier

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dossier

Expression en prison :

la parole disqualifiée « On crie dans le désert ». Cette impression souvent partagée par les détenus et les personnels pénitentiaires reste emblématique d’une parole qui perd de sa valeur dans le contexte carcéral : parce qu’accusés ou condamnés, ils ne sont plus considérés comme crédibles et légitimes à s’exprimer ; parce que personnels d’une administration ultra hiérarchisée, ils n’ont qu’à se plier au « devoir de réserve ». Quand la parole ou la revendication est interdite dans ses formes pacifiques, négociées, démocratiques, elle prend souvent des formes plus extrêmes. Plusieurs groupes de travail et études sur la violence en prison ont ainsi préconisé de développer les possibilités d’expression, à l’intérieur des murs et avec l’extérieur, entendus par Dedanssans Dehorsêtre N°79 Mars 2013 30 les pouvoirs publics à ce jour.


Expression en prison : La parole disqualifiée

«R

épondre rapidement aux requêtes des

détenus, les impliquer dans la vie des établissements, créer des lieux de conflictualisation où ils puissent verbaliser leurs frustrations et désamorcer les tensions, écouter systématiquement tous les détenus, y compris et surtout ceux qui ne demandent rien, mettre en place des groupes de parole1 »… Ces orientations prioritaires identifiées par un groupe de réflexion sur la violence en détention, composé de personnels pénitentiaires et de chercheurs, signalent l’impérieuse nécessité de porter une meilleure attention à l’expression des prisonniers.

Le groupe de travail insistait sur l’importance « de maintenir un lien direct aux individus (distribuer le courrier dans la cellule, prendre un temps pour évoquer des événements quotidiens) ». A l’heure des « bornes de saisie des requêtes » et de nouvelles prisons dont l’architecture vise à limiter les contacts, c’est une tendance inverse qui se dessine. Les bornes informatiques permettent aux détenus de saisir une demande, d’obtenir un accusé de réception, une indication sur le délai de réponse escompté, le tout dans une conception utilitariste des échanges. La nature de la réponse s’avère relativement secondaire et le besoin de discussion, de confrontation est occulté. « La perte de contact avec les surveillants va finir par tuer les gens2 » s’inquiète Anne Lécu, médecin à Fleury-Mérogis : « on a besoin pour vivre de manger, d’être abrité, d’être vêtu, et on a besoin de chaleur humaine ». Ce manque de contact et d’écoute a pour corollaire l’absence de cadre dans lequel exposer et régler les éventuels conflits. Une des raisons de la violence en prison, observe la sociologue Antoinette Chauvenet « c’est le fait que les mouvements collectifs, la syndicalisation, la manifestation, les lieux de débats où pourraient s’exprimer des désaccords, des conflits et des oppositions, c’est-à-dire les moyens habituels de conflictualisation sont interdits3 ».

La production de la violence Faute de reconnaissance d’un droit d’expression, faute d’espaces de parole et de négociation, l’institution pénitentiaire perpétue, voire amplifie le cycle infernal violence-répression. « Dans certains établissements il y a une liste d’attente pour le travail, ici c’est pour le quartier disciplinaire, car c’est le seul 1 Groupe de réflexion sur la violence contre les personnels pénitentiaires, rapport de P. Lemaire, mai 2010. 2 Le Bien commun, France culture, 14 février 2013. 3 A. Chauvenet et alii, La violence carcérale, Mission de recherche droit et justice, synthèse n° 132, 2005.

moyen de rencontrer la direction, qui se refuse au dialogue » écrit une personne détenue en février 2013. Témoignages et rapports d’incidents illustrent avec éloquence les propos du Contrôleur général Jean-Marie Delarue : « S’il n’est accordé aucune importance à la parole, si au sens littéral du terme les gens’’parlent dans le vide’’, si personne n’est là pour les écouter et donner suite à leur propos, l’on observe un recours à des procédés autres que la parole ». Automutilations, mise à feu du matelas, agressions verbales ou physiques… seront autant de façons d’obtenir enfin une réaction, laquelle prendra souvent la forme d’une répression plus ou moins brutale. Pourtant, « il y a fort à parier » affirme Hélène Castel, psychothérapeute et ancienne détenue, « que le niveau de la violence au sein des prisons tendrait à la baisse si les rapports institués étaient, d’entrée, plus strictement fondés sur le respect − et l’écoute, au sens large − de l’autre4 ».

Redonner autonomie et responsabilités Au sein même de l’administration pénitentiaire, tous n’ignorent pas l’intérêt de s’inscrire dans une autre logique. Le directeur interrégional des services pénitentiaires de Lyon jugeait dans un rapport de 2010 que « la parole est un outil irremplaçable d’apaisement des conflits, notamment en milieu carcéral. Le dialogue entre la population pénale et les personnels pénitentiaires à travers par exemple une expression collective des personnes détenues facilite une compréhension mutuelle5 ». Lors de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive, un détenu auditionné vantait la politique développée à la maison centrale d’Arles, « privilégiant la parole et l’échange. Quand il y a un problème, avant de mettre la personne au cachot, on essaie d’abord de comprendre les raisons qui ont pu l’amener à s’énerver, il y a un système de médiation entre détenus et administration ». La centrale d’Arles fait partie des dix sites ayant participé à une expérimentation sur « l’expression collective » des personnes détenues. Démarré en novembre 2010, le projet visait à instaurer des processus formalisés de rencontre et d’échange entre direction et représentants de la population pénale. A l’issue de l’expérimentation, trois établissements se sont retirés du projet, un ne l’a pas encore démarré, le comité de pilotage a été dissout, le rapport d’évaluation reste gardé au secret, et seuls quelques chefs d’établissements poursuivent, isolément, des pratiques dont tous louent les effets positifs. Il semble que les pressions 4 H. Castel, « Quelle prison pour quelle réinsertion ? » Pouvoirs n° 135, novembre 2010. 5 J-C. Toulouze, Mission de réflexion sur les violences entre personnes détenues, DISP Lyon, juin 2010. Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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dossier « Il y a fort à parier que le niveau de la violence au sein des prisons tendrait à la baisse si les rapports institués étaient plus strictement fondés sur le respect et l’écoute de l’autre. » (Hélène Castel) des syndicats pénitentiaires aient été si fortes que la tentative de mettre en place des espaces de dialogue avec les prisonniers ait été abandonnée. Les « comités de détenus » sont pourtant courants dans les prisons d’Europe, rappelle André Vallotton, président du Conseil de coopération pénologique du Conseil de l’Europe, qui souligne à quel point une meilleure prise en considération de la parole des détenus contribue au bon ordre dans les prisons, tout en ayant des vertus éducatives et socialisantes. Ce que confirme le chef d’un établissement « pilote » français : « Les gens qui viennent régulièrement à ce genre de réunion apprennent à parler en groupe, à poser une réflexion d’intérêt général, on approche d’une position plus sociale ». Un effet également constaté par des chercheurs canadiens : « Les comités peuvent permettre aux détenus de renforcer leur sens de la responsabilité personnelle, ce qui n’est pas le cas dans les prisons traditionnelles »6. Au travers de ces dispositifs, émerge ainsi une remise en cause plus profonde d’une gestion coercitive et déresponsabilisante des personnes détenues, à laquelle l’administration pénitentiaire française ne semble pas encore prête à renoncer.

Censure pour tout le monde Souvent ignorée à l’intérieur, la parole des détenus est étouffée dès lors qu’elle s’adresse à l’extérieur. Toute sortie d’écrit par un détenu en vue de sa « publication » ou « divulgation » nécessite l’autorisation de la direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP), qui peut le retenir pour des « raisons d’ordre ». En réalité, ce sont non seulement des manuscrits, mais aussi des courriers qui sont fréquemment retenus sitôt qu’ils comportent une critique de la prison, de l’administration, des conditions de détention… Se percevant comme une citadelle assiégée confrontée à l’incompréhension et à la méconnaissance de la société civile, l’administration pénitentiaire y voit la justification de la censure exercée sur toute forme d’expression. Une censure étendue aux personnels, dans une conception élargie de l’obligation de réserve traditionnellement imposée aux fonctionnaires, qui s’applique également aux « partenaires », intervenants et prestataires privés « concourant au service public pénitentiaire ». Des cadres de l’administration pénitentiaire regrettent ainsi de se voir « soumis à un statut spécial », les privant de droit de grève et les contraignant à « une 6 N. Bishop, « La participation des personnes détenues à l’organisation de la vie en détention », Champ pénal/Penal field, Vol. III, 2006, mis en ligne le 13 novembre 2009. URL : http://champpenal.revues.org/485. Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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«Les Hurleurs», Mickael, Avignon, 2001

obligation de réserve aggravée par une communication externe verrouillée par l’échelon national. L’administration pénitentiaire agit trop souvent comme une’’petite muette’’ effarouchée qui infantilise ses cadres7. » Les directeurs des prisons, précise le syndicat FO-Direction, ont en effet pour « obligation de respecter la règle du silence : ne jamais parler de rien, à personne8 ». La censure s’applique encore aux familles des prisonniers, dont les échanges par courrier, par téléphone ou au parloir peuvent être systématiquement lus, écoutés, contrôlés. Sans compter l’interdiction anachronique de l’usage d’internet, de la messagerie électronique et du téléphone portable en détention… Bien que reconnue pour son rôle favorisant la réinsertion, la famille du prisonnier est ainsi suspectée, selon la sociologue Caroline Touraut, d’être complice, voire responsable par la mauvaise éducation dispensée, de l’infraction commise. C’est pourquoi l’administration entretient avec 7 « Qui peut se passer des directeurs de prison », Tribune du Syndicat national des directeurs de l’administration pénitentiaire, Libération, 27 novembre 2012. 8 « Français, Françaises, le saviez-vous ? », communiqué du 23 octobre 2012.


Expression en prison : La parole disqualifiée l’entourage des détenus des relations empreintes de défiance : « les secrets entre le détenu et ses proches ne sont pas considérés comme légitimes, car ils sont susceptibles d’être dangereux »9 . La Commission nationale consultative des droits de l’Homme en dénonce les conséquences : « auto-censure de la part des détenus et de leurs proches dans leurs échanges, […] appauvrissement des rapports affectifs et en définitive isolement sentimental de la personne détenue10 ».

carcérale, d’une véritable lutte contre la violence en détention, mais aussi de la nécessité de « donner sa place à la dignité des relations sociales11 », l’urgence impose de mettre fin à la culture du « silence dans les rangs ». Car la persistance d’une organisation caractérisée par « le cloisonnement et la segmentation », le poids d’une administration campée sur des rapports de domination, apparaissent au rang des obstacles à une prison qui intégrerait « les notions d’autonomie et de protection de la personne, de cohésion sociale et d’exercice de la citoyenneté12 ».

Au nom du respect de la liberté d’expression, du droit au maintien des liens familiaux, d’un principe de normalisation de la vie

Barbara Liaras

9 C. Rostaing, Préface, in C. Touraut, La famille à l’épreuve de la prison, PUF, 2012. 10 CNCDH, Sanctionner dans le respect des droits de l’homme, vol.1, 2007.

11 Rapport Lemaire, op. cit. 12 C. Brunet-Ludet, Le droit d’expression collective des personnes détenues, direction de l’administration pénitentiaire, février 2010.

Quelques mesures pour la liberté d’expression Diverses règles en vigueur dans les prisons françaises placent la France bien en retrait des préconisations du Conseil de l’Europe et devraient être supprimées ou réaménagées :

spécifique de soupçonner que son contenu pourrait être illégal ». Dans cette éventualité, le courrier devrait être ouvert en présence de son destinataire.

– La possibilité pour les détenus de s’exprimer dans les médias devrait être reconnue « à moins que des raisons impératives ne s’y opposent au nom de la sécurité et de la sûreté, de l’intérêt public ou de la protection des victimes, des autres détenus et du personnel » (Règles pénitentiaires européennes (RPE), n° 24.12). La Cour européenne des droits de l’homme a déjà eu l’occasion d’affirmer que les limites apportées à la liberté d’expression appellent une interprétation étroite, la nécessité de restreindre cette liberté devant être établie de manière convaincante. Dans un arrêt contre la Suisse du 21 juin 2012, la Cour reprochait au gouvernement helvétique de n’avoir pas démontré que l’interdiction opposée à une société de télévision d’interviewer une détenue répondait à un « besoin social impérieux ». « Le maintien du calme, de l’ordre et de la sécurité dans l’établissement » invoqué par les autorités helvétiques n’est pas un argument suffisant.

– Ne plus sanctionner les mouvements pacifiques : les dispositions sanctionnant toute « action collective de nature à perturber l’ordre de l’établissement1 » devraient être supprimées, afin d’autoriser les personnes détenues à signer une pétition par exemple, ou tout autre mode de revendication autorisé par le droit commun.

– Des dispositions permettant d’accéder à internet et à la messagerie électronique et d’utiliser un téléphone portable doivent être adoptées. « Les autorités pénitentiaires doivent être conscientes des possibilités de communiquer par voie électronique qu’offre la technologie moderne », précisent les RPE. Le Contrôleur général s’est également prononcé dans ce sens, notamment dans un avis du 20 juin 2011 : « l’accès aux services de messagerie électronique doit être assuré, dans les seules limites actuellement ouvertes par la loi pour les correspondances, auxquels les messages doivent être purement et simplement assimilés ». Dans un avis du 10 janvier, il juge qu’« une réflexion s’impose sur les conditions dans lesquelles [les téléphones cellulaires] pourraient être utilisés ». – Revenir sur l’ouverture systématique des courriers, entrants comme sortants : les RPE, comme la Commission nationale consultative des droits de l’homme, suggèrent que la correspondance puisse faire l’objet d’une vérification externe afin de s’assurer « qu’elle ne contient pas d’articles illégaux », mais ne puisse être lue « que s’il existe une raison

– L’instauration dans tous les établissements de comités de détenus, tels que préconisés par le comité de pilotage présidé par Cécile Brunet-Ludet, conformément à la RPE n° 50. Le jury de la conférence de consensus pour la prévention de la récidive et la mission parlementaire de lutte contre la surpopulation carcérale se prononcent en ce sens. Ces comités permettent le développement d’espaces de parole pour les détenus et avec les personnels, et contribuent à renforcer la « sécurité dynamique » au sein des prisons. « Le bon ordre dans tous ses aspects à des chances d’être obtenu lorsqu’il existe des voies de communication claires entre toutes les parties », précisent les RPE (commentaire de la règle n° 50). – La mise en place de pairs aidants pour animer des groupes de parole de préparation la sortie : des personnes ayant connu l’incarcération viennent rencontrer des détenus pour les accompagner et préparer leur réinsertion sociale. Existant notamment au Canada, ces dispositifs apportent une reconnaissance de la parole et de l’expérience du détenu, mis en mesure d’en faire bénéficier les autres. – Une limitation du devoir de réserve des personnels aux questions concernant les situations individuelles des détenus et de sécurité des établissements (secret professionnel), afin qu’ils puissent eux aussi témoigner de leurs conditions de travail et de la situation des prisons. Le déni de leur droit à la liberté d’expression les rend peu enclins à envisager favorablement celle des détenus. 1 Article R.57-7-2 du Code de procédure pénale. Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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dossier

Le couloir étroit de la parole carcérale Pour Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté, l’organisation carcérale reste faite pour que les détenus ne parlent pas et que les surveillants n’écoutent pas. S’il n’est pas accordé d’importance à la parole, si les acteurs de la prison parlent « dans le vide », l’expression prend des formes inhabituelles et violentes. Nommé en juin 2008, JeanMarie Delarue est le premier Contrôleur général des lieux de privation de liberté en France.

Au sein de la prison, quel espace est réservé à la parole ? Il n’y a pas beaucoup d’espace pour la parole en prison. Dans la période de l’arrivée en détention, toute une série de meurtrissures placent la personne en position de silence sur soi, dans un questionnement intime qui ne prête pas à l’extériorisation. Une fois passée cette période, c’est l’organisation même de la vie sociale pénitentiaire qui est faite pour qu’un seul côté ait la parole : on reste dans une culture du commandement et du « silence dans les rangs ». Quand un détenu veut dire quelque chose, on lui répond en substance que sa question est inopportune. De nombreuses anecdotes illustrent ces dialogues qui tournent court. Un détenu fait l’objet d’un transfert assez long, dans un camion roulant à toute allure, ce qui le rend malade. Quand il descend, il se plaint au chauffeur, qui le regarde stupéfait et lui répond : « Mais mon gars, tu n’avais qu’à pas venir en prison ! » On est dans un rapport d’inégalité tel, que l’on ne peut pas s’exprimer quand on est détenu, c’est intrinsèque à sa condition. Jusqu’en 1972, la règle du silence était même imposée en détention. On a recouvré la parole dans les prisons, mais l’organisation carcérale reste faite pour que les détenus ne parlent pas, ou alors seulement entre eux, entre « égaux », dans le cadre de leur cellule. Les nouvelles prisons apparaissent comme déshumanisantes et limitant encore un peu plus le dialogue entre détenus et personnels… Quelles sont vos observations sur la communication dans les différents types d’établissements ? Il y a ces échanges « pas-de-porte », les dialogues « minimaux » de la vie carcérale : le détenu demande quelque chose au surveillant, qui est censé répondre. Cela fonctionne assez Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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bien dans les anciennes prisons de petite taille, où tout le monde se connaît, la parole peut se nouer. Dans l’étape que nous connaissons d’une « industrialisation de la captivité », la parole se perd à nouveau. Les nouvelles prisons que l’on nous concocte depuis 25 ans sont des établissements de masse, quand chacun sait qu’il ne faut pas créer de situations où les détenus sont trop nombreux face à trop peu de surveillants. Dès lors, les espaces de parole se raréfient. Et dans les circonstances où la parole reste possible, il manque du temps aux surveillants, qui se retrouvent chacun, du fait de l’évolution des effectifs, avec 60 à 100 détenus « à gérer ». Dès lors, le leitmotiv des personnels devient : « Ecrivez. » Le détenu ayant quelque chose à dire ou demander doit donc écrire une lettre, dont il ne sait pas bien ce qu’elle va devenir, ni même si son destinataire la recevra, mais dont on présuppose, dans nombre de cas, qu’elle n’obtiendra jamais de réponse. L’obtention du droit de parler n’aura ainsi duré que l’espace d’un matin, où d’un certain type de prisons qui n’est aujourd’hui plus majoritaire dans notre pays. Plusieurs études sur la violence en prison établissent un lien direct entre le manque de canaux d’expression et les formes d’expression violentes, contre soi et contre les autres. Partagez-vous cette analyse ? Oui, ces liens sont forts. Les incidents ont le plus souvent des causes objectives, qui nous renvoient à une forme de rapports sociaux dans lesquels la violence est un calcul « économique » plus intéressant, car elle permet d’avoir gain de cause plus facilement. Imaginez par exemple que vous vouliez changer de cellule parce que votre codétenu est menaçant à votre égard. Vous le dites au surveillant qui vous ouvre la porte le matin, il vous répond qu’il va le signaler au chef. Et puis vous attendez 15 jours et rien ne se passe, alors que vous supportez de moins en moins votre codétenu. Vous redemandez au surveillant, qui vous répond qu’il va renouveler la demande, et vous finissez par obtenir une audience avec le chef. Mais trois


Expression en prison : La parole disqualifiée

© Michel Le Moine

mois plus tard, vous êtes toujours dans la même situation. Un jour, vous finissez par vous énerver : soit vous avez recours au moyen le plus classique, à savoir la violence tournée vers soi, vous vous mutilez par exemple l’avant-bras avec une lame de rasoir ; soit vous retournez cette violence contre l’autre, le surveillant ou le chef… S’il n’est accordé aucune importance à la parole, si au sens littéral du terme les gens « parlent dans le vide », si personne n’est là pour les écouter et donner suite à leur propos, l’on observe un recours à des procédés autres que la parole.

Nous avons réclamé depuis longtemps un système de « supervision » des personnels, à savoir un espace leur permettant de s’exprimer sur leurs pratiques et leurs difficultés hors la présence de leur hiérarchie. Beaucoup de professions « à risque » en disposent aujourd’hui, tels les éducateurs dans les centres éducatifs fermés (CEF) pour mineurs, qui participent chaque mois à un espace d’« analyse des pratiques » : un tiers vient et ils se racontent devant lui. Je ne sais pas pourquoi on n’a pas inventé la même chose pour les surveillants, qui en auraient bien besoin pour être pris au sérieux dans leur propre parole.

Un autre lien souvent établi relève du manque de possibilités d’expression pour les personnels pénitentiaires, soumis à un devoir de réserve très contraignant. La reconnaissance de la parole des uns implique-t-elle nécessairement une évolution du droit d’expression des autres ?

Quelles autres réponses pourraient être envisagées pour prévenir la violence en détention ?

L’administration pénitentiaire fonctionne de manière extrêmement hiérarchisée, ce qui est dû à des motifs fonctionnels – assurer la sécurité suppose une forte discipline –, mais pas seulement. Si bien que les surveillants s’expriment peu sur leur travail et leurs difficultés. Dans la mesure où leur parole n’est pas ou très peu prise en considération par leur hiérarchie, on ne les habitue pas à prendre au sérieux la parole d’autrui. Et lorsque des surveillants se font les relais de la parole des détenus auprès d’une hiérarchie qui ne prend pas en considération ce qu’ils lui rapportent, ils sont conduits à délaisser ce rôle.

Le réflexe « naturel » de l’administration n’est pas de développer les espaces d’expression pour éviter que la parole ne devienne violente à force de ne pas être entendue. Elle décide de renforcer les mesures de sécurité. C’est un cercle vicieux : une parole non prise en compte engendre de la violence qui fait augmenter les incidents auxquels l’administration répond par plus de sécurité en expliquant : « Puisque les incidents augmentent, nous sommes obligés de nous protéger. » Or, je suis convaincu que plus on renforcera la sécurité, moins on créera d’occasions de dialogue, plus les incidents augmenteront en volume et en gravité. Ce qui me frappe aussi dans la description des incidents par l’administration pénitentiaire (AP), c’est l’emploi de l’adverbe « rapidement » ou « immédiatement ». Au fond, ce qui intéresse l’administration est de savoir si elle a été en capacité Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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dossier « La parole en détention se situe dans un couloir tellement étroit, un peu kafkaïen, où l’on ne peut s’exprimer comme on le voudrait, si bien qu’inévitablement, elle prend des formes inhabituelles. » d’intervenir dans des délais raisonnables. Il s’agit de se rassurer sur son fonctionnement, mais aussi de régler le problème de la responsabilité en cas d’atteinte à l’intégrité physique. Si un détenu s’est pendu à un loquet de fenêtre, il va avant tout être indiqué que le surveillant, puis le gradé (la nuit) sont intervenus rapidement pour ouvrir la porte, si bien que la responsabilité de l’administration n’est pas engagée. L’AP ne cherche pas à analyser les causes de l’événement. Je pense à un suicide intervenu récemment, juste après que la personne détenue a appris un événement grave. Il est bien mentionné dans le rapport que le surveillant est arrivé à temps, mais est-il indiqué si le détenu a pu ce jour-là « vider son sac » auprès de quelqu’un, exprimer son chagrin et son désarroi devant ce qu’il venait d’apprendre avant d’effectuer ce geste fatal ? La réponse est évidemment non. Je ne peux certes pas affirmer que cette parole aurait suffit à le sauver, mais je peux affirmer que l’absence de parole n’est pas étrangère à ce passage à l’acte. Que pensez-vous de l’expérimentation, à laquelle la direction de l’AP ne semble pas vouloir donner suite, d’un système de consultation des détenus ? Sur le fondement des Règles pénitentiaires européennes, la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) a cherché à promouvoir une forme d’expression collective. Elle s’est basée sur l’expérience de quelques chefs d’établissement un peu plus hardis que d’autres, qui avaient développé des pratiques visant à consulter des détenus ou des groupes de détenus, sur un certain nombre de questions telles que les activités socioculturelles. Une réflexion a été conduite durant deux ans, qui a donné lieu à un premier rapport de la magistrate Cécile Brunet-Ludet, puis à une mise en œuvre expérimentale, dans une dizaine d’établissements, de « groupes d’expression collective ». Nous avons visité deux de ces prisons où s’était manifestée au départ une assez forte résistance des surveillants, dont la crainte était d’être dépossédés de leurs prérogatives. Ils n’étaient pas loin de penser qu’une espèce de « soviet » de détenus allait désormais s’occuper des décisions de la prison ! Cette crainte a été plus ou moins « négociée » par les chefs d’établissement. Dans certains cas, elle n’a pas été surmontée, dans d’autres elle l’a été, et l’expérience, sous des formes variables, a été très réussie à mon avis. Je pense à une maison d’arrêt du centre de la France où le directeur avait parfaitement associé le personnel et où des résultats particulièrement intéressants ont été obtenus, la place accordée à l’expression collective des détenus faisant en écho évoluer la vie carcérale, Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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© Olivier Touron

dans son organisation, sa façon de faire et ses prestations. Tout cela s’est arrêté dans la mesure où la DAP n’a pas donné suite à ces expériences – jusqu’à présent en tout cas. Une forte opposition a perduré au sein de l’institution, que la DAP n’a pas su ou pas voulu surmonter. Je le regrette. Pour vaincre les réticences des personnels, il faut en comprendre les motifs et être prêt à expliquer autant que de besoin l’intérêt du dialogue et de l’expression collective comme facteur d’apaisement en détention. Les possibilités de communication des détenus avec l’extérieur sont également essentielles. Quels sont les effets des contrôles et limitations des différents types de « correspondance » ? Les règles concernant le courrier sont définies et connues – la question de leur respect est autre –, tandis que celles s’appliquant au téléphone restent incertaines. On reste dans la confusion. Dans la plupart des établissements, des postes sont implantés dans les cours de promenade et deviennent des enjeux de pouvoir entre détenus, avec, dès lors, de grandes incertitudes sur leur accès. En outre, il n’est plus possible de téléphoner après 17 h 30, ce qui limite les possibilités de communiquer avec un proche qui travaille. Sans compter les décalages horaires, les numéros de téléphone où il faut appuyer sur les touches… C’est un « demi-téléphone » que l’on a donné en détention.


Expression en prison : La parole disqualifiée

« Dans la mesure où la parole des surveillants n’est pas ou très peu prise en considération, on ne les habitue pas à prendre au sérieux la parole d’autrui. »

Il y a d’autres domaines d’incertitude dans la relation avec les proches, en particulier au parloir. Un aspect essentiel pour les détenus concerne les rapports de tendresse et l’intimité physique. Les détenus font face à des pratiques et comportements très différents selon les équipes de surveillants. Il n’y a pas aujourd’hui une réglementation clairement établie sur ce que le personnel doit faire lorsque les gens se font des « petits amours » au cours des visites. Cette incertitude génère de la déception, de l’arbitraire, dans certains cas de la fureur. Cela fait partie des sujets que l’AP ne s’est pas donné le mal de traiter. La meilleure réponse serait évidemment la multiplication des unités de vie familiale (UVF), mais seuls 40 établissements en sont pourvus… Concernant les courriers qui échappent en principe aux contrôles de droit commun, la réalité est que beaucoup de lettres aux avocats ou aux autorités sont quand même ouvertes. Il y a là un moyen de communication qui devrait être l’exclusivité de la personne détenue et de son correspondant. Mais nous faisons face à l’incapacité de certains personnels à se soumettre aux règles, certainement par peur de voir le détenu dire des choses qui ne leur sont pas agréables. Faut-il également élargir les modes de communication accessibles aux détenus ? Oui, il y a des modes de communication complètement interdits pour lesquels il faudrait aller dans le sens de

l’assouplissement. Est-ce bien utile, par exemple, d’interdire les téléphones portables en détention, qui sont la cause principale d’une multiplication des fouilles de cellules (outre la circulation de produits stupéfiants) ? Est-ce que, pour un détenu qui va continuer à faire des « affaires », il n’y en a pas neuf qui ont recours à un portable uniquement pour appeler leur petite copine ou leur mère ? Un avis que nous avons publié préconise, dans le même sens, d’étendre l’accès à Internet. J’ai visité en avril 2012 une prison de haute sécurité américaine où étaient affectées des personnes condamnées à de très longues peines, généralement pour des homicides. En bas d’un petit bâtiment de deux étages hébergeant une quarantaine de détenus, il y avait une salle collective permettant aux prisonniers de se réunir, ce qui n’est pas possible dans les prisons françaises. Dans cette salle, six ordinateurs se trouvaient en libre accès, permettant d’envoyer des courriels à qui l’on voulait. Les courriers électroniques pourraient très bien faire l’objet d’un contrôle aléatoire ou systématique pour certains détenus, au même titre que les courriers ordinaires. Je ne vois pas la nécessité d’interdire purement et simplement la messagerie électronique. Je ne remets pas en cause la nécessité de certains contrôles, mais cette fermeture à tout-va, qui est en réalité une espèce de confort pour l’AP. Avec les mêmes conséquences que le manque d’expression et de dialogue à l’intérieur : moins vous pouvez communiquer avec les vôtres, plus vous êtes frustré et plus cette frustration se traduit par des incidents, parce que vous ne supportez plus d’être dans le silence. Toutes ces questions autour de l’expression des uns et des autres, des uns avec les autres, relèvent d’un même débat. C’est un peu comme si ce débat était enfermé dans des cellules d’un mètre de large dans lesquelles nous ne pourrions pas étendre les bras. La parole en détention, elle, se situe dans un couloir tellement étroit, un peu kafkaïen, où l’on ne peut s’exprimer comme on le voudrait, si bien qu’inévitablement, elle prend des formes inhabituelles. Propos recueillis par Sarah Dindo

Pour en savoir plus, consulter les avis du CGLPL du 21 octobre 2009 relatif à l’exercice de leur droit à la correspondance par les personnes détenues ; du 10 janvier 2011 relatif à l’usage du téléphone dans les lieux de privation de liberté ; du 17 juin 2011 relatif à la supervision des personnels de surveillance et de sécurité et du 20 juin 2011 relatif à l’accès à l’informatique des personnes détenues sur le site www.cglpl.fr Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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« Cette impression de crier dans le désert » M. D. a passé quatre ans en maison d’arrêt, puis six en centre de détention. Libéré depuis peu, il raconte comment le sentiment de crier dans le désert fait passer des paliers dans l’échelle de la rage et de la violence. Devant la justice comme au sein de la détention, toute demande relève d’un rapport de forces usant, ne recevant pas de réponse, et toute parole peut se retourner contre soi.

Avez-vous l’impression d’avoir conservé un droit d’expression tout au long de votre parcours judiciaire et carcéral ? Je n’ai jamais eu l’impression d’avoir conservé un droit d’expression, à aucune des étapes judiciaires et carcérales. J’ai l’expérience de deux gardes à vue (GAV). La première, j’étais coupable, j’ai reconnu les faits. La seconde, pendant ma détention, résultait d’une accusation mensongère. Cette garde à vue a duré 36 heures, dont cinq heures d’interrogatoire avec une confrontation. Il était flagrant que j’étais d’emblée considéré comme coupable en début de GAV. Durant la nuit, un policier est venu par trois fois frapper dans ma porte : on peut obtenir des aveux en épuisant les gens. Nous sommes traités comme des animaux que l’on veut amener à un endroit bien précis : on leur fait parcourir un circuit, sans choix. On m’amenait par des questions à répondre selon leurs attentes. On a beau être innocent, on se sent fragilisé. A partir du moment où la confrontation a fait apparaître les mensonges de l’accusateur, j’ai été traité très différemment. Lors de la procédure d’instruction, même si j’étais coupable et que j’acceptais de « payer », le procès-verbal dicté par la juge à la greffière comportait des phrases qui n’étaient pas les miennes, mais les siennes ! Vous êtes face à quelqu’un investi d’une certaine puissance et on vous fait bien comprendre que ce n’est pas le moment de contester. Du coup, j’ai laissé courir pas mal d’éléments : à un moment, vous êtes usé, vous laissez tomber. En détention, par quels moyens communiquiez-vous avec l’administration ? On voit très peu les surveillants, ils restent dans le poste d’information central (PIC). Avec eux, la communication directe Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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était de règle ; avec l’échelon du dessus, il fallait écrire. De nombreux courriers restent sans réponse : les surveillants relèvent le courrier, l’emmènent au PIC. Puis les lettres sont ouvertes par le chef de détention, qui ne les fait pas toujours suivre à la direction. Quand j’ai découvert le stratagème, j’ai écrit au directeur par la voie postale, en payant des recommandés avec accusé de réception. De cette façon, j’obtenais en général des réponses. Mais tout le monde ne peut pas se le permettre. Comment vos demandes étaient-elles traitées ? La communication directe tombe toujours à l’eau. Quand je suis arrivé à Salon-de-Provence, je me suis retrouvé dans une cellule où il n’y avait pas de chaise. A chaque changement d’équipe – matin et après-midi –, je signalais mon problème. Au bout de quinze jours, trente demandes donc, je n’avais toujours aucune réponse. Un jour, j’ai vu une cellule se libérer, j’ai pris la chaise qui s’y trouvait. Souffrant d’une hernie discale, j’ai écrit au chef pour avoir un deuxième matelas. Après huit jours, je n’avais pas de réponse. J’en suis donc venu à menacer, j’ai dit au surveillant que j’allais prendre une chaise et taper sur tout ce qui bouge. J’ai alors pu rencontrer le chef, qui m’a avoué avoir retrouvé mon courrier sous une pile. Aviez-vous des possibilités de dialogue avec d’autres détenus, avec certains personnels ou intervenants ? La discussion est possible avec les autres détenus, mais il faut se méfier de ce qui va être rapporté à d’autres et à l’administration. Quand vous n’êtes pas en secteur fermé, il est possible d’aller chez un copain, ou qu’il vienne chez vous. On peut aussi se rencontrer lorsqu’il y a des activités, à l’atelier… Le service des soins psychiatriques constitue également un


Expression en prison : La parole disqualifiée violence physique n’est pas dans mon tempérament, j’ai eu recours à l’écrit. Ce rapport de forces permanent est usant. Je suis libéré depuis deux mois, mais la façon dont j’ai été traité comme un moins que rien me ronge encore. Quelles ont été, pour vous et vos proches, les conséquences des contrôles sur les correspondances, les conversations téléphoniques, les parloirs ? Beaucoup de frustration. La famille doit faire attention à ce qu’elle écrit et dit. Dans le courrier, je retenais ma main. On ne peut pas écrire des choses intimes à sa femme, car on sait que l’on sera lu. Au téléphone, je retenais ma langue. L’an dernier, j’ai été sanctionné de sept jours de confinement après avoir envoyé une lettre à mes parents. La motivation de la sanction mentionnait des « propos diffamatoires » visant le directeur. A l’extérieur, si je me plains de mon patron dans un courrier à ma mère, je ne serai pas sanctionné. En prison, tous nos propos peuvent se retourner contre nous. Un détenu devrait pouvoir parler de la pénitentiaire dans une correspondance privée, pouvoir écrire librement, sans l’épée de Damoclès de la sanction. On ne peut pas dire des choses intimes à sa femme, car on sait que l’on sera lu. Bien sûr, si vous diffamez et que vous envoyez de fausses informations à la presse, c’est autre chose, mais cela relève du droit commun. Quelles évolutions jugez-vous possibles et souhaitables à propos des communications avec l’extérieur ?

© Olivier Aubert

véritable exutoire. La psychologue connaissait tous mes problèmes avec la pénitentiaire, mais elle n’avait aucun pouvoir pour les résoudre… Quelles conséquences engendre, selon vous, le manque de possibilités d’être entendu en détention ? On peut parler, mais c’est le retour qui manque. Ne pas être entendu provoque une incompréhension, une colère sourde. On peut se renfermer, devenir taciturne. Cela monte dans la tête et se transforme en haine, en rejet du système. C’est comme une mèche brûlant lentement qui va faire exploser le baril de poudre. Cela se traduit en insultes, en coups de poing envers d’autres détenus. Certains mettent le feu, se coupent, voire finissent par se suicider. Tout cela arrive souvent faute d’être entendu. La non-communication avec les surveillants, l’accès difficile aux chefs, la persistance des problèmes finissent vraiment par taper sur le système. On devient de plus en plus virulent à force de se heurter à un mur. Certains sont de plus en plus nerveux et violents, ils explosent. Moi, la

Je m’interroge sur l’utilité du contrôle des écrits et des conversations téléphoniques. On peut toujours arriver à faire sortir une lettre sans passer par la voie imposée par l’administration afin qu’elle ne soit pas lue. De même, les téléphones portables sont omniprésents malgré leur interdiction. Ceux de mes connaissances qui en avaient s’en servaient juste pour communiquer avec leurs proches : la cabine téléphonique coûte très cher, les horaires sont limités. Les portables permettent une liberté de parole : on peut critiquer librement les personnes avec lesquelles on a des problèmes, on peut dire des choses intimes à sa petite amie. Pourquoi est-ce si important, pour vous, de témoigner aujourd’hui de votre expérience carcérale ? Votre voix est-elle entendue ? Je ne parle pas de ma condamnation, je l’ai assumée. Je critique tout ce qui s’ajoute à la privation de liberté. J’ai mené des combats à propos des courriers, de la fouille intégrale, dans l’espoir de provoquer de l’amélioration, pour avancer. Si nous continuons à ne rien dire, rien ne changera jamais. Néanmoins, j’ai beau aller devant les tribunaux et sans cesse me battre, je n’ai toujours pas l’impression d’être entendu. Je demande des choses normales, j’apporte des explications, et ça ne bouge pas ! Reste cette impression de crier dans le désert. Propos recueillis par Barbara Liaras Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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« Etre entendu pour changer le cours des choses » Le peu de place dévolu à l’échange tout au long d’un parcours pénal et le manque d’accompagnement du justiciable pour élaborer ce qu’il a à dire de son parcours rendent sa parole difficilement audible. Une situation observée par Hélène Castel, psychothérapeute et ancienne détenue, qui explique avec Manuelle Borgel le projet de l’association qu’elles ont créée. La parole est à l’accusé (Lapac) vise à aider des personnes détenues à mieux communiquer pour mieux se faire entendre.

Hélène Castel et Manuelle Borgel, fondatrices de l’association La parole est à l’accusé.

Quelle place le processus pénal laisse-t-il à la parole d’un prévenu ? Hélène Castel (H. C.) : La loi dit que cette parole doit avoir sa place, que le prévenu doit pouvoir être entendu. Or, il apparaît souvent que la construction d’un dossier pénal ne le permet pas, ne laisse pas à la personne la possibilité de dire ou d’être entendue. Chez le juge d’instruction, le greffier écrit rapidement des conclusions dictées par le juge ; durant le procès en correctionnelle, le dossier écrit prend force de vérité, l’oralité n’a pas une place très importante parce que l’on juge assez vite et qu’il faut passer au dossier suivant. Durant un procès en assises, l’accusé dispose de plus de temps de parole, mais ne sait pas toujours comment s’en servir. En effet, il n’est pas facile pour un accusé de dire : « Attendez, il y a malentendu, je ne suis pas d’accord, j’ai une autre version. » Nous avons assisté récemment à un procès en correctionnelle. C’était une affaire importante, dont l’examen durait déjà depuis plusieurs jours. Après la lecture des procès-verbaux des interrogatoires ou des transcriptions d’écoutes Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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téléphoniques, le magistrat, tirant ses conclusions, disait très rapidement à l’accusé : « vous avez dit ceci et cela », en escomptant simplement qu’il confirme. A chaque fois, celui-ci répondait : « Attendez, j’ai déjà dit que ce n’est pas ma voix… Ce n’est pas le numéro de téléphone dont vous parlez… C’est une interprétation… » Cette personne avait la capacité de s’exprimer, d’interpeller le président, de parvenir à se faire entendre. Pourtant, son dossier avait apparemment été construit sur la base d’interrogatoires au cours desquels il ne s’était pas du tout senti entendu, si bien que ce qui était transcrit n’avait rien à voir avec sa vérité. En contestant l’interprétation du président d’une manière à la fois ferme et mesurée, l’accusé est parvenu à l’amener progressivement à prendre sa parole en considération. Quelles difficultés rencontre le justiciable pour faire entendre sa voix ? H. C. : L’enjeu, pour la personne confrontée à la justice, consiste à trouver la façon de faire comprendre son parcours, de devenir le sujet de son histoire au moment où elle va être jugée, en choisissant comment se positionner lors des audiences. Dans le cadre de mon procès, j’ai pu exprimer beaucoup de choses. Certes, j’avais un parcours de psychothérapeute derrière moi, mais j’avais aussi beaucoup travaillé avec mes avocats, avec mes codétenues et dans la solitude de ma cellule à transcrire des bribes de mon histoire en vue de prendre en main ma défense. J’ai pu mesurer à quel point cela m’a aidée et a influencé l’attitude des juges à mon égard. Cela n’avait rien à voir avec la préparation d’une stratégie de défense, il s’agissait plutôt pour moi de susciter l’écoute des jurés pour


Expression en prison : La parole disqualifiée qu’ils puissent comprendre ma démarche, tant d’années après les faits. Durant mon incarcération, j’ai vu beaucoup de prévenues démunies, incapables de dire quoi que ce soit. Soit elles fondaient en larmes tellement le poids de leur histoire était énorme ; elles ne voyaient pas par quel bout commencer à en parler. Soit elles étaient dans un rejet total, y compris du travail avec l’avocat ; elles se sentaient fichues d’avance et considéraient que ce n’était même pas la peine d’essayer. Il me semble que la difficulté majeure est de se percevoir comme « sujet » dans le processus judiciaire, ayant un rôle à jouer, capable de se poser comme interlocuteur, de prendre des décisions. Que manque-t-il aux personnes prévenues pour y parvenir ? Manuelle Borgel : Le sentiment de ne pas être entendu amène la personne à ne pas prendre en compte à qui elle s’adresse et donc à développer un discours inadéquat. Il est possible d’agir sur ce cercle vicieux. Il manque aux prévenus une préparation, un moment où ils sont accompagnés pour élaborer ce qu’ils ont à dire de leur parcours, mais aussi pour s’adapter à chaque interlocuteur. Le projet de notre association vise à proposer ce type d’accompagnement. Il faut apprendre à s’exprimer plus justement face à des personnes qui ne partagent pas le même langage, le même contexte et les mêmes préoccupations que vous. Car face à un juge, il faut essayer de faire comprendre des éléments qui pourront avoir un sens pour lui. Il manque aussi aux prévenus un contexte matériel favorable à leur expression, à la réflexion et au dialogue. H. C. : Les personnes transférées de la prison au palais de Justice doivent partir à six heures du matin, s’entasser à plusieurs dans le fourgon, attendre pendant des heures et revenir à minuit, après que les dernières audiences sont terminées. On leur propose un petit sandwich, une cellule avec des W-C à la turque, elles circulent menottées dans des souterrains, escortées par des policiers… et d’un seul coup, elles arrivent dans le bureau du juge d’instruction ou dans la salle d’audience où va se dérouler leur procès. Je me souviens d’une amie qui était toujours transférée avec les mains menottées dans le dos, parce qu’elle était considérée comme dangereuse. Les fourgons cellulaires roulant très vite, elle était toujours malade et demandait à ce qu’on lui laisse au moins les mains devant avec un petit sachet. La surveillante lui répondait : « Oui, le coup du sachet, on connaît le truc. » Elle arrivait donc systématiquement au Palais souillée par ses vomissements. Et c’était là, dans cet inconfort, qu’il fallait qu’elle règle les choses les plus importantes pour son avenir. Et que manque-t-il aux magistrats pour permettre à la parole des prévenus de s’exprimer ? H. C. : Pour les juges, « une vérité claire s’énonce clairement ». Quelqu’un qui ne répond pas clairement est donc forcément suspecté de cacher la vérité. Pourtant, une vérité ne peut s’énoncer que dans une co-construction avec l’autre : il faut se présenter et être reconnu comme une personne singulière,

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ayant à énoncer des choses complexes et propres à son parcours. Il faut savoir être à l’écoute de celui auquel on s’adresse pour savoir s’il a compris, et, sinon, reprendre. Si, par manque d’habitude, la personne prévenue n’est pas capable d’instaurer elle-même ce type de communication, elle risque de s’enfermer dans un monologue. Il arrive rarement que le juge cherche à établir un lien avec le prévenu. Le plus souvent, il interprétera sa non-expression comme de la mauvaise volonté, sa propre appréciation de l’affaire tiendra alors lieu de vérité… La question de la parole des prévenus ou des condamnés se pose-t-elle dans les mêmes termes en détention ? H. C. : Je me souviens d’une phrase qui revenait tout le temps pendant mon incarcération : « Mais, vous êtes en prison madame… » On vous signifie qu’étant prisonnière vous ne pouvez pas attendre davantage que le minimum que l’on vous donne. En maison d’arrêt, soit on est seul dans une cellule, et il n’y a pas de parole, soit on est plusieurs, et la nécessité de survivre dans une promiscuité insupportable s’impose : les échanges peuvent alors s’avérer extrêmement arides, stériles. C’est terrible de ne plus rien décider, d’être assujetti aux décisions prises par des tiers, de n’être plus que dans l’attente. Tous les détails prennent de l’importance, le quotidien est de plus en plus pauvre, il faut se protéger des agressions… Une telle ambiance n’est évidemment pas du tout propice à la réflexion et aux échanges. Et quand on visite les nouvelles prisons, leur architecture qui participe de la réduction au minimum des contacts – sans compter le développement de la visioconférence pour les entretiens avec le juge –, cela laisse présager que les échanges nécessaires à l’émergence d’une parole vont être de plus en plus limités. Avec quelles conséquences à votre avis ? H. C. : Comment développer son humanité quand on n’est plus vraiment en contact avec d’autres humains ? Je pense à une citation d’André Malraux : « Quand les hommes sortent Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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de prison, neuf fois sur dix leur regard ne se pose plus. Ils ne regardent plus comme des hommes. » Quand on n’a pas l’occasion de se poser comme un homme, comme une femme, avec la légitimité de ses actes et de ses paroles, on risque de perdre son humanité et d’être constamment sur la défensive. On se crée une forme de blindage, une carapace, que ce soit du côté d’une perte de vitalité ou du côté de la révolte et d’une augmentation des violences, puisqu’on subit de la violence dans cette forme de traitement. La conception et l’organisation du système carcéral appauvrissent et agressent. Quels sont les objectifs et les actions de votre association, La parole est à l’accusé ? H. C. : Nous démarrons un projet pilote d’un an environ, à la maison d’arrêt de la Santé. La première session va durer quatre mois et compter une douzaine de rencontres hebdomadaires. Nous commençons avec deux groupes comprenant chacun six personnes. Chaque atelier est animé par deux intervenants formés à ce type d’écoute. Une équipe de recherche-action va suivre l’expérimentation et proposer un cadre pour qu’elle puisse avoir lieu à une plus grande échelle. Nous sommes parties du constat qu’il manque dans le processus pénal un chaînon pour aider la personne à s’exprimer plus facilement au moment où « on l’attend ». Nous allons axer notre travail sur les questions suivantes : « comment se présenter à l’autre », mais aussi « comment réagir pour affirmer son point de vue ». Il s’agira d’expérimenter le dialogue, au cours duquel on parle, on se regarde, on guette les retours, on Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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« Devant le juge, quelqu’un qui ne répond pas clairement est forcément suspecté de cacher la vérité » rectifie, etc. Si l’on demande à des détenus, avant l’échéance de leur procès, ce qu’ils pensent des juges, comment ils se représentent l’audience, on constate qu’ils ont des a priori qu’il est intéressant de regarder de plus près. Nous allons commencer en travaillant la situation du procès, mais nous pourrons aussi partir d’autres situations, apportées par les membres du groupe : un conflit en détention, l’entretien avec un expert psychiatre, et tout simplement ce qui se passe entre les personnes présentes dans le groupe… Le fond du travail va consister à prendre conscience que nous sommes des personnes différentes, mais que nous pouvons entendre une personne différente – et nous faire entendre d’elle. Ce n’est pas une évidence dans le monde carcéral : on s’interrompt, on arrête d’écouter au bout de quelques mots seulement. Du coup, on cesse soi-même d’être audible. Si je pars du principe que, lorsque je m’adresse au surveillant, il ne m’écoutera pas, c’est effectivement ce qui va se produire. Il faut en prendre conscience pour commencer à avoir une incidence sur ce qui nous arrive. Se donner la chance d’être plus audible peut aider à sortir de l’impuissance : être entendu pour que sa parole change le cours des choses. Propos recueillis par Sarah Dindo et Barbara Liaras


Expression en prison : La parole disqualifiée

Surveillants :

« silence dans les rangs » Sanctionné pour avoir décrit dans un article de presse son quotidien de surveillant, Eric Carré dénonce l’hypocrisie interdisant aux personnels de formuler toute critique hors de la voix hiérarchique. Et affirme la nécessité de laisser place au débat.

Eric Carré, surveillant à la maison d’arrêt de Toulouse-Seysses

entre autres, l’attente imposée aux détenus lors des parloirs avocats – parfois deux ou trois heures sans possibilité d’aller aux toilettes. Cela ne se fait plus aujourd’hui, mais à l’époque, j’en étais profondément choqué. Je n’ai pas eu de réponse. Lorsque La Dépêche a publié un article sur l’établissement dans lequel je travaille, j’ai contacté la rédaction pour rectifier certaines inexactitudes, et on m’a proposé une interview. Voilà le contexte de cette affaire. Quelles ont été les conséquences de cet article ? Évidemment, je me suis attiré les foudres de ma hiérarchie. Le directeur interrégional a demandé « une sanction exemplaire »… sans imaginer que j’allais prendre un avocat et me défendre. J’ai reçu un blâme, que j’ai contesté – en vain – devant le tribunal administratif. Pour l’administration pénitentiaire, j’avais enfreint le devoir de réserve, dont elle a une interprétation très extensible. A aucun moment je n’ai eu l’occasion de m’expliquer devant la hiérarchie. Aujourd’hui, j’ai le sentiment que ma carrière est bloquée, de ne pas évoluer. Certains de mes collègues me soutiennent, me reconnaissent un certain courage, d’autres ne me saluent même pas. Comment expliquez-vous la réaction de l’administration à votre prise de parole ?

En 2007, vous avez accordé à un quotidien régional un entretien sur votre métier de surveillant. Que disiez-vous ? Je dénonçais des atteintes à la dignité humaine, je décrivais l’univers carcéral, la surpopulation surtout, et le grand nombre de suicides. J’avais remarqué qu’il y avait eu dix-neuf guillotinés sous la Ve République jusqu’en 1981, soit moins d’un mort par an, alors que dans l’établissement où je travaillais, nous avions trois morts par an. Le journaliste avait titré : « Le suicide tue plus aujourd’hui que la guillotine hier. » Quelques mois plus tôt, j’avais demandé une audience au directeur interrégional. Dans mon courrier, je dénonçais,

L’administration ne me reproche pas de dire des choses fausses, elle me reproche simplement de les dire. Mais elle ne le reconnaîtra jamais. Pour autant, quand vous critiquez par la voie hiérarchique, on ne vous répond pas, c’est comme si vous n’existiez pas. Par ailleurs, nos pratiques ne sont pas toujours conformes au règlement, à la légalité – par exemple en ce qui concerne les fouilles ou l’encellulement individuel. Tout le monde connaît la situation, c’est un secret de Polichinelle, mais il règne une grande hypocrisie. J’écris aussi des chansons. L’une d’elles, qui évoque les suicides, a été diffusée sur une chaîne de télévision. Deux jours plus tard, la directrice me convoquait pour me dire : « Quand on appartient à la troisième force de sécurité du territoire, on se plie aux usages en vigueur, ou on s’en va. » Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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dossier Estimez-vous que les personnels pourraient être autorisés à s’exprimer plus largement sur leurs conditions de travail et sur la situation des prisons françaises ? Qu’apporterait une telle évolution ? Plus nous décrirons la situation, très éprouvante, à l’intérieur – le nombre de suicides de personnels ne cesse d’augmenter –, plus nous aiderons à faire avancer les choses. Les conditions de détention dégradées entraînent de mauvaises conditions de travail. J’espérais, en donnant une interview à La Dépêche, que la profession bougerait. Mais il n’y a pas eu de réaction, les collègues ont peur pour leur carrière et les pressions sont fortes. L’administration aurait tout à gagner à nous laisser nous exprimer. Pour rétablir un équilibre de l’information, les points de vue doivent être contrebalancés, il faut du débat. Si une seule version circule, elle ne peut pas être objective. Dans un pays comme la France, il me semble anormal de museler les personnels, de vouloir cacher ce qui se passe dans les prisons : taire l’évidence s’avère contre-productif. Les moyens technologiques

« L’administration ne me reproche pas de dire des choses fausses, elle me reproche simplement de les dire. »

© Bertrand Desprez/VU

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contemporains ne nous permettent pas de garder tous les problèmes en interne, l’information finit toujours par sortir. Pensez-vous que les détenus devraient eux aussi avoir un véritable droit d’expression, non seulement à l’intérieur des murs, mais aussi pour s’exprimer publiquement sur la prison ? L’introduction du téléphone, dont les personnels craignaient le pire, n’a pas fait exploser la boutique. Des évolutions sont donc possibles, l’administration pénitentiaire en a d’ailleurs vécu beaucoup depuis trente ans. Aujourd’hui, les détenus trouvent des moyens pour communiquer avec l’extérieur et les médias, hors de tout contrôle : ils font entrer des téléphones portables, mettent des vidéos sur le net… qui ont d’ailleurs permis certaines avancées. Il serait donc préférable de faire évoluer le droit, complètement inadapté aujourd’hui. Mais il importe que les versions des détenus ne soient pas trop déformées, de ne pas généraliser à partir d’une seule situation. A l’intérieur des murs, je pense qu’il serait très positif de proposer des moments d’échanges entre détenus et surveillants, pour partager les ressentis. Nous subissons le même univers éprouvant, chacun dans son rôle certes, mais c’est la même galère. Propos recueillis par Barbara Liaras


Expression en prison : La parole disqualifiée

Valérie Mousseeff, Catherine Ehrlacher et Jimmy Delliste sont membres du bureau de FO-Direction

Freinages pénitentiaires Craignant le discrédit jeté sur leur institution, les répercussions sur leurs évolutions de carrière, et ne percevant pas la nécessité pour les personnes détenues de pouvoir communiquer davantage, trois membres du bureau de FO-Direction expliquent les réflexes d’auto-protection des personnels pénitentiaires.

Les directeurs pénitentiaires sont tenus de « respecter la règle du silence : ne jamais parler de rien, à personne », déplorait le 23 octobre 2012 un communiqué de votre organisation. Quels sont les contours exacts et les justifications d’une telle interdiction ? Jimmy Delliste (JD) : Les personnels de l’administration pénitentiaire sont sous statut spécial. Notre code de déontologie nous astreint à une obligation de réserve : tout ce qui concerne la politique de prise en charge de la population carcérale et les conditions d’accueil entre dans ce champ. Nous sommes par contre autorisés, même plutôt invités, à communiquer sur nos actions d’insertion, les activités sportives, tout ce qui peut être valorisant. Dès que l’on touche aux conditions de détention, un dispositif d’auto-protection se met en place. Pourquoi ? Pour protéger tout ce qui a déjà été réalisé, ne pas entretenir un discrédit, très difficile à remonter. Tout ce qui a été réalisé depuis des années est souvent éludé. De plus, les discours régulièrement axés sur les difficultés de fonctionnement, ou simplement contre la prison génèrent une sorte de fédération des personnels qui se recroquevillent pour faire

front, et du coup se protègent des positions avancées, même s’ils ne seraient pas forcément opposés à la discussion. Notre administration reste très hiérarchisée, elle doit tenir les troupes pour assurer son fonctionnement, et la liberté de parole des uns et des autres est très difficile à maîtriser. Nous devons répondre à de nombreux organismes : l’Inspection des services pénitentiaires, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, le Défenseur des droits. Et c’est tant mieux. Plus nous serons contrôlés, plus les clichés tomberont, mieux nous corrigerons d’éventuels dysfonctionnements et pourrons avancer. Notre organisation syndicale a d’ailleurs été parmi les premiers signataires de l’appel visant à permettre aux parlementaires de venir avec la presse – aujourd’hui, même l’attaché de presse n’a pas le droit de rentrer. Nous souhaitons une transparence la plus totale. Valérie Mousseeff (VM) : La communication pose des enjeux extrêmement politiques. La presse s’empare de chaque événement survenant en prison, de chaque communication, qui peut avoir des échos en termes politiques, peut déstabiliser Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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dossier des établissements, car les personnes détenues ont également accès à l’information. C’est pour cette raison que cette centralisation existe. Estimez-vous que les personnels pourraient être autorisés à s’exprimer plus largement sur leurs conditions de travail et sur la situation des prisons françaises ? VM : Je suis persuadée que la politique globale de communication de l’administration pénitentiaire devrait être revue. Il faudrait notamment redonner une responsabilité aux chefs d’établissement, qui prennent des décisions très difficiles dans de nombreux domaines, touchant à des enjeux majeurs. Ils sont les mieux à même de connaître les difficultés de leur établissement, et il y aurait du sens à leur donner cette possibilité de communiquer. JD : Je ne suis absolument pas opposé à ce que les personnels disposent d’un droit d’expression. Il existe néanmoins des freins d’auto-protection qui se mettent en place naturellement. Si l’on souhaite évoluer dans ce métier, automatiquement, on préférera garder pour soi son sentiment plutôt que de se mettre en avant, voire en difficulté aux yeux des autorités hiérarchiques. Nous ne sommes que 450 à 500 directeurs des services pénitentiaires. Les dispositifs d’évolution de carrière nous contraignent au « politiquement correct ». Nous sommes tenus d’être loyaux et mesurés vis-à-vis de notre administration centrale, du ministre, etc. Compte tenu de tous ces facteurs mais aussi du sentiment de solitude fonctionnelle du DSP, il est compliqué pour nous d’évoquer publiquement les problèmes de nos établissements, bien que nous le souhaitions parfois.

« Les dispositifs d’évolution de carrière nous contraignent au “politiquement correct”. » également dénoncer ces conditions de détention. L’expression offerte aux personnes détenues ne doit pas devenir un vecteur supplémentaire d’insécurité, un cadre rigoureux reste nécessaire. Le risque des actions collectives ou des pétitions, compte tenu de la population que nous hébergeons, c’est qu’une seule personne soit derrière, et contraigne d’autres à signer ou à participer. Vous déplorez dans le même communiqué « les sarcasmes, les quolibets, les injures » que subissent les fonctionnaires de l’administration pénitentiaire. Des propos insultants sont également réguliers de la part d’organisations syndicales à l’égard des détenus. Comment expliquez-vous la violence des discours et débats dans le monde pénitentiaire ? JD : Nous exerçons un métier très difficile. La recrudescence des violences, sur le personnel, entre détenus, crée un ras-lebol qui s’exprime parfois avec maladresse. Lorsqu’une surveillante se fait tirer par les cheveux par terre, se fait agresser, des

Une interdiction symétrique s’impose aux détenus, interdits de s’exprimer individuellement dans les médias, collectivement à l’intérieur des murs. En quoi ces interdictions se justifient-elles ou sont-elles excessives à vos yeux ? JD : On ne peut pas établir de parallèle entre les personnels de l’administration pénitentiaire et les personnes détenues. Ce n’est pas d’un côté on donne à lui, donc on me donne à moi. Sauf qu’avec le temps, on observe un certain glissement. Les surveillants ont pu comparer, parfois, les évolutions du côté de la population pénale et celles du corps des personnels de surveillance. Et constater que ces évolutions étaient plus rapides du côté de la population pénale alors que les contraintes les concernant s’accentuent. Cela étant clarifié, la communication avec les médias n’est pas possible pour les prévenus en raison du secret de l’instruction. Ils peuvent néanmoins communiquer par l’intermédiaire de leur avocat, quel que soit le sujet. L’ensemble de la population pénale peut d’ores et déjà saisir de nombreux organismes pour dénoncer d’éventuelles mauvaises conditions de détention. Tous les jours, des personnes sortent de prison et pourraient Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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© Bruno Amsellem


Expression en prison : La parole disqualifiée papiers sortent avec parfois des mots très directs, une forme d’exutoire. Les personnels dans leur immense majorité ne sont pas formés pour appréhender au quotidien ces situations de plus en plus chroniques. Catherine Ehrlacher (CE) : La prison est un monde violent. Les agents ont pour consigne de se contenir, de ne pas répondre, mais à un moment, il faut que ça sorte. VM : De plus, la communication autour de la prison se fait beaucoup autour de l’événement, avec sensationnalisme, et jamais sereinement sur des débats de fond. La prison ne laisse personne indifférent, les opinions sont toujours très tranchées. Plusieurs études établissent un lien entre le manque de canaux d’expression, le peu de considération accordée à la parole et aux demandes des détenus, et la violence en détention (agressions, automutilations, mutineries…). Qu’en pensez-vous ? VM : Des canaux d’expression existent. Tous les jours, en tant que directrice adjointe, je reçois un nombre considérable de courriers de personnes détenues. Les chefs de détention également. Il n’y a pas d’informatique ni de blogs, mais en interne ils peuvent demander énormément de choses. Et on leur répond. J’ai été récemment saisie par des détenus du quartier

d’isolement se plaignant de ne pas avoir autant de temps de promenades que la détention. Nous leur avons accordé raison, et revu le système de promenade. Seriez-vous favorables à la mise en place de comités de détenus, représentants qui seraient consultés par l’AP pour les décisions concernant la vie quotidienne en détention, ou à la mise en place d’autres systèmes de prise en compte de la parole des détenus ? JD : De tels dispositifs existent dans les établissements pour peine, ce n’est pas récent – ils existent à St Martin, j’en ai connu à Val de Reuil. Nous avions des temps de parole avec la population pénale, nous faisions le point, échangions sur des sujets, sur des projets, parfois même sur des questions sensibles d’application des peines, nous demandions au JAP de venir. La loi pénitentiaire a rappelé la nécessité de ces consultations, qui devront être développées. Mais nous devons rester vigilants. Les établissements pénitentiaires, surtout les maisons d’arrêt, connaissent une concentration de phénomènes de violence, de clans, de trafics. Comment faire en sorte que ceux qui vont prendre la parole, être les représentants des autres, ne seront pas ceux qui auront mis la main sur une autre partie de la population pénale dans l’établissement, pour les réduire encore un petit peu plus à néant ? La plus grande prudence est de mise. CE : Les profils sont terriblement différents, les personnes détenues ne se sentent pas du tout concernées par ce qui se passe pour le voisin, d’ailleurs beaucoup le disent : « Moi, je ne suis pas comme eux. » Comment ferait-on une expression collective de personnes qui ne se reconnaissent pas en l’autre ? Le Conseil de l’Europe et le Contrôleur général prônent aussi un allègement des contrôles sur les communications des détenus avec l’extérieur, ainsi que l’accès à des moyens aujourd’hui prohibés (téléphone mobile, courrier électronique). De telles évolutions pourraient-elles être envisagées en France ? JD : Il faudrait que nous disposions d’établissements plus petits, différenciés, permettant d’adapter un parcours d’exécution de peine à l’évolution de la personne. Lorsque cette différentiation existera, on pourra commencer à réfléchir à des évolutions de ce type, à l’ouverture vers l’extérieur. Aujourd’hui, le dispositif oblige à appliquer la règle strictement sécuritaire à l’ensemble de la population pénale. Il faut bien évidemment que l’on réfléchisse, que l’on vive avec son temps, des choses vont évoluer. Il y a trente ans, les détenus n’avaient pas de télévision, ils l’ont aujourd’hui. Ça a fait un tollé à l’époque, les surveillants étaient furieux… Aujourd’hui, aucun ne voudrait l’enlever. Demain, on peut très bien imaginer qu’une frange de la population pénale identifiée, dans un type d’établissement bien identifié, dispose d’un peu plus de liberté, c’est le sens de l’Histoire. Propos recueillis par Marie Crétenot et Barbara Liaras Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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dossier

Le droit d’expression est un droit

fondamental

La doctrine du Conseil de l’Europe reconnaît le droit d’expression comme un droit fondamental, y compris pour les personnes détenues. Il encourage à ce titre le développement de canaux d’expression individuelle et collective dans les prisons. Il en va d’une conception du « bon ordre » fondée sur le dialogue et la compréhension plutôt que sur des rapports de force. Précisions avec André Vallotton.

André Vallotton, président du Conseil de coopération pénologique du Conseil de l’Europe

De manière générale, les instances du Conseil de l’Europe reconnaissent-elles le droit d’expression comme un droit fondamental des personnes détenues ? Dans quelles limites ? Pour le Conseil de l’Europe, les droits d’une personne peuvent être restreints uniquement si une raison particulière et spécifique l’impose. Il peut s’agir de questions de sécurité, de bon ordre, de traitement pénitentiaire, du déroulement de l’enquête… Hormis ces situations, la personne conserve les droits qu’elle avait à l’extérieur, sauf indication contraire particulière prévue dans une loi. Tous les pays ne se positionnent pas au même niveau à cet égard, certains problèmes restent à régler, par exemple le droit de vote en Angleterre. Il n’empêche que la position européenne est très claire, et s’applique évidemment au droit à l’expression. Que recommande le Conseil de l’Europe en matière de consultation et de participation des détenus aux décisions relatives à leurs conditions de détention ? Les Règles pénitentiaires européennes abordent l’expression collective des personnes détenues dans la partie consacrée au « bon ordre ». Pourquoi ? En 2004, lorsque le travail préparatoire à la refonte des Règles pénitentiaires européennes (RPE) a démarré, nous avons proposé d’en inclure une sur la participation des détenus aux Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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décisions. Mais le moment n’était pas encore venu, des divergences très marquées nous ont empêchés de retenir une formulation plus claire que celle figurant finalement dans la règle 50 : « Les détenus doivent être autorisés à discuter de questions relatives à leurs conditions générales de détention et doivent être encouragés à communiquer avec les autorités pénitentiaires à ce sujet. » La France, par exemple, a montré une assez forte opposition sur ce point, estimant qu’il revenait à l’autorité publique de détenir le pouvoir dans tous les domaines de la gestion de l’établissement. Toutefois, lors de la 16e conférence des directeurs d’administration pénitentiaire en 2010, la délégation française a présenté l’expérience pilote qu’elle a menée avec la mise en place de représentants des détenus. Il est intéressant pour nous de constater une évolution dans l’attitude de certains pays, passés d’une opposition pure et dure à une expérimentation quelques années plus tard. Peut-être pourrons-nous ajouter des articles plus détaillés dans une prochaine révision des règles. Même si ce n’est pas encore formalisé, on peut dire que la doctrine, la pensée du Conseil de l’Europe, encourage ce type de consultation. Ces pratiques existent depuis des décennies dans certains pays, et ont fait leurs preuves. Elles ont également prouvé qu’elles contribuaient clairement au bon ordre. Norman Bishop, ancien directeur de l’administration pénitentiaire suédoise, expert auprès du Conseil de l’Europe, a introduit et développé la notion de « sécurité dynamique ». La sécurité ne tient pas seulement dans les mesures de contrôle, de fouille, d’observation ou la multiplication des obstacles, elle est essentiellement garantie par la qualité relationnelle de la vie dans l’établissement, et par le respect mutuel entre les personnes. Si les gens se respectent, qu’une certaine qualité de vie est assurée, les incidents seront bien moins nombreux et plus faciles à gérer. Un surveillant ayant de bonnes


Expression en prison : La parole disqualifiée relations avec les détenus dans une situation normale pourra, en cas d’incident, intervenir seul, désamorcer l’agressivité, faire baisser la tension simplement par la discussion et résoudre la grosse majorité des problèmes. Dans cette perspective, la question de la consultation et de la participation des détenus à la vie de l’établissement trouve sa place dans le chapitre sur le bon ordre. La sécurité consiste plus à apprendre à écouter l’autre, à établir une bonne relation avec lui et à régler les problèmes de personne à personne que de s’observer comme chiens et chats.

« Il n’y a pas de raison d’interdire a priori à un détenu de s’exprimer dans les médias, dans le respect des règles normales de l’information. »

Quels sont les pays qui ont mis en place des systèmes de « comités de détenus » ? Quel est l’intérêt de ce type de dispositifs ? Les comités de détenus sont des pratiques extrêmement courantes en Europe, notamment dans certains pays nordiques, en Allemagne ou en Suisse. Dans les établissements que j’ai eus sous ma responsabilité, il y a déjà vingt ans, les directeurs se réunissaient une fois par mois avec les délégués de la population pénale, élus par leurs collègues, pour aborder les problèmes de l’établissement. Ces comités permettent une bien meilleure communication, ils évitent ou minimisent le risque d’une opposition entre la direction et les détenus. Ils offrent la possibilité d’écouter un certain nombre de leurs demandes, qui peuvent être très légitimes. Vous évitez très fréquemment des réactions de violence ou des pressions en anticipant les problèmes et en les réglant avant qu’ils ne s’aggravent. Ces dispositifs ne sont pas si faciles à mettre en place, en particulier dans les grands établissements, où peuvent jouer des antagonismes entre personnes détenues, difficiles à maîtriser. Il faut veiller à ce que les délégués soient véritablement des représentants démocratiques, et non ceux d’un contre-pouvoir. Ces systèmes doivent être vraiment participatifs : si les réunions servent à se procurer un avantage, puis un autre et encore un autre pour simplement obtenir des prestations supplémentaires, le but n’est pas atteint. Il s’agit davantage de parvenir à une participation et à une discussion communes sur un certain nombre de problèmes. Concernant les possibilités de communication avec l’extérieur, il est par exemple interdit en France à un détenu de s’exprimer dans les médias sur ses conditions de détention. Que recommande le Conseil de l’Europe à ce sujet ? La doctrine générale du Conseil de l’Europe s’applique : les droits ne peuvent être limités que pour des motifs valables. Le droit de restreindre une possibilité de contact pour une bonne raison ne sera jamais contesté, à condition qu’une situation spécifique le justifie. Il n’y a donc pas de raison d’interdire a priori à un détenu de s’exprimer dans les médias, dans le respect des règles normales de l’information.

© Michel Le Moine

« A chaque étage, il y a un représentant des détenus » « [En] Allemagne […], le principe de la participation des détenus à la vie de la détention est une règle fédérale que l’autonomie des Länder ne peut remettre en cause. Ainsi, à la prison de Düsseldorf (un des plus gros établissements du pays : 18 000 détenus en Rhénanie-Westphalie), le livret d’accueil remis à toute personne qui se fait écrouer à l’établissement comporte-t-il en page 19 le paragraphe intitulé : « Comité de représentation des détenus ». On y lit : « A chaque étage, il y a un représentant des détenus. Ceci est indiqué sur la porte de sa cellule. Il représente les intérêts des détenus auprès de la direction. » L’Espagne […] a inscrit dans la loi l’élection des comités de détenus, conçus comme organe de stimulation et de développement des ressources personnelles, en réglementant les modes de consultation, l’organisation des comités et les moyens de communication avec la direction qui « garde la main » puisqu’elle peut suspendre toute consultation en cas de perturbation interne. L’administration pénitentiaire française a pu prendre connaissance d’une expérience originale dans l’application de régimes pénitentiaires dans les établissements espagnols, en particulier à Madrid : « le module Respect ou de Cohabitation », qui est un programme caractérisé par la marge d’autonomie conférée à des catégories de détenus, responsables d’unités de vie spatialement délimitées dans l’enceinte carcérale et régies par des règles de comportement démocratiques et codifiées. » Le Droit d’expression collective des personnes détenues, rapport de Cécile Brunet-Ludet, Direction de l’administration pénitentiaire, février 2010.

Propos recueillis par Barbara Liaras Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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dossier

L’autre monde Dès le début des années 1980, le Canada a développé dans ses prisons fédérales un régime de détention en petites unités, avec libre circulation et possibilité pour les détenus de se rencontrer à tout moment, ainsi qu’un droit d’association et un système de représentants des détenus, ou encore des groupes de parole animés par d’anciens détenus pour préparer la sortie. Une approche favorisant la parole et la prise en compte des besoins. Mais comme Marion Vacheret le rappelle « cela reste la prison », avec son lot d’infantilisation et de souffrance, dans un pays où le taux d’incarcération de 117 détenus pour 100 000 habitants1 est plus élevé qu’en France.

Marion Vacheret, professeure titulaire à l’école de criminologie de l’université de Montréal et chercheure au Centre de recherche en droit public. Elle est membre du conseil d’administration de l’OIP.

La loi canadienne, entrée en vigueur en 1992, reconnaît aux détenus « la possibilité de s’associer ou de participer à des réunions pacifiques ». Quelles sont les modalités d’exercice de ces droits ?1 Le Canada a fait dès les années 1980 le choix d’un régime carcéral en unités d’une centaine de détenus, où les portes des cellules restent ouvertes de 7 heures à 23 heures La circulation à l’intérieur est plus ou moins contrôlée, mais elle est toujours permise – à l’exception d’une seule prison. Dans chaque unité, on trouve en libre accès des douches, une buanderie et une salle commune équipée d’un téléviseur, d’un coin cuisine, d’un réfrigérateur. Dans la journée, les détenus peuvent circuler librement dans les unités et se rendre aux différentes activités encadrées (ateliers, école, programmes). Le soir, de 18 heures à 21 heures, ils participent à des activités libres. Cette organisation permet aux détenus, quelle que soit la longueur de leur sentence, de se rencontrer quasiment à tout moment. Le bureau des gardiens est lui aussi implanté au cœur de l’unité, si bien que les agents sont en contact étroit avec les détenus. Dans l’éventualité d’un conflit, ils sont présents dès 1 World Prison Brief, http://www.prisonstudies.org/info/worldbrief/ Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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le début. Un agent constatant une infraction disciplinaire doit obligatoirement commencer par discuter, chercher à comprendre et envisager une solution. Ce fonctionnement impose davantage de discussions dans les relations entre détenus et personnels. Il était déjà inscrit dans les habitudes avant d’être repris dans la loi de 1992. Le système des « pairs-aidants » constitue également l’un des meilleurs moyens de régler les difficultés et d’apporter du changement. En matière de prévention du suicide, un système de formation de certains détenus, identifiés comme ayant des ressources pour venir en aide aux autres, a été instauré. Des groupes de soutien pour les condamnés à de longues peines ont été créés ; d’anciens détenus réinsérés viennent rencontrer ceux qui sont proches de la sortie, pour les accompagner et préparer leur réinsertion sociale. Ces dispositifs apportent une reconnaissance de la parole et de l’expérience de ceux qui ont vécu la même chose, et sont en mesure d’en faire bénéficier les autres. Un autre article de la loi stipule que « le service [correctionnel] doit permettre aux détenus de participer à ses décisions concernant tout ou partie de la population carcérale, sauf pour les questions de sécurité ». Pouvezvous décrire l’organisation de ces comités de détenus ? Les modalités peuvent varier selon les établissements, mais les règles générales prévoient l’élection d’un comité par prison (pour 200 à 500 détenus). Les élections se tiennent annuellement, à bulletin secret. La direction a un droit de regard, elle doit valider le vote et peut refuser certains détenus qui lui sont trop hostiles, même s’ils ont été élus. En pratique, elle


Expression en prison : La parole disqualifiée

« Un agent constatant une infraction disciplinaire doit obligatoirement commencer par discuter, chercher à comprendre et envisager une solution. »

a largement cité les comités de détenus de l’époque, qui jouissaient d’une vraie reconnaissance et assuraient un rôle important. Aujourd’hui, il s’agit davantage d’un outil de gestion : les détenus peuvent s’exprimer, circuler librement, mais les comités permettent surtout de maintenir le calme en détention. Les directeurs reconnaissent négocier surtout sur « de petites choses ». On ne peut donc plus parler de véritable « délégation de pouvoir ».

s’arrange pour éviter les candidatures qui ne lui conviennent pas, plutôt que d’avoir à invalider une élection. A côté des trois représentants de la population carcérale générale, il y a des représentants de certains sous-groupes : celui des longues peines (plus de dix ans), celui des autochtones2, et ceux des minorités culturelles ou linguistiques. Il y a une volonté de prendre en compte les différentes cultures : la loi permet à certains sous-groupes de se rencontrer et d’organiser des activités spécifiques.

Quels sont aujourd’hui les apports et les limites des comités de détenus ?

Les représentants des détenus travaillent quotidiennement avec la population carcérale et font le lien avec la direction. Ils perçoivent une rémunération pour leur fonction, reconnue comme un véritable travail. Les élus se rendent chaque matin au local du comité, ils sont tenus de respecter des horaires. Ils reçoivent l’assistance d’un membre du personnel qui est là pour les aider à organiser leurs activités, mais pas pour en décider. Il s’agit souvent de l’employé aux activités culturelles, qui assure notamment les démarches vers l’extérieur. Ils disposent d’une liberté de circulation accrue, leur facilitant l’accès aux personnels de direction et aux secteurs d’activités socioculturelles. Ils sont tout le temps sollicités par les détenus et tout le monde les connaît. Certains directeurs développent des échanges très informels avec eux, ils passent au local du comité pour prendre des nouvelles. Des réunions périodiques plus formalisées, auxquelles participe systématiquement un représentant de la direction, doivent également être convoquées. La notion de participation aux décisions va bien au-delà de la notion de consultation, vous parlez même d’une « véritable délégation de pouvoir »… Il faut nuancer en fonction des établissements, mais aussi des époques. Les comités datent des années 1960. Ils ont existé de manière informelle avant de faire l’objet d’une « politique interne » en 1971, puis d’être reconnus par la loi en 1992. Au départ, les comités devaient contrer une situation malsaine, car des caïds étaient « mandatés » par la direction pour régler certaines situations. Ces caïds sont devenus les premiers représentants des comités de détenus dans les années 1970, ils ont d’ailleurs obtenu de nombreuses avancées alors que les prisons, comme la société toute entière, étaient agitées par de nombreuses contestations. En 1977, une enquête importante 2 Les autochtones sont les premiers peuples d’Amérique du Nord et leurs descendants. La Constitution canadienne reconnaît trois groupes de peuples autochtones : les Indiens, les Métis et les Inuits.

Les représentants accueillent et tentent de résoudre toutes sortes de questions de gestion quotidienne. Ils se trouvent directement en charge du règlement pacifique et informel de certains différends pouvant survenir parmi les condamnés. Un comité qui fonctionne bien joue un vrai rôle de pacification et de médiation. Il peut, par exemple, intervenir pour un détenu qui a des problèmes relationnels et demande l’isolement. Aux comités revient également l’organisation des activités récréatives – concerts, barbecues –, l’acquisition du matériel télévisuel, le financement des abonnements télévisuels, ils mettent en œuvre des programmes artistiques, créent des clubs sociaux. Ils jouent aussi un rôle fondamental dans l’organisation d’activités collectives entre les condamnés et leurs familles. C’est notamment par leur entremise que sont organisées des journées communautaires, au cours desquelles les familles de détenus sont conviées à passer une journée dans l’établissement pour participer à des activités et à des jeux collectifs. Enfin, si l’aménagement des visites familiales privées n’est pas de leur ressort, ils sont en charge de la propreté et de l’entretien des locaux dans lesquels se déroulent ces rencontres. La cantine tombe également sous leur responsabilité : évaluation des besoins, élaboration de la liste des produits (validée par la direction), organisation des commandes et gestion des stocks. Les comités ouvrent un espace de dialogue, ils font connaître les problèmes du quotidien à la direction, qui ne peut dès lors plus jouer la carte de l’ignorance. Chacun est ainsi impliqué dans la décision. Mais c’est aussi un moyen de faire accepter des mesures impopulaires, comme la loi anti-tabac. De même, lorsque des restrictions budgétaires ont imposé des suppressions de postes de surveillants, certaines directions ont dû limiter les horaires de visites. Elles ont réuni les comités, les ont informés de la situation et des aménagements envisagés pour réaliser les économies nécessaires et les ont consultés sur les tours de parloir qu’il serait le moins gênant de supprimer. Après enquête, les représentants ont proposé que le créneau du mercredi soir, peu utilisé, soit supprimé. C’est là même que se manifestent les limites de ce système, devenu un mode de gestion profitant avant tout aux directeurs d’établissement. Ils gardent ainsi la situation sous contrôle, mais un contrôle intelligent. Les dangers sont écartés, les gardiens ne sont pas menacés, mais les détenus Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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dossier « Les représentants des détenus travaillent quotidiennement avec la population carcérale et font le lien avec la direction. Ils perçoivent une rémunération pour leur fonction, reconnue comme un véritable travail. »

et de favoriser l’acquisition de comportements sociaux positifs, notamment par une prise de responsabilité et la vie de groupe. En 1972, le système comptait déjà quarante établissements, de 100 à 300 places environ – 500 pour le plus grand d’entre eux. Des expérimentations très variées et audacieuses ont été lancées, les premiers professionnels de la probation étaient alors déjà intégrés, porteurs d’une autre philosophie, d’un autre regard. Comment l’octroi du droit d’association et de consultation des personnes détenues a-t-il été accueilli par le personnel pénitentiaire canadien ?

restent tout de même infantilisés, au sens où l’on continue à faire d’eux ce que l’on veut, quoique de façon plus subtile. Les conditions d’incarcération au Canada sont bien meilleures qu’en France, toutefois il ne faut pas perdre de vue qu’on y vit aussi beaucoup de souffrance et de désespoir, car cela reste la prison ! Les détenus qui assument le rôle de représentants ne sont-ils pas considérés par les autres comme des alliés de l’administration ? C’est toute la subtilité de leur position : il faut à la fois que l’administration les accepte et que les autres détenus se reconnaissent en eux. Si quelqu’un est perçu comme une « balance », il ne sera jamais élu. Ce sont généralement des détenus bien positionnés, qui ont un certain charisme, des anciens caïds qui se sont un peu calmés, des leaders qui ont réussi à se faire bien voir par la direction. Mais ce n’est pas une place facile et certains établissements ont du mal à trouver des candidats. Pouvez-vous décrire le contexte dans lequel ces droits ont été reconnus, puisqu’ils ont d’abord émergé dans la pratique avant d’être formellement entérinés par la loi ? Une conjonction de facteurs a permis une profonde mutation du système pénitentiaire canadien dans les années 1960. Le pays comptait alors huit institutions carcérales, accueillant en moyenne 1 000 à 1 500 détenus, de véritables forteresses. Les émeutes et les mouvements de contestation qui agitaient le pays – y compris ses prisons – ont alors porté une réflexion, relayée par des administrateurs éclairés, des hauts-fonctionnaires qui ont cru aux possibilités de changement, commandé des enquêtes, impliqué la société civile. De nouveaux établissements ont alors été construits, organisés en « unités résidentielles » permettant des échanges constants entre les détenus et un personnel de surveillance impliqué dans le travail de préparation à la sortie et dans la mise en pratique des programmes de formation. Leur fonctionnement était, et demeure, fondé sur une implication collective dans la vie dans l’unité. Il s’agissait de réduire l’hostilité des détenus à l’égard du personnel grâce à une meilleure communication, de créer une meilleure atmosphère qui permette le maintien de l’ordre malgré une augmentation de la population pénale Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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Les personnels l’ont très mal vécu, mais ils n’ont pas eu le choix. Du jour au lendemain, ils ont dû travailler au sein des unités – au début, ils n’avaient même pas d’uniformes. Certains ont quitté les services correctionnels. Aujourd’hui encore, la capacité des détenus à négocier avec l’administration peut générer des frustrations chez les surveillants, parfois informés de certaines décisions après les représentants des détenus. Par exemple, des surveillants peuvent signaler que beaucoup d’alcool ou de drogue sont entrés en détention à l’occasion d’un concert organisé dans la cour et demander que de tels événements soient supprimés. De son côté, le comité va argumenter pour le maintien des concerts et la direction peut très bien trancher en sa faveur, ce qui peut générer de la frustration côté surveillants. Selon vous, quelles sont les conditions à réunir pour instaurer la consultation des personnes détenues et leur participation à la prise de décision ? Les éléments essentiels me paraissent être ceux qui étaient réunis au Canada : des administrateurs éclairés, une philosophie de réinsertion sociale, la mise en œuvre de changements architecturaux, une véritable trame d’échanges, une réelle communication entre tous les protagonistes. Propos recueillis par Barbara Liaras


tribune

« La surpopulation permet au système de fonctionner » A l’occasion d’un colloque organisé le 18 janvier par le barreau de Bruxelles, un directeur de maison d’arrêt a tiré la sonnette d’alarme sur la surpopulation des prisons belges. Dans un texte délibérément provocateur, il affirme que cette situation perdure… car elle permet au système pénal de fonctionner et de masquer les causes réelles de « l’échec de la prison ». Vincent Spronck émet des propositions, et lance un défi : si nous décidions que la surpopulation est inacceptable ?

Vincent Spronck est directeur de la maison d’arrêt de Forest, à Bruxelles.

N

otre système d’administration de la justice

pénale a besoin de la surpopulation : depuis le temps qu’elle existe, c’est qu’elle a son utilité. Avec d’autres, je vois quatre fonctions que la surpopulation revêt et qui sont très utiles pour nous tous. A mon sens, ces quatre fonctions, remplies de manière assez efficace par la surpopulation, permettent aux différents acteurs de ce système chaotique dont je fais partie de fonctionner et d’avoir raison. Dois-je préciser que rien n’est intentionnel dans ce fonctionnement, que personne n’a un jour décidé cela ?

Première fonction : la surpopulation permet de juger Si nous prenions l’exacte mesure du drame que peut être, pour un détenu, de vivre 23 heures sur 24 dans une cellule insalubre de 9 m² à trois, soumis à un règlement peu compréhensible tant au sein de la prison qu’au niveau de la procédure pénale, nous ne pourrions écrouer comme nous le faisons en

appliquant aveuglément ce que nous demande la loi, des magistrats ne pourraient plus travailler de manière indépendante de certaines contingences, l’écrou ne serait plus cette banale opération administrative routinière faite entre sourire ou lassitude policière, complicité ou lassitude administrative. Si l’on décidait que la surpopulation était inacceptable, le système serait mis gravement à mal. Notre acceptation, dans les faits, de la surpopulation permet que nous puissions fonctionner comme il nous l’est demandé. Pour le dire de manière provocante, la surpopulation permet de juger.

Deuxième fonction : la surpopulation permet de libérer Devant cette surpopulation, l’administration pénitentiaire a mis sur pied la libération provisoire, libération anticipée des condamnés à un total de peine de moins de trois ans. Système de libération qui fonctionne à plein et qui permet de limiter bien des incarcérations et bien des dégâts. Comme si on profitait de l’opportunité proposée par la surpopulation pour Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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« Si nous prenions l’exacte mesure du drame que peut être, pour un détenu, de vivre 23 heures sur 24 dans une cellule insalubre de 9 m² à trois, nous ne pourrions écrouer comme nous le faisons. »

Maison d’arrêt de Forest à Bruxelles

© Sylvain Piraux /Le soir

libérer et pour éviter les dégâts de la détention à tour de bras. Cela nous permet à nous, membres de l’administration pénitentiaire, de trouver une solution rapide et qui, en plus, nous convient. Nous sommes mieux placés que beaucoup pour voir les drames que provoque l’emprisonnement, sans forcément diminuer les drames auxquels il est censé répondre. Et voilà donc un paradoxe d’où tout le monde sort gagnant : les prisons, les détenus et peut-être ceux qui se disent que l’on peut condamner à telle peine puisque de toute façon il sera libéré. Le trop-plein d’incarcération nous permet de libérer allègrement et banalise une pratique dont les prisons ont besoin et qui est si souvent remise en question. La surpopulation permet de libérer et donc de continuer à enfermer. Ainsi, le cycle infernal ne s’arrête pas.

Troisième fonction : la surpopulation permet de tout expliquer Nous ne redirons pas ici l’échec de la prison. Tout le monde le connaît et c’est devenu une banalité. La première explication qui revient systématiquement (et que j’emploie moi-même quand je dois expliquer tout ce qui ne va pas en prison) est la surpopulation. Elle est un magnifique cache-sexe qui permet de ne pas déconstruire les causes réelles de l’échec des prisons. Elle permet de faire croire que la violence de base de ces institutions repose sur un facteur qu’elles ne maîtrisent pas et que, dès lors, la prison est, avec les détenus, la première victime de cette violence. Il est clair que la surpopulation accroît la violence, mais l’absence de la surpopulation ne supprimera pas cette violence. Pour la Belgique, le livre de Philippe Landenne1 a montré comment une prison non surpeuplée est violente. L’incarcération est avant tout une peine et une peine est violente, elle est là pour faire mal. C’est la vieille fonction de la prison toujours vivace mais qu’il nous est parfois insupportable de voir. Et, dès lors, la surpopulation permet de tourner nos regards vers ailleurs. La surpopulation permet de ne pas remettre en question l’institution même ou au moins une grande partie de son fonctionnement. 1 Ph. Landenne, Peines en prison, l’addition cachée, Larcier, Bruxelles, 2008. Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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Quatrième fonction : la surpopulation permet de gérer la prison Figurez-vous que j’observe que la prison est plus simple à gérer quand il y a une folle surpopulation : on est tous occupés à fond à assurer les missions d’intendance de base, difficiles, lourdes (douche, visite, préau, cantine, repas) sans devoir se fatiguer à faire des choses qui ne rejoignent pas la logique répressive de base dans laquelle nos établissements se trouvent si bien : assurer les services sociaux, les cultes, les cours, laisser les détenus aller se défendre au palais de justice, les demandes administratives qui nous ennuient. Quand on décrit la situation, tout le monde comprend et laisse Forest en paix. Nous sommes plongés dans une réelle urgence humanitaire qui oblige à un pragmatisme qui apprend facilement à s’accommoder de certaines réglementations : la loi de principes à Forest n’est pas toujours respectée, pour employer un euphémisme. Il y a donc finalement un certain confort à travailler dans un contexte de surpopulation, une fois qu’on y est un peu habitué. Ainsi, je pense que la surpopulation permet au système de fonctionner selon sa logique propre, première, répressive sans se laisser interroger, bousculer par les logiques douces, humanisantes, socialisantes.

Quatre propositions – Afin de faire drastiquement baisser la surpopulation, qui, si l’on oublie ses fonctions, reste un scandale au niveau humain et donc un scandale tout court, une non-exécution des six derniers mois de la peine permettrait de faire baisser le chiffre. On a besoin de souffler au moins pour le temps de trouver des solutions. En ce sens, on pourrait aussi élargir le champ de la libération provisoire. – Octroyer les congés pénitentiaires (permissions de sortir) tels que le prévoit la loi permettrait aussi aux détenus de construire plus rapidement, et peut-être même avant que la détention n’ait commis ses irrattrapables dégâts, un plan de reclassement et ainsi favoriser une libération anticipée. Pour l’instant, le congé n’est pas donné sauf si l’autorité est sûre


tribune qu’il n’y a pas de problème. La loi ne dit pas cela, elle dit que le congé est donné sauf si on peut démontrer une contre-indication. Il suffirait d’appliquer la loi sans demander des analyses démesurées pour des décisions en fait peu risquées, telles que le congé pénitentiaire. Pas besoin non plus, pour bien des dossiers, d’expertise de dix pages pour dire que le risque de soustraction à l’exécution de la peine ou de commission de nouvelles infractions graves pendant 36 heures est présent. – Déclarer un moratoire, une interdiction de construction de nouvelles prisons et, en cas de besoin, construire des établissements de très basse sécurité pour lesquels la règle est que l’on peut sortir tous les jours sur la base d’un programme préparé. Ce serait un lieu investi massivement par les assistants sociaux, avocats, maisons médicales, professeurs et dont la justice autoriserait la sortie une fois qu’une remise à jour sociale serait faite, une réinsertion efficacement et rapidement préparée avec à la clé un classement sans suite de l’affaire. Parallèlement, il faudrait dé-sécuriser une série d’établissements : l’immense majorité des détenus présents dans nos prisons n’ont pas besoin d’une infrastructure aussi serrée qui ne fait qu’aggraver la situation et, par là, retarder une libération : la véritable sécurité n’est pas dans l’infrastructure ou la technologie, mais dans la qualité des contacts humains que le détenu peut renouer.

Maison d’arrêt de Forest à Bruxelles

– Construire un réseau de soins psychiatriques qui permette de vider les annexes psychiatriques où sont parqués des détenus internés pendant des années. Cela reste, à mon sens, la honte de la politique belge que d’accepter que des malades mentaux soient stockés dans des structures punitives, violentes, sans se forcer à les soigner. Certes, ce serait une mesure qui coûterait plus cher. Elle serait pourtant simplement juste. C’est aux communautés et régions de se lancer dans un tel programme. Je pense vraiment que les deux dernières solutions seraient les meilleures options pour faire baisser la surpopulation, et permettraient que le pénal s’occupe moins de problématiques sociales, ce qu’il fait à longueur de temps parce que notre filet social a des mailles bien trop grandes. Il faudrait associer à la prochaine réflexion les présidents des Centres publics d’action sociale, de l’Office régional de l’emploi, des conseils d’administration des écoles… Si on nous laisse, nous, système de l’administration de la justice pénale, nous occuper de la surpopulation comme on le fait depuis tant d’années, nous n’y arriverons pas. Vincent Spronck

« La surpopulation permet de faire croire que la violence de base de la prison repose sur un facteur qu’elle ne maîtrise pas. »

© Prison de Forest/7sur7.fr

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Surpopulation : l’Italie condamnée par la Cour européenne La Cour européenne des droits de l’homme a condamné l’Italie dans un arrêt du 8 janvier 2013 pour avoir imposé à des détenus d’occuper à trois des cellules de 9 m2, dépourvues d’eau chaude et d’éclairage suffisant. En cas de « surpopulation sévère », la Cour considère ainsi que le manque d’espace en cellule est suffisant pour conclure à l’existence d’un traitement inhumain et dégradant (sur le fondement de l’article 3 de la Convention). « En règle générale, précise le juge européen, bien que l’espace estimé souhaitable par le CPT pour les cellules collectives soit de 4 m² » par occupant, la violation de l’article 3 est retenue lorsque « l’espace personnel accordé à un requérant était inférieur à 3 m² ». Et même si la surpopulation n’atteint pas un tel niveau, elle peut aussi être prise en compte dans le sens d’une méconnaissance de la Convention européenne des droits de l’homme. Ainsi, « même dans des affaires où chaque détenu disposait de 3 à 4 m², la Cour a conclu à la violation de l’article 3 dès lors que le manque d’espace s’accompagnait d’un manque de ventilation et de lumière […] ; d’un accès limité à la promenade en plein air […] ou d’un manque total d’intimité dans les cellules », précise l’arrêt. La Cour européenne tient également compte de la situation des personnes détenues pour lesquelles il est souvent difficile d’apporter la preuve des faits qu’elles invoquent. « Sensible à la vulnérabilité particulière des personnes se trouvant sous le contrôle exclusif des agents de l’État, telles les personnes détenues », elle réaffirme que l’application du principe selon lequel « la preuve incombe à celui qui affirme » ne peut souffrir d’une application rigoureuse dans le cas des prisonniers, car « inévitablement, le gouvernement défendeur est parfois seul à avoir accès aux informations susceptibles de confirmer ou d’infirmer les affirmations du requérant ». Dès lors, « le simple fait que la version du Gouvernement contredit celle fournie par le requérant ne saurait, en l’absence de tout document ou explication pertinents de la part du Gouvernement, amener la Cour à rejeter des allégations de l’intéressé comme non étayées ». Enfin, l’arrêt rendu contre l’Italie se distingue par l’injonction faite aux autorités de mettre en place, « sans retard […] un recours ou une combinaison de recours ayant des effets préventifs et compensatoires et garantissant réellement une réparation effective des violations de la Convention résultant Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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du surpeuplement carcéral en Italie ». En effet, la Cour relève qu’un tel recours n’existe pas actuellement en Italie. S’il est possible pour les détenus de faire une réclamation, elle souligne que ce recours, « bien qu’accessible, n’est pas effectif en pratique, dans la mesure où il ne permet pas de mettre rapidement fin à l’incarcération dans des conditions contraires à l’article 3 de la Convention ». Dans le cadre des injonctions adressées au gouvernent italien, la Cour refuse d’imposer un recours moins fréquent à l’incarcération. Elle estime en effet qu’il ne lui appartient pas « d’indiquer aux Etats des dispositions concernant leurs politiques pénales et l’organisation de leur système pénitentiaire. Ces processus soulèvent un certain nombre de questions complexes d’ordre juridique et pratique qui, en principe, dépassent la fonction judiciaire de la Cour ». Pour autant, la Cour tient à rappeler « les recommandations du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe invitant les Etats à inciter les procureurs et les juges à recourir aussi largement que possible aux mesures alternatives à la détention et à réorienter leur politique pénale vers un moindre recours à l’enfermement dans le but, entre autres, de résoudre le problème de la croissance de la population carcérale ». Le recours à la procédure de l’arrêt-pilote, choisie par la Cour, accroît la visibilité de la décision. Elle s’applique aux « affaires répétitives » trouvant leur origine dans un dysfonctionnement chronique du droit interne d’un Etat. Lorsque la Cour est saisie d’un grand nombre de requêtes à peu près identiques, l’arrêt-pilote lui permet de traiter en priorité une ou plusieurs d’entre elles et d’indiquer ainsi au gouvernement concerné les mesures qu’il doit prendre pour remédier à une situation qui viole la Convention européenne. Les autres affaires pendantes sont alors gelées jusqu’à ce que les mesures adéquates soient prises pour améliorer la situation. Si les autorités n’exécutent pas l’arrêt-pilote, la Cour peut toujours réactiver les affaires pendantes et prononcer de nouvelles condamnations. Cet arrêt ouvre ainsi une voie dans laquelle pourraient s’engager bien des détenus des prisons françaises, confrontés aux mêmes conditions de surpopulation. Cour européenne des droits de l’homme, 8 janvier 2013, Torregiani et autres c/Italie

en droit


en droit L’administration pénitentiaire condamnée à verser un complément de salaire à un prisonnier insuffisamment rémunéré Détenu dans un centre de détention du Sud-Ouest de la France, monsieur Y. a été employé pendant un an comme « aide buandier » puis « linger ». Son « support d’engagement au travail » (accord d’emploi non assimilable à un contrat de travail) prévoyait qu’il devait percevoir, en sa qualité d’opérateur sur le poste de linger, une « rémunération journalière de 10 euros » et qu’« une cotisation sera déduite de la rémunération brute de l’opérateur au titre de l’assurance vieillesse, de même que pour la CSG et la CRDS. » Estimant avoir perçu une rémunération inférieure à ce que prévoient les textes, monsieur Y. a saisi le tribunal administratif de Toulouse en référé-provision pour obtenir le versement du complément de salaire. Selon l’article D.432-1 du Code de procédure pénale, la rémunération du travail des personnes détenues ne peut être inférieure à 25 % du SMIC pour les

emplois au service général de classe II (20 % en classe III). Après avoir précisé que les postes occupés par monsieur Y. appartenaient à ces classes II et III, le tribunal administratif relève que « le rapprochement entre le montant des rémunérations brutes ressortant de ses bulletins de paie et le montant des rémunérations brutes auxquelles il avait droit fait apparaître un déficit […] de 797,35 euros ». Le juge des référés enjoint alors à l’administration de verser à monsieur Y. un tel complément. Alors que l’inapplication par l’administration pénitentiaire des textes relatifs à la rémunération du travail en prison issus de la de la loi pénitentiaire et de ses décrets d’application est récurrente, il est fort probable que cette condamnation sera suivie par beaucoup d’autres. Tribunal administratif de Toulouse, 26 décembre 2012, n° 1204619

Les sanctions disciplinaires assorties d’un sursis soumises au contrôle du juge administratif Dans un arrêt du 22 janvier 2013, le Conseil d’Etat a estimé qu’il appartenait au juge administratif de contrôler la légalité d’une sanction disciplinaire prononcée avec sursis, alors même que, le sursis n’ayant pas été révoqué, celle-ci est réputée non avenue. Dans cette affaire, monsieur X. avait été condamné à dix jours de cellule disciplinaire avec sursis pour avoir falsifié une ordonnance médicale. Sanction assortie d’un délai de mise à l’épreuve de six mois, soit le maximum pour une personne majeure. Son recours introduit auprès du directeur interrégional des services pénitentiaires ayant été rejeté, monsieur X. avait saisi le tribunal administratif. Lorsque le tribunal avait examiné l’affaire, le délai de suspension de six mois était dépassé et la sanction réputée non avenue, conformément à l’article R. 57-7-57 du Code de procédure pénale. Le juge

administratif avait donc refusé d’examiner le recours et prononcé un non-lieu à statuer, confirmé ensuite par la Cour administrative d’appel. Or, comme le relève le Conseil d’Etat, « lorsque la sanction disciplinaire assortie du sursis est réputée non avenue, il en est fait mention […] sur le registre tenu sous l’autorité du chef d’établissement ». Cette sanction peut donc, notamment, être prise en compte par le juge de l’application des peines, pour le calcul des réductions de peine. Dès lors, « eu égard aux effets que cette mention est susceptible le cas échéant d’emporter, les conclusions dirigées contre une telle sanction ne peuvent être regardées, en l’absence de tout effacement de celle-ci, comme ayant perdu leur objet, alors même que cette sanction n’est plus susceptible de recevoir exécution ». Une mise au point bienvenue. Conseil d’Etat, 22 janvier 2013, n° 349806

Indemnisation pour examen médical à l’hôpital en présence de l’escorte Le juge administratif du tribunal administratif de Grenoble a ordonné, dans une décision du 24 octobre 2012, l’indemnisation d’une personne détenue qui avait été contrainte de subir un examen médical au CHU de Grenoble en présence des gardiens de son escorte. Pour le tribunal, « cette présence physique » des gardiens dans la pièce de consultation « a nécessairement porté atteinte au secret médical et à la confidentialité de l’entretien », ce qui « constitue en soi un préjudice moral indemnisable », évalué en l’espèce à 800 euros.

Le juge administratif a en revanche estimé que le fait, pour le requérant, d’avoir été menotté et entravé lors de son transport et de sa consultation « ne révèle pas une inadaptation fautive du dispositif d’extraction ainsi mis en place » et a donc rejeté la demande d’indemnisation sur ce point. Sans remettre en cause la nécessité de mesures de sécurité, le juge rappelle ainsi les limites qu’elles sont tenues de respecter. Tribunal administratif de Grenoble, 24 octobre 2012, n° 1005725 Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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Prison : la peine des proches Au terme d’une longue enquête qui fera date, la sociologue Caroline Touraut décrit la position complexe des proches de détenus au travers du concept « d’expérience carcérale élargie ». En l’absence de « procédure d’accueil spécifique », devenir proche de détenu nécessite un « processus de familiarisation » par lequel les personnes doivent apprendre par ellesmêmes les « règles de conduite institutionnellement appropriées ». « Les premiers temps c’était horrible de rentrer dans cet établissement, je ne savais pas comment ça marchait dedans, je faisais que sonner au portique mais je savais pas ce qui sonnait, donc j’étais paniquée », témoigne l’une des femmes interrogées. « Au désarroi s’ajoute un sentiment de mésestime particulièrement ressenti lors des premières visites », qui s’explique notamment par une certaine suspicion de l’institution à l’égard des proches. Ils subissent eux aussi « la logique punitive persistante », l’institution se réservant la possibilité de leur imposer des sanctions directes ou indirectes, par exemple en leur retirant le permis de visite. Caroline Touraut relève le paradoxe consistant, pour l’administration, à présenter les proches comme porteurs de dangers mais aussi « comme des garants de la réinsertion sociale des détenus ». Une manière pour l’administration de se défausser de sa mission de réinsertion, d’en « faire porter la responsabilité aux familles et [de] leur imputer, en partie, ses failles en la matière ». Caroline Touraut, La famille à l’épreuve de la prison, Le lien social, PUF, novembre 2012.

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« Ils sont comme nous, et nous comme eux » Quelles relations le médecin exerçant en prison peut-il établir avec son patient, quand le poids de la logique pénitentiaire s’impose à tout moment ? Anne Lécu, médecin à la maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis, puise « dans la tradition philosophique pour donner des éléments de réflexions », suggérer nombre de pistes aux soignants et « plus généralement à ceux que la thématique carcérale questionne ». Au premier rang desquelles commencer par croire les personnes captives, dans leurs paroles et dans leurs symptômes. Se refuser à céder « à la pression ambiante qui n’hésite pas à dire : ‘’Depuis quand on se met à croire les détenus ?” ». Ensuite, favoriser tout ce qui peut créer du lien pour les détenus – avec les familles, entre détenus, avec les personnels. Enfin, refuser la mise à distance : bien loin de la figure du délinquant prédateur, « l’expérience la plus tangible du soignant, c’est “ils sont comme nous, et nous comme eux” ». Sollicité sans cesse « pour de multiples questions qui ne relèvent pas directement du soin, mais de la vie en détention », le médecin se doit également de lutter sans cesse contre cette intrusion dans sa pratique. Pour Anne Lécu, la seule façon de garder le cap est de chaque fois « se demander si la question posée est ou non médicale ; et si elle ne l’est pas, de trouver une réponse qui le soit ». Par exemple, lorsqu’il est demandé si l’état de santé d’un détenu est compatible avec une mesure d’isolement, « la réponse peut n’être ni oui, ni non, mais “l’isolement est préjudiciable pour l’état de santé physique et mental de toute personne” ». Un ouvrage pour faire bouger les lignes… Anne Lécu, La prison, un lieu de soin ?, Les Belles Lettres, 2013.

en actes


en actes Syndicat de la magistrature : « Attendre, c’est déjà renoncer »

L’Académie de médecine en lutte contre la confusion des genres

A l’occasion de son 46e congrès fin novembre 2012, le Syndicat de la magistrature a adopté une « motion d’urgence », affirmant « avec force que des mesures essentielles, souvent simples, peuvent et doivent être prises sans attendre ». Dans l’assistance, Christiane Taubira a pu entendre l’exhortation des juges à « en finir immédiatement avec ces monstruosités juridiques et philosophiques » que sont les peines plancher et la rétention de sûreté. Car « attendre, ici, c’est déjà renoncer » : ces dispositifs perpétuent leurs dégâts, « dans les têtes et sur les corps ». Les magistrats invitent le gouvernement à « donner un contenu immédiat à une nécessaire décroissance pénale », en revenant « sur le dogme du tout carcéral, […] en dépénalisant de nombreuses infractions, et en instaurant un numerus clausus pénitentiaire mettant un terme à la surpopulation carcérale ». Sur le « front dévasté de la justice des enfants », qu’a-t-on fait ? « Au-delà des discours, irréprochables : rien. » Le débat enclenché en début de législature autour des centres éducatifs fermés illustre le processus d’abandon à l’œuvre : « Une critique pertinente et courageuse, une décision d’évaluation bienvenue, puis un communiqué penaud rappelant la promesse présidentielle d’en doubler le nombre. » Le Syndicat réclame le retour à une justice des enfants spécifique, « notamment par la suppression du tribunal correctionnel pour mineurs, et par l’allocation de moyens substantiels à la Protection judiciaire de la jeunesse ». « Il est bien sûr trop tôt pour dresser un bilan, reconnaît le président de l’organisation, mais il sera bientôt trop tard pour déplorer que la déception et le sentiment de trahison – non seulement des promesses, mais surtout des valeurs – se répandent à juste titre. » Syndicat de la magistrature, motion du Congrès, 23 au 25 novembre 2012, Rapport moral et rapport d’activité pour l’année 2012.

L’évaluation de la dangerosité psychiatrique et criminologique est « l’une des missions les plus difficiles qui puisse être confiée à un psychiatre », estiment l’Académie nationale de médecine (ANM) et le Conseil national des compagnies d’experts de justice (CNCEJ), dans un rapport du 6 novembre 2012. « Concernant la question spécifique de la dangerosité, il conviendrait non plus de poser une question permettant de répondre oui ou non ‘’présente-t-il un état dangereux’’) mais une question sur l’évaluation de la probabilité de comportement dangereux ou de récidive. » Les experts peuvent recourir à deux modalités d’évaluation, complémentaires selon l’ANM : « Le débat opposant évaluation clinique et outils de prédiction des risques comportementaux (échelles actuarielles) n’a pas lieu d’être. Ces échelles n’améliorent pas la prévention ou la prédiction de la récidive mais elles sont utiles pour appuyer les conclusions de l’expert, l’aider à se distancier d’une trop grande subjectivité ou de lieux communs. Elles sont une grille de lecture du cas, vérifiable ou réfutable. » Face à cette orientation nouvelle, l’ANM et le CNCEJ insistent sur la mission première de l’expertise psychiatrique : réaliser avant le procès « un acte de diagnostique » permettant d’orienter les malades vers un lieu de soin. La « surreprésentation de troubles psychiatriques » parmi les détenus conduit le groupe de travail à se demander dans quelle mesure cette mission est toujours remplie. La prison, dont le fonctionnement « exacerbe trop souvent la violence », ne saurait se substituer aux établissements psychiatriques pour la prise en charge des malades mentaux ayant commis un acte criminel. La prise en charge thérapeutique et les conditions de vie en milieu carcéral peuvent dégrader la situation des malades, conduisant à plus de récidive après leur libération. « L’inhumaine lourdeur de la majorité des procédures du milieu carcéral […] ne fait que renforcer la position des détenus en véritables exclus de notre société. » L’ANM en appelle à mettre un terme à la « confusion entre établissements de soins et établissements pour peine », laquelle « n’est souhaitable ni pour les personnes malades ni pour la société ». Si le rapport ne les cite pas explicitement, les Unités hospitalière spécialement aménagées (UHSA), unités pénitentiaires implantées au sein d’hôpitaux psychiatriques, entretiennent pourtant cette confusion. Décidées sous la présidence de Nicolas Sarkozy, les 13 unités restant à construire – sur 17 – ne sont nullement remises en cause aujourd’hui. Académie nationale de médecine et Conseil national des compagnies d’experts en justice, Evaluation de la dangerosité psychiatrique et criminologique, Rapport et recommandations, 6 novembre 2012.

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El Shennawy : une peine sans fin ? En prison depuis 37 ans, Philippe El Shennawy n’a pas obtenu de grâce présidentielle le 25 mars, mais le relèvement des trois ans de période de sûreté qui lui restaient. Une marche de plus dans le long combat d’un détenu et de ses proches, qui lui ouvre la possibilité d’engager une demande de libération conditionnelle. Le 12 décembre 2012, le tribunal de l’application des peines de Versailles avait parcouru la moitié du chemin en réduisant déjà de trois ans la période de sûreté. L’issue de sa peine est aujourd’hui fixée à 2032. S’il la purge entièrement, il sortira à l’âge de 78 ans, après avoir passé 54 ans emprisonné. Philippe El Shennawy est derrière les barreaux depuis le braquage d’une banque à Paris, en 1975, qui lui vaut la perpétuité. En 1991, il bénéficie d’une libération conditionnelle, assortie d’une interdiction de se rendre à Paris. Il ne résiste pas à la tentation de venir voir son fils et sera réincarcéré. A deux reprises, Philippe El Shennawy s’évade, commet d’autres braquages. A chaque fois, il est arrêté, repasse devant les juges. « Détenu particulièrement signalé » jusqu’en août 2012, il a passé dix-neuf ans à l’isolement, six en hôpital psychiatrique, sans qu’aucune pathologie ne soit diagnostiquée, et a changé quarante fois de lieu de détention. Il a aussi obtenu plusieurs baccalauréats, deux CAP, une maîtrise d’histoire, trouvé un emploi dans l’informatique… et s’est marié. « Ce détenu a donné toutes les preuves d’une capacité de se réinsérer dans la vie active, et en apporte aujourd’hui les garanties », défend un comité de soutien à l’appui d’avis favorables de l’administration pénitentiaire. « L’esprit de la justice est d’amener [les criminels] à réintégrer la communauté des citoyens. Garder quelqu’un [en prison] pendant 54 ans, ce n’est pas le corriger, c’est le détruire, le tuer. » L’historien Tzvetan Todorov, le sociologue Michel Wieviorka, le magistrat Louis Joinet ou encore l’avocat Henri Leclerc figurent parmi les signataires d’une tribune, publiée dans Le Monde du 26 janvier 2013 : « N’est-il pas temps de rompre avec la logique dominante de ces dernières années, et d’en finir avec l’allongement infini des peines de prison ? » C’est en effet sur « les peines sans fin » qu’il convient aujourd’hui d’attirer l’attention. Appel du comité de soutien à M. El Shennawy, www.petitionpublique.org

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Des instructions ministérielles sans effet à Bordeaux La circulaire de la garde des Sceaux du 19 septembre 2012, rappelant aux procureurs généraux que le recours à l’incarcération doit être réservé « aux situations qui l’exigent strictement », « n’est à ce jour d’aucun effet sur le ressort de la Cour d’appel de Bordeaux ». Telle est la conclusion de la section régionale de Bordeaux du Syndicat de la magistrature (SM), dans un communiqué diffusé le 19 décembre. Une semaine plus tôt, le directeur du centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan avait interpellé les magistrats du tribunal de grande instance sur l’augmentation rapide du nombre de détenus au sein de son établissement. Selon son courrier, repris dans le communiqué du SM, « des détenus ne disposent pas de lit et doivent dormir sur un matelas à même le sol ». Le taux d’occupation du quartier hommes est de 192 %, celui du quartier femmes de 142 %. La section régionale du syndicat observe que « le recours aux poursuites et aux procédures rapides (comparution immédiate) n’a pas diminué, les peines plancher sont régulièrement requises et prononcées, avec pour conséquence des incarcérations en augmentation ». Elle « entend susciter une réflexion sur le choix de la peine afin d’éviter un recours à l’emprisonnement quasi systématique et appelle les magistrats de la Cour d’Appel de Bordeaux à prendre en compte les conditions de détention avant de requérir ou de prononcer de nouvelles peines d’emprisonnement ».

Pétition d’avocats contre l’usage de la détention provisoire à Paris « La chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris pose la détention provisoire et le huis clos comme la règle, et la liberté et la publicité des débats comme l’exception. » Une centaine d’avocats dénoncent, dans une pétition publiée le 11 décembre 2012 sur le site de Libération, les « dysfonctionnements » d’une juridiction « en laquelle [ils n’ont] plus confiance depuis des années ». La « quasi-totalité » des décisions vont dans le sens du maintien en détention provisoire de leurs clients, clament-ils, exigeant que la Chancellerie rende publique « le pourcentage exact des décisions infirmées par cette chambre » lorsqu’elle est saisie en appel par les personnes mises en examen. Censée être une instance de réexamen, la chambre d’instruction parisienne « n’est qu’une chambre de validation, que nous décidons aujourd’hui publiquement de mettre en accusation ». En réponse, l’Union syndicale des magistrats a condamné « ces pressions déplacées ». http://www.liberation.fr/societe/2012/12/11/une-petitiond-avocats-contre-un-dysfonctionnement-judiciaire_866913

en actes


en actes « En chienneté » Le dessinateur Bast publie le récit graphique d’un atelier de bande dessinée qu’il a animé au quartier mineur du centre pénitentiaire de Gradignan de 2004 à 2007. Premiers contacts avec le monde carcéral, rencontre avec des jeunes qui se sentent vivre « en chienneté… traités comme des chiens quoi », il propose une « tentative d’évasion artistique ». Dominique Simonnot, la plume « justice » du Canard Enchaîné, exhorte dans sa préface ceux qui ne sont « jamais entrés en prison » à se laisser « guider par les bulles ». Au terme de ce voyage, Gabi Mouesca, ancien président de l’OIP, dénonce « la persistance de la prison pour enfants. […] Une société qui désespère de sa jeunesse jusqu’à la priver d’un de ses droits fondamentaux, celui de la liberté d’aller et venir, est une société qui se meurt ». Bast, En chienneté, La boite à bulles, décembre 2012.

© Bernard Le Bars/SIGNATURES

65 % des mineurs ne récidivent pas « La masse écrasante et peu connue de ceux que l’on pourrait appeler les “primo-désistants” » constitue le cœur d’une étude conduite par Sébastien Delarre, maître de conférence à l’université Lille 1. « Soixante-cinq pour cent des mineurs ayant eu affaire avec l’institution judiciaire ne commettent pas de nouvelle infraction identifiée. » L’étude présente l’originalité de prendre en compte les relations des mineurs avec la justice avant leur première condamnation inscrite au casier judiciaire : procédures alternatives, classements, mesures civiles, qui ne sont pas portés au casier et, pourtant, peuvent « impulser une grande partie des événements postérieurs, dont la désistance ». Elle va rechercher dans ces parcours « les facteurs faisant qu’un individu quitte la délinquance », en croisant les types d’infraction et les mesures emportant le plus fort taux de désistance. Pour le contentieux des vols simples, 65 % des mineurs sont désistants, et le placement du mineur hors de sa famille affiche les meilleurs résultats. Suivent les procédures alternatives et des mesures légères comme l’admonestation. Dans les affaires de destructions ou dégradations, « ce sont les mesures de type réparation qui dominent largement avec près de 80 % de désistants après leur prononcé par le juge des enfants ». Dans le cas des violences, la proportion de désistants est de 60 % environ, le placement, les procédures alternatives prononcées dès le parquet et la réparation apparaissant comme les plus « efficaces ». Sébastien Delarre, « Trajectoires judiciaires des mineurs et désistance », Infostat justice n° 119, novembre 2012. Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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« Allons-nous réussir à gérer notre vie alors que cela fait tant d’années qu’on la gère à notre place ? » Courrier adressé à Christiane Taubira par une femme détenue en établissement pour peines, novembre 2012 Nous les femmes, condamnées à longues peines, nous subissons, par ricochet, toutes les nouvelles lois votées dans l’émotion et dans l’urgence lorsqu’un homme récidive à sa sortie. Depuis le 1er janvier 2012, en application du nouvel article 7302 du Code de procédure pénale, nous sommes donc obligées, pour pouvoir bénéficier d’une libération conditionnelle, de passer six semaines au Centre national d’évaluation (CNE) de Fresnes ou de Lille pour une « évaluation de la dangerosité », alors même que la récidive en matière criminelle chez les femmes est quasiment inexistante. Je n’ai pas encore franchi le cap des 10 ans d’incarcération, mais celles qui le dépassent supportent de moins en moins la vie carcérale. Selon leur caractère, soit elles s’isolent petit à petit, évitent le moindre contact et sortent rarement de leur cellule ; soit elles deviennent agressives verbalement, ne supportant plus les contraintes de la détention. Quelques-unes arrivent à garder le cap et se battent pour ne pas se désocialiser, mais le système continue tout de même à les fragiliser. Je souhaite attirer votre attention sur la sûreté administrative (article 123-23 du Code de procédure pénale), qui nous interdit d’être « permissionables » avant d’avoir effectué la moitié de notre peine. Je dois attendre 14 années avant de pouvoir reprendre contact avec la réalité du monde extérieur ! Je connais une femme sortie en permission récemment après 16 années d’incarcération. Elle n’avait jamais utilisé les euros ! Pourquoi, si nous avons un parcours carcéral irréprochable, ne pourrions-nous pas bénéficier de permissions de sortir avant la moitié de notre peine ? Cela nous permettrait

de ne pas perdre pied face à la réalité de la vie à l’extérieur et d’appréhender les nouvelles technologies nécessaires à une réinsertion professionnelle. Nous nous posons beaucoup de questions : allons-nous savoir prendre le métro, conduire une voiture, etc. ? Allons-nous réussir à gérer notre vie alors que cela fait tant d’années qu’on la gère à notre place ? J’ai perdu mon père il y a trois ans, sans l’avoir revu depuis mon incarcération. Ma mère est âgée et ne peut plus se déplacer aux Unités de vie familiale (UVF). Nous savons toutes les deux qu’il y a peu de chances pour que nous nous revoyions un jour. Dois-je attendre d’être devant un cercueil pour notre dernier rendez-vous ? Pourquoi ne pas m’autoriser à lui rendre visite deux ou trois fois par an ? Pourquoi ne pas faire confiance à certaines d’entre nous et se baser sur l’avis des responsables de la détention qui nous connaissent parfaitement ? Je veux aussi vous parler de celles que personne n’attend dehors, qui n’ont plus de famille ou à qui cette dernière a définitivement tourné le dos. La prison s’est substituée à leur famille défaillante. Elles ont toujours quelqu’un avec qui parler, avec qui boire un café ou partager un repas. Elles ont un toit sur la tête et se sentent en sécurité. Elles ont vécu parfois 20 ans et plus en milieu clos, sans mettre une seule fois le nez dehors. Alors, quand le grand jour arrive enfin, sortir est presque une punition. Pour elles, c’est se retrouver dans un vide affectif tellement insupportable qu’elles préfèrent mettre fin à leurs jours. Il est vrai que je mets beaucoup d’espoir en vous et dans ce nouveau gouvernement. Je sais que la tâche est immense et qu’il faut du temps pour changer les choses mais le temps, justement, c’est tout ce qu’il nous reste…

« Le plus beau jour de notre vie » Femme de détenu, mars 2013 Mon mari et moi, nous nous sommes mariés au centre de détention en février dernier. J’avais emmené pour cette occasion tout le nécessaire pour manger un gâteau : cuillères, couteaux et assiette en plastique, verres en carton, serviettes. J’avais également pris un appareil photo jetable pour

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immortaliser ce moment. Mais tout m’a été confisqué à l’entrée en détention. Alors que ce devait être le plus beau jour de notre vie, nous nous sommes retrouvés à manger dans le plat, à mains nues. Mon fils de 13 ans qui était présent a été choqué. Et nous n’avons aucune photo souvenir de notre mariage. Je suis révoltée de ce que nous avons vécu.

lettres ouvertes


lettres ouvertes « L’administration a fait comme si sa femme et ses enfants n’existaient pas » Femme de détenu, novembre 2012 Mon mari a été incarcéré au centre pénitentiaire de ToulonLa Farlède en avril 2011. On lui a annoncé en août qu’il partirait au centre de détention de Salon-de-Provence. Il a écrit un courrier pour « refuser » : nous avons quatre jeunes enfants dont il est très proche et compte tenu des charges qui pèsent sur mes seules épaules, me déplacer si loin était trop compliqué et trop onéreux pour entretenir des relations familiales « normales ». La réponse a été gribouillée sur son courrier et renvoyée : non, c’est comme ça et pas autrement. Ses demandes de rencontrer sa Conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation sont restées sans réponse… L’état psychologique de nos enfants s’étant un peu plus dégradé quand ils ont appris que leur papa risquait de partir plus loin et qu’on ne le verrait plus une fois par semaine, l’avocate

a déposé une demande de libération pour raison familiale. La veille de la commission, à 17 heures, la femme du codétenu de mon mari m’a appelée pour m’avertir qu’il avait été transféré à Salon. La juge de l’application des peines n’a été avertie par fax qu’après son départ, quand il était trop tard pour arrêter le tout. Le lendemain, le directeur et son adjoint ont évoqué devant l’avocate « une malheureuse erreur ». Les mots me manquent pour dire l’état dans lequel je suis. Les enfants se sont effondrés en disant qu’ils ne verraient plus leur papa. Ils ont très mal dormi, les deux dernières (5 ans) ne voulaient pas me lâcher quand je les ai laissées à la garderie le lendemain et pleuraient. L’administration pénitentiaire a fait comme si mes enfants et moi-même n’existions pas.

« Un samedi ordinaire à Baie-Mahault » Personne détenue, centre pénitentiaire, février 2013 Comme tous les jours, le surveillant ouvre la porte à 7 heures du matin. L’auxi vide nos poubelles (gamelles de la veille, pour celles qui n’ont pas fini par les fenêtres des cellules) et le surveillant referme nos cellules. Trente minutes plus tard, l’auxi nous sert le café ou le lait… plus de l’eau couleur lait ou café qu’autre chose, mais c’est déjà ça ! A 8 heures, nous avons 45 minutes de promenade, ou douche pour ceux qui ne veulent pas sortir en promenade. Pour ma part, je ne rate aucune promenade, j’ai donc pris ma douche vers 8 h 45. Retour en cellule aux environs de 9 h 30, et attente de la gamelle de midi qui vient à 11 h 30. Ensuite c’est télé, ou sieste, ou sport, mais en cellule, car la promenade est à

16 heures Nous restons enfermés dans nos cellules de 7 m² à trois détenus (deux lits superposés et un matelas par terre). A 16 heures, nous avons droit à une promenade d’une heure grand maximum. Retour en cellule à 17 heures, et attente de la gamelle qui vient à 17 h 30. Voilà un samedi ordinaire à la prison de Baie-Mahault en Guadeloupe. Nous nous ennuyons à mourir, quasiment rien ne nous est proposé, ni formation, ni activités intéressantes. Rien d’instructif et le peu de choses qui nous est proposé, comme la remise à niveau scolaire une fois par semaine, est précédé d’un parcours du combattant et d’une attente interminable pour y accéder. Nombreux sont ceux qui se découragent et abandonnent l’idée.

« Une présence insupportable ? » Assesseur en commission de discipline, centre pénitentiaire, octobre 2012 La commission de discipline est présidée par le chef d’établissement (ou son représentant), assisté de deux assesseurs : un personnel de surveillance et une personne extérieure. Leur voix est consultative, et vise à aider le président de la commission à prendre sa décision. J’ai eu l’occasion de siéger avec deux présidents de commission. Avec l’un, la relation fut satisfaisante. Il entretenait également une bonne relation avec les détenus qui comparaissaient devant nous. La commission essayait de comprendre collégialement pourquoi certains détenus se présentaient devant nous dans un état psychologique limite.

Le second président de commission entretenait, avec les détenus comme avec moi, des relations caractérisées par l’irrespect et le mépris. Ma présence imposée lui était insupportable. Pas d’échange. Pas de participation active. Pas d’aide à une prise de décision consensuelle. Au contraire, mes observations au cours du délibéré le conduisaient automatiquement à alourdir la peine. Quels que soient les faits commis, il s’agissait de surenchérir sur le nombre de jours de quartier disciplinaire à prononcer. La participation de l’assesseur surveillant est complètement parasitée par la présence de son supérieur hiérarchique. Difficile pour lui de se démarquer. Si je voulais portraiturer cette situation vécue, je dirais : « C’est celui qui donnait le plus de jours de mitard qui avait gagné. » Dedans Dehors N°79 Mars 2013

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Commandes le guide du prisonnier OIP/ La Découverte, 2012, 704 p., 34 € (frais de port inclus)

Les ouvrages de l’OIP 66 Le guide du prisonnier 2012 66 rapport 2011 : les conditions de détention en France 66 rapport 2005 : les conditions de détention en France

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La revue Dedans dehors

rapport 2011 : les conditions de détention en France OIP/ La Découverte, 336 p., 28  (frais de port inclus)

Dedans Dehors n°77-78

Bulletin à renvoyer à OIP, section française, 7 bis, rue Riquet 75019 Paris

66 n° 79 « Expression en prison : la parole disqualifiée » 66 n° 77-78 « Nouvelles prisons : le trou noir de la pensée » 66 n° 76 « Prévention de la récidive : le retard français » (épuisé) 66 n° 74-75 « Politique pénale : quand les idées reçues dictent leurs lois » 66 n° 72-73 « C’est l’heure » 66 n° 70-71 « Prison : le recul de l’histoire » 66 n° 69 « Pour que cesse la « honte » Des prisons sans peine, des peines sans prison » 66 n° 67-68 « Le législateur face à la loi pénitentiaire : l’humiliation pour de la République » 66 n° 66 « saisir la réalité de ces lieux secrets » 66 n° 65 « la France a rendez-vous avec ses prisons » 66 n° 64 « rétention de sureté et irresponsabilité pénale » 66 n° 63 « régimes de détention différenciés - l’envers du décor » 66 n° 62 « peines minimales, danger maximal » 66 n° 61 « contrôle extérieur : l’heure du choix » 66 n° 60 « les alternatives sortent de l’ombre » 66 n° 58/59 « états généraux de la condition pénitentiaire » 66 n° 56 « réforme de la détention provisoire : l’occasion gâchée » 66 n° 54 « politiques pénale et pénitentiaire : l’Europe en éclaireur » 66 n° 52 « étrangers en prison : aux confins de l’absurde » 66 n° 51 « sida en prison : prévenir la maladie, libérer les malades » 66 n° 50 « le rapport Burgelin : le risque de peines de folie » 66 n° 49 « sécurité renforcée en prison : la fabrique de violences » 66 n° 48 « récidive, récidivistes : ne pas se tromper de débat » 66 n° 47 « prison : peine du pauvre, pauvre peine » 66 n° 46 « vieillir et mourir en prison » (épuisé) 66 n° 45 « prison : quelle réforme vaut la peine ? » 66 n° 44 « droits dedans : pour la reconnaissance des droits des détenus » 66 n° 42 « les dix ans du code pénal : le grand enfermement » 66 n° 41 « loi Perben 2 : vers un raz-de-marée carcéral ? » 66 n° 40 « dix ans après la réforme : la santé toujours incarcérée » 66 n° 39 « les prisons françaises en 2003 une descente aux enfers » 66 la série 2001 (du 23 au 28) 66 la série 2002 (du 29 au 34) 66 la série 2003 (du 35 au 40) 66 la série 2004 (du 41 au 46) 66 la série 2005 (du 47 au 52) 66 la série 2006 (du 53 au 58-59) 66 la série 2007 (du 58-59 au 63)

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Pour tout renseignement sur les activités de l’OIP en France ou pour témoigner et alerter sur les conditions de détention en France : OIP section française 7 bis, rue Riquet 75019 Paris tel : 01 44 52 87 90 fax : 01 44 52 88 09 e-mail : contact@oip.org site : www.oip.org

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L’OIP en région Les coordinations inter-régionales mènent leur action d’observation et d’alerte au sujet de tous les établissements pénitentiaires des régions concernées en lien avec les groupes et correspondants locaux présents. Pour contacter les coordinations inter-régionales : Coordination inter-régionale Nord et Ouest (DISP Lille et Rennes) Anne Chereul 19 place de Sébastopol 59000 Lille 09 61 49 73 43 06 63 52 10 10 fax: 03 28 52 34 13 anne.chereul@oip.org

Coordination inter-régionale Lyon et PACA (DISP Lyon et Marseille) Céline Reimeringer 57 rue Sébastien Gryphe 69007 Lyon 09 50 92 00 34 06 50 73 29 04 fax : 09 55 92 00 34 lyon@oip.org

Coordination inter-régionale Sud-Ouest (DISP Bordeaux et Toulouse) Samuel Gautier 7bis rue Riquet 75019 Paris 01 44 52 87 94 fax: 01 44 52 88 09 samuel.gautier@oip.org

Coordination inter-régionale Ile-de-France et Outre-mer (DISP Paris et Outre-mer) François Bès 7bis rue Riquet 75019 Paris 01 44 52 87 95 fax: 01 44 52 88 09 francois.bes@oip.org

Coordination inter-régionale Centre et Est (DISP de Dijon et Strasbourg) 7 bis rue Riquet 75019 Paris 01 44 52 87 90 fax: 01 44 52 88 09 contact@oip.org

Les groupes et correspondants locaux de Metz et Nancy assurent l’observation et l’alerte sur la prison de leur ville, en lien avec le secrétariat national. Pour les contacter, vous pouvez joindre le secrétariat national : contact@oip.org ou 01 44 52 87 90

Qu’est-ce que l’OIP ? Considérant que l’emprisonnement est une atteinte à la dignité de la personne, la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP), juridiquement créée en janvier 1996, agit pour la défense des droits fondamentaux et des libertés individuelles des personnes détenues. Que fait l’OIP ? Concrètement, l’OIP dresse et fait connaître l’état des conditions de détention des personnes incarcérées, alerte l’opinion, les pouvoirs publics, les organismes et les organisations concernées sur l’ensemble des manquements observés ; informe les personnes détenues de leurs droits et soutient leurs démarches pour les faire valoir ; favorise l’adoption de lois, règlements et autres mesures propres à garantir la défense de la personne et le respect des droits des détenus ; favorise la diminution du nombre de personnes détenues, la limitation du recours à l’incarcération, la réduction de l’échelle des peines, le développement d’alternatives aux poursuites pénales et de substituts aux sanctions privatives de liberté. Comment agit l’OIP ? Organisation indépendante des pouvoirs publics, l’OIP ne sollicite aucun mandat ou subvention du ministère de la Justice, s’interdit de prendre part à l’action d’aucun gouvernement, de soutenir aucun parti politique ou de prendre position à l’occasion de toute consultation électorale. Pour faciliter la mise en œuvre de ses objectifs, l’Observatoire suscite la création de coordinations régionales et de groupes locaux en charge de l’observation d’un lieu de détention et composés exclusivement de membres de l’OIP.


P R I S O N S D E S

INTERNATIONAL

OBSERVATOIRE

Le Guide du prisonnier 2012 Un outil pour défendre et faire avancer les droits. Aidez-nous à le diffuser le plus largement possible dedans et dehors.

La quatrième édition du Guide du prisonnier est parue le 1 er décembre 2012. Entièrement revisitée et enrichie, elle intègre l’ensemble des textes adoptés et changements survenus depuis 2004. Destiné aux personnes incarcérées, à leurs proches, aux professions judiciaires, aux intervenants en milieu carcéral et à tout citoyen s’interrogeant sur les droits du prisonnier, ce livre accompagne par un jeu de 873 questions-réponses l’intégralité du parcours d’un détenu, du premier au dernier jour de prison.


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