Budget 2014 pour les prisons : une redoutable continuité Réforme pénale : le projet de loi a minima Zoom : maison centrale de Saint-Martin-de-Ré
Longues peines :
la logique d’élimination dossier avec Christine Lazerges, Loïc Lechon, Abdelhamid Hakkar, Jean-Claude Bouvier et Sabah
OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS SECTION FRANÇAISE
7,50 € N°82 Décembre 2013
EDITORIAL
Et pendant ce temps-là, en Europe… La Suède annonce la fermeture de cinq prisons. Le directeur de l’administration pénitentiaire Nils Öberg l’a expliqué le 11 novembre par une baisse annuelle du nombre de détenus de 1 % depuis 2004, et de 6 % entre 2011 et 2012. Est-ce que la délinquance a chuté ? Non, le Conseil national suédois de la criminalité affirme même que le nombre d’infractions recensées est en augmentation continue depuis 1975. La Suède, c’est une politique pénale pariant sur la réhabilitation. Avec un taux de détention parmi les plus bas du monde : 4 852 prisonniers en 2012 (et 14 000 probationnaires), pour 9,5 millions d’habitants. La Suède, c’est l’investissement dans la probation, dans l’optique d’un remplacement progressif des courtes peines. Les services de probation sont tenus de proposer à tout condamné un programme adapté à sa problématique (de violence, d’addiction, etc.) et l’efficacité de chaque programme est évaluée par des chercheurs. Les agents de probation sont assistés de 4 500 bénévoles « laïcs », chargés d’aider les probationnaires dans leurs démarches et d’être disponibles pour les soutenir dans les moments critiques. La Suède, ce sont des peines moins longues qu’en France pour les infractions les plus graves. L’emprisonnement dépasse rarement dix ans, la plupart des condamnés à perpétuité obtiennent une commutation en une peine à temps, située entre 18 et 25 ans. La Suède, c’est la libération conditionnelle d’office aux deux tiers de la peine. C’est aussi un jugement de la Cour suprême en 2011 qui a entraîné un fort recul des peines de prison pour infractions à la législation sur les stupéfiants. La Suède, c’est KRIS : une organisation d’anciens prisonniers qui interviennent en milieu carcéral pour aider les détenus à préparer leur sortie, les attendent devant la porte le jour J et les aident à s’en sortir. Bref, la Suède, c’est un autre monde. Quoique. Les Pays-Bas aussi annoncent une vague de fermeture de 26 prisons pour 2013-2018. Huit établissements ont déjà fermé leurs portes depuis 2009. Et même les Etats-Unis s’y mettent : pour la troisième année consécutive, la population carcérale a baissé en 2012. Dix-sept Etats se sont engagés dans la fermeture de prisons. Pour la chercheuse Sarah Shannon, « c’est le début de la fin de l’incarcération de masse ». Sarah Dindo N°82 Décembre 2013
Sommaire 1 Actu – Budget 2014 pour les prisons : une redoutable continuité – Réforme pénale : le projet de loi a minima – La prison encore oubliée – VIH et hépatite en prison : la France doit réagir 12 De facto – Baie-Mahault : mort d’un détenu pour une télécommande – Maubeuge : l’administration pénitentiaire condamnée pour faute après un suicide – Saint-Martin-de-Ré : un détenu empêché de se recueillir auprès de sa sœur décédée – Uzerche : unités de vie familiale inactives depuis leur construction – Nouméa : les détenus et leurs ayantdroits privés de protection sociale 15 Actu – Baumettes : un an après, les travaux exigés par la justice toujours pas réalisés 16 Zoom – Le temps infini de Saint-Martin-de-Ré 20 Dossier Longues peines : la logique d’élimination Avec Christine Lazerges, présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme ; Loïc Lechon, Conseiller d’insertion et de probation ; Abdelhamid Hakkar, ancien détenu ; Jean-Claude Bouvier, juge de l’application des peines ; Sabah, sœur d’un détenu longue peine. 39 « Ils sont nous » Avec André et Yann 45 En droit 47 Droit de réponse
DEDANS DEHORS publication bimestrielle de la section française de l’Observatoire international des prisons, association loi 1901, 7 bis, rue Riquet, 75019 Paris, Tél. : 01 44 52 87 90, Fax : 01 44 52 88 09, e-mail : contact@oip.org Internet : http://www.oip.org Directeur de la publication : Antoine Lazarus Rédaction en chef : Sarah Dindo, Barbara Liaras Rédaction : Jane Abad François Bès Anne Chereul Marie Crétenot Sarah Dindo Nicolas Ferran Samuel Gautier Barbara Liaras Cécile Marcel Delphine Payen-Fourment Céline Reimeringer Transcriptions : Mireille Jaeglé Clémentine Horaist Amélie de Colnet Secrétariat de rédaction : Marianne Bliman Elsa Dujourdy Marie Giraud-Rouabah Aude Malaret Julie Namyas Michèle Vital-Durand Identité graphique : MG., L.D. < dlaranjeira@caramail.com > Maquette : Claude Cardot/Vélo © Photos, remerciements à : Samuel Bollendorf, Jack Guez, Simon Jourdan Bernard Le Bars, Michel Le Moine, Thierry Pasquet, Célia Quilleret, Aimée Thirion Et aux agences : SIGNATURES, VU. Impression : Imprimerie Expressions 2-GP, 10 bis, rue Bisson, 75020 Paris Tél. : 01 43 58 26 26 ISSN : 1276-6038 Diffusion sur abonnement au prix annuel de 30 € Photographie couverture : Michel Le Moine
©Thierry Pasquet/Signatures
ACTU
Le centre pénitentiaire de Rennes-Vezin, ouvert en 2010, fait partie des établissements du programme « 13 200 » construits en partenariats public-privé
Budget 2014 pour les prisons :
une redoutable continuité
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Adopté par le Parlement, le volet pénitentiaire du projet de loi de finances 2014 continue de consacrer l’essentiel des fonds à la construction de prisons et à leur sécurité, au détriment des actions d’insertion et du développement de la probation. OUR LES PRISONS, LE CHANGEMENT N’EST PAS POUR MAIN-
tenant. Le budget prévu pour l’administration pénitentiaire dans le projet de loi de finances 2014 est pratiquement constant : 3,23 milliards d’euros contre 3,19 milliards en 2013. Cette légère hausse devrait permettre le recrutement de 300 conseillers d’insertion et de probation (CPIP) supplémentaires, ce qui restera bien insuffisant pour atteindre l’objectif annoncé par le Premier ministre de quarante personnes suivies par conseiller. Pour le reste, le Gouvernement privilégie deux axes principaux : « l’extension du parc actuel de 57 000 à 63 500 places » et la « sécurisation des prisons »1. Ce choix budgétaire, qui empêche tout investissement 1 Sénat, séance du 12 novembre 2013.
en faveur de l’insertion et des alternatives à l’emprisonnement, s’inscrit à l’encontre des orientations de la Conférence de consensus pour la prévention de la récidive. Dans son rapport de février, le jury a estimé que le « parc pénitentiaire ne [devait] pas être augmenté » mais « qualitativement amélioré afin d’assurer de meilleures conditions de détention ». Pour le jury, les « priorités les plus urgentes » étaient d’une autre nature : développer les peines alternatives « qui ne sont pas suffisamment utilisées par les juridictions », augmenter les effectifs de CPIP, dont « le nombre insuffisant » affaiblit aujourd’hui « les dispositifs d’accompagnement sociaux et criminologiques pourtant nécessaires », développer les mesures d’aménagement de peine « y compris pour les personnes les Dedans Dehors N°82 Décembre 2013
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© Michel Lemoine
Salle de classe du centre pour jeunes détenus de Fleury-Mérogis
plus fragiles socialement qui en sont aujourd’hui exclues ». Il était nécessaire d’étendre « le nombre de placements extérieurs » qui reste aujourd’hui « largement sous-dimensionné » et d’« adopter un système de libération conditionnelle d’office ». Mais aussi de sortir la prison « d’un fonctionnement quotidien marqué par une déresponsabilisation permanente » et « un manque d’accès à des activités structurantes », d’« améliorer les conditions de rencontre entre la personne détenue et ses proches, notamment dans le cadre des unités de vie familiale », de « reconnaitre le droit d’expression collective des détenus et d’assurer sa mise en œuvre effective ». Ni le Gouvernement, ni le Parlement n’auront suivi ces recommandations.
L’accroissement du parc carcéral, principale ligne de dépense Si l’on excepte la rémunération des personnels qui représente 62 % du budget (environ 2 milliards), le développement du parc carcéral constitue la première ligne de dépense. Ce volet absorbe un tiers des sommes restantes, soit 410,6 millions d’euros. Sur ces fonds, 128,1 millions d’euros sont dévolus au paiement des loyers des dix établissements du programme « 13 200 » construits en partenariats public-privé (PPP), dont les premiers ont ouvert en 2008. Les 282,5 millions d’euros restant sont alloués à l’achèvement de ce programme et à la réalisation du « nouveau programme immobilier » (NPI). Sur les 27 constructions ou extensions d’établissements envisagées par le précédent gouvernement, le ministère de la Justice actuel a choisi d’en conserver huit : trois constructions de prisons en PPP2, trois constructions3 et trois extensions4 en maîtrise d’ouvrage publique. La somme qui y est consacrée représente 33 fois ce qui est dévolu au développement du placement à l’extérieur (8,6 millions d’euros). Avec le recours aux PPP (qui permettent d’investir dans la construction de prisons sans débloquer de fonds et d’étaler la dette sur 27 ou 30 ans), l’État s’est considérablement endetté. Les intérêts et les charges à verser chaque année pour la maintenance des bâtiments alourdissent toujours plus le montant 2 CP de Riom, Valence et Beauvais. 3 CP d’Orléans-Saran, de Lutterbach et Papéari en Polynésie. 4 CP de Ducos, Marseille et Aix. Dedans Dehors N°82 Décembre 2013
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à rembourser. Les sommes dues par l’État aux groupes privés pour la réalisation des dix établissements en PPP ont d’ores et déjà augmenté de 40 %, la dette atteignant désormais 1,2 milliard d’euros. La part du budget 2014 consacrée aux loyers PPP ne sert ainsi qu’à éponger une petite partie de la dette, qui va encore progresser avec la mise en service en 2015 des trois nouveaux établissements en PPP, dont la construction a été lancée en décembre 2012. Un choix du nouveau Gouvernement qui aurait pu revenir, lors de son investiture, sur un tel projet. Au total, le coût de l’ensemble des 13 établissements en PPP est estimé à 5,3 milliards d’euros à l’échéance des contrats en 2038, ce qui pèsera de manière exponentielle sur tous les budgets à venir. Si le Gouvernement est tributaire pour une large part des options prises par ses prédécesseurs, la décision de maintenir une partie du NPI a encore aggravé la situation.
Le milieu ouvert négligé Ce choix de politique pénitentiaire privilégiant l’accroissement du parc plutôt que les aménagements de peine et les alternatives à l’incarcération est pourtant reconnu comme contre-productif en matière de prévention de la récidive. La recherche montre que les taux de récidive sont plus importants lorsque les personnes ont été condamnées à un emprisonnement ferme que lorsqu’elles ont bénéficié d’un aménagement de peine ou d’une peine alternative (Kensey, Benaouda, mai 2011). Actuellement, 36 % des détenus condamnés exécutent une peine de moins d’un an. Si la moitié d’entre eux bénéficiaient d’un aménagement de peine comme le prévoit encore la loi, ou mieux d’une peine de probation, il ne serait plus question de prisons surpeuplées. Et la prévention de la récidive serait mieux assurée. Mais cela suppose des moyens que l’on ne retrouve pas dans le projet de loi de finances. Par exemple, pour permettre aux plus précarisés de bénéficier d’aménagements de peine, il faut augmenter les crédits dévolus au placement à l’extérieur. Cette mesure qui permet de combiner hébergement et travail salarié dans une structure d’insertion étant la plus adaptée à ces profils. Or, le projet de loi ne prévoit le financement que de 800 placements en moyenne, contre 750 en 2013. Par ailleurs, pour que les personnes en aménagement de peine ou peine de probation soient rapidement et suffisamment prises en charge par les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP), il faut diminuer leur charge de travail et moderniser les méthodes d’accompagnement. Atteindre l’objectif de 40 personnes suivies par conseiller supposerait de doubler les effectifs de CPIP (environ 2 500 conseillers supplémentaires). Un investissement auquel ne se résout pas le Gouvernement dans son budget 2014. Rappelons aussi que l’option de l’extension du parc carcéral ne permet pas plus de résoudre le problème de la surpopulation. Entre les premières mises en service d’établissements issus du programme « 13 200 » en 2008 et le 1er janvier 2013, le taux d’occupation dans les maisons d’arrêt n’a baissé que de 2,5 points, passant de 135,7 % à 133,3 %. Avec toujours le même cortège
ACTU de détenus qui s’entassent à deux ou trois dans des cellules de 9 m2, et subissent une promiscuité indigne, source de tensions et de violences. Les documents budgétaires révèlent d’ailleurs que l’administration ne s’estime pas en mesure de respecter le principe de l’encellulement individuel avant 2017, alors que la loi pénitentiaire l’y oblige à partir de novembre 2014.
La sécurité privilégiée, les actions de réinsertion délaissées Dans un contexte de contraintes budgétaires, il reste des choix politiques, tel celui d’abonder une fois encore les dépenses liées à la sécurité interne et périmétrique des prisons. Suite à l’évasion de la prison de Sequedin en avril dernier, la ministre de la Justice a annoncé un nouveau plan sécurité de 33 millions d’euros. Seule une partie de cette somme (9 millions) a été consommée en 2013, le reste (24 millions) est reporté sur le budget 2014 et s’ajoute aux 25,6 millions d’euros déjà consacrés à la sécurité depuis 2012. La Chancellerie s’est en outre réservé la possibilité d’abonder ce budget de 3 millions supplémentaires en cours d’année. Les sommes allouées à la sécurité augmentent ainsi de 105,5 % par rapport à 2013 et de 141 % par rapport à 2012. Ces fonds sont destinés à renforcer les « dispositifs de lutte contre les projections » (filets, glacis, concertina, vidéosurveillance), et les « équipements de sécurisation des entrées et sorties des personnes » (armes, munitions, gilets par balle, dispositifs de brouillage des téléphones portables, portiques à ondes millimétriques et à ondes métalliques, détecteurs de métaux manuels, brigades cynotechniques, etc.). Un investissement dont l’opportunité peut être contestée, alors que le taux d’évasion en France est de 0,01 % : de 2010 à la fin 2012, l’administration a connu 28 évasions pour 21 765 placements sous écrou. Mis à part les vingt portiques à ondes millimétriques qui ont vocation à être installés dans les maisons centrales et devraient limiter le recours aux fouilles à nu, les autres mesures – qui concentrent 94 % des fonds consacrés à la sécurité – relèvent toutes d’une logique coercitive. Elles renforcent le modèle de « sécurité défensive » qui repose sur la dissuasion, la surveillance, les contrôles et l’isolement des personnes détenues. Un modèle dont il a été établi qu’il est générateur en lui-même de troubles en détention. « Mettre l’accent de façon excessive sur la prévention des évasions peut rendre la vie en prison insoutenable » et susciter des incidents. « Plus l’institution est totalitaire ou autoritaire, plus elle engendre des résistances » 5, explique Sonja Snacken, ancienne présidente du Conseil de coopération pénologique du Conseil de l’Europe. Pour obtenir le « bon ordre » en prison, le Conseil de l’Europe recommande pour sa part de privilégier les mécanismes de médiation et d’expression des détenus, le développement des activités ou le maintien des liens familiaux. 5 Sonja Snacken, Prisons en Europe, pour une pénologie critique et humaniste, Larcier, 2011.
Le gouffre des nouvelles constructions Depuis 2006, plus de 2,7 milliards d’euros ont été consacrés à l’accroissement du parc carcéral, dont 1,6 milliards pour la construction de 13 établissements en partenariats public-privé. Avec les intérêts et les fonds à verser pour la maintenance des bâtiments, la somme à verser d’ici l’échéance des contrats en 2038, s’élève à 5,3 milliards d’euros. Si le « nouveau programme immobilier » initié sous le gouvernement précédent avait été entièrement mené à son terme, la dette s’élèverait à 21,8 milliards d’euros. Ce qui aurait imposé de multiplier par deux le budget de l’administration. pénitentiaire (hors dépenses de personnels).
Portion congrue pour les liens familiaux et les activités Dans le budget 2014, les crédits dévolus au développement des activités ou au maintien des liens familiaux ne font l’objet d’aucune hausse. Certains sont même en baisse comme ceux alloués à la construction d’unités de vie familiale (UVF) ou de parloirs familiaux, seuls dispositifs permettant aux détenus de rencontrer leurs proches dans des conditions préservant l’intimité. Les fonds qui leur sont affectés diminuent de 10,4 % par rapport à 2013 (de 34,6 à 31 millions d’euros), ce qui ne lasse pas d’inquiéter quant à la concrétisation d’une généralisation des UVF à tous les établissements. A ce jour, seules 28 prisons sur 191 sont dotées d’UVF ou de parloirs familiaux en service. Bien loin de l’objectif annoncé en avril par la garde des Sceaux de l’installation d’UVF dans « une soixantaine d’établissement d’ici à 2014 6 ». Les crédits consacrés aux activités professionnelles, pédagogiques, sportives ou culturelles, n’ont de leur côté pas progressé depuis 2010, alors que la population carcérale a augmenté de 10,4 %. Les fonds alloués à la formation professionnelle dans les établissements en gestion publique (2,8 millions d’euros) ont même baissé de 3,5 %, alors que le taux de détenus pouvant bénéficier de ces prestations est déjà particulièrement faible (environ 10 %). Selon un bilan effectué par l’administration pénitentiaire7, l’offre moyenne d’activités par détenu, tous types d’établissements confondus, est de 4 h 30 par semaine… Mener une véritable politique de prévention de la récidive supposerait pourtant de changer de braquet : privilégier la probation à l’accroissement du parc carcéral et augmenter substantiellement les moyens dévolus à la mission d’insertion de l’administration plutôt que d’abonder la mission de garde, d’ores et déjà bien assurée. En dépit d’un changement de discours, les options budgétaires confirment aujourd’hui que les actes ne suivent pas. Marie Crétenot 6 Sénat, séance du 25 avril 2013. 7 Avis n°162 sur le projet de loi de finances pour 2014 : Justice : Administration pénitentiaire, Sénat, 21 novembre 2013. Dedans Dehors N°82 Décembre 2013
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Réforme pénale :
le projet de loi a minima Le texte présenté le 9 octobre 2013 n’assume pas la nécessité d’un moindre recours à l’emprisonnement. Il opère un recul sur l’aménagement des courtes peines avant leur mise à exécution, ne fait pas le choix d’une peine de probation applicable comme peine de référence à la plupart des délits, ni celui d’une libération conditionnelle d’office. Les espoirs d’amélioration du texte se concentrent désormais sur le débat parlementaire, annoncé pour avril 2014.
L
E CHOIX D’INVESTIR DANS LA PROBATION ET DE FAIRE DE
l’emprisonnement un ultime recours, le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et l’individualisation des peines ne le fait pas. Il n’opte pas pour une peine de probation dont le contenu serait suffisamment amélioré par rapport à un sursis avec mise à l’épreuve (SME) pour crédibiliser le recours à une peine alternative pour la plupart des délits. Il écarte l’option d’une libération conditionnelle (LC) d’office, seule à même de remédier à un taux exorbitant de sorties « sèches » en fin de peine.
Quelques apports de la réforme Il reste dans le projet de loi quelques mesures visant à « dépasser l’hégémonie de la peine d’emprisonnement », selon les termes de l’étude d’impact. L’obligation de motiver le choix d’une peine de prison ferme sans aménagement en matière correctionnelle est étendue aux cas de récidive légale (article 3). Symbolique, cette disposition s’inscrit dans un mouvement qui se devrait plus large : revenir sur le régime dérogatoire mis en place pour les récidivistes à toutes les étapes du processus judiciaire. Il ne tient en effet pas compte des processus de sortie de délinquance (désistance), qui commencent souvent par une diminution des délits, en fréquence et en gravité. En systématisant une répression plus sévère en cas de récidive, la justice pénale peut avoir un effet particulièrement nocif sur des parcours d’insertion engagés. La suppression des peines plancher (article 5) répond à cet objectif d’éviter des peines de prison systématiquement plus longues à l’encontre des récidivistes. Il est en effet établi qu’avec l’instauration de peines minimales « le quantum d’emprisonnement ferme est passé en moyenne de 8,2 mois à 11 mois » (Infostat Justice, octobre 2012). La suppression de la révocation automatique du sursis simple et des SME en cascade (article 6) s’inscrit dans la même perspective d’individualisation. Chaque Dedans Dehors N°82 Décembre 2013
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année, « les sursis simples révoqués représentent un peu plus de 6 % de l’ensemble des années d’emprisonnement ferme à exécuter ». Le gouvernement escompte ainsi de la suppression de la révocation automatique et des peines plancher une baisse annuelle d’environ 7 000 années d’emprisonnement prononcées (étude d’impact).
La probation manquée Le Gouvernement n’a pas osé le choix de la probation. Le texte qui sera présenté au Parlement manque l’occasion de créer une peine de probation comme sanction de référence pour la majorité des délits, voire la seule possible pour certaines catégories d’infractions. Cela impliquait que la non exécution de la peine de probation devienne un délit en soit, tout comme pour le travail d’intérêt général, condition sine qua non pour sortir de la logique du sursis. La peine de probation avait vocation à remplacer l’ensemble des « peines alternatives » actuelles (TIG, stage de citoyenneté, peines privatives ou restrictives de droits, sanction-réparation…) toutes intégrées dans les obligations possibles. Elle devait également remplacer le sursis avec mise à l’épreuve, afin de ne pas juxtaposer deux peines très proches et de sortir la probation de la référence à l’emprisonnement.
Nouvelle peine de contrainte pénale Réduisant l’intérêt de créer une nouvelle peine de probation, la « contrainte pénale » vient juste s’ajouter au SME parmi les peines applicables en matière correctionnelle, au côté de la peine d’emprisonnement et des autres peines « alternatives ». En outre, il s’agit d’une peine plus contraignante que le SME, prévue pour des délits moins graves : elle ne vise que les délits encourant une peine maximale de cinq ans d’emprisonnement, quand le SME peut assortir toute peine de prison d’une durée maximale de cinq ans, ou dix ans en récidive légale (article 132-41 du code pénal).
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© Bernard Le Bars
sa propre « motivation au changement ». Les travaux de Fergus Mc Neill dégagent ainsi trois axes d’intervention pour les personnels de probation : le travail sur la motivation, le travail sur les facteurs internes du passage à l’acte délinquant (aspects cognitivo-comportementaux) et le travail sur les facteurs externes (insertion, formation, entourage relationnel…)1.
La contrainte pénale a vocation à s’appliquer quand « un accompagnement socio-éducatif individualisé et renforcé » est nécessaire. Imposer dès le jugement un suivi renforcé ignore les principes d’efficacité dégagés par la recherche (What Works ?), selon lesquels l’intensité du suivi doit être définie et adaptée régulièrement en fonction des risques de récidive et des besoins de la personne, et non de manière prédéterminée par la peine prononcée. Le contenu de la contrainte pénale a le même défaut que le SME : il n’est défini que par les obligations et interdictions qui peuvent être imposées. Une telle conception limite déjà, voire empêche, le travail de probation dans le cadre du SME : le contenu du suivi est déterminé par les obligations fixées et consacré essentiellement à leur contrôle, alors qu’il devrait partir des problématiques des personnes. Cette approche omet aussi l’un des pans essentiels de la probation : le travail autour de ce qui a amené le passage à l’acte délinquant, l’analyse du contexte et des facteurs déclencheurs, la participation à des programmes de prévention de la récidive (encore très limités en France)… Seul apport de la contrainte pénale : le JAP décidera de l’essentiel des obligations après évaluation du SPIP, alors que pour le SME, ce rôle est dévolu à la juridiction de jugement. Avec pour conséquence des obligations prononcées de façon quelque peu mécanique sans connaissance véritable des problématiques de la personne, souvent sur la base de stéréotypes : obligation de soins pour des infractions contre les personnes, obligation de travail ou de formation pour des infractions contre les biens… Dans la même veine, le terme de « contrainte » pénale relève d’une culture passéiste de la probation. Ce n’est pas par la contrainte qu’une personne prend conscience de son rapport à la loi, de son rapport à l’autre, etc. L’approche de l’entretien motivationnel, dont l’efficacité dans le cadre de la probation a été évaluée, privilégie la capacité de la personne à s’autodéterminer, le rôle du professionnel étant de l’aider à renforcer
Faute d’innovation en termes de cadre juridique et de contenu, la contrainte pénale présente peu de chances d’être utilisée à titre de substitut aux courtes peines d’emprisonnement. L’étude d’impact du projet de loi montre que le Gouvernement s’en accommode déjà : « 320 000 condamnations par an pourraient théoriquement relever de la contrainte pénale, dont 60 000 SME. C’est principalement à ces dernières peines que la contrainte pénale a vocation à se substituer ».
Recul sur l’aménagement des courtes peines La loi pénitentiaire de 2009 permettait de convertir les courtes peines de prison (jusqu’à un an pour les récidivistes, deux ans pour les primaires) en aménagement de peine. Le nouveau projet de loi abaisse ces seuils à six mois et un an. Dans l’exposé des motifs, cet arbitrage est justifié, pour les aménagements ab initio prononcés par la juridiction de jugement, par le fait que les dispositions antérieures permettaient « l’aménagement immédiat de lourdes peines et dénaturaient par là-même le sens de la peine de prison ». Rappelons qu’en dépit de ces dispositions, le nombre de condamnés purgeant une peine de prison de moins d’un an reste très élevé en France : 21 961 personnes, soit 36 % des détenus condamnés au 1er janvier 2013. Pour la procédure de l’article 723-15, permettant un aménagement par le JAP après une condamnation à une courte peine, le gouvernement justifie son recul par le fait qu’elle ralentit « le processus d’exécution de la peine, puisque la décision éventuelle d’aménagement pouvait prendre plusieurs mois durant lesquels la peine n’était d’aucune façon ramenée à exécution, même sous une forme aménagée ». La loi pénitentiaire de 2009 ayant été adoptée sans que les moyens nécessaires à son application ne soient dégagés, des retards de mise à exécution ont en effet été observés. Plutôt que d’engager les moyens permettant un aménagement plus rapide des courtes peines, le gouvernement de 2013 privilégie leur mise à exécution, tout en décriant leurs effets nocifs. L’étude d’impact estime les conséquences d’un tel recul : 12 000 condamnations par an ne seraient plus aménageables. Considérant que toutes ces peines n’étaient pas aménagées, il y aurait « environ 5 000 personnes » en plus dans les maisons 1 Voir AJ pénal, septembre 2010 ; et Dedans-Dehors, mars 2012. Dedans Dehors N°82 Décembre 2013
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formulant davantage de demandes d’aménagement. La part de ceux obtenant un aménagement de peine s’élève de 59 % à 60 %. Et surtout, une procédure d’examen « au moins une fois par an » de la « situation des condamnés ayant vocation à la libération conditionnelle » existe déjà (article D523 du CPP). Elle a vocation à s’exercer « même en l’absence de demande de la part des intéressés ».
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La libération conditionnelle d’office écartée
d’arrêt chaque année, ce qui correspond à une augmentation de 3 600 personnes détenues à un instant donné.
Nouvelle procédure de « libération sous contrainte » Dans sa recommandation du 24 septembre 2003, le Conseil de l’Europe affirme que « pour réduire les effets délétères de la détention et favoriser la réinsertion des détenus dans des conditions visant à garantir la sécurité de la collectivité, la législation devrait prévoir la possibilité pour tous les détenus condamnés, y compris les condamnés à perpétuité, de bénéficier de la libération conditionnelle ». La législation française s’est peu à peu éloignée de cet objectif, avec pour conséquence un taux de sorties « sèches » de 78 % en 2012 et un taux d’octroi de libération conditionnelle particulièrement faible (6,3 %).
Cette option se base sur un fait objectif : quasiment tous les détenus vont être un jour libérés. Il est préférable pour eux, comme pour le corps social, qu’ils le soient dans le cadre d’un aménagement de peine : la réduction du temps de détention permet d’en limiter les effets nocifs et la LC d’assurer une sortie avec projet d’insertion, mesures d’assistance et de contrôle. La LC d’office présente l’avantage d’une date de sortie connue dès l’écrou, permettant d’engager immédiatement un projet d’insertion pour les courtes peines et un plan en plusieurs étapes pour les moyennes et longues peines. Elle aussi retire aux magistrats le poids de décisions qui suscitent l’opprobre publique en cas de récidive. L’évaluation des facteurs de risque de récidive est alors réalisée non pas pour décider de l’octroi de la LC, mais pour mieux cibler le type de suivi nécessaire et les modalités de la mesure à prévoir.
Le projet de loi opte néanmoins pour un choix a minima : une procédure de « libération sous contrainte » impliquant l’examen de la situation de l’ensemble des détenus aux deux tiers de leur peine, en vue d’un éventuel aménagement. La logique d’une telle procédure est d’examiner la situation des condamnés qui n’en font pas la demande. Tel est le cas de nombreux condamnés à de courtes peines, si bien qu’en 2011, seuls 2 % des sortants condamnés à moins de six mois ont obtenu un aménagement de peine. Ce taux s’élève à 16 % pour les condamnés à des peines de six mois à un an. Ces faibles taux s’expliquent notamment par des délais d’audiencement de plusieurs mois (trois ou quatre), rendant la démarche moins utile. Une autre cause est la difficulté de constituer un projet d’insertion dans de brefs délais, notamment au vu du temps d’intervention des partenaires de droit commun en matière d’hébergement, de formation ou d’accès à l’emploi. La nouvelle procédure ne remédie à aucun de ces obstacles. Si bien que le risque d’un d’examen à la chaîne de dossiers peu solides et de rejets en cascade est important.
Il ne s’agit plus de réserver la conditionnelle aux détenus « méritants » et d’en exclure ceux qui en auraient souvent le plus besoin. La Cour des Comptes avait ainsi relevé que dans le système actuel, « les plus fragiles socialement et “criminologiquement’’, qui présentent souvent le plus grand risque de récidive, se trouvent naturellement guidés vers le mode de sortie de prison qui induit le plus grand risque de récidive (la sortie sèche) »3. Un argument rationnel, mais aussi un revirement culturel que ne semble pas prêt à défendre le gouvernement socialiste.
Pour les peines supérieures à cinq ans, l’apport de la libération sous contrainte apparaît encore plus limité, les condamnés
2 Norman Bishop in « Les systèmes de libération sous condition dans les États membres du Conseil de l’Europe », Champ pénal, Vol I, 2004. 3 Cour des comptes, Le service public pénitentiaire : prévenir la récidive, gérer la vie carcérale, rapport thématique, juillet 2010.
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L’hypothèse plus ambitieuse défendue par la Conférence de consensus a été écartée : celle d’un système de libération conditionnelle (LC) d’office, à l’image de celui de la Suède. La LC y est automatique aux deux tiers de peine, sauf pour les très courtes peines et les condamnés à perpétuité, dont la peine doit préalablement « être commuée en peine à temps par une mesure de grâce »2.
Sarah Dindo
ACTU
La prison
encore oubliée Le projet de loi sur la prévention de la récidive et l’individualisation des peines fait l’impasse sur une préconisation essentielle de la conférence de consensus : réformer la prison. De nombreuses peines continuent et continueront à s’exécuter en détention, dans des conditions antinomiques avec un objectif de prévention de la récidive. Revue de quelques options et mesures à prendre pour changer la prison.
pénale. Dans son rapport de février, le jury de la conférence de consensus appelait à une « réforme profonde des conditions d’exécution de la peine privative de liberté1 » afin « d’atteindre l’objectif d’insertion », « condition sine qua non de la prévention de la récidive ». Cette préconisation faisait écho à un engagement de François Hollande lors de la campagne présidentielle : « Adapter les lieux d’enfermement à leur objectif de réinsertion dans la société, c’est ce qui permettra de lutter réellement contre la récidive » (réponse à l’interpellation de l’OIP en mai 2012). Cet engagement n’est pas tenu dans le projet de réforme pénale, et aucun autre texte n’est annoncé pour changer la prison.
© Thirion Aimée
C
’EST L’UN DES VOLETS OUBLIÉS DU PROJET DE RÉFORME
Terrain de sport de la maison d’arrêt de Loos, fermée en août 2011
Une expérience de ruptures et de pertes « Les conditions de détention ne permettent pas en l’état de préparer utilement la sortie et aggravent au contraire le risque de récidive pour une part de la population carcérale », a considéré le jury de consensus. Les prisons françaises restent en effet régies par une logique de bannissement et de châtiment : sécurité assurée sous un mode coercitif faisant l’impasse sur le dialogue et la prévention des incidents, absence de droit d’expression, limitation des contacts avec les autres détenus et le personnel, confinement en cellule l’essentiel de la journée pour une majorité de détenus, perte de toute intimité, interdiction des relations sexuelles (sauf pour la minorité d’établissements pourvus d’unités de vie familiale ou de parloirs familiaux), travail sous-payé et peu qualifiant… La condition de détenu exclut davantage de la communauté et du droit commun, encourage la survenance d’effets psychosociaux négatifs (régression psychologique, perte d’initiative ou rébellion avec augmentation des actes hétéro-agressifs, etc.). 1 Conférence de consensus sur la prévention de la récidive, rapport final.
De tels constats imposent de procéder à une refonte de la conception et du fonctionnement des établissements pénitentiaires. Pour le jury de la Conférence de consensus, une nouvelle approche de la sécurité, les contacts avec l’extérieur et les droits sociaux constituent « les priorités les plus urgentes de cette nécessaire évolution ».
Opter pour la « sécurité dynamique » Détaillant son modèle de « sécurité dynamique », le Conseil de l’Europe donne le cap : le « bon ordre dans tous ses aspects » peut être obtenu « lorsqu’il existe des voies de communication claire entre les parties » et que les détenus bénéficient de « conditions de vie qui respectent la dignité humaine »2. Cette approche s’imbrique étroitement avec le principe de « normalisation », consistant à aménager la vie en prison « de manière aussi proche que possible des réalités de la vie en société » : notamment 2 Conseil de l’Europe, commentaire de la Règle pénitentiaire européenne n° 49, 2006. Dedans Dehors N°82 Décembre 2013
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© Célia Quilleret
Le projet de réforme pénale ne prévoit aucune avancée des conditions de travail des détenus (atelier du centre de détention de Riom)
par des régimes « ouverts de détention » (portes des cellules ouvertes en journée et possibilité de circuler à l’intérieur de sa zone de détention). Mais aussi par des « occasions de développement physique, intellectuel et émotionnel » – via des activités la majeure partie de la journée. Il s’agit encore de donner aux personnes détenues la possibilité de « faire des choix personnels dans autant de domaines que possible de la vie quotidienne de la prison ». Et de favoriser la communication avec le personnel : « La sécurité dépend aussi d’un personnel vigilant qui communique avec les détenus, il sera plus réceptif à des situations anormales pouvant constituer une menace pour la sécurité. »3
Rapprochement familial et respect de l’intimité Le jury de consensus appelle à « considérer effectivement la famille comme un acteur essentiel du parcours d’exécution de la peine du proche incarcéré » et, partant, à « améliorer les conditions de rencontre entre la personne détenue et ses proches ». Un objectif qui passe par la consécration formelle d’un droit au rapprochement familial (affectation dans un établissement proche du lieu d’habitation de sa famille). Dans les cas exceptionnels où ce rapprochement est impossible, la mise en place d’un système d’aides financières (pour les déplacements des visiteurs, sous conditions de ressources) doit être envisagée. Le respect du droit au maintien des liens familiaux passe aussi par une reconnaissance du droit de visite pour les proches qui n’appartiennent pas 3 Conseil de l’Europe, Recommandation R(2003)23. Dedans Dehors N°82 Décembre 2013
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formellement à la famille (amis, enfants non reconnus…). Lesquels se trouvent aujourd’hui exposés à des refus de permis de visite, sans possibilité de recours si la personne qu’ils souhaitent rencontrer est en détention provisoire. Qu’ils soient ou non membre de la famille, les visiteurs peuvent aussi se voir refuser, retirer ou limiter leur permis de visite pour des « motifs liés au maintien du bon ordre et de la sécurité ou à la prévention des infractions ». Pour le Conseil de l’Europe, les visites ne devraient jamais « être interdites lorsqu’il existe un risque en matière de sécurité mais faire l’objet d’une surveillance proportionnellement accrue ». Et les limites apportées au droit à la vie privée et familiale doivent être « le moins intrusives possibles », précise le commentaire de la Règle pénitentiaire européenne n° 24. En ce sens, il paraît nécessaire d’établir le principe de visites sans surveillance directe (sauf indices graves et précis de risque d’infraction ou d’atteinte à la sécurité de l’établissement), mais aussi de réserver l’ouverture du courrier aux cas où « il existe une raison spécifique de soupçonner que son contenu pourrait être illégal », et l’écoute des conversations téléphoniques à l’existence d’un risque en matière de sécurité ou de prévention des infractions. Les mêmes modalités de contrôle pourraient s’appliquer aux téléphones portables. L’important trafic qu’ils suscitent serait limité s’ils étaient enfin autorisés, leur usage pouvant dès lors être supervisé et régulé. Dans le même registre, le Contrôleur général plaide en faveur d’un accès encadré à Internet pour les détenus, notamment à la messagerie électronique. Ayant
ACTU observé « un tel dispositif aux États-Unis dans une prison de haute sécurité », il estime qu’il « y a plus une paresse conceptuelle qu’un réel danger à empêcher la communication par Internet »4.
Reconnaître les droits économiques et sociaux Autre enjeu d’une réforme pénitentiaire : mettre un terme à la dégringolade socio-économique des détenus et de leurs proches. Concrètement, il s’agirait de reconnaître aux détenus le droit aux allocations chômage (actuellement suspendues après quinze jours de détention) et au revenu de solidarité active (suspendu après soixante jours). Une réduction de moitié de l’allocation, telle que pratiquée pour les personnes hébergées en établissement sanitaire et social, permettrait de tenir compte de la prise en charge assurée par l’administration pénitentiaire. Ces mesures garantiraient aux personnes détenues des moyens de subsistance, limiteraient les phénomènes de racket et violence en détention, éviteraient les problèmes de réouverture de droits à la sortie et permettraient aux sortants de réintégrer la société dans de meilleures conditions. Des aménagements devraient aussi être consentis afin d’assurer la protection du droit du travail aux détenus exerçant une activité. L’absence de contrat, de cotisation à l’assurance chômage, de procédure encadrée d’embauche ou de licenciement, de droit au Smic… tout comme le caractère souvent répétitif et non qualifiant des tâches privent de son sens la fonction de réinsertion assignée au travail carcéral depuis 1987. L’avènement du droit du travail dans les ateliers pénitentiaires permettrait le développement de contrats aidés et de l’emploi par des structures de l’insertion par l’activité économique (IAE), habituées à former et accompagner des personnes éloignées du marché de l’emploi.
Améliorer l’accès aux soins Les indéniables avancées apportées par la réforme du 18 janvier 1994 ne sauraient masquer les carences persistantes. Ainsi de l’objectif, réaffirmé par la loi pénitentiaire, que « la qualité et la continuité des soins » soient « garanties aux personnes détenues dans des conditions équivalentes à celles dont bénéficie l’ensemble de la population ». Il ne pourra être atteint tant qu’une permanence médicale (médecin ou infirmier) ne sera pas assurée en soirée, nuit et week-end, en dehors des heures d’ouverture des unités sanitaires. « L’intrusion peu admissible d’un régime carcéral dans l’occurrence d’un traitement thérapeutique5 » se manifeste encore dans le recours quasi systématique aux menottes et entraves lorsque des détenus doivent être amenés à l’hôpital, « quel que soit le danger représenté6 » ou leur état de santé. Pour des raisons de dignité et de proportionnalité de la contrainte, 4 J-M. Delarue in « Prisons : les détenus doivent avoir accès à Internet », NouvelObs.fr, 25 février 2013. 5 CEDH, Duval c/France, 26 mai 2011 et Hénaf c/France, 22 novembre 2003. 6 N. About, Avis n° 222 sur le projet de loi pénitentiaire fait au nom de la commission des affaires sociales, Sénat, 17 février 2009.
l’usage des menottes devrait être plus strictement encadré, et le recours aux entraves ou aux chaînes d’accompagnement reliant le détenu à un personnel de l’escorte proscrit. Enfin, deux problèmes sanitaires restent exclus des dispositifs de soins développés à l’extérieur. La responsabilité de la prévention du suicide revient toujours au ministère de la Justice, avec une tendance à la traiter sous un mode de « gestion des incidents », alors que cette question de santé publique relève, pour toute autre population, du ministère de la Santé. De même, les plans de réduction des risques liés à l’usage de drogues ne franchissent pas les portes des prisons, exposant les personnes détenues à des risques accrus de contamination. Alors dans l’opposition, la gauche avait défendu la plupart de ces mesures en novembre 2009, lors des débats parlementaires relatifs à la loi pénitentiaire. Il lui appartient aujourd’hui de les intégrer à la législation. Marie Crétenot
Des propositions déjà mises en œuvre… ailleurs Au Danemark, une part importante de la formation initiale des personnels de surveillance est consacrée à la gestion des conflits (111 leçons). Elle est complétée tous les sept ans par une formation continue de cinq jours. Un tiers du parc carcéral est dédié aux prisons ouvertes, avec possibilité de circulation dans la détention et les espaces extérieurs. Tous les détenus condamnés y travaillent, étudient ou suivent une programme de prise en charge, dans le cadre d’une semaine de 37 heures comme à l’extérieur. L’accès à Internet et à une messagerie électronique est possible dans certains cas. A la prison de Jyderup, les détenus peuvent conserver un téléphone portable, qui est alors attaché dans la cellule. Les conversations et messages ne sont contrôlés que si nécessaire. En Grande-Bretagne, les familles disposant de faibles revenus (inférieurs à 1 370 € bruts mensuels en moyenne) peuvent bénéficier d’une aide financière pour se rendre auprès de leur proche incarcéré, jusqu’à 26 fois par an. L’aide couvre les frais de transport, d’hébergement et de garde des enfants. Les agences locales de la sécurité sociale gèrent les paiements, sur la base d’attestations d’éligibilité transmises par l’administration pénitentiaire. En Italie, le droit du travail est en bonne partie appliqué aux personnes détenues : congés payés, indemnités de chômage, prestations accidents du travail et maladie, etc. Les rémunérations ne peuvent être inférieures de deux tiers à celles prévues par les conventions collectives. Des exemptions du paiement des cotisations sociales et des dégrèvements fiscaux sont consentis aux entreprises. Chaque contrat d’une durée d’au moins trente jours, donne lieu à un crédit d’impôt, versé pendant les six mois qui suivent la libération si le contrat est maintenu. Dedans Dehors N°82 Décembre 2013
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VIH et hépatite en prison : la France doit réagir Une nouvelle étude alerte sur la proportion six fois plus élevée de personnes atteintes des VIH et VHC à l’intérieur des prisons qu’à l’extérieur. La politique de prévention en milieu carcéral est à mettre en cause : toutes les mesures de réduction des risques développées à l’extérieur ne sont pas admises en prison. Les programmes d’échange de seringues restent bannis, en dépit du principe d’équivalence des soins et de la prévention et des recommandations de l’Organisation mondiale de la santé.
L
ES PERSONNES DÉTENUES SONT EN MOYENNE SIX FOIS PLUS
porteuses du virus du sida (VIH) et de l’hépatite C (VHC) que la population générale, révèle une étude publiée le 5 novembre dans le Bulletin épidémiologique de l’Institut de veille sanitaire. La prévalence du VIH est estimée à 2 % en prison contre 0,35 % en population générale ; et celle du VHC à 4,8 % contre 0,8 %. La plupart des personnes détenues atteintes d’une hépatite C ont été contaminées par usage de drogues. Pour les auteurs, ces données « confirment l’intérêt du dépistage du VIH et du VHC » en prison, mais aussi d’une véritable « politique de réduction des risques » afin de « limiter la transmission de ces infections ».
Reconnaître l’existence de pratiques à risque en prison Une telle politique implique d’accroître les messages de prévention, de renforcer l’accès aux traitements post-exposition, de garantir aux personnes dépendantes aux opiacés une bonne délivrance de traitements de substitution. Mais aussi de permettre à celles qui restent consommatrices de stupéfiants de bénéficier de matériel stérile comme en milieu libre (tampons alcoolisés, seringue, filtre, paille pour inhaler, etc.). Or, les autorités françaises restent, à cet égard, particulièrement frileuses. En juin dernier, un groupe de travail ministériel santé-justice a préconisé, à l’instar du Conseil national du sida depuis treize ans, de mener une expérimentation de programmes d’échange de seringues et de distribution de pailles à usage unique en prison. Aucune mesure n’a pour l’instant Dedans Dehors N°82 Décembre 2013
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été annoncée depuis. L’un des points de blocage semble être la difficulté à admettre la consommation de drogues « dures » en milieu carcéral. Refusant cette réalité, la direction de l’administration pénitentiaire a d’ailleurs tenu une position minoritaire au sein du groupe santé-justice, visant à ce que de nouvelles recherches soient conduites avant de lancer toute expérimentation. Pour elle, il n’y a pas ou peu de consommation, car les personnels ne trouvent pas de seringues ou de pailles. Interrogés anonymement, les détenus révèlent pourtant l’importance des pratiques à risque. Selon une étude publiée en avril 2012, 27 % des détenus interrogés à la maison d’arrêt de Bordeaux1 déclarent avoir consommé de la cocaïne en prison, 19 % de l’héroïne, 11 % du crack et 27 % d’autres substances. La moitié de ceux qui inhalent disent partager leurs pailles et plus de la moitié des injecteurs (60 %) leur seringues.
Tirer des leçons des expériences étrangères La crainte d’encourager la consommation de stupéfiants constitue également un point de blocage. Tout comme celle que les seringues soient utilisées comme des armes. Pourtant, dans les pays où de tels programmes ont été mis en place – de la Suisse à l’Iran en passant par l’Allemagne, l’Espagne ou le Kirghizistan – toutes les évaluations ont montré leur efficacité. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) souligne qu’ils « réduisent le partage » de matériel et « l’incidence du 1 Rossard et al., « Consommation de substances et comportements à risque au cours de l’incarcération, Enquête dans une maison d’arrêt en France », Le Courrier des addictions, n° 2 – avril-mai-juin 2012.
© Simon Jourdan
ACTU
Atelier de conditionnement de trousses de réduction des risques (Stéribox2) au centre de détention de Riom. Les détenus, eux, n’y ont pas accès, malgré une prévalence six fois plus importante du VIH et de l’hépatite C.
VIH et des hépatites, sans augmenter l’usage de drogues »2. Au contraire, « ils ont même tendance à le diminuer » : l’accompagnement conduit plus facilement à une alliance thérapeutique avec les professionnels de santé que la répression ou l’injonction. Par ailleurs, l’OMS précise que « les seringues ne sont jamais utilisées comme arme » et que « ces programmes améliorent la sécurité générale de la prison ». Moins de seringues usagées circulent : remises de la main à la main par les personnels soignants ou par distributeur anonyme, elles sont placées dans des contenants spécifiques rigides, avec des taux de retour importants (près de 99 %)3. Le risque de blessure ou de contamination lié aux seringues non jetées est ainsi bien moindre qu’en l’absence de programme.
Un immobilisme à haut risque sanitaire Compte tenu des résultats positifs des expériences étrangères, rien ne permet de justifier l’absence de mise en place 2 Dr Anne Verster, département VIH de l’OMS, 16 juillet 2009, Sidaction. 3 H. Stöver, J. Nelles, « Ten years of experience with needle and syringe exchange programmes in European prisons », International Journal of Drug Policy, 2003.
de telles mesures en France. A défaut, les détenus consommateurs sont exposés à des risques de contamination non négligeables. Le seul moyen autorisé pour désinfecter un tant soit peu les seringues ou les pailles est l’utilisation d’eau de Javel à 12° de chlore. Or, ce produit est inopérant pour le VHC. Et ses vertus désinfectantes pour le VIH sont entièrement liées au suivi d’un protocole strict, inadapté au milieu carcéral. Comme le rappelle l’OMS, il est « hautement improbable que les détenus passent quarante-cinq minutes à agiter les seringues pour les nettoyer »4 alors qu’ils craignent d’être repérés et punis. Ce protocole est de plus inadapté aux seringues de fortune (fabriquées à l’aide de stylos) qui peuvent être utilisées en détention. Pour que les personnes détenues ne soient plus exposées à de hauts risques de contamination, il est temps de faire entrer en prison l’ensemble des mesures de prévention développées à l’extérieur. Marie Crétenot
4 OMS, ONUSIDA, ONUDC, Intervention to adress HIV in prisons, Genève, 2007. Dedans Dehors N°82 Décembre 2013
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BAIEMAHAULT
Mort d’un détenu pour une télécommande Dans la nuit du 1er novembre 2013, un homme est décédé au centre pénitentiaire de Baie-Mahault après avoir été poignardé par un codétenu. Dans la cellule partagée à six, pour quatre places, une bagarre a éclaté pour la télécommande du téléviseur. Aux environs de 22 heures, un détenu en a frappé un autre au cœur avec une arme artisanale. Ce décès intervient dans un climat d’insécurité et de violence régnant depuis des années dans cette prison. En 2010 et 2011, près de 40 % des infractions disciplinaires dénombrées à BaieMahault étaient des faits de violence, majoritairement entre détenus et très souvent à l’arme blanche. Promiscuité, violences et agressions sont toujours monnaie courante en 2013 dans cet établissement, qui compte dans son quartier maison d’arrêt 436 détenus pour 266 places (au 1er octobre).
Les détenus ne cessent d’en alerter l’OIP : « J’ai reçu un coup de couteau au niveau de la bouche, on m’a amené à l’hôpital pour recoudre la plaie, nous sommes cinq dans une cellule de quatre et je dors par terre sur un matelas » (26 septembre 2011) ; « Des détenus s’étranglent jusqu’à l’évanouissement, se poignardent avec des armes artisanales, se bagarrent à plusieurs contre un » (18 octobre 2013). Questionnée par l’OIP, l’administration pénitentiaire affirmait en 2010 mener « une action volontariste conjuguant travaux d’aménagement et de sécurisation, amélioration des procédures et formation des agents, amélioration des conditions de détention et développement des activités ». Pour autant, la violence reste un « véritable fléau » dans de nombreux établissements pénitentiaires d’outremer. Entre 2011 et 2012, les agressions
physiques entre détenus y ont augmenté de 40 % (passant de 753 à 1 057), et celles envers le personnel de 94 % (passant de 122 à 237). « Trois facteurs accentuent le phénomène de violence en outre-mer » selon l’administration pénitentiaire : « La surpopulation particulièrement importante, l’utilisation systématique, notamment dans la zone Antilles/Guyane, d’armes artisanales susceptibles d’occasionner de graves blessures » et « la difficulté à opérer des transferts » (rapport d’activités 2012). Une analyse qui n’apporte pas de réponse suffisante aux problèmes d’oisiveté et de promiscuité, tout en ignorant les possibilités de règlement préventif des conflits promues par le Conseil de l’Europe (sécurité dynamique). OIP, coordination outre-mer
SAINTMARTINDERÉ
Un détenu empêché de se recueillir auprès de sa sœur décédée Les cendres ont été dispersées avant qu’il n’ait pu se recueillir une dernière fois. Philippe, détenu à la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré, n’a pas pu se rendre aux obsèques de sa sœur le 25 juin 2013, ni se recueillir sur son urne avant la dispersion de ses cendres, faute d’escorte de gendarmerie disponible. « Blessé psychologiquement », persuadé que s’il avait été appelé pour une audience devant un magistrat, « il n’y aurait pas eu de problème de logistique », il vient de déposer un recours pour préjudice moral. Suite au décès de sa sœur, le 12 juin 2013 à l’âge de 35 ans, Philippe avait obtenu du juge de l’application des peines de la Rochelle l’autorisation de se rendre sous escorte aux obsèques
en Isère, sous réserve de la disponibilité de la compagnie de gendarmerie. Manque d’effectifs en période estivale et distance à parcourir ont eu raison de cette autorisation de sortie. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, Philippe a été informé le 17 septembre que la sortie accordée par le juge le 20 août pour rendre un dernier hommage à sa sœur avant la dispersion de ses cendres, ne serait pas mise en œuvre. Interrogé par l’OIP, le service de l’application des peines estime que le délai entre la décision du juge et la date prévue pour la sortie de Philippe était amplement suffisant pour anticiper une bonne organisation de l’escorte. De son côté, la gendarmerie
de La Rochelle justifie ce refus par les « coûts engendrés », l’« assistance renforcée pour un détenu condamné pour une longue peine » et la « distance à parcourir ». Mobiliser au minimum trois gendarmes sur les neuf que compte le peloton, « c’est démesuré pour une permission de sortie ». L’argument serat-il recevable, alors que la Cour européenne des droits de l’homme juge que le « refus de la permission d’assister aux funérailles d’un parent ne peut se justifier que si des raisons majeures et impérieuses s’y opposent » (arrêt Ploski c/Pologne, 12 novembre 2002) ? OIP, coordination sud-ouest
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de facto
© Thirion Aimée
de facto
Détenu au quartier disciplinaire, maison d’arrêt de Loos, fermée en août 2011
MAUBEUGE
L’administration pénitentiaire condamnée pour faute après un suicide Le Tribunal administratif de Lille a condamné l’État le 29 octobre 2013 à verser 14 000 euros à la famille de Jean, mort en prison à l’âge de 28 ans. Il s’était pendu le 23 mai 2008 dans sa cellule du quartier disciplinaire (QD) du centre pénitentiaire de Maubeuge, où il avait été placé trois jours plus tôt. Jean purgeait une sanction de 30 jours de cellule disciplinaire (dont 10 avec sursis) pour des insultes et menaces envers un personnel commises deux mois plus tôt et qu’il contestait. Il avait fait part de sa détresse au service médical avant d’être placé au QD. Pour autant, les « deux médecins dont un psychiatre » qui l’avaient examiné « n’[avaient] pas […] signalé à l’administration pénitentiaire une quelconque incompatibilité entre l’état de santé, notamment psychologique, du détenu et son maintien en quartier disciplinaire ». Cet avis médical était resté inchangé malgré « les automutilations récentes et
répétées qu’il s’était infligées » ainsi que l’ensemble des « incidents ayant émaillé son placement en cellule disciplinaire, notamment sa décision d’entamer une grève de la faim, celle de ne plus s’exprimer autrement que par écrit […] en passant par le début d’incendie allumé dans sa cellule ». En dépit de cet avis médical ne s’opposant pas au placement au QD, le tribunal retient la négligence fautive des services pénitentiaires. L’ensemble des incidents suffisait selon le tribunal à indiquer « de manière claire son refus de la sanction et sa volonté de le manifester y compris pas des moyens susceptibles de présenter un danger réel pour lui-même ». De sorte que l’administration était « consciente de la situation » et avait d’ailleurs décidé de soumettre Jean à une surveillance renforcée. Une mesure jugée insuffisante par le tribunal, qui estime qu’en raison du contexte et dès lors que Jean « avait
été trouvé à 11 h 45, le jour de son suicide, allongé sur son lit avec un drap autour du coup, alors qu’il avait déjà disposé un drap sur la grille du sas de sa cellule le 21 mai précédant […] simulant ainsi à deux reprises des tentatives de pendaison, le passage à l’acte était prévisible et aurait dû conduire le service pénitentiaire à lui retirer, par précaution élémentaire, les draps en tissu qui lui ont servi à mettre cette menace à exécution le 23 mai 2008 ». Une autre précaution aurait pu être prise par l’administration pénitentiaire : suspendre l’exécution de la sanction afin de protéger la vie d’un détenu ne supportant manifestement pas son placement au quartier disciplinaire. L’OIP rappelle à cet égard que le risque suicidaire au QD est « sept fois plus important […] que dans le reste de la détention » (CNCDH, 2004). OIP, coordination nord
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NOUMÉA
Les détenus et leurs ayant-droits privés de protection sociale La loi de 1994 sur la santé des détenus et leur protection sociale n’est pas applicable en Nouvelle-Calédonie. Les personnes détenues se voient ainsi radiées de la sécurité sociale dès leur écrou. Et doivent à leur sortie de prison engager une procédure de ré-affiliation, qui peut durer plusieurs mois. Pendant ce temps, leurs frais médicaux ne sont pas couverts. Cette exclusion de la protection sociale affecte également leurs ayant-droits : les enfants et le conjoint d’un détenu sont eux aussi radiés au moment de son
incarcération. Ils doivent alors entamer une démarche d’affiliation à titre individuel, « avec les temps de latence qui l’accompagnent » (rapport d’activité du centre pénitentiaire de Camp Est, 2012). Au 1er juillet 2013, l’administration dénombrait 650 ayant-droits concernés (conjoints et enfants) pour les 438 détenus présents. La loi du 18 janvier 1994 prévoit que les personnes détenues doivent bénéficier d’« une qualité et une continuité de soins équivalents à ceux offerts à l’ensemble de la population » et être automatiquement
immatriculées à la sécurité sociale. En Nouvelle-Calédonie, le système antérieur a été maintenu, la prise en charge financière des soins pendant l’incarcération étant assurée par l’administration pénitentiaire et l’immatriculation à un régime de protection sociale « gérée suivant les cas par le territoire ou la province de rattachement » et « interrompue durant l’incarcération » : une situation « pénalisante pour les intéressés et les ayant-droits » (mission ImbertQuaretta, novembre 2012). OIP, coordination outre-mer
UZERCHE
Unités de vie familiale inactives depuis leur construction 6 et 72 heures, dans des petits appartements à l’abri du regard d’autrui. De telles conditions de visites, à fortiori pour des condamnés à de moyennes ou longues peines, apparaissent essentielles à la préservation des liens familiaux et au maintien d’une sexualité interdite dans les parloirs ordinaires. Seuls 28 établissements pénitentiaires
sur 191 en sont équipés à ce jour. Si le ministère a annoncé leur extension à une soixantaine de prisons d’ici à 2014, les fonds alloués à la construction d’UVF ou de parloirs familiaux diminuent néanmoins de 10 % par rapport à 2013 dans le projet de loi de finances 2014. OIP, coordination sud-ouest
© Thierry Pasquet
Construites il y a trois ans et annoncées comme ouvertes depuis 2011, les trois UVF du centre de détention d’Uzerche n’ont à ce jour jamais fonctionné. Cette carence s’expliquerait par l’absence de postes de surveillants dédiés à ces unités, sur un effectif total de 132 personnels. Pourtant, six postes avaient été spécialement prévus pour les UVF lors de leur construction. En visite dans l’établissement le 2 octobre, la ministre de la Justice a souligné le caractère « inadmissible » de la situation. Et d’annoncer « qu’à la commission paritaire d’octobre, deux postes de surveillants [seraient] attribués », pour une entrée en fonction au deuxième semestre 2014. « Un effectif insuffisant » pour que les trois UVF fonctionnent pleinement, selon des représentants CGT du Service pénitentiaire d’insertion et de probation (L’Echo. info, 5 oct 2013). En attendant, l’accès aux UVF est impossible, alors que leur construction a coûté 600 000 euros : « un gâchis, des investissements qui ne servent à rien », proteste un détenu d’Uzerche auprès de l’OIP. Ces unités permettent aux personnes détenues de recevoir leurs proches pour une durée comprise entre
Une unité de vie familiale du centre pénitentiaire de Rennes-Vezin
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de facto
ACTU
Baumettes : un an après, les travaux exigés par la justice toujours pas réalisés Condamnée par le tribunal administratif de Marseille à exécuter des travaux de réhabilitation du centre pénitentiaire des Baumettes, l’administration pénitentiaire est, un an après, incapable de prouver que ces travaux ont effectivement été réalisés. Contraignant l’OIP à saisir à nouveau la justice.
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E RECOURS AU JUGE EST À NOUVEAU NÉCESSAIRE POUR QUE
l’administration respecte une décision du tribunal administratif de janvier 2013 lui imposant des travaux de rénovations aux Baumettes. Le 18 décembre 2013, l’OIP a ainsi saisi une nouvelle fois le tribunal administratif de Marseille, l’administration n’ayant pas produit les documents attestant de la réalisation des travaux imposés.
Il y a un an, la publication par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté des conclusions et photographies de sa visite à Marseille avait suscité une vive émotion. Rats qui pullulent, sols recouverts de détritus, douches cassées et crasseuses, absence de cloisons d’intimité dans les toilettes, carence d’eau potable, réseau électrique déficient, coursives et cellules inondées à chaque averse… Le Contrôleur général dénonçait « une violation grave des droits fondamentaux », exacerbée par un taux de surpopulation dramatique, une pénurie d’activités et une situation de violence généralisée.
Trois mois pour commencer les travaux Pour que les recommandations du Contrôleur ne restent pas sans effet, l’OIP avait engagé des actions en justice. Au-delà des mesures d’urgence visant à garantir l’intégrité physique des personnes détenues, l’association demandait que soient réalisés des travaux de grande ampleur de sécurisation et de réhabilitation des bâtiments. Le 10 janvier 2013, le tribunal administratif de Marseille a ainsi enjoint l’administration pénitentiaire de réaliser les travaux indispensables en matière d’étanchéité du bâtiment B, de procéder à l’installation de cloisons d’intimité dans 161 cellules, de mettre en exécution les travaux de mise en conformité électrique exigés par la souscommission sécurité incendie des Bouches-du-Rhône dans un rapport du 4 novembre 2011 et de procéder à la remise en
état des monte-charges destinés au transport des déchets. Le juge des référés précisait que le commencement de ces travaux devait intervenir dans un délai maximum de trois mois à compter de la notification de son ordonnance, à savoir au plus tard le 12 avril 2013. Afin de vérifier la bonne exécution de cette décision, l’OIP a demandé à la direction du centre pénitentiaire de Marseille, dans un courrier du 25 juin 2013, de lui indiquer quelles étaient les mesures prises et les travaux engagés. Par courrier du 15 juillet 2013, la direction de l’administration pénitentiaire s’était contentée de répondre que « l’Administration met en œuvre les actions demandées par la juridiction administrative », sans précisions ou documents permettant d’attester de l’exécution effective des travaux. L’OIP décidait dès lors de saisir le Tribunal administratif de Marseille en référé, pour obtenir la communication des documents permettant de contrôler l’exécution de l’ordonnance du 10 janvier 2013. Considérant que l’administration n’avait « apporté à ce jour qu’une réponse lacunaire à sa demande d’information », le juge des référés a, par ordonnance du 23 août 2013, fait droit à la demande de l’OIP et enjoint à l’administration de communiquer les documents sollicités. Dont il ressort que l’administration pénitentiaire ne démontre pas avoir effectué les travaux exigés, et dans la plupart des cas, ne justifie pas les avoir seulement entamés. Seules des démarches préalables ont été engagées, telles des études, devis ou achats. Alors que l’état matériel particulièrement dégradé du centre pénitentiaire des Baumettes est connu et dénoncé depuis plus de vingt ans, des recours en justice successifs s’avèrent encore nécessaires pour contraindre les autorités à respecter leur obligation de ne pas soumettre les personnes détenues à des traitements inhumains et dégradants. Cécile Marcel Dedans Dehors N°82 Décembre 2013
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Le temps infini de Saint-Martin-de-Ré Située sur l’île de Ré, la maison centrale accueille des détenus condamnés à de très longues peines (18 ans en moyenne) dont les perspectives de sortie anticipée sont de plus en plus réduites du fait des évolutions de la loi. Une situation aggravée par le manque d’activités, l’insalubrité et le régime de détention « portes fermées » remis en place depuis 2012.
460 PLACES, SAINT-MARTIN-
de-Ré est la plus grande maison centrale de France, accueillant des détenus condamnés à de longues peines (18 ans en moyenne)1. Ouverte en 1875, elle est aussi l’une des plus anciennes. En témoigne son entité historique classée – la Citadelle – construite sous Vauban, au XVIIe siècle. Le quartier « Caserne » date pour sa part de l’après-guerre. Les bâtiments « se caractérisent par des intérieurs de type coursive et des espaces cellulaires étroits ». « L’exiguïté des cellules », qui ne sont pas aux normes (6,2 m2 en moyenne au lieu de 9 m2), a été pointée par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté lors de sa première visite en 2009. Deux détenus écrivent à l’OIP : « Je touche les murs avec mes bras écartés » ; « Avec 1,65 m2 de surface mobile, le verbe ‘‘déplacer’’ n’est pas approprié ». Après l’annonce de la fermeture un temps envisagée, la décision de maintien en activité de la centrale – actée en mai 2011 – ne s’est toujours « pas traduite par la concrétisation d’un programme de restructuration2 » pourtant indispensable.
La maison centrale de Saint-Martin-de-Ré fait partie des premiers établissements à avoir bénéficié d’une labellisation «qualité RPE» pour son circuit d’accueil des arrivants
La vétusté et l’insalubrité concernent aussi bien des cellules que des parties communes. Les vieilles fenêtres laissent passer l’air, rendant les cellules humides et accentuant le froid. Un détenu explique que « la fenêtre et la porte ont des jours, le vent s’engouffre et fait chuter la température : la nuit 12 °C et la journée 15 °C, avec la plaque électrique allumée ». L’étanchéité des fenêtres est inexistante : « J’ai dû rester pendant une semaine dans une cellule inondée, à passer mes journées et mes nuits à essorer l’eau, avant qu’elle ne soit réparée », écrit un autre détenu. Le remplacement des huisseries n’est pas prévu dans l’établissement, dans le cadre d’un budget en baisse, frôlant le seuil critique pour son fonctionnement.
Autre lieu à rénover : les douches. « Le nombre de douches et de chaudières n’est pas dimensionné pour satisfaire aux besoins de la population carcérale.3 » Un détenu raconte qu’« il y a souvent des jours où il n’y a plus d’eau chaude dans les douches car la chaudière est obsolète, ce qui fait que l’on ne peut pas se laver ». Deux douches sur trois fonctionnent et à partir « du deuxième étage, il est quasiment impossible de prendre deux douches en même temps, faute de pression », constataient les contrôleurs en 2009. Une situation qui perdure fin 2013, les détenus confirmant que « la capacité en eau chaude de la prison est insuffisante. On n’a pratiquement pas de pression quand on est sous la douche et on a moins d’une minute pour se laver, ce qui est impossible ! » Les contrôleurs ont aussi été frappés par « l’état médiocre » des douches où la moisissure est visible : « Les évacuations sont bouchées par endroit, provoquant des débordements d’eau sale au
1 Compte rendu de la réunion du conseil d’évaluation du 27 juin 2013. 2 Rapport d’activités 2012 de la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré.
3 « Vivre ou survivre à la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré », Le phare de Ré, 29 février 2012.
Budget en berne pour remédier à l’insalubrité
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© Delphine Payen-Fourment
A
VEC UNE CAPACITÉ DE
ZOOM SAINTMARTINDERÉ plafond des douches situées au-dessous4. » Le conseil d’évaluation rappelle en 2013 que « seule une réhabilitation complète pourra permettre […] de satisfaire les exigences d’une prise en charge qualitative de la population pénale » : des exigences de travaux qui accompagnaient déjà le choix de ne pas fermer la centrale en 2011, sans que le plan de restructuration annoncé à l’époque n’ait depuis été engagé.
Sécurisation croissante et régime « portes fermées » Avant 2012, les deux quartiers de la Caserne et de la Citadelle, entités distinctes au point d’évoquer parfois deux établissements différents, avaient chacun un régime de détention propre. L’un « portes ouvertes », et l’autre « portes fermées ». Les détenus étaient affectés à l’un ou l’autre en fonction de leur profil, sans forcément en changer au cours de leur incarcération. En 2012, la mise en place d’un régime « portes fermées » à la Citadelle a entraîné deux pics de tension importants du côté des détenus. L’un d’eux confiait alors à l’OIP que le régime carcéral était en train de devenir « pire que celui d’une maison d’arrêt ». L’arrivée d’un nouveau directeur aux méthodes plus sécuritaires a été « assez durement ressentie » par les détenus qui regrettent les « qualités humaines impossibles à imaginer » de son prédécesseur : « Il se promenait avec nous et échangeait au cours de nos conversations sur les petits problèmes que tout un chacun pouvait avoir et essayait d’y remédier, bien sûr dans la mesure du possible. […] Lorsque son remplaçant est arrivé, il ne nous a pas fallu longtemps pour comprendre sa façon de gérer une prison : renforcement des lieux, barbelés partout, fermeture des portes à la Citadelle, portiques de sécurité, obligation de passer dessous en sortant pour aller en promenade, de repasser dessous en rentrant de promenade, d’y faire passer nos sacs de sport. » Un régime difficilement tenable et contre-productif pour des détenus amenés à passer de longues années dans cette prison.
L’isolement des « longues peines » Comme nombre de condamnés à de longues peines, ceux de Saint-Martin-de-Ré reçoivent peu de visites, leurs liens avec l’extérieur se délitent. « 76 % de la population n’est pas visitée5 », peut-on lire dans le rapport d’activités 2012. Les difficultés d’accès à la centrale sur l’île de Ré et les coûts de déplacement accentuent le phénomène. Beaucoup de familles viennent de loin, ce qui interroge sur la politique d’affectation de l’administration, tenant insuffisamment compte des liens familiaux. L’Embellie, association qui accueille les familles, énumère les villes de provenance des visiteurs : Nantes, Bordeaux, Lille, Nice, Marseille, Dijon, Nîmes… « et parfois même d’outre-mer ». « Chaque déplacement est très coûteux. Par exemple, un couple qui va venir rendre visite à son fils depuis Orléans a fait le calcul. Le 4 CGLPL, Rapport de visite de la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré, 2009. 5 Rapport d’activités 2012 de la Maison Centrale de Saint-Martin-de-Ré.
week-end leur reviendra à 500 euros, en logeant à l’accueil famille, dont les nuitées ne sont pas comparables au parc hôtelier ! » (13 euros/adulte, 7 euros/enfant), explique Katia Ramos, responsable de l’Embellie. Le pont séparant l’île du continent s’érige comme un obstacle supplémentaire : « Les familles se plaignent du nombre restreint de passages à tarif réduit. » La carte négociée avec la société d’exploitation du pont n’autorise que douze passages par an au tarif de 2 euros, contre 9 euros le reste du temps et 16,50 euros en été, période « cauchemar » pour les visites : l’engorgement du pont l’été entraîne trois ou quatre heures de file d’attente, pouvant compromettre l’accès aux parloirs. Quant aux familles ne disposant pas de voiture, leurs possibilités de transport sont limitées. Le seul bus qui relie La Rochelle à l’île circule peu et ne coïncide pas avec les horaires des parloirs. Le bus n’attend pas non plus les passagers dont les trains arrivent en retard. Un bus manqué oblige à attendre le suivant, deux heures plus tard. Une seule autre option s’offre alors, le taxi, dont la course s’élève à 50 euros.
Seuls 25 % des détenus utilisent les UVF et parloirs familiaux La maison centrale est dotée de trois unités de vie familiale (UVF) et de huit parloirs familiaux, permettant des visites plus longues et préservant l’intimité. Mais le taux d’occupation des parloirs familiaux en 2012 est de 36 % (802 parloirs utilisés par 92 détenus). Et celui des UVF est de 72 % (301 utilisations par 103 détenus). Ces taux s’entendent avec seulement 25 % des détenus qui reçoivent des visites, souligne le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP).6 Pour contrebalancer l’isolement des détenus, les visiteurs de prison bénévoles ne sont pas suffisamment nombreux. Seuls treize visiteurs accèdent à la centrale, pour 38 à 56 personnes visitées en 2012. De manière générale, les interventions d’acteurs extérieurs sont insuffisantes, compte tenu d’une localisation éloignée et coûteuse. Le fonctionnement problématique des cabines téléphoniques vient encore renforcer l’isolement des détenus. Le coût des communications a ainsi été augmenté par un nouveau dispositif d’accès par un code, ayant remplacé le système moins coûteux d’achat de cartes téléphoniques. Les 20 % de détenus étrangers ainsi que ceux d’outre-mer « ne bénéficient d’aucune facilité pour pouvoir téléphoner chez eux, même quand ils n’ont pas de revenu7 », les prix étant fixés dans le cadre d’un marché national. D’autre part, les plages horaires pour accéder aux postes de téléphone s’avèrent non adaptées aux moments de disponibilité des familles.
Un niveau d’oisiveté parfois alarmant L’isolement des détenus n’est pas non plus compensé par un niveau suffisant d’activités, de travail ou de formation. Le taux d’activité rémunérée est de 67 % en 2012, ce qui est 6 Rapport d’activités 2012 du SPIP. 7 CGLPL, Ibid. Dedans Dehors N°82 Décembre 2013
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collectifs, ou encore projections de films. Elles restent néanmoins insuffisantes, notamment du fait de la configuration des locaux de la centrale en deux entités distinctes. Chaque activité ne concerne qu’un seul bâtiment, il n’est pas possible de réunir les détenus de la Caserne et de la Citadelle pour une activité commune. Si bien que le budget alloué aux activités est en quelque sorte divisé par deux.
© Michel Lemoine
Le niveau d’oisiveté de certains détenus va jusqu’à alarmer le médecin de la prison, qui « s’inquiète du nombre de personnes détenues qui ne sortent jamais de leur cellule, soit consécutivement à une rage intérieure soit résultant d’un calme inquiétant. Elles manquent d’estime d’elles-mêmes, ne veulent rien faire et ne trouvent aucun intérêt à faire quelque chose.9 »
30% des détenus de Saint-Martin-de-Ré sont âgés de plus de 50 ans
bien supérieur à la moyenne nationale, mais il ne cesse de baisser (73 % en 2011 et 76 % en 20108). Nécessaire pour une majorité de détenus sans ressources, l’accès au travail fait de plus en plus défaut. Nombre de détenus expliquent « avoir demandé à participer à des formations et activités, comme l’atelier de confection (RIEP). La plupart sont au mieux sur liste d’attente, au pire sans réponse. La seule activité hors cellule se limite à la promenade ». L’un deux résume ainsi sa journée ordinaire : « Je passe le plus clair de mon temps en cellule à jouer à la console, regarder la TV ou dormir », « ma vie ressemble à celle d’un moine. »
Soins médicaux insuffisants pour une population vieillissante
L’établissement fait pourtant intervenir en ces murs un assistant culturel, une artiste peintre, deux comédiens, qui proposent des activités hebdomadaires : peinture, sports, jeux
Avec la durée des peines, la population de la centrale vieillit : 30 % des détenus ont plus de 50 ans. Et le dispositif de prise en charge médicale n’est pas adapté. « Je souffre de gros problèmes de santé et vu le système de soins, je crains de sortir en bien mauvais état », s’inquiète un détenu. Un médecin de l’unité de consultation et de soins ambulatoires (UCSA) confirme qu’« il n’existe pas de service d’aide à la personne, ni d’allocation personnelle d’autonomie pour les personnes âgées, handicapées ou dépendantes, ce qui pose problème pour les soins du corps ou les soins de suite, au retour de l’UHSI [unité hospitalière sécurisée interrégionale] par exemple ». Et depuis 2009, il
8 Rapport d’activités 2012 de la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré.
9 Compte rendu de la réunion du conseil d’évaluation, 27 juin 2013.
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« En arrivant ici, je demande à travailler, on me répond que dans le meilleur des cas il faut compter six mois. Pour faire un suivi psychologique, pareil, on me répond qu’il y a une liste d’attente très longue, qu’il faudra patienter. A part la cellule de six mètres carrés et la promenade, il n’y a rien à faire : la navette entre la cellule et la promenade… Déjà que je suis à plus de mille kilomètres pour le parloir, le directeur renvoie encore un courrier où il redemande tous les papiers qu’il a déjà eu pour le permis de visite. Il est beau le parcours dynamique ! » Courrier à l’OIP
ZOOM SAINTMARTINDERÉ n’y a toujours pas de pharmacien attitré, « pourtant nécessaire pour la qualité et la sécurité du circuit du médicament ». Les visites des autres spécialistes (dermatologue, ophtalmologue, etc.) se font en alternance, un mois à la Citadelle et un mois à la Caserne, ce qui fait dire à un détenu qu’« il est difficile d’être bien soigné et en temps voulu ». Les délais d’hospitalisation sont également longs et des annulations faute de place sont régulières. Sans compter les conditions d’accueil à l’hôpital de La Rochelle, décrites comme « un calvaire » par un détenu. « A l’hôpital, ne comptez pas sur le respect de l’intimité : c’est soit une consultation en public, soit une opération en public », déplore un autre détenu. Les chambres qui leur sont dédiées sont ainsi décrites par le personnel de l’UCSA : « La porte ressemble à une porte de prison. Derrière, il y a un sas semi obscur avec un policier, et qui s’ouvre sur les deux chambres. Il y a encore des progrès à faire sur ces espaces. » Des améliorations auraient déjà été apportées (eau chaude, accès à la radio et à la lecture), mais l’UCSA reconnaît qu’elles ont beau figurer dans le règlement, elles sont en réalité « bien aléatoires ». Côté soins psychologiques, la situation s’est améliorée. En 2009, le Contrôleur constatait que « les détenus qui demandent un suivi avec un psychologue doivent attendre un an avant d’avoir leur première rencontre à la Caserne ». En 2012, l’établissement « se félicite de la présence de [trois] psychologues » grâce aux moyens enfin affectés. Les consultations ont doublé en dix ans et les hospitalisations psychiatriques ont connu une forte hausse depuis 2010. Elles « traduisent le grand désordre psychologique voir psychiatrique d’une partie importante de la population pénale de Saint-Martin-de-Ré, s’agissant notamment des longs placements en unités pour malades difficiles10 ». Un détenu décrit à l’OIP sa prise en charge : « Pour ma part, j’ai un suivi psychologique une à deux fois par mois. La psychiatre, je ne la vois qu’une fois par an, pour faire le point. »
« Il faudrait être un héros pour arriver à s’en sortir » Les libérations conditionnelles (LC) sont en baisse à Saint-Martin-de-Ré. En 2012, seules onze personnes ont bénéficié de cette mesure, dont une avec expulsion et quatre pour rejoindre un autre établissement dans le cadre d’une semi-liberté ou d’un placement sous surveillance électronique probatoire. Elles étaient 38 en 2010 à avoir obtenu une LC. Au total, environ 70 % des demandes sont rejetées : « On manque vraiment de perspectives, on n’arrive pas à préparer leur sortie », déplore un ancien juge de l’application des peines (JAP) de La Rochelle. Il invoque l’accumulation des textes de loi ayant apporté des obstacles au prononcé d’aménagements pour les très longues peines. La présidente du tribunal de grande instance (TGI) de La Rochelle confirme que « la loi d’août 2011 a rendu plus compliqués, difficiles et longs pour une plus grande partie de la population pénale, 10 Rapport d’activités 2012 de la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré.
la préparation à la sortie et le parcours d’aménagement de peine ». Ainsi, aucune LC n’a eu lieu en 2012 pour les personnes de Saint-Martin-de-Ré entrant dans les catégories visées par cette réforme. En ajoutant des étapes dans l’instruction des demandes (passage dans un centre national d’évaluation, puis avis d’une commission pluridisciplinaire de sûreté), les délais de passage devant le tribunal d’application des peines ont explosé. La réunion mensuelle de la commission pluridisciplinaire de Rennes, dont dépend la centrale, ne lui permet d’étudier que quatre à cinq dossiers par séance, si bien que son délai d’instruction s’élève à dix-huit mois, alors que le délai légal est de six mois. Dans ces conditions, l’élaboration d’un projet de sortie avec le SPIP est devenu très difficile, si ce n’est impossible : il faudrait que l’emploi, la formation ou l’hébergement trouvés attendent pendant dix-mois mois que le détenu sorte ! Par exemple, quand un projet intègre une formation AFPA, la personne est inscrite « sur un programme annuel sans aucune assurance de reconduction. Ainsi le stage retenu lors de la requête est reporté voir annulé, faute d’avoir pu être intégré à temps. Le projet initial ne tient plus, un autre projet devant être élaboré », explique le SPIP11. Et de compléter : « Déjà avec six mois de délai, il était difficile d’utiliser les offres de Pôle emploi, il valait mieux passer par l’AFPA ou contacter une entreprise d’insertion qui pouvait maintenir l’offre d’emploi plus longtemps que le secteur privé classique. Mais là, avec dix-huit mois, c’est mission impossible ! » Pour des détenus âgés, qui ne sont plus dans une situation de recherche d’emploi ou dans une démarche de formation, « nous n’avons rien à proposer », déplore également le SPIP. Le plus souvent, ils purgent leur peine jusqu’à son terme. Les sorties sèches ont été au nombre de dix en 2012 à SaintMartin. L’absence de perspective de libération anticipée a de lourdes conséquences : les détenus « sont détruits par cette perspective de rien. Ce n’est pas un bon stimulateur », regrette un ancien JAP. Au quotidien, cela se traduit par un manque de motivation pour travailler, participer à des activités, prendre soin de soi, etc. « La prison se transforme en un pourrissoir où les gens dépérissent physiquement et psychologiquement et la fin des longues peines est très difficile. » Le juge décrit les difficultés de réadaptation de personnes ayant passé de longues durées en prison : « Une fois, un détenu incarcéré depuis 26 ans m’a demandé une permission de sortir avant sa libération, pour aller voir les rues de La Rochelle. Il est rentré catastrophé, il n’avait rien reconnu : les voitures, les prix, les gens parlant au téléphone dans la rue, etc. Le risque, c’est qu’ils soient perdus, car il y a une énorme inadaptation entre le dedans et le dehors. A l’intérieur on ne les y prépare pas du tout et ce qu’ils se prennent dans la figure en sortant est très violent. Il faudrait être un héros pour arriver à s’en sortir. » Delphine Payen-Fourment, coordination régionale OIP 11 Rapport d’activités 2012 du SPIP. Dedans Dehors N°82 Décembre 2013
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dossier
Longues peines : la logique d’élimination Erigés en figures de dangerosité perpétuelle, les condamnés en matière criminelle sont visés par une législation repoussant de plus en plus leurs possibilités de sortie de prison. Périodes de sûreté, obstacles à la libération conditionnelle, mesures de sûreté après la peine… semblent être venues compenser l’abolition de la peine de mort. Dans une même logique d’élimination. Les systèmes pénal et pénitentiaire aggravent ainsi voire fabriquent de la « dangerosité », avec des personnes qui n’ont rien à perdre, ne peuvent plus se projeter dans une échelle de temps accessible et voient leur capacité à retourner à la vie libre fortement amoindrie après une, deux, voire trois décennies de détention. Dedans Dehors N°82 Décembre 2013
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LONGUES PEINES : LA LOGIQUE D’ÉLIMINATION
Des condamnés pour crime minoritaires On en parle beaucoup, mais ils ne sont pas si nombreux. En 2010, il y a eu 2 706 condamnations prononcées en matière criminelle, contre 581 867 en matière correctionnelle (délits). « Cette différence massive justifie qu’on ne parle pas autant des faits les plus tragiques et que les évolutions du droit pénal ne soient pas réalisées en fonction de ces seules catégories d’infractions », interpelle la présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, Christine Lazerges. Les atteintes à la personne (2 147) représentent l’essentiel des condamnations pour crime, et au sein de cette catégorie, les viols sont les plus nombreux (1 356). En 2010, les peines prononcées par les cours d’assises comprennent seize réclusions criminelles à perpétuité, 188 peines de vingt ans et plus et 1 695 peines de cinq à moins de vingt ans.
L’élimination en guise de politique pénale « L’abolition de la peine de mort en 1981 impose que l’on réfléchisse à la façon de punir les crimes les plus odieux et à ce que l’on attend de la prison. Priver quelqu’un de liberté à perpétuité, c’est le faire mourir lentement. […] Il serait profondément hypocrite d’abolir la peine de mort […] sans envisager la réintégration sociale et sans accepter aussi les risques sociaux que suppose cette réintégration1 » proclamait l’Assemblée nationale dans son rapport sur les prisons de 2000. L’hypocrisie perdure cependant. Les peines maximales en France restent très élevées : cinq pays en Europe (Croatie, Norvège, Portugal, Slovénie et Espagne) n’ont pas de peines de prison à vie. En Allemagne ou en Finlande, la peine maximale (hors perpétuité) est fixée à quinze ans, et 25 ans au Portugal. A cette échelle des peines sévère, peut s’ajouter une période de sûreté, pendant laquelle tout aménagement de peine est impossible. Elle peut s’étendre jusqu’au deux tiers de la peine pour une peine à temps, jusqu’à 22 ans pour la perpétuité, voire être illimitée pour les crimes passibles de la perpétuité incompressible. Au cours de la dernière décennie, une multitude d’obstacles à la libération conditionnelle (LC) des condamnés aux plus longues peines a en outre été mise en place. La loi du 10 août 2011 a ainsi conditionné l’octroi de la LC à un « avis systématique de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, après examen au centre national d’évaluation ». Il est ainsi devenu « impossible d’examiner la demande du condamné dans un délai raisonnable, car plus d’une année s’écoule entre la demande et l’examen au fond2 », déplore le jury de la Conférence de consensus. Un tel tempo s’avère en effet incompatible avec celui d’un éventuel employeur ou d’une structure d’hébergement, ce qui fragilise le projet d’insertion et entraîne des rejets en cascade. En lieu et place des libérations conditionnelles, ont émergé des mesures de sûreté pouvant s’appliquer après la peine et 1 J. Floch, Rapport fait au nom de la Commission d’enquête sur la situation dans les prisons françaises, Assemblée nationale, 28 juin 2000. 2 Conférence de consensus pour la prévention de la récidive, Rapport final, février 2013
visant à prévenir une récidive, non à sanctionner un fait commis. L’inscription au Fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles a ainsi été instaurée en 2004 : les individus fichés doivent, après l’exécution de leur peine, justifier de leur résidence au moins une fois par an et déclarer tout changement dans les quinze jours ; certains doivent pointer directement au commissariat tous les six mois, pour des périodes pouvant aller jusqu’à trente ans. En 2005, la création d’une nouvelle mesure de surveillance judiciaire permet d’imposer un contrôle et un suivi à la sortie de prison, pour une durée correspondant aux réductions de peine accordées. Un pas supplémentaire est franchi en 2008 avec la rétention de sûreté, qui permet d’incarcérer après la fin de peine une personne estimée dangereuse dans un centre socio-médico judiciaire de sûreté. Conspuant l’hypocrisie, dix condamnés à de longues peines détenus à Clairvaux en ont appelé en janvier 2006, « au rétablissement de la peine de mort », préférant « en finir une bonne fois pour toutes plutôt que de crever à petit feu ». L’un d’eux, Abdelhamid Hakkar, libéré en 2012 après 28 ans de prison, s’en explique : « Non seulement le législateur allonge les périodes de sûreté, mais nombre de longues peines se voient encore refuser tout aménagement longtemps après la fin de leur sûreté. La mienne était fixée à 16 ans, et au bout de 22 ans, j’étais toujours en prison. Alors que je n’avais plus de rapports d’incident, que je présentais des projets de réinsertion… Alors, oui, ce manifeste disait : “exécutez-nous au lieu de nous tuer à petit feu’’ ».
Des condamnés qui n’ont plus rien à perdre En guise de neutralisation et de prévention du crime, la législation pénale aurait plutôt pour effet d’accroître la « dangerosité » de personnes n’ayant aucune perspective de réinsertion avant dix, quinze, vingt, trente ans. Soit une échelle de temps dans laquelle aucun être humain ne peut se projeter. Yvan Laurens et Pierre Pedron, respectivement directeur des services pénitentiaires et magistrat, observent une « affirmation obsessionnelle du “plus rien à perdre’’ qui renforce la haine de la justice, de la société et exacerbe le sentiment d’abandon. Cela se traduit par des comportements violents, des évasions ou des tentatives très agressives et spectaculaires, par la réitération des crimes ou de délits dans l’enceinte même de la prison. » Et de nouvelles condamnations s’ensuivent, sans compter une réponse pénitentiaire enfermée dans un cycle « isolement, mitard, transfert ». L’emprisonnement devient alors une sorte de « pourrissoir », une machine à rendre des individus inaptes à la vie libre. Prisonnier de sa période de sûreté ou de sa peine sans fin « le détenu sait qu’il est enfermé dans une échéance certaine qui inhibe l’éventuel travail sur lui-même, son “geste’’, sa culpabilité, ses victimes »3.
Un risque de récidive accru par le manque d’accompagnement « La sécurité des Français se joue au moment de la sortie du détenu et non à son entrée en prison », rappelle le Contrôleur général 3 Y. Laurens et P. Pedron, Les très longues peines de prison, l’Harmattan, 2007. Dedans Dehors N°82 Décembre 2013
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des lieux de privation de liberté. Il est donc crucial que la sortie se déroule « selon un processus programmé, assisté et contrôlé4 ». Professionnels et chercheurs insistent sur la nécessaire progressivité du retour à la vie extérieure. « Les difficultés purement physiologiques ou de réadaptation à la vie extérieure, avant même de parler de récidive sont occultées » estime Loïc Lechon. Pour le conseiller d’insertion et de probation, audelà de dix ans de détention, « il devient difficile de se maintenir dans une dynamique personnelle, de ne pas de dégrader, notamment au niveau psychologique ». Certains condamnés refusent d’envisager leur sortie tant elle les angoisse. Ils se terrent en cellule, n’ouvrent leur porte que pour recevoir Cellule d’un condamné à une longue peine au centre pénitentiaire de Caen les repas. Pour eux comme pour les autres, l’aménagement de peine représente « la meilleure façon d’ins- Revenir sur des dispositifs inefficaces et crire un projet de réinsertion », il permet une « transition entre liberticides une détention au sein de laquelle se prépare le projet, et un suivi sur l’extérieur immédiatement mis en place », plaide le juge de « Les multiples réformes ayant aggravé la répression pour mieux lutter contre la récidive n’ont donné aucune résultat. Quand un l’application des peines Jean-Claude Bouvier. dispositif très attentatoire aux libertés est inefficace, il faut reveUne logique qui peine à se traduire dans les pratiques judi- nir en arrière » plaide Christine Lazerges. Le projet de réforme ciaires, désormais soumises à la vindicte des politiques et des pénale présenté en octobre 2013 occulte pourtant la question médias. En 2012, le taux de sortie « sèches » est de 78 % et des longues peines : seul est prévu un examen obligatoire de d’octroi d’une libération conditionnelle de 6,3 %. « On n’est la situation de toute personne condamnée aux deux tiers de pas masochistes ! » s’exclame une juge de l’application des la peine (18 ans pour les condamnés à perpétuité) en vue peines. « Si vous accordez une libération conditionnelle et qu’il d’une éventuelle « libération sous contrainte ». L’option d’une se passe quelque chose, on viendra vous chercher. Tandis que libération conditionnelle d’office a été envisagée… puis écardans le cadre d’un suivi socio-judiciaire ou d’une surveillance de tée par le gouvernement. Elle permettrait pourtant de lever sûreté, on considérera que vous avez fait ce qu’il fallait. »5 D’un l’ensemble des obstacles à une sortie préparée et encadrée. bout à l’autre du processus, les professionnels ouvrent le para- Elle obligerait peut-être enfin la France à réfléchir à ce qui se pluie : « L’expert préférera n’exclure aucun risque d’un éventuel passe pendant la détention pour les auteurs des infractions nouveau passage à l’acte, là où les JAP ne prendront pas le risque les plus graves. Les dispositifs visant à évaluer la dangerosité d’aller contre l’avis des experts. Une fois le processus enclenché, il en fin de peine, à repousser la libération et à l’assortir d’une semble peu probable que la machine s’arrête.6 » mesure de sûreté masquent mal le vide d’accompagnement, de programmes adaptés ou de suivi thérapeutique proposé Au lieu de supprimer le risque en maintenant les personnes aux longues peines. Investir le temps de détention, pour des enfermées, le dispositif contribue à l’accroître en détention, durées moins longues, c’est aussi ce que demandent certaines mais aussi à la sortie, qui arrive trop tard et n’intervient pas dans victimes de faits graves. Telle Brigitte Sifaoui, qui s’exprimait le cadre plus sécurisé de l’aménagement de peine. Et Jeandans les colonnes de Dedans-Dehors en décembre 2011 : Claude Bouvier de lever un paradoxe sur les périodes de sûre« Aujourd’hui, je pense que l’essentiel se situe davantage dans le té : « non seulement aucun aménagement de peine n’est possible contenu que dans la durée de la peine. En trente ans de détenpendant cette période, mais avec le jeu des réductions de peine, le tion, l’assassin de mon frère n’a bénéficié d’aucun suivi psychoterme de la période de sûreté peut aussi devenir voisin de la fin de logique, aucun travail de réflexion sur son acte. J’aurais préféré peine. Si bien qu’à la fin de la période de sûreté, il devient difficile, qu’on me dise : on va le garder cinq ou dix ans, pendant lesquels voire impossible, de mettre en place un aménagement de peine. ce travail va être fait et les conditions de sa sortie bien prépaNous en arrivons à ce paradoxe : les périodes de sûreté entraînent rées ». Le choix de la réhabilitation est là, il offre davantage les situations les plus risquées en termes de récidive ». de perspectives d’évolution au condamné ayant commis un fait grave. Il évite aussi à la société de fabriquer encore plus 4 Recommandation (2003)22 concernant la libération conditionnelle, 24 septembre 2003. de dangerosité à travers la réponse qu’elle apporte au crime. 5 N. d’Hervé, A. Morice, Justice de sûreté et gestion des risques, L’Harmattan, 2010. 6 N. d’Hervé, A. Morice, ibid, 2010. Dedans Dehors N°82 Décembre 2013
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Barbara Liaras et Sarah Dindo
© Samuel Bollendorf
dossier
LONGUES PEINES : LA LOGIQUE D’ÉLIMINATION
« Les peines maximales en France sont démesurées » Présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, Christine Lazerges met en cause la durée excessive des peines et des périodes de sûreté en France, en tant qu’atteinte disproportionnée aux libertés. Elle revient sur le « droit pénal de la dangerosité » et demande une clarification sur les mesures de sûreté. des crimes et que ce texte cible uniquement certains délits. C’est très regrettable au regard des droits et libertés fondamentaux. Quelques dispositions du projet de loi concernent néanmoins les condamnations en matière criminelle… Professeur de droit, Christine Lazerges a été maire-adjoint à Montpellier, puis députée de l’Hérault entre 1997 et 2002.
Comment expliquez-vous que la question des longues peines soit globalement écartée du projet de réforme pénale ? Le champ de cette réforme s’avère beaucoup plus restreint que ce qui avait été envisagé dans un premier temps. L’avant-projet cible les infractions de moyenne importance et propose un nouveau dispositif correspondant à ce qu’on peut espérer être une sanction intelligente pour cette catégorie d’infractions. Je pense qu’il n’y avait pas d’accord au sein du Gouvernement sur la question des longues peines, en dépit des préconisations de la Conférence de consensus. J’aurais souhaité que ce projet embrasse tout le champ des délits et revienne notamment sur des dispositions qui ont signé un « droit de la dangerosité », construit sur le sable et transgressant les assises du droit pénal. Pouvez-vous rappeler en quoi les mesures de sûreté auxquelles vous faites référence représentent une transgression ? L’assise fondamentale du droit pénal est le principe de la légalité des délits et des peines. D’une part, l’infraction doit être suffisamment précise pour que l’on puisse rapporter la preuve des faits incriminés. Par exemple, le harcèlement sexuel a été considéré comme défini de façon insuffisamment précise par le Conseil constitutionnel, qui a annulé cette incrimination. D’autre part, la peine encourue pour chaque infraction doit être définie dans son maximum. Or, une mesure comme la rétention de sûreté, introduite par la loi de février 2008, est « une peine après la peine », ne sanctionnant pas une infraction mais une présomption de dangerosité. Cela vient rompre avec le principe de légalité. Le projet de réforme pénale ne revient pas sur la rétention de sûreté, parce que cette mesure ne s’applique qu’à
Oui, la suppression des peines plancher et la nouvelle procédure de libération sous contrainte. Néanmoins, l’essentiel du texte ne concerne qu’une partie de la matière correctionnelle avec une mesure nouvelle centrale, la contrainte pénale, ce qui rend plus difficile de critiquer l’absence de dispositions sur les longues peines. Pour autant, nous aurions pu attendre d’un projet qui sera peut-être la seule réforme pénale du quinquennat, qu’il abroge au moins toutes sortes de dispositions contre lesquelles la gauche s’était insurgée avec force pendant le précédent mandat présidentiel. Dans le contexte actuel, vous paraît-il encore possible de revenir sur les mesures de sûreté et les obstacles aux mesures d’aménagement pour les longues peines ? De mon expérience de parlementaire, je peux dire que si les rapporteurs du projet de loi à l’Assemblée nationale et au Sénat ont la volonté d’enrichir un texte, ils le peuvent. Mais le contexte social et politique ne leur rendra évidemment pas les choses faciles. J’ai toujours pensé que l’abrogation de la rétention de sûreté et des peines plancher aurait dû se faire en juillet 2012, immédiatement après l’élection présidentielle. Nous savions tous que la crise économique ne serait pas un passage éclair. Et nous connaissons les liens entre un contexte général de précarité sociale et la réprobation à l’égard de dispositions soutenant la réinsertion des délinquants. En ce sens, la réforme pénale a déjà beaucoup trop tardé. Avec quels arguments faut-il défendre la suppression des mesures de sûreté et l’aménagement des longues peines ? Rappelons déjà la responsabilité de politiques qui exploitent chaque fait divers dramatique dans l’idée plus ou moins consciente d’affoler le citoyen sur la situation de la sécurité en France. Les crimes les plus graves sont aussi les moins nombreux : 507 000 condamnations en matière correctionnelle prononcées en 2010, et 2 715 en matière criminelle. En 2011, Dedans Dehors N°82 Décembre 2013
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dossier les condamnations aux Assises baissent : 2 529. Cette différence massive justifie qu’on ne parle pas autant des faits les plus tragiques et que les évolutions du droit pénal ne soient pas réalisées en fonction de ces seules catégories d’infractions. Rappelons aussi que le risque zéro n’existe pas plus en matière de prévention de l’insécurité, qu’en matière médicale, sociale, environnementale. Et que le principe de précaution doit être appliqué en pleine conscience de ses effets pervers. En matière pénale, si l’objectif premier est de lutter contre la récidive, il faut logiquement passer par la mise en œuvre de tous les dispositifs qui favorisent la réinsertion, dont les aménagements de peine. Enfin, insistons plus que tout sur le fait que les multiples réformes ayant aggravé la répression pour mieux lutter contre la récidive n’ont donné aucun résultat. Quand un dispositif très attentatoire aux libertés est inefficace, il faut revenir en arrière. Faut-il demander la suppression de l’ensemble des mesures de sûreté ou faites-vous une différence entre rétention de sûreté et surveillance judiciaire ?
« La durée des peines prononcées est irréaliste. Elle tue l’espoir. Le sens même de la peine est tronqué, la plupart des magistrats négligeant son versant ré-adaptatif pour ne s’attacher qu’à sa partie répressive. Arrive le moment où la sentence n’a plus de sens. La prison pour la prison est sans effet. A force de subir, on risque de régurgiter sur le groupe social ce qui a été enduré intra muros, dès lors aucune prise de conscience ne s’effectue. » Homme incarcéré depuis 12 ans, fin de peine en 2019 « Jusqu’à 5/7 ans de prison, un détenu dépense une énergie intense pour se reconstruire, se racheter, se réintégrer et s’élever le plus haut possible. Au-delà, il gaspille une énergie considérable pour ne pas repartir en arrière ou perdre l’espérance. Les quatre premières années m’ont été très utiles pour la restructuration de ma personnalité et ma thérapie. Mais maintenant c’est trop long et cela pèse inutilement. » Homme incarcéré depuis 6 ans, fin de peine en 2017 D’une façon générale, il faudrait clarifier les choses : dans le code pénal, il n’y a pas de partie ou de titre concernant les « mesures de sûreté », alors qu’elles peuvent être aussi afflictives et pesantes qu’une peine pour le condamné. La France avance sur ce sujet dans un flou artistique total. Par exemple, le suivi socio-judiciaire a été qualifié de peine par la Cour de
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La rétention de sûreté, on ne sait pas vraiment quelle est sa nature juridique. Il n’est pas écrit qu’il s’agit d’une mesure de sûreté. Le Conseil constitutionnel nous dit que ce n’est pas une peine, mais il lui applique le régime des peines en refusant son application à des faits commis avant son entrée en vigueur. Il s’agit à mon sens d’une véritable peine : une privation de liberté qui ne peut être prononcée que si la cour d’Assises l’a prévue et motivée au moment de la condamnation. La surveillance judiciaire est pour sa part clairement référencée comme mesure de sûreté.
Des peines trop longues tuant tout espoir
Cellule d’un condamné à 20 ans au centre pénitentiaire de Caen Dedans Dehors N°82 Décembre 2013
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LONGUES PEINES : LA LOGIQUE D’ÉLIMINATION cassation, mais certaines mesures qui peuvent l’assortir ont été qualifiées par le législateur de mesures de sûreté. Si l’on veut un système où cohabitent des peines et des mesures de sûreté, inscrivons-le clairement dans le code pénal et précisons le régime juridique applicable à ces deux catégories de sanction. A ce moment-là, ce qui restera à critiquer dans les mesures de sûreté, ce sont les atteintes aux libertés disproportionnées.
beaucoup moins lourdes. En France, il y a aussi un transfert important de personnes relevant de la psychiatrie sur la Justice. On invoque trop facilement l’idée de peine « thérapeutique », tant pour les condamnés que pour les victimes. Il faut cesser de faire croire aux victimes qu’elles pourront faire leur deuil parce qu’elles auront vu un psychotique comparaître devant un jury d’assises.
Pouvez-vous expliquer ce principe de proportionnalité ?
Recueilli par Sarah Dindo
Sur la question des atteintes aux droits fondamentaux, il y a souvent conflit entre plusieurs droits : par exemple, le droit à la présomption d’innocence qui peut s’opposer au droit à la liberté d’expression ou à la liberté d’information. Il s’agit donc de juger la proportionnalité entre la décision prise et le droit qui était en jeu : on peut parler d’arbitraire quand il y a disproportion. La rétention de sûreté peut être considérée comme une atteinte disproportionnée. Il y a un autre argument à l’appui de sa suppression : le centre socio-médico judiciaire de sûreté de Fresnes tourne quasiment à vide (quatre personnes y sont passées en cinq ans, pour de courtes durées). En période de crise économique, il faut dire aux Français que l’on consacre de gros moyens pour presque personne, ce qui montre bien l’inutilité du dispositif. Il y a un défaut de pédagogie auprès des habitants de ce pays sur ce qu’est la sanction pénale, ce qui fonctionne ou pas, ce qui est utile ou ne l’est pas. En dehors des efforts louables de la garde des Sceaux, la déconstruction d’un discours hostile à tout ce qui pourrait ressembler à un avantage accordé aux délinquants n’est pas assurée en ce début de mandat présidentiel. Peut-on aussi invoquer le principe de disproportion à l’égard des périodes de sûreté ? On peut l’invoquer à propos de la durée des périodes de sûreté. Ne pouvoir prétendre à aucun aménagement de peine pendant vingt ou trente ans, c’est disproportionné au regard des libertés fondamentales et du droit à la sûreté (ne pas être détenu arbitrairement). C’est en outre contre-productif en termes de réinsertion. Il est par exemple disproportionné d’empêcher un détenu de se rendre aux obsèques de l’un de ses parents parce qu’il est soumis à une période de sûreté de quinze ans alors que l’enterrement a lieu quatorze ans après son entrée en détention. Avec la période de sûreté, la porte est ouverte à une disproportion entre la sanction et l’atteinte à la liberté. Et sur la durée des peines, de manière générale, dans le droit français ? Les peines maximales en France sont démesurées. Quand on explique qu’un mineur de plus de seize ans peut être condamné à la réclusion à perpétuité, on a peine à le croire. Récemment, un article du Monde titrait : « l’Espagne durcit la répression pour les mineurs délinquants ». On y apprenait que la peine maximale venait de passer de six à huit ans ! Nous avons aussi beaucoup à apprendre des pays nordiques qui n’ont pas plus de récidive que nous avec des peines maximales
Ecouter, accompagner, responsabiliser ? « Pour prévenir la récidive, l’administration devrait écouter, accompagner, responsabiliser. Humaniser les prisons tout simplement et respecter la dignité de chacun des détenus, car ils sont amenés à retrouver la liberté tôt ou tard. Ce n’est pas en rabaissant, en humiliant, que l’on permet une prise de conscience du respect de l’autre, une compréhension de sa faute. Bien au contraire... il peut arriver que l’on génère la haine. » Homme incarcéré depuis 8 ans, fin de peine en 2022 « La mission de prévention de la récidive n’est pas investie, seule la sécurité et la répression le sont. Un exemple : un détenu fait une tentative d’évasion, sans violence, il aura 3 à 5 ans de prison + quartier d’isolement + retrait des remises de peine. Et l’administration débloquera des centaines, voire des milliers, d’euros dans des filets, barbelés, etc. Le même décroche un doctorat : aucune remise de peine ou aménagement prévu. Il est même exclu des bourses universitaires. » Homme incarcéré depuis 12 ans, fin de peine en 2051 « La vie carcérale affecte beaucoup le comportement du détenu, la méfiance, la suspicion, une certaine parano ambiante et la rivalité cultivée par la population pénale et l’administration pénitentiaire sont autant de facteurs qui perturbent le mental. Sans une force mentale hors du commun, certains détenus abandonnent toute forme de résistance et se laissent vivre. Ils négligent leur hygiène, se lèvent à n’importe quelle heure et se retranchent dans la drogue légale ou illégale. En définitive, je pense que la prison telle qu’elle fonctionne actuellement déstructure plus qu’elle ne structure. L’expression et le dialogue restent voués au strict minimum. Pour qu’il y ait du dialogue, il faudrait au moins qu’il y ait de l’écoute, ce qui n’est pas le cas. Aucun crédit n’est donné à la parole du détenu même lorsque celle-ci est argumentée. Un détenu responsable, qui plus est ayant l’intention de donner son avis sur la prison, est considéré par l’administration pénitentiaire comme un trublion. Je vous cite la réflexion que m’a adressée le chef de la sécurité de la maison centrale : « Un bon détenu est un détenu silencieux ». Ce à quoi j’ai répondu : « seuls les morts sont silencieux ». Homme incarcéré depuis 11 ans, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité Dedans Dehors N°82 Décembre 2013
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« Lutter contre la sur-adaptation carcérale » Conseiller d’insertion et de probation à la centrale de Saint-Martin-de-Ré, Loïc Lechon décrit un phénomène de sur-adaptation des condamnés à de longues peines, qui finissent par se replier et ne plus vouloir ou pouvoir sortir de prison. Sont en cause des perspectives trop lointaines pour accéder à une libération conditionnelle, le manque d’échéances tout au long du parcours pénitentiaire et de prise en compte des difficultés de réadaptation à la sortie.
Comment se traduit dans la maison centrale où vous exercez la primauté donnée à l’objectif de neutralisation des condamnés à de longues peines ? Cette volonté de neutralisation se traduit par des échéances très lointaines avant lesquelles aucun aménagement de peine ne peut être demandé (période de sûreté ou durée de peine très longue). Vous comme moi, nous sommes incapable de nous projeter à dix ou quinze ans. C’est la même chose en détention : si le rapport au temps n’est plus possible en termes de projection, le temps d’incarcération est figé, privé de dynamique. Les personnes condamnées à perpétuité le vivent plus fortement encore, en l’absence d’échéance de fin de peine et faute de bénéficier des réductions de peine supplémentaires. Elles sont alors souvent cantonnées au très court terme, vivent au jour le jour, ne voient pas plus loin que la semaine de détention. Ou, a contrario, sont aspirées par le très long terme, dans l’utopie d’une libération qui ne pourra pourtant pas intervenir avant de très nombreuses années. Une recommandation européenne de 2003 sur la gestion des condamnés à de longues peines préconise le développement d’outils spécifiques pour assurer une exécution « dynamique » de ces détentions. Ces outils existent-ils en France ? Nous travaillons à partir du Parcours d’exécution de la peine (PEP), qui permet une projection temporelle à un an. Mais cet outil n’est pas spécifique aux longues peines et il n’est pas toujours facile à alimenter à long terme. En maison centrale, l’accès à un travail en constitue le premier élément. Sans travail ou activité de formation, il est plus compliqué de se projeter de manière dynamique. A Saint-Martin-de-Ré, près de la moitié des personnes détenues suivent un parcours d’enseignement : des cours de langue ou d’informatique sur plusieurs semaines, mais aussi des remises à niveau de base, jusqu’à des cursus universitaires. Outre une formation, cela leur permet d’avoir des échéances : tel jour, j’ai cours avec tel enseignant ; en fin de semestre, j’ai un examen ; l’année prochaine, Dedans Dehors N°82 Décembre 2013
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Loïc Lechon est l’auteur d’une étude sur l’effectivité de la perpétuité et les freins à l’octroi des aménagements de peine, dont la synthèse « Perpétuité, une réclusion à vie ? » a été publiée en juillet 2009 (Chroniques du CIRAP, n°5).
je peux me projeter au niveau supérieur. L’ouverture en 2004 des Unités de vie familiale (UVF) [petits appartements dans lesquels les détenus peuvent accueillir leurs proches pour des durées de 6 à 72 heures dans des conditions préservant leur intimité] a aussi introduit de nouveaux repères temporels. Je pense à un condamné ayant une période de sûreté, à qui cela a ouvert des perspectives : faire une demande d’UVF comme tout le monde, puis passer en commission pour l’octroi. Ensuite, il se projette sur la demande suivante. Il a fini par me dire : « A présent je compte ma peine en UVF, je suis réinscrit dans le temps. » Il n’y a pas d’outils magiques. Mais il faut à mon sens éviter l’occupationnel et privilégier les activités qui permettent aux personnes de se projeter dans le temps de manière réaliste, avec des échéances et des objectifs précis. Observez-vous différentes étapes dans l’exécution d’une longue peine ? J’entends souvent les personnes détenues mentionner la fracture des dix ans. C’est encore une durée pendant laquelle on peut évoluer, avoir une réflexion sur l’acte commis, comprendre la sanction. Passé ce temps, on enfile les années un peu comme des perles. Il devient difficile de se maintenir dans une dynamique personnelle, de ne pas se dégrader, notamment au niveau psychologique. Au-delà de trente ans, les libérations qui se soldent par un succès et une réadaptation se font rares. Le choc est trop important et la personne ne supporte pas le contexte très
LONGUES PEINES : LA LOGIQUE D’ÉLIMINATION cadré de l’aménagement de peine, les contraintes à respecter, cela finit souvent en révocation. Parmi les personnes que j’accompagne, le dernier condamné à perpétuité qui a été libéré avait été incarcéré à l’âge de 20 ans. Il en avait 50 au moment de sa sortie et s’interrogeait très lucidement : « Après trente ans de détention, où est ma place en milieu libre ? » Un autre a développé un cancer dans les six mois de sa sortie et malheureusement est décédé.
« Certains condamnés à de très longues peines voient leurs perspectives bouchées, non en raison de risques de récidive criminelle mais d’une sur-adaptation carcérale : la sortie les angoisse »
Quels obstacles entravent les perspectives de libération des très longues peines ?
Il est compréhensible qu’en matière criminelle, toutes les précautions soient prises. Une évaluation pluridisciplinaire dans un Centre national d’évaluation (CNE) peut s’avérer utile. C’est l’automaticité introduite par la loi d’août 2011 qui pose problème, et entraîne des lourdeurs considérables. Près des deux tiers des condamnés en maison centrale doivent désormais se soumettre à une évaluation de la dangerosité dans un CNE, à laquelle s’ajoute un avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté. Le délai entre le dépôt de la demande et la décision des juges, qui était de six-sept mois, a doublé, allant parfois jusqu’à dixhuit mois. Un laps de temps pendant lequel le projet d’insertion a toutes les chances de devenir caduque, notamment en termes d’emploi ou d’hébergement.
Certains voient leurs perspectives bouchées, non en raison de risques de récidive criminelle mais d’une sur-adaptation carcérale : la sortie les angoisse. J’ai entendu à plusieurs reprises des gens me dire qu’ils préféreraient rester en prison. Ils sont accessibles à la conditionnelle, parfois depuis plus de dix ans, mais refusent d’engager les démarches. D’autres marquent un rejet très fort de l’institution, et ne veulent pas avoir à lui « demander » une conditionnelle. Pour peu que leurs relations avec les codétenus et le personnel de surveillance soient bonnes, certains trouvent même une nouvelle identité sociale en détention. D’autres vivent au fil des ans un véritable effondrement psychique, refusent de quitter leur cellule, restent isolés. Certaines expertises psychiatriques emploient le terme de « psychose carcérale ». Dans la mesure où ces personnes ne se manifestent pas par des crises, des cris ou autres et ne font aucune demande de soins, les thérapeutes n’interviennent pas. On a tendance à les oublier. Par exemple, un homme détenu à la centrale n’a pas surmonté le passage à l’euro en 2002 : il a arrêté de travailler, n’a plus cantiné alors qu’il dispose de plus de 500 euros sur son pécule, et vit dans un repli total. Un autre ne se manifestait jamais, nous nous sommes aperçus en examinant sa situation lors des premières commissions de suivi qu’il était libérable dans deux ans – ce qui pour nous reste du « court terme » – et que nous le connaissions à peine. Nous sommes allés le voir, pour nous rendre compte qu’il n’acceptait d’ouvrir sa cellule que pour les repas, ne sortait pas, ne faisait rien. Il a expliqué qu’avec cette « tactique », il espérait qu’on allait l’oublier et le garder au sein de la prison. En l’absence de structures spécialisées, il nous est difficile de prendre en charge ces profils psychiatriques, nous sommes face à une impasse institutionnelle. Le durcissement des conditions d’octroi de la libération conditionnelle est-il également en cause ? Le nombre de libérations conditionnelles pour les condamnés à de longues peines a chuté après l’affaire Tony Meilhon en janvier 2011 [le meurtre de la jeune Laëtitia à Pornic, à la suite duquel le président Nicolas Sarkozy a mis en cause les acteurs judiciaires et pénitentiaires]. Le durcissement des conditions d’octroi des conditionnelles opéré par la loi du 10 août 2011 résulte aussi de ce fait divers. A Saint-Martin-de-Ré, les deux tiers des libérations intervenaient sous le régime de la conditionnelle. Après 2011, ce n’est plus qu’un tiers.
Connaissant ces délais, nous enclenchons les démarches pour un aménagement bien plus longtemps avant la fin de peine. Ce qui nous expose à des refus de l’autorité judiciaire, qui estime qu’à cinq ou six ans de la fin de peine, l’échéance est trop lointaine. Lorsque la première permission de sortir est finalement accordée, la fin de peine apparaît trop proche pour que ce soit intéressant. Une personne ayant déjà passé vingt ans en détention ne s’engagera pas dans ce processus compliqué, pour être finalement libérée quelques mois avant la fin de sa peine. Les mesures d’accompagnement et de suivi des personnes libérées après une longue peine vous semblent-elles adaptées ? La difficulté à sortir de prison après une longue peine me semble fort sous-estimée dans le cadre des aménagements de peine. Les difficultés purement physiologiques ou de réadaptation à la vie extérieure, avant même de parler de récidive, sont occultées, alors qu’elles sont prégnantes. J’ai accompagné un homme, incarcéré depuis dix-sept ans, qui avait obtenu une libération conditionnelle avec une semi-liberté probatoire. Son projet de sortie était finalisé, il allait devoir travailler, prendre les transports en commun… Lors d’une permission de sortir préalable, que j’ai proposée car il nous restait deux mois, nous avons réalisé qu’il ne pourrait pas tenir ses engagements. Non pour des raisons de dangerosité, mais parce qu’il n’était plus capable de marcher plus de dix minutes sans s’asseoir sur un banc, il était trop essoufflé. Il ne savait plus marcher avec des baskets aux pieds, car depuis sept ans il ne portait que des sandales pour son travail au service général et ne pratiquait aucun sport. A force de se focaliser sur des éléments techniques et Dedans Dehors N°82 Décembre 2013
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dossier procéduraux de plus en plus complexes, on en vient parfois à négliger des facteurs humains pourtant déterminants dans la réussite d’un aménagement de peine. Quelles améliorations faudrait-il apporter ? Les critères et pratiques actuels pour l’octroi d’un aménagement de peine ne permettent pas suffisamment de travailler la progressivité du retour en milieu libre. Par exemple, il est demandé à une personne de présenter un projet de travail classique, alors qu’elle n’a connu pendant des années que le travail carcéral. Même les conditions proposées par des entreprises d’insertion ou Emmaüs restent parfois trop décalées au regard de ce que les gens ont vécu en détention. Pour les très longues durées de détention, il faudrait disposer de structures intermédiaires spécifiques, avec des ateliers de réadaptation plutôt que de production, et aussi en mesure d’assurer un hébergement. Idéalement, nous aurions besoin d’une période d’un an à l’extérieur avant de pouvoir replacer la personne dans un milieu de travail ordinaire. Nous devrions travailler par sas, alors que les dispositifs juridiques l’empêchent aujourd’hui. Pendant la période de sûreté, rien n’est possible. Et une fois que la personne devient accessible à un aménagement de peine, le nombre d’étapes avant le retour en milieu libre s’avère très limité, bien que la procédure soit longue : une ou deux sorties sous escorte, une ou deux audiences devant le tribunal de l’application des peines… Et la personne part directement en aménagement de peine probatoire (semi-liberté ou placement sous surveillance électronique mobile – PSEM). Davantage de permissions ou autorisations de sortie seraient nécessaires pour une réadaptation à l’environnement extérieur et pour mieux préparer le projet d’insertion. Vous souhaitez la réactivation des procédures de commutation et de réduction du temps d’épreuve. Quels sont leurs avantages ? La commutation (qui consiste à substituer une peine à temps à la peine perpétuelle) serait utile dans certaines situations. Elle pourrait concerner par exemple des personnes qui ont été condamnées à perpétuité dans les années quatre-vingt, quand la peine de 30 ans n’existait pas. Ce sont des cas de meurtre sans circonstances aggravantes ni préméditation, par exemple un braquage qui a mal tourné. Jugées aujourd’hui, elles ne seraient vraisemblablement pas condamnées à perpétuité, mais à une peine criminelle à temps. Plusieurs de ces personnes ne peuvent pas sortir, non pas à cause d’un risque de récidive criminelle, mais par défaut de possibilité d’aménagement de peine, la procédure d’aménagement de peine perpétuelle et la prise de décision étant bien plus lourde que pour des peines à temps. Leur situation est bloquée et elles développent souvent des pathologies psychiatriques ou une incapacité à se réadapter à la vie libre. La procédure de réduction du temps d’épreuve (pendant lequel il n’est pas possible d’obtenir une conditionnelle) Dedans Dehors N°82 Décembre 2013
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permettrait pour sa part de dynamiser la gestion du temps, et par conséquent de lutter contre la sur-adaptation. Il me paraît intéressant de pouvoir proposer à une personne qui s’investit un autre horizon que la fin de sa période de sûreté. Aujourd’hui, seules sont possibles les réductions de périodes de sûreté, qui restent très rarement accordées. Une nouvelle procédure plus régulière, permettant par exemple une réduction d’un mois par an de cette période de sûreté, permettrait d’apporter une réponse institutionnelle régulière aux efforts investis dans un parcours d’exécution de peine perpétuelle, sans pour autant dénaturer la décision de la cour d’assises. Propos recueillis par Barbara Liaras
Manque d’activités et sentiment de régression « Je vis le temps qui passe en prison comme une perte de temps. C’est un temps figé, suspendu à une longueur de peine interminable. L’oisiveté prenant le dessus, sans intérêt particulier pour un retour à la liberté. » Homme incarcéré depuis 7 ans et demi, fin de peine en 2023 « Pour survivre détenu, il faut obligatoirement se créer son propre programme afin de ne pas sombrer et de garder le cap jusqu’à l’élargissement. Il convient de se prendre en mains, de se fixer des jalons, de s’y tenir, de regarder ce qui a été pénalement accompli et de ne pas trop s’attacher à ce qui reste à faire. On pénètre dans une logique de survie où le quotidien carcéral est une gangrène qu’il faut contenir. » Homme incarcéré depuis 12 ans, fin de peine en 2019 « Dans l’établissement où je me trouve, il n’y a pas de formation... les cours scolaires sont quasiment inexistants, si ce n’est par correspondance... et il y a très peu d’activités culturelles. La priorité est donnée au travail, au détriment de tout ce qui pourrait permettre de donner un autre sens aux longues années... Et pourtant il a une réelle demande des détenus afin que notre détention ne soit pas subie. Il y a un sentiment de régression plutôt que d’évolution. » Homme incarcéré depuis 8 ans, fin de peine en 2022 « Il faudrait avoir plus d’autonomie, chaque aile avec les portes ouvertes les détenus pouvant se déplacer dans l’aile. Cela se fait déjà officieusement. (...) L’établissement met en avant le régime « portes fermées » mais les surveillants laissent parfois les portes ouvertes, ce qui est bien car on a constaté qu’il y avait moins de tension lorsque les portes sont ouvertes. Le détenu se sent plus autonome. A chaque fois qu’il y a eu un problème c’est lorsque le surveillant avait fermé les portes et laissé le détenu taper à la porte pour lui demander de se déplacer. » Homme incarcéré depuis 14 ans, fin de peine en 2023
LONGUES PEINES : LA LOGIQUE D’ÉLIMINATION
« 50 transferts et 12 ans d’isolement » Abdelhamid Hakkar a passé 28 ans derrière les barreaux. Révolté par sa condamnation à la perpétuité, il entre dans une lutte d’abord violente, puis procédurale, qu’il paiera de cinquante transferts et douze ans d’isolement. La rencontre avec un chef d’établissement qui voit en lui un homme doué de raison n’ayant plus rien à faire en prison le mènera à une libération conditionnelle en mars 2012.
Qu’est-ce qui vous a fait renoncer à la violence ?
Abdelhamid Hakkar, en liberté conditionnelle depuis mars 2012 après 28 ans de détention.
Jugeant le dossier falsifié, vous avez refusé de vous présenter devant les Assises, qui vous ont condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Où en êtes-vous par rapport à cette décision judiciaire ? Je me suis battu juridiquement contre les conditions du déroulement de mon procès. J’assume avoir commis des infractions, mais je récuse l’accusation de meurtre ayant conduit à ce verdict. La Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour procès inéquitable et un second procès a eu lieu. Ce fut la même mascarade, avec des faux dans la procédure et la même condamnation à la clé. Seule la période de sûreté a été ramenée de 18 à 16 ans. J’étais très en colère de voir que des juges, qui nous prodiguent à longueur de journée des leçons de morale, nous rappellent les principes du droit, pouvaient être les premiers à s’en affranchir, en toute impunité. Aujourd’hui, je continue les procédures, je me battrai pour que justice soit rendue, aussi longtemps qu’il me restera un souffle de vie. Votre combat visait-il aussi vos conditions de détention ? Comme j’avais refusé d’être jugé en vertu d’une procédure falsifiée, je n’ai jamais pu accepter les conditions que m’imposait l’administration pénitentiaire, contre lesquelles je n’ai cessé de me battre. Pendant dix ans, ce fut par la violence, par tous les moyens possibles : des prises d’otages, quatre tentatives d’évasion, des révoltes, des grèves de la faim… Puis j’ai décidé d’employer les voies légales.
En 1999, j’ai à nouveau tenté de m’évader, armé. Ma mère en l’apprenant a fait un coma diabétique. Toute ma famille a été très affectée. Lorsqu’ils sont venus au parloir, j’ai eu un électrochoc. Si je continuais, j’allais anéantir ma mère et ma famille. Je me suis alors engagé dans un long travail de réflexion et d’introspection. J’ai réalisé que j’avais suffisamment de caractère et de capacités, même au fond des quartiers d’isolement d’une centrale, pour m’exprimer par le verbe et par la plume. Je me suis également rendu compte que la violence sert « le côté en face » : chaque incident conforte les sécuritaires, les demandes de renforcement des mesures de sécurité interne, toujours plus de barreaux, de murs, etc. A partir de là, je n’ai plus jamais eu de rapport d’incident. Vos conditions de détention se sont-elles alors améliorées ? Non, suite à ma dernière tentative d’évasion, j’ai passé cinq ans et demi à l’isolement, sans discontinuer, de 1999 à 2004. Grâce à une procédure à laquelle l’OIP s’est joint, j’ai obtenu que le tribunal administratif de Paris y mette fin, jugeant que les motifs de mon isolement n’étaient fondés ni en fait ni en droit, et que sur la durée cette mesure constituait un traitement inhumain et dégradant. J’ai néanmoins gardé le statut de « détenu particulièrement signalé » (DPS). Au total, j’ai subi plus de cinquante transferts et douze ans d’isolement. Comment avez-vous vécu ces douze ans en quartier d’isolement ? La journée s’écoule dans un silence mortifère, seulement brisé par le bruit des clés dans la serrure qui revient aux mêmes heures : le matin pour la promenade, midi pour la gamelle, puis le repas du soir. Tous les jours sont identiques. Aucune activité. Pour la promenade, un gradé assisté au minimum de deux surveillants vous accompagne comme on sort son chien, une heure le matin, une heure l’après-midi. Une petite cellule aménagée de deux ou trois planches de livres fait office de bibliothèque, Dedans Dehors N°82 Décembre 2013
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dossier on en a vite fait le tour. L’accès au téléphone a été extrêmement important, il a été autorisé en 1985 dans les établissements pour peine. Même si c’était très coûteux, je passais une heure ou deux par jour à parler avec ma famille et mes avocats.
Elle l’est toujours. Elle pèse dans mes réflexions, mes choix. A ma sortie, une rechute aurait été une trahison envers eux, c’était hors de question. Le Code de procédure pénale stipule que l’administration pénitentiaire a la mission de favoriser le maintien des liens familiaux. En réalité, tout est fait pour les détruire : les transferts à répétition, les humiliations lors de l’arrivée au parloir, l’attente dehors sous la pluie, les portiques, les palpations, les intimidations… Elles sont vraiment courageuses les familles qui continuent à venir au parloir, à faire perdurer l’amour pour l’un des leurs, auquel elles apportent un peu de leur vie de l’extérieur. Elles amènent cette lumière dont on a tant besoin quand on est enfermé, que l’on perd tous ses repères.
© Samuel Bollendorf
Votre famille a été un soutien essentiel ?
«La réponse des directeurs était toujours mitard, isolement, mitard, transfert»
Vous avez perdu la notion du temps au fil de la détention ?
feu » et en appelaient « au rétablissement effectif de la peine de mort ». Pourquoi cet appel ?
Une journée est si longue qu’elle vaut une semaine à l’extérieur. C’est infernal comme les journées ne passent pas et sont répétitives. On ne sait plus quel jour on est. Seul le dimanche fait exception, on sait que c’est dimanche, c’est plus mort que d’habitude. Mais du lundi au samedi, tous les jours sont identiques. C’est la lenteur mortifère de la prison.
Ce manifeste est publié en janvier 2006, alors que se profile la campagne pour l’élection présidentielle de 2007. Il est une réaction à la politique pénale que nous avons vu se mettre en place : à l’instrumentalisation de la sécurité pour obtenir les suffrages des citoyens ; à son érection comme dogme qui supplante tous les autres principes ; au développement des mesures de sûreté, de peines plus lourdes et plus sévères, qui rendent la sortie quasi impossible. On entend souvent que la perpétuité en France n’existe pas, que tous les détenus ont vocation à sortir un jour. Que le but de la prison est de les rendre à la société meilleurs qu’à leur entrée. Nous savons que c’est de la démagogie, que c’est tout le contraire. Mais au fil des ans, on se dit qu’on ne va jamais sortir.
Quelles stratégies avez-vous mis en place pour lutter contre la perte des repères temporels ? Mes journées s’organisaient essentiellement autour de la préparation de procédures et recours. Je lisais des ouvrages de droit, j’écrivais sur mon ordinateur. L’administration connaissait l’importance pour moi de cet outil, qui me permettait de passer mes heures et mes nuits. D’un transfert à un autre, et même parfois sans transfert, mon ordinateur était souvent endommagé. Les personnels laissaient entendre que puisque je faisais du droit et de la procédure, je pouvais me plaindre et espérer obtenir un remboursement sur décision du tribunal administratif. Mais d’ici là, il allait s’écouler un an et demi… En attendant, soit tu t’en achètes un, soit tu restes sans ordinateur. Vous avez signé « L’Appel des dix de Clairvaux », les « emmurés vivants » qui dénonçaient une mort « à petit Dedans Dehors N°82 Décembre 2013
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Non seulement le législateur allonge les périodes de sûreté, mais nombre de longues peines se voient encore refuser tout aménagement longtemps après la fin de leur sûreté. La mienne était fixée à 16 ans, et au bout de 22 ans, j’étais toujours en prison. Alors que je n’avais plus de rapports d’incident, que je présentais des projets de réinsertion… Alors, oui, ce manifeste disait : « exécutez-nous au lieu de nous tuer à petit feu ». Suite à sa parution, le garde des Sceaux Pascal Clément est venu à Clairvaux avec des journalistes, dans l’idée de leur montrer que nous n’avions pas grande raison de nous plaindre. J’ai alors été désigné comme l’auteur du manifeste
LONGUES PEINES : LA LOGIQUE D’ÉLIMINATION et transféré dans les heures qui ont suivi à Lannemezan, à 1 200 km de ma famille. A quel moment de votre détention avez-vous entrevu une possibilité de sortie, quel a été le déclic ? Fin 2006, je suis affecté à la centrale d’Ensisheim. Pendant deux ans et demi, je n’échange pas le moindre mot avec le personnel, jusqu’à ce qu’en 2008 un surveillant chef me conseille d’aller rencontrer le directeur. J’ai d’abord refusé, car je pensais que cela ne servirait à rien. Le surveillant chef a insisté, plusieurs fois, et j’ai fini par accéder à sa suggestion. Effectivement, les rapports avec ce directeur ont tout de suite été honnêtes et respectueux. Nous nous sommes vus deux ou trois fois, et il a pris l’initiative sans rien me dire de transmettre mon dossier pour une levée de mon statut DPS, qui bloque de facto toute possibilité d’aménagement. Grâce à son soutien et à celui du Procureur, qui a plaidé la nécessité de me laisser entrevoir une porte de sortie, mon dossier a été transmis au ministère. Le chef puis le directeur sont venus m’annoncer la levée de mon statut DPS : « M. Hakkar, le principal obstacle pour votre libération vient de sauter ». Le juge de l’application des peines (JAP) a été saisi, les conseillers d’insertion et de probation et le directeur m’ont soutenu. Pour eux, c’était le moment où jamais. A partir de ce moment-là, je me suis dit : oui, c’est possible et c’est peut-être une question de mois. A partir du moment où l’on vous a considéré autrement que comme un détenu dangereux, le processus conduisant à votre libération a pu s’enclencher ? Quand je suis arrivé à Ensisheim, mon dossier était marqué au fer rouge : révolté, fouteur de merde, attaquant sans arrêt la justice et la pénitentiaire… Auparavant, la réponse des directeurs était toujours mitard, isolement, mitard, transfert, isolement… Le directeur d’Ensisheim a fait la part des choses. Après trois ans d’observation, il a estimé que je n’étais pas celui décrit dans mon dossier pénitentiaire. Il a constaté que je ne causais pas le moindre incident. Il valorisait même le soutien juridique que j’apportais aux autres détenus et les résultats significatifs que j’obtenais en leur faveur. Il a vu que malgré mes années de captivité, je n’étais pas le fauve décrit mais un être doué de raison qui avait la tête sur les épaules, que je ne présentais aucune « dangerosité ». Bref, il a pensé que je n’avais plus rien à faire en détention. Comment s’est construit votre projet de sortie, quels obstacles avez-vous rencontrés ? J’ai gardé tout au long de mon incarcération des contacts avec des responsables de structures locales d’insertion que je connaissais avant, qui m’ont conservé leur soutien. Ils se sont d’ailleurs montrés précieux également après la sortie, aujourd’hui encore, ils m’accompagnent. Depuis l’année 2000, soit la fin de ma période de sûreté, le directeur d’une de ces structures m’a préparé et conservé un poste. Il sera appelé à renouveler l’attestation tous les trois mois, pendant
« Ce directeur a vu que malgré mes années de captivité, je n’étais pas le fauve décrit dans mon dossier pénitentiaire. Il a pensé que je n’avais plus rien à faire en détention. » plus de 10 ans ! Pour l’hébergement, c’est ma famille. Mon projet de réinsertion est resté le même jusqu’à ma sortie en mars 2012. J’aurais pu sortir dès novembre 2000 dans les mêmes conditions. Quelles difficultés avez-vous rencontrées lors de votre sortie ? Tous les jours, je ressens les trente ans que j’ai foutus en l’air. Je dis bien « que j’ai foutus en l’air », pas « qu’on m’a volés ». C’est moi le premier responsable. Dans mon quotidien aujourd’hui, je vois un train qui m’est passé devant et que j’ai du mal à rattraper. Sur un certain mode d’organisation et de pensée, je n’ai pas changé. Je fais du sport, je me cadre et m’organise. Mais une journée passe si vite à l’extérieur, je manque de temps ! J’ai beau prendre des notes, faire des pense-bêtes, j’en oublie souvent. J’ai aussi moins envie d’aller vers les autres, alors que je suis plutôt extraverti et jovial. Sorti du bureau, je rentre chez moi. Je m’y sens bien, tranquille. Je sors peu. Vous avez porté un bracelet électronique pendant un an, quel impact a eu cette mesure ? Pendant les six premiers mois, le bracelet m’a stabilisé, même si c’était pénible. Il m’a permis de me cadrer, d’éviter de partir dans tous les sens, de faire tous les jours le bilan de ma journée, de me projeter sur le lendemain. Au-delà, il est devenu facteur de blocage, notamment en termes de vie sociale. Mais le JAP n’avait pas le pouvoir d’abréger la mesure, j’ai dû aller au bout. Quel plaisir quand les surveillants m’ont invité à le retirer, avec de grands ciseaux ! J’ai eu ce jour-là, plus que celui de ma sortie, un véritable sentiment de libération. Vous êtes sous le régime de la libération conditionnelle, quelles obligations vous sont imposées ? J’ai l’interdiction de fréquenter les bars, de porter une arme… Des interdictions qui tombent sous le sens pour quelqu’un qui souhaite se réinsérer ! De temps à autre, j’ai un échange téléphonique avec mon conseiller d’insertion et de probation. On se voit occasionnellement. Le plus contraignant pour moi est l’obligation de demander une autorisation pour quitter le territoire, alors que je souhaite rendre visite à ma famille en Algérie, et finaliser là-bas un projet professionnel, qui représente pour moi une façon de me prendre en charge. Le JAP me le refuse pour l’instant, pour des raisons administratives. Depuis trois mois c’est bloqué, je broie un du noir, mais je ne désespère pas d’un dénouement heureux. Propos recueillis par Barbara Liaras Dedans Dehors N°82 Décembre 2013
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dossier
« Cesser d’occulter le débat sur les longues peines » Le projet de réforme pénale présenté le 9 octobre ne prévoit rien d’autre pour les longues peines qu’un examen de leur situation aux deux tiers de la peine en vue d’une éventuelle libération sous contrainte. Jean-Claude Bouvier, juge de l’application des peines, déplore que le débat ait été passé sous silence. Il compte sur les parlementaires pour supprimer les obstacles à l’aménagement des longues peines, qui constitue la meilleure façon d’assurer une difficile transition entre le dedans et le dehors. Comment expliquez-vous que le projet de réforme pénale écarte globalement la question des longues peines ? Un élan a été créé avec la Conférence de consensus sur la prévention de la récidive, mais il y a eu ensuite une longue période d’arbitrages, dans lesquels le ministère de l’Intérieur a joué un rôle prédominant, ce qui est quand même une drôle de particularité française. Les premières versions du texte de la Chancellerie revenaient sur certains obstacles à la libération conditionnelle des longues peines. Ces dispositions ont tout bonnement disparu dans la version du 4 septembre. Il semble que les lignes de fracture soient assez fortes au sein de ce Gouvernement. Ce qui n’est pas si étonnant. L’appropriation d’un discours pragmatique sur les aménagements de peine comme outil efficace pour la prévention de la récidive reste un processus récent. Est-il devenu impensable de revenir sur le droit pénal applicable en matière criminelle ? Non, mais il faudrait que les politiques progressistes cessent d’occulter ce débat. Aujourd’hui, il n’est pas même porté par le ministère de la Justice. En dépit de ce silence, il est encore possible de faire comprendre que le droit pénal comporte des blocages qui enrayent tout le dispositif d’aménagement des longues peines. Cette question est aussi devenue un « non sujet » du fait de l’instauration de mesures de sûreté. On se préoccupe moins de la manière dont les auteurs d’infractions les plus graves seront libérés, en fin de peine ou de façon anticipée avec un suivi, puisque de toutes façons des mesures de sûreté pourront prendre le relais après l’incarcération. Faut-il continuer à contester le principe même de mesures de sûreté applicables à l’issue de la peine ou aborder la question autrement ? Dès les premières versions de la Chancellerie, rien ne figurait sur les mesures de sûreté, il y a un véritable blocage sur ce point. La rétention de sûreté posant le plus de problème de principe, car elle prive totalement de liberté une personne qui a déjà subi une incarcération, je pense qu’il faut se polariser sur la suppression Dedans Dehors N°82 Décembre 2013
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Jean-Claude Bouvier est vice-président du tribunal de l’application des peines de Créteil, ancien secrétaire général du Syndicat de la magistrature et membre du conseil d’administration de l’OIP.
de cette mesure. Et de la surveillance de sûreté qui lui est liée. La surveillance judiciaire s’applique pour sa part en milieu ouvert et pas au-delà de la peine prononcée : elle concerne des sortants de prison, mais uniquement le temps des réductions de peine accordées. Il faut aussi interroger la procédure qui permet de recourir aux mesures de sûreté et n’apporte pas suffisamment de garanties. En particulier, l’évaluation du risque de récidive préalable au prononcé d’une mesure de sûreté peut être réalisée par un centre national d’évaluation (CNE), mais il est aussi possible dans nombre de cas de se contenter d’une expertise psychiatrique, ce qui me paraît problématique. Pouvez-vous expliquer les différences entre l’évaluation d’un CNE et celle d’un expert-psychiatre ? L’évaluation du CNE a le mérite d’apporter un regard pluridisciplinaire construit et cohérent. Elle cherche à dégager d’une part des facteurs de vulnérabilité (contextes à risque pour la personne, facteurs de récidive…) et d’autre part des facteurs de protection (points positifs, évolution de la personne, éléments de contexte favorables à la non récidive…). Contrairement à une expertise psychiatrique, l’ensemble des thématiques sont abordées, pas seulement celles liées à la personnalité, mais aussi celles relatives à l’environnement social, les liens familiaux, le projet d’insertion… Il reste des critiques à faire sur les méthodes ou la formation des personnels assurant l’évaluation. Mais cet outil peut être investi et amélioré à mon sens. Sa démarche tend à se rapprocher de la recherche internationale sur l’évaluation des facteurs de risque, elle est plus rigoureuse
LONGUES PEINES : LA LOGIQUE D’ÉLIMINATION
Une expertise commence par un diagnostic sur d’éventuels troubles psychiatriques et dégage des tendances de personnalité. Partant de là, elle doit se prononcer sur un risque de récidive, alors que les liens entre état psychique et dangerosité criminologique ne sont pas nécessairement pertinents. Et ce n’est pas le simple fait d’être psychiatre qui permet de travailler sur ce type de corrélations. Les deux rapports (Burgelin en 2005 et Garraud en 2008) qui ont précédé l’introduction des évaluations de la dangerosité dans le droit français, Pour le magistrat Jean-Claude Bouvier, le droit pénal comporte des blocages qui enrayent avaient souligné la difficulté de les confier tout le dispositif d’aménagement des longues peines (coursive du centre de détention de à des psychiatres. Le premier posait comme Loos, fermé en 2011). condition sine qua non qu’ils acquièrent une véritable formation criminologique. Nous sommes en 2014, le cadre d’un aménagement de peine pour cette personne au rien n’a progressé sur ce plan. Le second expliquait la nécessité vu de ses facteurs de risque et de protection, quelles prises en de mettre un terme à la confusion entre la mission de diagnostic charge sont nécessaires. C’est aussi ça l’intérêt de l’évaluation. de l’expert psychiatre et celle d’évaluation des facteurs de risque de récidive. Il est assez frappant de constater que les recomman- Vous évoquez aussi le système des Commissions dations de ces deux rapports ont totalement été ignorées par le pluridisciplinaires des mesures de sûreté comme obstacle majeur aux aménagements pour les longues peines… législateur. Quand on veut accorder une libération conditionnelle à cerEt que davantage de décisions judiciaires se fondent taines personnes condamnées à de très longues peines, on est uniquement sur une expertise psychiatrique… aujourd’hui obligé de respecter une procédure (article 730-2 Oui, parce que la saisine du CNE n’est possible que dans certains du CPP) qui impose la saisine d’une commission pluridisciplicas limités par la loi. Pour les aménagements de peine, seules naire des mesures de sûreté (CPMS). Premier problème : elle a sont concernées les libérations conditionnelles de certains un délai de six mois pour rendre son avis, et le tribunal d’apcondamnés à de très longues peines (article 730-2 du CPP). plication des peines doit lui aussi statuer dans les six mois. Tout le reste de l’activité des CNE est absorbé par les procédures En pratique, la plupart des huit CPMS sur le territoire ne resrelatives aux mesures de sûreté. En dehors de ces cas, les juri- pectent même pas le délai de six mois, qui oscille en réalité entre neuf et dix-huit mois. Si l’avis de la commission n’est pas dictions ne peuvent recourir qu’à une expertise psychiatrique. rendu dans le délai imparti par la loi, le tribunal de l’applicaDes changements législatifs sont-ils nécessaires sur ce tion des peines peut passer outre : mais dans la pratique, peu point ? de juridictions prennent cette initiative. Nous avons besoin de changements législatifs, avant même de travailler sur de nouvelles méthodes d’évaluation. L’expert psychiatre devrait pouvoir continuer à être désigné, mais uniquement pour évaluer si la personne présente des troubles psychiatriques. Et les juridictions d’aménagement des peines devraient pourvoir saisir le CNE pour toute situation, sans qu’aucune évaluation de la dangerosité n’ait de caractère obligatoire. L’idée de se baser sur la gravité de l’infraction pour décréter la nécessité d’une évaluation ou non est une absurdité. On peut avoir une personne condamnée à une peine entre 5 et 10 ans, qui n’a pas forcément commis une des infractions les plus graves prévues à l’article 730-2, et pour autant estimer que la sortie anticipée demande une évaluation rigoureuse. Pas forcément dans l’objectif de refuser la libération anticipée, mais de mieux repérer quel devrait être
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qu’une simple audition par l’expert psychiatre, auquel on demande de travailler sur une mission qui n’est pas la sienne.
Autre problème : pour rendre son avis, la CPMS saisit le CNE pour une évaluation de la dangerosité de la personne. Le rapport d’évaluation est un élément essentiel afin d’apprécier les problématiques du condamné mais il n’est pas communiqué à la juridiction de l’application des peines : il est transmis à la commission qui, seule, en dispose. Ainsi, la CPMS de Paris ne l’adresse jamais au tribunal de l’application des peines et donne des instructions en ce sens au CNE – lui enjoignant de ne pas délivrer le rapport au TAP qui lui en ferait la demande. Dans un délai de neuf à dix-huit mois, comment un projet d’aménagement de peine peut-il tenir, avec une promesse d’embauche par exemple ? Pour y remédier, les condamnés ont tendance à déposer la demande le plus tôt possible dans l’élaboration de leur projet Dedans Dehors N°82 Décembre 2013
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© Bernard Le Bars
dossier
Les juridictions d’application des peines perçoivent encore l’aménagement de peine comme une mesure de faveur, qui doit être réservée aux plus « méritants ».
d’insertion. S’ils attendent d’avoir un projet abouti, des éléments tels que l’hébergement ou la promesse d’embauche peuvent en effet s’écrouler avant la prise de décision. Mais c’est aussi un handicap énorme, parce que leur situation est évaluée par le CNE sans que leur projet ne soit bien ficelé. Or, l’environnement dans lequel la personne va vivre ou son projet de travail constituent des éléments essentiels. L’évaluation a donc toutes les chances d’être moins favorable et d’entraîner un rejet de la conditionnelle. Beaucoup de personnes condamnées sont concernées par ce problème ? De plus en plus. Outre les condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité, sont concernés ceux qui ont commis une infraction qui peut être punie d’une peine de suivi socio-judiciaire (SSJ) et ont été condamnés à une réclusion criminelle supérieure à 15 ans. Or, la liste des infractions punies d’un SSJ n’a cessé de s’élargir. Sont également concernées les personnes ayant commis les infractions les plus graves visées à l’article 706-53-13 du CPP1, et qui ont été condamnées à une peine supérieure ou égale à 10 ans. Pourtant, l’aménagement de peine peut être opportun même dans ces cas, parce qu’une sortie bien préparée dans le cadre d’un aménagement apporte de meilleures garanties préventives qu’une mesure de sûreté imposée à la personne sans projet d’insertion. Préconisez-vous la suppression des commissions pluridisciplinaires de sûreté ? L’avis de ces commissions devrait au moins être facultatif. Les CPMS sont des organes administratifs, composées d’un magistrat de la cour d’appel, du préfet de région, du directeur interrégional des services pénitentiaires, d’un expert psychiatre, d’un expert psychologue, d’un représentant d’une 1 Assassinat, meurtre, torture ou acte de barbarie, viol, enlèvement ou séquestration. Dedans Dehors N°82 Décembre 2013
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association d’aide aux victimes et d’un avocat : elles ne procèdent pas elles-mêmes à une évaluation, elles n’entendent généralement pas la personne condamnée et ne sont pas à son contact direct. L’apport du CNE est essentiel, pas celui des CPMS. Rappelons que le législateur a clairement créé ces commissions pour empêcher les libérations conditionnelles d’auteurs de certains crimes. Le projet de loi du 27 février 2008 prévoyait ainsi qu’une LC ne pourrait être prononcée qu’avec l’accord de la commission. Le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition, si bien que la juridiction n’est pas tenue de suivre l’avis de la CPMS. Il pèse néanmoins sur la décision et pose surtout un problème de délai rédhibitoire, si bien que nous en arrivons à une situation de blocage. Quels sont les autres obstacles aux aménagements des longues peines sur lesquels le législateur devrait revenir ? Dans le cadre de la même procédure (article 730-2), la juridiction est obligée d’assortir une décision de libération conditionnelle d’un placement sous surveillance électronique mobile. A défaut, elle doit prononcer une mesure probatoire (avant la conditionnelle) : soit une semi-liberté, soit une surveillance électronique, d’une durée d’un à trois ans. Or, la surveillance électronique n’est pas supportable très longtemps et la semi-liberté est très difficile pour quelqu’un qui a déjà passé une longue période de détention. Les condamnés se trouvent donc en difficulté pour tenir ces mesures, sans que ce soit pour autant révélateur d’une incapacité à se réinsérer. Il faudrait donc a minima ajouter le placement extérieur aux mesures probatoires possibles : pour des condamnés à de très longues peines, très précarisés, ayant perdu tous liens sociaux et familiaux, il s’agit de la seule mesure envisageable car elle comporte un hébergement et une prise en charge sociale. Au mieux, il faudrait supprimer l’article 730-2 et laisser à la juridiction le soin de pouvoir adapter la durée des mesures probatoires et de ne pas y recourir dans toutes les situations.
LONGUES PEINES : LA LOGIQUE D’ÉLIMINATION Le projet de réforme pénale ne revient pas non plus sur les périodes de sûreté, en particulier automatiques… Tout le projet de loi étant traversé par l’idée d’une nécessaire individualisation, maintenir des périodes de sûreté automatiques est une aberration. Le texte incarne aussi l’idée de l’aménagement de peine comme meilleur outil de préparation à la sortie et de prévention de la récidive, le plus adapté pour assurer la transition entre le dedans et le dehors, avec participation de la personne. Or, non seulement aucun aménagement de peine n’est possible pendant la période de sûreté, mais avec le jeu des réductions de peine, le terme de la période de sûreté peut aussi devenir voisin de la fin de peine. Si bien qu’à la fin de la période de sûreté, il devient difficile, voire impossible, de mettre en place un aménagement de peine. Nous en arrivons à ce paradoxe : les périodes de sûreté entraînent les situations les plus risquées en termes de récidive. La seule disposition concernant les longues peines dans le projet de loi est la nouvelle procédure de libération sous contrainte, qui impose l’examen de toute situation aux deux tiers de la peine en vue d’un éventuel aménagement. Que peut-on en attendre ? Dans l’élaboration du projet de réforme pénale, plusieurs hypothèses avaient été évoquées, dont celle plus ambitieuse d’une conditionnelle quasi systématique. L’hypothèse retenue est la plus mesurée, mais elle présente tout de même des apports. Il faut avoir conscience qu’une proportion limitée de condamnés formule des demandes d’aménagement de peine. Plus leur peine est longue, plus les condamnés sont nombreux à déposer un dossier, mais nous sommes très loin des 100 %. L’intérêt de cette nouvelle procédure est d’obliger les juridictions à travailler sur la possibilité d’une libération anticipée pour toute personne détenue. Le projet de loi introduit l’idée d’un aménagement de peine comme transition entre une détention au sein de laquelle se prépare le projet, et un suivi sur l’extérieur immédiatement mis en place. Il tente de faire sortir les juridictions d’une perception – encore courante – de l’aménagement comme mesure de faveur. Dans cette conception, les personnes qui posent des difficultés en détention, ont des incidents disciplinaires, ne peuvent y prétendre car elles n’ont pas une attitude assez « méritante ». Si l’on considère au contraire l’aménagement comme la meilleure façon d’inscrire un projet de réinsertion, il s’applique plus particulièrement à ceux qui « posent problème », car ils ont sans doute encore plus besoin d’accompagnement que les autres. Et quelles sont les limites prévisibles de cette procédure de libération sous contrainte ? Il ne suffit pas de prévoir de passer toute situation en audience, car il reste à définir le contenu du projet d’insertion et à faire en sorte d’impliquer le condamné. Il me semble intéressant d’examiner avec les personnes non demandeuses
leur situation, d’essayer de travailler avec elles sur un projet de sortie. Mais si nous restons avec les mêmes effectifs de professionnels, les mêmes défaillances des services de droit commun en matière d’insertion, d’hébergement, de soins, les mêmes méthodes de suivi… cette nouvelle procédure risque d’aboutir à des audiences en chaîne avec beaucoup de rejets, car les projets de sortie n’auront pas pu être construits. Recueilli par Sarah Dindo
« Rien n’est fait pour réhabiliter les peines à deux chiffres » « Vu la frilosité du JAP à l’égard des longues peines, je m’oriente doucement et sûrement vers la sortie sèche, sachant que je n’accepterai pas l’aumône judiciaire en fin de peine. J’ai bénéficié d’une permission de sortir à caractère familial d’une durée de 48 heures en février 2012. Tout s’est très bien déroulé mais je n’ai jamais plus rien obtenu depuis. Pourquoi ? Je n’ai créé depuis aucun problème intra et extra muros. J’ai compris que la réhabilitation est un mot inventé pour satisfaire certains et que la réinsertion n’est que foutaise. En l’état, rien n’est fait pour réhabiliter les peines à deux chiffres. Elles se voient plongées dans les oubliettes judiciaires jusqu’à être dépoussiérées au moment venu pour devenir socialement réadaptables. » Homme incarcéré depuis 12 ans, fin de peine en 2019 « Vu le quantum de ma peine et l’empilement des textes de loi au gré des faits divers, je ne me fais guère d’illusions sur un possible aménagement de peine dans l’avenir. Comment envisager un aménagement de peine lorsqu’on ne dispose d’aucun outil pour cela (impossibilité de communiquer avec divers organismes comme pôle Emploi, associations, caisse de retraite ou de Sécurité sociale, etc.) avec les moyens actuels comme le téléphone ou Internet ? Le détenu est réduit à son geste criminel et on fait fi de ce qu’il a été avant et ce qu’il est devenu après. Bien sûr, il est hors de question d’oublier ce qui a amené un homme en prison mais pourquoi ne pas donner aussi de l’importance à ce qu’il est devenu ? » Homme incarcéré depuis 11 ans, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité « Pour prévenir la récidive, il faudrait que l’administration pénitentiaire se montre plus humaine, plus à l’écoute, mieux formée et informée. Et que les juges de l’application des peines observent les règles du code de procédure pénale, en individualisant plus et en accordant plus facilement les aménagements : tous les détenus ne sont pas et ne seront pas des récidivistes. Au moment du procès, les peines sont, en principe et en majorité, individualisées. Il faut que le parcours, la réinsertion et l’aménagement de la peine le soient aussi. » Homme incarcéré depuis 15 ans, fin de peine en 2020 Dedans Dehors N°82 Décembre 2013
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dossier « L’administration fabrique et entretient la dangerosité de certains détenus » En octobre 2003, Karim comparait libre devant les Assises : sa détention provisoire a pris fin trois ans auparavant, il a tourné le dos à la délinquance. Condamné à 18 ans de réclusion, il s’effondre et développe une « psychose carcérale ». Sa sœur met en cause cette peine vécue comme un anéantissement et les conditions de détention « extrêmes » qu’il a subies pendant dix ans, faites d’isolement, de mitard et de brimades.
Sabah est psychologue clinicienne. Son frère Karim est incarcéré depuis 15 ans.
Sa compagne a elle aussi été anéantie par le verdict. Elle s’est concentrée sur leur bébé et a coupé les ponts avec lui. Il demandait beaucoup à voir sa fille, vivait mal que nous ne puissions pas l’amener au parloir autant qu’il le souhaitait. Moins il voyait sa fille, moins il voulait nous voir. Nous lui écrivions et il retournait les lettres sans même les avoir lues. Il refusait de descendre au parloir. Quand avez-vous perdu contact avec lui ?
Quel est le parcours judiciaire de votre frère ? Karim est maintenant emprisonné depuis quinze ans. Il a été condamné une première fois, en 1990, à une peine de sept ans pour des cambriolages à main armée. Quelques mois après sa sortie, en octobre 1997, il est de nouveau arrêté pour des braquages de banque. Il reste trois ans en détention provisoire avant d’être libéré, en janvier 2001. C’est alors qu’il fait le choix de renoncer à la culture délinquante : il s’installe avec sa compagne, ils ont un bébé, il reprend des études, s’inscrit au code de la route… Lors de son procès, trois ans plus tard, il comparait libre. Compte tenu des trois ans passés en détention provisoire, et dans la mesure où il n’a jamais blessé ni brutalisé les victimes des vols, il pense passer encore deux ans en prison, puis bénéficier d’une libération conditionnelle. Il a alors 26 ans, se projette dans l’avenir. L’avocat général demande dix ans, mais il est condamné à quinze. Karim fait appel, il prend alors dix-huit ans. Pour lui, cette peine n’a aucun sens, si ce n’est de le détruire. Elle traduit pour lui, encore maintenant, un désir d’anéantissement. La dégradation de son état psychique s’est-elle amorcée aussitôt après sa condamnation ? Tout de suite, il s’est totalement effondré, est entré dans un repli autistique. J’allais le voir une fois par semaine, il n’était déjà plus le même. Il a commencé à s’agiter, à tenir des propos incohérents. Il alternait entre la prostration et des moments d’agitation ponctués d’altercations avec le personnel pénitentiaire. Dedans Dehors N°82 Décembre 2013
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Lorsqu’il a été transféré en vue du jugement en appel, environ huit mois après la première instance. J’ai appelé la maison d’arrêt pour réserver un parloir, on m’a informée qu’il était parti, en refusant de me dire où. J’ai continué d’appeler les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) pour tenter de le localiser. J’ai fini par apprendre, près de quatre ans plus tard, qu’il se trouvait à Val-de-Reuil. Je lui ai écrit, il m’a répondu une lettre délirante, incohérente, qui m’a beaucoup inquiétée pour sa santé mentale. Dans quelles circonstances a-t-il été hospitalisé pour la première fois ? Après Val-de-Reuil, il a été transféré à Rouen. Il n’a pas voulu descendre au parloir lorsque je suis venue le voir, a refusé les vêtements que j’avais apportés. Je suis restée, seule dans ce parloir pendant une heure. La psychiatre du service psychiatrique (SMPR) a été informée de cet épisode par une surveillante. Elle est allée voir mon frère, m’a donné des nouvelles, et a demandé l’hospitalisation de Karim. Le psychiatre de l’hôpital m’a alors informée que Karim était schizophrène, très délirant. Il a proposé de me rencontrer, mais a refusé que je voie mon frère. Ce que je ne pouvais pas envisager, ne l’ayant pas vu depuis six ans. Après quelques jours d’hospitalisation, il est retourné au centre de détention. Au mitard. Puis a été transféré à nouveau. Il n’avait pas d’antécédents psychiatriques ? Les deux expertises demandées par la cour d’Assises établissent qu’il ne présentait pas d’éléments psychotiques, n’était
© Félix Ledru
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A 26 ans, Karim est condamné à 18 ans de prison. Dès le prononcé de la peine, il entre dans un repli autistique.
pas dangereux, et était adaptable à la vie sociale. Ses passages à l’acte ne sont pas impulsifs, ils ne relèvent pas de la maladie mentale. Souvent, l’entrée dans la schizophrénie se produit après le premier passage à l’acte qui conduit la personne en détention, où les symptômes apparaissent de façon manifeste. Si Karim avait été schizophrène, il aurait décompensé au cours de sa première incarcération. Cela ne s’est pas produit. Il y a six mois, une nouvelle expertise réalisée dans le cadre d’une demande de permission conclut à des troubles psychotiques sévères et met en garde contre sa « dangerosité ». Elle précise que ces troubles se sont installés pendant la détention.
et isolement. Avec des fouilles corporelles à nu avant et après chaque promenade. Et des changements de cellules intempestifs. Il a vécu dans un grand dénuement. Il échangeait parfois quelques mots avec des codétenus, par la fenêtre. Des certificats médicaux attestent aussi de coups reçus de la part de surveillants. Il a été étranglé, jusqu’à l’évanouissement. Ces différentes formes de maltraitance ont duré dix ans. Les documents de l’administration pénitentiaire motivent le renouvellement de son statut DPS non parce qu’il était « dangereux », mais « en raison de [sa] personnalité très perturbée ».
Quels sont selon vous les facteurs ayant déclenché les troubles psychiatriques de Karim ?
Il passait beaucoup de temps à écrire ou à se parler à voix haute. Il se demandait s’il devenait fou. Mais il était surtout dans la prostration, très éteint et vide. Il a vécu toutes ces années comme de « l’incitation au suicide ». Ce sont ses mots à lui, ce qu’il me raconte depuis que nous avons renoué le lien. C’est dans ce contexte qu’il a agressé un surveillant, avec une lame de rasoir. Dans sa tête, il s’agissait de sauver sa peau. Il a été condamné à deux ans supplémentaires, et transféré à Clairvaux, une centrale sécuritaire où le régime est très dur. Je lui ai adressé des mandats… qui me sont revenus six mois plus tard. Il avait entre temps été transféré à Sequedin, puis dans une Unité pour malades difficiles (UMD), où il est resté un an et demi. Lorsqu’il a commencé à aller mieux, il a accepté de me revoir. Après l’UMD, j’ai demandé qu’il soit affecté près de mon domicile, ce qui me permet de le voir toutes les
La lourdeur de la peine prononcée, associée à des conditions de détention extrêmes. Ses agressions – rares au demeurant – étaient d’ailleurs dirigées uniquement contre l’administration pénitentiaire. Les certificats établis lors de ses différentes hospitalisations d’office décrivent ce processus. A quelles « conditions extrêmes » faites vous référence ? Ni lui ni moi n’avons compris pourquoi, dès le début de sa détention, il a été classé sous le statut de « détenu particulièrement signalé » (DPS), qui entraîne des conditions de sécurité renforcées. Sitôt condamné, il a été placé à l’isolement. Avec la dégradation de son comportement, les transferts disciplinaires ont commencé. Dix en dix ans. Il passait son temps entre mitard
Comment réagissait-il à cette situation ?
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dossier semaines et de bénéficier d’Unités de vie familiale (parloirs de longue durée sans surveillance directe). Son régime de détention s’est-il amélioré ? Ses conditions de détention actuelles sont nettement plus humaines. Les détenus peuvent investir leur cellule, ils n’en changent pas sans arrêt, elles ne sont pas fouillées, ou alors discrètement, sans que tout soit détruit. Il a obtenu d’être vouvoyé, non sans peine. Pour lui, c’est très important. Il a écrit à la directrice du centre pénitentiaire, a rappelé les textes de loi qui prévoient le vouvoiement des détenus. Tous les surveillants le vouvoient désormais. Cette distance qu’il a réussi à mettre entre lui et eux participe de son apaisement. L’accès aux unités de vie familiales (UVF) a-t-il aussi contribué à l’amélioration de son état de santé ? Lors de notre première rencontre en UVF, comme il n’avait plus l’habitude, il était très éteint, ne parlait pas. Je me suis rendue compte de ce qu’il avait vécu toutes ces années. Au fur et à mesure, les échanges sont devenus plus vivants, plus chaleureux. Nos frères et sœurs viennent aussi, nous partageons désormais des moments « normaux ». Il cuisine, m’apprend des plats, on regarde des films ensemble. On rigole beaucoup à nouveau, ce qui ne lui arrivait plus. Ça nous rapproche de la sortie. Avez-vous l’impression que l’administration pénitentiaire a compris que de meilleures conditions de vie pourraient avoir un effet positif sur son comportement ? Nous sommes longtemps restés dans un cercle vicieux : l’AP légitimait les conditions de détention extrême qu’elle lui imposait par le fait qu’il était agressif. Mais ce régime déshumanisant le rendait effectivement plus agressif. L’AP fabrique et entretient de cette manière la dangerosité de certains détenus. Dans la maison centrale où il est aujourd’hui, il me semble être en contact avec des personnels mieux formés, conscients du risque de fabriquer de la violence. Ils savent que plus ils respecteront la condition humaine des détenus, moins il se produira d’altercations. Par exemple, suite à un incident lors d’une fouille à nu après un parloir – Karim a refusé d’ôter son caleçon – j’ai contacté le chef de détention. J’ai rappelé que cette maison centrale étant équipée de portiques de détection et de scanners pour les objets, les fouilles à nu systématiques sont prohibées depuis la loi pénitentiaire de 2009. Je ne suis pas certaine que ce soit une conséquence de ce courrier, mais les mises à nu après les parloirs avec la famille ont cessé, remplacées par des fouilles par palpation. Cette prise en considération a beaucoup apaisé mon frère.
SMPR persistent dans leur diagnostic de schizophrénie, ce que Karim n’accepte pas, les entretiens avec eux sont tendus. Ils ne comprennent pas qu’il s’agit pour lui d’une question de survie, qu’il a besoin d’exister dans ce qu’il est et non dans un diagnostic. Karim lit beaucoup de textes de différentes religions, il cherche à donner du sens à sa vie. Pour la psychiatre, cet intérêt religieux révèle un délire mystique. Elle a demandé une hospitalisation d’office et Karim est retourné en UMD. Cette hospitalisation n’a pas duré longtemps, nous l’avons contestée avec le soutien de l’équipe de l’UMD : il ne présentait aucun trouble du comportement, avait un bon contact, n’était pas un malade difficile. Mais cela a causé une nouvelle rupture. Accessible à un aménagement de peine, votre frère a-t-il déposé une demande ? Il lui reste deux ans de détention. Une première demande de permission lui a été refusée, en raison de l’expertise psychiatrique qui le considère comme dangereux. Son parcours antérieur a probablement pesé dans l’évaluation du psychiatre, qui opte pour le risque zéro. Karim est convaincu qu’une autre demande serait refusée, sauf à demander une contre-expertise. Mais il est très angoissé à l’idée de rencontrer un autre psychiatre qui va lire ce qui a déjà été écrit sur lui et qui va peutêtre, à nouveau, le cataloguer comme « dangereux ». Je le regrette, car je pense qu’une contre-expertise pourrait le libérer de cette étiquette et ouvrir la voie à un aménagement de peine. Discutez-vous ensemble de sa sortie ? Il parle de sa libération, qu’il sent proche. Ça l’apaise beaucoup. Mais il est trop difficile pour lui d’imaginer ce que pourrait être sa vie après. Au début, j’ai essayé. Mais j’ai vu que ça faisait mal. Comme si c’était tellement grand, tellement fragile, que trop douloureux. Je suis très attentive aux sujets que j’aborde. Je ne lui dis pas que je suis allée me promener en forêt, toutes ces choses simples dont il est privé depuis des années et qu’il n’arrive même plus à se représenter. Propos recueillis par Anne Chereul
« Les liens familiaux s’altèrent au fil des années » « Les liens familiaux sont rares et se limitent dans le temps à cause essentiellement des nombreux transferts et de l’éloignement. Les relations en général s’altèrent au fil des années à quelques exceptions. L’univers carcéral devient parallèle au monde extérieur parce que l’on pense et l’on vit en prison sans pouvoir se projeter sur cet extérieur qui nous est devenu inaccessible. » Homme incarcéré depuis 28 ans, fin de peine en 2025
Comment est-il aujourd’hui ? Karim va beaucoup mieux. Il a de très bonnes relations avec moi, avec les surveillants et les autres détenus. Ce qui montre qu’il s’agit d’une psychose carcérale, liée au choc de sa peine et à ses conditions d’enfermement, et non à une structure psychique antérieure à la détention. Pourtant, les psychiatres du Dedans Dehors N°82 Décembre 2013
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« J’arrive à maintenir la relation avec certains membres de ma famille mais ça devient de plus en plus difficile. J’ai même perdu leurs visages dans mon esprit. Heureusement que j’ai des photos ». Homme incarcéré depuis 14 ans, fin de peine en 2023
ACTU
Campagne « Ils sont nous » La publication des histoires de vie d’anciens détenus continue. Ces témoignages sont aussi diffusés sur un blog en partenariat avec Rue89, Passés par la case prison. Les rencontres d’ex-taulards avec des écrivains s’organisent, en vue de la réalisation d’un ouvrage issu de ces rendez-vous. Montrer l’envers du fait divers, les choix et difficultés de personnes qui ne se résument pas à un acte, lutter contre les stéréotypes… Tel est le pari.
« C’est comme une malédiction depuis mon adolescence » André vit depuis son adolescence avec ce qu’il nomme une « malédiction » : son attirance sexuelle envers les enfants et les adolescents. Condamné une fois pour atteintes sexuelles, une autre pour détention d’images pédopornographiques, il explique que la prison, lieu de survie n’ayant plus rien à voir avec le monde réel, ne permet pas la prise de conscience, seule garantie contre la récidive. A 59 ans, il continue sa longue psychothérapie et tente de se reconstruire.
Vous pouvez expliquer votre vie avant de connaître la prison ? Depuis mon adolescence, une « malédiction » m’est tombée dessus : j’ai une sexualité anormale, une attirance envers les enfants. C’est le genre de problème dont on ne peut pas parler à grand monde. Ce n’est pas une angine, pour laquelle il suffit d’aller voir un médecin. La seule personne avec qui je pouvais en parler était un ami au lycée, qui avait les mêmes attirances que moi. Lui, il a fini par se suicider. N’êtes-vous pas allé consulter un psychologue à l’époque ? Non, on se cherche des excuses, et cela demande du courage d’aller voir un psychiatre ou un psychologue. J’espérais toujours que tout allait redevenir normal. J’ai tenu jusqu’à mes 37 ans sans passer à l’acte, mais dans un contexte de graves problèmes familiaux, cela a véritablement commencé. J’avais perdu mon père, ma mère et l’un de mes frères en l’espace de six mois. Ils n’ont jamais su que j’avais ces attirances sexuelles anormales, et leur décès a précipité les choses. A cette période, j’étais éducateur, entouré d’enfants et d’adolescents. Là, j’ai vraiment déconné et commis des abus sexuels sur des enfants, ce qui a entraîné ma première condamnation. J’avais suivi une sorte de cheminement qui devait se terminer devant un tribunal. Je le pressentais, on est dans une sorte de spirale. C’était une situation paradoxale : le paradis et l’enfer à la fois. Je n’ai pas demandé à être ainsi, c’est comme une malédiction, je ne vois pas d’autre mot.
Pouvez-vous me raconter votre première condamnation ? Les enfants ont parlé à leurs parents. J’ai été arrêté, interrogé, présenté au juge, puis placé sous contrôle judiciaire pendant trois ans dans l’attente de mon procès, à condition que je quitte la région. J’ai commencé à travailler dans un aéroport jusqu’à ma condamnation en 1994, à deux ans et demi de prison et 200 000 francs d’indemnités. Je n’ai pas été incarcéré dès la fin de l’audience, mais cinq mois plus tard. Comment avez-vous perçu cette première confrontation avec la justice ? Comme un point d’arrêt, un grand tournant. Les choses étaient enfin claires : j’avais une sexualité anormale. On prend conscience que l’on a un problème sexuel, et qu’il faut veiller à ne pas recommencer. Je n’y ai pas suffisamment veillé, d’où ma deuxième condamnation en 2005. Que s’est-il passé ? En dépit de mon interdiction d’exercer toute activité professionnelle ou de loisir aux contacts d’enfants et d’adolescents, j’avais trouvé un boulot de chauffeur de cars. Je faisais des transports scolaires car on commence toujours par ça quand on travaille dans cette branche. Et la juge l’a appris. Les gendarmes ont débarqué chez moi et ont tout saisi : ils ont trouvé sur mon ordinateur des images que j’avais téléchargées. Ensuite, j’ai été présenté au juge d’instruction, qui m’a perçu comme un grand prédateur et m’a mis en détention provisoire pendant un an. J’étais Dedans Dehors N°82 Décembre 2013
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poursuivi pour consultation de sites pédopornographiques et non-respect de ma précédente condamnation, car je n’aurais jamais dû être chauffeur de bus scolaire. A la troisième convocation devant la juge, au bout d’un an donc, elle m’a dit être obligée de me relâcher dans l’attente de mon procès. Vous étiez dans quel état en attendant ce procès ? Je savais que j’allais passer au tribunal, mais je n’avais aucune date et finalement j’ai attendu un an. J’étais sous contrôle judiciaire, j’allais voir une très bonne psychologue, j’avais trouvé du boulot, déménagé de chez mon frère pour m’installer un peu plus loin dans la même région. Et puis finalement, j’ai eu la date de mon procès pour 2005. J’ai contacté une avocate qui m’a dit qu’ayant fait une détention provisoire d’un an, je ne retournerai pas en prison. Finalement, ça ne s’est pas du tout passé comme prévu puisque j’ai été condamné à cinq ans de prison ferme et emmené directement en détention. Comment s’est déroulé le procès ? C’est l’un des pires moments de ma vie. Il y avait une classe de gamins qui assistaient au procès et me regardaient comme un monstre. J’étais comme au Moyen-Âge, le gars qu’on va voir se faire pendre ou écarteler. On me posait des questions auxquelles je répondais. Mais j’avais l’impression de parler à des personnes qui ne comprenaient rien, qui se focalisaient sur une partie de moi et ne voulaient pas entendre le reste. Avez-vous rencontré un expert psychiatre dans le cadre du procès ? Oui, mais je ne sais pas comment il a pu passer de notre entretien de 25 minutes, très informel, au cours duquel je lui ai expliqué mon enfance, ma jeunesse, mon service militaire, ma passion des avions, etc. à ses conclusions, me décrivant comme le pire des pervers. En lisant l’expertise, j’avais même l’impression que ce n’était pas moi dont il était question, qu’il devait y avoir une erreur avec une autre expertise. Ensuite, la juge d’instruction a tout fait reposer sur cette expertise en me disant « vous voyez, j’avais raison, vous êtes pervers ». C’est pathétique de voir que la justice repose sur si peu. Pouvez-vous raconter votre entrée en prison ? On se dit qu’on a tout fait pour arriver dans un lieu aussi sordide, mais aussi que ce n’est pas une raison pour être traité comme un moins que rien. Sans compter les relations avec les autres détenus, car quand on entre pour des histoires de mœurs, on a intérêt à faire profil bas, plus que bas même. J’ai réussi à mentir et à passer à travers les mailles du filet en faisant croire que j’étais incarcéré pour une histoire d’homicide involontaire. Dès lors, on peut dire que votre identité a changé au cours de votre détention ? Oui, j’arrivais plus ou moins à me garantir une tranquillité au prix d’une manipulation, d’un mensonge. Et là, pour le coup, j’avais l’impression de devenir pervers. Se faire constamment
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passer pour quelqu’un d’autre, inventer une histoire en veillant bien à ce qu’elle soit plausible, apporter des preuves falsifiées aux autres détenus… J’ai dû créer un faux personnage pour me rendre acceptable et me protéger des autres détenus, qui veulent une seule chose : que les « pointus » – comme ils disent – ne sortent jamais de leur cellule et y crèvent. Les surveillants n’interviennent pas pour protéger les détenus visés ? Les surveillants veulent juste que règne la paix sociale : donc quelqu’un qui ne sort jamais de sa cellule, ça les arrange. En promenade, il faut vraiment faire gaffe car certains détenus n’hésitent pas à passer aux violences physiques dès qu’ils sont à peu près sûrs de leur impunité, c’est-à-dire quand il n’y a ni caméra, ni témoin. Je n’ai pas pu me résoudre à rester tout le temps en cellule, donc j’ai mis en place cette identité mensongère. Ce qui fut possible en l’absence d’article sur mon affaire dans le journal. Pour ceux dont l’affaire est médiatisée, c’est l’enfer, une double peine. Avez-vous rencontré un psychiatre pendant votre incarcération ? Oui, bien sûr. On a des entretiens. Ce n’est pas obligatoire, mais fortement recommandé. Mais en prison, on n’est pas en condition pour parler de soi et attaquer le problème de fond à la base. Il y a trop de difficultés liées à la détention qui englobent et bouffent tout. On a besoin de parler au psy du fait que c’est invivable, étouffant, il faut vider son sac. L’amendement ne peut pas se faire en prison, ce n’est pas le lieu pour parler vraiment à un psy. Selon vous, qu’est-ce qui permet d’éviter la récidive ? La prise de conscience de ce que l’on a fait, de la gravité de l’acte et de son problème. Le plus gros du chemin est parcouru une fois que la prise de conscience est là. Or, en prison, l’introspection est entre parenthèses. Il y a d’autres problèmes bien plus urgents : survivre, ne pas se faire emmerder, ne pas s’emmêler dans les mensonges, essayer d’en sortir dans le meilleur état possible. Quels ont été les effets de la détention sur votre santé, et votre intimité ? Déjà, on n’a plus de relations sexuelles, on redevient adolescent en pratiquant la masturbation, une sexualité basiquement hygiénique. Ça fait partie de la prison. On mange énormément, donc on grossit. On est complètement déphasé car on vit dans un monde à part, sans point commun avec la vie de la société. Il y a une isolation des sens aussi : il n’y a pas de plantes, pas de saisons. On tombe beaucoup plus malade, le corps dit qu’il en a marre. J’ai eu beaucoup de maladies de peau, des mycoses, des polypes dans le nez, j’ai dû me faire opérer. Ce que j’avais correspond exactement à la prison : plus de goût, plus d’odorat. Tant qu’on n’y est pas allé, on ne sait pas ce que c’est. On est à la fois dans une attention de tous les instants et dans un mode ralenti. On est « au congélateur », et on s’adapte à ce monde.
ACTU parcours de vie d’anciens détenus Dans quel état d’esprit êtes-vous sorti ? Avec l’impression que la bougie se rallumait. Le retour à la vraie vie : les saisons, les sensations, les gens, les voitures… Ouvrir des portes soi-même, parler normalement, ne plus regarder derrière soi pour s’assurer que personne ne vient. La parenthèse se referme peu à peu. On se retrouve soi-même, mais il y a un temps d’adaptation. Vous aviez peur de sortir ? Pas du tout. J’attendais ma libération avec impatience, mais les deux demandes d’aménagement de peine que j’ai déposées ont été refusées, à cause de ma précédente condamnation. J’ai donc effectué ma peine en entier, avec les remises de peine. La prison n’est pas un lieu où l’on peut s’amender, contrairement à ce que nous disent les technocrates, car on y est pris dans un microcosme rempli de risques. Pour la réinsertion, il faut aussi se débrouiller tout seul. Pour préparer ma sortie, j’ai dû trouver moi-même une association acceptant de m’héberger et de me faire travailler. Les conseillers d’insertion et de probation font ce qu’ils peuvent, les pauvres. Mais j’ai vu beaucoup de détenus sortir sans rien, se retrouvant sur le trottoir. Et tout le monde s’en fout. Si l’on pouvait réduire ce qui est donné aux détenus à du pain sec et de l’eau, la plupart des Français seraient contents. Continuez-vous une psychothérapie depuis votre sortie, où en êtes-vous par rapport à votre problématique ?
Qu’est-ce que la prison est venue construire ou déconstruire en vous ? L’enfermement, c’est un grand chambardement. Et la sortie, une renaissance. Il faut tout recommencer. Habiter quelque part. Nombre d’amis sont désormais aux abonnés absents, ça fait partie du « pack prison ». Les anciens détenus ont un tatouage bien imprimé qui ne se voit pas. J’ai failli trouver du boulot. Quand l’employeur m’a demandé mon casier judiciaire, je ne lui ai pas montré parce qu’il y a marqué : « condamnation pour atteinte sur mineur de moins de quinze ans, consultations de sites pédopornographiques et non-respect d’une obligation d’une condamnation précédente ». Je lui ai tout de même dit que j’avais un casier judiciaire pour affaire de mœurs. Il m’a répondu qu’il ne pouvait pas me prendre, alors que j’avais passé tous les tests, c’était impeccable. La prison détruit tout et il faut reconstruire en partant de zéro. Propos recueillis par Jane Abad et Céline Reimeringer
© Samuel Bollendorf
Je n’ai pas complètement réglé le problème mais je l’ai amoindri, dès avant ma dernière condamnation. Je ne suis pas en
proie à des pulsions irrépressibles : les attirances sont toujours là mais je ne passerai plus à l’acte. Je ne côtoie plus aucun enfant, j’ai appris à vivre sans. Ce n’est qu’à l’extérieur que j’ai pu faire ma psychothérapie, et non en prison. Je la continue actuellement, j’ai une obligation de suivi psychologique pendant dix ans, mais cela ne me pèse pas, au contraire. Je dois aussi aller voir un psychiatre et le médecin coordonnateur deux fois par an. Il y a eu une évolution, heureusement. Mais pas de véritable explication, excepté quelques pistes dans l’enfance et l’adolescence.
70% des détenus du centre pénitentiaire de Caen sont incarcérés pour des infractions à caractère sexuel. Dedans Dehors N°82 Décembre 2013
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Alcool, volant, drame et prison Un divorce, l’alcool, le volant qu’il prend plusieurs fois dans un état second… Un jour, Yann a fauché deux piétons, dont l’un est décédé. Condamné à trois ans fermes, il a changé d’avis sur la prison, qu’il décrit comme d’un lieu « sans contact avec la vie ». Quels ont été les faits marquants de votre vie avant de connaître la Justice ? Dans ma famille, nous étions cinq enfants, mais j’ai perdu deux frères. Le premier est décédé avant ma naissance, le second a eu cancer à 23 ans. Il est mort à 28 ans, j’avais 20 ans. Ses cinq années de maladie ont constitué un tournant, j’ai cru que j’encaissais, mais en fait non. J’aurais dû voir un psy à l’époque. Ensuite, ma vie a été normale, mes parents ont pu m’aider pour que je suive une formation, ils étaient boulangers. J’ai commencé à travailler dans le bâtiment, me suis marié, nous avons eu des enfants. A 30 ans, j’ai perdu mon père, dont j’étais très proche. Puis il y a eu mon divorce et je me suis retrouvé seul. C’est à ce moment que j’ai pris un mauvais pli. Le moment du basculement est celui du divorce ? Oui, mon ex femme a rencontré quelqu’un et m’a annoncé au bout d’une semaine qu’elle déménageait. La rupture a été dure, j’ai commencé à sombrer. Pour ne pas rester seul chez moi, j’allais régulièrement au bar du coin. Et il y a eu la première alerte. Je me suis fait prendre au volant avec un taux d’alcoolémie : suspension du permis de conduire de deux mois. Je me disais que ce n’était pas grave, que j’avais fait l’imbécile mais que ça n’arriverait plus, j’estimais que je ne buvais pas beaucoup. Plutôt que d’aller causer de mon mal-être avec un psychiatre, j’ai eu tendance à m’enterrer tout seul. Jusqu’à une deuxième alerte ? Oui, je continuais à prendre de temps en temps le volant après avoir bu de l’alcool. Et me suis fait arrêter un jour après un bon repas avec des amis. Cette fois, j’ai filé en garde à vue, avec un taux d’alcoolémie conséquent. La secousse a été plus puissante, la garde à vue éprouvante. Quand j’en sors, mon permis a été retenu et je dois attendre la convocation du tribunal. Six mois plus tard, mon permis m’est renvoyé avec un courrier m’indiquant que la convocation au tribunal arrivera plus tard. Je ne vais pas me renseigner à la gendarmerie en face de chez moi, je reprends la voiture sans savoir s’il me reste des points sur mon permis. Et arrive le fameux mois d’août 2009. Dedans Dehors N°82 Décembre 2013
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Vous n’êtes toujours pas passé devant le tribunal ? Non. C’est la fin de l’été, les vacances commencent dans le milieu professionnel du bâtiment. Notre patron nous donne une bonne prime de participation aux bénéfices. Je fais la fête toute la journée avec les collègues. A un moment, on m’a mis dans un fourgon pour dessoûler. Un ami me ramène à mon domicile, je suis dans un sale état mais il ne peut rester avec moi. Je suis seul, il est 19-20 heures. Je me sers de nouveau à boire et je fais la bêtise. Dans un état second, je décide de prendre la voiture pour descendre sur Rennes. Ensuite, je ne me souviens plus que des pompiers. Vous avez eu un accident ? Oui, la voiture est à l’envers, on la découpe, on me met un collier cervical. Puis je me réveille à l’hôpital, en sentant qu’il se passe quelque chose d’anormal : j’ai une double fracture du bras qui me fait hurler, et pourtant le personnel médical est assez dur avec moi. Je vois deux policiers. Après avoir été plâtré, direction garde à vue, cellule de dégrisement. Je suis interrogé trois fois par un enquêteur, qui ne m’informe pas de ce qui est arrivé. Sur quelles questions porte l’interrogatoire ? Il me demande tout ce que j’ai fait avant l’accident, cherche à élucider mes trous noirs. Je suis réinterrogé le lendemain matin, je redis la même chose et l’enquêteur reconnaît mon « black out ». Il m’explique que j’ai percuté deux personnes, dont l’une est grièvement blessée, entre la vie et la mort. Je retourne dans ma cellule anéanti, je me demande ce que j’ai fait. Un peu plus tard, l’interrogateur m’emmène dehors pour fumer et je lui demande ce qui va se passer maintenant : « Vous allez voir un juge ce soir, puis vous irez en détention. Vous serez jugé, et enfin vous sortirez en conditionnelle ». A quoi pensez-vous à ce moment-là ? Tout s’effondre. Je pense à mes enfants que je devais aller chercher pour partir en vacances. Mon affaire passe sur toutes les télévisions, avec beaucoup d’erreurs. Je veux que tout s’arrête. Je suis amené devant une juge après 48 heures de
© Olivier Touron
ACTU parcours de vie d’anciens détenus
Douche collective du quartier mineur de la maison d’arrêt de Loos, fermée en août 2011
garde à vue. Elle me dit que je suis un alcoolique et ordonne la détention provisoire. Comment se passe votre arrivée en prison ? Quand je passe dans l’allée du grand quartier de Jacques Cartier [ancienne prison de Rennes, fermée en 2010], je réalise où je tombe. Un surveillant essaie de me mettre à l’aise, de positiver, mais c’est impossible. Je me retrouve en cellule avec un homme plus âgé, qui fume en continu et hurle toute la nuit. Je craque deux ou trois fois la première nuit. Le lendemain, je subis ma première agression : nous sommes six aux douches et un détenu me dit qu’il veut mes baskets. Je prends deux ou trois coups de poing. Mais je ne lui donne pas les chaussures. Quand je retourne en cellule, un surveillant me demande si j’ai eu des soucis. La prison commence dans ma tête, je ne dis rien. Comment intégrez-vous les codes de la prison ? Lors de ma première promenade, tous les détenus me connaissaient déjà à cause des médias. Ils m’appelaient « le cascadeur ». Un mot avait été envoyé pour moi par yoyo. C’était le fils d’un collègue de travail, je ne savais pas qu’il était incarcéré. Je suis soulagé de ne pas être seul, il y a quelqu’un que je connais. Quand je rentre en cellule, un surveillant me transmet un gros sac poubelle avec du sirop, des pâtes, de l’huile, des petits gâteaux… Le luxe, pour la prison. A la fin de la semaine, je croise un autre détenu qui me propose de
demander à partager sa cellule. J’aurais préféré rester seul, mais les surveillants refusent, ils ont peur que je me suicide. Je suis affecté dans la cellule que j’ai demandée, celle de Samuel. Il s’avère que lui aussi, je le connais un peu, il est de la même commune que moi, et incarcéré pour la troisième fois. C’est lui qui m’apprend vraiment la prison : je dois sortir en promenade, montrer que je n’ai pas peur, certains essaient de faire des profits sur les autres… Il m’explique comment faire des demandes : bibliothèque, travail, etc. Etes-vous informé des suites de votre affaire, voyez-vous votre avocat ? Ni mon avocat ni l’administration pénitentiaire ne m’ont informé de ce qui était arrivé à la victime gravement blessée. J’apprends son décès dans le journal un samedi matin. Et je pète un plomb dans ma cellule. Au surveillant qui arrive, je crie « j’ai tué quelqu’un ». On m’amène dans le bureau du chef de bâtiment, qui se contente de me dire « bah, c’est comme ça » et de me demander si je suis suicidaire. Comme je réponds « non », on me renvoie en cellule. Dans les jours qui suivent, je reçois un courrier de ma sœur qui m’informe qu’elle est sous calmants, que toute la famille a été interrogée. Que deviennent vos liens avec vos proches pendant la détention ? J’écris à mon ex femme, qui ne me répond pas. Je mets beaucoup de temps à écrire à ma mère, car je me sens comme un Dedans Dehors N°82 Décembre 2013
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assassin. Et je suis bien placé pour savoir ce que veut dire perdre un proche. Ce sont deux personnes plus éloignées qui me soutiendront pendant ma détention : un ancien collègue pompier à la retraite et une amie que je n’avais pas vue depuis dix ans. Quelles informations recevez-vous pendant la procédure d’instruction ? J’apprends que la convocation au tribunal que je n’ai jamais reçue m’a été envoyée, que j’ai été jugé en mon absence quelques jours avant mon incarcération : trois mois de sursis et suspension du permis de conduire. Incarcéré depuis quatre mois, je suis déféré à la cité judiciaire pour la révocation de mon sursis. Mon instruction dure neuf mois, alors que j’ai tout reconnu. Après un report, mon procès est fixé au 21 juin. Comment avez-vous vécu ce procès et la peine prononcée ? L’entrée dans le box est pesante, je sais le tort que j’ai causé, je vais prendre ma peine. J’ai eu un seul regard en direction du public, vers les enfants de ma victime. Le reste du temps, j’ai la tête entre les jambes et je pleure. J’entends défiler toute ma vie, je ne suis pas d’accord avec tout ce qui est dit. Mon avocat m’avait prévenu, mais on n’est jamais assez préparé, c’est violent. J’ai la sensation que pour les victimes, même si je prends huit ans, ce ne sera pas assez. C’est irréparable pour eux. Et moi, quelle que soit la peine, j’y penserai toute ma vie à ce monsieur qui est mort. Je présente des excuses aux victimes, mais ça ne vaut rien, elles me haïssent et c’est normal. Le lendemain, la peine est prononcée : quatre ans de prison dont un an avec sursis mise à l’épreuve de trois ans. Je m’attendais à plus, mais l’idée des deux ans de prison qui me restent à purger m’assomme. C’est alors que mon avocat vient m’expliquer que je peux déjà demander une libération conditionnelle. Je pense à la famille de la victime qui croit que je repars pour des années de prison. Cela me paraît dingue. Comment se passe votre retour en prison ? La grande nouveauté, c’est qu’une fois condamné, j’ai le droit de téléphoner. J’appelle à mon ancien travail, où la secrétaire m’apprend que le patron ne m’a pas licencié. Je ne saurai jamais comment l’en remercier. Le comptable me transmet les papiers dont j’ai besoin pour ma demande de conditionnelle, que je dépose début juillet. Paradoxalement, l’attente des quatre mois avant que soit examinée ma demande me paraît incroyablement longue. Chaque jour, j’attends le petit papier de convocation. La libération conditionnelle vous est accordée ? Oui, je passe en audience en octobre 2010 et le juge me dit à la fin de téléphoner à mon patron pour l’avertir que je vais bientôt reprendre. Je retourne en cellule en sachant que je vais être libéré.
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Dans quel état d’esprit passez-vous vos derniers jours de prison ? Je ne dormais plus, je me disais « ça y est, je vais sortir, tout va être magnifique ». J’ai donné tout ce que j’avais acheté en prison, dont une chaîne hifi, à un jeune détenu qui n’avait rien. J’ai eu le temps de remercier des surveillants qui avaient été bien avec moi. Le jour de la sortie, j’avais refusé que des amis viennent me chercher, car je savais que ce serait dur. J’ai marché toute la journée dans la ville de Rennes. J’avais l’impression de porter l’étiquette de détenu. De retour au travail, il y a eu des regards durs. Et d’autres collègues qui me disaient que cela aurait pu arriver à n’importe qui. Avez-vous retrouvé vos amis, votre entourage ? Non, j’ai coupé les ponts avec tout le monde. J’avais besoin d’une rupture avec mon passé. Les premières nuits, j’entendais encore les bruits des portes de la prison. J’étais même gêné de ne plus entendre hurler. Beaucoup m’ont dit que j’aurais mérité de rester en prison plus longtemps, ils ne se rendent pas compte de ce que peuvent être 24 heures de détention. Même un surveillant qui nous voit tous les jours ne mesure pas ce qu’est d’être enfermé de l’autre côté. Moi, je ne pourrai jamais l’oublier. Vous avez changé de regard sur la prison ? Oui, je pensais comme la plupart des gens avant : « S’il a fait ça, il est bien en prison ». Mais il faut l’avoir vécu pour comprendre. C’est un lieu sans contact avec la vie. A Vezin, on ne voit plus rien de l’extérieur, rien que de la taule et du béton. Je suis sorti depuis trois ans, et il m’arrive encore d’entendre les bruits des serrures des portes, les verrous du haut qui se ferment tous les soirs. C’est aussi un milieu très violent, où l’on doit constamment être sur ses gardes. Le nombre de gars que j’ai vu revenir de promenade sans chaussures… D’autres prennent des coups de poing pour les obliger à cantiner pour un autre. Certains commandent 35 paquets de cigarettes alors qu’ils ne fument pas. La loi est celle des détenus. Tant que cela ne déborde pas, les surveillants laissent faire. Comment s’est déroulé le suivi en conditionnelle ? Je devais apporter au SPIP une fiche de paie, des justificatifs de soins et de domicile. Mais je n’arrivais pas à trouver un logement fixe. Comme je devais beaucoup d’argent à l’Etat, mes comptes bancaires étaient bloqués. On croit que la prison, c’est fini quand on sort, mais elle vous rattrape. Comme je n’avais pas de justificatif de domicile, le juge de l’application des peines m’a convoqué et m’a donné 15 jours pour donner une adresse fixe. Je n’ai pas réussi dans ce délai, mais je n’ai plus reçu de convocation et j’ai encore commis l’erreur de laisser filer. Un matin, la police a frappé à ma porte. Je suis actuellement en appel pour éviter la révocation de mon sursis. La Justice, ce n’est jamais fini. Propos recueillis par Samuel Gautier
en droit Le refus de transfert non susceptible de recours s’il ne porte pas atteinte aux droits fondamentaux Dans un arrêt du 13 novembre 2013, le Conseil d’Etat a estimé que « les décisions refusant de donner suite à la demande d’un détenu de changer d’établissement ne constituent pas des actes administratifs susceptibles de faire l’objet d’un recours […], sous réserve que ne soient pas en cause des libertés et des droits fondamentaux des détenus ». Dans cette affaire, Monsieur A., détenu en métropole depuis 25 ans, contestait le refus opposé à sa demande de transfert vers le centre de détention du Port, à La Réunion, département dont il est originaire. Pour la Haute Juridiction, de tels refus constituent des « mesures d’ordre intérieur », c’est-à-dire des actes qui ne peuvent pas en principe être contestés, sauf s’ils comportent une atteinte aux droits et libertés des détenus « qui excède les contraintes inhérentes à leur détention ». Le détenu avait avancé l’argument d’une atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale, le refus de transfert
ne lui permettant pas de se rapprocher de sa famille vivant à La Réunion. Le Conseil d’Etat a écarté cette allégation, relevant que l’intéressé, « célibataire, sans charge de famille », ne démontre pas avoir maintenu des liens avec les membres de sa famille alors qu’il est détenu depuis de très nombreuses années en métropole. M. A. soutenait d’autre part qu’en lui interdisant de se rapprocher de son milieu et de sa région d’origine, le refus de transfert portait atteinte au droit à la réinsertion des détenus garanti par l’article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et par l’article 707 du code de procédure pénale. Pour le Conseil d’Etat, « l’objectif de réinsertion sociale des détenus n’est cependant pas au nombre des droits et libertés fondamentaux des détenus » et sa mise en cause ne permet donc pas d’engager un recours contre le refus de transfert. (CE, 13 nov. 2013, A., n° 338720) Nicolas Ferran
Droit de réponse En réaction à l’entretien de Cyrille Canetti, psychiatre à la maison d’arrêt de la Santé, publié dans le dernier numéro de Dedans-Dehors, droit de réponse de M. Stéphane Scotto, directeur des services pénitentiaires : « La lecture de l’article paru dans le n° 81 d’octobre 2013 consacré au recueil des propos de M. Canetti concernant la prise d’otage dont il a été victime en exerçant ses fonctions à la maison d’arrêt de Paris La Santé me conduit à rectifier des mentions erronées de M. Canetti. Le propos de M. Canetti selon lequel j’étais chef d’établissement de la maison d’arrêt de Nancy en 2006 est erroné*. Les conclusions que retire M. Canetti de la supposée gestion d’une prise d’otage sur cet établissement de son agresseur sont donc dénuées de fondement. Respectueux de l’activité médicale que je me refuse à commenter, je souhaite à mon endroit et celui des cadres qui gèrent les affectations en établissements pour peines des personnes détenues ce respect. Je souligne la complexité de déterminer une affectation en établissement pour peine en prenant en compte le profil pénal et pénitentiaire d’une personne détenue, des éléments familiaux et le contexte des établissements susceptibles de l’accueillir. » Stéphane Scotto * M. Scotto a été directeur de la maison d’arrêt de Nancy de novembre 2001 à juin 2005, ndlr.
Pour rappel, le paragraphe concerné : Que retenez-vous de la déposition du directeuradjoint de l’état-major de sécurité de la direction de l’administration pénitentiaire, cité comme témoin ? Cyrille Canetti : Je ne comprends pas l’aplomb de celui qui ne reconnaît jamais qu’il aurait été possible de faire autrement. J’ai trouvé très violent de l’entendre répondre sans sourciller : « On n’a pas fait d’erreurs. » Ce monsieur était chef d’établissement à Nancy lors de la première prise d’otage de Dorffer en 2006. Il était sous-directeur de l’état-major de sécurité lors des trois suivantes. A l’issue de la quatrième prise d’otage à Poissy en 2011 (non encore jugée), il s’est engagé auprès de Francis Dorffer, en présence de son avocate, à le faire affecter à Ensisheim s’il se tenait correctement. Cette parole n’a pas été tenue. Il se justifie à la barre en arguant que les 22 mois écoulés depuis lors « ne sont pas suffisants ». Par ailleurs, il soutient qu’il ne se sent plus lié par des engagements pris alors qu’il occupait un autre poste, ce que je trouve extrêmement choquant. Enfin, il balaye les interrogations – notamment les miennes – sur l’absence de prise en compte des alertes que nous avions adressées sur le risque d’incident, en disant qu’il est toujours facile de prédire un événement après coup. Il ajoute que les critères d’affectation de Francis Dorffer (climat de l’établissement, de l’année de construction…) nous échappent : en clair, l’administration centrale sait faire alors que nous, les acteurs de terrain, avons une appréciation erronée parce que nous avons le nez dans le guidon. Dedans Dehors N°82 Décembre 2013
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Transferts entre établissements de même nature : petite avancée et grand recul pour les droits des détenus La décision de changer l’affectation d’un détenu entre établissements de même nature peut faire l’objet d’un recours « lorsque la nouvelle affectation s’accompagne d’une modification du régime de détention entraînant une aggravation des conditions de détention ». Telle est la solution consacrée par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 13 novembre 2013. Jusqu’à présent, le Conseil d’Etat estimait que de telles décisions n’étaient pas susceptibles de recours, « sous réserve que ne soient pas en cause des libertés et des droits fondamentaux des détenus »1. Désormais, même en l’absence d’atteinte à l’un(e) de ces droits ou libertés, les décisions de changement d’affectation entre établissements de même nature peuvent être attaquées, à condition que le détenu démontre que son transfert s’est accompagné d’une modification de son régime de détention entraînant une aggravation de ses conditions de détention. Tel était bien le cas en l’espèce. Le requérant avait été transféré du centre de détention de Casabianda – seule prison « ouverte » en France – vers celui de Salon-de-Provence. La détérioration de son régime et de ses conditions de détention résultant du changement d’affectation était évidente. Néanmoins, le Conseil d’Etat poursuit, de façon très contestable, en estimant que la décision attaquée « n’entre dans aucune des catégories de décisions qui doivent être motivées en application de l’article 1er de la loi du 11 juillet 1979 » et que « par suite, elle n’est pas au nombre des décisions […] qui ne peuvent intervenir qu’après que la personne intéressée a été mise à même de présenter ses observations » en application de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000. Autrement dit, l’administration peut décider de transférer un détenu entre établissements de même
nature sans motiver sa décision ni recueillir préalablement les observations du détenu concerné. Ce recul des garanties entourant la prise d’une décision par l’administration (obligation de motivation et de débat contradictoire) a déjà été opéré par le Conseil d’Etat en matière de régimes différenciés de détention, dans un arrêt du 28 novembre 20112. Il avait acté que la décision d’affecter un détenu en secteur « portes fermées » ne constituait pas une « décision défavorable » au sens de loi de 1979 et qu’elle n’avait donc pas à être motivée ni précédée d’un débat contradictoire. Dans son nouvel arrêt de novembre 2013, le Conseil d’Etat prolonge ainsi la démarche engagée, consistant à soustraire un ensemble grandissant de décisions de l’administration pénitentiaire à l’obligation de motivation et de débat contradictoire préalable. Il s’agit là d’une véritable régression pour les droits des personnes détenues. L’obligation de motivation qui pèse sur les décisions administratives défavorables, de même que les règles de procédure qui encadrent leur édiction, notamment en matière de débat contradictoire préalable, sont autant de garanties contre les risques d’illégalité et d’arbitraire, particulièrement nécessaires à l’égard de personnes se trouvant dans une situation de vulnérabilité et de forte soumission à l’administration. Comme pour contrebalancer l’extension du champ de son contrôle sur l’administration, le Conseil d’Etat tend ainsi à réduire ses exigences à un contrôle de légalité allégé du respect des règles de formes et de procédure prévues par le droit commun, redonnant au droit pénitentiaire sa dimension de droit d’exception. (CE, 13 nov. 2013, X., n° 355742)
1 CE, 14 déc. 2007, Ministre de la Justice c/M. Boussouar, n°290730
2 CE, 28 mars 2011, Ministre de la Justice c/ M. B., n° 316977
N. F.
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en droit
en droit L’absence d’indemnités pour des handicapés détenus en cellules médicalisées confirmée par le Conseil d’Etat le préjudice subi soit établi par le requérant « avec un degré suffisant de certitude ». Si « l’évaluation du montant de la provision […] est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision […] que pour la fraction de ce montant qui lui parait revêtir un caractère de certitude suffisant ». Au vu de ces principes, le Conseil d’Etat a confirmé les arrêts de la Cour administrative d’appel de Paris jugeant que la provision allouée à certains détenus handicapés ne se justifiait pas. Pour la Haute Juridiction, la Cour a décidé à bon droit que les conditions de détention des requérants en cellule médicalisées, « spécialement aménagées pour accueillir des personnes handicapées », n’atteignaient pas « un degré de gravité tel que [le préjudice invoqué] puisse être regardé comme non sérieusement contestable ». Une décision contestable au vu du constat d’expert qui mettait en lumière le fonctionnement défectueux des équipements, le manque d’espace pour une circulation normale des personnes handicapées en cellule et le taux très élevé d’humidité dans des cellules dont les fenêtres étaient situées trop haut pour être accessibles à des personnes en fauteuil. (CE, 6 déc. 2012, n° 363290, n° 363291, n° 363292, n° 363293, n° 363294, n° 363295) N. F.
© Michel Lemoine
Par six arrêts du 6 décembre 2013, la Section du contentieux du Conseil d’Etat a rejeté les pourvois formés contre des arrêts de la Cour administrative d’appel de Paris refusant à des détenus handicapés une indemnité pour leurs conditions de détention en cellules « médicalisées » a Fresnes. Elle précise les conditions dans lesquelles le juge des référés peut accorder une provision à un détenu en réparation du préjudice subi du fait de ses conditions de détention. Le Conseil d’Etat rappelle que des conditions de détention portant atteinte à la dignité humaine sont constitutives d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat vis-à-vis du détenu, qui peut obtenir une indemnisation devant le juge administratif. L’appréciation de ce caractère attentatoire à la dignité « dépend notamment de [la] vulnérabilité [des personnes incarcérées], appréciée compte tenu de leur âge, de leur état de santé, de leur handicap et de leur personnalité, ainsi que de la nature et de la durée des manquements constatés », mis en balance avec les « motifs susceptibles de justifier ces manquements eu égard aux exigences qu’impliquent le maintien de la sécurité et du bon ordre dans les établissements pénitentiaires, la prévention de la récidive et la protection de l’intérêt des victimes ». Lorsqu’une personne détenue sollicite le versement d’une provision auprès du juge des référés, il faut que
Détenu handicapé au centre de détention de Montmédy Dedans Dehors N°82 Décembre 2013
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ADRESSES
Pour tout renseignement sur les activités de l’OIP en France ou pour témoigner et alerter sur les conditions de détention en France : OIP section française 7 bis, rue Riquet 75019 Paris tel : 01 44 52 87 90 fax : 01 44 52 88 09 e-mail : contact@oip.org site : www.oip.org
Le standard est ouvert de 15h à 18h
L’OIP en région Les coordinations régionales sont chargées des enquêtes sur les établissements de leurs régions. Chaque coordinateur travaille avec un réseau de correspondant et de bénévoles. Coordination régionale Nord et Ouest (DISP Lille et Rennes)
Coordination régionale Sud-Est (DISP Lyon et Marseille)
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Céline Reimeringer 57 rue Sébastien Gryphe 69007 Lyon 09 50 92 00 34 06 50 73 29 04 fax : 09 55 92 00 34 lyon@oip.org
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7 bis rue Riquet 75019 Paris 01 44 52 87 90 fax: 01 44 52 88 09 contact@oip.org
Pour les contacter, vous pouvez joindre le secrétariat national : contact@oip.org ou 01 44 52 87 90
Qu’est-ce que l’OIP ? La section française de l’Observatoire international des prisons (OIP), créée en janvier 1996, agit pour le respect des droits de l’Homme en milieu carcéral et un moindre recours à l’emprisonnement. Que fait l’OIP ? Concrètement, l’OIP dresse et fait connaître l’état des conditions de détention des personnes incarcérées, alerte l’opinion, les pouvoirs publics, les organismes et les organisations concernées sur l’ensemble des manquements observés ; informe les personnes détenues de leurs droits et soutient leurs démarches pour les faire valoir ; favorise l’adoption de lois, règlements et autres mesures propres à garantir la défense de la personne et le respect des droits des détenus ; défend une limitation du recours à l’incarcération, la réduction de l’échelle des peines, le développement d’alternatives aux poursuites pénales et de substituts aux sanctions privatives de liberté. Comment agit l’OIP ? Organisation indépendante des pouvoirs publics, l’OIP ne sollicite aucun mandat ou subvention du ministère de la Justice, s’interdit de prendre part à l’action d’aucun gouvernement, de soutenir aucun parti politique ou de prendre position à l’occasion de toute consultation électorale. Pour faciliter la mise en œuvre de ses objectifs, l’Observatoire suscite la création de coordinations régionales chargées de l’observation des lieux de détention et composées exclusivement de membres de l’OIP.
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rapport 2011 : les conditions de détention en France
Prénom . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Organisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
OIP/ La Découverte, 336 p., 28 € (frais de port inclus)
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Projet de réforme pénale : exercice de DESINTOX St-Quentin-Fallavier : retour sur des abus tolérés Réau : le quartier maison centrale sur la sellette
OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS SECTION FRANÇAISE
7,50 € N°81 Octobre 2013
Dedans Dehors n°81 9,50€ (frais de port inclus)
Montant : 10 € Nom
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Le Guide du prisonnier 2012 L’outil indispensable pour défendre et faire avancer les droits
Depuis sa parution en décembre 2012, plus de 400 personnes détenues ont demandé à recevoir gratuitement la nouvelle édition du Guide du prisonnier. L’OIP répond à l’ensemble de ces demandes, grâce aux dons sollicités à cet effet. Pour continuer à assurer ces envois gracieux, ainsi qu’à réapprovisionner les quelques 300 bibliothèques pénitentiaires, nous avons impérativement besoin de votre soutien ! Apporter les connaissances qui protègent et font avancer les droits : telle est la finalité de cet ouvrage. Il répond à 873 questions qui peuvent se poser de l’entrée à la sortie de prison. Vulgarisation d’un droit épars, confronté à son application au quotidien, illustré par des témoignages et analyses, agrémenté de conseils pour faire valoir ses droits devant l’administration ou les tribunaux… Le Guide du prisonnier a acquis le statut de « bible de la condition carcérale ».
«C
et ouvrage est véritablement indispensable pour faire valoir ce que de droit. Ce qui bien malheureusement n’est pas facile en prison ! La quantité énorme de lois, textes, règlements, empêche une mémorisation simple, aussi se référer en permanence au guide est indispensable. Un peu comme l’usage de la bible pour les croyants, un dictionnaire ou un annuaire pour le plus grand nombre. Je vous suis très reconnaissant de m’en avoir adressé un exemplaire gracieusement. Exemplaire que je partage régulièrement avec mes compagnons de coursive. En effet, la disponibilité de l’ouvrage en bibliothèque est très limitée. Ici, l’accès à la bibliothèque est d’une heure hebdo pour un groupe de dix personnes. »
«C
et ouvrage est aujourd’hui incontournable dans ma vie carcérale. Je me réfère toujours à vos articles avant de faire une demande à l’administration, par exemple pour l’achat d’un ordinateur. Lors de ma demande, j’ai fait mention des articles indiqués dans le guide et j’ai eu l’autorisation du chef d’établissement sans aucune difficulté, alors que le chef de détention m’avait opposé deux refus. Votre guide est très bien conçu, il apporte toutes les réponses aux questions que se pose une personne incarcérée. Grâce à ce livre, ma mère aussi est rassurée et connaît le parcours que je vais suivre. Je tiens à remercier l’ensemble des donateurs grâce auxquels beaucoup de détenus peuvent mieux connaître leurs droits dans des lieux où ils sont oubliés. »
«D P R I S O N S D E S
INTERNATIONAL
OBSERVATOIRE
ans les premiers temps en maison d’arrêt vous n’avez ni le courage, ni la volonté de vous poser des questions et de remettre en question le bien fondé de certaines situations. Mais au bout d’un certain temps, vous vous penchez sur votre condition de détenu, vous voulez des informations sûres, certifiées. L’outil indispensable pour cela, dans l’indépendance intellectuelle et sociale, c’est le Guide du prisonnier, qui permet de connaître ses droits et ses devoirs dans une société démocratique. »
«L
e Guide du prisonnier est un outil indispensable pour que les détenus connaissent leurs droits et leurs obligations. Le système de questionsréponses facilite les recherches et permet d’obtenir des indications précises. Il s’agit là d’un ouvrage d’intérêt général en détention et d’une utilisation fréquente, étant donné le nombre de problèmes, contestations, doutes ou incidents survenant en prison. Il présente un intérêt également pour l’administration pénitentiaire dans la mesure où il peut éviter des réclamations inutiles de la part de détenus mal informés, qui ont parfois tendance à se croire lésés à tort. » Témoignages de personnes détenues sur le Guide du prisonnier, octobre-novembre 2013.