Dedans Dehors n°85

Page 1

Place aux ex-détenus dans la prévention de la délinquance Entretien avec Mark Johnson, User Voice Réforme pénale : des pas en avant, des pas en arrière Entretien avec Denis Lafortune, Ecole de criminologie de Montréal Parloirs de Fresnes : enquête auprès des proches de détenus

Observatoire international des prisons Section française

7,50 € N°85 OCTOBRE 2014


EDITORIAL

A deux mois de l’échéance… Le 25 novembre prendra fin le moratoire sur l’encellulement individuel. La loi pénitentiaire de 2009 avait accordé un nouveau délai de cinq ans pour appliquer la règle un détenu = une cellule. Principe vieux de 139 ans, réaffirmé par la loi en 2000 puis en 2003, et jamais mis en œuvre. En 2009, la garde des Sceaux annonçait qu’en 2012 « le nombre de places correspondra [it] au nombre actuel de détenus ». Après cinq ans d’augmentation de la population carcérale et la création de près de 6 000 places supplémentaires, le nombre de détenus reste supérieur de 17 869 à celui des cellules (au 1er janvier 2014). Et les projections de l’administration pénitentiaire, qui prévoit 130 détenus pour 100 cellules en janvier 2017, invitent à se demander si l’objectif reste à l’ordre du jour. Alors que l’Etat s’apprête de nouveau à ne pas appliquer ce droit fondamental, une rhétorique pernicieuse refait surface : l’encellulement individuel ne correspondrait ni à la demande, ni à l’intérêt des détenus et irait même à l’encontre de leur socialisation. C’est oublier qu’il s’agit d’un droit et non d’une obligation, laissant la possibilité à ceux qui le souhaitent de partager leur cellule. C’est oublier que la socialisation, ça se passe en dehors d’une cellule. Le régime de détention « doit permettre à tous les détenus de passer chaque jour hors de leur cellule autant de temps que nécessaire pour assurer un niveau suffisant de contacts humains et sociaux », rappellent les Règles pénitentiaires du Conseil de l’Europe, qui précise que les activités des détenus « doivent les occuper en dehors de leur cellule au moins huit heures par jour » ! Oublier qu’une cohabitation dans un espace confiné génère tensions et violences : « En cellule, on n’est jamais seul, ce qui provoque des tensions inouïes. En maison d’arrêt, on ne peut même pas s’isoler aux toilettes : la pression s’accumule inévitablement », explique Christophe de La Condamine, qui a passé cinq ans derrière les murs. Oublier que l’encellulement collectif forcé va à l’encontre de l’objectif de réinsertion. « J’ai été contraint de revenir dans une cellule prévue pour quatre, dans laquelle deux lits ont été rajoutés, ce qui fait que nous vivons à six animaux dans ce poulailler. Aucune intimité n’est possible, il faut tout surveiller, sans cesse dire non. Impossible dans ces conditions de travailler sur soi-même et sur sa réinsertion », écrivait à l’OIP une personne détenue en janvier 2013. Le principe de l’encellulement individuel est une condition du respect de la dignité. « Il vise à offrir, à chaque personne incarcérée, un espace où elle se trouve protégée d’autrui, où elle peut préserver son intimité », rappelait le Contrôleur général en mars 2014. Renouvellement du moratoire, inscription au budget des coûts d’indemnisation des détenus… Quel que soit le palliatif qui sera choisi le 25 novembre, il ne sera pas acceptable.

Cécile Marcel

N°85 Octobre 2014

Sommaire 1 International – Place aux ex-détenus dans la prévention de la délinquance – User Voice : une association d’anciens condamnés au Royaume-Uni 8 Actu – Réforme pénale : des pas en avant, des pas en arrière – « Ce n’est pas la longueur de la peine qui compte, c’est son contenu » – entretien avec Denis Lafortune – Prisons d’outre-mer : nouveau rapport parlementaire, nouvelle alerte – Absence de permanence médicale en prison : des décès et des condamnations – Fresnes au parloir : enquête – Baumettes : les liens familiaux en dépôt de bilan 30 De facto – Pétition de détenus contre les conditions d’hygiène à Saintes – En conflit avec le médecin, un détenu arrête sa bithérapie – Toujours pas d’urgence à suspendre une sanction illégale pour le Conseil d’État – Trois agents pénitentiaires condamnés pour non assistance à personne en danger au CP du Havre 33 « Ils sont nous » – Philippe : « Pour les familles, la violence c’est de ne pas savoir comment la prison fonctionne » – Lena : « J’ai eu l’impression d’être en prison avec mon frère » 38 Lettres ouvertes Extraits de courriers de proches de détenus reçus à l’OIP : sur les conditions de visite, les formalités pour obtenir un permis, le manque d’informations à l’attention des familles…

DEDANS DEHORS publication trimestrielle de la section française de l’Observatoire international des prisons, association loi 1901, 7 bis, rue Riquet, 75019 Paris, Tél. : 01 44 52 87 90, Fax : 01 44 52 88 09, e-mail : contact@oip.org Internet : http://www.oip.org Directeur de la publication : Antoine Lazarus Rédaction en chef : Sarah Dindo, Barbara Liaras Rédaction : François Bès Anne Chereul Marie Crétenot Maxime Gouache Amid Khallouf Cécile Marcel Delphine Payen-Fourment Transcriptions : Emmanuel Charmillot Secrétariat de rédaction : Marianne Bliman Aude Malaret Identité graphique : MG., L.D. < dlaranjeira@caramail.com > Maquette : Claude Cardot/Vélo © Photos, remerciements à : Olivier Aubert, CGLPL, Lionel Charrier, Bertrand Desprez, Louise Fessard, Grégoire Korganow, Bernard Le Bars, Michel Le Moine Et aux agences : SIGNATURE, MYOP. Impression : Imprimerie Expressions 2-GP, 10 bis, rue Bisson, 75020 Paris Tél. : 01 43 58 26 26 ISSN : 1276-6038 Diffusion sur abonnement au prix annuel de 30 € Photographie couverture : G. Korganow pour le CGLPL


ACTU

© IRISS

Allan Weaver et Bobby Cumines, ex-détenus, dans le documentaire The Road from Crime. Le premier est aujourd’hui agent de probation, le second a fondé deux organisations d’aide à la réinsertion employant des sortants de prison.

Place aux ex ?

Quand ceux qui ont connu la délinquance et la prison sont sollicités pour aider et suivre ceux qui n’en sont pas encore sortis, ils peuvent donner un sens à leur passé. Leur parole rencontre plus de crédit et d’impact auprès des condamnés que celle de professionnels. Ils apportent aussi des éléments déterminants pour réformer les services et les institutions, ainsi que pour la recherche en criminologie. Encore faut-il que le corps social accepte de les entendre et de leur laisser la place.

D

onner à des personnes sorties de la délinquance « la

possibilité de faire bénéficier de leur expérience à d’autres qui n’en sont pas sorties ». L’idée est défendue dans ce numéro de Dedans-Dehors par Mark Johnson, fondateur de l’association britannique User Voice, lui-même ancien condamné. Son organisation emploie des ex-détenus pour mettre en place des Conseils de prison au sein des établissements pénitentiaires. Ces instances permettent aux prisonniers de participer avec le personnel pénitentiaire aux décisions qui les concernent. La philosophie de Johnson va bien au-delà d’une réduction des tensions et d’une amélioration de la gestion des prisons. Elle part du constat de réponses sociales pensées par des personnes insérées, et de ce fait très souvent inadaptées aux besoins des personnes exclues. « On ne peut pas continuer avec une approche de la résolution des problèmes sociaux qui permet à la classe moyenne éduquée de participer, mais pas aux gens qui subissent ces problèmes. Cela donne un système judiciaire au service des professionnels et des institutions, mais pas des usagers. » Les réponses pénales ainsi conçues et mises en œuvre s’avèrent en outre inefficaces, tant en milieu ouvert qu’en détention. « Les gens peuvent entrer et sortir de prison dix ou quinze fois, sans avoir été une seule fois questionnés sur ce qui les a amenés à commettre des infractions. Et les efforts colossaux de certains d’entre eux ne sont pas même reconnus », déplore le fondateur de User Voice.

La supervision par des « pairs » Les ex peuvent aussi être sollicités pour assurer ou participer à l’accompagnement de condamnés dans leur réinsertion. Tel est le choix de CRIS, organisation créée en Suède en 1997, en Finlande en 2003, puis dans six autres pays dont le Danemark,

« Aujourd’hui, je peux dire aux gamins : “regarde, si j’ai réussi à en sortir, tu peux aussi’’  »

l’Ukraine, la Biélorussie… Son sigle signifie à la fois « crise » et « criminels en réintégration dans la société » (Criminals’Return Into Society). CRIS est constitué d’accompagnants qui sont d’anciens délinquants réinsérés de longue date. Au sein des prisons, ils animent des réunions pour les détenus, dont l’objet est le partage d’expériences, le soutien par les pairs et l’information des détenus sur les possibilités et difficultés qu’ils vont trouver à leur sortie. CRIS assure aussi un suivi individuel : chaque détenu volontaire prépare sa libération avec un ancien condamné – qui deviendra son mentor. Le jour J, le mentor vient chercher le sortant devant la porte de la prison, puis lui fait rencontrer d’autres membres de CRIS. Il s’agit de créer d’emblée de nouvelles relations sociales et amicales : « Il ne doit y avoir ni le temps ni l’espace pour que le sortant retombe dans son ancien mode de vie délinquant », expliquent les responsables de CRIS. Le mentor doit pouvoir être joint au téléphone ou rencontré par le sortant de prison 24 heures/24. Son rôle est de lui apporter « aide directe et soutien dans les situations difficiles ». Jusqu’à ce qu’il puisse « tenir sur ses propres pieds ». CRIS, c’est aussi un centre d’activités ouvert 6 jours sur 7, où il est possible de rencontrer des professionnels, des bénévoles et des pairs aidants. Pour être accompagné dans son processus de réinsertion mais aussi pour « construire de nouveaux réseaux et amitiés » 1. 1 http://www.kris.a.se Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

1


« Lorsque tout le monde vous regarde éternellement comme un délinquant, il est d’autant plus difficile de se forger une nouvelle identité sociale » « Désigné comme l’un des hommes les plus dangereux du pays » L’idée de confier à d’anciens condamnés des missions d’intervention auprès de détenus ou sortants de prison trouve un fort écho auprès des chercheurs qui travaillent sur les sorties de délinquance (désistance). Ils font observer que « pour tourner le dos à la délinquance, les personnes ont dû trouver comment donner un sens à leur vie passée ». Beaucoup veulent « faire bon usage de cette expérience en aidant les autres (généralement des jeunes confrontés aux mêmes situations que celles qu’ils ont connues) à éviter les erreurs qu’ils ont commises » 2. Si les désistants sont bien placés pour ce type de mission, c’est parce qu’ils « ont vécu tout le processus, et savent mieux que quiconque ce qu’il faut pour rompre le cycle », explique le fondateur de User Voice. Et Bobby Cumines, co-fondateur d’Unlock, une autre association britannique d’ex-détenus, de raconter : « J’ai un casier judiciaire terrible, j’ai été incarcéré à seize ans, impliqué dans la criminalité organisée, j’étais désigné comme l’un des hommes les plus dangereux de Grande-Bretagne. Parce que cette étiquette m’était accolée, c’est devenu mon rôle dans la vie. C’est pourquoi il est si important pour moi d’avoir un rôle positif aujourd’hui. Je peux dire aux gamins : “regarde, si j’ai réussi à en sortir, tu peux aussi.’’ 3 » Les ex sont particulièrement crédibles aux yeux des jeunes condamnés, qui ne font souvent plus confiance à des professionnels ne comprenant pas bien ce qu’ils traversent et incarnant en tout état de cause l’institution judiciaire. « Le contact entre la personne libérée et le mentor est renforcé par leur expérience commune. Beaucoup de criminels libérés de prison ont acquis une méfiance envers le système judiciaire et d’autres autorités », font observer les responsables de CRIS. Allan Weaver, ex-prisonnier écossais devenu agent de probation, estime dans un documentaire qu’il y aurait beaucoup à apprendre de ces anciens délinquants qui « préconisent un nouveau modèle de la pratique de la justice pénale, orienté sur le processus de découverte de soi et le soutien mutuel. Ils pourraient aussi avoir la réponse pour lutter contre le problème persistant de la récidive criminelle. 4 »

Les Anglais en passe de faire le pas Au Royaume-Uni, l’idée fait son chemin. La fondation Princes Trust, qui finance des actions contre l’exclusion, écrit que 2 F. McNeill, S. Farrall, C. Lightowler, S. Maruna, « How and why people stop offending : Discovering desistance », Insights n°15, avril 2012. 3 Documentaire The Road from Crime, http://blogs.iriss.org.uk/discoveringdesistance/documentary/ 4 Op. cit., The Road from Crime. Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

2

L’association suédoise CRIS, fondée par d’anciens détenus, a organisé en 2013 à Visby un séminaire sur les politiques pénales.

« 65 % des délinquants âgés de moins de 25 ans disent que le soutien d’un mentor les aiderait à arrêter de commettre des infractions ; 71 % disent souhaiter que ce mentor soit un ancien délinquant 5 ». Le ministère de la Justice et le Service national de probation (NOMS) ont reconnu que « les délinquants jouant un rôle de mentor peuvent être particulièrement efficaces durant la phase de transition entre la prison et le monde extérieur (MOJ, 2011 6) ». Ils affichent même une volonté de « pourvoir chaque sortant de prison d’un mentor 7 ». Une perspective dont la France semble pour l’instant éloignée, à entendre Yazid Kherfi, ancien braqueur devenu consultant en prévention urbaine et menant des actions auprès de jeunes délinquants des quartiers. « J’aimerais recruter dans les prisons parce qu’il y a plein de mecs comme moi qui ont de la bouteille, sont issus des quartiers, connaissent les jeunes et n’ont pas peur d’aller au contact. J’ai écrit un projet en ce sens au ministère de la Justice, mais on ne m’a jamais répondu. » Il raconte aussi les objections avancées par la direction de l’administration pénitentiaire : « Ils m’ont dit qu’un tel projet était farfelu, parce que c’était remettre les anciens détenus en contact avec la délinquance, alors qu’il faut les faire sortir de ce milieu. » 8 Une réponse à l’image du discrédit que les ex 5 Princes Trust, Making the Case: One-to-one support for young offenders, 23 juin 2008. 6 Ministry of Justice Making Prisons Work: Skills for Rehabilitation - Review of Offender Learning, mai 2011. 7 National Offender Management Service (NOMS) Mentoring in NOMS, 2 juin 2011, cité par Gill Buck, « The Role of the Voluntary Sector in Promoting Desistance through Peer Mentoring », Keele University, 2013. 8 Extrait d’une interview donnée à l’OIP, Dedans-Dehors, juin 2013.


INTERNATIONAL

© KRIS

« Il y aurait beaucoup à apprendre de ces anciens délinquants qui préconisent un nouveau modèle de la pratique pénale, orienté sur le processus de découverte de soi et le soutien mutuel »

continuent souvent de subir. Comme s’ils étaient incapables d’évoluer et d’assumer un rôle dans les réponses apportées à la délinquance. Considérés au seul prisme de leurs infractions passées, ils restent ceux auxquels on ne peut confier de responsabilités. Une approche qui aurait plutôt tendance à favoriser la récidive : lorsque les institutions, les professionnels ou l’environnement relationnel vous regardent éternellement comme un délinquant, il est d’autant plus difficile de se forger une nouvelle identité sociale et de ne pas répondre à ces injonctions négatives.

De nouvelles formes de plaidoyer auprès des institutions ? Certaines organisations d’ex ne se contentent pas d’assurer une fonction de supervision des sortants de prison. Elles cherchent aussi à agir contre la stigmatisation des personnes passées par la case Justice et les dysfonctionnements des services à leur égard. En Finlande, CRIS participe à des projets nationaux et locaux visant à convaincre les réseaux politiques et sociaux de développer les possibilités de formation, d’emploi et de logement pour les sortants de prison. Au RoyaumeUni, l’objectif de User Voice est aussi de permettre « aux personnes condamnées d’être connectées avec les décideurs, directeurs de prison, agents de probation ou autres, d’échanger sur un pied d’égalité et de trouver ensemble des solutions. Pour faire évoluer les services, il faut une représentation démocratique de leurs utilisateurs. » En Norvège, l’association KROM pour la réforme pénale, dont le principe de base est la participation des détenus, s’est constituée en groupe de pression dès les années 70. Si de « nombreuses

tentatives du système pénitentiaire de restreindre la communication de KROM avec les détenus ont eu lieu », leur participation à des réunions et conférences de l’association dans le cadre de permissions de sortir est devenue courante à partir des années 90. Les conférences annuelles de trois jours organisées par KROM sont devenues une institution : y participent tout autant les représentants du ministère de la Justice, les professionnels pénitentiaires et autres acteurs du monde judiciaire, que des personnes détenues (à hauteur de 15-20 % des participants). « Le mélange des personnes et des professions, la réunion et l’affrontement entre le haut et le bas du système carcéral, en font des conférences uniques dans le contexte norvégien, et peut-être à l’échelle internationale. De nombreux participants semblent penser que les conférences “rechargent leurs batteries critiques” », écrit Thomas Mathiesen 9. Dans un autre registre, la Convict Criminology (criminologie des condamnés) a été lancée à la fin des années 90 par des détenus ou ex-détenus diplômés en criminologie « mécontents de l’absence de [leur] voix dans la recherche sur la criminalité et la justice 10 ». Plusieurs d’entre eux ont été recrutés par des universités comme enseignants ou chercheurs. Leurs travaux tendent à « illustrer les expériences des prisonniers et des ex-détenus ; lutter contre les fausses déclarations de chercheurs, des médias et du gouvernement ; et proposer des stratégies nouvelles et moins coûteuses qui sont plus humaines et plus efficaces 11 ». Des cours de Convict Criminology ont intégré les programmes de plusieurs universités américaines. Les chercheurs de ce courant investissent aussi une activité militante, visant « une réforme radicale du système de justice pénale », à partir de campagnes fondées sur « l’expérience des prisonniers et de leurs familles et sur les questions de réintégration après leur libération » 12. C’est ainsi que des personnes qui ont un jour enfreint la loi peuvent devenir des professeurs de criminologie, des référents et accompagnants de jeunes détenus, des lobbyistes pour des réformes pénales… Encore faut-il que le corps social et le fonctionnement institutionnel n’entravent pas, voire favorisent de tels parcours. Sarah Dindo

9 Thomas Mathiesen, About KROM, Past, Present, Future, janvier 2000. 10 Andreas Aresti, Sacha Darke et Rod Earle, « British Convict Criminology : Developing critical insider perspectives on prison », Insidetime, août 2012. 11 Stephen C. Richards, Donald Faggian, Jed Roffers, Richard Hendricksen, Jerrick Krueger, « Convict Criminology: Voices From Prison », Project MUSE, 5 septembre 2014. 12 Op.cit., Insidetime, août 2012. Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

3


Mark Johnson a connu la drogue, la rue, la violence et la prison. A 29 ans, il s’engage dans un processus de réhabilitation, fonde une entreprise d’insertion puis l’association User Voice, qui emploie d’ex-détenus pour en aider d’autres à sortir de la délinquance.

User Voice :

contre la récidive, les anciens délinquants détiennent la clé « Les véritables experts sont ceux qui ont connu le système pénal en tant qu’usagers » soutient Mark Johnson, fondateur de User Voice. Depuis 2009, l’association britannique emploie d’anciens délinquants pour mettre en place des dispositifs permettant aux condamnés de participer aux réponses qui les concernent. Le plus emblématique : les Conseils de prison. Ou comment d’exdétenus animent des groupes de co-gestion de la prison et redonnent de l’espoir à leurs pairs. Vous avez créé l’association User Voice en 2009, dans quel but ? Pour donner à des personnes en ayant fini avec la délinquance la possibilité de partager leur expérience avec d’autres qui n’en sont pas sorties. Les anciens délinquants ont souvent un désir énorme d’aider les autres à éviter les mêmes engrenages. Ils ont vécu tout le processus, et savent mieux que quiconque ce qu’il faut pour rompre le cycle. Les véritables experts sont à mon sens ceux qui ont connu le système pénal en tant qu’usagers, plus que les professionnels qui passent un diplôme en

Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

4

trois ans. Nous proposons une méthodologie permettant aux personnes concernées d’être connectées avec les décideurs, directeurs de prison, agents de probation ou autres, d’échanger sur un pied d’égalité et de trouver ensemble des solutions. En quoi ce projet est-il lié à votre expérience personnelle ? J’ai grandi dans une famille très dysfonctionnelle et violente. J’ai commencé à consommer de l’alcool à 8 ans, de l’héroïne à 11. A 17 ans j’ai été incarcéré pour violences. J’ai ensuite connu la rue, j’étais accro au crack et à l’héroïne, dans un grave état de délabrement physique et psychologique. Heureusement, une équipe d’actions communautaires m’a ramassé et emmené dans une unité de désintoxication, puis en séjour longue durée dans un centre thérapeutique. Dans cet environnement, je me suis trouvé suffisamment en sécurité avec moimême et avec les autres pour pouvoir d’abord m’effondrer, puis partager mes secrets, mes douleurs. J’ai pu commencer à récupérer et à me reconstruire. Il ne suffit pas de transmettre des techniques d’accès à l’emploi à un toxicomane. Que va-t-il faire le jour où il sera confronté à un problème : aller chercher un emploi ou téléphoner à son dealer ? Dans une prison où je me suis rendu la semaine dernière, les détenus peuvent avoir de la méthadone, mais pas de groupe thérapeutique. Comme activité, on leur propose un cours d’art. L’un d’eux m’a dit :


INTERNATIONAL « comment est-ce que l’on peut espérer traiter mon problème avec un foutu cours d’art ? » Ce type de réponse correspond à la psychologie de la classe moyenne, qui ne connaît rien à l’addiction. Dans mon parcours, c’est après avoir pu exprimer et comprendre l’origine de mes problèmes que j’ai pu commencer à m’insérer. J’ai créé une entreprise d’élagage, où j’employais d’anciens toxicos et des sortants de prison. Lorsqu’un problème surgissait, on discutait et on trouvait une solution. C’est de là que viennent les principes de User Voice. Dont le slogan est : « Seuls les délinquants peuvent stopper la récidive 1 ». Pouvez-vous expliquer ce choix ? Il s’agit de rappeler que personne d’autre que le délinquant luimême ne peut arrêter la commission d’infractions. User Voice, c’est « la voix de l’usager ». Or, cet usager de la justice pénale n’a jamais l’opportunité de participer ou de réfléchir aux solutions, le détenu est une sorte de récipiendaire docile de la sanction. Pourtant, ceux qui connaissent la misère, qui vivent au quotidien dans le système complexe de services sociaux, de probation, de tribunaux, de prisons, etc., ont une connaissance précise de ce qui fonctionne ou pas. A la différence des services et entreprises qui proposent souvent des réponses visant à assurer leur propre pérennité. Par ailleurs, le système ne sait pas être flexible et apporter une approche individuelle aux problèmes des gens. Environ 86 000 personnes sont incarcérées en Grande-Bretagne, il y a autant de raisons à leur présence derrière les murs. Le monde est obsédé par la solution miracle unique pour répondre à la criminalité. Il n’y en a pas. Quelle approche critiquez-vous et quelle alternative proposez-vous ? On ne peut pas continuer avec une approche de la résolution des problèmes sociaux qui permet à la classe moyenne éduquée de participer, mais pas aux gens qui subissent ces problèmes. Cela donne un système judiciaire au service des professionnels et des institutions, mais pas des usagers. L’environnement carcéral, c’est un entrepôt humain dans lequel la justice enferme des personnes 23 heures sur 24 en cellule, sans leur donner l’opportunité d’entreprendre une introspection sur le type de pensée illusoire et de comportement qui les a amenés ici. Les gens peuvent y entrer et en sortir dix ou quinze fois, sans avoir été une seule fois questionnés sur ce qui les a amenés à commettre des infractions. Et les efforts colossaux de certains d’entre eux ne sont pas même reconnus. Un type qui a commis des braquages pendant vingt ans, et qui devient réceptif à une aide, arrive à adopter un autre mode de vie, finit par arrêter pendant un an… Si pendant ce temps, il continue à fumer du cannabis et se fait arrêter pour ce motif, la justice le considère comme un échec et un récidiviste. Alors que c’est déjà un succès énorme pour lui. Ce que le système ne sait pas voir. En retour, il va tout envoyer balader, pensant que tout le monde se fout de ses efforts. Quand on retire tout espoir aux personnes, qui ne peuvent se présenter à un emploi 1 « Only offenders can stop re-offending ».

sans l’étiquette de délinquant, et qu’on ne porte pas attention à leurs réalisations colossales, on génère de la haine, on cultive les comportements extrêmes. Combien de gamins détestent les travailleurs sociaux… Pourquoi ? Parce qu’ils ne les ont pas écoutés. Pour faire évoluer les services, il faut une représentation démocratique de leurs utilisateurs. C’est pourquoi User Voice est une organisation indépendante des pouvoirs publics, dirigée et dont les actions sont assurées à 85 % par d’anciens détenus. Nous sommes les premiers à avoir d’anciens délinquants qui interviennent dans les coursives des prisons et ont les clés comme les surveillants ! Notre simple existence perturbe le système et le met en question. Parce qu’il n’a pas prévu ces mécanismes offrant une plateforme aux usagers. Votre principale action est de mettre en place des Conseils de prison, de quelle manière ? Nous intervenons à la demande des chefs d’établissement, qui nous appellent généralement après des incidents graves. La direction de la prison d’Oakwood, près de Birmingham, nous a ainsi contactés suite à des émeutes en janvier 2014. La mise en place d’un Conseil de prison nécessite une phase préparatoire d’environ trois mois pour assurer la formation du directeur, des personnels, puis des détenus. Ensuite, nous aidons à faire émerger des leaders en organisant des discussions, des consultations, etc. Les candidats constituent des micro-partis thématiques : réinsertion, activités en détention, formation, relations avec le personnel… Ils élaborent un programme, choisissent un porte-parole, mettent en place une équipe de campagne. Les surveillants sont aussi invités à rejoindre les partis. Les électeurs votent pour un parti, et non une personne, ce qui évite que certains fassent valoir des intérêts particuliers, ou que le personnel choisisse les détenus qui lui conviennent. Les sièges au sein du Conseil sont répartis à la proportionnelle. Par exemple à Pentonville, une des prisons de Londres, le parti « régime de détention et conditions matérielles » a emporté en juin dernier six sièges, les groupes « réinsertion » et « enseignement et formation » respectivement cinq et trois sièges. Toute la prison participe au vote – les détenus, l’encadrement supérieur, les personnels. Des urnes sont installées en détention, c’est un moment génial. Les taux de participation sont toujours élevés, dans les 70 à 80 %. Pour beaucoup, c’est une première occasion d’exercer sa citoyenneté. De nouvelles élections ont lieu tous les six mois ou tous les ans. Les Conseils développés par User Voice depuis 2009 fonctionnent aujourd’hui dans neuf prisons. Quel est leur rôle ? Le Conseil se réunit d’une fois par semaine à une fois par mois, selon les besoins. Il est présidé par un personnel d’encadrement, qui tranche si nécessaire et endosse la responsabilité des décisions. Il y a toujours un facilitateur de User Voice. A Maidstone, de nombreux personnels administratifs participent aux réunions, ils consultent régulièrement les membres du Conseil sur les initiatives en cours ou à venir. Les détenus ont un aperçu de Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

5


Elections du Conseil de prison à Pentonville, en juin 2014 : les détenus candidats arborent des T-shirts aux couleurs de leur parti.

la bureaucratie pénitentiaire, ils comprennent un peu mieux les contraintes qui s’imposent au personnel. D’un côté comme de l’autre, on se montre plus patient et compréhensif. Le rôle des Conseils n’est pas tant de pointer les problèmes que de co-construire des solutions. Les décisions peuvent être des choses aussi simples qu’un nettoyage approfondi des parloirs, ou l’autorisation de conserver un ouvre-boite en cellule. Ça peut paraître stupide, mais après des années à acheter des boites de conserve sans disposer d’un ouvre-boite, c’est une frustration en moins ! Les Conseils travaillent aussi sur l’organisation des visites, l’accès à l’éducation, etc. Toute la prison est impliquée, pas juste les détenus, ou seulement le personnel. C’est la raison pour laquelle nous parlons de Conseil de prison, et non de détenus. Le travail du Conseil permet de développer un sens de la communauté, de définir des buts communs et de collaborer pour les atteindre. Pourquoi cette manière d’impliquer les détenus vous semble-t-elle pertinente pour préparer leur sortie de prison ? Les compétences et attitudes développées en participant aux Conseils sont utiles pour des emplois futurs, ou pour faire son chemin dans la société : responsabilité individuelle et travail d’équipe, écoute et compréhension d’autres points de vue, communication et argumentation. Dans une étude sur le modèle proposé par User Voice 2, Bethany E. Schmidt a souligné que la participation aux Conseils aide les détenus à construire une identité positive et productive. C’est une façon de ne pas être réduit au statut de détenu ou de délinquant, de s’affirmer comme une personne utile. Or, la recherche sur les processus de sortie de délinquance (désistance) montre l’importance de permettre aux délinquants d’acquérir une place dans la communauté par d’autres biais que des activités illégales. En développant un rôle basé sur des attributs positifs 2 Bethany E. Schmidt, « User Voice and the Prison Council Model: A Summary of Key Findings from an Ethnographic Exploration of Participatory Governance in Three English Prisons », Prison Service Journal n°209, septembre 2013. Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

6

plutôt que sur des déficits, l’estime de soi est renforcée, on a l’impression de servir à quelque chose. L’impact des Conseils de prison sur la détention a-t-il été évalué ? L’évaluation fait partie du cahier des charges. En douze mois d’existence du Conseil à Aylesbury, les violences contre les surveillants ont diminué de 70 %. A Albany, les plaintes des détenus ont été réduites de 37 %. A Parkhurst, une prison connue pour sa violence, le recours à l’isolement a chuté de 160 à 47 jours par an. En abordant les problèmes au plus près de leur origine, en permettant aux usagers d’exprimer leurs frustrations et en les impliquant au lieu de laisser la bureaucratie élaborer ses propres solutions, on réduit le recours à des réponses très punitives et très coûteuses. Bethany Schmidt, qui a enquêté sur les Conseils pendant trois mois dans trois prisons n’a cessé d’entendre de la part des détenus, des employés de User Voice et du personnel pénitentiaire que les Conseils sont positifs pour tout le monde. Les relations s’améliorent nettement, il y a plus de confiance, moins de tensions et d’anxiété. Et les détenus se sentent plus en sécurité. Quel est l’objet des formations assurées par d’anciens détenus de User Voice en amont de la mise en place des Conseils ? Elles permettent de constituer le groupe de personnes qui vont former les partis et se porter candidats. Une quarantaine de détenus suivent une première session de six formations. Ceux qui confirment leur engagement ont des formations complémentaires, notamment pour les préparer aux élections : comment faire campagne, présenter ses arguments… Côté personnels et encadrement, nous expliquons longuement ce que nous allons faire, les bénéfices qu’ils y trouveront à long terme dans leur travail quotidien. La plupart du temps, cela suffit à les convaincre. Si ce n’est pas le cas, nous sommes très clairs sur le fait qu’un Conseil ne peut fonctionner que si tout le monde y participe. Notre rôle est d’expliquer le processus, à eux de s’en saisir et d’en tirer le plus de bénéfices


INTERNATIONAL possible. S’ils n’en retirent rien, ce sera par manque d’implication, nous ne pouvons pas faire les choses à leur place.

© User Voice

En quoi est-ce important que ce soient d’anciens détenus qui mettent en place et animent ces Conseils ? Quiconque a affaire au système de justice pénale ressent une défiance à l’égard de ceux qui représentent le pouvoir, c’est une constante ! Avoir vécu la même expérience que ceux auxquels nous parlons nous donne du crédit. Nous bousculons la représentation de l’intervenant qui agit plus dans son propre intérêt qu’au service de la personne. Le simple fait de rencontrer quelqu’un qui a réussi à sortir de la délinquance est une aide considérable pour celui n’ayant pas encore suivi ce chemin. Parce que voir, c’est croire. Le parcours des intervenants de User Voice prouve qu’il peut y avoir une autre vie en dehors de la prison. Et pas selon une définition « classe moyenne » de ce qu’est une vie réussie, mais selon leur propre définition. Pour beaucoup de détenus, en particulier les longues peines, rencontrer un pair qui n’est pas sorti de prison complètement démoli est porteur d’espoir, montre la possibilité d’un futur. De telles occasions sont pourtant très rares. L’intervention d’anciens détenus en milieu carcéral pose-t-elle des problèmes à des autorités ou des personnels pénitentiaires ? Dans un premier temps, de nombreux surveillants sont méfiants, voire hostiles. Ils pensent que les détenus auront trop de pouvoir, vont prendre le contrôle de la détention, que leur autorité en sera affaiblie, que leurs propres besoins ne seront pas reconnus. Comme dans une famille dysfonctionnelle, ils nous reprochent de parler avec les détenus, alors que le directeur n’adresse pas même la parole aux surveillants. La période préparatoire sert à répondre à cette anxiété. Les plus sceptiques sont généralement convaincus lorsqu’ils voient les résultats des Conseils. Ils s’aperçoivent que les détenus se préoccupent en premier lieu de questions quotidiennes assez basiques, ils constatent l’amélioration de l’ambiance et des relations, la baisse du niveau de frustrations et d’insécurité. Intervenez-vous aussi en milieu ouvert auprès des services de probation ? Oui. En 2011, le London Probation Trust nous a demandé de mettre en place des Conseils d’usagers dans quatre quartiers de Londres, pour améliorer la qualité et l’efficacité de leur travail avec les probationnaires. Ce projet a pris de l’ampleur et nous intervenons à présent dans une vingtaine de services à travers le pays. Les Conseils proposent des changements qui peuvent être aussi simples que l’aménagement d’une salle d’attente, ou suggérer des formations en psychologie pour les agents de probation. Il y a eu une grande première récemment dans un service : vingt membres des Conseils ont été engagés comme agents de probation de premier niveau. Par ailleurs, nous sommes reconnus comme centre de formation pour les animateurs des programmes de soutien par les pairs (ex condamnés) organisés par les services de probation.

« L’usager de la justice pénale n’a jamais l’opportunité de participer ou de réfléchir aux solutions, le détenu est une sorte de récipiendaire docile de la sanction »

Nous travaillons avec eux à concevoir et perfectionner ces programmes. Menez-vous des actions à la sortie de prison ? Nous venons d’ouvrir un centre en face de la prison de Pentonville, dont plus de 7 500 détenus sont libérés chaque année. Très souvent sous méthadone, physiquement dépendants, ils sortent avec l’équivalent de cinquante euros, sans même le contact d’un médecin. Nous avons donc ouvert cet endroit où ils peuvent aussitôt se poser. Différents services sont réunis : un psychiatre propose des consultations, ainsi que des conseillers en économie domestique, d’autres pour la recherche d’emploi, refaire ses papiers d’identité, ouvrir un compte en banque, etc. Un open space est dédié aux thérapies alternatives, telles que yoga, acupuncture, relaxation, psychothérapies de groupe. On peut aussi y organiser des réunions et séminaires. Il y a un café internet, gratuit et ouvert à tous. Le centre est dirigé démocratiquement par les usagers anciens délinquants, élus parmi les membres de l’un des Conseils de Londres. Le groupe de pilotage comprend également des représentants de la communauté. Parallèlement, nous avons démarré depuis quelques mois un projet permettant aux membres d’un Conseil de prison de prolonger cette expérience après leur libération, au sein d’un Conseil communautaire, avec le soutien de pairs pendant une période de transition. A votre initiative, des jeunes délinquants ont été reçus au ministère de l’Intérieur par un groupe de travail sur la prévention de la délinquance. Qu’ont-ils demandé ? Nous avions organisé pendant trois ans des ateliers pour permettre à des jeunes de donner leur point de vue sur ce qu’ils vivaient. Pour beaucoup d’entre eux, c’était la première fois qu’on leur donnait la parole et surtout qu’on les écoutait. Il en est ressorti que la plupart n’avaient reçu aucun soutien pour faire face à des problèmes tels que la violence ou la négligence parentale. Leur contact avec les services publics était mauvais, en particulier avec les travailleurs sociaux et la police. Lors de la rencontre au ministère, ils ont restitué ces conclusions et ont demandé des actions sur des questions précises : le casier judiciaire, qui fait d’une infraction de jeunesse une condamnation à perpétuité. Ou la suspension des aides financières pour les études supérieures lorsque vous êtes condamné. Ils ont également parlé de ce qui les avait amenés en prison, de leurs erreurs mais aussi du besoin d’une conception plus humaine du travail social, fondée sur la relation plutôt que sur une approche punitive. Recueilli par Barbara Liaras et Sarah Dindo Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

7


Réforme pénale :

des pas en avant et des pas en arrière

A

près des années de politiques pénales toujours plus

répressives et régies par l’émotion sans réflexion sur leurs effets, la conférence de consensus avait appelé à sortir de la centralité de la prison, qui « crée plus de problèmes qu’elle n’en résout ». Parmi ses préconisations, la dépénalisation de certains délits, la réduction des infractions passibles d’une peine de prison, l’abandon de tous les mécanismes automatiques d’aggravation de la peine pour les récidivistes, l’adoption d’un système de libération conditionnelle d’office et l’instauration d’une peine de probation. Une peine unique, fusionnant les autres « peines alternatives » (travail d’intérêt général, stage de citoyenneté, sursis avec mise à l’épreuve, etc.). Une nouvelle peine de référence en matière de délits et la seule possible pour certaines infractions.

Une référence prison tenace Les pouvoirs publics n’ont pas osé réduire le périmètre de la justice pénale. Ni réviser l’échelle des peines. Comment « dépasser l’hégémonie de l’emprisonnement » sans remettre à plat l’architecture des peines, structurée autour de la peine de prison ? Le Sénat a eu l’audace de poser la question, en proposant que la nouvelle contrainte pénale devienne la peine maximale pour un certain nombre de petits délits (vol simple, filouterie, occupation de hall d’immeuble, dégradation de biens, etc.). Mais la disposition n’a tenu que le temps d’une navette législative. La commission mixte paritaire (CMP) a cédé devant l’hostilité du Gouvernement, arguant de la nécessité d’une plus ample réflexion sur « la hiérarchie des peines ». La charge en revient à une commission présidée par Bruno Cotte (ancien président de la chambre criminelle de la cour de cassation), dont les travaux ne seront pas rendus avant fin 2015. Le Gouvernement disposant ensuite de plus de six mois pour présenter « un rapport au Parlement » Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

8

(article 20). Autant dire que ces questions ont probablement subi un enterrement de première classe. La dissociation prison-probation a également été manquée. Le jury de la conférence de consensus avait déjà écarté l’idée d’une absence de « réponse prison » en cas de non-respect de ses obligations par le probationnaire. Il réprouvait juste l’automaticité de cette réponse. Et suggérait de créer, comme pour le travail d’intérêt général (TIG), un délit autonome de non respect de la peine de probation, nécessitant le prononcé d’une nouvelle sanction par le tribunal. Retenue par le Sénat, la solution a disparu en CMP en raison de l’opposition du Gouvernement. En cause, la crainte que ce mécanisme « ne donne pas lieu à des sanctions importantes, ce qui pourrait dissuader les magistrats de prononcer la contrainte pénale » 1. Quand elle prononcera une contrainte pénale, la juridiction de jugement devra donc fixer la durée maximale d’emprisonnement pouvant être mise à exécution en cas de manquement aux obligations ou de commission d’une nouvelle infraction 2. Dès lors, la menace d’emprisonnement reste aussi omniprésente que dans le cas d’une peine de prison avec sursis, dès le stade du prononcé de la contrainte pénale. Seul apport de la réforme à cet égard, l’incitation à ne pas répondre par l’emprisonnement dès les premiers manquements du condamné. Le texte encourage en premier lieu à « modifier ou compléter les obligations ou interdictions auxquelles le condamné est astreint » ou « à procéder à un rappel » de celles-ci (article 22). Une invitation en phase avec les recommandations du Conseil de l’Europe qui incitent 1 Étude d’impact du projet de la loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines, 7 octobre 2013. 2 Cette durée ne pourra « excéder deux ans ni le maximum de la peine d’emprisonnement encourue ». L’emprisonnement pourra être mis à exécution par « le président du tribunal de grande instance ou un juge par lui désigné » (article 19).

© Bernard Le Bars

La loi relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales a été définitivement adoptée le 17 juillet et publiée le 15 août. A l’instar du jury de la conférence de consensus, l’OIP attendait « une bifurcation historique », qui n’a pas eu lieu. Gouvernement comme Parlement n’ont pas su dépasser la référence prison et ont consacré une « culture du contrôle » en milieu ouvert.


ACTU

Des personnels des services d’insertion et de probation manifestent à Rennes, le 24 février 2011, après « l’affaire de Pornic ».

à « chercher à comprendre pourquoi les conditions n’ont pas été respectées » et à mettre en place le cas échéant « des stratégies » pour les « aider à réaliser ce qui leur est demandé » 3.

Une échelle des peines illisible La réforme avait aussi pour enjeu d’assurer une meilleure lisibilité de la probation. Le refus de créer une peine de probation unique absorbant les autres peines alternatives l’a entamé. Et la décision de cantonner jusqu’en 2017 la contrainte pénale aux délits passibles de cinq ans de prison l’a plus éloigné encore. Censée être une « mesure phare », la contrainte pénale s’ajoute finalement au mille-feuille des alternatives. A une place illisible. Plus contraignante que le sursis avec mise à l’épreuve (SME) puisqu’elle implique un suivi nécessairement « soutenu », elle ne pourra être appliquée qu’aux délits les moins graves, quand un SME ou un TIG peuvent être prononcés pour tout délit. Un vol commis avec deux circonstances aggravantes – par exemple, à deux et dans les transports en commun – en sera exclu (passible de sept ans d’emprisonnement). Tout comme un vol simple sans violence, si l’auteur est récidiviste (six ans). Les parlementaires ont avancé qu’il était « nécessaire de laisser le système monter en puissance » 4 avant d’étendre le dispositif. Oubliant une ambition initiale : 3 Conseil de l’Europe, Recommandation CM/REC(2010) du Comité des Ministres aux États Membres sur les règles européennes relatives à la probation, 20 janvier 2010. 4 Dominique Raimbourg, rapporteur du projet de loi à l’Assemblée nationale, 3e séance du 5 juin 2014.

appliquer la peine de probation « en priorité » aux personnes « ancrées dans certaines formes de délinquance, en état de réitération et en état de récidive » (« violences, agressions sexuelles, atteintes aux biens commises avec violences » 5). Avec son périmètre limité, c’est essentiellement au SME que la contrainte pénale risque de se substituer. Et non aux courtes peines de prison. Alors que la réforme partait du « constat de [leur] nocivité en termes de prévention de la récidive » 6.

Une approche rétrograde de la probation Pour le Conseil de l’Europe, le suivi assuré par les services de probation « ne doit pas être considéré comme un simple contrôle » mais comme « un moyen de conseiller, d’aider et d’accompagner les auteurs d’infractions ». Son apport doit résider dans la compréhension des « facteurs liés à la commission d’infractions » et la mise en place d’« interventions pour y répondre », en tenant compte des « aspirations des personnes concernées » 7. Or dans la loi du 15 août, le contenu de la nouvelle peine se voit principalement axé sur les obligations/interdictions et les mesures de contrôle : « la contrainte pénale emporte pour le condamné l’obligation de se soumettre, sous le contrôle du juge de l’application des peines, pendant une durée comprise entre six mois et cinq ans, […] à des mesures de contrôle et d’assistance ainsi qu’à des obligations 5 Étude d’impact, op.cit. 6 Rapport n° 641, fait au nom de la commission des lois, Sénat, 18 juin 2014. 7 Règles européennes relative à la probation, op.cit. Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

9


« Comment dépasser l’hégémonie de l’emprisonnement sans remettre à plat l’architecture des peines, structurée autour de la peine de prison ? » et interdictions particulières destinées à prévenir la récidive en favorisant son insertion ou sa réinsertion au sein de la société » (article 19). Une option qui se retrouve d’ailleurs dans le terme de « contrainte pénale ». Ce qui a occupé les débats au Parlement, ce ne sont pas les méthodes d’intervention pour favoriser les sorties de délinquance, mais les moyens à confier aux forces de l’ordre pour renforcer leurs prérogatives en matière de contrôle des probationnaires. Avec une extension des possibilités d’arrestation en cas de suspicion de manquement à leurs obligations, jusqu’alors cantonnées aux aménagements de peine ou au SME. Dorénavant toutes les peines alternatives (TIG, stage de citoyenneté, etc.) seront concernées. A l’issue des travaux, Dominique Raimbourg, rapporteur du texte à l’Assemblée nationale s’est même félicité de voir consacrer une « culture du contrôle 8 » en milieu ouvert. La « probation contrôle » a pourtant été évaluée par la recherche internationale comme n’ayant pas d’impact positif sur la prévention de la récidive et la réinsertion. Lorsque la probation est centrée sur le contrôle d’obligations plutôt que sur les facteurs de passage à l’acte, les taux de récidive sont plus importants (Paparozzi and Gendreau, 2005 ; Bonta and all, 2008). Dès lors, « les agents de probation doivent s’assurer de ne pas consacrer trop de temps aux questions touchant le respect des conditions [obligations] » pour se concentrer « sur les besoins des délinquants » 9. La conférence de consensus devait avoir pour effet de fonder la réforme pénale non plus sur des idées reçues et enjeux électoralistes, mais sur des données plus objectives. C’est encore raté.

Une conception de la récidive insuffisamment renouvelée Les recherches sur la désistance montrent que la sortie de délinquance ne se produit pas du jour au lendemain, mais relève d’un processus. Elle commence généralement par une diminution des infractions, en fréquence et gravité (McNeill, 2006). Les chercheurs ont dès lors alerté sur le caractère nocif d’une répression systématiquement plus sévère en cas de récidive, qui peut enrayer des processus de réinsertion, sans tenir compte de la moindre gravité de la nouvelle infraction, des efforts engagés par ailleurs, etc. A cet égard, la loi fait plusieurs pas, mais ne franchit pas le gué. Elle supprime les peines plancher (article 7). Elle étend l’obligation de motiver le choix d’une peine de prison ferme sans aménagement aux cas de récidive en matière correctionnelle (article 3). Elle met fin au principe de révocation automatique des sursis en cas de 8 Assemblée nationale, 2e séance du 16 juillet 2014. 9 James Bonta and all, « La surveillance dans la collectivité : un juste équilibre entre l’application de la loi et le traitement », Sécurité publique Canada, Recherche en bref, vol 13, n°5, septembre 2008. Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

10

nouvelle condamnation ou de révocation d’un SME antérieur (article 8). Mais elle ne lève pas la limite de deux SME pouvant être prononcés à l’encontre d’un récidiviste. Et ne revient pas non plus sur les dispositions introduites en décembre 2005, qui permettent aux juridictions, en cas de récidive, de décerner un mandat de dépôt à l’issue du jugement, y compris lorsqu’elles prononcent de très courtes peines de prison ; c’est même obligatoire dans certains cas (violences volontaires, atteintes sexuelles). Auparavant, c’était exclu en cas de peine inférieure à un an, ce qui permettait la mise en place d’un aménagement de peine. La même incohérence se retrouve au niveau des aménagements de peine. Les parlementaires ont admis que « la distinction entre récidivistes et non récidivistes » dans les possibilités de voir leur peine aménagée « n’est pas justifiée » car la récidive est déjà prise en considération au moment de la condamnation. « Plus fragiles socialement et criminologiquement » 10, les récidivistes sont ceux qui ont le plus besoin d’accompagnement, donc d’aménagements de peine. Le législateur a donc mis un terme aux spécificités prévues pour les récidivistes en matière de libération conditionnelle : ils pourront prétendre à cette mesure comme les autres dès la mi-peine, au lieu des deux tiers de la peine 11. Leur régime de réductions de peine se voit aussi aligné sur celui des primaires. Mais le parlement a maintenu la distinction pour les autres mesures d’aménagement : semi-liberté, placement à l’extérieur, surveillance électronique. Elles ne restent accessibles aux récidivistes qu’en cas de peine (ou reliquat) de moins d’un an alors que pour les autres le seuil est fixé à deux ans.

Une promotion des aménagements a minima Les pouvoirs publics n’ont pas fait le choix résolu de la libération conditionnelle (LC), en l’instaurant comme le mode de sortie ordinaire de détention, à l’instar de la Suède. La LC y est automatique aux deux tiers de peine, sauf pour les très courtes peines et les condamnés à perpétuité 12. Le législateur français s’est contenté de prévoir un nouveau « rendez-vous judiciaire » 13 aux deux tiers de la peine pour tous les condamnés détenus, afin d’examiner les possibilités d’aménagement (procédure de « libération sous contrainte »). Lorsque la peine est inférieure à cinq ans, les critères d’octroi sont censés être plus souples. La décision de LC n’aurait plus à être motivée par un « projet d’insertion » abouti ou des « efforts de réadaptation sociale », dans l’optique d’en faire un « mode normal de l’exécution de la peine » 14. Cependant, ces critères allégés ne figurent pas dans la loi. Le texte se contente de dire que le 10 Rapport n°1974, fait au nom de la commission des lois, Assemblée nationale, 28 mai 2014. 11 La distinction est toutefois maintenue pour les condamnés à perpétuité ou à une peine de 30 ans. Le temps d’épreuve est de 18 ans, ou 22 ans en cas de récidive. 12 Norman Bishop in « Les systèmes de libération sous condition dans les États membres du Conseil de l’Europe », Champ pénal, vol I, 2004. 13 Christiane Taubira, Sénat, séance du 24 juin 2014. 14 Étude d’impact, op.cit.


© Lionel Charrier/Myop

ACTU

Pose d’un bracelet électronique au domicile d’un condamné, 2013.

juge de l’application des peines décide « soit de prononcer une mesure » soit, s’il estime que cela « n’est pas possible », de « ne pas la prononcer » (article 39). Il n’y a ainsi aucune garantie de voir les pratiques évoluer. Alors qu’en 2011, seuls 17 % des condamnés exécutant une peine de moins de cinq ans ont bénéficié d’un aménagement de peine 15. Une disposition adoptée à l’initiative de l’Assemblée nationale devrait avoir un peu plus d’impact : la limitation des expertises psychiatriques obligatoires préalables à l’octroi d’un aménagement de peine aux personnes condamnées à une peine complémentaire de suivi socio-judiciaire (article 48). Auparavant, il suffisait d’avoir été condamné pour une infraction passible d’un SSJ, même non prononcé. Et les expertises obligatoires allongeaient considérablement les procédures pour accéder à un aménagement. Le champ de la LC parentale a également été étendu aux femmes enceintes (depuis plus de douze semaines) : si la peine à exécuter est inférieure ou égale à quatre ans (hors récidive ou infraction sur mineur), elles pourront prétendre à ce type de LC à tout moment (article 25). Vis-à-vis des longues peines, aucun obstacle n’est levé. Le texte laisse inchangées les dispositions relatives à la période de sûreté automatique, pendant laquelle aucun aménagement n’est possible. Alors que ce mécanisme contrevient par définition au principe d’individualisation des peines. La loi ne modifie pas non plus la procédure spécifique d’octroi d’une 15 Fichier national des détenus, DAP/PMJ5.

LC depuis août 2011 pour les longues peines (15 ans ou 10 ans selon l’infraction) susceptibles d’encourir un SSJ. L’avis obligatoire de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, après une session de six semaines au centre national d’évaluation, a pourtant entraîné de telles lourdeurs, que le nombre de LC pour les condamnés concernés ne cesse de chuter. Un seul assouplissement a été concédé : l’intégration du placement extérieur parmi les mesures probatoires à la LC pouvant être imposées à ces publics (article 43). Auparavant, seules une surveillance électronique ou une semi-liberté pouvaient être prononcées, alors que le placement à l’extérieur, qui permet de combiner hébergement et accompagnement social, est plus adapté à des personnes désocialisées suite à une très longue incarcération. Il aura fallu néanmoins qu’un amendement soit présenté à quatre reprises par le groupe EELV pour que cette disposition soit adoptée !

Des conditions de suspension de peine assouplies… La suspension de peine permet de mettre provisoirement un terme à une incarcération pour des raisons familiales ou médicales. Jusqu’à maintenant, seuls les condamnés exécutant une peine de moins de deux ans pouvaient bénéficier d’une suspension pour motif familial. Dorénavant, ce seuil est porté à quatre ans pour les condamnés exerçant l’autorité parentale sur un enfant de moins de dix ans ou pour les femmes enceintes de plus de douze semaines (article 25). La loi étend Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

11


également les possibilités de suspension pour motif médical : elle l’ouvre aux prévenus, élargit le champ aux troubles mentaux et allège la procédure (articles 50 et 51). Désormais, une seule expertise médicale (au lieu de deux) établissant que le pronostic vital est engagé ou que l’état de santé est incompatible avec un maintien en détention sera exigée. Le texte assouplit aussi les conditions d’octroi d’une LC pour ces publics. Si après trois ans, l’état de santé est « toujours durablement incompatible » avec une incarcération et que la personne « justifie d’une prise en charge adaptée à sa situation », une LC pourra lui être accordée « sans condition quant à la durée de la peine accomplie ». Mais toutes les difficultés identifiées ne sont pas réglées. En particulier, le dispositif exclut les personnes atteintes de troubles mentaux tels qu’elles font l’objet d’une hospitalisation sans leur consentement, ce qui en amenuise fortement la portée. Pour les personnes atteintes de pathologies psychiatriques, les parlementaires ont néanmoins adopté le principe d’une diminution d’un tiers de la peine encourue en cas de discernement altéré au moment des faits (article 17). Mais avec possibilité d’y déroger (par décision spécialement motivée). Et des dispositions compensatoires : en cas d’opposition aux soins en prison, les personnes concernées pourront faire l’objet de retraits de crédits de réduction de peine et ne pourront bénéficier de réductions de peine supplémentaires. A leur libération, elles pourront se voir imposer pendant cinq à dix ans (selon la nature de l’infraction) une obligation de soins dont le non respect pourra être sanctionné de deux ans d’emprisonnement.

… mais des dispositifs de contrôle des sortants de prison exorbitants Les parlementaires ont étendu, contre l’avis du Gouvernement, à tous les sortants de prison qui n’ont pas bénéficié d’un aménagement de peine la possibilité de se voir imposer une mesure de surveillance judiciaire à leur sortie (article 44). Ce dispositif était jusqu’alors réservé aux auteurs des infractions les plus graves. Sur le temps des réductions de peine accordées, ils pourront se voir imposer diverses obligations (signaler tout déplacement de plus de quinze jours, transmettre des informations sur leurs moyens de subsistance, résider dans un lieu déterminé, ne pas se livrer à certaines activités, ne pas fréquenter certaines personnes, etc.) au risque d’une réincarcération en cas de manquement. Les forces de l’ordre se sont par ailleurs vues attribuer des pouvoirs de contrôle jugés disproportionnés par le Gouvernement lui-même 16 pour vérifier le respect des obligations de ne pas fréquenter certaines personnes ou certains lieux. Tout sortant de prison pour une infraction passible d’au moins deux ans de prison pourra faire l’objet d’écoutes téléphoniques sur instruction du juge de l’application des peines en cas de « raison plausible de soupçonner » qu’il n’a pas respecté ces obligations et que ces 16 Assemblée nationale, 2e séance du 16 juillet 2014. Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

12

« Le contenu de la nouvelle contrainte pénale se voit principalement axé sur les obligations/interdictions et les mesures de contrôle » écoutes sont « indispensables » pour en rapporter la preuve. S’il exécutait une peine pour évasion ou infraction contre les personnes passibles de trois ans, le sortant pourra même être soumis à une géolocalisation à son insu (article 34). Les parlementaires ont enfin confié aux états-majors de sécurité des Conseils départementaux de prévention de la délinquance, co-présidés par le préfet et le procureur de la République, le soin d’organiser les modalités « du contrôle en milieu ouvert » de sortants désignés par l’autorité judiciaire comme risquant de manquer à leurs obligations en raison de « leur personnalité, de leur situation matérielle, familiale et sociale » ou des « circonstances de la commission des faits » (article 36). Autant de dispositions qui risquent d’aboutir à une pression permanente et excessive sur certains ex-détenus, sur la base de seules présomptions, mettant à mal les efforts de réinsertion et générant davantage d’incidents à l’origine de réincarcérations. C’est ainsi que les pouvoirs publics n’ont pas osé tenir tête au populisme pénal alimenté autour de la réforme, voire sont véritablement tombés dans le piège du procès en laxisme qui leur était tendu. Ils confirment une certaine ignorance ou un refus de tenir compte des résultats de la recherche, en dépit du corpus documentaire réuni par la conférence de conférence de consensus. Marie Crétenot

L’application de la réforme pénale, c’est quand ? Les dispositions de la loi du 15 août n’entrent pas toutes en application à la même date. Petit inventaire des entrées en vigueur. ■■

Suppression des peines plancher : 1er octobre 2014

■■

Suppression des révocations automatiques de sursis : 1er janvier 2015

■■

Suppression des régimes spécifiques pour les récidivistes (réductions de peine et LC) : 1er janv. 2015

■■

Dispositions sur l’altération du discernement pour trouble mental : 1er oct. 2014

■■

Contrainte pénale : 1er oct. 2014

■■

Renforcement des pouvoirs policiers dans le contrôle des obligations (+ géolocalisation et écoutes téléphoniques) : 1er oct. 2014

■■

Procédure de libération sous contrainte : 1er janv. 2015

■■

Création d’un suivi post-peine pour les sortants sans aménagement : 1er oct. 2014


ACTU

« Ce n’est pas la longueur de la peine qui compte, c’est son contenu » Remettre en cause les pratiques et politiques pénales fondées sur des idées reçues ou dogmatismes. Tel est le principal apport de la recherche canadienne, qui a dégagé les critères d’une intervention efficace pour réduire la récidive. Depuis sa participation à la conférence de consensus en 2012, Denis Lafortune les enseigne en France.

Directeur de l’école de criminologie de l’université de Montréal, Denis Lafortune a d’abord été psychologue puis enseignant-chercheur. Il est le concepteur du programme Parcours, proposé depuis 2007 dans toutes les prisons québécoises.

Est-il vraiment établi qu’une peine d’emprisonnement génère plus de récidive qu’une peine de probation ? Oui, les travaux de James Bonta (projet STICS au Canada) ou de Charles Robinson (projet STARR aux États-Unis) montrent que des peines de probation supervisées par un conseiller bien formé peuvent réduire le taux de récidive de 20 à 25 %. Mais cela dépend de ce qui est fait dans le cadre de la probation ! Il peut aussi y avoir des peines vides de contenu en milieu ouvert. Si le conseiller de probation ne peut rencontrer le condamné qu’une fois tous les deux mois, avec des entretiens limités au contrôle de ses obligations, l’effet sur la récidive est généralement nul. Mais, selon le bilan dressé par Smith, Goggin et Gendreau, l’emprisonnement pour sa part augmente les taux de récidive d’environ 3 %. En France, une étude menée par Annie Kensey en 2011 montre que cette augmentation est encore plus importante s’il s’agit de courtes peines (taux de recondamnation accru de 9 % pour les peines de moins de 6 mois, comparativement à celles de plus de deux ans). Cet impact des courtes peines peut sembler paradoxal mais il s’explique : la personne incarcérée pour un mois ou deux ne voit pas l’intérêt de s’investir dans un projet, elle compte les jours dans des établissements pénitentiaires surpeuplés, et au passage, risque d’être mise en contact avec des normes pro-criminelles (ce qu’on appelle couramment, « la prison, école du crime »). Les données établies par la recherche canadienne reposent sur des méta-analyses, opérant la synthèse à grande échelle de nombreuses évaluations réalisées dans différents pays. Pour comparer ce qui est comparable, on s’assure « que toutes choses soient égales par ailleurs » :

niveau socio-démographique, délit, antécédents, etc. Puis on compare des cohortes de personnes condamnées, d’un côté celles qui ont été incarcérées et de l’autre celles laissées en milieu ouvert. Les résultats sont plus robustes que ceux tirés d’une seule évaluation. Peut-on par ailleurs contester, comme certains en France, que la libération conditionnelle est préférable à une sortie en fin de peine ? Difficilement, puisque cette donnée figure parmi les mieux établies : la meilleure stratégie pour limiter la récidive, c’est la libération conditionnelle, y compris pour les récidivistes. Par exemple, une étude de Diana Sepejak réalisée en Ontario durant les années 90 a montré qu’après deux ans, le taux de réincarcération des libérés conditionnels était de 29 % comparativement à 58 % pour ceux libérés en fin de peine. Des personnes qui étaient déjà peu insérées avant la prison ont des défis importants à relever à la sortie, ce qui nécessite un accompagnement. Au Canada, les primo-délinquants sont accessibles à la conditionnelle dès le tiers de la peine, la plupart des récidivistes ou auteurs d’infractions plus graves aux deux tiers. L’octroi n’est pas automatique, mais il est très fréquent. A tout le moins, le dernier tiers de la peine est purgé en milieu ouvert. La plupart des personnes suivent un programme lié à leurs problématiques (toxicomanie, violence…) qui commence souvent en prison pendant deux-trois mois, et se poursuit à l’extérieur en libération conditionnelle pendant six à huit semaines. Peut-on enfin affirmer que des peines d’emprisonnement plus longues ou des conditions de détention plus pénibles, ont un effet dissuasif ? Et de prévention de la récidive ? Non, c’est un mythe. Plusieurs études – notamment des métaanalyses de Paul Gendreau – montrent que la longueur de la peine n’a aucun effet, ni de dissuasion ni de prévention de la récidive. Quant à des conditions de détention dures et austères (salubrité insuffisante, mauvaises relations surveillants-détenus, niveau de violence élevé, suicides et décès dans l’établissement…), elles sont au contraire associées à Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

13


un taux de récidive de 58 %, contre 42 % pour des conditions moins dures (tel que montré par Cheryl L. Jonson et Francis Cullen). Ce n’est pas la longueur de la peine qui compte, c’est son contenu, même en milieu fermé. Dans certains cas limités et certaines conditions, c’est-à-dire lorsque des programmes intéressants sont mis en place, il y a des peines de prison qui ont des effets de diminution de la récidive de 15 à 25 %. Les outils d’évaluation du risque de récidive utilisés au Canada sont très contestés en France. L’idée qu’il serait possible d’établir des « prédictions » du comportement est mise en cause. Que pouvez-vous répondre ? Qu’il ne s’agit pas de prédiction, encore moins linéaire ou certaine, mais d’estimation. L’évaluation canadienne mène à une conclusion formulée ainsi : « Monsieur X est dans un groupe où les deux tiers des personnes récidivent dans les trois prochaines années, si leur situation reste la même. » On ne dit pas « monsieur est dangereux et va récidiver ». On donne aussi l’impression que l’estimation du risque arrive avec ces outils, alors que les professionnels faisaient déjà ce type d’estimation, même en France, sur la base de leur seul jugement professionnel. Or, il a été évalué à maintes reprises (notamment par John Monahan) qu’un clinicien qui évalue sans instrument se trompe deux fois sur trois, le plus souvent dans le sens d’une surestimation du risque. Les outils actuariels se basent sur des données issues de la recherche et servent de garde-fous par rapport à des critères intuitifs. Par exemple, un conseiller de probation doit s’occuper de Jean, 40 ans, auteur d’inceste et de Pierre, 22 ans qui a commis trois vols de voitures. Intuitivement, il aura tendance à mettre le paquet sur l’auteur d’inceste. Or, les statistiques montrent que les taux de récidive sont bien plus élevés chez les auteurs de délits mineurs. L’outil indiquera donc qu’il faut prioriser l’auteur des trois vols. Quitte à laisser aux psychologues et psychiatres le soin de pratiques plus spécialisées, en matière de délinquance sexuelle par exemple. Les outils actuariels sont également décriés en ce qu’ils réduiraient le travail des professionnels au remplissage de grilles derrière un ordinateur, qu’en pensez-vous ? Précisons déjà que l’outil actuariel n’est pas censé être rempli pendant les entretiens avec la personne mais après, sur la base de ce qui a été discuté et d’autres sources comme le dossier pénal, les informations d’autres professionnels. Par ailleurs, le conseiller doit continuer d’utiliser son jugement professionnel. Si l’évaluation fait apparaître un facteur de risque comme la toxicomanie, le professionnel doit estimer à partir de quelles habitudes de consommation, chez monsieur Jean, la toxicomanie pose vraiment problème. L’appréciation professionnelle doit s’exercer également pour évaluer le lien de cause à effet avec le passage à l’acte : la toxicomanie de Jean n’a peut-être rien à voir avec son activité délinquante. Enfin, tous ces outils laissent la possibilité de déroger aux résultats chiffrés, à condition de s’en expliquer. Le conseiller peut ainsi conclure : « le résultat de Jean est de X, ce qui le met dans une catégorie à risque élevé ; mais considérant le facteur Y, j’estime que l’instrument sur-évalue ou Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

14

sous-évalue le risque. Pour ce faire, je me suis appuyé sur les éléments suivants… ». L’outil oblige à argumenter une dérogation sur la base de critères identifiés par la recherche. Ces outils permettent-ils également de mettre en évidence les aspects sur lesquels travailler au cours du suivi ? Le premier principe du modèle canadien (RBR) est celui du risque : intervenir prioritairement et de manière plus intensive auprès de ceux qui ont le plus de risque de récidive. L’évaluation doit également répondre à la question des besoins : sur quoi vat-on intervenir, quels problèmes de la personne ? La recherche canadienne a recensé les besoins directement liés au passage à l’acte délinquant en huit grands domaines, dont les difficultés d’emploi, la consommation de produits, l’impulsivité, le manque de loisirs, les difficultés conjugales et familiales et surtout… les croyances et représentations qui poussent à commettre une infraction. Evaluer les besoins, c’est bien cerner les problématiques et les contextes qui favorisent la commission d’infractions pour chaque personne. L’évaluation permet de prioriser deux ou trois objectifs et de formuler un plan d’intervention. Le troisième principe est la réceptivité de la personne à tel ou tel mode d’intervention. Si l’individu a des difficultés de concentration, n’aime pas beaucoup discuter, est plus dans l’action, on va plutôt utiliser des pictogrammes, une activité manuelle… Quels sont les risques d’une évaluation telle que celle réalisée dans les SPIP ou par les experts psychiatres en France ? De se tromper plus souvent, en suivant des personnes qui n’en ont pas besoin et en laissant de côté des personnes qui ont de fortes chances de recommencer. Par ailleurs, les évaluations non structurées sont-elles opérantes pour identifier les besoins et proposer des interventions utiles ? Dans l’évaluation de la dangerosité pratiquée en France, il est souvent question de la personnalité, des troubles mentaux… Que peut faire un conseiller de probation lorsqu’il reçoit un rapport disant que la personne a une personnalité immature, narcissique, ou des troubles mentaux ? Peut-il définir des objectifs sur cette base ? Les instruments anglo-saxons me semblent plus utiles à cet égard ; dans les pays où ils sont utilisés, plus grand monde ne milite pour un retour en arrière. Quels sont les résultats du modèle canadien RBR ? Ce modèle a été formalisé dans les années 80-90. En 25 ans, une centaine d’évaluations en ont été faites. Il en ressort que si les intervenants appliquent un seul de ces trois principes, on ne réduit la récidive que de 3 à 4 %. Si on applique deux principes, on peut diminuer la récidive de 15 %, et quand on applique les trois principes, on fait baisser la récidive de 22 à 25 %. C’est plus efficace en milieu ouvert qu’en prison. Probablement parce qu’on travaille alors sur les situations à risque dans le contexte de vie réel des personnes : elles peuvent immédiatement mettre en pratique ce qu’elles apprennent dans le cadre du suivi.


© Michel Le Mione

ACTU

Si le conseiller de probation ne peut rencontrer la personne condamnée qu’une fois tous les deux mois, avec des entretiens limités au contrôle des obligations, l’effet sur la récidive est nul.

Il y a un quatrième principe, dont on parle moins, celui de « l’intégrité » : un programme doit être mis en œuvre tel qu’il a été conçu. Si le nombre de séances prévues n’est pas respecté, que les professionnels ne sont pas formés par un intervenant habilité, qu’ils n’ont pas de supervision pour veiller à la bonne compréhension du programme et de ses bases théoriques… il ne reste plus grand-chose. Ce critère est essentiel, il demande d’investir sérieusement dans les programmes qu’on met en place, c’est un des points faibles au Canada en ce moment. Vos programmes fondés sur les thérapies cognitivocomportementales soulèvent aussi des oppositions en France, en ce qu’ils cibleraient principalement les « modes de pensée » des condamnés, négligeant ce qui relève de l’exclusion sociale. Qu’en pensez-vous ? La crainte serait fondée si l’accompagnement assuré au Canada se limitait à ces programmes, ce qui n’est pas le cas. Un volet important du travail de nos agents de probation est centré sur la réinsertion sociale. Si monsieur X n’a pas de revenus, pas de logement, une maladie grave, même si ça n’a rien à voir avec sa récidive, on va s’en occuper aussi. Les programmes de type cognitivo-comportemental représentent deux à quatre heures d’intervention hebdomadaire. Ce ne sont pas de simples groupes de parole, ils suivent une méthodologie structurée, permettant de travailler sur le facteur le plus déterminant en matière de récidive selon la recherche, à savoir les représentations (croyances, idées reçues). Par exemple, « comme c’est ma femme, j’ai le droit de la frapper », « les enfants aiment les attouchements sexuels », « l’agressivité est une bonne manière de parvenir à ses fins », « s’il me

regarde, c’est qu’il me cherche », « si ma copine se fait belle, c’est qu’elle me trompe », « les riches on peut les voler, ça ne leur fait rien ». Dans le cadre des programmes, on va identifier avec la personne ce type de certitudes et les questionner. Si le travail est ciblé sur ces pensées (« cognitions »), c’est aussi parce que c’est là-dessus que les personnes condamnées ont le plus de pouvoir d’agir. Les facteurs sociaux, qu’il ne faut absolument pas nier, demandent une action de plus long terme et le succès ne dépend pas seulement de la personne, mais d’un contexte socio-économique, d’un employeur, d’un propriétaire d’immeuble… On peut ainsi considérer que les bonnes pratiques relèvent d’un mélange de programmes cognitivo-comportementaux et de travail social. La probation en France reste dominée par un modèle de « contrôle du respect des obligations » imposées au condamné, qui vient d’être renforcé par la réforme pénale. Qu’en dit la recherche ? L’hypothèse, montrée par exemple par les travaux de James Bonta, c’est que l’effet sur la récidive sera nul. Quand la probation se contente de contrôler et faire respecter des obligations, on n’a pas les effets négatifs de la prison, mais pas d’efficacité non plus. Parce que les besoins des personnes pour sortir de la délinquance ne sont alors pas abordés et traités de manière individualisée. On oublie également l’importance de la posture professionnelle du conseiller de probation. La méthode de l’entretien motivationnel résume les grands principes qui devraient le guider : être structuré, mais laisser au condamné son libre arbitre, une liberté d’action pour prendre des décisions ; être en recherche de solutions plutôt que Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

15


Existe-t-il d’autres modèles que le RBR ayant des résultats équivalents ? Ou qui vous paraissent prometteurs ? Le Good Lives Model, développé par le néo-zélandais Tony Ward, suscite beaucoup d’engouement depuis une dizaine d’années. Il s’agit d’une traduction du RBR en positif, ciblant les atouts et points forts de la personne à développer pour ne pas récidiver (plutôt que les facteurs de risque). L’accompagnement vise à aider la personne à atteindre un objectif plus global de « vie satisfaisante ». Tony Ward reproche en effet au RBR de ne pas tenir suffisamment compte des aspirations des personnes. Le GLM est-il plus humaniste que le modèle RBR ? Oui. Mais est-ce que ça marche ? On ne sait pas, les données d’évaluation se font un peu attendre. Une autre critique du modèle canadien, développée par les anglais du courant de la désistance, comme Stephen Farrall et Fergus McNeill, m’apparaît une excellente perspective d’avenir. Ces criminologues développent un travail d’accompagnement selon une approche presque sociologique. Ils sont engagés socialement, voire politiquement, sur la réforme des institutions. Ils essayent par exemple d’inciter les responsables pénitentiaires à réinviter comme bénévoles, voire à embaucher, des anciens détenus sortis de la délinquance. Ils encouragent aussi les employeurs à réserver 5 ou 10 % des postes à des condamnés en réinsertion sociale, idem pour le logement, etc. Ce travail auprès des institutions, qu’ils intègrent dans la mission des agents de probation, me semble salutaire et complémentaire au travail d’orientation psycho-criminologique canadien. Au vu de la situation en France, quels types de méthodes vous paraîtraient transposables ? Je crois que le modèle de la désistance est celui qui plaît le plus en France. Il intègre davantage la dimension sociale et les besoins fondamentaux des personnes suivies. Le modèle des Good Lives est moins connu. Sur le modèle RBR, 40 à 50 % des conseillers de probation que je rencontre le connaissent et sont impatients de le pratiquer. Un réseau d’échanges sur ces méthodes s’est mis en place, j’ai déjà assuré des formations dans cinq directions interrégionales pénitentiaires… La même proportion de CPIP restent très inquiets à l’égard de ce modèle. Pour 20-25 % d’entre eux environ, prioriser les facteurs de risque en lien avec la délinquance pose problème, ils déplorent que cela conduise à ne pas s’occuper d’une personne à risque faible, même si ses besoins sont nombreux. Ma réponse est que l’institution pénitentiaire n’a pas à répondre à tous les besoins (sociaux, sanitaires, etc.), les services sociaux de droit commun doivent prendre le relais. Je ne comprends pas bien ce clivage que j’ai parfois observé Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

16

en France entre réinsertion sociale et prévention de la récidive, alors que les deux approches sont complémentaires : la prévention de la récidive contribue à la réinsertion sociale et vice-versa. S’il s’agit pour les CPIP de ne traiter que les questions d’insertion, le Canadien que je suis demande aussi des résultats. Sur trois ans, pour combien de condamnés votre intervention a permis de retrouver un emploi, un logement, des liens familiaux ? Si ces données existaient, on pourrait discuter de l’efficacité des différentes pratiques et de leur complémentarité. Cette limite apparaît dans les échanges avec les professionnels en France : j’ai parfois l’impression que derrière la résistance au modèle RBR, il y a aussi un refus de toute évaluation des pratiques. Quels seraient les bénéfices d’un développement en France des méthodes déjà évaluées comme efficaces (pour les condamnés, le corps social, les professionnels) ? Du côté des personnes condamnées, les chances de sortie de délinquance et de réinsertion sociale sont meilleures en appliquant des méthodes appuyées sur des données probantes. Une évaluation plus juste peut aussi leur permettre de bénéficier de libérations conditionnelles ou de permissions de sortir… qui leur sont aujourd’hui refusées sur la base d’évaluations de la dangerosité ou de critères non significatifs pour la récidive. Pour la société en général, on avance des arguments budgétaires. En réduisant la récidive de 20 à 30 %, chaque euro investi dans le modèle RBR a un retour sur investissement de 300 % au bout de cinq ans : les policiers qui ne sont pas intervenus, le procès qui n’a pas eu lieu, le juge qui n’a pas travaillé, les victimes qu’on n’a pas à indemniser, la détention évitée… Réduire la récidive représente une économie importante de fonds publics. Il y a aussi un argument sécuritaire : en 2012, le taux de crimes déclaré a atteint son plus bas niveau au Canada depuis 1972. Le taux de récidive reste relativement faible, même sur des publics à haut risque, comme les jeunes auteurs de délits contre les biens (38 % au Québec). La baisse de la criminalité ne s’explique pas seulement par les programmes. Quand l’économie va bien, que la population vieillit, la criminalité baisse. Mais il est établi que les pratiques que nous avons mises en place ont aussi largement fait baisser la récidive. Enfin, alors que les CPIP français me semblent dans une quête de définition de leur métier, le développement d’un modèle comme le RBR leur donne un champ d’activité propre, dans lequel ils sont vraiment compétents et n’ont pas l’impression d’être des apprentis psychologues plus ou moins imposteurs. L’école de criminologie existe à Montréal depuis une cinquantaine d’années, le modèle RBR depuis une trentaine d’années. Cela a contribué à ce que les agents de probation ou de libération conditionnelle aient un métier spécifique, des compétences reconnues comme utiles et efficaces. Recueilli par Barbara Liaras et Sarah Dindo

© Tahiti Info

de pointer les problèmes ; être très encourageant, même à l’égard de petits changements… Lorsque les conseillers sont formés à cette approche, les taux de récidive diminuent de 5 à 10 %. S’ils sont aussi formés à une évaluation des risques et besoins, la récidive diminue de 15 à 20 %.


Le centre pénitentiaire de Faa’a Nuutania, Tahiti.

Condition pénitentiaire en outre-mer :

alerte générale

Dans un environnement socio-économique fortement dégradé, la question des prisons outre-mer ne se résume pas aux conditions matérielles de détention. Un groupe de travail parlementaire a remis le 8 juillet 2014 un bilan complet1, faisant apparaître la chaîne de défaillances des services publics.

L

’avocat

général de la

Cour

de cassation qualifie de

« bagne post-colonial » la prison de Nouméa (février 2012). Le contrôleur général des lieux de privation de liberté de « prison d’un autre temps » celle de Basse-Terre en Guadeloupe (mai 2014). Un syndicaliste de « poudrière » celle de Ducos, en Martinique (avril 2013). Les conditions de détention dans la plupart des prisons d’outre-mer suscitent 1 Rapport sur les problématiques pénitentiaires en outre-mer, juillet 2014.

l’indignation depuis plusieurs années. Le rapport parlementaire remis à Christiane Taubira le 8 juillet 2014 se distingue néanmoins en ce qu’il dresse un état des lieux complet, intégrant l’amont et l’aval de la détention. Des facteurs géographiques et sociaux expliquent l’ampleur de la délinquance ; les difficultés à développer des alternatives aux poursuites et à l’emprisonnement contribuent à la surpopulation pénitentiaire ; le manque de structures d’insertion alimente la récidive. Du Pacifique (Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

17


Wallis-et-Futuna) à l’arc Antillais (Guadeloupe, Guyane), aux cinq détenus de Saint-Pierre-et-Miquelon 2 en passant par l’océan Indien (La Réunion et Mayotte), sont soulignées les déficiences des services de l’Etat et une certaine inadaptation du système judiciaire aux cultures et contraintes locales.

« La problématique pénitentiaire s’inscrit dans un contexte miné par des taux de pauvreté très élevés (92 % à Mayotte, 38 % en Martinique et 49 % en Guadeloupe…) et un chômage record »

Pauvreté et criminalité élevées

Mineurs délaissés et délinquance de survie Les mineurs prennent une part non négligeable – 20 % à la Réunion, 24 % à Nouméa – de cette activité délinquante, « fortement liée à leur situation individuelle (déscolarisation, éclatement du noyau familial, maltraitance…) ». De nature « très violente », elle induit des durées d’incarcération « largement 2 Au 1er janvier 2014. 3 Sénat, Rapport d’information de MM. Doligé et Vergoz, Les niveaux de vie dans les outre-mer : un rattrapage en panne ?, 9 juillet 2014. 4 M. Redon et D. Grancher, « La Guadeloupe et ses espaces pénitentiaires : quelles discontinuités de l’ordre en outre-mer ? », EchoGéo, avriljuin 2014. 5 Circulaire de politique pénale territoriale pour la Guadeloupe, 2 janvier 2014. 6 Sénat, Rapport d’information de MM. Sueur, Cointat et Desplan, effectué à la suite d’une mission à Mayotte, 18 juillet 2012. Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

18

supérieures à la moyenne nationale (5,3 mois en Guadeloupe contre 2,8 mois) ». La mise en œuvre de mesures d’éducation et de protection s’avère fragilisée par l’incapacité des structures dédiées à « assurer une prise en charge correcte des mineurs confiés (à la Réunion notamment) ». L’éventail de réponses disponibles est jugé insuffisant. Le centre éducatif fermé (CEF) de Guadeloupe est par exemple resté hors service pendant plus d’un an, la Polynésie Française et Nouméa ne disposent pas d’une telle structure. « Faute de politiques sociales avérées, la précarité s’accentue et la délinquance de survie se développe 7 », assène le Défenseur des droits au sujet des enfants de Mayotte – dont de nombreux Comoriens en situation irrégulière. Un constat valide dans d’autres contextes ultra-marins. La défaillance des structures sanitaires, particulièrement en santé mentale, participe d’un déficit général de services publics. A Rémire-Montjoly, « la Protection judiciaire de la jeunesse note la présence régulière d’adolescents qui présentent des troubles du comportement aigus, l’incarcération étant parfois une réponse apportée à la carence d’une prise en charge pédopsychiatrique adaptée ».

Conditions de détention « très dégradées » L’ensemble de ces facteurs alimente la surpopulation massive dans la majorité des établissements pénitentiaires : 174,4 % au 1er juillet 2014 à Baie-Mahault (Guadeloupe), où « il n’est plus possible d’ajouter des lits supplémentaires ». Avec pour corollaire « un développement des matelas au sol particulièrement anxiogène et générateur d’incidents » ; 217,7 % à Ducos (Martinique), où « la surpopulation est telle qu’elle ne peut plus être contenue [et] s’est propagée au sein du quartier centre de détention », impliquant là aussi « de nombreux matelas posés à même le sol » ; à Majicavo (Mayotte), des « cellules de cinq places sont occupées par douze à quinze personnes lorsque les effectifs sont élevés », c’est-à-dire souvent. Le quartier mineurs, occupé à 200 % au moment du rapport « ne répond en rien à la réglementation en vigueur ». A la densité s’ajoutent des conditions de détention « objectivement extrêmement vétustes et très dégradées » (BasseTerre, Guadeloupe). Dans cette prison comme à Remire-Montjoly, Nouméa, Baie-Mahault ou Faa’a Nuutania, des détenus ont obtenu la condamnation de l’Etat pour « conditions de détention inhumaines et dégradantes ». Pour ce motif, l’administration pénitentiaire comptabilise 168 demandes indemnitaires en 2012 et 116 en 2013. 7 Défenseur des droits, Compte-rendu de la mission sur la protection des droits de l’enfant à Mayotte, avril 2013.

© CGLPL

La problématique pénitentiaire s’inscrit dans un contexte miné par des taux de pauvreté très élevés (92 % à Mayotte, 38 % en Martinique et 49 % en Guadeloupe…) et des taux de chômage record (25,2 % en moyenne, hors Mayotte, contre 9,7 % dans l’hexagone au premier trimestre 2014), explique le rapport parlementaire. Le chômage affecte plus particulièrement les jeunes (plus de 50 % des 15-24 ans présents sur le marché du travail en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion) 3. Confrontées en outre à la déstructuration des organisations familiales et sociétales traditionnelles, ces sociétés subissent des taux de délinquance « très souvent au-dessus du taux national, voire en première position » dans les Antilles et en Guyane. Le procureur de Guadeloupe mentionne un taux de meurtres huit fois supérieur à celui de la métropole 4, corrélé à l’importante circulation d’armes (blanches ou à feu) au sein de la population guadeloupéenne 5. S’y ajoute un trafic international de stupéfiants prégnant, la procureure générale qualifiant l’île de « plaque tournante » lors de l’audience solennelle de rentrée 2014. L’attractivité de Mayotte génère enfin une immigration massive, devenue largement illégale suite à l’instauration en 1995 du « visa Balladur », dont les conditions d’obtention drastiques privent l’essentiel des candidats de la possibilité d’un séjour légal sur l’île 6. De sorte que les « personnes détenues en situation irrégulière en provenance des Comores représentent environ la moitié des écroués » de la maison d’arrêt de Majicavo. 70 % des personnes détenues dans cet établissement « relèvent de l’indigence et bénéficient de l’aide financière de 20 euros ». En Guyane, la prison de Rémire-Montjoly, avec 56,54 % de détenus de nationalité étrangère, connaît une situation similaire.


Cellule de la maison d’arrêt de Nouméa, 2011.

Les aménagements à la peine

L’obstacle des expertises

La difficulté à mettre en place des aménagements de peine contribue aussi à la surpopulation et au déficit d’accompagnement à la sortie de prison. Le « manque de structures d’insertion et de réinsertion » et la faiblesse des réseaux associatifs locaux entravent les possibilités de placement extérieur. Le bracelet électronique pâtit pour sa part des « mauvaises couvertures téléphoniques », le réseau étant indispensable au fonctionnement du dispositif. A Cayenne, « le taux élevé d’illettrisme conjugué au très bas niveau de qualification, la relative longueur des peines, le contexte socio-économique de la Guyane ainsi que le nombre important de détenus d’origine étrangère et souvent en situation irrégulière sont autant de freins à l’aménagement des peines ». La libération conditionnelle (LC) expulsion reste, pour la plupart des sans-papiers, le seul aménagement possible : elle représente plus de la moitié des LC octroyées dans le département. A Mayotte, jusqu’en 2011, la quasi-totalité des LC prononcées a concerné des Comoriens expulsés. Leur nombre a chuté lorsque les autorités ont pris conscience de l’inefficacité de la mesure, certains expulsés étant de retour sur le territoire après quelques mois.

Plus encore qu’en métropole, « la difficulté à trouver des experts psychiatres pour réaliser l’expertise obligatoire » freine, voire bloque, certaines mesures d’aménagement. Une difficulté accrue en cas de passage obligatoire dans un centre national d’évaluation (CNE), tous situés en métropole. « Cela impose un [très coûteux] transfèrement en métropole que l’administration n’est pas toujours en mesure d’exécuter ». L’emblématique martiniquais Pierre-Just Marny, transféré à Ducos en mai 2008 après 43 années de détention en métropole, refusait de retourner au CNE de Fresnes, alors que sa situation pénale l’exigeait pour obtenir une LC. Malade, se disant « fatigué d’être trimbalé », la conditionnelle restera hors de sa portée, et il se suicidera le 7 août 2011. La pertinence même d’une évaluation réalisée « par des professionnels qui peuvent ignorer les spécificités parfois très éloignées de celles de l’Hexagone » est questionnée par les parlementaires. La création d’un CNE délocalisé et itinérant figure dans leurs recommandations, afin « d’évaluer les personnes détenues en prenant en compte leur univers culturel. La perception de la dangerosité par exemple d’un jeune Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

19


« En Guyane, on incarcère des adolescents ayant des troubles du comportement aigus faute de moyens pour une prise en charge pédopsychiatrique adaptée »

Kanak incarcéré à Fresnes dans un univers dont il ne connaît aucun des codes, ne sera pas la même que celle de personnels locaux connaissant les us et coutumes du territoire. »

Des mesures alternatives à adapter aux traditions locales Comme en métropole, le nombre de conseillers de probation est jugé « très largement inférieur aux besoins » en Guadeloupe, avec 124 personnes suivies par conseiller en milieu ouvert, 81 et 104 en milieu fermé (Baie-Mahault et BasseTerre). Même problème en Martinique ou en Guyane, où les distances à parcourir pour assurer les permanences délocalisées à Kourou ou Saint-Laurent-du-Maroni s’ajoutent aux difficultés. Le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) de Polynésie française est compétent sur l’ensemble d’un secteur grand comme l’Europe, celui de Nouvelle-Calédonie couvre un « vaste territoire », ce qui s’avère particulièrement « chronophage et coûteux ». Pour mieux adapter le contenu des alternatives à la prison, le SPIP de Nouméa a su développer la relation avec les autorités coutumières, afin que les mesures soient mises en œuvre au sein des tribus. Une convention a été signée, en mars 2014, entre le SPIP, la mairie de la commune de Canala et les représentants traditionnels d’une tribu. Objectif : que des jeunes puissent effectuer un travail d’intérêt général (TIG) au sein de leur communauté. Intérêt : « Quand un jeune Mélanésien fait son TIG dans les quartiers populaires de Nouméa à repeindre les murs, l’impact est moindre que celui qui fait les mêmes travaux sur un champ d’ignames en tribu, chez lui », explique un élu 8. Le plan d’action formulé par la commission parlementaire se veut « très concret, global et cohérent 9 » : construction et rénovation d’établissements pénitentiaires, renforcement des SPIP, développement des aménagements de peine, reconnaissance des spécificités juridiques ultramarines et meilleure prise en compte des contextes locaux. Dès la remise officielle du document, Christiane Taubira a indiqué que des arbitrages auraient lieu en septembre. Les « carences » identifiées dans le fonctionnement des services de l’Etat en outremer imposent une « politique de rattrapage » complète. Pas du saupoudrage. Barbara Liaras

Accès aux soins défaillant dans les prisons d’outre-mer « Médicalement, les populations pénales sont plus encore à risque outre-mer qu’en métropole », et présentent une « grande précarité sanitaire ou psychologique ». Pour autant, « l’accès aux soins demeure souvent très insuffisant, relève la Cour des comptes dans un rapport de juin 2014. L’implication des agences régionales de santé des départements d’outre-mer (DOM) comme des ministères concernés n’est pas partout de nature à combler des retards et des écarts dénoncés de longue date ». Alors que l’état de santé général des personnes détenues « appellerait une particulière vigilance, les facteurs pathogènes liés à la vétusté des locaux et à la précarité sociale sont aggravés par le climat, par une forte sur-occupation des cellules et par des locaux affectés aux soins qui sont majoritairement inadéquats, voire médiocres. » « Le ministère des affaires sociales et de la santé a principalement établi les effectifs budgétaires [des personnels de santé] en fonction de la capacité théorique en détenus, alors qu’elle est en moyenne dépassée de 30 %. […] De surcroît, le temps de présence effective des soignants auprès des détenus est fréquemment inférieur aux données affichées. » Outre les vacances de poste ou congés de longue durée, « il y a de fréquentes présomptions que la semaine de 35 heures n’est pas systématiquement respectée ». A la Réunion, « il en résulte notamment des délais d’attente de plusieurs semaines ou mois avant une consultation ». En Guadeloupe, « aucun médecin ni infirmier n’a été présent entre le 9 et le 11 décembre 2012, ni pendant les week-ends de Noël et du jour de l’an, à la veille desquels les médicaments ont été distribués par anticipation ». Toujours en Guadeloupe, « il y a un seul psychiatre, théoriquement à temps plein, et trois vacataires (0,9 ETP). Un secteur pénitentiaire d’hébergement psychiatrique a ouvert fin 2013, après quinze ans de délais attribué aux mésententes avec le CHU, et l’attribution des emplois médicaux nécessaires. » « En Guyane, le centre pénitentiaire a bénéficié d’un appareil de radiologie, inutilisé faute de manipulateur : il en résulte d’onéreux transferts de détenus au centre hospitalier pour la détection de la tuberculose. » A Basse-Terre, « les soins dentaires sont, après une absence totale de fin 2011 à l’automne 2012, réduits à une vacation toutes les trois semaines, moins d’un tiers de ce qui serait nécessaire pour une population très défavorisée à cet égard. La motivation des vacataires ne survit pas toujours à de longs retards de paiement, ce qui conduit alors à des périodes pendant lesquelles aucun soin spécialisé n’est accessible. » Cour des comptes, La santé dans les outre-mer – Une responsabilité de la République, 12 juin 2014

8 Les Nouvelles calédoniennes, 7 mars 2014. 9 Ministère de la justice, Communiqué de presse, 8 juillet 2014 Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

20


ACTU

Absence de permanence médicale en prison :

des décès et des condamnations

Aliou Thiam est mort en maison d’arrêt, un dimanche à 11 heures du matin. Ses crises d’épilepsie avaient commencé cinq heures plus tôt, alors que l’unité médicale était fermée. Le tribunal administratif vient de condamner l’État : les surveillants pénitentiaires, alertés deux fois par le codétenu d’Aliou, n’ont pas appelé les urgences médicales.

M

aison d’arrêt de

Loos,

dimanche

10 juin 2007,

6 heures du matin. Aliou Thiam, 38 ans, est victime d’une crise d’épilepsie. Immédiatement, son codétenu alerte les surveillants en frappant contre la porte. Le vieil établissement ne dispose pas d’interphone en cellule. Vers 6 h 30, un surveillant et un gradé arrivent et trouvent M. Thiam inconscient « allongé sur son lit en position latérale de sécurité, une légère perte de sang au niveau de la bouche, avec une respiration haletante ». Le codétenu leur décrit les symptômes : cris, convulsions, apparition de bave, raidissement… Le service médical (UCSA) n’ouvre qu’à 8 heures, mais les surveillants n’estiment pas nécessaire d’appeler le Samu. A 7 heures, nouvelle crise d’épilepsie, nouvelle alerte du codétenu. Cette fois, les surveillants ne réalisent qu’un contrôle visuel à travers l’œilleton et maintiennent qu’il faut attendre l’arrivée des infirmières. L’équipe des surveillants de jour arrive, elle est avertie qu’Aliou Thiam « devrait être vu rapidement par le service médical ». La consigne est transmise à l’UCSA sans faire état des pertes de connaissance et des convulsions du détenu. Il n’est amené qu’à 9 h 20 au service médical. Frappé d’amnésie, comme souvent après ce genre de crise, il ne se plaint que de douleurs très fortes au visage, au dos et aux jambes. A 9 h 40, il fait une nouvelle crise en sortant des locaux de l’UCSA. Le centre 15 est enfin appelé, mais aucune équipe du SAMU n’étant disponible,

« L’administration pénitentiaire a commis deux fautes qui ont concouru à la perte d’une chance sérieuse de survie pour M. Thiam »

ce sont les pompiers qui arrivent vers 10 h 30. Le décès d’Aliou Thiam est constaté une demi-heure plus tard.

L’État condamné pour la perte d’une chance de survie Dans son jugement du 23 juillet 2014, le tribunal administratif de Lille considère que l’administration pénitentiaire a commis deux fautes qui « ont, pour partie, directement concouru à la perte d’une chance sérieuse de survie pour M. Thiam ». Il condamne l’État à verser un dédommagement de 34 000 euros à la mère, aux deux enfants, à la compagne et au frère de M. Thiam. Le tribunal pointe « la méconnaissance [par les surveillants] de la procédure » à suivre en dehors des ouvertures de l’UCSA, ainsi que « l’absence d’informations précises et suffisantes fournies par le personnel pénitentiaire au service médical » 1. La procédure qui n’a pas été respectée est simple… en apparence. Lorsque l’unité sanitaire est fermée, les personnels pénitentiaires doivent appeler le centre de réception et de régulation (CRRA) du SAMU (le centre 15) « soit à la demande de la personne détenue, soit de leur propre initiative, soit suite à une alerte donnée par toute autre personne ». Et ce dans les « situations où le pronostic vital est engagé » mais aussi dans les « cas nécessitant des actes diagnostiques et/ou thérapeutiques immédiats, tant pour les soins somatiques que psychiatriques » 2. Le personnel de surveillance doit si possible effectuer « une mise en relation téléphonique directe entre la personne détenue et le médecin régulateur » de façon à permettre à ce dernier d’« évaluer la 1 TA Lille, 23 juillet 2014, req. n°1106920. 2 Ministère de la Justice/Ministère de la Santé, Guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes placées sous main de Justice, octobre 2012. Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

21


situation sanitaire de l’intéressé » et de décider de la réponse à apporter (hospitalisation, intervention sur place d’un médecin d’astreinte ou d’une association type SOS médecin, etc.). La mise en relation directe est censée placer «  les personnels pénitentiaires dans une position plus conforme à leurs missions de surveillance et de sécurité en ne les mettant plus dans une position intermédiaire entre la personne détenue et le médecin régulateur » 3. Néanmoins, les détenus n’ayant pas d’accès direct au téléphone (fixe ou portable), les surveillants se trouvent tout de même en position de devoir évaluer la gravité de la situation, en décidant d’appeler ou pas le centre 15. Si les surveillants bénéficient d’une formation aux premiers secours, ils ne sont pas pour autant des personnels soignants, en mesure d’effectuer un premier diagnostic pas nécessairement évident. Et le détenu malade n’est pas toujours en état de parler au téléphone pour décrire ses symptômes.

L’organisation de la permanence des soins en question Si la responsabilité des surveillants peut être interrogée dans chaque cas de figure, il ne peut être fait l’économie d’un questionnement plus général sur la permanence des soins en dehors des horaires d’ouverture de l’unité sanitaire. En France, la quasi-totalité des établissements pénitentiaires ne disposent d’aucune présence médicale ni même infirmière lorsque l’unité sanitaire est fermée la nuit voire le week-end. Dans un établissement comme la maison d’arrêt de Lille-Loos-Sequedin, le service médical est ouvert de 7 h 45 à 18 heures en semaine et de 8 heures à 14 heures le weekend. Depuis longtemps, le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) critique le système français. Il estime que « l’existence d’un simple système d’astreinte et – a fortiori – d’appel à un service d’urgence ne rend en aucun cas superfétatoire la nécessité d’une présence permanente dans des locaux pénitentiaires d’une personne en mesure de fournir les premiers soins, bénéficiant de préférence, d’une qualification reconnue d’infirmier. » Le CPT souligne « qu’une telle mesure permettrait d’assurer une intervention à la fois 3 Ministère de la Justice/Ministère de la Santé, Guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes détenues, avril 2004. Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

22

Une infirmière écoute à la porte d’une cellule, 2012.

immédiate et appropriée en cas d’urgence pour les détenus ». Il recommande « une fois de plus aux autorités françaises d’organiser, dans les établissements pénitentiaires qui ne bénéficient pas d’un système de garde médicale, la permanence d’une telle personne » 4.

La présence médicale ne règle pas tout Le centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis est l’un des rares établissements à bénéficier d’une garde médicale, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Le médecin responsable de l’unité sanitaire estime qu’avec « près de 4 000 détenus, c’est vraiment indispensable ». En termes de moyens, cela représente « deux équivalents temps plein sur les 13,4 postes alloués à l’unité 4 CPT, Rapport au gouvernement de la République française relatif à la visite effectuée en France par le CPT du 14 au 26 mai 2000, juillet 2001.


© G. Korganow pour le CGLPL

ACTU

« Le Comité européen de prévention de la torture (CPT) a recommandé plusieurs fois à la France d’organiser un système de permanence médicale dans tous ses établissements pénitentiaires »

sanitaire, un appartement de fonction mis à disposition par l’administration pénitentiaire, et un véhicule pour se déplacer à l’intérieur de l’établissement ». Selon ce médecin, il serait même souhaitable de « doubler la garde médicale par une permanence infirmière ». Une permanence qui ne dispense pas d’avoir recours au centre 15 en cas d’urgence. A Fleury, la procédure est ainsi organisée : « En cas d’urgence vitale, et en vue d’améliorer le délai d’intervention des secours, les surveillants doivent appeler d’abord le centre 15 puis le médecin de garde. Pour tout autre problème de santé, ils préviennent prioritairement le médecin de permanence. » Un tel système apporte des garanties pour les situations difficiles à évaluer, le médecin de permanence pouvant appeler le centre 15 après examen de la personne. Toutefois, souligne le médecin, « vu la taille de l’établissement, un praticien de garde peut recevoir à quelques minutes d’intervalle plusieurs appels émanant des premiers surveillants de différents bâtiments de détention. Il doit alors recevoir suffisamment de renseignements pour prioriser les appels les plus urgents. » Les médecins de garde de Fleury réalisent 450 actes d’urgence par mois. Ainsi, au delà de la nécessité de mettre en place une permanence infirmière, voire médicale, dans tous les établissements pénitentiaires, la qualité des informations transmises par le personnel de surveillance aux soignants constitue un axe fondamental d’amélioration. « L’absence d’informations précises et suffisantes fournies par le personnel pénitentiaire au service médical » est en effet une des fautes relevées par le tribunal administratif de Lille dans l’affaire du décès d’Aliou Thiam. Cet aspect ressort également d’un avis du Défenseur des droits du 18 mars 2014, concernant le décès d’une jeune femme à la maison d’arrêt pour femmes de Fleury-Mérogis. Agée de 34 ans, elle est décédée d’une crise cardiaque dans la nuit du 2 au 3 novembre 2012. Le Défenseur déplore notamment des « lacunes dans la transmission des informations entre les surveillants, les premiers surveillants et le médecin de permanence » 5. Devrait aussi être interrogée la posibilité pour les détenus, notamment lorsqu’ils souffrent de pathologies lourdes, de pouvoir appeler directement le centre 15 via un téléphone portable ou un téléphone fixe en cellule. Anne Chereul

« J’aurais peut-être fait la même chose à sa place » Eddy Conseil est décédé le 3 mars 2011 à la maison d’arrêt d’Amiens. Lors de la ronde des surveillants vers minuit, il se trouve dans un état semi-comateux et ne réagit pas à leurs appels. Ses codétenus expliquent qu’il a pris beaucoup de médicaments. Les surveillants appellent le gradé, ils entrent dans la cellule et tapotent le visage de M. Conseil, qui aurait alors bougé et se serait retourné. Ils repartent en retirant de la cellule une boîte de comprimés et en demandant aux codétenus de le surveiller. Selon un syndicaliste, il était assez habituel de voir M. Conseil dans cet état. C’est pourquoi, selon lui, les surveillants n’ont pas estimé nécessaire d’appeler le 15. Pourtant, à ce moment précis, un urgentiste de SOS-Médecins se trouvait dans l’établissement, appelé pour une autre urgence. Il n’y aurait eu qu’à le faire venir dans la cellule d’Eddy Conseil pour l’ausculter. Le lendemain matin, vers 10 heures, c’est un détenu auxiliaire qui constate la mort d’Eddy en voulant le réveiller. Suite à ce décès, trois surveillants ont été placés en garde à vue puis mis en examen pour « non assistance à personne en péril ». En juin 2013, la chambre de l’instruction a prononcé un non-lieu pour deux des personnels et un renvoi devant le tribunal correctionnel pour le surveillant gradé. Une décision qui a entraîné de vives protestations du personnel pénitentiaire. Quarante surveillants sur les 115 de la maison d’arrêt se sont mis en arrêt maladie le week-end du 16 juin 2013. « On estime qu’il n’a commis aucune faute », indique un syndicaliste. « J’aurais peut-être fait la même chose à sa place » précise-t-il, pensant que la mauvaise appréciation de son collègue « provient du fait qu’Eddy avait tendance à consommer beaucoup de médicaments et qu’on le voyait souvent dans cet état ». Pour l’avocate du surveillant gradé, la mise en examen de son client est « inadmissible ». Selon elle, il serait considéré comme « quelqu’un d’extrêmement professionnel », qui aurait « sauvé plusieurs vies en maison d’arrêt ». « Les services pénitentiaires ne sont ni médecins, ni infirmiers, ils n’ont pas connaissance des traitements ni des pathologies médicales des détenus et on leur demande aujourd’hui clairement d’être malgré tout vigilants à la santé des uns et des autres alors que ce n’est absolument pas leur travail » *, s’insurge l’avocate, qui s’est pourvue en cassation. Pour l’avocat de la famille d’Eddy Conseil au contraire, « c’est justement ce qui est reproché aux surveillants : avoir évalué eux-mêmes l’état de santé du détenu alors que cela ne relève pas de leur compétence ». * France Bleu Picardie, interview de Me Jamilah Berriah, 17 juin 2013

5 Défenseur des droits, décision du 18 mars 2014, n° MDS 2014-37. Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

23


Fresnes au parloir

«“B

ienvenue au centre pénitentiaire de

Fresnes. Vous

souhaitez joindre le parloir ou les permis de visite, tapez 1”. Je tape 1. “Vous souhaitez avoir des renseignements sur les permis de visite, tapez 1. Vous souhaitez joindre le parloir, tapez 2”. Je retape 1. “Bonjour, vous êtes en communication avec le centre pénitentiaire de Fresnes. Votre appel est en attente, veuillez ne pas quitter”, récite la mère d’un détenu. Attente. Le poste demandé ne répond pas. Retour au standard. “Composez le 1 pour un autre poste, le 9 pour la boîte vocale ou le 0 pour le standard”. Au 9, impossible de laisser un message. “Bienvenue au centre pénitentiaire de Fresnes…” Et c’est reparti ! Je raccroche. »

Comme dans la plupart des prisons, le rendez-vous pour le premier parloir doit impérativement être pris par téléphone. Et la ligne de réservation n’est ouverte que pendant deux heures, trois jours par semaine. « J’ai appelé pendant deux jours, sans arrêt. Personne au bout du fil. Le troisième jour, j’ai eu quelqu’un qui m’a dit que les permis n’étaient pas arrivés », témoigne la mère d’un détenu récemment transféré à Fresnes. « On m’a dit de téléphoner à la prison d’où il venait pour demander le transfert des permis. Au final, ça a pris une dizaine de jours pour que j’aie un parloir. » La compagne d’un autre raconte : « Un matin, j’ai pris mon fixe, mon téléphone du boulot et mon portable, pour appeler avec plusieurs téléphones en même temps. A huit heures trente, je commence. Au bout de dix minutes, ça coupe. Je rappelle. Ça sonne occupé. J’entame un double appel pour augmenter mes chances. Au bout d’une heure et demie j’ai réussi à avoir quelqu’un. » Une visiteuse aguerrie conseille : « Il faut appeler le numéro d’un autre secteur de la prison, et demander à la personne de vous transférer au service des parloirs. Ça va plus vite. » A l’issue du premier parloir, une carte est remise au visiteur, qui pourra ensuite prendre des rendez-vous pour les quinze jours suivants à la borne électronique située à l’entrée de la maison d’arrêt. Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

24

« Presque une journée pour 30 minutes de parloir » Du lundi au vendredi, les visites ont lieu à 14h ou 15 h 30, pour une durée de 45 minutes. Le samedi, les quatre sessions de parloirs sont réduites à 30 minutes, entre 9h et 15h. Entre le temps de transport, d’attente avant et après la visite, et les horaires en semaine, une compagne de détenu explique la difficulté « de concilier un emploi et le parloir. Je m’y rends en voiture, il me faut une heure mais je pars toujours en avance, au cas où il y aurait un problème sur la route. Il faut prévoir presque une journée. » Une autre prend les transports en commun avec ses deux enfants. « Trois bus différents, je mets environ une heure trente pour venir, autant pour rentrer. » Les visiteurs doivent se présenter à l’entrée 45 minutes avant le début du parloir pour les différents contrôles. Les personnes arrivées en avance peuvent attendre dans un local géré par l’association d’accueil des familles (ADFA). « C’est accessible pour mon mari handicapé, il y a une salle de jeux pour les enfants. Eau, café, gâteaux, gentillesse et conseils aux nouveaux visiteurs », raconte la mère d’un détenu. L’association fournit des informations sur la réglementation des parloirs, des sacs pour le linge, fait la monnaie pour les casiers, assure la garde des enfants, prête des vêtements ou chaussures de rechange si on sonne au portique… Mais au mois d’août, ce lieu est fermé et rien n’est prévu en remplacement.

D’attente en attente Le parcours vers les parloirs commence dans une grande salle avec des bancs et des casiers pour déposer ses affaires. « Là, l’atmosphère change », confie une mère, « beaucoup de monde, beaucoup de tensions ». En fonction des surveillants, l’accueil peut être « correct » ou « glacial ». Il faut traverser « un sas fermé avec des sortes d’hygiaphones pour parler aux surveillants qui contrôlent les sacs de linge et les pièces

© G. Korganow pour le CGLPL

Boxes de 2 m² avec muret de séparation entre détenus et visiteurs, manque d’hygiène, attente interminable, mesures de sécurité parfois absurdes… Alors que la loi prévoit depuis 2009 la généralisation des parloirs familiaux préservant l’intimité, ceux de la maison d’arrêt des hommes de Fresnes demeurent d’un autre âge.


ACTU

Couloir d’accès aux parloirs de la maison d’arrêt de Fresnes, 2012.

d’identité ». Ensuite, les visiteurs passent un par un sous le portique de détection de métaux. « Puis on attend à nouveau dans un couloir, et les familles entrent petit à petit. Les surveillants contrôlent les pièces d’identité et vous remettent le permis de visite. » Vient une seconde salle d’attente, « de 15 mètres sur 15, sans aération, avec des petites fenêtres en hauteur, d’une capacité de soixante personnes environ. Il y a énormément de gens qui parlent en même temps », dit la compagne d’un détenu. « Par les ouvertures, on ne voit que des murs. » Une autre visiteuse tempère : « C’est plus avec l’attente que j’ai du mal, c’est lourd. » A 13 h 45 la porte s’ouvre et les visiteurs accèdent au couloir menant aux trois divisions. « Il est très, très long. On a l’impression d’être dans un couloir de métro. » Une fois arrivés en division, « vers 13 h 55, ils nous enferment dans le parloir et nous attendons que les détenus arrivent ». Soit plus d’une heure après l’arrivée des visiteurs. Du côté des détenus, un ancien prisonnier de Fresnes témoigne : « Nous descendons au rez-de-chaussée, où un surveillant pointe notre arrivée et reçoit les paquets de linge sale. Il indique à chacun quel sera son numéro de cabine et l’envoie en salle d’attente, hormis les isolés et certains des travailleurs qui poireautent dans des espèces de placards vitrés très exigus. » La fin du parloir « est annoncée par un surveillant d’une voix forte, et commence l’ouverture des portes de notre côté. Les visiteurs eux, restent sur place, toujours enfermés. Les détenus ressortent, plus ou moins vite. Beaucoup essaient de grappiller quelques minutes, quelques

secondes de plus avec les leurs. » Les familles reprennent ensuite le parcours inverse jusqu’à la sortie, une demi-heure après la fin du parloir.

167 000 visiteurs à Fresnes en 2013 Inaugurée en juillet 1898, la maison d’arrêt de Fresnes vient d’entrer dans sa 116e année. Près d’un million de personnes y ont été détenues depuis son ouverture. Six mille personnes y entrent chaque année. La surpopulation y est endémique. Au 1er juillet 2014, 2 368 personnes pour 1 404 places étaient détenues dans le quartier maison d’arrêt. Ce surencombrement « pose des difficultés tant au niveau des conditions matérielles de détention (les personnes détenues peuvent être jusqu’à trois dans des cellules de 9 m²) qu’au niveau de l’accès au parloir, aux activités socioculturelles et sportives, au travail, à la formation, à l’enseignement et aux soins somatiques et psychiatriques en détention » (rapport d’activité 2013). Les visites au parloir s’y organisent tant bien que mal. En 2013, « 167 447 visiteurs » se sont rendus à Fresnes, « pour 66 979 rendez-vous au parloir. Selon les jours, ce service peut accueillir de 200 à 250 personnes venant visiter les personnes détenues » (rapport d’activité 2013).

Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

25


© DR

cabines abîmées, favorise les conditions de rencontre des personnes détenues avec leurs proches ». Un point de vue non partagé par les nombreux visiteurs qui adressent leurs plaintes à l’OIP. « En seconde division, les parloirs sont pourris. Pas d’autre mot pour décrire leur état. Ça pue l’urine de rat. Il y a des mouches énormes, la peinture s’écaille et se colle sur nous. Même un cochon doit avoir une meilleure porcherie. Ils disent qu’on peut venir à trois mais moi qui y vais avec mon fils nous n’avons pas de place, et je n’ai pas le droit de prendre des jouets pour l’aider à patienter. » Les cabines sont effectivement très petites (à peine plus de 2 m²), et scindées en deux par le muret de séparation « recouvert d’une tablette de bois, dont les cicatrices prouvent qu’elle a beaucoup vécu, et sur laquelle on peut poser les coudes quand on est assis de part et d’autre », décrit un ancien détenu. « Pour vous donner une idée de la largeur du box, si vous mettez votre épaule droite contre le mur, vous ne pouvez pas étendre complètement votre bras gauche. Vous avez tout juste la place de vous asseoir. Mon tabouret touche la porte de derrière et mes pieds sont contre le muret qui me sépare de mon mari. Lui, sa partie est encore plus petite, et comme il est grand il doit s’asseoir en biais », témoigne la femme d’un détenu. Cabine de parloir à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, où les murets de séparation sont aujourd’hui en cours de destruction.

Des parloirs minuscules, sales, avec dispositif de séparation Les parloirs se déroulent « dans des boxes avec dispositif de séparation », à savoir concrètement un muret entre la personne détenue et son visiteur. Le principe du parloir sans dispositif de séparation est pourtant la norme depuis une circulaire de… mars 1983. Une note de la direction de l’administration pénitentiaire l’a rappelé en mai 2014, ordonnant la « destruction des murets subsistant » dans certains établissements. En outre à Fresnes, « il n’y a pas de fenêtre, les parloirs ne sont ni aérés ni ventilés » (Agence régionale de santé, 2007). Le manque d’hygiène est source d’inquiétude pour nombre de visiteurs. « Le muret de séparation, je n’ai jamais vu ça, il est poisseux. Vous vous rendez compte qu’on y va avec des enfants ? » Pour la compagne d’un détenu, « les couloirs ça va, les salles d’attente c’est dégueulasse, ça sent l’humidité et le chlore, on dirait des caves ». Dans un courrier à l’OIP, un proche de détenu raconte : « L’autre jour, il y avait une fuite d’eau, ça suintait, et il y avait une dame dans le parloir du fond où le sol était inondé. Alors qu’il y avait d’autres boxes libres. » Quand les visiteurs se plaignent, l’administration leur rétorque que le ménage est fait. Et indique, dans son rapport d’activité 2013 que « l’entretien régulier par la remise en peinture des parloirs familles, plus particulière en ce qui concerne les Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

26

Jamais l’impression d’être seuls ensemble « Au parloir, c’est sonore. On entend tout et on voit ce qui se passe dans les autres cabines, à travers les portes vitrées. » Les détenus et leurs visiteurs n’ont aucune intimité, les surveillants circulant derrière les portes vitrées des cabines. « Ils s’arrêtent et regardent de gauche à droite. On a toujours l’impression qu’ils nous soupçonnent de quelque chose. » « L’autre jour, j’ai entendu une femme d’un box à côté se mettre en colère visà-vis d’un gardien qui les regardait avec insistance », raconte la mère d’un détenu. « C’est vrai qu’ils font leur boulot, mais ce n’est pas très digne, et on n’est jamais tranquilles, on n’a jamais l’impression d’être seuls ensemble. » La maison d’arrêt de Fresnes fait en effet partie des nombreuses prisons (162 sur 190) n’étant toujours pas dotées de parloirs familiaux permettant les visites à l’abri du regard d’autrui et dans des conditions respectant l’intimité. Au-delà du malaise lié à la surveillance constante, les proches de détenus se plaignent du fait que « les surveillants parlent entre eux dans les couloirs. Pendant la coupe du monde ils n’ont pas arrêté de scander des chants de foot pendant les trois quarts d’heure du parloir, on avait du mal à se concentrer. »

Des chaussures et soutiens-gorge ne passent pas le portique Les dispositifs de contrôle confinent parfois à l’absurde. « Le portique, ça sonne beaucoup trop », explique une visiteuse. « J’ai essayé plein de chaussures différentes pour trouver une paire qui ne sonne pas et les garder une fois pour toutes, mais ça sonne encore régulièrement. Et pour le soutien-gorge c’est pareil. On vous demande d’aller aux toilettes pour l’enlever.


ACTU

« En seconde division, les parloirs sont pourris. Ça pue l’urine de rat, la peinture s’écaille et se colle sur nous. Même un cochon doit avoir une meilleure porcherie » Après, il faut se promener avec son soutif à la main devant les autres, pour aller le mettre dans le casier. » Habituée du parloir, une femme évoque les fouilles policières : « Pour les familles, tous les six mois à peu près il y a une fouille avec un chien. S’il s’arrête devant vous, on vous emmène pour une fouille par palpation. » Pour les détenus, les fouilles à nu après le parloir sont source de tensions constantes, alors qu’elles ne doivent plus être systématiques depuis 2009. Dans son rapport d’activité, la direction indique que « la question des fouilles intégrales des personnes détenues a fait l’objet d’une réforme profonde » et que « depuis le 1er juillet 2013, il n’est plus procédé à des fouilles intégrales systématiques de l’ensemble des personnes détenues à l’issue des parloirs ». Pendant plus d’un an, la direction a ignoré une décision du tribunal administratif de Melun ayant déclaré illégales les pratiques de fouille à nu à Fresnes. Si la mesure semble ne plus être appliquée systématiquement, les plaintes continuent d’affluer à l’OIP : « Une seule fois en un an, avec trois parloirs par semaine, mon mari n’a pas eu de fouille à nu. »

« Dans les autres prisons, on vous autorise de grands sacs pour le linge » La question du linge revêt une importance particulière dans les propos des familles. Les visiteurs déposent le linge propre en arrivant au parloir, et récupèrent celui à laver à l’issue du parloir. Première source de récriminations : l’absence d’informations claires sur ce qui est autorisé et interdit. « Les consignes changent d’un surveillant à l’autre », explique une jeune femme, « on repart souvent avec du linge refusé. » La note d’information aux familles du règlement intérieur ne donne aucune indication sur le nombre de vêtements qu’elles peuvent déposer. Il est juste précisé que sont autorisés le linge de corps, de toilette, et des « vêtements divers : vestes, pantalons, survêtements, blousons, etc. ». « A Fleury, on vous donne une liste où est spécifiée, par type de vêtement, la quantité autorisée. Là, selon le surveillant, on me laisse entrer parfois une seule serviette, parfois trois. » Des serviettes de toilette dont la taille maximum autorisée est de 1,20 mètre à Fresnes, 1,30 m à Osny et 1,50 à Bois d’Arcy… La taille des sacs plastique pour le linge, non précisée dans le règlement intérieur, fait également l’objet de plaintes. « Dans les autres prisons, on vous autorise de grands sacs fermés pour amener du linge. Ici, ce sont des petits sacs ouverts » qui, selon le règlement intérieur, ne doivent pas « être trop remplis » afin d’éviter « la perte de linge ». « Vous ramenez quoi ? Deux pantalons, un short et une serviette, c’est tout. Et ils empilent les sacs. Difficile de se

dire que vous mettez du temps à plier les vêtements, les ranger pour qu’ils gardent l’odeur de chez vous, vous mettez du parfum, puis vous voyez les surveillants tout déballer, fouiller et remettre tout n’importe comment dans le sac. Le détenu les récupère comme si c’était du linge sale. Et si les sacs se renversent, les fringues peuvent se retrouver chez un autre. A Fleury, vous signez la liste des vêtements, et le détenu également », raconte la compagne d’un détenu. « Ici, rien. » François Bès

La DAP somme les directeurs d’appliquer l’interdiction des murets aux parloirs D’une hauteur de 80 cm environ, ils se dressent entre le détenu et son visiteur. Les murets sont pourtant interdits dans les parloirs des prisons depuis une circulaire de mars 1983. Leur existence est « en contradiction avec l’article R.57-8-12 du code de procédure pénale » pris en application de la loi pénitentiaire de 2009, rappelle la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) dans une note de mai 2014. Et de citer une circulaire de février 2012, indiquant que « les visites se déroulent dans un parloir qui ne doit comporter aucun dispositif de séparation » et que « les personnes visitées doivent pouvoir, par exemple, étreindre leurs visiteurs ». Des textes de 1983, 2009 et 2012… qui ne sont toujours pas appliqués dans l’ensemble des prisons. A Tours, Boisd’Arcy ou Fresnes, la destruction des murets n’a jamais eu lieu. Ces dispositifs de séparation ont même été mis en place dans des établissements construits après la circulaire de 1983 : par exemple Laon et Bapaume (1990), Toulouse-Seysses (2003) ou Lille-Sequedin (2007). Dans sa nouvelle note, la DAP somme les directeurs « d’assurer sans délai le respect des dispositions réglementaires, soit en détruisant les dispositifs de séparation », soit « si la destruction n’est pas possible rapidement pour des raisons d’ordre architectural », en autorisant « que ces murets soient franchis ». Elle répond ainsi à une source d’incidents récurrents : il arrive que détenus ou visiteurs enjambent le muret, ou s’assoient dessus. Si une certaine tolérance des surveillants est parfois observée, ce n’est pas toujours le cas. Familles ou détenus se plaignent parfois de rappels à l’ordre, voire de poursuites disciplinaires et de suspensions de permis de visite en cas de franchissement du muret. La logique voudrait d’ailleurs que ces procédures ou suspensions de permis soient annulées, à l’heure où la DAP rappelle l’importance du maintien des liens familiaux, un « droit pour toutes les personnes détenues réaffirmé par la loi de 2009 ». Note DAP du 21 mai 2014, « Destruction ou autorisation du franchissement des murets subsistant dans les parloirs » Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

27


Baumettes :

les liens familiaux en dépôt de bilan

Entrée des visiteurs de la maison d’arrêt des Baumettes, 2014.

Une baisse importante de ses subventions risque de conduire le Centre d’accueil des Baumettes au dépôt de bilan, si aucune solution financière n’est trouvée avant le 14 octobre 2014. Depuis plus de 15 ans, cette association assure une mission d’accueil, d’écoute et de soutien des familles et proches de détenus.

4

septembre 2014 : le président du Centre d’accueil des

Baumettes (CAB), Robert Bret, expose à son conseil d’administration la situation financière alarmante de l’association. La diminution drastique des subventions le contraint à convoquer une assemblée générale extraordinaire le 14 octobre. A l’ordre du jour, la dissolution du CAB. Les administrateurs votent le licenciement économique d’Araxie Gagachian, salariée du centre d’accueil, et la résiliation du bail du bureau de l’association. En avril dernier, le CAB avait déjà dû se séparer de son local d’accueil et licencier Mathieu Candaele, son autre salarié. Celui-ci ne comprend toujours pas « comment on a pu laisser péricliter une association agissant auprès d’un des plus grands établissements pénitentiaires de France » – 1 932 détenus au 1er juillet 2014. Selon lui, l’administration pénitentiaire « ne mesurait pas l’impact d’une telle décision et sous-estimait [leur] action ». L’ancien sénateur Robert Bret précise que la baisse des financements provient principalement des collectivités territoriales, dans le cadre d’une « politique

Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

28

nationale de réduction des dépenses publiques depuis deuxtrois ans, notamment en matière de politique de la ville ». Mais il regrette que le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) ait lui aussi réduit sa subvention.

Deux associations d’aide aux familles dans moins de 20 m2 Le CAB a été créé en juillet 1990 par un groupe de magistrats, d’intervenants en prison et de militants associatifs. Il a pour objet de « développer pendant l’incarcération toutes initiatives visant à faciliter le maintien des liens familiaux ainsi que la dignité et l’autonomie des proches des personnes incarcérées ». L’ouverture de l’accueil famille remonte à mars 1999, avec le recrutement d’Araxie Gagachian. L’association a développé son action grâce aux subventions du SPIP, de la préfecture des Bouches-du-Rhône, de la ville de Marseille et des conseils général et régional. « Nous y accueillions les proches des détenus en attente de parloirs. Il y avait des espaces pour s’asseoir, pour manger, des facilités pour les bébés (chauffebiberon, table à langer), un coin jeux pour les enfants, de la lecture pour les familles, une machine à café et des sanitaires », raconte-t-elle. Les personnes n’habitant pas à proximité du centre pénitentiaire préfèrent en effet arriver avec une à deux heures d’avance. Une mère de famille raconte que « même arrivée de bonne heure par peur de rater le parloir, nous avons la maison familiale qui nous accueille tous les jours et nous donne un peu de chaleur humaine, c’est une équipe formidable ! 1 » 1 « Moi, mère de deux détenus », témoignage sur le site internet du CAB, www.cabaumettes.org


© Louise Fessard

Vers des accueils sous contrôle pénitentiaire ?

© Louise Fessard

Pour pallier à la fermeture de ce local d’accueil, l’administration pénitentiaire a proposé au CAB de partager avec l’Association des parents de détenus (APD) un espace de moins de 20 m2, situé à l’entrée de la prison. Depuis le 1er août, Araxie Gagachian et les membres du CAB y interviennent de 7 h 45 à 12 h 15 et sont relayés par les bénévoles de l’APD de 12 h 15 jusqu’à 15 h Dans cet espace réduit « il n’y a plus rien de semblable au précédent lieu d’accueil, hormis quelques chaises et deux bornes de réservation des parloirs », déplore l’employée du CAB. Jacqueline Seimpère, présidente de l’APD, tempère : « Pour mon équipe, ça ne change pas grand-chose à nos permanences tous les après-midi. Pour moi, qui suis à l’APD depuis 23 ans, le cœur de l’action se trouve près de l’entrée des parloirs familles. » Elle ajoute cependant que « si le CAB ferme définitivement, il n’y aura plus personne le matin pour accueillir les familles ». Et Araxie Gagachian de confirmer « qu’il n’y aura ni personnel pénitentiaire ni prestataire privé » en remplacement.

Entrée du Centre d’accueil des Baumettes pour les familles et proches de détenus, menacé de fermeture totale

Dans les établissements pénitentiaires en gestion déléguée, l’accueil-famille est désormais confié aux prestataires privés, en totalité ou en partage avec les associations. Une convention précise alors le champ d’intervention de chacun. A l’association revient « l’accueil et l’écoute des proches de personnes détenues, dans le respect des personnes, de leur besoin de dialogue ou d’isolement, dans un climat de confiance et de neutralité », indique Jeannette Favre, présidente de l’Union nationale des associations de maisons d’accueil (UFRAMA). Le prestataire privé intervient essentiellement sur des tâches matérielles, « sous l’autorité, le contrôle et l’évaluation de la Direction de l’administration pénitentiaire et de ses services déconcentrés ». Aux Baumettes, dont l’Etat reste le gestionnaire direct, une telle option est prévue pour 2017, date de l’ouverture prévue de la prison « Baumettes 2 ». Araxie Gagachian explique le besoin de locaux indépendants, où l’intimité est respectée : « Ce matin, [dans le local prêté par l’administration] une personne était en crise parce qu’elle venait d’apprendre que son permis de visite était suspendu. Elle a mis plus d’une heure et demie pour se calmer, dans un local qui ressemble à un hall de gare avec beaucoup de passage, alors qu’au CAB on aurait eu la possibilité de traiter cela à l’abri de tout le monde. En fait, on ne pourra plus proposer ce service d’écoute et de soutien. » Alors que de nombreuses familles sont très perturbées par l’incarcération de leur proche, le CAB a noué un partenariat avec une association de psychologues, psychiatres et pédopsychiatres vers lesquels il oriente des personnes accueillies, « quand une famille craque, quand on sent qu’il y a des problèmes ou que ça devient de plus en plus compliqué avec les enfants », précise Robert Bret.

sature parce qu’il n’y a qu’un seul agent pénitentiaire présent, en expliquant longuement l’origine du problème, on arrive à apaiser en partie la colère des familles », raconte Mathieu Candaele. Nadine, une proche de détenu, témoigne de cette difficulté à réserver un parloir dans cette prison surpeuplée : « C’est l’enfer, on y passe des journées entières, il m’est arrivé de recharger mon téléphone portable deux fois sans pouvoir les joindre ! 2 » Se pose également la question des familles étrangères qui ne parlent pas le français. Le président du CAB explique qu’il est très compliqué pour des étrangers d’obtenir un permis de visite, il faut souvent passer par les consulats des pays concernés pour récupérer des documents, « alors qu’une famille française se voit remettre un formulaire avec toutes les pièces à fournir et réglera beaucoup plus rapidement la question ». Araxie Gagachian parle l’anglais, l’allemand, l’italien, l’espagnol et quelques mots d’arabe. Elle se souvient d’une jeune fille écossaise dont le petit ami était incarcéré aux Baumettes : « On a fait beaucoup de choses pour elle, je lui ai trouvé un hébergement, on les a aidés à obtenir des doubles parloirs et je l’ai longuement soutenue le jour où elle a appris le suicide de compagnon. » Et Mathieu Candaele d’ajouter : « Si le CAB disparaît, si les conditions d’un véritable accueil n’existent plus, quelles conséquences devrons-nous affronter face à ce déferlement de souffrances qui ne trouvera plus de cadre dans lequel être contenu ? » Pour l’heure, une pétition « Sauvons le Centre d’accueil des Baumettes », adressée à la garde des Sceaux, circule sur internet 3. Les responsables du CAB gardent encore l’espoir d’une solution financière, qui doit être trouvée avant le mois d’octobre. A défaut, l’accueil des familles fermera définitivement ses portes.

Les conditions d’un « véritable accueil »

Amid Khallouf

Les membres des accueils-familles jouent également un rôle important d’information et de relais avec l’administration pénitentiaire. « Par exemple, quand la réservation téléphonique

2 Louise Fessard, « Aux Baumettes, les familles de détenus se retrouvent sur le trottoir », www.mediapart.fr, 6 sept. 2014 3 http://www.mesopinions.com/petition/justice/sauvons-centre-accueilbaumettes/12686 Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

29


Saintes

Pétition de détenus contre les conditions d’hygiène : les inspections se succèdent fromage, glace), dont des « boites d’œufs périmées depuis deux semaines ». A noter que l’établissement se félicitait, début 2013, d’avoir « le coût alimentaire journalier par personne détenue le plus bas depuis cinq ans » ! La pétition signale enfin des conditions aggravées par le chantier en cours au sein de l’établissement, des travaux de rénovation et de mise en conformité ayant été engagés suite à la décision de non fermeture de la maison d’arrêt. « Marteau piqueur à 8 heures du matin, poussière et odeurs pestilentielles, les rats viennent manger au bord des fenêtres, nous dormons avec les fenêtres fermées quand les carreaux ne sont pas cassés. » Saisie par l’OIP, l’Agence régionale de santé (ARS) de Poitou-Charentes a diligenté une inspection sanitaire le 14 août. Quatre jours après sa visite, l’ARS confirmait à l’OIP que « les éléments fournis dans la saisine sont réels » bien « qu’aucun risque majeur n’ait été relevé ». Dans un courrier du 18 août destiné à l’établissement,

elle préconise « des mesures à mettre en œuvre très rapidement » dans l’attente de son rapport final : détartrage et entretien des douches, « supervisés par l’équipe opérationnelle d’hygiène du centre hospitalier » ; « mise à disposition de bouchons d’oreilles individuels » et de masques pour limiter l’exposition au bruit et aux poussières du chantier… Une dizaine de jours avant, la maison d’arrêt avait accueilli une autre inspection, celle de la direction de l’administration pénitentiaire, visant notamment les problèmes entre surveillants et détenus, eux aussi dénoncés dans la pétition : « violences verbales, abus et humiliations publiques sont notre lot quotidien. » Le rapport de l’inspection des services pénitentiaires restera néanmoins confidentiel. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a pour sa part visité l’établissement en avril 2013, suite à de nombreuses saisines de familles. Mais son rapport n’a pas encore été rendu public. OIP, coordination Sud-Ouest

© Olivier Aubert

Aliments périmés, douches froides ou bouillantes, rats sous les fenêtres… L’hygiène et la salubrité de la maison d’arrêt de Saintes, dénoncée dans une pétition de détenus le 3 juillet, déclenche une série d’inspections. Les vingt-deux signataires évoquent des douches qui fonctionnent mal, où l’eau coule seulement trois fois par semaine, « complètement froide ou complètement bouillante », sans pression ou « de couleur rouge » quand la pression revient, en raison de travaux sur les canalisations. Côté alimentation, sont signalés des « repas servis froids, dans des plateaux toujours très sales ». La direction départementale de la protection de populations (sécurité alimentaire) avait déjà souligné ce point, lors d’une visite le 12 mai : « La vétusté des plateaux dédiés à l’entreposage des repas […] ne semblait pas permettre la conservation des mets à des températures adéquates. » Les détenus s’alarment aussi de l’utilisation ou la vente en cantine de denrées périmées (beurre,

Un surveillant accompagne le détenu « auxiliaire » chargé de la distribution du pain dans les cellules. Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

30

de facto


© Olivier Aubert

de facto

Distribution des repas dans une maison d’arrêt.

Le Havre

Non assistance à personne en danger : trois agents pénitentiaires condamnés Centre pénitentiaire du Havre, 14 avril 2011. Mansour Konte, 22 ans, est au quartier disciplinaire (QD), depuis la veille, après avoir « posé de nombreux problèmes de comportement, notamment insulté des surveillants ». La Cour d’appel de Rouen, dans un arrêt du 17 avril 2014, raconte sa matinée : peu après huit heures, après avoir refusé son petit déjeuner et « fait savoir par l’interphone qu’il n’était pas bien », Mansour retire le bas du pyjama en papier « antisuicide » qui lui a été passé de force la veille. Il l’enroule autour de son cou, s’accroche au grillage du sas de sa cellule, un pied sur la cuvette des WC, l’autre à terre. A 8 h 20, il fixe « d’un regard dur » les surveillants qui jettent un œil depuis la porte… et poursuivent leur ronde. Deux fois, à cinq minutes d’intervalle, les surveillants reviennent, regardent « soit à l’œilleton, soit à l’entrée du sas », et repartent. Mansour est toujours dans la même « posture dangereuse en ellemême ». A leur troisième passage, il est pendu. Ils ne parviendront pas à le

ranimer. Seize minutes se sont écoulées entre leur première ronde et celle où ils le trouvent inanimé. Durant ce laps de temps, « il n’y a eu de la part des surveillants aucune tentative de dialogue avec le détenu, alors qu’un tel contact pouvait se mettre en place sans aucun danger pour eux ». Les caméras de vidéosurveillance ont été nécessaires pour établir cette chronologie, les prévenus ayant fait preuve « d’une certaine mauvaise foi dans [leurs] déclarations ». En première instance, le tribunal avait prononcé la relaxe (jugement du 13 mars 2013), suivant les arguments des surveillants : ils se disaient convaincus que M. Konte simulait, pour obtenir son départ du QD. La non-assistance ne pouvait être retenue, puisqu’ils l’avaient décroché et avaient appelé les secours en le trouvant pendu. La Cour d’appel n’a pas suivi. « La situation de péril imminent ne pouvait qu’être connue des trois prévenus », estime-t-elle. « Tout d’abord, les faits se déroulent au sein du quartier disciplinaire, qui

accueille les détenus les plus difficiles, en crise et notamment qui auraient manifesté des tendances suicidaires ». Par ailleurs, Mansour Konte « était repéré comme un détenu difficile qui avait fait déjà l’objet de nombreuses hospitalisations d’office et de plusieurs rapports d’incidents. Il était aussi signalé pour risques suicidaires. » Une situation « que n’ignoraient pas les trois surveillants ». L’un d’eux, déjà de service la veille au soir, avait surpris le détenu en train de préparer « ce qui avait été considéré comme une tentative de pendaison » et l’avait « sans hésitation » dissuadé de poursuivre cette action. « Alors que tous les clignotants étaient au rouge et que l’expérience comme le devoir professionnels commandaient une intervention immédiate, […] il a été décidé sciemment de ne pas [la] mettre en place », tranche la Cour d’appel. La responsable de l’équipe écope d’un an d’emprisonnement avec sursis, ses deux collègues de huit mois avec sursis. OIP, Coordination Nord

Liancourt

En conflit avec le médecin, un détenu arrête sa bithérapie Incarcéré en 2011, Malo, 47 ans, vit avec le VIH et l’hépatite C depuis 1990. Il observe des habitudes alimentaires

et d’hygiène corporelle lui permettant de mieux supporter son traitement de bithérapie. Mais l’équipe médicale du

centre pénitentiaire de Liancourt, où il a été transféré en février dernier, n’entend pas lui permettre de continuer à suivre Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

31


le même régime. D’où un conflit avec le médecin de l’unité sanitaire, contre lequel Malo s’est emporté au mois de mai dernier. Le soignant a porté plainte. Depuis, Malo ne prend plus ses médicaments et n’accepte plus de consultation, mettant sa santé en péril. Il réclame son transfert, dans l’espoir de renouer le dialogue avec une autre équipe médicale. Première source de conflit, la suppression du régime hypercalorique et des compléments alimentaires dont il a bénéficié dans les précédentes prisons : le médecin de Liancourt estime que « sa maladie ne le justifie pas ». Un confrère ayant suivi Malo reconnaît que ces apports n’ont rien d’obligatoire, mais peuvent se justifier « pour créer ou maintenir le lien thérapeutique » et parce que « les traitements contre le VIH entraînent souvent des troubles de l’appétit ». Privé de son régime, Malo s’est plaint d’avoir « du mal

à prendre sa bithérapie » et de souffrir de diarrhées. Il dit ne pas manger à sa faim, n’ayant pas assez d’argent pour « améliorer la gamelle ». Et être passé de 87 à 76 kg. Le médecin de Liancourt conteste ce problème de poids, mais reconnaît n’avoir pas vérifié dans le dossier médical et ne pas connaître la teneur calorique des repas distribués. Second motif de conflit : Malo avait obtenu, certificat médical à l’appui, une dérogation à un arrêté de 2011 prohibant la remise au parloir de produits d’hygiène. Cette possibilité lui est désormais refusée. Le responsable de l’unité sanitaire l’explique par « la responsabilité des médecins » dans la lutte contre l’entrée de « drogue ou autres produits interdits ». Estimant que Malo ne souffre « pas de problème dermatologique », l’unité sanitaire lui a fourni d’autres produits, qu’il ne trouve pas adaptés. Une amie

venue au parloir décrit des « plaques violacées qui le démangent » et des « ampoules sous la voûte plantaire ». Malo s’est enfin battu contre les conditions peu hygiéniques de distribution de son traitement, déposé en son absence dans une enveloppe kraft à même le sol. Alertée par l’OIP, l’unité sanitaire a confirmé et annoncé que l’infirmière remet désormais les médicaments en main propre. Autant de difficultés qui illustrent la méconnaissance des recommandations du rapport Morlat de 2013 sur la prise en charge des personnes vivant avec le VIH : « la réussite thérapeutique est en partie dépendante [des] conditions de vie et de [la] situation sociale » du patient, « la prise en charge doit donc dépasser les seuls aspects biomédicaux pour prendre en compte l’individu dans sa globalité ». OIP, coordination Nord

Quartier disciplinaire : toujours pas d’urgence à suspendre une sanction illégale pour le Conseil d’État Une sanction de quartier disciplinaire illégale peut continuer de s’appliquer. Telle est la position du Conseil d’État, qui estime que « la modification temporaire du régime de détention qui résulte du placement en cellule disciplinaire » ne constitue pas, à elle seule, une situation d’urgence qui justifie qu’il soit mis fin à cette sanction, quand bien même celleci serait illégale. La Haute juridiction vient de le rappeler dans une décision du 13 août 2014, cassant une ordonnance du tribunal administratif de Poitiers (CE, ord., 13 août 2014, n°383588). Dans cette affaire, M. D. s’était vu sanctionner de 20 jours de placement en cellule disciplinaire pour avoir incité une autre personne détenue à commettre des violences physiques à l’encontre d’un codétenu durant une promenade. Saisi en urgence, le juge des référés de Poitiers avait relevé qu’aucun élément du dossier ne confirmait la réalité de

Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

32

ces faits. Et M. D., extrait de sa cellule disciplinaire pour assister à l’audience sur demande du juge, persistait à nier ce qui lui était reproché. En l’absence d’élément apporté par l’administration, le juge des référés avait alors estimé que cette décision présentait « un caractère abusif » et que, compte tenu de « l’importance de ses effets sur la situation d’un détenu », un placement en cellule disciplinaire portait atteinte au respect de la dignité et des droits de la personne lorsqu’il n’était pas justifié. Le juge avait donc enjoint à l’administration pénitentiaire de mettre immédiatement fin au placement en cellule disciplinaire de M. D. (TA Poitiers, ord. 28 juillet 2014, n°1402202). C’était sans compter sur l’intervention du Conseil d’État qui a cassé cette ordonnance. Selon sa jurisprudence traditionnelle, seules des circonstances particulières liées à l’état de santé ou aux conditions

de détention du requérant peuvent justifier qu’il soit mis fin en urgence à une sanction de quartier disciplinaire. Une position contraire à celle de la Cour européenne des droits de l’homme. Elle considère qu’en vertu de l’article 13 relatif au droit à un recours effectif et « compte tenu de l’importance des répercussions d’une détention en cellule disciplinaire, un recours effectif permettant au détenu de contester aussi bien la forme que le fond, et donc les motifs et les modalités d’exécution, d’une telle mesure devant une instance juridictionnelle (…) avant la fin de l’exécution de sa sanction » s’impose (Cour EDH, 10 novembre 2011, Plathey c./France, n°48337/09). Gageons que le Conseil d’État n’attende pas que la France soit une nouvelle fois condamnée par le juge européen pour infléchir enfin sa position sur cette question. OIP

de facto


ils sont nous L’impact de l’incarcération dans une trajectoire de vie, cela concerne aussi les proches des détenus. Après les témoignages d’anciens prisonniers, l’OIP recueille la parole de pères, mères, frères, sœurs et amis qui ont connu la prison à travers la détention d’un proche.

« Pour les familles, la violence c’est de ne pas savoir comment la prison fonctionne » A 30 ans, la fille adoptive de Philippe vient de passer quatre mois à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. Il découvre la violence de la prison et le manque d’informations à l’attention des proches des détenus.

Comment avez-vous appris que votre fille avait été arrêtée ? Par un appel du commissariat m’informant de sa garde à vue. Un contrôle d’identité avait mal tourné. Elle avait proféré des injures et craché sur la policière. J’ai rappelé le commissariat le soir pour prendre des nouvelles et signaler sa propension à l’auto-agression. « Il n’y a aucun problème, on gère. » Quand j’ai rappelé deux heures après, elle était à l’hôpital parce qu’elle avait avalé du shit. Le service des urgences a été très réticent à me donner des informations sur son état de santé. Le lendemain, j’ai téléphoné à nouveau au commissariat pour demander combien de temps la garde à vue allait encore durer, et leur ai dit de prendre des précautions, qu’ils lui enlèvent ses lacets de chaussures. J’ai appris plus tard qu’ils les lui avaient laissés, et qu’elle s’en était servie. Quand j’ai réussi à avoir l’avocate au téléphone, elle m’a dit de venir à Bobigny (j’habite au Mans), et d’apporter certains papiers. En arrivant au tribunal, j’ai appris que l’audience était reportée car ma fille avait eu une condamnation avec sursis il y a quelques années, et que le tribunal ne retrouvait pas son dossier. L’avocate m’a alors annoncé que ma fille était à FleuryMérogis, ça m’a fait un choc. Comment s’est déroulé le procès ? L’affaire a été jugée peu de temps après. L’avocat de la police était très emphatique : « Cette malheureuse policière sur qui on a craché, vous rendez-vous compte qu’elle peut attraper le sida ? » La procureure a trouvé pour sa part que ma fille n’avait pas un comportement suffisamment contrit. La présidente

était plus bienveillante, mais j’ai trouvé sévère la condamnation à trois mois fermes. Comme il y avait cette autre peine avec sursis prononcée il y a cinq ans, la nouvelle peine ferme ne pouvait pas être aménagée. On n’est jamais préparé à ce genre de situation : on se retrouve comme dans les séries télévisées avec sa fille derrière un box vitré, les mains attachées dans le dos, face à un public venu pour d’autres affaires. C’est normal que la justice soit publique, mais c’est un peu compliqué à vivre. J’ai pu lui parler un peu à la fin, puis elle est retournée en maison d’arrêt. Est-ce que vous avez pu lui rendre visite en prison ? L’avocate m’a dit que je devais demander un permis de visite, ce que j’ai fait le lendemain en envoyant les papiers. Mais je n’ai pas reçu de réponse. C’était vers le 18 septembre et ma première visite au parloir a eu lieu le 19 octobre. Je pensais tout bêtement que le permis me serait envoyé par la poste. Absolument pas. Il est transmis à l’établissement pénitentiaire et il faut s’y rendre. Pendant le premier mois, nous n’avons eu de contact que par courrier. Sachant qu’une lettre met quatre jours à l’aller et quatre jours au retour. Comment s’est passée votre première visite au parloir ? J’ai découvert tout un rituel. Avant d’entrer dans la prison, on doit déposer son téléphone et son chargeur dans un bâtiment séparé, une sorte de préfabriqué. Un agent pénitentiaire vient, un quart d’heure avant, ouvrir la porte pour qu’on puisse avoir accès aux casiers. C’est tout. Ce n’est pas comme à la maison d’arrêt des hommes où il y a un grand local pour les familles, avec une association et des personnels pénitentiaires qui vous Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

33


ils sont nous renseignent. Là, on n’a aucun interlocuteur, c’est comme si les personnels ne nous voyaient pas. Puis, on attend pour entrer un par un. On dépose ses affaires sur le tapis roulant avant de passer sous le portique. Il faut enlever la ceinture qui sonne, les lunettes qui sonnent, les chaussures qui sonnent, la montre qui sonne… Ensuite, on franchit un premier sas. On va chercher sa carte et son permis de visite. Dans un casier, il faut déposer ses autres affaires, comme ses clefs de voiture ou sa veste car on doit rester en pull. Parfois, il y a des vols dans les casiers. Ensuite, on accède à une petite salle, on passe de nouveau sous un portique, qui sonne davantage que celui du bas. Et on attend encore dans une pièce, jusqu’à ce qu’on soit autorisé à entrer les uns après les autres dans un boxe de parloir. La visite est censée être à 13 h 15, mais on ne passe jamais avant 13 h 30, voire au-delà. Les parloirs, ce sont quatre murs dont deux vitrés pour la surveillance, et un muret de séparation en pierre entre le visiteur et la personne détenue. A ma première visite, ma fille ne m’a pas paru trop abîmée. Ça s’est dégradé par la suite. On n’a droit qu’à une demi-heure de visite. C’est un moment pas facile à gérer. Ma fille a tendance à parler beaucoup et si je l’interromps, elle se fâche. Les petites choses notées sur mes tickets de métro et dont il fallait que je lui parle, des problèmes à régler, c’était difficile de les aborder. Comment votre fille a-t-elle vécu sa détention ? Dans un premier temps, elle a partagé sa cellule et ça ne s’est pas bien passé. Je ne peux dire que ce qu’elle m’en a dit. Elle a la phobie de la saleté. Elle a dû commencer à emprunter l’éponge de l’autre détenue à laquelle ça n’a pas plu. Du coup, elle a été rapidement mise en cellule individuelle. Elle me disait peu de choses sur son quotidien. Sauf sur les cantines [produits que les détenus peuvent acheter]. Dès le début, il y a eu des problèmes de cigarettes. Elle disait les commander et ne pas les recevoir. Comme il y a addiction, la privation de tabac cause un malaise, des troubles. Et puis il y a un négoce un peu malsain avec les autres détenues qui, voyant qu’elles ont affaire à quelqu’un de fragile, se « saisissent » de la situation. Ma fille a toujours été fragile. Pendant toute sa détention, elle a eu des gestes d’auto-agression. Et ce n’est jamais par l’administration que je l’apprenais. Je le découvrais au parloir, quand elle me montrait les traces. Personne d’autre ne m’en a parlé. A deux reprises, elle a été emmenée à l’hôpital. J’ai téléphoné là-bas, mais on ne voulait rien me dire. La deuxième fois, c’est l’avocate qui a demandé son hospitalisation, parce qu’elle devait comparaître en commission de discipline et qu’elle était comme une zombie. Pour l’administration, c’était normal, banal, ils pensaient que la commission pouvait se tenir. Elle avait avalé des médicaments. J’ignore comment elle les a eus, si c’est son traitement ou si ce sont des échanges entre détenues. Il y a beaucoup de choses en principe interdites dans la maison d’arrêt, mais en réalité, c’est Carrefour-Market à l’intérieur.

Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

34

Une borne informatique pour la prise de rendez-vous aux parloirs, Baumettes, 2014.

Un jour, elle a oublié un morceau de shit dans sa chaussette, d’où son passage en commission de discipline. Comme je suis la seule personne à lui rendre visite, ils m’ont soupçonné de lui avoir apporté le shit ! Et j’ai eu le droit à un traitement privilégié : vider mes poches, ouvrir ma bouche… Quelles ont été vos relations avec le personnel pénitentiaire ? L’expression « aimable comme une porte de prison » a pris tout son sens. Les personnels n’ont aucun échange avec les visiteurs. On ne me parlait quasiment pas. On ne m’a dit « Monsieur » qu’au bout de la 20e visite. Un parent a essayé au jour de l’an de dire « bonne année », et en retour il a eu le masque. Un jour, nous avons eu une surveillance particulièrement tenace au parloir. Les surveillantes sont restées la quasi totalité du temps chacune de leur côté derrière les vitres. Ma fille s’est mise en colère, elle leur a dit de ne pas rester là. Ils s’y sont mis à quatre pour la sortir du parloir. Et seulement à cette occasion, la surveillante m’a parlé : « De toute façon elle vous manipule, pour la punir vous ne devriez pas venir la prochaine fois au parloir ». Ensuite, nous avons eu des parloirs avec hygiaphone. Il m’est arrivé une fois d’avoir du retard : le train s’était arrêté entre deux gares et nous avons dû descendre. J’appelle le service parloir pour les prévenir que je ne pourrai pas être là à 13 h 15, je souhaiterais celui de 14 heures. « Pour changer


« Je pensais tout bêtement que le permis de visite me serait envoyé par la poste. Absolument pas. Il est transmis à l’établissement pénitentiaire et il faut s’y rendre. » le RER à 4,20 euros. En tout, plus de 80 euros à chaque visite. J’ai été contraint de demander un échéancier pour payer mes impôts. Aujourd’hui, les variables d’ajustement de mon budget sont très limitées. J’aurais pu réduire à un parloir par semaine, mais compte tenu de son état psychologique, il m’a semblé impératif de la voir davantage.

© Louise Fessard

La sortie de prison de votre fille a-t-elle été préparée ?

d’horaire, il fallait appeler hier. » J’ai dit : « Hier, je ne savais pas que le train serait en panne. » Une autre fois, un imprévu m’a empêché de venir : comme je n’arrivais à joindre le service parloir, j’ai appelé le Spip [Service d’insertion et de probation] pour qu’ils préviennent ma fille. On m’a répondu : « Mais ce n’est pas à moi de faire ça. » Il est très difficile d’obtenir des informations. Vous téléphonez, on ne vous passe personne. Pour avoir le service des parloirs, il faut au moins une demi-heure. Une fois sur deux, la borne qui permet de réserver des parloirs sur place ne fonctionne pas, vous devez recommencer dix fois. L’absence d’information est très difficile à vivre. D’autres aspects de la vie en prison vous ont-ils surpris ? J’ignorais que la prison avait un tel coût. Parce qu’on nous rebat les oreilles sur la télé à écran plat que les prisonniers regardent en cellule. Soit, mais ils la payent. Je devais envoyer des virements à ma fille, environ 50 euros par semaine, quelques fois plus. Cet argent mettait quatre ou cinq jours à être disponible. J’ignore à quoi ma fille l’utilisait exactement, à part à l’achat de cigarettes fantômes. Elle était aussi obligée d’acheter les produits d’entretien, les produits de toilette, de la nourriture, une plaque chauffante… Le coût des visites est aussi énorme. Le billet de train à 40 euros, puis le carnet de tickets de métro à 13,70 euros, puis

Elle devait sortir un lundi. Tout était prévu depuis le vendredi. J’avais dormi à côté de la prison pour pouvoir m’y présenter à 8 heures. J’arrive donc sur place pour la chercher et là on me dit : « Non, elle ne figure pas sur la liste des sortantes. » J’attends jusqu’à 10 heures pour avoir un interlocuteur qui m’explique qu’une autre peine est tombée. C’était l’ancien sursis qui venait juste d’être mis à exécution. J’ai dit : « Il est tombé pendant le week-end ? » Nous n’avions eu aucune information. Le choc a été assez violent. Aussi sec, ma fille s’est entaillé les veines. Et je n’ai pas pu la voir, je n’avais pas réservé de parloir ce jour-là puisqu’elle devait sortir. A présent, sa peine va être aménagée, avec un bracelet électronique, puis une conditionnelle. Elle doit sortir dans deux jours et la seule information dont je dispose, ce sont les heures auxquelles elle ne peut pas sortir de la maison. Le bracelet électronique doit être de courte durée, ensuite elle bascule sur la libération conditionnelle, je ne sais pas bien avec quelles contraintes, je crois qu’elle a une obligation d’hébergement, de travail et de soins. Il a fallu que je trouve quelqu’un qui accepte, sans la connaître, de signer une promesse d’embauche. Ce n’est pas du tout évident aujourd’hui. Et puis un certificat médical d’un psy, qui a consenti à la voir quand elle sortira, au moins pour l’orienter vers un spécialiste. La CPIP [Conseillère d’insertion et de probation] a toujours déploré que je sois le seul à être en contact avec elle, ma fille ne l’ayant pas sollicitée. Je me dis qu’étant donné les problèmes de ma fille, la CPIP aurait pu faire une démarche. Comprendre le système des réductions de peine et des aménagements, c’est très compliqué et on n’est pas aidés. La prison c’est déstructurant et violent, ça laisse des traces. Pour les détenus, la violence est dans l’enfermement, qui n’est pas que la privation de circuler librement. Il y a tout un ensemble de petites maltraitances banales de la part de l’administration et aussi des violences de la part des autres détenus. La violence pour les familles, c’est de ne pas savoir comment tout cela fonctionne. Je touche du bois, j’espère que c’est sa première et sa dernière incarcération. François Bès et Sarah Dindo Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

35


ils sont nous

« J’ai eu l’impression d’être en prison avec mon frère » Julien, a été incarcéré au centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse à l’automne 2010. Un chamboulement dans la vie de sa sœur Lena, qui s’est consacrée à aider son frère de 25 ans et à gérer son entreprise pendant ses trois ans et demi de prison. Comment viviez-vous avec votre frère avant son incarcération ? Ma mère, Julien et moi, on vivait tous les trois ensemble dans un appartement, et on avait tous un travail. Mais mon frère s’est souvent retrouvé au chômage, après un licenciement économique ou la fin de petits contrats. C’est pour cette raison qu’il avait décidé de créer sa petite entreprise de livraison un peu avant son arrestation.

Comment avez-vous appris l’arrestation de votre frère ? Avez-vous été surprise ? Oui, beaucoup. Il avait déjà eu des problèmes avant, mais ça n’avait rien à voir, c’était pour des petites choses. Un dimanche soir, il est sorti et on s’est rendu compte qu’il n’était toujours pas rentré le lundi matin, alors qu’il commençait son travail à 6 heures. On s’est inquiétées, il ne répondait pas au téléphone. On a donc appelé les hôpitaux et la gendarmerie. C’est un gendarme qui nous a dit qu’il avait été arrêté. Il s’est fait prendre en flagrant délit avec 800 g de stupéfiants. Nous n’étions pas du tout au courant qu’il trafiquait. Ils l’ont placé en garde à vue 72 heures et après il est parti à la prison de Bourgen-Bresse. Il y est resté jusqu’au jour du jugement, pour y être de nouveau incarcéré après sa condamnation. Comment s’est déroulé le procès ? Il y avait beaucoup d’accusés et mon frère était décrit comme le meneur. Le procès devait se dérouler sur deux jours, mais finalement il n’a duré qu’une journée, jusqu’à tard le soir. Mon frère a pris la plus grosse peine, quatre ans. Quand les juges l’ont annoncé, ma mère a crié, « quatre ans ! ». Elle est restée bloquée sur ce chiffre, ça lui a fait comme un choc. Elle ne s’y attendait pas, la plupart des condamnés ont Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

36

© DR

Ce n’était pas tous les jours évident à la maison quand il se retrouvait sans emploi. Il dormait, il ne nous aidait pas, j’étais toujours derrière lui pour le motiver et l’aider à trouver du travail. Par moments, on était obligées de lui donner de l’argent, pour éviter qu’il aille voler. C’était le seul garçon chez nous et je pense qu’il a été un peu trop gâté. eu des peines d’un an ou six mois. Le soir-même, elle était malade et les jours suivants aussi. Pendant longtemps, elle nous a caché qu’elle allait vraiment mal. Je pense que l’incarcération de mon frère a été un déclencheur de sa maladie parce que depuis ce jour-là, son état ne s’est pas amélioré. Elle avait un cancer. On ne l’a pas dit tout de suite à mon frère. Mais comme elle faisait de la chimio, elle avait la peau qui devenait plus foncée, et il lui demandait au parloir : « Mais qu’est-ce qu’il t’arrive ? » Alors elle mettait des gants, des vêtements pour cacher. Des fois, on allait le voir juste après une séance de chimio, et elle faisait tout pour ne pas paraître fatiguée. Pendant un an après le procès, j’ai dû m’occuper de mon frère incarcéré, de ma mère malade, de l’entreprise de mon frère, et aussi de mon travail… C’était compliqué. Comment s’est passée votre première visite au centre pénitentiaire ? Quand on est parties là-bas pour la première fois, ça nous a fait tout bizarre, on ne pensait pas que c’était comme ça une prison. J’étais impressionnée mais j’avais également un sentiment de honte. J’ai découvert toutes les contraintes pour les familles de détenus. On croyait par exemple qu’on pouvait apporter avec nous de la nourriture, des boissons…


Au début, on y allait toutes les semaines, puis tous les quinze jours, voire une fois par mois. La première année, toute la famille pouvait lui rendre visite en même temps, on rentrait à trois adultes et trois enfants. Ensuite, un enfant de 2 ans était considéré comme un adulte et on ne pouvait plus rentrer qu’à trois personnes, enfants compris. On habitait à environ deux heures de route de la prison, ce qui faisait quatre heures pour un aller-retour. Ça nous revenait à 50 euros le trajet, avec le péage et le gasoil. Avec ma mère, on s’est toujours partagé les frais liés à la détention de Julien : elle payait les mandats et le crédit pour la voiture de mon frère, je payais l’avocat et les frais de route. On était aussi en contact avec lui par téléphone. Il nous appelait environ deux fois par semaine depuis la cabine de la prison. Il avait aussi un téléphone portable qu’il cachait dans ses affaires. Il l’utilisait tous les jours pour nous dire qu’il était en bonne santé et qu’il était vivant. Qu’est-ce que l’incarcération de votre frère a changé dans votre quotidien ? J’ai dû m’occuper de son entreprise de livraison pendant trois mois et trouver quelqu’un pour le remplacer. Ensuite j’ai trouvé un emploi. Mais en plus de mes heures de travail, j’allais à 5 heures du matin former des chauffeurs à la livraison et j’avais encore tout un tas de choses à faire pour faire tourner l’entreprise. J’ai failli perdre mon emploi, parce que je passais toute la journée à faire des démarches pour mon frère, je ne travaillais plus beaucoup. Comme les gens de mon travail ne savaient pas qu’il était en prison, je leur disais que j’avais des problèmes familiaux. Finalement, on a décidé de fermer l’entreprise au moment du décès de notre mère. Pendant trois ans et demi, j’ai eu l’impression d’être en prison avec mon frère, d’être enfermée moi aussi. Je ne vivais plus. C’est comme si on avait été tous condamnés avec lui. Il avait des problèmes réguliers, j’appelais son avocat tous les jours, sauf le week-end.

ses employeurs et à d’autres personnes qu’elle côtoyait, d’une certaine classe, pas comme nous. Elle disait que son fils était parti à Chambéry pour travailler. Elle avait honte. Aux clients de l’entreprise de mon frère aussi, on leur a dit la même chose. Est-ce que votre frère a pu préparer sa sortie ? Il avait contacté un employeur et voulait faire une formation poids-lourds, passer le permis. Mais la conseillère Pôle emploi qu’il a rencontrée lui a dit qu’il devrait être transféré à Roanne pour suivre cette formation. Ce n’était pas pensable pour lui de s’éloigner autant de nous, nos visites se seraient espacées. Donc il a renoncé. Votre frère est depuis un mois et demi sous bracelet électronique, comment se passe sa réinsertion ? La prison, ça change beaucoup, il n’est plus vraiment le même. On a l’impression qu’il n’est pas sur Terre, qu’il est un peu coupé du monde. Il habite chez moi, on a chacun notre chambre et il reste beaucoup enfermé dans la sienne. Il a aussi la manie de faire le ménage dans sa chambre, comme il le faisait dans sa cellule. Il a appris pas mal de choses en prison : il a suivi une formation en cuisine, il fait le ménage… Mais j’ai l’impression que maintenant, il lui manque des cases. Il s’énerve plus vite. Quand il est à l’extérieur ou au travail, il s’emporte souvent, il a l’impression que les gens le regardent parce qu’il sort de prison. Il croit que c’est écrit sur son front. Il n’est plus autonome, il ne veut pas rester seul. Une fois, je suis partie en week-end et je l’ai laissé seul. A mon retour, j’ai appris qu’il avait failli brûler la maison et qu’il y avait eu des bagarres devant chez moi. Si je n’étais pas là, je pense qu’il serait perdu. Je crois même qu’il serait retourné en prison. Il faudrait absolument un suivi derrière.

Oui, mais difficilement. On avait fait une première demande quand elle était malade, pour que Julien puisse la voir une dernière fois. La juge d’application des peines (JAP) ne nous a jamais répondu. J’ai dû appeler, harceler, j’ai contacté les médias, le ministère, notre député… Finalement, il y a eu un fax du ministère à la JAP et une autorisation de sortie lui a été accordée pour une journée. Il a fallu faire les mêmes démarches pour qu’il obtienne une permission de six heures pour assister à l’enterrement. Est-ce que votre entourage savait que votre frère était en prison ? Oui, la plupart étaient au courant. Mais on ressentait une sorte de pitié envers nous. Ma mère l’a en revanche caché à

© Ministère de la Justice

Vous venez de parler du décès de votre mère. Votre frère a pu avoir une permission de sortir à cette occasion ?

Des proches de détenus arrivent pour les parloirs à la maison d’arrêt du Mans-Les-Croisettes, 2011

Pour se réinsérer dans la société, il y a beaucoup de choses qu’il ne sait plus faire, qu’il a oubliées. Ça fait un mois et demi, ça va un petit peu mieux qu’au début. Mais c’est quand même dur, il est encore dans sa phase « prison ». Recueilli par Amid Khallouf Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

37


« On ne s’habitue pas à ces conditions »

Nouvelle direction, ouverture d’UVF annulée

« Les cabines de parloir sont vraiment choquantes, on ne s’habitue pas à ces conditions. Mon mari est gêné de devoir me faire vivre ce type de parloir. Je sens qu’il a changé, je le sens humilié. Je trouve scandaleux de devoir voir une personne qu’on aime dans ces conditions. Les cabines mesurent 1,90 mètre de haut et 1,50 mètre au sol environ. Le muret en béton qui mesure environ un mètre sépare le détenu de sa famille. La tablette posée sur le muret fait environ 30 cm de large. Elle n’est pas hygiénique du tout, on a envie d’avoir des lingettes pour les nettoyer. Le muret sépare la cabine en deux parties mais le détenu a moins de place, il est complètement coincé contre la porte. Les tabourets en bois ne sont pas toujours propres et ne sont pas faits pour les enfants, car pas de dossiers pour les retenir. Dans les autres maisons d’arrêt, nous avions des chaises en plastique rigide plus confortables et faciles à nettoyer.

« Les unités de vie familiale sont prêtes, l’entreprise les a livrées dans les temps mais on vient d’apprendre que leur ouverture a été annulée par la nouvelle direction. Elle veut ajouter des travaux, chemins de rondes, etc. Les chantiers devront reprendre après de nouveaux appels d’offres, devis et autorisations. On est donc dans l’obligation d’attendre, d’attendre et d’attendre à nouveau pour un bon moment. Toujours aux dépens des liens familiaux, seule chose qui reste à la plupart d’entre nous. Les salons familiaux qui nous étaient jusque-là octroyés le week-end avec nos compagnes ont en plus été réduits à un mensuel. De ce fait, la majorité du temps, les quatre salons disponibles restent vides et nous nous retrouvons en couple dans les parloirs traditionnels. La direction nous dit que la loi n’autorise qu’une seule visite en salon par mois [N.D.L.R. : faux, la loi ne donne pas de maximum, elle prévoit « au moins » une visite trimestrielle dans une UVF ou un salon familial pour tout détenu]. L’ancienne direction les accordait bien plus souvent ce qui évitait de les laisser inoccupés. Lors des parloirs, les fouilles à nu persistent, aussi bien à l’aller qu’au retour, en plus du scanner corporel et du portique. Malheur à vous si après cette humiliation subie, votre bouton du jean fait sonner ce portique… on fait marche arrière et on doit une nouvelle fois se mettre à nu. » Personne détenue, maison centrale, mai 2014

Les cabines sont sales, sentent mauvais (odeurs d’humidité, odeur d’urines dues aux canalisations…), il n’y a pas d’aération. Je me sens étouffée et les familles qui viennent à plusieurs voir le détenu n’arrivent même pas à bouger. Les surveillants nous interdisent de passer de l’autre côté du muret et de nous asseoir sur celui-ci. Cela fait trois mois que je n’ai pas serré mon mari dans les bras sans séparation. Cela me fait bizarre alors que j’ai toujours eu le droit dans les autres prisons. De plus, je suis enceinte, cela commence à me faire mal au ventre que le muret vienne m’écraser quand je me rapproche de mon mari pour l’étreindre. » Femme de détenu en maison d’arrêt, août 2014

« Nous ne sommes pas des bêtes de foire » « Je voulais vous signaler une chose que j’ai vue à mon dernier parloir. Au bout d’une dizaine de minutes dans cette pièce très insalubre (détritus au sol, odeurs nauséabondes, chaleur étouffante, etc.) mon compagnon lève la tête, et là à notre grande surprise se trouvaient des excréments au mur au-dessus de la porte. Nous avons fait intervenir un surveillant afin qu’il constate et fasse un rapport sur ce qu’il voyait comme nous. Est-ce normal de visiter un prévenu et de trouver de telles choses ? C’est censé être un lieu non pas de toute beauté certes mais là, quand même. Les détenus comme les familles, nous ne sommes pas des bêtes de foire que l’on met 45 minutes dans des déchetteries. Je découvre l’envers des prisons. Bien que je n’en n’avais pas une image très positive, le moins qu’on puisse dire c’est que là j’ai vraiment un regard plus que négatif, car une fois passée la façade toute rafraîchie de cette maison d’arrêt, on se retrouve dans le dépotoir. » Femme de détenu en maison d’arrêt, septembre 2014 Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

38

Enquêtes pour permis de visite : « long et coûteux pour le contribuable » « Le cheminement pour obtenir le permis de visite est long et coûteux, et contraire aux perspectives de réintroduction des longues peines dans le monde libre. J’ai fait des centrales où il y avait des unités de vie familiale, les enquêtes pour y avoir accès sont faites par les SPIP au téléphone dans la semaine de votre demande. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour les permis de visite ? Ce serait bien moins coûteux pour les contribuables, un gain de temps pour les fonctionnaires et les détenus. En ce moment, j’ai trois demandes de permis en cours, dont un pour mon amie. La demande a été enregistrée le 14 avril 2014. L’enquête a été envoyée à la préfecture le 25 avril 2014. La requérante entendue le 3 mai. Le commissariat a renvoyé son rapport à la préfecture environ le 6 mai. Aujourd’hui, on est le 26 mai, la dame de la préfecture ne l’a toujours pas reçu, ajoutant même qu’en ce moment elle traite les demandes du mois de mars. Pour finir, les avis donnés sont plutôt basés sur le casier de la personne détenue semble-t-il. On rentre dans le système vicieux de la double peine. » Personne détenue, maison centrale, mai 2014

lettres ouvertes


© G. Korganow pour le CGLPL

lettres ouvertes

Un parloir de la maison d’arrêt des Baumettes, 2012.

Pas de visite possible sans « lien officiel avec le prévenu »

Nous n’avons pas été informés des démarches

« Mon ex-compagnon a été incarcéré. Il vit en France depuis quelques années mais n’a pas de famille proche sur le territoire. Seulement quelques amis, et moi, son ancienne compagne, la personne la plus proche en France et la seule qui fait le lien avec sa famille à l’étranger. Le tribunal refuse que je dépose une demande de parloir sous le motif que je n’ai pas de lien « officiel » avec le prévenu. Les premières semaines après l’incarcération, mes journées ont été balisées de coups de fil à la maison d’arrêt, à tous les services susceptibles d’apporter une réponse sur sa situation – accueil, SPIP, section hospitalière, etc. Petit détail : il souffre d’une maladie psychique diagnostiquée qui nécessite la prise d’un traitement. Il a fallu deux semaines avant d’avoir une information très vague relative à sa situation (le numéro d’écrou et une adresse), trois semaines avant d’avoir le nom de l’avocat et pouvoir lui passer des documents pour préparer le procès, presque quatre semaines avant de recevoir une lettre, le seul moyen de communication. Et quoi faire de ces informations, pas toujours cohérentes, et de surcroît en gros décalage temporel ? Est-il normal de passer des semaines au téléphone, sur Internet, des allers-retours au tribunal, à l’ordre des avocats, etc., pour essayer d’avoir des informations et d’établir un lien avec un détenu ? » Proche de détenu en maison d’arrêt, septembre 2014

« Je suis en détention depuis six mois, sans pouvoir contacter ma famille correctement. Je suis d’origine Géorgienne et toute ma famille vit là-bas. Ma mère est malade et ne peut pas se déplacer. Mon père s’occupe d’elle et ne peut pas venir non plus. La distance est trop importante. Je souhaiterais avoir la possibilité de les voir autrement : en vidéo conférence par exemple. De plus, ma famille m’écrit mais leurs lettres restent bloquées près de trois mois. Il m’est très difficile de me faire comprendre et l’administration pénitentiaire ne m’a pas informé des différentes démarches. Elle m’a laissé, ainsi que ma famille, dans le flou. Pendant trois mois, personne n’a su où j’étais. J’ai un enfant de six mois que je n’ai pas vu naître. J’espère vraiment obtenir de l’aide pour réussir enfin à leur parler. » Personne détenue, maison d’arrêt, août 2014

Dedans Dehors N°85 Octobre 2014

39


ADRESSES

Pour tout renseignement sur les activités de l’OIP-section française ou pour témoigner et alerter sur les conditions de détention en France : OIP section française 7 bis, rue Riquet 75019 Paris tel : 01 44 52 87 90 fax : 01 44 52 88 09 e-mail : contact@oip.org site : www.oip.org

Le standard est ouvert de 15h à 18h

L’OIP en région Les coordinations régionales sont chargées des enquêtes sur les établissements de leurs régions. Chaque coordinateur travaille avec un réseau de correspondants et de bénévoles. Coordination régionale Nord et Ouest (DISP Lille et Rennes)

Coordination régionale Sud-Est (DISP Lyon et Marseille)

Anne Chereul 14, contour Saint Martin 59100 Roubaix 09 61 49 73 43 06 63 52 10 10 fax: 03 28 52 34 13 anne.chereul@oip.org

Amid Khallouf 57 rue Sébastien Gryphe 69007 Lyon 09 50 92 00 34 06 50 73 29 04 fax : 09 55 92 00 34 amid.khallouf@oip.org

Coordination régionale SudOuest (DISP Bordeaux et Toulouse)

Coordination régionale Ile-deFrance et outre-mer (DISP Paris et outre-mer)

Delphine Payen-Fourment 7bis rue Riquet 75019 Paris 01 44 52 87 96 06 50 87 43 69 fax: 01 44 52 88 09 delphine.payen-fourment@oip.org

François Bès 7bis rue Riquet 75019 Paris 01 44 52 87 94 06 64 94 47 05 fax: 01 44 52 88 09 francois.bes@oip.org

Coordination régionale Centre et Est (DISP de Dijon et Strasbourg)

Les groupes et correspondants locaux de Metz et Nancy assurent l’observation et l’alerte sur la prison de leur ville, en lien avec le secrétariat national.

7 bis rue Riquet 75019 Paris 01 44 52 87 90 fax: 01 44 52 88 09 contact@oip.org

Pour les contacter, vous pouvez joindre le secrétariat national : contact@oip.org ou 01 44 52 87 90

Qu’est-ce que l’OIP ? La section française de l’Observatoire international des prisons (OIP), créée en janvier 1996, agit pour le respect des droits de l’Homme en milieu carcéral et un moindre recours à l’emprisonnement. Que fait l’OIP ? Concrètement, l’OIP dresse et fait connaître l’état des conditions de détention des personnes incarcérées, alerte l’opinion, les pouvoirs publics, les organismes et les organisations concernées sur l’ensemble des manquements observés ; informe les personnes détenues de leurs droits et soutient leurs démarches pour les faire valoir ; favorise l’adoption de lois, règlements et autres mesures propres à garantir la défense de la personne et le respect des droits des détenus ; défend une limitation du recours à l’incarcération, la réduction de l’échelle des peines, le développement d’alternatives aux poursuites pénales et de substituts aux sanctions privatives de liberté. Comment agit l’OIP ? Organisation indépendante des pouvoirs publics, l’OIP ne sollicite aucun mandat ou subvention du ministère de la Justice, s’interdit de prendre part à l’action d’aucun gouvernement, de soutenir aucun parti politique ou de prendre position à l’occasion de toute consultation électorale. Pour faciliter la mise en œuvre de ses objectifs, l’Observatoire suscite la création de coordinations régionales chargées de l’observation des lieux de détention et composées exclusivement de membres de l’OIP.


Les ouvrages de l’OIP 66 Passés par la case prison 66 le guide du prisonnier 2012 66 rapport 2011 : les conditions de détention en France

.......... x .......... x .......... x

La revue Dedans-Dehors 66 n° 84 « Violences carcérales : au carrefour des fausses routes » .......... x 66 n° 83 « Projet de réforme pénale : indispensable et inabouti » .......... x 66 n° 82 « Longues peines : la logique d’élimination » .......... x 66 n° 81 « Réforme pénale : désintox » .......... x 66 n° 80 « Ils sont nous – Parcours de vie d’anciens détenus » .......... x 66 n° 79 « Expression en prison : la parole disqualifiée » .......... x 66 n° 77-78 « Nouvelles prisons : le trou noir de la pensée » .......... x 66 n° 74-75 « Politique pénale : quand les idées reçues dictent leurs lois ».......... x Tous les prix comprennent les frais de port. Pour l’étranger, nous consulter.

COMMANDES

Je commande les publications de l’OIP

En tant que donateur, vous bénéficiez d’une déduction fiscale à hauteur de 66 % du montant de votre don dans la limite de 20OIP % de vos revenus imposables. À titre d’exemple, un don de 100 € ne vous coûtera en réalité que 34 €.

20 € = ........... € 34 € = ........... € 28 € = ........... € 9,50 € = 9,50 € = 9,50 € = 9,50 € = 9,50 € = 9,50 € = 12 € = 12 € =

........... ........... ........... ........... ........... ........... ........... ...........

O B S E R VAT O I R E I N T E R N AT I O N A L D E S P R I S O N S

Le guide du prisonnier

€ € € € € € € €

3 Entrer en prison 3 Vivre en prison Le quotidien carcéral Liens avec l’extérieur Santé physique et psychique Au nom de la sécurité 3 Faire respecter ses droits

le guide du prisonnier OIP/ La Découverte, 2012, 704 p., 34 € (frais de port inclus)

Je m’abonne à Dedans-Dehors À

l’heure où la question de la prévention et de la répression de la délinquance et du crime s’est installée au cœur du débat public, la radiographie de l’univers carcéral français réalisée par l’OIP n’est pas seulement une initiative citoyenne salutaire, elle constitue une véritable démarche d’utilité publique. En retraçant les évolutions des politiques pénales et pénitentiaires au cours de la période 2005-2011, dans toutes leurs nuances et contradictions, ce rapport permet à chacun de connaître l’usage qui est fait de l’emprisonnement et la réalité de ce qui se passe derrière les murs de nos prisons. Alors même que l’institution pénitentiaire fait l’objet d’une remise en cause permanente sur sa capacité à respecter l’État de droit et les droits de l’homme, le nombre de personnes incarcérées atteint des niveaux historiques et les plans de construction de nouvelles prisons se succèdent.

66 adhésion simple à la section française de l’OIP 66 adhésion de soutien 66 adhésion à prix réduit 66 je suis adhérent et je m’abonne à Dedans Dehors

30 € 100 € 15 € 15 €

66 je souhaite participer aux activités de l’OIP

L’Observatoire international des Au terme d’un long processus d’élaboration, la loi péniprisons (OIP) est une tentiaire de novembre 2009 n’a finalement pas apporté organisation non d’avancée majeure dans la reconnaissance de droits visant gouvernementale à protéger la personne détenue. Elle vient même entériner dont l’action vise à certaines régressions, telle la mise en place de « régimes favoriser le respect différenciés ». Quant à l’injonction paradoxale faite au juge de la dignité des de systématiser la réponse « prison » (peines plancher) et personnes détenues. de transformer les courtes peines d’emprisonnement en Créée en 1996, la surveillance électronique, elle s’est accompagnée d’un section française de tournant législatif qui ajoute à des peines de plus en plus l’OIP défend les droits longues des mesures de sûreté pour les auteurs d’infracCode_OIP_2011:Codefondamentaux à barres 9/11/11 16:03 des tions les plus graves, sur la base d’une évaluation de la personnes incarcérées « dangerosité » hasardeuse et artisanale. et milite pour le développement des mesures alternatives à l’emprisonnement.

24 €

Page 1

LES CONDITIONS DE DÉTENTION EN FRANCE

J’adhère à l’OIP pour 2014

O B S E RVATO I R E

I N T E R NAT I O NA L

D E S

P R I S O N S

P R I S O N S

66 je suis détenu et je souhaite m’abonner gratuitement

OIP

OIP LES CONDITIONS DE DÉTENTION EN FRANCE - RAPPORT 2011

D E S

30 € 25 €

INTERNATIONAL

66 je fais abonner gratuitement un détenu qui l’aura demandé

OBSERVATOIRE

66 je m’abonne à Dedans-Dehors pour un an (4 numéros)

LES CONDITIONS DE DÉTENTION EN FRANCE

ISBN 978-2-7071-5909-0

9 bis, rue Abel-Hovelaque 75013 Paris

-:HSMHKH=VZ^U^U:

rapport 2011 : les conditions de détention en France

Je fais un don à l’OIP 66 je fais un don de . . . . . . . . . . . . . . . .

€ pour soutenir les actions de l’OIP vous recevrez un reçu fiscal (dons et adhésions)

OIP/ La Découverte, 336 p., 28 € (frais de port inclus)

Nom . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Prénom . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Profession . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Organisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Adresse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Code postal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Ville . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Tél. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Fax . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . e-mail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Je vous adresse un chèque de . . . . . . . . . . . . . . . . € à l’ordre de l’OIP-SF

Conseil de l’Europe : nouvelle incitation à la décroissance carcérale Les Anglais refusent d’extrader pour une prison française UHSA de Lyon : la psychiatrie sans urgences

Violences carcérales : au carrefour des fausses routes

Soutenez durablement l’action de l’OIP

dossier avec Antoinette Chauvenet, David J. Cooke, Eric Sniady, Jean-Philippe Mayol et Nick Hardwick

OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS SECTION FRANÇAISE

En faisant le choix du prélèvement automatique de 10 € par mois (adhésion de soutien + abonnement à Dedans-Dehors)

9,50 € N°84 Juillet 2014

Dedans Dehors n°84 9,50€ (frais de port inclus)

Autorisation de prélèvement à renseigner Montant : 10 € Nom . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Prénom . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Adresse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Code postal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Ville . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Tél. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Fax . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . e-mail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Association bénéficiaire : Observatoire international des prisons - Section française 7 bis, rue Riquet 75020 Paris Compte à débiter IBAN - Identifiant international de compte

BIC – Identifiant international de l’établissement

|_______| |_______| |_______| |_______| |_______| |_______| |_____| |______________________| Joindre impérativement un relevé d’identité bancaire (RIB) ou (RIP)

Bulletin à renvoyer à OIP, section française, 7 bis, rue Riquet 75019 Paris Conformément à la loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978, en vous adressant au siège de notre organisation, vous pouvez accéder aux informations vous concernant, demander leur rectification ou suppression ou vous opposer à ce qu’elles soient échangées ou cédées. Dans ce dernier cas, les informations vous concernant seraient alors réservées à l’usage exclusif de notre organisation.


Le dernier livre de l’OIP en précommande ! « Passés par la case prison » est issu de la rencontre entre sept anciens détenus et sept écrivains : Olivier Brunhes, Philippe Claudel, Marie Darrieussecq, Virginie Despentes, Nancy Huston, Pierre Lemaitre et Gérard Mordillat. C’est l’histoire de Sylvie, incarcérée après avoir aidé son compagnon à s’évader. Celle de Yazid, devenu consultant en prévention urbaine après avoir été un passionné du vol. Ou de Sacha, qui a connu les émeutes de 2005, les placements en foyer ou famille d’accueil, et rêve à présent de devenir avocat. Des histoires qui montrent la complexité des parcours et des contextes qui mènent derrière les barreaux.

Au fil des 204 pages… • Une préface de Robert Badinter ; • Des extraits d’entretiens avec les sept personnes qui furent condamnées ; • Les textes des écrivains qu’elles ont rencontrés : en forme de portraits ou de tranches de vie, ils nous rapprochent de la vérité crue, celle de l’humain derrière le fait divers ; • Des encarts informatifs sur la prison ou la justice, en lien avec chaque histoire ; • Les photos de Dorothy-Shoes prises au cours d’ateliers avec des personnes détenues, et celles de Philippe Castetbon avec les sept protagonistes du livre. Commandez le livre à l’OIP pour le recevoir dès la fin novembre et marquer ainsi votre soutien à la campagne « Ils sont nous ».

Bulletin à renvoyer accompagné de votre chèque à OIP section française – 7bis rue Riquet – 75019 Paris ■ J e pré-commande l’ouvrage Passés par la case prison, OIP/ La Découverte, 204 p., 17 € Nombre d’exemplaire(s) : …………………… Frais de port 1 exemplaire : 3 € 2 exemplaires : 5 € 3 exemplaires : 7 € 4 exemplaires : 9 € 5 exemplaires et plus : 12 € Ci-joint mon règlement par chèque à l’ordre de l’OIP SF d’un montant total de ……………………

€ (y inclure les frais de port)

Adresse de livraison : Nom : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . adresse : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . code postal / ville : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . courriel :. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . téléphone : .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.