Dedans Dehors n°83 Projet de réforme pénale : aussi indispensable qu'inabouti

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Centrale de Condé-sur-Sarthe : l’ultra sécuritaire en échec Cour des comptes : bilan de l’accès aux soins des détenus Réveils nocturnes : des contrôles insoutenables

Projet de réforme pénale : aussi indispensable qu’inabouti dossier avec Françoise Tulkens, Christophe Régnard, Françoise Martres, François Delezenne, Delphine Colin, Nicolas Finielz, Xavier Pin et Sylvain Chatelet

OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS SECTION FRANÇAISE

7,50 € N°83 Mars 2014


EDITORIAL

Réforme pénale : sortir d’une logique d’affichage et de populisme Le 14 avril prochain, les députés examineront le projet de loi relatif à la lutte contre la récidive et l’individualisation des peines. Ils devront répondre à la question : « De quelle politique pénale doit-on doter la France de demain ? ». Minutieusement, chercheurs, professionnels et représentants de la société civile ont, lors des travaux de la conférence de consensus, posé les jalons d’une politique pénale non plus d’affichage, mais pragmatique, afin de mieux contribuer à prévenir la récidive, en sortant de la primauté de l’emprisonnement au bénéfice d’une probation améliorée. La voie était tracée et devait être portée par un discours fort et cohérent. Hélas, le discours s’est brouillé. A vouloir répondre aux attaques indues de laxisme, en se laissant piéger par l’illusion selon laquelle plus d’emprisonnement et de contrôle serait gage de fermeté, le président a fait le choix des concessions : au lieu de défendre une vision, il a entrepris de décortiquer chaque mesure à l’aune de ce qui serait soi-disant acceptable par l’opinion publique. Au prix de renoncements, au risque d’une perte de cohérence et d’impact. Le projet de loi issu de l’arbitrage présidentiel n’est plus que l’ombre de ce qu’aurait dû être la réforme issue de la conférence de consensus. La contrainte pénale, qui devait en être la mesure phare, apparaît comme une coquille vide qui se cherche une identité. La question de savoir comment le texte pourra être appliqué et quels en seront les effets n’est pas à l’ordre du jour. La majorité semble trop occupée à habiller le texte de contrainte, d’obligations et autres interdictions, voire à envisager de nouvelles concessions. L’opposition, qui affûte ses couteaux, s’apprête à déposer des milliers d’amendements. Dans ce tableau désolant, la démocratie parlementaire saura-t-elle jouer son rôle ? Il appartient désormais aux députés et sénateurs d’affronter le populisme pénal. Pour ne pas manquer encore une fois le rendez-vous du changement. Cécile Marcel

N°83 Mars 2014

Sommaire 1 Actu – Condé-sur-Sarthe : l’ultra sécuritaire en échec – La Cour des comptes réclame une véritable politique de santé publique pour les personnes détenues – Formation professionnelle des détenus : l’heure du transfert aux régions 10 De facto – Baisse des violences en détention – Baie-Mahault : pétition de 208 détenus – Réveils nocturnes des « détenus particulièrement signalés » – Contrôleur : critique sévère des quatre premiers placements en rétention de sûreté – Nancy-Maxéville : à l’unité médicale, des « cages » en guise de salle d’attente 14 Dossier Projet de réforme pénale : aussi indispensable qu’inabouti Avec Françoise Tulkens, présidente du jury de la Conférence de consensus ; Christophe Régnard (USM) et Françoise Martres (SM) ; François Delezenne et Sylvain Chatelet, anciens détenus ; Delphine Colin (CGT-Pénitentiaire) et Nicolas Finielz (SNEPAP-FSU) ; Xavier Pin, professeur de droit. 39 De facto – Maubeuge : nouvelle condamnation pour un suicide au quartier disciplinaire – Hausse des tarifs de location des TV dans les prisons à gestion publique – Rendre effectif le droit de vote en détention – Périodes de sûreté : un nouveau mode de calcul très défavorable – Suspension de peine médicale : des obstacles tombent 42 « Ils sont nous » Avec Corinne et Sylvie 48 En droit Fouille à nu systématique : le rappel à la loi de la Chancellerie ; Travail : le prestataire privé ne peut décider du déclassement d’un détenu

DEDANS DEHORS publication bimestrielle de la section française de l’Observatoire international des prisons, association loi 1901, 7 bis, rue Riquet, 75019 Paris, Tél. : 01 44 52 87 90, Fax : 01 44 52 88 09, e-mail : contact@oip.org Internet : http://www.oip.org Directeur de la publication : Antoine Lazarus Rédaction en chef : Sarah Dindo, Barbara Liaras Rédaction : François Bès Anne Chereul Marie Crétenot Nicolas Ferran Alice Gaïa Cécile Marcel Delphine Payen-Fourment Céline Reimeringer Sébastien Saetta Transcriptions : Amélie de Colnet Nicole Chantre Clémentine Horaist Mireille Jaeglé Milena Le Saux-Mattes Odile Dizengremel Fanny Bonnefont Secrétariat de rédaction : Elsa Dujourdy Aude Malaret Julie Namyas Identité graphique : MG., L.D. < dlaranjeira@caramail.com > Maquette : Claude Cardot/Vélo © Photos, remerciements à : Olivier Aubert, Philippe Brault, CGLPL, Bertrand Desprez, Patrick Gripe, Jack Guez, Nicole Henry-Crémont, Bernard Le Bars, Michel Le Moine, Thierry Pasquet, Aimée Thirion Et aux agences : SIGNATURES, VU, EDITING. Impression : Imprimerie Expressions 2-GP, 10 bis, rue Bisson, 75020 Paris Tél. : 01 43 58 26 26 ISSN : 1276-6038 Diffusion sur abonnement au prix annuel de 30 € Photographie couverture : Bernard Le Bars/Signature


© Philippe Brault / Agence VU’ pour Le Monde

ACTU

La maison centrale d’Alençon-Condé, ouverte depuis mai 2013, est la centrale la plus sécuritaire de France.

Condé-sur-Sarthe :

l’ultra sécuritaire en échec Ouverte depuis mai 2013, pour l’instant utilisée au tiers de sa capacité, la maison centrale de Condé rassemble d’emblée tous les ingrédients d’une poudrière. Architecture oppressante, contacts humains limités au minimum, manque d’activités, isolement géographique limitant les visites familiales, personnel constitué pour moitié de stagiaires inexpérimentés face à des personnes condamnées à de longues peines… Les incidents graves s’accumulent, sans que soit remise en cause une structure intrinsèquement génératrice de violences.

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ES NEUF PREMIERS MOIS DE FONCTIONNEMENT DE LA CEN-

trale de Condé-sur-Sarthe ont été rythmés par de multiples incidents, parmi lesquels des violences et une prise d’otage… en tout, « 18 agressions physiques significatives » contre des personnels depuis l’ouverture, indique le directeur 1. Un surveillant a été pris en otage, d’autres ont été attaqués avec des armes artisanales fabriquées en prison… L’établissement n’accueille que

1 Franck Johannès, « La dérive de la prison la plus sécurisée de France », Le Monde, 17 février 2014.

68 détenus pour une capacité de 204, et ils sont encadrés par 189 surveillants. Mais les détenus ne souhaitent bien souvent qu’une chose : partir. Par tous les moyens. Commande du précédent gouvernement au budget colossal de 65 millions d’euros, la centrale la plus sécuritaire de France a été conçue pour accueillir sur une durée de 9 à 12 mois les « personnes détenues que d’autres centres pénitentiaires ne peuvent pas gérer 2 ». Elle réunit tous les ingrédients favorables 2 André Breton, directeur de la centrale, plaquette de présentation du CP d’Alençon-Condé-sur-Sarthe, APIJ, octobre 2012. Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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© Philippe Brault / Agence VU’ pour Le Monde

quartier d’isolement géant : « J’ai souvent l’impression d’être seul dans cette prison et que je ne sortirai jamais d’ici. Tout est fait pour que les détenus ne soient jamais réunis à plusieurs », indique Mustafa à l’OIP.

Centrale d’Alençon-Condé, cour de promenade.

à l’explosion, tant dans sa conception architecturale que dans son fonctionnement interne.

Une architecture visant à limiter les contacts et la vie sociale Le constat a été rappelé en 2010 par un groupe de travail sur les violences à l’égard des personnels pénitentiaires : les architectures qui « rendent difficiles l’exercice normal de relations sociales entre détenus et personnels pénitentiaires 3 » jouent un rôle important dans l’émergence des tensions. Ainsi, reconnait la directrice de l’administration pénitentiaire, même dans les établissements « qui comportent un haut niveau de sécurité, le concept de vie collective est très important : les détenus doivent pouvoir se retrouver pour les activités, le sport, les ateliers. Condé est conçu exactement sur un mode inverse4 ». A l’intérieur des locaux, tout a été fait pour compartimenter et cloisonner à l’extrême : multiplication des sas et des grilles, portes et fenêtres les plus petites possible, large déploiement de la vidéosurveillance… Les trois bâtiments de la centrale sont parfaitement étanches entre eux. Chacun est composé de deux ailes de 34 places (17 cellules en rez-de-chaussée et 17 autres à l’étage) et dispose d’un petit terrain de sport en pelouse synthétique qui n’accepte que quinze personnes en même temps. Chaque étage a sa cour de promenade, minuscule, cernée d’un haut mur de béton, ainsi qu’une salle d’activité où il est interdit de se trouver à plus de sept. « Tout est trop petit ici », se plaignent de nombreux détenus. Un syndicaliste résume avec humour : « cette centrale a été conçue pour résister à l’assaut des Vikings, mais absolument pas comme un lieu de vie ». Et d’ajouter : « Tout a été fait pour casser le collectif ». Et de fait, les couloirs sont déserts, les détenus ne peuvent pas se croiser. D’où l’impression des détenus de se trouver dans un 3 Groupe de réflexion sur les violences à l’égard des personnels pénitentiaires, rapport de P. Lemaire, mai 2010. 4 Isabelle Gorce, « Les surveillants n’avaient pas été assez préparés à ce rapport de force », Le Monde, 17 février 2014. Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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A l’extérieur des locaux de détention, « tous les dispositifs de sécurité qui avaient fait leur preuve ailleurs » ont été « dupliqués en mieux » explique un chargé d’opération au bureau des affaires immobilières de la DAP : « quatre miradors », « double mur d’enceinte », « barrières infrarouges sur les façades d’hébergement » 5, filins anti-hélicoptères, etc. Si bien que le directeur de la centrale se félicite d’avoir là « un outil extraordinaire 6 », peut-on lire sur une plaquette de présentation de l’établissement. Les architectes s’y gargarisent pour leur part d’un travail sur « la lumière et la couleur » pour « l’humanisation des locaux ». A leur arrivée, la réaction des premiers détenus a été toute autre : « Guantanamo », « un QHS moderne », « mortifère », « un cimetière »… écrivent-ils de concert à l’OIP. Le seul aspect positif des locaux selon Eric, c’est « la douche en cellule, le reste… que du béton et de la sécurité pour rien ». Et Christopher de suspecter, « la douche c’est fait pour qu’on ne sorte plus de la cellule » !

Un éloignement géographique qui casse les liens familiaux A une limitation des contacts au sein de la prison, s’ajoute une perte de liens avec l’extérieur. Construite en secteur rural, loin de tout, à 4 kilomètres d’Alençon, la centrale n’est desservie par aucune navette de bus. Pour y accéder, les familles doivent venir en voiture ou prendre un taxi depuis la gare d’Alençon. La maison d’accueil des familles est fermée entre 12 heures et 14 heures, et ne permet pas aux personnes venues de loin de s’abriter durant la pause déjeuner. Elle n’offre pas non plus de possibilité d’hébergement. Pour la plupart des détenus, le transfert à Condé a entraîné une diminution des parloirs. L’épouse de Mustafa habite à plus de 400 kilomètres : deux visites par mois lui coûtent 400 euros (sur un modeste salaire) en frais d’essence et d’hôtel. L’éloignement géographique n’a pas été compensé par des facilités d’accès au téléphone : un seul poste est prévu pour chaque étage de 17 détenus, les tarifs sont élevés et ne sont pas affichés, les cabines postées dans les coursives n’ont pas de cloison, si bien que « la confidentialité laisse à désirer », ironise Rachid. La perte de liens familiaux fait partie des motifs déclencheurs d’incidents à Condé. « Dans la légalité ça ne marche pas, je peux faire quoi d’autre ? Je veux partir d’ici », explique Alexandre. Au mois de novembre, il a décidé de commettre une faute disciplinaire, refusant de sortir de la « salle de convivialité ». Il s’en expliquera devant la commission de discipline : « Ici je ne prépare pas ma sortie, je ne prépare rien. Je n’ai pas de parloirs sur Alençon. J’ai plein de petites choses qui font monter la pression 5 Franck Lamy, plaquette de présentation APIJ du CP d’Alençon-Condé-surSarthe, octobre 2012. 6 Plaquette de présentation APIJ, op.cit., octobre 2012.


ACTU comme mon ordinateur, je ne l’ai plus depuis Fleury ». Il n’avait pas vu sa femme pendant six mois alors qu’elle était enceinte. « Je suis trop loin d’elle et souhaite me rapprocher [...], je n’ai qu’une seule demande, c’est de maintenir le lien familial », ne cesse-t-il de protester. Dans le vide. Telle était aussi la demande de Rachid et Fabrice, les deux auteurs de la prise d’otage d’un surveillant-stagiaire pendant quatre heures, le 30 décembre 2013. Entrés en prison pour des peines relativement courtes, ils cumulent depuis les condamnations pour des faits commis en détention. Leur fin de peine a été repoussée respectivement à 2032 et 2038 après leur condamnation à huit ans de prison pour la prise d’otage avec violences. D’autres détenus, tous condamnés à de longues peines, se disent prêts à payer par quelques années de plus le fait de partir de Condé : « Si je dois prendre des années pour être transféré ou pour faire respecter mes conditions de détention, je le ferai sans hésiter », assure Christopher.

Un personnel jeune et mal formé Selon l’administration pénitentiaire, « 46 % des détenus ont été affectés à Condé après avoir été exclus d’un autre établissement et 44 % ont des antécédents disciplinaires pour violence 7 ». En face, un personnel composé pour moitié de surveillants stagiaires « sans doute pas suffisamment préparés à faire face aux rapports de force que crée un mode de prise en charge extrêmement encadré dans un espace assez contraint 8 », relève la directrice de l’administration Isabelle Gorce. La défaillance n’a pas échappé aux détenus : « à chaque problème qu’on cherche à résoudre, ils appellent leurs gradés pour renseignement, car ils ne savent presque rien », remarque Mustafa. Selon Eric, « ils ont peur de leur ombre ». Rachid ajoute qu’« il y a des surveillants humains, mais ils ne peuvent pas le rester longtemps car d’autres collègues leur reprocheront ». Les contacts avec les surveillants dont témoignent les détenus ont tendance à se limiter aux ouvertures et fermetures de portes. Ils sont perçus comme « dépersonnalisés », « conflictuels et méprisants, il n’y a aucun dialogue ». « On nous appelle direct par notre nom, jamais de Monsieur untel », relève Mustafa. Les travaux sur la violence en prison ont montré que les « postures professionnelles insuffisamment adaptées », « l’inexpérience […] face à un détenu difficile ou une situation mal gérée » 9 peuvent suffire à provoquer des incidents. Un syndicaliste relève en ce sens qu’ « à Condé, les stagiaires sortent de Fresnes où ils ont pris l’habitude de s’adresser aux détenus en leur gueulant des ordres. Ils n’ont pas appris à travailler avec des longues peines. Quelqu’un qui en a pris pour des décennies, tu ne vas pas le faire chier en le réveillant en sursaut le matin pour voir s’il est vivant. Tu ouvres doucement sa cellule, et tu regardes s’il respire. Ici, ils ne savent pas faire ça. » 7 Isabelle Gorce, op.cit., Le Monde, 17 février 2014. 8 Isabelle Gorce, op.cit., 17 février 2014. 9 Rapport de P. Lemaire, op.cit., mai 2010.

Encadrement à outrance et manque d’activités La centrale de Condé impose un régime « portes fermées » à l’ensemble des détenus : la tendance générale depuis quelques années est de revenir sur les régimes « portes ouvertes » en centre de détention et maison centrale, qui permettaient aux détenus de sortir de leur cellule à certaines heures de la journée et de circuler dans leur aile de détention. Plusieurs rapports sur les violences en prison ont ainsi mis en évidence que la « dépendance permanente et l’impuissance qui en résulte sont un facteur de stress, de tension et d’énervement quotidien » et qu’une certaine « liberté de mouvement rend les détenus beaucoup moins dépendants des personnels, réduisant ainsi les occasions de tension » 10. A Condé, les détenus dépendent des surveillants pour le moindre de leurs mouvements. « Si vous êtes à la bibliothèque et que vous souhaitez aller aux toilettes, il faut taper à la porte pour qu’ils vous ouvrent, après il faut qu’ils fassent de même pour la porte des toilettes, ils vous enferment dedans, après il faut retaper pour sortir des toilettes. On n’a plus aucune autonomie », déplore Rachid. Selon le syndicat UFAP, il était prévu à l’ouverture de la centrale que chaque mouvement soit encadré par « un agent pour trois détenus maximum » dans le bâtiment MC1 et « un agent pour cinq détenus maximum » dans le bâtiment MC2 11. Cette règle apparemment intenable a rapidement été assouplie. Toutefois, les détenus les plus surveillés, notamment ceux placés à l’isolement, déclarent être systématiquement accompagnés de plusieurs surveillants, dont le nombre peut varier de un à… sept. A cela s’ajoute l’absence d’activités d’enseignement et le manque de travail pour sortir de cellule et gagner un peu d’argent. Rachid suggère : « Il faut occuper les détenus, créer de nouvelles activités gérés par des intervenants… que les détenus voient autre chose que du personnel pénitentiaire et cette structure opprimante ». Face à la carence d’intervenants extérieurs, certains détenus en viennent à proposer d’animer euxmêmes des activités… sans réponse favorable.

L’absence d’espace de « conflictualisation » Contrairement à ce qui peut être expérimenté dans d’autres établissements, dont des maisons centrales, il n’existe aucun espace de parole et de négociation entre la direction, les personnels et les détenus. Il est pourtant établi que « la violence est l’opposé du conflit » et qu’elle surgit « quand il n’y a pas d’espace de conflictualisation organisé (droit de grève, droit à manifester, droit à la syndicalisation, à l’association, par exemple) » 12. A Condé, faire remonter des revendications collectives : « c’est interdit », affirme Mohamed. « On le fait quand même, sans violence, mais avec la conséquence de devoir le payer tôt ou tard dans 100 % des cas ». Plusieurs mouvements 10 Groupe de réflexion sur les violences à l’égard des personnels pénitentiaires, rapport de P. Lemaire, mai 2010. 11 Audit réalisé par le Bureau local UFAP-UNSa Justice, janvier 2014. 12 Rapport de P. Lemaire, op.cit., mai 2010. Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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collectifs ont eu lieu ces derniers mois. Le 16 décembre notamment, une vingtaine de détenus a refusé de remonter en cellule. Ils demandaient à pouvoir circuler d’une cellule à l’autre. Autre phénomène connu : « l’attente subie [...] dans la réponse à sa question, […] peut engendrer une frustration déclenchant des mécanismes en chaîne non maîtrisés, avec des engrenages de violences plus ou moins importants13 ». L’attente continuelle et le sentiment d’être, comme le dit Eric, « souvent intelligemment éconduit », les détenus de Condésur-Sarthe en témoignent tous. « Une réponse m’est apportée dans des délais terriblement longs », ajoute André.

Un climat de peur entretenu Quasi quotidiennement depuis le mois de septembre, les médias se sont fait l’écho des incidents à Condé-sur-Sarthe. Le JT de France 2 est allé jusqu’à évoquer « un climat de panique ». Faisant l’impasse sur le contexte des incidents et les conditions de détention dans cette centrale, chaque acte de violence est présenté sous le seul jour d’une dangerosité de détenus décrits comme les plus ingérables d’entre les ingérables. Et les tracts syndicaux de s’en donner à cœur joie, vilipendant les « voyous 14 » et le « chaos 15 » à Condé. « Rien ne se répandant plus facilement que la peur, une fois qu’elle pénètre un milieu social elle s’étend à l’ensemble des relations qui le constituent 16 »... Et de fait la peur s’est répandue. Parmi les personnels pénitentiaires, et aussi les avocats. Le Bâtonnier a annoncé le 5 février 2014 que les avocats du barreau d’Alençon ne « mettr[aient] plus les pieds » à la centrale « tant que des mesures ne [seraient] pas prises pour assurer la sécurité des avocats » 17 et notamment la mise en place de parloirs vitrés. La grève des avocats a pris fin le 21 février après que le directeur de la centrale a annoncé de nouvelles mesures de sécurité comme l’installation de portiques à ondes millimétriques.

L’engrenage disciplinaire Comme souvent, les syndicats pénitentiaires n’ont eu de cesse de réclamer davantage de personnels, au moins « 50 postes de surveillants supplémentaires 18 », et de fermeté à l’égard des détenus. Le député UMP Nicolas Duicq est venu à leur rescousse pour réclamer que « les détenus portent un uniforme », et « saluent le drapeau », déclarant à la presse : « le détenu qui arrive ici doit savoir qu’il a commis des actes extrêmement graves et que s’il veut avoir accès à la rédemption et s’il veut être réinséré, il doit d’abord commencer par respecter une discipline ». Des propos qui prêtent à sourire, a fortiori au vu des difficultés rencontrées par les détenus pour simplement avoir 13 Rapport de P. Lemaire, op.cit., mai 2010. 14 Escalade de la violence à Condé-sur-Sarthe, tract de l’UFAP du 2 janvier 2014. 15 Condé-sur-Sarthe proche du CHAOS !!!!, tract de l’UFAP du 10 janvier 2014. 16 A. Chauvenet, M. Monceau, F. Orlic, C. Rostaing, La Violence carcérale en question, synthèse, juin 2005. 17 Maître Bertrand Deniaud, AFP, 7 février 2014. 18 Emmanuel Baudin, secrétaire régional de FO, AFP, 30 décembre 2013. Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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accès au règlement intérieur : « Je n’ai jamais pu [le] voir et ce malgré mes demandes. J’ai appris les règles de Condé-surSarthe le plus souvent après m’être pris la tête avec un surveillant », explique Mustafa. L’avocat Benoît David, qui a demandé communication du règlement intérieur par lettre recommandée en décembre 2013, n’a pas davantage obtenu gain de cause… La réponse disciplinaire aux incidents n’en a pas moins été surinvestie par la direction du centre pénitentiaire. Les procédures sont quotidiennes, au point qu’un avocat du barreau d’Alençon dénonce le « climat délétère » qui règne dans l’établissement : « on ressent bien que les procédures disciplinaires sont utilisées comme un outil de gestion de la politique RH, une façon de dire aux surveillants “on s’occupe de vous, on va les mater’’ ». Aux sanctions disciplinaires s’ajoutent souvent de nouvelles condamnations pénales. Au risque d’alimenter encore la violence, le cumul des sanctions administratives et judiciaires pouvant « produire des effets inverses chez le détenu agresseur en l’enfermant dans une dynamique agressive où la violence physique devient une réponse à ce qui peut être perçu comme une violence institutionnelle disproportionnée 19 ».

Des annonces à contre-courant, mais minimales Faute de remettre en question ce nouveau type d’établissement et parlant d’ « une période de rodage » qui « prend du temps et connaît des vicissitudes » à l’ouverture de toute nouvelle prison, la directrice de l’administration pénitentiaire a tout au moins eu le mérite de ne pas céder à la surenchère de dispositifs de contrôle, de sanctions, ou de personnels de surveillance supplémentaires. Lors de son déplacement très attendu le 27 janvier, Isabelle Gorce s’est refusée à considérer que la centrale, dotée de 189 surveillants pour 68 détenus, était confrontée à un manque de personnel. Seul a été annoncé le transfert de quelques détenus et la baisse des effectifs accueillis « avant une reprise de la montée en charge d’ici deux trois mois ». Des facteurs de violence tels que le manque de formation des surveillants et d’activités pour les détenus ont été repérés : « Nous allons renforcer les actions de formation professionnelle sur le site pour que les surveillants soient mieux préparés à la prévention des conflits et de la violence » ; la centrale de Condé-sur-Sarthe doit devenir « un établissement dans lequel existent toutes les activités qu’on peut trouver ailleurs, mais dans un cadre plus contraint ». Un cadre plus contraint et une conception architecturale qui ne semblent pas interrogés, alors qu’une autre centrale du même type doit ouvrir ses portes à Vendin-le-Vieil en 2015. De nouveaux établissements construits en totale ignorance des recommandations des groupes de travail menés par la DAP sur la violence en détention depuis 2007. Anne Chereul, coordination régionale OIP Nord

19 Rapport de P. Lemaire, op.cit., mai 2010.


Défendre En réponse au Bâtonnier d’Alençon, annonçant que les avocats ne mettraient plus les pieds à la centrale de Condésur-Sarthe en l’attente de mesures de sécurisation, le Réseau d’avocats en droit pénitentiaire a publié une tribune dans Le Monde, le 17 février. Extraits.

Le Bâtonnier de l’Ordre des avocats d’Alençon a indiqué le 5 février dernier qu’il suspendait les interventions des avocats d’Alençon dans la prison de Condé-sur-Sarthe. L’AFP a repris l’information : « les avocats d’Alençon ne veulent plus mettre les pieds à la prison de Condé-sur Sarthe », considérant que leur sécurité ne serait pas assurée lors de leurs entretiens avec les personnes détenues. Des mesures de sécurité supplémentaires sont ainsi demandées et notamment des locaux « adaptés », comme des parloirs qui comprendraient des dispositifs de séparation par hygiaphone… Plus de sécurité réclamée par les syndicats des personnels, rien de surprenant. Mais de la part des premiers défenseurs des droits des détenus… la demande est inédite. Si la sécurité, tant celle des personnes détenues que des surveillants et des intervenants extérieurs, fait aussi partie des droits attendus, encore faut-il s’entendre sur les moyens d’y parvenir. Le renforcement des mesures de sécurité exclusivement matérielle, comme celle demandée par l’Ordre d’Alençon par la mise en place des dispositifs de séparation lors des parloirs avocat, consacre l’échec de la politique sécuritaire mise en œuvre depuis plus de dix ans et dont la construction des nouvelles prisons est l’émanation récente la plus spectaculaire. Idée reçue tenace, la multiplication des mesures de sécurité matérielle pourrait résoudre les problèmes d’insécurité. Ces mesures se multiplient effectivement, mais les problèmes demeurent et s’aggravent. L’atomisation des relations sociales au sein des prisons et l’effacement progressif mais continu de l’intimité des personnes détenues décrivent le mouvement de fond de la gestion déshumanisante des établissements pénitentiaires qui s’accompagne d’une surenchère sécuritaire au détriment de tous. La sécurité intérieure des établissements pénitentiaires est l’ennemi de la sécurité publique, estimait le Professeur Martine Herzog-Evans. Rien de plus vrai ! Profitant d’une architecture devant être ultrasécurisée, la maison centrale d’Alençon n’échappe pas à la règle selon laquelle la gestion des personnes détenues sous l’angle exclusif de la sécurité exacerbe les tensions et les pulsions de destruction. Le communiqué du Bâtonnier d’Alençon interpelle en ce qu’il alerte à son tour sur la situation désastreuse des nouvelles prisons ; mais il est contestable en ce qu’au nom des avocats, il

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demande des mesures de sécurité qui portent directement atteinte aux modalités d’exercice des droits de la défense. Et il ne répond nullement aux questions qu’il renferme : quelle légitimité dans l’enfermement de personnes présentant des troubles psychiatriques ? Comment des hommes condamnés à de très longues peines peuvent-ils être enfermés dans un établissement dans lequel si peu d’activités leur sont proposées ? Pourquoi un si grand nombre de comparutions devant l’organe disciplinaire ? Les parloirs avec séparation ont été supprimés pour les familles des personnes détenues depuis trente ans, mais n’ont jamais existé pour les rencontres avec l’avocat. Dans les autres établissements de France, la question ne s’est jamais posée et aucun Bâtonnier ne l’a jamais envisagée. Une telle séparation matérielle entre la personne détenue et son défenseur ne saurait être acceptée. De notre expérience commune, il ressort que tous les détenus, et ceux même étiquetés « fou dangereux » par l’administration pénitentiaire, savent reconnaître leur défenseur, lorsqu’ils en ont un. Un acte de séparation serait méconnaître les droits des personnes détenues et, parce qu’il est voulu par le Bâtonnier lui-même, il signifierait que les avocats admettent la violation des droits de celles-ci et ne les reconnaissent plus comme titulaires de ces droits. Les avocats partagent et cultivent l’idée intempestive selon laquelle un être humain ne doit pas être défini par une qualité aussi incertaine que la dangerosité. Défendre, c’est accompagner, ce qui implique de se tenir côte-à-côte. Aujourd’hui, en notre qualité d’avocats intervenant régulièrement dans tous les établissements pénitentiaires de France, dont pour certains d’entre nous à Condé-sur-Sarthe, nous contestons la demande du Bâtonnier des avocats du barreau d’Alençon. Nous ne pouvons concevoir de rencontrer nos clients dans un parloir sécurisé, derrière un hygiaphone, faisant porter une présomption de dangerosité sur toutes les personnes détenues, alors que des problématiques bien plus larges (conception architecturale d’établissements comme Condé-surSarthe, longueur infinie des peines, personnes présentant des troubles psychiatriques dont la place ne peut être en détention…) devraient se trouver au cœur des préoccupations de tous les avocats et plus largement des citoyens. Signataires : Benoit David, Mathieu Oudin, Sylvain Gauché, Yannis Lantheaume, Lionel Febbraro, Dominique Maugeais, Jérémie Sibertin-Blanc, Joseph Breham, Nathalie Grard, Etienne Noël, Delphine Boesel, Florence Alligier, Grégory Thuan, Delphine Malapert, Elsa Ghanassia, Hugues de Suremain, Maud Guillemet. Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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La Cour des comptes réclame une véritable politique de santé publique pour les personnes détenues Dans son rapport annuel du 11 février, la Cour des comptes évalue, vingt ans après, le dispositif de soins en milieu carcéral depuis la loi de 1994. En titrant « la santé des personnes détenues : des progrès indispensables », elle donne le ton d’une réforme inaboutie.

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A LOI DE 1994, QUI TRANSFÉRAIT LA PRISE EN CHARGE DES

personnes détenues du ministère de la Justice à celui de la Santé, visait à offrir une qualité de soins équivalente à l’intérieur et à l’extérieur des murs d’une prison. Vingt ans après, la Cour des comptes conclut que « les rigidités et les contraintes du milieu pénitentiaire se conjuguent […] avec une offre de soins encore incomplète, des besoins de modernisation de locaux et d’équipements non satisfaits et des modes de coopération entre acteurs fragiles et inaboutis ». Dès lors, la prise en charge sanitaire des détenus ne s’inscrit pas « comme la politique de santé publique à part entière qu’avait voulue la loi du 18 janvier 1994 ».

L’absence de politique spécifique Avec près de 38 % des personnes détenues souffrant de problèmes d’addictions, une prévalence « très forte » des maladies psychiatriques, des taux d’affection aux virus du SIDA et de l’hépatite C six fois plus élevés que dans la population générale, les besoins de prise en charge sanitaire des personnes incarcérées sont particulièrement importants. Cette situation est de toute évidence aggravée par la détention : « l’enfermement, la promiscuité, la violence, l’inactivité, l’isolement et la rupture des liens familiaux agissent comme autant de déterminants négatifs sur la santé des personnes détenues », précise la Cour. L’effort de rattrapage dans la prise en charge médicale a certes été « considérable », avec le quasi doublement des équipes des unités sanitaires entre 1997 et 2012, mais il aurait fallu que l’augmentation des moyens soit accompagnée d’une politique structurée fondée sur une analyse des besoins, note la Cour. Car si les besoins sanitaires de la population carcérale sont criants, ils restent très mal évalués : aucune enquête sur la santé des personnes détenues n’a été menée depuis 2003. La « Connaissance de l’état de santé » qui constituait l’axe premier du Plan d’actions stratégiques 2010-2014 d’une « politique de santé pour les personnes placées sous main de justice » a tardé à trouver une application concrète et ce n’est que Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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début 2014 qu’ont commencé les travaux consistant à établir un état des lieux et à proposer des pistes de mise en œuvre d’un dispositif de surveillance épidémiologique adapté. Cette absence de vision d’ensemble se retrouve concernant les infrastructures sanitaires puisque « ce n’est qu’en 2014 que sera disponible un état des lieux de la qualité des locaux des unités sanitaires ». Aussi, la Cour des comptes recommande que le projet de loi de santé publique dont le gouvernement a annoncé l’élaboration soit l’occasion de « préciser et de chiffrer les objectifs spécifiques que les pouvoirs publics assignent en termes d’amélioration de la situation sanitaire des personnes détenues à l’ensemble des acteurs qui concourent à leur prise en charge ». Dans ce cadre, le rôle des agences régionales de santé devrait être renforcé en tant que « pivots de la politique de santé des personnes détenues » et les commissions régionales santé-justice devenir effectives, puisque la moitié seulement avait été installée fin 2012.

Soins spécialisés et psychiatriques à la peine Pour le reste, le rapport montre que, d’anniversaire en anniversaire, le bilan reste quasiment le même. L’offre sanitaire reste insuffisante, en particulier les consultations spécialisées : le taux moyen de médecins spécialistes pour 1 000 détenus est de… 0,53 (sachant que 22 % des postes budgétés restent non pourvus). Les difficultés récurrentes à recruter se posent aussi pour les psychiatres (16 % de postes non pourvus) et les kinésithérapeutes (23 %). Outre la problématique de démographie médicale, est en cause le « manque d’attractivité de l’exercice en prison, eu égard notamment aux contraintes résultant des règles applicables en détention ». L’offre de soins en santé mentale apparaît la plus en retard, « alors même que la population détenue concentre des pathologies nombreuses et souvent lourdes ». Cette défaillance « est constatée à tout niveau », qu’il s’agisse des soins ambulatoires dispensés par les unités sanitaires (UCSA) ou de l’hospitalisation de jour pas même assurée par tous les services médicopsychologiques régionaux (SMPR) : six d’entre eux sur un total


© Olivier Aubert

ACTU

Pour la Cour des comptes, « des progrès indispensables » restent nécessaires dans la prise en charge sanitaire des personnes détenues.

de vingt-six ne disposent pas de cellules d’hébergement. Cinq régions ne possèdent même pas de SMPR propre et sont rattachées à celui d’une région voisine. Sans compter que ces services peinent à remplir leur mission régionale, seuls 20 % des patients en hospitalisation de jour au SMPR provenant « d’établissements différents de celui où ce dernier est installé ». Les conditions d’hospitalisation complète des détenus atteints de troubles mentaux sont également en cause. Alors que l’ouverture d’unités spécialisées (UHSA) « accuse d’importants retards », la prise en charge dans un établissement psychiatrique ordinaire demeure le principal mode d’hospitalisation des détenus, dans des conditions non satisfaisantes. Les patients sont « quasi-systématiquement placés en chambre d’isolement ou en unité pour malades difficiles », alors que « leur état de santé ne justifie pas nécessairement une telle mesure ». Leur sortie « est souvent précoce alors même que leur situation n’est pas encore stabilisée ». En cause, la réticence à immobiliser un lit pour une longue durée « dans un contexte de saturation des possibilités d’accueil », mais aussi « le risque d’évasion » et le « sentiment d’insécurité du personnel lié à la présence d’un détenu présumé dangereux ».

Le soin cherche toujours sa place dans le carcéral Les « rigidités et les contraintes du milieu pénitentiaire » continuent largement à entraver la logique de soins. Le fort taux d’absentéisme aux consultations médicales (entre 10 et 30 %) s’explique ainsi bien souvent par « le fait que la personne détenue n’a pas été informée de l’horaire de son rendez-vous ou qu’elle a rencontré des difficultés pour rejoindre l’unité sanitaire ». La Cour des comptes rappelle également à quel point le respect du secret médical en milieu pénitentiaire est « difficile », en raison d’une configuration des locaux ne préservant pas la confidentialité, de la présence de surveillants dans les salles de soins ou lors des examens, d’une distribution des médicaments en cellule partagée, etc. Quant au faible nombre d’hospitalisations en UHSI (unités hospitalières sécurisées), dont le taux d’occupation est seulement de 67 % en 2012, il s’explique notamment par les « contraintes liées au nombre limité d’escortes disponibles », mais aussi par des refus de personnes détenues d’être hospitalisées en raison

des modalités d’extraction : « menottage quasi systématique et pose fréquente d’entraves ». Enfin, certains locaux des unités de soins en détention demeurent « très vétustes et exigus » dans les prisons les plus anciennes comme le centre pénitentiaire de Fresnes, le centre de détention de Melun ou la maison d’arrêt des Baumettes. La rénovation de ces locaux, qui incombe à l’administration pénitentiaire, « reste très limitée et lente ». En 2013, moins de 2 % des crédits inscrits au titre de l’entretien et de la rénovation des établissements étaient consacrés aux locaux sanitaires. L’accélération de la modernisation de ces locaux apparaît pour la Cour « une nécessité ». Pas pour la pénitentiaire. Cécile Marcel et Sarah Dindo

Situation préoccupante des personnes détenues en situation de dépendance Le nombre de détenus de plus de 60 ans a doublé en 15 ans, pour représenter 3,5 % de la population carcérale en 2012. La loi pénitentiaire de 2009 a ainsi consacré le principe selon lequel la désignation d’un aidant constitue un droit pour la personne détenue en situation de dépendance, tout comme le fait de bénéficier des prestations sociales dans les conditions de droit commun. La Cour des comptes constate néanmoins de « nombreuses difficultés d’accès à ces prestations », peu d’associations d’aide à la personne acceptant de se déplacer en prison. A la « crainte suscitée par la détention chez un personnel majoritairement féminin » s’ajoute la politique de certains conseils généraux qui ne prennent en charge que le coût horaire correspondant à la prestation elle-même, « à l’exclusion du temps perdu en déplacements ». Un temps qui peut être « très long » pour se rendre jusqu’à un établissement pénitentiaire, ainsi que pour accéder à la personne détenue une fois arrivé sur place.

Les services sociaux de droit commun ne connaissent pas la prison En ce qui concerne la protection sociale, de fréquents problèmes d’affiliation, d’ouverture ou de reprise de droits et « un défaut d’information de la personne détenue sur l’étendue de ses droits à l’entrée comme à la sortie de prison » sont observés par la Cour des comptes. En 2012, 65 % des CPAM seulement avaient signé des conventions avec les établissements pénitentiaires pour « améliorer la gestion des droits des détenus ». Le ministère de la Justice a eu beau demander au ministère de la Santé et des affaires sociales d’organiser la tenue de permanences en détention des caisses nationales d’assurance maladie et d’allocations familiales, le principe n’en a pas encore été retenu. Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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© Michel Le Moine

Formation professionnelle : l’heure du transfert aux régions Trois ans après le début de l’expérimentation dans deux régions de la décentralisation de la formation professionnelle des personnes détenues, le Parlement vient de voter sa généralisation dans la loi Sapin du 27 février. Ce qu’on peut en attendre et ce que le texte ne règle pas.

H

ISTORIQUEMENT PILOTÉ PAR L’ETAT, LE DISPOSITIF DE

formation professionnelle en détention est décrit depuis 2008 comme « à bout de souffle 1 ». Les principaux financeurs – ministère de l’Emploi et Fonds social européen (FSE) – se sont progres-

sivement désinvestis. Les crédits alloués par le FSE ont diminué de 29 % entre 2006 et 2013, et ceux versés par le ministère de l’Emploi de 11 %. Alors que le nombre de personnes détenues a sur cette période augmenté de 14 %. Si bien que « l’offre de formation par personne détenue a diminué 2 ». 1 Jean-René Lecerf, Projet de loi pénitentiaire, Rapport n° 143 (2008-2009) fait au nom de la commission des lois, 17 décembre 2008. 2 IGAS, IGSJ, Evaluation de la prise en charge par les régions de la formation professionnelle des personnes détenues, novembre 2013.

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Déjà particulièrement bas, le taux de personnes bénéficiant d’une formation est passé de 9 à 8 % environ depuis 2006 et le temps moyen de formation est passé de 178 à 123 heures. Les besoins sont pourtant criants : 85 % des détenus ont un niveau scolaire qui ne dépasse pas le CAP, 45,6 % sont sans diplôme, 25,4 % ont des difficultés de lecture et 64 % étaient sans emploi avant l’incarcération 3.

L’expérimentation encourageante du transfert aux régions Seuls les établissements pénitentiaires des deux régions (Pays de la Loire et Aquitaine) volontaires pour expérimenter la décentralisation de la formation professionnelle à partir 3 Convention DAP/Pôle Emploi 2013-2015.


ACTU de 2011 ont échappé à ce déclin. Le bilan réalisé en 2013 par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et celle des services judiciaires (IGSJ) souligne que l’expérimentation s’est traduite par une « amélioration quantitative » et des « enrichissements qualitatifs » de l’offre. En Aquitaine par exemple, elle « a permis de créer huit nouvelles formations, et d’en enrichir onze autres » dans les sept prisons concernées 4. Des formations qualifiantes en alternance (en milieu carcéral et en milieu libre) ont ainsi été mises en place (soudure, tissage de haute couture, etc.). Une augmentation du volume horaire d’une dizaine de formations (restauration, agent de propreté et d’hygiène) a été financée pour permettre aux détenus stagiaires d’acquérir un titre professionnel à l’issue du cursus. Le bilan montre également que l’intervention des régions a conduit à une meilleure prise en compte de la situation des détenus. Alors qu’en principe, les heures de formation non suivies ne sont pas rémunérées, les conseils régionaux de l’Aquitaine et des Pays de la Loire ont prévu des exceptions : « les rendez-vous médicaux, les rendez-vous avec les avocats et un parloir par semaine constituent des motifs d’absence qui n’interrompent pas la rémunération 5 ». Le conseil régional d’Aquitaine a par ailleurs décidé de leur verser mensuellement une indemnité de congés payés au même titre que les stagiaires en milieu libre. Au final, le transfert aux régions s’est traduit par une hausse des financements (elles ont adopté des budgets supérieurs au montant des transferts de crédits de l’Etat) et une augmentation de l’offre de formation en quantité et qualité. La décentralisation contribue enfin « à améliorer les liens entre le monde de la détention et le monde extérieur ». Parce qu’elle « induit de nombreux partenariats de proximité », elle facilite « le lien dedans-dehors » et « minimise le risque de rupture souvent observé au moment de la libération ».

Une généralisation qui ne lève pas tous les obstacles La généralisation de la décentralisation prévue dans la loi Sapin s’inscrit donc dans la bonne voie. Mais différents éléments pourraient nuire à l’efficacité du dispositif. Dans l’expérimentation avec deux régions volontaires, celles-ci ont alloué des fonds supplémentaires à ceux de l’Etat. Avec la généralisation du dispositif, le simple transfert des fonds de l’Etat vers des régions non volontaires ne garantit aucunement une augmentation des budgets accordés, auquel cas l’offre de formation ne se développera pas. Par ailleurs, la loi exclut du champ de la compétence des régions les prisons en gestion déléguée se situant sur leur territoire, afin d’éviter à l’Etat de payer des pénalités pour modification des contrats de délégation de services. Dans ces prisons qui représentent près de la moitié du parc carcéral, l’organisation de la formation professionnelle reste de la 4 Maisons d’arrêt de Bayonne, Agen, Pau, Périgueux, Bordeaux-Gradignan ; centres de détention d’Eysses et Mauzac. 5 IGAS, IGSJ, op. cit., 2013.

Le transfert aux deux régions pilotes s’est traduit par une hausse des financements et une augmentation de l’offre de formation compétence des groupements privés. Les régions ne pourront pas en assurer le pilotage avant l’échéance des contrats (fin 2017 pour la plupart, 2 038 pour les trois prisons construites en PPP). Sur un même territoire, l’accès à la formation professionnelle dépendra ainsi du statut de l’établissement, générant des inégalités pour les personnes détenues. Et l’impossibilité pour les régions de construire une politique d’ensemble. Par ailleurs, différents points soulevés dans l’évaluation des Inspections ne trouvent pas de réponse dans la loi ou les annonces du ministère de la Justice. Les auteurs ont ainsi relevé que les conseillers Pôle Emploi qui interviennent en détention sont très peu associés à la construction des projets de formation des personnes détenues, qu’ils ne peuvent participer aux procédures d’accès aux formations, globalement très peu encadrées. Dans certains établissements, toutes les demandes sont examinées en commission pluridisciplinaire unique (CPU) 6. Dans d’autres, ne sont présentées en CPU que « les demandes dont on estime qu’elles recueilleront l’accord de toutes les parties prenantes, en particulier le chef d’établissement et le responsable de la détention ». L’IGAS et l’IGSJ avaient recommandé d’élargir le champ des professionnels pouvant se prononcer sur l’accès aux formations, de prévoir la présentation systématique de toutes les demandes en CPU et de permettre aux détenus de disposer d’une voie de recours en cas de refus. Des préconisations restées lettres mortes. Comme celle visant à favoriser le « développement de formations mixtes » hommesfemmes, ou à tout le moins « la mutualisation des locaux et des équipements de formation entre les quartiers hommes et les quartiers femmes » afin de permettre à ces dernières de bénéficier d’une offre de formation élargie. La liste pourrait être encore longue. Les inspections avaient aussi recommandé de développer la formation professionnelle dans les établissements ou quartiers pour mineurs, où ce type d’actions est pratiquement inexistant. De rehausser, et réviser régulièrement, le taux horaire de rémunération des détenus stagiaires qui n’a pas évolué depuis 1988 (2,26 euros de l’heure). Ou encore de prévoir des standards de surfaces et équipements nécessaires à la formation pour que les cahiers des charges des futurs établissements prévoient des locaux adaptés – ce qui loin d’être le cas actuellement « même dans les établissements les plus récents ». Rien n’est prévu en ce sens. Marie Crétenot 6 Cette instance, présidée par le chef d’établissement, regroupe plusieurs services intervenant dans l’établissement pénitentiaire, tels que le service médical, le SPIP, l’enseignement ainsi que les gradés et les officiers de détention. Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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Baisse des violences en détention A l’encontre d’un leitmotiv répété à l’envi par les syndicats de surveillants, les agressions contre les personnels pénitentiaires ont diminué en 2013. Le tableau de bord de décembre 2013 de la Direction de l’administration pénitentiaire comptabilise une baisse de 5,7 % des incidents contre un

personnel, soit 211 agressions physiques et 998 violences verbales en moins par rapport à 2012. En revanche, parmi les violences physiques, celles ayant entraîné une ITT augmentent de 111 à 144. Les violences entre détenus ont également diminué de 3,4 %. Tandis que les « événements collectifs »

marquent une augmentation de 27,12 % (1 111 recensés). Il peut s’agir d’un refus concerté de plateauxrepas ou de remonter de promenade, comme d’une simple pétition. Direction de l’administration pénitentiaire, Tableau de bord, décembre 2013

BAIEMAHAULT

Pétition de 208 détenus : ils espèrent être entendus en 2014 266 personnes. La pétition indique que les cellules de 7 m2 peuvent être partagées à trois et celles de 13 m2 à six. A cette promiscuité s’ajoute un « ennui général » dû à un manque d’activités « sportives, scolaires », de travail et de formation. L’expertise de 2011 avait déjà constaté un « manque crucial d’activités pour les détenus ». Confrontés à un défaut d’écoute de l’administration, les détenus de Baie-Mahault espèrent qu’enfin leurs « revendications retiendront son attention ». Pour favoriser le dialogue, « éviter les conflits entre surveillants et détenus », « trouver des solutions rapides à des problèmes devenus trop récurrents », ils proposent « la mise en place d’un cahier de doléances afin que des

plaintes puissent être enregistrées et consultées ». Le « risque d’explosion avec des conséquences non maîtrisées est réel », signale le député Ary Chalus dans une interpellation de la garde des Sceaux du 29 janvier. Il confirme « la dégradation excessive des conditions de détention », qu’il qualifie d’« inhumaines », ainsi qu’un « manque chronique de moyens, auquel vient s’ajouter une grande promiscuité génératrice de violences et un manque d’activités proposées aux détenus contraints de demeurer en cellule ». Les signataires informent « qu’un mouvement de grève est prévu pour bientôt si aucune suite n’est prise en considération ». OIP, coordination outre-mer

© CGLPL

« Nous, les détenus de la maison d’arrêt, décidons de mener un mouvement pacifique légitime afin que nos réclamations déjà bien connues soient entendues en 2014 ». 208 personnes, représentant près de la moitié des détenus du quartier maison d’arrêt, ont signé une pétition adressée le 13 janvier au chef d’établissement. Depuis plusieurs années, ils alertent en vain sur une situation déjà qualifiée de « pas admissible » en 2011 par une expertise. Les conditions d’hygiène et de salubrité sont une nouvelle fois en cause : « Déchets et ordures qui s’accumulent derrière les bâtiments », « odeurs d’égouts », « douches et lavabos souvent bouchés », « ampoules grillées », « promenades jamais propres »… Les détenus demandent au minimum à être dotés de sacs-poubelle grâce auxquels ils pourraient « contribuer à l’amélioration des conditions d’hygiène des lieux ». Ils réclament également le « droit à se nourrir d’autres choses que de lentilles et de lardons ». « En 2013, nous avons pu constater une nette augmentation des violences carcérales » soulignent encore les signataires. Ils font notamment référence au décès, le 1er novembre, d’un homme poignardé lors d’une bagarre pour une télécommande, dans une cellule sur-occupée. Le niveau de violence est selon eux « principalement dû à la surpopulation ». Au 1er janvier 2014, ils étaient 466 dans ce quartier maison d’arrêt prévu pour

Centre pénitentiaire de Nouméa, cellule collective, maison d’arrêt des hommes.

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de facto


de facto Réveils nocturnes des « détenus particulièrement signalés » Un statut qu’il aurait déjà depuis 18 ans et qui a été renouvelé en octobre 2013. Des avocats signalent des pratiques similaires à Fleury-Mérogis et Boisd’Arcy. Des procédures en « référé-suspension » vont être introduites devant le tribunal administratif par certains détenus, assistés par l’OIP, pour tenter de faire cesser de telles pratiques. A aucun moment, les chefs d’établissement interrogés n’ont pu préciser quel texte autorisait explicitement les réveils nocturnes. Interpellé par le CPT suite à une visite fin 2010, le gouvernement évoque deux notes de la direction de l’administration pénitentiaire, dont celle du 31 juillet 2009, prévoyant qu’à l’égard des détenus « repérés comme présentant des risques d’évasion », peuvent être prévus des « contrôles œilleton » de nuit toutes les trois heures. Il en déduit que « par construction, les personnes inscrites au répertoire DPS sont considérées présenter un risque d’évasion ou de dangerosité particulier et font l’objet, à ce titre, d’une surveillance spécifique ». Il limite cependant l’intervention à un « contrôle visuel de la cellule réalisé au moyen de l’œilleton dans le but de s’assurer de la présence de la personne détenue et de la visibilité du barreaudage. En

cas de doute, et dans ce cas seulement, les agents sont autorisés à allumer la veilleuse de la cellule […] et sans qu’il soit demandé à la personne détenue d’effectuer un quelconque mouvement ». Déjà très contestable en elle-même, cette mesure s’avère pratiquée de façon plus large : dans son rapport de visite, publié le 19 avril 2012, le CPT signalait que « la quasi-totalité des DPS avec lesquels la délégation s’est entretenue se sont plaints d’être réveillés toutes les heures par les surveillants qui allumaient la lumière dans les cellules lors des rondes de nuit ». Etant donné les « conséquences néfastes pour la santé des détenus » d’une telle mesure, le CPT recommandait de « revoir les modalités de la surveillance nocturne des détenus particulièrement signalés, dans tous les établissements pénitentiaires en France ». L’OIP a sollicité sans succès auprès de la direction de l’administration pénitentiaire la communication d’une nouvelle circulaire sur la surveillance des DPS, diffusée par le ministère de la Justice fin 2013. Et demande que soit formellement proscrit tout réveil nocturne, la privation de sommeil pouvant s’apparenter à un traitement cruel, inhumain et dégradant. OIP

© Patrick Gripe/Signatures

« Se reposer pendant la nuit devient impossible. Nous sommes fatiguées la journée et nos corps ne tiennent plus ce rythme », alertent des femmes détenues au centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne. Dénoncés par le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) depuis plus de trois ans, les contrôles avec réveil nocturne perdurent : l’œilleton de la porte de la cellule est ouvert avec le bruit que cela engendre, la lumière est allumée, parfois jusqu’à ce que le détenu bouge… Certains détenus se plaignent de contrôles toutes les deux heures entre 19 heures et 6 heures, avec allumage systématique de la lumière. Ils ont proposé en vain à l’administration de « laisser l’œilleton ouvert pendant la nuit pour éviter les bruits, tout en acceptant de dormir avec une petite lumière allumée », pour mettre fin à ces réveils « insoutenables ». Un détenu de la maison centrale de St-Maur s’est plaint pour sa part en janvier 2014 à la direction de réveils nocturnes aléatoires depuis plus d’un an (deux fois par nuit, puis une fois par semaine autour de 3 heures du matin). Il lui a été répondu que cette mesure était liée « au contrôle nécessaire exercé envers les personnes inscrites au répertoire des DPS ».

Maison d’arrêt d’Epinal, 2004. Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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CONTRÔLEUR GÉNÉRAL DES LIEUX DE PRIVATION DE LIBERTÉ

Critique sévère des quatre premiers placements en rétention de sûreté L’avis du 6 février 2014 du Contrôleur général sur la mise en œuvre de la rétention de sûreté tombe à point nommé. En guise de bilan des quatre premiers placements entre 2011 et 2013 au Centre socio-médico-judiciaire de sûreté de Fresnes (CSMJS), le réquisitoire est sévère. L’un des retenus y a été « placé à tort le 24 août 2013 ». Il avait été condamné à une peine de dix ans de réclusion alors que la procédure ne peut concerner que des personnes condamnées à une peine d’au moins quinze ans. C’est au terme de « 88 jours de privation de liberté irrégulière » que la mesure a été levée. Les trois autres personnes ont été placées conformément aux dispositions de la loi, selon la procédure d’urgence, pour manquement aux obligations imposées dans le cadre d’une surveillance de sûreté. Pour autant « la seule inobservation des obligations dont est assortie une surveillance de sûreté ne caractérise pas d’évidence » un état de « dangerosité » justifiant une rétention de sûreté, estime Jean-Marie Delarue. Ce qu’illustre le cas des deux personnes qui se trouvaient au Centre lors de la visite du Contrôle, du 9 au 11 octobre 2013. « L’une a méconnu sciemment les obligations de la surveillance de sûreté parce qu’elle estimait elle-même (pour des raisons liées à sa psychologie) que sa place était en rétention de sûreté ; les facultés de compréhension de l’autre étaient telles qu’il mesurait sans aucun doute assez mal la portée des contraintes qui lui étaient imposées », estime le Contrôleur. Et de s’insurger : « l’absence d’estime de soi » et des « ressources intellectuelles limitées » ne sauraient suffire à établir un « état de dangerosité ». En outre, les premiers retenus ayant été placés pour des durées allant de 41 à 88 jours, le Contrôleur souligne qu’il s’agit d’échéances « pendant lesquelles il était vain d’espérer une modification de leur état ». Dès lors,

quel pouvait être le bien fondé de ces décisions ? N’étaient-elles pas basées sur un « constat d’origine contestable » ? Le Contrôleur porte un regard tout aussi sévère sur les modalités d’exécution de la mesure. Alors que la rétention de sûreté est présentée dans la loi de février 2008 comme une « prise en charge médicale, sociale et psychologique destinée à permettre la fin de la mesure », donc comme « un instrument d’évolution destiné à mettre fin au caractère “dangereux’’ de la personne », précise le Contrôleur, les conditions de rétention observées sont « loin de répondre aux objectifs assignés par la loi. En premier lieu, l’inactivité des personnes retenues est la règle : rien n’est organisé pour leur occupation. Il n’existe, par exemple, […] aucun projet éducatif, aucune activité professionnelle, non plus qu’aucune activité de plein air. » Abandonné devant son poste de télévision, l’un des retenus entendus fait part de son angoisse : « C’est un centre fantôme, mais moi je suis là, je suis bien réel ». Il précise : « Nous avons trois visites d’un quart d’heure par semaine (infirmier du SMPR, psychiatre, CIP) ; le reste du temps on ne voit personne. Les personnels ne sont présents qu’à l’ouverture et à la fermeture des portes et pour distribuer les repas ». Alors que trois des quatre retenus l’ont été pour manquements à leur obligation de soins, le projet de prise en charge thérapeutique, qui « repose essentiellement sur des thérapies de groupe » n’a pu être mis en œuvre, compte tenu du « faible nombre de personnes retenues ». L’administration s’est opposée à leur participation à des groupes thérapeutiques organisés à l’unité psychiatrique du centre pénitentiaire de Fresnes, car « aucun texte ne permet cette possibilité ». Aucun des quatre n’a en outre bénéficié, à sa sortie, d’un suivi spécialisé pour auteurs d’infraction à caractère sexuel, ce qui aurait probablement été bien plus

utile qu’une rétention dont le Contrôleur souligne la « vacuité ». Il a beau s’en défendre, le Contrôleur interroge la mesure de rétention de sûreté en elle-même, ou tout au moins « le bien-fondé d’une privation de liberté appliquée aux personnes ayant méconnu les obligations d’une surveillance de sûreté ». « L’enchaînement des causes » ayant conduit les retenus au CSMJS (condamnation à une réclusion criminelle de plus de quinze ans pour un des motifs pour lesquels la rétention de sûreté peut-être ordonnée ; placement sous surveillance judiciaire puis sous surveillance de sûreté et non respect des obligations de cette dernière), constitue pour le Contrôleur un échafaudage juridique fragile. Il conduit « à une redéfinition ou à une modification de la portée de la peine », qui pourraient être sanctionnées au regard de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Serat-il entendu, alors que s’ouvrent les débats parlementaires sur un projet de réforme pénale renonçant à la promesse socialiste de supprimer la rétention de sûreté ? Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Avis du 6 février 2014 relatif à la mise en œuvre de la rétention de sûreté et Rapport d’enquête au Centre socio-médico-judiciaire de sûreté du 16 décembre 2013

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de facto


de facto NANCYMAXÉVILLE

A l’unité médicale, des « cages » en guise de salle d’attente toute visite à l’UCSA, trop risqué ! ». A la finale, certains détenus renoncent à se faire soigner. Selon un médecin, « certains détenus (ils sont rares) refusent catégoriquement de se rendre à l’UCSA. D’autres partent avant d’avoir accédé à leur consultation ». S.A. explique pour sa part avoir refusé de se rendre à l’UCSA « plus de dix fois » en raison des conditions d’attente. Le centre pénitentiaire de NancyMaxéville est une prison nouvelle, ouverte en juin 2009. Force est de s’interroger sur le peu de cas fait de l’accès aux soins dans la conception de cet établissement. Un médecin déplore à cet

égard qu’il n’existe « pas d’autre salle au sein de l’UCSA qui pourrait remplacer les boxes d’attente ». Alertés par le Contrôleur général en 2012, le ministre des Affaires sociales et de la Santé et le garde des Sceaux avaient assuré que le problème serait traité lors du comité de coordination santé-justice, prévu en septembre 2013. Six mois plus tard, la réunion de ce comité n’a toujours pas eu lieu, selon l’Agence régionale de santé de Lorraine. Devant l’absence de réponse donnée par les autorités, l’OIP a décidé de former un recours auprès des juridictions administratives. OIP

© DR

« Les personnels médicaux les qualifient de “salle d’attente’’, les détenus les appellent “les cages’’ », écrit l’un d’eux à l’OIP. Au centre pénitentiaire de NancyMaxéville, les patients – plusieurs centaines chaque semaine – attendent leur consultation médicale entassés dans des boxes de 2,5 m2. Entre trois et dix personnes peuvent s’y retrouver pour des durées allant de 10 minutes à plusieurs heures, dans des conditions sanitaires déplorables et une promiscuité attisant les tensions. « En théorie, il ne doit pas y avoir plus de quatre détenus dans le même boxe », indique un médecin à l’OIP. En pratique, la plupart des détenus ont fait l’expérience de s’y être retrouvés à sept, huit… dix. Debout, « comme du bétail », décrit A.F. Selon les témoignages recueillis, les délais d’attente varient, de 10 minutes à une heure pour certains, une heure à trois heures pour d’autres : « j’ai dû attendre une fois de 9 heures à midi, j’en avais assez, j’ai demandé à repartir », écrit Y.G. à l’OIP. Un médecin de l’UCSA confirme que « certains détenus peuvent attendre dans les boxes de 1 h 30 à 2 heures ». Par exemple, « si huit détenus arrivent en même temps, les derniers vont patienter longtemps ». Les murs des boxes sont « couverts de crachats » et présentent des « traces d’excréments », selon les détenus. Ils décrivent l’odeur permanente « d’urine, de tabac et de transpiration », l’absence de lumière naturelle (« pas de fenêtre sur l’extérieur »). M.V., non fumeur, rapporte que « tout le monde fume dedans, il n’y a pas de ventilation, ça pue la cigarette et la fumée ». Tous expliquent également que ces conditions d’attente sont propices à créer un climat de tension (menaces verbales ou physiques). H.T. indique avoir déjà été victime de violences physiques dans un boxe. A.F. raconte que « les insultes fusaient, j’entendais “vas-y, tape le…’’. J’ai compris que c’était préférable d’abandonner

Centre pénitentiaire de Nancy, box d’attente à l’UCSA Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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dossier

Projet de réforme pénale : aus

U

NE INFLATION CARCÉRALE SANS PRÉCÉDENT, UNE

justice pénale attaquée jusque dans ses principes les plus élémentaires, une opinion chauffée au refrain d’un prétendu « laxisme » judiciaire… Le bilan des deux dernières législatures ressemble à un véhicule accidenté qu’il faudrait réparer pièce après pièce. Il rend la réforme indispensable et urgente, après plus de 50 lois entre 2002 et 2012 qui on cherché à réduire la justice à un instrument de la politique de sécurité. Une politique à courte vue en réaction à des faits divers aussi tragiques qu’exceptionnels, ressassés ad nauseam en se jouant d’alimenter la peur du citoyen.

Le pénal en guise de politique générale Le pénal est devenu la réponse à tout : pour répondre à un problème, on crée un nouveau délit. A titre d’exemple, « ce n’est plus une hypothèse d’école de voir des comparutions immédiates pour des ventes à la sauvette », signale Françoise Martres, du Syndicat de la magistrature (SM). Les infractions routières sont venues engorger les tribunaux : sur les 617 221 condamnations prononcées en 2012, 43,8 % sont relatives à des délits routiers. Pourtant « la réponse administrative est plus efficace et souvent plus sévère dans ce domaine : suspension immédiate du permis Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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de conduire par la préfecture pour deux, trois ou six mois », explique le SM. Pour lutter contre la récidive, « le bon sens près de chez vous » a aussi répondu « peines plancher ». Le délinquant persistant saurait désormais qu’une peine de prison minimale l’attend au tribunal. Mais les peines plancher « reposent sur un système de dissuasion qui n’a jamais marché. Nos cours d’histoire du droit en 1re année nous ont appris que c’est pendant que l’on décapitait les voleurs sur la place de Grève, qu’il y avait le plus de vols dans le public ! », assène Christophe Régnard, de l’Union syndicale des magistrats (USM). Une réponse inefficace, qui n’a pas moins engendré « près de 12 000 années » d’emprisonnement ferme supplémentaires sur la période 2008-2010 1. Les années Sarkozy, c’est aussi une volonté d’élimination des auteurs de crimes : des longues peines de plus en plus longues, des obstacles accumulés pour empêcher leur libération conditionnelle, puis des mesures de sûreté à leur sortie pour qu’ils soient contrôlés pendant des durées défiant l’intelligence humaine, voire qu’ils soient placés en rétention de sûreté. L’avis du Contrôleur général du 6 février 1 F. Leturcq, « Peines plancher : application et impact de la loi du 10 août 2007 », Infostat Justice n°118, octobre 2012.


Après dix ans de politique pénale ayant mené à des records d’incarcération et une fuite en avant dans la construction de prisons, pour un résultat tout aussi inefficace que coûteux, la réforme pénale est indispensable. Le projet de loi du 9 octobre sur la prévention de la récidive et l’individualisation de la peine n’en reste pas moins inabouti, au terme d’arbitrages l’ayant éloigné de son ambition première : « dépasser l’hégémonie de la peine d’emprisonnement ».

ssi indispensable qu’inabouti sur les quatre premiers placements au Centre de sûreté en montre toute l’absurdité. Retenus pour des durées de 41 à 88 jours, ils ont tous été libérés sans avoir bénéficié d’aucune forme de « traitement de leur dangerosité », qui venait pourtant justifier leur placement en rétention.

La fuite en avant carcérale Le nombre d’entrées en prison croit régulièrement à partir de 2002, il atteint un pic en 2007 avec 90 270 entrées dans l’année, contre 67 308 en 2001. La durée moyenne sous écrou augmente, atteignant 10,2 mois en 2012 contre 8,6 en 2001. La population détenue croît de 35,4 % entre les 1er janvier 2001 et 2012. Face un tel afflux, les établissements pénitentiaires menacent d’implosion. Les gouvernements optent en toute discrétion pour le développement des aménagements de peine, dont le nombre double entre 2005 et 2010, principalement via la hausse spectaculaire des bracelets électroniques. Ils s’engagent aussi dans un accroissement sans précédent du parc pénitentiaire. En 2007, sont mis en service les premiers établissements d’un programme de construction de 13 200 places de prison. Un nouveau programme de 24 000 places est prévu en fin de législature, le 29 février 2012. Ces orientations ne permettent pas de remédier à la surpopulation dans

les maisons d’arrêt : entre les 1er janvier 2001 et 2012, leur taux d’occupation est passé de 104,8 % à 138,3 %, en dépit d’une augmentation notable du parc carcéral (de 48 593 à 57 236 places opérationnelles). Cette fuite en avant laisse une facture exorbitante : la somme restant à payer pour les nouveaux établissements s’élève à 5,3 millions d’euros. Une politique inefficace et particulièrement coûteuse pour le contribuable, tel est le bilan.

Des débuts prometteurs… L’arrivée à la Chancellerie de Christiane Taubira laisse penser qu’une page se tourne. Dans un entretien à Libération le 7 août 2012, la rupture est nette et assumée : « Il y a des années qu’on sait que la prison, sur les courtes peines, génère de la récidive, c’est presque mécanique. Je le dis, il faut arrêter ! Ça désocialise, ça coûte cher et ça fait de nouvelles victimes. La droite a fait croire à l’opinion publique qu’en enfermant de plus en plus, n’importe comment, et pour n’importe quoi, qu’on assurait sa sécurité. Or, on met aussi des humains en péril. Ça, j’ai le devoir de le démontrer ». Elle fustige également la rétention de sûreté : « Comment a-t-on pu faire avaler ça à un pays comme la France ! ». Et de promettre : « Soyons clair, ça, c’était une parenthèse. Moi, je vais la fermer ». Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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© Bernard Le Bars/Signatures

qu’« il ne s’agit rien de moins que l’annonce de la fin des peines de prison 2 ». Au terme de cinq arbitrages au cours de l’été 2013, le président de la République ampute le projet de la garde des Sceaux de ce qui faisait sa cohérence. Au titre des dispositions sauvées, la suppression des peines plancher et des révocations automatiques de sursis.

Le bilan des deux dernières législatures en matière de justice pénale ressemble à un véhicule accidenté qu’il faudrait réparer pièce après pièce.

Pour donner une base solide à la réforme, l’appuyer sur les connaissances issues de la recherche et des expériences professionnelles, la garde des Sceaux convoque une Conférence de consensus. Dans son rapport final, le jury énonce les « principes d’action pour une nouvelle politique de prévention de la récidive ». En premier lieu, « considérer la prison comme une peine parmi d’autres et instaurer une peine de probation sans lien ni référence avec l’emprisonnement, dont la finalité réside dans la réinsertion des personnes condamnées ». Découle de ce principe « l’abandon des peines plancher, la réduction du nombre d’incriminations passibles d’une peine d’emprisonnement et la contraventionnalisation de certains délits ». Le jury invite à revenir sur les dispositions aggravant la répression à l’encontre des récidivistes et limitant leur accès aux aménagements de peine, pour laisser au magistrat la possibilité d’apprécier chaque situation. Les sorties sèches, sans accompagnement, doivent être proscrites et à cette fin une libération conditionnelle (LC) d’office instaurée. Cette mesure, considérée comme l’une des plus « efficaces et constructives pour prévenir la récidive et favoriser la réinsertion sociale » par le Conseil de l’Europe deviendrait ainsi le « mode normal de libération des détenus ». « Condition sine qua non de la prévention de la récidive », les conditions d’exécution de la peine de prison doivent enfin faire l’objet d’une réforme profonde. Le jury se dit « bien conscient que l’ensemble de ces propositions implique une nouvelle culture et un aggiornamento des mentalités ». Il n’aura pas lieu.

Le retournement Faisant face à une campagne médiatique aussi violente que mensongère, le gouvernement cède rapidement du terrain. Le procès en laxisme bat son plein lorsque les grandes lignes du projet de loi commencent à être connues : l’UMP prétend Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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La LC d’office devient pour sa part un simple examen obligatoire de la situation de chaque détenu aux deux tiers de sa peine, afin d’envisager une « libération sous contrainte ». Une nouvelle procédure qui devrait avoir peu ou pas d’impact sur le recours aux aménagements de peine. « On se contente d’examiner si la personne présente les conditions, et l’aménagement peut être refusé sans aucune limite. On ne voit dès lors pas pourquoi les pratiques changeraient. Or, le taux de sortie en aménagement reste très faible, de l’ordre de 20 %, alors que ces sorties accompagnées permettent de réduire la récidive », explique le Snepap. Quant à la peine de probation, qui pour le jury de consensus devait être une peine de référence sans lien avec l’emprisonnement, elle devient un succédané de l’actuel sursis avec mise à l’épreuve, qu’elle ne remplace même pas. Une « coquille vide » selon la CGT-pénitentiaire, définie uniquement par une série d’interdictions et d’obligations. « Il faudrait que le législateur intègre que la probation n’est pas un empilement de contraintes, mais une modalité d’accompagnement et de prise en charge, élaborée à partir des besoins de la personne pour ne pas récidiver », explique le Snepap. Pour couronner le tout, apparaît dans le projet de loi un abaissement des seuils permettant l’aménagement des courtes peines de prison avant incarcération. Les peines concernées ne sont plus celles allant jusqu’à deux ans pour les primo-délinquants mais jusqu’à un an. Pour les récidivistes, le seuil passe d’un an à six mois, ce qui « reviendrait à les exclure du dispositif d’aménagement », déplore l’USM, qui propose de revenir à un an pour tous.

La phobie du « laxisme » Il aura suffi de quelques chiffons rouges agités par les forces ultra-sécuritaires du pays pour que la gauche se laisse anéantir par sa hantise d’apparaître laxiste. Les travaux de la conférence de consensus, qui montraient l’échec de l’option répressive à mieux assurer la sécurité publique, ont rapidement été balayés. Il faut pourtant « sortir de la centralité de la prison, c’est essentiel au XXIe siècle », explique Françoise Tulkens, qui a présidé le jury de la conférence. Pour l’USM, les concessions gouvernementales étaient le seul moyen de faire avaler la pilule à l’opinion publique et aux syndicats majoritaires dans la Police. Un point de vue que ne partage pas le SM : « L’opinion publique est capable de comprendre beaucoup de choses, pourvu que le message qui lui est adressé soit clair. Or, celui qui ressort aujourd’hui est brouillé ». 2 Communiqué du 30 août 2013.


PROJET DE RÉFORME PÉNALE : AUSSI INDISPENSABLE QU’INABOUTI

Considérer la prison comme une peine parmi d’autres et instaurer une peine de probation sans lien ni référence avec l’emprisonnement, dont la finalité réside dans la réinsertion des personnes condamnées A vouloir ménager la chèvre et le chou, « on ne réforme pas, on ajoute », déplore le professeur de droit Xavier Pin. Conséquence, « la politique sécuritaire de la précédente législation reste dans le code pénal ». Et notamment, le projet de loi ne supprime pas la rétention de sûreté ni les périodes de sûreté automatiques, et pas

même les entraves aux aménagements pour les longues peines. Sylvain Chatelet évoque « frustration et incompréhension » du côté des condamnés à de longues peines : « On a le sentiment que c’est le sujet tabou. Si on ne veut rien faire pour les longues peines, si la réinsertion n’est envisagée que pour les courtes peines, il faut le dire clairement ». Sur ces questions délaissées, le gouvernement renvoie à des projets de loi ultérieurs. S’il n’a pas trouvé le courage en début de mandat d’affronter le populisme pénal, il y a fort à parier qu’il s’y pliera encore plus volontiers au fil des échéances électorales. Le combat est à mener aujourd’hui, dans le cadre de l’examen au Parlement du projet de loi sur la prévention de la récidive et l’individualisation de la peine. Dès avril 2014. Sarah Dindo et Barbara Liaras

Les amendements à défendre Côté associatif, syndical, politique, et même ministériel, des modifications du texte déposé le 9 octobre sont attendues. Afin de donner corps à l’ambition du Gouvernement de « dépasser l’hégémonie de la peine d’emprisonnement », plusieurs modifications restent à défendre. La « contrainte pénale ». Elle doit devenir applicable à tous les délits, au lieu d’être restreinte à ceux encourant une peine maximale de cinq ans. Idéalement, elle devrait être érigée en troisième peine de référence en matière délictuelle, aux côtés de l’emprisonnement et de l’amende. Cela impliquerait de faire de la peine de probation la peine maximale encourue pour certaines catégories de délits, et une peine alternative à l’emprisonnement pour les autres. Elle devrait aussi remplacer l’ensemble des peines alternatives existantes, qui deviendraient des modalités de la peine de probation. A minima, la contrainte pénale devrait être distinguée du sursis avec mise à l’épreuve (SME) : en devenant la seule de ces deux peines impliquant un suivi socio-éducatif, le SME étant réduit à une mesure de contrôle d’obligations et d’interdictions (paiements aux parties civiles ou au Trésor public, interdiction de fréquenter certains lieux ou personnes, etc.). Le contenu de la contrainte pénale doit être redéfini afin de placer au premier plan ce qu’est la probation : « des actions structurées et programmées destinées à prévenir la récidive et favoriser l’insertion au sein de la société ». Le terme de « contrainte pénale » doit être remplacé par celui de « peine de probation », comme le demandent les deux syndicats représentatifs dans les SPIP. Aménagement des courtes peines. La procédure visant à aménager le plus de courtes peines possibles avant incarcération doit être améliorée par un renforcement des moyens, afin de raccourcir les délais d’exécution et de prise en charge. Les peines concernées doivent être ramenées à un seuil de deux ans pour tous, afin de ne pas exclure ceux qui ont le plus besoin de suivi et de limiter les courtes

peines, reconnues comme nocives en termes de désocialisation et de récidive. Supprimer les restrictions aux aménagements de peine pour les récidivistes. La distinction primaires/récidivistes doit être supprimée dans les critères d’accessibilité aux aménagements de peine en cours d’incarcération : montant des réductions de peine, délais à partir duquel une demande d’aménagement peut être déposée… Supprimer les périodes de sûreté automatiques. Contradictoires avec la volonté du Gouvernement de supprimer tous les « mécanismes automatiques limitant les possibilités d’individualisation », les périodes de sûreté automatiques empêchent, sans aucune évaluation ni prise en compte des démarches du condamné, toute mesure d’aménagement, réduction de peine ou permission de sortir pendant des durées pouvant atteindre 18 ans. Faire de la conditionnelle le mode normal de libération. Afin de préparer la sortie dans des conditions favorables à l’insertion et la prévention de la récidive, la LC doit être le mode de sortie prévu dès lors que « la personne présente les garanties matérielles pour l’exécution de la mesure et s’engage à en respecter le cadre ». Cette mesure ne devrait néanmoins être prise qu’avec l’accord du condamné. Réviser la procédure spécifique d’octroi de la LC pour les longues peines. L’avis de la commission pluridisciplinaire de sûreté doit être rendu facultatif, le placement extérieur doit être intégré parmi les mesures probatoires à la LC et il doit être laissé aux juridictions le soin de fixer la durée des mesures probatoires. Supprimer la surveillance et la rétention de sûreté. Ces mesures qui ont bouleversé l’équilibre du droit pénal en autorisant une restriction ou une privation de liberté non plus sur le fondement de la culpabilité, mais de la présomption d’infractions futures, doivent être impérativement supprimées. Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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« Le projet de loi passe à côté des facteurs essentiels de prévention de la récidive » Présidente du jury de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive de février 2013, Françoise Tulkens fait le constat d’un projet de loi n’assumant pas entièrement le choix d’une réponse pénale visant la réintégration sociale, avec la probation érigée en peine de référence et la prison devenant une peine parmi d’autres. Du manque de mobilisation des travaux scientifiques à un abandon de la libération conditionnelle automatique, revue du projet de loi gouvernemental.

Françoise Tulkens, professeure de droit pénal en Belgique, a été juge à la Cour européenne des droits de l’homme et vice-présidente de la Cour jusqu’en 2012.

La méthode de la conférence de consensus comme préalable à une réforme pénale a été saluée par beaucoup comme innovante, mais aussi largement critiquée. Qu’avez-vous pensé de la nature des réactions en France après la publication du rapport du jury ? L’apport de la conférence de consensus ne se résume certainement pas au rapport du jury. La philosophie générale d’une telle conférence, c’est qu’une politique ne peut s’installer dans la durée si elle n’est pas fondée sur un socle de connaissances solides, scientifiques et validées ainsi que sur des choix compris et partagés par le plus grand nombre. Dans ce contexte, la première étape assurée par le comité d’organisation est essentielle : un immense travail préparatoire a été effectué, avec plus de 140 personnes auditionnées, des fiches thématiques abordant tous les aspects essentiels de la problématique de la récidive. Dans un deuxième temps, 23 experts ont été entendus en séance publique. Sur la base de ces connaissances, à la fois scientifiques et de terrain, le jury désigné par le comité d’organisation a délibéré pendant deux jours pour Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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proposer des recommandations. Il était composé de 20 personnes choisies pour leur diversité – dont un directeur de prison, une statisticienne, un directeur de SPIP, un CPIP, une juge d’application des peines, un ancien détenu, un procureur, un colonel de gendarmerie, un commandant de police, une universitaire et un chercheur en criminologie, des élus, une journaliste… Trouver un consensus entre des personnes d’horizons et de convictions aussi différents implique inévitablement des concessions réciproques pour trouver un dénominateur commun, c’est-à-dire pour aboutir à des choix partagés que l’on peut raisonnablement soutenir. C’est la limite de l’exercice, si l’on se contente du rapport du jury qui a été critiqué par les uns parce qu’il allait trop loin et par d’autres parce qu’il n’allait pas assez loin. Je le comprends très bien. Considérez-vous que le projet de loi présenté par le Gouvernement s’appuie sur les travaux du comité d’organisation et du jury ? En partie, mais pas suffisamment à mon avis. Je regrette que le corpus documentaire unique rassemblé par la Conférence soit fort peu utilisé dans le projet de loi, qui passe à côté de quatre éléments essentiels. Le premier, c’est que toute proposition sur la récidive doit être précédée d’une réflexion fondamentale sur la fonction de la peine (distincte du fondement et de la finalité de celle-ci) qui vise le rôle qu’elle peut positivement remplir. Sinon, nous n’avons que des mesures techniques qui ne posent pas les bases d’une nouvelle politique pénale. L’article 1 du projet de loi ne prend pas de position


PROJET DE RÉFORME PÉNALE : AUSSI INDISPENSABLE QU’INABOUTI suffisamment claire à cet égard, il mélange l’idée de réintégration avec d’autres fonctions de la peine, comme l’amendement, ce qui fait perdre le fil conducteur. Pour le jury, la fonction de réintégration devait être affirmée comme celle qui sous-tend la politique criminelle dans une société démocratique – afin de se distancier clairement des fonctions d’élimination, d’exemplarité ou d’amendement traditionnellement assignées à la peine. De quoi s’agit-il ? De permettre à la personne de vivre de manière compatible avec la société telle qu’elle est. Pas de régénérer le délinquant comme s’il était un pécheur ou un malade, mais lui donner des points d’appui pour le rendre apte aux exigences de la vie sociale. Trouver un logement, renouer les liens familiaux, faciliter la formation professionnelle, chercher du travail, sortir de l’alcoolisme et des addictions… Une des conséquences essentielles de ce choix, qu’on ne retrouve pas dans le projet de loi, c’est le lien avec les dispositifs de droit commun. La prévention de la délinquance, ce n’est pas seulement une politique pénale, c’est aussi et peut-être surtout une politique publique. En n’établissant pas clairement le lien avec les dispositifs de droit commun, le texte fixe des objectifs sans se donner les moyens de leur réalisation. Quels autres points essentiels vous paraissent écartés ? Le deuxième élément central ayant fait consensus, c’est que la peine d’emprisonnement crée souvent plus de problèmes qu’elle n’en résout – un sujet sur lequel tout a été dit. Nous n’aurions pas été crédibles en demandant sa suppression – et les membres du jury n’auraient pas tous été d’accord ! Mais nous avons préconisé qu’elle soit maintenue dans le champ le plus étroit possible. Ce que ne fait pas le projet de loi qui, au contraire, la maintient comme peine de référence. Certes, avec une disposition, celle de l’article 3, qui fait obligation au juge de motiver le choix d’une peine d’emprisonnement. Cela peut paraître une garantie mais peut aussi se révéler dangereux. Outre le risque de recours à des formules creuses bien connues, la référence à la personnalité qui figure dans le texte est la porte ouverte à bien des dérives. Troisième proposition majeure : instaurer, en lieu et place de la peine privative de liberté, une nouvelle peine de probation hors les murs. La contrainte pénale du projet ne répond pas à une condition essentielle : que cette nouvelle peine ne s’ajoute pas aux autres peines non privatives de liberté qui existent actuellement mais qu’elle les fusionne. Car à force de toujours ajouter, l’échelle des peines n’est plus lisible, et place le juge dans une position intenable pour décider quelle peine il va imposer. Introduire une peine de plus, et encore à la neuvième (et dernière) place comme le fait le projet de loi, risque, en définitive, de ne pas servir à grand-chose. Nous avons en revanche été entendus sur la demande de suppression des peines plancher (art. 5). Le quatrième point, c’est le danger de toute sortie en fin de peine et/ou sans accompagnement. Le projet de loi reprend l’idée d’éviter les « sorties sèches », mais sans dispositif qui permette d’en assurer vraiment la réalisation.

« Il faut oser dire que la récidive, c’est aussi une forme d’échec de la justice, de la peine prononcée et subie ainsi que des conditions de son exécution »

Quelle différence voyez-vous entre la peine de probation promue par la conférence de consensus et la contrainte pénale prévue dans le projet de loi ? Pour la conférence de consensus, la peine de probation devait être une peine indépendante, à part entière. Son contenu devait être défini par la guidance et le suivi individualisé dans un but de réintégration. Le sens de la probation, c’est le soutien. Dans le projet, l’article introduisant la contrainte pénale énumère uniquement des interdits et obligations. Mettre des interdictions et obligations au cœur d’une peine qui voulait, avec l’idée de probation, au contraire intensifier le suivi et la guidance, c’est une toute autre philosophie. Pouvez-vous expliquer en quoi la probation n’est pas une réponse « laxiste » ? La probation, ce n’est ni laxiste ni répressif, c’est réaliste. Il s’agit d’une peine, au sens juridique du terme, c’est-à-dire une contrainte qui s’impose à une personne et dont la fonction est d’apporter des outils pour sortir du parcours délinquant. Le but n’est pas moral, mais pragmatique : nous voulons que ce comportement cesse, car nous voulons tous la paix sociale et la sécurité. De manière générale, dire que l’absence d’emprisonnement c’est du laxisme (donc de la tolérance excessive), me paraît inexact et irresponsable. Tout le monde sait que les personnes risquent de sortir de prison pires qu’elles n’étaient et, en outre, les conditions de détention étant ce qu’elles sont, la société ne fait pas exemple en les traitant de cette manière. Au contraire, elle montre la violence institutionnelle. L’emprisonnement est souvent une fausse sécurité. Que pensez-vous de la procédure prévue dans le projet de loi en cas de non-exécution de la contrainte pénale ? Si seule la prison sanctionne l’échec de la contrainte pénale, on revient au point de départ. Pour sortir de la centralité de la prison, ce qui me semble essentiel au XXIe siècle, il ne faut pas chaque fois faire de la prison la peine ultime, en cas d’échec des autres peines. La peine de probation ne devrait pas être une « alternative », au sens où la prison serait la norme et les autres mesures des alternatives à cette norme. Elle doit être substitutive. Après moultes discussions, la conférence de consensus a néanmoins proposé de faire de la « non observation persistante des règles de probation » un délit, tout comme il existe un délit d’évasion de prison. Cela implique un nouveau passage devant le tribunal, qui peut, mais ne doit pas nécessairement, Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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dossier être sanctionné par l’emprisonnement. Dans le projet de loi, le renvoi vers le tribunal vise nécessairement, me semble-t-il, la mise à exécution de l’emprisonnement. Dans cette logique, en cas d’échec de la prison, que faudra-t-il faire ? Refaire de la prison ? Voilà les limites, sinon l’absurdité du système. Le jury a clairement posé comme principe que le non respect du « plan de probation » n’entraîne pas automatiquement de « sanctioncouperet » et qu’il faut s’attacher à la non-observation persistante. La première réponse à apporter dans ce cas est de réadapter le contenu de la mesure, mieux individualiser le suivi, ce qui n’est prévu dans le projet de loi qu’en termes de « modification des obligations ». Les personnes ne changent pas du jour au lendemain. La nature humaine est telle qu’il y a des hauts et des bas, la sortie de délinquance peut prendre un certain temps. Il ne faut pas, dès qu’il y a un échec, revenir immédiatement avec le bazooka. Que pensez-vous du terme de « contrainte pénale » ? Sans me focaliser sur les mots, je préfère la « peine de probation ». Le terme de « probation », employé depuis plus d’un siècle en matière de justice pénale aux Etats-Unis et en Europe, traduit l’idée de la guidance et du suivi, c’est l’idée même de la probation. Quant au terme de « peine », il indique bien qu’il s’agit d’une sanction, d’une conséquence obligatoire d’un acte interdit par la loi. Tandis que l’expression « contrainte pénale » est un pléonasme car il est bien évident qu’une peine au sens juridique du terme est toujours une contrainte ; en outre, la dimension de guidance et de soutien individualisé disparaît. Quelles sont les différences entre les modalités d’octroi de la libération conditionnelle qu’avait proposé le jury, et la « libération sous contrainte » du projet de loi ? Le projet de loi (art. 16) institue une procédure d’examen obligatoire de la situation des personnes condamnées aux deux tiers de leur peine. C’est différent de la préconisation du jury d’une libération conditionnelle accordée automatiquement après un certain délai fixé par le législateur, sauf contre-indication motivée par le juge. La conditionnelle devient ainsi un processus inhérent à l’exécution de la peine de prison, et non une faveur accordée aux plus « méritants ». Vous dites néanmoins que la libération conditionnelle correspond à un « renforcement de la répression ». En quoi ? Une libération sous conditions, c’est une libération sous surveillance. Ce n’est donc pas, contrairement à ce que l’on croit souvent, un allègement de l’intervention pénale, mais un renforcement : la personne sort mais est soumise obligatoirement au respect de certaines conditions. Si celles-ci ne sont pas respectées, il y a un retour en détention. Certains détenus préfèrent d’ailleurs parfois aller au bout de leur peine pour avoir une libération sans suivi plutôt que d’être soumis à cet accompagnement contraignant. Mais pour que la mesure Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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« La réinsertion est un impératif constitutionnel pour toute société qui fait de la dignité humaine un pilier » de libération conditionnelle reste crédible, le suivi exercé par les services doit assurer concrètement et efficacement la guidance et le respect des obligations. Cela coûte évidemment, mais sans doute moins que l’emprisonnement. Quels étaient les « présupposés indispensables » posés par la conférence de consensus et qui ne figurent pas dans le projet de loi ? Le projet de loi n’engage pas la réflexion sur le périmètre pénal et la nécessité de dépénaliser certaines infractions. C’était une des demandes de la conférence de consensus, mais il ne lui appartenait pas de préciser quels faits devaient être décriminalisés : c’est au législateur de prendre ses responsabilités sur cette question. Il faut également revoir la place de l’emprisonnement dans le code pénal : si toutes les infractions restent punissables de X mois ou années de prison, rien n’aura changé. Il faudra qu’à un moment soit inscrit dans le code pénal que telle infraction est punie de X temps de probation. Enfin, le projet de loi ne propose pas (encore ?) la suppression des mesures de sûreté, très problématiques en termes de droits de l’homme et qui se fondent sur un critère de dangerosité quasiment impossible à évaluer et surtout à prédire, ainsi que sur une philosophie de l’élimination. De plus, les mesures de sûreté automatiques sont contraires au principe d’individualisation inscrit à l’article 2 du projet de loi. Le jury appelait à « une réforme profonde des conditions d’exécution de la peine privative de liberté ». En quoi était-ce une « condition sine qua non de la prévention de la récidive » ? Les conditions de détention doivent absolument être améliorées, pour des raisons de simple humanité. C’est une exigence avec laquelle on ne peut pas transiger. Si l’on ne peut pas ou on ne veut pas avoir des prisons « dignes de la République », alors il est impératif de faire autre chose, de punir autrement. Les conditions d’exécution de la peine d’emprisonnement ont évidemment aussi un effet sur la récidive, en ce sens qu’elles y contribuent. Vivre dans un tel contexte est contraire à toute forme de retour dans la société puisque vous êtes coupé de la vie sociale et infantilisé. A cela s’ajoute évidemment tout ce que la prison vous fait perdre de votre autonomie, les liens sociaux brisés, d’autres qui se mettent en place. En clair, si on vous envoie en dehors du monde pendant 10, 20 ou 30 ans, comment allez-vous refaire votre place à votre retour dans une société transformée ?


PROJET DE RÉFORME PÉNALE : AUSSI INDISPENSABLE QU’INABOUTI

© Bertrand Desprez/Vu

Au XXIe siècle, il est essentiel de sortir de la centralité de la prison, affirme Françoise Tulkens.

Il faut quand même oser dire que la récidive, c’est aussi une forme d’échec de la justice, de la peine prononcée et subie ainsi que des conditions de son exécution. Si l’on veut prévenir la récidive, faire en sorte que les personnes qui ont connu

le système de justice pénale ne retournent pas dans un parcours délinquant, il est urgent, en 2014, de tenter autre chose. Recueilli par Barbara Liaras Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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Convaincre ou s’adapter à « l’opinion publique » ? Limiter drastiquement le recours à l’emprisonnement au profit d’une probation améliorée ? Ou limiter la réforme à ce que l’opinion publique semble prête à accepter ? Les deux principaux syndicats de magistrats défendent des stratégies opposées. Avant le projet de loi, il y a eu la conférence de consensus. L’USM, vous avez été plutôt sévère sur les conclusions du jury, pouvez-vous expliquer pourquoi ? USM : Nous n’étions pas opposés à cette forme de réflexion, en amont d’une réforme, avec des experts et des conclusions qui auraient pu être consensuelles. Mais la composition du comité d’organisation et du jury portait en germe le blocage qui a suivi, car elle orientait les conclusions, écrites par avance et n’allant que dans un seul sens. Ceux qui pensaient différemment en ont été exclus, notamment les représentants de la police et de la gendarmerie. Les travaux du comité d’organisation sont très intéressants, mais le rapport du jury l’est beaucoup moins, il nous a paru bâclé. Nous sommes d’accord avec certaines grandes préconisations : aménager la sortie et abolir les dispositifs automatiques. Les autres aspects ne font pas consensus, si bien qu’il n’en reste pas grand-chose dans le projet de loi : le travail a dû être repris après la conférence, avec d’autres et dans des circonstances différentes. SM : Nous avons au contraire salué cette démarche. La droite a assené pendant des années que seule la prison était efficace contre la récidive. Il fallait s’appuyer sur la recherche et assurer un travail d’explications. Tous les syndicats (police-magistrature-pénitentiaire) ont été auditionnés par le comité d’organisation, chacun a pu s’exprimer. Dans le comité et le jury, il y avait des membres de tous les corps de métier concernés. Quant aux conclusions, elles sont conformes à ce qui est largement admis sur les moyens les plus efficaces dans la lutte contre la récidive, que l’on retrouve dans les recommandations du Conseil de l’Europe et nombre de rapports parlementaires. En réalité, ceux qui ne voulaient pas de cette réforme ont tout remis sur la table après la conférence, dans le secret des cabinets ministériels. Et finalement, le projet de loi a été élaboré comme si la conférence n’avait pas existé. Il est le résultat d’arbitrages bien moins transparents. Et le texte présenté ne fait pas davantage consensus. Sur quels aspects l’USM estime que le texte fait plus consensus après les arbitrages ? USM : La libération conditionnelle (LC) automatique par exemple, a été supprimée. L’opinion n’y est pas prête, cette Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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Françoise Martres est présidente du Syndicat de la magistrature (SM) depuis 2013. Le SM a obtenu 25,2 % aux dernières élections professionnelles.

Christophe Régnard est président de l’Union syndicale des magistrats (USM) depuis 2008. L’USM a obtenu 68,4 % des voix en 2013.

option n’obtient pas une adhésion majoritaire dans la magistrature ou la police. Il vaut mieux expliquer à l’opinion que la LC fait partie des instruments favorables à la lutte contre la récidive. Si l’on impose qu’elle doit être automatique, ce sera perçu comme laxiste et dogmatique. Mieux vaut une stratégie des « petits pas » plutôt que de grands mouvements révolutionnaires, qui reviennent généralement en boomerang et entraînent un mouvement inverse à chaque alternance politique. Pour autant, nous partageons en grande partie l’objectif final : abrogation des peines plancher, de la rétention de sûreté, des tribunaux correctionnels pour mineurs… Parce que ces dispositifs ont montré leur inefficacité, en France et ailleurs. SM : Le procès en laxisme aura lieu de toutes façons, il a démarré bien avant la publication du projet de loi. Je crois que l’opinion publique est capable de comprendre beaucoup de choses, pourvu que le message qui lui est adressé soit clair. Or, celui qui ressort aujourd’hui est brouillé : le projet de loi n’affirme pas un choix explicite de politique pénale et la plupart des politiques ne parviennent pas à s’extraire d’un discours sécuritaire simpliste. Le propos pédagogique est plus difficile à tenir : il


PROJET DE RÉFORME PÉNALE : AUSSI INDISPENSABLE QU’INABOUTI s’agit d’expliquer que pour éviter la récidive, et donc de nouvelles victimes, la LC automatique est plus efficace qu’une sortie « sèche » en fin de peine. Mais le nombre de victimes évitées, par définition, ne se voit pas et ne se mesure pas. USM : Certains politiques de droite sont tout à fait d’accord avec cette idée, mais ne l’afficheront pas publiquement car ce n’est pas vendeur. Il faut prendre en compte cette regrettable réalité pour s’assurer qu’une réforme soit pérenne. Vos deux organisations s’accordent sur certaines dispositions du projet de loi : suppression des peines plancher et des révocations automatiques de sursis. En quoi il ne s’agit de messages de « laxisme » ? SM : Ce n’est pas laxiste de supprimer ces dispositifs, car la peine de prison n’est pas dissuasive. Il est rare que les délinquants pèsent les conséquences de leur passage à l’acte, ils sont dans l’immédiateté. Si bien que ce n’est pas la perspective d’une peine plancher ou d’une révocation qui va empêcher une récidive. La révocation automatique des sursis simples pose des problèmes concrets : les condamnés ont la possibilité de demander une dispense de révocation lors de leur nouvelle comparution, mais en pratique ils ne le font pas. Ils oublient qu’ils ont eu un sursis, leur avocat n’y pense pas… Parfois, les délais d’inscription des peines au casier judiciaire sont tels, que les sursis antérieurs n’apparaissent même pas au moment du procès. C’est au stade de l’exécution de la nouvelle peine de prison que l’on s’aperçoit qu’il reste des sursis à exécuter, et qu’ils ont été automatiquement révoqués en vertu de la nouvelle condamnation. USM : Le système des peines plancher, c’est une escroquerie. On nous les a vendues comme des peines automatiques pour remédier au prétendu laxisme des juges, ce qu’elles ne sont pas (nos principes constitutionnels l’empêchent). Il reste toujours la possibilité d’y déroger, que les juges ont largement utilisée, en prononçant des sursis avec mise à l’épreuve beaucoup plus longs pour atteindre la peine minimale. Les conséquences en cas de révocation sont terribles. Les peines plancher reposent sur un système de dissuasion qui n’a jamais marché. Nos cours d’histoire du droit en 1re année nous ont appris que c’est pendant que l’on décapitait les voleurs sur la place de Grève, qu’il y avait le plus de vols dans le public ! Il reste un travail de pédagogie sur le bilan des peines plancher qui n’a pas été bien assuré par le ministère, laissant le champ libre aux accusations de laxisme. Pour contrecarrer ce discours, nous avons suggéré de revenir sur les seuils d’aménagement des courtes peines. C’est un point de désaccord entre vous : le projet de loi prévoit un abaissement à un an pour les primaires et à six mois pour les récidivistes des peines permettant de prétendre à un aménagement avant incarcération. USM : Quand la gauche a passé le seuil de six mois à un an en 2001, la droite a crié au scandale. Puis elle l’a elle-même porté à deux ans, ce qui relève d’une certaine malhonnêteté vis-à-vis de l’opinion publique. Nous proposons de revenir

à un an pour tous. L’abaissement à six mois pour les récidivistes prévu dans le projet de loi reviendrait à les exclure du dispositif d’aménagement. En récidive, les peines dépassent généralement ce seuil, d’autant qu’elles se cumulent. Pour les primaires, nous proposons de passer de deux à un an. Il est très difficile d’aménager des peines de deux ans, notamment en placement sous surveillance électronique. Pour le condamné, cette mesure devient difficile à supporter au bout de six à neuf mois. Le deuxième problème est celui de la crédibilité. Une condamnation à deux ans, ce n’est pas prononcé si souvent, il s’agit donc nécessairement d’un cas grave. Si vous dites immédiatement que le condamné n’est pas incarcéré et que sa peine va être aménagée, c’est incompréhensible pour lui, pour la victime et pour l’opinion publique. Enfin, certains collègues en correctionnelle ont parfois tendance à hausser le seuil des condamnations pour éviter que la peine ne puisse être aménagée. Avec un seuil de 12 mois, ils prononçaient des peines de 13 mois. Avec un seuil de 24 mois, ils montent à 25. SM : Si l’on peut expliquer que les peines plancher sont inefficaces, on peut aussi expliquer que l’aménagement d’une peine ab initio permet d’améliorer les chances de réinsertion d’un individu, donc de mieux prévenir la récidive. L’aménagement doit cesser d’être présenté comme un cadeau ou une peine non exécutée. Il s’agit d’une modalité d’exécution d’une peine. En réalité, les magistrats n’ont pas besoin de prononcer des peines plus lourdes pour éviter la procédure d’aménagement : il est très rare qu’une peine de 18 ou 24 mois ne fasse pas l’objet d’un mandat de dépôt. Il s’agit généralement de peines plus courtes, voire d’un cumul de peines de quelques mois, dont l’addition ne dépasse pas deux ans. Si la juridiction ne prononce pas de mandat de dépôt, c’est qu’elle a de bonnes raisons de le faire : elle estime que le condamné présente des éléments favorables à un aménagement, qui méritent d’être examinés plus longuement par le JAP. La juridiction dispose rarement d’éléments assez précis pour décider elle-même d’un aménagement, de la mesure la plus adéquate. Est-ce que le problème de ces procédures d’aménagement ne se situe pas davantage dans le manque de moyens prévus pour les mettre en œuvre ? USM : Oui, beaucoup de mesures en milieu ouvert ne sont pas réellement suivies. C’est un problème pour le condamné, et pour l’opinion publique. En cas de récidive, on nous renvoie à notre responsabilité, alors que les JAP et les SPIP font ce qu’ils peuvent avec les moyens qu’ils ont. Il faut aussi comprendre que le risque zéro n’existe pas, même dans les pays très avancés, avec beaucoup plus de moyens légaux et financiers pour lutter contre la récidive. Sur la nouvelle peine de contrainte pénale, le SM, vous avez regretté qu’elle ne remplace pas les peines alternatives existantes. Pourquoi ? SM : C’est une question de lisibilité. La CP ne présentant pas beaucoup de différences avec le sursis avec mise à Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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dossier USM : Ce seuil n’avait de sens que dans la conception originale d’une peine de probation-peine de référence. Comme ce n’est pas le choix retenu, il faut en effet l’étendre à tous les délits. Pensez-vous vraiment que les juridictions vont se saisir de la contrainte pénale ?

© Bernard Le Bars/Signatures

USM : Il y aura un « effet nouveauté » : les magistrats vont en prononcer dans les premiers mois, pour voir concrètement ce que donne cette peine. S’ils se rendent compte que le dispositif n’est pas efficace ou qu’il n’y a pas de suivi, ils n’en prononceront plus. Il faudra donc mettre le paquet dès le début, notamment dans les SPIP. Le renforcement des pouvoirs de la police et de la gendarmerie pour assurer un contrôle effectif des interdictions [de fréquen« Tant que l’on voudra répondre à tout par le pénal, on ne répondra à rien de manière ter certains lieux ou personnes, de satisfaisante » : un point de vue commun aux deux principaux syndicats de magistrats. porter une arme, de conduire, etc.] est aussi une bonne chose, à condition l’épreuve (SME), les magistrats risquent de ne pas voir l’intérêt que des moyens nouveaux leur soient alloués. Il faut enfin que d’en prononcer. Pour que cette peine soit vraiment identifiée, les juges aient le sentiment qu’en cas de non respect des obliil fallait au moins qu’elle remplace le SME, au mieux qu’elle gations, une réponse rapide est apportée. Ce qui sera possible acquière le statut de peine de référence, afin que l’emprison- avec la procédure prévue, de décision par un juge unique nement devienne l’exception en matière de délits. (le JAP ou le juge délégué). Si la non exécution avait été instaurée en délit, un nouveau passage devant le tribunal était USM : Eriger la CP en peine de référence impliquerait de nécessaire, soit un processus plus long. Pour autant, il ne faut retirer la possibilité de prononcer un emprisonnement pour pas attendre d’impact de cette nouvelle peine sur la surpocertains délits. Avec des conséquences procédurales imporpulation carcérale : elle va mordre sur les SME, voire les sursis tantes : il n’y a plus de placement en garde à vue ni de comsimples ou les TIG, pas sur les peines fermes. parution immédiate possibles. Nous adhérons à la contrainte pénale telle que prévue dans le projet de loi, parce qu’elle va SM : De notre côté, la contrainte pénale, telle qu’elle est préplus loin que le SME, elle est plus souple et révocable plus faci- vue, nous paraît trop proche du SME pour que les juridictions lement. À terme, si le dispositif fonctionne, elle aura vocation s’en emparent. D’autant qu’un suivi renforcé peut déjà se faire dans le cadre d’un SME. à aspirer le SME et le TIG. Que pensez-vous du champ d’application de la contrainte pénale aux délits passibles d’une peine maximale de cinq ans ? SM : Il faut revenir sur ce seuil, afin que la CP soit applicable à tout délit. Il n’est pas logique d’instaurer une peine impliquant un suivi renforcé pour les seuls petits délits, alors que le SME peut être prononcé pour des infractions plus graves. Il faut avoir confiance dans le pouvoir d’appréciation des magistrats, qui ne vont pas prononcer une CP pour des affaires de proxénétisme aggravé par exemple, comme on a pu l’entendre d’élus de droite. Le seuil de cinq ans empêchera par contre les tribunaux de prononcer cette peine dans des cas où elle serait adaptée : petits trafiquants de stupéfiants, voleurs d’habitude, vols aggravés… Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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Vous avez aussi regretté que la contrainte pénale soit définie comme une simple mesure de contrôle, alors que le Conseil de l’Europe définit la probation comme un « suivi, conseil et assistance dans le but de réintégrer socialement l’auteur d’infraction dans la société et de contribuer à la sécurité collective ». SM : Oui, le contenu de la CP se résume à du contrôle d’obligations, alors que nous savons que cela ne marche pas. L’intérêt de cette peine se situe dans l’évaluation fine et pluridisciplinaire, à partir de laquelle le suivi le plus adapté devra être défini et mis en œuvre. Cette phase d’évaluation va être très importante, il faudra que les SPIP aient les moyens de l’assurer. USM : Je partage ce sentiment. La nouveauté de cette peine tient essentiellement dans la phase préalable d’évaluation,


PROJET DE RÉFORME PÉNALE : AUSSI INDISPENSABLE QU’INABOUTI qui facilitera l’adaptation des obligations au plus près de la personnalité du condamné. Si les moyens sont donnés, cela permettra de sortir du simple contrôle formel des obligations pour assurer un vrai suivi favorisant la réinsertion. Vos organisations divergent sur la libération conditionnelle, le SM demandant une LC de droit, sauf « décision contraire du juge fondée sur des exceptions encadrées par la loi », et l’USM y voyant un système contraire à l’individualisation. Pouvez-vous expliquer vos positions ? SM : Pour nous, la peine d’emprisonnement doit comporter une partie purgée à l’intérieur et une autre dans la société, pour aller vers la réinsertion. Il s’agit de limiter les sorties sèches, point très important dans la lutte contre la récidive. Le simple examen de toute situation aux deux tiers de la peine inscrit dans le projet de loi ne devrait pas avoir un impact important. Il permet simplement de n’oublier personne. Et il ne faudrait pas que par manque de moyens, les possibilités actuelles d’accéder à la LC à mi-peine pour les primo-délinquants se retrouvent à être examinées aux deux tiers. USM : Nous sommes hostiles aux procédés de sortie systématique, qui nous rappellent, à front renversé, les peines plancher. La LC marche bien, avec de faibles taux de récidive, parce que les personnes qui l’obtiennent s’inscrivent dans un processus de sortie avec un projet. En l’appliquant à tous, la mesure perdrait de sa pertinence, avec des personnes qui n’y seraient pas prêtes, donc davantage de récidives qui, médiatisées, risqueraient d’aboutir à terme à une abrogation pure et simple de la LC. Et puis ce n’est pas vendable à l’opinion publique. La première question que posent les jurés d’Assises est : « s’il est condamné à telle peine, quand va-t-il sortir ? ». Avec un effet d’aggravation de la peine prononcée qui se retourne contre le condamné. SM : Ce raisonnement fait l’impasse sur le fait que les personnes vont sortir un jour et qu’elles récidivent moins dans le cadre d’une LC. Le système serait plus transparent avec une suppression des réductions de peine, remplacées par une LC pour tous. La réforme doit être acceptée le plus largement possible, mais on ne peut pas non plus travailler uniquement en fonction d’une opinion publique chauffée à blanc par les médias et les politiques ! Pour limiter les sorties sèches, il faudrait aussi avoir les moyens de préparer la sortie et d’assurer un suivi pour tous à l’extérieur. Nous n’y arriverons jamais sans agir en amont sur la pression pénale. Oui, le SM a réclamé une « révision raisonnée des incriminations », dans la perspective d’une « décroissance pénale », est-ce que vous pouvez expliquer ? SM : Tant que l’on voudra répondre à tout par le pénal, on ne répondra à rien de manière satisfaisante. Face au flux d’affaires, il faudrait doubler le budget de la justice aujourd’hui, ce qui n’est pas prêt d’arriver. Nombre de comportements ont été pénalisés tels que les ventes à la sauvette : ce n’est plus une

hypothèse d’école de voir des comparutions immédiates pour ce type de délit. Le contentieux routier est aussi venu engorger massivement les tribunaux, alors que la réponse administrative est plus efficace et souvent plus sévère dans ce domaine : suspension immédiate du permis de conduire par la préfecture pour deux, trois ou six mois. Il faut limiter le pénal aux comportements les plus graves. Et revoir l’échelle des peines : pour des niveaux de gravité divers, par exemple en matière de vols ou de stupéfiants, la peine encourue est la même. USM : Je suis globalement d’accord : le code pénal a vingt ans, il a perdu une grande partie de sa cohérence avec la pénalisation de tout un tas de comportements et les dizaines de lois adoptées depuis 1994. Il y a une réflexion à mener sur les incriminations. Mais elle se heurte à de multiples lobbies, par exemple concernant les délits routiers. Il y a un champ de réflexion possible sur les modalités de traitement de la première infraction, dans certains domaines, qui pourrait ne pas nécessairement passer par une phase juridictionnelle. Mais cela pose la question des conditions dans lesquelles la récidive pourrait alors être retenue. Les débats parlementaires sur le projet de réforme pénale doivent démarrer en avril. L’USM, vous souhaitez que soit « maintenu l’équilibre global du texte », pouvezvous préciser ? USM : Le résultat issu des arbitrages nous semble convenable et pragmatique. Il nous importe surtout de ne pas revenir à une LC automatique et à une peine de probation complètement déconnectée de la prison. Les syndicats de policiers majoritaires, avec qui nous avons travaillé, ont exprimé leur inquiétude d’un affaiblissement de la réponse pénale. Ils sont davantage que nous en contact direct avec les délinquants, il y a pour eux un enjeu de crédibilité. Nous avons, je pense, réussi à les convaincre du caractère équilibré de la réforme. Il manque aussi de la lisibilité sur les peines exécutées dans la communauté (SME, TIG…). C’est en ce sens que nous demandons une codification du droit de la peine qui remettrait à plat les mesures et leurs acteurs. La contrainte pénale m’intéresse si elle prouve que la peine peut être effective ailleurs qu’en prison. Pour l’instant, nous n’avons pas la certitude d’un suivi réel en milieu ouvert. Les policiers se voient comme le premier maillon de la chaîne, sans lisibilité sur ce qu’il advient au niveau judiciaire. Tout comme nous manquons de lisibilité sur ce que font les SPIP. SM : Nous refusons cette logique de chaîne pénale : le travail de la justice ne s’inscrit pas dans la continuité de celui des policiers. Et ceux qui entretiennent la guerre « police contre justice » sont ceux qui refusent que la justice joue son rôle et contestent son indépendance. Il y a déjà deux syndicats de police qui ne cessent de monter des affaires en épingle. Il est inquiétant qu’un syndicat de magistrats préfère à présent discuter des lois pénales au ministère de l’Intérieur plutôt qu’au ministère de la Justice. Recueilli par Sarah Dindo Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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© CGLPL

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Cellule de maison d’arrêt suroccupée.

« C’est à l’intérieur des prisons qu’on crée des récidivistes » Une terrible déception. Pour François Delezenne, sorti de prison depuis deux ans sous surveillance électronique, le projet de loi ne répond pas aux facteurs essentiels de récidive : des conditions de détentions indignes, un recours insuffisant aux peines alternatives et une intervention des services d’insertion et de probation focalisée sur le contrôle. Dans votre contribution à la conférence de consensus, vous aviez identifié « les conditions de détention indignes » parmi les facteurs de récidive. Ce volet ne figure pas dans le projet de loi. Qu’attendiez-vous comme changements prioritaires ? Le changement prioritaire, c’est le respect de la dignité. A deux, voire trois détenus dans une cellule de 7 m² sans eau Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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François Delezenne a été détenu huit mois à la maison d’arrêt d’Angers. Il a présenté la contribution d’un groupe de détenus lors des auditions publiques de la Conférence de consensus pour la prévention de la récidive.

chaude et sans intimité pour les commodités, on ne peut pas demander à des êtres humains de rester « normaux ». Comment ne pas devenir agressif quand il fait 40° dans les cellules, sans aération ? Quand on a droit à deux rouleaux de papier toilette par détenu et par mois ? Quand on voit très peu le monde extérieur, qu’on n’a que quarante-cinq minutes de parloirs par mois, comme c’est souvent le cas ? Ces conditions désocialisent, elles créent de l’agressivité et de la haine, entre


PROJET DE RÉFORME PÉNALE : AUSSI INDISPENSABLE QU’INABOUTI détenus et contre la société. La dette est payée, mais les gens ont été encore rabaissés. C’est à l’intérieur qu’on commence à créer des récidivistes. Je reprends la formule que j’ai employée à la conférence de consensus : « vous entrez en prison avec un CAP de voleur à la tire et vous en ressortez avec un Master en criminologie ». J’ai été incarcéré pour abus de confiance dans une grande entreprise. Pendant mon incarcération, j’ai appris où et comment me procurer de la drogue, des faux billets, comment ouvrir une voiture sans les clés, comment faire un cambriolage… J’ai 57 ans, je n’avais jamais vu de drogue avant d’être incarcéré. En huit mois de détention, j’en ai vu l’équivalent de vingt kilos. Plus vous allez mettre des gens en prison pour des petites peines, plus ils vont apprendre ce genre de choses. La récidive commence aussi comme ça. Et puis comment des jeunes qui ne font rien de la journée à part fumer leur « bedo » pourraient-ils progresser ? Il faut leur apprendre à lire, à écrire, leur faire passer le code de la route, etc. Sinon, ils préfèrent aller au bout de leur peine que de subir les contraintes d’un bracelet électronique ou d’une liberté conditionnelle. Il faut leur mettre le pied à l’étrier pour leur apprendre à se bouger, les motiver pour qu’ils aient envie de sortir. Certaines de ces mesures ne représentent aucun coût, et pourtant rien ne figure dans le projet de loi. La déception est terrible. Votre groupe recommandait d’« éviter la prison pour les petits délits ». Le projet de loi prévoit d’abaisser les seuils en deçà desquels une courte peine peut être aménagée. Qu’en pensez-vous ? Les courtes peines m’évoquent les sanctions que l’on inflige aux enfants : « Tu n’as pas une bonne note, tu n’auras pas de dessert ». Elles sont vides de sens. Pire, que ce soient pour six mois ou un an, la prison détruit. On apprend aux gens à se détester les uns les autres. Les conséquences collatérales peuvent être extrêmement graves – notamment sur la vie de famille, sur l’équilibre psychique – mais les juges n’en tiennent pas compte. J’ai rencontré des personnes qui restaient trois mois en détention : par exemple, un père de famille incarcéré pour des amendes impayées. Il est vrai que la prison ferme est souvent précédée de condamnations avec sursis. Que se passe-t-il alors à la sortie du tribunal ? Le condamné paye son avocat et on n’en parle plus. Grave erreur. Le Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) devrait intervenir dès ce moment-là. La récidive doit être contrée dès la sortie du tribunal, la première fois. Vous demandiez « davantage de peines de substitution ». La « contrainte pénale » répond-elle à cette attente ? Quel contenu devrait-elle avoir pour être utile dans la prévention de la récidive ? Je ne vois pas ce qu’apporte cette nouvelle peine, elle aussi basée sur la pression et la contrainte. Le suivi exercé par les SPIP ne devrait pas se résumer à trois minutes et demie tous les deux mois : vous montrez vos bulletins de salaires, tout va

« Il faut des SPIP “de terrain’’, pas des SPIP “de bureau’’. Qui vont voir les personnes sur leur lieu de vie, s’intéressent à ce qu’elles font, instaurent un climat de confiance. Que la personne se sente appuyée, pas seulement contrôlée. » bien, au revoir et à la prochaine fois… Il faut plus de conseillers d’insertion et de probation, je suis attaché à ce système : mais il faut des SPIP « de terrain », pas des SPIP « de bureau ». Qui vont voir les personnes sur leur lieu de vie, s’intéressent à ce qu’elles font, instaurent un climat de confiance. Que la personne se sente appuyée, pas seulement contrôlée. Votre groupe recommandait d’« organiser des travaux d’intérêt général (TIG) plus stricts, dans un délai plus court ». Que faudrait-il pour rendre le TIG plus pertinent ? Il faudrait que le SPIP intervienne immédiatement après la condamnation pour expliquer comment se déroule un TIG et mettre en place le suivi. Les TIG se déroulent en majorité dans les collectivités locales, avec un balai pour ramasser les feuilles ou une pelle pour planter des arbres. Il n’y a là aucune dimension de réinsertion. Les jeunes pourraient par exemple être mis au service des pompiers, dans les camions. Il faut une activité structurante, tout de suite à la sortie du tribunal et non des mois après. Le projet de loi fixe pour objectif d’éviter « une remise en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire, qui est facteur de récidive », et crée à cette fin une procédure de « libération sous contrainte ». Cet objectif vous paraît-il répondre aux attentes de votre groupe ? Tant que les JAP continueront, pour ne pas avoir d’emmerdes, à suivre systématiquement les réquisitions du Parquet disant « celui-là, il reste en prison », les changements de texte de ce type n’auront aucune incidence. Il faudrait former les JAP dans l’idée que le gars en prison doit forcément sortir, car le but c’est de le réinsérer, pas de le laisser moisir en prison. Il y a bien trop de sorties sèches aujourd’hui et la majorité de ceuxlà récidivent. Cela dépendra aussi de la nature du suivi. J’ai rencontré de nombreux jeunes à la maison d’arrêt, auxquels il manquait les bases : pas de cocon familial, père alcoolique, etc. Certains sont extrêmement fragiles, l’incarcération les détruit, et quand ils sortent, ils sont livrés à eux-mêmes, sans argent, sans famille, sans amis, sans logement. Vous n’avez même plus de sécurité sociale, de mutuelle, d’assurance voiture. Essayez d’assurer une voiture quand vous avez passé quelques années en prison : c’est impossible ! Essayez d’avoir votre sécurité sociale : il m’a fallu deux ans pour la récupérer ma carte Vitale ! Dans ces conditions, la récidive n’est pas illogique, elle est presque normale. Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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L’entrée de la maison d’arrêt d’Angers, où François Delezenne a été détenu huit mois.

Comme il existe des « quartiers arrivants » pour atténuer le choc carcéral, on devrait créer des « quartiers sortants » pour déconnecter d’avec la prison, un mois avant la fin de peine. Avec de meilleures conditions matérielles et une visite hebdomadaire du SPIP pour mettre en place le RSA, la carte Vitale, aider à trouver un logement. Du concret. Puis avoir un suivi pendant un an ou deux par un SPIP « de terrain », pour aider la personne à se reconstruire. C’est ce qui manque dans le projet de loi : quand va-t-on arrêter de croire que les délinquants ne sont que des délinquants, et ne penser qu’en termes de contrôle ? Il faut écouter ceux qui connaissent la prison : à la conférence de consensus, nous avons été autorisés à parler dix minutes chacun, de façon hyper briefée, il ne fallait pas déborder du sujet de la récidive. Alors que certains étaient en prison depuis dix ans et avaient beaucoup de choses à dire. Certains ont exprimé le sentiment « d’être suivis, traqués » après la sortie. Qu’est-ce qui crée ce sentiment et en quoi entrave-t-il la réinsertion ? La police surveille de près certains sortants de prison, elle attend le faux-pas. Le gars est suivi, son téléphone est mis sur écoute, les flics stationnent devant chez lui, regardent s’il est là le matin. Ça crée un climat de suspicion dans l’entourage, le voisinage. Beaucoup sont devenus de véritables chiens enragés en prison. Ils sortent et la société continue à les montrer du doigt. Ils se disent « puisque je suis considéré comme ça, Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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je vais continuer à voler le portefeuille de la grand-mère d’à côté, ou à faire mes petits trafics ». « La récidive peut être un acte involontaire » liton dans votre contribution à la conférence de consensus. Que vouliez-vous dire, et quelles mesures d’accompagnement peuvent éviter un tel processus ? La récidive est involontaire quand la personne se trouve dans le besoin, n’est plus consciente de ce qu’elle fait. Ce n’est pas comme un banquier qui a détourné deux millions d’euros. On n’est plus conscient quand on a faim ou quand on est un toxicomane en état de manque. Il y a une grande incohérence à l’égard de la drogue : un jeune peut être condamné à deux ans d’emprisonnement pour un petit trafic, et une fois incarcéré, on le laisse se droguer. A sa sortie, il va continuer, la récidive est inévitable. Les personnes violentes, qui boivent, qui se droguent, ont besoin de soins. Au lieu de quoi on les met en prison : on aggrave leur maladie, et ils recommencent. Donnons-nous les moyens de protéger la société plus intelligemment. Surtout que la prison coûte cher : pour surveiller un détenu jour et nuit, il faut trois gardiens. Pour suivre une vingtaine de détenus avec un bracelet électronique, il faut un seul CPIP. Quand j’ai participé à une émission de télévision avec Mme Taubira, nous avons parlé après l’émission. J’ai pensé que c’était gagné, car elle avait compris tout ça. Les détenus, ils y ont tous cru. Recueilli par Barbara Liaras


PROJET DE RÉFORME PÉNALE : AUSSI INDISPENSABLE QU’INABOUTI

Du côté des SPIP : un projet de loi qui fait flop Après l’espoir suscité par la conférence de consensus et la sortie de dix ans de lois pénales coercitives, les deux syndicats représentatifs dans les SPIP partagent une certaine déception. Entre une contrainte pénale « coquille vide » et un renoncement à la libération conditionnelle d’office, la probation ne semble toujours pas comprise par le législateur.

Delphine Colin est référente nationale des travailleurs sociaux de la CGTpénitentiaire, qui a obtenu 53 % des voix des CPIP aux dernières élections professionnelles de 2011.

Nicolas Finielz est secrétaire national du SNEPAP-FSU, qui a obtenu 28 % des voix des CPIP en 2011.

Comment les travaux de la conférence de consensus ontils été perçus par les professionnels des SPIP ? Regrettezvous que le projet de loi s’en inspire peu ? CGT : Dans un premier temps, il y a eu le sentiment d’être insuffisamment associés à cette démarche. Nous pensions que ce devait être l’occasion de donner enfin la parole à ceux que l’on appelle les « travailleurs de l’ombre ». Nous avons eu ensuite de bonnes surprises, notamment sur les auditions, avec l’impression que le point de départ assez réducteur de la prévention de la récidive avait glissé vers les dimensions plus essentielles de réinsertion et d’accompagnement socio-éducatif. Finalement, nous regrettons que le projet de loi n’intègre pas suffisamment les recommandations du jury, de nombreux aspects ayant été mis de côté : suppression de la rétention de sûreté ou des restrictions sur les aménagements de peine pour les personnes en état de récidive, propositions de dépénalisation et de libération conditionnelle d’office… Snepap : De notre côté, la conférence de consensus a été très bien perçue, car elle marquait une rupture avec dix ans de lois pénales coercitives. Nous avions subi les effets de l’affaire de Pornic, ayant mis les SPIP sur le devant de la

scène à travers une grave récidive. La conférence est arrivée pour dépassionner le débat. Les SPIP restant au centre de la réflexion, mais cette fois en dehors d’un contexte de fait divers et d’accroissement de la pression pénale. Nous aurions souhaité participer davantage à la réflexion, mais il y a eu un manque de la part de la DAP, qui n’a pas cherché à relayer la réflexion de certains services. Finalement, la traduction du travail de la conférence dans le projet de loi nous paraît très pauvre. Il y a des éléments positifs tels que la suppression des peines plancher et des révocations automatiques de sursis. Mais la contrainte pénale n’a plus qu’une filiation contestable avec la peine de probation initialement proposée. Et il manque des aspects essentiels comme la libération conditionnelle automatique. Il reste donc quelque chose de l’ordre du « flop » dans les SPIP. Vous avez affirmé que l’objectif du projet de loi aurait dû être de « rendre la probation plus lisible et plus crédible, afin de sortir le système pénal de l’emprise carcérale ». En quoi cet objectif n’est pas rempli ? Snepap : Il faut rappeler la situation : 10 000 personnes de plus sous écrou en quatre ans, doublement de la durée d’écrou depuis 25 ans… On peut dire que le carcéral cannibalise la peine. Alors que les dispositifs de prévention de la récidive sont plus efficaces dès lors qu’ils interviennent en milieu ouvert. Les mesures de probation existent, elles sont nombreuses, depuis le sursis avec mise à l’épreuve (SME) jusqu’aux aménagements de peine. L’empilement de ces mesures a rendu le système illisible. Et le projet de loi fait le choix d’en ajouter encore une, la contrainte pénale (CP), tout en maintenant le SME, le placement sous surveillance électronique (PSE) et les autres mesures, toutes déconnectées entre elles. Il ne règle pas le problème de la lisibilité de la probation. Ni celui de l’emprise carcérale, car l’échelle des peines ne sera que très marginalement modifiée. Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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dossier « La contrainte pénale n’a plus qu’une filiation contestable avec la peine de probation initialement proposée » (Snepap)

les condamnés, dans le cadre de l’obligation d’indemniser les parties civiles. Cela devient absurde : nous ne sommes reconnus comme faisant bien notre métier que sous ce prisme-là.

Et pour la CGT, quelles devaient être les finalités de cette réforme pénale ?

Snepap : A partir du moment où l’on définit une peine à travers des interdictions et des obligations, on place la coercition au centre de la réponse pénale. On reste dans cette idée que l’on peut contraindre aux soins, à l’insertion, à la réparation… Il faudrait que le législateur intègre que la probation n’est pas un empilement de contraintes, mais une modalité d’accompagnement et de prise en charge, élaborée à partir des besoins de la personne pour ne pas récidiver. Il s’agit d’un processus qui démarre par une évaluation, à partir de laquelle est proposé un suivi, qui peut comporter de l’entretien individuel et du travail en groupe – il faudrait ajouter la notion de « programmes ».

CGT : Nous souhaitions avant tout qu’elle permette de sortir de l’escalade sécuritaire, pour revenir à un système cohérent, juste et proportionné. Le principe de précaution qui a contaminé nos services, mêlé à des charges de travail très lourdes, aboutit à se concentrer sur le contrôle des obligations et le rendu compte [rapports, écrits]. Or, tout devrait être fait pour que nous puissions consacrer l’essentiel de notre temps à l’accompagnement des personnes, aux entretiens, aux relations avec les partenaires de droit commun. Nous avons aussi une vigilance particulière pour que l’extension du milieu ouvert n’aboutisse pas à un contrôle social de plus en plus large, et morde réellement sur la prison. Le fort développement du bracelet électronique n’a pas vidé les prisons, loin s’en faut. Si la création d’une nouvelle mesure aboutit à remplacer d’autres mesures de milieu ouvert, voire concerne des personnes qui auparavant n’auraient pas été suivies par le SPIP, on peut en arriver à des contraintes démesurées.

La CGT, vous avez déploré que les dispositions sur la contrainte pénale aboutissent à « faire un lien entre nature de l’infraction et utilité de l’accompagnement ». Pouvez-vous expliquer ?

Et sur l’objectif de rendre la probation plus lisible et plus crédible ?

CGT : Réduire le champ des délits concernés par la CP et prévoir un suivi renforcé pour ces infractions revient à estimer le besoin d’accompagnement en fonction des faits commis. Alors que l’esprit de la probation, c’est bien de ne pas réduire la personne à son acte, de l’appréhender dans sa globalité pour voir quel est son besoin d’accompagnement.

CGT : Il n’est pas évident de rendre lisible de l’accompagnement humain. Il faut dire aussi que nous sommes sous statut spécial et que de ce fait nous parlons peu de notre travail. Pendant des années, notre administration n’a pas non plus assuré son travail d’information et de pédagogie sur la probation : les autorisations données aux journalistes pour venir dans nos services, c’est tout récent. Sur la crédibilité, un ratio de 40 à 50 personnes suivies par travailleur social permettrait un service public de qualité.

Snepap : Nous partageons cet avis. Le projet de loi ajoute que la CP peut être prononcée si la « personnalité de l’auteur et les circonstances de la commission des faits justifient un accompagnement socio-éducatif individualisé et renforcé ». D’autres éléments que le délit interviennent, mais ils reflètent une autre confusion, cette fois entre personnalité et individualisation. Si l’on veut psychiatriser les prises en charge, évaluons des types de personnalité. Mais pour un suivi socio-éducatif, on n’évalue pas une « personnalité ».

Est-ce que vos deux organisations étaient favorables à la création d’une peine de probation ?

CGT : Oui, le terme de « personnalité » pose problème. Il est stigmatisant et nous ne voyons pas ce qu’il recouvre en termes d’application pratique. L’évaluation concerne la situation globale de la personne : son contexte de vie sous toutes ses dimensions, ses ressources propres, son entourage, ses difficultés, ses possibilités d’évolution…

Snepap : Oui, à condition qu’elle vienne se substituer à la prison pour un certain nombre de délits. La contrainte pénale telle qu’elle est pensée n’est pas un substitut à l’emprisonnement. CGT : Nous sommes très favorables au développement du milieu ouvert par rapport à la prison. L’intérêt d’une peine de probation, ce serait de sortir de la logique du SME centrée sur le contrôle. Or, ne serait-ce qu’au plan sémantique, le terme de contrainte pénale nous éloigne de la notion de probation. Derrière les mots, il y a des symboles forts. A notre sens, les obligations ne devraient être que des leviers et pas des fins en soi. Depuis quelques années, on évalue la « performance » d’un SPIP en fonction des paiements de dommages et intérêts par Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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Le contenu de la contrainte pénale se résume justement dans le projet de loi aux obligations et interdictions qui pourront s’appliquer au condamné. Une peine de probation aurait-elle dû être définie autrement ?

Vous contestez aussi le fait que le prononcé d’une contrainte pénale implique un suivi renforcé. Pouvezvous expliquer ? CGT : Il n’a jamais été défini ce qu’était un suivi renforcé. Est-ce seulement la fréquence des entretiens ? Le suivi renforcé peut se jouer à d’autres niveaux, en fonction des prises en charge assurées par des partenaires, de ce qui est globalement proposé à la personne. Et puis le rythme des entretiens peut évoluer à


PROJET DE RÉFORME PÉNALE : AUSSI INDISPENSABLE QU’INABOUTI plusieurs reprises en cours de mesure, en fonction de la situation de la personne : il ne doit pas être statique et défini a priori. Snepap : La personne condamnée à une contrainte pénale sera adressée au SPIP pour une évaluation. Evaluation tronquée par le fait qu’il est déjà considéré qu’il faudra un suivi renforcé. Voyez-vous une plus-value de la contrainte pénale par rapport au SME ? Snepap : L’évaluation préalable réalisée avant le prononcé des obligations représente un progrès. Tout comme la limite des deux révocations prévue pour le SME qui ne s’impose pas dans le cadre de la CP. Quand vous avez 12 mois d’emprisonnement avec SME, le juge peut révoquer 1 mois la première fois, mais la deuxième fois ce sera nécessairement les 11 mois restants. Ces différences restent mineures… La CGT, vous avez estimé « illusoire » le délai de trois ans annoncé pour évaluer la CP et envisager le remplacement du SME, pourquoi ? CGT : Parce que ce délai nous mène en 2017, ce sera la campagne présidentielle. On voit mal le gouvernement se lancer dans un nouveau projet en matière pénale dans ce contexte. Et puis, il s’agira d’évaluer quoi ? Si les magistrats ont été conquis par cette coquille vide qu’est la contrainte pénale ? Le législateur ne va pas loin sur le contenu de cette mesure, au point que c’est l’administration pénitentiaire qui réfléchit à présent sur les moyens de rendre le dispositif vendeur auprès des magistrats. Et s’il est prévu que la CP remplace le SME, pourquoi le champ d’application des deux mesures n’est pas le même ? Quelles sont les demandes de vos organisations dans le cadre des groupes de travail mis en place par la DAP sur la probation, en préparation de la réforme pénale ? CGT : Nous allons défendre la nécessité de poser un cadre déontologique commun aux pratiques : quelle est notre éthique de l’intervention, qui en est garant… ? Il y a un manque important sur ce plan. Il y a aussi des conditions à poser pour une prise en charge de qualité : ratio de personnes suivies par travailleur social, ancrage sur le territoire, relations partenariales, visites à domicile, espaces de supervision pour les professionnels, abandon de la pré-affectation des stagiaires, amélioration de la formation notamment en techniques d’entretien… Sur l’évaluation, nous sommes opposés à des outils de type actuariel qui viseraient à mesurer les risques de récidive. Nous pensons qu’il ne faut pas réduire les personnes à leur acte et faire des probabilités d’avenir. Nous ne voulons pas d’un outil informatique avec des cases à cocher et des contraintes de mots à respecter, qui appauvrit la réflexion et l’argumentation. Nous préférerions que la réflexion s’axe sur la méthodologie. Snepap : De notre côté, la légitimité d’un outil d’évaluation ne se discute pas. Dans tous les secteurs où vous avez une intervention sur l’humain, l’accompagnement commence par une

« Le législateur ne va pas loin sur le contenu de la contrainte pénale, au point que c’est l’administration pénitentiaire qui réfléchit sur les moyens de rendre le dispositif vendeur auprès des magistrats » (CGT) évaluation. Il ne s’agit pas d’évaluer la « dangerosité », ni de neutraliser les personnes condamnées dès lors que l’évaluation serait négative, mais de mesurer les risques pour adapter la nature et l’intensité du suivi, définir les actes professionnels à poser et les acteurs à mobiliser. L’évaluation doit permettre d’identifier les facteurs de risque et de protection de la personne, ses besoins en termes d’accompagnement, sa réceptivité aux différentes prises en charge qui peuvent être proposées. Jusqu’à présent, nous n’avons connu que des outils de recueil d’informations. Le diagnostic à visée criminologique (DAVC) lui-même n’était pas un outil d’évaluation, mais un guide d’entretien pour ne pas oublier de poser certaines questions. Nous avons besoin de véritables outils d’évaluation, qui ne nous arrivent pas d’en haut, sans qu’on sache à quelles fins et sur quelle base ils ont été élaborés. Il faudrait que la DAP apprenne à travailler avec les terrains, fasse intervenir des chercheurs qui travaillent directement avec les professionnels à l’expérimentation d’outils et méthodes. L’évaluation doit être pour nous criminologique, et ne pas se résumer à une enquête sociale, car les problématiques des personnes ne sont pas toujours et exclusivement sociales. Il y a des personnes socialement intégrées, qui ont commis, par exemple, des violences conjugales ou des infractions à caractère sexuel. Cela ne veut pas dire qu’elles n’ont pas besoin de prise en charge. L’intervention pourra même être assez lourde quant au travail de compréhension du passage à l’acte. Cette question de l’évaluation constitue un point de désaccord avec la CGT… CGT : Oui, mais il peut y avoir une certaine confusion autour des mots et de ce que nous mettons chacun derrière. Nous tenons au rattachement au travail social pour rester au service de la personne, assurer un accompagnement lui permettant d’être acteur, créer une relation bienveillante. C’est de l’éducatif pour majeurs ! Ce n’est pas pour autant que nous occultons le délit, le passage à l’acte. Dans un processus judiciaire qui est une véritable machine à broyer, nous abordons le délit dans la globalité d’un parcours de vie. Snepap : Effectivement, il y a de la confusion, car nous faisons la distinction entre travail éducatif, dans lequel nous pouvons aussi nous reconnaître, et travail social. Un CPIP utilise nécessairement des outils de travail social, mais pas seulement, il emprunte tout autant à d’autres disciplines. Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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Vos deux organisations ont regretté qu’une libération conditionnelle (LC) d’office ait été écartée, pourquoi ?

L’empilement de lois a rendu le système pénal illisible. Pour les justiciables comme pour les professionnels.

Sur le projet de loi, vos deux organisations ont aussi protesté contre l’abaissement des seuils d’aménagement des courtes peines. Pourquoi ? CGT : L’abaissement aux peines de six mois pour les récidivistes est inadmissible, il aboutira à les exclure de l’aménagement avant incarcération, alors qu’ils ont souvent encore plus besoin d’un accompagnement. Sans compter que très souvent ce sont des cumuls de petites peines. Snepap : Que se passe-t-il dans nombre de prisons pour les courtes peines ? Rien de positif. C’est en tout cas mon expérience. Or, cet abaissement des seuils va empêcher d’aménager des courtes peines et entraîner un afflux de condamnés dans les maisons d’arrêt. Certains ont pu changer de situation au moment où leur peine est mise à exécution, parfois longtemps après son prononcé. Ils ont engagé un processus de réinsertion et l’incarcération, au contraire de l’aménagement de peine, crée des situations de rupture familiale, professionnelle, etc. qui favorisent leur retour à la délinquance. Pensez-vous que les aménagements de peine avant incarcération posent néanmoins des problèmes de lisibilité ?

CGT : Oui, on se demande comment l’examen aux deux tiers de la peine pourrait ne pas être de pure forme. Le changement de paradigme, ce serait d’appréhender le temps de prison comme un parcours préparant une libération conditionnelle. Vous regrettez aussi que le projet de loi ne revienne pas sur les obstacles à la LC pour les longues peines. Quels changements faudrait-il apporter ? CGT : Il est toujours étrange de voir que la gauche n’abroge pas des dispositions qu’elle a fortement dénoncées lors de leur adoption : évaluation de la dangerosité, commissions pluridisciplinaires des mesures de sûreté, rétention de sûreté… Ils disent que ce sera l’objet d’un autre texte. Quand on renvoie à plus tard sur ces questions, on renvoie à jamais. Snepap : Oui, ces dispositions ont rendu quasi impossible l’aménagement d’une longue peine. Avec un résultat terrible qui ne dit pas son nom. En multipliant les évaluations, on augmente les chances d’en avoir une qui affirme que la personne est dangereuse. En alourdissant les procédures, on empêche l’aboutissement de la demande, on dissuade les partenaires de maintenir leur offre d’hébergement ou d’activité…

CGT : Il y a effectivement une certaine hypocrisie à prononcer de l’emprisonnement ferme sans mandat de dépôt, donc en estimant qu’il n’est pas indispensable d’incarcérer la personne. Si le projet de loi allait au bout de sa logique, il devrait aboutir à ce qu’une peine alternative soit prononcée dès le départ.

La CGT, vous avez ironisé sur l’article 12 du projet de loi, qui rappelle que les personnes condamnées doivent pouvoir accéder aux services d’insertion de droit commun…

Snepap : Le message est brouillé, tant pour la personne condamnée que pour nos concitoyens. Cela décrédibilise la peine d’emprisonnement, dont on sait qu’elle ne sera probablement pas exécutée en tant que telle, comme la mesure d’aménagement, alors considérée comme une sous-peine, sans oublier le temps pris pour ramener la peine à exécution… Nous défendons un système avec trois grandes catégories de peines : les peines patrimoniales (amendes, etc.), la peine de probation (qui peut potentiellement intégrer ou prendre la forme d’un TIG, d’un PSE etc.), et la peine d’emprisonnement, dernier recours, mais exécutée en tant que telle, avec une phase finale en liberté probatoire.

Snepap : Le problème est simple : il n’y a toujours pas de services sociaux qui rentrent en prison (service social de secteur, CCAS, CPAM, CAF…). Alors que tout établissement pénitentiaire fait partie d’un secteur géographique qui dépend de leur compétence. Les publics détenus sont donc privés de leur liberté, mais aussi des partenariats ou structures de soutien dont ils ont le droit de bénéficier.

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Snepap : Ce système permettrait d’avoir une date de LC connue dès l’écrou et de travailler en amont avec la personne sur un projet qui sera forcément à mettre en œuvre. Il s’agit d’évaluer et de préparer les conditions les plus favorables pour la sortie de chaque personne, les modalités de la mesure à prévoir. Dans la procédure de « libération sous contrainte » du projet de loi, on se contente d’examiner si la personne présente les conditions, et l’aménagement peut être refusé sans aucune limite. On ne voit dès lors pas pourquoi les pratiques changeraient. Or, le taux de sortie en aménagement de peine reste très faible, de l’ordre de 20 %, alors que ces sorties accompagnées permettent de réduire la récidive.

CGT : Cela fait tellement « déclaration d’intention ». Il faudrait surtout prévoir des budgets et des politiques publiques réellement volontaristes sur ce sujet.

Recueilli par Sarah Dindo


PROJET DE RÉFORME PÉNALE : AUSSI INDISPENSABLE QU’INABOUTI

« Le gouvernement n’a pas osé rompre avec la logique de l’enfermement »

Xavier Pin, professeur de droit à l’Université Jean Moulin de Lyon.

Pour Xavier Pin, le projet de loi portait un principe audacieux : remplacer l’enfermement par l’accompagnement. Mais il manque d’ambition et de cohérence dans sa concrétisation, animée par les effets d’annonce. En refusant de faire de la contrainte pénale une peine de référence pour certaines infractions, en éludant le débat sur les mesures de sûreté et sur la comparution immédiate, en ajoutant de nouveaux dispositifs sans supprimer les anciens, le Gouvernement rend sa ligne de conduite peu lisible.

Le projet de réforme pénale réaffirme le principe selon lequel l’emprisonnement doit être un dernier recours en matière correctionnelle. En quoi est-il ambitieux ou pas dans la mise en œuvre de ce principe ? Le texte est audacieux parce qu’il veut sortir de la logique de l’enfermement pour entrer dans une logique d’accompagnement. Cette ambition se traduit aussi bien par la suppression des peines plancher que par la création de la « contrainte pénale », qui vise à remplacer l’incarcération par cet accompagnement socio-éducatif. L’inscription dans le code pénal, pour la première fois, du principe d’individualisation des peines est également à souligner. Mais l’ambition s’arrête là. Si le Gouvernement avait vraiment voulu rompre avec la logique de l’enfermement, il aurait dû proposer la contrainte pénale comme une peine principale de référence pour certaines incriminations. De plus, la contrainte pénale s’ajoute à d’autres peines alternatives très similaires, sans les supprimer. Le législateur donne ainsi au juge moins le choix que l’embarras du choix. Le vrai courage politique aurait consisté à élaguer. Par ailleurs, la restriction des possibilités d’aménager les courtes peines de prison avant exécution traduit un grand manque de cohérence. Le texte propose la suppression des peines plancher. Est-il démontré que les peines minimales, ou plus largement la fixité des peines, n’ont jamais été une réponse efficace ? L’histoire montre que les peines fixes n’ont jamais été une solution durable : introduites dans le code pénal français en

1810, elles ont été supprimées partiellement en 1824, puis complètement en 1832 avec l’introduction puis la généralisation des circonstances atténuantes. Le législateur contemporain a mis un peu moins de temps pour reconnaître l’inutilité, voire l’inanité, de ces peines, introduites en 2007. Elles nuisent à l’individualisation des peines. Les juges ont d’ailleurs largement utilisé les possibilités de descendre en dessous des peines minimales, à condition de motiver leur décision par les circonstances de l’infraction et la personnalité de l’auteur. La jurisprudence a montré que tout en s’efforçant de déroger à la peine plancher, les juges ont souvent du mal à apporter cette motivation spéciale. Leurs décisions s’en trouvent fragilisées, avec un risque de censure plus important. La suppression des peines plancher leur rend le pouvoir de choisir et d’individualiser la peine. Quelles réserves vous inspire la nouvelle peine de contrainte pénale telle que prévue dans le projet de loi ? Je m’étonne d’abord que les mineurs en soient exclus : s’il s’agit réellement d’une nouvelle forme d’accompagnement socioéducatif, pourquoi ne pas l’appliquer en priorité à ceux qui en ont le plus besoin ? Par ailleurs, la contrainte pénale vient s’ajouter à d’autres peines ou mesures qui peuvent déjà être prononcées dans les mêmes cas : sursis avec mise à l’épreuve (SME), travail d’intérêt général (TIG), injonction de soins… Sans valeur ajoutée, car les contenus sont très proches. Prenez deux condamnés, l’un sous SME, l’autre en contrainte pénale : concrètement, leurs obligations seront les mêmes, ils ne verront pas la différence – je ne suis même pas sûr que Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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Tribunal de Grande Instance de Nanterre, 2007.

les juges la voient. Mais la non-exécution des obligations ne sera pas sanctionnée de la même façon : convocation au tribunal correctionnel pour voir si on prononce une nouvelle peine d’emprisonnement dans le cas de la contrainte pénale ; révocation totale ou partielle par le juge de l’application des peines dans le cas du SME. En termes d’égalité et de simplification du droit, on peut faire mieux. De plus, l’emprisonnement venant sanctionner la non-exécution d’une contrainte pénale n’est pas prévu par le code pénal. Le condamné ne sait donc pas ce qu’il risque en ne respectant pas la mesure, la sanction manque de prévisibilité. Pouvez-vous expliquer ce que le texte aurait dû prévoir pour que la peine de probation devienne une « peine principale de référence » ? Il aurait fallu décider que pour un certain nombre d’infractions, la peine maximale ne soit plus l’emprisonnement, mais une contrainte pénale. Par exemple, le vol simple aurait pu ne plus être puni de 3 ans d’emprisonnement et 15 000,00 € d’amende, mais de tant d’années de contrainte pénale. Une telle réforme aurait été d’une bien plus grande ampleur. Au lieu de cela, l’option retenue est celle d’une nouvelle peine alternative : la référence reste l’emprisonnement encouru, que les juges décideront de remplacer ou non par une contrainte pénale. Le recours à l’emprisonnement n’est supprimé ni dans la conscience collective, ni dans celle des juges. Le changement de référentiel est pourtant possible. Il a été opéré, par Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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« Faute de ligne de conduite, la politique sécuritaire de la précédente législation reste dans le Code pénal » exemple, pour les graffitis légers, sanctionnés par une amende et un travail d’intérêt général. Cet exercice demande plus de temps et de volonté politique, parce qu’il faut repenser au cas par cas chacune des infractions que l’on veut faire échapper à l’emprisonnement : par exemple, la consommation de stupéfiants, le vol dans certains cas, les délits routiers, etc. Il s’agit d’une réforme qui se pense sur un quinquennat et non sur la base d’effets d’annonce. En quoi la création d’un « ajournement de peine pour investigations » représente une « innovation » ? L’ajournement consiste à laisser un laps de temps – quelques mois – entre la déclaration de culpabilité et le prononcé de la peine. L’actuel ajournement simple ou « avec mise à l’épreuve » ne peut être utilisé qu’à des conditions restrictives : il faut que le reclassement du condamné soit en voie d’être acquis, que le dommage soit en voie d’être réparé et que le trouble résultant de l’infraction soit en voie de cesser. De sorte que dans les rares cas où il est utilisé, l’ajournement débouche sur une dispense de peine. L’ajournement pour investigations proposé par le


PROJET DE RÉFORME PÉNALE : AUSSI INDISPENSABLE QU’INABOUTI gouvernement peut, quant à lui, être utilisé dans tous les cas, il s’inscrit dans une autre logique : laisser quatre mois au juge pour rassembler les éléments sur la personne et sa situation, qui lui permettront de choisir la peine la plus appropriée. Cette procédure répond à un besoin crucial des juges qui doivent individualiser la peine sans disposer des informations nécessaires, notamment en comparution immédiate. Elle a l’intérêt de sortir l’ajournement de la logique de « pré-dispense » de peine, pour en faire une véritable « césure » du procès pénal, au sens où l’entendait Marc Ancel : séparer le moment de la reconnaissance par la société de la culpabilité, de la réprobation exprimée, de celui de la sentence, où l’on prononce la peine la mieux adaptée à la situation. Pensez-vous que les juridictions utiliseront davantage cette nouvelle procédure que l’ajournement avec mise à l’épreuve aujourd’hui ? Oui, car la logique est différente. Les juridictions de jugement sont conscientes de l’obligation d’individualiser la peine et déplorent de ne pas disposer des éléments leur permettant de le faire. Pour contourner cette difficulté, elles prononcent des peines inférieures à deux ans, sans mandat de dépôt, et renvoient ainsi le prononcé de la peine vers le JAP : celui-ci décidera d’aménager ou de mettre l’emprisonnement à exécution. La nouvelle forme d’ajournement permettra à la juridiction de jugement de se réapproprier le prononcé de la peine. Certes, cela impose au tribunal de se réunir à nouveau, mais c’est le cas dans bien d’autres procédures. Vous regrettez que le texte ne comporte aucun volet procédural. Pouvez-vous en expliquer les enjeux ? Les cheminements procéduraux jouent un rôle très important dans le processus éventuel de rechute ou de récidive. Selon que le chemin pour arriver au prononcé de la sanction aura été court ou long, le ressenti et la compréhension de la décision ne seront pas les mêmes. Selon que l’on est passé par la « machine à laver » de la présentation au parquet puis de la convocation devant le tribunal correctionnel selon la procédure ordinaire, ou par la comparution immédiate ou par la reconnaissance préalable de culpabilité, l’intervention judiciaire n’est pas vécue de la même manière. C’est pourquoi on ne peut pas faire l’économie de penser la procédure pénale quand on veut faire une véritable réforme pénale.

« Prenez deux condamnés, l’un en sursis avec mise à l’épreuve, l’autre en contrainte pénale : leurs obligations seront les mêmes, ils ne verront pas la différence »

relevant de chaque procédure, afin qu’une même infraction ne puisse pas relever de quatre procédures différentes. A quels autres manques du texte faudrait-il remédier pour qu’il ne soit pas « une énième loi de tergiversation » en matière de lutte contre la récidive ? Une loi courageuse devrait élaguer, alors que ce projet complexifie. Il ne donne pas une ligne claire affirmant qu’on lutte contre la récidive en réduisant l’enfermement : ne faisant pas le pari que l’absence d’enfermement peut fonctionner, le gouvernement ne prévoit la contrainte pénale que comme alternative à la prison, qui plus est en l’assortissant d’une menace d’emprisonnement. Il évite le débat sur la rétention et la surveillance de sûreté. Les membres du Gouvernement, lorsqu’ils étaient dans l’opposition, s’étaient opposés à ces mesures fondées sur la dangerosité, attentatoires aux libertés individuelles et aux droits fondamentaux. Aujourd’hui au pouvoir, ils les maintiennent. Une réforme pénale sur la récidive aurait dû prendre parti, supprimer des mesures qui étaient le fruit d’une politique radicalement différente. Ce choix n’est pas fait : on ne réforme pas, on ajoute, donnant à tout le monde de quoi se servir. Faute de ligne de conduite, la politique sécuritaire de la précédente législation reste dans le code pénal. Recueilli par Barbara Liaras

Il existe aujourd’hui un éventail de procédures dites « rapides », parmi lesquelles les parquets choisissent, pas tant sur la base de la gravité de l’infraction ou dans un processus de responsabilisation, mais en fonction des politiques pénales locales. Certains privilégient l’ordonnance pénale, d’autres la comparution immédiate, etc. Il n’y a pas de lisibilité, et on crée encore de l’inégalité. Il aurait fallu préciser les domaines d’infractions

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Quels aspects de procédure vous auraient-ils paru urgents à traiter ?

Tribunal de Grande Instance de Nanterre, 2007. Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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dossier « Si on ne veut rien faire pour les longues peines, il faut le dire clairement » Durant sa détention à la centrale d’Arles, Sylvain Chatelet a pu observer les effets positifs d’une gestion particulière dans cet établissement, favorisant la consultation des détenus et leur participation à la vie collective. Il demande la généralisation de ce modèle, plaide aussi pour la réduction de l’échelle des peines et la suppression des périodes de sûreté, qui rendent vains les efforts de réinsertion des condamnés à de longues peines. Des sujets soulevés lors de la conférence de consensus et ignorés par le projet de réforme pénale. Suscitant chez les détenus « frustration et incompréhension ».

Sylvain Chatelet est en aménagement de peine depuis décembre 2013, après une dernière incarcération de douze ans. Il a présenté à la Conférence de consensus la contribution d’un groupe de personnes détenues à la maison centrale d’Arles.

Dans votre intervention devant la conférence de consensus, vous déploriez que l’on ne parle jamais des longues peines. Cette question est effectivement omise dans le projet de loi, qu’est-ce que cela vous inspire ? La conférence de consensus a généré énormément d’espoir, après des années à subir des avalanches de lois pour matraquer les longues peines. Nous avions beaucoup d’attentes dans les centrales, notamment sur les périodes de sûreté. Et finalement, il n’y a rien. Cela génère beaucoup de frustration et d’incompréhension. On a le sentiment que les longues peines, c’est le sujet tabou, comme si elles n’existaient pas. Si on ne veut rien faire pour les longues peines, si la réinsertion n’est envisagée que pour les courtes peines, il faut le dire clairement : on a abandonné la peine de mort, on l’a remplacée par de très longues peines, voire la prison à vie, la mort à petit feu. Seules 2 500, 3 000 personnes sont concernées, mais elles ont besoin de savoir où elles vont. Beaucoup d’entre elles font des efforts. D’autres considèrent que ça ne sert à rien, car les échéances sont trop lointaines, ne permettent pas de se fixer d’objectifs accessibles. Je pense que c’est d’abord à nous de faire des efforts, mais il faut quelque chose en contrepartie, ne pas donner de l’espoir en vain. Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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Votre groupe pour la conférence de consensus demandait la suppression des très longues peines et une baisse du quantum des peines. En quoi est-ce important pour la prévention de la récidive ? On a considéré un jour que la peine de mort était une sanction humainement inacceptable. On devrait considérer aujourd’hui que des peines de trente ans sont aussi inacceptables. Après autant de temps passé en prison, il est pratiquement impossible de retrouver une vie normale. Même pour des gens entourés comme moi, avec une famille en soutien et un logement, c’est très difficile. Or, la plupart n’ont plus rien. Ils ont perdu leur femme, leurs enfants leur en veulent, les parents sont décédés, ils n’ont pas de ressources financières ni de qualifications professionnelles. Les boulots qu’on leur a donnés en prison ne leur servent à rien, ils n’ont rien appris. Ce qui est important à travers le quantum de la peine, c’est de ne pas tuer tout espoir. Si la peine est très longue, les condamnés pensent qu’ils sont foutus, que cela ne vaut pas le coup de travailler sur soi, de se mettre dans une dynamique de changement. Certains disent : « Moi j’ai pris trente ans, qu’on me foute la paix. J’ai cinquante ans, j’en aurai 70 en sortant, de toute façon ce sera les quatre planches de sapin ». Qu’est-ce que vous voulez leur répondre ? Je rappelle aussi que la récidive des longues peines est proportionnellement faible, notamment pour une question d’âge. Ce n’est pas pareil de sortir à vingt ans ou à cinquante. On se dit : « bon, je me range ». Il n’empêche, les problèmes sont là, on est brisé. Je suis sorti il y a trois mois, en placement extérieur, après une dernière incarcération qui a duré douze ans. Je suis entré en prison la première fois à 22 ans, j’en ai 48. Je suis déconnecté, j’appartiens à un autre siècle. Je n’ai pas


PROJET DE RÉFORME PÉNALE : AUSSI INDISPENSABLE QU’INABOUTI de passé, ou alors un passé pas glorieux qu’on n’a pas envie de raconter. Quand je rencontre des gens, ils ont un vécu. Le mien, ce sont les transferts, les différentes maisons d’arrêt et la centrale. Je ne vais pas leur raconter des histoires de cour de promenade. C’est un frein pour aller vers autrui et pour retrouver sa place dans la société. Dans la contribution de votre groupe à la conférence de consensus, vous invitiez aussi à « revoir le fonctionnement d’une maison centrale », en questionnant l’objectif de tels établissements : « réinsérer ou non ? ». Pouvez-vous préciser ? La loi devrait affirmer un droit à la réinsertion, dans tous les types d’établissements pénitentiaires. Qu’il soit clair que la fonction de la prison est de réinsérer les gens, pas de fermer la porte, prendre la clé et la jeter ! Dans la plupart des centrales, on vous donne une cellule et on vous dit de vous démerder, de ne pas ennuyer l’administration, de faire votre vie tranquille et ça ira très bien. Ce n’est pas un hasard si ce sont des détenus d’Arles qui ont été choisis pour participer à la conférence de consensus. Depuis la réouverture de la centrale en 2009, la direction a essayé de mettre en place un autre type de gestion. Par exemple, j’ai été à l’initiative, avec l’ancien directeur, de la mise en place des « détenus facilitateurs ». Leur rôle est d’être attentifs aux autres, d’intervenir en cas de difficulté pour atténuer les conflits entre détenus ou avec des surveillants. Souvent les détenus ont une attitude de rejet vis-àvis de l’administration. Mais avec un autre détenu, ils parlent toujours. Je leur expliquais : « si tu as un problème, tu viens me voir, on boit un café, tu m’exposes ton problème et je verrai de quelle manière je peux intervenir pour toi ». Au début, certains ont pensé qu’il s’agissait de « prévôts ». Progressivement, notre rôle a été compris et accepté. Quelles sont les autres spécificités à Arles ? La direction organise des journées de formation animées par des intervenants extérieurs – sur la criminologie, les addictions, la réforme pénale, etc. On se retrouve en comité restreint, dont les facilitateurs, et parfois des personnels pénitentiaires acceptent de participer. Ces rencontres se déroulent dans une pièce à part et le repas est pris en commun. Certains détenus n’ont pas partagé un repas depuis dix ans, ils ont l’habitude de manger en cellule en 5 minutes. Il n’y a pas une seule journée de formation dont je n’ai vu des participants sortir sans être transformés. Je pèse bien le mot : un véritable changement s’effectue en eux, une dynamique se met en place, ils voient les choses autrement et ils se montrent tels qu’ils sont. A Arles, ils font aussi rentrer des chevaux. Le contact avec ces animaux, ça vous renvoie à ce que vous ressentez, votre façon d’être, on ne peut pas tricher. Il y aurait beaucoup à dire encore sur ce qui est fait dans cette centrale. De manière générale, si vous coupez les gens de toute forme de rapports sociaux, vous en faites des animaux. Si vous essayez de garder le contact avec quelque chose qui

« On a considéré un jour que la peine de mort était une sanction humainement inacceptable. On doit considérer aujourd’hui que des peines de trente ans sont aussi inacceptables. »

se rapproche de l’extérieur, c’est plus facile ensuite de les remettre dans le monde réel. J’espère que ces actions importantes vont se répandre dans les autres centrales. Le projet de loi instaure un examen de toutes les situations aux deux tiers de la peine en vue d’un éventuel aménagement de peine. Qu’en pensez-vous ? Cela ne change rien pour les longues peines, tous les dossiers sont examinés. Un « primaire » peut demander une permission au tiers de peine, et sa conditionnelle à mi-peine. Les deux-tiers de la peine, c’est trop tard : pourquoi attendre aussi longtemps pour réinsérer les gens ? Je pense qu’il faudrait passer un contrat, dès l’arrivée en établissement pour peine, entre le condamné, la direction, le juge de l’application des peines (JAP) et le service d’insertion et de probation (SPIP). Tout le monde est réuni, il est demandé au condamné ce qu’il veut faire pour se réinsérer. Celui qui répond qu’il ne veut rien faire, on le laisse retourner en cellule. Celui qui veut reprendre ses études, accéder à telle formation, avoir un suivi psychologique et psychiatrique… des objectifs sont fixés avec lui – en termes de formation, de travail, d’implication dans la vie de l’établissement, de suivi psychologique… Cela nécessite de donner les moyens à la personne d’accéder à ces activités, d’où l’idée de « droit à la réinsertion ». Pour faire le point sur les objectifs, on se rencontre régulièrement, au moins une fois par an. Et quand la personne a rempli ses engagements, la conditionnelle est accordée. Obligatoirement ? Oui, chacun saurait que c’est de cette façon qu’on peut sortir de prison avant la fin de peine, pas autrement. On pourrait ainsi responsabiliser les personnes incarcérées. Et aussi éviter que l’accès à la conditionnelle soit une loterie, car il y a des différences énormes de pratiques d’un juge à l’autre. Certains JAP sont contre les aménagements de peine, et quoique vous fassiez, quels que soient vos efforts, rien n’y changera. Il faut dire aussi que durant les deux précédentes législatures, Sarkozy et Chirac, on n’a pas cessé de taper sur les magistrats. Si à chaque récidive, on leur tombe dessus et qu’ils risquent de finir mutés dans un sous-sol de palais miteux en rase campagne, ils vont faire le maximum pour s’éviter les ennuis. Donc, ne plus prendre de décision d’aménagement de peine : ceux qui sont en prison y resteront. Les propositions du projet de Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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dossier « Même ceux qui font le plus les cadors vous prennent la main si vous la leur tendez. Il n’y en a pas un qui n’ait envie de changer de vie. »

© Jack Guez/AFP

Vous aviez aussi pointé l’aspect contre-productif des périodes de sûreté « qui invalident l’objectif de réinsertion ». Elles ne sont pas non plus modifiées par le projet de loi. Pouvez-vous expliquer leur impact ?

Maison centrale de Clairvaux

loi ne changent rien à ce problème, Aujourd’hui, les condamnés font leurs demandes d’affectation en établissement pour peine en fonction du JAP en poste. L’avis des personnels pénitentiaires est aussi très peu sollicité pour les aménagements, alors que nous restons 24 heures sur 24 avec eux. Ce sont eux qui nous connaissent le mieux : vous pouvez mentir quelques semaines, quelques mois, mais pas sur des années. Il faut revoir également les échéances. Si vous donnez une conditionnelle à quelqu’un au bout de 20 ans, il s’en fout. Il faudrait qu’un condamné à une peine de 20 ans ait la possibilité de sortir beaucoup plus tôt s’il atteint ses objectifs, au bout de 8 ans par exemple. Que pensez-vous de la proposition d’une conditionnelle d’office aux deux tiers de la peine, sauf avis contraire du JAP ou du TAP ? Même si le principe est bon, parce que l’accès à la conditionnelle dépend moins du JAP en place, il me semble qu’il intervient trop tard pour les longues peines, il faudrait que ce soit à mi peine. S’il s’agit d’une peine de cinq ans, la personne n’a pas trop perdu ses repères aux deux tiers. Mais sur une peine de 20 ans, la personne est déjà brisée et la réinsertion va être compliquée. Il faut mesurer l’angoisse du gars qui sort en permission pour la première fois au bout de 10 ou 15 ans de prison. Faire intervenir les aménagements plus tôt redonnerait de l’espoir et encouragerait les efforts. Même ceux qui font le plus les cadors vous prennent la main si vous la leur tendez. Il n’y en a pas un qui n’ait envie de changer de vie. Il reste à faire comprendre à beaucoup de détenus qu’un aménagement de peine, ce n’est pas la liberté. C’est faire sa peine sous une autre forme. Il faut bien l’expliquer, d’où la nécessité d’avoir des services d’insertion et de probation renforcés et des moyens de contrôle bien plus avancés qu’aujourd’hui. Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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Une personne condamnée à une peine de prison avec deux tiers de sûreté ne sortira pas avant cette échéance, quoi qu’elle fasse. Cela l’encourage à ne faire aucun effort, voire à des gestes désespérés et dangereux, pour soi-même ou pour autrui. Sans la période de sûreté, les efforts de réinsertion permettraient d’obtenir des réductions de peine supplémentaires, c’est incitatif. L’accompagnement qui vous est proposé durant votre aménagement de peine en placement extérieur vous paraît-il adapté ? J’ai des obligations à remplir : les parties civiles à rembourser, apporter la preuve que j’ai un travail. Une fois par mois, je rencontre mon conseiller d’insertion et de probation. Ses moyens sont limités, on sait bien qu’on manque de conseillers pour suivre les détenus qui sont sortis. Le premier soutien que j’ai trouvé autour de moi, à part ma famille, ce sont néanmoins des gens de l’administration pénitentiaire, aussi bizarre que cela puisse paraître à certains. Je suis sportif depuis toujours, et j’ai eu notamment d’excellentes relations avec les surveillants moniteurs de sport. Ils m’ont beaucoup aidé, comme d’autres personnes de l’administration, à des moments compliqués pour moi, quand j’ai perdu des personnes de ma famille. En revanche, j’aimerais bien voir un psychologue. J’ai demandé à ma CPIP, elle m’a répondu que ce serait à moi de le trouver et de le payer, car nous n’avons pas de structure dans le coin. Avec la moitié de mon salaire qui part pour les parties civiles, la pension alimentaire et le loyer, je n’en ai pas les moyens. Pourquoi il n’y a pas de structures à l’extérieur, pourquoi ce n’est pas possible de voir un psy ? Ce qui m’aide, ce sont les contacts que j’ai gardés avec des personnes connues en détention, et qui m’apportent un soutien moral important. Ça fait maintenant trois mois que je suis sorti. Et doucement, je vais retrouver ma vie. Je sais que ça prendra beaucoup de temps. Vous voyez, là, il est 16 h 05, l’heure à laquelle on sort du stade à la centrale d’Arles. Mes points de repère sont encore là-bas. Recueilli par Barbara Liaras


de facto MAUBEUGE

Nouvelle condamnation pour un suicide au quartier disciplinaire Lors d’une précédente incarcération, Fabien avait déjà tenté de se suicider. Un lourd traitement lui était prescrit, composé notamment de substitutifs aux opiacés et de benzodiazépine. En dépit de l’augmentation constante des doses, qu’un médecin de l’unité médicale ira jusqu’à qualifier d’« escalade thérapeutique », l’état de santé psychique de Fabien n’a jamais cessé de se dégrader. Un rapport d’expertise du 10 janvier 2011 déplore « l’absence de recherches toxicologiques sanguines », qui aurait pu permettre d’ajuster la posologie des traitements et de s’assurer que Fabien, qui se plaignait d’être racketté par d’autres détenus, prenait bien ses médicaments. « Une absence de démarche scientifique essentielle » selon l’expert, qui estime que l’« application de ces recommandations aurait pu, en prenant en compte les différentes tentatives de suicide antérieures, améliorer l’état psychique de Fabien lors de sa période d’incarcération et aurait ainsi, peut-être, évité l’acte final ». En outre, souligne le tribunal « lors de son placement en quartier disciplinaire le 14 novembre 2006, le médecin n’a pas considéré son état de santé comme

incompatible avec cet encellulement ». Et ce, alors même qu’il était inscrit dans son dossier médical, que lors d’une précédente sanction il n’avait pas supporté le confinement en cellule ordinaire et avait exprimé des « idées suicidaires ». Cette décision judiciaire intervient trois mois après une précédente condamnation de l’Etat par le même TA, le 29 octobre 2013, à propos du décès d’un homme de 28 ans survenu en 2008 au QD. Les juges avaient retenu cette fois la responsabilité de l’administration pénitentiaire pour « négligence fautive ». Ces deux situations interrogent surtout sur les placements au quartier disciplinaire de détenus ayant manifesté des tendances suicidaires, alors que le QD est connu pour son caractère suicidogène, avec un taux de suicides sept fois supérieur à celui de la détention ordinaire. En dépit des recommandations de la CNCDH (2004) visant à remplacer le QD par le confinement en cellule, une telle alternative reste insuffisamment utilisée, notamment à l’égard des détenus les plus vulnérables. Coordination OIP Nord

© Aimée Thirion

Les services médicaux sont cette fois mis en cause : « le manque de surveillance médicale […] doit être regardé comme ayant contribué au passage à l’acte du détenu et constitue une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Sambre-Avesnois ». Dans un jugement du 5 février 2014, le tribunal administratif (TA) de Lille a condamné le centre hospitalier à verser 15 500 euros à la famille de Fabien, décédé à la prison de Maubeuge à l’âge de 21 ans. Il s’était pendu, le 16 novembre 2006, dans sa cellule du quartier disciplinaire (QD). Le 14 novembre 2006, il avait été sanctionné à quinze jours de QD dont neuf avec sursis pour des menaces à l’égard d’un surveillant, qu’il contestait avoir proférées. Deux jours plus tard, Fabien était retrouvé pendu aux grilles de sa cellule et décédait peu après. Dès le début de sa détention en décembre 2005, le jeune homme était apparu fragile, souffrant de toxicomanie, d’insomnie et de dépression. Le tribunal souligne que « l’état d’anxiété du détenu a été relevé dès son arrivée » et « l’existence d’un risque suicidaire dès le 28 décembre 2005 ».

Quartier disciplinaire de la maison d’arrêt de Loos, fermée en août 2011. Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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Rendre effectif le droit de vote en détention La très grande majorité des détenus a le droit de vote aux élections, mais n’a guère la possibilité de l’exercer. Le corps électoral est estimé à environ 50 000 personnes en détention, une fois déduits les étrangers, les mineurs et les condamnés privés de leurs droits civiques (1 609 détenus sur 64 787 au 1er janvier 2012). Seul 4 % de ce corps électoral a voté lors de la dernière élection présidentielle en 2012 (1 624 détenus ont voté par procuration, 356 avec une permission de sortir). Voter en prison relève en effet du parcours du combattant. L’inscription sur les listes, dans sa commune habituelle, ou, depuis la loi pénitentiaire de 2009, en se faisant domicilier à

l’adresse de la prison, implique de récupérer sa carte d’identité, d’obtenir du greffe un certificat de présence, et de faire une demande au service d’insertion et de probation. Les permissions de sortir pour aller voter restent octroyées au compte-goutte, tandis que le vote par procuration implique des formalités administratives lourdes et dissuasives : comment trouver un mandataire quand on ne connaît personne dans sa commune d’incarcération, lui faire connaître son intention de vote ? Autant de questions toujours sans réponses pour les scrutins de 2014. Une solution a été proposée à plusieurs reprises : installer des bureaux de vote en détention

et assurer l’inscription automatique des détenus sur les listes électorales de la commune de détention. Elle est aujourd’hui portée par l’association Robin des lois, qui a adressé en ce sens un recours administratif gracieux aux ministres de l’Intérieur et de la Justice, le 17 janvier 2014. La garde des Sceaux a indiqué « ne pas être opposée » à cette option, soulignant que la « démarche nécessite cependant en amont un travail interministériel conséquent, outre un travail législatif visant à la modification des dispositions du code électoral » (réponse du 18 février 2014 à une question parlementaire).

Hausse des tarifs de location des TV dans les prisons à gestion publique le ministère ne voulant pas assumer les pénalités dues en cas de modification des contrats de délégation de services. Les tarifs seraient revus à l’échéance des contrats, assurait la chancellerie.

Soit fin 2017 pour la plupart, fin 2038 pour certains. Désormais, il semble que l’alignement soit davantage envisagé à la hausse qu’à la baisse… Note DAP du 9 août 2013

© Bertrand Desprez/VU

La direction de l’administration pénitentiaire rehausse les tarifs de location des téléviseurs de 8 à 9 euros dans les prisons publiques. Alors que l’abaissement à 8 euros avait été adopté le 1er janvier 2012, une note du 9 août 2013, ayant pris effet le 1er octobre, l’augmente déjà d’un euro par mois et par cellule. Pour la DAP, il s’agit de « rechercher un alignement progressif du tarif de facturation » dans « un souci d’équité entre les établissements pénitentiaires en gestion publique de ceux fonctionnant en gestion déléguée ». Dans les prisons semi-privées, l’accès mensuel à la « lucarne » continuait en effet d’être facturé aux anciens tarifs, soit 18 euros. Mais l’équité devait initialement être obtenue par une baisse des tarifs des prestataires privés ! Et une uniformisation à 8 euros dans tous les établissements à compter du 1er janvier 2013. Le précédent gouvernement s’y était engagé en février 2011. L’actuel n’a pas tenu la promesse. Dans un premier temps, la DAP a annoncé que les tarifs dans les prisons en gestion déléguée ne seraient pas modifiés en 2013,

Maison d’arrêt de Valence, février 2000.

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de facto


de facto Suspension de peine médicale : des obstacles tombent Instaurée par la loi « Kouchner » du 4 mars 2002, la suspension de peine pour raison médicale (état de santé incompatible avec la détention ou pronostic vital engagé) reste peu prononcée. Au point qu’un groupe de travail « Santé-Justice » a été chargé d’identifier les améliorations possibles. Et ses préconisations, rendues en novembre 2013, semblent trouver un écho rapide dans les textes. Un décret du 18 février 2014 vient ainsi de lever l’obstacle de l’expertise psychiatrique obligatoire pour les personnes condamnées à une peine encourant un suivi socio-judiciaire : elle n’est plus exigée dès lors que la demande intervient en urgence, autrement dit, lorsque le pronostic vital est engagé à très court terme. Une brève échéance en effet incompatible avec

les délais d’intervention des experts psychiatres. Sans compter que « l’état de santé de la personne rend parfois impossible la réalisation d’une expertise psychiatrique », observait le groupe de travail. Une proposition de loi, adoptée à l’unanimité en première lecture au Sénat le 13 février 2014, prévoit également d’élargir la possibilité de suspension de peine médicale aux malades placés en détention provisoire, qui jusqu’ici ne pouvaient y prétendre. Le texte prévoit « la mise en liberté d’une personne placée en détention provisoire […] lorsqu’une expertise médicale établit que cette personne est atteinte d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que son état de santé est incompatible avec le maintien en détention ». Il permet donc l’octroi de la suspension

sur la base d’une seule expertise médicale. Ce qui a donné lieu à un débat ouvrant la perspective de lever un autre obstacle : celui des deux expertises médicales distinctes aux conclusions concordantes, sauf cas d’urgence. « Une condition difficile à atteindre », a souligné le groupe de travail. L’exigence d’une seule expertise pourrait être généralisée à l’ensemble des personnes condamnées concernées. La garde des Sceaux s’est ainsi engagée dans le cadre du débat au Sénat à introduire au projet de réforme pénale une disposition visant à « aligner le régime des personnes condamnées sur celui des personnes prévenues ». Décret n° 2014-145 du 18 février 2014 précisant les modalités de la suspension de peine pour raison médicale

Périodes de sûreté : un nouveau mode de calcul très défavorable Panique à la centrale de Clairvaux. Sur instructions du procureur de Troyes, le greffe de la prison a dû en février dernier repousser de plusieurs années les dates d’éligibilité à un aménagement de peine d’une soixantaine de détenus. A l’origine de ce couac : un article du vice-procureur de Nantes sur le calcul des périodes de sûreté, que le procureur a décidé de faire prévaloir sur une circulaire de l’administration pénitentiaire de 1998 et des années de pratiques judiciaires. La circulaire de la DAP établit que la période de sûreté, pendant laquelle aucun aménagement de peine n’est possible, doit être calculée à compter du premier jour de

détention provisoire. Et ce, même si la personne concernée exécutait une autre peine (une période de détention provisoire peut coïncider avec l’exécution d’une peine antérieure). Ce principe est aujourd’hui contesté par l’auteur de l’article, Laurent Griffon, qui estime cette approche « trop favorable au condamné ». Le point de départ de la période de sûreté devrait selon lui être situé au premier jour de l’exécution de la peine qui en est assortie. C’est-à-dire après l’exécution de la peine antérieure en cas de pluralité de peines et sans prise en compte de la période de détention provisoire liée à cette peine antérieure. En cas de

peine unique, la période de détention provisoire s’impute sur la durée de la période de sûreté. Mais pas en cas de pluralité de peines. Avec ce nouveau mode de calcul, des condamnés à de longues peines qui avaient déjà assuré toutes les démarches pour un aménagement de peine, préparé un projet de sortie, ont vu à Clairvaux leurs espoirs de libération reculer de cinq ou six ans. Sur la base d’un seul article et faisant fi de la circulaire régissant la question depuis des années. Laurent Griffon, « La computation de la période de sûreté », AJ Pénal, novembre 2013

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ils sont nous Campagne « Ils sont nous » La publication des histoires de vie d’anciens détenus continue. Ces témoignages sont aussi diffusés sur un blog en partenariat avec Rue89, Passés par la case prison. Les rencontres d’ex-taulards avec des écrivains s’organisent, en vue de la réalisation d’un ouvrage issu de ces rendez-vous. Montrer l’envers du fait divers, les choix et difficultés de personnes qui ne se résument pas à un acte, lutter contre les stéréotypes… Tel est le pari.

« Toute mon affaire est liée à une histoire d’amour » Entre deux histoires d’amour et à la recherche de ses limites, Corinne se retrouve à 27 ans mêlée au trafic de cocaïne organisé par son ex-mari et son nouveau compagnon. A la surprise de tous, elle sera condamnée à trois ans d’emprisonnement. Vingt ans après sa libération, elle témoigne d’un parcours entremêlé de galères et passions, l’ayant menée à son métier d’éducatrice. Pourriez-vous évoquer votre vie avant votre rencontre avec la Justice ? Je suis née dans le Sud-Ouest de la France où je suis restée jusqu’à mes 18 ans, dans une famille où tout allait bien. J’avais envie de voir autre chose et, avant même de passer le bac, je suis partie à l’aventure au Maroc pendant deux ans. A mon retour, de petit boulot en petit boulot, je suis allée faire une saison sur le bassin d’Arcachon où j’ai rencontré un garçon que j’ai rejoint à Paris (nous nous sommes ensuite mariés). Il avait un travail stable chez Air France, était propriétaire de son appartement, nous étions insouciants… Dans notre quartier, nous avons fréquenté un bar, sympathisé avec de nouvelles personnes et formé une bande de joyeux fêtards, où la cocaïne, produit jusqu’alors inconnu pour moi, tournait en quantité. Comment vous êtes-vous retrouvée face à la Justice ? Rapidement, je suis tombée très amoureuse d’un autre homme, plein de charisme, pas mal à la dérive et qui consommait beaucoup de coke. Mon mari et lui ont monté un coup pour essayer d’importer un kilo de cocaïne, par l’intermédiaire d’un ami. Je n’étais pas d’accord, mais mon mari pensait que c’était sans risque. Nous étions pas mal à côté de la plaque : pour nous, la cocaïne, c’était juste associé à la fête. Je n’étais pas partie prenante du coup qui se montait, mais j’étais au courant. Ils ont réussi à monter un premier plan, facilement, et ont voulu recommencer. C’est à ce moment là que j’ai pris la Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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décision de quitter mon mari et de rester avec l’homme dont j’étais follement amoureuse. Mais la deuxième affaire s’est mal passée, mon ex mari s’est fait arrêter à la sortie de l’aéroport avec les produits. Lorsque nous sommes allés le retrouver à son domicile, la police nous attendait. Comment avez-vous vécu cette arrestation ? Aussi incroyable que ça puisse paraître, je n’avais pas envisagé cette issue. Trop de cocaïne, pas assez de sommeil, une histoire d’amour qui prenait le pas sur tout, notamment sur ma raison. La garde a vue qui a duré plus de trois jours a été éprouvante car j’ai été présentée comme celle qui avait la mauvaise influence sur mon mari, la femme de mauvaise moralité. Beaucoup de propos sexistes donc, mais peu d’auditions, car je n’avais rien à révéler. Nous étions quatre gardés à vue, tous isolés dans de minuscules cellules bien crades. Pensant innocemment que je ne risquais pas grand-chose par rapport à eux, je tentais de les soutenir moralement. Je me suis ensuite retrouvée devant un juge d’instruction qui m’a dit : « pour l’instant, vous allez en prison parce qu’il y a des témoignages contre vous ». J’ai été envoyée à Fleury-Mérogis, après 72 heures de garde à vue, 10 minutes devant le juge d’instruction, sans en comprendre la raison. Comment s’est passée votre arrivée à Fleury-Mérogis ? Comme je pensais que ça n’allait pas durer, j’ai eu un moment de curiosité : connaître les conditions dans lesquelles mon


compagnon allait vivre. Toute cette affaire est liée à mon histoire d’amour. Mais j’ai vite compris que j’étais passée dans une autre dimension : tu ne contrôles rien, tu ne sais rien, tu n’as plus voix au chapitre. L’impuissance est très violente. Tu passes à la fouille, on t’enlève ton sac, tu n’as pas de fringues, pas d’argent, pas de contact avec l’extérieur. Il y a quand même un éducateur qui te demande qui tu veux prévenir. J’ai demandé à ce qu’on appelle un ami, qui n’arrivait pas à croire que ce n’était pas une blague. Il a déposé quelques fringues à mon attention et envoyé un peu d’argent. Les mois ont commencé à être longs, sans visite et sans interlocuteur pour pouvoir m’expliquer. Le premier avocat auquel je me suis adressée ne m’a jamais répondu, puis j’ai demandé un avocat d’office. Je n’ai eu des nouvelles de mon dossier qu’au bout de trois mois, et nous n’avons vu le juge que six mois après mon incarcération. J’ai alors appris que c’était mon ex-mari qui avait fait une déclaration contre moi, basant sa défense sur sa victimisation, mon compagnon et moi-même devenant les « amants manipulateurs ». J’ai été renvoyée à Fleury, sans même une confrontation avec mon accusateur. Dans quel état d’esprit étiez-vous alors ? J’avais un fort sentiment d’injustice et la prison a commencé à me peser, avec tout ce qu’elle peut générer de frustrations et d’humiliations. Je me suis retrouvée dans des cellules à trois détenues, dont une dormait sur un matelas à même le sol. Avoir un peu d’intimité impliquait pour moi de ne pas sortir de cellule, afin de bénéficier de quelques moments de solitude pendant que les autres étaient en promenade. Pour sortir, je participais à quelques activités : du yoga et une formation en informatique. Le reste du temps, je vivais avec des boules Quiès, j’attendais ma lettre quotidienne et j’écrivais durant des heures à mon compagnon. Comme j’étais plutôt une « bonne » détenue, on me « confiait » des toxicomanes arrivantes en état de manque. Elles trouvaient des ruses pour cumuler les fioles pour se défoncer et il fallait que je gère seule la situation, dans 9 mètres carrés cadenassés. Tu comprends vite que le bouton d’appel des surveillantes n’est à utiliser que si tu n’as besoin de rien. On ne te répond pas. Lorsqu’il y a danger, toutes les détenues se mettent à gueuler et à taper très fort aux portes afin d’être entendues et que quelqu’un intervienne, souvent longtemps après. C’est très anxiogène. Un an après mon arrestation, une demande de liberté provisoire a finalement été acceptée, à condition de payer une caution de 50 000 francs. Mon avocate a appelé ma sœur, qui a annoncé à mon père que j’étais en prison car je n’avais pas eu le courage de le prévenir. Il a tout de suite trouvé l’argent, grâce auquel je suis sortie. Dans quelle situation étiez-vous lors de votre libération ? Indigente et seule. Après avoir squatté chez des amis, j’ai trouvé une chambre chez un particulier et un travail d’opératrice de saisie grâce à ma formation en prison. Je ne faisais qu’un

© Thierry Pasquet/Signatures

ACTU parcours de vie d’anciens détenus

Prison des femmes de Rennes, juin 2010.

temps partiel pour pouvoir rendre visite à mon compagnon en détention. C’était une période de vie « entre parenthèses » : je ne vivais qu’avec lui, sous forme de relation épistolaire et de trois parloirs de 45 minutes par semaine à la Santé. Au bout d’un an, j’ai enfin trouvé un petit studio, puis un boulot de secrétaire dans une association. J’étais sous contrôle judiciaire : toutes les semaines, je voyais mon agent de probation pour rendre compte de ma réinsertion et de mes gages de représentation en justice. Dix-huit mois après ma libération, je me suis présentée au tribunal pour le jugement (deux ans et demi après notre arrestation). J’avais un travail et un logement durement acquis… Et j’ai été écrouée à la barre : j’ai pris trois ans fermes, aucun sursis. J’ai écopé de la même peine que le revendeur qui avait un casier long comme un bras ! Je suis partie retrouver Fleury, anéantie. Je n’ai toujours pas compris, c’était peut-être pour l’exemple, à une époque où les réseaux de la drogue se mettaient en place. Je n’ai eu le droit de dire que quelques mots au procès, personne n’écoutait, le tout dans une grande approximation sur les faits (il était par exemple question d’héroïne au lieu de cocaïne). Cette deuxième détention a-t-elle été différente de la première ? Oui, j’ai demandé à voir directement le médecin et je suis restée deux mois sous forte dose de Lexomil, complètement shootée, sans pouvoir sortir la tête du brouillard. J’avais 98 % de chance de ne pas retourner en prison. Donc je n’y étais pas du tout préparée. Cette deuxième période, qui a duré onze mois, a été bien plus dure. Mais j’ai aussi été plus soutenue à l’extérieur, notamment par une amie qui a pris les choses en mains. J’ai décidé de faire appel. Mes amis m’ont trouvé un autre avocat, spécialiste du droit de la drogue. L’avocat a entamé une procédure pour que la caution me soit rendue, ce qui m’a permis de payer ses honoraires. En appel, le jugement a néanmoins été confirmé : c’était encore plus l’abattage, tu Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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ils sont nous vois que les juges n’aiment pas se déjuger. Trois mois après, j’ai obtenu ma libération conditionnelle à mi-peine, mais le cauchemar a continué car j’ai encore dû rester deux mois et demi pour exécuter une « contrainte par corps », car je devais des millions de francs aux douanes. Cette mesure pouvait durer jusqu’à deux ans, je n’avais aucune idée de quand j’allais sortir. J’ai obtenu des permissions pour rencontrer les services des douanes et trouver un accord, dans un dialogue de sourds, puis de marchands de tapis puisque je n’avais rien. Un soir, une surveillante est venue et m’a annoncé : « faites votre paquetage, vous sortez ». Dans quel état d’esprit étiez-vous à cette deuxième sortie de prison ? Comme je n’ai jamais admis que l’on me condamne à retourner en prison, ça ne pouvait pas vraiment être un soulagement d’en sortir. Heureusement, mes amis s’étaient organisés pour me garder mon studio, si bien que j’avais un logement à ma sortie. J’ai aussi eu droit aux indemnités chômage, je me suis donc un peu récupérée. J’ai eu du mal à me remettre au boulot. Et je vivais encore un peu en prison, par l’intermédiaire de mon mec. J’étais dégoutée, privée de mes droits civiques et j’avais perdu toute foi en la Justice. Qu’est devenue votre relation sentimentale après votre sortie de prison ? On se voyait trois fois par semaine dans le cadre des parloirs de la Santé, puis il a été transféré près de Rouen. Même si c’était plus compliqué et plus cher, je partais tous les weekends pour deux parloirs. Tant qu’il était dedans, je n’étais pas complètement sortie de prison. Je n’avais presque pas de vie sociale. Je bataillais avec les avocats, le juge de l’application des peines, les douanes… Je préparais sa sortie. Mais cet amour inconditionnel m’a aussi aidée à envisager l’après : mon compagnon était d’un optimisme forcené qui me boostait, on se projetait au-delà des murs. Nous avons voulu nous marier, j’avais déposé les bans à la mairie, mais il n’a pas obtenu de permission de sortir. J’ai néanmoins reçu un courrier de la CAF m’informant qu’ils me suspendaient mes allocations logement, parce que je m’étais mariée avec un détenu ! Je leur ai expliqué en vain que nous n’avions pas pu nous marier. Il m’a même été dit : « vous n’aviez qu’à mieux choisir votre mari ». La stigmatisation continuait. J’avais la rage et j’ai commencé à aller mal, à me paupériser. Au bout de quatre ans, mon compagnon était à mi-peine, il a obtenu une première permission de deux jours, puis une deuxième, au terme de laquelle il n’a pas pu retourner en prison. Il n’en pouvait plus de me voir dans cette galère et il était épuisé par ses années de détention. Nous sommes partis en cavale, sans préméditation, ce qui a finalement duré quelques années. Comment s’est déroulée cette cavale ? Nous sommes partis en Espagne, où j’avais une tante. Nous avons essayé de bosser mais c’était impossible, donc nous Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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sommes revenus en France. Nous avons fait les marchés, gagnant juste de quoi nous nourrir et payer les clopes. Mon compagnon a fini par prendre une fausse identité, celle de son cousin, et nous sommes revenus à Paris. J’ai entrepris une formation, lui un travail d’enquêteur à la Sofres. Mais nous avions toujours la peur au ventre. A chaque instant, chaque retard de 5 minutes, tu t’attends à ne pas le revoir. Ça prend de l’ampleur chaque jour, ça te ronge. Mais ça te soude aussi encore plus, nous étions inséparables. Comme il avait aussi la nationalité canadienne, il est parti là-bas, à contre cœur mais c’était la seule issue : j’ai bidouillé la photo d’un passeport et il s’est présenté à l’embarquement. Il est passé et je suis allée le rejoindre au Québec où j’ai passé trois ans. Avez-vous reconstruit une vie au Canada ? Il a monté une petite boîte avec un copain et je bossais avec eux, ça marchait pas mal. Mais toute notre histoire était compliquée. Quand tu as vécu dans une passion de dingue, mais essentiellement avec des échanges épistolaires, que tu te retrouves dans la réalité mais en cavale, dans l’angoisse permanente, il n’y a plus de place pour te lâcher et te retrouver vraiment. Nous sommes restés dix ans ensemble : trois mois avant d’être arrêtés, quatre ans et demi séparés par la détention, puis cinq ans en cavale. Je suis allée au bout de mes limites pendant cette période, j’ai beaucoup appris sur moimême, mais je me suis aussi perdue. J’ai finalement décidé de rentrer en France. Il fallait que je le quitte, mais la passion restait telle, qu’un océan n’était pas de trop pour nous séparer. Il est rentré un an après, il s’est constitué prisonnier, il a terminé sa peine. Après la prison, il n’a pas réussi à s’en sortir, il avait été brisé par l’inaction et l’impuissance de la détention. Il est reparti dans des paradis artificiels, a repris de la coke et aussi beaucoup d’alcool. Il s’est suicidé il y a deux ans, sans avoir pu retrouver ses marques dans la société. De votre côté, vous avez réussi à refaire votre vie ? Quand je suis rentrée du Canada, j’ai commencé à penser à moi et à l’avenir. Je voulais travailler dans le social, parce que c’était déjà un peu ce que je faisais spontanément. Je suis devenue éducatrice spécialisée et j’ai travaillé longtemps auprès de toxicomanes, puis dans une association d’aide aux sortants de prison, et aujourd’hui dans l’hébergement et la réinsertion sociale. Je sais à quel point la question du logement est déterminante à la sortie de détention. Il faudrait aussi donner la possibilité aux gens de faire leurs propres choix, plutôt qu’essayer de les faire entrer dans une norme qui n’est pas la leur. Les détenus devraient voir beaucoup plus de psychologues et d’éducateurs, afin de profiter de cette période de réclusion pour avancer et non régresser. Alice Gaïa et Sarah Dindo


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« J’ai vécu ma détention comme sous hypnose » Sylvie a passé plus de quatre ans en détention pour avoir fait passer à son compagnon du matériel pour s’évader, dont des explosifs et une arme. Leur relation a démarré alors qu’il était déjà incarcéré pour une longue peine. Ils ne se sont vus qu’au parloir, chaque week-end et ont eu un enfant en 2007. Elle sait qu’il veut s’évader, elle finira par l’y aider, et connaître à son tour l’emprisonnement. Libérée depuis quelques mois, elle veut sensibiliser à la cause des femmes détenues, souvent stigmatisées et isolées.

Est-ce que vous pourriez nous parler de votre vie avant la prison ? Votre enfance, votre famille, l’école… Nous vivions dans le 94, à Champigny. Dans ma famille, il n’y avait pas de délinquance, mon père et ma mère ont toujours travaillé. J’ai eu mon bac, j’ai commencé une école de journalisme, je suis allée à la fac. Mais j’ai tout arrêté parce que je sortais tous les soirs en boîte. En 1995, j’ai eu mon premier enfant. J’ai alors arrêté de travailler comme styliste dans la mode, car le père était un petit peu exclusif. Je n’ai jamais manqué d’argent au point d’être dans la précarité. J’ai toujours travaillé, on ne manquait de rien, même avec le père de mon fils. Mais il « tombait » fréquemment, c’est ainsi que j’ai connu la prison. J’ai aussi connu la violence avec lui. Il était violent envers vous ? Oui, mais pas envers mon fils. C’était un homme qui avait connu les foyers, la prison, pas d’amour de sa mère… Il y a toujours des explications à tout. Il m’isolait de mes amis, de mon univers, même du boulot. Je croyais que c’était une relation normale avec un homme, que c’était ça l’amour. Je pensais aussi contrôler, mais en fait pas du tout. C’était le genre de mec à te dire « il n’y a que moi qui t’ai aimé », il m’a complètement déstructurée. Finalement, je l’ai laissé tombé, et me je suis mise avec Christophe, un ami à lui dont j’étais déjà amoureuse avant. Christophe était en prison, sa fin de peine était fixée pour 2036. Je lui ai d’abord écrit, puis on a commencé

à se parler au téléphone, je suis allée le voir au parloir. Il m’a fait reprendre confiance en moi, il n’était pas du tout dans le même mode de relation, pas du tout violent. Vous n’avez jamais vécu ensemble ? Non, nous ne nous sommes vus qu’au parloir. Mais bon, quand tu vis quelque chose de fort… J’y allais tous les week-ends, et parfois, je restais trois jours dans les environs quand il était en Centrale. Je ne vivais que pour mes parloirs avec Christophe. On s’écrivait beaucoup aussi. Là encore, je n’avais plus de vie sociale. En 2007, on a eu une petite-fille. Mais à un moment, tu ne sais plus trop si la personne t’aime vraiment ou si elle a simplement besoin de toi, les rapports deviennent faussés. Et je n’en pouvais plus des parloirs. Il avait déjà cherché à s’évader en 2001, avec prise d’otage. Il ne pouvait plus rester en prison et je l’ai aidé en lui faisant passer du matériel en 2009. Le week-end de la St-Valentin, je vais le voir à Moulin-Yzeure, et il m’annonce que c’est pour maintenant. Il se fait la belle, et juste après le parloir, la police m’intercepte. Comment avez-vous vécu votre arrestation ? J’étais avec ma fille de 18 mois quand je suis sortie du parloir. Au début, ils m’ont laissée dans une pièce avec elle, ils étaient corrects, j’ai pensé que j’allais juste me faire interroger. Ils ont laissé mes parents venir chercher ma fille, de Paris à ClermontFerrand. Après, j’ai dû admettre certains faits et suis restée 96 heures en garde à vue pour « association de malfaiteurs ». Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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ils sont nous Est-ce que vous aviez pensé auparavant que cela pourrait vous arriver d’avoir à faire à la police, la justice, la prison ? En prison, j’ai vu beaucoup de femmes incarcérées pour des délits mineurs. Cela m’a fait comprendre que j’étais souvent passée à travers les mailles du filet, peut-être du fait de ma condition, de ma couleur… Car je faisais moi aussi des bêtises, comme conduire sans permis. Je connaissais aussi beaucoup de personnes qui avaient fait de la prison. Mais c’est un peu comme la drogue, tant que tu ne l’as pas vécu toi-même, tu ne te rends pas compte. J’avais aussi connu la violence d’un homme. Or, tu ne rencontres en détention que des femmes qui ont subi de la violence, soit dans leur enfance, soit plus tard avec un homme. Il y a toujours des hommes violents autour des femmes détenues. Et elles viennent de tous les milieux. Comment se passe votre arrivée en prison ? J’ai été incarcérée à la maison d’arrêt de la Talaudière à SaintÉtienne le 21 février 2009. Je n’ai pas eu de choc carcéral quand on m’a jeté dans la cellule. Mais pendant dix mois, je n’ai presque pas mangé, je ne pensais qu’à mes enfants. Le courrier était apporté en même temps que la nourriture, seules les lettres m’intéressaient. Je suis restée à Saint-Etienne de février à mai 2009, puis j’ai été transférée à Valence, et enfin à FleuryMérogis en décembre, car j’ai demandé mon rapprochement familial. Toute ma famille était sur le 94, mes parents avaient récupéré mes deux enfants. Ma mère a alors pu m’amener ma fille au parloir toutes les semaines. Au départ, je devais sortir au bout d’un an, mais le parquet a mis son véto. Je suis finalement restée en détention provisoire pendant quatre ans et deux mois. Comment avez-vous vécu cette détention ? Je me suis mise en « stand by ». C’est comme si j’étais sous hypnose, je n’avais pas ma vraie personnalité là-bas. Et j’étais calme. En prison, ils ont tendance à écraser les gens. J’ai résisté en parlant, en réagissant, en faisant sortir des infos. J’étais toujours prête à dénoncer les agissements de la pénitentiaire, mais pas de façon frontale, sans m’énerver. J’avais du soutien à l’extérieur, j’écrivais tous les jours de 16 à 21 heures, cela me donnait l’impression d’être avec mes proches. La relation avec certaines détenues a été l’une des choses les plus difficiles. Vu les faits pour lesquels j’étais là, j’ai été qualifiée de dangereuse. Les autres détenues me considéraient comme une terroriste. Je n’ai jamais entendu autant d’inepties que de la bouche de détenues. J’avais une copine incarcérée pour avoir tué sa grand-mère. Quand les détenues l’ont su, elles lui ont jeté de la Javel. La pénitentiaire joue avec tout cela : en faisant courir des bruits, en diabolisant les filles. Quand une détenue était vue en train de parler aux Basques, les surveillantes lui disaient : « Vous savez à qui vous parlez ? Vous savez ce qu’elles ont fait ? ». J’ai vu des filles aller éclater la gueule d’une détenue après avoir parlé au chef de Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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« Je ne suis pas d’accord avec cette idée selon laquelle les femmes auraient une détention moins dure que les hommes : elles sont souvent plus stigmatisées, et bien plus isolées. » détention. Et ce n’était pas la fille qui avait agressé qui partait au mitard, c’était l’autre. Comment s’est passé le procès ? J’ai été transférée à Corbas en janvier 2013, en vue de mon jugement à Lyon en avril. Quand je suis partie là-bas, je ne voyais plus ma fille toutes les semaines et à nouveau je n’ai plus réussi à manger. Je faisais 45 kg, alors qu’en entrant, j’en faisais 60. Le procureur avait demandé neuf ans pour moi, j’ai été condamnée à cinq. Je m’attendais à plus. Mais ils m’ont finalement dissociée de l’histoire de Christophe qui encourait 30 ans. En principe, ayant déjà fait plus de quatre ans en détention provisoire, je pouvais sortir. Mais j’ai été ramenée à Fleury, de nouveau au quartier arrivants, sans pécule pour téléphoner, avec refus de parloir pour toute ma famille, sans information sur ma date de sortie. J’ai appris plus tard que l’un des autres accusés avait fait appel, mais sur le coup, personne ne m’a rien dit. Finalement, je suis sortie au bout de dix jours. Dans quel état d’esprit ? J’étais contente, et sans appréhension. Mais je suis devenue plus difficile à vivre pour mes proches, je ne supporte rien, aucune frustration, je m’énerve très vite. Depuis ma sortie il y a cinq mois, j’habite chez mes parents avec ma fille. Elle est restée là pendant quatre ans, je ne peux pas l’enlever de son contexte de vie du jour au lendemain. Pour elle et pour moi, c’est sécurisant. J’ai fait des démarches auprès de la sécurité sociale, mais je ne suis toujours pas affiliée. Je préfère ne pas y retourner, parce qu’il est écrit que si l’on crie sur un fonctionnaire, c’est passible de 6 000 € d’amende, et vous pouvez aller en prison ! Je n’ai pas encore de projet d’activité, j’aimerais faire quelque chose pour les femmes incarcérées. Où en sont vos relations avec vos proches, vos enfants ? Ma fille me dit tout le temps : « maman, tu ne fais pas de bêtises ». Je ne pourrais pas lui faire ça, je préfèrerais mourir que de retourner en prison. Mais c’est une angoisse de tout le monde autour de moi. Mon fils de 18 ans, c’est celui qui a le plus morflé. Il avait 13 ans quand j’ai été incarcérée. Ma mère m’a dit peu de temps avant que je sorte : « Quand tu es tombée, il allait pleurer tout le temps dans les toilettes ». A cette époque, il a arrêté l’école. Depuis, il fait du basket,


ACTU parcours de vie d’anciens détenus

© Thierry Pasquet/Signatures

Prison des hommes de Rennes-Vezin, juillet 2010.

heureusement, mais tout cela l’a affecté, un peu déconstruit. A ma sortie, il n’arrivait pas à me regarder, à parler avec moi. Dès que je parle de prison, il veut changer de sujet : « mais tu n’en as pas marre ? ! ». Ce n’est pas possible pour moi d’occulter, je vois aujourd’hui beaucoup de filles que j’ai connues en détention. Je ne suis pas d’accord avec cette idée selon laquelle les femmes auraient une détention moins dure que les hommes : elles sont souvent plus stigmatisées et bien plus isolées. Aucun homme ne vient les voir, alors que les mecs détenus ont souvent une femme qui les attend. Les détenues, elles ne sont soutenues que par leurs mères et leurs sœurs. Elles sont encore plus montrées du doigt pour leur affaire, à cause de l’image de la femme. Alors qu’en fait, elles ont très souvent été victimes de violence à la base. Il y en a peu qui arrivent à voir régulièrement leurs enfants pendant leur détention. Souvent, le père en profite pour récupérer la garde.

Leur vie est bousillée, il faut faire quelque chose. C’est l’une de mes motivations pour continuer à participer à MARPPI, une association pour les proches des personnes incarcérées. Et vous êtes toujours en lien avec Christophe ? Nous ne sommes plus ensemble, il s’est marié. Quand il était lui aussi à Fleury, le juge ne voulait pas nous accorder de parloir, il avait peur qu’on fasse un bébé. Nous en avons obtenu un finalement avec ma fille : je faisais 42 kg et Christophe n’arrivait même pas à me regarder. Il avait plein de filles qui lui écrivaient. Ils ont des « fan club », contrairement à nous les filles. De toutes manières, je ne voudrais plus refaire les parloirs. J’aimerais y aller une fois, pour qu’on termine tout cela correctement. Et ma fille pourra aller le voir. Sébastien Saetta et Sarah Dindo Dedans Dehors N°83 Mars 2014

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Fouille à nu systématique : le rappel à la loi de la Chancellerie Dans une note du 15 novembre 2013 rendue publique le 31 décembre, la ministre de la Justice vient clairement rappeler aux services pénitentiaires « la prohibition du caractère systématique des fouilles » à nu. Le texte rappelle que la décision de soumettre une personne détenue à une mesure de fouille intégrale doit être individualisée, c’est-à-dire fondée sur le risque effectif que le comportement de l’intéressé fait courir à la sécurité ou au bon ordre dans l’établissement, et adaptée à sa personnalité. Et qu’elle ne peut être prise que si les autres moyens de contrôle (fouille par palpation, portique de détection métallique) s’avèrent insuffisants. Ce rappel à la loi était attendu : bien que posé par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, ces principes n’ont jamais été respectés dans l’ensemble des prisons

françaises, malgré de nombreuses condamnations en justice. Après plus de deux années de contentieux pour obtenir la fin des pratiques de fouilles à nu systématiques, l’OIP ne peut que saluer ce rappel. Mais doit aussi en souligner les limites. Le cadre posé par la note du 15 novembre n’est pas suffisamment protecteur des droits des personnes détenues. Ainsi, aucune procédure contradictoire préalable n’est imposée à l’administration lorsqu’elle décide de procéder à la fouille à nu d’une personne. Sa décision peut n’être motivée que sommairement et elle n’a pas l’obligation d’être notifiée à la personne concernée. Surtout, la note laisse ouverte la possibilité d’appliquer un « régime exorbitant » de fouilles intégrales systématiques à l’encontre de certaines personnes détenues « identifiées comme

présentant des risques ». En n’encadrant pas strictement les motifs qui peuvent justifier une telle application, elle ne fait pas en pratique obstacle à un recours toujours massif aux fouilles à nu en détention. Ces derniers mois, dans plusieurs établissements, des listes de personnes devant se soumettre à des fouilles intégrales systématiques ont été établies par l’administration pénitentiaire, comme l’y invite désormais la note ministérielle, sur la base de critères de dangerosité larges ou imprécis. À Fleury-Mérogis par exemple, la moitié des détenus figurent sur cette liste. Le caractère exceptionnel de la fouille à nu, voulu par le législateur en 2009, risque de ne pas être encore réalité dans les prisons françaises. Note du 15 novembre 2013 relative aux moyens de contrôle des personnes détenues, NOR : JUSK1340043N

Travail : le prestataire privé ne peut décider du déclassement d’un détenu L’exploitant des ateliers d’un établissement pénitentiaire n’est pas compétent pour déclasser un détenu de son poste de travail. Dans un jugement du 4 février 2014, le tribunal administratif de Lyon a prononcé l’annulation pour incompétence de la décision par laquelle le responsable des ressources humaines (RH) de la société GEPSA a mis fin à la période d’essai de Monsieur M., procédant ainsi à son déclassement de l’emploi d’opérateur qu’il occupait. Détenu au centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse, l’intéressé avait obtenu son classement au sein des ateliers, exploités par la société GEPSA sous le régime de la concession de main d’œuvre. Au cours de sa période d’essai, Monsieur M. est placé par l’administration pénitentiaire sous un « régime fermé » limitant strictement ses possibilités de déplacement

et l’empêchant de se rendre aux ateliers. Le responsable RH de la société GEPSA prend un acte intitulé « non validation de période d’essai » que Monsieur M. attaque devant le tribunal administratif. Les juges relèvent d’abord que le responsable RH ne s’est pas contenté de porter une appréciation sur la compétence de M. M. à exécuter sa tâche d’opérateur mais qu’« après avoir tenu compte de l’impossibilité dans laquelle il se trouvait de poursuivre son travail en raison de son placement dans un secteur fermé du centre pénitentiaire […], il a décidé de mettre un terme à sa période d’essai ». Ils estiment ensuite que cette décision, qui a eu pour objet de priver M. M. de son travail, s’analyse comme une décision de déclassement qui peut être attaquée, et soulignent d’ailleurs qu’aucune autre décision,

« portant explicitement déclassement de M. M. », n’a été notifiée postérieurement à l’intéressé. Enfin, le tribunal administratif rappelle qu’« une décision portant déclassement d’un détenu de l’emploi qu’il occupait jusqu’alors relève de la compétence du directeur de l’établissement pénitentiaire ». La décision du responsable RH est par conséquent annulée. TA Lyon, 4 février 2014, M. M., n°1105531

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Bulletin à renvoyer à OIP, section française, 7 bis, rue Riquet 75019 Paris Conformément à la loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978, en vous adressant au siège de notre organisation, vous pouvez accéder aux informations vous concernant, demander leur rectification ou suppression ou vous opposer à ce qu’elles soient échangées ou cédées. Dans ce dernier cas, les informations vous concernant seraient alors réservées à l’usage exclusif de notre organisation.


ADRESSES

Pour tout renseignement sur les activités de l’OIP en France ou pour témoigner et alerter sur les conditions de détention en France : OIP section française 7 bis, rue Riquet 75019 Paris tel : 01 44 52 87 90 fax : 01 44 52 88 09 e-mail : contact@oip.org site : www.oip.org

Le standard est ouvert de 15h à 18h

L’OIP en région Les coordinations régionales sont chargées des enquêtes sur les établissements de leurs régions. Chaque coordinateur travaille avec un réseau de correspondant et de bénévoles. Coordination régionale Nord et Ouest (DISP Lille et Rennes) Anne Chereul 19 place de Sébastopol 59000 Lille 09 61 49 73 43 06 63 52 10 10 fax: 03 28 52 34 13 anne.chereul@oip.org

Coordination régionale Sud-Est (DISP Lyon et Marseille) Céline Reimeringer Amid Khallouf 57 rue Sébastien Gryphe 69007 Lyon 09 50 92 00 34 06 50 73 29 04 fax : 09 55 92 00 34 lyon@oip.org

Coordination régionale SudOuest (DISP Bordeaux et Toulouse) Delphine Payen-Fourment 7bis rue Riquet 75019 Paris 01 44 52 87 94 06 50 87 43 69 fax: 01 44 52 88 09 delphine.payen-fourment@oip.org

Coordination régionale Ile-deFrance et outre-mer (DISP Paris et outre-mer) François Bès 7bis rue Riquet 75019 Paris 01 44 52 87 96 06 64 94 47 05 fax: 01 44 52 88 09 francois.bes@oip.org

Coordination régionale Centre et Est (DISP de Dijon et Strasbourg) 7 bis rue Riquet 75019 Paris 01 44 52 87 90 fax: 01 44 52 88 09 contact@oip.org

Les groupes et correspondants locaux de Metz et Nancy assurent l’observation et l’alerte sur la prison de leur ville, en lien avec le secrétariat national. Pour les contacter, vous pouvez joindre le secrétariat national : contact@oip.org ou 01 44 52 87 90

Qu’est-ce que l’OIP ? La section française de l’Observatoire international des prisons (OIP), créée en janvier 1996, agit pour le respect des droits de l’Homme en milieu carcéral et un moindre recours à l’emprisonnement. Que fait l’OIP ? Concrètement, l’OIP dresse et fait connaître l’état des conditions de détention des personnes incarcérées, alerte l’opinion, les pouvoirs publics, les organismes et les organisations concernées sur l’ensemble des manquements observés ; informe les personnes détenues de leurs droits et soutient leurs démarches pour les faire valoir ; favorise l’adoption de lois, règlements et autres mesures propres à garantir la défense de la personne et le respect des droits des détenus ; défend une limitation du recours à l’incarcération, la réduction de l’échelle des peines, le développement d’alternatives aux poursuites pénales et de substituts aux sanctions privatives de liberté. Comment agit l’OIP ? Organisation indépendante des pouvoirs publics, l’OIP ne sollicite aucun mandat ou subvention du ministère de la Justice, s’interdit de prendre part à l’action d’aucun gouvernement, de soutenir aucun parti politique ou de prendre position à l’occasion de toute consultation électorale. Pour faciliter la mise en œuvre de ses objectifs, l’Observatoire suscite la création de coordinations régionales chargées de l’observation des lieux de détention et composées exclusivement de membres de l’OIP.


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