Dedans Dehors n°84 Violences carcérales : Au carrefour des fausses routes

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Conseil de l’Europe : nouvelle incitation à la décroissance carcérale Les Anglais refusent d’extrader pour une prison française UHSA de Lyon : la psychiatrie sans urgences

Violences carcérales : au carrefour des fausses routes dossier avec Antoinette Chauvenet, David J. Cooke, Eric Sniady, Jean-Philippe Mayol et Nick Hardwick

OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS SECTION FRANÇAISE

9,50 € N°84 Juillet 2014


EDITORIAL

Réforme pénale : tout ça pour ça ? Un pas en avant, un pas en arrière, un pas sur l’côté… A l’heure du bouclage de ce numéro, le projet de réforme pénale n’est pas encore adopté (vote définitif les 16 au 17 juillet). Mais les travaux parlementaires ont pris la forme de pas de danse mal maîtrisés. En commission mixte paritaire, les élus sont revenus le 8 juillet à une version hybride de la nouvelle peine de probation. Alors que le Sénat avait fait de la contrainte pénale une véritable peine de référence, la seule encourue pour certains délits, la CMP la ramène au statut de peine applicable parmi d’autres, pour les seuls délits passibles d’un maximum de cinq ans de prison. Une option incohérente, aboutissant à une peine en milieu ouvert plus contraignante que le sursis avec mise à l’épreuve (qui n’est pas supprimé) pour un panel de délits moins graves. Au terme de négociations avec le président Hollande et le Premier ministre, un élargissement de son champ d’application à tous les délits est différé à… 2017. Le temps de vérifier que cette nouvelle peine, n’apportant rien de très neuf en l’état, aura été peu prononcée par les tribunaux et aura fait perdre leur latin aux conseillers d’insertion et de probation ? Une probation que les politiques continuent de méconnaître… Les travaux parlementaires n’auront pas permis de sortir d’une conception de la probation réduite à sa dimension de contrôle d’interdictions et d’obligations. Les recherches étrangères ont eu beau avoir évalué que ce type de contrôle est sans impact sur la réinsertion et la récidive, seul le travail autour des facteurs de délinquance suivant des méthodes précises étant efficace, la France persiste et signe. Pire, les parlementaires ont encore ajouté le recours aux écoutes téléphoniques et à la géolocalisation pour vérifier que les sortants de prison respectent leurs interdictions. On connaît déjà le caractère insoutenable de la surveillance électronique au-delà d’une courte durée, voici venue la libération conditionnelle ultra-intrusive, qui risque de favoriser la multiplication d’incidents et les retours en prison. Sur les aménagements de peine avant incarcération, on s’en tient finalement à la législation… actuelle ! Le Gouvernement avait abaissé les peines concernées à un an, six mois pour les récidivistes. L’Assemblée avait préféré le passage à un an pour tous, évitant ainsi d’exclure les récidivistes de mesures de suivi dont ils sont les premiers à avoir besoin. Le Sénat est revenu aux seuils actuels de deux ans et un an pour les récidivistes : ce sera la version adoptée par la CMP. Beaucoup de bruit pour rien ?

Sarah Dindo N°84 Juillet 2014

Sommaire 1 Actu – Conseil de l’Europe : nouvelle invitation à la décroissance carcérale – Détenus particulièrement signalés : surveillance permanente et contrainte maximale – Les Anglais refusent d’extrader dans le pays des droits de l’homme 6 De facto – Contrôleur général : le droit à l’encellulement individuel – UVF : des « ambitions » mais pas d’ouvertures – Recours pour prise en charge des frais de déplacement aux parloirs – Fresnes : l’aménagement des courtes peines – Dernier rapport de la Commission de suivi de la détention provisoire 10 Zoom UHSA de Lyon : la psychiatrie sans urgences 14 Dossier Violences carcérales : au carrefour des fausses routes Avec Antoinette Chauvenet (sociologue), David J. Cooke (psychologue), Eric Sniady (détenu), Jean-Philippe Mayol (directeur d’établissement pénitentiaire), Nick Hardwick (Inspecteur en chef des prisons pour l’Angleterre et le Pays-deGalles) 40 De facto – Passé à tabac, un détenu perd l’usage d’un œil – Quatre heures avant d’être emmené aux urgences pour un traumatisme crânien – Mise en examen de surveillants pour violences – Un détenu reste au QD pendant 110 jours pour se protéger de ses codétenus – Mineurs privés de promenade à l’air libre 44 Actu Un suicide annoncé (Maubeuge) 47 « Ils sont nous » – Nadir : « Au tribunal, je ne comprenais rien » – Sacha : « Ce sera l’œuvre d’une vie d’intégrer tout ce qui m’est arrivé » 54 En droit Droit à la confidentialité des conversations téléphoniques ; Le port des menottes et entraves sous le contrôle de la Cour européenne ; Responsabilité de l’Etat dans le suicide d’un détenu ; Calcul des périodes de sûreté 57 En Actes Les contrôles extérieurs des prisons au Canada et en France, entretien avec Sandra Lehalle 60 Hommages – Laure Baste Morand, une visiteuse de prison pas ordinaire – Christine Daure-Serfaty, un regard sans défaillance

DEDANS DEHORS publication trimestrielle de la section française de l’Observatoire international des prisons, association loi 1901, 7 bis, rue Riquet, 75019 Paris, Tél. : 01 44 52 87 90, Fax : 01 44 52 88 09, e-mail : contact@oip.org Internet : http://www.oip.org Directeur de la publication : Antoine Lazarus Rédaction en chef : Sarah Dindo, Barbara Liaras Rédaction : Anne Chereul Marie Crétenot Nicolas Ferran Samuel Gautier Clara Grisot Amid Khallouf Cécile Marcel Delphine Payen-Fourment Transcriptions : Amélie de Colnet Clémentine Horaist Mireille Jaeglé Anna Komodromou Secrétariat de rédaction : Marianne Bliman Elsa Dujourdy Marie Giraud-Rouabah Julie Namyas Identité graphique : MG., L.D. < dlaranjeira@caramail.com > Maquette : Claude Cardot/Vélo © Photos, remerciements à : Bruno Amsellem, CGLPL, Bertrand Desprez, Mélanie Desriaux, Sébastien Erome, Flore Giraud, Grégoire Korganow, Bernard Le Bars, Michel Le Moine, Thierry Pasquet Et aux agences : SIGNATURES, VU. Impression : Imprimerie Expressions 2-GP, 10 bis, rue Bisson, 75020 Paris Tél. : 01 43 58 26 26 ISSN : 1276-6038 Diffusion sur abonnement au prix annuel de 30 € Photographie couverture : Michel Le Moine


ACTU

Conseil de l’Europe : nouvelle invitation à la décroissance carcérale A l’occasion de la publication de ses statistiques pénales annuelles (SPACE I et II), le Conseil de l’Europe alerte sur le fléau de la surpopulation carcérale, qui affecte 21 Etats, dont la France. Il exhorte les instances judiciaires à recourir le plus possible aux mesures alternatives, en remplacement de courtes peines de prison et de détentions provisoires.

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EAUCOUP DE PAYS N’INTRODUISENT PAS SUFFISAMMENT

de peines alternatives à l’emprisonnement », déplore le Conseil de l’Europe, incitant à les « utiliser le plus possible ». Dans un communiqué du 29 avril 2014 accompagnant la publication des statistiques pénales annuelles1, le Conseil regrette également le recours marginal aux mesures de substitution à la détention provisoire : « Seuls 7 % des accusés en attente de jugement sont placés sous la supervision des services de probation ». En France, le taux plafonne à 2,2 %. Afin de « s’attaquer avec détermination au problème de la surpopulation carcérale et d’accroître les chances de réinsertion des délinquants », le Comité des ministres invite les gouvernements à développer les mesures alternatives à l’emprisonnement, telles que la probation, les travaux d’intérêt général ou l’assignation à résidence. Il relève certes une « augmentation significative » du nombre de personnes sous probation (13,6 % de plus entre 2011 et 2012, et 29,6 % de plus depuis 2010), mais sans que le recours à l’incarcération ne diminue d’autant, dans un contexte de sévérité accrue des politiques et pratiques pénales.

Courtes peines de prison en cause En ligne de mire, les pratiques des « instances judiciaires [qui] prononcent souvent des peines de prison très courtes » : en moyenne 20 % des détenus purgent des peines de moins d’un an. Avec 36,5 % de détenus condamnés dans cette tranche, la France se place bien au-dessus de la moyenne, en 5e position des pays où ce pourcentage est le plus élevé. Le Conseil relève à cet égard que le vol (20 %) et le trafic de stupéfiants (17 %) « demeurent les délits les plus courants pour 1 Données au 1er septembre 2012 portant sur 47 des 52 administrations pénitentiaires que comptent les 47 Etats membres du CE. Le RoyaumeUni compte trois administrations distinctes (Angleterre et Pays-de-Galle, Irlande du Nord, Ecosse), l’Espagne deux (Catalogne et fédérale), la Bosnieet-Herzégovine deux (Bosnie-Herzégovine et République serbe de Bosnie).

lesquels des détenus ont été condamnés à une peine d’emprisonnement » en Europe. C’est ainsi que la privation de liberté reste loin de figurer comme « dernier recours, […] prévue […] lorsque la gravité de l’infraction rendrait toute autre sanction ou mesure manifestement inadaptée », comme le demande le Conseil de l’Europe depuis 1999.

Taux d’incarcération en hausse Avec 117 détenus pour 100 000 habitants, la France figure parmi les 35 pays considérés par le Conseil de l’Europe comme ayant un taux d’incarcération élevé (supérieur à 100). Elle fait partie des neuf Etats dont le taux a augmenté de plus de 5 % entre les 1er septembre 2011 et 2012, accentuant une tendance générale : le taux médian d’incarcération pour les Etats membres marque une hausse de 2,7 %, pour atteindre 125,6 détenus pour 100 000 habitants [il y a autant de pays avec une valeur inférieure que de pays avec une valeur supérieure]. La France est aussi mal placée concernant la surpopulation carcérale, qui reste « un problème grave dans 21 administrations pénitentiaires en Europe ». Un taux moyen de 117 détenus pour 100 places (contre 113,4 l’année précédente) inscrit l’Hexagone entre le Portugal (112,7) et la Roumanie (118,9). Les prisons françaises sont plus surpeuplées que celles du Montenegro, de l’Albanie ou de l’Arménie… Seuls sept pays connaissent une situation pire encore, l’Italie et la Serbie ayant les taux les plus élevés (145,4 et 159,3 %). Pour parfaire son argumentation en faveur d’une décroissance carcérale, le Conseil de l’Europe rappelle enfin le coût de l’emprisonnement, avec un montant journalier moyen de 103 euros par personne détenue, et de 96 euros en France. Les 42 administrations pénitentiaires européennes ayant répondu sur ce point ont consacré, en 2011, plus de 16 milliards d’euros aux prisons. Barbara Liaras Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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Surveillance permanente et contrainte maximale « Mouvement d’une personne détenue jugée dangereuse » (CGLPL)

Dans une note de novembre 2013, la direction de l’administration pénitentiaire précise les modalités de « prise en charge des détenus particulièrement signalés ». Un régime coercitif d’exception, qui viole les engagements de la France en matière de droits de l’homme.

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« À LA CRIMINALITÉ ORGANISÉE OU AUX MOU-

vances terroristes », ils sont signalés « pour une évasion réussie ou un commencement d’exécution d’une évasion », qui peut avoir eu lieu de nombreuses années auparavant ou ils sont « susceptibles d’actes de grande violence », là encore sans qu’une évolution ne soit nécessairement prise en compte 1. Ils figurent au répertoire des « détenus particulièrement signalés » (DPS) et seraient environ 300. Une note de la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) du 8 novembre 2013, non publiée, précise le régime qui leur est applicable. Axé sur une surveillance permanente et l’application automatique de mesures de contraintes élevées.

Une insulte aux RPE Les « mesures spéciales de haute sécurité ou de sûreté […] doivent être appliquées à des individus et non à des groupes de détenus », indiquent les Règles pénitentiaires européennes2, 1 Circulaire du 15 octobre 2012 2 Règle 53-6, Recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les Règles pénitentiaires européennes Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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adoptées par la France et dont l’administration pénitentiaire a fait sa feuille de route depuis 2006. La note DAP de novembre dernier prévoit à l’inverse qu’« un DPS est automatiquement placé sous surveillance spécifique renforcée ». Ce régime implique un « contrôle œilleton […] réalisé à chaque ronde » de nuit, au cours duquel « l’agent rondier a pour mission de […] veiller à ce que le barreaudage soit visible et s’assurer de son intégrité ». Soit un réveil toutes les deux heures pour certaines personnes, en raison du bruit occasionné par l’œilleton et de l’allumage de la lumière. Tombée dans l’oreille d’un sourd, la demande du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT), en 2012, « de revoir les modalités de la surveillance nocturne des DPS. En particulier, l’éclairage des cellules ne devrait être allumé, la nuit, qu’en cas de nécessité avérée. 3 » Idem pour celle formulée par l’OIP, dans un communiqué du 13 février 2014 : que soit formellement proscrit tout réveil nocturne, la privation de sommeil pouvant s’apparenter à un traitement cruel, inhumain et dégradant, selon une 3 CPT, Rapport au gouvernement de la République française relatif à la visite du 28 novembre au 10 décembre 2010


ACTU jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

Secret médical aux oubliettes

© Grégoire Korganow pour le CGLPL

Toutes les consultations médicales des DPS en milieu hospitalier doivent se dérouler « sous la surveillance constante du personnel pénitentiaire avec moyen de contrainte » (menottes et/ ou entraves), ajoute la note de la DAP. En 2004, le CPT avait pourtant demandé aux autorités françaises d’« amender » la réglementation en vigueur, « considérant que tous les examens/ consultations/soins médicaux de détenus doivent toujours s’effectuer hors de l’écoute et – sauf demande contraire du médecin concerné dans un cas particulier – hors de la vue du personnel d’escorte » 4. Pour la CEDH, le recours aux moyens de contrainte devrait être exceptionnel, apprécié au cas par cas, et non appliqué de façon générique à une catégorie de détenus 5. La DAP exige en outre que les moyens de contrainte soient « renforcés » lors des trajets, notamment par « l’utilisation de la ceinture abdominale », à laquelle la note recommande d’associer une « chaîne de conduite » reliant le détenu à son escorte. Un dispositif « prohibé » par les Règles pénitentiaires européennes (règle 68-1). Lors d’une hospitalisation dans une Unité hospitalière sécurisée, « la présence de personnels des ERIS [équipes d’intervention, couramment appelées le GIGN pénitentiaire], armés, au sein de l’unité », peut également être décidée. Ils viennent renforcer les personnels de surveillance déjà affectés à ces structures.

La dignité si vite oubliée… Au quotidien, les agents pénitentiaires se doivent d’« observe(r) le DPS ». Au centre de l’attention, son « comportement […] avec le personnel et les partenaires, ses relations en détention (ex. : a-t-il une aura en détention ? Est-il repéré comme leader ?), [ses] liens avec l’extérieur, ses habitudes en détention… ». La vigilance est de mise, par exemple, lorsqu’« un DPS [est] habillé chaudement, alors que les conditions météorologiques ne le nécessitent pas ». Les cellules font l’objet d’un « contrôle quotidien », d’une fouille « a minima une fois par mois » et de « fouilles approfondies » régulières. Les familles des DPS ne sont pas épargnées : « une attention doit être portée sur [leurs] relations avec les autres familles mais également sur leur comportement avec les agents ». Au parloir, « une surveillance visuelle peut être exercée en continu » et « le contrôle de la correspondance écrite et téléphonique peut être amplifié ». De leur côté, les RPE affirment que « le bon ordre dans la prison doit être maintenu en prenant en compte les impératifs de sécurité, de sûreté et de discipline, tout en assurant aux détenus des conditions de vie qui respectent la dignité humaine » (règle 49). La DAP semble omettre la seconde partie de la phrase.

Contrôles nocturnes sur DPS censurés par le tribunal administratif Un juge des référés ordonne la suspension immédiate du régime de surveillance nocturne imposé à un détenu particulièrement signalé (DPS). L’ordonnance du tribunal administratif (TA) de Limoges date du 18 avril 2014 : elle vise à protéger M. D. d’une « atteinte suffisamment grave et immédiate à [son] état de santé et à sa situation financière » due aux contrôles nocturnes. Incarcéré depuis juin 2013 à la maison centrale de Saint-Maur, M. D. subissait « l’ouverture de l’œilleton de sa cellule et l’allumage de la lumière, deux fois dans la nuit », à des horaires aléatoires une à deux nuits par semaine. Dénonçant la fatigue physique et nerveuse générée par ces contrôles, il a saisi le tribunal administratif d’un référé-suspension, avec le soutien de l’OIP. Relevant le lien établi par la littérature médicale entre le manque de sommeil et les problèmes d’hypertension, dont souffre M. D., le juge souligne le « caractère quasi-concomitant de la mise en œuvre du régime de détention contesté et des troubles de santé dont le requérant fait état ». L’ordonnance ajoute que les pics de tension qui affectent M. D. sont à l’origine de plusieurs arrêts de travail, le privant d’une partie des faibles revenus tirés de son emploi au service général de la prison. Le juge retient aussi que la nécessité des contrôles de nuit imposés à M. D. n’est pas démontrée, sur le plan de la sécurité et de l’ordre public. L’administration met en avant le « profil pénal du détenu », son inscription sur le registre des DPS depuis 18 ans, ainsi que des « incidents survenus pendant sa détention entre 2005 et 2010 ». Des événements anciens et n’attestant pas d’un risque d’évasion, relève le juge. L’administration n’avait d’ailleurs jamais jugé nécessaire de soumettre M. D. à un régime de surveillance nocturne avant 2013. « En l’absence de faits ou éléments plus récents concernant, notamment, un risque d’évasion », estime le tribunal, « les impératifs de sécurité et d’ordre public ne peuvent être regardés comme faisant en l’espèce obstacle [à la suspension des contrôles nocturnes] ». Le TA de Limoges n’était pas appelé à se prononcer sur la note DAP du 8 novembre 2013, établissant un lien automatique entre statut DPS et surveillance nocturne renforcée sans qu’aucun texte de valeur supérieure ne le prévoie. La décision du tribunal est sans équivoque : le seul statut de DPS « n’implique pas nécessairement un régime de surveillance nocturne tel que celui qui est appliqué ». L’administration ne s’y est pas trompée, et a formé un pourvoi devant le Conseil d’Etat. TA Limoges, 18 avril 2014, n°1400678

Barbara Liaras 4 CPT, Rapport relatif à la visite effectuée dans le département de la Réunion du 13 au 20 décembre 2004 5 Par exemple Radkov et Sabev c/ Bulgarie, 27 mai 2014 Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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Maison d’arrêt de Basse-Terre (Guadeloupe)

Les Anglais refusent d’extrader dans le pays des droits de l’homme Camouflet pour la France : la justice anglaise a refusé le 1er mai l’extradition d’un citoyen dominicain demandée par les autorités françaises. Motif : les conditions de détention dans les départements de Guadeloupe et de Martinique, où il aurait été incarcéré, ne sont pas suffisamment respectueuses des droits de l’homme.

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E REJETTE CETTE DEMANDE, FORCE ÉTANT DE CONSTATER QUE

je ne peux avoir la garantie que les droits de l’homme seront respectés, en particulier l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme en ce qui concerne les conditions de détention inhumaines et dégradantes en Guadeloupe et en Martinique ». Ainsi conclut le juge Purdy, de la Cour de Westminster, qui devait statuer sur la demande des autorités françaises que leur soit remis Richard Kurtis, un citoyen dominicain soupçonné de trafic de drogue et d’armes à feu avec la Guadeloupe. La France, qui avait mis en place un large plan de surveillance policière autour du suspect, avait saisi l’occasion de sa visite à Londres pour demander son arrestation et son extradition afin qu’il puisse être jugé en Guadeloupe.

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L’examen de cette demande n’aurait dû être qu’une formalité. La France avait émis à l’encontre de M. Kurtis un mandat d’arrêt européen, procédure qui, au nom de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires entre pays de l’Union européenne (UE), prévoit que l’extradition soit quasi automatique. Bien que les motifs de non-exécution d’un mandat d’arrêt européen soient extrêmement limités 1, la décision-cadre du conseil de l’UE qui l’institue rappelle que « nul ne devrait être éloigné, expulsé ou extradé vers un Etat où il existe un risque sérieux qu’il soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants ».

L’effet boule de neige de la jurisprudence administrative française Le juge Purdy a justifié sa décision en s’appuyant sur la jurisprudence française, la Cour administrative d’appel de Bordeaux ayant condamné à dix reprises l’Etat français à indemniser des personnes pour leurs conditions de détention inhumaines en Guadeloupe. M. M., par exemple, avait saisi la justice pour protester contre les conditions de son incarcération 1 Voir notamment Myriam Benlolo Carabot, « Mandat d’arrêt européen : la protection des droits fondamentaux subordonnée aux exigences de la primauté du droit de l’Union européenne », in Lettre « Actualités Droitslibertés » du CREDOF, 22 mars 2013.


au centre pénitentiaire de Baie-Mahault en 2012 : il dénonçait la sur-occupation des cellules, l’absence de séparation entre prévenus et condamnés, la vétusté des infrastructures, la présence d’animaux nuisibles, la proximité des sanitaires avec les lieux de vie et de prise de repas, l’absence de cloisonnement des w-c, l’insécurité et la violence générées par les conditions de détention. Dans cette affaire, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a convenu le 15 février 2013 que « la conception et l’insalubrité de ces locaux, aggravées par la promiscuité résultant de leur sur-occupation, suffisent à caractériser la méconnaissance par l’administration pénitentiaire des stipulations de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales 2 […] et à révéler une atteinte à la dignité humaine ». © CGLPL

© CGLPL

ACTU

Parmi les autres éléments examinés par le juge anglais, figurait un rapport de visite du Contrôleur général des lieux de privation de liberté à la prison de Ducos (Martinique), en novembre 2009. Dans ses conclusions, le Contrôleur observe notamment que « le taux d’occupation des parties réservées aux hommes, de 208 % lors de la visite, entraîne une promiscuité inacceptable et des conditions de vie unanimement dénoncées 3 ».

La France refuse la demande d’expertise de la justice anglaise En l’absence de rapport officiel plus récent et afin de pouvoir apprécier par elle-même la compatibilité de l’extradition demandée avec le respect des droits de l’homme, la justice anglaise avait sollicité l’autorisation d’effectuer une inspection indépendante des prisons de Guadeloupe ou de Martinique. Elle avait également interrogé les autorités françaises sur les réponses qu’elles pouvaient apporter face à la répétition des condamnations par la Cour d’appel de Bordeaux. Après de long mois de silence et de multiples relances, les autorités françaises ont refusé la demande d’expertise externe et n’ont apporté aucune réponse sur la jurisprudence bordelaise. Vraisemblablement agacé par l’absence de collaboration de la France – qui a entraîné le maintien en détention de Richard Kurtis en Angleterre bien au-delà des délais prévus – le juge Purdy a considéré que la jurisprudence française concluant à la violation de l’article 3 « en des termes forts », il ne pouvait lui-même tirer d’autres conclusions. Cécile Marcel 2 L’article 3 de la CEDH interdit la torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. 3 Voir aussi « Ducos : la poudrière martiniquaise », in Dedans Dehors n°80, juin 2013.

Maison d’arrêt de Basse-Terre (Guadeloupe), cellule collective

Basse-Terre : le contrôleur dénonce une prison « d’un autre temps » Une situation de surpopulation jugée « inadmissible » et qui « porte gravement atteinte aux droits de la personne ». C’est en ces termes que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté alerte sur les conditions de détention à la maison d’arrêt de Basse-Terre, en Guadeloupe, dans un rapport publié le 9 mai 2014 à la suite d’une visite de novembre 2010. Il décrit des cellules de moins de 7 m2 recevant deux personnes, d’autres de moins de 14 m2 en hébergeant quatre, et une cellule de 35 m2 en abritant dix. Il pointe des problèmes d’hygiène : « les poubelles, pleines et malodorantes, sont alignées au pied des fenêtres donnant dans les cellules et attirent rats, cafards et insectes volants ». Et regrette le manque d’activités, tout comme l’étroitesse des espaces collectifs : « la cour réservée aux occupants du bâtiment C est à peine plus large qu’un couloir, bétonnée, sans abri ». Le Contrôleur déplore par ailleurs les conditions de visite au parloir, qui « ne permet pas d’accueillir les visiteurs dans des conditions décentes », ou la limitation des conversations téléphoniques à dix minutes par jour, « pas acceptable au regard de l’importance du maintien des liens familiaux ». Il conclut que « cette prison est d’un autre temps. Les personnes détenues y sont entassées dans des dortoirs avec des conditions de détention dégradantes et inhumaines. » Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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CONTRÔLEUR GÉNÉRAL DES LIEUX DE PRIVATION DE LIBERTÉ

Assurer progressivement le droit à l’encellulement individuel sociaux en prison ». Le premier axe s’inscrit dans une politique de réduction du recours à l’emprisonnement, en agissant « à la fois sur les flux d’entrée, par diminution, et sur les flux de sortie, par augmentation ». De telles orientations relèvent d’une politique pénale réductionniste : diminution de l’échelle des peines, renforcement des alternatives à la prison, développement des aménagements de peine… « Quelques initiatives locales arrêtées par l’autorité judiciaire, en accord avec les directions d’établissement » permettent également d’y contribuer. En particulier, « la prise en considération des places disponibles » (pouvant conduire à différer la mise a exécution d’une peine) et « une politique active d’aménagement des peines ». Le deuxième axe vise à assurer « la protection des personnes menacées » au sein de la détention, en les regroupant au sein de « quartiers destinés à les abriter ». « Une affectation dans de tels quartiers peut aider beaucoup à supporter un encellulement à deux dès lors qu’il ne se traduit pas par des menaces ou des violences », estime le Contrôleur. Troisième axe, « certaines catégories de personnes détenues doivent avoir l’assurance d’être affectées dès à présent

selon le principe de l’encellulement individuel ». A commencer par celles « dont la situation particulière tenant notamment à l’âge, aux conditions de santé, à de sérieuses difficultés de communication, exige une attention accrue au respect de leur droit à une vie privée ». De telles règles d’affectation devraient permettre d’éviter aux « personnes qui demandent à être protégées des autres » un placement au quartier d’isolement (QI). Enfin, pour les détenus qui « sans ambiguïté ni pression, choisissent librement d’accomplir leur détention dans une cellule partagée (trois au plus) », celle-ci devrait impérativement être adaptée, tant en surface – « 12 à 14 m2 pour deux, 15 à 19 m2 pour trois » – qu’en mobilier. L’administration devrait alors « s’efforcer d’affecter un codétenu que la personne aura agréé ». C’est à une mise en œuvre progressive de l’encellulement individuel qu’invite ainsi JeanMarie Delarue. Il demande que le Gouvernement en rende compte chaque année devant le Parlement. Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Avis relatif à l’encellulement individuel dans les établissements pénitentiaires, 24 mars 2014

© Michel Le Moine

Jean-Marie Delarue ne voulait pas finir son mandat sans rappeler la promesse du législateur de 2009 de garantir l’encellulement individuel dans les prisons françaises pour 2014. Dans un avis du 24 mars, il rappelle ce que tout le monde sait sans le dire : l’échéance du 25 novembre 2014 ne sera pas tenue. Un renoncement devenu presque banal : « à trois reprise en quatorze ans », le législateur s’est octroyé « un nouveau délai avant la mise en œuvre d’un régime “normal’’ d’encellulement individuel » déplore le Contrôleur. Qui voit poindre un délai supplémentaire. En effet, le taux d’occupation moyen de 137,5 % dans les maisons d’arrêt rend l’application de la loi parfaitement « illusoire ». « En dépit d’un programme de construction de prisons permettant d’accroître le nombre de places disponibles ». Pour interpeller ceux qui se prépareraient à un simple nouveau report, le Contrôleur propose un plan intermédiaire, visant à « desserrer l’étreinte de la surpopulation carcérale ». Objectif : « Offrir, à chaque personne incarcérée, un espace où elle se trouve protégée d’autrui et où elle peut donc ainsi préserver son intimité et se soustraire, dans cette surface, aux violences et aux menaces des rapports

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de facto Unités de vie familiale : des « ambitions » mais pas d’ouvertures Des unités de vie familiale (UVF) installées dans une soixantaine d’établissements d’ici 2 014 ? Il ne reste que quelque mois pour concrétiser l’engagement pris par la garde des Sceaux devant les sénateurs le 25 avril 2013. Seuls 22 établissements sur 191 disposaient alors de ces studios permettant à des détenus de rencontrer leurs proches dans l’intimité, pour des durées pouvant aller jusqu’à 72 heures. Aucune UVF n’a été ouverte depuis. Dans une réponse au député Michel Pouzol, publiée au Journal officiel le 18 mars 2014, Christiane Taubira fait valoir « la construction engagée de

140 unités de vie familiale (UVF) pour 41 établissements en 2013 et 2014 », un site pouvant compter plusieurs studios. Ni l’état d’avancement des projets, ni le calendrier d’ouverture ne sont précisés. Le même flou entoure les projets à plus longue échéance : « Au terme de trois phases successives, 133 établissements seront équipés », ajoute la ministre. « La première vague concerne tous les établissements pour peine : 34 établissements, 119 UVF » ; viendront ensuite « les maisons d’arrêt de plus de 150 places : 39 établissements, 124 UVF » ; puis « au moins 38 » petites maisons d’arrêt. Une « liste qui

pourra évoluer positivement en fonction des capacités budgétaires et de la configuration immobilière des dernières maisons d’arrêt à équiper ». Cette éventualité fait figure de vœu pieu, les crédits alloués à la construction d’unités de vie familiale (UVF) ou de parloirs familiaux diminuant d’ores-et-déjà de 10,4 % dans le budget 2014 par rapport à 2013 (de 34,6 à 31 millions d’euros). OIP

CONDÉSURSARTHE

Recours pour prise en charge des frais de déplacement aux parloirs Axel n’a plus de parloirs depuis près d’un an. Depuis qu’il a été transféré à Condé-sur-Sarthe à 440 km du domicile de sa compagne et de leur fille, les déplacements sont trop onéreux et contre-indiqués pour sa femme malade. Le 26 juin, ils ont déposé un recours d’un nouveau genre devant le tribunal administratif de Caen, demandant la prise en charge par l’administration pénitentiaire des frais de visite. Pour venir de Maubeuge jusqu’à la prison, Jasmine doit prendre trois trains différents. Un trajet de plus de sept heures. Or, elle souffre de la maladie de Crohn et les frais de transport et d’hébergement atteignent un minimum de 220 euros par visite, alors que Jasmine ne perçoit qu’une indemnité de chômage d’environ 600 euros par mois. Tous deux sont en couple depuis mars 2012. Quand Axel était au quartier maison centrale d’Annœullin, ils bénéficiaient de parloirs et de visites régulières en Unités de vie familiale. Leur fille naît en février 2014. Entre temps, Axel a été transféré, le 17 juillet 2013, d’abord à Fleury-Mérogis, puis au centre pénitentiaire de Condé-surSarthe. Depuis, Axel n’a pu retrouver sa

compagne et leur nouveau-né qu’une seule fois, durant une heure à l’hôpital, à l’occasion d’une sortie sous escorte accordée le 27 février 2014. Dès son arrivée à Condé-sur-Sarthe, il a demandé en vain son transfert vers un établissement proche du domicile de Jasmine. Le 8 novembre, Axel a refusé de sortir d’une salle d’activité pour être placé au quartier disciplinaire où il est volontairement resté plus d’un mois, dans l’espoir d’être transféré. Sans résultat. « Je n’ai qu’une seule demande, c’est de maintenir le lien familial. Pour préparer ma réinsertion, c’est la chose la plus essentielle », écrit-il en décembre 2013. La règle pénitentiaire européenne n° 17-1 dispose que « les détenus doivent être répartis autant que possible dans des prisons situées près de leur foyer ou de leur centre de réinsertion sociale ». Pour la Cour européenne des droits de l’homme, l’Etat doit « aider le détenu à maintenir un contact avec sa famille proche » (Messina c. Italie, n° 25498/94). Des pays comme l’Angleterre ont ainsi mis en place une aide financière pour les familles de détenus manquant de ressources, afin

de prendre en charge une partie de leurs frais pour les visites. Le 14 mai, Axel a adressé une telle demande à la direction de l’établissement. Elle a opposé une fin de non recevoir affirmant qu’« il n’est pas prévu que l’établissement finance les déplacements de votre famille afin que celle-ci vous rende visite ». Ses avocats viennent de contester cette décision devant le tribunal administratif de Caen. OIP, coordination Nord

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FRESNES

Développer l’aménagement des courtes peines « Les sorties sèches [sans aménagement de peine, ndlr] concernent 98 % des personnes condamnées à une peine de moins de six mois » (ministère de la Justice, étude d’impact de la réforme pénale). Manque de temps pour préparer un projet d’insertion, manque de motivation des détenus pour un suivi en milieu ouvert contre quelques mois ou semaines de prison en moins… Des juges de l’application des peines (JAP) de Créteil se sont attaqués au problème et dressent le bilan de leur action dans un rapport de mars 2014. Ils ont mis en place une « procédure spécifique » au quartier arrivants du centre pénitentiaire de Fresnes, qui rend « possible […] l’aménagement des courtes peines de prison ». Une équipe de conseillers d’insertion et de probation identifie les

dossiers des personnes concernées dès leur arrivée et le JAP recourt en priorité à « une procédure d’aménagement de peine sans débat contradictoire », ce qui permet de raccourcir considérablement les délais. De sorte que « 73,07 % des demandes d’aménagement des peines […] examinées au cours de la période d’avril à juin 2013 au stade du quartier arrivants ont concerné des détenus ayant à effectuer une période de détention inférieure à six mois ». Cette intervention « permet essentiellement de préserver des situations qui, sur le plan professionnel, familial ou de l’hébergement, [sont] préexistantes à l’incarcération » souligne le rapport. Autrement dit, l’aménagement rapide de la peine évite aux personnes de perdre leur emploi, leur logement, leurs liens

familiaux… En revanche, « lorsque la personne incarcérée [est] très carencée », cette organisation spécifique ne permet pas la constitution d’un projet d’insertion : « les temps d’intervention nécessaires aux partenaires de droit commun en matière d’hébergement, de soins, d’accès à la formation ou à l’emploi, sont apparus comme autant d’obstacles incontournables à la préparation à la sortie », déplorent les magistrats. De sorte que les détenus les plus fragilisés, « cumulant plusieurs handicaps, sortent sans aménagement et sans transition adaptée avec l’extérieur ». Autrement dit, dans les conditions favorisant le plus la récidive. L’impact des courtes périodes de détention sur la mise en œuvre des aménagements de peine, TGI de Créteil, mars 2014

COMMISSION DE SUIVI DE LA DÉTENTION PROVISOIRE

Les alternatives sous-utilisées Avec plus de 21 % de prévenus parmi les personnes écrouées, « la situation française en matière de détention provisoire » est généralement considérée « comme acceptable ». Il est vrai que la proportion était d’environ 44 % en 1980 et 51 % en 1984. La Commission de suivi de la détention provisoire (CSDP), qui reprend la publication de son rapport annuel après une interruption de sept ans, appelle à ne pas en tirer de « déduction fragile ». La baisse de la proportion de prévenus parmi les détenus « se poursuit uniquement parce que le nombre de condamnés continue de croître de façon préoccupante ». En valeur absolue, il n’y a pas de baisse du nombre de prévenus incarcérés : ils sont 16 622 au 1er janvier 2014, soit le même niveau qu’en 1980 (16 307 prévenus écroués), « période pendant laquelle la détention provisoire était perçue comme étant le principal facteur d’inflation carcérale ». Entre ces deux dates, le nombre de prévenus

avait culminé à 23 076 en 1995. Et « le retour à la situation du début des années 1980 n’est pas un motif suffisant pour renoncer aujourd’hui à se préoccuper de la détention avant jugement définitif ». D’autant que l’« état de sur-occupation des maisons d’arrêt », où ils sont incarcérés, s’avère « bien plus préoccupant qu’au début des années 2000 » : de 114 % au 1er janvier 2000, leur taux d’occupation moyen a atteint 138 % au 1er juin 2014. Les alternatives à la détention provisoire, permettant d’exercer un contrôle, voire un suivi en milieu ouvert avant le procès, s’avèrent peu ou mal utilisés. Les juridictions ont eu recours au contrôle judiciaire en remplacement de la liberté provisoire sans contrôle, plutôt que pour éviter des détentions avant jugement : « En 1999, environ 61 % des mis en examen étaient placés sous contrôle judiciaire (21 %) ou en détention provisoire (40 %). Dix ans plus tard, en 2009,

c’est le cas de 89 % d’entre eux, avec presque la même proportion de détention provisoire (41 %) et au moins deux fois plus de contrôle judiciaire (48 %). » Pour la commission, « cette évolution ne va pas tout à fait dans le sens de l’évolution législative pendant cette période qui recommande de privilégier la liberté simple ». L’assignation à résidence avec surveillance électronique (ARSE), introduite par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 comme alternative à la détention provisoire, ne connaît pour sa part qu’« un développement très limité ». « Au 1er janvier, étaient suivies sous ARSE 130 personnes en 2011, 186 en 2012 et 227 en 2013. » En cause, « une mise en œuvre trop “lourde’’ et “complexe’’ par rapport au mandat de dépôt ». Commission de suivi de la détention provisoire, Rapport annuel, mars 2014

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de facto


de facto CONTRÔLEUR GÉNÉRAL DES LIEUX DE PRIVATION DE LIBERTÉ

Assurer l’égalité de traitement pour les détenus étrangers 18,5 % des personnes écrouées au 1er janvier 2014 étaient de nationalité étrangère. Nombre d’entre elles se trouvent exposées à « des différences de traitement » contre lesquelles le Contrôleur appelle à prendre « des mesures particulières, à fin d’assurer la mise en œuvre du principe d’égalité en prison et corollairement d’éviter des conditions d’incarcération inhumaines ou dégradantes ». Certains « n’entendent rien de la langue française, pas plus qu’aux procédures qui leurs sont appliquées », ce qui accroît leur « vulnérabilité » déjà « propre à la personne détenue ». Et elles restent dans l’ignorance de leurs « droits et devoirs en détention ». Les documents d’information existants en langue étrangère ne sont pas toujours diffusés : « un lexique en dix-neuf langues élaboré par l’association des visiteurs de prison » reste ainsi dans les placards de deux prisons visitées par le Contrôle. Et un guide en espagnol « est stocké sans usage dans les locaux du service pénitentiaire d’insertion et de probation » d’une maison d’arrêt de la région parisienne. Le recours à un interprète, prévu par

les textes, reste « insuffisant », y compris lors de moments « cruciaux » tels que l’arrivée dans l’établissement, les procédures disciplinaires ou la prise en charge sanitaire. Pour la Direction interrégionale de Paris par exemple, un budget de « treize mille euros seulement » en 2013 y est consacré pour l’ensemble des personnes suivies, en milieu ouvert et fermé. Les contrôleurs ont ainsi rencontré « un étranger auquel un poumon a été retiré sans qu’il ait pu donner son accord ni même en savoir le motif ». Les détenus ne maîtrisant pas le français se trouvent aussi dans « l’incapacité de faire connaître leurs demandes », notamment en matière d’aménagement des peines. « Comme ce Turc âgé, “permissionnable’’ et “conditionnable’’, parfaitement oublié dans une maison centrale. » Le Contrôleur enjoint l’administration de veiller à renforcer l’accès aux cours d’apprentissage de la langue française « aux personnes qui en ont le plus grand besoin ». Il pointe des horaires inadaptés, empiétant sur le temps de travail, et des méthodes pédagogiques parfois inadéquates.

Il plaide aussi pour la mise en œuvre de « solutions adaptées » pour favoriser les liens de ces personnes particulièrement isolées avec leurs proches. Par exemple « l’accès (contrôlé) aux téléphones portables et au réseau internet » permettant des conversations par Skype, et la modulation des heures d’accès aux téléphones afin de tenir compte du décalage horaire pour certaines familles résidant à l’étranger. Celles-ci devraient aussi bénéficier de « facilités particulières » pour la réservation et la durée des parloirs. Enfin, des adaptations devraient être apportées dans l’application aux détenus des textes relatifs au séjour et au droit d’asile. Faute de titre de séjour, ils ne peuvent pas prétendre à une semi-liberté ou une libération conditionnelle, de sorte que « l’aménagement des peines revêt clairement, toutes choses égales par ailleurs, un caractère fréquemment discriminatoire à l’encontre des étrangers ». Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Avis relatif à la situation des personnes étrangères détenues, 9 mai 2014

© Michel Le Moine

Bracelet électronique, centre pénitentiaire de Longuenesse

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© Flore Giraud

UHSA Simone Veil, Lyon

UHSA de Lyon : la psychiatrie sans urgences Quatre ans après son ouverture, focus sur l’Unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) de Lyon. Destinée aux personnes détenues atteintes de pathologies psychiatriques lourdes ou en crise, l’unité ne répond pas à l’ensemble des besoins d’accueil (en particulier les urgences), mais assure une qualité de prise en charge supérieure à celle réservée aux détenus en psychiatrie ordinaire.

O

est la première issue d’un plan de construction qui en prévoyait dix-huit sur le territoire. Aujourd’hui, sept UHSA fonctionnent et le ministère de la Justice annonce l’ouverture de huit autres à partir de 2015. Situées au sein d’un hôpital psychiatrique, les UHSA sont des structures de soins hybrides entre prison et hôpital, l’administration pénitentiaire restant chargée de la sécurité extérieure des locaux et d’intervenir en cas d’incident. La plupart des règles régissant la vie en détention s’y appliquent, auxquelles s’ajoutent celles de l’hôpital, telle l’interdiction de fumer à l’intérieur.

hospitalisation de jour comme de nuit. Les UHSA ont aussi été créées pour palier aux déficiences du secteur hospitalier dans la prise en charge des personnes détenues : outre le manque de lits et les hospitalisations écourtées, les patients y sont, comme le relève le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT), « presque systématiquement mis en chambre d’isolement pendant toute la durée de leur hospitalisation, généralement sous contention complète pendant les premières 48 heures, voire pendant tout leur séjour ». Une mesure dictée « par des considérations de sécurité et non par leur état clinique » 1.

A la différence des Services médico-psychologiques régionaux (SMPR) implantés dans certaines prisons, ces unités peuvent admettre des patients sans leur consentement, ainsi qu’assurer un programme de soins et d’activités complet avec

1 Rapport relatif à la visite effectuée en France du 28 novembre au 10 décembre 2010 par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, 19 avril 2012.

UVERTE EN MAI 2010, L’UHSA

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SIMONE VEIL

DE LYON


ZOOM

Un recours excessif au personnel pénitentiaire

Des régimes… différenciés

Dans les UHSA, l’administration pénitentiaire assure la « sécurité périmétrique », à savoir le contrôle des entrées et sorties, les fouilles des locaux et des personnes, les transferts, l’ouverture électronique des portes d’accès aux unités ou aux cours de promenade… Les personnels pénitentiaires sont aussi chargés du parloir pour les visites des familles, des rencontres avec les aumôniers de prison, du courrier… comme dans un établissement pénitentiaire ordinaire. Ils ne peuvent intervenir au sein des unités de soins qu’à la demande du personnel soignant, équipé d’un système d’appel.

L’UHSA de Lyon est organisée en trois unités de vingt lits, ayant chacune un régime spécifique. L’unité C « d’accueil et de soins intensifs » est destinée à la gestion des crises et des « malades psychiatriques difficiles » et/ou ayant « des troubles importants du comportement » 2. Son régime est particulièrement contraignant : chambres d’isolement, contention, portes des cellules fermées et impossibilité de circuler sans personnel soignant… Dans l’unité B de « soins individualisés », destinée aux « épisodes aigus » ou aux « personnes nécessitant une protection », le régime de détention est quasiment le même. Ces deux unités, situées au premier étage, partagent une même cour de promenade au rez-de-chaussée, compliquant les mouvements. Elles disposent aussi d’une cour dite « exutoire » située sur les toits, de « conception relativement oppressante » selon le CPT. Un surveillant la décrit : d’environ « cinq mètres sur huit, quatre murs en béton, avec un grillage qui sert de plafond à une hauteur d’environ 3,50 m avec du concertina ». Un soignant ajoute : « Ça ressemble vraiment à une cour de quartier disciplinaire, on en n’est pas fiers ». A noter toutefois : « contrairement à une cour de QD, c’est propre, c’est un hôpital, on nettoie tous les jours ! »

© Flore Giraud

Or, après sa visite à l’UHSA de Lyon, fin 2010, le CPT faisait état de « démonstrations de force » de la part des surveillants pénitentiaires à l’occasion de leurs interventions en zone de soins. Le Comité soulignait aussi que le personnel de surveillance était fréquemment appelé pour des situations ne nécessitant pas son intervention. Les demandes de « prêt de main forte » sont en effet restées très élevées à l’UHSA jusqu’en 2012, avant de s’infléchir en 2013. Le CPT recommandait que les alertes soient « déclenchées de manière exceptionnelle » lorsque le personnel soignant « n’est pas en mesure de faire face à une situation à risque ». Or, un responsable explique aujourd’hui que « les soignants continuent de faire appel à l’AP dans des Dans l’unité A de « soins collectifs », située au rez-de-chaussituations où ils ne sont pas plus dépassés que d’habitude ». De sée, le régime de détention est plus souple : les patients l’avis d’un surveillant, « cinq fois sur six, c’est considéré comme peuvent circuler à certaines heures de la journée au sein de une fausse alerte ». Il précise que les interventions les plus fré- l’unité et du patio (cour de promenade), les portes des cellules quentes concernent des détenus ayant « récupéré du tabac, alors qu’ils n’ont pas de droit de fumer dans les chambres, et 2 Protocole de fonctionnement UHSA, Centre hospitalier Le Vinatier, anqui refusent de le rendre ». Autre cas de figure : les détenus planexe 6, 9 déc. 2010. cés en cellule d’isolement ont des systèmes de contention « toute la journée », sauf à certains cré- Le Comité européen pour la prévention de la torture critique la présence de barreaux aux fenêtres neaux « d’environ deux heures par jour ». Lorsque le personnel soignant veut remettre les moyens de contention, certains détenus « ne veulent pas », ce qui entraîne le recours aux surveillants. Des personnels pénitentiaires qui ne reçoivent aucune formation axée sur le relationnel en milieu psychiatrique : « nous nous basons sur la formation faite par les ERIS [Equipes régionales d’intervention et de sécurité] dans le cadre de la formation initiale, fondée principalement sur des techniques d’intervention ». Différence notable avec les établissements pénitentiaires, les surveillants de l’UHSA de Lyon sont armés : pistolet automatique 9 mm à la ceinture, bâton télescopique et menottes ! Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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© Flore Giraud

Différence avec les établissements pénitentiaires, les surveillants de l’UHSA sont armés

n’étant pas fermées en continu. L’unité A est destinée aux personnes présentant « des pathologies de longue évolution » et à la « préparation de la sortie (resocialisation/réhabilitation/ réintégration du milieu pénitentiaire) ». Si le fonctionnement des unités de l’UHSA s’est globalement assoupli, devenant « moins sectaire que sur le protocole » selon un soignant, cela n’a pas été le cas au sein de l’unité C, semble-t-il en raison d’un refus de l’administration pénitentiaire. Un responsable confie : « Je souhaite que ça fonctionne comme un hôpital, c’est-à-dire les portes ouvertes. C’est déjà beaucoup le cas à l’unité A, il faut un peu plus de temps pour les unités B et C ». En fonction du profil du patient-détenu, son affectation dans une unité ou une autre est décidée par un médecin de l’UHSA. Néanmoins, la plupart des arrivants sont dans un premier temps placés à l’unité C, au régime de détention le plus strict, avant éventuellement d’en changer. Un retour en unité C ou B reste également possible à tout moment. En 2013, la durée moyenne de séjour dans les deux unités les plus sécurisées était de 43 jours, et de 91,5 en unité A.

Un programme d’activités étoffé A l’issue de sa visite, le CPT faisait état de conditions de séjour « excellentes » dans les chambres, caractérisées par « l’espace », la « lumière » et l’« aération ». Chacune est dotée d’une salle de bains, d’un poste de télévision et d’un panneau mural personnalisable pour afficher des photos. Le CPT se montrait néanmoins critique sur la présence de barreaux aux fenêtres, s’interrogeant sur le message envoyé par ce dispositif. Il est rejoint par un soignant interviewé par l’OIP, qui estime que « c’est vraiment resté de la prison, ça ». Le catalogue de cantine Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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est pour sa part bien plus restreint qu’en détention : il est limité aux denrées non périssables, les patients ne disposant pas de réfrigérateur en cellule. Depuis l’ouverture de l’UHSA, le programme d’activités s’est étoffé, corrigeant les premiers constats du CPT. Ce dernier pointait des espaces « quasiment inutilisés » et une activité qui se limitait « le plus clair du temps à regarder la télévision ou converser pendant les horaires d’ouvertures des portes ». Depuis, l’Unité s’est dotée d’un panel d’activités plus conséquent, comportant notamment des ateliers cuisine, relaxation, vidéothèque, des groupes de parole, d’art-thérapie, d’ergothérapie, et des activités sportives, que pratiquent la majorité des patients. Deux demi-journées de sport sont prévues pour chaque unité en groupe ou en individuel. Elles s’effectuent sur le plateau sportif de 300 m2, comportant selon un surveillant « un terrain synthétique de dix mètres sur quatre, un panier de basket, une table de ping-pong… ». Certaines activités sont communes aux différentes unités et peuvent rassembler des femmes, hommes et personnes mineures, à la différence du principe de séparation en vigueur en établissement pénitentiaire. En 2013, l’UHSA a accueilli 88 % d’hommes, 10 % de femmes et 2 % de mineurs.

Défaillance dans l’accueil des urgences Initialement, l’UHSA avait été présentée comme « la solution miracle aux hospitalisations des détenus », rappelle une psychiatre intervenant dans une prison de la région. En réalité, l’UHSA de Lyon ne répond pas aux demandes d’hospitalisation d’urgence, alors qu’elle est en principe tenue


© Flore Giraud

ZOOM

L’UHSA de Lyon, sous la surveillance de l’administration pénitentiaire

de s’organiser pour les garantir « 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 3 ». La procédure d’admission s’avère trop lourde : avis médicaux, décisions administratives et temps de transport rendent les délais d’attente incompatibles avec une situation d’urgence. Entre la réception de « l’accord médico-administratif » et la date d’entrée effective, le délai d’attente moyen était de 11 jours en 2013, avec un pic s’élevant à 56 jours si la demande est effectuée au mois d’août. Du côté de l’UHSA, on estime qu’il y a là un malentendu. Pour ses responsables, il ne fait aucun doute qu’elle n’est pas « faite pour ça. On ne répond jamais aux urgences ». Le bilan d’activité 2013 de celle de Lyon affiche ainsi un taux d’hospitalisation en urgence de… 0 %. Un malentendu relevé il y a deux ans par un député dans une question au gouvernement, qui vient de lui donner une réponse. Alain Bocquet déplorait que cette pratique dérogatoire de renvoi des urgences par les UHSA aboutisse à ce que les « situations de crise les plus difficiles » continuent d’être prises en charge « avec de grandes difficultés » par la psychiatrie générale et les « situations les plus simples par un service adapté (UHSA) ». Et la garde des Sceaux de répondre que « les UHSA en service doivent pouvoir accueillir les hospitalisations programmées, tout comme les urgences », les centres hospitaliers ne venant qu’en « renfort des UHSA lorsque ces dernières se trouvent dans l’incapacité matérielle d’accueillir les personnes détenues » 4. Tel n’est pas le cas en Rhône-Alpes : en trois ans d’exercice, une psychiatre exerçant en établissement pénitentiaire explique n’avoir jamais pu faire entrer un patient en urgence à l’UHSA de Lyon et ce, malgré sa demande systématique. Une soignante en SMPR indique dans le même sens : « lorsque je demande une hospitalisation à l’UHSA, je suis quasiment sûre qu’il n’y aura pas de place avant trois semaines ». Or, pour nombre de soignants, l’intérêt de l’UHSA résidait principalement dans cette promesse de répondre aux urgences les 3 Circulaire du 18 mars 2011 sur le fonctionnement et l’ouverture des UHSA ; Protocole de fonctionnement UHSA, Centre hospitalier Le Vinatier, article 2.1, 9 déc. 2010. 4 Réponse du gouvernement à une question d’Alain Bocquet, député du Nord, Journal officiel, 24 juin 2014.

plus graves, pour lesquelles le SMPR n’était pas suffisant et pour compenser les insuffisances du milieu hospitalier. « Je ne vois pas l’intérêt d’une structure hospitalière où il n’y a pas d’urgence. Quand on demande une admission en UHSA, c’est en général qu’il y a un risque suicidaire, donc on ne va pas attendre qu’il y ait une place », déplore une psychiatre en maison d’arrêt. Les urgences continuent donc d’être adressées aux hôpitaux de proximité, où les patients détenus sont « plus enfermés qu’à la prison », déplore une infirmière psy.

Le pourquoi des UHSA reste en suspend Au-delà des urgences, le nombre de refus faute de places disponibles a doublé entre 2011 et 2013, passant de 40 à 80. L’UHSA de Lyon couvre en effet un territoire qui s’étend audelà de la direction interrégionale pénitentiaire, intégrant en partie celles de Dijon et de Strasbourg. Au total, 22 établissements pénitentiaires relèvent de son ressort. A cela s’ajoute un nombre d’admissions en baisse, dû à l’allongement des durées de séjours. Dès lors, 85 % des admissions proviennent des établissements les plus proches (ceux de la région RhôneAlpes). Les personnes détenues dans des prisons plus éloignées continuent d’être envoyées en hôpital de secteur, avec une prise en charge le plus souvent inadaptée et des allersretours répétés entre prison et hôpital. Certaines se retrouvent maintenues en détention alors que leur état de santé nécessiterait une hospitalisation : « on a des patients qui sont psy, on les gère en détention, comme on peut », déplore une psychiatre en maison centrale. Un membre de l’Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP) commente cette situation : « soit c’est une mauvaise information qui aboutit à envoyer des urgences, soit l’UHSA oublie ce pourquoi elle est là, c’est-à-dire répondre assez vite à des situations qui ne sont plus jouables dans la prison ». C’est ainsi que la question du rôle des UHSA continue de se poser. Si elles ne permettent pas d’éviter durablement le maintien en prison de personnes ayant de graves troubles psychiatriques, ni de remédier aux défaillances de la prise en charge des détenus en milieu hospitalier, se confirme une crainte exprimée dès leur ouverture : celle de voir se créer un dispositif participant à banaliser l’entrée et le maintien dans le circuit pénitentiaire de malades mentaux de plus en plus nombreux. Clara Grisot, OIP Rhône-Alpes Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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dossier

Violences carcérales : au carrefour des fausses routes Prisons conçues pour empêcher les contacts humains, empilement de dispositifs techniques de contrôle ou de coercition, accumulation des contraintes et sanctions sur les détenus les plus « difficiles »… La politique de sécurité en prison apparaît comme un croisement de fausses routes générant toujours plus de violence.

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VIOLENCES CARCÉRALES : AU CARREFOUR DES FAUSSES ROUTES

L

A PRISON EST VIOLENTE. LES FAITS DIVERS CARCÉRAUX SE SUC-

cèdent : prises d’otages, agressions contre des détenus ou des personnels, mutineries, évasions, suicides… Et les médias omettent bien souvent d’en relater le contexte, réduisant la violence à celle des personnes enfermées. « Reconnaître la prison comme une violence institutionnelle nous semble être un préalable à toute réflexion sur les causes et les réponses » à apporter aux violences, affirmait le Syndicat national des directeurs pénitentiaires en 2010. Et d’ajouter : « Qui peut honnêtement nier que priver une personne de sa liberté d’aller et venir, même si cette privation est justifiée, ne constitue pas une violence ? Reconnaître qu’entasser 22 heures sur 24 heures deux voire trois personnes dans 9 m2 est nécessairement une cause de violence, reconnaître que des gestes professionnels mal exécutés, robotisés ou dénués de toute humanité engendrent des passages à l’acte hétéro-agressif, […] bref reconnaître que l’enfermement tel qu’il est actuellement organisé est en lui même générateur de violence » 1. Des chercheurs écossais ont évalué ce qui générait de la violence en milieu carcéral : il y a « l’empêchement des relations avec l’extérieur », « l’impossibilité d’échapper au regard d’autrui à un moment quelconque » de la journée de détention, « la programmation de toutes les activités en fonction des exigences de l’institution », la « scission fondamentale entre un grand groupe » de personnes détenues et un « petit groupe » de personnels pénitentiaires qui « disposent d’un quasi monopole sur l’information et le processus décisionnel »… L’absence de communication entre le personnel et les détenus a enfin « une influence puissante » 2. David J. Cooke explique ainsi que dans la violence carcérale, « l’individu n’est que la moitié de l’équation. Il est certain que si vous maintenez des personnes ayant des antécédents violents dans un environnement néfaste, la violence sera au rendez-vous ».

À défaut de parole reconnue En France, certains de ces facteurs ont aussi été repérés. L’absence de reconnaissance d’un droit d’expression aux prisonniers et, concrètement, le manque de possibilités de se faire entendre, ont souvent été pointés. La sociologue Antoinette Chauvenet l’a dit et le redit : « C’est justement parce que les détenus se voient refuser les moyens de se faire entendre pacifiquement qu’ils agissent par les moyens qui leur sont laissés, en retournant contre eux-mêmes, contre autrui ou contre l’organisation, les armes de cette dernière, la violence ou la peur, et créent des incidents ». La parole des détenus a perdu toute valeur, elle se cogne contre des murs. « On peut parler, demander », témoigne Eric Sniady, en semi-liberté après 27 ans de détention. Le problème « c’est surtout qu’on ne nous répond pas, notre question est déviée. Et puis maintenant, tout est basé sur le sécuritaire, portes fermées et tout, pas sur le dialogue ».

© Michel Le Moine

1 Groupe de réflexion sur les violences à l’encontre des personnels pénitentiaires, rapport P. Lemaire, mai 2010. 2 D.J. Cooke, L. Johnstone, L.Gadon, « Situational risk factors and institutional violence », Scottish Prison Service Occasional Paper n°1, 2008.

Deux groupes de travail de l’administration pénitentiaire sur la violence ont préconisé en 2009 et 2010 l’instauration d’espaces de dialogue, de négociation, de « conflictualisation ». Quelques rares chefs d’établissement les ont déjà mis en place, tel Jean-Philippe Mayol à la centrale d’Arles. Des réunions de « consultation de la population pénale » ont intégré le fonctionnement de la prison, avec pour objectif « de travailler ensemble sur l’organisation du quotidien : liens familiaux, cantines, activités, équipement des salles d’activité et des cours de promenade, etc. » Les tentatives de généraliser ces dispositifs se sont toutes heurtées à l’opposition des syndicats de surveillants. « Il convient de rappeler que la majorité des organisations professionnelles est fermement opposée à toute notion ou organisation d’une représentation collective et institutionnelle des détenus », indiquait le rapport Lemaire en 2010.

Le rapport de force : en sortir ou pas Dans la loi pénitentiaire de 2009, le législateur a réduit l’idée à peau de chagrin en instaurant un système de consultation des personnes détenues « sur les activités qui leur sont proposées ». Cinq ans plus tard, cet article 29 n’est toujours pas appliqué, hormis dans une minorité de prisons. L’administration pénitentiaire en est à envisager de décider que cette consultation soit mise en œuvre « prioritairement » dans les maisons centrales 3. Ce qui suffit à relancer la polémique syndicale, FO-pénitentiaire en tête : « Sous couvert de gentilles petites réunions pour savoir si nos chers pensionnaires vont faire du Scrabble ou du tricot, la garde des Sceaux abat le mur qui nous sépare des comités de détenus et à moyen terme des syndicats de détenus ! » 4. Le chercheur Christian Mouhanna décrypte : « Mettre en place un dialogue au sein de la prison oblige à secouer une certaine inertie, à innover, voire à se heurter à la pression du personnel. […] Individuellement, les surveillants peuvent être partants pour une évolution de leur métier. Mais collectivement, le groupe est contre. Il y a une espèce de honte à reconnaître un rôle social et le fait qu’on ne peut pas être uniquement dans le rapport de force. 5 » A Arles, Jean-Philippe Mayol s’est lui aussi heurté à des « opposants fermes » au sein du personnel, « incapables de remettre en cause des pratiques peu efficaces ». Ce qui ne l’a pas empêché de mettre en place, outre les réunions de consultation des détenus, toute une série de dispositifs de prévention de la violence par la médiation et la gestion des conflits, des formations communes surveillants-détenus, des rôles de « détenus facilitateurs »… avec pour effet une forte diminution des violences, une transformation des relations dans la prison et un recours devenu exceptionnel aux mesures disciplinaires. En dehors de ces expériences locales, la culture de la coercition continue de 3 Ministère de la Justice-DAP, Fonctionnement des maisons centrales : éléments pour l’élaboration d’un projet d’établissement type, document de travail non publié, mai 2014. 4 « Des «syndicats de détenus» ? Un article de la loi pénitentiaire fait polémique », Voix du Nord, 20 juin 2014. 5 Libération, 19 avril 2014 Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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Un surveillant actionne l’ouverture des portes des couloirs depuis un poste de contrôle, centre pénitentiaire de Longuenesse, 2009

dominer. Le fait de signer une pétition reste constitutif d’une faute disciplinaire et les « mouvements collectifs » de détenus sont sévèrement réprimés, à coups de mise au quartier disciplinaire, transfert imposé, intervention musclée des ERIS, équipes d’intervention créées sur le modèle du GIGN. Et les mouvements collectifs, étonnamment, augmentent : 667 en 2011, 874 en 2012, 1 111 en 2013.

« Les effets inverses à ceux recherchés » Le fait divers carcéral emporte lui aussi son lot d’annonces de nouveaux dispositifs techniques sécuritaires, dits de « sécurité passive ». Ils s’empilent et absorbent l’essentiel des investissements budgétaires. Le plan sécurité de Christiane Taubira présenté en juin 2013 n’y fait pas exception : renforcement des filets, glacis, concertinas, de la vidéosurveillance et des équipes cynotechniques… Pour un total de 33 millions d’euros venant augmenter de 105 % le budget dédié à la sécurité passive en 2014. Ce plan intervenait en réponse aux pressions Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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syndicales contre la limitation des fouilles à nu prévue par l’article 57 de la loi pénitentiaire. Au lieu de saisir l’occasion d’inscrire cette avancée pour la dignité des personnes détenues dans un mouvement plus large privilégiant la « sécurité dynamique », fondée sur la relation et la prévention, le ministère a apporté des « compensations » empruntant à la culture défensive de gestion des prisons. Peu importe que cela ne marche pas, que cela produise toujours plus de violence et de destruction des Hommes. Et le même syndicat de directeurs (SNDP) de regretter que « ce plan, au lieu d’engager une réforme structurelle sur la prise en charge globale des détenus, se caractérise par un chapelet de mesures de sécurité passive coûteuses et à l’efficacité douteuse 6 ». Antoinette Chauvenet confirme : cette approche produit « les effets inverses de ceux recherchés ». Par exemple, « tous les dispositifs accumulés de sécurité périmétrique ont certainement pour effet de limiter le 6 Syndicat national des directeurs pénitentiaires, communiqué du 7 juin 2013.


VIOLENCES CARCÉRALES : AU CARREFOUR DES FAUSSES ROUTES nombre d’évasions, mais à un coût énorme », celui de moyens utilisés « de plus en plus violents », car « on ne peut plus s’évader avec une corde fabriquée avec des draps ». En outre, cela renforce les violences quotidiennes en détention, car « l’espoir de l’évasion fait vivre, tandis que le désespoir rend violent ». Ce même désespoir des détenus affectés dans la nouvelle centrale de Condé-sur-Sarthe, conçue comme un quartier d’isolement géant, où les détenus deviennent prêts à tout pour être transférés.

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Organiser une vie sociale au lieu d’isoler Concevoir le quotidien carcéral dans le sens du développement d’une vie sociale à l’intérieur des murs, cela figurait aussi parmi les préconisations des groupes de travail sur la violence. A bannir, l’approche considérant le regroupement de détenus comme « la première cause d’insécurité », avec pour corollaire des prisons construites « de façon à isoler les détenus ». La peine ne peut en effet « avoir de sens et le travail de réinsertion se faire que dans la mesure où ils sont adossés à la vie sociale » 7. Plutôt que « la situation actuelle où les détenus sont alternativement exclus (enfermés en cellule) et livrés à euxmêmes (en cours de promenade) », il s’agirait « d’organiser une communauté digne de ce nom, d’y faire participer les détenus. Penser en termes de communauté permet de passer d’un objectif de correction du détenu à un objectif de mobilisation de ses ressources » 8. Une telle approche prévaut déjà dans certaines expériences étrangères. La prison de Grendon en Angleterre accueille depuis 50 ans des détenus considérés comme les « plus difficiles », souvent auteurs de violences graves. Elle est organisée en cinq quartiers formant chacun une « communauté » de 40 personnes. Chaque communauté élabore son propre règlement intérieur, gère elle-même les questions de vie quotidienne et les conflits, dans le cadre de réunions hebdomadaires auxquelles participent détenus et personnels. Les réponses privilégiées en cas de violences ou autres incidents sont la régulation en groupe, la réparation du dommage causé, l’invitation à participer à un programme thérapeutique… Chaque détenu se voit confier une tâche ou un rôle d’intérêt général. Il ne passe que ses nuits en cellule, ses journées étant consacrées à des activités thérapeutiques, de formation, de travail, aux réunions communautaires et à des temps libres. Selon l’Inspecteur en chef des prisons britanniques, l’impact positif de cette organisation est indéniable : procédures disciplinaires devenues exceptionnelles, forte diminution des « transgressions, automutilations, niveaux de violence bien moindres ». Voire pour certains détenus, « une occasion de trouver qui ils sont », de sortir du « cercle vicieux du désespoir ».

L’impasse des régimes fermés Favoriser la vie sociale à l’intérieur des murs, c’est aussi aligner le plus possible les conditions de vie sur celles de 7 Groupe de travail DAP, document du 20 mars 2008. 8 Groupe de travail DAP, Recommandations, 15 octobre 2008.

l’extérieur. Cela implique notamment de « permettre une liberté de circulation » au sein des établissements, y compris en maison d’arrêt. Ce fonctionnement « rend les détenus beaucoup moins dépendants des personnels, réduisant ainsi les occasions de tension », argue le groupe de travail sur la violence 9. Tout l’inverse des régimes « portes fermées » qui ont été assouplis puis remis en place dans les établissements pour longues peines et auxquels la direction de l’administration pénitentiaire semble attachée. Dans un document de travail sur les maisons centrales, la récurrente réouverture des portes des cellules est déplorée, au nom du « sentiment d’une lutte de territoire que l’administration a perdue ». Cette « démission » est interprétée comme à l’origine d’« incidents graves » 10. Et la directrice de l’AP Isabelle Gorce de défendre l’option française de réserver un assouplissement du régime de détention à des publics ne posant pas de difficultés : « Nous avons besoin d’établissements très sécurisés pour accueillir les détenus les plus dangereux, mais il nous faut aussi des prisons avec des régimes plus collectifs pour ceux qui ne posent pas de problème, avec des espaces communs en plus grand nombre » 11. Une option très contestable, alors que des régimes ultrasécurisés sont justement à l’origine de situations intenables et d’escalades dans la violence. Le groupe de travail sur la violence l’avait bien souligné : « Dans la conception actuelle de la sécurité la prise en compte d’une différenciation des publics signifie le risque de recréer des quartiers où on est incapable de donner une vie normale aux détenus en dehors de l’isolement. C’est là une violence institutionnelle très forte. Le groupe préconise la création de très petites unités de vie qui favorise un accès facilité aux divers intervenants et activités. » A travers le prisme de la violence carcérale, c’est rapidement l’ensemble de l’approche du quotidien en prison, du traitement réservé aux personnes détenues et du sens de la peine qui sont en cause. Il n’est là plus question de saupoudrer quelques mesures visant à obtenir l’ordre en détention. « La sécurité dynamique n’a de sens que si l’on y croit vraiment. S’il s’agit juste de limiter les dégâts, cela ne permet pas de réduire véritablement le nombre d’incidents », insiste Antoinette Chauvenet. Le directeur Jean-Philippe Mayol confirme : « Nous ne pouvions pas faire semblant. Nos procédures ne s’appuyaient pas sur des discours convenus. Il fallait être persuadé de l’efficacité de ces pratiques. A ces conditions, rien ne résiste à la motivation ». Une motivation qui trouve sa source dans une autre approche de la délinquance, ne réduisant plus les personnes détenues à leur infraction, « sollicitant leurs compétences et talents », ajoute Antoinette Chauvenet. Un revirement culturel qui dépasse les murs de la prison. Sarah Dindo

9 Groupe de travail DAP, document du 18 avril 2008. 10 Ministère de la Justice-DAP, op.cit., mai 2014. 11 Le Monde, 6 juin 2014. Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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Quand la « violence légale » renforce la délinquance… La sociologue Antoinette Chauvenet place la stigmatisation des auteurs d’infraction, réduits à leur acte, au cœur de sa réflexion sur la violence carcérale. A l’intérieur et à l’extérieur des murs, c’est la mobilisation des compétences et capacités des personnes qui réduit la violence, alors que les approches sécuritaires et coercitives la renforcent. Antoinette Chauvenet est l’auteur, avec Corinne Rostaing et Françoise Orlic, d’un ouvrage majeur sur « La violence carcérale en question » (2008). Elle a aussi écrit sur le métier de surveillant, participé à des groupes de travail de l’administration pénitentiaire sur la violence ou sur les Règles pénitentiaires européennes.

Vous écrivez que la violence en prison est souvent réduite à celle des détenus, « masquant et déniant ainsi la violence légale de la prison ». Quelles sont les composantes de cette violence légale ? La violence légale, c’est tout d’abord la peine de prison en tant que réponse sociale. Dans notre culture judéo-chrétienne, la notion de châtiment est au cœur de la loi et la réponse au crime ou à la délinquance ne se situe pas dans le cadre d’un échange, d’une réparation, avec deux protagonistes et un tiers désintéressé et impartial. L’anthropologie nous apprend que certaines sociétés réglaient ces phénomènes par une forme de compensation excluant toute rétorsion violente. Nous avons dans notre droit des formes de médiation ou de paiement d’indemnités à la victime, mais elles sont quelque peu marginales ou complémentaires à la peine principale qui reste l’emprisonnement. Or, il est possible d’interroger une réponse pénale produisant l’inverse de l’effet recherché, à l’instar d’Indiens interpellant les Américains sur le fait qu’en châtiant et en excluant les délinquants, ils en font des fauves. Je cite ce medecine man s’adressant à un criminologue : « Vous, le peuple (américain), vous avez tant de peur, de colère et de mépris envers ceux que vous appelez des criminels que votre taux de criminalité ne fait qu’augmenter. Vous devriez travailler avec ces personnes, non en vous opposant à elles. C’est une erreur de considérer un groupe ou une personne comme un opposant, vous faites en sorte que le groupe ou la personne le devienne. 1 » 1 H.R. Cellini (1986), in A. Chauvenet, « Les barbares de l’intérieur. Du lacet de chaussures cassé à l’émeute », Prisons sous tension, Champ social éditions, 2011. Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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Quelles sont les autres dimensions de cette violence légale ? La violence réside aussi très concrètement dans la privation de la liberté en elle-même : « juste celle d’aller et venir », professe la doctrine de l’administration. Or, tout le monde sait que la prison va bien au-delà. Quel rapport y a-t-il entre la seule privation de liberté et le fait d’être enfermé à clef en cellule, souvent 22 heures sur 24 en maison d’arrêt ? On peut priver quelqu’un de la liberté d’aller et venir en l’assignant à résidence, en lui interdisant tel périmètre de circulation avec un bracelet électronique… Mais ce serait plus compliqué de s’occuper de chaque condamné un par un chez lui, en faisant venir un travailleur social, un psy, en lui donnant un travail à domicile, etc. On oublie souvent que de simples commodités d’ordre organisationnel et économique justifient la prison. De quelle manière la violence individuelle est-elle érigée pour justifier la violence légale ? Dans les sociétés de droit prévalent le principe de « parcimonie » quant à l’usage de la violence légale et, depuis Beccaria, celui de peines « strictement nécessaires ». Comment justifier, au vu de ces principes, la limitation de l’irresponsabilité pénale des personnes atteintes de troubles mentaux, l’allongement continu de la durée des peines, la diminution de l’octroi des libérations conditionnelles, la création de la rétention de sûreté, le développement continu des moyens matériels destinés à interdire, limiter ou contrôler les déplacements en détention… ? Il est plus facile d’attribuer ces évolutions à la violence des délinquants et des prisonniers qu’à des options sociales et politiques. Pourtant, l’on peut observer par exemple sous la Troisième République une décrue continue du taux d’incarcération concomitante avec toute une série de réformes : instauration de la libération conditionnelle et du sursis, activité intense de construction des institutions républicaines, dont l’école obligatoire, l’impôt sur le revenu, etc. La réapparition des logiques sécuritaires survient avec la montée de l’insécurité sociale, économique et politique. Au niveau pénitentiaire, la violence des prisonniers a beau être une


VIOLENCES CARCÉRALES : AU CARREFOUR DES FAUSSES ROUTES étant plus intense de part et d’autre en centrale qu’en maison d’arrêt ou en centre de détention.

« Vous, le peuple (américain), vous avez tant de peur, de colère et de mépris envers ceux que vous appelez des criminels que votre taux de criminalité ne fait qu’augmenter » (medecine man indien)

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Des « détails » sont souvent à l’origine d’explosions de violence contre soi ou autrui en prison. Comment cela s’explique ?

conséquence logique et une réaction normale, en l’absence d’autres moyens pour se faire entendre et exister, elle vient justifier a posteriori des régimes plus répressifs. En milieu carcéral, comment se construit ou s’amplifie « la peur du prisonnier » ? Cette peur est d’abord liée aux représentations des criminels construites à l’extérieur, notamment par les médias et les fictions. Ils sont montrés comme des « barbares de l’intérieur », réduits à l’acte qu’ils ont commis. Lorsque des arrivants pénètrent en prison pour la première fois, ils s’attendent à ne croiser que de grands criminels par lesquels tout peut arriver. L’organisation de la prison visant à limiter les contacts entre détenus, ces représentations ne cèdent que partiellement face à la réalité. Chacun croit être seul à ne pas se reconnaître dans cette identité de criminel dangereux. Et il se croit également seul à ne pas vouloir participer à la « loi de la jungle » en détention. Cela provoque un évitement des autres, qui renforce l’isolement et la peur. Cette « ignorance multiple » conduit aussi aux faux-semblants, la majorité des détenus prenant le réflexe de se présenter à autrui comme durs et méchants, avec des comportements qu’ils n’auraient pas dans la vie ordinaire. Ils sont persuadés d’être obligés de jouer ce rôle dans ce milieu. Or, si tout le monde joue à avoir l’air méchant, cela favorise les violences. La peur est néanmoins variable selon les prisonniers et la catégorie d’établissement pénitentiaire, les détenus ayant bien plus peur des codétenus que des surveillants ; les personnels ayant globalement plus peur des détenus que les détenus les uns des autres ; la peur

Le détail, c’est « la goutte d’eau qui fait déborder le vase », disent les personnes détenues. C’est le mot ou le bruit en trop, « le mauvais regard », qui devient insupportable au vu de l’accumulation des contraintes de l’enfermement : promiscuité dans un espace confiné avec une ou plusieurs personnes qu’on n’a pas choisies, dépendance extrême vis-à-vis des personnels pour les actes les plus simples de la vie quotidienne, attente interminable pour accéder au médical, à un chef, à une assistante sociale, manque d’activités, impuissance face à sa situation et celle de sa famille, surveillance constante, par l’œilleton, les caméras, le regard, l’écoute, souvent à l’insu des personnes, fouilles à corps et fouilles de cellule… Toutes ces contraintes pesant de plus en plus lourdement avec la durée de la peine et ses effets déstructurants. La prison fait perdre le sens du réel au profit d’un imaginaire persécuteur et d’émotions débordantes, elle rend « paranoïaque » et irritable. Au point que les détenus disent souvent ne pas se reconnaître, ils ont peur d’eux-mêmes et de leurs réactions autant que d’autrui. De quelle manière l’incident figure-t-il « au centre de la gestion de la population carcérale », voire des politiques pénitentiaires ? La garde des personnes détenues est la mission première de l’administration pénitentiaire, la mission de réinsertion demeurant largement secondaire (les chefs d’établissement sont disciplinairement responsables en matière d’évasion). Il en résulte que l’objectif premier de l’organisation carcérale, à la différence des autres organisations – comme l’hôpital, l’école, l’usine –, est d’œuvrer d’abord et surtout à sa propre conservation. L’objectif de tout un chacun, du directeur de l’établissement au détenu, étant d’atteindre la fin de la journée avec le minimum d’incidents. L’incident est ce qui arrive de façon imprévisible. Cette imprévisibilité est directement liée à une conception défensive de la sécurité qui, considérant les détenus comme des individus dangereux, maintient la plupart des personnes présentes en prison en situation d’étrangères les unes aux autres dans une posture défensive : par exemple, on apprend aux surveillants à regarder toujours à l’œilleton avant d’ouvrir la porte d’une cellule et à mettre le pied dans celle-ci pour ne pas la recevoir dans la figure. En quoi cette conception « répressive » et « surtout défensive » de la gestion des prisons produit-elle « les effets inverses de ceux qui ont été recherchés » ? Cette conception met l’administration pénitentiaire en situation de devoir prévenir et faire face à trois types d’incidents majeurs : les évasions, les émeutes et, depuis quelques années, les suicides. Ceci signifie qu’elle doit continûment lutter contre ce qu’elle produit. Les émeutes surviennent quand les détenus Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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n’en peuvent plus des contraintes, elles peuvent éclater sur pas grand-chose, de plus en plus sans la moindre revendication. Un chef donne l’exemple d’un refus collectif de remonter en cellule car les frites n’étaient pas assez cuites. Sur les évasions, tous les dispositifs accumulés de sécurité périmétrique ont certainement pour effet d’en limiter le nombre, mais à un coût énorme. Quand une évasion a lieu aujourd’hui, les moyens utilisés sont de plus en plus violents, car on ne peut plus s’évader avec de simples cordes fabriquées avec des draps. En outre, l’espoir de l’évasion fait vivre, tandis que le désespoir rend violent. Sur les suicides, l’allongement des peines, les moindres perspectives de réinsertion et la stigmatisation de plus en plus élevée, le renforcement des contraintes de sécurité à l’intérieur… tout cela produit inévitablement plus de suicides. Une assistante sociale en fin de carrière raconte qu’à ses débuts, un auteur d’homicide prenait dix ans de prison et qu’elle lui trouvait facilement du travail pour sa sortie. Il lui restait des perspectives, ce qui est rare aujourd’hui. Qu’est-ce qui rend les règles carcérales souvent « dépourvues de légitimité » et « sources de conflits » ? Les règles carcérales ne sont pas les règles d’un vivre ensemble élaborées en commun. Elles ne sont que le prolongement du dispositif matériel destiné à empêcher les évasions et maintenir l’ordre. Quelle légitimité accorder à la règle qui consiste à ne pas devoir accrocher une serviette à la fenêtre pour se protéger de la chaleur, l’été, quand la règle a pour objectif de visualiser depuis le mirador l’intérieur de la cellule ? Certains surveillants vont accepter les serviettes accrochées parce qu’ils reconnaissent qu’il fait trop chaud ou veulent éviter des incidents, d’autres appliquent le règlement parce que c’est leur mission. D’où résulte que des détenus puissent se mettre en colère contre celui qui applique le règlement. Ainsi, les règles sont dépourvues également de cette certitude qui contribue à leur légitimité. Quelles observations vous ont amenée à conclure que « la discipline en tant que sanction ne semble [pas] être d’une grande efficacité ni en mesure de jouer un rôle dissuasif » ? Le déroulement des mouvements collectifs de détenus en centrale illustre le mieux le peu d’efficacité des sanctions disciplinaires. Par peur de créer des incidents, les surveillants et leur hiérarchie sont amenés à appliquer de moins en moins les règles, par exemple en autorisant l’ouverture des portes des cellules de plus en plus longtemps, en permettant aux détenus d’aller d’une aile puis d’un étage à l’autre… Ils évitent de mettre des rapports d’incident, craignant que le remède ne soit pire que le mal, ou par peur de représailles, ou bien encore parce qu’ils redoutent que la direction ne les suive pas, ce qui casserait leur crédibilité auprès des détenus. De fait, c’est bien souvent à propos d’une sanction disciplinaire prononcée que se déclenchent les émeutes. On comprend que les syndicats de surveillants se plaignent d’un manque de fermeté, mais sur Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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Les violences surviennent rarement dans les lieux dédiés aux activités socio-éducatives.

le terrain, ils sont les premiers à lâcher du lest. S’ils ne le font pas, ils génèrent davantage d’incidents. En quoi l’approche visant à dénier au détenu « toute participation, toute place », « tout pouvoir » et plus largement toute « possibilité d’agir » est-elle contre-productive ? C’est justement parce que les détenus se voient refuser les moyens de se faire entendre pacifiquement qu’ils agissent par les moyens qui leur sont laissés, en retournant contre euxmêmes, contre autrui ou contre l’organisation, les armes de cette dernière, la violence ou la peur, et créent des incidents. Pouvez-vous expliquer ce que sont les « lieux de conflictualisation » et en quoi ils pourraient contribuer à la prévention de la violence ? Les Règles pénitentiaires européennes (RPE) prévoient la mise en place de représentants des détenus ayant un rôle proche de celui des syndicats, c’est-à-dire une instance où les conflits et les revendications peuvent s’exprimer de façon légitime. Cette règle n’a pas été retenue en France au moment de la mise en place d’une application des RPE. Pourtant, des modes de participation des détenus existent déjà dans l’organisation des activités socioculturelles de certaines prisons et fonctionnent à la satisfaction de tous. Une majorité de personnels pénitentiaires serait favorable à une représentation des détenus, sous certaines conditions, contrairement à ce que donne à croire le blocage des syndicats. Dès lors, le fait de protester, revendiquer, continue d’être traité comme une rébellion, passible de sanction. Les lieux de conflictualisation, ce sont aussi les expériences privilégiant la médiation, telles que mises en place dans des prisons d’autres pays (Suisse, Ecosse, Canada). Des « cellules de crise » sont réunies à chaque incident, rassemblant autour des protagonistes un ensemble de détenus


VIOLENCES CARCÉRALES : AU CARREFOUR DES FAUSSES ROUTES

« La violence des prisonniers a beau être une conséquence logique et une réaction normale, en l’absence d’autres moyens pour se faire entendre et exister, elle vient justifier a posteriori des régimes plus répressifs » et de professionnels. Chacun peut s’exprimer et on règle le différend à l’amiable, collectivement et de façon pacifique. Vous avez aussi relevé « l’inactivité », « la dépendance » et « l’attente permanente » comme des causes générales des violences en détention. Le quotidien carcéral pourrait-il être organisé de manière fondamentalement différente ? Oui, en faisant appel aux talents des détenus, en mobilisant leur capacité à donner, agir pour autrui, échanger, créer, s’investir dans une activité. Les capacités des détenus sont très peu sollicitées. Sauf à la marge, quand l’un d’eux a des compétences en plomberie ou électricité par exemple. Il suffit de croiser les détenus « auxiliaires » qui balayent et servent les repas pour constater qu’ils se portent et se comportent mieux que ceux qui restent enfermés toute la journée en cellule, et ce malgré leur maigre rémunération : ils parlent avec beaucoup de monde, travaillent, se déplacent dans la détention, rendent des petits services et s’entendent généralement bien avec le personnel. On pourrait aller beaucoup plus loin en concevant la vie en prison à partir de l’idée que chacun est capable de se mobiliser pour la collectivité, de rendre service et d’exercer ses talents. En quoi « le savoir-faire et le savoir-être » des surveillants pénitentiaires sont-ils déterminants pour assurer « la paix sociale en prison » ? Quelle que soit la catégorie d’établissement, mais plus qu’ailleurs en centrale, le travail de nombreux surveillants consiste largement à atténuer les effets que génère l’emprisonnement en termes de violences, à désamorcer les conflits et, à tout le moins, à s’efforcer de prendre sur eux-mêmes pour « ne pas en rajouter ». Cela peut expliquer que les prisons n’explosent pas davantage. Une minorité de surveillants n’a pas ce savoir-faire ou est favorable à la manière forte. Vous notez qu’« il y a néanmoins en prison des lieux sans violence ou avec peu de violence ». Quelles sont leurs particularités ? C’est le cas des lieux dédiés aux activités socio-éducatives : scolarité, culture… Les détenus apprennent à se voir eux-mêmes et mutuellement autrement que comme des « détenus », leurs talents et ressources sont mobilisés, ils ont des objectifs communs, échangent entre eux autre chose que « des cancans de barbelés ». La présence de tiers, enseignants, artistes, animateurs, les encourageant à ces fins et leur apprenant à s’entreaider dans leurs apprentissages. C’est vrai aussi dans certains ateliers de travail, où les détenus sont occupés, participent à une vie normale, peuvent ainsi aider leur famille et améliorer

leur propre situation matérielle. C’est vrai encore des activités sportives lorsque ce ne sont pas « des combats de gladiateurs » et que la pratique du sport peut être régulière. Depuis la réorganisation des quartiers arrivants dans le cadre de l’introduction des RPE, les violences contre autrui et contre soi diminuent aussi durant ce passage, alors qu’il s’agit d’un moment critique. Pour relativiser l’importance des incidents, il y a néanmoins des moments de calme dans de nombreuses prisons, durant lesquels on aurait presque l’impression d’être dans un lycée : chacun va où il doit aller, les surveillants sont de bonne humeur et papotent avec les détenus… Mais le climat peut changer d’un instant à l’autre, par effet de contagion. Un détenu se met à frapper très fort dans sa porte, un surveillant arrive et il le bouscule, l’alarme est déclenchée, puis un chef engueule des détenus qui ne devraient pas être descendus, ainsi que le surveillant qui les a fait descendre, un détenu réagit fortement et il est emmené au mitard… Tout le monde entend les bruits et l’agitation qui résonnent, une extrême tension s’installe et chacun se demande comment cela va finir. Quels sont les freins ou les conditions d’une approche « dynamique » de la sécurité, misant sur la prévention et le dialogue plutôt que sur les techniques de contrôle et de répression ? La principale condition est de reconsidérer notre approche de la délinquance, en ne réduisant plus les personnes détenues à leur infraction. Et en sollicitant leurs compétences et talents. Le psychiatre B. Cormier, qui a été directeur de prison dans les années 1970 au Canada, l’a bien montré : il avait mis en place une approche de gestion collective des crises, de réinsertion, auprès de détenus multirécidivistes. Cela avait très bien marché, et la récidive avait considérablement diminué. Il expliquait que sa logique conduisait à « élargir » symboliquement les murs de la prison 2. La sécurité dynamique n’a de sens que si l’on y croit vraiment. S’il s’agit juste de limiter les dégâts, cela ne permet pas de réduire véritablement le nombre d’incidents. Pour ce qui est des freins, tant que les dispositifs de sécurité passive – périmétrique ou interne – ne cessent de progresser, ce que montre la part croissante des dépenses qui leurs sont dévolues, les effets d’une approche dynamique seront considérablement limités. Enfin, les politiques relatives aux longues peines sont en cause, l’accroissement continu des violences contre les surveillants étant largement imputable à l’allongement de la durée des longues peines 3. Les politiques criminelles tendent en effet, depuis trois décennies, à aspirer dans une logique de plus en plus sécuritaire l’ensemble de la politique pénale et pénitentiaire, malgré le développement des mesures alternatives à la prison et les réformes carcérales. Recueilli par Sarah Dindo 2 Cormier B. M., 1975, The Watcher and the Watched, Montréal, Tundra Books. 3 Guillonneau M., Kensey A., 1998, « Les à-coups, étude statistique des agressions contre le personnel de surveillance à partir de 376 rapports d’incident », Paris, DAP, Travaux & Documents, n° 53. Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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« Faire baisser la température pour éviter l’explosion » Dans l’irruption de la violence, l’individu n’est que la moitié de l’équation. David J. Cooke a développé la méthode PRISM pour analyser les facteurs « situationnels » qui peuvent augmenter – ou réduire – la violence en prison : conditions de vie, compétence et attitude du personnel, régime pénitentiaire…

David J. Cooke enseigne la psychologie médico-légale à l’université de Glasgow en Ecosse, et à celle de Bergen en Norvège. Il dirige des recherches et travaille sur des applications destinées à réduire la violence au sein des institutions.

Peut-on dire que vos travaux ont montré que l’institution carcérale génère de la violence alors que l’on a davantage tendance à désigner les individus auteurs d’incidents ? Je ne le dirais pas ainsi : il est artificiel de séparer les deux aspects. Mes recherches ont montré que l’individu n’est que la moitié de l’équation. De nombreux détenus souffrent de pathologies de la personnalité, de toxicomanie… Ils ont souvent des antécédents de violences, car c’est le message qu’ils ont appris, très jeunes, pour résoudre les problèmes. Il est certain que si vous maintenez des personnes « difficiles » dans un environnement néfaste, la violence sera au rendez-vous. A l’inverse, vous pouvez réduire le niveau de violence en agissant sur l’environnement. Et en montrant qu’il existe d’autres façons d’obtenir ce qu’on désire ou dont on a besoin : par la verbalisation, en discutant, argumentant. Vous mentionnez le « modèle pop corn », de quoi s’agit-il ? Une personne qui présente un risque élevé de violence peutêtre comparée à un grain de pop corn : il n’éclate que s’il est exposé à une source de chaleur. Vous pouvez évaluer avec précision les facteurs de risque individuels attachés à une personne ; mais vous devez considérer qu’elle risque moins « d’exploser » si elle n’est pas stimulée par des conditions de vie néfastes. Le « modèle pop corn » invite à agir sur la source de chaleur : faire baisser la température dans l’institution, en agissant sur les « facteurs situationnels », c’est-à-dire toutes les caractéristiques de l’environnement institutionnel dans lequel la violence se produit. Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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Quels sont ces « facteurs situationnels » favorisant la violence carcérale ? Il n’y a pas un ou deux facteurs simples. Chaque institution doit faire l’objet d’une analyse spécifique : les facteurs de violence dans une prison pour femmes ne le seront pas nécessairement dans une prison pour mineurs. Il faut évaluer les niveaux de sécurité en vigueur. Trop élevés, ils peuvent aggraver le problème : un enfermement trop strict, à l’isolement, augmente la colère et l’agressivité. Un manque de sécurité et de contrôle peut aussi être contre-productif. D’autres facteurs relèvent de l’organisationnel : est-ce que l’établissement dispose de politiques claires précisant ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas ? Quelles réponses sont apportées en cas de manquement aux règles ? Y-a-t-il une personne responsable identifiée, vers qui se tourner si la violence se produit ? L’organisation répondelle efficacement aux conflits, prend-elle des mesures efficaces ? La question du personnel est cruciale, c’est probablement le plus important des facteurs. Est-il suffisamment formé, quelle est son attitude envers les détenus, les surveillants considèrent-ils leur travail comme du « gardiennage » ou estimentils qu’ils ont un rôle à jouer pour aider les personnes à évoluer ? Nous nous intéressons également aux modalités de prise en charge : les besoins de cette population particulière sontils identifiés, des programmes agréés sont-ils proposés pour répondre à des besoins tels que la gestion de la colère ? Il importe aussi de s’intéresser aux mécanismes psychologiques, pour comprendre comment l’environnement peut les amplifier : les personnes vivant dans l’institution sont-elles effrayées parce qu’elles pensent que le personnel ne contrôle pas la situation ? Sont-elles frustrées par le sentiment de ne pouvoir arriver à rien ? Sont-elles abattues et sans espoir ? Quels sont les effets de dispositifs de contrôle ou de sanction renforcés en milieu carcéral ? Plus vous maintenez la pression sur les gens et les gardez verrouillés sans rien d’autre à penser, plus ils vont élaborer des plans, développer des compétences pour obtenir des armes


VIOLENCES CARCÉRALES : AU CARREFOUR DES FAUSSES ROUTES et planifier des agressions. Ce qui arrive même dans des unités ultra sécurisées. En outre, les personnes visées par les dispositifs ultra sécuritaires présentent souvent des traits de personnalité « inhabituels », voire psychopathiques. Elles sont souvent très préoccupées par leur statut, par le regard porté sur elles. Si vous les abordez sur le mode de l’affrontement, elles le vivront comme une menace à leur perception de soi, et auront probablement une réaction agressive. De même qu’un enfermement strict ou de longues périodes d’isolement fera monter leur colère ; il faudra alors s’attendre à une réponse violente lorsque vous les amènerez dehors, ce que vous devrez faire un jour ou l’autre, même avec des « chaînes ». A l’inverse, vous pouvez apaiser cette colère en entretenant le dialogue et en proposant des activités diversifiées. Quelle est l’influence de la conception des locaux, de la posture des personnels, et du programme d’activités proposé aux détenus ? J’ai eu la chance de travailler dans l’unité spéciale de Barlinnie [qui a fonctionné de 1973 à 1994], accueillant des hommes considérés comme les plus violents d’Ecosse, qui avaient connu jusqu’alors les quartiers d’isolement ou de haute sécurité. Le personnel de Barlinnie avait reçu une formation spécifique, il communiquait beaucoup avec les détenus. L’accent

« Hormis de rares cas psychiatriques, les détenus “difficiles’’ ne le sont que dans certains contextes » était mis sur les relations, plus que sur les structures sécuritaires, et sur l’accès à une grande variété d’activités. Cette unité a été une vraie réussite. Elle a montré qu’en agissant sur l’environnement, vous pouvez réellement influer sur le comportement. Et que, hormis de rares cas psychiatriques, les détenus « difficiles » ne le sont que dans certains contextes. Par ailleurs, des études montrent que les personnels ayant moins d’expérience professionnelle sont plus exposés au risque d’agression. Certains détenus peuvent avoir du mal à accepter qu’un jeune homme à peine sorti de formation vienne leur dire quoi faire. Les personnels doivent donc apprendre à aborder les personnes avec qui ils travaillent. Le risque est plus élevé lorsqu’ils sont perçus comme entretenant des interactions négatives avec les détenus, et lorsque l’encadrement est insuffisant, ou ne parvient pas à régler les conflits entre les personnels.

© CGLPL

Maison centrale en France, cour de quartier disciplinaire

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dossier Comment arrivez-vous à la conclusion qu’une action sur le fonctionnement de la prison plutôt que sur les individus, se montre plus efficace en « temps et en coûts » ? La prise en charge individuelle d’une personne est longue et coûteuse. Certains refusent de s’engager dans les programmes ou activités proposés par l’administration, y compris thérapeutiques. Une action sur les facteurs situationnels impacte toutes les personnes vivant dans l’institution, y compris celles ne souhaitant pas coopérer. Confronté à une vague de mutineries à la fin des années 1980, le Scottish Prison Service (SPS) a changé radicalement sa politique de lutte contre la violence carcérale à l’issue d’une « réunion de crise » de trois jours associant des détenus. Pouvez-vous raconter cet épisode ? Le service pénitentiaire écossais a été confronté pendant une dizaine d’années à une succession de grandes mutineries, avec des détenus sur les toits, des prises d’otages, des incendies volontaires… Pour le gouvernement il fallait tout simplement neutraliser les quelque 120 perturbateurs par un enfermement strict. C’est ce qu’ils ont fait… et 120 autres perturbateurs ont pris le relais. Après une mutinerie particulièrement grave, qui a vu l’intervention d’une unité d’élite de l’armée pour délivrer un otage, un nouveau directeur de l’administration pénitentiaire a été nommé. Il a décidé de réunir une soixantaine de personnes au sein même de cette prison : des membres du service de santé, des universitaires (dont j’étais), des personnels pénitentiaires… et dix prisonniers parmi les émeutiers. La réunion a duré trois jours, nous prenions les repas ensemble. Il en a résulté un changement radical dans la prise en charge des détenus : « plutôt que d’isoler le détenu problématique, intégrons-le ; laissons-lui une voix dans le déroulement de sa peine et sur le fonctionnement du régime pénitentiaire. » La ligne de conduite est passée de « faire des choses aux détenus » à « faire des choses avec les détenus ». Le document issu de cette réunion, intitulé « Opportunité et responsabilité » envisage le détenu comme un être humain responsable, avec des besoins, à ne pas traiter comme un enfant, et auquel il faut donner la possibilité de changer. Cela a conduit à l’élaboration d’un éventail de programmes de très haut niveau, proposant différents types de prise en charge pour répondre aux besoins de chacun. Ces programmes ont tous été accrédités, c’est-àdire qu’ils ont suivi un processus complexe pour s’assurer de leur pertinence et de leur bonne conception. Cela a été très coûteux à implanter dans l’ensemble du système pénitentiaire. Au titre des changements alors mis en place, quelles ont été les « stratégies pour s’assurer que tous les détenus soient plus impliqués dans la façon dont se déroule leur peine » ? Chaque détenu se voit attribuer un surveillant référent. Ensemble, ils prennent en compte la durée de la peine, les Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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« Plutôt que d’isoler le détenu problématique, intégrons-le ; laissonslui une voix dans le déroulement de sa peine et sur le fonctionnement du régime pénitentiaire » besoins particuliers de la personne (en termes de travail, d’éducation ou de santé), les programmes qu’elle pourrait suivre. Ces décisions ne sont pas imposées au détenu, il s’agit vraiment d’une collaboration. Certains détenus refusent ces propositions et préfèrent attendre leur fin de peine sans rien faire. Le surveillant va néanmoins essayer de développer une bonne relation avec la personne, pour saisir un moment où elle sera peut-être plus réceptive. Cette nouvelle approche a modifié la dynamique dans les prisons : on est passés d’un style de gestion autoritaire, agressif, à quelque chose de beaucoup plus collaboratif, négocié. Le niveau de communication s’est amélioré, l’environnement est plus détendu, si bien que les tensions et la violence diminuent. Quelles ont été les stratégies visant à « développer et soutenir le rôle des surveillants » ? Au départ, les surveillants n’étaient là que pour maintenir les détenus sous clé. Il y a maintenant une distinction entre ceux qui sont chargés d’assurer la sécurité périmétrique, et ceux qui sont qualifiés à accompagner et à être au contact des détenus. Le travail de ces agents référents est beaucoup plus riche : ils participent activement à la prise en charge, prennent part aux décisions relatives à la gestion de la détention. Ils suivent des formations, par exemple sur les techniques de « désescalade verbale » visant à régler les situations tendues sans recours à la force. Vous avez développé l’outil PRISM, en quoi consiste-t-il ? Cette méthode permet d’engager une analyse des facteurs de risque situationnels dans une institution, pour développer des réponses appropriées. Vingt-deux facteurs de risque, groupés en cinq catégories, sont évalués : actes de violence au sein de l’institution (nature, fréquence, gravité…) ; facteurs liés aux conditions de détention (qualité du bâti, propreté, bruit, espace…) ; facteurs organisationnels (forces et faiblesses de l’institution en matière de gestion de la violence) ; caractéristiques du personnel (formation, effectifs, mode relationnel avec les détenus…) et gestion institutionnelle de la situation de chaque personne (politique de l’institution à l’égard des détenus violents, programmes existants, activités disponibles…). Lorsque nous intervenons dans une institution, nous réunissons une équipe de six à huit personnes, issues des différentes catégories de personnel, et leur demandons de collecter des données sur chaque thème. Ils conduisent des entretiens avec le personnel et les détenus, en suivant des protocoles. Cette étape prend deux ou trois semaines, après quoi le groupe passe en revue les informations pour évaluer la présence de


VIOLENCES CARCÉRALES : AU CARREFOUR DES FAUSSES ROUTES

© Manchester Evening News

Point de départ de l’incident : un pantalon « non réglementaire »

Une série de révoltes a secoué les prisons britanniques dans les années 1990. Celle de Strangeways, la prison de Manchester, a duré 25 jours, en avril 1990.

chaque facteur de risque. Puis il démarre un processus d’élaboration de scénarios les plus probables sur les phénomènes de violence qui peuvent survenir dans ce lieu, et réfléchit à des réponses appropriées : peut-on réorganiser les installations, revoir les critères d’affectation dans telle ou telle unité, mettre en place un programme spécifique pour les arrivants, développer un programme de formation du personnel pour leur apprendre à communiquer avec une personne en colère… ? PRISM a été utilisé dans différents pays et types de prison : cet outil peut-il facilement être adapté à différentes cultures et situations pénitentiaires ? PRISM propose une évaluation scientifique des facteurs de risques, mais il fait appel au jugement des professionnels, qui doivent estimer si tel ou tel facteur est pertinent dans le contexte de leur institution. En ce sens, le processus est suffisamment flexible pour être adapté à des situations diverses. Cet outil a été utilisé dans cinq prisons d’Ecosse, en Angleterre dans trois ou quatre prisons, y compris une de haute sécurité et une pour mineurs, en Norvège dans deux prisons et deux hôpitaux de haute sécurité, au Danemark, à la Barbade et en Nouvelle-Zélande. Le processus proposé peut servir dans différents cas de figure : pour analyser un incident critique, comme à la Barbade, où avait eu lieu une mutinerie de grande ampleur ; pour évaluer le fonctionnement d’une institution, pour voir si des changements sont nécessaires : certains établissements se trouvent dans une situation de blocage et entreprennent ce processus pour en sortir ; en Nouvelle-Zélande, PRISM a été utilisé dans des unités de haute sécurité confrontées à de violents problèmes de gangs, mais aussi en amont de l’ouverture d’une nouvelle prison. Recueilli par Barbara Liaras

Détenue à la maison d’arrêt des femmes de Sequedin, Madame C. possède un pantalon auquel elle tient beaucoup : il s’agit du seul s’ajustant à sa maigreur – anorexique, elle pèse une cinquantaine de kilos – et qui soit suffisamment chaud en hiver. Le 16 février 2012, lors d’une fouille intégrale après un parloir, la surveillante déclare ce pantalon « non réglementaire ». Il lui est accordé cinq minutes pour aller se changer en cellule et restituer le pantalon. Depuis deux ans, Mme C. porte régulièrement ce vêtement, qui a été plusieurs fois contrôlé : lorsqu’il lui a été remis, au parloir de la maison d’arrêt de Fleury, puis lors de son transfert à Sequedin. Elle demande à rencontrer la directrice adjointe. Au lieu de quoi, des renforts sont appelés « pour [lui] enlever le pantalon », relate le compte-rendu d’incident. « La 1re surveillante, ma collègue du 2e étage et moi-même » précise la surveillante. Qui affirme que Madame C. aurait été « virulente » et aurait « tenté délibérément de [lui] mettre une gifle ». L’intéressée nie. Elle est emmenée – « traînée à quatre pattes » selon ses dires – au quartier disciplinaire. Ses vêtements et bijoux lui auraient alors été retirés. Une culotte, un legging et un T-Shirt lui étant apportés une demi-heure plus tard. Deux certificats médicaux, des 17 et 20 février, constatent hématomes et œdèmes sur les poignets, le dos de la main, les jambes, concluant à une interruption temporaire de travail (ITT) inférieure à 8 jours. Réunie le 20 février, la commission de discipline prononce une sanction de trente jours de cellule disciplinaire dont cinq avec sursis, et quatre jours de prévention pour avoir « exerc[é] ou tente[é] d’exercer des violences physiques à l’encontre d’un membre du personne [et] refus[é] d’obtempérer aux injonctions des membres du personnel ». Le 24 février, le Docteur P. considère son état de santé incompatible avec le maintien en détention et demande une hospitalisation d’office. Il note une « asthénie [fatigue] intense avec épuisement et sentiment d’impuissance » et un « fort ressenti de persécution ». Elle reste en psychiatrie du 28 février au 2 mars, puis est renvoyée au quartier disciplinaire pour terminer sa sanction. De retour en détention ordinaire, elle est placée dans une nouvelle cellule, se voyant privée de nombreux objets lui appartenant. Son état de santé se détériorant très gravement, une nouvelle hospitalisation d’office est mise en œuvre le 15 mars. Elle durera dix jours. Trois personnels mobilisés pour reprendre son pantalon à Mme C., des violences, trente jours de quartier disciplinaire et deux hospitalisations en psychiatrie. Un « gâchis humain » selon la sœur de Mme C., causé par l’arbitraire et le refus du dialogue. Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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dossier

Trente ans de colère Eric Sniady, 54 ans, vient de passer une trentaine d’années en prison pour des braquages. Pour lui, c’est le manque de respect quotidien à l’égard des détenus, traités comme s’ils n’avaient plus ni droits ni mots à dire, qui génère à la longue des explosions de violence. En semi-liberté depuis six mois, il a l’impression que la justice continue de le tester plutôt que soutenir ses efforts de réinsertion.

Qu’est-ce qui génère de la tension et des violences en prison, qui ne seraient pas arrivées à l’extérieur ? Il y a la façon dont on nous traite au quotidien, avec des petites provocations et une absence de respect, surtout en maison d’arrêt. Un exemple récent, à Fresnes. Le matin, on a droit à une douche vers 7 h 45, puis à un petit-déjeuner vers 8 heures (juste un bol d’eau tiède avec trois dosettes). Un jour, c’était un autre surveillant, et il a tout fait en même temps : on me donne mon eau tiède et il me dit d’aller à la douche tout de suite. Je proteste en lui disant que l’eau pour le café, mon seul plaisir le matin, sera froide quand je vais revenir. Et il répond : « Ne discutez pas, ici l’autorité c’est moi. » C’est ça tout le temps, et au bout d’un moment, tu ne supportes plus. C’est le fait de n’avoir plus son mot à dire, de devoir obéir comme un enfant ? Oui, l’absence de respect. La nuit, certains personnels font un bruit pas possible dans les coursives à deux ou trois heures du matin, ils rigolent, s’amusent avec les personnels féminins. Ils n’ont aucun respect pour les détenus qui dorment. Sans compter les contrôles en pleine nuit : ils allument la lumière et tapent dans la porte de la cellule quand ils passent pour la ronde, ils te réveillent pour que tu bouges dans le lit (et contrôler que tu es vivant). S’ils le font plusieurs fois dans la nuit, ton sommeil est complètement haché. Et puis, il y a la façon dont certains nous parlent, on est traités comme si on ne méritait plus la politesse. En quoi est-ce différent de subir ce genre de comportement dans une prison, par rapport à l’extérieur ? A l’extérieur, tu peux avoir ce genre de problèmes avec une personne à ton travail par exemple, mais ça va durer cinq minutes, tu peux répondre, remettre la personne à sa place, c’est gérable. En prison, c’est en continu et si tu réponds, on va te mettre un rapport d’incident pour outrage ou non respect du règlement. Le rapport d’incident est souvent très exagéré. Et tu te retrouves au mitard alors qu’il n’y a qu’un dixième de vérité là-dedans. Tu te bats contre des murs. Même si tu as Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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raison, tu dois apporter des preuves. Par exemple, si après une fouille de ta cellule, un objet a disparu, on te demande d’apporter la preuve du « vol ». Je ne vais pas installer une caméra dans ma cellule… Si tu te mets à dos un surveillant, tu as rapidement toute l’équipe contre toi. Et tu commences à ruminer, ruminer, ruminer. Tu penses qu’il y a une cabale contre toi, tu es de plus en plus oppressé par l’enfermement entre quatre murs, tu ne peux pas décompresser comme à l’extérieur. Et certains détenus basculent dans la violence. Est-ce que cela vous est arrivé ? Une seule fois dans ma vie. Je n’avais jamais été violent à l’extérieur. C’était contre le directeur-adjoint de la prison, en 1987. J’avais une copine à la maison d’arrêt des femmes. Le juge d’instruction m’avait donné l’autorisation de lui écrire et de la rencontrer en parloir intérieur. Mais le directeur a dit non, il avait trouvé une disposition du code pénal qui allait dans son sens, car elle était condamnée et moi prévenu. Je me suis amputé d’un doigt, pour pouvoir aller à l’hôpital. A mon retour en détention, j’ai appris que le directeur avait fait pression sur mon codétenu pour savoir où étaient passés mon doigt et mon couteau, en lui faisant du chantage sur ses permissions et sa conditionnelle. J’ai pété un câble, j’en ai mis une au directeur. Attention, il y a aussi des personnels tout à fait corrects, avec qui les rapports sont plus humains, il n’y a pas de problème avec eux. Est-ce que cela ne s’est pas amélioré dans les vingt dernières années ? Je ne crois pas. Dans le temps, les surveillants évitaient davantage le contact. Aujourd’hui, certains ont pris l’habitude de pousser brutalement les détenus pour les ramener en cellule. Et s’ils font ça à un jeune de cité… La violence entraîne la violence. Si tu provoques les gens tous les jours, ils finissent pas exploser. Et après on s’étonne que des gens entrent en prison pour une peine de 18 mois et y restent pendant vingt ans. La violence n’est pas que physique, elle est plus souvent verbale ou psychologique. Un surveillant peut venir la nuit mettre des coups dans la porte d’un détenu et lui dire à travers la porte


VIOLENCES CARCÉRALES : AU CARREFOUR DES FAUSSES ROUTES

« Il y a la façon dont certains nous parlent, comme si on ne méritait plus la politesse » « T’es pas encore mort, t’es pas accroché ? » Je ne dis pas que c’est fréquent, mais ça arrive. Comment avez-vous tenu pour ne pas réagir violemment ? Tous les jours, je me suis retenu. Mais si tu entres dans cette spirale, tu ne sors plus de prison. Il faut apprendre à te contrôler, prendre sur toi, quitte à te rendre malade ou te faire des violences à toi-même. J’ai passé des nuits sans dormir, à me prendre la tête. Je me demandais ce qu’ils allaient me faire le lendemain : me mettre un portable, du shit dans la cellule ? On est aux aguets tout le temps. On a aussi l’impression que la violence peut partir pour pas grand-chose en prison ? Oui, mais il faut voir ce qui se passe dans la tête d’un détenu. Il ressent trop de pression, d’injustice, de frustration. Par exemple, il suffit que sa famille arrive deux minutes en retard au parloir et l’administration annule la visite. Pour peu que la famille vienne de loin, qu’elle soit le seul lien du détenu avec l’extérieur, il peut péter un câble. Ou alors, un détenu qui est depuis un an sur la liste d’attente pour du travail, il voit qu’un autre à peine arrivé a déjà un poste… Il a un sentiment d’arbitraire et d’impuissance terrible. Et l’impression que pour obtenir quelque chose, il faut agir violemment ? Il existe pourtant de meilleures façons. Il y a vingt ans, on faisait des mouvements, des blocages, afin d’obtenir des améliorations. Les détenus étaient plus politisés. Aujourd’hui, les jeunes sont individualistes, ils préfèrent rester en cellule avec leur Playstation et leur joint. Ils savent aussi que s’ils bougent une oreille, ils seront immédiatement transférés dans une centrale plus dure.

Le niveau de tensions est très différent d’une prison à l’autre ? Oui, mais cela dépend de la direction, pas seulement du type d’établissement. J’ai connu des maisons d’arrêt où les portes des cellules étaient ouvertes presque toute la journée, avec un accès au sport quasiment continu, beaucoup d’activités… Quand la direction a changé, tout a été resserré et la tension est montée. L’ouverture des portes en journée, même quelques heures, ça change tout. Tu peux aller au téléphone ou à la douche, sans être obligé de mettre un drapeau [bout de papier glissé à travers la porte] et d’attendre qu’un surveillant vienne ouvrir, dans cinq minutes ou dans une heure, peut-être. Et on attend de plus en plus, en particulier depuis l’arrivée des femmes surveillantes ! Cela rend les hommes surveillants moins disponibles : tu as mis ton drapeau pour aller à la douche, mais le gardien, il est occupé à baratiner sa collègue. Au bout d’un moment, le détenu commence à tambouriner dans la porte. Le surveillant arrive, il est énervé et le détenu aussi, il commence à y avoir des mots, et ça peut basculer pour rien. Après, il faut reconnaître que la population pénale est plus difficile aujourd’hui : il y a vingt ans, on était une majorité de gars du grand banditisme, on pouvait jouer tous les jours au foot dans la cour pendant trois heures sans jamais de violences. Qu’est-ce qui peut faire partir les violences entre détenus ? Souvent, cela part de rumeurs. Par exemple, un surveillant ou un détenu dit à un autre qu’untel est une balance. Ou il divulgue les sales faits pour lesquels il a été condamné. Et un jour à la douche, le type qui a été dénoncé, que ce soit vrai ou faux, risque de se prendre un coup de lame. Quand j’étais « auxi cantine » [poste de travail pour un détenu au « magasin » de la prison], je me suis interposé pour défendre une surveillante, alors qu’un gars qui n’avait pas reçu ce qu’il voulait commençait à s’en prendre à elle. J’ai eu des problèmes après, la moitié des

Quelle est l’importance des activités, du temps passé hors cellule, sur la pression ressentie par les détenus et le risque de violences ?

© Bruno Amsellem/Signatures

Enorme. Plus tu as d’activités, moins tu gamberges. Si tu as du boulot, des cours, du sport, les journées sont meublées, le temps est moins long et tu rumines moins. En maison d’arrêt ou au quartier d’isolement, quand les détenus n’ont qu’une heure de promenade par jour, les heures, les minutes, les jours se ressemblent affreusement. Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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détenus environ a commencé à m’injurier : « T’es un enculé, t’avais qu’à la laisser, c’est une surveillante. » Et quelques semaines plus tard, la surveillante et moi, on s’est fait vraiment agresser par un autre détenu. Il était analphabète et se trompait souvent en remplissant ses bons de cantine. Du coup, il recevait des patates alors qu’il pensait avoir demandé des tomates. Tous les jours, il nous insultait et nous menaçait. L’agression, on la voyait venir. La surveillante a prévenu les chefs, mais ils ont laissé pourrir la situation. Je l’ai souvent vu, ce manque de soutien de la direction. Il y a des prisons qui concentrent les cas « psychiatriques », on les appelle les « boucans ». Ils insultent et menacent sans arrêt, parfois ils agressent des surveillants. Et il n’y a aucune réaction de la direction. C’est incroyable cette administration.

© Michel Le Moine

dossier

Dans une cellule du centre des jeunes détenus de Fleury-Mérogis, 2002

La peur est très présente en détention ? Certains surveillants viennent travailler avec la peur au ventre, c’est sûr. Plusieurs d’entre eux m’en ont parlé : ils avaient été menacés par un détenu, ils flippaient pour leurs enfants, n’en dormaient pas la nuit. A un moment, ils en ont marre, ils disent qu’ils vont quitter la pénitentiaire pour aller à la RATP. Et nous aussi, on a peur de certains surveillants, qui sont capables de monter n’importe quelle embrouille contre un détenu. Vous avez aussi été témoin d’une grave agression entre détenus à Poissy, ce qui vous a causé des problèmes par la suite, vous pouvez raconter ? C’était en octobre 2012. On était dans le gymnase, deux détenus s’entraînaient à la boxe. L’un se met à expliquer à l’autre : « Non, tu ne dois pas boxer comme ça, il faut faire comme ça. » L’autre répond : « Tes conseils, tu te les gardes. » Là encore, ça démarre pour un rien. Ils ont commencé à se chauffer, le surveillant moniteur de sport est intervenu, il leur a dit de sortir du gymnase. Mais les deux, ils ont continué dans la cour. Deux autres agents sont arrivés, ils n’ont rien fait, même pas d’alarme. Les deux détenus sont retournés dans le gymnase, ils ont fermé la porte et il y en a un qui a commencé à bouffer la veine jugulaire de l’autre, puis il lui a mis un coup de lame dans la tête. Le prof de sport est monté sur lui, lui a tiré les cheveux pour l’arrêter. Il a demandé de l’aide plusieurs fois aux deux surveillants, qui n’ont pas bougé. Après la bagarre, ils ont écrit des faux comptes rendus disant qu’ils étaient intervenus. Ils ont été poursuivis au tribunal, où j’ai témoigné contre eux, avec le moniteur de sport. Je n’avais jamais vu un surveillant se constituer partie civile contre un autre. Ils ont été relaxés, mais le parquet a fait appel. Ensuite, des surveillants qui étaient venus assister au procès ont raconté n’importe quoi en détention sur le moniteur et moi, faisant croire qu’on s’était mis de mèche pour les faire tomber. Le moniteur de sport est devenu un paria pour certains

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collègues. Ils ne lui parlaient plus, ils lui ont rayé sa voiture, ils lui faisaient des menaces. Cette histoire vous poursuit encore ? Oui, elle m’a valu récemment de me faire maltraiter par des surveillants en centre de semi-liberté. Ils connaissaient l’histoire de Poissy, ils étaient du même syndicat. Ils m’ont d’abord emmerdé avec des procédures disciplinaires bidon, une fois parce que je portais des tongs, une autre parce que j’avais ramené un café de l’étage en cellule… Ils ont fini par venir au contact, me pousser, me tordre la main et le bras… Résultat, je suis retourné quelques jours en maison d’arrêt à Fresnes, puis j’ai été placé dans un autre centre de semi-liberté. Il arrive souvent que les surveillants n’interviennent pas lors de bagarres en cour de promenade, qu’en pensez-vous ? Oui, c’est courant. A Fleury, ils n’entrent même pas dans la cour. J’en ai vu des bagarres, les surveillants n’avaient qu’à venir à plusieurs pour séparer deux détenus, mais non ! Ils sont quand même là pour ça, c’est leur métier. A mon avis, ils estiment que ça ne vaut pas le coup de prendre des risques pour un détenu. Pour un surveillant, ils le font. En centrale ou en centre de détention, il y a un autre facteur : les surveillants sont amenés à recroiser souvent le détenu violent, donc pour éviter des représailles contre eux, ils préfèrent laisser faire. Résultat : il y a des détenus qui sortent de promenade en sale état, il est arrivé que certains en perdent la vie. Il y a d’autres facteurs de violence et de tensions en prison ? Oui, le shit ! Quand les détenus n’en ont plus, ils tueraient père et mère pour un joint. Il y a aussi les peines de plus en plus longues. Celui qui a vingt ans à faire, il va perdre sa femme, il ne verra plus ses enfants, il n’aura plus de parloir, il ne peut pas se projeter vers


VIOLENCES CARCÉRALES : AU CARREFOUR DES FAUSSES ROUTES

« Si tu réponds, on va te mettre un rapport d’incident pour outrage ou non respect du règlement »

son avenir car la sortie est trop lointaine. Il n’a plus rien à perdre, et du coup il est prêt à se prendre deux ans de plus pour obtenir un transfert dans une autre prison. Je ne sais pas comment j’ai fait pour tenir plus de trente ans. C’était très long, mais ça a aussi défilé à vitesse grand V. Parce que la vie, ça va vite.

travail ni pour mon retour chaque soir avant 23 heures en prison. Pour autant, on ne m’accorde aucune permission pour aller voir ma femme à Orléans, au motif que je ne suis pas en semi-liberté depuis assez longtemps. Ils me disent que je dois apprendre à gérer la frustration ! Après vingt-sept ans de prison, c’est difficile à entendre. Je ne peux pas passer une soirée avec ma femme, manger et dormir avec elle. Elle ne comprend pas et finit par se demander si ce n’est pas moi qui provoque ces problèmes, ça crée des tensions entre nous. Je devais aussi me faire opérer en urgence d’une hernie, alors

Même en prison ? C’est aujourd’hui que je réalise que c’est passé vite. Là-bas, je zappais. J’ai vu tellement d’horreurs : des détenus mourir, des mômes se suicider. Il y en a un, il avait 23-24 ans, je l’avais un peu pris sous ma coupe. Il était plein de cachetons, toxicomane, avec une peine de 30 ans pour assassinat. Il recevait de gros mandats de sa famille et se faisait racketter par les autres pour des cigarettes. L’administration le savait, il achetait tellement de cartouches, c’était impossible pour une personne. Mais la pénitentiaire ne sait pas mettre le holà. Il allait très mal et au SMPR (service psychiatrique), on lui donnait toujours plus de cachetons. Pour beaucoup, la violence en prison vient aussi du fait qu’aucun mode d’expression et de revendication n’est reconnu pour les détenus, qu’en pensez-vous ? C’est surtout qu’on ne nous répond pas. On peut parler, demander, mais notre question est déviée, la réponse est à côté de la plaque. Au bout d’un moment, tu as l’impression qu’on te prend pour un con, qu’on te balade. Et puis maintenant, tout est basé sur le sécuritaire, portes fermées et tout, pas sur le dialogue. Avez-vous connu des prisons où une autre politique était menée, avec de la médiation plutôt que du disciplinaire, des réunions pour écouter les revendications des détenus ? Oui, dans les années quatre-vingt. Il y avait des délégués d’étages en centrale, avec une réunion tous les mois. Les participants étaient le directeur ou son adjoint, le chef de détention, le responsable du SPIP [service pénitentiaire d’insertion et de probation], un aumônier, un moniteur de sport… Les délégués leur expliquaient qu’on voulait plus d’activités, des ballons… Ils notaient, regardaient ce qui était possible ou pas, et puis ils mettaient certaines choses en place. Ça marchait bien. Aujourd’hui, il n’y a plus rien pour te faire entendre en prison. Il faut avoir recours à un avocat ou à l’OIP, il faut passer par l’extérieur.

« Et tu commences à ruminer, ruminer, ruminer. Tu penses qu’il y a une cabale contre toi, tu es de plus en plus oppressé par l’enfermement, tu ne peux pas décompresser comme à l’extérieur »

que je suis livreur et je porte des cartons toute la journée. Mais on m’a dit qu’il faudrait que je retourne à Fresnes pour la convalescence, à l’hôpital pénitentiaire ! Ensuite, la juge m’a dit de faire une demande de suspension de peine médicale, alors qu’en fait, je n’étais pas dans les conditions légales. A mon travail, on me dit tout le temps de me mettre en arrêt maladie, mais si je fais ça, je ne pourrai plus sortir du centre de semi-liberté, c’est comme retourner en prison. Donc je travaille, malgré les risques pour ma santé. J’ai l’impression d’une histoire sans fin, que je ne sortirai jamais vraiment. Je n’arrive pas à m’imaginer libre. Mon patron la semaine dernière, il m’a dit que tous mes « problèmes de prison » étaient en train d’empiéter sur ma vie professionnelle. Parfois à 21 heures, le « dispatcher » me donne une nouvelle livraison, mais je lui explique que je n’ai pas le temps, je dois retourner en prison. Du coup, il téléphone au patron, qui me dit d’arrêter de dire à tout le monde que je suis en prison ! Et puis il y a la difficulté à retrouver la vie extérieure après une longue peine. Je suis en permanence avec la prison. Elle ne m’a pas eu mais j’ai forcément des séquelles. Je n’ai jamais vu de psychiatre ou de psychologue. En détention, je faisais beaucoup de sport, je ne peux plus avec la semi-liberté, je n’ai pas le temps. Je trouve que les juges et le SPIP ne prennent pas en compte ces difficultés. Rien n’est fait pour nous aider, uniquement pour nous tester, exiger des preuves, encore et encore. Recueilli par Sarah Dindo

Est-ce que la pression redescend maintenant que vous êtes en semi-liberté ? Pas vraiment, je ne pensais pas que ce serait aussi compliqué, la semi-liberté. Je respecte toutes mes obligations à la lettre depuis six mois et demi : je n’ai jamais eu de retard ni à mon Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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dossier

Entré pour une peine de 3 ans, détenu depuis 18 ans Incarcéré en 1996 pour une peine de trois ans et dix mois, Rachide B. n’est plus jamais sorti de prison. Il avait 19 ans, il en a 37. Après une succession d’incidents et de nouvelles condamnations pénales, il est à présent libérable en 2038. Une escalade absurde générée par un système pénitentiaire ne sachant répondre que par la coercition.

R

ACHIDE B. A CONNU UNE ENFANCE ET UNE ADOLESCENCE SANS

encombre. Une scolarité réussie. Jusqu’à ses 19 ans, où « à l’occasion de fréquentations douteuses », il dit « avoir rapidement versé dans la délinquance » 1 : tentative de vol avec violence dans une station service, vol avec violence dans un magasin, cambriolages. Pour l’ensemble de ces faits, il est condamné à trois ans et dix mois d’emprisonnement (après confusion de peines) et incarcéré en septembre 1996 à la maison d’arrêt de Reims.

De la révolte aux brimades Rachide supporte mal la multitude de règles, plus ou moins explicites, qui caractérisent le milieu carcéral. Il s’emporte par exemple lorsqu’on lui refuse l’accès à la salle de sport parce qu’il n’a pas les bonnes chaussures. Et multiplie les éclats, auxquels les autorités pénitentiaires et judiciaires répondent toujours de la même manière : placement au quartier disciplinaire, poursuites pénales, transfert dans une autre prison et condamnation. Fin 1999, après trois ans de détention, sa peine est déjà rallongée de vingt-trois mois : il a été condamné quatre fois pour outrages et a connu quatorze transferts. Loin de rompre la spirale, ces condamnations attisent sa révolte et son opposition. Les nouvelles peines se multiplient : en 2000, six mois pour outrages, huit mois pour menace de mort et deux ans pour violence aggravée à l’encontre d’un surveillant. Il finit par être affecté à la maison centrale d’Ensisheim, où l’administration le soumet à un régime de sécurité particulièrement strict. Tous ses déplacements sont « accompagnés par des surveillants équipés de casques et de boucliers 2 ». Sous une telle pression, l’altercation éclate vite. S’estimant victime de propos racistes, il crache sur un personnel en novembre 2000. S’ensuit « l’intervention dans [sa] cellule d’agents équipés (notamment de masques à gaz) », au cours de laquelle Rachide B. dit « avoir reçu des coups à répétition et avoir été aspergé de gaz lacrymogène au plus près de son visage et plus que nécessaire ». Transféré dans un établissement voisin, il est placé au quartier disciplinaire. Le lendemain, lorsqu’un surveillant ouvre la porte pour le petit-déjeuner, il lui lance un bol à 1 Expertise psychiatrique du 28 février 2009. 2 CNDS, Avis du 14 décembre 2009. Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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la tête et lui donne un coup de stylo au visage. Il expliquera son geste par l’exaspération induite par l’intervention de la veille et les provocations qu’il aurait subies la nuit (coups de pieds dans la porte de sa cellule, veilleuse du sas laissée allumée). Rachide B. est condamné à deux ans de prison supplémentaires et classé DPS (détenu particulièrement surveillé).

« C’est à ce moment que je suis devenu ingérable » Pour Rachide, il s’agit du moment charnière. Après « je suis devenu ingérable » dit-il. Et de fait, il s’inscrit dans un véritable rapport de force vis-à-vis de l’administration. Pour protester contre les mesures de sécurité, le comportement de certains personnels ou obtenir un transfert, il macule régulièrement de ses urines et excréments les sas des cellules d’isolement ou disciplinaires. Il multiplie les outrages et menaces, déclenche des feux de cellule et verse quelquefois dans la violence physique. Un psychiatre dira : « l’histoire de sa détention fait penser qu’à un moment où un autre, il s’est forgé une véritable identité, un équilibre dans le fait d’être un problème pour l’administration pénitentiaire, quitte à aller à l’encontre de ses propres intérêts » 3. Dans les dix années qui suivent son passage à Ensisheim, Rachide écope de huit ans et neuf mois pour outrages, menaces et destructions de bien par un moyen dangereux ; et de quinze ans pour quatre faits de violence aggravée sur personnel. Il est encore condamné à six mois pour dénonciation calomnieuse à l’encontre de personnels. A l’emballement des peines s’ajoute celui de l’administration : Rachide B. fait l’objet d’une cinquantaine de transferts et à plusieurs reprises de traitements attentatoires à la dignité. De retour à Ensisheim en 2008, il est menotté et emmené au quartier disciplinaire par quatre personnels pour avoir, quelques heures plus tôt, tenu des propos déplacés à l’encontre d’un surveillant (« Pourquoi tu m’empêches de passer ? Si tu bouges pas quand je sors de la cour, je te rentre dedans ! »). Il est ensuite laissé six jours dans une cellule souillée de ses 3 Lettre du Dr Scheifler, psychiatre au CHS de Sarreguemines, à la Direction de l’administration pénitentiaire, 1er oct. 2008.


© Mélanie Desriaux, Sans titre, extrait de la série 6m2, 2006

VIOLENCES CARCÉRALES : AU CARREFOUR DES FAUSSES ROUTES

Maison centrale de Saint-Martin-de-Ré, 2006

déjections. Sans que jamais la grille ne soit ouverte. Il n’a pu ni se laver, ni se changer, ni sortir en promenade, selon un avis de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) de décembre 2009. Une douche ne lui est accordée qu’à la suite de protestations de personnels. Et encore, dans des conditions particulières : « Il lui a été demandé de se déshabiller entièrement à l’intérieur de la cellule, puis il a été escorté par des agents équipés jusqu’à la douche ». A Clairvaux, en 2009, il est maintenu 80 jours sans interruption au quartier disciplinaire, pour exécuter plusieurs sanctions. R. B souillant de nouveau sa cellule, le directeur prend une note visant à ce que « le repas » du midi lui soit « joint avec celui du soir » et remis, en fin d’après-midi, « pendant le temps de promenade » 4 servant au nettoyage de sa cellule. Pendant plus de deux mois, il n’a pu réchauffer ses plats qu’en les plaçant sur un radiateur. 4 Note du 27 janvier 2009 concernant la gestion spécifique du détenu R.B.

A meilleur traitement, le calme retrouvé L’attitude de Rachide B. désempare. Au point d’être envoyé plusieurs fois en unité psychiatrique pour malades difficiles (UMD), où est constatée « l’absence de trouble psychiatrique 5 ». Dans ces structures, où il ne fait l’objet d’aucun traitement médicamenteux, il est « calme, posé, contrôlé 6 ». Un psychiatre souligne : « Dès son admission, le choix a été fait de le laisser participer à toutes les activités thérapeutiques, sportives ou ergothérapiques. […] Sans précaution particulière et en particulier sans aucune mesure de sécurité différente de celle des autres patients. En retour, il a accepté les contraintes que pouvait représenter le quotidien avec des patients parfois

5 Dr Milosescu, psychiatre au CHS de Sarreguemines, Commission de suivi médical du 21 août 2009. 6 Certificat médical du 6 oct. 2008. Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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dossier

© D.R.

par ailleurs très éloignée du lieu de vie de sa compagne. Il est condamné à huit ans d’emprisonnement.

Seuls les surveillants appartenant aux ERIS sont habilités à porter une cagoule (circulaire du 9 mai 2007)

gravement malades 7 ». A chaque retour en prison, les incidents reprennent. Avec une accalmie toutefois fin 2011, après que le détenu a noué une relation affective avec une habitante de la région de Clairvaux. Pendant deux ans, il ne fait plus l’objet de poursuites pour menace ou violence. Mais il est condamné à sept ans pour deux feux de cellule provoqués dans l’espoir d’obtenir un rapprochement familial sur Clairvaux. Son affectation en décembre 2013 à la nouvelle maison centrale ultrasécuritaire de Condé-sur-Sarthe signe un coup fatal : il participe à la prise d’otage d’un surveillant. Rachide B. dit n’avoir pas supporté les conditions de détention dans cette prison, 7 Dr Scheifler, lettre à la DAP, 1er oct. 2008.

Transféré en mars 2014 à la centrale de Saint-Martin-de-Ré, il s’y sent entendu et respecté par le directeur de l’établissement, et accepte de s’inscrire dans un parcours d’exécution de peine. Il obtient un travail au quartier d’isolement (auxiliaire peintre) et ne provoque plus d’incident. Jusqu’à un tract du syndicat FO-Pénitentiaire dénonçant qu’on lui permette de travailler. Intitulé « Prime à la vermine et à la racaille » (injure constitutive d’une infraction pénale) il divulgue son nom ainsi que des éléments (erronés) de son casier judiciaire. Mis en ligne sur Internet le 24 mars, le tract évoque un classement au travail « honteux », « scandaleux » et « écœurant », qui « ouvre la porte à tous ces voyous irrespectueux de l’ordre républicain qui demain s’engouffreront dans cette brèche pour obtenir par la force ce que le règlement leur interdit ». Aucun texte n’interdit à un détenu qui a commis des infractions en détention d’accéder à un poste de travail. Non sanctionnée, cette démarche crée un climat de tension qui aboutit à une altercation de R.B. avec un surveillant, son placement au quartier disciplinaire et son transfert. Depuis, il a oscillé pendant trois mois entre les quartiers disciplinaire et d’isolement de la maison d’arrêt de Lyon-Corbas, avant d’être affecté à la maison centrale de Saint-Maur. Prison située à plus de 300 km du lieu de vie de sa compagne et dans laquelle il a déjà eu maille à partir avec des syndicats de personnels. Au total, il a connu 86 transferts. Et plus de 44 années d’emprisonnement ont été prononcées à son encontre pour des délits commis en détention. Marie Crétenot

Point de départ de l’incident : assister à l’envol d’un oiseau Ce samedi 25 mai 2013, la tension monte au quartier dis- tion des surveillants, dont l’un lance une jambe vers elle par Ce samedi 25 mai 2013, la tension monte au quartier disciplinaire (QD) du centre de détention pour femmes de Bapaume. ciplinaire (QD) du centre de détention pour femmes de deux fois, pour tenter de la pousser dans sa cellule. ChrisChristine s’y trouve depuis deux jours. Comme les jours précédents, avant de descendre en promenade, elle s’apprête à tine lui attrape le pied et le fait chuter. Elle est finalement Bapaume.ses Christine s’y trouve depuis récupérer chaussures à lacets et sadeux vestejours. dans Comme la cellule de stockage, où sont conservés les effets non autorisés en maîtrisée – avec « la force strictement nécessaire » précise le les jours précédents, avant de descendre en promenade, cellule de discipline. Refus du gradé, sans explication. Paroles agressives de Christine, puis retour au calme et promenade. rapport. Un certificat médical, établi trois jours plus tard, fait s’apprête récupérer ses chaussures et sa veste «elle Dans la petiteà cour bétonnée et grillagée,à lacets j’ai observé un oiseau qui y était coincé et ne pouvait plus sortir » raconte-t-elle état de coups et de bosses sur le front, l’épaule et les côtes. dansun la cellule deLes stockage, où sont conservés les effets non« Le gradé dans courrier. surveillants parviennent à l’attraper. Monsieur B. s’est dirigé vers la cellule de stockage pour Le 27 mai, la commission de discipline prononce 25 jours en cellule de discipline. Refus du explileautorisés libérer entre les barreaux de la fenêtre. J’aigradé, voulusans le suivre pour assister à l’envol de l’oiseau », raconte-t-elle. Nouveau refus QD supplémentaires et une audience correctionnelle se cation. Paroles agressives decellule. Christine, calme: “Side de la laisser accéder à cette « Jepuis lui airetour alors au répondu tu veux la bagarre, ça sera dès que j’aurai fini de téléphoner tient juin 2013, suite à la plainte du surveillant. Chrispromenade. « Dans la petite bétonnée et grillagée, de j’ai te casserlela13 àetmes parents. Là je n’aurai pluscour de raison de m’empêcher gueule’’ ! » Dans le rapport d’enquête établi suite à tine sera condamnée à un an d’emprisonnement dont six observé unChristine oiseau qui était coincé et ne pouvait plus sortiraprès » l’incident, neycache pas avoir interpellé le gradé avoir passé son coup de fil : « maintenant c’est bon, on peut mois avec sursis et 700 € de dommages et intérêts, pour ces raconte-t-elle un courrier.des Les surveillants, surveillants parviennent faire la bagarredans ». Intervention dont l’un lance une jambe vers elle par deux fois, pour tenter de la pousfaits qualifiés de violences et de menaces, ainsi que pour des à l’attraper. « Le gradé Monsieur B. s’est le dirigé cellule ser dans sa cellule. Christine lui attrape piedvers et lela fait chuter. Elle est finalement maîtrisée – avec « la force strictement graffitis et plusieurs feux allumés en cellule. nécessaire le rapport. médical, établi de stockage» précise pour le libérer entreUn les certificat barreaux de la fenêtre. J’aitrois jours plus tard, fait état de coups et de bosses sur le front, l’épaule les côtes. Le 27 mai, la commission deraconte-tdiscipline prononce 25 de jours de QD supplémentaires et une voulu le et suivre pour assister à l’envol de l’oiseau », En 18 mois détention, Christine a cumulé 235audience jours de correctionnelle se tient le 13 juin 2013, suite à la plainte du surveillant. Christine sera condamnée à un an d’emprisonneelle. Nouveau refus de la laisser accéder à cette cellule. « Je quartier disciplinaire, 70 de quartier d’isolement, et six ment mois avec sursis € de dommages intérêts, pour cesdisciplinaires. faits qualifiésPrès de violences et dedes menaces, ainsi lui ai dont alors six répondu : “Si tu veuxetla700 bagarre, ça sera dèsetque transferts de la moitié dossiers se que pour des graffitis et plusieurs feux allumés en cellule. j’aurai fini de téléphoner à mes parents. Là je n’aurai plus de fondent sur des « refus d’obtempérer à une injonction » ou raison de m’empêcher de Christine te casser laa cumulé gueule’’ !235 » Dans En 18 mois de détention, jourslederapquartier quartier d’isolement, transferts « dedisciplinaire, se soumettre70àdeune mesure de sécuritéet».six Une spirale port d’enquête établi suite à l’incident, Christine ne cache disciplinaires. Près de la moitié des dossiers se fondent sur dessans « refus à unecherchant injonctionà» obtenir ou « de se soumettre fin,d’obtempérer l’administration l’obéissance interpellé le gradé après avoirsans passé coup de parcherchant àpas uneavoir mesure de sécurité ». Une spirale fin,son l’administration obtenirchez l’obéissance force et de attisant la force etàattisant Christinepar deslaréactions refus chez Christine des réactions refus l’autorité. fil : « maintenant c’est bon, on de peut fairede la bagarre ». Interven- de l’autorité. Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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VIOLENCES CARCÉRALES : AU CARREFOUR DES FAUSSES ROUTES

Une centrale en France : le dialogue plutôt que le disciplinaire Dans un contexte de réouverture de la centrale sécuritaire d’Arles, son nouveau directeur Jean-Philippe Mayol, a cherché comment éviter l’explosion. Entre 2007 et 2012, il a mis en place des procédures visant à gérer les conflits par le dialogue et la médiation, plutôt que par la procédure disciplinaire et les transferts. Un système qui perdure à Arles depuis son départ.

Lorsque vous avez pris la direction de la centrale d’Arles à sa réouverture en 2007, vous avez mis en place une gestion de la détention accordant une place importante au relationnel. Quelle a été la genèse de ce projet ? Paradoxalement, tout est parti d’une contrainte. En me confiant l’ouverture de cet établissement, le directeur de l’administration pénitentiaire m’a demandé de mettre en œuvre la circulaire de 2003 sur la gestion des maisons centrales. Ce texte impose un contrôle strict des déplacements des détenus, avec fermeture des portes des cellules [au lieu du régime « portes ouvertes » pratiqué auparavant une partie de la journée, permettant aux détenus de circuler au sein d’une unité]. Nous avons donc avec l’équipe d’encadrement préparé la réouverture avec cette contrainte, mais aussi avec une carte blanche pour mettre en place de nouvelles procédures. Nous savions pertinemment que nous allions rencontrer des difficultés. La volonté d’instaurer du dialogue était une forme de compensation, pour faire accepter plus de contrainte ? C’était me semble-t-il la condition permettant de respecter la contrainte imposée. Nous allions accueillir un public de condamnés à de longues peines, ayant une décennie d’incarcération derrière eux, voire plus, ancrés dans l’habitude de vivre sans échanges avec les agents. Le nouveau régime nous imposait d’instaurer du dialogue. Pendant trois mois, les détenus ont tout rejeté en bloc, avec des mouvements collectifs, des refus d’activités, car bien entendu, ils ne souhaitaient pas être contraints de cette manière. Puis ils ont compris qu’ils avaient face à eux des cadres et des agents qui ne reculeraient pas sur l’application de la circulaire, mais étaient prêts à dialoguer. Le

personnel dans ce face à face devait transmettre un discours clair et manifester de l’intérêt à l’égard des détenus. J’ai demandé aux agents d’expliquer nos objectifs à chaque occasion, autour d’une idée clé : « certes, il y a des contraintes sur Arles, mais nous pouvons aussi construire ensemble ». Nous avons commencé par instaurer des moments pour « conflictualiser » : des temps de parole et de partage des points de vue, d’acceptation de ce que l’autre va dire (entendre, comprendre). La première procédure fut d’organiser un espace de consultation de la population pénale. Quel était le fonctionnement et le contenu de ces réunions de consultation ? L’objectif était de travailler ensemble sur l’organisation du quotidien : liens familiaux, cantines, activités, équipement des salles d’activité et des cours de promenade, etc. Les détenus n’ont pas accepté facilement de participer : ils craignaient que les porte-parole soient considérés par l’administration comme des leaders et transférés dans un autre établissement au premier conflit. Après les avoir rassurés sur ce point, nous avons expliqué que les divergences d’opinion pourraient s’exprimer, dans un respect mutuel. Les réunions avaient lieu dans chacun des deux bâtiments, avec une dizaine de participants dans chaque groupe, donc au total 20 détenus sur un effectif de 130. Je n’ai pas organisé d’élection des représentants de la population pénale, car ce mécanisme ne me semblait pas adapté. Les personnes intéressées se manifestaient auprès des officiers. Après quelques réunions, je me suis rendu compte qu’il fallait des critères de sélection, dont le principal était d’éviter des personnes souffrant de troubles mentaux, avec lesquelles le dialogue était trop difficile, ce qui Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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dossier « Le recours au quartier disciplinaire est antagoniste avec les procédures de dialogue, qui relèvent de la prévention ; nous l’évitions donc au maximum »

du temps, nous aboutissions à un apaisement. Mais aussi à un regard différent, et c’était l’enjeu principal : comment j’écoute l’autre, comment je lui parle. La majorité de ces conflits résulte de malentendus : incompréhension de la règle pénitentiaire appliquée, interprétation d’une parole, d’un regard ou d’une attitude…

bloquait la dynamique de groupe. Le deuxième critère fut de veiller à l’intérêt des participants quant au thème abordé, faute de quoi chacun venait uniquement pour exposer sa situation individuelle. Nous avons dès lors élaboré un ordre du jour, à partir de propositions des détenus et de l’administration. Certains participants venaient régulièrement, d’autres en fonction de l’ordre du jour. Si la réunion portait sur la gestion des unités de visite familiale (UVF), nous demandions que les usagers des UVF participent, plutôt que ceux qui n’en avaient pas. Chaque réunion était dirigée par le chef d’établissement ou un de ses adjoints, actée par un compte-rendu. Celui-ci était diffusé dans chaque bâtiment de détention et au local d’accueil des familles. Les comptes-rendus étaient archivés, afin de conserver une trace des décisions prises et d’éviter une remise en cause à chaque arrivée d’un nouveau détenu. Cela créait une histoire et évitait de revenir sur des sujets déjà traités.

La médiation a-t-elle aussi été développée pour les conflits entre personnes détenues ?

Quels autres dispositifs avez-vous mis en place ? Nous avons ensuite développé la « médiation relationnelle », visant à gérer les conflits individuels, entre personnes détenues et membres du personnel dans un premier temps. La médiation pouvait être proposée par l’encadrement, demandée par le surveillant ou par le détenu, lorsque la communication semblait bloquée. Un entretien préalable permettait de préparer la médiation et de rappeler les règles de communication. Par exemple : il ne faut pas interrompre le développement de la pensée de l’autre, porter des jugements de valeur, on prend la précaution de dire ce que l’on a pu ressentir d’une situation… Ces entretiens préalables étaient assurés avec le détenu par un officier responsable des bâtiments, et avec le surveillant par un membre de la direction, un officier supérieur, ou parfois le psychologue PEP. Cela permettait à chacun de s’exprimer et au futur médiateur de cerner les problèmes. Le médiateur, membre du personnel, réunissait ensuite les deux protagonistes, avec une fonction de régulateur de parole et de garant du respect des consignes. Cet entretien, de 20 à 25 minutes, avait pour objectif d’aboutir à une compréhension commune de la situation : Pourquoi le conflit a-t-il éclaté ? Pourquoi la communication a-t-elle été rompue ? Comment recréer du lien relationnel ? Si cet objectif était atteint, nous partions sur des engagements mutuels. Sinon, le médiateur proposait un deuxième, voire un troisième entretien. Un débriefing avec chacun des protagonistes lui permettait par la suite de s’assurer de la bonne compréhension des thèmes développés pendant la médiation. Après une période d’observation vérifiant le respect des engagements, un compte-rendu final était remis à chacun. La plupart Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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L’idée a été plus difficile à faire admettre. Les détenus estimaient que l’administration n’avait pas à s’en mêler : « On a l’habitude de gérer ça entre nous ». Mais la réponse qu’ils apportaient s’inscrivait le plus souvent dans un processus de vengeance sans fin et non dans la régulation des conflits. La première fois que nous avons proposé une médiation, c’était lors d’un conflit très violent entre deux fortes personnalités, qui immanquablement entraînait de la vengeance de part et d’autre et risquait de dégénérer en bagarre collective. Leur réponse a été négative. Jusqu’au moment où nous leur avons fait la proposition : et si parmi les médiateurs il y avait des personnes détenues ? Là, ils ont accepté. La procédure était la même, sauf qu’à un moment donné, le médiateur de l’administration se retirait et laissait le médiateur-détenu avec les protagonistes. Pour assurer ce rôle, nous avons sollicité des détenus ayant eux-mêmes profité d’une médiation lors d’un conflit avec un personnel. Ils avaient pu éprouver et analyser les avantages de cette procédure, notamment grâce à une formation spécifique sur la médiation relationnelle. De cette expérience est aussi venue l’idée d’attribuer à certains la fonction de « détenus facilitateurs ». Comment s’est terminée cette première médiation entre les deux détenus « leaders » ? Même si le processus a été long et complexe, ils étaient satisfaits lors du débriefing parce que la médiation leur avait permis de sortir de la situation de conflit sans perdre la face. Ils n’étaient plus obligés de se battre à chaque fois qu’ils se croisaient pour assurer leur position dans la hiérarchie des détenus. Ils ont appris à se faire respecter non par la violence, mais par la discussion. Et ils ont pu rester tous les deux à Arles, alors que le transfert de l’un des deux l’aurait éloigné de sa famille. Quelle est l’étendue du rôle des « détenus facilitateurs » ? Ils jouent un rôle de médiation et de dialogue, au-delà des situations de conflits. Ce sont des « poissons pilotes » qui aident d’autres détenus à se repérer. Certains sont attachés à une personne ayant besoin d’assistance en raison d’un handicap ou d’une vulnérabilité particulière. Les facilitateurs sont aussi présents au « quartier arrivants » pour expliquer les différentes procédures de médiation et le fonctionnement de l’établissement. Ils interviennent également aux côtés des personnes placées à l’isolement, lors de rencontres d’évaluation avec l’encadrement, pour envisager un retour en détention


VIOLENCES CARCÉRALES : AU CARREFOUR DES FAUSSES ROUTES

© ministère de la Justice

Une des particularités du régime de la centrale d’Arles est aussi d’éviter autant que possible le recours au quartier disciplinaire. Il s’agit une partie intégrante du dispositif ?

Médiation animale avec des chevaux à la centrale d’Arles, 2011

ordinaire. Les facilitateurs accompagnent ce retour, pour favoriser l’intégration. Si un détenu présente des troubles psychologiques, le facilitateur explique au groupe qu’une personne fragile va arriver dans l’unité avec tel ou tel type de comportement, qu’il ne faut pas considérer cela comme une agression personnelle… Sans cette intervention, l’intéressé risquerait d’être rejeté, ce qui entraîne de la violence. Ce travail a été renforcé par la désignation de personnels référents pour la prise en charge des personnes souffrant de troubles psychologiques, qui avaient alors un interlocuteur privilégié parmi les agents. Quels ont été les effets de ce mode de gestion de la détention ? Les mouvements ayant marqué l’ouverture de la centrale ont cessé, et il n’y a pas eu par la suite d’incidents notables. Des incidents se produisaient, mais à relativiser au regard des parcours souvent chaotiques des personnes arrivant à Arles, avec de nombreuses agressions à leur actif, des années passées de quartiers d’isolement en quartiers disciplinaires, des transferts à répétition… Avec ces procédures, les détenus arrivaient mieux à comprendre et maîtriser leurs émotions, leurs comportements, à accepter des règles sociales. Je pense à un détenu quadragénaire qui avait vécu 20 ans d’isolement et qui a pu revenir en détention ordinaire à Arles. Un autre, souffrant de troubles psychiatriques, a fini par accepter un traitement puis, via un stage de médiation animale, a progressivement accepté les autres… et s’est fait accepter d’eux. Il a fallu presque deux ans de travail pour le sortir de l’isolement, avec l’appui des détenus facilitateurs. Pour d’autres, le processus a permis de les sortir du circuit des maisons centrales et de les intégrer dans un centre de détention, avec un régime beaucoup plus souple. Avec en ligne de mire l’aménagement de peine. La finalité étant de permettre une réinsertion durable pour des détenus coupés de la société pendant de très longues périodes de leur existence.

Oui, le recours au quartier disciplinaire est antagoniste avec les procédures de dialogue, qui relèvent de la prévention. Nous l’évitions donc au maximum, sauf en cas de mise en danger de la sécurité d’autrui. Nous réunissions quand même la commission de discipline lors d’agressions verbales ou physiques, pour marquer le franchissement d’une limite non négociable. Chacun s’exprimait et donnait son point de vue sur l’incident. Et nous proposions toujours une médiation, à la place d’une sanction ou après son prononcé. Certains détenus se sont-ils montrés réticents à l’égard de ces méthodes ? Certains ne les ont pas acceptées. Ils craignaient de perdre leur pouvoir sur les autres, ou bien ils restaient dans la haine de l’institution et n’arrivaient pas à sortir du rapport de force. Il y a eu des échecs. Nous avons juste veillé à ce qu’ils ne perturbent pas le travail mené avec les autres. Nous laissions la personne tranquille, elle regardait ce qui se passait. La force de l’exemplarité peut être motrice, et faire évoluer la réflexion. Pour des personnes en grande fragilité psychologique, ou bloquées dans une manière de penser « c’est toujours de la faute de l’autre », nous pouvions aussi proposer une « médiation animale » – en l’occurrence avec des chevaux. Il s’agissait de stages de trois jours, qui permettaient de prendre conscience de sa façon d’entrer en contact, de communiquer. Le premier jour, les moniteurs de sport et l’intervenant (psychologue équithérapeute), présentent le processus aux stagiaires et les rencontrent en entretien individuel. Le deuxième jour est consacré au travail avec le cheval, dans un manège installé sur le terrain de sport : il ne s’agit pas d’équitation mais d’un travail à la longe, symbole du lien social. Le détenu est invité à communiquer avec le cheval, à lui donner des consignes. Il y a par exemple un exercice où le stagiaire guide le cheval dans un labyrinthe. La troisième journée est consacrée à un débriefing individuel pour analyser avec chaque stagiaire ce qui s’est passé, les règles de communication utilisées, en complétant par des apports théoriques. C’est souvent le début d’une réflexion à long terme. Vous organisiez aussi des formations communes détenus-surveillants. Dans quelle optique ? A l’origine, elles visaient à améliorer le fonctionnement des réunions de consultation de la population pénale. Nous avions proposé aux seuls détenus des formations sur les notions de démocratie, de prise de parole, de respect des engagements… Un jour, un intervenant s’est plaint d’être gêné par des surveillants qui rentraient dans la salle pour écouter. J’ai trouvé que c’était positif, je lui ai demandé de laisser faire. Des surveillants ont ensuite manifesté leur souhait d’y assister. Les représentants du personnel ont même demandé à ce que ces Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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dossier

© ministère de la Justice

Avez-vous développé des dispositifs similaires au Centre de détention du Port (Réunion), que vous dirigez depuis septembre 2012 ?

Les stages de médiation animale durent trois jours; ils permettent de travailler sa manière d’entrer en contact et de communiquer

formations partagées relèvent de leur programme de formation. Ces moments ont contribué à changer le regard porté les uns sur les autres. Quelles difficultés avez-vous rencontrées côté personnels et hiérarchie pénitentiaire ? L’administration centrale m’avait donné carte blanche, avec pour obligation d’écrire les procédures mises en place et de les évaluer, notamment avec l’Etat-major de sécurité. Nos procédures ont été acceptées, et présentées aux autres maisons centrales en décembre 2011. Au sein de l’établissement, l’encadrement s’est saisi de cette approche comme de véritables outils de management du personnel et de prise en charge de la population pénale. Nous avons beaucoup travaillé avec les agents, en explicitant bien les objectifs. Il y a eu néanmoins des opposants fermes… qui le sont restés. La difficulté de certains détenus à remettre en cause des représentations profondément ancrées s’est retrouvée chez certains agents, incapables de remettre en cause des pratiques pourtant peu efficaces. Pourquoi les autres directeurs de centrale ne se sont-ils pas emparés de ces procédures ? Sontelles généralisables, ou faut-il des conditions très spécifiques ? Il faut prendre en compte la spécificité de chaque établissement. Un de nos atouts a été l’attention portée à ces nouveaux dispositifs par les détenus, originaires pour la plupart de la région Sud-Est : nos procédures leur permettaient d’éviter des transferts administratifs. Par ailleurs, il ne faut jamais lâcher prise, ne pas prendre de décisions contradictoires, car cela entraîne la méfiance des agents comme des détenus. Nous ne pouvions pas faire semblant. Tout cela ne s’appuyait pas sur des discours convenus. Il faut être persuadé de l’efficacité de ces pratiques, après leur évaluation. Reprenant l’adage « rien ne résiste à la motivation », nous avons suivi cette démarche.

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Les principes conducteurs sont similaires, mais il ne peut être fait l’économie d’une adaptation. Ce ne sont ni les mêmes usagers, ni le même personnel, ni les mêmes effectifs : 130 détenus à Arles, contre 460 au Port. Nous avons organisé les espaces de consultation collective, puis la médiation relationnelle et la médiation animale, cette fois avec des chiens. Nous avons mis en place des facilitateurs : l’un d’eux fait office de traducteur, pour les Comoriens ne s’exprimant pas du tout en français. D’autres facilitateurs aident des personnes lourdement handicapées, après une formation spécifique de plusieurs jours. Le sport, avec des sorties de préparation de courses en montagne et des facilitateurs dédiés, est aussi une mesure phare de la prise en charge. La procédure disciplinaire reste cependant plus utilisée qu’à Arles, notamment à cause de graves problèmes de toxicomanie et d’une entrée massive de médicaments aux effets ravageurs en termes d’agressivité. Les tensions entre détenus ont néanmoins clairement baissé. Recueilli par Barbara Liaras

« Les chevaux ont vu mon désespoir » « Je me trouvais au quartier d’isolement quand j’ai participé pour la première fois à “Des Camargues et des Hommes’’ [médiation animale]. A ce moment-là, je me trouvais au plus mal. La première fois que je suis entré dans le cercle, les deux chevaux se sont dirigés vers moi, j’ai compris qu’ils ont vu mon désespoir, ma tristesse et surtout qu’à ce moment-là je ne tenais plus à la vie. Ça m’a beaucoup ému qu’ils se dirigent vers moi, comme pour me dire « on sera avec toi tout au long du parcours de la journée ». On peut mentir aux hommes mais pas aux chevaux. La souffrance, le mal-être, la solitude : ces émotions les chevaux les ressentent très bien. Cette journée m’a fait beaucoup de bien et m’a apporté pas mal de bonnes choses. Tout le monde se prêtait au jeu, avec des fous rires comme si nous étions retombés dans l’enfance. Comme quoi, j’étais encore capable de ressentir de la joie et du bien-être. Franchement je ne pensais pas que je pourrais à nouveau ressentir tout cela. J’ai retrouvé un peu d’estime de moi-même. […] Ce qu’il y a de plus difficile à participer aux Camargues et des Hommes, c’est le soir au moment de réintégrer la cellule : dès que la porte se ferme, pas tout de suite mais un moment après, je suis submergé par l’émotion, je ressens de la joie et de la tristesse. » Sébastien, détenu à la maison centrale d’Arles, extrait d’un article pour le journal interne, mai 2014


VIOLENCES CARCÉRALES : AU CARREFOUR DES FAUSSES ROUTES

A Grendon, le groupe régule les conflits La prison de Grendon en Angleterre accueille depuis plus de cinquante ans des condamnés pour violences graves et infractions à caractère sexuel, souffrant de troubles de la personnalité « antisociaux ». Elle est organisée en cinq quartiers de 40 personnes appelés « communautés thérapeutiques démocratiques ». Nick Hardwick, Chief Inspector of Prisons, explique le fonctionnement de cette prison pas comme les autres. Inspecteur en chef des prisons pour l’Angleterre et le Pays-de-Galle, Nick Hardwick a conduit une visite de contrôle de la prison de Grendon en août 2013.

La prison de Grendon fonctionne selon les principes d’une « communauté thérapeutique démocratique », pouvez-vous expliquer ce dont il s’agit ? Dès son ouverture en 1962, la prison de Grendon s’est consacrée à la prise en charge thérapeutique des comportements délinquants et des troubles antisociaux de la personnalité. La détention est organisée en cinq quartiers formant chacun une « communauté thérapeutique » semi-autonome de 40 personnes. Il existe en outre une unité d’évaluation pour arrivants de 25 places. Chaque communauté élabore son propre règlement intérieur. Des élections, auxquelles participe le personnel, permettent de désigner un président et un vice-président, tous deux détenus. Les règles de vie sont également définies et régulées par la communauté, qui impose des sanctions lorsqu’elles ne sont pas respectées et règle les conflits ou désaccords. Deux fois par semaine, détenus et personnels se réunissent pour aborder ces questions. La thérapie est au cœur de la prise en charge. Des groupes thérapeutiques, d’environ huit personnes, se réunissent quotidiennement, pour de l’art-thérapie, du théâtre, des groupes de parole… L’encadrement est assuré soit par un thérapeute, soit par des personnels pénitentiaires spécialement formés. La plupart des personnes détenues à Grendon ont une histoire personnelle très lourde et ont commis des infractions graves. Au sein de ce périmètre sécurisé, les détenus sont mis en capacité de prendre eux-mêmes des décisions, d’exercer des choix sur leur vie, plutôt que d’être déresponsabilisés comme c’est souvent le cas en détention. Tous sont volontaires pour participer à cette prise en charge thérapeutique.

Ils s’engagent à examiner ouvertement et honnêtement des aspects très intimes de leur parcours, avec l’appui des personnels, de thérapeutes et des autres détenus. Comment sont gérés les conflits ? Le président de chaque communauté, ou ses adjoints, renvoie la gestion des conflits au groupe communautaire, dans une démarche démocratique. Les problèmes sont discutés collectivement, soit lors des réunions de la communauté, soit dans les groupes thérapeutiques, plus restreints. Si une personne fait preuve d’un comportement problématique, les autres vont en parler en groupe, lui fixer des objectifs, en rediscuter lors des réunions suivantes. Ils peuvent lui demander de réaffirmer son adhésion à la communauté, comme une forme de contrat. D’après les détenus, ce suivi apporte un soutien utile et permet de répondre à la plupart des comportements « anti-sociaux ». Il aide à comprendre l’origine du problème, mais aussi à se maîtriser. Si un incident se produit, une réunion spéciale peut-être immédiatement convoquée afin d’éviter que la situation ne dérape et devienne incontrôlable. La communauté peut aussi, mais cela se produit rarement, prononcer des sanctions telles que la réparation du tort ou du dommage causé, voire même voter l’exclusion d’une personne pour des violations sérieuses ou répétées des règles. Dans ce cas, un membre du personnel pénitentiaire peut opposer son veto, à condition d’expliquer son choix. Pouvez-vous décrire le fonctionnement des réunions hebdomadaires de la communauté ? Tous les membres de la communauté, détenus et personnels pénitentiaires, sont invités à participer. Des membres de l’encadrement y assistent parfois. Elles sont le lieu où sont exposés et réglés les conflits, où sont confrontés les comportements jugés inappropriés. Elles portent également sur l’organisation de la vie quotidienne – les membres de la communauté établissent le règlement intérieur et peuvent l’amender. Chacun Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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dossier restent peu utilisées : dans les six mois précédent la visite, il y avait eu douze procédures alors que la prison accueille 200 détenus.

© Michel Le Moine

Comment est pensée la journée de détention à Grendon, et notamment la place des activités proposées aux personnes détenues ?

Un régime de détention privilégiant les activités et le temps passé hors cellule contribue à la réduction des violences.

se voit confier une tâche « d’intérêt général » (par exemple nettoyer l’aquarium) ou un rôle (par exemple accompagner les personnes venant visiter l’unité). La plupart des membres de la communauté partagent une longue histoire pénitentiaire, où la manipulation, le deal, les menaces, les allégeances, sont des composantes habituelles de la vie – et de la survie – quotidienne. De nombreux détenus se forgent un masque, une carapace leur permettant de gérer et supporter ces situations dans lesquelles la violence n’est jamais loin. Le groupe aide les individus à retirer ces masques et à tourner le miroir à l’intérieur d’eux-mêmes – un processus qu’ils suivent tous et qui, lorsqu’il fonctionne bien, permet de résoudre les difficultés par la cohésion plutôt que par le conflit. Les détenus sont ainsi encouragés à laisser de côté leurs intérêts individuels au profit d’une vie communautaire. Le fonctionnement de Grendon permet-il d’éviter toute forme de procédure disciplinaire classique ? La communauté gère la plupart des difficultés, il y a donc moins besoin de recourir à des sanctions disciplinaires formelles. Si des violations plus graves des règles se produisent, d’autres réponses peuvent être apportées. Par exemple, la personne peut se voir proposer un programme de réduction de la violence, qui consiste en un suivi particulier, axé sur cette problématique, ou perdre des « privilèges » [l’Administration pénitentiaire anglaise module les droits accordés à chaque personne en quatre régimes, selon son comportement : nombre et durée des visites, niveau de rémunération, possibilité de porter des vêtements civils plutôt qu’un uniforme, d’avoir la télévision en cellule…]. Enfin une procédure disciplinaire formelle plus classique peut intervenir en dernier recours et déboucher sur une mise à l’isolement ou au quartier disciplinaire dans une prison voisine, les communautés thérapeutiques ne disposant pas de tels lieux. En pratique, les procédures disciplinaires Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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Les détenus passent 10,5 heures par jour hors de leur cellule du lundi au jeudi, 7 heures les trois jours restants. La psychothérapie, soit individuelle soit en petits groupes, occupe une part importante du temps. Les réunions communautaires, les réunions « spéciales » lorsque nécessaire, la formation et le travail, ainsi que les tâches d’entretien des locaux complètent la journée. Les repas sont pris en commun. Les détenus disposent également de temps libre pour se retrouver ou réfléchir, ce qui est important compte-tenu de l’intensité de la thérapie. Quelle est la nature du rôle des surveillants et de leur mode de relation avec les détenus à Grendon ? La relation entre personnels et détenus est un catalyseur majeur des changements possibles au sein du système pénitentiaire. C’est également un levier important pour aider les personnes à changer, et ainsi réduire la récidive. Si les détenus se sentent en sécurité, respectés et écoutés par le personnel, entourés de personnes qui les soutiennent et vont dans le même sens alors, ils se voient offrir une chance de faire tomber leurs masques, et une opportunité d’évoluer. Les personnels sont aussi volontaires pour travailler à Grendon. Ils se doivent en premier lieu d’assurer les responsabilités de garde des détenus, de protection du public et de réduction des risques de récidive après la libération. Toutefois, leur rôle va bien au-delà. Certains sont formés pour animer ou faciliter des groupes de parole. Chaque détenu a parmi les surveillants un « superviseur » qui l’aide, en lien étroit avec les thérapeutes et autres intervenants, à identifier ses besoins individuels, à se fixer des objectifs, à questionner ses attitudes et comportements, et préparer sa sortie – vers une autre prison ou plus rarement à l’extérieur. Les surveillants doivent être conscients que leur relation aux détenus dans un environnement thérapeutique ne pourrait fonctionner s’ils s’en tenaient à un simple rôle de gardien. Etablir la confiance avec les détenus, recourir à des procédures formelles lorsque nécessaire, avoir conscience du poids de l’environnement carcéral, écouter des détails douloureux sur les crimes commis, et croire dans la capacité des gens à changer sont quelques une des qualités montrées par ces personnels – qui ne sont pas toujours bien vues de leurs collègues travaillant dans d’autres prisons, lesquels ne comprennent pas très bien ce qui se passe à Grendon. Pourquoi l’incarcération à Grendon est-elle pensée comme un passage avant un retour dans une détention classique ? Les détenus viennent à Grendon principalement pour suivre une thérapie. Lors de leur arrivée, une évaluation approfondie


est menée, des objectifs sont fixés, et un programme individualisé est défini. Lorsque la thérapie s’achève, ils repartent dans le système classique – ou sont libérés s’ils sont en fin de peine ou bénéficient d’un aménagement. Leur retour en détention classique est préparé, un « diplôme » leur est remis. Mais l’administration s’efforce actuellement de mieux structurer cette phase, car les conditions de la « réintégration » restent insuffisamment connues. L’administration avait l’idée que les « diplômés de Grendon » amèneraient leurs savoirs dans les prisons conventionnelles et feraient la promotion des bénéfices de cet établissement. La réalité de cette transmission reste incertaine, et un travail d’évaluation doit être réalisé.

© David Levene

VIOLENCES CARCÉRALES : AU CARREFOUR DES FAUSSES ROUTES

Séance de groupe thérapeutique à la prison de Grendon

Avez-vous des données sur les effets d’un séjour à Grendon pour les personnes détenues ? Il y a peu d’information disponible à ce sujet. Un travail vient de débuter sous l’égide des services de santé pour évaluer sérieusement les communautés thérapeutiques. Toutefois, il n’y a aucun doute sur le fait qu’elles ont un impact positif sur le comportement des détenus tant qu’ils sont à Grendon – moins

de procédures disciplinaires, moins de transgressions, d’automutilations, des niveaux de violence bien moindres, etc. Pour certains, ce séjour apporte une occasion de trouver qui ils sont, dans un système pénal qui pour beaucoup n’est qu’une portetambour les ramenant toujours au même point, un cercle vicieux de désespoir. Recueilli par Barbara Liaras

Point de départ de l’incident : des mains dans les poches Maison d’arrêt 9h20 et 9h30. médecin relève des contusions au niveau de l’épaule Maison d’arrêt de deLoos, Loos,lele1717avril avril2011, 2011,entre entre 9h20 et 9h30. Le Dans le bureau des« surveillants, Monsieur G. trouve l’amDans ledétendue bureau des G. trouveà l’am(…) duvoire fronts’il droit et desêtre deuxmis poignets », ces derniers biance et «surveillants, cordiale ». IlMonsieur vient demander changerdroite, de cellule, le faut « en isolement ou au biance ».détendue « cordiale présents ». Il vientlui demander chandessesécorchures. En état de Monsieur choc, Monsieur G. mitard L’un des et surveillants demandeà de retirerprésentant les mains de poches, ordre auquel G. refuse gersedesoumettre cellule, voire s’ilattitude le faut être mis « en isolement est transféré aux urgences duleCHU Lille : le« Ah jour-même, de : cette ne dénote pas, selon lui,ouun manque de respect. Très vite, ton de monte oui, tu ne au mitard ». L’untes des surveillants présents lui demande de sehabillé « blouse à usage » et accompagné de veux pas enlever mains de tes poches ? » Son interlocuteur lève etd’une se dirige vers lui. Selonunique le compte-rendu d’incident, retirer les G. mains seslâché poches, ordrevous auquel G. deux surveillants. présente un traumatisme de l’épaule et Monsieur auraitdelors : « Allez faireMonsieur foutre, bande de bâtards, je veuxIl aller au mitard ». Il reconnaît avoir prorefuse cette de se phrase, soumettre : cette neque dénote du poignet Son cœur batauà sol, 140allongé pulsations/minutes. noncé mais plusattitude tard, alors cinqpas, ou selon six surveillants l’ont droits. intercepté, plaqué sur le ventre, lui,bras un manque de respect. vite,des le ton monte : « Ah oui, La les relevés dans le sensTrès inverse articulations. Menotté et commission transporté « comme un lapin jusqu’au disciplide discipline se »tient deuxquartier jours plus tard tu ne veux pas enlever de tesmalmené poches ? »etSon internaire, il affirme y avoir tes étémains à nouveau « mis à poil »etdevant uneG., dizaine de surveillants. short«etdes uninsultes, haut en Monsieur poursuivi pour avoir Un formulé locuteur lève et se dirige vers lui.tard. Selon le compte-rendu des menaces ou des outrages à l’encontre d’un membre du papier luiseseront remis un peu plus d’incident, Monsieur G. aurait lors lâché : « Allez vous faire personnel de l’établissement » est sanctionné de deux jours Le médecin « des contusions (…) du front droit et des deux poignets », ces derniers foutre, banderelève de bâtards, je veux allerauauniveau mitardde ». l’épaule Il recon-droite, de cellule disciplinaire. Le lendemain, à l’occasion d’un parprésentant des écorchures. En état de choc, Monsieur G. est transféré aux urgences du CHU de Lille le jour-même, habillé naît avoir prononcé cette phrase, mais plus tard, alors que loir, ses parents s’effrayent de voir des bleus sur son visage, d’une « blouse à usage unique » et accompagné de deux surveillants. Il présente un traumatisme de l’épaule et du poignet cinq ou six surveillants l’ont intercepté, plaqué au sol, ses poignets abîmés, de l’entendre se plaindre de fortes droits. bat à les 140bras pulsations/minutes. allongéSon surcœur le ventre, relevés dans le sens inverse courbatures. Ils le trouvent « choqué, (…) pleurant comme descommission articulations. Menotté seettient transporté « comme La de discipline deux jours plus tardunet Monsieur pour avoir àformulé « des insultes, des un enfantG.,». poursuivi Le fruit du recours des techniques d’interlapin » jusqu’au quartier àdisciplinaire, il affirme avoir été vention menaces ou des outrages l’encontre d’un membrey du personnel de l’établissement » est sanctionné de deux jours de cellule brutales, plutôt qu’à des méthodes basées sur la à nouveau malmené et « misààl’occasion poil » devant dizaine disciplinaire. Le lendemain, d’unune parloir, ses de parents s’effrayent de voirconflits. des bleus sur son visage, ses poignets « désescalade » des surveillants. Un short se et un haut en lui seront remis abîmés, de l’entendre plaindre depapier fortes courbatures. Ils le trouvent « choqué, (…) pleurant comme un enfant ». Le fruit un recours peu plusà tard. du des techniques d’intervention brutales, plutôt qu’à des méthodes basées sur la « désescalade » des conflits. Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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BOURGENBRESSE

Passé à tabac, un détenu de 25 ans perd l’usage d’un œil C’était une altercation entre détenus pendant une partie de football, au centre pénitentiaire de Bourg-enBresse, le 9 décembre 2013. Remontant de la cour de promenade, Cédric est attiré dans une cellule pour « discuter » du différend qui l’a opposé à des codétenus. Cinq à six hommes l’y attendent, cachés derrière le rideau de douche. Sitôt entré, explique-t-il à l’OIP, la porte est immédiatement refermée derrière lui. Plaqué au sol, roué de coups, Cédric parvient à se lever et à se dégager, avant d’ouvrir la porte et de repartir directement dans

sa cellule. « Je ne me souviens plus très bien de la suite, je me suis évanoui, j’ai eu des trous noirs et c’est quand j’ai vu l’état de mon œil que j’ai compris que c’était grave » poursuit-il. Il est hospitalisé le jour-même et la perte de l’usage d’un œil est confirmée par les médecins. Un certificat médical pour coups et blessures ayant entraîné 60 jours d’ITT lui est remis. L’administration attend 24 heures avant de prévenir la police et une semaine avant d’informer sa famille. « Le surlendemain, on devait avoir un parloir. On nous a dit qu’il n’y avait plus de place, on ne nous a pas dit

que mon fils n’était plus à la prison, mais à l’hôpital », témoigne sa mère auprès des médias (Le Progrès, 4 avril 2014). En libération conditionnelle depuis le 24 mars, Cédric précise avoir « demandé plusieurs fois au brigadier de changer d’aile, avec mon compagnon de cellule, parce qu’on sentait qu’il y avait des tensions ici ». En vain. Son dépôt de plainte, enregistré le 23 décembre au commissariat de Bourg-en-Bresse, a donné lieu à l’ouverture d’une instruction. OIP, coordination Sud-Est

VILLENEUVELESMAGUELONE

Quatre heures avant d’être emmené aux urgences pour un traumatisme crânien Dimanche 2 février 2014, entre 13 et 14 heures, à la maison d’arrêt de Villeneuve-les-Maguelone, près de Montpellier. F.M., victime d’un tabassage par quatre détenus dans la cour de promenade, perd connaissance. Il semble en état critique. En l’absence de tout surveillant, c’est un détenu extérieur à la bagarre qui intervient et arrive à le sortir de la cour. Il souffre d’un « traumatisme crânien et thoracique » ainsi que d’un « hématome oculaire volumineux », dira le rapport d’un médecin de l’unité sanitaire. Contacté à son domicile, le médecin d’astreinte demande à parler au surveillant resté auprès du détenu blessé, afin qu’il lui décrive son état. En vain. C’est seulement à l’arrivée de l’infirmière pour son tour de garde, à 14 h 30, que le médecin est informé de l’état alarmant de F.M. Il demande son admission immédiate aux urgences. Les pompiers arrivent rapidement, mais ils repartiront sans le détenu. Leur camion ne peut embarquer plus de sept personnes : les quatre pompiers, le détenu

et les trois surveillants chargés de l’escorte dépassent la charge autorisée. Et l’administration pénitentiaire refuse de réduire l’escorte de trois à deux agents « au regard des éléments de personnalité et judiciaires » du détenu. Un blocage qui aurait pu « entraîner des risques graves » d’après la direction de l’hôpital. « C’est dans cette période précoce d’un traumatisme crânien avec perte de connaissance initiale que les risques de mort subite ou de complications sont les plus grands », explique le médecin. Alors que les constantes vitales de F.M. continuent de se dégrader, il sollicite de nouveau les urgences. Une ambulance revient à 17 h 30, acceptant cette fois quatre personnes à bord. Le détenu aura ainsi attendu environ quatre heures avant d’arriver à l’hôpital. Le scanner cérébral montre une « fracture de la base du crâne avec incarcération des muscles oculaires ». Il est directement envoyé au bloc opératoire, et quittera l’hôpital à 23 heures le soir même, faute de lit disponible.

Contactée par l’OIP, la direction de la maison d’arrêt affirme que les pompiers doivent endosser la responsabilité du premier refus de transport. Et l’hôpital estime qu’il ne s’agit « en aucune manière d’un incident relevant de l’organisation hospitalière, mais que les dysfonctionnements constatés sont liés aux mesures de sécurité que souhaitait prendre la direction de l’établissement pénitentiaire ». Le Procureur affirme quant à lui que « la rapide réintégration du détenu a ultérieurement démontré qu’aucune urgence vitale n’avait été en jeu ». Une appréciation a posteriori qui ne saurait justifier la décision prise par la direction contre l’avis du médecin, au risque de mettre en danger la vie d’un détenu, dont elle n’avait déjà pas assuré la protection en cour de promenade. OIP, coordination Sud-Ouest

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de facto


de facto MOULINSYZEURE

Mise en examen de quatre surveillants pour violences surveillant. Dans la plainte qu’il a déposée, il allègue que « vers 18 heures, plusieurs surveillants (au moins cinq) avec le brigadier » sont entrés dans sa cellule « casqués avec leur bouclier ». Il ajoute qu’ils l’ont « mis par terre sur le ventre, [lui ont] attaché les mains derrière le dos ainsi que les pieds [et lui ont] tapé sur les côtes, puis sur le ventre ». Une opération rétorsion contredite par FOpénitentiaire, soutenant qu’« il n’y a pas eu de coup porté ». Le syndicat fait valoir que « le service médical a constaté les trois côtes cassées » seulement « dix jours après les faits ». Un médecin ayant examiné Bernard F. précise pourtant que les fractures résultent nécessairement d’un « coup de genou ou d’un appui au niveau du ventre » et ne peuvent avoir été causées par le détenu lui-même, à l’occasion d’une chute

par exemple. Quant au retard de diagnostic, il s’explique. Après l’altercation, Bernard F. s’est plaint de fortes douleurs et a demandé à voir un médecin, dépêché le 12 janvier par le service des urgences du CHU de Moulins. Le certificat médical indique que le détenu ressent une « douleur à la palpation costale gauche » et prescrit une radiographie, qui sera effectuée le 14 janvier. Celle-ci n’ayant rien décelé et Bernard F. se plaignant toujours de douleurs, il demande une autre consultation. Deux autres médecins viennent alors l’examiner, et ce n’est que le 23 janvier qu’il est extrait vers le CHU, où les trois côtes cassées ainsi que la contusion du système digestif sont enfin décelées. OIP, coordination Sud-Est

© Bernard Desprez/VU

25 avril 2014, manifestation de surveillants devant la maison centrale de Moulins-Yzeure. Ils protestent contre la mise en examen de quatre collègues pour des « violences volontaires en réunion » sur un détenu, qui se seraient produites le 10 janvier au quartier disciplinaire (QD). FO-pénitentiaire affirme que les personnels mis en cause ont fait usage de « la force strictement nécessaire » pour contenir le détenu. Un travail fait « de manière très professionnelle », ajoutent même les représentants syndicaux (AFP). Un certificat médical établit les conséquences d’un tel professionnalisme : « traumatismes multiples », « fractures de trois côtes » ainsi qu’une « contusion jéjunale ». Bernard F. explique pour sa part avoir été placé préventivement au QD le 10 janvier, suite à une altercation avec un

Centre pénitentiaire de Perpignan, perspective du mirador, 2000 Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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LYONCORBAS

Un détenu choisit de rester au QD pendant plus de 110 jours pour se protéger de ses codétenus Du 20 janvier à mi-mai, Samir F. est resté en cellule disciplinaire à la maison d’arrêt de Lyon-Corbas. Initialement, il y avait été placé pour avoir refusé de « se rendre dans sa nouvelle affectation » en détention. Au surveillant chargé de l’enquête, il expliquait : « J’ai refusé d’aller à la MAH2 pour ma propre sécurité. J’en ai parlé au chef du bâtiment, il sait que je suis menacé, je voudrais aller à l’isolement ». L’autorité disciplinaire l’a sanctionné de cinq jours de quartier disciplinaire (QD), tout en notant que l’intéressé « évoque des menaces pour […] [l’obliger à] garder des portables ». Une fois sa sanction de cinq jours terminée, Samir refuse de réintégrer la détention ordinaire, redoutant que ses codétenus mettent leurs menaces à exécution. Au total, il passe plus de 110 jours au « mitard », alors que le maximum légal est de 30 jours, et de 14 pour la faute disciplinaire qui lui est reprochée. Pour assurer sa protection, Samir demande un placement au quartier d’isolement ou un transfert dans un autre établissement

pénitentiaire. Il refuse d’être affecté dans un autre bâtiment de la maison d’arrêt, expliquant que « tous les bâtiments communiquent ». Samir ne s’accommode pas de sa détention prolongée au QD, où il n’a plus accès à des activités et ne bénéficie que d’un parloir par semaine au lieu de deux. Mais sa compagne explique : « On lui demande de choisir entre son confort et sa sécurité, il a choisi la sécurité ». Contacté par l’OIP le 14 avril, le chef d’établissement convenait déjà que « 84 jours c’est énorme, ce n’est pas normal », tout en précisant que « c’est une décision du détenu lui-même […], la volonté de la commission de discipline n’était pas du tout d’aboutir à un séjour de cette longueur ». Sur la procédure à mettre en œuvre en pareille situation, le directeur explique avoir donné consigne par note de service : « Quotidiennement, on l’interroge sur sa volonté de rester au QD coûte que coûte et on s’assure qu’il n’envisage pas d’aller en détention normale ». Il ajoute que « le quartier d’isolement est plein »

ce qui l’oblige « à ne pas accéder aux demandes d’isolement faites spontanément, et de rechercher parmi ceux qui font des demandes, lesquels sont en difficulté réelle ». Ce qui n’est selon lui pas le cas de Samir : « Les éléments qu’il donne par rapport à la mise en danger qu’il subirait en détention ordinaire, […] ne sont pas flagrants. » Un personnel de direction relève néanmoins qu’« il y a eu des périodes où ces situations étaient courantes » et que généralement « au bout de deux mois, la DISP [direction interrégionale] se saisit du dossier et le transfert ou l’isolement sont envisagés ». Pour Samir, il aura fallu plus de trois mois au QD – et un communiqué de l’OIP – pour que l’isolement soit mis en place. Une « solution » demandée par le détenu, qui interroge néanmoins sur les modes de protection développés par l’administration, alors que les effets psycho-sociaux délétères de l’isolement prolongé sont connus. OIP, coordination Sud-Est

MEYZIEU

Mineurs privés de promenade à l’air libre Quelques minutes par jour à l’heure libre : tel est le sort réservé à la plupart des jeunes détenus dans l’Etablissement pénitentiaire pour mineurs (EPM) de Meyzieu, près de Lyon. Le règlement intérieur réserve en effet la promenade d’une heure aux seuls détenus « qui n’ont pas d’activité dans la journée ». La majorité d’entre eux participant à des activités du lundi au vendredi, ils sont de fait privés de promenade. Une situation et un règlement intérieur en infraction avec le droit, puisque « toute personne détenue doit pouvoir effectuer chaque jour une promenade d’au moins une heure à

l’air libre » (code de procédure pénale). Les « mouvements », à savoir les déplacements des jeunes d’un endroit à un autre, deviennent leur seule occasion de respirer l’air libre. Mais ils « ne durent en général que deux à trois minutes », d’après une personne intervenant au sein de l’EPM. En outre, la grande majorité des activités proposées s’effectuent en intérieur. Le sport est pratiqué dans un gymnase, « le terrain de sport [extérieur] n’est quasiment jamais utilisé ». Pour un représentant du syndicat SNPES-PJJ, « le fait de conditionner le bénéfice de la promenade […]

s’apparente à une forme de double punition ». Il précise que les activités de l’EPM sont souvent « inscrites dans le cadre d’une obligation de scolarité ou dans la construction du projet de sortie ». Or, les jeunes ont aussi besoin « de temps à eux, [de ne pas être] soumis à une obligation, à une commande, à une présence, voire même à une surveillance, que ce soit de la part des éducateurs ou des surveillants ». Il conclut qu’à Meyzieu, cette absence de temps réservé à une activité autonome « s’est incarnée de façon assez dramatique, par une série d’incidents ». OIP, coordination Sud-Est

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de facto


de facto SAINTMARTINDERÉ

FO-pénitentiaire dérape et provoque l’incident de travail. L’administration pénitentiaire doit au contraire favoriser « sans discrimination » la réinsertion des personnes dont elle a la charge. L’attribution d’un travail à ce détenu y participait, à travers une occupation et une rémunération contribuant à l’indemnisation des parties civiles. La démarche de FO-pénitentiaire a créé un climat de tension, aboutissant à une altercation du détenu concerné avec un surveillant, son placement au quartier disciplinaire et son transfert dans une maison d’arrêt. Alors qu’il n’avait été à l’origine d’aucun incident depuis son arrivée à St-Martin-de-Ré et que la direction avait commencé à construire avec lui un projet d’exécution de peine. Le syndicat génère ainsi lui-même un incident du type de ceux qu’il prétend dénoncer. Et il confond les fonctions du juge pénal et de l’administration pénitentiaire : les infractions pénales commises par ce détenu depuis son incarcération ont été sanctionnées par

la Justice. Sa participation récente à une prise d’otage à la centrale d’Alençon lui a ainsi valu huit ans d’emprisonnement supplémentaires. Pour leur part, les auteurs du tract ne semblent avoir fait l’objet d’aucune procédure disciplinaire de la direction de l’administration pénitentiaire, en dépit d’une entorse manifeste au code de déontologie. Article 15 : « le personnel pénitentiaire [doit] avoir le respect absolu de personnes qui lui sont confiées par l’autorité judiciaire et de leurs droits. […] Il ne doit user ni de dénomination injurieuse, ni de tutoiement, ni de langage familier ou grossier ». Rappelons également que les organisations syndicales doivent respecter les « dispositions relatives à la presse » (article L.2142-5 du code du travail) qui proscrivent les injures et les sanctionnent de 12 000 euros d’amende (article 33 de la loi du 29 juillet 1881). OIP

© Sébastien Erome/SIGNATURES

« Prime à la vermine et à la racaille » : tel est le titre d’un tract du 24 mars du syndicat national pénitentiaire Force ouvrière, qui a vraisemblablement perdu toute mesure. Dénonçant l’octroi d’un poste de travail à un détenu ayant de nombreux incidents à son actif, il divulgue publiquement son nom et des éléments (erronés) de son casier judiciaire : « libérable en 2031, 28 condamnations à son casier, dont 25 pour outrages, menaces de mort, violences volontaires. B. est aujourd’hui classé peintre ! ». Le syndicat dénonce un classement au travail « honteux », « scandaleux » et « écœurant » qui « ouvre la porte à tous ces voyous irrespectueux de l’ordre républicain qui demain s’engouffreront dans cette brèche pour obtenir par la force ce que le règlement leur interdit ». Aucun règlement ni disposition du code de procédure pénale n’interdit pourtant à un détenu ayant commis une infraction en détention d’accéder à un poste

Détenu dans une cellule de l’établissement pour mineurs de Meyzieu, 2000 Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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Un suicide annoncé Après une dizaine de tentatives de suicide, Malek, détenu au centre pénitentiaire de Maubeuge, est admis en hôpital psychiatrique le 16 juin 2010, suite à une ingestion de médicaments. Il y décèdera deux mois plus tard. Sa sœur Souad demande des explications sur une succession de négligences judiciaires, pénitentiaires et sanitaires.

M

ALEK A ÉTÉ INCARCÉRÉ EN NOVEMBRE 2009 POUR TRAFIC

de stupéfiants. Toxicomane et dépressif, il a, dès le début de sa détention au centre pénitentiaire de Maubeuge, manifesté une souffrance psychique extrême, tant auprès de l’équipe médicale, du personnel pénitentiaire que de sa famille. En sept mois, pas moins de dix tentatives de suicide ont été relevées par l’administration pénitentiaire : par ingestion de médicaments, auto-mutilation, tentative de pendaison… Un jour, Malek est retrouvé par les surveillants « avec un lien à nœud coulant confectionné avec une bande de housse de taie d’oreiller relié au plafonnier de la cellule », un autre « la tête recouverte d’un sachet plastique et attaché par le cou ».

Cocktail de médicaments La réponse des services sanitaires a été principalement médicamenteuse. Malek reçoit un traitement extrêmement lourd avec plus de sept médicaments différents, qu’il ingurgite régulièrement de manière anarchique et compulsive. La pénurie de soignants (un seul psychiatre présent cinq demijournées par semaine et un psychologue cinq jours, pour 440 détenus) empêche d’assurer un suivi de l’intensité requise. Malek ne bénéficie que d’une consultation psychiatrique par mois et dans le mois précédent son décès, de deux entretiens avec un psychologue. De son côté, l’administration pénitentiaire s’est contentée de mettre en œuvre des mesures de surveillance supplémentaires. Elle n’a pas fait droit, le 19 avril 2010, à la demande de Malek de quitter le régime dit « fermé », imposant aux détenus de rester confinés en cellule la majeure partie de la journée, pour le régime dit « ouvert », qui lui aurait donné davantage de liberté de mouvement, un meilleur accès aux activités et réduit son sentiment d’enfermement. La direction de la prison a préféré placer dans la même cellule son frère Nassim, lui aussi détenu dans cet établissement. Nassim était ainsi chargé de surveiller et soutenir son frère. Une expérience traumatisante, alors qu’il n’a été ni formé ni accompagné pour ce type de mission et qu’il a lui-même été diagnostiqué comme souffrant de troubles schizophréniques. Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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« Je vous en supplie, il est en train de mourir » Pendant des mois, l’entourage de Malek a assisté impuissant à la dégradation de son état psychique et à son amaigrissement continu. Le 27 avril 2010, son avocat interpelle la direction du centre pénitentiaire, estimant « important d’interroger le service médical sur l’éventualité d’une hospitalisation ». Dans le même temps, la mère de Malek sollicite son placement « dans un établissement de santé pénitentiaire afin de le protéger contre lui-même ». Le 6 mai, sa compagne adresse un nouvel appel au secours à plusieurs autorités en faisant état d’une énième tentative de suicide : « On a frappé à toutes les portes et aucune ne s’est ouverte », s’alarme-t-elle. Le 3 juin, la mère de Malek s’adresse directement au procureur de la République : « On vous demande de faire le nécessaire pour qu’il soit hospitalisé et surveillé. Je vous en supplie, faites quelque chose car il est en train de mourir. Aidez-nous. » Il faudra encore deux tentatives de suicide pour que Malek soit pris en charge à l’hôpital. Le 14 juin, il tente de se pendre et sera réanimé par son frère. Le 15 juin, un surveillant le trouve en train de confectionner une nouvelle corde avec un T-shirt. Le service médical se décide enfin à demander son hospitalisation d’office en raison d’« une fragilité psychologique extrême » et de « plusieurs tentatives de pendaison sur deux à trois jours ».

Ultime tentative de suicide L’hospitalisation d’office est prononcée par le préfet le 15 juin, jour de la demande. Malek ne sera transporté à l’hôpital que le lendemain en début d’après-midi. Entre temps, il a de nouveau ingéré de façon massive des médicaments, le 16 juin vers midi. Une nouvelle tentative de suicide dont il a informé sa famille par téléphone. Celle-ci alerte immédiatement le Service pénitentiaire d’insertion et de probation, qui confirme avoir reçu « deux appels émanant de [sa] femme » et transmis l’information au personnel de surveillance. Selon les services médicaux, cette information n’a été transmise ni à l’unité médicale de la prison ni à l’hôpital psychiatrique.


© Bernard Le Moine

ACTU

Maison d’arrêt de Strasbourg, le Service médico-psychologique, 2006

A son arrivée à l’hôpital vers 15 heures, Malek, « somnolant », est transporté sur un brancard. Pour autant, l’équipe soignante ne réalise pas de bilan sanguin. En revanche, il est décidé de le placer en chambre d’isolement où il est maintenu attaché à son lit par des moyens de contention. Ses constantes médicales sont prises une heure plus tard. A 18 heures, il est toujours endormi et ne peut pas prendre son repas. Ses constantes sont à nouveau prises deux fois. Mais à aucun moment, une analyse sanguine n’est effectuée pour connaître les causes de son état. A 20 h 30, soit plus de cinq heures après son admission, dix heures après son ingestion, il est retrouvé sans activité cardiaque ni respiratoire. Les premiers soins de réanimation sont réalisés sur place, le SMUR arrive quelques minutes plus tard et le conduit au service de réanimation. Une activité cardiaque est retrouvée après plusieurs chocs électriques, mais Malek, victime d’une « souffrance cérébrale anoxique majeure », sombre dans un « coma neurovégétatif » irréversible. Il décédera à l’hôpital deux mois plus tard, le 27 août 2010. L’instruction établira bien après que l’état de sédation et de somnolence de Malek était la conséquence d’une imprégnation à dose « potentiellement toxique de benzodiazépines telles que le Xanax, pouvant entraîner un coma toxique qui pouvait avoir l’apparence d’un sommeil profond avant d’aboutir à un arrêt cardio-respiratoire ».

La disparition du dossier médical Deux mois plus tôt, la sœur de Malek, Souad, avait déposé une première plainte auprès du procureur de la République pour « non assistance à personne en danger » et « mise en danger de la vie d’autrui ». Sans nouvelle de cette procédure au bout de deux ans et demi, son avocat dépose, en septembre 2012,

un complément de plainte et demande la communication de la totalité des pièces du dossier. Après plusieurs courriers et relances téléphoniques auprès du parquet, un document de quatre pages lui est remis en juillet 2013, soit plus de trois ans après le dépôt de plainte : il s’agit des « réquisitions aux fins de clôture du dossier d’information ». Souad apprend alors que sa plainte a été classée sans suite dès avril 2011 et que l’instruction pour recherche des causes de la mort a été clôturée dans le même temps, concluant à « l’absence d’éléments suspects dans les circonstances entourant le décès de Malek ».

Ce n’est qu’en janvier 2014 que son avocat parvient à obtenir les pièces du dossier d’instruction. Souad découvre alors que le juge d’instruction n’a pas estimé nécessaire de faire procéder à l’audition du personnel de surveillance, du personnel médical, ni du frère de la victime qui ont pu être témoins de la tentative de suicide. Elle constate également que ne figure pas dans la procédure le dossier médical de Malek, dont la communication lui a pourtant été refusée par le centre hospitalier en 2010 en invoquant sa saisine pour les besoins de l’enquête.

Nouvelles plaintes Ne figure pas non plus au dossier d’instruction un rapport d’inspection sanitaire réalisée à l’hôpital psychiatrique de Maubeuge par l’Agence régionale de santé suite au décès de Malek. Un document que Souad demande à consulter depuis octobre 2011, dont l’accès lui est refusé en vertu d’un avis de la Commission d’accès aux documents administratifs de décembre 2012. Motif ? Elle n’est pas l’héritière effective du défunt, celui-ci ayant trois enfants mineurs. L’article L.11104 du Code de santé publique permet pourtant la communication d’informations médicales aux ayants droit d’une personne décédée, sans distinction entre ayants droit effectifs ou potentiels. Le seul espoir pour Souad d’avoir accès à ce document réside maintenant dans l’éventualité que le juge d’instruction en demande communication dans le cadre d’une réouverture du dossier, demandée par son avocat en raison du caractère incomplet de l’enquête. En parallèle, une nouvelle plainte avec constitution de partie civile a été déposée. Anne Chereul

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Campagne « Ils sont nous » La publication des histoires de vie d’anciens détenus continue. Ces témoignages sont aussi diffusés sur un blog en partenariat avec Rue89, Passés par la case prison. Montrer l’envers du fait divers, les choix et difficultés de personnes qui ne se résument pas à un acte, lutter contre les stéréotypes… Tel est le pari.

« Au tribunal, je ne comprenais rien » Pourriez-vous décrire ce qu’était votre vie avant d’avoir affaire à la justice ? Dans l’ensemble, c’était plutôt bien je crois. Je suis né en Algérie, là-bas j’aimais l’école et j’avais de bonnes notes. Je suis arrivé en France en 2003, en classe de 5e. J’ai commencé à avoir des problèmes quand j’ai arrêté l’école en 2007. Quand la question de mon orientation s’est posée en 3e, j’avais encore des problèmes en français. Je voulais aller en filière générale et faire du dessin, mais la conseillère d’orientation m’a dit que je n’avais pas les capacités. Elle m’a proposé un BEP en électrotechnique, qui avait l’air bien comme elle me l’a vendu. En fait, c’était de l’électricité dans le bâtiment. Dès le premier stage, j’ai su que ce n’était pas pour moi. J’ai quand même obtenu mon BEP et puis j’ai fait une demande pour changer de spécialité, mais j’ai été refusé. Ils m’ont dit : soit tu continues en Bac pro, soit tu vas chercher ailleurs. J’ai préféré aller ailleurs, mais en fait me suis mis à traîner, fumer, puis trafiquer. Je ne pensais pas avoir les capacités pour faire de longues études. Mais j’étais en colère qu’on m’ait envoyé dans une filière qui n’avait rien à voir avec ce que j’aimais. Les gens s’en fichent, ils veulent juste te caser. Est-ce que vous avez rapidement eu affaire à la justice ? Oui, la police venait souvent me contrôler, car je traînais dans le square où se passe le trafic. Je me suis fait arrêter trois fois début 2007 : les deux premières pour détention de stupéfiants, la troisième pour trafic. J’ai pris du sursis. Au bout d’un an, j’ai cherché du travail mais je ne trouvais rien. Mes parents m’ont dit de reprendre mes études pour qu’au moins je fasse quelque chose. En 2009, je suis retourné en classe de Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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Première. Je continuais quand même à faire des conneries. Et en milieu d’année, j’ai été condamné à de la prison ferme, et mes sursis ont été révoqués : je suis resté sept mois en prison, puis deux mois sous bracelet électronique. Comment se sont passées vos comparutions au tribunal ? J’étais perdu, je ne savais même pas quoi dire. Ils parlaient tous vite, je ne comprenais rien. Tu te sens tout petit et tu te dis « pourvu que ça se finisse ». Quand vous étiez condamné à du sursis, cela n’avait aucun impact ? Je croyais que c’était rien du tout le sursis. Je demandais à mon avocat si j’allais en prison, il me répondait non. Et je ressortais du tribunal en me disant que ce n’était pas grave, sans avoir compris ce qu’était le sursis. C’était du sursis simple, sans obligations ? Si, j’avais 140 heures de soins [Ndlr : en fait, un travail d’intérêt général], mais je n’y suis pas allé. Vous n’avez pas été envoyé au service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) ? Le SPIP, c’est le truc à Tolbiac ? Si, j’y allais, mais le conseiller, il n’était pas là pour m’aider. Enfin, je le voyais comme ça. Et comment votre famille a réagi à vos premières condamnations ? Franchement, je ne leur disais pas, j’étais majeur. Ils ne savaient pas ce qui se passait.

© Bernard Le Moine

Nadir, 21 ans, a été condamné pour petit trafic de cannabis et incarcéré à Fleury-Mérogis en 2011. De l’incompréhension des mesures de sursis avec mise à l’épreuve, travail d’intérêt général, obligations de soins… à l’importance de croiser quelques mains tendues pour s’en sortir.


ACTU parcours de vie d’anciens détenus

Centre des jeunes détenus, Fleury-Mérogis

Lors de votre dernière condamnation, vous êtes allé directement en prison ? Oui, c’était en comparution immédiate. Le soir même, j’étais à Fleury. On m’avait parlé de la prison, mais une fois que tu te retrouves là-bas, ce n’est pas pareil. Au début, tu n’y crois pas. Les soirs d’après, quand t’arrives pas à dormir, tu réfléchis. Je me suis dit que cela devait arriver, je n’étais pas innocent. En tout, j’avais 16 mois à faire avec mes sursis révoqués. J’ai obtenu une conditionnelle au bout de sept mois, parce que le lycée a accepté de me reprendre et que le SPIP m’a bien aidé pour toutes les démarches avec le lycée. Et pendant les sept mois de détention, qu’avez-vous fait ? J’avais un éducateur, Elvis, spécialisé pour les jeunes incarcérés. Il me faisait passer les devoirs à faire dans ma classe. Au bout de quelques mois, j’ai aussi pu aller à l’école de la prison, mais je n’avais que deux heures par semaine, et c’était juste du soutien en français pour ceux qui ne savaient pas lire.

Vous avez pu suivre vos cours du lycée tout du long ? Oui, j’ai eu de la chance, parce qu’un prof m’a soutenu. A ma sortie de prison, il a convaincu le proviseur de me faire passer en Terminale, alors que je n’avais été présent que trois mois en Première. Il a dit que j’avais les capacités pour rattraper le temps perdu. Il n’a pas mentionné mon incarcération, il a fait croire que j’avais dû partir en Algérie pour le service militaire. J’ai pu passer en Terminale pro dessin industriel, comme je voulais depuis le départ. J’ai eu mon bac et j’ai continué en BTS dans le même lycée. Je n’en serais pas là aujourd’hui s’il n’y avait pas eu ce prof, je n’aurais jamais continué mes études. A Fleury, il y avait d’autres jeunes que personne n’aidait, c’est à eux que la prison fait vraiment du mal. Est-ce que tout cela serait arrivé si vous n’aviez pas arrêté le lycée ? Je ne crois pas. Quand j’étais au lycée, je ne pensais pas à fumer. J’ai commencé à vraiment consommer quand je me suis retrouvé à rien faire. Et puis je n’avais pas assez d’argent pour en acheter, donc là commence le trafic. Je savais que ça n’allait pas durer, que je finirais par tomber. Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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ils sont nous

809 mineurs sont incarcérés au 1er juin 2014, la plupart pour une peine de moins d’un an

Pour vous, c’était un risque à prendre ?

Ce qui a mis un coup d’arrêt pour vous, c’est la prison ?

Franchement, oui. La vie sans argent me faisait plus peur que d’aller en prison. Ce n’était pas pour m’enrichir ou me donner une image, je voulais mettre l’argent de côté pour créer un truc, une marque de vêtements. L’environnement joue aussi, parce que j’étais dans un lycée où le shit circulait à flot. C’était beaucoup plus facile de vendre du shit que de trouver un travail. A un moment, j’ai travaillé à la Défense pour un salaire de 900 euros par mois, non déclaré. J’aurais pu me faire la même somme en deux heures avec le deal. Mais je ne vendais pas énormément non plus. En tout, si on cumule mes trois condamnations, on arrive à 50 grammes.

Oui. Peut-être l’âge et les études aussi. Quand j’ai repris le lycée avant d’être incarcéré, je commençais à vouloir arrêter.

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Comment avez-vous vécu votre temps de prison ? On ne peut pas se sentir bien là-bas. On n’était pas mal traités, les surveillants étaient corrects, ils faisaient leur travail et moi j’acceptais ma peine. C’est surtout la privation de liberté qui m’a posé problème. J’aime bien m’occuper et je ne supporte pas d’être dépendant. Pour n’importe quoi en prison, il faut que tu demandes. Et encore, au D3, on avait la douche en cellule, le bâtiment était neuf. Le manque d’activités était dur, je restais 22 heures sur 24 en cellule presque tous les jours. J’avais deux heures de promenade, et le jeudi un atelier de


ACTU parcours de vie d’anciens détenus deux heures. En cellule, on faisait un peu de sport chacun notre tour avec mon codétenu, on regardait la télé, parfois on jouait aux cartes. A force de dormir je me réveillais à n’importe quelle heure, et je n’avais toujours rien à faire. Quand tu te réveilles à 2 heures du matin, il y a le silence, tu as juste envie de sortir, besoin de faire un tour, mais tu ne peux pas. Ça rend fou. Il y avait aussi des problèmes pour les soins. Un jour, j’avais un mal de dents terrible, j’ai écrit pour aller voir le médecin, mais ça a pris plus d’un mois pour avoir une consultation.

allégé », avec un rendez-vous tous les quatre mois. Du coup, il doit me convoquer seulement une dernière fois, à la fin de ma mesure.

Comment cela se passait avec vos codétenus en cellule ?

J’avais une obligation de soins. Je devais aller voir un psychologue une fois par mois. Il me faisait des exposés sur les drogues : la cocaïne, le shit… Je lui disais que je n’avais pas besoin de savoir tout ça. Un psychologue, il ne peut pas t’aider. Je te jure que des fois, pour pouvoir aller à son rendez-vous, j’étais obligé de fumer avant ! Au bout d’un moment je lui ai dit que ça ne m’aidait pas du tout, qu’en sortant de son bureau, je me posais trop de questions. Il m’a proposé à partir de là de venir juste pour faire tamponner le papier comme quoi j’étais bien venu et de repartir. On fait comme ça maintenant.

On était par binômes, j’ai eu des bons codétenus. Les plus âgés me racontaient qu’ils venaient pour la 4e ou la 5e fois. A force de les entendre, je me disais que je n’avais pas envie d’être comme ça : ils n’ont pas de vie de famille, ils n’ont rien. Les codétenus m’ont aussi expliqué le système du sursis, c’est là-bas que j’ai enfin compris. A la sortie de prison, vous n’avez pas subi des pressions pour recommencer à dealer ? Pas vraiment. Avant la prison, j’étais comme dans une chaîne, je ne pouvais pas me retirer comme ça. Mais une fois sorti de la chaîne, je n’étais pas obligé d’y retourner, tout avait continué sans moi pendant ma détention. Quand on est dans le trafic, on a l’impression de ne pas pouvoir faire autre chose, d’être un bon à rien. Aujourd’hui, j’ai encore des tentations, tous les jours quand je vais au square des gens me demandent du shit. Il faut résister à l’envie de se faire de l’argent. Mais je sais que si je recommence, je n’aurais pas mon BTS.

© Bertrand Desprez/VU

Après votre libération, vous avez de nouveau été suivi par le SPIP ? Oui, mais la CPIP pensait que je mentais, elle ne voulait pas croire que j’étais en BTS, même quand j’ai ramené un certificat de scolarité. Elle me convoquait deux fois par mois à 10 heures du matin. Avec le temps de transports, ce rendez-vous me faisait rater quatre heures de cours. Tout ça pour un entretien de 10 minutes, où elle prenait juste mes papiers. Je lui ai demandé de changer l’horaire, mais elle n’a rien voulu entendre. Un jour, je me suis énervé. Elle a fait comme si de rien n’était, à la fin elle m’a dit au revoir comme d’habitude. Et elle a fait quoi ? Elle a envoyé mon dossier à son supérieur, pour qu’il demande au juge la révocation de ma conditionnelle et que je retourne en prison. Heureusement, j’ai pu avoir un entretien avec le supérieur, qui s’est bien passé. Il m’a demandé si j’étais vraiment étudiant, je lui ai montré mes papiers, lui ai demandé ce que je pouvais faire de plus qu’apporter un certificat de scolarité et un bulletin de notes ! J’ai expliqué que cette CPIP me rendait fou et que dans leurs petits bureaux [Ndlr : boxes d’entretien], j’avais peur de péter les plombs. Le supérieur m’a cru et m’a dit qu’il n’enverrait pas mon dossier à la juge.

Il vous a fait confiance. Oui. Et quand les gens te font confiance, tu n’as pas envie de les décevoir. Est-ce que vous aviez d’autres obligations à respecter dans le cadre de cette mesure après la prison ?

Elvis mon éducateur n’essayait pas de me faire la morale : il nous emmenait en sorties, pour des petits voyages avec les autres jeunes du quartier, c’est de ça dont on avait besoin. La CPIP et le psy, ils passaient leur temps à me rappeler que j’étais en tort. Je le sais très bien, mais je ne suis pas que ça, je ne suis pas mauvais. Aujourd’hui, vous arrivez à vous en sortir grâce aux études ? Oui, j’espère que je finirai par faire de bonnes études et trouver du travail. Le prof qui m’a dit que j’avais les capacités d’aller en BTS, il m’a aussi convaincu que j’étais capable de trouver un travail. Encore aujourd’hui, je sais que je peux aller le voir si j’ai un problème, parler avec lui de mon projet. Même s’il est en cours, il prend 15 minutes pour moi, il m’explique tout. Le fait d’avoir un casier judiciaire vous pose-t-il des problèmes ? Oui, parce que maintenant je suis connu de la police. Je me fais tout le temps contrôler et fouiller. La dernière fois, j’avais un petit pocheton d’herbe de deux grammes, j’ai refait une garde à vue et je vais encore avoir un jugement. Tout le monde fume dans mon quartier, dans ma classe, c’est banal. Mais moi, je peux avoir de graves problèmes pour ça. J’ai un peu l’impression que c’est sans fin. Après la prison, il y a eu le bracelet électronique, il fallait que je rentre chez moi à 19 heures tous les jours. Après il y a eu le suivi pour la conditionnelle, et maintenant pour le sursis. Ça me rappelle que ce n’est pas derrière moi, c’est difficile pour avancer. Parfois, j’ai l’impression d’avoir encore des problèmes alors que je ne les ai plus. Marie Crétenot et Sarah Dindo

Et vous n’êtes plus retourné voir cette CPIP ? Non, le supérieur a compris le problème et il ne voulait pas que je rate mes cours. Il a décidé de me passer en « suivi Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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ils sont nous

« Ce sera l’œuvre d’une vie d’intégrer tout ce qui m’est arrivé » Sacha a connu un foyer, une famille d’accueil, les émeutes urbaines de 2005, la violence des jeunes mais aussi celle de la justice et de la prison, où il a été trois fois. Un parcours digne des « 400 coups », qui du haut de ses 23 ans, fait de lui un jeune homme en colère tout autant que déterminé à « réussir ». En particulier ses études, qu’il n’a jamais lâchées. Où avez-vous grandi ? Je suis né à Saint-Etienne. Mes parents se sont séparés quand j’étais petit, j’ai toujours vécu seul avec ma mère. Elle était professeur non titulaire et faisait des remplacements. Du coup, on déménageait souvent d’une région à une autre, au moins tous les deux ans. Je voyais rarement mon père, il avait de l’argent mais ne nous a jamais aidés. Avec ma mère, nous avions une relation très forte, elle m’a toujours donné énormément de temps et d’amour. Ce n’est pas dans mon enfance qu’il y a eu des problèmes. A quel moment les problèmes sont apparus ? Quand nous avons dû quitter un village très sympa où nous avions habité entre mes 12-14 ans. Ma mère y avait un bon poste, on vivait dans un joli appartement, j’avais une petite amie (ma première). Et là, le contrat de ma mère touche à sa fin, et nous devons rentrer dans un quartier « sensible » de Saint-Etienne où vit toute sa famille. Dès mon premier jour au collège, ça s’est mal passé, il y a eu des embrouilles. J’ai vite compris que ça n’avait rien à voir avec mon petit village, que je ne pouvais pas rester comme avant, il fallait m’imposer. Comme j’avais de bonnes capacités scolaires, les profs ont conseillé de m’envoyer dans un autre établissement au centre de St-Etienne. Mais là aussi, j’ai eu des embrouilles dès mon arrivée. Je me suis alors rapproché d’un groupe d’élèves issus de mon quartier : on sortait, on a peut-être volé une ou deux fois un autoradio, on s’est parfois battus… Je n’avais pas l’impression qu’on faisait vraiment des conneries, mais on avait l’image de gros durs car on était nombreux. Quelle place aviez-vous dans ce groupe ? Ce n’était pas un groupe organisé. On était un noyau de dix de la même tranche d’âge, mais on pouvait se retrouver à quarante par moments. Ma mère ne savait pas que je traînais Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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avec des gens pas trop « recommandables ». Un dimanche de novembre 2005, pendant les émeutes urbaines, un grand nous a proposé d’aller faire un foot avec lui. On l’a suivi jusqu’au terrain, où il y avait 30-40 personnes de tous les âges : l’ambiance était plutôt joviale, les gens discutaient, fumaient des joints… Les idées fusaient dans tous les sens, certains ont commencé à dire qu’il fallait brûler le collège, d’autres avec des scooters qu’ils allaient chercher de l’essence, quelques-uns ont préparé des cocktails Molotov mais ils n’en ont jamais rien fait… C’était de l’improvisation totale. Dans un contexte très particulier : les télévisions ne parlaient que des émeutes, des quartiers de France qui brûlaient, les gens avaient peur. Pour nous, ce n’était pas vraiment politique, mais il y avait un ras-le-bol, tout le monde en avait marre, il fallait participer. Et vous avez participé directement ? Sur le terrain de foot, un grand a dit à un moment : « on va brûler un bus ». Avec ma bande, on a suivi le mouvement. Je suis sûr qu’au départ, aucun de nous ne pensait vraiment le faire. Mais un bus arrive pile et on se met tous à courir. Il y a un effet de groupe, personne ne dit stop, on se cagoule, deux gamins arrêtent le bus. Moi, je monte dedans et je crie plusieurs fois aux passagers : « descendez, le bus va brûler ! ». Ils ne bougent pas. Je vois le grand qui commence à jeter des grandes rasées d’essence sur l’avant du bus et les passagers commencent enfin à descendre. Quand il allume, je suis encore au fond du bus, mais j’arrive à sortir à temps. Et puis on repart tous en courant vers les hauteurs, d’où on peut voir de loin la fumée noire. De retour chez nous, on apprend qu’une vieille dame n’a pas réussi à sortir du bus, c’est le chauffeur qui l’a aidée. Je saurai bien plus tard qu’elle a été brûlée, avec des séquelles. Trois jours passent et puis on entend que la police a arrêté un cousin à moi, qui n’a rien à voir avec l’affaire.


ACTU parcours de vie d’anciens détenus Dans quel état d’esprit êtes-vous à ce moment là ? Je ne me rends pas compte de la gravité de ce qu’on a fait, je vois ça comme une connerie de gamins. Je passe mon mercredi en ville comme d’habitude et je rentre chez moi pour réviser et écrire un poème à rendre pour le lendemain. J’étais en train de faire une pause quand on a sonné à la porte. C’était un policier en civil. Il se trompe de nom (il y a eu confusion avec mon cousin), je réponds « non, moi j’m’appelle machin ». Il me demande une pièce d’identité, je vais dans ma chambre et il me suit. Je suis tellement tétanisé, que je passe devant l’interrupteur sans l’allumer. Je dis « attendez, je vais allumer ». Et là, ils paniquent : balayette, gros plaquage au sol, menottes… Et je me rends compte qu’il n’y avait pas un policier mais quinze ! Ils me demandent ce que je faisais dimanche, quels vêtements je portais. Ils trouvent les habits que je leur décris, les saisissent. Et tout s’enchaîne. Notification de garde à vue, perquisition chez moi. Ils m’embarquent. Une fois en bas de l’immeuble, je vois le GIPN. Il y en avait partout sur les toits, ils avaient bouclé le quartier. Ils nous ont tous arrêtés en même temps. Comment se passe la garde à vue ? Elle a été « virile », je me suis pris de bonnes grosses baffes par la criminelle (c’était avant la réforme de la garde à vue !). J’ai avoué avoir participé, puis le juge a ordonné le placement en détention provisoire. Nous étions neuf à être incarcérés dans cette affaire. Je vois ma mère dans le bureau du juge, elle pleure, et moi aussi, pour la première fois depuis mon arrestation. Je me rends compte à ce moment-là que c’est sérieux. Et je suis conduit au centre pénitentiaire de Varennes-le-Grand.

de conneries. Je ne savais pas quand j’allais être jugé, tout le monde me disait que j’allais prendre 10-20 ans parce que Sarkozy voulait des condamnations exemplaires contre les émeutiers. Je pensais que je ne m’en sortirais pas, quoi que je fasse. Mon avocate ne m’apportait aucune information et ne tentait rien. Ma mère vivait très mal ces événements, elle ne savait pas quoi faire pour m’aider, ce qui lui était insupportable. Elle a fait une demande pour que je sois envoyé chez mon père, mais il vivait aux Pays-Bas et cela n’a pas abouti dans un premier temps. Votre mère voulait que votre père vous prenne en charge ? Oui. Elle s’est dit qu’elle devait partir, pour forcer mon père à s’occuper de moi, ce qu’il n’avait jamais fait. Un jour, elle est venue me voir et m’a dit qu’elle allait devoir « partir », pour mon bien. En fait, pour elle, ça voulait dire se suicider. J’ai cru que j’allais mourir quand elle m’a sorti ça. Peu de temps après, une permission exceptionnelle m’a été accordée pour rendre visite à mon père. J’étais chez lui, quand il a reçu un appel de l’hôpital lui annonçant que ma mère avait fait une tentative de suicide. Elle était venue en Hollande pour que mon père le sache et soit obligé de me garder. J’encaisse mal : le soir, je

Je n’en revenais pas. J’avais 15 ans et je n’avais jamais imaginé mettre les pieds en prison. Heureusement, la pénitentiaire a accepté de me mettre en cellule avec un autre gars de mon affaire. J’ai été entendu plusieurs fois par le juge d’instruction, qui voulait savoir qui avait ramené l’essence. Au bout de quatre mois de détention provisoire, le juge a eu l’information et j’ai été libéré. Cette première incarcération ne s’est pas trop mal passée. Dans quelle situation êtes-vous à la sortie ? Je sors avec une interdiction de me rendre à Saint-Etienne et son agglomération. Je ne peux donc pas rentrer chez ma mère et je suis placé dans un centre de placement immédiat (CPI), une sorte de foyer de la PJJ, à Roanne. J’étais un des plus jeunes, la plupart avaient 17-18 ans, je me faisais un peu bousculer. Et puis il s’est passé quelque chose de particulier : on m’a oublié dans ce centre. En principe, la durée maximale dans un CPI est de six mois. Mais dans la période entre l’instruction et la phase de jugement, il y a eu un temps de battement pendant lequel plus aucun juge n’avait mon dossier. Du coup, je ne pouvais rien demander : pas de permission pour rentrer chez ma mère le week-end ou la rencontrer ailleurs. Au bout de 10-11 mois, je me suis mis à faire énormément

© Bernard Le Bars/SIGNATURES

Quel est votre sentiment à votre arrivée en prison ?

prends ma première cuite. J’ai pu lui rendre visite deux fois à l’hôpital, avant de rentrer en France. Elle m’a dit que son plan ne s’était pas déroulé comme prévu, mais qu’elle ne voulait plus mourir. Je repars soulagé, elle reste à l’hôpital. Et ma vie reprend son cours au foyer, toujours sans nouvelle du juge. Mais ma mère n’est plus là, je n’ai plus d’argent non plus, et je pars en vrille. Comment se passait la vie dans le foyer ? Nous étions douze et j’étais le seul scolarisé. Je redoublais ma Seconde parce que j’avais loupé six mois de cours avec mon Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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ils sont nous incarcération. La journée, je pouvais sortir pour aller en cours et je devais rentrer au centre après. Le soir, c’était le bordel au foyer : en 18 mois, j’en ai vu de toutes les couleurs. Entre ceux qui se suicident et ceux qui agressent les éducateurs… Je suis devenu exécrable : je ne frappais pas mais j’étais très ironique et provocateur. J’ai dû me prendre plus de 50 rapports d’incident, mais personne ne les lisait, comme je n’avais pas de juge désigné ! Il n’y avait pas de sanction et personne pour me recadrer. Je me suis mis à fumer du shit et à mettre vraiment les pieds dans la délinquance. Un soir, je me suis fait arrêter après avoir fugué et volé une voiture. Faute de juge désigné, ma liberté provisoire n’a même pas été révoquée. Je faisais n’importe quoi, j’étais quasiment suicidaire, notamment au volant. Jusqu’à ce que je sois enfin convoqué par la juge des enfants qui venait de récupérer mon dossier. Devant mes rapports d’incident, elle m’a dit : « Ok, c’est le jeu, on t’a oublié pendant 18 mois. Mais maintenant, c’est fini. » J’ai répondu ok et je n’ai plus eu de rapport d’incident. Je suis ensuite passé en Première avec les félicitations, je n’avais jamais eu un aussi bon bulletin. Tout allait beaucoup mieux, jusqu’à un événement particulier dans le foyer. Que s’est-il passé ? On a fait un feu dans le jardin du centre, avec l’accord du veilleur de nuit. C’était sans risque, car il n’y avait rien autour, mais il y a eu des « booms » car des déodorants ont été jetés dedans. C’est devenu un vrai feu de joie, mais la cour était grande et le veilleur était là avec nous. A un moment, les flics sont arrivés. On avait déjà éteint le feu, mais on était encore un peu galvanisés, on leur a dit de nous laisser, qu’on était « chez nous ici ! ». Finalement, ils nous disent juste qu’on n’a pas le droit de faire de feu et ils repartent. Mais quelques jours plus tard, la BAC vient tous nous arrêter. Vous avez été relâchés ? Non, on a tous été incarcérés pour destruction de biens publics. Le veilleur a déclaré qu’il avait essayé de nous empêcher de faire un feu, mais qu’il était impossible de nous arrêter. En fait, le foyer avait porté plainte et il a sûrement voulu sauver son poste. Je suis resté un mois en détention provisoire et j’ai pris trois mois au jugement. A la maison d’arrêt de la Talaudière, ça se passe mal. Je n’ai plus de contact avec ma mère, personne pour me soutenir, donc pas de courrier et pas de mandat. C’est la première fois que je connais la faim. La nourriture qu’on nous distribue est parfois immangeable et nous n’avons aucun moyen de cuisiner autre chose. Nous étions six au « quartier mineurs », sans rien, pas même de tabac. En plus, il y a eu une bagarre, j’ai perdu deux dents et suis resté trois jours à l’hôpital. Puis j’ai été placé à l’isolement, donc j’étais tout le temps seul. Ces trois mois ont été les pires de ma vie. Où êtes-vous placé à votre sortie de prison ? On m’envoie à 70 kilomètres du foyer dans une famille d’accueil. Ça se passe bien au début, les parents me laissent tranquille, je ne manque de rien, j’aide leurs filles pour les devoirs. Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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Je réussis à finir ma 1re et je passe en Terminale. Et je suis finalement jugé pour l’histoire du bus : quatre ans et demi, dont quatre avec sursis mise à l’épreuve. Les six mois fermes couvrent la détention provisoire déjà effectuée. Donc, je ne retourne pas en détention. Mais je vends un peu de cannabis pour gagner de l’argent et consommer. Et la mère de la famille d’accueil commence à ponctionner des sommes sur mes ventes, sans me rembourser. Elle trompe aussi son mari avec un gendarme qui vient à la maison quand le père est en déplacement. Pendant un an, les filles et moi en avons été témoins. Et on ne devait rien dire. Lors d’une virée en voiture avec le père, il me demande si sa femme le trompe et je lâche le morceau. Puis, je raconte tout aux services sociaux. Avez-vous des nouvelles de votre mère pendant cette période ? Non. Lors d’un entretien avec mon référent du foyer, il me fait écouter un message reçu des Pays-Bas sur leur répondeur et me demande de le traduire. C’est un médecin de ma mère qui dit qu’elle a disparu, qu’il ne sait plus où elle est. Et moi… je fais croire à mon référent qu’elle est décédée. J’ai dû penser qu’on me ficherait la paix comme ça. Mais le foyer l’a inscrit dans un rapport à la juge, et la fausse mort de ma mère faisait désormais partie de mon dossier. Récemment, ma mère m’a finalement retrouvé, à force de taper mon nom sur Google, il est apparu quand je me suis présenté aux élections de la fac. On était trop heureux : c’était énorme ! Que s’est-il passé après que vous ayez raconté les problèmes dans votre famille d’accueil ? J’ai été retiré en urgence de cette famille, j’avais 17 ans et demi. Le foyer n’avait de place nulle part, et on m’a placé dans un hôtel miteux jusqu’à ma majorité. Je mangeais des Kebab le soir, je passais mes week-ends seul dans une petite ville déserte… J’ai eu mon Bac, je voulais faire des études, mais il me manquait de quoi vivre. Entre mes 18 et 21 ans, je bénéficiais d’une « protection jeune majeur », qui donne droit à 200 euros par mois. Je n’avais pas d’autre ressource et devais payer un logement. Le juge qui me suivait dans le cadre de ma mise à l’épreuve m’a alors autorisé à partir pour l’été voir mon père, qui était en Allemagne. Je lui ai demandé de m’aider financièrement, mais il a refusé, il voulait que je reste avec lui. Je n’étais pas d’accord et on s’est embrouillés. Il ne voulait même pas me payer un billet de retour en France. Quelqu’un de la famille m’amène alors à Amsterdam, chez l’ex-femme de mon père qui accepte de m’héberger. J’y reste pendant un an : je bosse un peu et je fais des études. Le problème, c’est que je n’avais l’autorisation de sortie du territoire que pour l’été. Finalement, vous êtes quand même rentré en France ? Oui, à l’été 2010. Je suis hébergé par un pote à Lyon, je travaille pour avoir un peu d’argent, puis je m’inscris à la fac de droit, j’ai une copine (avec laquelle je suis toujours)… Au début de l’été 2011, un voisin m’avertit que des policiers me cherchent.


ACTU parcours de vie d’anciens détenus Mon avocat continue de m’assurer que tout va bien se passer. Mais en réalité, une peine prononcée de deux ans est aménageable, pas une révocation. Je suis donc emmené en fourgon, direction la prison. Votre avocat s’est trompé ?

© Michel Le Moine

Oui, sur toute la ligne. J’ai aussi appris plus tard que la Cour d’appel, exceptionnellement, me laissait le temps dans sa décision de me rapprocher du JAP avant la notification de jugement. Si je l’avais fait, ma peine aurait encore pu être aménagée avant l’incarcération. Mais mon avocat ne m’a rien dit. Je me suis ainsi retrouvé en prison en plein milieu de ma première année de droit. Ma copine et mes amis se sont organisés pour que je puisse passer mes examens en détention. Sans avoir pu réviser, j’obtiens 10,6 et je valide mon deuxième semestre. Je passe donc en deuxième année. Je suis libéré au bout de sept mois et demi, en octobre 2012. Je finis ma peine sous bracelet électronique jusqu’en mars 2013, puis en libération conditionnelle jusqu’en janvier 2014.

Centre des jeunes détenus, Fleury-Mérogis, 2006

J’appelle le commissariat, mais ils m’assurent que je ne suis pas recherché. Ils me le redisent quand je me rends sur place. Deux ou trois semaines passent et je croise un autre voisin qui me dit lui aussi qu’avant son départ en vacances, des flics me cherchaient : « Ils avaient l’air énervés, genre arme au poing et menottes à la main, il y en avait dans tout le couloir ». Je retourne au commissariat faire une main-courante pour signifier que je me suis présenté et que je suis disponible pour la police. La policière a l’idée de téléphoner à la délégation judiciaire. Je la vois changer de tête, elle me dit de m’y présenter demain : « sinon, t’es dans la merde ». J’y vais et j’apprends qu’on en est au stade de la révocation. Vous voulez dire que les quatre ans de sursis avaient déjà été révoqués ? Oui, j’avais donc quatre ans de prison à faire. J’arrive à expliquer au policier que je suis étudiant, que je travaille, que je suis aussi conseiller municipal par intérim (entre temps, je me suis engagé en politique). Il est très conciliant et me dit qu’il va voir ce qu’il peut faire. Un autre policier me descend en cellule et me dit que je n’ai aucune chance : « à 99 %, tu pars ce soir à Corbas ». Au bout d’une heure, le premier policier revient avec un grand sourire et me dit : « Franchement, aucun ténor ne t’aurait défendu mieux que moi. Tu sors mon gars ! Le magistrat de l’exécution des peines connaît ton dossier, il l’a mis sous la pile pour te laisser le temps de faire appel ». C’était inouï ! Comment se déroule cette procédure d’appel ? J’ai dix jours pour contester la révocation, je trouve un avocat à 3 000 euros (j’aurais accepté n’importe quelle condition). Je passe en décembre 2011 : mon avocat m’explique que j’ai pris une révocation partielle de deux ans, mais qu’il n’y a pas de problème car c’est une peine aménageable. Il m’assure que je vais recevoir une convocation du juge de l’application des peines. Deux mois passent sans rien. Mon avocat me jure encore que c’est normal. En mars, je reçois une convocation de la délégation judiciaire pour « notification de jugement ».

Est-ce que vous pensez pouvoir tourner la page à présent ? J’imagine, oui. Sauf que je rêve de devenir avocat : mon parcours n’aurait pas été le même si j’avais été mieux conseillé. Mais la loi prévoit que « nul ne peut exercer la profession d’avocat s’il a commis des actes contraires à la probité, à l’honneur, à la loyauté et aux bonnes mœurs ». Du coup, il est possible que je termine mon Master, puis que je fasse deux ans d’école d’avocat, et que le Barreau me dise non juste avant ma prestation de serment. C’est un pari très risqué. Je ne sais donc pas exactement où je vais. Mais j’ai un grand besoin de construire quelque chose, il est inconcevable pour moi de ne pas « réussir ». Il y a de la revanche là-dedans : les éducateurs et les juges m’ont beaucoup dit que je n’arriverai à rien. Vous n’avez pas encore l’impression de vous en être sorti ? Je peux dire que je m’en suis sorti car tout aurait pu être pire : je suis passé à côté de la mort plusieurs fois, j’aurais pu être brisé. Mais je ne suis pas sûr de mesurer tout l’impact de ces huit ans de stress, de ces trois incarcérations, des coups reçus… J’ai tendance à me dire qu’il peut toujours m’arriver un problème. J’ai perdu en innocence, j’ai vu des trucs de fous, genre un détenu qui arrache l’oreille d’un autre et la jette de l’autre côté du mur. J’ai l’impression que ce sera l’œuvre d’une vie d’intégrer tout ce qui m’est arrivé. Je suis fatigué aussi, j’ai beaucoup lutté pour ne jamais craquer. J’ai aussi résisté pour ne pas céder à la facilité de faire ma vie dans la délinquance. J’ai dû m’empêcher de répondre et de m’énerver devant chaque frustration ou mauvais traitement. J’ai encore de la haine en moi contre le système, les avocats, les magistrats… La façon dont la justice te traite t’empêche d’avoir des remords et de te sentir responsable. La violence du système paraît pire que celle des actes commis. Samuel Gautier et Sarah Dindo Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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Droit à la confidentialité des conversations téléphoniques respectant la confidentialité des conversations « à l’égard tant de leurs codétenus que des membres de l’administration pénitentiaire ». Quant au droit des personnes détenues à entretenir des échanges avec leurs proches, il « n’est pas protégé par la même garantie de confidentialité, les correspondances écrites et orales pouvant être interceptées par l’administration pénitentiaire ». Le juge précise néanmoins qu’il appartient à l’administration de garantir la confidentialité des communications « à l’égard des codétenus ». L’ordonnance du 23 avril 2014 relève par ailleurs « l’urgence qu’il y a à ce que les personnes détenues puissent bénéficier des droits que leur reconnaît la loi » : le fait que ce problème de confidentialité se pose depuis plusieurs années, ne saurait ainsi justifier qu’il soit pérennisé. Le juge a aussi répondu à un argument de défense inattendu de l’administration,

qui soutenait que les téléphones portables « illicites se multipliant dans les prisons, les détenus [peuvent] facilement joindre leurs avocats ». Le magistrat souligne que « si la présence des téléphones cellulaires au sein des centres de détention [est] de notoriété commune […] cette circonstance ne saurait dispenser l’administration de faire respecter la possibilité pour la population pénitentiaire de s’adresser par des moyens légaux à leurs défenseurs ». Ainsi, la garde des Sceaux ne peut « se fonder sur une situation de fait illégale pour contester l’urgence de permettre aux personnes détenues d’être remplies de leurs droits ». Alors que ce type de décision judiciaire pourrait se reproduire pour d’autres établissements pénitentiaires, l’administration a formé un pourvoi devant le Conseil d’Etat. TA de Rennes, 23 avril 2014, OIP-SF, n°1401157

© Thierry Pasquet /SIGNATURES

La confidentialité des appels téléphoniques passés par les détenus au centre pénitentiaire de Rennes-Vezin devra être assurée d’ici trois mois. Tel est le délai assigné au chef d’établissement par le juge des référés dans une ordonnance du 23 avril 2014, par exemple en installant des « cabines téléphoniques bénéficiant d’une isolation phonique suffisante ». L’OIP et des organisations d’avocats avaient demandé au tribunal administratif de Rennes d’ordonner le cloisonnement des téléphones, sur la base d’un constat d’expert attestant que la configuration des installations ne permettait pas d’assurer que les conversations téléphoniques ne soient pas entendues par les personnes se trouvant à proximité. Le juge confirme que plusieurs dispositions du code de procédure pénale reconnaissent aux personnes détenues le droit de téléphoner à leur avocat dans des conditions

Point phone au centre pénitentiaire de Rennes-Vezin. Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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en droit


en droit Le port des menottes et entraves sous le contrôle de la Cour européenne Le recours à des moyens de contention peut être un traitement dégradant s’il n’est pas nécessaire et proportionné. La Cour européenne des droits de l’homme le rappelle dans un arrêt du 27 mai 2014, condamnant la Bulgarie pour avoir imposé le port de menottes dans le dos à deux détenus, pendant une audience au sein de la prison. En l’espèce, les juges européens relèvent que le traitement infligé aux requérants n’a duré qu’un temps limité (1 heure environ), qu’il « n’a pas été particulièrement sévère et n’a pas entraîné de dommages à [leur] santé ». En outre, les détenus n’ont pas été soumis à la vue du public, l’audience s’étant déroulée à huis clos. Mais les juges estiment que le menottage dans le dos n’était pas commandé par un impératif de sécurité : l’audience avait lieu dans un environnement sécurisé, en présence de surveillants, les requérants portaient des entraves aux pieds, et d’autres mesures de sécurité étaient possibles et apparemment

suffisantes. Deux témoins, faisant partie du même groupe de prisonniers condamnés à perpétuité, avaient en effet été entendus sans entraves au cours de cette audience. Selon l’Etat bulgare, les deux requérants étaient particulièrement dangereux et risquaient de tenter de fuir ou de recourir à la violence pour perturber l’audience. Des arguments ne justifiant pas, pour la Cour, le maintien des intéressés dans la « position pénible » résultant du menottage dans le dos. Le traitement infligé aux requérants a donc été jugé suffisamment grave et injustifié pour être qualifié de « traitement dégradant », en violation de l’article 3 de la CEDH. Les juges européens rappellent à cette occasion leurs principes de jurisprudence : le port des menottes et entraves ne constitue pas un traitement dégradant s’il est lié à une arrestation ou une détention légales et qu’il n’entraîne pas l’usage de la force, ni d’exposition publique, au-delà de ce qui est

raisonnablement considéré comme nécessaire et proportionné vu les circonstances. Il importe « par exemple de savoir s’il y a lieu de penser que l’intéressé opposera une résistance à l’arrestation, ou tentera de fuir, de provoquer blessure ou dommage, ou de supprimer des preuves ». La Cour examine pour chaque cas si l’utilisation de moyens de contention est nécessaire et proportionnée, prenant en compte « l’intégralité » des faits. Elle vérifie notamment si la mesure a eu pour but ou pour effet d’humilier et de rabaisser la personne entravée, et si le menottage a nui de façon grave à sa personnalité. Le fait d’être exposé à la vue du public peut être un facteur pertinent à cet égard, mais la Cour précise que même à l’abri des regards, ce traitement peut emporter une violation de l’article 3 en l’absence de justifications suffisantes de sécurité. CEDH, 27 mai 2014, Radkov et Sabev c/ Bulgarie

Calcul des périodes de sûreté : décision salutaire de la Cour de cassation Soulagement. La Cour de cassation a tranché en faveur des personnes détenues sur le mode de calcul des périodes de sûreté. Dans un arrêt de la chambre criminelle du 25 juin 2014, elle précise que le décompte doit partir du premier jour de la détention relative à la condamnation assortie d’une période de sûreté. Y compris la détention provisoire, même si d’autres peines d’emprisonnement ont été mises à exécution durant le même temps. La haute juridiction confirme ainsi la méthode qui était appliquée par les parquets et greffes des établissements pénitentiaires depuis une circulaire du 19 mars 1998. Ce mode de calcul était contesté : en novembre 2013, un magistrat avait en effet développé une autre interprétation (Actualité Juridique Pénal 2013, p. 591), excluant la détention provisoire du décompte si une autre

peine était exécutée dans le même temps. Si bien que plusieurs juridictions ont commencé à adopter ce nouveau mode de calcul. Entraînant pour les condamnés concernés un report de plusieurs années de la fin de leur période de sûreté et des projets d’aménagement de peine passés à la trappe. L’arrêt du 25 juin casse, sans renvoi, un arrêt de la chambre de l’instruction de Lyon qui avait appliqué ce nouveau calcul. La haute juridiction donne ainsi valeur de principe à sa décision. Elle considère « qu’en se prononçant ainsi, alors que devait s’imputer sur la durée de la période de sûreté, la totalité de celle de la détention provisoire, la chambre de l’instruction a méconnu le texte susvisé et les principes ci-dessus énoncés », poursuivant « qu’il n’y a pas lieu de déduire de la période de sûreté la durée des peines d’emprisonnement exécutées

concomitamment à la détention provisoire ». Cette décision consacre également le fait qu’il n’est pas possible de venir bouleverser des situations pénales en cours d’exécution de peine, menaçant des équilibres déjà précaires au sein des établissements pour longues peines. Chambre criminelle de la Cour de cassation, 25 juin 2014, n°14-81.793

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Responsabilité de l’Etat dans le suicide d’un détenu « aboli » au moment des faits. Ils reconnaissaient néanmoins que « sa fragilité psychiatrique [avait] pu être un facteur favorisant » le passage à l’acte. Atteint d’« une forme atténuée de schizophrénie affective, comportant par périodes un état hallucinatoire caractérisé » selon un autre psychiatre, Zinédine a vu son état de santé se dégrader en détention. En septembre 2003, il manque de périr dans un incendie de cellule qu’il a provoqué et en conserve de graves séquelles. A partir de novembre 2005 son état de santé se dégrade à nouveau : il multiplie les incidents disciplinaires, les destructions de matériels, les propos agressifs. Par six fois, le Préfet du Nord refuse de prononcer une hospitalisation d’office, malgré les demandes répétées et insistantes des psychiatres de la prison. Dès le 14 novembre 2005, ils certifient qu’une hospitalisation est « urgente » et « indispensable », car Zinédine n’a « plus sa place en milieu pénitentiaire » et nécessite « des soins en milieu spécialisé » au regard de son état « totalement dégradé » et d’un « risque de passage à l’acte auto-agressif ». Au lieu de quoi, Zinédine est maintenu au quartier disciplinaire, ce qui ne manque pas de provoquer « une altération de son état général avec amaigrissement », comme le relève un psychiatre de la prison, dénonçant « une

situation intolérable ». Le 20 janvier 2006, l’hospitalisation d’office est enfin décidée. Durant son séjour, il est maintenu constamment « en chambre de sécurité » attaché « de trois membres avec possibilité d’aller à la douche et aux toilettes une fois par jour avec une surveillance renforcée ». Pas plus que lorsqu’il était au quartier disciplinaire, sa famille n’est autorisée à lui rendre visite. Il est prématurément renvoyé en prison le 13 février 2006. Ses « symptômes d’agressivité et de délires » ont disparu, mais Zinédine est très affaibli et, selon plusieurs témoignages, ne prend même plus la peine de s’habiller. Le 25 mars vers 23 heures, il se pend avec une corde de tissu attachée au tuyau des toilettes. Aucune ronde de nuit n’ayant été effectuée, il sera découvert à 5 h 30 du matin. Dans sa décision, le Conseil d’État s’est contenté de pointer cette faute de surveillance de l’administration pénitentiaire, estimant qu’il n’était pas « besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi ». Une approche laissant de côté les interrogations sur la responsabilité pénale de Zinédine H., tout autant que l’incompatibilité de son maintien puis de son retour en détention avec son état de santé. Conseil d’Etat, 11 juin 2014, n° 359739

© Michel le Moine

Une succession de fautes aura entaché le parcours de Zinédine H. jusqu’à son suicide en cellule. Atteint de graves troubles psychiatriques, il a été condamné, puis maintenu en détention contre l’avis des psychiatres, puis soigné trop brièvement à l’hôpital, et enfin laissé sans surveillance particulière à son retour en prison. Pour cette dernière faute, le Conseil d’État a donné raison, le 11 juin 2014, à la famille du jeune homme, en annulant un arrêt de la cour administrative de Douai du 22 mars 2012. Elle avait estimé que « rien ne pouvait laisser prévoir le geste suicidaire de [Zinédine H.] et qu’aucune surveillance particulière n’était nécessaire ». Une décision « entachée de dénaturation » pour la Haute juridiction, qui renvoie l’affaire devant la même cour pour un nouveau jugement. Zinédine H. s’est pendu dans sa cellule du centre de détention de Loos dans la nuit du 26 mars 2006. Depuis, sa famille se bat pour faire reconnaître une succession de fautes dans sa prise en charge. Zinédine était détenu depuis quatre ans, ayant été reconnu responsable de ses actes lors de sa condamnation pour homicide volontaire. Les experts avaient estimé qu’il souffrait d’une pathologie psychiatrique « aux frontières d’un état limite et d’un état dépressif atypique », mais que son discernement n’était qu’« altéré » et non

Coursive du centre de détention de Loos, 2004 Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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en droit


en actes France-Canada : deux approches du contrôle des prisons Parce que les structures pénitentiaires françaises restent « défaillantes » et l’administration peu encline à y admettre le regard extérieur, un contrôle « militant et critique » reste de mise, relève Sandra Lehalle. Au Canada, la tradition d’ouverture des prisons vers la société favorise une approche consultative et collaborative. La criminologue dresse une étude comparative des modalités de contrôle à l’œuvre dans les deux pays.

Sandra Lehalle, professeure associée de criminologie à l’université d’Ottawa, a publié La prison sous l’œil de la société – Contrôle du respect de l’Etat de droit en détention en France et au Canada, L’Harmattan, décembre 2013, 370 pages, 38 €

Un membre du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) que vous avez interviewé a qualifié la France « d’Etat récalcitrant » à l’égard des contrôles. Qu’entendait-il par là ? Il évoquait une certaine attitude « à la française », qui n’aime pas recevoir de critiques telles que celles formulées par le CPT, surtout venant de pays considérés moins importants sur la carte géopolitique. Il y a ainsi de véritables fins de nonrecevoir de la France face à certaines recommandations. Par exemple, le CPT recommande depuis très longtemps une présence soignante dans les prisons la nuit. Depuis 1997, la France dit non ! Beaucoup d’exemples concrets montrent que le CPT ne réussit pas à faire fléchir les positions des autorités pénitentiaires. Ce commentaire du membre du CPT avait été fait dans un contexte particulier : suite à une fuite du rapport du Comité, le ministre de la Justice de l’époque [Dominique Perben] avait critiqué son contenu, invoquant des erreurs, des approximations, des recommandations inadaptées à la France… Ces attitudes demeurent sources de tensions, même si le ministre change. Et la France reste un mauvais élève, qui attend toujours le délai maximum d’un an avant de répondre au rapport de visite du CPT, le publie un an et demi, voire deux, après la visite…

Cette réticence des autorités française à l’égard des regards extérieurs se manifeste-t-elle sur les autres formes de contrôle ? Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté n’est fonctionnel que depuis 2008 – alors que l’enquêteur correctionnel, son pendant canadien, existe depuis 1973. L’intervention de la société civile n’est pas non plus perçue de la même manière dans les deux pays. Par exemple, nous avons à l’Université un projet de cours qui va se donner en détention, avec des élèves pour moitié détenus et pour moitié étudiants qui viendront à la prison. L’administration pénitentiaire ne fait pas obstacle, bien au contraire ! La même initiative serait très compliquée à mettre en œuvre en France. En quoi les « contrôles citoyens » sont-ils différents aujourd’hui dans les deux pays ? L’activisme militant sur les prisons tel qu’il existe en France se trouve peu au Canada, où, en revanche, le bénévolat est très répandu. L’intervention des citoyens n’a pas la même optique, car elle ne rencontre pas les mêmes obstacles : depuis les années 1970, le Canada a mis en place des programmes et structures pénitentiaires qui restent très défaillants en France. Les pénitenciers sont ouverts à la société, aux contrôles. Peu de personnes y sont opposées. Depuis cette époque, les comités consultatifs de citoyens intervenant en prison ont joué un rôle important. Quel est leur rôle ? Ces comités sont gérés et orchestrés par le service pénitentiaire : le directeur sélectionne les membres, considérés comme des citoyens partenaires. Ils sont présents dans l’établissement, peuvent s’y déplacer et sont consultés pour certaines décisions. L’idée est d’intégrer des membres de la Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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© D.R.

Le pénitencier de Kingston au Canada.

communauté à la vie de la prison et aux décisions et aussi, d’intégrer l’établissement pénitentiaire au sein de la communauté. Leur rôle n’est pas de critiquer le système, ils essaient de changer les choses à l’intérieur, cherchent des solutions. Je n’ai jamais vu un membre d’un comité consultatif citoyen dénoncer dans la presse. N’y a-t-il rien à dénoncer ? Je ne me risquerais pas à le dire. Sont-ils institutionnalisés ? Peut-être. Leur troisième rôle, c’est d’être des agents de liaison avec la communauté, afin d’informer le grand public. Par exemple, lors de la libération conditionnelle d’un cas médiatique, ils peuvent intervenir dans les médias pour rassurer. Ils sont porte-parole de ce qui se passe à l’intérieur, pour l’expliquer à la société. Le comité se réunit tous les mois, mais chaque membre peut aller en détention autant que de besoin, selon le dossier dont il s’occupe. Ont-ils des liens avec les comités de détenus ? Ils les rencontrent à chaque visite. Les comités de détenus sont des interlocuteurs privilégiés pour s’informer, et ils sollicitent aussi les comités citoyens. Dans les deux cas, il y a l’idée de consulter, d’impliquer dans les décisions de l’établissement. C’est la philosophie du système correctionnel canadien. Les détenus ont un avis à donner sur les décisions prises. Ce qui ne veut pas dire qu’on les écoute à chaque fois.

Existe-t-il des associations indépendantes ? L’Office des droits des détenus a été très actif dans les années 70-90, mais il a aujourd’hui quasiment disparu. Les associations s’impliquent pour soutenir les femmes judiciarisées et incarcérées, ou dans l’aide à la réinsertion sociale. Notamment les maisons de transition, qui offrent un hébergement, une aide à la recherche d’emploi pour les personnes en libération conditionnelle. Mais des ONG critiques comme l’OIP, on n’en a pas ! L’« enquêteur correctionnel » canadien joue-t-il un rôle similaire à celui du Contrôleur général (CGLPL) en France ? L’enquêteur correctionnel est un hybride du CGLPL et du Défenseur des droits. Il s’occupe de la gestion des griefs, des litiges. Il joue un rôle de médiateur plus que de contrôleur ou de critique d’un système. Mais il peut également enquêter lorsqu’il constate un problème systémique. Son intervention ressemble alors davantage au CGLPL. Il reçoit les vidéos réalisées dès lors que des agents correctionnels utilisent la force au cours d’une intervention. Il est aussi informé de chaque décès. Dans une affaire récente, son enquête sur le décès d’une jeune femme en détention a déclenché une enquête du Coroner [officier public nommé par le gouvernement pour enquêter sur certains décès, ndlr] puis un procès, qui a fait l’objet d’une médiatisation à grande échelle.

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en actes


en actes Comment fonctionne cette instance ? Elle intervient dans les 150 prisons fédérales, celles prévues pour les peines supérieures ou égales à deux ans. Une trentaine d’enquêteurs assure une à deux fois par mois des permanences dans les établissements qui leurs sont assignés, pour les détenus et les membres du personnel. Ils peuvent aussi être appelés sur un mode plus réactif, pour apaiser des tensions qui auraient pu, sans leur intervention, dégénérer en mini-soulèvement ou en mini-émeute. La problématique de l’enquêteur correctionnel – à la différence du CGLPL – c’est qu’il est chapeauté par le même ministère que le service correctionnel. Ils ont le même boss, lui et le directeur de la prison. Pour l’indépendance, ce n’est pas l’idéal. Je ne pense pas que cela ait un impact sur la qualité du travail, mais plus sur le suivi des recommandations. Au lieu de remettre son rapport au Parlement, ce qui serait l’idéal, il le remet au ministre… qui décide de l’allocation des fonds ! Quels contrôles sont prévus dans les prisons provinciales, où les conditions de détention sont plus dures ? Des ombudsmans provinciaux interviennent, mais ils ne sont pas spécialisés en matière pénitentiaire, et desservent toutes les administrations provinciales. Cependant, les détenus sont à l’origine d’une grande proportion des requêtes qu’ils reçoivent et certains désignent des équipes ou personnes spécifiques pour gérer ces problématiques. Leur implication varie selon les provinces et les besoins (certains font des visites sur place, des rapports spécifiques sur la détention, d’autres pas). Les contrôles citoyens et politiques sont eux aussi très variables selon les provinces. Cette question pourrait expliquer que le Canada n’a toujours pas signé le protocole de l’ONU auquel est rattaché le sous-comité de prévention de la torture (OPCAT). Car il faudrait, pour se conformer au Protocole, uniformiser le contrôle d’un bout à l’autre du territoire. Il semble que ce soit l’enjeu qui retarde cette ratification : qui fera quoi (un organisme national ou un par province) et surtout qui payera la facture (le fédéral ou les provinces) ? Les « contrôles politiques » exercés par les parlementaires fonctionnent-ils de la même façon dans les deux pays ? Il y a beaucoup plus d’intérêt et de mobilisation des parlementaires français, surtout suite aux commissions d’enquêtes dans lesquelles beaucoup se sont impliqués en 2000. Certains se sont sentis investis de poursuivre le travail, par exemple par des visites – ils y ont été encouragés par des associations. Au Canada, ils ont le même droit, mais c’est extrêmement rare de les voir visiter un établissement. Ce n’est pas dans leurs priorités et c’est très peu médiatisé. Les médias canadiens parlent très rarement des conditions de détention, alors qu’en France, c’est récurrent.

Il est souvent reproché aux instances de contrôle supranationales leur impact limité, vos observations vous conduisent-elles à cette même conclusion ? Ces instances n’ont en effet pas de pouvoir contraignant. En amont, c’est l’Etat qui décide de s’y soumettre ou non. Ce sont souvent des enjeux politiques qui font que l’Etat accepte d’être contrôlé, de crainte d’être mal vu. En aval, c’est aussi l’Etat qui décide de mettre en œuvre le contrôle, de bien le recevoir, de publier les rapports. Il établit ainsi les limites dans lesquelles il accepte d’être contrôlé. Les fruits ne sont pas toujours visibles immédiatement, mais ces contrôles sont néanmoins importants : ils participent à l’élaboration de normes relatives aux conditions de détention et de traitement des détenus ; des normes ensuite relayées et utilisées par d’autres. Le CPT s’est emparé de la flexibilité de son mandat pour l’étendre aux conditions de détention, sans se limiter à la torture et aux traitements inhumains et dégradants. Il a ainsi contribué à ce que les conditions de détention en elles-mêmes puissent être assimilées à des traitements inhumains et dégradants. Les rapports du CPT fournissent enfin des outils de formation, des méthodes de travail. Des ONG utilisent ces normes, qui influent sur les autres mécanismes de protection : l’œuvre accomplie par le CPT se retrouve dans les jugements de la Cour européenne des droits de l’homme. Les Etats introduisent des changements en rapport avec leurs recommandations, sans le reconnaître explicitement. Il serait injuste d’évaluer leur impact uniquement en regardant si les Etats ont appliqué les recommandations et dans quels délais. Les mécanismes de contrôle, dans leur diversité, parviennent-ils faire évoluer les pratiques pénitentiaires ? L’action conjuguée des différents mécanismes permet d’obtenir un impact. Les contrôles sont très divers, dans leurs méthodes de travail, leurs objectifs, mais aussi dans leur type : politique, scientifique, de proximité. On constate cependant que leurs conclusions et recommandations se rejoignent ; ce sont les mêmes problématiques qu’ils dénoncent au gouvernement, qui ne peut éternellement faire la sourde oreille. Si le CPT, l’OIP, le CGLPL, envoient le même message, ils parviennent à se faire entendre. Mais il faut veiller à ne pas devenir un outil de légitimation. Il est important de veiller à ce que l’Etat et le service pénitentiaire ne s’emparent pas de ces mécanismes de contrôle pour paraître meilleurs qu’ils ne sont, et évitent de se questionner par exemple sur ces peines si longues. On peut craindre que cette ouverture à la société occulte les questions de fond : que fait-on avec les prisons ? Pourquoi existent-elles ? En a-t-on réellement besoin ? Disposer de nombreux contrôles, agrandir la taille des cellules, ne doit pas empêcher de s’interroger sur l’usage intensif qu’on fait actuellement de la prison. Recueilli par Barbara Liaras Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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Laure Baste Morand : une visiteuse de prison pas ordinaire C’était une grande dame du milieu carcéral, connue pour son franc-parler. Laure Baste Morand, visiteuse de prison pendant trente ans et présidente de l’ANVP entre 1976 et 1986, nous a quittés le 3 avril. Quelques semaines auparavant, sa petite-fille Louise, spécialisée en justice restaurative, enregistrait un entretien avec elle. Extraits.

Qu’est-ce-qui vous a donné envie de devenir visiteuse de prison ? J’étais femme au foyer, mère de cinq enfants. Un de mes beaux-frères était visiteur à la prison de la Santé. Il nous a incitées, sa femme (ma sœur) Thérèse et moi à devenir visiteuses. Comme Thérèse était petite en taille, on l’a envoyée chez les femmes à la Roquette, et comme je mesurais 1m75, on a pensé que je pouvais visiter les hommes à Fresnes ! J’ai commencé en 1973. Et je me suis de plus en plus investie dans la question des prisons. J’ai un peu négligé mes enfants, mais ils se sont très bien débrouillés quand même. Mon mari a bien compris mon engagement, il a même embauché par la suite un détenu que j’avais suivi. Toute la famille a connu des anciens détenus que j’invitais régulièrement à dîner après leur sortie. Qu’avez-vous ressenti la première fois que vous êtes allée en prison ? Je n’avais pas peur car on m’en avait bien parlé avant : il fallait rencontrer des gens, leur dire qu’ils étaient beaux et que je les respectais, et que si je pouvais les aider je voulais le faire ! Seuls environ 10 % des détenus demandaient un visiteur (selon une étude que j’ai fait réaliser par la suite à l’ANVP). Quand je suis arrivée à Fresnes, j’ai trouvé l’architecture très belle ; l’entrée dans cette large galerie ensoleillée était assez superbe. Mais on ne visitait pas les cellules des détenus, bien sûr. En bas, il y avait les parloirs visiteurs. Deux femmes de la Croix Rouge, absolument charmantes, m’ont désigné deux détenus qui avaient demandé une visiteuse, et je suis allée les voir. Je n’ai plus de souvenir très précis de ces rencontres, mais ça s’est bien passé, ils étaient très contents et je suis revenue à Fresnes tous les jeudis, pendant trente ans. Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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Comment trouviez-vous l’ambiance à Fresnes ? A l’époque, il n’y avait pas autant de portiques de sécurité. Tu entrais simplement avec une carte, tu disais bonjour au surveillant et tu passais le sas d’entrée. En revanche, la relation surveillant-détenu m’a tout de suite parue empoisonnée. J’ai rencontré peu de surveillants avec le sens du dialogue, qui arrivaient à s’entendre avec les détenus, à savoir ce qui n’allait pas, et à les aider un peu. Ils sont mal formés par l’administration pénitentiaire, qui ne prône que le contrôle et alimente la peur. Et pour les détenus, parler à un surveillant, c’était considéré comme un acte de traîtrise. Donc la relation était très mauvaise, c’est l’un des problèmes majeurs du milieu carcéral. Pour les rencontres visiteurs-détenus, l’administration mettait souvent des obstacles. Certains chefs de détention faisaient tout pour nous faire attendre, nous compliquer la vie. « On est allé vous le chercher », pouvaient-ils dire alors que ce n’était pas vrai ! L’administration était tellement exaspérante que du coup, je trouvais les détenus plutôt sympas. Je me disais : « Ils sont obligés de supporter ça toute la journée ». La personnalité du directeur était très importante aussi. Par exemple, on en a vu arriver un jour un nouveau, qui avait fait du recrutement externe pour constituer son équipe d’encadrement : des anciens professeurs (d’histoire, de philo, de maths), un commissaire de police… Du jour au lendemain, l’atmosphère à Fresnes a changé : tout le monde s’est parlé dans les allées, le directeur était tout le temps dans la détention, il rencontrait les détenus et il les écoutait. La qualité du personnel est fondamentale dans une prison.


HOMMAGE

Quels détenus demandaient à rencontrer un visiteur ? Au début, j’ai vu surtout des auteurs de petits délits (cambriolages, etc.). J’ai tout de même aussi rendu visite à un homme qui avait jeté sa femme dans un puits ! Un autre client avait dit à l’assistante sociale : « je veux la visiteuse aux yeux bleus ». C’est ainsi que j’ai rencontré G.T., un grand truand, qui était très riche parce qu’il avait fait énormément de banques. C’était un type très sympathique qui était marié mais ne pouvait pas avoir d’enfants. J’ai aidé sa femme à obtenir des autorisations pour une adoption. Du coup, c’est devenu un grand ami. Il y avait des gens très variés, mais de toute façon j’avais pour principe de les prendre comme ils étaient, chacun fait ce qu’il peut avec ce qu’il a.

Le temps qu’il restait à Fresnes. S’il était transféré, j’avais aussi le droit d’aller le voir dans son nouveau lieu de détention, mais je ne pouvais pas toujours. Mon plus long suivi a duré vingt ans. Ce client tombait, rentrait, tombait, rentrait. Il m’appelait « sa petite sœur ».

© D.R.

Lorsque vous suiviez quelqu’un, combien de temps cela durait-il ?

« Je suis revenue à Fresnes tous les jeudis, pendant trente ans » (Laure Baste Morand)

De quoi parliez-vous avec les détenus ? Ce sont eux qui parlaient, pas moi ! Ils racontaient leur vie, leurs rêves, l’injustice (ex : l’avocat ne vient jamais, le juge d’instruction est partial, etc.). Je leur apportais une écoute et je faisais attention : ils avaient et ont toujours besoin de respect. Je les traitais de la même façon qu’un directeur ou n’importe qui d’autre. En général, cela suffisait pour qu’ils parlent et se sentent à l’aise.

Vous veniez d’un milieu favorisé, est-ce que cela n’a pas créé un décalage avec les personnes détenues ? J’ai eu toute ma vie conscience d’avoir une chance inimaginable : une famille unie, avoir épousé l’homme que j’aimais… Je n’ai pas spécialement mérité tout ça, je l’ai eu gratuitement. Et j’avais en face de moi des gens qui n’avaient reçu que de la merde. Ils étaient souvent très démunis du point de vue Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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culturel. Je ne pouvais pas les mépriser, les personnes rendent ce qu’on leur a donné. Alors, si on ne leur a rien donné… Un exemple de bon souvenir qui vous vient à l’esprit ? La sortie de prison de V.G. Il avait obtenu une libération conditionnelle et je suis allée le chercher à Clairvaux car il ne voulait pas prendre le train. Je suis arrivée et les surveillants m’ont demandé si je n’avais pas peur. Ils l’avaient fait attendre au mitard (tu vois la délicatesse de l’administration…), donc il est sorti à grands pas en me saluant à peine. Il a chargé ses bagages dans ma voiture et, fou de rage, il est parti à pied à l’opposé de la bonne route. Je l’ai suivi en voiture au pas. Pour finir, il est monté – encore très énervé – et on a pris la bonne route. A un moment donné, on s’est arrêtés pour déjeuner dans un bistrot. Là, enfin, il s’est déridé, il a mangé comme quatre, et tout d’un coup, il m’a dit : « Ah ma petite sœur, tu es gentille d’être venue me chercher ». Et un mauvais souvenir ? Il n’y en a pas qu’un. Ce sont des souvenirs d’échecs, de n’avoir pas réussi quoi que ce soit pour certains détenus. En même temps, je le savais dès le départ : ce ne sont pas quelques visites qui vont changer la vie de quelqu’un ou lui donner des perspectives. Il leur aurait fallu beaucoup plus d’activités, de formation, de soins… Vous avez aussi été présidente de l’ANVP, association nationale des visiteurs de prison ?

Vous avez aussi créé le Verlan, un centre d’hébergement et de réinsertion sociale ? Oui en 1979, et je l’ai présidé pendant deux ans. Il avait une particularité par rapport aux autres centres : on voulait vraiment que le sortant de prison s’y sente libre (pas de couvrefeu, pas d’obligation de déposer son argent, etc.). J’ai vendu mon projet au ministère des Affaires sociales avec un argument qui les a convaincu : intégrer des gens dans un centre d’accueil avec deux éducateurs, des tickets repas et une chambre à l’hôtel représentait une économie fabuleuse. Je suis allée chercher de l’argent, public et privé, et nous avons pu louer un local à côté de la prison de la Santé. Le Verlan a très bien marché parce que des gens magnifiques s’en sont occupés. Pourquoi avez-vous arrêté les visites en prison ? Parce que j’ai décidé que la limite d’âge serait de 75 ans pour tout visiteur de prison : je l’ai fait inscrire dans les statuts de l’ANVP. Il y a eu des hurlements, mais je pense que sauf exception, cette limite correspond à la fin de l’âge de l’énergie.

Oui, en 1977, j’étais visiteuse depuis quatre ans quand j’ai accepté ce poste, avec une belle inconscience ! La première chose à faire, c’était de séduire, ce que je savais bien faire ! Ensuite, j’y ai accompli deux choses : laïciser et régionaliser. J’ai fait venir tous les représentants de régions au conseil d’administration, ce qui a apporté du sang neuf et permis de partager les initiatives locales. A Lyon par exemple, ce sont les premiers à avoir ouvert un centre d’accueil pour familles vers 1976. Comme on organisait les assemblées générales en province, on allait chaque fois visiter les prisons du coin. Le centre de détention de Mauzac est la seule prison bien conçue que j’ai visitée [construite en pavillons, avec libre circulation des détenus]. Quant à savoir laquelle est la pire… j’hésite entre les Baumettes, Lyon, etc. Les prisons françaises étaient vraiment dégueulasses, misérables.

Comment pensez-vous que le système pourrait être amélioré ?

Avez-vous eu d’autres fonctions dans votre parcours ?

Un dernier mot pour la fin ?

J’ai été nommée membre du Comité consultatif de libération conditionnelle. J’étais la seule non fonctionnaire et non magistrate, représentant une association d’aide aux détenus. J’y ai beaucoup plaidé pour la conditionnelle, avec pour argument principal : « Vu le prix de journée de la prison, je ne suis pas d’accord en tant que contribuable de continuer à payer pour ce type qui n’est pas dangereux ». Je les faisais rire et j’ai réussi à faire accorder des conditionnelles à pas mal de gens. Malgré mon statut, j’avais la même voix que les autres, j’ai enfin eu une impression d’efficacité. J’ai aussi eu l’occasion d’aller à l’Elysée,

Je suis très contente de l’avoir fait, parce que si j’ai pu rendre service à ne serait-ce qu’une vingtaine de personnes, ce service a pu les a aider à vivre, à s’épanouir et à devenir des êtres humains comme tout le monde. Et ça, c’est pas mal. Si c’était à refaire, je recommencerais.

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de rencontrer des ministres de la Justice, ce qui a commencé à faire peur à l’administration pénitentiaire, où certains disaient : « Méfiez-vous de Laure Baste Morand, elle a du pouvoir ». Que j’ai utilisé pour faire sortir les gens le plus vite possible quand je me rendais compte que la prison les pourrissait, qu’ils n’y faisaient rien et que cela n’avait aucun sens…

Principalement avec un budget plus important. Il faut des éducateurs, des enseignants, des infirmiers, des psychiatres en prison. Si on n’apporte pas tout cela aux détenus, ils ressortent aussi « bras cassés » qu’ils sont entrés. Les politiques et l’administration ont foutu l’argent en l’air en construisant des nouvelles prisons modernes, où la vidéosurveillance remplace le personnel. Ils n’ont pas vu que c’est l’humain qu’il faut changer. Si tu enfermes quelqu’un, ce n’est pas d’avoir une douche en cellule qui va l’aider à vivre. Il n’y a qu’à voir les prisons en Hollande par exemple, qui ne dépassent pas les 300 places, où le rapport entre personnels et détenus est bien meilleur. Il reste un état d’esprit selon lequel les gens sont en prison pour souffrir, ce qui est désastreux, y compris pour la sécurité.

Recueilli par Louise Baste Morand


HOMMAGE

Christine Daure-Serfaty, un regard sans défaillance « Le Chemin » par Christine Daure-Serfaty La prison accompagne l’histoire des hommes. Les sociétés se protègent. Pour des délits ou pour des crimes, elles arrêtent, jugent, condamnent ceux et celles qui contreviennent à leurs lois. L’exclusion qu’elles prononcent se traduit le plus souvent par la réclusion. Mais elles vont au-delà, jusqu’à l’abus de pouvoir lorsqu’elles ajoutent à la peine le non-respect du règlement, la brimade, l’humiliation. Il y a faute, et il y a aussi absurdité. Entasser dans les prisons des hommes et des femmes qui ressortiront un jour sans avoir rien appris ni rien oublié, est un énorme gâchis. La démocratie est, pour tous, le respect des règles qu’une société a édictées, et c’est, à travers elles, le respect de la personne humaine : rien de bon ne peut se faire sans cela. La veille, la vigilance, l’observation, ce regard sans défaillance posé sur autrui, sont la base même de la solidarité et donc de la plus élémentaire démocratie. La base, au double sens de geste premier, préalable à tout autre, et aussi fondement à partir duquel on peut commencer à construire, élaborer. Que le regard se détourne, que la vigilance disparaisse, et tout peut arriver. Et tout arrive d’ailleurs.

E

LLE AVAIT CONNU LA PRISON À TRAVERS L’ENFERMEMENT AU

Maroc de son époux, Abraham Serfaty, détenu dans les geôles du roi Hassan II pendant 17 ans. Au-delà du sort des prisonniers politiques, Christine Daure-Serfaty, décédée ce 28 mai, avait fait de sa lutte un combat universel pour exiger le respect de la dignité de toute personne détenue. Quels que soient les motifs de l’incarcération. Une exigence qui l’avait poussée à participer à la création de l’Observatoire international des prisons en 1990, dont elle fut la présidente de 1993 jusqu’à la fermeture du secrétariat international en 1999. Ceux qui l’ont connue alors se souviennent d’une présence lumineuse, d’une personne dont le calme et la détermination forçait l’admiration. « Que le regard se détourne et tout peut arriver » écrivait-elle dans la préface du premier rapport de l’OIP sur les conditions de détention dans le monde pour rappeler que la vigilance et l’observation, fondements de l’action de l’OIP, sont les bases de la plus élémentaire démocratie. Mais aussi « le fondement à partir duquel on peut commencer à construire, élaborer ». Tel est le chemin dessiné par Christine que continuera de parcourir la Section française de l’OIP.

C’est dans le secret des gardes à vue que l’on tue, et que là-bas on torture. C’est dans les prisons clandestines que les peines sont indéfiniment dépassées, qu’on survit sans espoir ou qu’on meure dans des conditions cruelles. C’est tout simplement dans nos prisons ordinaires, officielles, que nous n’observons pas toujours les droits des détenus, qui déjà purgent la faute jugée par le temps de détention, la privation de liberté. Partout dans le monde, nous sommes bien loin du respect de la dignité des prisonniers, de tous les prisonniers. Qu’ils aient osé penser à contre-courant, qu’ils aient commis la violence, qu’ils aient volé ou tué et qu’ils soient donc politiques ou droit commun. Tout pouvoir frôle en permanence l’abus de pouvoir. Seuls les pouvoirs despotiques précisément veulent ignorer et nier cette réalité. Les seuls remèdes, les garde-fous, sont les contre-pouvoirs que les citoyens ordinaires que nous sommes peuvent et doivent inventer, c’est le chemin que l’Observatoire international des prisons commence à inventer. Préface du Rapport 1993 de l’OIP, Les conditions de détention des prisonniers ordinaires Dedans Dehors N°84 Juillet 2014

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ADRESSES

Pour tout renseignement sur les activités de l’OIP-section française ou pour témoigner et alerter sur les conditions de détention en France : OIP section française 7 bis, rue Riquet 75019 Paris tel : 01 44 52 87 90 fax : 01 44 52 88 09 e-mail : contact@oip.org site : www.oip.org

Le standard est ouvert de 15h à 18h

L’OIP en région Les coordinations régionales sont chargées des enquêtes sur les établissements de leurs régions. Chaque coordinateur travaille avec un réseau de correspondants et de bénévoles. Coordination régionale Nord et Ouest (DISP Lille et Rennes)

Coordination régionale Sud-Est (DISP Lyon et Marseille)

Anne Chereul 14, contour Saint Martin 59100 Roubaix 09 61 49 73 43 06 63 52 10 10 fax: 03 28 52 34 13 anne.chereul@oip.org

Amid Khallouf 57 rue Sébastien Gryphe 69007 Lyon 09 50 92 00 34 06 50 73 29 04 fax : 09 55 92 00 34 amid.khallouf@oip.org

Coordination régionale SudOuest (DISP Bordeaux et Toulouse)

Coordination régionale Ile-deFrance et outre-mer (DISP Paris et outre-mer)

Delphine Payen-Fourment 7bis rue Riquet 75019 Paris 01 44 52 87 94 06 50 87 43 69 fax: 01 44 52 88 09 delphine.payen-fourment@oip.org

François Bès 7bis rue Riquet 75019 Paris 01 44 52 87 96 06 64 94 47 05 fax: 01 44 52 88 09 francois.bes@oip.org

Coordination régionale Centre et Est (DISP de Dijon et Strasbourg)

Les groupes et correspondants locaux de Metz et Nancy assurent l’observation et l’alerte sur la prison de leur ville, en lien avec le secrétariat national.

7 bis rue Riquet 75019 Paris 01 44 52 87 90 fax: 01 44 52 88 09 contact@oip.org

Pour les contacter, vous pouvez joindre le secrétariat national : contact@oip.org ou 01 44 52 87 90

Qu’est-ce que l’OIP ? La section française de l’Observatoire international des prisons (OIP), créée en janvier 1996, agit pour le respect des droits de l’Homme en milieu carcéral et un moindre recours à l’emprisonnement. Que fait l’OIP ? Concrètement, l’OIP dresse et fait connaître l’état des conditions de détention des personnes incarcérées, alerte l’opinion, les pouvoirs publics, les organismes et les organisations concernées sur l’ensemble des manquements observés ; informe les personnes détenues de leurs droits et soutient leurs démarches pour les faire valoir ; favorise l’adoption de lois, règlements et autres mesures propres à garantir la défense de la personne et le respect des droits des détenus ; défend une limitation du recours à l’incarcération, la réduction de l’échelle des peines, le développement d’alternatives aux poursuites pénales et de substituts aux sanctions privatives de liberté. Comment agit l’OIP ? Organisation indépendante des pouvoirs publics, l’OIP ne sollicite aucun mandat ou subvention du ministère de la Justice, s’interdit de prendre part à l’action d’aucun gouvernement, de soutenir aucun parti politique ou de prendre position à l’occasion de toute consultation électorale. Pour faciliter la mise en œuvre de ses objectifs, l’Observatoire suscite la création de coordinations régionales chargées de l’observation des lieux de détention et composées exclusivement de membres de l’OIP.


Les ouvrages de l’OIP 6 le guide du prisonnier 2012 6 rapport 2011 : les conditions de détention en France

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34 € = 28 € =

La revue Dedans-Dehors 6 n° 83 « Projet de réforme pénale : indispensable et inabouti » ......... x 6 n° 82 « Longues peines : la logique d’élimination » ......... x 6 n° 81 « Réforme pénale : désintox » ......... x 6 n° 80 « Ils sont nous – Parcours de vie d’anciens détenus » ......... x 6 n° 79 « Expression en prison : la parole disqualifiée » ......... x 6 n° 77-78 « Nouvelles prisons : le trou noir de la pensée » ......... x 6 n° 74-75 « Politique pénale : quand les idées reçues dictent leurs lois » ......... x Tous les prix comprennent les frais de port. Pour l’étranger, nous consulter.

9,50 € = 9,50 € = 9,50 € = 9,50 € = 9,50 € = 12 € = 12 € =

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O B S E R VAT O I R E I N T E R N AT I O N A L D E S P R I S O N S

Le guide du prisonnier 3 Entrer en prison 3 Vivre en prison Le quotidien carcéral Liens avec l’extérieur Santé physique et psychique Au nom de la sécurité 3 Faire respecter ses droits

le guide du prisonnier OIP/ La Découverte, 2012, 704 p., 34 € (frais de port inclus)

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COMMANDES

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OIP O B S E RVATO I R E

I N T E R NAT I O NA L

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P R I S O N S

J’adhère à l’OIP pour 2014 6 6 6 6 6

adhésion simple à la section française de l’OIP adhésion de soutien adhésion à prix réduit je suis adhérent et je m’abonne à Dedans Dehors je souhaite participer aux activités de l’OIP

30 € 100 € 15 € 15 €

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rapport 2011 : les conditions de détention en France

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LES CONDITIONS DE DÉTENTION EN FRANCE

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OIP/ La Découverte, 336 p., 28 € (frais de port inclus)

Organisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Centrale de Condé-sur-Sarthe : l’ultra sécuritaire en échec Cour des comptes : bilan de l’accès aux soins des détenus

Code postal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Ville . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Tél.

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Réveils nocturnes : des contrôles insoutenables

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Soutenez durablement l’action de l’OIP

dossier avec Françoise Tulkens, Christophe Régnard, Françoise Martres, François Delezenne, Delphine Colin, Nicolas Finielz, Xavier Pin et Sylvain Chatelet

OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS SECTION FRANÇAISE

En faisant le choix du prélèvement automatique de 10 € par mois (adhésion de soutien + abonnement à Dedans-Dehors)

7,50 € N°83 Mars 2014

Dedans Dehors n°83 9,50€ (frais de port inclus)

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Bulletin à renvoyer à OIP, section française, 7 bis, rue Riquet 75019 Paris Conformément à la loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978, en vous adressant au siège de notre organisation, vous pouvez accéder aux informations vous concernant, demander leur rectification ou suppression ou vous opposer à ce qu’elles soient échangées ou cédées. Dans ce dernier cas, les informations vous concernant seraient alors réservées à l’usage exclusif de notre organisation.


Portez les couleurs de l’OIP avec le tee-shirt “en liberté provisoire” Pour marquer votre soutien militant, commandez le tee-shirt “en liberté provisoire”. Les bénéfices réalisés grâce à cette vente sont consacrés à nos actions en faveur du respect des droits des personnes détenues. Votre engagement nous aide à garantir l’indépendance de nos actions. Bon de commande Bulletin à renvoyer accompagné de votre chèque à OIP section française – 7bis rue Riquet – 75019 Paris Tee-shirt femmes Nombre d’exemplaire par taille :

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Mon règlement par chèque à l’ordre de l’OIP SF d’un montant total de* ………… € * (y inclure les frais de port) Adresse de livraison : Nom : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . adresse : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . code postal / ville : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . courriel :. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . téléphone : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Vous pouvez également commander vos Tee-shirt sur notre site www.oip.org


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