Plan pour la sécurité des prisons : le retour des vieilles recettes Le travail pénitentiaire reste dans le « non-droit » Zoom Ducos : la poudrière martiniquaise
« Ils sont nous » Parcours de vie d’anciens détenus
dossier avec Olivier, Philippe, Marie-Hélène, Yazid Kherfi, Michel Born, Béatrice Asencio...
Observatoire international des prisons Section française
7,50 € N°80 Juin 2013
EDITORIAL
Ils sont nous Affirmer « Ils sont nous », c’est un cri de résistance devant le raz de marée de la pensée du bannissement. Parce qu’ils n’ont pas respecté la loi commune, il faudrait les entasser dans des prisons à l’écart des villes, placer chacun de leurs gestes sous surveillance panoptique, les humilier afin qu’ils éprouvent la condition de victime. Parce que « la prison voudrait nous faire croire que l’homme qu’elle contient ne nous ressemble plus »1. Et qu’elle y parvient. Parce qu’il peut être insupportable d’admettre que le clair et l’obscur existent en chacun de nous. Parce que les clichés et stigmatisations sont tenaces et viennent souvent justifier l’immobilisme politique. Un statu quo prenant la forme de prisons surpeuplées, d’atteintes persistantes à la dignité, de construction de nouvelles prisons toujours plus déshumanisantes, d’un refus obtus d’investir dans l’accompagnement et la réinsertion. Désigner le prisonnier comme l’autre, le monstrueux, le fou, l’irrécupérable, celui qui ne nous ressemble en rien, permet ainsi de « justifier l’impensable : contenir sans réparer, relâcher sans projet. La récidive est là qui attend. La machine se nourrit d’elle-même ». Ce numéro de Dedans-Dehors pose la première pierre d’une campagne en fil rouge de l’action de l’OIP pour 2013-2014. Une campagne fondée sur des « récits de vie » d’anciens détenus. Ils racontent leurs conditions de vie avant d’avoir eu affaire à la justice, ce qui les a menés selon eux à la délinquance ou au crime, ce qu’ils sont devenus après leur passage en détention. Il y a ceux qui croyaient que la prison, « ça n’arrive qu’aux autres » et qui ont été dépassés par des pulsions. Ceux qui, socialement bannis, ont trouvé dans le milieu délinquant leur seule terre d’accueil. Autant de récits singuliers et subjectifs, que l’OIP va continuer de recueillir et de diffuser. Dix écrivains seront aussi appelés à rencontrer un ancien détenu pour écrire son histoire… « Ils sont nous » ne fait que commencer. Sarah Dindo 1 Citations extraites d’un texte de Bernard Bolze, fondateur de l’OIP, dans « 70 affiches pour le droit à la dignité des prisonniers ordinaires », 1993. N°80 Juin 2013
Sommaire 1 Actu – Sécurité : le retour des vieilles recettes – Le travail pénitentiaire reste dans le « non-droit » 6 De facto – Faa’a-Nuutania : l’Etat condamné pour violation de la dignité – Corbas : à l’isolement pour surpopulation – Bapaume : retenue abusive de courriers – Longuenesse : au QD pour pouvoir être seul en cellule – Joux-la-Ville : condamnée à 30 jours de QD, sans avocat 9 Zoom Ducos : la poudrière martiniquaise 13 Dossier « Ils sont nous » – Parcours de vie d’anciens détenus Avec Marie-Hélène, Olivier, Philippe et Virginie, anciens détenus Yazid Kherfi, ancien détenu, consultant en prévention urbaine Michel Born, psychologue Béatrice Asencio, CPIP Gilles Chantraine, sociologue 45 Actu – Statistiques pénales du Conseil de l’Europe : la France dans le bas du tableau – Loi pénitentiaire : le compte n’y est (toujours) pas 48 De facto – Pour la dignité des handicapés détenus – Mineurs étrangers incarcérés : le doute doit toujours profiter au jeune 49 En droit – CEDH : la promiscuité, le manque d’activités et des manquements aux règles de l’hygiène constituent un « traitement inhumain et dégradant » – L’absence d’assesseur extérieur à l’AP en commission de discipline devient une cause d’irrégularité de la procédure – L’examen dans un délai excessif d’une demande de libération conditionnelle est contraire à la Convention européenne des droits de l’homme... 53 Actu Les psychiatres demandent une évaluation des UHSA 55 En actes Etude australienne : l’emprisonnement augmente le risque de récidive ; Colloque : Insertion et désistance ; Derniers ouvrages de Jean Bérard, Catherine Sultan, Etienne Noël
DEDANS DEHORS publication bimestrielle de la section française de l’Observatoire international des prisons, association loi 1901, 7 bis, rue Riquet, 75019 Paris, Tél. : 01 44 52 87 90, Fax : 01 44 52 88 09, e-mail : contact@oip.org Internet : http://www.oip.org Directeur de la publication : Antoine Lazarus Rédaction en chef : Sarah Dindo, Barbara Liaras Rédaction : Catherine Azémar, François Bes, Anne Chereul, Marie Crétenot, Nicolas Ferran, Samuel Gautier, Lise Perino. Secrétariat de rédaction : Muriel Amity, Alice Benveniste, Marianne Bliman, Colin Bonnet, Diane Carron, Flora Defolny, Elsa Dujourdy, Julie Namyas, Clément Silliau. Identité graphique : MG., L.D. < dlaranjeira@caramail. com > Maquette : Claude Cardot/Vélo © Photos, remerciements à : Samuel Gautier Sylvain Gouraud G. Korganow pour le CGLPL Simon Jourdan Yves Marrocchi. Et aux agences : SIGNATURES. Impression : Imprimerie Expressions 2-GP, 10 bis, rue Bisson, 75020 Paris Tél. : 01 43 58 26 26 ISSN : 1276-6038 Diffusion sur abonnement au prix annuel de 30 € Illustrationcouverture : Marie De Gennes
ACTU
Plan pour la sécurité des prisons : le retour des vieilles recettes Dans la droite ligne d’un modèle de « sécurité défensive » déjà renforcé par ses prédécesseurs, le plan pour la sécurité des établissements pénitentiaires présenté ce lundi 3 juin 2013 par la garde des Sceaux vient ancrer les prisons françaises dans une culture toujours plus coercitive, génératrice en elle-même de tensions et de violences. Un plan qui témoigne d’une absence de réflexion sur d’autres moyens de prévenir les violences et d’y répondre, faisant l’impasse sur les conclusions d’un groupe de travail impulsé par l’administration pénitentiaire et s’inscrivant à l’encontre des préconisations du Conseil de l’Europe en faveur d’une approche de « sécurité dynamique ».
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enforcement des équipements et procé-
dures de contrôle à l’intérieur et aux abords des établissements et de lutte contre les projections ». Telle est la feuille de route du « dispositif de sécurité exceptionnel » annoncé par Christiane Taubira le lundi 3 juin 2013 pour les établissements pénitentiaires. Au programme : 20 scanners à ondes millimétriques, 282 portiques à masse métallique et 393 détecteurs manuels ; le renforcement des filets et glacis, dispositifs de vidéo-surveillance et autres concertinas censés empêcher les projections depuis l’extérieur ; une expérimentation visant à rendre plus efficace le brouillage des ondes de téléphones portables ; la création de deux nouvelles équipes cynotechniques et le renforcement des opérations de contrôle des visiteurs. La garde des Sceaux annonce également la publication d’une circulaire sur les « modalités de gestion » des détenus particulièrement surveillés (DPS), ou encore la mise en œuvre d’un « plan d’action maison centrale » portant sur la prise en charge « de ces publics difficiles ».
Une réponse à l’instrumentalisation des syndicats Ces mesures affichent l’ambition de renforcer l’« équilibre, complexe à mettre en œuvre », entre sécurité et respect des droits. Un respect des droits pour lequel aucuns plans ni
mesures n’ont été engagés, au regret du Contrôleur général des lieux de privation de liberté : « Christiane Taubira doit annoncer un plan sur la dignité des personnes » demande Jean-Marie Delarue. « Il faut assurer la sécurité, mais en même temps il faut assurer la dignité des personnes. Les deux sont inséparables. Lorsqu’on fait une seule de ces politiques, […] on est sûr de se tromper.1 » Sous la pression des syndicats pénitentiaires depuis une spectaculaire évasion de la maison d’arrêt de Lille-Sequedin, le 13 avril 2013, le ministère de la Justice réagit à un fait divers exceptionnel en faisant preuve de la même pauvreté de réflexion que ses prédécesseurs : en renforçant le modèle de « sécurité défensive », qui repose sur la dissuasion, la surveillance, les contrôles et l’isolement des personnes détenues. Autant de recettes qui n’ont jamais fait leurs preuves, et dont il a même été établi qu’elles généraient davantage de tensions et violences en détention. Avant même que les circonstances précises de l’évasion de Sequedin ne soient connues, les responsabilités ont été établies : l’UFAP dénonce la « pure aberration » dont relève la prétendue « suppression des fouilles corporelles ». FO-Pénitentiaire embraye pour demander des États généraux de la sécurité et un durcissement des sanctions disciplinaires. Dans toutes les prisons françaises, martèle le syndicat « les 1 Europe 1, 6 juin 2013. Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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© Samuel Gauthier
Centre pénitentiaire de Rennes - Vezin
matraques ou tonfas doivent être obligatoires ainsi que le taser ». Peu importe qu’à Lille-Sequedin, comme dans bien d’autres établissements, la fouille à corps continue en réalité à être « automatique […] à la sortie des parloirs », comme le confirme la CFTC dans une lettre du 19 avril adressée à la garde des Sceaux. Peu importe que la loi pénitentiaire ne prévoie aucunement la suppression des fouilles intégrales, mais en encadre leur utilisation. « Mettre en relation la loi pénitentiaire, et son article 57 sur les fouilles, et l’évasion qui s’est
Les prises d’otage favorisées par la pression sécuritaire « La conjonction de mesures de sécurité passive extrêmement rigoureuses et d’une absence presque totale de sécurité dynamique crée un risque maximum de prises d’otage : les membres du personnel, considérés comme des entités impersonnelles, deviennent le seul moyen qu’ont les détenus de forcer les dispositifs matériels. C’est ce qu’a prouvé l’expérience des quartiers spéciaux de sécurité des PaysBas ; conçu pour maintenir les détenus présentant un risque d’évasion dans une réclusion sévère et sûre, ils ont finalement mené à une escalade des mesures de sécurité et de la violence. » Sonja Snacken, Douzième conférence des directeurs d’administration pénitentiaire, Peines de longue durée et délinquants violents, Conseil de l’Europe, 26-28 nov. 1997. Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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produite samedi, c’est soit de l’incompétence, soit de la volonté de désinformation caractérisée », tempête le sénateur JeanRené Lecerf dans La Voix du Nord du 16 avril 2013.
Explications simplistes, réponses inadaptées Les mesures de « sécurité défensive » développées par le Plan sécurité du 3 juin s’inscrivent dans la lignée de ces « explications simplistes », dénoncées notamment par le SNEPAP-FSU dans un communiqué du 3 mai 2013. Elles prennent à rebours les conclusions d’un groupe de travail de la direction de l’administration pénitentiaire sur la violence en prison institué en 2007, qui avait estimé indispensable de « réfléchir à la mise en place d’un autre modèle de contrôle et de sécurité ». Selon le groupe, « le dispositif sécuritaire intérieur actuel dans ses effets sur les relations en prison demeure un facteur essentiel des violences qui y ont lieu ». Il recommandait notamment d’instaurer « des espaces de parole et de conflictualisation » en détention, et plus largement « de reconnaître formellement des instances de dialogue social », de prévoir des « audiences régulières en tête-à-tête avec tous les détenus, y compris ceux qui ne demandent jamais à être reçus », ou encore de « développer les actions de formations existantes sur la prévention, la résolution des conflits, la gestion des crises, lors de la formation initiale et de la formation continue, la lutte contre la violence étant trop axée sur les techniques physiques d’intervention2 ». 2 Rapport du groupe de réflexion sur les violences à l’encontre des personnels pénitentiaires, mai 2010.
ACTU
« Le dispositif sécuritaire intérieur actuel dans ses effets sur les relations en prison demeure un facteur essentiel des violences qui y ont lieu », groupe de travail DAP, 2007. Ces préconisations rejoignaient celles du Conseil de l’Europe qui invite à sortir d’une logique purement défensive de la sécurité, au bénéfice d’un modèle qualifié de « sécurité dynamique ». Un concept partant du constat selon lequel plus « l’institution est totalitaire ou autoritaire, plus elle engendre des résistances : résistances à l’institution, résistances au personnel, afin d’affirmer son individualité, de ne pas perdre totalement l’estime de soi3 ». Dès lors, la sécurité passe avant tout par le fait d’aménager la vie en prison « de manière aussi proche que possible des réalités de la vie en société », d’offrir aux détenus des « conditions matérielles appropriées » et des « occasions de développement physique, intellectuel et émotionnel », de leur donner la possibilité de « faire des choix personnels dans autant de domaines que possible de la vie quotidienne de la prison » et de développer les espaces et instances de communication avec le personnel4. Autant de recommandations totalement ignorées dans le plan ministériel. « Les seules choses qui sont précises [dans le plan ministériel] relèvent de la technologie » regrette en ce sens JeanMichel Dejenne, premier secrétaire du syndicat national des directeurs pénitentiaires. Pour les autres syndicats, telle la CGT-pénitentiaire, « le compte n’y est pas5 », FO jugeant le Plan « bien loin de répondre aux attentes et au besoin du terrain6 ». Des réactions illustrant le puits sans fond que constitue cette surenchère sécuritaire.
Le respect de la loi, grand oublié du plan ministériel Une institution chargée de l’exécution des peines prononcées en application de la loi ne peut s’abstraire de respecter elle-même la loi, sauf à perdre tout crédit auprès des publics concernés et du corps social en général. Or, de nombreuses dispositions en vigueur ne sont pas respectées dans les établissements pénitentiaires. Au premier rang desquelles celle prohibant le caractère systématique des fouilles à nu. « On laisse les directeurs se dépatouiller avec cette question des fouilles, sans leur fixer de cap » déplore Jimmy Delliste, secrétaire général de FO-Direction. Et nombre d’entre eux « se dépatouillent » en refusant d’appliquer la loi. Le Conseil d’État s’en est agacé, condamnant, dans une décision du 6 juin 2013, une « atteinte grave et manifestement illégale » aux principes de respect de la 3 S. Snacken, Prisons en Europe, pour une pénologie critique et humaniste, Larcier, 2011. 4 Conseil de l’Europe, Recommandation R(2003)23. 5 Communiqué du 3 juin 2013. 6 Communiqué du 3 juin 2013.
dignité humaine et de la vie privée. Statuant en référé-liberté, c’est-à-dire en urgence, la Haute Juridiction ordonne au directeur de Fleury-Mérogis de mettre fin au caractère systématique des fouilles dans son établissement. À Varces en juin 2013, à Bapaume en février, mais aussi à Strasbourg, Marseille, Lyon, Poitiers, Rennes, Nancy… les tribunaux administratifs (TA) avaient déjà statué dans le même sens, sans que cela n’infléchisse les pratiques. Un irrespect de la loi et des décisions de justice que n’a guère goûté le TA de Melun, relevant dans une ordonnance du 4 mai 2013 « la carence persistante de l’administration à exécuter ces décisions ». Le tribunal prononçait à cette occasion sa troisième condamnation en dix mois à l’encontre du directeur de Fresnes, toujours pour les mêmes motifs. D’autres dispositions légales orientées vers la sécurité dynamique restent tout aussi ignorées. Telle la possibilité de bénéficier d’au moins une visite trimestrielle dans une unité de vie familiale ou un parloir familial (dont une minorité d’établissements pénitentiaires sont équipés), ou encore d’être rémunéré en application du salaire minimum défini par le décret n° 2010-1635 du 23 décembre 2010. Autant de facteurs de troubles en détention auxquels le plan sécurité du gouvernement ne vient aucunement remédier. Faute d’appliquer la loi, de reconnaître un droit d’expression individuel et collectif pour les personnes détenues, de mettre en place des espaces de parole et de négociation, le ministère de la Justice condamne en fait l’institution pénitentiaire à s’enfermer dans un cycle de violence-répression nuisible à l’amélioration de la sécurité en détention, tout autant qu’à la prévention de la récidive et à la réinsertion des personnes détenues. Samuel Gautier et Barbara Liaras Communiqué OIP du 5 juin 2013 : « Plan pour la sécurité des établissements pénitentiaires : les vieilles recettes qui ne marchent pas », consultable sur le site de l’OIP www.oip.org
Au détriment de la lutte contre la surpopulation Alors même que le montant des budgets consacrés à la sécurisation des établissements pénitentiaires avait déjà « augmenté de 43 % » entre 2007 et 2009 selon la Cour des comptes, le coût de ce nouveau plan – plus de 33 millions d’euros – peut être mis en parallèle avec l’indigence des moyens dégagés pour développer les aménagements de peine et les alternatives à l’incarcération. L’étude d’impact annexée à la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 estimait ainsi nécessaire la création de 1 000 postes supplémentaires de conseillers d’insertion et de probation : seuls 120 postes ont été budgétés pour 2013. Avec 67 977 détenus au 1er juin 2013, un nouveau record est atteint, alors que tous les acteurs s’accordent à dénoncer la surpopulation comme facteur d’accroissement des tensions en détention et de dégradation des conditions de travail des personnels. Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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Le travail pénitentiaire reste dans le « non-droit » Saisi par deux personnes détenues contestant leur régime de travail, le Conseil constitutionnel a fait le choix, dans une décision du 14 juin, de maintenir le travail pénitentiaire dans la « zone de non-droit » qui le caractérise.
L
’article 717-3
du
Code
de procédure pénale pré-
voyant que « les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l’objet d’un contrat de travail » ne porte « aucune atteinte » au « principe d’égalité », ni à « aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit ». Ainsi vient d’en décider le Conseil constitutionnel dans une décision du 14 juin 2013 pauvre en motivations, qui ne répond pas à tous les griefs soulevés par les détenus requérants et par l’OIP dans ses « observations en intervention » versées à l’appui des demandeurs. Le Conseil se contente de préciser « qu’il est loisible au législateur de modifier les dispositions relatives au travail des personnes incarcérées afin de renforcer la protection de leurs droits ».
Une décision limitée, ouvrant la voie à d’autres procédures Faut-il pour autant en déduire que la situation de « nondroit » caractérisant le travail carcéral disposerait désormais d’une caution constitutionnelle ? Pour le ministère de la Justice, cela ne fait guère de doute. Selon un communiqué de la garde des Sceaux, le Conseil a reconnu que « les règles législatives qui organisent les conditions de travail des personnes détenues étaient conformes aux droits et libertés garanties par la Constitution dans son préambule1 ». Or, rien n’est moins sûr. Le commentaire de la décision diffusé par le Conseil constitutionnel2 rappelle que ce dernier « était saisi uniquement de la première phrase du troisième alinéa de l’article 717-3 du CPP, qui se borne à prévoir [l’absence de contrat de travail] ». Pour les Sages, seules ces dispositions ne portent « en ellesmêmes » aucune atteinte à la Constitution. Acceptant que le droit du travail ne s’applique pas en prison, ils n’ont pas pour autant jugé que l’ensemble des dispositions législatives réglementant le travail carcéral, qui n’avaient pas été soumises à leur contrôle, sont suffisamment protectrices des droits et 1 Communiqué du garde des Sceaux, 14 juin 2013. 2 http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/ les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis-1959/2013/2013-320/ 321-qpc/decision-n-2013-320-321-qpc-du-14-juin-2013.137401.html Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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libertés constitutionnels des travailleurs détenus. La question leur sera posée par l’OIP dans les prochains mois.
Une occasion manquée Si le Conseil constitutionnel renvoie le législateur à ses responsabilités en lui rappelant qu’il peut renforcer les droits des détenus travailleurs, il paraît peu probable que le gouvernement le saisisse d’un projet de loi en ce sens. Sitôt publiée la décision, le ministère de la Justice s’est félicité que le Conseil ait su « prendre en compte les spécificités du travail en milieu pénitentiaire », validant qu’il ne soit pas soumis au droit commun. Pour Christiane Taubira, l’acte unilatéral qui « lie l’administration pénitentiaire à la personne détenue pour déterminer les conditions de son activité » en lieu et place du contrat de travail a d’ores et déjà « marqué un progrès considérable dans la reconnaissance des droits des détenus3 ». Prévu par la loi pénitentiaire, un « acte d’engagement » professionnel doit en effet être « signé par le chef d’établissement et la personne détenue » avant toute prise de fonction. Cet acte doit prévoir la « description du poste », les « horaires de travail », les « missions principales à réaliser » et les conditions de « rémunération ». En pratique, ce document n’apporte aucune garantie, les personnes détenues restant soumises aux desiderata de l’administration pénitentiaire ou des entreprises, notamment en termes d’horaires, de rémunérations, et parce que la moindre plainte les expose au risque de perdre leur emploi. Les détenus peuvent toujours travailler sept jours sur sept alors qu’ils devraient pouvoir bénéficier d’au moins un jour de repos hebdomadaire. Ou ne travailler que quelques heures par mois, sans aucune compensation des heures chômées, d’autant que certains établissements ont « pour pratique de classer plus de personnes que de postes de travail », les détenus en surnombre servant alors de « variables d’ajustement aux aléas d’effectifs et de production » (Contrôleur général des lieux de privation de liberté, rapport 2011). Quant aux seuils de rémunérations, en principe de 20 % à 40 % du Smic horaire 3 Communiqué du garde des Sceaux, 14 juin 2013.
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« Un travailleur en détention est certes un détenu mais c’est d’abord un travailleur. Cela implique que la personne incarcérée bénéficie d’un contrat de travail » Amendement du groupe socialiste au projet de loi pénitentiaire de 2009.
© Simon Jourdan
brut, ils ne sont pas respectés. Les détenus qui travaillent en atelier ou dans leur cellule continuent d’être rémunérés à la pièce, sans aucun droit de regard sur les prix fixés. Certains perçoivent ainsi des rémunérations d’un euro de l’heure. « Un dispositif qui s’apparente davantage aux conditions de travail du premier âge industriel qu’à celles de la France d’aujourd’hui », selon les mots du Contrôleur général des lieux de privation de liberté4.
de cette question et de garantir aux travailleurs détenus des conditions de travail respectueuses de leur dignité. Marie Crétenot et Nicolas Ferran Communiqués OIP du 4 juin 2013, « Travail en prison : une situation de non droit soumise au Conseil constitutionnel » et du 14 juin 2013, « Le Conseil constitutionnel consacre le non-droit du travail en prison : satisfaction du ministère de la Justice », consultables sur le site www.oip.org
Des reniements socialistes… Lors des débats relatifs à la loi pénitentiaire en 2009, le groupe socialiste à l’Assemblée nationale, dont faisaient partie Christiane Taubira, François Hollande et Jean-Marc Ayrault, n’était pourtant pas le dernier à s’élever contre ce statut dérogatoire et défendait l’introduction du contrat de travail en prison (amendement n° 114) : « Pour nous, un travailleur en détention est certes un détenu mais c’est d’abord un travailleur. Cela implique que la personne incarcérée bénéficie d’un contrat de travail qui fixe ses devoirs et lui donne aussi accès à l’ensemble des droits sociaux ». « Aucun des arguments invoqués » pour refuser l’introduction d’un contrat « ne nous semble justifiable. Le contrat de travail […] s’impose ». Le groupe socialiste considérait également que « l’absence de droit du travail ruine la conception même du travail pénal comme outil d’insertion ». Tous les détenus invités à s’exprimer lors de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive en février dernier ont souligné comme facteurs de récidive « les conditions indignes du travail en prison ». La ministre ne semble pas les avoir entendus. Il appartient dès lors au Parlement de se saisir
A l’origine de la QPC « En novembre 2011, Brahim S., 37 ans, détenu à la maison d’arrêt de Metz, a travaillé pendant 5 h 30. Il a œuvré à la confection d’enveloppes avec une fenêtre transparente pour le compte de l’entreprise “Sodexo justice services”. Il a été payé, en net, 0,23 euro au total. Cela l’a choqué mais pas surpris. En mars 2010, pour 16 h 30 de travail, il avait perçu un salaire net global de 2,86 euros. En mai 2010, pour 27 h 30, sa paye s’était élevée à 20,75 euros. En février 2012, après avoir touché 38,43 euros pour 22 heures d’enveloppes collées, il en eu assez. Il en a parlé à son avocat.1 » Brahim S. et Yacine T. (qui avaient travaillé de septembre 2010 à février 2012, à 3,13 euros de l’heure pour la même société), ont saisi le Conseil des Prud’hommes (CPH) de Metz et soumis une question prioritaire de constitutionnalité visant l’absence de contrat de travail pour les détenus. Par jugement prononcé le 21 décembre 2012, le CPH de Metz a transmis la QPC à la Cour de Cassation qui, jugeant de son « caractère sérieux » a elle-même décidé de la transmettre au Conseil constitutionnel. 1 O. Millot, « Le travail en prison contraire à la Constitution ? », Libération, 12 avril 2012.
4 Communiqué du CGLPL du 14 juin 2013. Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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Centre pénitentiaire de Faa’a-Nuutania
L’Etat condamné pour violation de la dignité C’est au tour des détenus du CP de Tahiti de faire condamner l’Etat pour non-respect de la « dignité inhérente à la personne humaine ». Le 11 juin 2013, le juge des référés du tribunal administratif a condamné l’Etat à verser une allocation de près de 7 000 euros à Taaki T., incarcéré dans cet établissement depuis 5 ans et 9 mois. Le tribunal relève en particulier les « odeurs nauséabondes », les cellules « sous-dimensionnées », ainsi que les toilettes « partiellement séparées du reste de la pièce » et « situées à proximité immédiate du lieu de prise de
repas ». Autant de fautes « de nature à engager la responsabilité de l’Etat » qui ont « nécessairement entraîné un préjudice ouvrant droit à réparation ». Depuis le début de l’année, trois premiers requérants du CP de Faa’a-Nuutania avaient déjà obtenu des indemnisations équivalentes, proportionnelles au temps passé dans la prison. Plusieurs autres dossiers sont en cours d’instruction ou devraient être prochainement déposés, en dépit des tentatives du chef d’établissement de bloquer les procédures. En octobre 2012,
le directeur avait en effet retenu durant 77 jours les courriers adressés aux détenus par l’association Tamarii Nuutania, qui les épaule dans leurs démarches judiciaires. Avant d’être contraint de remettre les plis à leurs destinataires, à la suite d’une levée de boucliers des avocats et associations de défense des détenus. Au 1er mai 2013, les quartiers maison d’arrêt et centre de détention de Faa’a-Nuutania connaissaient respectivement des taux d’occupation de 316,7 % et 211,7 %. OIP, coordination régionale outre-mer
Maison d’arrêt de Lyon-Corbas
A l’isolement pour surpopulation Depuis son arrivée à la maison d’arrêt de Corbas, le 18 mars 2013, Edgar G. fait l’objet d’une mesure « provisoire » d’isolement. « La surpopulation actuelle de l’établissement » ne permettant pas de le placer dans une cellule individuelle ordinaire, selon la direction interrégionale (DISP). Contactée par l’OIP le 27 mars, la DISP précise que ce motif n’est « qu’un des arguments » ayant justifié la mesure, et rappelle qu’Edgar G., appelé à comparaître aux assises pour complicité dans une affaire d’évasion « médiatisée », pose des « questions de sécurité ». Une circulaire du 14 avril 2011 précise pourtant qu’une
telle mesure doit « procéder de raisons sérieuses et d’éléments objectifs et concordants » permettant « de redouter des incidents graves de la part de la personne détenue concernée ou dirigés contre elle ». Des personnels de la maison d’arrêt ont confié à l’OIP que le taux de suroccupation est tel au sein de l’établissement (879 détenus pour 690 places au 1er février 2013) que l’encellulement individuel y est une « denrée rare ». Sont placées prioritairement seules en cellule les personnes présentant un risque « d’hétéro-agressivité » ou faisant l’objet d’une prescription médicale spécifique (par exemple un
appareil respiratoire bruyant). Un agent précise que la surpopulation pose des problèmes de surveillance des déplacements au sein de la détention. Dès lors, il « peut arriver » que des mesures d’isolement soient décidées, même si elles ne sont « pas justifiées par la personnalité du détenu », si la « surpopulation rend difficile le maintien de la sécurité ». De son côté, Edgar G. a engagé un recours, expliquant « ne pas supporter cette mesure qui [l’]affecte psychologiquement », alors qu’il doit préparer sa défense à quelques jours de son procès. OIP, coordination régionale Sud-Est
Centre de détention de Bapaume
Retenue abusive de courriers adressés par l’OIP à des personnes détenues La direction du CD de Bapaume a retenu pendant 2 mois des courriers relatifs au régime des fouilles intégrales, adressés par l’OIP à une vingtaine de personnes détenues. Chaque pli envoyé le 18 mars dernier contenait des extraits d’un jugement du tribunal administratif de Lille du 19 février 2013 annulant une note instituant un régime de fouilles systématiques dans l’établissement, ainsi qu’un article Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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de presse sur cette décision et un questionnaire visant à informer l’OIP de l’évolution des pratiques. La direction a justifié cette mesure aux détenus par « le caractère collectif de cette distribution [qui] peut s’apparenter à une action collective susceptible de provoquer un trouble au bon ordre ». Les destinataires des courriers ont été invités, conformément à la procédure, à formuler leurs observations,
sans que leur soit indiqués l’expéditeur ou le contenu approximatif. Si elle a finalement accepté de remettre une partie du courrier à ses destinataires, la direction retient encore à ce jour le questionnaire. L’administration prouve ainsi une volonté manifeste d’entraver l’accès des personnes détenues à la connaissance et à l’exercice de leurs droits. OIP, coordination régionale Nord
de facto
de facto Centre pénitentiaire de Longuenesse
Au quartier disciplinaire pour être seul en cellule Refusant d’intégrer une cellule surpeuplée, Martial B. se trouvait au quartier disciplinaire (QD) du CP de Longuenesse depuis 50 jours, le 13 juin 2013. Après avoir exécuté trois sanctions d’un total de 22 jours pour ses refus réitérés de partager une cellule individuelle, Martial B. reste depuis le 20 mai « de sa propre volonté » au QD. Il demande l’application des dispositions légales prévoyant l’encellulement individuel des condamnés en maison d’arrêt ou un transfert en cas d’impossibilité. Il précise accepter d’être orienté vers le centre pénitentiaire du Havre « malgré les 280 km qui le séparent du lieu de résidence des membres de [sa] famille ». Lors d’une audience, le 24 avril 2013, l’administration lui a signifié son incapacité à respecter la loi, le quartier maison d’arrêt de Longuenesse présentant
un taux d’occupation de 194,4 % (381 détenus pour 196 places au 1er avril). Il a expliqué pour sa part ne pas arriver à « accepter une présence avec lui en cellule ». Ce n’est pas faute d’avoir essayé de cohabiter, notamment avec son dernier codétenu, qu’il qualifie de « plus que correct », mais dont « les ronflements [l]’empêch[aient] de dormir ». Contactée le 10 juin, la direction a refusé de s’exprimer tant sur la situation de Martial B. que sur la surpopulation, qui perdure depuis plusieurs années – en 2011, le directeur de l’établissement indiquait déjà être « à 381 détenus et 58 matelas au sol pour 178 places ». Après 50 jours de QD, Martial B. a néanmoins indiqué à l’OIP être à bout de forces et avoir beaucoup maigri, faute de pouvoir cantiner pour améliorer ses repas. Il souffre du manque de lumière
le soir, l’ampoule électrique étant située dans le sas d’entrée et non dans la cellule disciplinaire, il ne dispose ni de radio ni de télévision, passe toutes ses promenades seul dans une petite cour grillagée et n’a droit qu’à un parloir par semaine. Les dommages causés par un isolement prolongé sont régulièrement soulignés par le Comité pour la prévention de la torture (CPT) du Conseil de l’Europe, qui préconise d’en limiter la durée à 14 jours : « L’isolement peut avoir des effets extrêmement dommageables sur la santé mentale, somatique et le bienêtre social des détenus, et ces effets dommageables sont susceptibles d’augmenter d’autant plus que la mesure se prolonge et que sa durée est indéterminée. » OIP, coordination régionale Nord
Centre de détention de Joux-la-Ville
Condamnée sans avocat à 30 jours de cellule disciplinaire L’assistance d’un avocat en commission de discipline n’est pas garantie au CD de Joux-la-Ville. Le 25 mars 2013, Christine R. a ainsi été sanctionnée de 30 jours de cellule disciplinaire, sans avoir pu bénéficier de l’assistance d’un conseil. Son propre défenseur s’étant déclaré indisponible, elle avait sollicité l’Ordre des avocats du barreau d’Auxerre pour qu’il désigne un avocat commis d’office. En vain. L’avocat « perdant de l’argent » s’il « se déplace au centre de détention de Joux-la-Ville pour un seul détenu », le barreau a suggéré à la direction de « regrouper les commissions », selon les explications de la bâtonnière à l’OIP. Mais la direction s’y est opposée, faisant valoir la priorité « d’apporter une réponse rapide à toute infraction à la discipline ». La bâtonnière a donc « refus[é] de missionner un confrère à ses frais ». Elle conclut : « le respect des droits d’un détenu, comme ceux de tout autre justiciable, ne doit pas s’exercer au détriment de l’avocat
et du droit qu’a ce dernier de refuser de travailler à ses frais ». Selon le compte-rendu d’incident, Christine R. aurait « mordu le premier surveillant L. à l’avant-bras » lors d’une intervention visant à lui faire réintégrer sa cellule, puis elle a été immédiatement placée au quartier disciplinaire. Christine R. indique avoir demandé l’« ajournement » de l’audience pour qu’elle se déroule en présence d’un avocat. Mais la direction de la prison a soutenu que « les audiences de détenus placés en prévention [au QD] ne peuvent être renvoyées ». Une assertion erronée puisque la circulaire de la DAP du 9 mai 2003 précise que « la circonstance que le détenu ait été placé préalablement en prévention ne saurait en soi justifier qu’il soit dérogé pour la suite de la procédure […] aux garanties édictées par l’article 24 de la loi no 2000-321 » parmi lesquelles figure le droit à l’assistance d’un avocat. Une telle pratique n’est
cependant pas exceptionnelle, car elle permet d’éviter de réintégrer le comparant en détention « ordinaire », un placement préventif au QD ne pouvant excéder 48 heures. Le 14 juin, Christine R. a saisi le tribunal administratif de Dijon pour obtenir l’annulation de cette sanction. L’article 91 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 dispose en effet qu’au cours de la procédure disciplinaire « la personne peut être assistée par un avocat choisi ou commis d’office, en bénéficiant le cas échéant de l’aide de l’Etat pour l’intervention de cet avocat ». Pour le Conseil constitutionnel, le texte « garantit » le droit de la personne à « être assistée d’un avocat au cours de la procédure disciplinaire » (décision du 19 novembre 2009, no 2009-593 DC). OIP, coordination régionale Sud-Est
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Tribunal administratif de Bordeaux
Condamnation pour usage inapproprié des menottes sur un patient détenu M.G. avait été contraint, par un policier chargé de l’escorter en ambulance, de rester couché sur un brancard, les mains menottées dans le dos, alors qu’il venait d’être victime d’un infarctus. Il a obtenu du tribunal administratif de Bordeaux, le 24 mars 2013 – 6 ans après les faits –, une indemnisation symbolique de 500 euros. Détenu à la maison d’arrêt de Poitiers,
M.G. avait été transféré en urgence au CHU de Bordeaux, avant d’être conduit 2 jours plus tard vers une unité de cardiologie de l’hôpital voisin de HautLévêque. C’est lors de ce transfert que le policier lui a imposé cette position dont « il ne pouvait ignorer la pénibilité », relève le tribunal. Alerté par l’OIP, le député de la Vienne Alain Claeys avait saisi la Commission nationale de
déontologie de la sécurité. Précisant que M.G. « ne présentait ni danger pour autrui, ni risque manifeste d’évasion », la Commission a considéré que le policier n’avait « pas fait preuve du discernement nécessaire ». La juridiction administrative s’est rangée à son avis pour accorder cette obole. OIP, coordination régionale Sud-Ouest
Centre pénitentiaire de Nouméa
Meurtre d’un détenu : 30 ans de réclusion pour les auteurs, rien pour l’administration Trois hommes responsables de la mort d’un de leurs codétenus ont été condamnés, le 14 juin 2013, à 30 ans de réclusion, assortis d’une peine de sûreté de 20 ans. La cour d’assises de Nouméa n’a pas entendu leurs avocats, qui ont dénoncé leurs conditions d’enfermement au centre pénitentiaire de Camp Est – ils se trouvaient à cinq dans une cellule de 12 m2 – et fustigé « une zone de non-droit où règnent des lois animales ». Un quatrième détenu impliqué s’était pendu quelques jours après les faits. Dans la nuit du 13 octobre 2011, alertés par des bruits entendus à travers la porte (dont l’œilleton est bouché),
les surveillants découvrent Suliano K. en insuffisance respiratoire, après les coups que lui ont infligés ses codétenus. Lorsque le Samu arrive, plus d’une heure après avoir été appelé, le patient ne respire plus. Une équipe du Contrôleur général des lieux de privation de liberté se trouve dans l’établissement au moment des faits : « Les personnes détenues sont entassées dans des cellules insalubres où elles subissent une sur-occupation […] atteignant 300 % dans le quartier de la maison d’arrêt. » La chaleur est « éprouvante », et sur le « sol crasseux et humide […] circulent des rats et des cafards ». Au vu de ces observations, le
Contrôleur avait usé pour la première fois, le 30 novembre 2011, de la procédure d’urgence pour dénoncer une situation qui, « par son ampleur, relève d’une violation grave des droits fondamentaux d’un nombre important de personnes ». Pour Jean-Marie Delarue, l’épisode dramatique survenu pendant le déroulement de la mission « ne saurait être dissocié des conséquences inéluctables que fait peser la sur-occupation de l’établissement sur les conditions de détention ». Un point de vue que la cour d’assises n’a pas pris en compte. Les condamnés ont fait appel. Les Nouvelles calédoniennes, 15 juin 2013 – OIP, coordination régionale outre-mer
Suicides au quartier disciplinaire : le DAP s’alarme… et ne fait rien « Depuis le 1er janvier 2013, on déplore déjà six suicides de personnes détenues placées au quartier disciplinaire, soit le même nombre que sur toute l’année 2012. » Dans une note du 28 mars 2013, le directeur de l’administration pénitentiaire (DAP) affiche sa préoccupation, mais n’en tire pas les conséquences. Il adresse aux chefs d’établissements « un message de mobilisation renouvelée », encourageant les personnels d’encadrement à maintenir davantage de contacts avec la personne sanctionnée Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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afin d’évaluer l’évolution de son état, non seulement à son arrivée au QD, mais aussi durant son séjour. En effet, « si le moment du placement en quartier disciplinaire constitue un moment particulièrement sensible […] plusieurs passages à l’acte suicidaire une semaine suivant le placement » ont été constatés. Un véritable plaidoyer pour l’abolition du QD au profit, par exemple, du confinement en cellule ou, à défaut, pour une réduction du quantum, conformément aux recommandations du Comité européen pour
la prévention de la torture, qui indique une durée maximale de 14 jours (contre 30 en France). Le DAP préfère rappeler les mesures du plan de lutte antisuicide élaboré par le ministère de la Justice en 2009 : « procédure d’accueil » lors de l’arrivée au QD, accès au téléphone et à la radio, promenade deux fois par jour. Des dispositions indispensables mais a minima et dont l’insuffisance a déjà été démontrée. Note du directeur de l’administration pénitentiaire du 28 mars 2013
de facto
ZOOM MARTINIQUE
Ducos : la poudrière martiniquaise Avec une moyenne de 9 m² pour 4 détenus, le centre pénitentiaire de Ducos est l’une des prisons les plus surpeuplées de France. Ouverte en 1996, elle est déjà très délabrée, le quotidien dans cet établissement étant marqué par l’oisiveté et la violence. Après une visite en avril 2013, le secrétaire général de l’UFAP se dit très inquiet, évoquant une « poudrière » et « une population pénale qui pourrait porter plainte tous les jours contre l’administration ».
Une moyenne de 9 m² pour 4 détenus Ouvert en 1996, le centre pénitentiaire (CP) de Ducos, seule prison de Martinique, « a rapidement souffert de surpopulation et de saturation de ses locaux », selon l’Agence publique pour l’immobilier de la justice. Parmi les plus surpeuplés de France, le CP accueille 969 détenus au 1er avril 2013, pour 569 places. Soit un taux d’occupation de 224 % au quartier maison d’arrêt et de 138,5 % au quartier centre de détention, les seuls quartiers échappant au surencombrement étant ceux dédiés aux mineurs et aux femmes. Environ 130 matelas à terre sont placés dans les cellules, où les détenus dorment au sol, côtoyant cafards, rats et autres nuisibles. Suite à sa visite en novembre 2009, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) a relevé que les « campagnes de dératisation et de désinsectisation menées régulièrement » étaient « de peu d’effet », les portes à clairevoie conçues pour faciliter la ventilation des locaux au vu du climat tropical laissant le passage « aux insectes et autres petits animaux, notamment cafards, araignées, crapauds, grenouilles, rats ». Pour s’en protéger, les détenus « sont obligés de disposer au sol des barrages faits de tissus, serviettes ou draps, et de boucher la base de la claire-voie avec des cartons ». En mars 2011, l’Agence régionale de santé relève « une habitabilité insuffisante », avec une moyenne de « 9 m2 pour 4 détenus et souvent plus1 ». Un détenu partageant à trois une cellule double décrit à l’OIP en octobre 2012 une superficie de 10,80 m2, déjà « assez étroite pour une seule personne, mais à 1 ARS, note relative au CP de Ducos, 29 mars 2011.
Cellule du quartier maison d’arrêt du CP de Ducos
trois c’est invivable. Les déplacements sont très difficiles. La cellule en forme de trapèze est occupée sur la longueur de 4,5 m par deux lits superposés, les w.-c. et une armoire, sur une autre longueur par une table et une armoire, et sur une troisième longueur par un matelas à terre, un frigo et une télévision ».
« On en a marre des usines à produire de la délinquance » En mars 2013, le syndicat FO-pénitentiaire local interpelle la garde des Sceaux sur la contradiction entre ses « discours philosophiques sur les aménagements de peine » et les pratiques en vigueur en Martinique, où « le régime PSE culmine à 81 places2 ». Le faible octroi d’aménagements de peine se pose dans l’ensemble de l’outre-mer, avec un taux moyen de 2 Tract du 14 mars 2013, « Taubira assassine-t-elle les personnels péniten tiaires de Ducos ? » Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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Banderole accrochée à l’entrée du CP de Ducos lors du mouvement des surveillants en avril 2013.
12,95 % d’aménagements par rapport aux effectifs de personnes condamnées, contre 21,43 % au plan national3. Le parquet de Fort-de-France justifie cette situation « par les contraintes spécifiques de la Martinique, en l’occurrence un taux de chômage élevé » (22 % des actifs) « et la difficulté de trouver un emploi ou une formation4 ». Dans une interview, un JAP précise qu’avant d’accorder un PSE, « on s’assure qu’il y a un contrat de travail, que toutes les enquêtes ont été menées auprès des victimes éventuelles, de la famille5 ». Pourtant, l’existence d’un contrat de travail ne figure plus depuis 2009 parmi les critères d’octroi, comme le rappelle le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) de Martinique6 : « La loi pénitentiaire offre la possibilité de faire reposer les projets d’aménagement de peine sur la notion “d’implication dans tout projet sérieux d’insertion ou de réinsertion” et consacre ainsi la possibilité d’adapter tout projet à un environnement socio-économique difficile en rappelant que la réinsertion ne se limite pas forcément à un emploi. » Les moyens du SPIP sont aussi en cause, avec 130 à 150 personnes suivies par conseiller. Tout comme ceux du service de l’application des peines, dont l’encombrement ne permet pas d’examiner les possibilités d’aménagement pour les courtes peines avant leur mise à exécution (en vertu de l’article 723-15 du Code de procédure pénale). Le délai légal d’examen de quatre mois ne pouvant être respecté, « un délai de six mois » a été instauré, au-delà duquel les peines qui n’ont encore pu être examinées « seront ramenées à exécution », indique le parquet. C’est ainsi qu’au 31 décembre 2011, 158 condamnés incarcérés à Ducos purgeaient une peine de moins d’un an de prison (soit 21,5 % des condamnés de cet établissement), sans compter les peines d’un à deux ans (chiffre non disponible), qui devraient égale3 4 5 6
DAP, Tableau de bord, au 31 mars 2013. Rapport sur l’exécution des peines, année 2010. « En prison, tout le monde veut un bracelet », 11 mai 2013. SPIP Martinique, Rapport d’activité, 2011.
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ment être examinées pour aménagement. Une situation qui fait dire au syndicat UFAP : « On en a marre des usines à produire de la délinquance […] On veut désengorger les prisons mais sans mettre les moyens derrière. On marche sur la tête !7 » A la « situation chronique de surencombrement de l’établissement » évoquée par le sénateur Maurice Antiste dans une question au gouvernement, le ministère de la Justice répond par un rappel du projet d’extension du CP visant à construire 160 places supplémentaires d’ici au premier semestre 20148. Un nombre de places qui ne couvre pas même le surnombre actuel de 400 détenus.
Le bruit et la saleté En attendant, les conditions de détention au centre pénitentiaire sont marquées par la promiscuité et l’insalubrité de certaines unités. Au quartier CD, des détenus ont fait observer aux contrôleurs « la saleté des murs » de leur cellule. Certains ont obtenu de la peinture pour les rénover. D’autres ont « mis en place des morceaux de carton ou de mousse le long de leur lit pour ne pas être en contact avec les murs, tant ils sont noirs de crasse ». Les cellules n’étant pas dotées de douches, ces dernières sont situées soit en plein air dans les cours de promenade, soit dans les locaux de détention, mais ne sont alimentées qu’en eau froide. Certaines cours s’avèrent particulièrement exiguës, telle celle du « quartier d’accueil », dont le sol en terre battue devient impraticable au cours des « averses violentes et fréquentes ». Au cours de leur visite, les contrôleurs ont également été frappés par le « bruit continuel régnant dans les unités de vie », du fait de la conception des locaux, des cris des détenus, d’un usage permanent des appareils radio ou des téléviseurs. Il apparaît « très difficile de suivre une conversation », et les détenus ne supportant plus le niveau sonore ne peuvent « rien dire à ceux qui en sont les auteurs, sous peine de 7 France-Antilles Martinique, 3 décembre 2012. 8 JO Sénat, 29 novembre 2012.
ZOOM MARTINIQUE représailles. Il a été indiqué qu’un détenu aurait récemment été tabassé après avoir demandé un peu de calme9 ».
« Un ennui général par manque d’activité » Les contrôleurs ont aussi constaté « un ennui général par manque d’activité, hormis la promenade du matin et celle de l’après-midi », de 1 h 30 chacune dans des cours non équipées (hormis celle du quartier des femmes). Seul le quartier mineurs apparaît bien doté, permettant aux jeunes de ne rester confinés en cellule qu’au moment des repas et en soirée à partir de 17 heures. Au quartier maison d’arrêt des hommes, le contrôleur signale « des délais longs pour accéder aux quelques activités proposées ; plusieurs détenus entendus attendaient depuis trois mois la possibilité de faire du sport et de la musculation ». « La salle de musculation est bondée, la cour de promenade est minuscule », confirme un détenu libéré fin 201210. Un autre écrit à l’OIP en octobre 2012 qu’il passe avec ses codétenus 22 heures sur 24 en cellule : « On s’est inscrits pour l’école mais on est toujours en attente. » Le rapport du Contrôleur indique en effet que seuls « 80 détenus (soit 9,3 % de la population pénale) sont inscrits à l’école ». Il relève qu’« une liste d’attente importante concerne le cours de FLE [français langue étrangère], quarante candidats ayant postulé pour vingt places ». Le responsable local de l’enseignement indique pourtant que les détenus sont « assidus et qu’il n’enregistre que peu de démissions », ainsi qu’un taux de réussite au CFG de 84 %. En matière de formation professionnelle, des efforts engagés depuis plusieurs années se poursuivent en 2013, avec la signature le 6 mai d’une convention avec le Conseil régional finançant « un programme de 13 actions de formation qui bénéficiera à 224 détenus pour un coût évalué à plus de 500 000 euros » visant à « préparer à la réinsertion socioprofessionnelle effective des détenus après leur libération11 ». « Le pécule d’indigent de 20 euros que je reçois par mois est amputé de 6 euros pour participer aux frais de TV et de frigo », signale un détenu à l’OIP en août 2012. Nécessaire pour une grande majorité des personnes sans ressources, l’accès au travail fait considérablement défaut. Au 18 septembre 2012, seules 146 personnes travaillaient, soit 15 % des détenus. Selon la direction du centre pénitentiaire, le temps d’attente moyen est de quatre mois et le nombre de détenus en attente de travail se situe « en général entre 40 et 50 ». Sans compter les nombreux rejets (228 au 1er semestre 2012) motivés, selon la direction, de manière « décroissante », par « la situation générale, le comportement, la prématurité de la demande, une raison médicale ou un profil inadapté au poste12 », alors que seuls ces deux derniers critères devraient être pris en compte. 9 CGLPL, Rapport de visite au CP de Ducos (Martinique), novembre 2009. 10 www.clakzundgo.com « Un colmarien témoigne : la prison à la Martinique... indigne », 29 novembre 2012. 11 Communiqué Serge Letchimy, président du Conseil régional, 26 mai 2013. 12 Réponse de la direction du centre pénitentiaire à l’OIP, 18 septembre 2012.
« Malgré tous mes efforts en détention, j’ai fait une demande pour travailler ou pour suivre une formation, et je n’ai pas eu de réponse jusqu’à ce jour », écrit un détenu le 24 avril 2013. Placé sur liste d’attente depuis presque deux ans, il s’est vu refuser deux mois de réduction supplémentaire de peine au motif qu’il « ne manifeste aucun effort sérieux de réadaptation sociale ».
« Des agressions multiples » L’oisiveté au CP de Ducos est souvent désignée comme facteur d’un climat de violence : « Il y a un gros effort à faire sur les activités des détenus car quelqu’un d’inoccupé fait forcément des bêtises », déplore le secrétaire local de FO-pénitentiaire fin 201113. En décembre 2012, c’est au tour du sénateur Antiste d’interpeller la ministre de la Justice sur les « agressions physiques multiples du fait de la promiscuité intolérable14 ». Un détenu écrit en janvier 2013 à l’OIP qu’au quartier centre de détention, les surveillants ouvrent l’unité de vie « à 6 h 30 et disparaissent le plus souvent jusqu’à l’heure des repas. Personne ne peut alors signaler les agressions ou les bagarres. J’avais commencé une 2e année de BTS, j’ai été suspendu alors que j’ai été victime d’une agression avec un objet pointu et dangereux ». En avril 2013, le secrétaire général de l’UFAP déclare, suite à une visite du centre pénitentiaire : « J’ai été à Ducos, il y a cinq à six détenus dans 8 ou 9 m2, avec des matelas au sol et même sur les armoires, avec une promiscuité totale. On n’est pas à l’abri d’un crime entre eux ou d’une agression mortelle à l’égard d’un personnel. Je suis extrêmement inquiet. C’est pire qu’une poudrière. On a une population pénale qui pourrait porter plainte tous les jours contre l’administration. Il y a aussi de la drogue, de l’alcool et des téléphones qui circulent.15 » Quarante kilos de stupéfiants et 150 litres d’alcool ont en effet été saisis en 2011.
Des mouvements liés à « un mécontentement latent » La situation du CP de Ducos est à l’origine de mouvements collectifs de détenus, tel celui survenu le 2 mai 2011 au quartier centre de détention. Suite à une fouille sectorielle d’une unité de vie réalisée dans le cadre d’un plan local « de lutte contre les violences en détention », des détenus se barricadent au sein de l’unité, « interdisant l’accès aux membres du personnel ». Dans un courrier au garde des Sceaux, le directeur interrégional souligne que « la fouille semble avoir servi de déclencheur à un mécontentement latent lié à la situation critique connue par cet établissement, en raison d’un surencombrement extrêmement important ». Il en décrit les conséquences sur les « conditions d’hébergement des détenus » et « l’ensemble du fonctionnement du CP (cuisines, parloirs, activités, cantines…) » et estime « impératif de ne plus dépasser 13 « Promiscuité inacceptable à la prison de Ducos », France-Antilles Martinique, 14 octobre 2011. 14 France-Antilles Martinique, 3 décembre 2012. 15 France-Antilles Martinique, 8 avril 2013. Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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à l’avenir un chiffre considéré comme critique de détenus présents en détention16 ». Suite à ce mouvement, six détenus considérés comme « meneurs » sont transférés au CP de BaieMahault en Guadeloupe. Des transferts réalisés en l’absence de procédure disciplinaire, privant les intéressés de visites au parloir. Parmi eux, un détenu conteste avoir participé au mouvement collectif, ce dont il aurait souhaité s’expliquer lors d’un débat contradictoire en commission de discipline. Des largesses prises avec la procédure disciplinaire sont soulignées dans le rapport de visite du Contrôleur général. Il signale de longs délais « entre l’établissement du compte rendu d’incident et le passage en commission » (plus d’un mois et demi pour près de la moitié des cas examinés par le CGLPL). Une situation qui entraîne « la mise en place de pratiques non conformes consistant par exemple à priver les détenus à l’origine d’incidents mineurs d’accès à la cour de promenade en les confinant à la courette de leur unité. Une autre sanction pèse sur les détenus des UV 1 et 2 qui peuvent se voir transférés dans une unité fermée17 ». Des pratiques également dénoncées dans une pétition du 19 avril 2012 signée de 136 détenus, qui signalent le « confinement en courette suite à un bonnet oublié ou un retard sous les douches, sans présentation au prétoire, sans moyen de protestation ou de défense ». Dans la même pétition, les détenus protestent contre des conditions de vie « plus qu’insupportables », avec une promenade considérée comme « une fausse ouverture d’une heure durant laquelle une quarantaine de détenus doivent jouer des coudes dans une cour ne comptant que 4 douches, […] un manque de suivi médical, […] des repas très peu variés au goût plus que douteux, […] des cantines alimentaires trop chères ». Appuyés par l’OIP, plusieurs dizaines de détenus de Ducos ont engagé à partir d’octobre 2012 des recours contre l’indignité de leurs conditions de détention devant les juridictions administratives. Avocat au barreau de Fort-de-France, Me Philippe Sénart a accepté de les représenter : le tribunal administratif « peut donner un grand coup de pied dans la fourmilière ou balayer tous nos arguments », estime-t-il18. Côté ministériel, une mission a été confiée le 9 avril 2013 à Isabelle Gorce, magistrate ayant exercé des fonctions à la direction de l’administration pénitentiaire, sur « les difficultés de prise en charge de la population pénale » au CP de Ducos. Elle a transmis ses conclusions à Christiane Taubira le 19 juin, ayant indiqué dès le 18 mai réfléchir autour de trois axes : « La capacité matérielle de l’établissement (160 places supplémentaires pour début 2015) ; l’activité judiciaire avec l’accroissement des aménagements de peines et des alternatives à l’incarcération ; et le développement des partenariats. » Elle annonce un « avis indépendant et non soumis à une quelconque contrainte économique ». Sarah Dindo et François Bès (coordinateur régional outre-mer) 16 Courrier MSPOM du 3 mai 2011. 17 CGLPL, op.cit., novembre 2009. 18 www.clakzundgo.com, op.cit., 29 novembre 2012. Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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8 000 kilomètres pour deux heures de parloir : un privilège Je suis partie de métropole pour aller au centre pénitentiaire de Ducos voir mon fils incarcéré depuis décembre 2012. J’avais pris contact avec le SPIP afin d’être certaine d’obtenir des parloirs et aussi de pouvoir bénéficier de parloirs doubles. Il est très difficile d’obtenir quelqu’un au téléphone quelle que soit l’heure. Lorsque enfin j’obtiens le SPIP, on me demande de prévoir mon voyage d’ici une quinzaine de jours afin qu’il soit possible de réserver des parloirs sinon je ne pourrai pas en avoir ! Une semaine avant mon départ, je reçois un e-mail du SPIP me confirmant que j’aurai trois parloirs dont deux prolongés. J’arrive le mercredi matin une demi-heure à l’avance comme cela m’était demandé. Alors que le parloir est prévu à 9 h 15, nous sommes encore à attendre à l’extérieur de la prison que le gardien nous autorise l’entrée du centre pénitentiaire. Nous passons toutes sous un portique et sommes obligées pour certaines d’ôter nos chaussures qui provoquent l’alarme, puis on nous fait attendre dans une cage, ensuite un gardien nous appelle par le nom du détenu et nous donne un numéro de parloir. Les parloirs sont tous dans une même pièce, certains sont séparés par un muret d’un mètre à peu près. Nous voyons les prisonniers arriver un à un et chacun s’installe dans son « carré ». Au bout d’une demi-heure, un gardien vient nous dire qu’il ne nous fera pas sortir puisque nous avons un parloir prolongé. Nous poursuivons nos échanges en prenant notre temps puisque nous savons que le parloir doit durer jusqu’à 11 h 00. A 10 h 20, un gardien vient nous dire que c’est fini et qu’il faut sortir. Je lui précise que nous avons un parloir prolongé jusqu’à 11 heures mais le gardien, sans me regarder et sans me répondre, me demande à nouveau de sortir. Comme c’est la première fois, je n’ose pas insister et je m’en vais. Le lendemain, mon parloir est à 7 h 15 et, comme la veille, nous attendons sans trop savoir pourquoi le signal du gardien, il est 7 h 40 quand enfin nous pénétrons dans le centre pénitentiaire. Comme la veille notre parloir doit durer jusqu’à 9 heures, mais on me demande à nouveau de sortir alors qu’il n’est que 8 h 30. Cette fois-ci, je conteste. Le gardien ne me répond pas et ne me regarde pas. J’insiste et il finit par me répondre que je bénéficie d’un privilège puisque j’ai pu rester un quart d’heure de plus. Je lui fais remarquer que j’ai fait 8 000 km pour voir mon fils, que la semaine suivante je ne serai pas là pour d’autres parloirs, que je ne suis pas là pour l’embêter, etc. Mais les gardiens arrivent à plusieurs, ils encerclent mon fils tandis que je suis ramenée à la cage ou toutes les autres femmes sont là. J’ai parcouru deux fois 8 000 km pour soutenir mon fils, je ne l’ai vu que deux heures en tout et pour tout. Et on me dit que c’est un privilège ! Mère de détenu, 15 avril 2013
dossier
« ILS SONT NOUS » PARCOURS DE VIE D’ANCIENS DÉTENUS
« Ils sont nous » Parcours de vie d’anciens détenus
© Sylvain Gouraud
Photos : des visages ordinaires Sylvain Gouraud a conduit un atelier de photographie à la maison d’arrêt de Fleury Mérogis en 2012. L’ensemble des images qui illustrent ce dossier, sans lien avec les personnes interviewées, sont issues de ce travail. « Jouer avec les masques
plutôt que les subir », dévoiler les visages derrière les bandeaux et le floutage, pour faire tomber « les clichés et les fantasmes » (Libération, 13 avril 2013). Tel est l’exercice proposé par le photographe, auquel se sont livrés dix détenus de la maison d’arrêt.
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dossier
« Ils sont nous »
Parcours de vie d’anciens détenus « La prison voudrait nous faire croire que l’homme qu’elle contient ne nous ressemble plus1 », écrivait le fondateur de l’OIP. Pour lutter contre cette dissolution de l’homme dans le prisonnier, il faut accepter de regarder de plus près les parcours singuliers des personnes cachées derrière les termes génériques de « délinquant » ou « détenu ». Vouloir comprendre comment, derrière des statistiques et des faits divers, se forge un parcours délinquant et comment, au croisement de facteurs personnels et sociaux, la prison survient dans une existence. Et enfin voir les traces qu’elle y laisse…
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inq personnes ayant connu la prison ont accepté
de parler. De leur vie avant, pendant et après. Chacune livre de son parcours un aperçu nécessairement subjectif, dont les creux et les zones d’ombres disent autant que ce qui est exposé. Autant d’histoires que de personnes, pour tenir à distance lieux communs et idées reçues, pour échapper à toute tentative de simplification. Comment Marie-Hélène, coiffeuse, née dans une famille « très normale » bascule en quelques minutes dans le meurtre de l’homme qui la maltraitait. Comment Olivier, cadre bancaire, devient un multirécidiviste incapable de lutter contre ses « failles psychologiques ». Comment Virginie, trouvant dans l’alcool un refuge contre la misère et la maladie, atterrit en prison pour ne pas avoir su respecter son obligation de soins. Comment Yazid et Philippe, qui ont très tôt connu la prison, sont finalement devenus consultant en prévention urbaine pour l’un et animateur sportif pour l’autre. L’exercice, inspiré de la technique du récit de vie, contribue à ce que chacun se réapproprie son histoire : « Se raconter, c’est se donner la possibilité de regarder son parcours de vie avec toute l’intelligence que l’on a de sa situation, d’y apporter sa capacité réflexive.2 » Ce regard des intéressés sur leur propre cheminement donne chair aux statistiques… et tord le cou à bien des préjugés.
L’appel au secours d’adolescents Yazid et Philippe décrivent la trajectoire d’adolescents révoltés, dont les appels au secours n’ont pas été entendus : les délits sont « une façon de dire ‘j’existe, occupez-vous de moi’, mais personne ne le voit de cet œil ». Tous deux ont grandi dans des cités « reléguées », dans des milieux sociaux « qui n’avaient pas beaucoup de confort ». Comme pour illustrer 1 B. Bolze, in 70 affiches pour le droit à la dignité des prisonniers ordinaires, 1993. 2 C. Laviolette, « Récits de vie : construction de sens et de liens », Les Politiques sociales, no 1 et 2, 2013. Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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néanmoins que l’environnement ne justifie pas tout, ils mentionnent l’un comme l’autre avoir été les seuls de leur fratrie à « déraper ». « Au début, je crois que j’aurais bien voulu être honnête, mais avec l’absence de place dans ma famille, l’échec scolaire, le sentiment d’être un nul, et la délinquance à portée de main dans mon quartier, je n’ai pas vu d’autre issue », résume Yazid Kherfi. « Je me suis mis dans la tête que j’étais un mauvais, et je me suis comporté comme tel. » Philippe raconte comment, adolescent en quête d’identité, « la rage et la haine » l’entraînent dans un enchaînement de délits de plus en plus graves. Et comment il a été mis à l’écart à l’école dans une « classe poubelle3 » : « pour eux, j’étais perdu ». Dans des situations de décrochage scolaire, observe Maryse Esterle-Hedibel, « le recours à l’indiscipline, à l’insolence, peut être utilisé par les élèves comme moyen de se construire une identité, déviante par rapport aux normes scolaires, mais conforme par rapport aux normes juvéniles. Fragilisés dans le système scolaire, ils deviennent des ‘outsiders’4 ». De tels parcours font écho aux données recensées sur l’histoire familiale et sociale des personnes détenues : « près de quatre détenus sur dix ont un père né à l’étranger ou dans les anciennes colonies ; plus du quart ont quitté l’école avant d’avoir 16 ans, les trois quarts avant 18 ans ; un détenu sur sept est parti [du domicile parental] avant 15 ans, la moitié avant 19 ans (soit trois ans de moins que pour l’ensemble des hommes), 80 % avant 21 ans ; un détenu sur sept n’a jamais exercé d’activité professionnelle, un sur deux est ou a été ouvrier, contre un sur trois dans l’ensemble de la population5 ». Autant de facteurs constitutifs d’une « position socio-économico-culturelle faible », explique le psychologue Michel Born, faisant courir le risque à ceux qui l’occupent « de 3 M. Esterle-Hedibel, « Absentéisme, déscolarisation, décrochage scolaire, les apports des recherches récentes », Déviance et Société, 2006/1. 4 Ibid. 5 F. Cassant, L. Toulemon, A. Kensey, « L’Histoire familiale des hommes détenus », Insee, no 706, avril 2000.
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ne pas profiter de l’offre positive de[s] institutions mais de se voir confrontés à leurs aspects discriminatoires et à leurs fonctions de contrôle et de sanction6 ». Si la déscolarisation marque souvent la première étape d’un processus de « désafiliation », d’autres formes de rejet ou d’exclusion suscitent des mécanismes de défense similaires. La discrimination à laquelle se trouvent confrontés certains jeunes – dans leurs relations aux forces de l’ordre, dans leur accès à l’emploi… – peut les conduire à poser, par leurs actes délinquants, « la question de la place que la société veut bien leur accorder », témoigne Béatrice Asencio, conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP). Dans des quartiers marqués par une grande précarité, une insertion dans la société « dominante » paraît largement inaccessible. Dès lors, « la délinquance peut être considérée comme une stratégie revalorisante. […] une sortie de l’impasse, une possibilité de ‘paraître’, de devenir quelqu’un7 ».
étions sept enfants. Mes parents savaient que je faisais des petites conneries, mais sans plus, à chaque fois, je recevais une dérouillée. Mon père ne savait pas parler. » Aujourd’hui consultant en prévention urbaine, Yazid Kherfi s’entend souvent interpeller par des parents démunis (« A part taper nos enfants, qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ? ») et s’insurge contre le cliché des « parents démissionnaires ». Il insiste sur le fait que ces familles sont avant tout en difficulté. Une opinion qui rejoint le constat dressé il y a plus de dix ans par une commission d’enquête sénatoriale consacrée à la délinquance des mineurs : « pour de nombreuses familles, l’urgence reste la gestion de préoccupations immédiates, notamment le gîte et le couvert. Cette situation fait de certains parents, malgré eux, le triste exemple d’une insertion sociale en apparence vouée à l’échec. […] Dans ce contexte, la supervision parentale ne se fait plus8 ».
Beaucoup ont eu « des débuts de vie chaotiques, ont connu des ruptures traumatisantes : parents violents ou absents, rencontre avec une institution vécue comme maltraitante, échecs lors de placements… », rappelle Béatrice Asencio. « Dans ma famille, nous
Même en rupture, même à la dérive, ces adolescents éprouvent des besoins très classiques à leur âge : « on essaye de se construire, analyse Philippe, ça passe par les copains, on s’attache à un groupe ». Yazid renchérit : « Comme je ne me sentais pas aimé chez moi, j’ai eu tendance à traîner en bas de l’immeuble. […] Les seuls qui me reconnaissaient, c’étaient les voyous. Si bien qu’ils sont devenus ma famille : la bande
6 M. Born, Psychologie de la délinquance, De Boeck, 2005. 7 H. Malewska-Peyre, 1997, citée in L. Mucchielli, « La Place de la famille dans la genèse de la délinquance », Regards sur l’actualité, 2001.
8 Délinquance des mineurs : la République en quête de respect, Rapport de la commission d’enquête de MM. Jean-Pierre Schosteck et Jean-Claude Carle, 27 juin 2002.
Familles éclatées ou familles démunies
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dossier me protégeait et me permettait d’exister. » Ces groupes, précise le sociologue Laurent Mucchielli « constituent dans certaines situations des cadres d’initiation à la petite délinquance. Ce sont souvent des jeux et parfois des rites initiatiques ou des façons d’affirmer son courage avant même de devenir, éventuellement, des sources de revenus ou d’acquisition de biens de consommation que leurs parents ne peuvent pas leur offrir9 ».
Accidents de parcours Il se trouve aussi parmi les personnes confrontées à la justice des gens au parcours « bien rangé », socialement conformes, et qui peuvent soudainement basculer. Marie-Hélène, née dans une famille « très normale », est coiffeuse, mariée, a un enfant. « A l’âge de 40 ans, ma vie a pris un tournant. » Sous l’emprise d’un homme violent, elle endure dix-huit années de maltraitance, avant de le tuer : « Je pense que j’ai eu un réflexe de défense, d’élimination de la menace. Mais je n’avais jamais pensé de ma vie pouvoir tuer quelqu’un. » Le psychiatre JeanLouis Senon rappelle à cet égard qu’il « nous faut admettre que la violence, la haine, la rage, la jalousie, sont des sentiments humains dont nous sommes tous porteurs et qui peuvent conduire, dans certaines circonstances, au passage à l’acte criminel. En chacun d’entre nous, il y a du clair et de l’obscur10 ». D’autres font face à des troubles intérieurs qu’ils ne parviennent plus à maîtriser. C’est le cas d’Olivier, cadre bancaire, qui « menai[t] la vie, à la fois banale et assez heureuse, d’un homme rangé ». Se refusant à indiquer les délits à l’origine de sa chute, il évoque « une faille psychologique personnelle » l’ayant conduit à « un comportement inapproprié ». Il a près de la cinquantaine lorsqu’il est interpellé pour la première fois. « Les articles dans la presse ont fait un mal considérable. Tout mon entourage, y compris professionnel, en a pris connaissance, c’était extrêmement stigmatisant. Mon employeur m’a obligé à démissionner. »
Justice maltraitante, prison « Pôle emploi de la délinquance » « Lors de mon interpellation, poursuit le cadre déchu, j’ai eu le sentiment d’être rabaissé, piétiné. Ce n’est pas comme ça que l’on va rétablir les gens. » En amont comme en aval de la prison, l’intervention de l’institution judiciaire n’a pas eu d’effets positifs sur les trajectoires qui nous sont racontées. Virginie avoue « ne rien [avoir] compris » de sa condamnation. Déjà fragilisée physiquement et psychologiquement par sa dépendance à l’alcool, elle conclut : « la prison m’a tuée, achevée. Mon problème n’avait rien à voir avec la prison, j’aurais dû aller à l’hôpital ». L’idée d’une prison dissuasive apparaît également théorique : « On n’y pensait pas. » Le passage en détention devient même une clé de reconnaissance entre pairs délinquants : « lorsque je suis arrivé en prison, j’étais content de faire enfin partie des durs », affirme Yazid Kherfi, décrivant l’incarcération comme un « accident du travail » lui ayant permis de perfectionner sa 9 L. Mucchielli, « La Place de la famille dans la genèse de la délinquance », op. cit. 10 Entretien in Dedans-Dehors no 74-75, décembre 2011. Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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technique. « J’ai raconté que je m’étais fait prendre à cause d’un signal d’alarme, et les détenus m’ont orienté vers le spécialiste des alarmes. La prison, c’est le Pôle emploi de la délinquance, il y a tous les corps de métiers sur place. » Les études – françaises11 comme internationales12 – confirment inlassablement l’effet criminogène de l’emprisonnement, qui agit négativement sur les facteurs de commission d’infractions (perte d’emploi, de domicile, des minima sociaux, fragilisation des liens sociaux, etc.). « Lorsque la réaction de la société à l’égard des déviants consiste à les stigmatiser, les écarter et les exclure, ceux-ci n’ont plus que des occasions limitées d’atteindre au respect de soi et d’appartenir à la société classique ; mais ils sont les bienvenus dans les sous-cultures regroupant les parias stigmatisés de façon similaire13 », analyse le criminologue John Braithwaite.
Ne pas être réduit à sa délinquance passée « Je m’en suis sorti, affirme Philippe, parce que j’ai voulu prouver que je pouvais ne pas être réduit à ma délinquance passée ». Son engagement bénévole dans un club sportif et dans des actions de sensibilisation autour du handicap lui en donne l’occasion. « La sortie de délinquance est une question de rédemption personnelle, pas forcément dans le sens spirituel ou théologique du terme, mais plutôt au sens de trouver une façon de réparer un passé troublé et troublant en participant de façon positive à la vie de la famille ou de la collectivité14 », écrit le chercheur écossais Fergus McNeill. Le déclic, pour Yazid, vient lorsque témoignent en sa faveur le maire de sa commune et « plusieurs personnes, venues dire que je n’étais pas un ‘irrécupérable’. C’était la première fois de ma vie que j’entendais que je pouvais être un type bien ». Le chercheur Shadd Maruna évoque le « concept de Pygmalion15 » pour décrire la rencontre décisive avec une personne ou une institution qui redonne à l’individu le sens de sa propre valeur. Ce processus sera facilité s’il est reconnu par les autres, et plus particulièrement par les autorités ayant condamné l’acte, entérinant un « dés-étiquetage ». « Il ne suffit pas que pour s’amender une personne accepte la société conventionnelle, il faut également que la société conventionnelle reconnaisse le changement intervenu chez cette personne », souligne Shadd Maruna. Une interaction dont témoigne Yazid Kherfi, qui apporte la preuve « qu’on peut avoir été délinquant et changer, quand le regard posé sur vous change ». Barbara Liaras 11 A. Kensey, A. Benaouda, « Les risques de récidive de sortants de prison. Une nouvelle évaluation », Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques, no 36, mai 2011. 12 Par exemple P. Smith, P. Goggin et C. Gendreau, Effets de l’incarcération et des sanctions intermédiaires sur la récidive, Rapport pour spécialistes 2002-01, Ottawa, Solliciteur général Canada. 13 J. Braithwaite, 1989, cité dans S. Maruna et T. LeBel, « Approche socio-psychologique des sorties de délinquance », in M. Mohammed, Les Sorties de délinquance, La Découverte, 2012. 14 In M. Mohammed, Les Sorties de délinquance, op.cit. 15 S. Maruna, T. LeBel, « How Former Prisoners Desist from Crime and Why It Matters for Reintegration », in Insertion et désistance des personnes placées sous main de justice, L’Harmattan, 2012.
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« Repris de justesse » Désigné comme un « bon à rien » dans sa famille, puis à l’école, Yazid Kherfi a trouvé dans la bande de jeunes « voyous » une seconde famille, un moyen d’exister et d’être valorisé. Après 15 ans de vols et braquages, il est devenu animateur social, puis consultant en prévention urbaine. Il interpelle institutions et professionnels sur la nécessité d’entendre l’appel au secours des jeunes délinquants des quartiers.
Pourriez-vous décrire comment vous viviez avant d’avoir affaire à la justice ? Est-ce que vous aviez des problèmes familiaux, sociaux, économiques… ? Dans ma famille, nous étions sept enfants, j’avais trois frères et trois sœurs. Je suis le seul à être devenu délinquant, à avoir risqué ma vie. J’étais le moins aimé, en tout cas je me suis mis dans la tête que mes parents préféraient mes frères et sœurs. Les deux aînés étaient les plus valorisés, et puis le frère qui est arrivé juste 10 mois après moi était handicapé à la naissance, mes parents se sont donc plus occupés de lui. Tous me renvoyaient une image négative, ils disaient que j’étais le bon à rien de la famille. Comme je ne me sentais pas aimé chez moi, j’ai eu tendance à traîner en bas de l’immeuble. Nous habitions dans une cité du Val-Fourré à Mantes-la-Jolie, où les jeunes de mon âge que je retrouvais dans le hall étaient déjà dans un parcours délinquant. Ils vivaient la même situation dans leur famille, ils se sentaient stigmatisés comme « l’enfant mauvais ». A l’école, j’allais les retrouver au fond de la classe : ils n’écoutaient pas, je n’écoutais pas ; ils foutaient le bazar, je foutais le bazar. J’ai redoublé le CE2, puis le CM2, je n’avais pas le niveau pour aller au collège et j’ai été envoyé en sixième dans une autre école en classe de transition, où se retrouvaient tous les « voyous » du coin. Stigmatisé dans ma famille, puis à l’école, je me suis mis dans la tête que j’étais un mauvais, et je me suis comporté comme tel. Comme délinquant, je devenais enfin quelqu’un, j’étais valorisé dans la bande, et même dans le quartier. Comment étiez-vous valorisé dans le quartier ? Comme un caïd, un dur, quelqu’un qu’on respecte. Le problème dans les quartiers, c’est aussi qu’on donne une image positive des voyous, dans les films qu’on regarde aussi ! Et même si c’est aussi un appel au secours, une façon de dire « j’existe, occupez-vous de moi », personne ne le voit de cet œil. Il y avait aussi une sorte de compétition dans la bande : pour monter dans la hiérarchie, il fallait faire pire que les autres. Je me suis ainsi embarqué dans un parcours de délinquant,
Yazid Kherfi est consultant en prévention urbaine, enseigne à l’université et continue d’agir auprès des jeunes des quartiers en difficulté. Il a écrit avec Véronique Le Goaziou « Repris de justesse », éd. La Découverte. Son site : www.kherfi.fr
depuis l’âge de 15 ans jusqu’à 30. Mon métier c’était voleur, j’avais décidé de gagner ma vie en volant les autres. Il y a eu un choix personnel, une décision ? Au bout d’un moment, oui, il y a eu une décision, je rêvais d’être un grand gangster. Mes modèles étaient Mesrine, Spaggiari… et les grands voyous du quartier, qui ont tous fini en centrale ou au cimetière. Mon meilleur ami qui m’a appris à voler est mort à côté de moi quelques années plus tard avec une balle dans la tête. Les gendarmes nous ont tiré dessus après un braquage. Moi, je n’ai fait que cinq ans de prison. Quand j’étais mineur, je ne me suis jamais fait attraper, malheureusement quelque part. J’aurais vraiment eu besoin d’un éducateur, quelqu’un qui s’occupe de moi et se dise « tiens, il est différent de ses frères et sœurs, il doit y avoir un mal être derrière ». Il ne s’est rien passé pendant votre minorité, personne n’a réagi ? Il m’est arrivé de me faire attraper en train de voler au supermarché, je me faisais engueuler et puis c’est tout. Je suis aussi allé quelques fois en garde à vue, mais on me relâchait et il ne se passait rien. La première fois que j’ai été incarcéré, j’avais 18 ans. Avec les copains, comme on ne partait jamais en vacances avec nos parents, on était pauvres, on a décidé Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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dossier « Dans ma famille, ils disaient ‘toi tu ne seras rien plus tard’. Aujourd’hui, je suis celui qui a le plus de diplômes. J’étais en échec scolaire, je suis prof à l’université. J’étais détenu, à présent je travaille en prison. Les policiers me couraient derrière, maintenant je leur cours après pour leur donner des formations. »
les conditions de détention, la surpopulation, la façon dont la justice nous traite : on ressort avec plus de haine. Le pire, c’était de partager ma cellule avec d’autres détenus. Le jour où tout le monde sera en cellule individuelle, à mon avis, il y aura moins de récidive. Si tu n’es jamais seul, avec la télé allumée toute la journée, tu ne peux pas réfléchir sur toi-même, faire le bilan de ta vie et d’où tu en es. A la finale, un sortant de prison, il s’est fait plein de copains délinquants, il a appris à mieux voler et il a plus de haine. Il est encore plus mal perçu par les gens honnêtes, et encore plus valorisé par les délinquants. Et les problèmes qu’il avait en entrant en prison sont toujours là. Que s’est-il passé après votre dernière condamnation ?
en plein été de voler une voiture et de partir à la Baule en Bretagne. Mais quatre arabes dans une voiture volée, on s’est fait arrêter, direction la prison de Nantes. Comment avez-vous vécu cette arrivée en prison ? D’un côté, j’étais triste parce que j’ai pensé à mes parents qui allaient avoir honte. Mais en même temps, j’étais content de faire enfin partie des « durs ». Jusque-là, mes copains se moquaient de moi en disant que je n’avais pas fait de taule et que je ne savais pas ce que c’était. Là, j’avais mon nom dans le journal, j’existais. Comment ont réagi vos parents ? Ils savaient déjà que vous étiez « voleur » ? Ils savaient que je faisais des petites conneries, mais sans plus, à chaque fois je recevais une dérouillée. Mon père me tapait tellement fort que j’étais à moitié assommé, il ne savait pas parler. Les parents de délinquants que je rencontre le disent encore : « A part taper nos enfants, qu’est ce que vous voulez qu’on fasse ? On aimerait bien déménager mais on n’a pas les moyens, c’est pas de ma faute si en bas mon fils fréquente des voyous. » Ce ne sont pas des parents démissionnaires, mais des parents en difficulté, sachant que c’est dur d’élever les enfants dans les quartiers où la violence règne. Quel a été l’effet de la prison dans votre trajectoire ? Un effet criminogène, c’est clair. La première fois, j’ai fait deux mois ; la deuxième, six mois, pour cambriolage ; la troisième, un peu plus pour coffre-fort ; la dernière fois, j’ai pris quatre ans pour attaque à main armée et j’en ai fait trois. Le milieu carcéral, c’est un peu le Pôle emploi de la délinquance, il y a tous les corps de métiers sur place : dealers, braqueurs, receleurs… Il suffit d’aller voir le bon pour perfectionner ses techniques. Quand je suis arrivé à la prison de Chartres, j’ai raconté que je m’étais fait prendre à cause d’un signal d’alarme et les détenus m’ont orienté vers le spécialiste des alarmes : « Tu vois le petit vieux là-bas, c’est le meilleur, il va t’expliquer. » En plus, on rencontre en prison les grands braqueurs, cela revient presque à rencontrer Zidane pour un jeune footballeur. Ils deviennent des modèles, ils nous fascinent. Et puis il y a aussi Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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Je devais être expulsé vers l’Algérie, mon pays d’origine où je n’avais jamais mis les pieds (je suis né en France). Mais à l’occasion de l’examen de mon cas en commission d’expulsion, j’ai bénéficié d’une mobilisation de notre commune de Mantes. Le maire est venu à la barre, sollicité par mes frères et sœurs qui travaillaient dans le milieu associatif. Plusieurs personnes sont venues dire que je n’étais pas un « irrécupérable », mais un homme de 31 ans avec un potentiel, de l’intelligence. C’était la première fois de ma vie que j’entendais que je pouvais être un type bien, cela a provoqué un déclic. Quel a été ce déclic ? Pour la première fois, je voyais autrement les gens « honnêtes » : ils n’aiment pas les délinquants en principe, mais là ils venaient me défendre. Nous, les délinquants, nous n’avions pas de scrupules à voler des gens qui ne nous aimaient pas. On les traitait de fayots, de bourgeois, on se moquait des bons élèves… Mais finalement, je n’ai pas été expulsé grâce à ces gens « honnêtes » qui se sont mobilisés. Du coup, j’ai décidé de tout faire pour être quelqu’un de bien, pour leur faire plaisir plus que par conviction. Je ne pouvais pas les trahir, même si mon activité délinquante était ma passion. La délinquance, une passion ? Vous pouvez expliquer ? Prendre des risques, l’adrénaline, devenir riche en une journée… A côté des autres qui avaient du mal à payer leur loyer, un crédit à rembourser pendant 20 ans, je pouvais tomber sur une super affaire du jour au lendemain. C’est comme les gens qui jouent au loto, sauf qu’on a beaucoup plus de chances de gagner. Et puis quand tu montes un braquage, tu es comme dans un film de gangsters, il y a de l’action, la sensation de pouvoir avec une arme… Par moments, tu deviens vraiment riche. Les voyous ont des valeurs de capitalistes : l’argent et le pouvoir. Ils ne font pas dans le social, ils ne se préoccupent pas des autres et ne pensent qu’au gain. Même après plusieurs incarcérations, ces valeurs et cet attrait de la délinquance ne diminuaient pas ? Non, les incarcérations, c’étaient mes « accidents de travail ». Le temps de détention me servait à comprendre pourquoi je m’étais fait attraper : une sorte d’« analyse de la pratique »
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avec quelques experts, pour ne pas commettre les mêmes erreurs la prochaine fois. J’assumais de tomber, je disais à ceux qui pleuraient sur leur sort qu’ils n’avaient qu’à pas faire de conneries. Avec le recul, vous pensez que vous n’aviez pas d’autres moyens que la délinquance pour trouver votre place ? Au départ, je crois que j’aurais bien voulu être honnête, mais avec l’absence de place dans ma famille, l’échec scolaire, le sentiment d’être un nul, et la délinquance à portée de mains dans mon quartier, je n’ai pas vu d’autre issue. Je le vois comme un choix (j’étais responsable de mes actes), mais quand même un choix par défaut. Il y avait une forte pression : si je voulais marcher avec la bande, j’étais obligé de voler, un froussard ne pouvait pas être accepté. En plus, je les voyais s’enrichir facilement, ce qui est tentant quand tu es pauvre. Ils étaient habillés comme des princes, roulaient en BMW (alors qu’ils avaient Bac moins 10 !). Je crois que je me suis retenu pendant un moment, et puis j’ai franchi le pas, je ne voulais pas être un clochard honnête. Une fois dedans, j’ai apprécié le milieu, me suis fait de vrais amis…
Qu’est-ce qui vous a manqué dans votre parcours, de quoi auriez-vous eu besoin ? Partout, j’ai manqué de parole et de rencontres positives. Dans ma famille, même de mes conneries on ne parlait pas, c’était tabou. A l’école, j’aurais aimé qu’un prof voit que j’étais en difficulté, mais pas un nul. Au tribunal, j’aurais eu besoin d’être écouté, alors qu’on nous juge en cinq minutes sans nous connaître. On passe tous à la chaîne, on a du mal à parler devant tout le monde, le juge nous coupe tout le temps… Il était clair pour moi que la justice nous jugeait avant de nous avoir écoutés. En prison, on n’écoute pas non plus les détenus, qui auraient plein d’idées pour réformer la détention. Globalement, j’avais besoin que quelqu’un voit que derrière mon image de dur, j’étais en souffrance. Il faudrait à un moment que les parents, les profs, les policiers, les juges, les politiques puissent entendre la délinquance comme un appel au secours. La question à se poser face à la délinquance est « comment on peut exister autrement ». Dans ma jeunesse, les seuls qui me reconnaissaient, c’étaient les voyous. Si bien qu’ils sont devenus ma famille : la bande me protégeait et me permettait d’exister. Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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Qu’est devenue votre vie une fois que vous avez décidé de mettre un terme à cette carrière délinquante ?
Est-ce que vous êtes plus crédible auprès des jeunes de par votre expérience ?
La première année, j’étais assigné à résidence et j’avais interdiction de travailler (ayant une procédure d’expulsion en cours). Mais grâce au soutien du maire, la Mission locale m’a proposé de tenir leur comptabilité, car j’avais passé un CAP en prison (au départ, pour mon activité délinquante). Le directeur me donnait de l’argent de poche pour compenser l’absence de salaire. Cet homme a été un père pour moi, nous parlions beaucoup et il me soutenait. Au bout d’un an, j’ai pu avoir mes papiers, j’avais très envie d’aider des jeunes en difficulté car j’étais passé par là, et je suis devenu animateur dans une Maison des jeunes. Puis j’en suis devenu le directeur, après avoir passé un brevet de technicien en animation, j’ai aussi été chargé d’animer le conseil communal de prévention de la délinquance. J’ai repris des études, grâce à la validation des acquis et de l’expérience (VAE) j’ai pu passer une licence en Sciences de l’éducation (avec mention très bien !). Ces études me passionnaient, notamment les cours sur la psychologie de l’adolescence et la thématique de la violence, qui me permettaient de comprendre mon parcours. A présent, je donne un cours sur les politiques de prévention de sécurité en Master à l’Université de Nanterre. Je suis aussi « consultant en prévention urbaine », j’ai créé mon métier car on me demandait de plus en plus d’intervenir dans les écoles de travail social, à l’Ecole des commissaires de police, de surveillants de prison… Je suis diplômé de l’Institut des Hautes études de la sécurité et de la justice (INESHJ), comme « expert en sécurité ». Plutôt que de vendre de la peur comme certains professeurs que j’ai eus, je défends que ce n’est pas avec de plus en plus de prisons, de caméras, de policiers qu’on résoudra les problèmes de délinquance et de violence. Cela passe par le « mieux vivre ensemble », le relationnel, l’éducatif. Je témoigne du fait qu’on peut avoir été délinquant et changer, quand le regard posé sur vous change.
Je suis plus crédible pour tous, parce que je connais le monde d’en face. Dans mon CV, j’ai écrit : 15 ans de délinquance, 5 ans de prison. Cela me donne encore plus de boulot et de crédibilité. Entre un sociologue et moi, certains préfèrent me faire intervenir parce que c’est plus parlant quelqu’un qui a du vécu, et que j’ai une vision plus précise des besoins. Par exemple, quand j’ai pris la direction de la Maison des jeunes, j’ai dit au maire que j’acceptais le poste à condition d’ouvrir la nuit et le week-end. Je savais qu’il était aberrant de faire les horaires de la Sécurité sociale dans une MJC, alors que les jeunes ont besoin de trouver un lieu ouvert quand ils sont livrés à euxmêmes et que tout est fermé. Les statistiques montrent bien que les périodes où il y a le plus de problèmes dans les quartiers, de délinquance, de violence, d’accidents de la route, de toxicomanie, de suicide, sont la nuit et le week-end. Quant aux jeunes, ils ont des préjugés avant de me rencontrer, mais quand je leur explique mon parcours, ils réalisent que je suis « comme eux », et il y a alors beaucoup de respect. Parce que je suis passé par là, ils se confient à moi, et ils écoutent vraiment mes conseils pour ne pas rebasculer. Avec les surveillants de prison, c’est pareil, ils ont beaucoup de préjugés, ils ne comprennent pas le « monde d’en face », ils pensent qu’ils ne peuvent rien faire avec des voyous. Je leur parle de leur posture professionnelle, leur façon de parler et d’ouvrir les portes. Je leur explique la vie des jeunes dans les quartiers, pourquoi ils retombent. Tout cela fait bouger les lignes et ça leur plaît ! Ils me disent qu’il faudrait intervenir à l’ENAP, mais pour l’instant les hiérarchies de l’administration pénitentiaire me répondent toujours qu’il est difficile de faire intervenir un ancien détenu. Pourquoi ces institutions continuent à regarder mon mauvais côté, alors qu’elles pourraient me présenter comme enseignant à l’université ou consultant ? !
J’interviens aussi en prison sous forme d’un groupe de parole, je parle aux détenus de mon parcours, et je les fais parler de ce qui leur est arrivé, de pourquoi ils ont basculé et de ce qui leur faudrait pour ne pas rebasculer en sortant, je leur apporte de l’espoir. Et je continue à travailler dans les quartiers. En ce moment, je fais de la « médiation nomade », avec un camion on s’installe le soir dans les quartiers de 19 heures à minuit, à l’heure où seul le commissariat de police est ouvert. Je mets de la musique, je fais du thé à la menthe, les jeunes des halls viennent nous voir et on parle. La parole devient plus forte que la violence. Des bénévoles assistantes sociales, éducateurs, parfois des policiers en civil viennent aussi pour m’aider. Une des clés, pour que les jeunes s’en sortent, c’est de créer de belles rencontres, parce que souvent ils n’en font que de mauvaises. Avec mon camion, je ramène plein de gens de l’extérieur : des gens qui habitent dans les beaux quartiers, des gens de la télévision… C’est magique, la rencontre. Des deux côtés, tous, ils apprennent plein de choses. Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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Quels sont vos projets ? Faire bouger les politiques, mais c’est le plus difficile ! Pour démultiplier mon action, j’aimerais recruter dans les prisons parce qu’il y a plein de mecs comme moi qui ont de la bouteille, sont issus des quartiers, connaissent les jeunes, n’ont pas peur d’aller au contact. Il leur manque juste une formation, d’animateur, de médiateur ou d’éducateur. J’ai écrit un projet en ce sens au ministère de la Justice visant à ouvrir un centre de formation en prison à l’accompagnement des jeunes dans les quartiers, mais on ne m’a jamais répondu. Quel gâchis de ne pas écouter davantage la parole d’anciens détenus ! Mais je garde espoir… Propos recueillis par Sarah Dindo
« ILS SONT NOUS » PARCOURS DE VIE D’ANCIENS DÉTENUS
Environnement, éducation, rencontres :
les ingrédients d’une trajectoire délinquante Désorganisation sociale en milieu urbain, pratiques éducatives erratiques, rencontre avec des pairs délinquants : Michel Born, psychologue et ancien président de l’Ecole de criminologie de l’Université de Liège (Belgique), détaille les facteurs pouvant faire basculer une trajectoire. Et ceux qui permettent aux jeunes de « s’en sortir ».
Quelle est l’importance du contexte de vie des personnes dans les trajectoires délinquantes : quartier, phénomène urbain, lien social, fréquentations… ? L’être humain est largement conditionné par son milieu. Bien sûr, entrent en jeu des prédispositions et faiblesses personnelles, mais le milieu va générer des opportunités ou des nonopportunités. Dans une ville hétérogène, anonyme, avec peu d’interactions sociales, le contrôle social est faible et la réaction de l’environnement aléatoire, peu proportionnelle aux actes commis. Lorsque les personnes sont parquées les unes à côté des autres, dans l’indifférence ou éventuellement dans une sorte de lutte pour obtenir des biens matériels, évidemment cela ne crée pas du lien social. Et sans lien social, l’autre devient un concurrent, un étranger, voire un ennemi. Plus les liens qui unissent l’individu et la société sont solides, moins il aura de propension à la délinquance : un acte de délinquance provient de la cassure du lien entre individu et société. C’est pourquoi les zones urbaines se trouvent particulièrement exposées. Les enfants de ces quartiers vivent dans un monde leur offrant de nombreux modèles d’identification délinquants, alors que leurs contacts avec les standards de la culture conventionnelle sont réduits et formels : école, police, tribunaux, services sociaux… Peut-on parler de délinquance de pauvreté ? Vous parlez de « vulnérabilité sociétale ». Ces deux expressions sontelles synonymes ? La vulnérabilité sociétale ne coïncide pas toujours avec la pauvreté. Certaines personnes très pauvres, mais soutenues par des valeurs fortes, ne sont absolument pas dans la
Michel Born, auteur de Psychologie de la délinquance et de Pour qu’ils s’en sortent ! (De Boeck, 2005 et 2011), est professeur à la faculté de psychologie et ancien président de l’Ecole de criminologie de l’Université de Liège.
délinquance. A l’inverse, des personnes relativement nanties dérivent, n’ont pas de valeurs, pas de foi, pas de loi. Les petits dealers, par exemple, peuvent disposer de sommes d’argent très importantes et être pourtant en situation de vulnérabilité sociétale. Cette notion définit surtout une position sociale et culturelle défavorisée, générant une fragilité du lien social. Les personnes vivant cette vulnérabilité sociétale sont plus exposées à l’échec et à l’abandon scolaire précoce, au désengagement… Elles ne peuvent pas participer à la formulation des valeurs de la société, ne savent guère profiter de l’offre positive des institutions, qui ne sont pas conçues pour prendre en compte leurs problèmes spécifiques. Cette exclusion les conduit à rencontrer d’autres personnes du quartier se trouvant dans des situations similaires. Certains recourent alors à n’importe quel moyen pour s’affirmer, y compris la violence. Il est vrai cependant que le manque de moyens financiers s’accompagne souvent d’un manque de moyens culturels et d’une sorte d’isolement social. Là où les deux notions se rencontrent, c’est lorsque vivre se résume à trouver l’argent pour subsister. Toute la préoccupation est alors centrée sur cette survie, et non pas sur la construction de quelque chose qui donne des valeurs un peu au-delà du quotidien et de l’immédiat. « Parmi les éléments pouvant expliquer la carrière délinquante d’un individu, la famille occupe une place de choix », écrivez-vous. Quels processus familiaux favorisent la délinquance ? La famille, charnière entre la société et l’individu, est le creuset de toute conduite sociale. L’équilibre de fonctionnement de la Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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famille, quelles que soient les contraintes extérieures, génère des pratiques allant dans le sens de la conformité, de l’obéissance, du bien et du mal, de la politesse. J’ai rencontré des jeunes délinquants extrêmement perturbés, des jeunes toxicomanes, élevant très bien leurs enfants. Ainsi s’interrompent des trajectoires délinquantes : les parents délinquants ne font pas nécessairement des enfants délinquants. Mais cela peut aussi aller dans l’autre sens : des parents « bien rangés » laissent déraper l’enfant, font des enfants-rois, incapables de tolérer la frustration ; ils critiquent l’école, sont dans du laisser-faire, ou des contradictions – ce que l’on appelle un « parenting » erratique. L’enfant se rend compte qu’il peut devenir coercitif sur ses parents, et va généraliser cette attitude. Ce comportement n’étant pas bien vu par la société, il se rapproche, dans la cour de l’école, d’autres enfants un peu comme lui, eux aussi rejetés. Se créent ainsi des noyaux d’exclus. L’enfant devient plus agressif, toujours plus exclu, se livre éventuellement au racket, au harcèlement. Il s’expose ainsi à des exclusions scolaires, et le processus est enclenché. Par ailleurs, dans un parenting « normal », le contact, le dialogue entre parents et enfants permettent d’assurer le contrôle : les enfants racontent avec qui ils sont, où ils vont… Cela n’existe pas dans un parenting dysfonctionnel. Or, toutes les recherches convergent pour accorder une place fondamentale au manque de surveillance par les parents et à une discipline erratique ou trop stricte. Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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Vous allez à l’encontre d’idées reçues voulant que des parents délinquants produisent des enfants délinquants ? Effectivement. Il existe certes des dynasties délinquantes, mais ce n’est pas un phénomène majeur. L’affirmation selon laquelle les familles mono- ou homoparentales génèrent de la délinquance est tout aussi erronée, les statistiques sont claires sur ce point. La manière dont une situation va être gérée pèse beaucoup plus : les situations de conflits familiaux graves, ou bien lorsque l’enfant est appelé à témoigner contre son père accusé de maltraitance ou de viol, peuvent aussi être facteurs de délinquance – en plus de dépression, d’anorexie… Je tiens aussi à contester une autre idée reçue : on entend souvent répéter que les jeunes qui agressent vers 15, 16 ou même 17 ans, voire qui deviennent toxicomanes, ont forcément été « mal élevés ». Or, nombre de ces jeunes qui dérapent ont reçu tout l’apprentissage nécessaire, ont appris qu’il fallait être polis, etc. Mais autre chose les précipite dans la délinquance, ils vont « désapprendre » cette bonne éducation. Ce peut être l’alcool, la drogue… Ils se mettent à l’écart, s’éjectent euxmêmes de la société. Les toxicomanes qui mendient dans la rue peuvent être parfaitement polis. Mais quand la drogue leur manque, ils peuvent casser des vitres de voiture pour prendre ce qu’il y a dedans. Lors d’une étude récente, nous avons montré que le glissement de la consommation de drogue à la délinquance
« ILS SONT NOUS » PARCOURS DE VIE D’ANCIENS DÉTENUS intervient quand l’argent du deal permet non seulement de financer la consommation personnelle, mais d’augmenter le standing de vie. L’argent devient alors plus important que la drogue, et s’engage une trajectoire pouvant aboutir à des actes très graves. Quels facteurs liés à la personnalité et aux valeurs/ croyances/représentations peuvent être mis en évidence ? Dans le dérapage survenant vers 14-15 voire 16 ans, la période vraiment charnière, les facteurs importants sont, d’une part, la rencontre avec la drogue, et, d’autre part, le groupe. L’adolescent traverse une phase, bien normale, de vulnérabilité personnelle. En quête de savoirs et de limites, il se confronte à deux grands problèmes : le corps et la satisfaction – se faire plaisir par le sexe, par l’alimentation, par l’alcool, par le joint… Il s’agit alors d’avoir la possibilité de se donner du plaisir, mais de ne pas tomber dans le plaisir. Le second moteur, c’est l’acceptation par le groupe, les « potes ». Et les potes, parfois, traînent dans la rue, certains font des casses, disposent de sommes importantes. D’autres amènent à défendre un territoire, créent des phénomènes de bandes, valorisent la violence. D’autres encore consomment de la drogue. La rencontre avec des pairs délinquants, dont on va adopter les normes et valeurs, est déterminante. Par ailleurs, une forte corrélation est établie entre des troubles du développement de la personnalité – perturbations des fonctions de contact, d’attachement, de contrôle – et les troubles de la conduite, pouvant se manifester par des actes délinquants. Dans la société d’aujourd’hui, la référence au système de valeurs est devenue compliquée – la religion ne joue plus le rôle qu’elle jouait autrefois. Le système de valeurs donne pourtant sens à la vie, et fonde les normes. Il donne une autre dimension à la loi intellectuelle décrétée par le parlement. On trouve dans les groupes délinquants comme dans la délinquance individuelle des techniques visant à « neutraliser » les normes conventionnelles. Les jeunes se persuadent de la non-importance, et même de la légitimité des transgressions : on se dit – ou se croit – forcé par les circonstances de commettre un acte, on attribue la faute à l’autre… Une rupture avec les institutions (école, services sociaux, services de santé, police…) est-elle fréquemment observée dans les parcours délinquants ? Il s’agit en réalité d’un processus lent, subtil et réciproque : le jeune ne se sent plus très bien dans son rapport avec l’institution, et l’institution ne fait plus rien pour le raccrocher. In fine, le jeune n’est plus raccroché à rien, ni à une église, ni à une école. Il reste alors la rue. Les services sociaux ne jouent plus leur rôle en termes de lien social, ils sont trop souvent des distributeurs d’argent, de nourriture, ou de vêtements… On parle de « guichet » social, il n’y a plus aucune notion de communauté.
« La rencontre avec des pairs délinquants, dont on va adopter les normes et valeurs, est déterminante. » Néanmoins, il est en fait très rare que la rupture soit totale. Même ceux qui ont l’air le plus en rupture se raccrochent quand même… Les toxicomanes sont un exemple visible : ils se regroupent en communautés, se retrouvent aux centres des villes. Ils se raccrochent à cette institution, peut-être la plus informelle, mais qui leur donne un statut, une visibilité. Les vieux délinquants entretiennent eux aussi toutes sortes de liens, notamment, pour certains, avec leur assistant social qui les aide depuis des années à se dépêtrer de diverses situations. C’est là que réside l’espoir, et là que se trouve la difficulté, lorsqu’il n’y a plus de fil à tirer – notamment à la sortie de prison. Qu’est-il observé de l’impact de l’intervention judiciaire et pénale dans les trajectoires de vie des personnes ? En quoi est-elle susceptible d’aggraver ou d’améliorer la situation des auteurs d’infraction ? Je m’étonne toujours de constater que la réaction judiciaire tient compte de l’acte exclusivement. Or, il importe de considérer l’acte et la personne, c’est le sens des lois sur la protection de la jeunesse : un même acte peut avoir lieu dans des contextes tout à fait différents. Pour certains jeunes, il peut être l’arbre qui cache la forêt d’une délinquance quasi galopante ; lorsque le milieu s’avère extrêmement négatif, et même si c’est un premier acte, il faut trouver des mesures structurées et structurantes. Une toute autre réaction s’impose pour un jeune qui a été entraîné par un groupe de copains, dont la famille va réagir… Ce jeune, en lien avec ses parents, en lien avec l’école, ne doit surtout pas être déraciné. Pour éviter les effets négatifs, la prise en charge doit être adaptée et progressive, prendre en compte à la fois les caractéristiques individuelles des jeunes et leur évolution en cours de prise en charge. On ne saurait se contenter d’un diagnostic pénal, basé sur les faits, leur répétition éventuelle et leur gravité. Un diagnostic criminologique ou psychosocial détaillé s’avère tout aussi nécessaire. Il faut écouter le jeune, permettre sa participation aux décisions qui le concernent. Les prises en charge individualisées doivent avoir la priorité, car lorsque l’on met ensemble des jeunes délinquants, dans une même institution, ils se renforcent dans la délinquance. Dans nombre de cas, la délinquance reste limitée à l’adolescence. Quels facteurs favorisent une évolution favorable des jeunes délinquants ? Dans son témoignage de vie, Tim Guénard, abandonné par sa mère et brutalisé par son père avant de plonger dans la délinquance violente, raconte comment la rencontre d’une personne qui a cru en lui a changé le cours de sa vie. Tous les Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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témoignages concordent en ce sens, et sont corroborés par les études quantitatives. Le jeune doit reconstruire une image positive de lui-même, et recevoir un soutien social valorisant ces efforts. Il est alors en mesure de formuler un projet personnel de réussite sociale et affective – la rencontre avec une bien-aimée étant le meilleur encouragement dans cette voie. Les éducateurs, y compris ceux rencontrés en prison, peuvent aussi jouer ce rôle de « tuteur de résilience » – offrant, à un moment particulier de la trajectoire personnelle du délinquant, un soutien affectif et volontariste, lui réinsufflant une croyance et une confiance en lui, effaçant l’étiquette que le jeune porte souvent depuis des années. Il est essentiel, pour l’adolescent en rupture, d’accepter de reconstruire son histoire, de revisiter et « d’aménager » son passé pour éviter de poursuivre un fonctionnement destructeur. Une autre étape est le travail sur la culpabilité : que le jeune non seulement reconnaisse sa culpabilité, mais aussi qu’il se sente responsable – sans bien sûr tomber dans l’hyper-culpabilisation. Enfin, il est indispensable de travailler les processus cognitifs (perceptions, affirmations personnelles, aptitudes à résoudre un problème) à l’origine des diverses formes de délinquance. Le milieu scolaire, lorsqu’il adopte des stratégies pour développer ou restaurer les liens sociaux des enfants perçus comme perturbés ou difficiles, joue un rôle essentiel – les programmes de lutte contre le décrochage scolaire sont à ce Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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titre essentiels, car c’est par ce biais que se renouera le lien avec d’autres institutions socialisantes. L’enfant doit retrouver le sentiment de pouvoir agir efficacement sur le monde et d’être reconnu dans sa valeur. Comme les parents et l’école doivent regagner le sentiment de ne pas être dépassés et impuissants. En quoi peut-on dire que les délinquants nous ressemblent plus qu’on ne le croit ? Je dis souvent que nous avons la délinquance que nous méritons. Les gens peuvent déraper, mais ne sont pas pour autant intrinsèquement méchants. J’entends souvent des gars qui ont arraché le sac d’une vieille dame me dire : « Je ne voulais pas lui faire du mal, elle n’avait qu’à lâcher son sac ! » On parle d’une agression, il y a effectivement une victime, peutêtre blessée. Or, il n’y a pas de volonté de faire mal, mais un obstacle au mauvais endroit, au mauvais moment, que l’on écarte. Cela traduit un manque d’empathie, de discernement du bien et du mal… Il ne s’agit pas de minimiser de tels actes, mais de bien comprendre d’où ils viennent. Ceux qui les commettent n’appartiennent pas à une autre espèce, ils n’ont pas d’autres gênes, c’est bien nous. Propos recueillis par Barbara Liaras
« ILS SONT NOUS » PARCOURS DE VIE D’ANCIENS DÉTENUS
Une vie qui bascule Après avoir subi les violences de son conjoint pendant 18 ans, Marie-Hélène s’empare une nuit de la carabine qu’il garde, chargée, au pied de son lit, et le tue de plusieurs coups de feu. Elle vit son arrestation puis sa détention comme un « soulagement ». Condamnée à dix ans d’emprisonnement, elle est désormais en libération conditionnelle. Mais c’est au tour de son fils d’être incarcéré…
Pourriez-vous évoquer ce qu’était votre vie avant votre rencontre avec la justice : comment vous viviez, si vous aviez des difficultés particulières, si vous pensiez qu’un jour vous connaîtriez la prison ?
Il lui a offert une carabine pour l’anniversaire de ses 12 ans. Ma belle-mère m’a dit : « Marie-Hélène, ça me fait peur. »
Je suis née à Paris, dans une famille très « normale ». Mes parents s’entendaient très bien, j’avais une bonne relation avec mon frère, mon père a travaillé 40 ans dans la même entreprise… Je voulais faire de la coiffure, j’ai donc suivi un apprentissage. J’ai quand même eu durant cette période un gros problème, dont je n’ai parlé à personne pendant longtemps : mon patron d’apprentissage a abusé de moi. Dans mon milieu, il était très difficile de parler de ce genre de choses. J’en ai parlé pour la première fois au moment de mon jugement. Je ne sais pas pourquoi c’est ressorti à ce momentlà… Après mon CAP, j’ai eu envie de fuir : j’ai travaillé dans un salon de coiffure en Angleterre, puis à Paris, et enfin sur le paquebot France… J’ai rencontrée un jeune homme et nous nous sommes installés à New-York, puis nous sommes mariés à notre retour en France et avons eu une fille.
Il y avait beaucoup de violence, verbale et physique. Son rapport à l’argent était démentiel, il était obsédé par les voleurs, et gardait toujours la carabine au pied de son lit. Il avait aussi un cran d’arrêt qu’il gardait sous son matelas : souvent nous l’avons eu sous la gorge, même son fils ou sa mère, qui habitait avec nous. Les discussions à table finissaient toujours par des cris, c’était de pire en pire… Quand je rentrais à la maison, juste de voir la grille du portail, j’avais le cœur qui battait : de savoir, d’imaginer ce qui allait se passer. Il n’y avait que le soir, quand je partais dans ma chambre, que j’étais tranquille. Sauf quand il avait une crise : il se mettait à crier, parfois il allait chercher des seaux d’eau et nous aspergeait. Malheureusement j’ai commis mon acte, mais je crois que sinon je ne serais plus là. Il y aurait forcément eu un drame, certainement dans l’autre sens.
A l’âge de 40 ans, ma vie a pris un tournant. J’ai rencontré un monsieur qui m’a… déroutée de mon chemin. De ma vie de couple. Il a exercé sur moi une emprise catastrophique. J’ai divorcé, ma fille est restée avec son père qui a eu la garde. Cet homme m’a écartée de tout, tout de suite. J’ai l’impression d’avoir été sa chose pendant 18 ans. Je n’ai plus vu ma fille, ni ma famille, nous n’avions plus d’amis.
Comment réagissiez-vous lors de ces moments de violence ?
J’ai dû être amoureuse un certain temps, mais j’ai très vite eu l’impression que je ne pouvais plus me sortir d’un engrenage. J’avais cassé avec ma vie antérieure, je n’ai pas eu le courage de le quitter. Nous avons eu un fils au bout de trois ans, avec lequel il était très dur aussi. Ce gamin a entendu des disputes depuis qu’il est né. Son père traitait tous ses copains de nuls, lui interdisait de sortir, s’il faisait un sport, il fallait qu’il soit le meilleur, etc.
Quelle était votre vie à cette époque ?
J’ai fait deux tentatives de suicide. J’ai connu l’hôpital psychiatrique : un jour, après une dispute, j’ai dû lui dire « tu me rends folle ». Il a appelé l’hôpital, m’a déposée au train à 22 heures et je suis allée toute seule à l’hôpital. Je n’ai pas eu le réflexe d’aller plutôt au commissariat… J’y suis restée un mois, je m’y sentais bien. Je me sentais presque délivrée, sortie de ses griffes. Mais aussitôt sortie, je suis retombée dans l’engrenage. A aucun moment, vous n’avez pu décider de partir ? Je suis partie une fois, j’ai pris quelques affaires dans la nuit et me suis rendue à Bordeaux, chez une ancienne cliente qui m’avait proposé l’hospitalité en cas de besoin. Je ne sais plus Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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dossier comment il a su que j’étais là-bas. Comme nous ne lui avons pas ouvert, il a cassé la porte. J’ai refusé de repartir avec lui. Pour se venger, il a accusé mon amie d’attouchements sur notre fils, des années auparavant, et l’a menacée de porter plainte. C’était évidemment faux, mais elle a eu peur. Ne voulant pas lui créer de problèmes, je suis partie de chez elle et suis allée chez mon frère, qui m’a conseillé d’aller voir une association, ce que je n’ai pas fait. Mon conjoint est venu me rechercher et j’ai fini par céder : j’avais besoin de revoir mon fils, j’avais peur qu’il s’en prenne à lui, et aussi à mon frère, à ma famille. Que s’est-il passé le jour où vous l’avez tué ? Mon fils avait 17 ans, il était sorti le soir sans que son père ne le sache. Vers minuit, son père jouait à l’ordinateur dans le bureau, il a eu un problème informatique. Il est monté dans la chambre de son fils, et a vu qu’il n’était pas là. J’ai aussitôt appelé mon fils mais quand il est revenu, mon conjoint ne l’a pas laissé rentrer, il est resté dehors jusqu’au matin. Cette nuit-là, c’était l’enfer, j’ai reçu beaucoup de coups. Le lendemain matin, il m’a dit : « T u vas travailler. » Il m’a pris mon sac, me laissant seulement les clés du salon de coiffure.
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Je pense qu’il a laissé rentrer mon fils après. Pendant la journée, il m’a téléphoné, pour me dire des choses horribles, cela arrivait souvent. J’ai fermé le salon à 18 heures, et j’ai été prise d’une angoisse incontrôlable. J’ai eu peur qu’il se soit passé quelque chose. En entrant dans le pavillon, je n’entendais rien. Je suis montée tout de suite à l’étage parce qu’il restait souvent couché, et je suis entrée dans sa chambre. Il dormait. En sortant de la chambre, j’ai vu la carabine dans le coin. Et là, j’ai vraiment eu le coup de folie. En une fraction de seconde, je suis rentrée dans la chambre, j’ai pris la carabine et j’ai tiré. Plusieurs fois. Il a été démontré par la suite que je l’avais tué sur le coup. Mais en redescendant, j’ai croisé mon fils, auquel j’ai dit : « J’espère qu’il est bien mort. » Et malheureusement, mon fils a pris la carabine et a été tirer à son tour sur son père. C’est lui qui a appelé la police. Je me suis allongée sur le canapé en bas, je crois que je n’ai même pas pleuré. Et j’ai vu arriver au moins une quinzaine de policiers casqués. Lorsque j’ai vu le juge à Evry, je lui ai dit : « Excusez-moi, mais je suis soulagée. » C’est horrible, mais j’étais sortie de l’emprise, de l’enfer de la menace quotidienne. Je pense que j’ai eu un réflexe de défense, d’élimination de la menace. Mais je n’avais jamais pensé de ma vie pouvoir tuer quelqu’un.
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« ILS SONT NOUS » PARCOURS DE VIE D’ANCIENS DÉTENUS Jusque-là, vous n’aviez jamais eu à faire à la justice ? Non, jamais. Et finalement, je me rends compte que cela peut arriver à tout le monde. Comment avez-vous vécu votre détention ? La prison a été pour moi un soulagement. Je m’en suis remise au fonctionnement de la justice. A l’issue de la garde à vue, j’ai été envoyée en détention, ce qui était complètement logique pour moi : il aurait été anormal que je reste dehors. J’ai été condamnée à 10 ans de prison en 2008, ce qui m’a paru normal également, c’était quand même un meurtre. Je suis sortie quatre ans plus tard en libération conditionnelle. L’univers de la prison correspondait-il à l’idée que vous en aviez ? A vrai dire, je ne m’étais jamais posée la question, ce sujet m’était complètement étranger. Au début, je suis restée plus d’un an et demi sans sortir, je préférais être seule. Je me suis très bien entendue avec la codétenue qui partageait notre cellule de 9 m². J’ai eu la chance de travailler un mois après mon arrivée, j’étais à l’atelier, de 7 h 30 à 13 h 30. Cela m’occupait bien, et je n’ai jamais eu à demander d’argent à personne. Beaucoup de filles que je côtoyais vivaient une détention catastrophique. Il faut de l’argent – pour la télévision, pour s’acheter des petites choses –, mais il n’y a pas de travail pour tout le monde. A l’atelier, les filles étaient payées à la pièce. Les plus rapides s’en sortaient, pour les autres, c’était beaucoup plus dur. Mais le plus important, c’est d’avoir l’esprit occupé, d’avoir un rythme, d’être obligé de se lever, pas la rémunération. Quand je suis partie, la surveillante d’atelier m’a emmenée dire au revoir à toutes les petites. J’ai alors vu des cellules épouvantables, partagées à quatre, ça fait un drôle d’effet. Les très nombreux parloirs et courriers de clientes m’ont également beaucoup soutenue. Pour beaucoup, la prison a pour effet de couper les liens, pas pour moi. Ma famille est revenue vers moi… Je lisais aussi beaucoup, je faisais du dessin, de la peinture, différentes choses qui m’ont fait réapprendre la vie. Avez-vous trouvé l’aide nécessaire pour travailler sur le traumatisme créé par ce que vous avez fait et subi ? Avec le premier psychiatre que j’ai rencontré, nous avons parlé de Nouméa, que nous connaissions tous les deux. J’ai eu l’impression que ça lui faisait du bien d’en parler, mais je n’ai pas redemandé à le voir. Je suis retournée voir un psychologue, car cela faisait partie de mes obligations. Mais il a estimé que j’étais « bien intérieurement » et n’avais pas besoin de le revoir. Quelle est votre situation aujourd’hui ? Je suis en liberté conditionnelle jusqu’en 2015. A ma sortie, je n’avais plus d’hébergement, la maison appartient à mon fils, mais comme il est incarcéré, je ne peux rien faire. Une de mes anciennes clientes m’a proposé un hébergement, et un des fournisseurs du salon m’a embauchée.
« En une fraction de seconde, je suis rentrée dans la chambre, j’ai pris la carabine et j’ai tiré. »
Pour moi, le plus dur n’a pas été l’emprisonnement, mais la sortie. Lorsque j’ai été arrêtée, la police a pris mon sac, je n’avais plus aucun papier. J’ai eu toutes les difficultés à récupérer mon permis de conduire, j’ai dû retourner à la Sécurité sociale, entreprendre plein de démarches administratives, refaire tous les papiers, tout était compliqué. Qu’est devenu votre fils ? Juste après le drame, il a été placé dans un foyer. Après un an, il a été voir le juge et lui a dit qu’il avait aussi tiré avec la carabine. Il a été placé en détention provisoire pendant 18 mois à Fleury-Mérogis. Il a été bien pris en main, a eu son bac en prison. Il a comparu libre au procès, et a été condamné à trois ans avec sursis. Je pensais qu’il était sur la bonne voie, mais il avait fait des mauvaises rencontres en prison. Quand ils sont sortis, ces gens l’ont retrouvé, et malheureusement, il a participé avec eux à un braquage. Une semaine après ma libération, le père de sa famille d’accueil m’a téléphoné pour m’informer que la police venait de l’emmener. Aujourd’hui, j’ai très peur pour lui, de ce qui va se passer après sa peine. Il est en maison d’arrêt depuis un an, fait un peu de sport, pas grand-chose. Aucune perspective de formation. Il faudrait des activités, sans quoi ça ne sert à rien. Les jeunes sortent sans repères, souvent avec des hébergements précaires, ils rament, replongent… Si on ne leur redonne pas certains points d’appui, j’en reviens toujours au travail, même du travail d’intérêt général, la prison n’est pas le bon remède. Mon fils a quand même un passé lourd, il a vécu une première incarcération. Les deux confondus, ça a été destructeur. Je culpabilise énormément, car j’ai le sentiment que sa vie est gâchée. Seul un petit noyau de proches sait qu’il est retourné en prison. Quand on me demande de ses nouvelles, je mens. Si vous regardez votre vie d’avant et votre vie de maintenant, qu’est-ce qui vous semble avoir fondamentalement changé, qu’est-ce qui vous semble persister ? Ce qui a changé pour moi, c’est d’être libre. Pas d’« entre les barreaux », mais dans ma vie. Je vis dans un petit appartement, je peux prendre ma voiture si je le souhaite. Je n’ai pas de comptes à rendre. Je respecte mes obligations, mais je n’ai pas l’impression d’être une délinquante. Intérieurement, je suis libre. Propos recueillis par Anne Chereul
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« Ils ne se résument pas à ce qu’on leur reproche » Conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP), Béatrice Asencio explique comment les représentations stéréotypées et la stigmatisation peuvent enfermer dans la délinquance. Elle estime indispensable de ne pas résumer les condamnés à leurs infractions et plaide pour des accompagnements taillés sur mesure et évolutifs.
Lors des entretiens avec les personnes qui vous sont adressées pour un suivi, de quelle manière vous intéressez-vous à leur parcours de vie ? Les personnes que nous recevons ne sauraient être réduites à leur acte. Un délinquant ne l’est pas dans tous les domaines : les auteurs d’infractions à caractère sexuel sont souvent parfaitement insérés, ils travaillent, ont une vie de famille. Les violents conjugaux sont violents avec leur femme, mais généralement pas du tout à l’extérieur. Le travail avec eux vise à mettre en lumière ce qui peut expliquer les actes leur ayant valu une condamnation, et la raison pour laquelle ils les ont commis à ce moment particulier. Nous cherchons aussi bien dans l’histoire personnelle que dans la place sociale occupée par l’individu, dans ses difficultés d’insertion professionnelle, dans ses problèmes d’addiction ou relationnels. Nous essayons de repérer les premiers passages à l’acte, même lorsqu’il n’y a pas eu de condamnation : qu’est-ce qui a déclenché le premier vol ou la première bagarre ? Nous travaillons également sur leur parcours judiciaire. Même ceux qui reconnaissent leur délit et sont d’accord avec le quantum de la peine ressentent souvent une « maltraitance » de la part de la justice, qui ne leur a pas laissé la possibilité de s’expliquer. Ce n’est qu’après avoir recueilli ce vécu que nous pouvons aller à la rencontre de ce qu’ils sont, hors de ce qu’ils ont fait. Certains facteurs (conditions de vie, histoire familiale, valeurs et croyances…) vous paraissent-ils susceptibles de déterminer une entrée ou un ancrage dans la délinquance ?
ont favorisé l’émergence de comportements sociaux valorisant le vol, la violence… Beaucoup ont eu des débuts de vie chaotiques, connu des ruptures traumatisantes : parents violents ou absents, rencontre avec une institution vécue comme maltraitante, échecs lors de placements… Un climat d’alcoolisation ou de violences familiales – les deux vont souvent de pair – et des ruptures familiales engendrent beaucoup de révolte et de violence. La violence subie durant la jeunesse, voire la prime enfance, influence fortement la violence « agie ». De nombreux jeunes, en particulier ceux issus de l’immigration, s’interrogent sur leur identité. Par leurs actes délinquants, ils entendent dénoncer ce qu’ils considèrent comme une maltraitance infligée par la France à leurs parents. Et posent ainsi la question de la place que la société veut bien leur accorder. Confrontés à une multitude d’échecs, ces jeunes n’ont pas pu s’insérer, si ce n’est dans une bande ou dans la délinquance, où ils trouvent une reconnaissance.
La réponse n’est pas la même selon les types de délits. Les auteurs d’infractions à caractère sexuel ont souvent des parcours de vie très banals, sans problématiques sociales. Ils connaissent en revanche une difficulté liée à la sexualité : certains ont été eux-mêmes abusés, d’autres ont eu des problèmes d’identité sexuelle très jeunes.
La recherche met en évidence un certain nombre de ruptures avec les institutions (famille, école, services sociaux…) dans le parcours de nombreux auteurs d’infractions. Faites-vous également ce constat ? Qu’est-ce qui provoque ces ruptures et quelle est leur importance dans les parcours délinquants ?
Les jeunes violents, jusqu’à la trentaine, viennent souvent de familles démunies. Le milieu culturel et la cité « protectrice »
Les jeunes évoquent très vite la rupture scolaire : ils n’ont pas compris ce qui leur était demandé et ne se sentaient pas à
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Béatrice Asencio est conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation à Dijon et membre du SNEPAP-FSU.
« ILS SONT NOUS » PARCOURS DE VIE D’ANCIENS DÉTENUS leur place dans une école qui, de surcroît, n’était pas portée comme valeur par leur environnement familial. Dès lors, perturber les cours devient un moyen de trouver une place, de susciter l’intérêt et de s’inscrire dans un groupe. Une jeune fille me racontait par exemple comment, bonne élève, elle avait été chahutée par les autres, qui lui reprochaient de ne pas dénoncer le système. De l’école, cette attitude de rejet s’étend à toutes les institutions : la police, les pompiers, etc. D’autres ruptures surviennent et s’accumulent, notamment avec les dispositifs de droit commun : missions locales, assistantes sociales de secteur, entreprises d’insertion, etc. Les jeunes mettent en échec la relation à l’autre dans ces institutions, qui ne sont pas armées pour prendre sereinement en charge des personnes très déstructurées. Certains ne savent pas faire un dossier à la CAF pour toucher des APL, ne savent pas se rendre à un rendez-vous de Pôle emploi ou même patienter dix minutes dans une salle d’attente. Mis en difficulté, ils déclenchent la rupture pour pouvoir la dénoncer et ne pas se confronter à leur propre comportement, puis pour justifier leur situation d’exclu : « Personne ne m’aide, donc forcément je suis obligé de me débrouiller. » Ces premières ruptures leur servent à se construire une identité de rebelle dans laquelle ils trouvent une forme de valorisation. Il existe donc une part de responsabilité individuelle dans la trajectoire de chacun ? On ne peut pas faire l’économie de la responsabilité individuelle : toutes les victimes d’abus sexuels ne deviennent pas auteurs, tous les habitants des quartiers défavorisés ne sont pas délinquants. Eluder cette question empêche le travail d’élaboration autour des actes posés, que l’on doit chercher à expliquer pour éviter à leurs auteurs de les reproduire. Notre rôle de CPIP consiste à accompagner les personnes dans une réflexion sur ce qu’elles sont devenues et sur la façon dont elles peuvent évoluer, en fonction de leur vécu. C’est à ce moment-là que nous abordons la question de la responsabilité, en les aidant à définir ce qu’elles veulent pour la suite, ce qu’elles peuvent mettre en place pour ne pas recommencer. Leur responsabilité consiste alors à se prendre en charge et à devenir « acteur » de leur propre condamnation. Constatez-vous une distorsion entre les profils et les parcours de ces personnes et les représentations véhiculées dans le grand public sur les délinquants ? Ces représentations ou « étiquettes » ont-elles des effets sur les parcours ? Cette distorsion existe, mais différemment selon les personnes concernées. Les policiers ou les acteurs de la vie publique portent par exemple un regard particulier sur les jeunes issus de l’immigration vivant dans des cités. Et vice-versa. Chacun a une représentation de l’autre l’encourageant à rester sur ses positions. Certains des jeunes suivis par le Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) sont soumis à des contrôles policiers trois fois par semaine ; les bénévoles qui
« Beaucoup ont eu des débuts de vie chaotiques, connu des ruptures traumatisantes : parents violents ou absents, rencontre avec une institution vécue comme maltraitante, échecs lors de placements… »
les accompagnent dans certaines démarches sont surpris de constater avec quelle méfiance ils sont reçus, à Pôle emploi par exemple. Cette méfiance crée des réflexes de protection, qui se traduisent notamment par des comportements agressifs : attaquer pour ne pas être attaqué. A l’encontre des idées reçues, le travail reste par exemple pour ces jeunes une valeur forte. Mais ils sont confrontés à une discrimination à l’embauche et à de réelles difficultés d’accès à l’emploi — en particulier les jeunes multiréitérants, dont le CV ne comporte que quelques stages d’insertion. Hormis pour les entreprises d’insertion, embaucher un jeune au parcours chaotique reste un risque pour de nombreux employeurs. En réaction, le jeune va dénoncer l’emploi, se vanter de gagner bien plus d’argent en étant dealer ou voleur. Ce discours n’est à mon sens qu’une stratégie de défense. Pour ce qui concerne les auteurs d’infractions à caractère sexuel, ils croient que leur acte est gravé sur leur front, et cette projection entrave toutes leurs démarches. Ils ressentent une telle dévalorisation qu’ils jugent ne plus pouvoir être estimables aux yeux de qui que ce soit. La stigmatisation de ce type de délits crée une sorte de dette symbolique impossible à régler : même lorsqu’ils ont purgé une peine de prison, payé les parties civiles, ils restent étiquetés comme « monstres ». Or, il est essentiel d’aller à la rencontre de leur part d’humanité, et qu’eux puissent juger leur part de monstruosité et faire en sorte que l’humanité prenne le dessus. Ils sont bien le « monsieur lambda » qui vivait à côté de chez nous… jusqu’à ce que nous apprenions ce qu’il a fait. Cela peut d’ailleurs nous amener à considérer que chacun d’entre nous a une part obscure. En ce sens, que pensez-vous de la campagne « Ils sont nous », initiée par l’OIP dans l’idée de faire évoluer les représentations et de montrer que les auteurs d’infractions ne sont pas si différents ? Je pense qu’il faut effectivement aller dans cette direction, car un délinquant, c’est quelqu’un comme nous. La mise à distance vise à se protéger. Mais tout un chacun peut être demain condamné, cela arrive très vite d’ailleurs. Nous, les professionnels, nous baignons dans ces thématiques et connaissons les personnes condamnées, nous avons par conséquent des représentations différentes, même si elles sont subjectives Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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aussi. Cette proximité peut être interprétée par les juges ou par des personnes extérieures comme de la complaisance, ils pensent que nous sommes « gentils ». Mais c’est simplement que, en entrant en relation avec les condamnés, chacun peut constater qu’ils ne se résument pas à ce qu’on leur reproche. Ces représentations erronées agissent-elles dans le cadre des interventions judiciaires, et quels sont leurs effets dans les parcours des personnes que vous rencontrez ? La justice est souvent vécue comme injuste, comme une justice de classe, à deux vitesses : « Les riches ne sont pas condamnés, quoi qu’ils fassent, la police les protège. Nous, on nous arrête parce que c’est facile et que nous ne pouvons pas nous défendre. » Or, si elles sont vécues comme injustes, les condamnations n’ont pas d’effets positifs sur les gens, elles renforcent au contraire les sentiments d’injustice Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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et de maltraitance et, par conséquent, justifient les passages à l’acte : « Puisque la justice ne nous écoute pas, ne nous comprend pas, nous condamne trop, nous n’avons pas de raisons de nous arrêter. » Même si nous pouvons reconnaître les inégalités de traitement, notre travail consiste à amener les personnes à réfléchir sur l’utilité générale de la justice, en leur demandant pourquoi elle existe, ce qui se passerait s’il n’y avait pas de système pénal… Dans nos groupes de parole, une séance porte sur cette question : nous demandons par exemple à chacun quelle peine il aurait prononcée s’il s’était trouvé à la place du magistrat qui a jugé son cas. Pour ce qui est de la prison, il arrive dans certains cas, limités, qu’elle serve à stopper un emballement de passages à l’acte, lorsque toutes les ressources en matière de peines alternatives ont été épuisées. Le bracelet électronique peut également jouer ce rôle, permettant de signifier à la personne qu’on ne peut pas la laisser continuer. Quand il y a néanmoins
« ILS SONT NOUS » PARCOURS DE VIE D’ANCIENS DÉTENUS incarcération, il faudrait très vite pouvoir travailler avec les personnes sur leur problématique, ce que le manque de moyens et de temps empêche souvent. Nombre de détenus sont incarcérés pour des comportements liés à l’alcool. Ils ont certes besoin d’un sevrage, mais ce n’est pas le meilleur endroit pour travailler sur leur addiction. Les condamnés sont plutôt répartis dans les établissements en fonction de la longueur de leur peine que de leur problématique personnelle. En maison d’arrêt, un condamné à perpétuité peut se trouver avec une personne condamnée à quinze jours, et le flux des entrées rend le travail difficile. De manière générale, la prison a des effets très désocialisants à long terme, elle est mal conçue. Quels types d’accompagnement des CPIP vous semblent aujourd’hui favoriser le mieux un processus de sortie de délinquance ? Que manque-t-il au suivi assuré par les SPIP et quels modes d’intervention devraient être développés selon vous ? Les suivis doivent être modulés en fonction de la personne : notre travail d’évaluation doit nous permettre de proposer un accompagnement adapté à chacun. Les rendez-vous servent parfois seulement à reconnaître et à valider les efforts réalisés par la personne, à lui confirmer qu’elle est « autorisée » à occuper une nouvelle place dans la société. Je pense à certaines jeunes filles sorties de la délinquance assez vite, mais qui ont besoin d’être réhabilitées par cette justice qui les a beaucoup bousculées. Elles tiennent à nous montrer qu’elles travaillent, ont fondé une famille… Il ne faut pas négliger ce volet, qui doit entériner cette nouvelle identité. Au-delà de la mise en lumière des facteurs favorisant les sorties de délinquance, l’accompagnement doit aussi inviter les personnes à trouver des solutions et à les mettre en pratique : entreprendre une cure, déménager, trouver un travail… à chacun sa solution. Nous avons par exemple des personnes qui repèrent que, pour sortir de la délinquance, elles doivent changer de quartier, faute de quoi elles pensent qu’elles reviendront nous voir. Or, nous savons combien cela peut être compliqué de quitter ses repères, ses amis, sa famille… Et l’insuffisance des moyens dans les SPIP ne permet pas toujours d’apporter le soutien nécessaire. Pour suppléer au manque de ressources humaines, le SPIP de Dijon a développé un réseau de bénévoles en milieu ouvert, ils accompagnent physiquement dans leurs démarches les jeunes les plus en rupture. Par exemple, nous avons proposé ce soutien à un jeune homme qui, entré en prison pour dix-huit mois, y est finalement resté six ans, à cause d’incidents disciplinaires en détention. Après sa libération, un bénévole l’a accompagné pour des soins médicaux, chez l’assistante sociale, pour constituer un dossier de RSA… Pour ce jeune, voir ses démarches aboutir, avoir quelqu’un qui s’occupe de lui, qui pacifie ses relations avec les institutions a été une révolution. De façon plus générale, la notion de parcours d’exécution de peine en milieu ouvert me semble à développer. Nous
« Il faudrait que la justice intègre l’idée qu’on ne sort pas de la délinquance subitement parce qu’on l’a décidé un jour, il s’agit d’un processus plus complexe. »
pouvons ainsi commencer par des entretiens d’évaluation de la problématique, puis faire une proposition : par exemple, dans un premier temps un suivi sous forme d’entretiens individuels, puis en groupe de parole, et terminer par un simple suivi administratif si la personne n’a plus besoin d’accompagnement. Ce travail d’élaboration autour du passage à l’acte reste nécessaire afin que les mêmes causes n’entraînent pas les mêmes effets. La mise en place et le contrôle des obligations va structurer la prise en charge, qui doit également comporter des orientations vers des partenaires de droit commun. Ces démarches auront besoin d’être plus ou moins soutenues en fonction des capacités de chacun. Ce parcours devrait être adapté ; par exemple, nous avons dans le service des personnes ayant des problèmes de violence qui reviennent participer à un deuxième groupe de parole. Mais, là encore, le fait pour les CPIP d’être submergés par le nombre de dossiers rend difficile le fait d’envisager un réel parcours d’exécution de peine pour tous (la direction a ici un rôle crucial, pour distinguer les mesures, avant l’affectation à un CPIP). Par exemple, lorsqu’une personne ne se présente pas à deux convocations, le flot de dossiers peut nous conduire à la renvoyer vers le juge de l’application des peines plutôt que d’essayer de comprendre ce qui lui arrive. Pourtant, la sortie de délinquance des multiréitérants peut être émaillée de nouveaux passages à l’acte, graduellement moins graves. En ce sens, les lois coercitives contre la récidive s’avèrent contre-productives. Une agression verbale ne revêt pas la même gravité qu’une agression physique. Ce n’est pas la même chose d’insulter un représentant des forces de l’ordre que de l’agresser physiquement. Pourtant, dans de telles situations, un casier judiciaire chargé peut entraîner une peine plus lourde, pour un fait moins grave. Les juges de l’application des peines ont un rôle à jouer auprès de leurs collègues pour leur expliquer l’importance d’accepter ce mécanisme de sortie de la délinquance, plutôt que de chercher à tout prix la peine qui aurait un effet magique. Il faudrait que la justice intègre l’idée qu’on ne sort pas de la délinquance subitement parce qu’on l’a décidé un jour, il s’agit d’un processus plus complexe. Propos recueillis par Barbara Liaras
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« Tout homme peut voir sa vie basculer » Inséré socialement et professionnellement, Olivier ne parvient pas à maîtriser ses « failles psychologiques », et commet à plusieurs reprises des délits qualifiés de « violences volontaires ». A l’âge de 55 ans, il passe 14 mois en détention. La présidente du tribunal juge elle-même cette peine « inadaptée », mais estime « n’avoir rien d’autre à proposer ». Une rencontre destructrice avec des institutions judiciaires et pénitentiaires qui ne l’ont pas aidé à changer.
Pourriez-vous évoquer votre vie avant votre rencontre avec la justice ?
Comment s’est passée votre rencontre avec l’institution judiciaire ?
J’étais cadre commercial et menais la vie, à la fois banale et assez heureuse, d’un homme rangé, ayant un bon niveau de rémunération, marié, entouré de nombreux amis. Mes parents, issus d’un milieu modeste, étaient professeurs. Je n’ai jamais manqué de rien, mais le quotidien de notre famille a été marqué par la maladie de ma mère qui a développé de graves troubles psychiatriques. Mon père est décédé et ma mère s’est suicidée peu de temps après dans des conditions dramatiques. J’avais tout juste 18 ans, ces décès m’ont brutalement projeté dans l’âge adulte. J’ai arrêté mes études et suis entré dans la banque, au guichet. J’ai été assez rapidement promu conseiller-clientèle, puis j’ai exercé des fonctions de directeur d’agence. J’ai passé plus de 20 ans dans la même entreprise, j’étais très investi dans mon travail, j’appréciais beaucoup la relation de conseil avec les clients.
J’ai été interpellé à plusieurs reprises, pour des faits de nature similaire. Chaque fois, ce fut très brutal. Ils font leur travail avec extraordinairement peu d’humanité, à la fois dans le ton et dans la façon dont ils s’adressent aux gens. J’ai eu le sentiment d’être rabaissé, piétiné. Les conditions de garde à vue sont très dures, inhumaines. Les cellules sentent l’urine, sont dégradées. On est agressé par le bruit des portes, des gars qui crient, ceux qui sont ivres. Vous vous retrouvez sur un muret de béton avec une couverture dans un état inimaginable. Toutes vos affaires vous sont retirées : lunettes, chaussures, ceinture, montre, etc. Vous n’avez plus de repère temporel, à part la distribution de nourriture – on ne peut pas parler de repas.
Pensiez-vous un jour avoir affaire à la justice ? Non, pas du tout. En ce qui me concerne, une faille psychologique personnelle a conduit à un comportement inapproprié. Mais on se pense plus ou moins infaillible. Je croyais que la prison, c’était pour les autres, pour des faits lourds, des braquages… Jamais je n’aurais imaginé que l’on pouvait y trouver des condamnés pour infraction routière, par exemple. Lycéen, j’avais assisté au procès d’un type qui, dans un état d’alcoolémie prononcée, avait assassiné sa femme. Sa présence devant la justice me semblait logique. J’ai pourtant été frappé par sa détresse, il semblait être un type bien, son employeur était venu témoigner en sa faveur. Cette expérience m’a fait prendre conscience que tout homme pouvait voir sa vie basculer. Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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Ma dernière condamnation a eu lieu en comparution immédiate. Vous vous retrouvez au tribunal pour un truc complètement idiot, en état d’infériorité. Je n’avais pas pu récupérer mes lunettes, je ne pouvais pas voir mes interlocuteurs. Tout cela est avilissant. Les juges ont tendance à en rajouter dans cette incarnation de l’autorité chargée de prendre une décision qui conditionne votre vie future. Vous n’êtes plus rien, plus qu’un « truc » dont on doit se débarrasser très vite. Pris par l’enchaînement de dossiers, ils n’écoutent pas les avocats. Ils entendent mais n’écoutent pas. Lors de mon jugement, la présidente a reconnu que la prison n’était pas adaptée dans mon cas. « Mais je suis désolée, je n’ai pas d’autres solutions », a-t-elle conclu. Le procureur s’était chargé de me démolir. Les articles parus dans la presse m’ont également fait un mal considérable. Tout mon entourage, y compris professionnel, en a pris connaissance, c’était extrêmement stigmatisant.
« ILS SONT NOUS » PARCOURS DE VIE D’ANCIENS DÉTENUS Mon employeur m’a obligé à démissionner. Les conséquences s’en sont aussi fait sentir en prison. Les détenus sont avides de journaux, pour savoir exactement ce qu’ont fait leurs codétenus. Si vous rentrez de la drogue, vous êtes considéré comme un héros, si vous avez été condamné pour un casse de voiture, ou un braquage, ce n’est pas un problème. Mais si c’est un problème d’ordre sexuel, c’est tout à fait autre chose. L’enfer commence. Avant d’être condamné une peine de prison ferme, aviez-vous eu d’autres condamnations ?
« La prison prend les gens, leur retire tout, ne les laisse plus rien gérer, puis un beau matin leur rend leur paquetage et les met dehors… On vous sort de la nuit pour vous remettre en plein jour. »
Oui, notamment une peine d’un an d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve. Suite à une réitération des faits, mon SME a été révoqué et j’ai été condamné à une autre peine de 12 mois d’emprisonnement. Je devais donc passer 24 mois en détention, ramenés à 18 avec le jeu des réductions de peine. J’ai passé les quatre derniers mois sous surveillance électronique.
jamais les mêmes – j’ai raconté trois fois la même histoire, dû donner à chaque fois des détails très personnels. Trois mois après, quasiment rien n’était mis en place. Les entretiens durent 5 à 10 minutes, ce n’est pas un vrai suivi. Un suivi c’est régulier, toutes les semaines. Objectivement, je n’ai pas trouvé de solution là-dedans.
Ces différentes peines vous ont-elles permis de travailler sur cette « faille psychologique » que vous évoquez ?
Vous qui n’aviez pas envisagé la prison dans votre parcours, comment avez-vous vécu cette peine ?
J’ai été dans l’obligation d’avoir un suivi psychologique, qui s’est avéré totalement insuffisant. J’ai été convoqué une première fois, puis le mois suivant… Mes interlocuteurs n’étaient
Sur le moment, ça a été dur. Le premier progrès consiste à accepter sa peine, l’idée qu’elle « est là ». L’étape suivante est de travailler sur le « pourquoi », puis de chercher comment
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dossier « ne pas revenir, qu’est-ce que je peux changer ». Il faut se livrer à une introspection personnelle dans des conditions qui n’y aident pas. Au début, j’ai dû cohabiter, à trois en cellule, avec des personnes avec lesquelles je n’avais rien en commun, qui ne se lavaient pas, étaient fumeurs alors que j’ai des problèmes cardiaques. Vous plongez dans un contexte permanent de brutalité, d’agressivité, vous maintenant toujours sur le qui-vive. Vous faites connaissance avec le bruit, les gars qui s’interpellent d’une cellule à l’autre. Les pollutions sonores, olfactives, auditives se mêlent, vous n’arrivez plus à réfléchir, vous êtes fatigué moralement. Au cours de la détention, on vous balade d’un lieu à un autre, comme un objet, on vous parle aussi sur un ton sur lequel il y aurait beaucoup à dire. Vous perdez tout repère, vous êtes dépossédé de tout. Par la suite, ma situation s’est améliorée, j’ai eu une cellule individuelle et j’ai occupé un poste de bibliothécaire. On m’a fait confiance et j’ai pu organiser mon travail en toute liberté. Mais il a fallu être patient. J’ai tenté de comprendre comment le personnel pénitentiaire fonctionnait, par quels circuits les demandes peuvent aboutir. Chaque week-end, j’écrivais une quinzaine de courriers, pour relancer chacune de mes demandes. Mais imaginez la personne qui n’a ni cette persistance, ni la capacité d’écrire. Je comprends ceux qui « pètent les plombs ». Vos courriers restent sans réponse, vos affaires sont détériorées, vous ne recevez pas vos cantines, les relevés de compte nominatif sont incompréhensibles, vous avez l’impression que l’on vous vole de l’argent. Vous devenez un numéro d’écrou, cassé et déshumanisé, et vous n’avez plus qu’à attendre. Ce n’est pas l’enfer au quotidien, mais une succession de petits détails qui poussent à bout, de frustrations interdisant toute sérénité. A un moment donné, on devient un chien enragé, c’est logique. Comment la sortie est-elle préparée ? Les Services pénitentiaires d’insertion et de probation se disent débordés, il est très compliqué d’obtenir un rendezvous et les conseillers manquent souvent d’information, ignorent l’existence de certains textes. J’ai rencontré une personne de Pôle emploi, son ordinateur ne marchait pas. Elle devait m’envoyer une liste de structures susceptibles d’embaucher, j’ai dû lui adresser deux courriers de relance. La prison prend les gens, leur retire tout, ne les laisse plus rien gérer, puis un beau matin leur rend leur paquetage et les met dehors… On vous sort de la nuit pour vous remettre en plein jour. Comment voulez-vous que les gens ne récidivent pas ? A la sortie, le détenu retrouve évidemment tous ses problèmes amplifiés : s’il avait du travail il n’en a plus, s’il avait une compagne il n’en a plus, s’il avait un logement il n’en a plus. Un champ de ruines. Vous n’avez même pas un sac pour mettre vos affaires – à moins que des proches ne vous en aient amené un au parloir. Vous sortez avec des sacs poubelles… Le symbole est fort ! Il faut tout reconstruire et aussi Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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« Les gens ont une vision de la prison les conduisant à ne plus regarder l’être humain, seulement l’étiquette. Vous savez que la société ne vous pardonnera jamais. »
se reconstruire soi-même, se réadapter à la vie. En ce qui me concerne, j’avais un logement et une carte bancaire, l’essentiel pour redémarrer. Comment s’est opérée votre réinsertion professionnelle ? J’ai trouvé un travail dans une association de réinsertion, grâce à une information reçue d’un détenu. Cet emploi ne correspondait pas à mes compétences initiales, mais j’en avais besoin pour accéder à une libération conditionnelle. J’y suis resté un an, car au-delà, on considère que vous ne vous êtes pas pris en main. Je vais à présent débuter une formation pour intégrer ensuite une autre formation qui me permettra de remettre un pied dans l’entreprise et de retrouver un emploi stable. Mais il a fallu que je me batte pour la trouver. Comment vous êtes-vous reconstruit socialement et psychologiquement ? Ma structure familiale a été détruite. Les relations sont aujourd’hui meilleures avec mon épouse, mais nous sommes toujours séparés. J’ai également perdu des amis. Les gens ont une vision de la prison les conduisant à ne plus regarder l’être humain, seulement l’étiquette. Vous savez que la société ne vous pardonnera jamais. Vous êtes tellement fragilisé psychologiquement en sortant de prison que votre part d’ombre vous ronge encore plus. Vous êtes par moment tenté de tout laisser tomber, vous vous dites que de toute façon, vous n’y arriverez pas. C’est à ce moment-là que la part d’ombre reprend le dessus. J’ai la chance d’avoir rencontré en détention un aumônier protestant qui m’a beaucoup aidé. J’ai désormais rejoint une église protestante, c’est une communauté dans laquelle je me sens bien, qui m’apporte des repères. Tous savent que je sors de détention, mais ils ne portent pas un regard stigmatisant. Il ne peut y avoir de changement que si la personne a envie de réfléchir à son parcours, à ce qui lui a manqué et ce qu’il faudrait pour que les choses changent. Peu de gens font ce chemin-là. Je suis en travail de reconstruction permanent. Sans un peu de culture, beaucoup d’acharnement et peut-être un peu de fierté personnelle, le chemin est impossible à refaire. Propos recueillis par Anne Chereul
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« Tout est allé très vite, je ne contrôlais plus rien » Sans se poser de questions, Philippe commet ses premiers actes délinquants avec les copains dès l’âge de 14 ans. Un an plus tard, après une succession de cambriolages, vols de voitures et courses-poursuites avec les policiers, il reçoit une balle en s’échappant lors d’un contrôle de police. L’accident le laisse paraplégique. « Il fallait m’arrêter, estime-t-il, mais pas avec une balle. » Sa reconstruction passe par le sport et l’engagement associatif.
Quelle était votre situation avant d’avoir affaire à la justice ? Je suis né en 1977, mon père était italien, ma mère s’est mariée et a eu des enfants très jeune, le mariage n’a duré que treize ans, il la battait. J’ai un frère et une sœur plus âgés et un frère plus petit. Tous s’en sont bien sortis, ont un travail, une famille. Je suis le seul à avoir dérapé. A 14 ans, je ne me reconnaissais pas dans mon contexte familial, j’étais révolté. A cet âge, on essaie de se construire, ça passe par les copains, on s’attache à un groupe. Nous venions de milieux sociaux qui n’avaient pas beaucoup de confort. Nous avions une forme de rage, de haine, qui se traduisait par des délits. Je suis parti là-dedans sans vraiment y penser, un copain qui dit un soir : « Je vais faire ça. » J’y suis allé avec lui. Les petits délits se sont enchaînés : vols de mobylettes, de voitures… Au début c’était vraiment pour s’amuser, pour se montrer, pour faire un tour. Un ami qui savait bien conduire pour son âge nous avait appris. On se rencontrait : « Tiens on vole des voitures, on pourrait le faire ensemble. » C’est allé crescendo, on est partis dans les cambriolages. C’est devenu une routine : aller faire des magasins, des tabacs, prendre des voitures, leur mettre le feu quand on ne s’en sert plus. Pas une seconde on ne pensait aux conséquences. On ne se posait pas de questions, on était insouciants. On se faisait un peu d’argent en revendant, pas beaucoup, mais suffisamment pour nous. On ne vendait pas de drogue, mais on commençait à boire de l’alcool de temps en temps. On se retrouvait parfois une soixantaine, tout le monde se connaissait, faisait ses petits délits, buvait ensemble. Un groupe d’appartenance. Que s’est-il passé sur le plan scolaire ? Pour les profs, j’étais perdu. Ils regroupaient les élèves par niveaux, mettaient ensemble ceux qui causaient des problèmes, c’était encore pire. Il n’y avait pas de soutien pour
essayer d’en sauver quelques-uns. J’avais l’impression d’être livré à moi-même. Je n’ai jamais vraiment su ce que je voulais faire, et ce qu’on me proposait ne m’intéressait pas. Comment s’est passée votre première arrestation ? J’avais rapporté chez moi des affaires volées lors d’un cambriolage, et ma mère a appelé la police. Je ne peux pas lui en vouloir, c’était sa façon de me protéger. C’est la première fois que je me suis fait arrêter avec les menottes, devant ma mère. Cette fois-là, je crois que j’ai restitué le matériel, je n’ai pas eu d’amende. J’ai dû passer devant le juge des enfants, j’ai été suivi par un éducateur de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et placé deux ou trois mois dans un foyer de la PJJ, à l’essai. Ça n’a pas servi… Dans quelles circonstances avez-vous été condamné à une peine de prison ? Je commettais la plupart des vols avec un ami âgé d’un an de plus que moi. Il est parti en prison, pour d’autres affaires, et nous avons recommencé à sa sortie. La police l’a convoqué, il ne s’est pas présenté, et je l’ai suivi dans sa cavale. J’ai fui le domicile familial, j’avais 14 ans. Tous les jours, les flics passaient chez nos parents. Ils ont recoupé les délits qui nous étaient imputés, les recherches se sont intensifiées. Le jour de l’arrestation, nous dormions chez la mère de mon copain. Ils ont frappé à la porte à minuit. On s’est enfuis, la poursuite a duré jusqu’au lendemain à midi. Je me suis retrouvé pour la première fois en prison, pendant deux mois et demi. Comment avez-vous vécu cette incarcération ? J’étais en « quartier mineurs ». Sur les murs, des dessins un peu enfantins. Avec moi, des toxicomanes, certains étaient là pour viol, braquage, ils avaient 16-17 ans. J’étais un enfant de chœur à côté. C’est lourd, on te met à l’épreuve, on te teste. Il faut te défendre si tu ne veux pas être le souffre-douleur, être mis à l’amende par les autres détenus. Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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J’ai vite pris le pli, en regardant comment ça fonctionnait. Ceux qui ne sont pas capables d’affronter les autres, ils ne sortent pas de leur cellule. J’ai pris les chaussures d’un gars, histoire d’avoir une paire convenable pour la promenade. Petit à petit, ils m’ont laissé tranquille. Je ne dérangeais personne, je jouais au foot avec les majeurs. C’était une échappatoire, le sport. Que s’est-il passé lorsque vous êtes sorti ? Je suis resté deux mois dans un internat de la PJJ, car plus aucun lycée ne m’acceptait. Ce qu’on appelle « l’école de la dernière chance ». Pendant les vacances scolaires, je me suis retrouvé dehors. Tout est allé très vite, je ne contrôlais plus rien. J’ai enchaîné les délits pendant deux mois, et j’ai eu mon accident. Dans quelles circonstances a eu lieu cet accident ? Le copain avec qui je volais habituellement est reparti en prison. J’ai continué à faire mes délits avec un autre. Un jour, nous étions poursuivis par des gendarmes à moto, notre voiture avait un pneu crevé, nous étions en difficulté pour leur échapper, et mon ami a essayé de les renverser. J’ai pu me sauver et rentrer chez moi. Deux ou trois jours plus tard, j’avais bu avec des amis. L’alcool aidant, j’ai commencé à faire des dégâts avec une voiture volée, à me faire un peu plus repérer : tous les ingrédients pour mener au drame. Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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Il y a eu des poursuites avec la police, qui ne pouvait pas prendre les mêmes risques que nous, c’est pour ça que nous pouvions lui échapper. Quand j’ai cru que c’était calmé, je suis revenu dans le quartier, mais les policiers étaient là. Ils m’ont fait signe de m’arrêter, mais je suis passé. Ils ont tiré, plusieurs coups. J’ai pris une balle dans la hanche. La voiture a terminé sa course dans une maison, on a dû nous désincarcérer. Le copain qui était derrière a fait un arrêt cardiaque et a eu un traumatisme crânien, mais il s’en est sorti. Moi, j’ai eu une perforation des poumons, une fracture du bassin et un double traumatisme crânien. J’ai passé dix jours en coma artificiel. Je me suis réveillé sur un matelas d’eau, un arceau de lit sous mes draps : j’avais une sonde urinaire et des jambes qui ne répondaient plus… Je suis paraplégique, avec une paralysie incomplète. Qu’est devenue votre vie après cet accident ? Après la rééducation, je suis revenu dans mon quartier. Le fauteuil me rendait repérable, les gens ont pu mettre un visage sur le nom qu’ils avaient vu dans les journaux. Cela m’a valu des déboires, des gens qui se prenaient pour des justiciers essayaient d’en venir aux mains. Je ne me suis jamais laissé faire, même si ce n’était pas facile. Mon objectif était d’essayer de me reconstruire.
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Il fallait m’arrêter, c’est vrai, mais pas de cette façon-là, pas avec une balle. Quand des jeunes sont vraiment en difficulté, en échec scolaire, familial, il faut mettre les moyens, essayer de les appuyer. Ce qui n’a pas été fait avec moi. Je me suis senti plus entouré, plus épaulé, lorsque je me suis retrouvé en fauteuil. Avez-vous repris des études après la rééducation ? J’ai repris en sport-études pour personnes invalides. J’ai passé un BEP électronique, j’ai été sélectionné en équipe de France espoirs de basket, en sélection régionale. Mais je n’y suis pas allé. J’avais retrouvé une bande de copains, on s’amusait, on jouait aux cartes, on gagnait de l’argent facile. J’ai vendu des stupéfiants : j’étais discret, je n’avais pas envie de chercher plus loin… J’ai eu un appartement, une copine, mais je n’étais pas près à m’installer – j’avais 21 ou 22 ans. Puis, j’ai perdu ma mère, ce qui m’a valu une période difficile de deux ou trois années. Je ressentais toujours beaucoup de colère. J’ai cherché refuge dans la drogue. Jusqu’à 26 ans. Comment en êtes-vous sorti ? J’ai eu envie de prouver que ma vie ne pouvait pas se résumer à mon passé, qu’il ne faisait pas de moi quelqu’un de mauvais et d’infréquentable. J’ai voulu montrer à mes détracteurs
que je pouvais moi aussi réussir, me donner les moyens de changer. J’ai vendu tous mes meubles, lâché ma maison, sans savoir où j’irais le lendemain ; je me suis retrouvé avec cinq sacs et mon chien. Mon frère m’a aidé, j’ai travaillé pour un club de basket – contre un hébergement – pendant un an. Aujourd’hui, j’évite le plus possible mes anciens amis. Ils me souhaitent « bon courage », ça me fait rire. Je suis en fauteuil, mais grâce au basket j’ai voyagé en Angleterre, en Suisse, en Allemagne… Cela m’a permis d’évoluer, m’a ouvert l’esprit, rendu curieux. J’ai passé mon premier niveau de plongée, ce que je n’aurais jamais fait en étant valide ! Je me suis raccroché à ce que j’avais vraiment envie de faire : je travaille bénévolement au sein d’une association sportive et dans un Institut médico-éducatif (IME). J’entreprends également des actions de sensibilisation et de citoyenneté sur la question du handicap dans des établissements scolaires. J’ai passé des diplômes de la Fédération française de basket me permettant de proposer un encadrement et une formation de qualité. Pour la première fois de ma vie, j’ai trouvé une motivation. Propos recueillis par Lise Perino
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« La prison reste avant tout un lieu de gestion de la grande précarité sociale » Détention « inéluctable », « calculée », « catastrophe », « protectrice »… Gilles Chantraine restitue la façon dont les personnes détenues inscrivent la prison dans leur trajectoire, sur la base de récits de vie recueillis en maison d’arrêt. Soulignant les effets contre-productifs de l’incarcération – trous dans le CV, perte des liens, stigmatisation, etc. – le sociologue interprète les parcours délinquants sous l’angle exclusif des processus de domination et de criminalisation des franges les plus pauvres de la société.
Gilles Chantraine, sociologue, est chargé de recherche au CNRS – Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques (Clersé). Il est notamment l’auteur de Pardelà les murs. Expériences et trajectoires en maison d’arrêt (PUF-Le Monde, « Partage du savoir », 2004).
Vous avez travaillé sur les trajectoires de vie de personnes détenues en maison d’arrêt. Pouvez-vous décrire quelques « types » de parcours carcéraux (engrenage, professionnalisation, rupture…) et en expliquer les principales caractéristiques ? J’ai essayé de restituer les différentes manières de vivre et de décrire un passage par la case prison. Il peut ainsi être vécu comme inéluctable : l’incarcération apparaît comme l’aboutissement d’une trajectoire de galère, rythmée par de nombreuses condamnations. Il arrive aussi qu’elle constitue une pause dans un mode de vie dominé par une consommation de drogues qui n’est plus entièrement contrôlée par l’individu : le temps de la détention, on se refait une (petite) santé, et ce malgré les effets pathogènes de l’enfermement. L’incarcération peut également être vécue comme une catastrophe. Cette idée est caractérisée par le passage d’un statut social décrit comme « normal » (avec un logement, une famille et Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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parfois même un travail) à un statut d’infâme, d’ordure, de monstre, de délinquant sexuel. Une autre manière de décrire l’incarcération est de la présenter comme calculée : ici, le passage en prison est présenté comme un risque tangible et assumé, faisant partie d’un mode de vie choisi. Dans ce type de description, qui peut renvoyer autant à des réalités concrètes qu’à un effort pour « garder la face » vis-à-vis de l’institution, la délinquance est perçue comme une activité professionnelle qui demande des compétences spécifiques, requiert un code moral, comporte ses tâches indignes, ses fautes ainsi que ses risques. Enfin, paradoxalement, la détention peut être vécue comme protectrice. C’est là l’exemple typique d’une femme incarcérée pour avoir été complice d’un viol incestueux perpétré par son mari, qui finit par trouver en prison une forme de protection face à la violence quotidienne du mari en question. C’est encore l’exemple du SDF qui choisit délibérément, pour quitter une situation qu’il
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n’arrive plus à supporter (la rue et ses violences, l’isolement, le froid), de réintégrer la prison par différents moyens. Que recouvre la « galère » à laquelle de nombreuses personnes ont été confrontées avant leur incarcération et comment les conduit-elle en prison ? Ce terme est utilisé couramment par les jeunes eux-mêmes, mais il est aussi une notion sociologique forgée par François Dubet. Il montrait comment l’expérience de la galère se situe au carrefour de trois logiques : la désorganisation, l’exclusion et la rage. Elles se retrouvent dans de nombreux récits de jeunes incarcérés à la maison d’arrêt de Loos, où j’ai effectué mes entretiens (elle a fermé récemment ses portes). Dans la galère, la délinquance est un phénomène diffus, présent partout mais central nulle part. Elle est davantage perçue comme un moyen de s’amuser entre pairs, d’enrayer la routine d’un quotidien plutôt maussade, voire marqué par un ennui profond. Quant à l’argent que la délinquance rapporte parfois, il se dépense vite : la galère n’autorise pas de projets à long terme. Surtout, elle s’inscrit dans un contexte plus global dans lequel le jeune a perdu tout espoir d’insertion sociale.
Pouvez-vous expliquer ce qu’est la « désaffiliation », et en quoi elle est importante dans les parcours de ceux que vous avez rencontrés ? La notion de désaffiliation, forgée par Robert Castel, permet de saisir le processus de fragilisation de l’individu à la fois dans ses dimensions économiques (éloignement progressif puis durable du marché du travail) et sociales (fragilité des liens). Cette notion est importante pour les questions liées aux trajectoires carcérales. La pauvreté – et plus généralement la désaffiliation – réduisent la protection contre l’incarcération : la police a d’autant plus tendance à garder à vue et à transmettre au parquet l’auteur présumé d’une infraction que ses garanties d’insertion sociale sont faibles. Ce phénomène se répète tout au long du processus répressif, jusqu’à la détention provisoire puis la condamnation. A délit égal, la probabilité d’être condamné à une peine de prison ferme est plus grande si l’on comparaît détenu que si l’on comparaît libre. En ce sens, la prison reste avant tout un lieu de gestion de la grande précarité sociale. Par ailleurs, le sentiment qu’une même vie précaire continue de part et d’autre des murs de la prison surplombe parfois le sentiment d’être « libre » d’un côté et « privé de liberté » de l’autre. Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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dossier Enfin, les parcours carcéraux sont marqués d’un côté par une fragilisation économique et sociale, de l’autre par une intégration carcérale progressive. D’un côté, les ruptures avec le foyer de vie, la stigmatisation de l’entourage proche et moins proche, etc. ; de l’autre, l’assimilation progressive des normes de vie en prison (virilisme, capacité à infliger la violence physique…), sociabilité entre « pairs de misère » ou entre délinquants en voie de professionnalisation, etc. Le sentiment d’avoir été « dépassé par les événements » semble aussi largement partagé par les personnes que vous avez rencontrées. Quelle(s) réalité(s) recouvre ce sentiment ? Différents facteurs se conjuguent pour former les rouages d’un engrenage sur lequel la personne ne trouve pas de prise : expérience de la galère, souffrances et événements biographiques singuliers, processus répressifs de prise en charge institutionnelle… Le sentiment d’être l’auteur de sa propre vie, et maître de sa narration, est largement connecté à la position sociale : sur un tableau qui mettrait en relation l’appartenance à une catégorie sociale et les compétences narratives des acteurs, les détenus se situeraient à l’extrême opposé de l’artiste ou du responsable politique, qui, au terme d’une vie trépidante, décide d’écrire une autobiographie. D’après les récits de vie que vous avez recueillis, comment sont appréhendées aujourd’hui en France les questions de responsabilités sociale et individuelle dans la délinquance ? En prison, il ne s’agit pas tant de mettre le détenu en situation de responsabilité par rapport à ses actes (on lui conseille même parfois de cacher son délit, pour sa « protection ») que de mettre en œuvre une forme assez perverse de responsabilisation individuelle, dans un cadre carcéral pourtant largement déresponsabilisant. Là encore, il ne s’agit que d’une forme exacerbée du rapport de domination à l’œuvre dans l’ensemble de la société : ceux qui ont le moins de ressources et de supports pour prendre en main leur existence sont également les plus soumis à l’injonction de se « responsabiliser ». D’un côté, la mise sous écrou et l’infantilisation ; de l’autre, l’injonction au « travail sur soi », à la « construction de projet » et à « l’arrêt des bêtises ». Aux marges du système pénal, les illégalismes des puissants restent en revanche peu interrogés sous l’angle de la responsabilité individuelle, et certains délits commis par des hommes et des femmes politiques sont interprétés comme des phénomènes inhérents au jeu politique. Quel est l’impact des interventions institutionnelles (éducatives, policières, judiciaires…) sur le parcours des jeunes délinquants ? Vous dites que « la première incarcération assigne à la personne et à ses actes un statut de délinquant »… Mon approche, qualitative, est nécessairement limitée puisque je récolte avant tout les discours de ceux qui sont Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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passés par la case prison et non de ceux qui s’en sont sortis avant… Chez les mineurs détenus, il est frappant de constater la haine des premiers foyers qu’ils ont connus, décrits comme insécurisants et criminogènes, et donc comme des « stations de correspondance » biographiques menant à la prison. Chez les majeurs, les trous dans le CV, le casier judiciaire, qui restreint l’accès à certains postes, les ruptures affectives et familiales, les rencontres avec d’autres détenus constituent autant de phénomènes contribuant à conférer à la prison un effet ou une fonction inverse de ceux qu’on lui assigne (la réinsertion, la prévention de la récidive). Ce phénomène a été montré depuis longtemps en sociologie, par exemple par l’Américain Lemert, qui a défini la « déviance secondaire » comme la conséquence de la réaction sociale à une première déviance. Quels enseignements peuvent être tirés de vos recherches pour les politiques publiques et l’accompagnement des auteurs d’infractions ? En amont, il faudrait se pencher sur le milieu scolaire : l’exclusion de l’école joue un rôle important dans l’essor et le développement des activités délinquantes. Pour beaucoup de jeunes adolescents en situation de décrochage scolaire, la délinquance et les menus larcins sont un moyen de tuer le temps, de se faire un peu d’argent et de s’amuser. Jusqu’à ce que les premières détentions leur confèrent un véritable statut d’actes délictuels. Mais la question primordiale à mes yeux n’est pas tant celle de l’accompagnement des auteurs d’infractions que celle des processus de criminalisation. Je ne prendrai ici qu’un exemple, qui a des conséquences énormes sur les circuits d’alimentation des prisons : la criminalisation de la consommation de drogue. La politique répressive menée depuis la loi de 1970 est non seulement liberticide, mais s’avère un échec sanitaire, social et pénal. C’est lorsque le toxicomane n’a pas les moyens légaux d’assurer sa défonce et de gérer le manque qu’il est conduit à commettre des actes délictuels. Avant de se poser la question de l’accompagnement du toxicomane à sa sortie de prison, ne vaudrait-il pas mieux s’interroger sur la place des drogues dans la société ?
Pour aller plus loin Bérard J., Chantraine G., 2013, Bastille Nation. French Penal Politics and the Punitive Turn, Carleton, Red Quill Books Edition. Bérard J., Chantraine G., 2008, 80 000 détenus en 2017 ? Réforme et dérive de l’institution pénitentiaire, Paris, Editions Amsterdam. Chantraine G., Salle G., 2013, (Dir.) « La délinquance en col blanc : études de cas », dossier de la revue Champ pénal/ Penal Field, http://champpenal.revues.org/8380
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« Je suis encore dans le noir » Une famille marquée par la maladie, les décès et la pauvreté… Virginie sombre dans l’alcool, elle est condamnée à deux mois d’emprisonnement avec sursis mise à l’épreuve pour conduite en état alcoolique. Près de cinq ans après les faits, elle est incarcérée pour respect « insuffisant » de son obligation de soins. Une rencontre avec la justice caractérisée par le manque d’accompagnement, l’incompréhension des mesures pénales et le traumatisme de la prison. Pourriez-vous évoquer votre vie avant d’avoir été confrontée à la justice ? Ma sœur jumelle et moi avons reçu une éducation très stricte. Ma mère est tombée gravement malade lorsque j’avais 16 ans, elle est restée six mois à l’hôpital. Heureusement elle s’en est sortie, elle vit toujours. A cette époque, mon père travaillait du matin au soir, puis il allait la voir. Ma sœur et moi, nous avons dû arrêter l’école pour nous occuper de la maison, préparer les repas… A 17 ans, j’ai suivi une formation en alternance pendant un an à l’hôpital. J’avais aussi une sœur aînée, aujourd’hui décédée. Elle aussi est partie à cause de l’alcool. Son mari la frappait, elle était toujours toute seule et elle s’était mise à boire. Mon père a eu un cancer. Il est décédé à 47 ans, j’en avais 20, et nous n’avions aucunes ressources. Ma mère ne pouvait pas toucher sa pension avant l’âge de 50 ans, alors nous avons été aidées par la mairie, on nous donnait des bons de marchandises. Nous faisions de petits travaux chez des particuliers. A cette époque, j’ai commencé à travailler à l’hôpital de Lens en tant qu’aide ménagère. Je devais devenir aide-soignante, mais j’ai eu des problèmes de santé, et l’on m’a annoncé que je devais arrêter en raison de mes jambes – j’ai une polyarthrite, avec de gros problèmes sur les cartilages –, on avait peur que je perde l’équilibre. J’avais 25 ans, ça m’a fait mal. J’adorais le boulot, le contact avec les autres m’a toujours plu. Puis, à l’âge de 26 ans, j’ai eu ma fille. Je n’ai plus travaillé depuis. Comment a commencé votre problème avec l’alcool ? C’est lié à la mort de mon père, la grave maladie de ma mère, la disparition de ma sœur aînée… Lorsque mon père est décédé, j’étais partie faire les vendanges. Ma sœur m’a téléphoné et, à entendre sa voix, j’ai tout de suite compris. Je n’ai rien dit, j’ai raccroché et je suis repartie directement chez moi pour l’enterrement. Malheureusement, je n’ai pas pu voir mon père. Ma sœur et ma mère n’avaient pas voulu me dire qu’il allait très mal, sinon je me serais arrangée pour rentrer plus
tôt. Ces décès sont venus s’ajouter à ma maladie, qui empirait. J’ai toujours refusé les calmants, le médecin voulait que je prenne de la morphine ou du valium. Je devais faire le moins d’efforts possible, rester allongée. J’ai commencé à boire quelques verres, pour dormir, mais le lendemain matin j’avais toujours aussi mal, alors je reprenais de l’alcool. Je croyais maîtriser ma consommation, je pensais à ma fille et à mon mari, qui travaillait. Je voulais que le ménage soit fait, les repas préparés, qu’elle ne me trouve pas endormie sur le fauteuil en rentrant de l’école. Quand je buvais deux ou trois verres, je pensais maîtriser. J’ai réalisé après que c’était le contraire. Au début, on boit un verre, puis deux, trois, quatre, cinq, puis la bouteille. C’est là qu’on comprend qu’on est dépendant. On ne s’en sort pas… Vous avez été condamnée pour conduite en état alcoolique à deux mois d’emprisonnement avec sursis assortis d’une mise à l’épreuve pendant dix-huit mois. Comment avez-vous compris cette peine ? Je n’ai rien compris du tout. Le juge m’a assommée. Je n’avais rien volé, fait de mal à personne, et j’ai pris deux mois pour un peu de tôle froissée. Le sursis et l’épreuve, je comprenais ce que c’était, mais on ne m’a rien expliqué. J’aurais dû être convoquée par un Conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP), mais je n’ai vu personne. Aviez-vous conscience qu’il fallait que vous engagiez un suivi médical à ce moment-là ? En sortant du tribunal, je me suis dit « maintenant j’arrête l’alcool, et si quelqu’un vient à la maison pour me faire une prise de sang, il n’y aura pas de problème ». Mais personne n’est jamais venu chez moi. J’envoyais régulièrement mes analyses, c’est tout. Vous avez de nouveau été convoquée, et le juge a prolongé de dix-huit mois votre délai d’épreuve, car vous ne respectiez pas l’obligation de soins. Aviezvous compris que vous deviez aller dans un centre d’addictologie ? Non, j’ai arrêté de moi-même, je n’ai pas besoin d’aller à l’hôpital pour une cure de désintoxication. Je n’étais pas alcoolisée du matin au soir. J’avais une conscience, ma fille, mon mari, une maison. Pendant ce deuxième délai d’épreuve, j’ai eu quatre rendez-vous avec un CPIP qui me parlait, me demandait si mon problème d’alcool s’était stabilisé, arrêté, si j’avais eu un traitement, etc. C’est lui qui m’a incitée à aller au Square [une association d’aide dans la prise en charge des addictions]. Je n’y suis allée que deux ou trois fois, quand mon mari avait le temps de m’y conduire. Sinon ce n’était pas Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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évident, avec les horaires de bus, mes difficultés à marcher… Le Square m’a aidée, j’ai pu parler, voir une psychologue. Mais jamais personne n’est venu chez moi. Pourtant, ça m’aurait fait du bien, une petite visite une fois par mois pour faire le point. Connaissiez-vous les implications de la révocation de votre mise à l’épreuve ? Non, je n’ai pas compris pourquoi les gendarmes sont venus me chercher, je n’ai pas fait le lien avec le sursis. Je revenais des courses avec ma sœur, ils étaient devant la maison. Ils m’ont parlé de mon accident, de l’alcool, et ils m’ont emmenée au commissariat. Ils ne m’ont pas dit combien de temps j’allais rester, c’est ce qui m’a choquée. Ma sœur a apporté tous les documents sur mon état de santé, mais ils n’en n’ont pas tenu compte. Ils auraient au moins pu me convoquer avant pour m’expliquer. Je me serais présentée. Comment se sont passés votre arrivée et votre séjour en prison ? Je suis arrivée en détention le jour même, directement du commissariat. Je n’ai pas eu de visite médicale en arrivant. Le matin, je n’arrivais pas à me lever, j’avais extrêmement mal, j’ai demandé une infirmière, au moins pour avoir un cachet. J’ai attendu, mais je ne suis jamais allée à l’infirmerie. Mon état a empiré, je n’ai jamais autant souffert. J’étais seule en cellule, alors que je demandais à avoir quelqu’un avec moi pour parler, avoir un lien ou pour prévenir, si ça n’allait pas bien le soir, si j’avais du mal à marcher. Ça m’aurait rassurée. A rester là-dedans, on devient malade, on perd complètement la notion du temps. Personne n’est venu me parler, m’expliquer le fonctionnement de la prison… Qu’est-ce qui vous a le plus marquée en détention ? La prison m’a tuée, achevée. On ne s’imagine pas. C’est vraiment le noir. J’avais l’habitude de sortir tous les jours, d’aller avec ma Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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sœur faire des courses, je pouvais parler avec ma fille, fumer ma cigarette, etc. Etre enfermée comme ça, c’était l’horreur. Mon problème n’avait rien à voir avec la prison, j’aurais dû aller à l’hôpital. Je ne pouvais pas marcher, je ne pouvais pas aller seule en cour de promenade. Pendant plus d’un mois et demi, j’ai été complètement seule. Je ne parlais pas avec les surveillantes. Je suis allée seulement deux fois en promenade, grâce à une fille à qui j’avais expliqué ma difficulté à marcher. Elle m’a aidée, m’a ouvert la porte, prise par le bras, fait faire le tour de la cour. Elle m’a donné une cigarette parce que je ne recevais pas celles que j’avais commandées à la cantine, je ne sais pas pourquoi. Depuis, toutes les nuits, je fais des cauchemars : je me vois en prison, puis en train de sortir, de courir, de me sauver, de passer au-dessus des murs. Qu’est-ce qui a changé dans votre vie après ce passage en prison ? J’attends que ça change. Je suis encore dans le noir. Mon état s’est quand même amélioré, l’oxygène est revenu. J’ai la télé, la musique, ma fille… Mon entourage a été solidaire, ils ont tous trouvé que mon passage en prison était injuste, ils n’ont pas compris pourquoi on me faisait ça. La prison n’est pas faite pour les personnes qui ont des problèmes d’alcool. Je pense qu’il faudrait les envoyer dans un hôpital, avec d’autres personnes connaissant les mêmes problèmes, pour qu’ils puissent en parler entre eux, échanger. Celui qui est là depuis plus longtemps peut encourager les nouveaux, les aider à décompresser pour ne plus penser à l’alcool. Vous avez tout de même passé le cap de la prison ? Je m’en sors tout doucement… Mais il me restera toujours quelque chose derrière, une petite séquelle, c’est obligé. Propos recueillis par Anne Chereul
Statistiques pénales du Conseil de l’Europe : la France dans le bas du tableau
ACTU
Le Conseil de l’Europe a publié, le 3 mai 2013, la mise à jour annuelle de ses statistiques pénales (SPACE 1). Qu’il s’agisse du taux d’incarcération (en 25e position sur 51, derrière 24 administrations affichant un taux inférieur), de surpopulation (39e), de mortalité (37e) ou de suicide (48e), la France figure bien souvent dans le bas du tableau.
L
e document compile les données au
1er septembre
2011 fournies par 51 des 52 administrations pénitentiaires des 47 Etats membres1 - seule la Fédération de Russie n’ayant pas répondu. Au-delà des difficulté à comparer des situations hétérogènes, l’exercice dresse un inventaire contrasté de l’archipel carcéral européen. Si le nombre total de personnes détenues dans les Etats membres a légèrement décru (– 2 % entre 2010 et 2011), le taux de détention moyen, lui, a augmenté : 154 détenus pour 100 000 habitants, contre 149,3 l’année précédente. Avec un taux de 111,3 (24 pays affichant une proportion inférieure), la France se place parmi les 34 pays dont le Conseil de l’Europe considère qu’ils ont un taux de détention « élevé » (supérieur à 100 pour 100 000). L’Allemagne, l’Irlande, les Pays-Bas, la Suisse, la Slovénie, l’Islande, la Norvège, la Suède ou la Finlande… se situent en dessous de ce seuil. La France figure également au 7e rang des 11 pays ayant connu la plus forte augmentation entre 2010 et 2011 (+ 7,6 %), quand 28 pays ont vu leur taux de détention décroître (dont l’Angleterre et le pays de Galles, les Pays-Bas, l’Italie, l’Espagne ou l’Irlande). Les prisons européennes sont utilisées au maximum de leur capacité, avec 99,5 détenus pour 100 places (contre 98,4 dans la précédente édition), la moitié des systèmes pénitentiaires étant affectée par la surpopulation. Une moyenne à lire avec précaution, les modalités de calcul variant considérablement d’un pays à l’autre. Elle masque de fortes disparités entre les Etats (de 16,7 à San Marin à 157,6 en Serbie), mais aussi à l’intérieur d’un pays, comme le montre la situation française : derrière un taux moyen de 113,4 détenus pour 100 places se cachent 34 prisons occupées à plus de 150 % (au 1er septembre 2011). Seuls dix pays (Slovénie, Espagne, Monténégro, Belgique, Croatie, Chypre, Hongrie, Italie, Grèce et Serbie) affichent un taux de surpopulation plus élevé que celui de la France – trois n’ont pas fourni les données. 1 Le Royaume-Uni compte trois administrations distinctes (Angleterre et pays de Galles, Ecosse, Irlande du Nord) ; l’Espagne, deux (la Catalogne dispose d’une administration spécifique) ; la Bosnie-et-Herzégovine deux (Bosnie-Herzégovine et République serbe de Bosnie).
La comparaison de la durée des peines révèle des pratiques hétérogènes. Les Pays-Bas et l’Allemagne, à titre d’exemple, comptent 44 % de détenus purgeant des peines inférieures à un an – contre 35 % en France et seulement 3,6 % en Belgique ou 6,5 % en Italie. Deux pays où le taux de détenus purgeant des peines de trois à dix ans est, en revanche, élevé (61 % en Belgique et 51 % en Italie), quand cette catégorie affiche 20 % aux Pays-Bas, 32 % en Allemagne… et 19,5 % en France. Egalement élevé est le pourcentage de détenus concernés par des peines de dix ans et plus : la France, avec 15 % de détenus condamnés à une longue peine, se trouve en 32e position, parmi les « mauvais élèves » (contre 9 % au Danemark, 7 % aux Pays-Bas et 4,7 % en Allemagne). Les données relatives aux décès en milieu carcéral font état pour la France en 2010 de 178 décès, soit un taux de mortalité de 29 pour 10 000 détenus (29 pays présentant des chiffres moins élevés), similaire à celui affiché par l’Azerbaïdjan, la Lettonie ou la Lituanie. Bien en dessous du taux de la Belgique (47 pour 10 000), mais au-dessus de ceux de l’Allemagne (18), l’Italie ou les Pays-Bas (24). Ce taux remonte néanmoins à 43 pour 10 000, faisant reculer la France à la 37e position, si l’on comptabilise les 262 décès de personnes écrouées (c’està-dire pas seulement celles qui sont détenues). Le directeur de l’Administration pénitentiaire invoque « une erreur d’imputation » pour expliquer que ce dernier chiffre n’ait pas été retenu. L’erreur se répète avec le nombre des suicides, qui ne tient compte que des 95 actes ayant conduit à un décès en détention, classant la France au 6e rang des pays connaissant le plus fort taux de suicide en détention. Mais elle remonte au 3e rang (17,8 pour 10 000) dès lors que sont comptabilisés les 14 suicides commis en détention dont l’auteur est décédé hors détention (le plus souvent à l’hôpital). Si l’on ajoute les 12 suicides de personnes écrouées non détenues, ce taux atteint alors 19,8 pour 10 000. SPACE I, Statistiques pénales annuelles du Conseil de l’Europe, Strasbourg, 3 mai 2013 Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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Loi pénitentiaire :
le compte n’y est (toujours) pas Invités par la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois à se livrer à un « service après vote » lors d’un débat sur l’application de la loi pénitentiaire, les sénateurs se sont penchés, le 25 avril 2013, sur les difficultés « structurelles » de la prison. Avec pour support le rapport très critique rendu en juillet 2012 par leurs pairs Nicole Borvo Cohen-Seat (groupe communiste républicain et citoyen) et Jean-René Lecerf (UMP), qui dressait un constat sans appel : « les réalités de la vie carcérale [demeurent] encore éloignées des objectifs poursuivis par le législateur1 » en 2009.
C
’est un exercice trop rare auquel se sont livrés
les sénateurs. Un « service après vote » indispensable, selon Jean-René Lecerf, qui consiste à contrôler la mise en œuvre effective de dispositions voulues et adoptées par le législateur. Plus de trois ans après la promulgation de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, le constat est sans appel : les ambitions d’alors sont encore loin d’être atteintes. Faute de publication des textes réglementaires permettant leur application effective, certaines dispositions n’ont jamais vu le jour, telles la consultation des personnes détenues sur leurs activités ou l’évaluation indépendante des taux de récidive par établissement. Sur le premier point, le sénateur a obtenu de la ministre de la Justice la promesse que le texte verrait « prochainement » le jour. Le second a tout simplement été abandonné, Christiane Taubira a en effet estimé suffisant de s’appuyer sur le « service statistique » du ministère de la Justice et sur l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), quitte à « retravailler le décret relatif à cet organisme » afin d’« assurer la performance de l’Observatoire national ». « Voilà donc un décret de moins à rédiger ! » s’est félicitée la garde des Sceaux. D’autres dispositions, par exemple l’exigence d’un décret d’application sur les règlements intérieurs types par catégorie d’établissements, ont connu une publication tardive… et pour le moins décevante. Des motifs aussi flous que « les contraintes inhérentes à la détention » ou « la prévention de la récidive » étant utilisés pour justifier de restrictions à l’exercice des droits des personnes détenues, le texte publié le 30 avril 2013 perpétue l’arbitraire auquel devait remédier la loi pénitentiaire.1 1 J-R. Lecerf et N. Borvo Cohen-Seat, Rapport d’information fait au nom de la commission des lois et de la commission pour le contrôle de l’application des lois, 4 juillet 2012.
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Une application « évanescente » de la loi Jean-René Lecerf déplore une application « que l’on peut qualifier de trop mesurée, pour ne pas dire d’évanescente » de nombreuses dispositions adoptées il y a plus de trois ans. Il précise que « bien des efforts restent à accomplir » pour mettre en œuvre l’obligation d’activités, ce terme englobant le travail et la formation professionnelle. Le sénateur regrette d’ailleurs l’inadaptation des locaux à leur développement, y compris dans certains établissements récemment construits. La proposition visant à accorder la « priorité […] dans le cadre des marchés publics » aux productions des ateliers de la Régie industrielle des établissements pénitentiaires (la RIEP emploie environ 1 200 détenus) est restée lettre morte. Tout comme celle qui devait permettre de confier aux régions la responsabilité de la formation professionnelle des détenus, qui s’est heurtée à l’existence de contrats déléguant cette mission à des prestataires privés. Les indemnisations induites par un tel transfert ont fait reculer les pouvoirs publics. Il en est de même pour les fouilles à nu, fortement limitées et encadrées par la loi, mais qui demeurent en réalité pratiquées de façon systématique dans nombre d’établissements. Le parlementaire s’attaque également à l’une des mesures emblématiques du texte : l’examen pour l’aménagement des peines de moins de deux ans de prison. L’étude d’impact, annexée à la loi pénitentiaire, estimait nécessaire la création de 1 000 postes de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation pour la mise en œuvre de cette disposition : « nous en sommes bien loin », conclut-il au vu des quelque 300 postes créés depuis lors au titre des « métiers de greffe, de l’insertion et de l’éducation2 ». Et de constater que « la nécessaire diversification des 2 J.-R. Lecerf, Avis sur le projet de loi de finances pour 2013, t. XII, Justice : Administration pénitentiaire, Sénat, no 154, 22 novembre 2012.
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© G. Korganow pour le CGLPL
Fouille intégrale d’une personne détenue
aménagements de peine n’a pu s’opérer », la surveillance électronique supplantant le placement à l’extérieur, la semi-liberté ou la libération conditionnelle, qui « constituent pourtant les mesures à la fois les plus adaptées aux personnes les plus vulnérables et les plus efficaces pour lutter contre la récidive ».
Un consensus politique autour d’une réalité carcérale « intenable » En France, la « privation de liberté intervient le plus souvent dans des conditions que nous ne pouvons cautionner et qui portent atteinte au respect impérieux de la dignité humaine », dénonce Frédérique Espagnac (groupe socialiste). La sénatrice a souhaité rappeler que « dans des cellules d’une dizaine de mètres carrés cohabitent parfois quatre, cinq, voire six personnes ; elles sont soumises à des fouilles corporelles qui représentent une humiliation et un choc ; elles subissent une violence banalisée, ainsi que la perte de leur vie privée, voire de toute intimité ». Toutes couleurs politiques confondues, les orateurs s’alarment d’une situation que Jacques Mézard, président du groupe Rassemblement démocratique et social européen (RDSE), qualifie d’« intenable pour tout le monde ». Jean-Jacques Hyest (UMP) a quant à lui tenu à soulever « le problème des malades mentaux en prison », que la loi pénitentiaire de 2009 n’a pas traité. Pour Nicolas Alfonsi (RDSE), « la réinsertion passe par l’accès à des droits sanitaires et sociaux dont l’effectivité n’est pas encore
satisfaisante ». Le sénateur Hyest a enfin déploré qu’il y ait toujours « trop de sorties sèches » (« plus de 80 % des sorties », précisera Christiane Taubira). Ces constats partagés devraient rassurer la ministre quant au soutien qu’un projet de loi pénale pourrait recevoir au Sénat. Une ministre qui a tenu à défendre le bilan de sa première année à la Chancellerie, annonçant la construction de 135 unités de vie familiale (UVF) en 2014, « dans une soixantaine d’établissements » – seuls 19 des 191 prisons françaises disposent actuellement d’UVF, alors que la loi de 2009 prévoit que toute personne détenue ait droit à ces visites préservant son intimité et celle de ses proches. Les constructions se poursuivront afin d’atteindre les 232 unités en 2015, « qui couvriront 131 établissements ». La garde des Sceaux a également indiqué aux parlementaires que les formations professionnelles sont en hausse de 9,6 % par rapport à 2011, que 800 nouvelles places de semi-liberté seraient créées dans les trois années à venir et que le budget consacré au placement extérieur augmenterait de 12 %… Avant de concéder qu’« il reste beaucoup à faire ». Samuel Gautier
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Le Défenseur des droits demande le respect de la dignité des détenus handicapés La « vulnérabilité » des personnes handicapées détenues doit être mieux prise en compte par les autorités judiciaires et pénitentiaires. Telle est la demande du Défenseur des droits (DDD) dans un avis du 11 avril 2013. L’OIP l’avait saisi de la situation de M.Y., atteint de surdité profonde congénitale, détenu à la maison d’arrêt de Fresnes. Le 7 août 2012, M.Y. avait été placé préventivement au quartier disciplinaire en raison du tapage qu’il aurait fait en cognant pendant plusieurs heures sur la porte de sa cellule. M.Y. tentait ainsi de faire connaître le malaise lié à sa détention, accru par sa grande difficulté à communiquer et à se faire comprendre des personnels. Le Défenseur juge la situation de M.Y. « potentiellement représentative de la situation de nombreuses personnes handicapées », compte tenu de « l’absence de prise en compte du handicap sensoriel, dans l’aménagement matériel et le choix des modalités de privation de liberté ». Les établissements pénitentiaires ne dérogent pourtant pas aux obligations d’accessibilité qui s’imposent à tous les établissements recevant du public, « dès à présent, à toute construction nouvelle, et à compter du
1er janvier 2015 […], à tout établissement pénitentiaire existant ». Le seul arrêté publié à ce jour ne s’applique qu’aux établissements en cours de construction et ne définit « que les normes applicables aux personnes atteintes d’une déficience motrice », déplore le Défenseur. Faute de cadre réglementaire adapté, les prisons « se trouvent aujourd’hui […] dans l’impossibilité de répondre aux exigences d’accessibilité fixées par la loi […] et par suite, aux exigences fixées par le droit international et la loi pénitentiaire ». Il recommande au ministère de la Justice « de rappeler aux parquets et aux magistrats du siège l’attention qui doit être portée à la situation particulière des personnes handicapées en raison de leur vulnérabilité », et d’avoir recours à des mesures alternatives à la détention provisoire « chaque fois que les conditions de détention ne permettent pas de répondre aux exigences fixées par le droit international et la loi pénitentiaire ». Soit de manière quasi systématique, au vu des manquements relevés dans la décision… Décision du Défenseur des droits relative aux conditions de détention des personnes handicapées noMLD/2013-24, 11 avril 2013
Mineurs étrangers incarcérés : « le doute doit systématiquement profiter au jeune » La détermination par la justice de l’âge des mineurs sans papiers joue trop souvent en leur défaveur… et conduit à des incarcérations non conformes à la loi. Le 6 juin 2013, cinq jeunes filles bosniennes ont ainsi été incarcérées à la maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis. Selon l’identité qui leur a été attribuée, elles sont toutes nées le même jour de juin 1995, et seraient donc tout juste majeures, alors qu’elles déclarent des dates de naissance s’échelonnant de 1997 à 2000. Pour la plus jeune notamment, « l’examen clinique est compatible avec un âge de 12 ou 13 ans, et parfaitement incompatible avec un âge de 18 ans », atteste un certificat établi à la maison d’arrêt. Début 2013, un mineur âgé de 16 ans a passé plus de 3 mois avec les adultes à la maison d’arrêt de Bois d’Arcy. Lors de son interpellation, le 25 février, ce jeune Serbe déclare une fausse identité, ne souhaitant pas que sa mère, gravement malade, soit informée des faits. Une expertise osseuse ayant conclu à sa majorité, il est jugé en comparution immédiate et, bien que n’ayant aucun passé judiciaire, il est condamné à 6 mois d’emprisonnement ferme avec mandat de dépôt. Les magistrats n’ont pas reconnu le document d’identité (titre de circulation), produit à l’audience par son avocate, attestant de sa minorité. Au fil des semaines, l’avocate transmet aux magistrats d’autres documents justifiant de sa naissance le 9 janvier 1997 à Milan : acte de naissance, passeport, carnet Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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de santé, livret de famille, certificats de scolarité. Sans succès. L’intervention du Défenseur des droits (DDD), saisi par l’OIP le 26 avril à la demande de l’avocate, se solde par la remise en liberté de l’adolescent le 6 mai 2013. Saisi par l’OIP à la suite de l’incarcération d’un enfant de 12 ans au Centre des jeunes détenus de Fleury-Mérogis (l’âge minimum légal est fixé à 13 ans), le DDD s’était déjà prononcé sur ce sujet. Dans une décision du 19 avril 2013, il avait recommandé à la garde des Sceaux un certain nombre de « mesures destinées à garantir les droits des mineurs dans le cadre de la procédure pénale », relevant que « les services d’enquête ont arbitrairement attribué au mineur un âge et une date de naissance sans que le moindre élément objectif ne vienne conforter leur postulat » et « sans qu’aucune recherche sérieuse concernant l’identité » de l’enfant n’ait été effectuée. Le parquet a été conduit « à deux reprises » à se fonder « sur un âge osseux estimé qui s’est [révélé] parfaitement erroné ». Le Défenseur avait rappelé « aux enquêteurs ainsi qu’aux magistrats que la détermination de l’âge précis d’un mineur, dans le cadre d’une procédure pénale, ne peut être opérée que sur la base d’éléments objectifs ». Et qu’« à défaut, le doute doit systématiquement profiter au jeune », précisant que les examens osseux ne peuvent « à eux seuls servir à la détermination de l’âge du mineur ». OIP, coordination régionale Ile-de-France
de facto
en droit La France encore condamnée par la CEDH : l’effet cumulé de la promiscuité, du manque d’activités et des manquements aux règles de l’hygiène constitue un « traitement inhumain et dégradant ». par Nicolas Ferran, responsable pôle contentieux OIP La Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France, le 25 avril 2013, pour avoir imposé à un détenu des conditions d’incarcération contraires à l’article 3 de la Convention qui prohibe les « traitements inhumains et dégradants ». Détenu pendant six mois à la maison d’arrêt Charles III de Nancy, fermée depuis 2009 en raison de sa vétusté, le requérant partageait avec une autre personne une cellule de 9 m2. La Cour relève qu’un tel taux d’occupation « correspond au minimum de la norme recommandée par le Comité de prévention de la torture (CPT) », pour qui une cellule individuelle de 10,5 m2 occupée par deux personnes est acceptable sous réserve que ces dernières aient la « possibilité de passer une partie raisonnable de la journée, au moins huit heures, hors de la cellule ». En l’espèce, la Cour relève que le requérant ne disposait que d’une possibilité très limitée de passer du temps à l’extérieur de la cellule, restant « confiné la majeure partie de la journée dans sa cellule sans liberté de mouvement », avec pour seule activité une heure quotidienne de promenade dans une petite cour de 50 m2 où se trouvaient de nombreux autres détenus. Les juges européens rappellent que l’espace alloué à M. Canali « ne justifie pas à lui seul le constat de violation de l’article 3 », d’autres aspects des conditions de détention étant « à prendre en compte dans l’examen du respect de cette disposition », parmi lesquels « la possibilité d’utiliser les toilettes de manière privée, le mode d’aération, l’accès à la lumière et à l’air naturel, la qualité du chauffage et le respect des exigences sanitaires de base ». En l’espèce, elle observe que « les toilettes se situaient dans la cellule, sans cloison, avec pour seules séparations un muret et, en l’absence de réparation de la porte, un rideau ». Le requérant et son codétenu « devaient les utiliser en présence l’un de l’autre, en l’absence d’intimité, étant précisé que le lit était situé à 90 cm de celles-ci ». Dans ces conditions, la Cour considère que « l’effet cumulé de la promiscuité et des manquements relevés aux règles de l’hygiène ont provoqué chez [M. Canali] des sentiments de désespoir et d’infériorité propres à le rabaisser et à l’humilier ». Elle alloue à l’intéressé une somme de 10 000 euros au titre du préjudice moral subi. Un arrêt qui prend la forme d’un vif rappel à l’ordre pour les autorités françaises, alors que de nombreuses personnes détenues dans les établissements de l’Hexagone connaissent des conditions de détention similaires. CEDH, 25 avril 2013, Canali c. France, n°40119/09
L’absence d’assesseur extérieur à l’AP en commission de discipline devient une cause d’irrégularité de la procédure L’administration pénitentiaire ne doit plus transiger avec l’application de la loi. C’est ce que vient de rappeler le tribunal administratif de Paris dans une décision du 14 juin 2013, annulant une sanction disciplinaire faute d’assesseur extérieur. En application de l’article 91 de la loi pénitentiaire, l’article R. 57-7-8 du Code de procédure pénale (CPP) indique en effet que la commission de discipline est composée d’un président et de deux assesseurs, dont l’un doit être « choisi parmi des personnes extérieures à l’administration pénitentiaire ». Des dispositions entrées en vigueur le 1er juin 2011 (décret n° 2010-1634 du 23 décembre 2010). Mais qui restent peu appliquées, l’administration pénitentiaire invoquant depuis deux ans des difficultés de recrutement, indépendantes de sa volonté, qui n’entachent pas selon elle d’illégalité les sanctions prononcées. Le Tribunal administratif de Paris a cependant décidé de ne plus admettre une telle argumentation. Relevant que « la participation d’une personne extérieure à l’administration pénitentiaire est une garantie procédurale reconnue aux détenus », il souligne que le délai accordé par le décret du 23 décembre 2010 « pour installer les commissions de discipline dans leur nouvelle composition était expiré depuis plus de huit mois » à la date du passage du requérant en commission de discipline. Le tribunal relève par ailleurs que « le garde des Sceaux ne produit aucune pièce de nature à établir que l’administration aurait entrepris toutes les diligences nécessaires » pour assurer l’effectivité de la disposition. Dans ces conditions, la sanction attaquée « est intervenue au terme d’une procédure irrégulière » et doit être annulée. Tribunal administratif de Paris, 14 juin 2013, n°1204036/6-1, n°1205173/6-1
Contestation par un détenu d’une obligation de quitter le territoire : les exigences du droit à un recours effectif Un ressortissant étranger ayant fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) sans délai de départ volontaire dispose d’un délai de 48 heures pour contester cette mesure devant le tribunal administratif. Il en va de même pour les décisions relatives au séjour, à la suppression du délai de départ volontaire, au pays de renvoi et à l’interdiction de retour notifiés simultanément. Dès notification de l’OQTF, l’intéressé doit être « mis en mesure, dans les Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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meilleurs délais, d’avertir un conseil, son consulat ou une personne de son choix » (art. L. 521-1-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers). Or, le respect du délai de 48 heures et le bénéfice du droit de contacter un tiers peuvent se heurter à de nombreux obstacles s’agissant des étrangers incarcérés. Le rappel récent des exigences du droit à un recours effectif par la Cour administrative d’appel de Paris est dans ce contexte particulièrement bienvenu. La Cour juge en effet que le délai de recours n’a pas commencé à courir lorsque les conditions de notification de l’OQTF à un étranger incarcéré « portent atteinte à son droit au recours effectif, garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en ne le mettant pas en mesure d’avertir, dans les meilleurs délais, un conseil ou une personne de son choix ». En l’espèce, la Cour relève que le requérant, qui ne sait ni lire ni écrire le français, « n’a pas eu lecture par l’agent notificateur de l’arrêté contesté et des voies et délais de recours ». Elle relève par ailleurs que, sans accès direct à un téléphone ou à un télécopieur, l’intéressé ne pouvait pas prendre contact avec un avocat ou toute autre personne de son choix « et ne pouvait bénéficier, avant la clôture du délai de recours de 48 heures, d’une consultation juridique au point d’accès au droit de la maison d’arrêt de Fresnes ». Dans ces conditions, le recours, bien que formé postérieurement à l’expiration du délai de 48 heures, est jugé recevable. Cour administrative d’appel de Paris, 18 avril 2013, n°12PA00881
Fouilles à nu systématique : le Conseil d’Etat franchit un pas supplémentaire Après avoir affirmé l’illégalité des régimes de fouilles à nu systématiques au regard de la loi pénitentiaire de 20091, le Conseil d’Etat a franchit un pas supplémentaire, le 6 juin 2013, en jugeant que ce régime porte une « atteinte grave et manifestement illégale » aux principes de « respect de la dignité humaine » et de « respect de la vie privée » qui constituent des « libertés fondamentales » garanties par la Constitution et par la Convention européenne des droits de l’homme. Saisi par l’OIP en référé-liberté, le Conseil d’Etat a suspendu une note du directeur de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis instituant pour trois mois un régime de fouilles intégrales systématiques à l’issue des parloirs. La Haute Juridiction retient l’existence d’une situation d’urgence compte tenu de « la fréquence et [du] caractère répété des fouilles intégrales encourues à l’échelle de l’établissement pénitentiaire ». Et enjoint au directeur de l’établissement de modifier sans délai « les conditions d’application du régime des fouilles intégrales systématiques afin d’en permettre la modulation en fonction de la personnalité des détenus ». Reste à savoir si ce sérieux rappel à l’ordre de 1 CE, 11 juil. 2012, OIP, n° 347146 et 26 sept. 2012, X., n°359479 Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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la Haute Juridiction sera entendu, l’administration pénitentiaire semblant déterminée à ne pas respecter les nombreuses décisions de justice prononcées ces deux dernières années à la demande de l’OIP. Dans une seconde décision également rendue le 6 juin 2013, le Conseil d’Etat rejette le référé-liberté formé par une personne détenue de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, qui demandait la suspension d’une note du chef d’établissement le visant spécifiquement et prescrivant qu’il soit fouillé à nu systématiquement après chaque parloir. Le Conseil d’Etat précise que le requérant a été condamné pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme, et estime « qu’eu égard tant à la nature des faits qui ont entraîné sa condamnation qu’à l’ensemble de son comportement en détention au vu desquels il fait l’objet d’un suivi particulier, le maintien, immédiatement après l’arrivée du requérant à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, du régime de fouilles intégrales systématiques dont il faisait l’objet auparavant apparaît justifié par les nécessités de l’ordre public ». Dans ces conditions, le juge estime que l’administration n’a pas porté d’atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale. À cet égard, il peut apparaître discutable de justifier des fouilles au regard de l’infraction – par définition immuable – et non de risques spécifiques existant au moment où la fouille est conduite. Néanmoins, le Conseil d’État prend soin de préciser qu’il incombe au chef d’établissement de « réexaminer le bien-fondé [de cette note], à bref délai et, le cas échéant, à intervalle régulier, afin d’apprécier si le comportement et la personnalité du requérant justifient ou non la poursuite de ce régime exorbitant ». Conseil d’Etat, 6 juin 2013, OIP n° 368816 et M. A., n°368875
L’examen dans un délai excessif d’une demande de libération conditionnelle est contraire à la Convention européenne des droits de l’homme « Il incombe à l’État d’organiser son système judiciaire de manière à permettre à ses juridictions de respecter l’obligation que pose la Convention d’examiner à bref délai la régularité des mesures privatives de liberté ». L’avertissement adressé au Royaume-Uni par la Cour européenne des droits de l’homme ne peut manquer de faire écho en France. Dans un arrêt Betteridge c. Royaume-Uni du 29 janvier 2013, la Cour a considéré qu’un délai d’attente de 13 mois pour l’examen d’une demande de libération conditionnelle méconnaît l’article 5 § 4 de la Convention prévoyant que « toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et
en droit
en droit ordonne sa libération si la détention est illégale ». La Cour relève notamment que la durée excessive de l’instruction de la demande de libération conditionnelle provient d’un manque de personnel, « résultat direct d’un manquement des autorités à anticiper la demande à laquelle le système pénitentiaire a dû faire face à la suite de la mise en place du système des peines IPP » (peine à durée indéterminée pour la protection du public). CEDH, Betteridge c. Royaume-Uni, 29 janvier 2013, n°1497/10
Précisions sur les aides aux détenus sans ressources suffisantes Une circulaire du 17 mai 2013 « relative à la lutte contre la pauvreté en prison » précise les modalités de l’aide apportée au « quart de la population pénale concernée par la précarité ». Le garde des Sceaux invite à « privilégier l’accès à une rémunération par le travail ou la formation » afin de garantir aux personnes démunies des ressources suffisantes pour vivre en détention « dans des conditions dignes ». Une louable ambition risquant fort d’être mise à mal par les taux d’emploi prévalant dans les établissements pénitentiaires français : moins d’un détenu sur trois a accès à un emploi, moins de neuf sur 100 à une formation professionnelle rémunérée. L’article D347-1 du Code de procédure pénale (CPP) fixe le seuil de pauvreté en détention à 50 euros, qui s’évalue en fonction de la part disponible sur le compte nominatif, des dépenses du mois courant, et des ressources du mois précédent. Toute personne répondant à ces critères bénéficie « de droit » d’aides en nature et en numéraire (plafonnée à 20 euros). En principe, « ni le comportement, ni les choix opérés par la personne détenue en termes d’activités ne [peuvent] constituer un motif d’exclusion des aides ». Seul le refus de s’engager dans une activité rémunérée « sans autre motif que la convenance personnelle » peut entraîner la suppression de l’aide en numéraire. « La lutte contre la pauvreté contribue à atténuer le choc carcéral », rappelle la circulaire. Une aide d’urgence peut donc être attribuée dès l’arrivée à l’établissement. Par la suite, il revient à la commission pluridisciplinaire unique (CPU), « sur le seul critère des ressources du compte nominatif », d’en prononcer le renouvellement. Au cours de la détention, le CPP prévoit une aide « fournie prioritairement en nature » : vêtements, produits d’hygiène, matériel de correspondance, gratuité de la télévision, etc. La circulaire ajoute la prise en charge par l’administration des frais d’inscription à l’enseignement à distance, la fourniture d’une tenue de sport pour ceux pratiquant régulièrement une activité sportive, ou de fournitures scolaires et revues éducatives pour « soutenir les efforts d’insertion socioprofessionnelle ». Pour les détenus sans ressources, l’établissement doit par ailleurs subvenir aux dépenses occasionnées par un séjour en unité de
vie familiale (UVF), « sur la base d’un taux fixé à 10 euros par jour et par personne présente (enfant compris) dans l’UVF ». Le texte proscrit « les pratiques qui reviendraient à limiter le nombre des UVF, à en limiter la durée, à solliciter la famille pour qu’elle pourvoie aux dépenses liées à l’achat des vivres nécessaires au séjour en UVF ». Afin d’aider à la préparation de la sortie des personnes détenues sans ressources suffisantes, l’administration se doit, enfin, d’« apporter une aide au paiement, dans son intégralité, du timbre fiscal exigible lors du renouvellement d’une carte nationale d’identité […] ainsi que le coût des photographies d’identité ». En revanche, pour les dossiers administratifs (CCAS, CPAM, CAF, Pôle emploi…), le texte en appelle à la « mobilisation des organismes instructeurs » pour « faciliter l’accès aux dispositifs de droit commun ». Une option ayant largement fait la preuve de son insuffisance. Les aides matérielles ne progressent pas (acquisition d’un titre de transport, produits d’hygiène, carte téléphonique et « un ou plusieurs » chèques multiservices), hormis la précision portant sur le sac remis pour contenir les effets du sortant, qui devra être « de type sport ». La fin des sacs poubelle ? Circulaire du 17 mai 2013 relative à la lutte contre la pauvreté en détention, NOR : JUSK1340023C
Le DAP rappelle les règles relatives à la correspondance « En cas de transfert ou de libération du destinataire [d’un courrier], la correspondance ne doit en aucun cas être ouverte, qu’elle relève ou non de la correspondance protégée », indique le directeur de l’administration pénitentiaire (DAP) dans une note du 15 mai 2013 adressée aux directeurs interrégionaux. « Elle doit être réexpédiée par les services du vaguemestre vers le nouvel établissement ou à l’adresse déclarée figurant sur la fiche de levée d’écrou, dans un délai maximal de trois jours. » Et non retournée à l’expéditeur sous la mention NPAI (n’habite pas à l’adresse indiquée), une pratique souvent constatée par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté qui s’en est ému auprès du DAP. Interpellé par la présidente de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) « sur le fait que certains courriers adressés par cette autorité administrative indépendante à des personnes détenues […] ont été ouverts », le DAP demande également à ses directeurs interrégionaux de veiller au respect des dispositions relatives à la confidentialité des échanges entre la personne détenue et les autorités énumérées dans le Code de procédure pénale (autorités administratives, aumôniers, avocats, parlementaires…). Toute ouverture abusive doit être mentionnée sur le registre des correspondances, précise le DAP, qui encourage la création d’un registre spécifique. Directeur de l’administration pénitentiaire, Notes du 19 mars et 15 mai 2013 Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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Demande de titre de séjour : une circulaire rappelle les règles Une circulaire conjointe des ministères de la Justice et de l’Intérieur fixe les procédures pour la première délivrance ou le renouvellement des titres de séjour aux personnes de nationalité étrangère privées de liberté, « élément essentiel à la préparation de leur sortie et de leur réinsertion sociale ». La demande « devra se faire par la voie postale », une procédure que certaines préfectures se refusent jusqu’ici à admettre. Dans le cadre de l’instruction de la demande, l’évaluation de la situation du demandeur comprend des éléments « relatifs à l’évolution de son comportement en détention, aux efforts de réinsertion accomplis et aux perspectives d’aménagement de peine ». Par ailleurs, « une attention toute particulière sera portée sur la détermination de la menace pour l’ordre public que peut représenter la personne ». La « menace simple pour l’ordre public ne peut être invoquée pour refuser le renouvellement de la carte de résident ». Mais elle peut l’être pour les titres de séjour temporaire d’un an, ou lors de la première délivrance d’un titre de séjour de dix ans : « Lorsqu’un étranger titulaire
d’un titre de séjour représente une menace grave pour l’ordre public, le préfet peut engager à son encontre une procédure d’expulsion. » La question se pose alors des critères d’évaluation d’une menace « grave » ou « simple » pour l’ordre public, qui risque de s’appliquer de manière trop systématique à l’encontre de personnes condamnées… Le relevé des caractéristiques biométriques de la personne, la remise du récépissé de la demande ou du titre de séjour pourront se faire lors de permissions de sortir. Les personnes qui ne seraient pas éligibles à une permission pourront néanmoins transmettre au juge de l’application des peines la notification préfectorale « afin que ce dernier puisse prendre en compte cet élément lors du prononcé d’une mesure d’aménagement de peine ». La circulaire invite les administrations concernées, au premier rang desquelles les préfectures, à désigner un correspondant chargé des dossiers des personnes incarcérées. Les prévenus ou personnes condamnées ou exécutant une peine inférieure ou égale à trois mois et celles faisant l’objet d’une mesure d’éloignement exécutoire n’étant pas concernées par le texte. Circulaire du 25 mars 2013 relative aux procédures de première délivrance et de renouvellement de titres de séjour aux personnes de nationalité étrangères privées de liberté, NOR : INTV1306710C
© Yves Marocchi
Maison d’arrêt Charles III de Nancy Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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en droit
ACTU
Les psychiatres demandent une évaluation des UHSA
Le Dr Michel David est président de l’Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire.
La quatrième Unité d’hospitalisation spécialement aménagée (UHSA) a été inaugurée à Fleury-les-Aubrais/Orléans le 13 février 2013. Ces unités psychiatriques pénitentiaires en milieu hospitalier ont soulevé d’importantes controverses : coûteuses, elles mobilisent pour un nombre limité de patients des moyens faisant défaut aux services « de droit commun » et créent une filière de soins ségrégative pour les personnes détenues. L’Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP) demande une évaluation du programme avant sa poursuite. Le point avec son président, le Dr Michel David.
La première tranche de constructions d’UHSA, prévoyant l’ouverture de neuf unités (440 places), n’est pas terminée. L’ASPMP demande néanmoins une évaluation globale du programme. Pourquoi ? Il a toujours été prévu que cette évaluation ait lieu, notamment dans la circulaire interministérielle du 18 mars 2011 relative à l’ouverture et au fonctionnement des UHSA. L’évaluation est une démarche généralisée dans la société pour apprécier l’opportunité de décisions ou d’actions en cours, l’Etat devrait également s’y plier. D’autant plus que les UHSA vont à l’encontre des tendances politiques actuelles, notamment celles exprimées lors de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive, visant à réduire la population carcérale en développant les peines dans la communauté. Il apparaît en ce sens légitime d’envisager un renforcement des prises en charge par le secteur de psychiatrie générale, qui pourraient éventuellement permettre d’éviter des engrenages amenant jusqu’à l’incarcération, plutôt qu’une mobilisation de moyens considérables pour des unités réservées aux patients une fois détenus. Le programme des UHSA s’avère coûteux, il nous semble donc raisonnable de l’évaluer avant de décider de sa poursuite éventuelle. Quels sont pour vous les points sur lesquels l’évaluation devrait porter une attention particulière ? Nous sommes confrontés avec les UHSA à des questions d’ordre philosophique et éthique, qu’il importe de prendre
en compte dans l’évaluation : que représentent les UHSA dans le paysage sanitaire psychiatrique français ? Leur fondement même repose largement sur les difficultés du secteur de psychiatrie générale depuis des années à prendre en charge les personnes détenues qui devaient recevoir des soins en milieu hospitalier, et en amont les patients qui peuvent à un moment ou un autre commettre des infractions pénales. Leur dénomination d’« hôpitaux-prison » traduit la création d’une filière de soin ghettoïsée pour les personnes détenues, celles-ci ne relevant dès lors plus du droit commun. Implantées sur une emprise foncière hospitalière, leur sécurité périmétrique est assurée par l’Administration pénitentiaire qui non seulement « colonise » les hôpitaux mais, qui de surcroît, du fait du dispositif sécuritaire, « encercle » le soin. La communauté soignante dans sa grande majorité a accepté sans sourciller ce concept. La création d’une filière « à part » instaure, pour les soignants, une coupure progressive du secteur de psychiatrie générale. Or, le contexte pénitentiaire a tendance à brouiller les esprits : il est difficile d’être vigilant sur tout, les médecins doivent souvent transiger, se montrer un peu équilibristes… et certains peuvent malheureusement finir par accepter beaucoup de choses, notamment en matière d’indépendance professionnelle et de respect du secret médical. L’évaluation devrait donc porter sur la pertinence de cet outil thérapeutique, son coût financier, ses difficultés de mise en place… Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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Il s’agit également d’évaluer les unités qui fonctionnent déjà : quels types de troubles mentaux sont traités en UHSA, comment s’articulent ces unités avec les 26 Services médico-psychiatriques régionaux (SMPR) et les établissements pénitentiaires n’étant pas siège d’un SMPR ? Quelle est la durée moyenne des séjours en UHSA ? Le parcours thérapeutique s’en est-il trouvé amélioré ? Quels inconvénients a-t-on rencontré ? Les équipes ont-elles constaté des difficultés à gérer les urgences, ou lors d’éventuelles levées d’écrou durant le séjour, comment s’est organisée la continuité des soins avec l’extérieur ? La localisation et le nombre limité des unités fait également partie des points d’évaluation importants : certains établissements pénitentiaires se trouvent à plusieurs centaines de kilomètres d’une UHSA : quelles en sont les conséquences pour les familles, pour les parloirs ? Enfin, il manque aujourd’hui certaines données épidémiologiques. L’une des craintes relatives aux UHSA était que ces structures, qui sont des lieux d’hospitalisation presque « intra-pénitentiaires », encouragent les psychiatres experts sollicités en amont du procès à prononcer des « altérations » du discernement, n’exonérant pas le malade de sa peine, en estimant que les personnes allaient être « soignées en UHSA ou en SMPR », plutôt que des « abolitions » du discernement conduisant le tribunal à prononcer l’irresponsabilité pénale. Cette évolution a-t-elle eu lieu ? Il serait intéressant de le savoir. Depuis l’ouverture de la première UHSA en mai 2010 à Lyon, constatez-vous une amélioration de la prise en charge des personnes détenues souffrant de troubles psychiatriques ? Les collègues des UHSA répondent positivement. Les conditions indignes d’hospitalisation en psychiatrie ont été un des arguments en faveur des UHSA, et l’amélioration sur ce point est indiscutable : les patients font moins d’allers-retours entre la prison et l’hôpital, ils ne sont pas placés en chambre d’isolement ni en contention. Néanmoins, peu de patients en bénéficient : 180 lits au total, dérisoires au regard des besoins des 68 000 détenus, dont on sait qu’une part importante est affectée de troubles d’ordre psychiatriques – Jean-Marie Delarue estime à 17 000 les personnes détenues relevant de la psychiatrie, et à au moins 10 000 celles qui devraient être hospitalisées. Les UHSA contribuent à cette situation en accréditant l’idée que les malades peuvent être soignés en prison. Forts de cette conviction, certains magistrats n’hésitent pas à infliger des peines d’emprisonnement à des personnes nécessitant avant tout des soins. L’autre progrès notable, c’est la possibilité d’avoir des hospitalisations « libres », c’est-à-dire à la demande de la personne. La décision est alors purement médicale, il n’est plus nécessaire de solliciter le préfet, contrairement à l’hospitalisation sous contrainte (soins psychiatriques à la demande d’un représentant de l’Etat, SPDRE, ex hospitalisation d’office, qui Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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était jusqu’alors la seule option pour hospitaliser un patient détenu. Quelles orientations vous sembleraient souhaitables pour améliorer la prise en charge psychiatrique des personnes détenues ? Je plaide de manière quelque peu provocatrice pour l’abolition du secteur de psychiatrie en milieu pénitentiaire, et pour le rattachement de toutes les unités au secteur de psychiatrie générale, à l’image de l’organisation des soins somatiques, afin d’avoir une meilleure intégration dans le droit commun. Les psychiatres restent toutefois assez partagés sur cette option. Nous devons nous interroger sur l’essence même de la psychiatrie en milieu pénitentiaire : doit-elle être une psychiatrie à part entière, ou est-elle est entièrement à part ? Certes, des ajustements sont inévitables. Par exemple, nous n’arrivons pas à assurer la confidentialité de la consultation, non pas dans son contenu, mais dans son existence même, puisque le personnel pénitentiaire contrôle les circulations. Personne n’arrive à trouver de solution à ce problème soulevé par tous. Il faut néanmoins réduire au maximum les écarts pour se rapprocher de l’éthique du soin généraliste. Trois points plus précis me paraissent devoir faire l’objet d’une évolution : ■■
L’interprétation de la loi de 2002 sur la suspension de peine pour raison médicale, dont ont été écartées d’emblée les personnes atteintes d’une maladie psychiatrique. Un groupe de travail Santé/Justice doit très prochainement se prononcer à ce sujet. Quelle que soit sa position, ce déni collectif sera intéressant à analyser ;
■■
Le recours systématique aux soins sous contrainte de type SPDRE pour les patients détenus. Cela constitue un CV psychiatrique de suspicion de dangerosité qui marque péjorativement l’histoire d’une personne. Nous avons des situations pour lesquelles une telle mesure ne s’imposerait pas si la consultation avait lieu à l’extérieur.
■■
La question de l’organisation sécuritaire des établissements de soins. La présence de forces de police ou de personnel pénitentiaire dans un lieu de soin psychiatriques me semble à éviter absolument. Une option possible consiste à créer des unités régionales ou départementales de soins intensifs psychiatriques, fermées et sécurisées, pour tous les patients ayant besoin d’un tel niveau de sécurité, pas uniquement les détenus. Cette question renvoie à toute une pensée de société qui doit assumer une forme de risques sans pour autant chercher à en rendre responsable l’infirmier, le médecin, le traitement, le directeur… Cela vaut évidemment pour les patients détenus.
Propos recueillis par François Bès
en actes Insertion et désistance Cette thématique des premières « Journées internationales de la recherche en milieu pénitentiaire », organisées en juin 2010 à l’ENAP, intervenait en réaction à la mise en avant de la mission de lutte contre la récidive issue de la loi pénitentiaire. Elle est analysée comme un « glissement progressif vers la primauté des mesures de contrôle sur celles relatives à l’accompagnement social » (voir la préface de Paul Mbanzoulou). Sous l’impulsion de Martine Herzog-Evans, l’intervention de chercheurs étrangers issus du courant de la « désistance » (Shadd Maruna, Fergus McNeill, Chris Trotter…), qui analysent les processus de sortie de délinquance, a démontré le décalage entre les préoccupations de l’Hexagone et celles de pays ayant redéfini leur système de probation sur la base de la recherche. La contribution des Néerlandais Bas Vogelvang et Leo Tigges en fournit une illustration assez complète. Sur les méthodes d’évaluation qui « paraissent les plus pertinentes dans le cadre de la probation », ils évoquent un corpus d’études permettant « d’établir sans le moindre doute que le risque général de récidive des justiciables peut être évalué de façon fiable et valide ». Sur les méthodes de suivi, ils expliquent les apports des programmes de type cognitivo-comportemental qui permettent d’apprendre à « reconnaître et faire face à des réactions émotionnelles immédiates » ou à développer « des stratégies alternatives pour résoudre des problèmes et pour arriver à une communication efficace ». Ils soulignent enfin l’importance de la dimension sociale de l’accompagnement, dont l’axe principal peut se résumer au développement de relations positives, car « c’est uniquement dans le cadre des relations que le probationnaire peut développer son désir de se détourner d’une vie délictueuse » et « c’est uniquement dans le cadre d’une relation qu’on peut lui offrir les possibilités d’assouvir son désir ». Insertion et désistance des personnes placées sous main de justice, dir. Paul Mbanzoulou, Martine Herzog-Evans et Sylvie Courtine, L’Harmattan, septembre 2012, 26,50 €.
Australie : l’emprisonnement augmente le risque de récidive « Parmi les sanctions qui augmentent la probabilité de récidive, les peines de prison ferme exercent l’effet le plus significatif ». Telle est l’une des conclusions du Comité consultatif sur
les sanctions (Sentencing Advisory Council) de l’Etat de Victoria (Australie), après un examen détaillé des peines prononcées par le Magistrates’ Court. Ce tribunal juge les délits mineurs et ne peut prononcer de peines d’emprisonnement supérieures à deux ans – ou cinq ans en cas d’infractions multiples. Comparé à une peine d’amende, l’emprisonnement ferme augmente de 11,3 % le risque de récidive ; et les peines dans la communauté, de 7,1 %. Les réponses non juridictionnelles (Criminal Justice Diversion Program) font, au contraire, plonger le risque de récidive de 41,3 % ; les peines avec un sursis total, de 8,4 % et les sanctions situées en bas de l’échelle des peines (low-end orders), telles que la dispense de peine ou la liberté sous conditions, de 8,6 %. « Ces résultats suggèrent que la condamnation à une peine de prison ferme plutôt qu’à un autre type de sanction ne permet pas de réduire la récidive », observent les auteurs, qui en appellent à tirer les conséquences « quant à l’effet dissuasif de l’emprisonnement auprès des délinquants ». En termes de « protection de la communauté, ces peines ont peu d’effet audelà de l’effet incapacitant immédiat ». Sentencing Advisory Council, « Reoffending Following Sentencing in the Magistrates’Court of Victoria », Melbourne, Victoria, Australia, juin 2013.
Une histoire des mouvements de contestation face au système pénal Issu de sa thèse de doctorat en histoire, l’ouvrage de Jean Bérard retrace l’évolution des mouvements contestataires face au système pénal et propose un éclairage inédit sur les tentatives d’opposition ayant précédé le débat sécuritaire contemporain. La période de 1968 à 1975 voit les militants évoluer d’une « contestation révolutionnaire de la pénalité, à la volonté de limiter la répression ». Leur position initiale peut se résumer à ce commentaire de la condamnation d’un ouvrier enfermé vingt et un ans pour un vol : « A société de classe, justice de classe. » A partir de 1975, dans un contexte de déclin des idéaux de transformation sociale, la problématique « se déplace vers le refus de formes spécifiques de répression : justice rapide qui s’abat sur les plus pauvres ; conditions de vie en prison », etc. Cette transition conduit certains groupes à tenter de « renforcer la répression de façon sélective ». Les féministes Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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affirment ainsi une volonté de sanctions sévères à l’encontre des auteurs d’infractions sexuelles, marquant le premier pas d’une place de plus en plus importante accordée aux victimes dans le processus pénal. L’émergence de la question politique de l’insécurité, à la fin des années 1970, entraîne de nouveaux clivages entre abolitionnisme et réformisme. La première tendance visant davantage « une dépénalisation de fait, sans rien demander à l’Etat », la seconde recherchant des compromis ouvrant la voie « à des innovations pénales, c’est-à-dire à des transformations de la logique pénale à l’intérieur d’un cadre légal reconnu comme légitime ». En découle une reconnaissance croissante des droits des personnes détenues, sans cesse limitée « par la définition que l’institution donne à sa propre sécurité », ce qui revient à réduire les avancées à « ce qui peut être apporté sans porter (trop) préjudice à la mission de garde et à la sécurité des surveillants, tout en diminuant le coût et le caractère gratuitement pénible de l’incarcération ». Un dilemme toujours pas résolu à ce jour. Jean Bérard, La Justice en procès. Les mouvements de contestation face au système pénal (1968-1983), SciencesPo Les Presses, 2013, 32 €.
Repenser la justice des mineurs Présidente de l’Association française des magistrats de l’enfance et de la famille de 2007 à 2012, Catherine Sultan invite dans son ouvrage, Je ne parlerai qu’à ma juge à « ne plus accepter la banalisation d’un discours alarmiste sur l’état de la jeunesse et sur l’échec de la justice des enfants ». S’appuyant sur son expérience, elle en appelle à délaisser « l’inefficacité des solutions simplistes à courte vue » pour « repenser la justice des mineurs sur d’autres bases ». En préalable à toute réforme, elle préconise « l’abrogation des dispositions inacceptables, telles que les peines planchers, le tribunal correctionnel des mineurs et la durée excessive de la garde à vue ». Elle défend « l’introduction de la “césure” du procès », afin de « concilier l’intérêt de la société à une réponse rapide à la transgression, le droit des victimes à être dédommagées et la nécessité pour l’adolescent d’être éduqué ». Cette modalité de jugement dissocie le prononcé de la culpabilité – qui peut être immédiat et permettre aussitôt l’indemnisation des victimes – d’une seconde phase de « “mise à l’épreuve” et de réparation du tort provoqué par l’enfant poursuivi » et du jugement proprement dit, intervenant « à l’issue [de ce] parcours ». Afin de permettre à la justice de se concentrer « sur les cas les plus graves », Catherine Sultan Dedans Dehors N°80 Juin 2013
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propose aussi de « revenir sur les excès d’une judiciarisation systématique des transgressions des adolescents » et de responsabiliser la collectivité en mobilisant des « espaces sociaux intermédiaires » et les collectivités locales. Catherine Sultan, Je ne parlerai qu’à ma juge, Seuil, avril 2013, 19,50 €.
Seul contre l’Etat Sa rencontre avec un « client providentiel » pour lequel il est commis d’office va conduire le jeune avocat Etienne Noël à devenir l’un des premiers acteurs de la « guérilla juridique » pour le droit des personnes détenues. Rodolphe, 30 ans, a été martyrisé pendant trois semaines par ses deux codétenus. L’avocat l’accompagne dans sa plainte au pénal, et entame grâce à lui son « initiation carcérale ». Taraudé par « l’impression de passer à côté de l’essentiel », Etienne Noël ne se satisfait pas des condamnations infligées aux agresseurs (seize et treize ans de réclusion criminelle), il engage une procédure en responsabilité de l’administration pour faute lourde. Nous sommes en 1995. Sa victoire ouvre « une première brèche ». Elargie deux ans plus tard par une autre condamnation de l’Etat pour faute, à la suite du suicide d’un homme détenu au quartier disciplinaire. A force d’entendre ses clients lui parler plus volontiers de leurs conditions de détention que de la préparation de leur procès, l’idée vient à l’avocat de « mettre en cause l’administration pénitentiaire, non pour des fautes qu’elle aurait commises, mais pour les seules conditions de détention qu’elle ‘offre’ à ses usagers ». Etienne Noël va « importer la méthode » d’un confrère nantais à Rouen, où la maison d’arrêt, construite en 1862, « traîne sa mauvaise réputation comme un boulet ». Le 21 octobre 2005, il dépose une demande d’audit de l’établissement. Le réquisitoire dressé par les experts – un architecte et un médecin hygiéniste – emportera la décision du tribunal, le 27 mars 2008. Le 17 décembre de la même année, le Conseil d’Etat rend deux arrêts qui marquent sa volonté de renforcer son contrôle sur les agissements de la pénitentiaire. Pour Etienne Noël, « une page se tourne définitivement. L’impunité de l’administration est en passe de n’être plus qu’un lointain souvenir ». Etienne Noël, Manuel Sanson, Aux côtés des détenus. Un avocat contre l’Etat, François Bourin Editeur, 2013, 20 €.
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I N T E R NAT I O NA L
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l’heure où la question de la prévention et de la répression de la délinquance et du crime s’est installée au cœur du débat public, la radiographie de l’univers carcéral français réalisée par l’OIP n’est pas seulement une initiative citoyenne salutaire, elle constitue une véritable démarche d’utilité publique. En retraçant les évolutions des politiques pénales et pénitentiaires au cours de la période 2005-2011, dans toutes leurs nuances et contradictions, ce rapport permet à chacun de connaître l’usage qui est fait de l’emprisonnement et la réalité de ce qui se passe derrière les murs de nos prisons.
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Alors même que l’institution pénitentiaire fait l’objet d’une remise en cause permanente sur sa capacité à respecter l’État de droit et les droits de l’homme, le nombre de personnes incarcérées atteint des niveaux historiques et les plans de construction de nouvelles prisons se succèdent.
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L’Observatoire international des Au terme d’un long processus d’élaboration, la loi péniprisons (OIP) est une tentiaire de novembre 2009 n’a finalement pas apporté organisation non d’avancée majeure dans la reconnaissance de droits visant gouvernementale à protéger la personne détenue. Elle vient même entériner dont l’action vise à certaines régressions, telle la mise en place de « régimes favoriser le respect différenciés ». Quant à l’injonction paradoxale faite au juge de la dignité des de systématiser la réponse « prison » (peines plancher) et personnes détenues. de transformer les courtes peines d’emprisonnement en Créée en 1996, la surveillance électronique, elle s’est accompagnée d’un section française de tournant législatif qui ajoute à des peines de plus en plus l’OIP défend les droits longues des mesures de sûreté pour les auteurs d’infracCode_OIP_2011:Codefondamentaux à barres 9/11/11 16:03 des tions les plus graves, sur la base d’une évaluation de la personnes incarcérées « dangerosité » hasardeuse et artisanale. et milite pour le développement des mesures alternatives à l’emprisonnement.
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LES CONDITIONS DE DÉTENTION EN FRANCE
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O B S E RVATO I R E
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66 la série 2001 (du 23 au 28) 66 la série 2002 (du 29 au 34) 66 la série 2003 (du 35 au 40) 66 la série 2004 (du 41 au 46) 66 la série 2005 (du 47 au 52) 66 la série 2006 (du 53 au 58-59) 66 la série 2007 (du 58-59 au 63)
OIP
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LES CONDITIONS DE DÉTENTION EN FRANCE - RAPPORT 2011
INTERNATIONAL
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OBSERVATOIRE
66 n° 80 « Ils sont nous – Parcours de vie d’anciens détenus » 66 n° 79 « Expression en prison : la parole disqualifiée » 66 n° 77-78 « Nouvelles prisons : le trou noir de la pensée » 66 n° 76 « Prévention de la récidive : le retard français » (épuisé) 66 n° 74-75 « Politique pénale : quand les idées reçues dictent leurs lois » 66 n° 72-73 « C’est l’heure » 66 n° 70-71 « Prison : le recul de l’histoire » 66 n° 69 « Pour que cesse la « honte » Des prisons sans peine, des peines sans prison » 66 n° 67-68 « Le législateur face à la loi pénitentiaire : l’humiliation pour de la République » 66 n° 66 « saisir la réalité de ces lieux secrets » 66 n° 65 « la France a rendez-vous avec ses prisons » 66 n° 64 « rétention de sureté et irresponsabilité pénale » 66 n° 63 « régimes de détention différenciés - l’envers du décor » 66 n° 62 « peines minimales, danger maximal » 66 n° 61 « contrôle extérieur : l’heure du choix » 66 n° 60 « les alternatives sortent de l’ombre » 66 n° 58/59 « états généraux de la condition pénitentiaire » 66 n° 56 « réforme de la détention provisoire : l’occasion gâchée » 66 n° 54 « politiques pénale et pénitentiaire : l’Europe en éclaireur » 66 n° 52 « étrangers en prison : aux confins de l’absurde » 66 n° 51 « sida en prison : prévenir la maladie, libérer les malades » 66 n° 50 « le rapport Burgelin : le risque de peines de folie » 66 n° 49 « sécurité renforcée en prison : la fabrique de violences » 66 n° 48 « récidive, récidivistes : ne pas se tromper de débat » 66 n° 47 « prison : peine du pauvre, pauvre peine » 66 n° 46 « vieillir et mourir en prison » (épuisé) 66 n° 45 « prison : quelle réforme vaut la peine ? » 66 n° 44 « droits dedans : pour la reconnaissance des droits des détenus » 66 n° 42 « les dix ans du code pénal : le grand enfermement » 66 n° 41 « loi Perben 2 : vers un raz-de-marée carcéral ? » 66 n° 40 « dix ans après la réforme : la santé toujours incarcérée » 66 n° 39 « les prisons françaises en 2003 une descente aux enfers »
LES CONDITIONS DE DÉTENTION EN FRANCE
ISBN 978-2-7071-5909-0
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9 bis, rue Abel-Hovelaque 75013 Paris
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rapport 2011 : les conditions de détention en France OIP/ La Découverte, 336 p., 28 (frais de port inclus)
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Conférence de consensus et mission « surpopulation » : les conclusions Baumettes : à l’assaut de l’indignité Le droit du travail entrera-t-il en prison ?
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Expression en prison :
la parole disqualifiée dossier avec Jean-Marie Delarue, Hélène Castel, FO-Direction, Marion Vacheret...
ObservatOire internatiOnal des prisOns sectiOn française
7,50 € N°79 Mars 2013
Dedans Dehors n°79 9,50€ (frais de port inclus)
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Bulletin à renvoyer à OIP, section française, 7 bis, rue Riquet 75019 Paris
Nom ........................................................................................................... Prénom ........................................................................ Profession ................................................................................ Organisme ........................................................................ Adresse .................................................................................................................................................... Code postal ......................................... Ville ............................................................................................................................................................................ Tél. ....................................................................................... Fax ..................................................................................... e-mail ...................................................................................................................................................................................................................... Je suis membre du groupe local de .................................................................................................................. Je vous adresse un chèque de .................................................... € à l’ordre de l’OIP-SF
ADRESSES
Pour tout renseignement sur les activités de l’OIP en France ou pour témoigner et alerter sur les conditions de détention en France : OIP section française 7 bis, rue Riquet 75019 Paris tel : 01 44 52 87 90 fax : 01 44 52 88 09 e-mail : contact@oip.org site : www.oip.org
Le standard est ouvert de 15h à 18h
L’OIP en région Les coordinations régionales mènent leur action d’observation et d’alerte au sujet de tous les établissements pénitentiaires des régions concernées en lien avec les groupes et correspondants locaux présents. Pour contacter les coordinations régionales : Coordination régionale Nord et Ouest (DISP Lille et Rennes) Anne Chereul 19 place de Sébastopol 59000 Lille 09 61 49 73 43 06 63 52 10 10 fax: 03 28 52 34 13 anne.chereul@oip.org
Coordination régionale SudEst (DISP Lyon et Marseille) Céline Reimeringer 57 rue Sébastien Gryphe 69007 Lyon 09 50 92 00 34 06 50 73 29 04 fax : 09 55 92 00 34 lyon@oip.org
Coordination régionale SudOuest (DISP Bordeaux et Toulouse) Samuel Gautier 7bis rue Riquet 75019 Paris 01 44 52 87 94 fax: 01 44 52 88 09 samuel.gautier@oip.org
Coordination régionale Ilede-France et outre-mer (DISP Paris et outre-mer) François Bès 7bis rue Riquet 75019 Paris 01 44 52 87 95 fax: 01 44 52 88 09 francois.bes@oip.org
Coordination régionale Centre et Est (DISP de Dijon et Strasbourg) 7 bis rue Riquet 75019 Paris 01 44 52 87 90 fax: 01 44 52 88 09 contact@oip.org
Les groupes et correspondants locaux de Metz et Nancy assurent l’observation et l’alerte sur la prison de leur ville, en lien avec le secrétariat national. Pour les contacter, vous pouvez joindre le secrétariat national : contact@oip.org ou 01 44 52 87 90
Qu’est-ce que l’OIP ? La section française de l’Observatoire international des prisons (OIP), créée en janvier 1996, agit pour le respect des droits de l’Homme en milieu carcéral et un moindre recours à l’emprisonnement. Que fait l’OIP ? Concrètement, l’OIP dresse et fait connaître l’état des conditions de détention des personnes incarcérées, alerte l’opinion, les pouvoirs publics, les organismes et les organisations concernées sur l’ensemble des manquements observés ; informe les personnes détenues de leurs droits et soutient leurs démarches pour les faire valoir ; favorise l’adoption de lois, règlements et autres mesures propres à garantir la défense de la personne et le respect des droits des détenus ; défend une limitation du recours à l’incarcération, la réduction de l’échelle des peines, le développement d’alternatives aux poursuites pénales et de substituts aux sanctions privatives de liberté. Comment agit l’OIP ? Organisation indépendante des pouvoirs publics, l’OIP ne sollicite aucun mandat ou subvention du ministère de la Justice, s’interdit de prendre part à l’action d’aucun gouvernement, de soutenir aucun parti politique ou de prendre position à l’occasion de toute consultation électorale. Pour faciliter la mise en œuvre de ses objectifs, l’Observatoire suscite la création de coordinations régionales chargées de l’observation des lieux de détention et composées exclusivement de membres de l’OIP.