Projet de réforme pénale : exercice de DESINTOX St-Quentin-Fallavier : retour sur des abus tolérés Réau : le quartier maison centrale sur la sellette
Observatoire international des prisons Section française
7,50 € N°81 Octobre 2013
EDITORIAL
L’impossible réforme ? C’était un axe majeur du projet politique de Christiane Taubira. L’enfermement ne serait plus « la seule réponse, la seule peine, la seule référence ». La course effrénée à la construction de prisons serait ralentie au bénéfice d’une « politique pénale claire », reposant sur l’aménagement des peines et la création d’une peine de probation, déconnectée de toute référence à l’emprisonnement. « Il y a des années qu’on sait que la prison, sur les courtes peines, génère de la récidive, c’est presque mécanique. Il faut arrêter ! », s’exclamait la garde des Sceaux. L’avant-projet de loi pénale manque l’objectif. Certaines dispositions s’inscrivent même dans une logique inverse. Avec la loi du 24 novembre 2009, la droite avait permis aux magistrats d’examiner avant leur exécution les peines de prison inférieures à deux ans (un an pour les récidivistes), en vue de leur éventuel aménagement : conversion en surveillance électronique, semi-liberté, etc. La gauche veut ramener ce seuil à un an (six mois pour les récidivistes). Avec pour conséquence immédiate un bond des incarcérations – plus 5 à 10 000, selon les estimations. Certes, le texte apporte des avancées en matière d’individualisation des peines, dont l’abrogation des peines plancher et la suppression des révocations automatiques de sursis. Mais leurs effets sur le taux d’emprisonnement demeurent incertains. Il serait aussi illusoire d’attendre des effets significatifs de la création de la « contrainte pénale », pâle copie d’une peine de probation qui devait nous faire changer de paradigme : passer d’une culture du châtiment (« payer » la souffrance causée par la souffrance subie), à une culture de la réhabilitation. Il y a un an, essuyant le premier feu des procès en laxisme, Mme Taubira s’interrogeait : « Estce que, dans ce pays, les gens ont renoncé au raisonnement et à l’intelligence ? Ne peut-on pas débattre du sens de la peine, du fait que le toutcarcéral augmente les risques de récidive ? » A voir les couteaux sortis de l’opposition, la litanie de contre-vérités relayées par les médias, le report de l’examen du projet de loi après les élections, l’absence criante de projet du Gouvernement pour changer la prison, il est permis de douter. Sarah Dindo
N°80 Juin 2013
Sommaire 1 Actu – Projet de réforme pénale : exercice de désintox – St-Quentin-Fallavier : retour sur des abus tolérés – Le boulet fiscal d’un sortant de prison – Entretien avec Cyrille Canetti : procès d’une prise d’otage – Réau : le quartier maison centrale sur la sellette 16 De facto – Fleury-Mérogis : la culture du rapport de force perdure – Baisse des suicides en détention – Les pastilles chauffantes n’intoxiqueront plus les détenus – Fouilles : le DAP ordonne l’application de la loi – Le « mariage pour tous » arrive en prison 20 Initiative – Entretien avec Antoine Franck, surveillant : un projet de coopérative agricole pénitentiaire 22 Reportage – Placement extérieur à la ferme de Moyembrie : la réinsertion est dans le pré 26 De facto – Les détenus en aménagement de peine doivent accéder aux prestations sociales – Suppression de la taxe de 35 euros pour agir en justice – Appel du Contrôleur général contre l’incarcération des mères avec jeunes enfants 28 Nouvelles pratiques – Belgique : un programme novateur pour délinquants sexuels 32 « Ils sont nous » – Christophe : les cinq vies d’un excambrioleur – Matoub ou l’impasse sociale 49 En droit – Suspension de peine médicale : les juges ne sont plus tenus par les expertises – Travailleurs détenus sous-payés : sanction des tribunaux administratifs – CEDH : condamnation des peines d’emprisonnement perpétuelles incompressibles 55 En actes – Suède : évaluation de l’impact du suivi des délinquants – USA : efficacité des programmes de formation des détenus sur la récidive – Nations Unies : révision des Règles minima pour le traitement des détenus – Défenseur des droits : rapport 2012 – Histoire des prisons de Lyon : un manifeste pour la dignité 46 Lettres ouvertes 48 Hommage à Jean-Marie Blanc
DEDANS DEHORS publication bimestrielle de la section française de l’Observatoire international des prisons, association loi 1901, 7 bis, rue Riquet, 75019 Paris, Tél. : 01 44 52 87 90, Fax : 01 44 52 88 09, e-mail : contact@oip.org Internet : http://www.oip.org Directeur de la publication : Antoine Lazarus Rédaction en chef : Sarah Dindo, Barbara Liaras Rédaction : Naïké Balaya François Bès Anne Chereul Nicolas Ferran Samuel Gautier Mouna Rastegar Secrétariat de rédaction : Marianne Bliman Diane Carron Elsa Dujourdy Aude Malaret Julie Namyas Béatrice Lafont Identité graphique : MG., L.D. < dlaranjeira@caramail. com > Maquette : Claude Cardot/Vélo © Photos, remerciements à : Samuel Bollendorf Bertrand Desprez Michel Gasarian Samuel Gautier G. Korganow pour le CGLPL Bernard Le Bars Michel Le Moine Catherine Rechard Jacqueline Salmon Et aux agences : SIGNATURES, VU. Impression : Imprimerie Expressions 2-GP, 10 bis, rue Bisson, 75020 Paris Tél. : 01 43 58 26 26 ISSN : 1276-6038 Diffusion sur abonnement au prix annuel de 30 € Photographie couverture : Bernard Le Bars
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ACTU
Audience correctionnelle au Tribunal de grande instance de Nanterre
Projet de réforme pénale :
exercice de DESINTOX
L’avant-projet de loi relatif à la prévention de la récidive et l’individualisation des peines suscite nombre de déclarations fantaisistes. Dans un contexte de populisme actif abondamment relayé par les médias, retour à l’explication de texte. « Les délinquants qui étaient condamnés à des peines de 5 ans ne vont plus aller en prison » C’est la plus grosse intox distillée autour de la création d’une nouvelle peine de probation. A l’UMP, on annonce « la suppression de la sanction avec la mise en place d’une contrainte pénale : il ne s’agit rien de moins que l’annonce de la fin des peines de prison » (B. Beschizza, communiqué du 30 août). En réalité, la « contrainte pénale » pourra (et non devra) être prononcée « lorsqu’un délit est puni d’une peine d’emprisonnement n’excédant pas 5 ans ». En clair, si la peine maximale prévue par le Code pénal est de cinq ans ou moins, la peine de
probation peut être choisie par le tribunal correctionnel. Mais rien ne l’y oblige : il garde dans tous les cas la possibilité de prononcer un emprisonnement ferme. Déjà aujourd’hui, le tribunal peut décider d’assortir une peine de prison d’un sursis simple ou d’un sursis avec mise à l’épreuve. Il peut aussi choisir, à la place de l’emprisonnement, une peine de jours-amende, de travail d’intérêt général, de stage de citoyenneté, etc. La contrainte pénale ne viendra que s’ajouter à ces peines « alternatives », qui n’ont jamais empêché un tribunal correctionnel de préférer la prison dans certains cas. 36 % de l’ensemble des détenus condamnés, soit Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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Annonce du délibéré à un jeune homme convoqué devant le tribunal correctionnel de Dinan pour vol
21 961 personnes, purgent ainsi derrière les barreaux une peine de moins d’un an de prison (au 1er janvier 2013).
« 98 % des délinquants seront laissés en liberté » Au FN, on proclame qu’avec la contrainte pénale « c’est 98 % des délinquants qui vont se retrouver dans la rue » (Le Parisien, 30 août). Cette affirmation farfelue est reprise d’une interview d’Alain Bauer dans Le Figaro : « Si cette mesure concerne toutes les condamnations pour délit de moins de cinq ans, cela représenterait 98 % des décisions avec ou sans sursis ». Le criminologue averti confond la notion de peine prononcée et celle de peine encourue. Les 98 % de peines inférieures à 5 ans prononcées pour délit n’ont aucunement vocation à entrer toutes dans le champ de la contrainte pénale : pour une bonne partie d’entre elles, la peine encourue était supérieure à cette durée. L’auteur d’un vol dans le métro commis avec un complice (deux circonstances aggravantes) encourt par exemple une peine de 7 ans de prison, mais peut très bien être condamné à 10 mois. Il ne pourra pas être sanctionné d’une contrainte pénale, car la peine maximale est supérieure à 5 ans.
« La contrainte pénale va s’appliquer aux violeurs et agresseurs » Halte aux chiffons rouges, les crimes ne sont évidemment pas concernés par la contrainte pénale : par exemple le viol, le vol avec arme, l’homicide involontaire, etc. Tout comme les délits Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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passibles d’une peine supérieure à 5 ans : vol avec violence ayant entraîné une ITT de 8 jours, agression sexuelle (autre que le viol) contre un mineur, etc. Ce qui n’empêche pas de chercher à faire peur. « Les peines de cinq ans de prison, ce n’est pas un vol à l’étalage. C’est la détention d’armes, des incitations à la pédopornographie, des tentatives d’agression sexuelle… », agite Brice Hortefeux (BFM-TV, 30 août). Justement si, le vol à l’étalage ou « vol simple » fait partie des infractions visées, puisqu’il est passible de 3 ans de prison et de 5 avec une circonstance aggravante (commission du vol à plusieurs, dans un local d’habitation, dans un établissement scolaire ou dans les transports, dissimulation volontaire de son visage…). Deux circonstances aggravantes sont facilement réunies, auquel cas la contrainte pénale sera exclue (peine encourue : 7 ans), alors qu’elle aurait pu être appropriée dans ce cas. Quant à la tentative d’agression sexuelle, rappelons qu’il s’agit d’une tentative d’attouchement ou d’embrasser quelqu’un sans son consentement. Elle sera exclue de la contrainte pénale en cas de circonstance aggravante : commise en état d’ivresse ou sous l’emprise de stupéfiants, commise par un parent, ou à plusieurs… (peine encourue : 7 ans). Les délits passibles d’une peine de 5 ans ou moins sont par exemple la conduite en état alcoolique, l’usage de stupéfiants, l’outrage à agent, les coups et blessures avec ITT maximale de 8 jours, le harcèlement sexuel… De telles infractions sont loin de nécessiter systématiquement un suivi renforcé, ce qu’imposera la contrainte pénale.
ACTU
« La contrainte pénale n’est pas une vraie peine » La prison reste considérée comme la seule véritable sanction. Toute peine exécutée en milieu ouvert apparaît comme une mesure de clémence, voire une absence de réponse pénale. « Initier un suivi de condamnés hors prison est utopique. C’est un gaspillage de moyens et d’énergie » soutient Rachida Dati (Le Parisien 30.08.11). En réalité, la prison est à la fois la peine la plus punitive, et la moins exigeante. Il n’est rien demandé d’autre au prisonnier que de se tenir tranquille, de purger sa peine en silence et sans incident. La probation exige au contraire du condamné qu’il engage des démarches d’insertion, de soins, de réflexion sur son/ses passage(s) à l’acte et sur les moyens d’éviter une récidive. La contrainte pénale pourra ainsi comporter des obligations décidées au cas par cas : obligation de formation ou de travail, obligation d’indemniser la victime, obligation de soins (consulter un thérapeute ou une structure spécialisée en alcoologie ou toxicomanie)… Les conseillers d’insertion et de probation (CPIP) assurent l’accompagnement et le contrôle de ces démarches. Mais ils sont nombreux à se retrouver avec un effectif de 130 à 250 suivis, ce qui ne permet pas d’assurer un accompagnement suffisant et de qualité pour tous les condamnés. L’annonce de la création de 300 emplois de CPIP en 2014, 150 en 2015, est à saluer. Mais elle ne suffira certainement pas à atteindre l’objectif de 40 personnes suivies par Conseiller annoncé par le Premier ministre, qui nécessiterait de doubler le nombre actuel de CPIP (environ 2 500).
« La prison est à la fois la peine la plus punitive et la moins exigeante. Il n’est rien demandé d’autre au prisonnier que de se tenir tranquille, de purger sa peine en silence et sans incident » « La prison est la seule garantie contre l’insécurité » L’avant-projet est l’occasion de procès en laxisme dont l’absurdité rencontre peu de limites : « La suppression des peinesplancher et la création d’une nouvelle peine de contrainte pénale préfigurent la poursuite de l’explosion sans précédent de la délinquance » (Eric Ciotti, 20 minutes, 30 août). « Chacun sait que dès lors que les délinquants comprennent qu’ils ne risquent plus d’aller en prison, on observe une explosion de la délinquance » (J-F. Copé, communiqué 30 août). « Chacun sait », mais les études en France ou à l’étranger n’apportent ni la preuve de l’effet dissuasif de l’emprisonnement, ni de son efficacité sur la récidive. Dans la recherche de référence en la matière, des chercheurs canadiens ont recoupé les résultats de 50 études, portant sur plus de 300 000 délinquants.
« Aucune des analyses effectuées n’a permis de conclure que l’emprisonnement réduit la récidive », ni « mis au jour aucun effet dissuasif de l’incarcération ». Au contraire, « l’augmentation de la durée de la peine est associée à une légère augmentation de la récidive. Cette constatation avalise quelque peu la théorie voulant que la prison serve, pour certains, d’école du crime » (Gendreau, Goggin, Cullen, 1999 et 2002). Autre précision de l’expert au Conseil de l’Europe Norman Bishop : les études montrent que « le caractère certain d’être “pris” par la police a plus d’effet dissuasif que la sévérité de la sanction ». Dans les cas où la « détection » est certaine, « la dissuasion est souvent obtenue sans punition ou avec une sanction modérée » (Dedans-Dehors, déc. 2011). En France, les études statistiques attestent de taux de récidive plus importants après une peine de prison qu’à la suite d’une mesure de probation : 72 % des sortants de prison recondamnés dans les 5 ans, contre 58 % des condamnés à un travail d’intérêt général et 52 % pour le sursis avec mise à l’épreuve (Kensey, Lombard, Tournier, 2005). Rappelons aussi que l’emprisonnement n’équivaut pas à une parfaite « neutralisation ». Nombre d’infractions pénales ont lieu en prison et n’en sont pas moins graves parce que leurs victimes sont des codétenus ou des agents pénitentiaires. En 2012, l’administration pénitentiaire a recensé 8 861 « agressions » entre personnes détenues et 21 281 « agressions contre le personnel » (dont 79 % de violences verbales).
« La peine de probation existe déjà » « Cette peine de probation c’est une invention, c’est une chimère, c’est l’équivalent d’une peine de prison avec sursis mais sans l’épée de Damoclès de la prison derrière » (P. Ribeiro, syndicat Synergie-Officiers, BFM-TV, 30 août). Il y a du vrai et du faux dans ces propos. Faux : l’épée de Damoclès de la prison ne disparaît pas, puisqu’en cas de non respect de la contrainte pénale par le condamné, le juge de l’application des peines pourra « ordonner l’emprisonnement » (article 9 de l’avant-projet du 4 septembre). Vrai : la proximité entre la contrainte pénale et le sursis avec mise à l’épreuve (SME) est flagrante. Les obligations qui peuvent être imposées sont quasiment les mêmes. La contrainte pénale doit concerner des personnes pour lesquelles un accompagnement socio-éducatif renforcé est nécessaire, ce qui est déjà possible dans le cadre d’un SME… L’apport d’une peine de probation était d’instaurer le suivi en milieu ouvert comme peine à part entière, distincte de l’emprisonnement. Il y avait là un changement de paradigme : passer d’une peine conçue pour châtier et faire souffrir à une peine visant la réhabilitation et la prévention de la récidive. Cette option se retrouvait dans le terme « peine de probation », pas dans celui de « contrainte pénale », inspiré de la veille logique. Sa création n’avait de sens qu’en remplacement des peines alternatives actuelles (SME, TIG…), afin d’affirmer la probation comme peine de référence pour la majorité des délits. Un choix que n’ose pas faire le Gouvernement, qui se contente Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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d’annoncer qu’il sera évalué après trois ans « dans quelle mesure cette peine pourrait se substituer à d’autres peines et notamment au sursis avec mise à l’épreuve ». Dernier non-sens, celui d’instaurer une peine plus sévère que le SME pour des délits moins graves. La contrainte pénale ne pourra concerner que des délits encourant 5 ans maximum, quand le SME peut assortir toute peine de prison maximale de 5 ans (ce qui est plus élevé que la peine encourue) et de dix ans en récidive. Et le SPIP sera obligé de mettre en œuvre un suivi renforcé pour les contraintes pénales, alors que le SME lui permet d’adapter le niveau de suivi à chaque situation et à l’évolution de la personne. Au final, il ne reste plus qu’une seule particularité au bénéfice de la contrainte pénale : les obligations seront prononcées non plus par la juridiction de jugement à la va-vite, mais par le juge de l’application des peines sur la base de l’évaluation et des propositions du SPIP, ce qui représente un gage de meilleure adaptation du suivi aux problématiques de la personne.
« L’idée d’une peine de probation visait à changer de paradigme : passer d’une peine conçue pour châtier et faire souffrir à une peine visant la réhabilitation et la prévention de la récidive. » « La fin des libérations conditionnelles automatiques » L’affirmation erronée vient cette fois du Gouvernement. Le Premier ministre annonce qu’il « n’y aura plus de libération conditionnelle automatique », alors qu’un tel dispositif n’a jamais existé en France. Le ministre de l’Intérieur embraye en affirmant que la réforme « met fin aux dispositions très laxistes de la loi Dati, qui prévoyait que l’aménagement de toute peine inférieure ou égale à deux ans soit automatique. Auparavant, pour les peines de moins de deux ans, il n’y avait automatiquement plus de prison » (AFP, 30 août). Manuel Valls ignore à son tour les quelque 21 961 personnes purgeant une peine de moins d’un an dans les prisons françaises. La loi Dati de 2009 ne prévoit aucune libération conditionnelle automatique, mais un examen avant exécution des peines d’emprisonnement de moins de deux ans (un an en récidive), en vue de leur éventuel aménagement (conversion en surveillance électronique, semi-liberté, etc.). Avec la gauche, ces seuils sont abaissés à un an « pour les primo-délinquants » et à « 6 mois pour les récidivistes ». Selon les premières évaluations du ministère, cette seule disposition pourrait envoyer entre 5 000 et 12 000 personnes supplémentaires en détention. Au lieu de la « purge des prisons » annoncée par certains, c’est plutôt l’incarcération massive de petits délinquants dans des conditions de surpopulation attentatoires à la dignité humaine qui s’annonce. Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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« Le non-sens de la contrainte pénale est de créer une peine plus sévère que le sursis avec mise à l’épreuve pour des délits moins graves » « La réforme est censée désengorger les prisons » Certains affirment néanmoins que la réforme pénale va désengorger les prisons. Rien n’est moins sûr. Eric Ciotti annonce déjà « 10 000 à 20 000 détenus […] demain en liberté » (Le Parisien, 30.08.13). Au titre des dispositions favorisant « moins de détention », la suppression des peines plancher. Il est établi qu’elles n’ont pas « entraîné un recours plus important aux peines d’emprisonnement mais une sévérité accrue des peines prononcées : le quantum d’emprisonnement ferme est passé en moyenne de 8,2 mois à 11 mois, soit une augmentation d’environ 4 % des années d’emprisonnement prononcées » (Infostat Justice, octobre 2012). Les « éventuels effets dissuasifs de ce texte sur le taux de récidive n’ont pas fait l’objet d’une évaluation », ce qui rend impossible d’affirmer avec Mme Dati que « les peines plancher sont utiles et dissuasives » (AFP, 30 août). Le gouvernement américain vient pour sa part d’annoncer sa marche arrière sur les peines minimales, en ce qu’elles « contribuent à alimenter le manque de respect pour le système judiciaire quand elles sont appliquées de façon indiscriminée » et ne « contribuent pas à la sécurité publique ». Des Américains qui en appellent à « rester stricts » mais « plus intelligents » face à la criminalité. D’autres dispositions pourraient amener à réduire les temps de détention, telle la suppression des révocations automatiques de sursis, qui seront désormais laissées à l’appréciation des magistrats, ce qui apparaît cohérent avec l’objectif d’individualisation, mais aussi de prévention de la récidive. La sortie de délinquance commence souvent par une diminution des délits en fréquence et en gravité. Si la Justice tape plus fort à ce moment-là, elle sabote un parcours de réinsertion. Enfin, l’avant-projet comporte un examen systématique de la situation des détenus aux deux tiers de leur peine afin d’envisager les possibilités de « libération sous contrainte » : semi-liberté, surveillance électronique, placement extérieur ou libération conditionnelle. Cette disposition pourrait permettre de réduire le taux de 80 % de personnes libérées de prison sans aménagement de peine (J. M Ayrault, 30 août). Des « sorties sèches » dont il a été reconnu, par la droite comme par la gauche, qu’elles favorisaient la récidive. Comme le rappelle Norman Bishop, « les instances décisionnaires qui refusent d’octroyer des libérations conditionnelles et insistent sur l’exécution pleine et entière de la peine de prison portent une lourde responsabilité dans la récidive en laissant retourner dans la communauté des personnes sans mesures de contrôle et sans assistance ». Sarah Dindo
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Saint-Quentin-Fallavier :
retour sur des abus tolérés Le 4 juillet, l’OIP a rendu public un rapport confidentiel de l’Inspection des services pénitentiaires attestant de maltraitances répétées contre des détenus durant la période 2009-2010. Loin des dérapages accidentels qui peuvent survenir dans un milieu carcéral sous tensions, est décrit un véritable mode de gestion de la détention par l’intimidation et l’abus de la force, mis en place par un chef de détention avec l’aval de sa direction. Des sanctions disciplinaires symboliques prononcées par l’administration pénitentiaire à l’inertie des autorités judiciaires, l’affaire rappelle que tout peut encore arriver en prison.
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n dit que “nul n’est au-dessus des lois”, je
pense que ce n’est pas le cas ici. » C’est en ces termes que Mourad A., détenu au centre pénitentiaire de SaintQuentin-Fallavier (Isère), alerte l’OIP en février 2010. Et les courriers de s’accumuler, émanant d’une quinzaine de personnes incarcérées. Ils décrivent des faits d’une rare gravité, un véritable système de gestion de la détention par l’intimidation, la violence et autres mesures de rétorsion. Un système organisé par un chef de détention, Monsieur Z., que sa direction laisse faire. La coordination lyonnaise de l’OIP alerte la direction interrégionale des services pénitentiaires, le parquet de Vienne, les organes de contrôle extérieur… Elle n’est informée d’aucune suite concluante donnée à ses requêtes. Jusqu’à ce que l’Observatoire mette la main sur un rapport confidentiel de l’Inspection des services
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pénitentiaires (ISP) datant de mars 2011, confirmant nombre d’allégations des détenus. Sur une période de deux ans (20092010), sont décrits des faits de violences répétées commis par un petit groupe d’agents, des descentes en tenue équipée à titre de « sanction déguisée », le tout dissimulé par la direction aux autorités pénitentiaires et judiciaires. Ces pratiques ne vaudront à leurs auteurs que des sanctions disciplinaires symboliques, allant de la simple lettre d’observation au blâme.
Des violences illégitimes couvertes par la direction Le rapport de l’Inspection atteste de « violences physiques illégitimes », tels les coups de poings et de pieds reçus par un détenu lors d’une intervention de trois agents dans sa cellule disciplinaire en juillet 2009. Un refus de fouille et des insultes de la part d’Ahmed B. lui valent son placement au QD, puis une Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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succession de brutalités pénitentiaires, sous forme de « coups au niveau des côtes, dans le dos ». Le service médical signalera en vain à la direction que les blessures du détenu ne lui paraissent « pas compatibles » avec la version des surveillants, car elles ne peuvent « être expliquées par des coups [qu’il] se serait porté à lui-même, ni par des gestes de maîtrise ». Un autre détenu, Mohamed M., se retrouve en février 2010 avec une fracture du nez et un traumatisme crânien suite au coup de tête d’un surveillant. A l’origine de l’altercation, la plainte du détenu d’avoir été « oublié » dans sa cellule alors qu’il devait se rendre à une activité. Le surveillant affirmera que le détenu lui « a mis un coup de poing dans le visage » et qu’il n’a fait que se protéger en mettant « la main devant [lui] au niveau de [son] visage, main et paume ouverte pour le repousser ». Une version démentie par l’expertise réalisée dans le cadre de la seule procédure judiciaire ayant abouti sur les faits dénoncés par l’ISP, au terme de laquelle le surveillant sera condamné à une peine d’emprisonnement de trois mois avec sursis. Mais auparavant, la version du surveillant a déjà suffi à sanctionner le détenu de 20 jours de cellule disciplinaire.
« On m’a mis une clef dans la gorge, et j’ai senti une brûlure au doigt » Rachid F. subit cette violence tolérée d’un petit groupe d’agents dès son arrivée, le 2 décembre 2009. Il attend les formalités d’écrou avec un autre arrivant, lequel insulte un surveillant après lui avoir demandé une cigarette. Rachid F. est amené par un agent dans un box, où la fouille réglementaire commence. C’est alors que trois autres personnels interviennent : « Ils m’ont tous sauté dessus, ils ont essayé de m’étrangler et j’ai essayé de me débattre, ils se sont encore plus excités. Ils m’ont mis sur le ventre, les mains dans le dos, ils ont mis les menottes, en même temps il y en avait un qui me mettait le pied sur la tête. […] On m’a mis une clef de porte dans la gorge, et j’ai senti une brûlure au doigt. » Le chef de détention à l’origine de cette intervention, Monsieur Z., affirme que Rachid F. avait « armé son bras dans le but évident de porter un coup » à l’agent qui procédait à la fouille. Ce dernier dément : il indique à la directrice-adjointe arrivant sur les lieux que le détenu « n’a pas voulu [l]’agresser » et qu’il « ne comprend pas pourquoi [ses collègues] sont rentrés dans le box ». En guise de bienvenue à
« Ce qui se passe au CD de St-Quentin-Fallavier est intolérable. C’est pourquoi cette fois je me permets de dénoncer un système mis en place par les chefs dont les méthodes frôlent celles des voyous. Normalement on devrait sortir de prison réinséré et non avec des envies de vengeance, mais ils nous poussent à bout, jusqu’à ce qu’on craque, c’est pourquoi je souhaite être transféré. » Didier T., personne détenue, courrier à l’OIP du 6 juil. 2009 Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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Les détenus de St-Quentin ont vécu le paroxysme d’une parole qui ne vaut plus rien : il peut tout leur arriver, tout leur être fait, sans que les représentants de l’Etat ne réagissent à leurs appels.
St-Quentin, le détenu s’en tire avec une déchirure à la main, des contusions du dos, du cou, des genoux, et plusieurs hématomes au visage, nécessitant quatre points de suture et une ITT de cinq jours. Rachid F. écrit à l’OIP dix jours plus tard : « Pour justifier les blessures et coups qu’ils m’ont porté, il fallait bien qu’ils mentent dans leurs rapports. » Le surveillant ayant procédé à la fouille subit en effet des pressions pour modifier la première version de son compte rendu, dans lequel il émettait « des doutes quant à l’opportunité de l’intervention ». La rédaction d’une seconde version lui sera dictée par un collègue ! L’Inspection ajoute que les cadres de l’établissement n’ont effectué « aucune recherche pour identifier l’auteur » des blessures de Rachid, et qu’ils ont même agi « pour que les blessures soient minimisées et ne paraissent pas anormales ».
Descentes musclées et « perte de repères professionnels » Des descentes d’agents équipés de tenues pare-coup, à titre de « sanctions déguisées », sont aussi pointées du doigt. Après une altercation opposant quelques détenus et personnels le 26 mai 2010, quatre agents équipés interviennent dans la cellule de Thomas G., qui venait d’y être reconduit après la bagarre. « Ils sont arrivés tout équipés en carapace, on m’a frappé dans ma cellule, et on m’a traîné au quartier disciplinaire. » Après enquête, l’ISP dénonce une intervention « ordonnée pour des motifs imprécis et juridiquement contestables par un personnel qui n’a pu être identifié ». Les quatre agents sont ensuite intervenus dans la cour de promenade à la demande de Monsieur Z., qui affirme qu’un détenu avait « insulté une surveillante », tout en reconnaissant « ne pas avoir entendu directement ces insultes ». L’ISP estime que cette deuxième descente, décidée « d’une manière complètement improvisée », était « injustifiée » parce qu’elle « n’avait pas pour objectif de faire cesser un trouble actuel » et parce que des insultes, si tant est qu’elles aient été proférées, « ne paraissent pas mériter une intervention équipée dans une cour de promenade ». Et de rappeler que « l’emploi de la force ne peut être décidé à titre de sanction disciplinaire ». Ces interventions n’ont fait l’objet d’aucun compte rendu écrit par le lieutenant qui dirigeait les opérations : il s’en explique en indiquant que « cette situation était anecdotique ». Une réponse qui interpelle les inspecteurs sur « la légèreté » avec laquelle il « analyse l’emploi de la force » et sur « son manque de repères professionnels ».
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Maîtrise d’un détenu par des personnels de la prison de Saint-Quentin-Fallavier (image de vidéosurveillance)
A la recherche d’indics… Le rapport de l’ISP est long de plus de 150 pages, au lieu des 15-20 pages habituelles. Il révèle de nombreux cas de violence pour lesquels l’Inspection parvient difficilement à obtenir des preuves et établir les responsabilités. Mais aussi des pratiques humiliantes au quartier disciplinaire, décrit comme une « zone de non-droit » : détenus laissés en caleçon dans la cour de promenade, privation de matelas, de draps ou de tabac, suppressions fréquentes de promenade… Des fouilles abusives sont pointées, comme celle pratiquée en plaçant le visage du détenu dans un coussin pour « l’empêcher de crier ». Au quartier centre de détention, les détenus rapportent des
« Sachez que je vais porter plainte à l’encontre du surveillant qui a inventé ces calomnies, et je sais que cela me portera préjudice et surtout qu’il va revenir se venger. Avant cet incident, je recommençais à m’épanouir et à préparer ma sortie mais quand je vois l’injustice qu’il y a, je ne sais pas quel sera mon avenir car je ne pourrai supporter tout ça très longtemps. Je ne sais plus comment agir face à tant de mensonges de la part de personnes qui sont censées nous protéger. » Fabien D., personne détenue, courrier à l’OIP du 23 déc. 2009
mesures de rétorsion, telle la privation de promenade, à l’encontre de ceux qui refusent de jouer le rôle d’informateurs. Fabien D. explique avoir « eu des problèmes avec [le lieutenant responsable du CD] qui, pour me faire monter en étage ouvert, me faisait du chantage pour que je lui indique des tuyaux sur la détention ». Des accusations de même type sont portées par Mourad AM. A l’issue d’une première sanction le 29 janvier 2010, il refuse de sortir du quartier disciplinaire (QD) en alertant le directeur : « Le lieutenant est venu me voir et m’a dit qu’il me mettrait la trique lorsque je reviendrais en détention normale […]. Si vous me remettez au CD cela va mal se passer. Il m’a demandé de faire des choses que je ne voulais pas. » S’ensuivent plusieurs sanctions, « sans tenir compte de [ses] accusations pourtant réitérées à l’audience ». Et l’ISP de relever les manquements de l’équipe de direction qui n’a pas cherché à vérifier « la véracité des accusations portées contre le personnel ».
Rien n’aurait été possible sans l’aval de la direction Un tel mode de gestion n’a pu perdurer qu’avec l’aval de la direction, dont l’ISP souligne « le rôle et la responsabilité particulièrement importants » dans la « perte de repères déontologiques » de quelques agents. La nouvelle direction entrée en fonction début 2009 semble en effet avoir donné un blancseing à Monsieur Z., au détriment du nouveau chef de détention nommé en juin 2009, dont il devient l’adjoint. Les deux Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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hommes ont « des approches différentes », le premier privilégiant « l’ordre et la discipline » avec des méthodes musclées faisant peu de cas des procédures, le second « ayant le souci d’apaiser ». L’Inspection constate « un effacement progressif » du chef de détention au profit de son adjoint, qui relève d’un « choix visible par la direction d’un certain style de gestion des détenus ». Le nouveau chef de détention obtient une mutation au bout de 14 mois, il est remplacé par Monsieur Z. Un choix contestable au regard de la mise en place par ce chef de détention d’un « système clanique » et d’un usage abusif de la force déjà connus de la direction. Monsieur Z. choisissait « ses gars pour les interventions et c’étaient toujours les mêmes ». Il revient par exemple dans l’établissement le 2 juin 2010, alors même qu’il « n’était pas d’astreinte, court-circuitant le chef de détention », et gère la descente d’agents équipés au quartier disciplinaire dans les cellules de deux détenus. Il est également l’artisan de dissimulations ou falsifications de procédures, validées par la direction, dont l’ISP pointe la volonté délibérée de dissimuler certains faits aux autorités. Un directeur est particulièrement visé pour sa « volonté de ne pas informer sa hiérarchie et le parquet d’une suspicion de faits de violences ». L’absence de comptes rendus par ce directeur, de manière « réitérée, amène à conclure […] qu’il a intentionnellement cherché, à plusieurs reprises, à ce qu’ils ne soient pas relatés et donc connus dans leur intégralité ».
Des sanctions symboliques Le rapport de l’ISP met en cause 13 personnels, dont quatre membres de l’équipe de direction, quatre lieutenants (dont le chef de détention, Monsieur Z.), quatre premiers surveillants et un surveillant pénitentiaire. Ils ont été sanctionnés en 2012 par la Direction de l’administration pénitentiaire par de simples lettres d’observation pour la plupart, un blâme pour Monsieur Z. Alors que l’Inspection demandait à ce qu’il « soit mis fin [à ses] responsabilités de chef de détention », ce dernier est réintégré à son poste après son passage en commission de discipline, comme le confirme un courrier de la garde des Sceaux au Défenseur des droits le 22 juillet 2013. Il faudra une nouvelle plainte d’un détenu auprès du parquet pour violences physiques en 2013, pour que Monsieur Z. fasse l’objet d’une suspension temporaire en avril, tout comme deux autres personnels déjà mis en cause dans le rapport de l’ISP. Mal informée par la direction du centre pénitentiaire, mais alertée dès juin 2010 par l’OIP, la direction interrégionale de
« C’est facile de nous déboîter sans que personne puisse voir (…) mais si c’était l’inverse : condamnations et amendes à en pleuvoir. “La loi c’est la loi’’, comme on dit, mais ma parole de détenu ne vaut rien. » Rachid F., personne détenue, courrier à l’OIP du 23 déc. 2012 Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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L’absence de comptes rendus par un directeur, de manière « réitérée, amène à conclure (…) qu’il a intentionnellement cherché, à plusieurs reprises, à ce que des faits de violences ne soient pas relatés et donc connus dans leur intégralité. »
Lyon n’a pas non plus pris les mesures nécessaires face à des allégations répétées de violences et abus, n’assurant pas son rôle de contrôle hiérarchique.
Des autorités judiciaires défaillantes Si la direction a dissimulé certains faits aux autorités judiciaires, au moins sept situations de violences ont été portées à la connaissance du parquet de Vienne entre avril 2009 et juin 2010 : soit par des plaintes de personnes détenues, soit par des courriers de l’OIP. Il semble qu’un seul dossier ait abouti à l’ouverture d’une information judiciaire et à la condamnation d’un surveillant le 13 mars 2012. Or, cet agent ne fait pas partie des personnels les plus régulièrement mis en cause par l’ISP. Les autres affaires ne semblent pas avoir donné lieu à des investigations suffisantes. L’Inspection a par exemple établi que l’intervention d’agents contre Rachid F. « a donné lieu à des violences excédant celles qui étaient strictement nécessaires », s’appuyant notamment sur l’avis du médecin ayant alerté la direction « de la gravité de la blessure ». Le parquet a, pour sa part, classé cette affaire sans suite en juin 2010, sur la base d’une enquête au cours de laquelle le médecin n’a pas été entendu, l’origine de la blessure n’a pas été recherchée et les versions contradictoires des agents n’ont pas été éclaircies. Ajoutées les unes aux autres, les défaillances des autorités pénitentiaires et judiciaires n’ont pas permis aux détenus de St-Quentin-Fallavier de bénéficier de recours propres à assurer leur protection, alors qu’ils étaient victimes de graves abus. Ces condamnés ont vécu le paroxysme d’une parole qui ne vaut plus rien : il peut tout leur arriver, tout leur être fait, sans que les représentants de l’Etat ne réagissent à leurs appels. Quant aux sanctions disciplinaires prononcées par la Direction de l’administration pénitentiaire, elles interrogent sur la volonté de l’institution de prévenir le renouvellement de telles pratiques et de garantir « à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits » (article 22 de la loi pénitentiaire). Sarah Dindo
ACTU
Le boulet fiscal d’un sortant de prison 43 131 euros : c’est la somme réclamée à un sortant de prison par l’administration fiscale sur un revenu saisi lors de son arrestation. Lors de son interpellation pour trafic de stupéfiants, les services de police avaient saisi chez l’intéressé 60 700 euros en espèces et 305 grammes de résine de cannabis. Des biens tombés dans les caisses de l’Etat, mais néanmoins soumis à contributions. Au péril de sa réinsertion.
A
sa sortie de prison le
19 décembre 2012, Farid
B. se trouve dans une situation précaire : après un an et demi de détention, il n’a plus de ressources ni de logement stable. Et l’administration fiscale lui réclame 23 933 euros d’impôt sur le revenu ainsi que 15 277 euros au titre de la contribution sociale généralisée (CSG). Des taxes établies sur les espèces et la résine de cannabis saisies à son domicile lors de son interpellation. L’administration fiscale s’explique : « en application des dispositions du Code général des impôts, vous êtes présumé avoir perçu un revenu imposable équivalent à la valeur de ces biens ». Alors qu’il est embauché dans une entreprise d’insertion et rémunéré au SMIC, cette dette astronomique fragilise son parcours de réinsertion, engagé dans le cadre d’une mesure de sursis avec mise à l’épreuve.
A sa demande, un échéancier lui a été accordé, avec des mensualités de 50 euros, mais uniquement pour l’impôt sur le revenu : l’administration persiste à exiger le règlement immédiat des 15 277 euros de CSG, somme dont il est dans l’incapacité de s’acquitter. En juillet, son salaire a été intégralement saisi pour un trop-perçu de RSA versé en 2012 lorsqu’il était emprisonné – une opération alourdie de 106 euros de frais bancaires pour « avis à tiers détenteur ». Sa dette ne cesse d’enfler, majorée à plusieurs reprises pour défaut de paiement : au total, il se voit réclamer 41 603 euros au 26 juillet 2013, 43 131 euros au 9 août… A cette date, l’administration consent enfin à échelonner le paiement de l’ensemble des sommes dues, sans pour autant revenir sur les majorations imposées.
Réinsertion en péril Si Farid B. est « soucieux de régulariser ses dettes, il se retrouve aujourd’hui sans ressources tout en travaillant », déplore Nathalie Vallet, travailleur social de l’association Arapej. Elle ajoute qu’il ne peut plus assurer sa participation à
l’hébergement proposé par l’association, ni « acheter son passe Navigo pour se rendre au travail ». Pour parfaire l’absurdité de la situation, le niveau de revenu porté sur son avis d’imposition lui interdit l’accès à toute prestation sociale. A deux reprises, l’Arapej adresse un courrier aux ministres de la Justice et de l’Economie et des Finances. Le travailleur social leur indique que cette situation « met à mal l’insertion de Farid B. », qu’il semble « ubuesque » de payer l’impôt sur un revenu saisi et « issu d’un trafic » pour lequel il a été condamné. Elle ajoute que « le signal envoyé par l’administration fiscale » lui paraît « être à l’opposé des conclusions de la conférence de consensus sur la lutte contre la récidive » et de son travail d’accompagnement socio-éducatif, « où l’accent est mis sur la réinsertion afin d’éviter la récidive ». Des courriers restés à ce jour sans réponse. Farid B. a engagé toute une série de démarches depuis sa sortie de prison, trouvant un emploi et réussissant à travailler en dépit de son absence de logement à certaines périodes. Il a lui-même contacté les services fiscaux pour mettre en place un échéancier et finalement trouvé l’aide d’une association pour son hébergement et son suivi social… Aujourd’hui, il affirme « ne pas en voir le bout » et se demande s’il va « réussir à s’en sortir ». François Bès, coordinateur OIP Ile-de-France
Dans la loi La troisième loi de finances rectificative pour 2009 a introduit dans le Code général des impôts une présomption de revenus pour les personnes se livrant à certains trafics délictueux et mis en place un dispositif de taxation forfaitaire. En clair, l’administration considère comme revenus imposables les sommes issues du trafic de stupéfiants ou d’armes, du fauxmonnayage, etc. Même lorsqu’elles ont été saisies. Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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Prise d’otage : la partie civile met en cause la « gestion des longues peines » Cyrille Canetti, psychiatre à la maison d’arrêt de la Santé, a été retenu en otage pendant plus de cinq heures par Francis Dorffer, le 7 avril 2010. Lors du procès qui s’est tenu du 17 au 20 juin 2013, il a souhaité s’exprimer sur la responsabilité d’une administration centrale qui n’a jamais respecté ses engagements d’affecter ce détenu dans un établissement proche de sa famille et impose des conditions de détention intenables à certains condamnés à de « longues peines ».
Dans quel contexte est survenue votre prise en otage par Francis Dorffer ? Cet homme vit en prison depuis l’âge de 16 ans – il en a aujourd’hui 29, et n’a aucune perspective de sortie avant au moins… 2043. Il est soumis au régime des « détenus particulièrement signalés » : transferts incessants, six ans d’isolement… Il n’a qu’une revendication depuis toujours : purger sa peine à Ensisheim, près de sa famille. On le lui refuse, on le trimbale d’une prison à l’autre – il en a connu plus de trente. Après ses premières prises d’otage – Nancy en 2006 et Clairvaux en 2009 –, l’administration s’était engagée à le rapprocher de sa famille s’il se tenait tranquille. Cette promesse n’a Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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pas été tenue, et il a le sentiment d’avoir été trahi. Il arrive à la maison d’arrêt de la Santé en novembre 2009, en principe pour une période transitoire. Mais là aussi, le temps passe, Francis Dorffer se sent encore trahi. Nous nous voyons régulièrement, il me raconte son histoire, je mesure bien sa montée en pression. A l’issue d’une consultation, il sort une pique en bois bricolée et m’annonce qu’il me prend en otage. Les cinq premières minutes sont terribles, j’envisage tous les scénarios. Puis la tension retombe, Francis Dorffer m’assure qu’il ne m’arrivera rien, se montre respectueux, presque protecteur. Les négociations s’enclenchent. A la fin, il me remet son arme, de la main à la main.
ACTU
« Mon sentiment d’être victime s’est accru au fil des audiences : j’ai pris la mesure du mépris dans lequel nous a tenus l’administration centrale et j’en ai été profondément meurtri. » Du 17 au 20 juin, Francis Dorffer a comparu devant les Assises de Paris pour la prise d’otage de Clairvaux en 2009 et la vôtre en 2010. Qu’attendiez-vous de ce procès en tant que partie civile ? Au départ, je ne souhaitais pas me constituer partie civile. J’ai finalement saisi cette tribune pour dire ce que je pensais, en tant que victime, du côté inéluctable de cette prise d’otage, attendue par tous ceux qui côtoyaient Francis Dorffer. Il me paraissait important de mettre en évidence les responsabilités en amont. Il ne s’agit pas d’excuser Francis Dorffer, c’est lui qui tient l’arme et je réprouve ce geste. Mais on manque les trois quarts de l’histoire si l’on s’arrête là. On ne peut présenter la culpabilité de M. Dorffer sans regarder les engagements pris et non tenus, la réalité du besoin de se rapprocher de sa femme, de son fils, la réalité de ses six ans à l’isolement. Devant la Cour, vous teniez à rappeler les engagements non tenus de l’administration pénitentiaire à l’égard de Dorffer ? A la fin de la prise d’otage, Francis Dorffer m’a demandé cinq minutes d’échanges, hors d’écoute des négociateurs. L’administration venait de s’engager à le transférer à Besançon. Il m’a solennellement demandé, si cette promesse n’était pas tenue, de témoigner de cette trahison. Je m’y suis engagé. Il est effectivement parti à Besançon, mais j’ai appris au cours du procès qu’il n’y était pas resté, qu’il avait été trimbalé dans onze établissements, pas plus proches de sa famille. Plusieurs témoins, notamment un surveillant de Lille, expliquent que depuis sa dernière prise d’otage à Poissy en juillet 2011, Francis Dorffer est parfait, il encaisse tout. Pour autant, l’administration n’honore toujours pas sa promesse. Le moment était venu pour moi de tenir ma parole et de témoigner du non-respect des engagements pris par l’administration pénitentiaire vis-à-vis de lui. Comment avez-vous vécu le statut de victime, avant, pendant et après l’intervention judiciaire ? J’ai bien sûr été victime de la prise d’otage, mais je ne me suis pas senti atteint ou fragilisé. Je n’ai pas demandé d’indemnisation. Les excuses présentées par Francis Dorffer pendant le procès m’ont touché. Il me regardait droit dans les yeux, me disant qu’il espérait que d’autres auraient la chance d’avoir un psychiatre comme moi. Après une de mes interventions, l’avocate générale a soufflé que cela allait être compliqué, car j’étais le meilleur témoin de la défense. Mais en l’occurrence, mon sentiment d’être victime s’est accru au fil des audiences :
j’ai pris la mesure du mépris dans lequel nous a tenus l’administration centrale – pas seulement moi, mais également la direction et l’ensemble des surveillants de la Santé – et j’en ai été profondément meurtri. Que retenez-vous de la déposition du directeuradjoint de l’Etat-major de sécurité de la Direction de l’administration pénitentiaire, cité comme témoin ? Je ne comprends pas l’aplomb de celui qui ne reconnaît jamais qu’il aurait été possible de faire autrement. J’ai trouvé très violent de l’entendre répondre sans sourciller : « On n’a pas fait d’erreurs. » Ce monsieur était chef d’établissement à Nancy lors de la première prise d’otage de Dorffer en 2006. Il était sous-directeur de l’Etat-major de sécurité lors des trois suivantes. A l’issue de la quatrième prise d’otage à Poissy en 2011 (non encore jugée), il s’est engagé auprès de Francis Dorffer, en présence de son avocate, à le faire affecter à Ensisheim s’il se tenait correctement. Cette parole n’a pas été tenue. Il se justifie à la barre en arguant que les 22 mois écoulés depuis lors « ne sont pas suffisants ». Par ailleurs, il soutient qu’il ne se sent plus lié par des engagements pris alors qu’il occupait un autre poste, ce que je trouve extrêmement choquant. Enfin, il balaye les interrogations – notamment les miennes – sur l’absence de prise en compte des alertes que nous avions adressées sur le risque d’incident, en disant qu’il est toujours facile de prédire un événement après coup. Il ajoute que les critères d’affectation de Francis Dorffer (climat de l’établissement, année de construction…) nous échappent : en clair, l’administration centrale sait faire alors que nous, les acteurs de terrain, avons une appréciation erronée parce que nous avons le nez dans le guidon. Comment l’administration centrale avait-elle été informée du risque d’incident ? Tous les témoignages, dont celui du chef de détention et de la directrice de la Santé, sont allés dans le même sens : nous avions tous senti venir la prise d’otage, nous avions alerté, et l’administration centrale n’en n’a pas tenu compte. J’avais, pour ma part, contacté le responsable, au sein de l’administration centrale, de l’affectation des détenus dans tel ou tel établissement. Je lui ai demandé de se saisir du dossier Dorffer, en le prévenant : « Ça va péter. » Et j’ai senti que je n’étais pas écouté. Francis Dorffer répétait qu’il en avait assez, qu’il voulait partir, qu’on lui avait refusé le droit de voir son enfant, né en janvier, parce qu’un magistrat doutait de sa paternité et avait demandé un test – c’est très difficile à entendre pour un jeune père, surtout détenu. Étant donné la particularité de la situation, j’avais proposé à Francis Dorffer de « trianguler » les relations avec la pénitentiaire : avec son accord, j’avais des discussions régulières avec la directrice de la maison d’arrêt à son sujet. La directrice était consciente de sa montée en pression et du risque d’explosion, elle en avait alerté l’administration centrale. Mais Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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les informations portant sur les engagements pris antérieurement par l’administration, sur les aspects affectifs et relationnels, ne sont pas prises en compte. Du coup, les surveillants souffrent de ne pas être reconnus dans leur rôle d’observation et d’alerte, les directeurs d’établissement se sentent seuls. Et dans les « hautes sphères », se prennent des décisions qui nous échappent et nous exposent tous. Une autre prise d’otage de Francis Dorffer, à l’encontre d’un surveillant de Clairvaux le 17 novembre 2009, était jugée en même temps que la vôtre. Quel a été le sens des interventions de cette autre partie civile ? Son expérience d’otage l’a fragilisé, il a exprimé un traumatisme persistant – il n’a d’ailleurs pas repris entièrement son Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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travail. Il n’a pas cru aux excuses de Dorffer, qui, pour lui, arrivaient trop tard : « Seuls demeurent les actes. » Sa prise en otage s’est déroulée dans une coursive, il était bien plus exposé que je ne l’ai été, a été moins rassuré par Francis Dorffer. De plus, il connaissait probablement moins l’histoire de cet homme, dont ce n’était « que » la deuxième prise d’otage. La mienne était la troisième, je me suis dit : « Il connaît, ça s’est toujours bien terminé… » Pas plus qu’un surveillant, je ne suis là pour être pris en otage. Mais ma présence en détention correspond à un engagement, à un choix. S’il m’était arrivé quelque chose lors de cet épisode, au moins, cela aurait été pour une cause à laquelle je tenais. Ce n’est pas vrai pour tous les surveillants. Un autre élément notable, à mon sens, tient à la réaction des médias et à
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« Je n’arrive pas à comprendre comment ceux qui organisent la détention en France sont capables de passer à côté de cette évidence : à force d’accumuler les frustrations, on fabrique des bêtes. »
la reconnaissance apportée après la prise d’otage. De mon côté, j’ai été invité partout, j’ai pu m’exprimer largement, ce qui n’a pas été le cas du surveillant. Lors du procès, cette différence de traitement m’a sauté aux yeux et m’est apparue très dure. Savez-vous comment Francis Dorffer a vécu le moment du procès, ce qui s’est passé ensuite pour lui ? © Bertrand Desprez / VU
Il a continué à tenir le coup, alors qu’il est maintenant détenu au quartier maison centrale de Réau, où les conditions sont difficiles. Sur son parcours pénitentiaire, il a dit à la fin du procès qu’il ne comprenait rien et qu’il était fatigué. Qu’il demandait Ensisheim depuis des années, qu’il aurait peut-être une chance d’y arriver s’il demandait Marseille. Il a ajouté que s’il refaisait une prise d’otage, ce serait pour prendre une cartouche et se faire enterrer à Ensisheim, près de sa famille. Il est revenu sur le traitement qu’il subissait à Fresnes au moment du procès, disant sa colère, son envie de tout casser. Certains y voient la preuve qu’il est encore dangereux. J’y vois la preuve qu’il est encore vivant. Le jour où il ne ressentira plus une telle colère, c’est qu’on l’aura complètement broyé. En parvenant à maîtriser sa légitime colère, il apporte la meilleure preuve de son évolution. Son avocate Françoise Cotta l’a souligné : « On l’a trahi, on lui a menti, il est arrivé à Fresnes, on lui passe les repas par une trappe et il ne bouge pas. »
Francis Dorffer a dit durant le procès : « Vous me laissez vivre, mais ne me permettez pas d’exister. » Comment comprenez-vous cette phrase ? Il a tenu des propos très forts. Je comprends qu’on le maintient en vie, on le nourrit, on ne le condamne pas à mort, mais on ne lui permet pas d’exister dans son identité de mari, de père, d’être humain à part entière. Il a aussi souligné qu’il ne parlait que de la prison parce qu’il ne connaissait rien d’autre. Dans trois ans, il aura passé autant de temps en prison qu’à l’extérieur. Comme d’autres témoins, vous avez tenté, au cours de ce procès, de poser le problème des longues peines. Quels ont été vos arguments ? Je tenais avant tout à dénoncer les incohérences et la désorganisation de l’administration pénitentiaire dans la gestion des longues peines. Que donne-t-on à une personne privée d’avenir ? Comment lui permet-on de vivre ? Que prévoit-on pour sa sortie ? C’est le fond du problème. L’administration développe des unités de vie familiale, elle en perçoit les facultés d’apaisement. Mais parallèlement, elle empêche des rapprochements familiaux, affecte les détenus à des centaines de kilomètres de leurs proches. Le tribunal m’a demandé si, de mon point de vue de psychiatre, il fallait rapprocher Francis Dorffer de sa famille. Mais il n’y a pas besoin d’être psychiatre pour penser qu’il faut rapprocher quelqu’un de sa famille, c’est du bon sens. Au moment de la prise d’otage, les négociateurs lui ont fait miroiter la possibilité de voir son fils s’il se rendait. C’est le seul moment où je me suis énervé : « Non, ça ne rentre pas dans les négociations. C’est un droit qu’il a, vous n’allez pas mettre dans la balance la garantie que ses droits seront respectés. » Francis Dorffer a été condamné à 13 ans de réclusion pour ces deux prises d’otage. Quel est, pour vous, le sens de cette peine ? Indépendamment de toute considération humaniste ou éthique, si l’on veut se protéger, on se trompe de méthode. L’absence de tout espoir et de perspective de sortie pousse un individu au pire de lui-même. Jusqu’où va-t-on aller dans la privation ? Est-ce que quelque chose justifie que l’on traite une personne de la sorte ? Et ne peut-on imaginer autre chose ? Je n’arrive pas à comprendre comment ceux qui organisent la détention en France sont capables de passer à côté de cette évidence : à force d’accumuler les frustrations, on fabrique des bêtes. Propos recueillis par Barbara Liaras
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Réau :
la conception du quartier maison centrale sur la sellette Un rapport de l’Inspection des services pénitentiaires de mars 2013 met en cause la conception et le fonctionnement du quartier maison centrale du centre pénitentiaire de Réau, ouvert depuis un an. Il souligne « des difficultés structurelles fortes », liées à une architecture oppressante, un manque d’activités et de réflexion sur la vie quotidienne des détenus et leurs relations avec les personnels.
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ingt-huit cellules de haute sécurité, enclavées
au cœur d’un centre pénitentiaire (CP) de 798 places, une architecture prohibant tout contact avec les autres secteurs de la détention… Le quartier maison centrale (QMC) de Réau, jumeau de celui de Lille-Annoeulin, montre les écueils de ces nouveaux quartiers « destinés à des détenus au profil de dangerosité le plus important1 ». Missionnée suite à une tentative d’évasion du 10 mars 2013, l’Inspection des services pénitentiaires (ISP) en interroge le concept même : « Au terme d’un an de fonctionnement, les professionnels entendus par la mission ont tous fait état de leur questionnement sur le sens et la finalité de la prise en charge des détenus hébergés dans une telle structure2 ».
Une « architecture oppressante » Deux ailes « complètement étanches, organisées de manière identique », composent le QMC : une « architecture oppressante », selon la directrice du CP. Chaque entité de 14 cellules, réparties sur deux étages, comprend une bibliothèque, une salle de musculation, une salle de « convivialité », une cour de promenade et un terrain de sport « de petite superficie (19 mètres sur 9 environ). Des murs en béton de grande hauteur entourent ce terrain ». Ces surfaces « exiguës ne permettent pas une pratique sportive appropriée ». En vertu du principe prohibant tout contact, y compris visuel, avec ceux des autres quartiers, les détenus du QMC ne peuvent se rendre au gymnase de 1 Présentation du centre pénitentiaire sur le site de l’Agence publique pur l’immobilier de la Justice. 2 Toutes les citations sont tirées du Rapport de l’Inspection des services pénitentiaires relatif à la tentative d’évasion (…) du 10 mars 2013 au QMC du centre pénitentiaire Sud-Francilien, 28 mars 2013, non publié. Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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l’établissement. Dans son rapport hebdomadaire à la direction de l’établissement, intitulé « Note d’ambiance », le responsable du QMC signale le 28 septembre 2012 : « Certains détenus continuent à se plaindre du manque d’espace et de la promiscuité au sein de la structure. Leur souhait de pouvoir accéder au gymnase demeure persistant. » Une revendication ayant peu de chance de se concrétiser : il faudrait pour cela aménager « un cheminement spécifique » entre leur quartier et l’équipement sportif, une option écartée en raison de sa complexité. La ségrégation imposée leur interdit également de bénéficier de la salle de culte. Les rencontres avec les aumôniers se déroulent « en salle d’audience. Les entretiens en cellule doivent recevoir l’accord préalable de l’officier du QMC et doivent avoir lieu portes ouvertes », au mépris de toute confidentialité.
Pénurie de travail Les détenus confinés dans cette micro-centrale pâtissent en outre d’une pénurie d’activités. « L’absence de travail aux ateliers contribue à accentuer [l]e ressentiment chez les détenus », relève la « Note d’ambiance » du 28 septembre. Elle précise que Thémis, la société responsable des ateliers, « ne prévoit aucune production dans les prochains jours ». Avec des conséquences dommageables pour les détenus sans ressources extérieures. Monsieur F., par exemple, se montre « très demandeur de travail. […] Il était habitué à envoyer des mandats à sa compagne pour qu’elle vienne le visiter alors qu’il était détenu à S. ». L’administration et son partenaire privé s’avérant incapables de lui fournir un travail, c’est à la solidarité qu’il est fait appel : « [Le détenu T.], ami proche, l’aide. » L’Education nationale ne semble pas non plus en mesure d’assurer les
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Une absence de vision d’ensemble
prestations attendues : « Le manque d’accompagnement scolaire inquiète également certains détenus demandeurs », poursuit l’officier.
« Nombreux manquements professionnels » La « grande proximité voire [la] promiscuité » créées par la configuration des lieux, le manque d’activités et les tensions qui s’ensuivent, amènent nécessairement les personnels à lâcher du lest afin d’éviter l’explosion. « Les détenus mettent la pression sur les surveillants qui ont laissé filé pour avoir la paix », explique un personnel de l’unité médicale (UCSA). Et l’ISP de déplorer ce qui constitue selon elle des « manquements professionnels » dans la gestion du QMC : « des sacs qui transitent d’une cellule à l’autre, puis des cellules à la salle de convivialité et à la cour de sport sans aucun contrôle », une « attitude complaisante dans la gestion des mouvements des détenus »… L’ISP s’indigne aussi de « la présence de surveillants “ripoux” ». L’un d’entre eux a été condamné, en février 2013, à 6 mois d’emprisonnement pour introduction illicite de téléphones portables. « Deux autres surveillants affectés au QMC [feraient] rentrer des objets illicites. » D’autres encore « s’accusent de divulguer des informations personnelles aux détenus ou de leur permettre l’accès aux logiciels » de suivi des détenus. La mission dénonce enfin les contreparties accordées à un détenu en échange d’informations sur un trafic impliquant un surveillant. En guise de récompense, l’informateur aurait bénéficié « d’au moins quatre parloirs et d’une unité de vie familiale (UVF) en décembre 2012 avec une détenue du centre de détention pour femmes avec laquelle il avait tissé des liens et ce, en violation complète avec les règles régissant ce domaine ».
A l’origine de ces « dérives », selon les inspecteurs, la « difficulté dans laquelle se trouvent les surveillants (souvent jeunes et peu expérimentés) d’imposer une contrainte légale à des détenus d’un contact délicat et qui ont souvent démontré qu’ils peuvent être violents et déterminés, pouvant même donner l’impression de n’avoir plus rien à perdre ». Au manque d’expérience des surveillants s’ajoute le flou des normes applicables. L’ISP constate la « méconnaissance des règles en vigueur due pour partie à la multiplicité des notes de service, à l’absence d’une vision d’ensemble mais aussi à l’instauration de règles non écrites qui, à l’évidence, perturbent le travail des surveillants ». Ces derniers, lors des auditions, « ont surtout exprimé le souhait d’une clarification des pratiques à suivre ». L’Inspection déplore par exemple que la consigne autorisant deux détenus à passer quelques minutes ensemble dans une cellule, prise par la précédente direction qui jugeait « trop rigides » les règles en vigueur, « n’ait pas fait l’objet d’une note de service en précisant les conditions et la durée ». Au terme de sa mission, l’Inspection interroge le principe même de ce QMC, qui n’a pas fait l’objet d’une « réflexion dans la plupart des domaines qui composent la vie en détention ». Les personnels chargés de piloter le navire avouent leur désarroi. Telle la directrice du centre pénitentiaire (CP) : « Je ne comprends pas ce concept de QMC […] car l’architecture ne s’y prête pas. » Un point de vue partagé par le directeur du quartier, qui précise : « On n’a pas grand-chose à proposer aux détenus. » Des carences habituelles, la vie sociale en détention faisant figure de dimension négligée dans le cadre de la conception de nouvelles prisons, mais particulièrement problématiques pour des personnes condamnées à de très longues peines. Barbara Liaras
Réau : l’industrie pénitentiaire Outre les 28 places du quartier maison centrale, le centre pénitentiaire de Réau comprend un centre de détention pour hommes (420 places) ; un centre de détention pour femmes de 90 places ; un centre national d’évaluation de 50 places ; une unité d’accueil des transitaires de 180 places, et un quartier arrivant de 30 places. Soit 798 places. Les premiers détenus y sont arrivés le 24 octobre 2011. Le QMC est entré en service en mars 2012. Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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Maison d’arrêt de Fleury-Mérogis
La culture du rapport de force perdure dans la prison rénovée Dans la maison d’arrêt de FleuryMérogis rénovée, « la culture du rapport de force » s’impose toujours. Tel est le constat du Contrôleur général des lieux de privation de liberté qui a rendu public, le 12 septembre 2013, le rapport de sa visite effectuée en janvier 2010. En cause, le « gigantisme » de la maison d’arrêt – 2 855 places et 3 600 détenus à la date de la visite (3 817 au 1er septembre 2013) – et l’organisation qui en découle. Au sein des cinq « tripales » de la maison d’arrêt des hommes (MAH), chaque surveillant, « souvent jeune dans le métier » se voit confier la responsabilité de « 80 à 90 détenus, ce qui fait obstacle à une prise en charge individualisée et renforce la propension à la culture du rapport de force ». Dans une telle configuration, « quelle que soit la bonne volonté des personnels », il n’est pas possible « de maintenir un minimum de relations susceptibles de remédier aux inévitables tensions ». Les contrôleurs constatent un « important déficit de dialogue, […], une ambiance de précipitation permanente, limitant les rapports au strict minimum, les personnels étant réduits à faire de la sécurité ». Ce dont ils s’acquittent parfois en assurant « des interventions “viriles” pouvant aller jusqu’à des coups », ou en ayant recours à « des
méthodes “musclées” ». Des pratiques facilitées par un « encadrement […] souvent déficitaire », les surveillants réagissant « comme ils le peuvent » à des conditions de travail « très délicates […], souvent loin des personnes qui devraient les conduire et les encadrer ». Sur ces « actes professionnels inappropriés », la Chancellerie, dans sa réponse du 9 septembre 2013, se montre peu volontariste : ceux qui sont « portés à la connaissance de l’équipe de direction sont transmis au parquet d’Evry ». Aucune autre mesure n’est annoncée, les tensions et agressions étant imputées au « parti pris architectural » et à « une situation de surpopulation supérieure à 150 % ». Deux facteurs dont Jean-Marie Delarue souligne l’importance, mais qui n’ont justement pas été pris en compte dans le cadre du plan de rénovation de la prison : le « coûteux effort de rénovation » a été conduit « sans remise en cause de l’architecture » et avec un « nombre de détenus et [un] nombre de surveillants qui n’est en rien modifié ». Si bien que les violences entre détenus en cour de promenade perdurent également : « des rixes se déclenchent régulièrement », note le Contrôleur, qui demande « la sécurisation du lieu afin de permettre à toute personne détenue de le fréquenter ». Une « procédure
d’intervention » a été élaborée, suite au décès d’un détenu agressé durant la promenade en 2007. Mais elle « nécessite, dès l’incident signalé, de regrouper des agents […], de les équiper et les mettre en tenue, de les transporter sur les lieux de l’agression pour intervenir. Elle demande un délai de préparation d’au moins vingt minutes ». Les travaux effectués ont néanmoins apporté « des améliorations réelles, […] notamment dans le domaine du sanitaire (eau chaude dans les cellules) et du réseau électrique (possibilité pour les détenus d’utiliser des plaques chauffantes et non plus seulement les traditionnels “totos”) ». Le constat par les contrôleurs de « l’état de misère » de certaines cellules de la maison d’arrêt des hommes en 2010 est devenu obsolète. Dans les autres quartiers (maison d’arrêt des femmes, centre des jeunes détenus), la rénovation doit se poursuivre jusqu’en 2018. Le Contrôleur pose cependant la question « de la capacité de l’administration à maintenir en état ce qu’elle a beaucoup amélioré ». Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Rapport de visite de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis du 11 au 22 janvier 2010, publié le 12 septembre 2013
Baisse des suicides de personnes détenues en 2013 Les huit premiers mois de l’année témoignent d’une baisse des suicides en dépit de l’augmentation du nombre de détenus, avec 73 suicides de personnes sous écrou entre le 1er janvier et le 30 août 2013, dont 65 en détention. Des chiffres inférieurs à ceux de la même période en 2012 (83 suicides, dont 73 en détention) et 2011 (85, dont 81 en détention). Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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La sur-suicidité carcérale se maintient néanmoins à un niveau élevé, avec toujours 7,8 fois plus de suicides qu’à l’extérieur. La baisse générale des suicides en France apparaît autrement plus significative, avec une réduction de 20 % en 25 ans. Le taux de décès par suicide dans l’Hexagone reste néanmoins élevé au regard de la moyenne européenne. Ces progrès ont
été rappelés lors de la création le 10 septembre d’un Observatoire national du suicide. Ils invitent une fois de plus à faire passer la prévention du suicide des personnes détenues sous l’égide du ministère de la Santé. DAP, Suicides 2013, situation au 30/08/2013
de facto
de facto Fouilles à nu : l’administration centrale se résout à ordonner l’application de la loi Quatre ans après avoir été votées, les dispositions de la loi pénitentiaire sur la fouille à nu des détenus vont elles enfin être respectées ? C’est ce qu’indique une note du directeur de l’administration pénitentiaire (DAP) du 11 juin 2013, qui annonce la publication prochaine d’une circulaire sur le sujet. Et demande « sans attendre » aux services pénitentiaires une « adaptation des pratiques ». Dans toutes les prisons équipées « de portiques de détection des masses métalliques à proximité de la zone des parloirs », la pratique des fouilles intégrales systématiques doit être abandonnée au profit « des fouilles par palpation et de l’utilisation
des moyens électroniques de détection ». Un rappel salutaire faisant suite à la fermeté de la Chancellerie : « l’article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 ne [sera] pas modifié ». En vertu de ce texte, la fouille à nu n’est autorisée que si les autres moyens de contrôle s’avèrent insuffisants. Et doit être justifiée, au cas par cas, « par la présomption d’une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l’établissement ». Une approche individualisée dont de nombreux chefs d’établissements se sont affranchis, avec l’approbation de leur
hiérarchie, au prix de « multiples condamnations du juge administratif », reconnaît le DAP. Pour autant, précise la note du 11 juin, la jurisprudence n’interdit pas les fouilles intégrales systématiques lorsqu’elles s’appliquent « à un individu nommément désigné, qu’elles résultent d’une décision motivée fondée sur des considérations liées à l’ordre public ou à la personnalité du détenu, [et] qu’elles font l’objet d’une réévaluation régulière par le chef d’établissement ». Le DAP s’appuie sur une décision du Conseil d’Etat admettant qu’un détenu, condamné pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme, soit soumis à des fouilles à nu après chaque parloir par mesure de sécurité. La Haute juridiction ajoute que le bien-fondé de cette mesure doit néanmoins être réexaminé « à bref délai et, le cas échéant, à intervalle régulier », afin de vérifier « si le comportement et la personnalité du requérant justifient ou non la poursuite de ce régime exorbitant ». Donnant à cette jurisprudence une portée extensive, plusieurs chefs d’établissement se sont d’emblée engouffrés dans une application discutable de la note du 11 juin. Recourant à des critères de dangerosité larges ou imprécis, ils ont établi des listes, revues tous les trois mois, de détenus devant être soumis à une fouille intégrale systématique à l’issue des parloirs. Si bien qu’à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, la moitié des détenus figurent sur cette liste ! Le caractère exceptionnel de la fouille à nu, tel que voulu par le législateur, n’est pas encore une réalité dans les prisons françaises.
© Jacqueline Salmon
Note DAP du 11 juin 2013
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Les pastilles chauffantes n’intoxiqueront plus les détenus Dès 2005, l’Inspection générale des affaires sociales, saisie par l’OIP, interrogeait l’administration centrale sur la vente aux détenus de ces pastilles toxiques. Le Comité de coordination de toxicovigilance emboîtait le pas en janvier 2007, rappelant qu’elles « ne devraient pas être utilisées en atmosphère confinée ». Le 12 avril 2012, le tribunal administratif de Versailles accordait une indemnité de 24 000 euros à Nasser M., incarcéré pendant plus de deux ans à Fleury-Mérogis : une expertise médicale avait établi le lien « indéniable » entre « le déclenchement de ses [troubles] respiratoires [et] l’utilisation des [pastilles] ».
© Catherine Rechard / Signatures
Depuis le 1er juillet 2013, on ne se brûle plus les poumons en chauffant son repas en cellule. Une note du 13 juin du directeur de l’administration pénitentiaire (DAP) interdit la vente aux détenus des pastilles chauffantes, dont le caractère toxique a été dénoncé à maintes reprises. « Il est en effet apparu que leur emploi dans des espaces confinés est inapproprié en l’état », précise le DAP. Des données connues de longue date : la combustion de ces pastilles libère des oxydes d’azote, de l’ammoniac, du cyanure d’hydrogène ou encore du formaldéhyde, une substance cancérigène.
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L’administration pénitentiaire s’était contentée, depuis 2008, de diffuser aux détenus une notice d’information les invitant à « pratiquer une aération de la cellule pendant et après la combustion des pastilles », et à « maintenir une certaine distance » lors de leur utilisation. Des précautions dérisoires compte tenu de l’exiguïté des cellules et de l’impossibilité dans bien des cas de procéder à une ventilation satisfaisante. L’OIP avait insisté auprès du ministère de la Justice et demandé, en juin 2012, le retrait des pastilles et « l’installation d’équipements permettant des modes de cuisson alternatifs ». Un an après, les pastilles se retrouvent enfin bannies des établissements pénitentiaires. La question de la chauffe des aliments en cellule n’est pas entièrement réglée pour autant, comme en témoigne un détenu dans un courrier d’août 2013 à l’OIP : « Le chef d’établissement refuse l’accès aux plaques chauffantes pour raison de puissance insuffisante [du circuit électrique]. J’utilise une chauffe à l’huile mais la fumée m’étouffe (surtout que je suis malade). » L’insuffisante puissance des circuits électriques est en effet régulièrement avancée pour justifier le refus d’équiper les cellules en plaques chauffantes. Un argument récusé par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans un rapport de visite de la maison d’arrêt de Villefranche-surSaône en septembre 2010 : « Le risque de saturation du réseau électrique pourrait être pris en compte en introduisant des plaques à la puissance limitée ». Le Contrôleur retoquait aussi « l’argument avancé parfois par les personnels, selon lequel une plaque chauffante constituerait potentiellement une arme par destination entre les mains des détenus. » Les établissements où les plaques sont autorisées « ne semblent pas avoir enregistré d’incidents provoqués par cet équipement ». Note DAP du 13 juin 2013
de facto
de facto Centre pénitentiaire de Guyane
Suspension des tirs à balle réelle contre les hirondelles La chasse aux oiseaux est enfin fermée au centre pénitentiaire de Remire-Mont joly. Les fusils sortis depuis le mois de juin pour tenter d’éloigner les quelque 100 000 volatiles ayant élu domicile à la prison ont été remisés. Au lendemain de la saisine du tribunal administratif par un surveillant de l’établissement, le directeur a abrogé le 25 septembre sa note de service du 29 mai 2013, qui organisait la « campagne d’effarouchement » des oiseaux. La note indiquait que les surveillants volontaires pour la chasse « tireront quelques cartouches sur les oiseaux, tous les soirs de 17 h 30 à 19 h 00 environ. […] Les munitions seront fournies par l’établissement et les volontaires préciseront s’ils disposent d’un fusil de chasse personnel. Les heures effectuées seront prises en compte […] comme heures travaillées ». Dans son recours contentieux, le surveillant contestait la légalité d’un tel dispositif, alors qu’il est interdit au personnel pénitentiaire de détenir des armes personnelles au sein de la détention. Il se référait aussi aux règles de protection
s’appliquant aux hirondelles, leur chasse étant punie d’une amende de plus de 9 000 euros et/ou d’un emprisonnement pouvant aller jusqu’à 6 mois. Le surveillant affirme en outre que le contrat de 44 000 euros pour cette opération a été passé avec une entreprise appartenant au secrétaire général du syndicat pénitentiaire majoritaire (France-Guyane, 2 octobre). Le retrait de la note et l’arrêt des tirs à balle réelle dans l’enceinte de la prison devraient mettre fin au malaise suscité par l’initiative du chef d’établissement. « Une solution dangereuse, affirmait un surveillant, qui crée des nuisances sonores : trois bébés se trouvent actuellement au quartier femmes, ils [étaient] réveillés par les coups de feu. » Les tirs généraient aussi un stress important chez certains détenus, personnels ou intervenants, sans compter que les cartouches peuvent occasionner des blessures en retombant. Dans un courrier du mois de juillet transmis à l’OIP, la direction expliquait que le centre pénitentiaire « est affecté depuis
très longtemps par la présence d’une colonie d’hirondelles. Cette situation constitue un risque sanitaire important et crée de véritables nuisances au quotidien ». Des méfaits confirmés par une intervenante : « Outre que les fientes sont très importantes et vecteurs de maladies, l’odeur dégagée est pestilentielle. » Leur nettoyage mobilise tout au long de l’année une équipe de huit détenus employés au service général. D’autres méthodes ont été tentées pour éloigner les volatiles : pose de filets sur les bâtiments, canons à gaz et silhouettes de prédateurs… Elles n’ont pas permis de « parvenir, jusqu’à présent, à une solution définitive », indique l’administration. L’intervention de surveillants chasseurs de juin à septembre 2013 avait permis, selon la direction, « d’éloigner les oiseaux de l’établissement ». Une affirmation contestée, indépendamment des questions de sécurité et de légalité. Le problème des oiseaux et des moyens à utiliser pour les déloger reste entier. OIP, coordination outre-mer
Le « mariage pour tous » arrive en prison Mariage et droit à l’intimité en détention pour les couples homosexuels ? Dans une note du 7 août 2013, le directeur de l’administration pénitentiaire (DAP) indique aux chefs d’établissements que « l’état de détention ne doit en aucun cas constituer un obstacle au mariage » des personnes de même sexe tel que prévu par la loi du 17 mai 2013. « Dans tous les cas, les restrictions imposées devront se réduire au strict nécessaire ». Comme pour
tout mariage concernant au moins une personne détenue, des aménagements peuvent concerner « le choix des témoins ou l’organisation matérielle de la cérémonie et [peuvent] aboutir, le cas échéant, à surseoir à la célébration », mais uniquement « si des circonstances exceptionnelles le justifient ». Une fois célébré, le mariage devra être pris en compte notamment dans l’octroi d’une Unité de vie familiale ou d’un Parloir familial. Particularité pour
les personnes de même sexe : dans le cas où elles sont toutes deux incarcérées, un établissement pourra « tout à fait accueillir favorablement [leur] demande d’être affectées dans la même cellule, sauf raison de sécurité qui s’y opposerait », recommande le DAP. Il conviendra aussi « de leur permettre l’accès en commun aux activités de l’établissement, lorsqu’elles en émettent le souhait ». Note DAP du 7 août 2013
Pas de quartier pour les violences homophobes Dans une circulaire du 23 juillet 2013, la garde des Sceaux invite les procureurs de la République à « accorde[r] une attention particulière aux violences et discriminations homophobes commises dans les lieux de détention ». Christiane
Taubira demande « que soient prises toutes les mesures nécessaires pour que ces faits fassent l’objet d’une information immédiate du procureur de la République compétent. » Et précise : « Une réponse pénale devra être systématiquement
donnée par les parquets. » Circulaire du 23 juillet 2013 portant sur la réponse pénale aux violences et discriminations commises à raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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Le pari pas si fou d’un surveillant Créer une coopérative agricole pénitentiaire, autofinancée et autogérée, dans laquelle travailleraient des détenus en fin de peine, des sortants de prison et des surveillants. Tel est le projet défendu par Antoine Franck, surveillant depuis près de 20 ans, en attente d’autorisations des autorités pénitentiaires et ministérielles. En quoi consiste le projet que vous tentez de mettre sur pied ? Je souhaite créer une coopérative agricole pénitentiaire, qui accueillerait des détenus volontaires en fin de peine ou sortant de prison. Il s’agirait d’une prison ouverte, sans enceinte pénitentiaire, une véritable ferme. La production pourrait alimenter en produits frais le centre pénitentiaire (CP) de Nancy, puisque nous sommes dans cette région, et les surplus seraient vendus sur les marchés locaux. Ce projet est inspiré du pénitencier agricole de Witzwil, en Suisse. Dans cette prison ouverte, environ 190 détenus sont occupés à des activités d’artisanat et d’élevage. Ils génèrent un chiffre d’affaires de 12 millions d’euros. Quels profils de personnes détenues pourraient être concernés ? Je rencontre en détention des personnes dont l’incarcération est vraiment un accident de parcours, qui veulent s’en sortir. C’est à elles que ce projet s’adresse. Elles pourront finir leur peine au sein de la coopérative agricole, ou y être affectées en aménagement de peine. Je souhaite que leur contrat de travail avec la coopérative puisse être prolongé après la levée d’écrou. Il faut que les plus motivées puissent y trouver un emploi durable, afin de former et encadrer à leur tour de nouveaux arrivants. Voire participer à la création d’autres coopératives en France. Il me paraît également important de pouvoir inclure les familles au sein de la coopérative, alors qu’elles sont un moteur crucial de la réinsertion. La conjointe pourrait ainsi travailler, elle aussi, au sein de la coopérative, la famille choisissant de résider dans le domaine ou en dehors. Comment imaginez-vous la mise en route de cette coopérative agricole ? L’Etat pourrait racheter pour un euro symbolique une des nombreuses fermes abandonnées que l’on trouve dans la région. Un groupe de détenus encadrés par des surveillants volontaires Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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pourrait commencer par assurer la rénovation, sous forme de mesures de placement extérieur sous surveillance. L’idée générale, lors de la rénovation, puis de l’activité de la coopérative, est que tous (surveillants et détenus) participent aux travaux, mangent ensemble à midi… J’ai toujours eu pour principe de « faire avec », pas de rester seulement à surveiller. Je pense également solliciter des fonds européens pour démarrer, faire appel à des fondations. Par la suite, la production couvrira les frais de fonctionnement. Ce projet ne coûtera rien à l’Etat. Selon quels principes envisagez-vous le fonctionnement de la coopérative ? Les règles de travail seront les mêmes que dehors. Le fonctionnement en coopérative suppose un salaire pour tous, augmenté du partage des bénéfices. Si une personne ne remplit pas son contrat, elle est rappelée à l’ordre, voire, en dernier lieu, licenciée. A l’inverse, quelqu’un qui donne satisfaction peut évoluer, devenir contremaître. En termes de règles de vie, je souhaite là aussi être le plus proche possible des conditions « normales ». Après la journée de travail, chacun dispose de son temps : visite des familles ou d’amis, sport, détente, etc. Ce qui est permis dehors le sera aussi au sein de la coopérative. Recevant un salaire, chacun pourra choisir son lieu de logement, soit sur le domaine, soit à l’extérieur. Quel est l’état d’avancement du projet ? Nous avions enclenché une première phase : un groupe de cinq à huit détenus volontaires devait participer à la préservation et l’entretien des voies d’eau (rivières et canal) à proximité de Nancy, en partenariat avec les collectivités locales et un lycée agricole. Une fois les berges nettoyées, en lien avec le lycée agricole, nous les aurions cultivées et laissées à disposition des populations locales. L’image du monde pénitentiaire s’en serait trouvée améliorée, tout en ouvrant la prison
INITIATIVE
Antoine Franck, surveillant à Nancy, défend un projet de coopérative agricole pénitentiaire.
sur l’extérieur. La construction du projet avançait bien, jusqu’à un différend, sur un tout autre sujet, entre le juge de l’application des peines (JAP) et le directeur du centre pénitentiaire, ce qui a tout bloqué. Nous avons maintenant un nouveau JAP, et j’ai l’espoir que les discussions reprennent. Sur le projet de coopérative, le directeur me soutient ; la direction interrégionale de l’administration pénitentiaire est informée, mais n’a pas réagi. J’ai aussi présenté le dossier de la coopérative au député-maire Dominique Potier. Il s’est montré très intéressé, s’engageant à trouver une ferme dès que j’aurai le feu vert de l’administration pénitentiaire. Il a également écrit à madame Taubira, qui nous a répondu en exprimant son intérêt. Il faudrait maintenant que cet intérêt se concrétise. Comment vous est venue l’idée d’un tel projet, qu’est-ce qui vous anime ? Je travaille dans l’administration pénitentiaire depuis 1994. J’y ai été professeur de sport, surveillant d’atelier, à la bibliothèque, vaguemestre, surveillant de coursive, etc. J’ai appris que personne n’est à l’abri de la prison. On repère vite ceux qui ont besoin d’aide. Nous pouvons les aider à trouver un stage, une formation. Mais après ? Je croise souvent en ville d’anciens détenus qui me disent n’avoir plus rien, que leur stage n’a pas débouché sur un emploi, et qui craignent de retomber. Je me sens proche de ces gars, ils sont surtout confrontés à une situation économique difficile, au chômage. Face à ce constat, soit on n’espère plus rien de personne et on remplit nos prisons, soit on se bat pour imaginer d’autres solutions et
proposer une issue à ceux qui veulent s’en sortir. J’ai aussi une histoire personnelle qui me permet de comprendre : je suis entré à 17 ans dans l’armée, après avoir vécu en foyer, suite à des difficultés familiales. J’étais très indiscipliné et les gradés se sont chargés de me remettre les pendules à l’heure. A certains moments de sa vie, on peut avoir besoin d’un cadre pour se construire. J’ai enfin l’expérience d’avoir monté deux restaurants associatifs à Nancy. Vos collègues et votre hiérarchie partagent-ils vos convictions ? Ceux de mes collègues qui ont de l’ancienneté ou ont un peu vécu avant d’entrer dans la pénitentiaire sont sur la même longueur d’onde. Certains seraient prêts à partir dans un projet leur permettant d’utiliser d’autres compétences que celles demandées par l’administration pénitentiaire. C’est plus intéressant que de passer son temps à ouvrir et fermer des portes. Si demain il me faut vingt surveillants volontaires, ils seront là, sans difficulté. Les problèmes viennent plutôt de la hiérarchie. Un jour, j’ai passé une demi-heure auprès d’un détenu qui voulait aller cogner un surveillant afin de le calmer. Cela m’a valu d’être accusé de trafic et de perdre mon poste – même si la direction interrégionale m’a finalement donné raison. Je suis maintenant à l’Unité hospitalière sécurisée interrégionale (UHSI) et on me recommande de travailler de cette façon. Propos recueillis par Barbara Liaras Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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Placement extérieur à la ferme de Moyembrie :
© Samuel Gautier
la réinsertion est dans le pré
Créée par un visiteur de prison, la ferme de Moyembrie en Picardie accueille une vingtaine de sortants de prison en « placement extérieur ». Une mesure d’aménagement de peine dont les mérites sont reconnus, permettant un accompagnement soutenu. A Moyembrie, les anciens détenus réapprennent la liberté, la fierté d’accomplir un travail de ses mains, la vie en collectivité et l’entraide. Rattachée depuis quatre ans au mouvement Emmaüs, cette structure d’insertion traverse aujourd’hui de graves difficultés économiques.
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U
ne lettre, comme un appel.
Un matin de 1983,
Jacques Pluvinage reçoit le courrier d’un détenu qu’il suit comme visiteur de prison. Entre les lignes, transparaît l’angoisse de la sortie, l’inconnu de l’après, l’isolement de celui qui est devenu son ami. L’ingénieur agronome à la retraite et sa femme Geneviève décident de changer radicalement de vie : ils vendent tout ce qu’ils possèdent, achètent une ferme à l’abandon à Coucy-le-Château-Auffrique (Picardie). Ils y accueilleront quelques semaines plus tard l’auteur du courrier, à sa sortie de prison. « De fil en aiguille, de bouches à oreilles, il y en a d’autres qui sont arrivés », raconte Jacques. Puis, c’est au tour d’un juge de l’application des peines de Meaux de leur demander d’accueillir un détenu à sa sortie de prison. Le soir même, il dort à Moyembrie.
REPORTAGE
« Venir en aide à celui qui veux s’en sortir. » La devise du fondateur de la ferme reste d’actualité pour les huit salariés et les nombreux bénévoles qui font vivre cette structure désormais affiliée au mouvement Emmaüs. Pour être accueilli à Moyembrie, il faut être volontaire. Après une demande écrite, une première rencontre est organisée en détention. L’occasion pour un membre du bureau de l’association d’expliquer au postulant les règles de la ferme : interdiction de quitter les 20 hectares du domaine sans autorisation ou sans être accompagné d’un encadrant, respect des règles de vie en communauté… Mais aussi le fonctionnement de la structure : quatre heures de travail le matin, rémunérées 620 euros par mois, aux ateliers de maraîchage, d’élevage, à la fromagerie, en cuisine ou à l’entretien de la ferme. Les après-midi sont consacrés aux démarches d’insertion : réouverture des droits sociaux, recherche d’un emploi, d’un logement, achat d’une voiture… Si Moyembrie permet aux sortants de prison de reprendre pied, le projet de la ferme est surtout d’assurer un tremplin pour un retour dans le monde extérieur. Après la première rencontre en détention, les détenus viennent découvrir la ferme lors d’une permission de sortir. L’occasion pour eux de découvrir les lieux, d’appréhender ce que pourrait être cette nouvelle étape de leur vie. Au terme de cette rencontre, l’avis des encadrants et des autres résidents est aussi pris en compte dans la décision finale d’accueillir ou non le postulant. Le dernier mot revient au service de l’application des peines, qui accorde ou refuse la mesure de placement extérieur.
« Mon corps était endormi et il s’est réveillé » « Les premières semaines, j’ai senti mon corps revivre avec le travail. Mon corps était endormi et il s’est réveillé. C’est très important pour moi de me sentir vivant », confie Ahmed. « Ici, on voit des gens émerger alors que dans la vie, ils ont parfois sombré. On utilise ses mains, des mains intelligentes. Le travail est directement visible par ceux qui l’effectuent et on peut en être fier. Quand on découvre sa fierté, on est sur la bonne voie ! », s’enthousiasme Jacques Pluvinage. Dès 8 heures chaque matin, retentit le son des voix et des machines dans la vallée picarde. A l’atelier bâtiment, vérification des chaînes des tronçonneuses et des niveaux d’essence des tracteurs. Avant d’entamer les travaux du jour : débroussaillage des talus et élagage. A l’atelier élevage, David et Christophe achèvent la traite des 22 chèvres alpines commencée une heure plus tôt, puis emportent leur collecte à la fromagerie qui jouxte la grange. Ils iront ensuite s’occuper des chevreaux, nourrir poules et poulets, chercher, compter et tamponner la centaine d’œufs récoltés quotidiennement. Il y a aussi Jérôme, dont les fromages de chèvre ont un succès qui ne se dément pas. Mais l’activité principale de la ferme, c’est le maraîchage. Salades, carottes, tomates, oignons, topinambours, framboises, rhubarbe, pommes de terre… la vingtaine d’anciens détenus affectés à ce chantier cultivent une
© Samuel Gautier
Ré-apprendre la liberté
Atelier élevage – Moyembrie 2013.
diversité impressionnante de fruits et légumes biologiques. Ils seront distribués aux adhérents des quatre associations de maintien d’une agriculture paysanne (AMAP) ayant passé un partenariat avec la ferme. « Le travail aux champs ou sous les serres est intense, notamment en ce moment et il ne permet pas souvent de prendre le temps de se poser, de discuter », confie Simon, encadrant, arrivé il y a quelques mois et conquis par la dimension sociale et humaine de la ferme. Les livraisons du mercredi ouvrent une parenthèse : « Ce trajet hebdomadaire vers Montreuil est pour moi une occasion privilégiée de passer trois heures de route pour discuter avec les gars, mieux faire connaissance, faire le point avec ceux qui m’accompagnent à tour de rôle. » A l’arrivée, discussions animées avec les « AMAPiens » sur les fruits et légumes dans le panier du jour, sur la météo de la semaine passée et à venir… Une complicité forte s’est installée entre des producteurs sur le chemin de la réinsertion et des bénéficiaires qui soutiennent le projet de la ferme, venant parfois prêter main forte à Moyembrie.
« La réinsertion, c’est à nous de la faire » Après le travail, c’est à la porte d’Edmée que les résidents viennent frapper. Salariée de l’association, elle les accompagne dans leurs démarches administratives, leur recherche Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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d’emploi, d’un logement, ou encore d’un médecin. En arrivant, il faut souvent refaire la carte d’identité, ouvrir des droits à la CMU, ou encore s’inscrire pour passer ou repasser le permis. « Il y a une solidarité incroyable à Moyembrie ! », se réjouit Anne-Marie Péry, présidente de l’association : « Les gars se donnent des tuyaux dans leur recherche de logement ou de travail. » Les résidents disposent d’une chambre individuelle qu’ils peuvent agencer comme ils l’entendent et dont ils ont la clé. Cet espace d’intimité permet à chacun de se retrouver, d’accueillir sa famille, de renouer des liens avec ses proches. Les résidents réapprennent aussi à gérer un budget : outre les paiements pour les parties civiles que certains doivent effectuer, chacun verse 280 euros par mois à la ferme, pour le logement, les repas, les assurances ou les déplacements. « Le principal, c’est de montrer qu’on est capable de faire quelque chose de bien, se réadapter, travailler, payer nos factures, avec notre paye. La réinsertion, c’est à nous de la faire », explique Jean-Philippe. Cela passe aussi par le « loisir encadré » : dans la grande pièce commune, où se prennent les repas collectifs, un planning d’activités est affiché. Les pensionnaires doivent s’y inscrire pour se rendre au cinéma, au foot, en randonnée, à la brocante ou encore au musée. « Ce n’est pas une mini-prison mais un espace où on apprend la liberté », défend Anne-Marie Péry. Un lieu dans lequel la confiance et la responsabilisation sont des valeurs centrales. En dépit des échecs, qui sont de « deux sortes » selon la présidente : « Il y a ceux qui, souvent en début de séjour, transgressent tellement le règlement que le retour en prison est inévitable. Et il y a des personnes qui partent de Moyembrie sans solutions. Mais l’an dernier, tous les gars qui sont passés par la ferme avaient un logement à leur sortie. Et plus de 60 % d’entre eux avaient un travail ou une formation qui les attendait. » Quant aux évasions de ce domaine sans murs d’enceinte ni barreaux, elles sont rarissimes.
Un modèle menacé Malgré de très bons résultats en matière de réinsertion et de lutte contre la récidive, l’association est aujourd’hui en danger, avec un budget annuel une nouvelle fois en déficit. Au point que trois permanents sur huit viennent d’être licenciés pour raisons économiques et que la ferme s’est vue contrainte de faire appel à Emmaüs pour assurer sa survie. En plus des charges salariales de ses encadrants, une partie de la rémunération des résidents – 150 euros, sur les 620 euros mensuels au titre de leur contrat de 20 heures hebdomadaires – reste en effet à la charge de l’association, une fois les sommes perçues au titre des aides des contrats aidés (CUI-CAE) et des indemnités journalières versées par le ministère de la Justice. Côté recettes, moins d’un cinquième du budget provient de la vente de la production de la ferme. L’association tire ses ressources des adhésions et dons, mais aussi et surtout des financements publics. « Le prix de journée en détention est de 80 euros. Pour un placement extérieur, le ministère de la Justice ne nous verse que 21 euros, alors même que les études montrent que les résultats en matière de lutte contre la récidive Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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Atelier maraîchage – Moyembrie 2013.
sont meilleurs quand on bénéficie d’un tel aménagement de peine », s’insurge Anne-Marie Péry. Elle plaide non seulement pour une hausse significative de ce taux journalier, mais aussi pour une sécurisation de ce mode de financement. Car du jour au lendemain, les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) peuvent fortement limiter, voir même supprimer, le financement des mesures de placement extérieur, menaçant ainsi le modèle économique des structures d’insertion. En outre, la levée d’écrou d’un résident entraîne automatiquement la fin de son financement journalier par le ministère de la Justice, mais ne signifie pas forcément la fin de son séjour à la ferme. « On ne peut pas demander à un résident de partir au motif que l’on n’est plus financé alors même que l’on n’a trouvé aucune solution pour lui », explique la présidente de l’association : « Ce serait prendre le risque de le faire retomber plus bas et donc, d’augmenter le risque de récidive. Tout le monde serait perdant ! » Ainsi, plusieurs mois s’écoulent parfois entre la fin du placement extérieur et le départ de Moyembrie. Enfin, l’association doit faire face au désengagement de certaines collectivités territoriales qui la soutenaient jusqu’à présent, tel le
REPORTAGE
Franco
« J’ai passé onze ans en prison. La vie carcérale, c’est une vie de répression. On n’est plus un être humain. On n’est plus qu’un robot qui doit obéir au doigt et à l’œil ou sinon c’est la punition. Il n’y a que la haine qui vous tient. Je me disais : je sortirai et ce ne sera pas moi tout seul qui paiera. En prison, j’ai toujours réfléchi à la haine qui m’habitait. Non seulement réfléchi mais aussi attisé. Depuis 8 mois que je suis ici, tout doucement on me fait changer d’avis. On me fait comprendre qu’il n’y a pas que la haine dans la vie. Qu’il y a aussi des personnes qui sont capables d’altruisme, d’aider les autres sans rien demander en échange, une chose que je n’avais pas connue dans ma vie antérieure. »
Didier
« Quand je vois que l’on arrive à donner des beaux légumes, je suis fier parce que quelque part, c’est moi le papa ! J’ai besoin de ce que je fais sinon, je vais tourner en rond, je ne vais pas me sentir bien. Je suis encore convalescent. Je suis en bonne voie par rapport à mes problèmes alcooliques mais j’ai besoin de me sentir occupé. Quand je suis arrivé ici, j’étais triste. J’avais tout perdu et j’avais envie d’en finir. J’ai passé un mois et demi en prison et ça m’a beaucoup marqué, du mauvais côté. Moralement, ça m’a tué. Après, il faut se reconstruire. Cela va faire 18 mois que je suis sorti et maintenant, ça va mieux. »
© Samuel Gautier
Ahmed
conseil régional de Picardie, qui invoque « un recentrage de ses financements sur ses compétences exclusives ». Les responsables de la ferme de Moyembrie comptent dès lors sur la promesse de Christiane Taubira d’une augmentation de 12 % du budget en faveur du placement extérieur. Le manque de soutien économique à l’égard de ce type de structures d’accueil menace en effet une mesure de placement extérieur pourtant reconnue comme « particulièrement adaptée à la partie la plus vulnérable de la population pénale » (Rapport Borvo et Lecerf du 4 juillet 2012 sur le bilan de l’application de la loi pénitentiaire). Ainsi en témoigne Didier, résident depuis plusieurs mois à la ferme : « Je n’ai pas honte de le dire, s’il n’y avait pas eu Moyembrie, je serais passé sous un train. Aujourd’hui, je suis remonté. J’ai mon propre appartement, mes propres meubles, je suis fier de ce que j’ai réussi à reconstruire. » Et le fondateur de la ferme d’interpeller : « Aussi paradoxal que ça puisse paraître, j’ai découvert ici des gens de valeur. La société est complètement idiote de considérer ces gens comme des irrécupérables. »
« Ici, j’ai appris beaucoup de choses. Quand je suis arrivé, j’ai senti mon corps revivre. En prison, j’étais toujours allongé. Parfois, j’avais même la flemme de me lever pour aller en promenade. Il n’y a rien à faire en prison. Il n’y a presque pas de travail. Le seul objectif en prison, c’est qu’il n’y ait pas d’histoires, pas de bagarres. Ici, les premières semaines, j’ai senti mon corps revivre avec le travail. »
Francis
« Après 20 ans en détention, je m’aperçois que tout a changé. Les gens, la mentalité, les nouvelles technologies dont je ne sais pas me servir. Je sais téléphoner seulement depuis très peu de temps. Je ne vois pas quelqu’un sortir au bout de 15 ou 20 ans sans rien. La sortie, c’est aussi une préparation psychologique. J’avais une appréhension de sortir définitivement. J’ai refusé plusieurs aménagements de peine, je n’étais pas prêt. Se remettre dans la vie de tous les jours, ce n’est pas facile, surtout quand on est seul. Ici, on se sent protégé. On vous aide. Sortir de la ferme, ce sera une deuxième sortie quelque part. »
Didier
« J’ai fait un mois et demi de prison, pour une connerie d’alcool. Mais ça a été les moments les plus durs de ma vie. A Moyembrie, on change de mentalité. On est plus près des autres, on donne plus, on est reconnaissant. Je reste souvent l’après-midi pour travailler et je le fais avec plaisir. Il en faudrait plus en France des lieux comme ça. S’il n’y a pas des “fermes de Moyembrie” qui nous récupèrent à la sortie de prison pour nous donner un coup de pouce, on ne peut pas s’en sortir. »
Samuel Gautier Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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Les détenus en aménagement de peine doivent accéder aux prestations sociales Une circulaire signifie enfin aux Conseils généraux (CG) qu’ils ne peuvent refuser l’accès aux prestations sociales telles que le RSA aux sortants de prison en aménagement de peine. Certains CG ne prenaient en effet pas en compte la sortie effective de prison, mais la levée d’écrou administrative, qui n’intervient qu’en fin de mesure pour les aménagements de peine dits « sous écrou » (placement extérieur, surveillance électronique…). Avec pour conséquence des situations ubuesques d’extrême précarité pour des personnes libérées sans ressources. La circulaire conjointe des ministères des Affaires sociales et de la Santé et de la Justice du 11 juillet 2013
lève toute ambiguïté : la suspension ou la réduction des prestations pendant l’incarcération s’arrête « dès lors que l’incarcération prend fin ». Pour écarter tout risque d’interprétation erronée, le texte détaille les mesures concernées : placement sous surveillance électronique de fin de peine (SEFIP), placement à l’extérieur sans surveillance, semi-liberté, placement sous surveillance électronique, suspension de peine, libération conditionnelle et périodes à l’extérieur dans le cadre d’un fractionnement de peine. Dans toutes ces situations, il convient d’assurer la « reprise du droit ou [la] réintégration de la personne
condamnée dans le foyer bénéficiaire du RSA, à compter du premier jour du mois au cours duquel la mesure prend effet ». Il y a maintien du droit si la détention a été inférieure ou égale à 60 jours. Attendue depuis la loi pénitentiaire de 2009, cette clarification vise à garantir « l’accès aux droits sociaux des personnes placées sous main de justice […], afin de réduire les situations d’exclusion que peuvent connaître des personnes à leur sortie de l’établissement pénitentiaire, et de prévenir des risques de récidive induits ou aggravés par une situation de dénuement ou de précarité ». Circulaire interministérielle N°DGCS/SD1C/ DAP/2013/203 du 11 juillet 2013
Suppression de la taxe de 35 euros pour agir en justice Ne plus devoir payer pour saisir les tribunaux : la suppression du droit de timbre de 35 euros exigé pour ouvrir une action en justice était attendue. Ce sera chose faite à partir du 1er janvier 2014, a annoncé la garde des Sceaux. Dès son instauration en octobre 2011, douze organisations – dont l’OIP, le Syndicat des avocats de France, le Syndicat de la magistrature, la Ligue des droits de l’homme – avaient demandé l’abrogation de ce dispositif. Elles dénonçaient une taxe portant « atteinte au principe de gratuité de la justice ». Mais aussi « un obstacle supplémentaire à
l’accès au droit et au juge » pour les détenus souhaitant contester des décisions de l’administration pénitentiaire. Et, enfin, une charge « inéquitable » pour « les associations qui défendent devant les tribunaux les droits des personnes vulnérables ». Les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle (AJ) étaient certes exonérés de cette taxe. Mais le seuil de ressources ouvrant l’accès à l’AJ (929 euros par mois) était inférieur au seuil de pauvreté (964 euros), souligne Christiane Taubira, dénonçant « une restriction incontestable de l’accès à la justice [des
justiciables les plus vulnérables] ». C’est d’ailleurs pour financer l’aide juridictionnelle que cette taxe avait été instaurée. Pour compenser le manque à gagner de 60 millions d’euros induit par la suppression de la taxe, le budget 2014 de la justice impose 32 millions d’économies à l’AJ, prises notamment sur le défraiement des avocats commis d’office. Un « paradoxe énorme », selon le président de l’Union syndicale des magistrats. Ministère de la Justice, communiqué de presse du 23 juillet 2013
S’inscrire à Pôle emploi avant la sortie de prison Les détenus peuvent depuis le 1er octobre, s’inscrire sur la liste des demandeurs d’emploi avant leur libération. Une mesure basique, annoncée dans un communiqué du 23 juillet du ministère de la Justice : certains détenus pourront « s’engager dans des démarches de recherche d’emploi avant leur sortie en s’inscrivant sur la liste des Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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demandeurs d’emploi ». La possibilité est ouverte sous réserve d’une orientation par les services pénitentiaires d’insertion et de probation vers un conseiller Pôle emploi justice. Avec 62,5 postes (équivalent temps plein) consentis pour les 190 établissements, ces derniers ont néanmoins suivi à peine 19 000 personnes en 2012, alors
que près de 88 000 sorties ont été comptabilisées. Convention cadre nationale de collaboration entre Pôle emploi et l’administration pénitentiaire pour 2013-2015
de facto
de facto Nouvel appel du Contrôleur à éviter l’incarcération des mères de jeunes enfants à dix-huit mois) se retrouvent en prison avec leur mère. Lorsque l’incarcération ne peut être évitée, « l’intérêt supérieur de l’enfant » et « le statut de mère » doivent en principe prévaloir dans l’organisation de leur vie quotidienne en prison. Or, les règles de la détention peuvent être « antagoniques » avec cet impératif, constate le Contrôleur. Ainsi en va-til de la fermeture des cellules à 17 h 30, « moment où le jeune enfant a besoin de se dépenser », de la fouille systématique des enfants à chaque sortie de l’établissement et après chaque parloir, ou encore de cours de promenades « bardées de dispositifs de sécurité », comme à Roanne. Le Contrôleur général, qui a visité 26 des 29 établissements pénitentiaires dotés
de cellules ou de quartiers « mèreenfant », relève d’autres insuffisances : cours de promenade « très pauvrement aménagées », « réduites en surface » et « bardées de dispositifs de sécurité (grillages, concertina) », cellules trop petites (inférieures aux 15 m2 réglementaire) et ne permettant pas d’espaces distincts pour la mère et l’enfant, absence de salle d’activité pour les enfants… Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Avis du 8 août 2013 relatif aux jeunes enfants en prison et à leurs mères détenues
© DR
« Tout doit être fait pour éviter l’incarcération des femmes avec enfants ». Telle est la demande du Contrôleur général dans son avis du 3 septembre 2013. Il réitère une proposition déjà formulée en 2010, restée lettre morte : que s’engage une réflexion « pour que les mères détenues avec enfants se voient nécessairement accorder un aménagement de peine ou bénéficient d’une suspension de peine pour maternité, ou accèdent à une libération conditionnelle ». Choisir entre séparer une mère de son enfant et placer ce dernier en détention lui apparaît en effet comme « une alternative en soi insatisfaisante ». Chaque année, une cinquantaine de très jeunes enfants (âgés de quelques jours
La culture au régime sec Une baisse de 25 % des crédits dévolus aux activités culturelles des détenus de la région pénitentiaire de Rennes est annoncée pour 2014. L’alerte est donnée par le sénateur Jean-Claude Lenoir dans une question au gouvernement du 1er août 2013. Il dénonce aussi une réduction de 20 à 50 % (selon
les départements) du temps de travail des coordinateurs culturels chargés de leur organisation. De quoi s’interroger sur l’avenir « du dispositif de coordination des activités culturelles mis en œuvre depuis le début des années 2000 dans les établissements pénitentiaires. Dans les trois régions Bretagne, Basse-Normandie
et Pays-de-la-Loire, ce dispositif a permis de mener à bien 638 projets et d’organiser 2 082 séances artistiques et culturelles qui ont concerné 16 132 participants en 2012. » La réponse du gouvernement est attendue. Jean-Claude Lenoir, question écrite au gouvernement, Journal officiel du 1er août 2013 Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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Belgique :
une nouvelle approche pour prévenir la récidive des délinquants sexuels Proposer un suivi de groupe à des délinquants sexuels incarcérés pour les aider à construire une vie respectueuse des autres, à partir de leurs propres aspirations. S’appuyant sur l’approche novatrice du Good lives model, le programme développé par les psychologues du groupe Antigone vise à concilier les intérêts du délinquant avec les impératifs de sécurité publique. Explications de Serge Corneille, coordinateur d’Antigone.
Vous animez en milieu carcéral des groupes pour auteurs de violences sexuelles. De quoi s’agit‑il ? Nous proposons un suivi en groupe de trente-deux semaines, animé par deux psychologues et un délinquant sexuel légalement réhabilité (c’est-à-dire qui a purgé sa peine et n’a pas récidivé). Les groupes sont constitués d’une dizaine de détenus – prévenus ou condamnés, dont le délit principal est de nature sexuelle. Nous avons voulu ces groupes hétérogènes du point de vue des délits commis, afin de ne pas focaliser sur une catégorie. Si l’accord de la personne pour participer à l’intervention est essentiel, la non-reconnaissance des faits n’est pas un critère d’exclusion. Nous ne refusons que les personnes ayant rompu le lien avec la réalité, psychotiques ou affectées de retards mentaux graves. Quels principes fondamentaux guident votre intervention ?
Serge Corneille, psychologue à l’université de Liège, anime des groupes de suivi pour des auteurs d’agressions sexuelles.
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Nous nous inspirons largement du Good Lives Model (GLM), développé depuis dix ans en Australie et en Nouvelle-Zélande sous l’impulsion de Tony Ward. Dans cette approche, les délits sexuels sont considérés comme un moyen inadapté de satisfaire des besoins humains de base, communs à tout un chacun (physiques, relationnels, émotionnels, etc.). Par conséquent, l’objectif consiste à définir avec le délinquant des moyens non délictueux de satisfaire ces besoins. Cela s’inscrit dans le cadre d’un « plan de vie » auquel nous travaillons ensemble : que souhaite la personne en termes relationnels, d’emploi, de logement, de loisirs, etc. ? Le GLM ne vise donc pas à modifier un comportement mais à aider la personne à se construire une identité personnelle positive. Cette approche globale est
NOUVELLES PRATIQUES particulièrement adaptée pour les délinquants sexuels. En effet, le taux de la récidive strictement sexuelle n’est « que » de 15 %. Lorsqu’ils récidivent, les délinquants sexuels le font majoritairement sur un mode non sexuel. Il est donc plus pertinent de travailler à la prévention de la récidive générale que de la seule récidive sexuelle. L’intervention dans un environnement carcéral vous a-telle imposé des contraintes particulières ? Le GLM invite à prendre en compte les caractéristiques de l’environnement, de la relation thérapeutique, de l’implication du thérapeute et de la communauté, etc. Nous avons beaucoup travaillé et renforcé cette dimension. Par exemple, en faisant la preuve de notre engagement : nos interventions sont programmées après les heures de travail des détenus, pour leur éviter une perte de revenus ; nous nous déplaçons à deux voitures, afin que si l’une tombe en panne, au moins l’un des psys soit sûr d’arriver à destination ; nous venons animer la séance même si elle tombe le jour du réveillon de Noël ou de la Saint-Sylvestre. Des possibilités de suivi individuel sont offertes aux participants au terme de l’intervention groupale, y compris après leur libération. Avant de démarrer, chaque cycle est présenté aux directions, aux services psycho-médico-sociaux pénitentiaires et aux représentants des organisations syndicales pénitentiaires. Avec le soutien du Service public fédéral Justice, nous leur dispensons régulièrement des formations, ainsi qu’aux agents. Ceux-ci constituent en effet un maillon essentiel de la réhabilitation, dans la mesure où ils sont au contact quotidien des détenus et représentent l’interface la plus significative entre le détenu et la société. La façon dont ces agents favoriseront ou pas le lien social, préserveront ou pas la dignité des détenus sera, à mon sens, tout à fait déterminante. Cela est d’autant plus vrai dans un univers carcéral dont on sait à quel point il peut être maltraitant à l’égard des délinquants sexuels. Quelles sont les différentes étapes du programme ? Il est découpé en quatre modules de huit séances. Dans un premier temps, nous clarifions certaines notions qui ne sont pas toujours évidentes pour les participants : qu’est-ce qu’un délinquant, un déviant sexuel, un pervers, un pédophile ? Nombre d’entre eux pensent être condamnés pour inceste alors qu’il n’est pas interdit en Belgique, pour autant qu’il ait lieu entre adultes consentants. Qu’est-ce que le consentement ? Quand est-il légalement valide ? Dans le même module, nous amenons les participants à prendre conscience de leur capacité à choisir et à intégrer d’autres comportements que les délits sexuels, mais aussi à envisager les conséquences des choix qu’ils ont pu opérer. L’enjeu est de sortir des discours plaqués du type « la victime était consentante » ou, à l’inverse, « j’ai commis le pire crime qui soit, ma victime est détruite à vie ». Nous mettons plutôt l’accent sur une responsabilisation active, tournée vers l’avenir. Par exemple, avec des pères incestueux, nous travaillons sur l’idée que la relation avec leur
« L’incarcération suspend le risque de récidive durant l’emprisonnement (et encore…) mais l’augmente de façon très significative à la sortie. Alourdir les peines d’emprisonnement et réduire l’accès aux libérations conditionnelles au nom de l’intérêt supposé des victimes est donc une contrevérité. »
enfant est, à jamais, altérée par leur acte, mais en réfléchissant à demain, à comment intégrer et assumer l’impact de cette altération plutôt que de perdre son temps à « dire l’indicible », à tenter de « réparer l’irréparable » ou à « demander pardon pour l’impardonnable ». Le deuxième module s’attache aux aspects relationnels généraux. Notamment en aidant les participants à renoncer à la relation idéale, une quête qu’on retrouve chez certains pères incestueux, de nombreux pédophiles ou des violeurs de femmes adultes. Nous développons la notion de « relation égalitaire » dans laquelle des éléments négatifs et critiques ont leur place. Le troisième module s’appuie plus directement sur le GLM. Nous agissons sur ce qu’il faut mettre en œuvre pour arriver à une réaffiliation sociale, c’est-à-dire l’intégration de l’individu dans un réseau de droits et d’obligations mutuels à l’égard du groupe auquel il choisit d’appartenir. Nous nous concentrons sur les moyens de parvenir à être heureux à tout point de vue, tout en respectant autrui. Le quatrième module permet d’élaborer un plan de vie individualisé, conformément aux théories du GLM. Chaque participant travaille sur son plan de vie à tour de rôle, mais tous sont invités à donner des conseils, à faire des suggestions. Comment l’élaboration d’un « plan de vie » est-elle possible en détention, où le pouvoir d’action et de décision est fortement restreint ? Il n’est pas nécessaire d’être sorti de prison pour commencer sa réintégration psychosociale. Elle va se marquer dans les rapports aux autres détenus, aux agents, à l’autorité pénitentiaire, aux psychologues… A l’aide d’un questionnaire1, nous définissons des objectifs sur lesquels travailler en priorité et les moyens à mobiliser. Tout est recevable : si l’objectif d’un participant est de sortir de prison, nous examinons les démarches à entreprendre, l’aide que nous pouvons lui apporter, la façon d’éviter un retour en détention… D’autres objectifs peuvent 1 « Inventaire des besoins et préoccupations personnels à destination des délinquants incarcérés », adaptation en langue française par S. Corneille (2011) du « Personal Aspirations and Concerns Inventory for Offenders », Campbell J. et al., 2010. Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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consister à obtenir une cellule individuelle, une affectation en section protégée, un aménagement de peine ou une formation, à participer à une activité, à exercer en prison un travail rémunéré, etc. Le questionnaire explore six domaines : le mode de vie passé, actuel et futur ; les relations personnelles proches ; l’état physique et psychologique ; les loisirs et la spiritualité ; les changements et l’évolution personnels ; l’emploi, la formation, les ressources financières et l’éducation. Pour chaque thème, la personne est invitée à formuler des souhaits ou des préoccupations, puis à coter chaque item de 1 à 10, selon son degré d’importance, la probabilité de sa réalisation, ses modalités, etc. Nous lui demandons également d’évaluer le niveau d’investissement personnel nécessaire, l’échéance de réalisation, la probabilité que le projet se concrétise durant l’incarcération ; en quoi le fait d’être incarcéré peut empêcher ou contribuer à réaliser cet objectif ; de quelle façon la récidive pourrait l’empêcher ou aider à le réaliser, ou si d’autres obstacles pourraient s’interposer. Tous ces éléments contribuent à élaborer le plan de vie, même en détention. Quelles idées reçues concernant les auteurs d’infractions sexuelles empêchent selon vous d’aborder efficacement cette problématique ? La très grande hétérogénéité des délinquants sexuels n’est pas suffisamment prise en compte. J’observe une confusion Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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constante entre délinquance et déviance sexuelles. Nombre de délinquants sexuels ne sont pas déviants sexuellement au sens psychiatrique du terme (par exemple, les proxénètes ou les éphébophiles, attirés par les adolescents). Et nombre de déviances sexuelles sont légalement autorisées et largement pratiquées (par exemple, le fétichisme ou les pratiques sadomasochistes entre adultes consentants). La pédophilie, même lorsqu’elle est exercée dans un cadre de contrainte séductrice, ce qui est majoritairement le cas, est considérée comme le pire des délits sexuels. Je ne veux aucunement la légitimer ou la minimiser, mais dénoncer une sorte de hiérarchisation selon laquelle il serait pire de violer un enfant qu’un adulte ou l’inverse, une petite fille qu’un petit garçon… Il me semble impératif de respecter la souffrance et la dignité de l’ensemble des victimes, de croire en leurs ressources et de les aider à être le moins possible aliénées par cet événement traumatique. A ce titre, je récuse le discours conditionnant le bien-être de la victime à l’efficacité des forces de l’ordre (l’auteur doit être arrêté), à l’équité de la justice (l’auteur doit être lourdement condamné), mais également au bon vouloir ou aux capacités de l’agresseur lui-même (il doit reconnaître les faits et demander pardon). Un tel discours dépossède la victime de son destin, qui reposerait désormais entre d’autres mains. Or, toute victime vit les choses dans sa subjectivité, et la responsabilité de l’aider à retrouver un état de bien-être
NOUVELLES PRATIQUES suffisant incombe aux aidants que nous sommes et non aux forces de l’ordre, à la justice et encore moins à l’agresseur lui-même.
© Jean-Michel Le Moine
Quelles conséquences observez-vous de cette diabolisation du délit sexuel et de la pédophilie en particulier ? Chaque permission de sortir ou libération conditionnelle octroyée à un délinquant sexuel en Belgique comme en France fait l’objet d’une large indignation lorsqu’elle est médiatisée. Je constate quotidiennement que bon nombre d’entre eux renoncent, dès lors, à solliciter tout aménagement de peine. Or, une libération conditionnelle offre un double avantage : pour le délinquant celui de bénéficier de soutiens (psychologique, médical, social) dans sa difficile réinsertion ; et pour la société celui d’exercer un strict contrôle sur le délinquant sexuel libéré. En l’absence d’une telle mesure, il sortira de prison au bout de cinq, dix ou vingt ans, avec 50 euros fournis par le service social, mais sans travail, sans logement, sans ressources externes. Combien de jours mettra-t-il avant ne serait-ce que de voler pour se nourrir ? L’immense dénuement psychologique et social dans lequel se trouvent certains détenus au terme de leur incarcération peut favoriser directement la récidive.
En matière de traitement, nous avons fait l’erreur pendant des années d’appliquer aveuglément les mêmes programmes à l’ensemble des délinquants sexuels. Nous avons ainsi exigé qu’ils se conforment à nos pratiques plutôt que développé notre expertise afin de mieux adapter nos pratiques à leurs besoins. Cela a eu pour effet de priver bon nombre d’entre eux de l’aide nécessaire. Nous avons aussi eu tendance à cibler des questions sans impact direct sur la prévention de la récidive, telles que la reconnaissance des faits ou l’empathie envers la victime. Le GLM répond en grande partie à ces carences. Les approches qui s’en inspirent représentent 30 % des programmes de traitement de la délinquance sexuelle en Amérique du Nord et 50 % au Canada. On ne peut que regretter que les francophones, à l’exception des Québécois, ne se donnent pas la peine de se former davantage à cette approche et aux outils d’intervention qu’elle a développés. La France, hormis quelques pionniers, semble frileuse à l’égard des approches novatrices, plus particulièrement lorsqu’elles sont d’origine anglo-saxonne. Propos recueillis par Barbara Liaras
Quelles idées souhaitez-vous promouvoir au regard de la prévention de la récidive ? Si la prévention de la récidive intéresse vraiment quelqu’un, il va falloir avoir le courage de dénoncer la contamination de ce champ de recherche par des considérations morales et idéologiques. Et dire ce que toutes les études sérieuses nous apprennent sur les facteurs permettant de réduire la réitération : favoriser des peines alternatives à l’incarcération ; réduire l’échelle des peines ; rendre les traitements accessibles au plus grand nombre ; améliorer la qualité et l’efficacité de ces traitements ; former et responsabiliser les intervenants judiciaires mais aussi psycho-médico-sociaux et enfin, favoriser la « planification de la réintégration » en termes de suivi ambulatoire, de logement, de travail et d’élaboration d’un plan de vie satisfaisant les besoins humains fondamentaux. Ce sont là les seules mesures réellement sécuritaires. Celles qu’on applique actuellement sont purement démagogiques et contre-productives au regard des objectifs qu’elles prétendent viser. L’incarcération suspend le risque de récidive durant l’emprisonnement (et encore…) mais l’augmente de façon très significative à la sortie. On peut décider d’alourdir les peines d’emprisonnement et de réduire l’accès aux libérations conditionnelles pour les délinquants sexuels à titre de sanction. Mais qu’on le fasse en invoquant l’intérêt supposé des victimes est une contrevérité et une instrumentalisation de la souffrance de ceux-là même dont on prétend défendre les intérêts.
Groupe Antigone : diversifier les modes de prise en charge « Ce groupe, composé de deux psychologues et d’une sexologue, est spécialisé dans les actions d’intervention, de recherche et de formation autour de la problématique de la délinquance sexuelle. Les interventions permettent d’intégrer des personnes habituellement exclues des programmes : délinquants sexuels incarcérés, en désaccord avec l’accusation ou en situation non judiciarisée. Nous nous attachons à promouvoir des prises en charge précoces, à diversifier les modes de prise en charge et à développer les modèles les plus novateurs. Notre mission principale demeure la prise en charge intégrée (auteur, victime et proches), à domicile, des familles incestueuses. Cette intervention est principalement destinée à des familles socialement désaffiliées et hors du circuit judiciaire. En parallèle, nous avons également mis sur pied des interventions groupales à destination des délinquants sexuels incarcérés : depuis 2006, huit sessions ont été menées à bien dans cinq prisons de Wallonie (nous recevons le soutien de la Région). Chacun de ces projets s’inspire largement du Good Lives Model que, depuis dix ans maintenant, nous tentons de traduire, d’opérationnaliser et de promouvoir en francophonie. » Serge Corneille, coordinateur du groupe Antigone Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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ils sont nous Campagne « Ils sont nous » : l’envers du fait divers L’OIP ouvre une nouvelle rubrique « Ils sont nous » dans Dedans-Dehors. Des récits de vie de ceux qui ont connu la prison sont publiés : ils racontent leur parcours avant, pendant et après leur(s) incarcération(s). Ces témoignages seront aussi diffusés dans des médias et sur un blog dédié à la campagne. Dans ce numéro, la parole à Christophe et Matoub, avec des points communs : une scolarité interrompue, la délinquance qui apparaît à un moment comme la seule voie possible pour « bien vivre », la colère contre les injustices sociales. Montrer l’envers du fait divers, les choix et difficultés de personnes qui ne se résument pas à leurs actes, lutter contre les stéréotypes… telle est la démarche.
Les cinq vies d’un ex-cambrioleur
Entre son enfance dans une cité-dortoir bordelaise et l’animation d’un jardin collectif à 50 mètres de la même cité, Christophe de La Condamine a déjà vécu plusieurs vies. Sous-officier dans l’armée de terre, il apprend la « déshumanisation » ; commercial dans une banque, il devient expert en alarmes. Après un divorce douloureux, il retrouve ses amis de jeunesse et devient cambrioleur, accro à l’adrénaline.
Christophe de La Condamine est l’auteur de Journal de taule, éd. l’Harmattan, 2011. Pouvez-vous nous raconter vos conditions de vie avant d’avoir affaire à la justice ? J’ai passé mon enfance dans une cité-dortoir ouvrière près de Bordeaux, dans laquelle je vis à nouveau aujourd’hui. Une cité à taille humaine, avec des petits immeubles de quatre étages, éparpillés à flanc de vallée. J’y suis arrivé en 1965, j’avais 2 ans, il y régnait une grande solidarité : les voisins mangeaient les uns chez les autres, on nettoyait les escaliers à tour de rôle… A la maison, il n’y avait pas d’alcoolisme, pas de coups. Mon père travaillait comme ouvrier typographe dans l’édition. Ma mère s’est mise à travailler quand mes parents ont divorcé, j’avais 10 ans. A cette époque, son salaire d’ouvrier permettait quand même de nous envoyer à l’école privée. Jusqu’en classe de 1re, j’étais dans les cinq premiers à l’école et j’avais un an d’avance. Puis il y a eu le décès de mon papa et c’est un peu parti en live. De la 1re, je suis repassé en 2nde. J’ai encore fait le con et on m’a orienté en BEP. Je n’avais plus d’intérêt pour la scolarité et plus assez de présence parentale pour Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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me recadrer. Notre mère était désormais seule à s’occuper de ma sœur et moi, elle faisait les trois-huit à l’usine. Souvent le soir, il n’y avait pas de parent à la maison, pas de suivi de mes devoirs. C’est à cette période qu’ont commencé vos premiers délits ? Oui, quelques petites conneries. On s’est fait interpeller à trois ou quatre gamins de 15 ans en train d’essayer de voler une voiture avec des ciseaux pour crocheter les serrures. Garde à vue, passage devant le juge des enfants. J’ai glandé jusqu’à mes 18 ans, et puis un jour en me baladant dans Bordeaux alors que je séchais les cours, j’ai vu un panneau « Centre de documentation de l’armée de terre ». Je voulais travailler. Ils m’ont fait passer des tests, j’ai été orienté vers une école de sous-officiers, où l’on m’a appris la pédagogie, comment mener une troupe, donner l’assaut et manier des armes. Ce fut pour moi une première expérience de « déshumanisation ». De quelle manière cette expérience fut-elle « déshumanisante » ? L’armée nous sort de notre environnement, nous rase la tête et nous intègre à une entité dans laquelle la mission prime sur l’individu. Elle nous apprend que pour tuer un homme à
ACTU parcours de vie d’anciens détenus l’arme blanche, il faut frapper au poumon pour l’empêcher de crier. Tout est fait pour nous rendre plus mécaniques. A un moment, j’ai pris conscience que ce n’était pas pour moi. J’avais un contrat de cinq ans, que j’ai demandé à résilier au bout de trois, ce qui a été refusé. J’ai fait des conneries pendant un an, accumulant quatre-vingt-dix jours d’arrêts, et ma nouvelle demande de résiliation a été acceptée. Quelle était alors votre situation personnelle, familiale ? J’étais marié, je retrouvais mon épouse à Paris le week-end. Quand je quitte l’armée, je la rejoins, je trouve un travail de commercial par intermittence, pour finalement intégrer la filiale d’une banque qui vend… des alarmes. Tout marche bien, je deviens cadre commercial et responsable d’agence en l’espace d’un an. Mais au bout de quatre-cinq ans, j’ai alors 28 ans, divorce ! La cassure importante est là. Je remplis des baignoires de larmes, je noircis des feuilles de papier et je bois des litres de whisky. Depuis l’adolescence, je fumais aussi du haschich. Je me replie à Bordeaux chez ma mère, je retrouve dans la cité des copains d’enfance. Ils alternent les petits boulots et la vente de haschich, l’un d’eux devient mon fournisseur. Nous sommes dans les années 1990, il devient plus difficile de trouver un emploi stable. Je suis en déprime, je bois et fais la fête. Je commence à vendre du haschich pour payer ma consommation. Et à un moment, ce petit réseau sollicite mes compétences en matière d’alarmes. Je mets le doigt dedans. Et dès le premier cambriolage, je deviens accro. D’un cambriolage tous les six mois, l’équipe passe avec mon arrivée à une fois par mois, puis une fois par semaine, voire plus. Au point que les troupes de départ ne me suffisent plus et que je monte plusieurs équipes.
cambriolages. Leur fréquence diminue, mais leur importance en termes de butin augmente. Je commence à avoir un réseau de receleurs qui me permet de travailler sur informations. Je participe à chaque coup, pénétrant toujours le premier, ne voulant laisser ce privilège à personne ! Comment tout cela s’est arrêté finalement ? Nous sommes tombés pour le braquage d’un péage d’autoroute. Le travail de préparation nous avait occupés six à huit mois : nous avions une complicité intérieure, qui nous avait organisé une visite nocturne préalable ; il faut contourner le système d’alarme, passer au travers des protections métalliques, neutraliser les personnels et aller pêcher les billets dans la chambre forte. A la clé, un butin de 180 000 euros. Nous réussissons notre coup et je retourne à mon anonymat parisien, troquant ma voiture pour une autre encore plus pourrie, je me fais discret. Un mois plus tard, l’informateur et le complice sont arrêtés. L’enquête ne remonte pas jusqu’à moi car ils n’ont que mon prénom, pas même mon numéro de téléphone. Mais au bout d’un an, l’enquête rebondit : l’un des trois braqueurs est arrêté pour une autre affaire et parle, si bien que je suis mis sous écoute et filature. Deux ans après le « coup », nous sommes tous arrêtés. Il y a trois motifs pour nous renvoyer aux Assises : bande organisée, séquestration, utilisation d’armes. Après 96 heures de garde à vue, j’arrive à la maison d’arrêt de Saintes. J’ai 42 ans.
C’était quoi cette « addiction » au cambriolage ? L’adrénaline. L’attrait de l’interdit. La sensation de faire un bras d’honneur à la société a beaucoup joué dans mon cas. J’avais essayé plein de jobs et je me retrouvais sans rien. C’était une façon de dire « le petit, vous n’allez pas l’écraser, il va se révolter maintenant ». Les cambriolages durent une dizaine d’années, ce sont des faits prescrits désormais, pour lesquels je suis passé au travers. Le fait de m’appeler de La Condamine, d’être blond aux yeux bleus, m’a clairement donné le bénéfice du doute aux yeux de la police. Je faisais aussi en sorte d’avoir toujours des revenus licites à déclarer : chef d’entreprise dans la vente d’alarmes, artisan peintre, photographe… De plus en plus, je scinde ma vie entre Paris où j’exerce mes activités légales, et des déplacements à Bordeaux où je poursuis les
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« Je m’étais toujours dit qu’un jour ou l’autre, je serais incarcéré, mais j’avais décidé que cela ne m’arriverait qu’une fois, que cela signerait la fin de cette “carrière’’ »
Comment se passe votre arrivée en détention ? Nous sommes deux dans une cellule de 9 m2, mais mon codétenu est transféré le lendemain. Je passe donc les premiers jours seul en cellule, j’évite ainsi d’avoir immédiatement à déféquer devant quelqu’un. Dès le premier matin, je vais en promenade pour affronter « la fosse aux lions ». La cour appartient aux détenus, les surveillants n’y mettent pas les pieds. Il y a des tensions, plus concentrées qu’à l’extérieur, avec des tests, des regards. Mais quand les autres voient que tu es capable de mordre, ils te laissent tranquille. Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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ils sont nous Pouvez-vous décrire les conditions de détention à la maison d’arrêt de Saintes ? C’est une petite prison à taille humaine, avec une centaine de détenus, dans laquelle on peut demander à partager sa cellule avec untel. Je sympathise avec quelques détenus et nous sommes regroupés dans une cellule à quatre quadragénaires « posés ». J’ai l’écriture comme exutoire, je commence mon « journal de taule ». Cela me permettra pendant mes quatre ans de détention de prendre de la distance avec ce qui m’arrive. Je suis aussi nommé au bout d’un mois au poste de bibliothécaire, ce qui me permet d’éviter le confinement 21 heures sur 24 à quatre dans 13 m2. Je suis souvent seul dans le local de la bibliothèque, cela m’autorise aussi la masturbation, alors qu’en cellule on n’est jamais seul, ce qui provoque des tensions inouïes. Il faut savoir qu’en maison d’arrêt, on ne peut même pas s’isoler aux toilettes, on ne peut jamais être à poil, on prend même sa douche en caleçon : la pression s’accumule inévitablement, et c’est favorisé par le système. Après la sortie, redécouvrir le toucher humain, le corps d’une femme, c’est presque une épreuve. J’ai aussi été affecté en prison par les rapports de force permanents et l’infantilisation : on ne peut absolument rien faire de notre propre initiative, on n’a qu’à répondre aux appels pour l’infirmerie ou le parloir, on se sent incroyablement impuissant. Tout cela détruit aussi sûrement que cela génère de la rage. Et puis quand tu as vécu des bagarres dans des douches fermées comme un ring sans issue ni arbitre, seul contre deux ou trois détenus en possession de lames de rasoir fixées sur un manche de brosse à dents, comment veux-tu que cela ne laisse pas de traces ? Quelle a été la suite de votre parcours carcéral ? Après deux ans à Saintes, j’ai été transféré à Gradignan, une usine carcérale avec 800 détenus, deux à trois bonhommes entassés par cellule de 9 m2. Dès qu’on entre dans ce lieu, la violence et l’hostilité sont palpables. Il y a peu ou pas d’activités, je ne retrouve pas de poste de bibliothécaire, car là-bas, on emprunte les livres à partir d’une liste qui nous est distribuée. C’est dans cette période qu’a lieu notre procès aux Assises. Qu’avez-vous pensé de la peine prononcée ? J’ai pris six ans ferme, tout comme mes co-équipiers : ça les valait. Mais je suis persuadé que le « tarif » était joué dès la fin de la garde à vue, les dix jours de « cérémonie » aux Assises n’y changeant rien. Il y a une sorte de barème en fonction des faits et des déclarations en garde à vue. J’ai pu expliquer mon parcours, mais je pense que cela n’a pas joué sur le verdict, tout comme la plaidoirie de l’avocat à 12 000 euros d’honoraires ! J’ai terminé ma peine au centre de détention de Mauzac, avec une cellule pour moi seul, le tout organisé en pavillons, entre lesquels nous pouvions circuler du matin au soir. Quand on traverse, il y a des chats plutôt que des rats. Donc une architecture qui change tout et permet de mesurer à quel point la violence est générée par la conception des prisons. Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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« J’ai été affecté en prison par les rapports de force permanents et l’infantilisation : on se sent incroyablement impuissant. Tout cela détruit aussi sûrement que cela génère de la rage. » Aviez-vous en détention des contacts avec vos proches ? Les relations épistolaires ont pris leur pleine mesure, j’écrivais beaucoup de courriers. Chaque fois que je recevais une lettre en cellule, c’était Noël. Ma mère, déjà très malade, a lutté pour rester en vie pendant ma détention. Elle décédera un mois après le terme de ma conditionnelle. Dans quelles conditions et quel état d’esprit sortez-vous de prison ? Je sors en libération conditionnelle, avec un toit et un vrai job de commercial. Toutes choses que j’ai trouvées par moimême, n’ayant bénéficié d’aucune aide à la réinsertion de la part de l’administration pénitentiaire. Les discours sur l’insertion relèvent du bal des hypocrites : ils n’ont pas de moyens, le SPIP se contente de nous « inciter » à nous insérer. L’administration ne fait rien d’autre, selon sa propre terminologie, que gérer des « stocks » et des « flux ». Et après, elle nous demande encore des comptes ! Si vous comparez votre vie avant et après la prison, qu’est-ce qui est différent ? Je suis dans la violence, ce qui n’était pas le cas avant. Je sors affûté comme une lame, après des années de rapports de force, de tensions et de confrontations. Je ne laisse plus rien passer et je pars au quart de tour. Je descends plusieurs fois de ma voiture pour casser la gueule d’un conducteur qui m’a fait un bras d’honneur. Mon nouveau travail se passe bien, même s’il ne correspond à aucun des avenirs que je m’étais inventés pendant ma détention, dont celui de travailler la terre. Mais, un jour, je manque de frapper mon patron et je démissionne, ce qui met en péril ma conditionnelle. Si je retourne en prison, ma mère en mourra à coup sûr. Je tombe alors sur une assistante sociale, une « sainte », qui me trouve une formation d’un an en maraîchage bio. Elle m’ouvre la possibilité de réaliser l’un des projets que j’avais envisagés à l’intérieur. Est-ce qu’à votre sortie, vous pensez à reprendre la délinquance ? Non, je m’étais toujours dit qu’un jour ou l’autre, je serais incarcéré, mais j’avais décidé que cela ne m’arriverait qu’une fois, que cela signerait la fin de cette « carrière ». Dès le départ, le risque de « tomber » était présent dans mon esprit, ce qui n’a d’ailleurs rien empêché. J’ai opté pour cette voie en souhaitant accumuler le plus de réserves possibles, tirant sur la
ACTU parcours de vie d’anciens détenus
Vous estimez avoir vraiment choisi la « carrière » délinquante ? Oui, même s’il y a eu toute une série de facteurs dans mon parcours. Si j’avais eu à 18 ans cinq appartements à Neuillysur-Seine, je ne serais pas allé cambrioler, c’est certain. Je n’ai jamais connu de braqueur qui vienne de Passy ou d’Auteuil. Comment vivez-vous aujourd’hui ? Au terme de ma formation en maraîchage bio, on m’a proposé d’exploiter un terrain de 3 000 m2. Ensuite, j’ai été embauché par une association qui dépend du centre social de la ville, afin de monter un jardin collectif dans la colline, à 50 mètres de ma cité. Nous faisons pousser des légumes, on a des poules et des moutons ; les habitants participent, font du désherbage… Des chômeurs de longue durée qui ne sortaient plus viennent s’aérer et travailler au jardin. Des jeunes qui souffrent de troubles mentaux viennent aussi travailler à leur rythme. Des petits vieux viennent apporter leur savoir et nous acheter des légumes comme à la ferme quand ils étaient petits. Les gamins qui cassaient des bagnoles viennent donner à manger aux poules le soir. J’ai pour projet de développer d’autres structures de ce type, notamment pour proposer
à des détenus une activité qui leur permettrait de sortir en conditionnelle. A l’intérieur, j’ai compris que nous n’étions pas seuls grâce aux structures associatives, à l’OIP, au Courrier de Bovet, à des bénévoles qui venaient animer des activités. J’ai découvert que je pouvais utiliser ma colère autrement qu’en menant ma petite guerre, seul dans mon coin. Vous reste-il des marques ou des stigmates de la prison ? Quand j’étais à l’intérieur, je ne pensais qu’à l’extérieur, et maintenant que je suis dehors, j’ai la tête dedans. Il reste cette violence en moi, même si elle s’estompe au fil du temps. Je ne laisse plus passer le moindre élément vexatoire, mon besoin d’être respecté est absolu. J’ai aussi l’impression d’avoir perdu des années en prison, ce qui provoque une rage d’action, vouloir faire mille choses en même temps. Alors qu’en prison toutes les journées étaient les mêmes, j’ai un besoin de vivre intensément. En sortant à 47 ans, j’étais aussi très décidé à fonder un foyer, ce qui est arrivé et nous avons avec ma nouvelle compagne un petit garçon. Le fait qu’un éditeur demande à lire mon « journal de taule » m’a enfin obligé à me replonger dans les petits cahiers que j’avais entreposés à ma sortie dans une boîte en carton et que j’étais incapable de réouvrir. C’était physique, je refermais le couvercle aussitôt. Le fait de tout relire et saisir sur ordinateur m’a servi de psychothérapie. Et la publication a permis de transformer cette période sombre en positif. Je ne veux pas faire table rase de mes années prison, j’ai besoin de témoigner, me confronter, m’impliquer. Propos recueillis par Sarah Dindo
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ficelle jusqu’à ce qu’elle casse et que j’en paye le prix. Malgré ces quatre ans de prison, je ne regrette pas ce choix. Et si un jour je n’ai plus de travail, plus de toit, plus personne pour m’aider, les dix derniers euros seront pour un pied de biche. Ce ne serait alors pas un véritable choix.
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ils sont nous
Matoub
ou l’impasse sociale A 32 ans, Matoub, né en France de parents immigrés, ne peut se résoudre à la même vie de labeur, pauvreté et soumission. Sorti du système scolaire à 16 ans, après une orientation imposée en BEP électrotechnique, il est sans diplôme, sans emploi, sans argent… Et commence la vente de drogues. Après quatre incarcérations, il dort de nouveau sur le canapé de ses parents. Pouvez-vous raconter l’histoire de votre famille, aviezvous des difficultés particulières ? Je suis d’origine marocaine, ou plutôt berbère, le deuxième d’une famille de sept enfants. Mon père est arrivé en France en 1966, ma mère l’a rejoint avec ma sœur en 1980, dans le cadre du rapprochement familial. Mon père était électricien dans le bâtiment, il se levait tôt et rentrait tard. Ma mère ne parlait pas bien français, elle était mère au foyer. On habitait sur la métropole lilloise, dans un appartement avec un salon et deux chambres pour neuf. On avait tous des lits pliables, on faisait des montagnes de matelas, de couvertures et d’oreillers. Mes parents ont fait le maximum, nous n’avons jamais eu faim ni froid, ils nous ont donné une bonne éducation. Mon père est très respectueux de la loi, jusqu’au ticket d’horodateur, il ne sait pas ce qu’est une amende. Et à l’école, comme cela s’est passé pour vous ? J’ai eu un parcours normal jusqu’à la troisième. Ce n’était pas évident de faire nos devoirs à la maison, il y avait souvent du bruit avec les petits qui pleuraient. Et pas assez de place. J’ai l’impression d’avoir connu très tôt la vie en cellule ! Mais j’arrivais à suivre, j’étais un élève moyen, j’ai eu le brevet. En fin de troisième, la directrice du collège a décidé de m’orienter en BEP électrotechnique. Nous étions quatre marocains dans la classe, tous orientés en lycée technique alors que nous demandions à passer en filière générale. Deux d’entre nous avaient des mères françaises, qui connaissaient bien le système, elles ont pu se battre et faire appel. Ceux-là ont obtenu gain de cause. Ils sont aujourd’hui ingénieurs en informatique. Mais mon autre collègue et moi, nos parents ne savaient pas comment intervenir. Nous avons laissé passer. C’est l’erreur de notre vie. Par la suite, j’ai fait du trafic de drogue, et lui des braquages. Et vous êtes resté en BEP, du coup ? L’atelier, les tournevis, le bleu de travail, ça ne me plaisait pas du tout. J’ai dit à mon professeur principal que je voulais faire Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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une première d’adaptation pour repartir en générale. Il m’a répondu : « Mais tu rêves ! C’est uniquement quelques privilégiés qui vont en première adaptation, il faut 18 de moyenne. » Mes notes étaient en dessous de la moyenne, je me suis découragé. Le matin je préférais dormir, ma mère me réveillait de force, j’étais tout le temps en retard… Et puis je n’y suis plus allé, je mentais à mes parents. J’ai fini par passer en conseil de discipline pour absences injustifiées et j’ai été exclu de l’établissement. A 16 ans, j’étais sorti du système scolaire. Avez-vous engagé d’autres démarches à ce moment-là ? J’ai essayé de me réinscrire en générale, mais j’avais deux ans de retard, il fallait que des places se libèrent et je n’étais pas prioritaire. J’ai écrit en vain au rectorat, à l’Académie, partout. Je suis allé à l’ANPE, mais il n’y avait rien pour un jeune de 16 ans. Je ne pouvais accéder au RMI avant 25 ans, les allocations familiales avaient été suspendues à cause de ma sortie du système scolaire. Je ne savais pas comment faire et je n’arrivais pas à digérer l’épisode de mon orientation en BEP. Ma grande sœur a eu plus de volonté. C’était une des meilleures de sa classe, mais ils l’ont aussi envoyée en BEP secrétariat. Elle s’est battue, elle révisait dans les escaliers, elle a eu son BEP, puis son Bac Pro, elle est partie à la Fac. Moi, j’ai mal pris les croche-pieds qui m’ont été faits, et je suis resté avec l’impression de m’être fait avoir, qu’on m’imposait de faire le même métier que mon père, par racisme. Aviez-vous déjà été confronté au racisme avant ? Quand je jouais dans la rue avec les enfants du quartier, il arrivait souvent que leurs parents viennent les chercher en disant bien fort : « faut pas jouer avec les Arabes, ils ont des poux ». Quand on le racontait à notre père, il répondait : « faut les laisser dire ce qu’ils veulent, de toutes façons ils sont chez eux ». Il ne nous a jamais défendu. Lui, il laissait passer, moi je ne pouvais pas. Je faisais partie de la première génération née en France, nous n’étions pas des immigrés. Nous allions en classe avec les Français, nous fêtions Noël et le 14 juillet, nous supportions l’équipe française de football et pas celle du Maroc ! En grandissant, j’ai
ACTU parcours de vie d’anciens détenus préféré fréquenter des Maghrébins. La différence avec les Français de notre âge, c’est qu’ils avaient de l’argent de poche, des mobylettes et des cadeaux de Noël. Nous voulions la même chose. Mais nous n’avions pas un sou en poche et des coups de pression de toutes parts. A la maison, j’étais traité de bon à rien, je me sentais gêné de manger gratuitement. Dans la rue, on se faisait contrôler par la police deux ou trois fois par jour : ils nous vidaient les poches, ils étaient très agressifs. On était déjà considérés comme des délinquants avant d’avoir commencé. A un moment, on se rebelle, on ne veut pas devenir des mendiants et on en a marre d’être rabaissés.
mains une somme pareille. Je suis retourné le voir et ainsi de suite. Des concurrents sont arrivés, mais on se partageait les clients pour que chacun puisse « faire sa journée ». On a tous eu notre scooter et notre copine, on était trop contents. Mon père a commencé à se poser des questions, à fouiller dans mes affaires, mais il n’a jamais rien trouvé. J’ai duré trois ans comme ça. Au bout d’un moment, je suis allé acheter directement en Hollande. Comment s’est passée votre rencontre avec la Justice ? Le jour de mes 20 ans, j’étais chez mes parents et la police a débarqué à 6 heures du matin. Ils ont explosé la porte au bélier, ils sont rentrés, m’ont interpellé et mis les menottes. Mes parents et les enfants, tous réveillés dans leur sommeil, étaient choqués. Même moi, c’était la première fois que je voyais une intervention avec les lampes torches, les cris, les chiens. Je découvrais ce que j’étais en train de faire. En garde à vue, j’ai tout de suite reconnu les faits. Et c’est ainsi que je me suis retrouvé en détention provisoire à la maison d’arrêt de Douai.
Vous étiez souvent dehors ? Oui, je ne pouvais rien faire à la maison sans déranger : je risquais de réveiller les autres, je n’avais pas d’espace à moi. On enchaînait les nuits blanches, commençant à côtoyer la génération de deux-trois ans au-dessus, passée par le même parcours. Ils étaient déjà dans le business, on a commencé à se renseigner. Notre motivation, c’était de devenir comme les jeunes qu’on regardait passer sur leur scooter avec leur copine à l’arrière, leur beau pull et leurs belles baskets. Nous, pour avoir tout ça, il fallait qu’on se brûle les doigts. Et on l’a fait, on a commencé les conneries, un peu de business.
Comment commence-t-on un « business » ? C’est comme un commerce : vous achetez quelque chose au volume et le revendez plus cher au détail. Un garçon plus vieux que moi me donnait un petit cube de cannabis de 10 grammes, j’en faisais des lamelles que je vendais 10-20 francs. Au début, à des amis, puis le bruit a couru que j’étais disponible jour et nuit, que mon shit était de bonne qualité… Je me suis constitué un réseau, j’ai commencé à pouvoir m’acheter des affaires, j’y ai pris goût. Vous ne vendiez que du cannabis ? Un jour, j’ai croisé un monsieur de 40 ans, c’était un clandestin en situation irrégulière, il vendait de la « dure ». Je lui ai offert un bout de shit et il m’a ramené chez lui pour me proposer du business. C’était la première fois que je voyais de l’héroïne. Je lui ai donné 600 francs, il m’a fait des petites enveloppes, des « képas », et m’a expliqué : « Tu vas te mettre à cet endroit, et quand tu vas voir des gens ralentir, demande leur s’ils cherchent quelque chose ». Je suis allé chanter ma petite chanson, les gens me répondaient « oui, t’as quelque chose ? ». Et ils ne me donnaient plus des billets de 20 francs, mais de 200. J’ai récolté 2 000 francs, je n’avais jamais tenu dans mes
© Jean-Michel Le Moine
« A 15-16 ans, on se faisait contrôler par la police deux ou trois fois par jour. On était déjà considérés comme des délinquants avant d’avoir commencé »
Centre pour jeunes détenus de Fleury-Mérogis
A 20 ans, comment vivez-vous votre arrivée en prison ? On me déshabille, les surveillants connaissent la routine, photos, empreintes. Ils me donnent des couvertures, assiettes, verres, cuillères et me mettent dans une cellule arrivant. Ce sont les autres détenus, les habitués, qui me prennent en charge. Ils appellent par la fenêtre pour savoir qui je suis, de quel quartier je viens et ce que j’ai fait. Ils m’envoient des yoyos, avec des cigarettes, des yaourts, du coca. Je ne les connaissais pas et ils m’aidaient : « On est tous passés par là, t’inquiète cousin ! On est là, t’as de la famille, ils vont venir au parloir ? » Il y avait beaucoup de solidarité. Ils m’ont inscrit au sport, je me faisais guider pour comprendre comment la prison fonctionnait. Au fur et à mesure, je suis devenu un taulard, marchant toujours avec les mêmes en promenade : on discute de comment on s’est fait prendre, on partage les Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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ils sont nous savoirs… Après trois mois de détention provisoire, je suis libéré sans contrôle judiciaire, je dois attendre le jugement. J’en sais beaucoup plus sur le milieu, les activités, et j’ai compris comment je me suis fait avoir.
« Je ne peux pas faire comme mes parents, qui ont passé leur vie à galérer, s’user au travail pour rester pauvres »
Comment votre vie reprend après ce passage en prison ? Dans un premier temps, j’arrête les conneries, mon entourage me met la pression et je fais mon maximum pour travailler. Avec mon CV presque vide, j’ai accès à des missions d’intérim de trois jours, cinq jours, et puis ça s’arrête, et je dépense l’argent gagné, avant de retrouver une autre mission de quelques jours. Mon train de vie s’effondre, je suis de retour chez mes parents. C’est encore pire qu’avant, car je suis la honte de la famille, celui qui a ramené les problèmes à la maison. Finalement, je recommence mes conneries, car je galère trop avec l’intérim. Je ne suis pas même jugé que je décide d’aller au Maroc me fournir en cannabis : j’ai peu d’argent, le shit y est pas cher et d’excellente qualité. Je fais quelques voyages, un jour ça passe, un jour ça casse. Je suis arrêté par les marocains. Garde-à-vue sans avocat et sans médecin. L’audience au tribunal est en arabe alors que je ne parle que le berbère : je ne comprends rien. C’est un autre détenu qui m’expliquera que j’ai pris deux ans. Je les ai purgés en totalité, sans aucune grâce. Comment s’est déroulée cette détention au Maroc ? J’étais très isolé, ma famille ne pouvait venir me voir. Je leur disais au téléphone que tout allait bien. En fait, tout allait mal. J’ai connu une cellule à 120 personnes. On dormait par terre, sur une épaule, tête-bêche, comme dans une boîte de sardines. Les plus riches avaient des lits superposés. Au bout de quelque temps, j’ai pu acheter une place avec une cartouche de cigarettes. J’ai vu des bagarres à l’arme blanche, c’était une zone de non-droit, sans surveillants. J’ai côtoyé des grands barons de la drogue, genre 50 ans, multimillionnaires. Eux, ils étaient dans une cellule de quatre avec la télé, survêtement, grosses montres, portables. Ils continuaient à gérer leur commerce. Quelques mois avant la fin de ma peine, il y a eu un tremblement de terre et la prison s’est complètement écroulée. Il n’y a pas eu de mort mais la suite a été apocalyptique. On nous a laissé sans manger dans la cour pendant trois jours, avant de nous transférer dans une autre prison à Fès. Je reviens en France physiquement en lambeau. Et qu’en est-il de votre première condamnation en France ? Dès mon retour en septembre 2005, des policiers viennent en mon absence chez mes parents et leur apprennent que j’ai été condamné à deux ans ferme et que je dois me rendre. Marqué par ma détention au Maroc, je ne me sens pas apte à retourner en prison. Donc je me cache et me remets au business pendant quelques mois, jusqu’à mon arrestation en 2006. Je suis écroué à la maison d’arrêt de Sequedin. Je prends quatre ans ferme, et 10 000 euros d’amende. En plus des deux ans de Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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la condamnation précédente. J’ai été jugé comme un gros trafiquant, au tribunal on m’a présenté comme une ordure. Comment se passe ce deuxième contact avec la prison ? La prison de Sequedin vient d’ouvrir : tout est propre, bien réglé, il y a la douche en cellule. Aux arrivants, la visite médicale, les radios, le dentiste, puis vous passez devant un surveillant, ensuite le SPIP. Tout est huilé et question hygiène, il n’y a pas mieux. Mais on ne circule pas et il y a des caméras partout. C’est beaucoup plus strict. Si vous ne travaillez pas, vous passez tout votre temps enfermé en cellule, avec une heure de promenade le matin, une autre l’après-midi. Pendant la première période, je passais 22 heures sur 24 en cellule. Puis j’ai eu accès à des activités de formation. Je suis transféré pour la seconde partie de ma peine au centre de détention de Loos. Cette incarcération dure jusqu’en 2009, plus de trois ans. Pendant vos différentes incarcérations, avez-vous pu travailler sur un projet de réinsertion, entrevoir des pistes et vous dire qu’il était possible de vivre autrement ? Non, le SPIP fait juste le facteur entre nous et le JAP, mais il ne va jamais nous trouver un contrat de travail ou un logement. En prison, j’étais actif, j’ai passé un BEP d’agent de maintenance, j’ai travaillé en cuisines collectives où j’ai reçu une formation HCCP sur l’hygiène. J’ai aussi suivi une formation « techni-scène », pour monter les spectacles… Et je suis sorti avec une promesse d’embauche trouvée… par mon père, dans le bâtiment. Comment s’est passé ce travail ? J’ai travaillé huit mois comme électricien polyvalent, c’était mon premier emploi stable. Mais je ne l’ai pas tenu parce que le patron a profité du fait que j’étais en aménagement de peine et obligé de travailler. Il a commencé à me faire venir le samedi, puis à son domicile pour ses travaux personnels. Un ami ambulancier m’a orienté vers une formation d’auxiliaire ambulancier, que j’ai obtenue. Les horaires étaient de 7 à 19 heures, puis encore une heure pour désinfecter l’ambulance. On passait des heures à attendre les nouvelles courses dans la voiture, et c’était payé 1 200 euros. J’ai tenu jusqu’à la fin de mon aménagement de peine et puis j’ai arrêté. Après, de nouveau la même galère, pour finir incarcéré à la maison d’arrêt de Valenciennes, puis celle d’Annœullin, dont je suis sorti en décembre 2012. Que pensez-vous de la Justice ? Qu’elle est raciste ! La population carcérale est faite de jeunes des quartiers difficiles, souvent des Maghrébins. Dans mon
ACTU parcours de vie d’anciens détenus affaire de 2007, on était 14 prévenus, on a tous été mis en détention provisoire sauf Kévin, le seul « Français », placé en contrôle judiciaire. Je trouve aussi qu’il y a de l’hypocrisie sur les drogues : le Valium distribué en prison, qui te fait tomber comme un légume, c’est le même résultat mais ça vient de la pharmacie. Ou l’alcool, la plus grande cause de mortalité. En gros, l’Etat peut vendre de la drogue, mais pas nous. Et j’ai quand même une amende de 10 000 euros à payer aux impôts pour la vente de produits interdits. J’ai aussi l’impression qu’on tape très durement sur les petits. Parce que moi, je n’ai pas de compte en suisse, hein ? Et pendant ce temps, ceux qui se servent dans les fonds publics, s’assurent un train de vie de milliardaire avec l’argent du peuple, ils échappent à la Justice. J’ai la haine contre le système, parce ceux qui font les lois, qui sont passés dans les grandes écoles, s’ils étaient à ma place, je ne pense pas qu’ils tiendraient. Ils ne comprennent pas que c’est leur système pourri qui a fabriqué des milliers de gens comme moi, des boules de feu et de haine.
et d’université, sans argent pour vivre. L’Etat dépense 100 euros par jour par détenu, alors que si on leur donnait la moitié pour se réinsérer, ils arrêteraient leurs conneries. Je vois les générations suivantes qui commencent dès 12-13 ans dans les quartiers à vendre du shit. Ils voient que leurs aînés qui sont passés par l’école ont une vie de galère, donc ils n’essaient même pas. Et que celui qui vend du shit s’en sort bien, qu’il est déjà blindé à 18 ans. Les gens qui respectent la loi autour de nous, ils n’arrivent pas à finir leur mois. J’ai deux frères qui ont eu des problèmes avec la Justice, l’un d’eux est actuellement en prison. Notre dernier frère a 22 ans, il arrive à suivre des contrats aidés, il travaille comme un chien pour un salaire de 600 euros par mois. Mes deux sœurs sont exemplaires, elles sont mariées et elles ont un emploi. Leurs maris galèrent, ils travaillent comme des fous, mais n’ont jamais d’argent. Je ne peux pas faire comme eux, ni comme mes parents, qui ont passé leur vie à galérer, s’user au travail pour rester pauvres. Nous, on voudrait changer de vie, être comme tout le monde avec une voiture, un appartement, une télé et une famille. Propos recueillis par Anne Chereul
J’en suis toujours au même point. Je dors sur le canapé de mes parents. Je n’ai pas de logement, pas de femme, pas d’enfant et je vais repasser en jugement. Je travaille en intérim un jour parci, par-là : mercredi, je fais du démontage de meubles dans une maison de retraite. Ça fait des années que je ne trouve que ce type de travail, je n’arrive pas à enchaîner. J’ai voulu faire taxi, mais il faut un casier judiciaire vierge. J’aurais voulu être avocat, mais je ne peux pas reprendre à 32 ans sept années d’école
« J’ai la haine contre le système, parce que ceux qui font les lois, qui sont passés dans les grandes écoles, s’ils étaient à ma place, je ne pense pas qu’ils tiendraient »
© Jean-Michel Le Moine
Quelle est votre situation actuelle ?
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Suspension de peine médicale : les juges ne sont pas tenus par l’avis des experts du juge est de prévenir ou de faire cesser les traitements inhumains et dégradants nés du maintien en détention de personnes en fin de vie ou gravement malades, appelant à un approfondissement de l’examen de la situation des condamnés. Si cette avancée doit désormais être concrétisée par la jurisprudence ultérieure, l’arrêt commenté est à rapprocher d’une décision récente de la Cour d’appel de Caen, qui a accordé une suspension médicale de peine à une personne détenue alors qu’une seule expertise figurait au dossier et qu’elle concluait à la comptabilité de l’état de santé de l’intéressée avec la détention (CA, 18 avril 2013, n° 13/00117). Mouna Rastegar
© Bertrand Desprez / VU
Quel que soit le contenu des expertises médicales, le juge conserve la possibilité de prononcer une suspension de peine. Dans un arrêt du 26 juin 2013, la Cour de cassation relève que « même en présence de deux expertises concordantes établissant que le condamné ne se trouve pas dans l’une des situations [ouvrant droit à une suspension médicale de peine] » le juge conserve la possibilité « soit d’ordonner une nouvelle expertise, soit de rechercher si le maintien en détention de l’intéressé n’est pas constitutif d’un traitement inhumain ou dégradant, notamment par son incompatibilité avec les garanties qui lui sont dues pour protéger sa santé ». Autrement dit, le juge ne doit plus être regardé comme tenu par les conclusions des experts et peut pleinement jouer son rôle de gardien des libertés fondamentales. Cette décision vient substantiellement modifier le régime de la suspension médicale de peine régi par l’article 720-1-1 du Code de procédure pénale (CPP), selon lequel la suspension peut être ordonnée « si deux expertises médicales distinctes établissent de manière concordante » que le pronostic vital du condamné est engagé ou que son état de santé est durablement incompatible avec la détention. Les conditions posées par ce texte étaient estimées « pour certains cas, trop restrictives », notamment par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté qui regrettait leur nombre « très faible » dans son rapport 2012. Et soulignait que les expertises ne tiennent pas « suffisamment compte des conditions matérielles d’incarcération », à l’instar du Professeur Martine Herzog-Evans pour qui les experts « connaissent fort mal la réalité carcérale, que ce soit sur le plan matériel ou psychologique » (AJ pénal, juin 2013). Avec son arrêt du 26 juin 2013, la Cour de cassation délie le juge du poids pourtant a priori accordé aux expertises par l’article 720-1-1 du CPP. Elle opère un rapprochement avec la Convention européenne des droits de l’homme, en énonçant clairement que la mission première Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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en droit
en droit L’administration pénitentiaire contrainte de démontrer qu’elle respecte les décisions de justice Par quatre ordonnances de référé « mesures utiles » rendues à la demande de l’OIP, l’administration pénitentiaire (AP) a récemment été sommée de démontrer qu’elle respecte des décisions de justice prononcées à son encontre. Trois des procédures engagées concernaient la question des fouilles intégrales. Ces derniers mois, l’OIP avait en effet obtenu en référé qu’il soit enjoint à l’administration de mettre un terme à la pratique des fouilles à nu systématiques à l’issue des parloirs à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, ainsi qu’aux centres pénitentiaires de Fresnes et de Meaux-Chauconin. L’OIP n’était pour autant pas en mesure de s’assurer que ces décisions étaient effectivement respectées, les demandes d’informations adressées à la direction des établissements concernés étant restées sans réponse. L’Observatoire a donc engagé trois référés « mesures utiles » devant les tribunaux administratifs de Versailles et de Melun pour obtenir de l’administration qu’elle lui fournisse la preuve de ce respect. Peu employée, cette procédure permet de demander au juge qu’il prononce toute mesure nécessaire à la préservation des droits ou des intérêts du requérant, à condition de justifier d’une situation d’urgence et de ne pas faire obstacle à l’exécution d’une décision administrative (art. L. 521-3 du Code de justice administrative).
Retenant l’existence d’une urgence, les juridictions saisies ont fait droit à cette demande en ordonnant « la communication, au besoin anonymisée, du registre des fouilles à l’issue des parloirs […] et, le cas échéant, tout autre document ayant pour objet d’assurer la traçabilité des fouilles » (TA Versailles, 2 août 2013, OIP, n° 1304436 ; TA Melun, 30 août 2013, OIP, n° 1306635/13 et 1306088/13). La quatrième ordonnance signalée concerne la prison des Baumettes, à Marseille. En janvier 2013, l’OIP avait obtenu en référé qu’il soit enjoint à l’administration d’engager, dans les trois mois, divers travaux pour améliorer et sécuriser les conditions de détention dans cet établissement : étanchéisation du bâtiment D, installation de cloisons d’intimité dans 161 cellules, mise en conformité de l’installation électrique, et remise en état des monte-charges destinés au transport des déchets. Or, fin juin, l’OIP n’avait toujours pas obtenu de la direction des Baumettes d’information précise sur l’état d’avancement des travaux. Saisi en référé « mesures utiles », le Tribunal administratif de Marseille a enjoint à l’AP de communiquer à l’association « tout document » permettant d’établir que les travaux ordonnés ont bien été engagés (TA Marseille, 23 août 2013, OIP, n° 1304908). Nicolas Ferran
CEDH : les peines d’emprisonnement perpétuelles incompressibles sont contraires à l’article 3 de la Convention Par un arrêt du 9 juillet 2013, la Cour européenne des droits de l’homme a sanctionné le Royaume-Uni pour avoir condamné trois de ses ressortissants à des peines de prison perpétuelles et incompressibles (CEDH, Vinter et autres c/Royaume-Uni, req. 66069/09, 130/10 et 3896/10). Les juges européens estiment que pour demeurer compatible avec l’article 3, interdisant les traitements inhumains ou dégradants, « une peine perpétuelle doit offrir à la fois une chance d’élargissement et une possibilité de réexamen ». Or, une loi de 2003 (Criminal Justice Act) a mis fin au Royaume-Uni au dispositif permettant au ministre de la Justice de réexaminer la peine punitive à perpétuité au bout de 25 ans, sans qu’aucun autre mécanisme de réexamen n’ait été mis en place. Par ailleurs, la Cour européenne relève qu’il existe en droit anglais des perspectives d’élargissement, prévues par une loi de 1997, qui accorde au ministre le pouvoir discrétionnaire de libérer des détenus, toutes catégories
confondues, y compris ceux purgeant une peine de perpétuité réelle. Cependant, elle relève que ce pouvoir est limité par une ordonnance de l’administration pénitentiaire, qui prévoit que l’élargissement ne peut être ordonné que dans des cas strictement prévus et limités à des motifs humanitaires (maladie mortelle en phase terminale ou grave invalidité cumulée au respect d’autres conditions telles que par exemple un risque de récidive minime…). La lecture combinée de la loi de 1997 et de l’ordonnance de l’administration pénitentiaire, révèle selon les juges européens une absence de perspective d’élargissement pour les condamnés à perpétuité. Dans ces conditions, la Cour européenne affirme ne « pas [être] convaincue que, à l’heure actuelle, les peines perpétuelles infligées aux requérants puissent être qualifiées de compressibles ». Et conclut donc à la violation de l’article 3 de la Convention. Naiké Balaya
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Travailleurs détenus sous-payés : les condamnations de l’Etat se multiplient les erreurs de calcul invoquées, la mise en œuvre des dispositions relatives au taux horaire de rémunération du travail en prison se heurte en réalité à de « vives résistances » au sein de l’administration pénitentiaire, comme le relèvent les sénateurs Borvo et Lecerf, dans un rapport de juillet 2012 sur l’application de la loi pénitentiaire. De fait, depuis l’entrée en vigueur de la loi pénitentiaire, l’administration n’a jamais respecté ce taux horaire et continue de payer les détenus à la pièce en atelier et à la journée au service général. D’où la succession de recours contentieux devant le juge administratif qui s’engage, seule voie ouverte aux personnes détenues pour obtenir le versement des compléments de salaires qui leur sont dus. N.F.
© Bertrand Desprez / VU
Les décisions de justice s’enchaînent pour condamner l’Etat à indemniser des personnes détenues dont le travail n’a pas été rémunéré à hauteur de ce que prévoient les textes. Après les tribunaux administratif de Toulouse, Caen, Limoges ou Strasbourg, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen s’est à son tour prononcé en ce sens (TA de Rouen, 19 sept. 2013, P., n° 1301537). Relevant que « l’administration pénitentiaire reconnaît avoir commis une erreur dans le calcul de la rémunération versée », il a condamné le ministère de la Justice à verser à l’intéressé une provision de 1 703,66 euros « au titre du salaire non versé et du préjudice retraite ». Mais il a rejeté l’indemnisation du préjudice moral invoqué par le requérant, estimant que ce dernier « n’apporte aucune justification de nature à en apprécier le bien-fondé ». Par-delà
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en droit
en actes Suède : Evaluer les programmes pour délinquants C’est une évidence quand on prétend vouloir prévenir la récidive, mais on ne le fait pas en France : évaluer ce qui marche ou pas dans les méthodes de suivi des délinquants. Poursuivre, améliorer ou abandonner certains programmes en conséquence. « La démarche et les méthodes d’évaluation utilisés [en Suède] pourraient être une source d’inspiration pour les autorités françaises », plaide l’expert Norman Bishop, ancien responsable des recherches à l’administration des prisons et de la probation suédoise. Depuis 2000, l’administration suédoise a procédé à une évaluation complète de huit des douze programmes utilisés en Suède. A chaque type de délit correspond un programme spécifique, élaboré à partir d’« un modèle clair et scientifiquement fondé qui se concentre strictement sur les facteurs dynamiques à l’origine de la délinquance, c’est-à-dire susceptibles d’être modifiés. » Trois d’entre eux concernent l’usage de drogues. Les participants ayant terminé le programme PRISM voient leur risque de récidive réduit de 30 % par rapport à un groupe témoin ne l’ayant pas suivi. Les deux autres programmes Dare to choose (oser choisir) et le Programme en 12 étapes (inspiré de la méthode des Alcooliques anonymes), obtiennent respectivement 14 % et 17 % de réduction du risque de récidive.
Ce type d’évaluation permet aussi de repérer les programmes inefficaces. Tel l’un de ceux consacré aux actes de violence et à la délinquance générale, abandonné « au vu [d’une] absence totale du baisse du risque de récidive ». Le programme sur les violences domestiques n’a pour sa part pas montré d’impact très significatif, mais s’avère suffisamment prometteur pour que le travail se poursuive, en lui apportant des améliorations. L’une d’elles porte sur la formation des animateurs du programme, évaluée comme élément décisif de réussite. Et Norman Bishop de conclure : « Le travail de recherche et de développement sur la prévention de types particuliers de conduite délinquante requiert des efforts sérieux et sur le long terme pour identifier et élaborer des projets de recherche appliquée pertinents, les adapter aux spécificités nationales s’ils proviennent de l’étranger, prévoir des projets pilotes incluant une nécessaire formation du personnel, suivre leur application et leur évaluation ». Une véritable feuille de route pour les pouvoirs publics français. « L’évaluation des programmes suédois de prévention de la récidive : travaux en cours », Norman Bishop, Actualité juridique Pénal, avril 2013.
Formation des détenus aux USA : un investissement efficace contre la récidive Investir dans la formation des détenus est une opération gagnante tant pour prévenir la récidive que pour la dépense publique. Une recherche américaine d’envergure, confrontant les résultats d’une soixantaine d’études réalisées de 1980 à 2011, le démontre, en tout cas pour les EtatsUnis. 43,3 % des personnes n’ayant pas reçu de formation durant leur détention ont été réincarcérées dans les trois ans suivant leur libération, pour une durée moyenne de 2,4 ans. En comparaison, « seuls » 30,4 % de ceux qui avaient suivi une formation ont connu le même sort. Or, le retour à la case prison a un coût, non seulement pour les personnes, mais aussi pour les dépenses publiques : de 2,94 à 3,25 millions de dollars pour 100 détenus sur une durée de 2,4 ans. Le différentiel de 13 % d’incarcérations en moins représente dès lors une épargne de 870 000 à 970 000 dollars.
Si l’on prend en compte les coûts de formation engagés (de 140 000 à 174 000 dollars), il reste 730 000 à 800 000 dollars d’économies, rien que pour 100 détenus. Rapporté aux 2 millions d’individus que compte le système pénitentiaire US, un tel « retour sur investissement » ne représente pas une broutille… Sans compter qu’une telle « estimation ne prend en compte que les coûts directs, et non d’autres coûts, tels le coût financier et émotionnel pour les victimes, ou le coût pour le système judiciaire ». La probabilité de (re) trouver un emploi augmente en outre de 13 % pour les détenus impliqués dans un programme de formation générale ou professionnelle. Un chiffre qui monte à 28 % lorsque l’on considère la seule formation professionnelle. Ce type d’études mesurant l’impact sur la récidive de ce qui est proposé aux personnes détenues, tout comme à celles placées sous probation, manque cruellement en France. Elles permettent de guider les politiques publiques et les pratiques des professionnels sur la base de résultats tangibles. Evaluating the Effectiveness of Correctional Education, A MetaAnalysis of Programs That Provide Education to Incarcerated Adults, Rand Corporation, 2013 Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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Les Nations Unies revoient les Règles minima pour le traitement des détenus à la hausse La révision de l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (ERM) est en cours. Mot d’ordre : « toute modification apportée aux Règles ne devrait pas abaisser les normes existantes ». C’est dans ce sens que le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a souhaité contribuer aux travaux du groupe intergouvernemental chargé du processus. Dans son rapport rendu public le 9 août 2013, il formule plusieurs recommandations qui devraient retenir l’attention des pouvoirs publics français. Par exemple, celle rappelant qu’un Etat « ne saurait invoquer le manque de fonds pour justifier certains manquements, comme le fait de ne pas remettre en état les centres de détention ». Ou celle appelant à « prescrire aux autorités pénitentiaires de recourir à des mesures disciplinaires à titre exceptionnel, et uniquement si la médiation et d’autres méthodes de dissuasion utilisées pour le règlement des différends se révèlent impuissantes à pourvoir au maintien de l’ordre ». En ce sens, le Rapporteur spécial invite les administrations à « former un plus grand nombre d’agents pénitentiaires à l’utilisation de moyens non violents de règlement des conflits ». Une proposition dans la droite ligne du concept de sécurité dynamique promu par le Conseil de l’Europe. Le Rapporteur spécial invite également les experts chargés de la révision à « consacrer l’obligation de donner à toutes personnes consommatrices de drogues privées de liberté accès à
tous les dispositifs de réduction des risques, notamment toutes mesures de prévention et de traitement de l’infection à VIH et de l’hépatite C, tous programmes d’échange d’aiguilles et de seringues ainsi qu’à tous services de traitement de la toxicomanie qui ont fait leurs preuves. » Les programmes d’échange de seringues restent bannis des prisons françaises, et ne figurent pas dans le nouveau Plan gouvernemental contre la drogue et les conduites addictives 2013-2017, adopté le 19 septembre 2013. Ces recommandations devront subir un processus « onusien » : être intégrées aux propositions du Groupe intergouvernemental de révision, puis validées par la Commission pour la prévention du crime et la justice pénale… avant que l’ERM du xxie siècle ne soit adopté par les Etats. Datant de 1955, l’ERM « compte au nombre des instruments […] les plus importants pour l’interprétation des droits du détenu ». Ce texte relève du soft law, un droit non contraignant pour les Etats, à l’instar des Règles pénitentiaires européennes (RPE). Les précisions apportées par ces textes peuvent néanmoins guider les juridictions dans leur examen des plaintes et venir à l’appui des argumentations des défenseurs des droits. Les pouvoirs publics ont donc tout intérêt à s’en inspirer pour s’éviter des condamnations. Rapport intérimaire du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, (A/68/295), 9 août 2013
Rapport du DDD : les droits des détenus malmenés par les administrations « Ceux qui ont perdu leur liberté mais pas leurs droits ont le plus grand mal à les faire respecter ». Le Défenseur des droits, dans son rapport 2012 rendu public en juin, enfonce le clou : « Les détenus représentent un pour mille de la population mais 5 % de ceux qui s’adressent à nous. » Les deux tiers de leurs réclamations concernent une autre administration que la pénitentiaire. Une proportion attestant de l’étendue des difficultés rencontrées par les détenus dans leurs démarches administratives (prestations sociales, fiscalité, etc.). Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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En première ligne côté pénitentiaire, les « allégations de violences physiques infligées aux personnes détenues, principalement par des personnels de surveillance et, de manière subsidiaire, par des codétenus » représentent 62 % du total. Viennent ensuite les « comportements et propos déplacés de la part des personnels de surveillance » (14 %) ainsi que les mesures de sécurité abusives. A ce titre, « la question de la réalisation des fouilles à nu en prison est récurrente et sensible ». Le Défenseur s’avoue préoccupé par le nombre de « désistements » de saisines : les détenus adressent un premier courrier à ses services, puis ne répondent plus. Devant l’ampleur du phénomène, « nettement plus important que pour les saisines concernant les autres services de sécurité », il s’engage à « approfondir les causes de cette absence de réponse ». Le Défenseur des droits, 7 rue Saint-Florentin, 75 409 Paris Cedex 08 ; Rapport annuel 2012, disponible sur www.defenseurdesdroits.fr
en actes
en actes Histoire des prisons de Lyon : un manifeste pour la dignité Un « beau livre », non pas pour « donner des couleurs à la misère », mais pour montrer « la petite plume colorée » que l’on aperçoit « quand on observe l’homme intensément ». Sous la direction de Bernard Bolze (fondateur – à Lyon – de l’Observatoire international des prisons), Prisons de Lyon – Une Histoire manifeste, fait se répondre les témoignages de ceux qui ont vécu la prison, les photos, documents historiques, contributions d’artistes, de militants, etc. « Dédé Boiron – 34 ans de placard plein à StPaul, témoin des métamorphoses de l’univers carcéral » sert de fil rouge à l’histoire contemporaine des prisons de Perrache, St-Paul et St-Joseph. « La prison St-Paul que découvre André Boiron en 1961 est une prison à l’ancienne. Il n’y a pas d’eau courante. Il faut s’habituer à la tinette posée dans un coin ». Pas de journaux, pas de radio, « on reçoit huit timbres par mois et les lettres ne doivent pas dépasser 60 lignes. […] Les parloirs sont constitués de deux rangées de grille, séparées par un couloir ou passent et repassent les surveillants pendant les vingt minutes de visite ». Dédé est encore là au moment du déménagement vers Corbas, en février 2009 : « C’est tout neuf, avec une douche dans la cellule, une grande fenêtre qui donne une vue plus large. Mais au bout de quelque temps, un deuxième lit superposé vient empêcher d’ouvrir la fenêtre à fond, et pour éviter des yoyotages des caillebotis sont installés derrière les barreaux. » Bernard Bolze analyse les changements : « dresser le tableau des prisons de Lyon au début du xxie siècle autorise les comparaisons et interroge la notion de progrès. Le sort actuel de la personne prisonnière est indigne. Confort ou pas ». Il revendique pour ce bel ouvrage la « diversité des approches, des modes d’écritures, des rédacteurs, de leurs pensées ». Avec toutefois un parti pris, celui de « regard[er] l’homme dans sa part d’humanité, toute sa part. Et malgré l’épouvante que son geste parfois inspire. »
© Michel Gasarian
Prisons de Lyon, Une histoire manifeste, Bernard Bolze (dir.), éditions Lieux Dits, septembre 2013, 32 €.
Prison de Lyon, 1992 Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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« Mes ressources mentales s’épuisent » A
gé de
50 ans, incarcéré depuis deux ans, j’ai passé mes
réellement durant les nuits, et pas juste somnoler comme c’est le cas depuis des mois. J’ai besoin d’une cellule où il ne faille pas sans cesse tout contrôler, tout vérifier, tout nettoyer, tout désinfecter. J’ai besoin d’une cellule que je ne doive pas partager avec des codétenus imposés. Je ne supporte plus toutes ces contraintes.
cinq premiers mois de détention dans une cellule prévue pour quatre détenus dans laquelle nous vivions à cinq ou à six. Un ou deux détenus devaient se reposer ou dormir à même le sol. J’ai ensuite été classé comme bibliothécaire et placé pendant presque un an dans une cellule plus viable et plus humaine, partagée avec un seul codétenu. Mais après une dizaine de codétenus passés, j’ai refusé toute solidarité et toute compréhension, fatigué et blasé que j’étais. Je n’ai aucunement été condamné à assister des codétenus de passage, à subvenir à leurs besoins, à servir d’assistante sociale, de garde-malade, je n’ai jamais non plus été condamné à devenir sale, à attraper la gale, à partager mes cantines.
Personne détenue, maison d’arrêt, janvier 2013
J’ai ensuite été contraint de revenir dans une cellule prévue pour quatre êtres humains, dans laquelle deux lits ont été rajoutés, ce qui fait que nous vivons à six animaux dans ce poulailler. La surface au sol ne dépasse pas un mètre carré par détenu, en tenant compte de la place prise par le mobilier. Aucune intimité n’est possible dans de telles conditions. Il faut tout surveiller, tout contrôler, il faut sans cesse dire non. Impossible dans ces conditions de travailler sur soi-même et sur sa réinsertion. Impossible de trouver l’état d’esprit et la sérénité, le calme pour écrire, pour lire. En fait, les seuls moments durant lesquels je parviens à me retrouver, à me ressourcer, à me régénérer, sont ceux que je passe à la bibliothèque pour laquelle je m’implique totalement depuis 17 mois.
J’ai besoin d’une cellule sécurisée dans laquelle je ne serais pas obligé de ramasser des codétenus au sol parce que leur lits ne sont pas équipés d’échelle, comme dernièrement avec un codétenu qui a dû être transporté aux urgences, arcade sourcilière éclatée, pose de dix points de suture. J’ai besoin d’une cellule sécurisée, dans laquelle, en cas d’incident, d’incendie, de bagarre, de malaise, on puisse faire appel au personnel, ce qui n’est pas le cas ici puisque le « bouton interrupteur-appel alarme » est en panne depuis plusieurs années. J’ai tout simplement besoin d’une cellule dans laquelle je puisse vivre, dormir Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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© G. Korganow pour le CGLPL
Mes ressources mentales s’épuisent, je le sens et je le sais. Mon équilibre, aussi bien mental que psychologique, est en danger. Moi qui aimais, qui aime tant écrire, je n’y arrive plus. Chaque jour, j’écrivais plusieurs heures à ma famille, à mon entourage, c’est fini. J’ai besoin d’avoir le minimum pour vivre et évoluer dans une cellule, j’ai besoin de l’espace vital et légal, j’ai besoin de bénéficier de la lumière naturelle durant ces journées. Impossible dans cette cellule où les néons doivent être allumés pour que nous puissions lire ou écrire.
lettres ouvertes
lettres ouvertes Notre quotidien à deux dans 9 mètres carré
N
otre cellule mesure
8 ou 9 m². Il y a trois lits superpo-
sés, nous sommes deux, à cause des établis qui prennent de la place. On peut se déplacer dans la cellule lorsque l’on n’a pas à se croiser, sinon il faut qu’il y en ait un qui se mette sur le côté pendant que l’autre passe. La lumière naturelle n’est absolument pas suffisante sauf quand il y a pas de nuages et que le soleil donne sur la « fenêtre » et encore, c’est limite. Il y a des grilles « anti-yoyo » en plus des barreaux. On utilise tout le temps la lumière artificielle. Les toilettes sont séparées par une cloison, la seule aération ce sont deux ronds d’environ 20 cm situés à environ 2 m dans la cloison ; cela laisse donc passer les bruits et les odeurs. Lorsque l’un de nous va à la selle, il faut brûler de la peau d’orange pour dissimuler les odeurs. Nous avons déplacé la table sur laquelle nous prenons
les repas à environ 1,50 m/2 m des toilettes. On aère la cellule en laissant la fenêtre constamment grande ouverte, quitte à démonter les deux battants pour un meilleur flux de l’air. Je travaille en cellule ; il s’agit de faire les grandes enveloppes (pliage et collage) que l’on trouve dans les hôpitaux pour les radios ; nous sommes payés à la pièce, environ 10 euros le carton de 200 enveloppes, et il faut parfois faire nuit blanche pour en sortir un le lendemain. Personne détenue, maison d’arrêt, mai 2013
« Etre homo en détention, c’est subir une double peine »
S
uite à la médiatisation de mon affaire
dans des articles où l’on parlait plus de mon homosexualité que des faits qui m’étaient reprochés, aujourd’hui, je subis de constantes remarques de part et d’autres à ce sujet. Ça se passe toujours mal lorsque l’on me met des codétenus qui sont homophobes et qui m’en font baver en cellule. J’ai déjà reçu des menaces de deux codétenus qui ont appris lors des promenades que je suis homosexuel. Lorsqu’ils sont rentrés en cellule l’un d’entre eux m’a menacé de me frapper si je ne changeais pas de cellule. Lorsque j’ai été jugé, j’ai fait part de mes craintes à la Présidente de la Cour d’Assises. Elle m’a aussitôt affirmé qu’il était de la responsabilité de la prison de veiller sur ma sécurité au sein de l’établissement. J’ai fait part de mes craintes à la Direction. Ces derniers sont restés sourds à mes demandes. Je souhaite de tout cœur que vous me veniez en aide afin que je puisse être seul en cellule ou, si je dois être doublé à cause de la surpopulation carcérale, qu’il soit au courant de mon homosexualité, qu’il n’y voit pas d’inconvénient et qu’il n’ait pas d’idées homophobes. Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’être homo en détention, c’est subir une double peine. Personne détenue, maison d’arrêt, mai 2013 Cellule de maison d’arrêt sur-occupée Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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Hommage J ean-Marie
Blanc
avait le verbe facile, la faconde du
sud. Cette langue qui chante et enchante. Il avait aussi un regard droit. Pas dur, ni accusateur. Juste le regard d’un homme habité de convictions et qui les assumait, tranquillement. Cultivé, il l’était. Son discours était souvent ponctué de références aux grands auteurs, donnant à son propos de la force et de l’intelligence. Jean-Marie a passé douze années de sa vie comme instituteur à la maison d’arrêt de Nîmes. Son obsession : aider les personnes détenues à se projeter. Les aider pour l’après prison. Les convaincre qu’il y a une vie après la prison, qu’il n’y a pas de fatalité. Jean-Marie avait à l’évidence un sens aigu de la citoyenneté. Non seulement il apportait de la connaissance, du savoir et une approche fondamentalement humaine aux personnes détenues qu’il rencontrait, mais son action professionnelle était complétée par un engagement au service de la défense des droits et de la dignité des personnes détenues. Militant de l’OIP, membre de son conseil d’administration durant plusieurs années, Jean-Marie a passé 12 ans à veiller en détention. Tel une vigie dans la nuit carcérale. En rien donneur de leçons, et doté de cette modestie propre à celui qui avait compris qu’il ne connaissait et ne connaîtrait qu’une partie de la réalité carcérale, son statut d’intervenant en milieu carcéral ne pouvant l’amener à connaître l’état insondable de « privé de liberté ». Jean-Marie était également un militant écologiste de longue date. Il avait compris que l’emprisonnement est par essence une atteinte à la Vie. L’homme y est abîmé, parfois définitivement coupé du lien d’humanité avec ses semblables. Jean-Marie Blanc s’en est allé. Nous reste le souvenir d’un homme engagé auquel l’ensemble des membres de l’OIP rend hommage. Gabi Mouesca
C
’est
la moindre des choses. »
Cette
expression,
«
analysée subtilement dans un de ses livres, nous semble bien caractériser la personnalité du militant Jean-Marie Blanc, animé par des convictions philosophiques et une riche expérience concrète. Pour lui, au-delà de la morale, il y avait l’éthique, exigence de respect absolu de toute personne, qui conduisait Jean-Marie à cette sorte d’élégance, vivant l’impératif de la prise en compte de la dignité de chacun. Par exemple, il se refusait à tutoyer les détenus auxquels, pendant 12 ans, il enseigna, et à connaître les raisons de leur incarcération. Il leur serrait ostensiblement la main. Ajoutons que Jean-Marie était un homme payant à
Dedans Dehors N°81 Octobre 2013
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fond de sa personne, surmontant sa fragilité, ses doutes et les remous de sa vive sensibilité. Ainsi, il fut blessé par l’absence de soutien de l’Education nationale, dont il dépendait – face aux brimades répétées du directeur de la maison d’arrêt –, s’achevant par son départ forcé. Par la suite, il assuma plusieurs années la responsabilité de président du groupe local de l’OIP de Nîmes, puis celle d’administrateur de la section française. Il se rendait fidèlement à ses réunions à Paris, sans ménager son temps. Cette sorte de préjugé positif sur l’éducabilité de tout être, qu’il manifesta aussi dans ses fonctions ultérieures de RASED (Réseau d’aide spécialisée aux élèves en difficulté), s’associait à un vif esprit critique reposant sur une culture philosophique approfondie – Ricœur surtout – relevé d’un humour subtil maniant les jeux du langage. Jean-Marie, tu nous laisses le témoignage d’une pleine cohérence entre des convictions et des engagements. Sois-en remercié. Nous ne l’oublierons pas. Jacques Le Touzé, membre du GLO de Nîmes
Les ouvrages de l’OIP 66 le guide du prisonnier 2012 66 rapport 2011 : les conditions de détention en France
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I N T E R NAT I O NA L
D E S
P R I S O N S
P R I S O N S
L’Observatoire international des Au terme d’un long processus d’élaboration, la loi péniprisons (OIP) est une tentiaire de novembre 2009 n’a finalement pas apporté organisation non d’avancée majeure dans la reconnaissance de droits visant gouvernementale à protéger la personne détenue. Elle vient même entériner dont l’action vise à certaines régressions, telle la mise en place de « régimes favoriser le respect différenciés ». Quant à l’injonction paradoxale faite au juge de la dignité des de systématiser la réponse « prison » (peines plancher) et personnes détenues. de transformer les courtes peines d’emprisonnement en Créée en 1996, la surveillance électronique, elle s’est accompagnée d’un section française de tournant législatif qui ajoute à des peines de plus en plus l’OIP défend les droits longues des mesures de sûreté pour les auteurs d’infracCode_OIP_2011:Codefondamentaux à barres 9/11/11 16:03 des tions les plus graves, sur la base d’une évaluation de la personnes incarcérées « dangerosité » hasardeuse et artisanale. et milite pour le développement des mesures alternatives à l’emprisonnement.
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D E S
Alors même que l’institution pénitentiaire fait l’objet d’une remise en cause permanente sur sa capacité à respecter l’État de droit et les droits de l’homme, le nombre de personnes incarcérées atteint des niveaux historiques et les plans de construction de nouvelles prisons se succèdent.
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LES CONDITIONS DE DÉTENTION EN FRANCE
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l’heure où la question de la prévention et de la répression de la délinquance et du crime s’est installée au cœur du débat public, la radiographie de l’univers carcéral français réalisée par l’OIP n’est pas seulement une initiative citoyenne salutaire, elle constitue une véritable démarche d’utilité publique. En retraçant les évolutions des politiques pénales et pénitentiaires au cours de la période 2005-2011, dans toutes leurs nuances et contradictions, ce rapport permet à chacun de connaître l’usage qui est fait de l’emprisonnement et la réalité de ce qui se passe derrière les murs de nos prisons.
OBSERVATOIRE
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OIP LES CONDITIONS DE DÉTENTION EN FRANCE - RAPPORT 2011
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rapport 2011 : les conditions de détention en France OIP/ La Découverte, 336 p., 28 (frais de port inclus)
Tél. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Fax . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . e-mail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Plan pour la sécurité des prisons : le retour des vieilles recettes Le travail pénitentiaire reste dans le « non-droit »
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L’OIP en région Les coordinations régionales sont chargées des enquêtes sur les établissements de leurs régions. Chaque coordinateur travaille avec un réseau de correspondant et de bénévoles. Coordination régionale Nord et Ouest (DISP Lille et Rennes) Anne Chereul 19 place de Sébastopol 59000 Lille 09 61 49 73 43 06 63 52 10 10 fax: 03 28 52 34 13 anne.chereul@oip.org
Coordination régionale Sud-Est (DISP Lyon et Marseille) Céline Reimeringer 57 rue Sébastien Gryphe 69007 Lyon 09 50 92 00 34 06 50 73 29 04 fax : 09 55 92 00 34 lyon@oip.org
Coordination régionale SudOuest (DISP Bordeaux et Toulouse) Delphine Payen-Fourment 7bis rue Riquet 75019 Paris 01 44 52 87 94 06 50 87 43 69 fax: 01 44 52 88 09 delphine.payen-fourment@oip.org
Coordination régionale Ile-deFrance et outre-mer (DISP Paris et outre-mer) François Bès 7bis rue Riquet 75019 Paris 01 44 52 87 96 06 64 94 47 05 fax: 01 44 52 88 09 francois.bes@oip.org
Coordination régionale Centre et Est (DISP de Dijon et Strasbourg) 7 bis rue Riquet 75019 Paris 01 44 52 87 90 fax: 01 44 52 88 09 contact@oip.org
Les groupes et correspondants locaux de Metz et Nancy assurent l’observation et l’alerte sur la prison de leur ville, en lien avec le secrétariat national. Pour les contacter, vous pouvez joindre le secrétariat national : contact@oip.org ou 01 44 52 87 90
Qu’est-ce que l’OIP ? La section française de l’Observatoire international des prisons (OIP), créée en janvier 1996, agit pour le respect des droits de l’Homme en milieu carcéral et un moindre recours à l’emprisonnement. Que fait l’OIP ? Concrètement, l’OIP dresse et fait connaître l’état des conditions de détention des personnes incarcérées, alerte l’opinion, les pouvoirs publics, les organismes et les organisations concernées sur l’ensemble des manquements observés ; informe les personnes détenues de leurs droits et soutient leurs démarches pour les faire valoir ; favorise l’adoption de lois, règlements et autres mesures propres à garantir la défense de la personne et le respect des droits des détenus ; défend une limitation du recours à l’incarcération, la réduction de l’échelle des peines, le développement d’alternatives aux poursuites pénales et de substituts aux sanctions privatives de liberté. Comment agit l’OIP ? Organisation indépendante des pouvoirs publics, l’OIP ne sollicite aucun mandat ou subvention du ministère de la Justice, s’interdit de prendre part à l’action d’aucun gouvernement, de soutenir aucun parti politique ou de prendre position à l’occasion de toute consultation électorale. Pour faciliter la mise en œuvre de ses objectifs, l’Observatoire suscite la création de coordinations régionales chargées de l’observation des lieux de détention et composées exclusivement de membres de l’OIP.