Dedans Dehors n°86 Sortir de prison : le parcours d'obscacles

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Budget 2015 : encore et toujours l’immobilier Ducos : demi-victoire contre des conditions de détention indignes Passés par la case prison : le livre

Sortir de prison : le parcours d’obstacles Dossier avec : Eric Pliez, Christer Karlsson, Thomas LeBel, Myriam Zaks, Magali Boulet, Antoine, Frédéric et Philippe

Observatoire international des prisons Section française

7,50 € N°86 DÉCEMBRE 2014


EDITORIAL

Anomalies culturelles « Il faut remonter au xixe siècle pour trouver des taux de détention plus élevés », peut-on lire dans le dernier Cahiers d’études de l’administration pénitentiaire*. Une personne pour 1 000 est incarcérée dans la France de 2014. L’anormalité du phénomène devrait alerter de toute part et les pouvoirs publics examiner les pratiques judiciaires à la loupe. Au lieu de cela, l’affaire est entendue : ils misent sur la stabilité du nombre de détenus (68 000 à l’horizon 2018, pour 67 075 au 1er janvier 2014). Et pour respecter l’encellulement individuel, ils cherchent comment adapter le nombre de places de prison à cet inéluctable avenir. Une criminalité galopante et sanguinaire expliquerait-elle cette perspective ? Euh, non. « Le nombre de détenus pour homicide est stable » depuis 2009, celui pour « viols et agressions sexuelles diminue » depuis 2001. Et le contentieux le plus représenté en prison est celui… des « vols de toutes sortes » (22 %). Suivi des infractions à la législation sur les stupéfiants (17 %). Les tribunaux continuent d’incarcérer en masse pour de petits délits. Et pour de courtes durées : 35 % des sortants de prison en 2013 y ont passé moins de trois mois, 55 % moins de six mois. Les juridictions ne pourraient donc pas changer de pratiques ? Cesser de se croire obligées en cas de récidive de petits délits de prononcer forcément une sanction plus sévère que la précédente ? Après quelques peines alternatives, l’emprisonnement ferme arrive inéluctablement. Comme la seule vraie sanction, pour rester « crédible ». Mais à quelle crédibilité croit-on quand la réponse donnée ne permet en rien d’enrayer un parcours délinquant, le renforçant au contraire ? Quant à l’octroi d’un aménagement de peine, il reste perçu comme un cadeau à celui qui s’est bien comporté et a donné des « gages » de réinsertion. Comment peut-on exiger des détenus qu’ils acceptent sans broncher leur condition ? Et qu’ils présentent une promesse d’embauche dans le contexte économique actuel ? De telles anomalies culturelles ne concernent pas les seuls juges : des politiques et des médias y travaillent. La vox populi gronde. Et pourtant, il faudra les remettre en cause. Parce qu’elles tolèrent des violences d’Etat et ne servent d’autre fin que la fière autorité du nanti. Il faudra un jour réfléchir avec le « petit récidiviste » à lui faire une autre place que celle du deal et du vol. Même s’il faut des années d’accompagnement et de politiques non carcérales pour y parvenir. Sarah Dindo * Florence de Bruyn et Annie Kensey, Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques, n° 40, sept. 2014. N°86 Décembre 2014

Sommaire 1 Actu – Budget 2015 : encore et toujours l’immobilier – Pas de conditionnelle pour un « longue peine » en réinsertion – Ducos : demi-victoire contre des conditions de détention indignes – Guadeloupe : le juge refuse de garantir la liberté d’expression des détenus – Valenciennes : prison avec sursis pour deux surveillants 11 Dossier Sortir de prison : le parcours d’obstacle Avec Thomas LeBel, chercheur ; Eric Pliez, directeur de l’association d’insertion Aurore ; Myriam Zaks, psychiatre et Magali Boulet, assistante sociale ; l’association KRIS et Antoine, Frédéric et Philippe 34 De facto – Sombre quartier disciplinaire des femmes à Fleury – Délais d’attente exorbitants pour les soins à Meaux-Chauconin – Pénurie de psychologues à Nîmes – Soins dentaires défaillants à Melun – Suspension de peine : un homme gravement malade renvoyé en prison – Baisse des suicides confirmée en 2013 – Entrave aux droits de la défense à Corbas 39 Zoom Gradignan : vers une démolitionreconstruction ? 42 En droit La Cour européenne valide la perpétuité incompressible à la française ; Placements non justifiés à l’isolement ; Indemnisation d’un détenu empêché de se rendre aux obsèques de son enfant ; Le retrait de crédit de réduction de peine soumis aux exigences du procès équitable 45 Passés par la case prison – La sortie du livre de l’OIP : huit rencontres entre un écrivain un ex détenu – Extraits du texte de Pierre Lemaitre, « Une question de mots »

DEDANS DEHORS publication trimestrielle de la section française de l’Observatoire international des prisons, association loi 1901, 7 bis, rue Riquet, 75019 Paris, Tél. : 01 44 52 87 90, Fax : 01 44 52 88 09, e-mail : contact@oip.org Internet : http://www.oip.org Directeur de la publication : Antoine Lazarus Rédaction en chef : Sarah Dindo, Barbara Liaras Rédaction : François Bès Ambre Benitez Anne Chereul Marie Crétenot Maxime Gouache Amid Khallouf Cécile Marcel Delphine Payen-Fourment Transcriptions : Nicole Chantre Mireille Jaegle Laurent Mabille Olivia Moulin Céline Pigot Secrétariat de rédaction : Marianne Bliman Aude Malaret Identité graphique : MG., L.D. < dlaranjeira@caramail.com > Maquette : Claude Cardot/Vélo © Photos, remerciements à : Pascal Bastien, Eric Bernath, Bernard Bolze, CGLPL, Olivier Culman, Baptiste Fenouil, Grégoire Korganow, Bernard Le Bars, Michel Le Moine, Aimée Thirion et à Isabelle Grattard Et aux agences : SIGNATURE, REA. Impression : Imprimerie Expressions 2-GP, 10 bis, rue Bisson, 75020 Paris Tél. : 01 43 58 26 26 ISSN : 1276-6038 Diffusion sur abonnement au prix annuel de 30 € Photographie couverture : © Baptiste Fenouil/REA


ACTU

Budget 2015 :

encore et toujours l’immobilier La hausse du budget devait permettre la mise en œuvre de la réforme pénale. Mais une fois de plus, l’accroissement du parc carcéral absorbe l’essentiel du programme Justice, adopté dans le cadre du projet de loi de finances 2015. Au détriment de l’essor des alternatives et des aménagements de peine. Le respect de l’encellulement individuel est quant à lui reporté à 2019.

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’objectif devait être de se doter des moyens nécessaires

pour « appliquer la réforme pénale » . Mais on peine à le retrouver dans le budget 2015 de l’administration pénitentiaire. En augmentation de 5,2 % par rapport à 2014, et atteignant 3,39 milliards d’euros, le budget prévoit bien la création de 300 postes supplémentaires dans les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). Et la progression de 10 % de leurs crédits de fonctionnement (+ 2,1 millions). Mais ces investissements ne suffisent pas à rattraper le retard et à assurer la mise en œuvre de nouvelles mesures (contrainte pénale et libération sous contrainte), nécessitant plus de ressources humaines. Et l’objectif de 40 dossiers par conseiller d’insertion et de probation, que s’était fixé le Gouvernement 2, n’est pas prêt d’être atteint. Par ailleurs, les crédits dévolus aux aménagements de peine ne décollent pas. Les fonds pour le placement à l’extérieur (PE), mesure particulièrement adaptée aux profils les plus désocialisés, n’augmentent que de 1 %, passant de 8,6 à 8,7 millions d’euros. Alors que les moyens manquent cruellement aux structures qui assurent hébergement, accompagnement social et professionnel de fonctionner, entraînant dépôts de bilan ou places non pourvues. Telle la ferme de Moyembrie (Picardie), qui accueille des personnes en PE sur des chantiers d’élevage et de maraîchage, et a dû faire face cette année à un arrêt des crédits du SPIP de l’Aisne dès le mois d’avril. Puis du SPIP de l’Oise deux mois plus tard, si bien que la ferme s’est trouvée dans l’impossibilité d’accueillir de nouvelles personnes à compter de juin, alors que des places étaient disponibles. Une situation qui est loin d’être un cas isolé. Le nombre de PE accordés chaque année ne cesse d’ailleurs de baisser : 3 339 en 2000, 2 651 en 2010, 2 176 en 2013 3…  1

1 Ministère de la Justice, Présentation du budget 2015, octobre 2014. 2 J-M. Ayrault, Europe 1, 9 octobre 2013. 3 Question n° 12 152, Journal Officiel, 25 novembre 2014.

Nouvel accroissement du parc pénitentiaire En réalité, la majeure partie du budget reste axée sur l’immobilier et l’accroissement du parc carcéral : construction de nouvelles prisons, rénovations/extensions et paiement des loyers des établissements déjà livrés en partenariats public privé (PPP). Hormis la rémunération des personnels, qui représente 62,3 % du budget (2,1 milliards), le développement du parc constitue la première ligne de dépense : 359,2 millions d’euros. Sur ces fonds, 149 millions (+ 18 % par rapport à 2014) sont dévolus au paiement des loyers des treize prisons construites en PPP : remboursement des coûts d’investissement, intérêts, frais d’entretien et de maintenance… Les 210,2 millions restant sont alloués à l’achèvement du programme « 13 200 places » initié en 2004 et à la réalisation du programme « 6 500 places » lancé en décembre 2012 par la garde des Sceaux, en remplacement des 24 000 annoncées par la droite. Un milliard supplémentaire va en outre être engagé d’ici 2017 pour la réalisation d’un nouveau programme de 3 200 places, visant à porter la capacité du parc à 66 700 places à l’horizon 2022 (ce qui correspond à quelques centaines près au nombre actuel de détenus).

L’Etat s’endette et la surpopulation prospère Cette dernière décennie, les gouvernements successifs n’ont eu de cesse de construire. Plus de 3,2 milliards d’euros ont d’ores et déjà été consacrés à l’accroissement du parc depuis 2004, dont plus de la moitié en PPP. Une procédure qui permet d’investir sans débloquer de fonds immédiatement, mais qui endette l’État sur de longues années : 30 ans pour les sept premiers établissements construits dans ce cadre 4, 27 ans pour les trois suivants 5, 25 ans pour les trois derniers 6 lancés fin 2012 4 CP Béziers, Le Havre, Le Mans, Nancy, Vivonne; MA Lyon-Corbas et CD Roanne (2009-2010). 5 CP Annoeullin, Réau et Nantes (2010-2011). 6 CP Beauvais, Valence et Riom. Dedans Dehors N°86 Décembre 2014

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Trois détenus dans une cellule individuelle, avec un matelas au sol, centre pénitentiaire de Longuenesse, septembre 2009

et appelés à ouvrir en 2015. Avec les intérêts, la somme restant à rembourser d’ici l’échéance des contrats en 2040 s’élève à plus d’1,4 milliards d’euros. Elle atteint même 5,3 milliards si l’on englobe les fonds à verser pour la maintenance. Cette politique qui grève le budget pénitentiaire n’a de surcroît pas enrayé la surpopulation. Car parallèlement, on a assisté à un « allongement des peines prononcées » (durée moyenne de 8,6 mois en 2006, 11,5 mois en 2013). Ainsi qu’à un « recours important à l’incarcération » pour des « infractions concernant les stupéfiants, les violences et les vols » 7. Depuis l’ouverture des premiers établissements du programme « 13 200 » en juin 2007, la capacité opérationnelle du parc a augmenté de 15,3 %, mais le nombre de détenus a aussi progressé de 9,2 %. Si bien qu’en octobre 2014, les prisons comptaient 66 494 détenus pour 58 054 places et 49 681 cellules.

Nouveau moratoire sur l’encellulement individuel Depuis 2012, les budgets restent marqués par le poids de l’immobilier au détriment du développement des peines alternatives et aménagements de peine, en dépit d’une volonté affichée de réorienter la politique pénale. Il y a eu certes renoncement partiel au projet d’extension à 80 000 places envisagé par le gouvernement précédent, qui aurait porté la dette à 21,8 milliards, mais pas d’augmentation substantielle des crédits alloués au milieu ouvert. Il n’est en effet pas 7 F. de Bruyn, A. Kensey, « Durées de détention plus longues, personnes détenues en plus grand nombre », Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques, n°40, septembre 2014. Dedans Dehors N°86 Décembre 2014

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Objectif : 3 heures d’activités par jour pour les détenus Le Gouvernement a prévu une augmentation de 1,5 millions d’euros des fonds alloués aux activités en prison (hors activités professionnelles dont les crédits baissent légèrement). Objectif : passer à l’horizon 2017 à trois heures d’activités quotidiennes, contre 1 h 30 en moyenne aujourd’hui. Le Conseil de l’Europe recommande « au moins huit heures par jour » (commentaire des règles pénitentiaires européennes).

vraiment attendu d’impact sur le nombre de détenus de la réforme pénale d’août 2014, puisque l’administration pénitentiaire table sur « 66 200 détenus au 1er janvier 2017 », « 68 000 à l’horizon 2018 » 8. Une perspective qui ne laisse pas non plus entrevoir la possibilité de respecter le droit fondamental à l’encellulement individuel. Après celui de 2000, de 2003 et de 2009, un nouveau moratoire gelant l’application de ce principe jusqu’au 31 décembre 2019 a ainsi été inséré le 3 décembre dans le projet de loi de finances (PLF) rectificative pour 2014, afin d’éviter « les contentieux de détenus qui se plaindraient de l’inapplication de la loi 9 ». 8 C. Giusti, directeur-adjoint de l’administration pénitentiaire, Assemblée nationale, 13 novembre 2014. 9 D. Raimbourg, Assemblée nationale, 2e séance du 3 décembre 2014.


© Michel Le Moine

ACTU Cette fois, le Parlement, s’est opposé à un amendement du Gouvernement prorogeant de nouveau le moratoire jusqu’au 31 décembre 2017 sans calendrier ni plan d’action pour respecter l’encellulement individuel à cette échéance 10. Cependant, il a vite revu ses ambitions à la baisse, en adoptant quelques semaines plus tard un amendement quasi-similaire, reportant l’échéance à 2019 et ne prévoyant qu’un bilan intermédiaire, sans autres obligations : « au deuxième trimestre de l’année 2016, puis au dernier trimestre de l’année 2019 », le Gouvernement devra remettre au Parlement un « rapport sur l’encellulement individuel » comprenant « une information financière et budgétaire » sur « l’exécution des programmes immobiliers pénitentiaires » 11. En clair, le respect du principe reste conditionné pour le Parlement et le Gouvernement à l’augmentation du nombre de places de prison, et non à la baisse du nombre de personnes incarcérées. Et une fois encore, la tardiveté avec laquelle sont émises et adoptées ces modifications législatives interroge, quelques jours après la fin du moratoire fixé en… 2009.

Le développement massif des aménagements de peine à la trappe Les orientations du budget 2015 témoignent d’une acceptation du taux de détention actuel (101,9 pour 100 000 habitants au 1er janvier 2014, contre 85,8 en 2000, 96,8 en 2009), puisque les programmes immobiliers visent à adapter le nombre de places à celui des détenus. Pourtant, le taux de détention s’explique notamment par une forte augmentation du nombre de personnes incarcérées pour une peine de moins d’un an (+ 18,5 % entre 2009 et 2014). Or, si les près de 20 000 personnes qui exécutent une courte peine bénéficiaient d’un aménagement de peine, comme la loi le permet et la logique de prévention de la récidive le requiert, on compterait un peu de moins de 26 000 détenus en maison d’arrêt. Soit moins que le nombre de cellules existant aujourd’hui dans ces établissements (27 129). Les pouvoirs publics ne se sont pas non plus penchés sur la sous-utilisation des places de semi-liberté et des centres pour peines aménagées (CPA), occupées respectivement à 79 % et 64 % en moyenne (au 1er octobre 2014), avec de fortes disparités sur le territoire. 10,5 % pour le quartier de semi-liberté de Mont-de-Marsan, contre 120,9 % à Melun. 22 % au CPA de Poitiers contre 100 % à Meaux. Alors que la décision d’affectation dans un CPA relève de l’administration pénitentiaire, et non d’une décision des juridictions d’application des peines comme pour la semiliberté. Une situation qui devrait interroger un Gouvernement prônant l’aménagement des courtes peines, alors que les CPA ont justement été créés pour « favoriser les mesures d’aménagement 12 » pour les condamnés à moins d’un an de prison. Finalement, comme le sénateur Jean-René Lecerf, rapporteur 10 Amendement n°II-173 (Rect), retiré par le Gouvernement. 11 Amendement n°573, adopté dans le PLF rectificatif pour 2014. 12 Note DAP du 8 juillet 2008 relative aux missions et fonctionnement des centres pour peines aménagées.

La mission Raimbourg Chargé d’une mission « express » de 20 jours (du 10 au 30 novembre), le député Dominique Raimbourg a suggéré de proroger le moratoire sur l’encellulement individuel jusqu’en 2022, mais de l’accompagner d’un plan d’actions en plusieurs étapes. D’ici juin 2016, il faudrait disposer d’un « outil » permettant de « recenser le nombre de cellules », leur « surface » et « la qualité offerte » (w.-c. cloisonnés ou non, eau chaude ou pas…) 1. Et élaborer un plan de restructuration visant à substituer aux cellules multiples (plus de deux places) des cellules individuelles, pour parvenir à l’issue du dernier programme de construction à un ratio de 80 % de cellules individuelles, 20 % de cellules doubles, pour laisser la possibilité à ceux qui le souhaitent de ne pas être seuls. En juin 2019, « un point d’avancement » devrait être effectué, dans la perspective d’un « respect de l’encellulement individuel » à échéance. Dès à présent, il a aussi préconisé de donner à la conférence semestrielle sur l’exécution des peines au sein de chaque cour d’appel « une mission de suivi de la surpopulation ». Et de mettre en place dans chaque tribunal une commission réunissant tous les deux mois magistrats et autorités pénitentiaires pour « essayer de réguler au mieux les condamnations ». Le but étant de tenter d’uniformiser les pratiques des magistrats et de favoriser la prise en compte des conditions d’exécution des peines de prison. En ce sens, il a suggéré de définir des « critères d’alerte en matière de surpopulation » à partir desquels les parquets devront inviter les JAP à prononcer plus d’aménagements de peine. Pour « faciliter » le prononcé de ces mesures avant l’incarcération, le député s’est également prononcé en faveur de « petites modifications législatives ». Comme l’extension des délais d’examen du juge de l’application des peines en cas de condamnation à une peine de prison de moins de deux ans prononcée sans mandat de dépôt (passage de 4 à 6 mois). Ou la possibilité de convertir des peines de moins de six mois de prison ferme en sursis avec mise à l’épreuve. Des préconisations que le Gouvernement dit « étudie [r] » 2. 1. D. Raimbourg, Encellulement individuel, faire de la prison un outil de justice, rapport remis à la garde des Sceaux, 2 décembre 2014. 2. Exposé sommaire de l’amendement n°573.

pour avis du budget pénitentiaire, on peut s’interroger sur « la réelle détermination » du Gouvernement « à mettre en œuvre sa réforme » 13 pénale. Marie Crétenot 13 J-R. Lecerf, Avis n°114 sur le projet de loi de finances pour 2015, Sénat, 20 novembre 2014. Dedans Dehors N°86 Décembre 2014

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Pas de conditionnelle

pour un « longue peine » en réinsertion Personne détenue à la maison centrale de Poissy, 2007

Un refus de libération conditionnelle (LC) malgré l’avis favorable du ministère public. Telle est la décision de la Cour d’appel de Paris, à l’encontre d’un détenu en voie de réinsertion ayant déjà passé 27 ans en prison. Une décision emblématique de pratiques judiciaires contre-productives, la LC étant reconnue comme la mesure la mieux à même de prévenir la récidive et favoriser la réinsertion des sortants de prison.

C

’était le 13 novembre. La chambre de l’application des

peines de la Cour d’appel de Paris décide de rejeter la demande de libération conditionnelle avec placement extérieur probatoire de Stéphane T. Détenu à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis et âgé de 54 ans, il a déjà passé plus de 27 ans en prison pour des vols et braquages, ainsi qu’une évasion. Pour motiver leur refus, les juges invoquent un incident

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survenu en juillet 2014 au cours de la semi-liberté obtenue par S.T. en novembre 2013. Au cours de ses huit mois de semiliberté, il a pourtant « respecté ses obligations générales et particulières », reconnaît la Cour. Des obligations lui imposant de travailler en journée et de revenir en détention chaque soir avant 23 heures. Durant cette période, aucune permission ne lui a été accordée le week-end pour aller rejoindre son épouse domiciliée dans un autre département, si bien qu’ils n’ont pas pu partager un seul moment d’intimité – alors qu’ils le pouvaient en maison centrale dans le cadre de visites en Unité de vie familiale (UVF).

Réadaptation difficile après une longue peine Dans un contexte de difficultés à supporter de telles contraintes et à se réadapter à l’extérieur après une très longue incarcération, S.T. a explosé lors d’une conversation téléphonique avec son épouse. Il venait d’obtenir de pouvoir être opéré d’une hernie à l’hôpital et de passer son mois de convalescence chez sa femme avec un bracelet électronique, au lieu


© Olivier Culman

ACTU d’un retour en détention. Alors qu’il devait libérer sa cellule du centre de semi-liberté, sa compagne lui répond qu’elle ne peut venir le chercher avec ses bagages, ce qui déclenche de sa part des insultes et menaces. Son épouse signalant au SPIP que suite à l’incident téléphonique, elle ne veut plus héberger S.T., la mesure d’aménagement est retirée le 7 juillet 2014 par le tribunal de l’application des peines d’Evry. Stéphane T. est réincarcéré. En appel de cette décision, la chambre de l’application des peines estime que S.T. « a compromis sa possibilité de stabilité familiale et conjugale » et ne « s’est pas comporté convenablement pour accéder à des mesures d’aménagement de peine programmées en plusieurs temps dans son intérêt ». Une seule explosion de colère n’est donc pas permise à un sortant de prison ayant accumulé frustrations, tensions et privation de liberté pendant 27 ans. Ce qui revient à dénier « les effets néfastes de l’emprisonnement de longue durée », pourtant démontrés par « quarante ans d’études et d’expériences de la prison » 1. Des effets rappelés par la sociologue Antoinette Chauvenet : « perte du contact avec les autres et par conséquent avec la réalité, déficit pragmatique, perte de la fonction du réel […]. S’y ajoute l’exposition à la dimension “paranoïaque” de la structure. Tout ceci ne peut pas ne pas avoir, à long terme, d’effet sur la structure psychique des individus 2. »

Conditionnelle exclue pour les longues peines ? La Cour estime par ailleurs qu’il « apparaît absolument nécessaire de préparer sa fin de peine et son insertion sociale par un encadrement strict, [Stéphane T.] ayant été condamné à de très lourdes peines ». Le détenu présentait pourtant un projet solide, avec une nouvelle promesse d’embauche de l’employeur pour lequel il avait déjà travaillé sans incident pendant sa semi-liberté, ainsi qu’un hébergement en placement extérieur (probatoire à la LC) par l’association ARAPEJ 93, spécialisée dans l’accompagnement des sortants de prison. Les magistrats relèvent également « ses efforts de réadaptation et de réinsertion professionnelle, son inscription dans une démarche de réflexion, son suivi de formations, son élaboration d’un projet professionnel, ses versements volontaires en faveur des parties civiles, le suivi psychologique dont il a bénéficié depuis novembre 2012 ». Que peut-il faire de plus ? Si la Justice n’accorde pas de LC dans pareilles circonstances, autant dire que les condamnés à de longues peines ne sont plus accessibles à cette mesure. La conditionnelle est pourtant reconnue comme l’une des mesures les « plus efficaces et [les] plus constructives pour prévenir la récidive et favoriser la réinsertion sociale des détenus dans la société, selon un processus programmé, assisté et contrôlé », insiste le Conseil de l’Europe 3. 1 Conseil de l’Europe, Rec(2003)23 et Conférence ad hoc des Directeurs d’administration pénitentiaire, novembre 2004. 2 A. Chauvenet, « Les longues peines : le “principe” de la peur », Séminaire GERN, 21 mars 2008. 3 Recommandation Rec(2003)22.

Un encadrement strict ? Le projet d’insertion de S.T. ne présenterait pas un encadrement suffisant selon la Cour, au vu d’un « comportement inapproprié » en centre de semi-liberté qui « augure mal d’une attitude positive à l’ARAPEJ, où il sera moins encadré qu’en semi-liberté ». La Cour semble ignorer qu’un encadrement strict est au contraire susceptible d’être plus intenable après une très longue détention, et qu’un placement extérieur est bien plus soutenant aux plans de l’accompagnement social et humain que la semi-liberté. Il faut mesurer ce que représente le fait d’être obligé revenir de soi-même chaque soir en prison pour une personne qui a attendu la liberté pendant près de trente ans. Les conditions de la semi-liberté sont en pratique « très lourdes », explique le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, ce pourquoi cette mesure « ne peut durer de facto que pendant un temps limité (quelques mois). » 4 Après de longues années passées en détention, « ce n’est pas d’une mini-prison » dont les sortants ont besoin, mais d’« un espace où on apprend la liberté » ajoute AnneMarie Péri, présidente de la ferme de Moyembrie qui accueille des placements extérieurs 5.

Du disciplinaire au… disciplinaire Des dimensions ignorées par la Cour d’appel, qui se contente de mettre en cause un « comportement insolent et agressif [de S.T.]. envers le personnel pénitentiaire » du centre de semi-liberté, la version présentée par le détenu ne semblant pas avoir retenu son attention. Depuis qu’il a témoigné contre deux surveillants pour non assistance à personne en danger dans le cadre d’une grave agression entre détenus à Poissy en 2012, S.T. dit subir des pressions et abus de la part d’agents appartenant au même syndicat que ceux mis en cause. De sorte que « la détention devient insupportable pour lui », avait-il expliqué au tribunal qui devait révoquer sa semi-liberté. En appel, le ministère public a eu beau demander à la Cour « de faire droit à la proposition de placement extérieur » et celle-ci d’admettre que S.T. a montré de manière constante « une authentique volonté de se réinsérer et notamment de travailler », elle l’invite néanmoins à renouveler sa demande ultérieurement. Alors que « le tribunal de l’application des peines avait tout mis en place pour que le condamné puisse se faire opérer de sa hernie en milieu hospitalier et non pénitentiaire », la Cour relègue cette préoccupation derrière la nécessité de « se comporter convenablement ». Et l’« intervention rapide » dont a besoin Stéphane est « réalisable en milieu carcéral », même si attendue par le condamné depuis plus de six mois à Fleury-Mérogis. Sarah Dindo

4 CGLPL, Avis du 26 septembre 2012 relatif à la semi-liberté. 5 Dedans Dehors n° 81, octobre 2013. Dedans Dehors N°86 Décembre 2014

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Ducos :

demi-victoire contre des conditions de détention indignes Sept mesures pour améliorer les conditions matérielles de détention à Ducos : le juge administratif ordonne au ministère de la Justice de remédier aux graves atteintes portées à la dignité des personnes détenues. Mais il refuse d’intervenir sur la forte sur-occupation qui affecte cet établissement, limitant ainsi la portée de sa décision.

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urpopulation endémique, locaux insalubres infestés de

rats et d’insectes, cellules de 9 m² pouvant accueillir jusqu’à cinq personnes, carence d’activités et de travail, violences exacerbées… Prenant acte de graves atteintes portées aux droits fondamentaux des personnes détenues au centre pénitentiaire de Ducos, le tribunal administratif a ordonné sept mesures d’urgence, le 17 octobre 2014. Saisie par l’OIP de la situation de la seule prison martiniquaise, la justice reconnaît les conditions de vie « plus qu’insupportables » dénoncées par les détenus. Une pétition avait été adressée à l’administration pénitentiaire par 136 d’entre eux en 2012. Un nouvel appel au secours était parvenu à l’OIP le 7 janvier 2014, signé de 53 détenus. Devant le tribunal administratif de Fortde-France, l’OIP demande alors la mise en œuvre d’un plan d’urgence relatif tant à l’état matériel du CP qu’à la politique d’aménagement des peines en Martinique.

Sept mesures d’urgence Sur le volet des conditions matérielles, la démarche est couronnée de succès. Le juge ordonne une opération de dératisation et de désinsectisation de l’ensemble des locaux, dans un délai de dix jours. Et il enjoint à l’administration de « conclure dans les meilleurs délais un nouveau contrat de dératisation assurant un passage plus fréquent de l’entreprise, de nature à apporter une réponse efficace à l’ampleur des difficultés rencontrées ». S’attachant aux graves problèmes d’hygiène, le juge ordonne de fournir aux détenus des produits de nettoyage, des poubelles et des sacs poubelles « en nombre suffisant », ainsi que de faire procéder à un lessivage complet des cellules au moins une fois par an. Il prescrit de renouveler régulièrement le kit de produits d’hygiène corporelle, jusqu’à présent remis aux détenus seulement à leur arrivée dans l’établissement. Insuffisamment entretenues, les cours de promenade Dedans Dehors N°86 Décembre 2014

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Scolopendre trouvé par un détenu dans sa cellule du centre pénitentiaire de Ducos, 2014


ACTU

« Seule une politique pénale raisonnée et une redynamisation de la politique d’application des peines sont de nature à décompresser la situation » Isabelle Gorce, 2013

doivent faire l’objet des travaux nécessaires « avant la fin de l’année 2014 » : il s’agit de remédier à la présence d’eaux stagnantes, qui les rend impraticables en temps de pluie et prive les détenus, en cas d’intempéries, de leur droit de bénéficier d’une sortie quotidienne à l’air libre. Enfin, le juge entend répondre aux graves carences de la prise en charge médicale, et prescrit à la ministre de la Justice de prendre « dans les plus brefs délais » les mesures nécessaires pour que l’établissement bénéficie d’un « médecin généraliste supplémentaire à plein temps » et pour « qu’un médecin puisse intervenir la nuit et week-end en tant que de besoin ». Le ministère a aussitôt assuré que ces mesures « seront immédiatement appliquées » et que « des efforts continueront à être faits en faveur des conditions de détention ». Dommage que le recours au juge ait été nécessaire pour que ces dispositions essentielles au respect élémentaire de la dignité humaine soient adoptées. D’autant que la gravité de la situation n’était un mystère pour personne : au moins cinq rapports adressés aux différents ministres de la Justice 1 entre 2009 et 2014 en avaient dressé un tableau précis et formulé des propositions très concrètes.

La surpopulation dans l’angle mort Le juge a toutefois refusé de contraindre la Chancellerie à agir sur l’origine des difficultés constatées : la surpopulation, qui atteint 124 % au centre de détention et 210 % au quartier maison d’arrêt, au 1er octobre 2014. Tout en reconnaissant une situation « indéniablement préoccupante », le juge administratif considère qu’il convient de « prendre en compte les efforts entrepris par l’administration sur ce point », en particulier l’ouverture de 160 places supplémentaires à l’horizon 2015. Une perspective peu satisfaisante, alors que la capacité opérationnelle de l’établissement est aujourd’hui dépassée de plus de 360 personnes. « Seule une politique pénale raisonnée et une redynamisation de la politique d’application des peines sont de nature à décompresser la situation » affirmait Isabelle Gorce, devenue depuis Directrice de l’administration pénitentiaire, dans un rapport de 2013 consacré à la situation du centre pénitentiaire 1 Notamment : Rapport sur les problématiques pénitentiaires en outremer, mai 2014 ; CGLPL, rapport de visite, novembre 2009 ; Rapport sur les difficultés de prises en charge de la population pénale au CP de Ducos, juin 2013 ; CHU de Martinique, pôle MSM, unité sanitaire bilan rapport d’activité 2013 ; Rapport d’information de MM. Christian Cointat et Bernard Frimat, 6 avril 2011.

de Ducos. Une circulaire du 2 janvier 2014 traduit cette orientation et appelle les autorités judiciaires locales à « dynamiser les aménagements de peine » afin de désengorger Ducos. L’ambition se heurte toutefois à un manque de moyens financiers et humains pour le milieu ouvert. Elle risque de demeurer lettre morte, face à l’incapacité du juge administratif à contraindre le ministère de la Justice à adopter des mesures à la hauteur de ses orientations de politique pénale. Et le juge judiciaire ne se trouve pas plus outillé pour mettre fin aux mauvais traitements résultant de la sur-occupation des établissements pénitentiaires français. Le mouvement viendra peut-être du juge européen, qui pourrait rappeler à la France, comme il l’a fait pour l’Italie 2, ses obligations au regard de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme : celle-ci exige que les détenus puissent engager des recours leur permettant effectivement « d’obtenir une amélioration de leurs conditions matérielles de détention ». En attendant ce souffle européen, les détenus de Ducos continueront la chasse aux scolopendres. Maxime Gouache et Barbara Liaras 2 Cour EDH, 2e Sect. 8 janvier 2013, Torreggiani et autres c. Italie, Req. n° 43517/09

« Un véritable enfer » « Les cellules pour deux abritent quatre [personnes]. Ceux qui dorment à terre cohabitent avec des cafards, des souris, des scolopendres avec les risques de piqûres mortelles que cela peut entraîner. Les douches sont dans un état lamentable. Les produits de nettoyage de nos cellules sont donnés au compte-goutte. Les rendezvous chez le médecin sont donnés après trois semaines d’attente, voire des mois. C’est bien le surpeuplement de cette prison qui engendre des problèmes de violence et de rackets. La promenade et les activités sportives ne respectent aucune régularité de durée et de fréquence. Ceux qui sont enfermés 23 heures sur 24 souffrent énormément de la forte chaleur (32 degrés) car non seulement il y a un manque de ventilateurs, mais il y a des coupures de courant. Il faut aussi parler des nombreux rats morts qui tardent à être enlevés et qui dégagent des odeurs insupportables jour et nuit, pendant plusieurs semaines. Nous pensons aussi à la difficulté des détenus venant de Guyane et d’ailleurs qui ne peuvent bénéficier de parloir. Vu l’absence de conditions de rapprochement de leur famille/billets d’avions hébergement en hôtel. Tout cela fait que la prison de Ducos est vécue pour la plupart comme un véritable enfer. » Extrait d’une pétition adressée le 7 janvier 2014 à l’OIP-SF

Dedans Dehors N°86 Décembre 2014

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Guadeloupe :

le juge administratif refuse de garantir la liberté d’expression des détenus Permettre aux personnes incarcérées de s’exprimer sur leurs conditions de détention et d’être consultées par l’administration sur les décisions qui les concernent ne revêt pas un caractère utile. C’est ce que vient de juger le tribunal administratif de Basse-Terre, rejetant la requête de l’OIP de contraindre la direction du centre pénitentiaire à mettre en place un dispositif de concertation des détenus.

E

n janvier 2014,

208 détenus de Baie-Mahault adres-

saient à l’OIP une pétition pour dénoncer leurs conditions de détention : hygiène déplorable, cellules de 7 m2 partagées à trois (ou de 13 m2 à six), manque d’activités, augmentation des violences… Fait plus rare, ils revendiquaient la mise en place de dispositifs d’expression et de consultation des détenus dans le cadre d’une démarche qui se voulait « pacifique » : « Nous demandons que soit mis en place un forum de réflexion ou un cahier de doléances afin que des plaintes puissent être enregistrées et consultées, dans le but d’éviter les conflits entre surveillants et détenus ainsi que de trouver des solutions rapides à des problèmes devenus trop récurrents. »

Droit fondamental au panier Après avoir sollicité plusieurs fois, en vain, la direction de l’établissement, l’OIP a demandé au juge administratif d’ordonner la mise en place d’un dispositif de consultation dans cet établissement. Le juge des référés du tribunal administratif de Basse-Terre oppose un refus de principe à cette requête dans une ordonnance du 9 octobre 2014. Il reconnaît que « les violences à l’encontre du personnel du centre pénitentiaire et entre détenus sont fréquentes, du fait, en particulier, des conditions de détention difficiles dues à la promiscuité et à l’insuffisance des activités proposées en détention » et que « la concertation [peut] contribuer à l’apaisement des tensions ». Mais il rejette la demande de l’OIP en considérant que la prise en compte de la parole des détenus n’est pas « à elleseule de nature à prévenir ou faire cesser des atteintes au droit à la vie ou des actes de torture ou des traitements inhumains ou dégradants ». Ce que l’Observatoire ne soutenait évidemment pas, se contentant de rappeler qu’il s’agissait de garantir l’exercice effectif d’un droit fondamental (la liberté d’expression), dont les personnes incarcérées se trouvent privées. Le Dedans Dehors N°86 Décembre 2014

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tout sans risque pour la sécurité et le bon ordre des établissements pénitentiaires, les dispositifs d’expression collective étant au contraire un facteur d’apaisement des tensions.

« Cuir, allumettes ou lecture ? » Pour autant, la France ne semble toujours pas prête à mettre en œuvre la règle pénitentiaire n° 50 du Conseil de l’Europe, qui recommande aux Etats membres de faire en sorte que « les détenus [soient] autorisés à discuter de questions relatives à leurs conditions générales de détention et […] encouragés à communiquer avec les autorités pénitentiaires à ce sujet ». Dans la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, le législateur s’est contenté d’instaurer une consultation des personnes détenues sur les activités qui leur sont proposées. Le décret d’application n’impose que deux consultations par an et laisse entière discrétion aux chefs d’établissement pour en définir les modalités. Dans ces conditions, le tribunal administratif de Basse-Terre a pu considérer que cette disposition était respectée à Baie-Mahault : l’administration y distribue deux fois par an un questionnaire demandant aux détenus de cocher, sur une liste de vingt activités telles que « allumettes », « cuir » ou « lecture », les dix auxquelles ils souhaiteraient participer si elles étaient mises en place. Devant le caractère dérisoire de ce type de consultation, le juge administratif de Basse-Terre n’a pas su franchir un palier supplémentaire pour garantir aux personnes détenues le droit à la liberté d’expression. Un droit qui constitue pour la Cour européenne des droits de l’homme, « l’un des fondements essentiels [d’une société démocratique], l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun 1 ». Maxime Gouache

1 Cour EDH, 7 déc. 1976, Handyside c./Royaume-Uni, n°5493/72, §-49


© Eric Bernath

ACTU

Violences à Valenciennes : prison avec sursis pour deux surveillants

Deux condamnations à six mois de prison avec sursis. Tel est le résultat, confirmé en appel le 4 septembre 2014, d’une dizaine de procédures engagées au pénal par des détenus de la maison d’arrêt de Valenciennes pour des violences et autres abus commis par des agents entre 2008 et 2009. Des pratiques confirmées par une inspection pénitentiaire. Sans suites disciplinaires.

L

a cour d’appel de

Douai

a confirmé en tous points le

jugement du tribunal correctionnel de Valenciennes, qui avait condamné deux surveillants en juillet 2013. Une dizaine de détenus avaient porté plainte en mars 2009, donnant lieu à l’ouverture de sept informations judiciaires. Seuls quatre surveillants avaient finalement été poursuivis pour violences aggravées, faux et usage de faux, violences sans incapacité sur témoin et subornation de témoin. Contre l’avis du parquet, le tribunal n’a retenu que les faits de violences aggravées, ignorant les autres infractions perpétrées à la maison d’arrêt de Valenciennes entre 2008 et 2009.

Un chef de détention condamné pour usage abusif de gaz lacrymogène La condamnation du chef de détention Mohamed A. est confirmée : six mois avec sursis pour violences volontaires aggravées avec arme sur le détenu Benoît H. Alors que celui-ci tambourinait à la porte de sa cellule pour obtenir des médicaments, plusieurs agents étaient intervenus sur son ordre. Le détenu se débattant, ils l’avaient plaqué au sol, menotté, transporté au quartier disciplinaire et dénudé. Le chef de détention lui avait ensuite aspergé le visage de gaz lacrymogène à travers

la grille de la cellule disciplinaire. « Au vu des déclarations » de quatre surveillants ayant pris part à l’opération, l’usage de la bombe lacrymogène est intervenu alors que « la grille était déjà refermée » et n’était « absolument plus justifié […] au regard des règles relatives à l’usage de la force et des moyens de contrainte ». L’argument de la légitime défense avancé par le prévenu ne tient pas. Les autres éléments du traitement infligé à Benoît H. ont conduit la mise en examen de plusieurs surveillants, qui ont finalement bénéficié d’un non-lieu. Un certificat médical constate pourtant de multiples lésions : « œdème frontal » et « de la pommette gauche », « multiples ecchymoses du flanc gauche et des genoux » Pour le juge, « la rébellion dont [le détenu] avait témoigné avait rendu nécessaire un usage prolongé de [la] force, utilisée de façon proportionnée et légitime 1 ».

Un surveillant condamné pour des coups de pied et de poing Dans la même affaire, la cour d’appel a confirmé la relaxe de Mohamed A. pour complicité de faux et usage de faux. Il avait 1 Jugements du tribunal correctionnel de Valenciennes, 25 juillet 2013 (n °09000007728 et 09000002442). Dedans Dehors N°86 Décembre 2014

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demandé au surveillant Christophe L., n’ayant pas participé à l’intervention, d’en faire le compte rendu, ce qui n’est pas permis par la procédure disciplinaire. Le surveillant était poursuivi pour avoir « établi un compte rendu professionnel faisant état de faits matériellement inexacts et d’en avoir fait usage ». Il a été relaxé, le tribunal estimant que « la preuve du caractère inexact de l’attestation n’[était] pas établie » 2. Mohamed A. est relaxé, pour les mêmes motifs. Le surveillant Christophe L. est néanmoins condamné dans une autre affaire à six mois d’emprisonnement avec sursis, confirmés par la cour d’appel, pour violences aggravées sur Kamal B. Il avait asséné deux coups de poing au visage et un coup de pied à la jambe du détenu, qui demandait avec insistance à poster plusieurs courriers et à téléphoner à sa femme enceinte, dans l’aprèsmidi du 22 janvier 2009. La Cour estime que les témoignages de trois détenus ainsi que les conclusions de l’Inspection des services pénitentiaires « permettent de contredire avec suffisamment de force probante la version donnée par le prévenu ». « En dépit de demandes réitérées », selon le jugement, le détenu n’a ensuite « pas eu l’autorisation de se rendre à l’infirmerie » pour faire constater les traces de coups et joindre un certificat médical à son dépôt de plainte. Le lendemain, il écrit au parquet avoir subi des menaces de mort de la part d’un autre surveillant, en raison de sa plainte. Il fait ensuite l’objet d’un compte rendu d’incident pour les faits du 22 janvier et à une sanction de 10 jours de quartier disciplinaire. Le surveillant en cause lui aurait également promis de « lui faire la misère et qu’il irait régulièrement au mitard ». Sous pression, Kamal B. retire sa plainte deux mois plus tard, ce qui incitera le parquet non pas à clore mais à poursuivre son enquête 3.

Brimades et pressions sur témoins Christophe L. était également poursuivi avec un autre surveillant, Monsieur R., pour violence sans incapacité sur un témoin pour l’influencer ou par représailles. Et un troisième surveillant, Monsieur D., pour subornation de témoin. A partir « du moment où il [a] été entendu par l’administration pénitentiaire », le détenu Fabrice G. a eu « à subir des pressions et des brimades constantes » de la part des trois surveillants. Des incidents inhabituels s’accumulent. Un jour, le surveillant R., « qui était au portique de sécurité, [refuse] de lui ouvrir la porte, vraisemblablement pour qu’il soit en retard dans son travail d’auxiliaire et pour qu’il soit déclassé » ; un autre jour, il lui « interdit de prendre une douche après son travail ». Ou encore, Christophe L. lui propose de « remonter avec un sachet de pâtes de fruits qu’il savait volé ». Le tribunal a néanmoins prononcé une relaxe : « la matérialité de certains incidents n’est pas suffisamment établie » et « si la réalité des autres incidents – notamment le blocage à la grille de la détention et les menaces sur sa personne – n’est pas contestable », « il n’est pas établi que ces voies de faits ont causé à la victime 2 Jugements du tribunal correctionnel, op. cit. 3 Jugements du tribunal correctionnel, op. cit. Dedans Dehors N°86 Décembre 2014

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une atteinte physique ou psychique ». Pour le juge pénal, les surveillants peuvent ainsi commettre des infractions tant que le dommage sur les détenus n’est pas important.

Nombreuses plaintes sans suite Deux condamnations avec sursis pour dix plaintes déposées. Les surveillants s’en sortent particulièrement bien. Les pressions subies par les détenus et les difficultés matérielles d’apporter des preuves l’expliquent en partie. Parmi les plaintes classées sans suite, celle de Monsieur A., qui prétendait avoir « été placé en cellule de fouille » et « roué de coups par plusieurs surveillants ». Celle de Monsieur E. qui, après avoir tapé à la porte de sa cellule car il se sentait mal, dit avoir été « plaqué contre le mur, puis au sol » et « placé en cellule disciplinaire », où il aurait « été déshabillé et laissé nu » pendant sept heures. Celle de Monsieur I., alléguant qu’un surveillant « alcoolisé est entré dans sa cellule », aurait « ôté l’intégralité des couvertures », l’aurait « saisi violemment par l’épaule » et « fait tomber de son lit ».

Absence de suites disciplinaires Ces plaintes ont déclenché une enquête de l’Inspection des services pénitentiaires (ISP), mettant en évidence de nombreux dysfonctionnements dans un avis du 6 juillet 2009. Elle décrit « un contexte dans lequel des sanctions infra-disciplinaires étaient prises à l’encontre de détenus sans que leur soient accordées les garanties de la procédure disciplinaire » : privation de téléphone, de promenade ou de douche, ou encore mise en cellule d’attente non justifiée. L’ISP souligne que « ces dérives n’ont pu survenir et se perpétuer que du fait des relations très particulières entre un directeur très peu présent et son adjoint et un chef de détention ayant pris une place prépondérante dans la vie de l’établissement » 4. Pour autant, aucune poursuite disciplinaire n’a été engagée contre les agents en cause. Dans son avis du 9 juillet 2014, le Défenseur des droits « déplore vivement l’absence de suite donnée aux investigations menées par l’Inspection », et notamment l’absence de sanctions disciplinaires à l’encontre principalement du surveillant Christophe L. et du chef de détention Mohammed A. Il demande au garde des Sceaux de « bien vouloir lui indiquer si des mesures de contrôle […] ont été mises en œuvre afin de s’assurer que de telles pratiques ne se reproduisent pas ». Le Défenseur rend néanmoins son avis et demande des comptes au ministère cinq ans après sa saisine, le 13 mai 2009. Un délai qu’il explique par « le refus initial des autorités judiciaires compétentes de transmettre les pièces et informations nécessaires demandées » et derrière lequel il s’abrite pour justifier qu’il se soit trouvé « dans l’impossibilité de mener ses propres investigations » 5. Anne Chereul, coordinatrice OIP régions Nord-Ouest 4 Avis de la CNDS du 9 juillet 2014 citant le rapport de l’Inspection des services pénitentiaires du 6 juillet 2009 5 Avis de la CNDS du 9 juillet 2014


sortir de prison

Sortir de prison : le parcours d’obstacles 88 200 personnes sont sorties de prison en 2013. La majorité en fin de peine, à savoir sans mesure de libération anticipée et encadrée (conditionnelle, surveillance électronique…), qui ne concerne que 20 % des sortants, 2 % des condamnés à une peine de moins de six mois. Fantasmée pendant la détention, la sortie devient rapidement un parcours du combattant. Difficultés de réadaptation à la vie du dehors, accès complexe aux services sociaux et sanitaires de droit commun quand ce n’est un véritable refus de prise en charge, discriminations dans l’accès à l’emploi… Le sortant subit et intériorise le stigmate que semble porter indéfiniment celui qui a « fauté ». Et la Justice lui demande de prouver qu’il mérite sa liberté, faisant peser une pression peu favorable à la réintégration ou la sortie de délinquance.

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dossier

Il y a un gouffre entre la sortie telle qu’imaginée pendant la détention et la manière dont elle se passe réellement. Maison d’arrêt St-Paul, Lyon, 2005 (fermée depuis)

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ans une traversée du désert, les hommes déshydratés

croient apercevoir une oasis verte et fraîche. Pour tenir, les détenus imaginent ce qu’ils feront à leur sortie. Des rêveries souvent modestes : un plat dont on se délecte par avance, sentir l’air de la mer, la douceur des bras qu’on espère retrouver… Elles permettent de s’extraire d’un quotidien carcéral humiliant, où plaisir et individualité n’ont plus voix au chapitre. La perspective de la sortie est omniprésente. « J’y ai pensé dès le premier jour » dit Antoine, « tout ce que j’ai fait pendant ces treize années, je l’ai fait en pensant à la sortie ». Se projeter à l’extérieur permet d’échapper à l’imparable emprise des murs et au diktat administratif. La sortie peut aussi effrayer. « Serai-je capable de vivre de nouveau dehors ? » De repartir à zéro ? « J’y pensais tout le temps et en même temps, ça me faisait peur. J’allais sortir sans un sou. Je savais que ça allait être difficile, parce que j’allais emprunter un chemin que je ne connaissais pas. Ma vie de voyou, je l’avais depuis l’âge de 14 ans » raconte Frédéric, en libération conditionnelle depuis plus d’un an.

Une courte lune de miel Et souvent, rien ne se passe comme prévu. Le décalage entre libération fantasmée et sortie réelle est « immense », selon Antoine. « J’ai dans un premier temps redécouvert le monde extérieur. Avec une courte phase d’euphorie : tout est beau, extraordinaire… Ensuite la réalité est là, il faut s’y mettre, tout Dedans Dehors N°86 Décembre 2014

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reconstruire. » Après une courte lune de miel, les sortants font face aux difficultés de réadaptation. Leur corps ne leur appartenait plus, ils en disposent à nouveau et doivent réapprendre à s’orienter, se déplacer, prendre les transports. Leurs sens s’étaient atrophiés ou surdéveloppés : la vue n’allait plus audelà de quelques mètres, l’ouïe s’est au contraire aiguisée. Après 22 ans de prison, Chriske ne sait plus « gérer quelque chose qui se passe à 50 mètres, 60 mètres », alors que sa vision a été si longtemps « bouchée » à une dizaine ou une vingtaine de mètres 1. On ne voit jamais loin en prison. Détenus, ils ont été placés en position de dépendance extrême. Libérés, ils attendent que quelqu’un vienne ouvrir la porte de leur chambre pour en sortir, d’un magasin pour y entrer. Ils s’étaient organisés un quotidien en cellule, ils passent de la même façon des heures enfermés dans une pièce de leur appartement ou foyer. « Ma chambre est organisée comme ma cellule, avec d’un côté mes livres, mes dossiers. Je regarde un peu la télévision la nuit, mais plus rien ne m’intéresse, sauf ce qui touche aux conditions de détention » témoigne Philippe. Ils ont été coupés du monde extérieur, où la vie a continué sans eux : ils retrouvent des proches qui ont changé, quand le temps de l’homme détenu s’est arrêté. « Je n’avais jamais vu d’euros », ajoute Philippe. « Hier soir encore, j’ai mis les pièces et les billets sur mon lit pour les mémoriser. » Les exemples pourraient encore se succéder, ils font mesurer 1 Serge Portelli & Marine Chanel, La vie après la peine, Grasset, 2014.


sortir de prison l’immense difficulté de réadaptation et de réapprentissage à la libération, parfois même après une courte peine.

© Michel Le Moine

Le magma administratif Dans le même temps, les libérés doivent pourtant résoudre une foultitude de problèmes administratifs et sociaux. « Ils sont censés réaliser conjointement toutes les démarches d’inscription sociale et d’accès au droit, exigeant une lucidité et une énergie dont ils ne disposent pas forcément à cet instant. Concrètement, il faut déjà avoir une adresse pour pouvoir commencer les démarches administratives. Et toutes les structures d’insertion n’acceptent pas de domicilier ceux qu’elles hébergent. Pour certains, il faut aussi régulariser leur situation sur le territoire, établir des papiers d’identité… La complexité de l’accès aux droits et la saturation des dispositifs peuvent conduire au découragement » explique Eric Pliez, directeur de l’association Aurore. Sans compter que beaucoup sortent avec un endettement auquel ils ne peuvent faire face. Dans une étude réalisée à l’ARAPEJ 2 « environ un tiers des personnes ont déclaré qu’elles devaient de l’argent – et l’on peut supposer qu’elles sont plus nombreuses en réalité : ce sont des crédits en cours, des arriérés de loyers, des impayés à un opérateur téléphonique ou à un fournisseur d’électricité, des amendes pénales (par exemple pour des fraudes dans les transports publics) ou des dommages et intérêts à leur(s) victime(s). Et le montant de ces sommes peut être colossal au regard des ressources disponibles : plusieurs milliers d’euros pour les amendes, plusieurs dizaines de milliers d’euros pour les dommages et intérêts 3. »

Stigmatisation dans l’accès à l’emploi Beaucoup ont l’impression que l’étiquette « détenu » leur colle à la peau. Et pour cause. Le corps social semble leur infliger une peine sans fin. Quid de la volonté de l’Etat de réintégrer les anciens condamnés, en leur interdisant l’accès aux postes de fonctionnaire (fonction publique d’Etat, territoriale, hospitalière…) alors qu’il devrait de toute évidence donner l’exemple ? Quid encore de tous ces métiers nécessitant un casier judiciaire vierge, telles les professions libérales ? Les anciens condamnés ne pourraient-ils pas devenir d’excellents avocats ou chauffeurs de taxi ? Sans parler de la réticence du secteur privé, en dépit de clauses d’insertion qui obligent les grands groupes à prévoir des heures de travail pour publics en difficultés. « Quand on parle aujourd’hui à un DRH de problématiques d’insertion, il a une certaine réceptivité. Mais dès lors qu’on précise qu’il s’agit de sortants de prison, le problème est beaucoup plus lourd. Il y a un “blocage culturel” fort dans l’entreprise », constate le président du Conseil coopératif 4. Un droit à l’oubli est invoqué dans les démarches d’effacement du 2 Association réflexion action prison et justice (accueil et accompagnement social). 3 Véronique Le Goaziou, Sortir de prison sans y retourner, parcours de réinsertions réussies, février 2014. 4 Hugues Sibille, dans « Sortir de prison, entrer dans l’emploi », colloque de mai 2011.

casier judiciaire. Mais aujourd’hui, il suffit à un employeur de taper sur Google le nom de celui qu’il envisage d’embaucher pour trouver des informations sur son passé. « Il y a deux ou trois articles sur mes passages aux Assises », explique Frédéric. Si un employeur fait une recherche, « je n’ai plus aucune chance. Qui va prendre le risque d’embaucher un ancien toxico braqueur de banques ? »

Faillites du droit commun Les services sociaux et sanitaires ne font pas mieux, se repassant le public des anciens condamnés telle une « patate chaude ». Le principe de leur accès aux dispositifs de droit commun « est désormais toujours affirmé dans les textes », qu’ils sortent avec ou sans mesure judiciaire. Mais en réalité, comme l’ont rappelé les travaux de la Conférence de consensus, « les conseils généraux qui sont en charge de l’action sociale et les services de l’Etat, qui ont la responsabilité de l’exclusion sociale, se renvoient souvent la responsabilité de la prise en charge des personnes libérées qui souvent restent dans des “zones grises” » 5. Par ailleurs, des structures comme les CHRS (centres d’hébergement et de réinsertion sociale) sont « soumises à des contrats d’objectifs » par l’Etat, ce qui les « pousse à privilégier l’accueil des personnes dont la situation a le plus de chances d’évoluer positivement durant le séjour », donc à exclure les publics ayant « les problématiques les plus difficiles », parmi lesquels les sortants de prison, explique Eric Pliez. Nombre de professionnels ont tout simplement peur des anciens détenus. Tels ceux des CMP (centres médicopsychologiques), qui ont développé moult arguments pour les refuser. Les obligations de soins ne sont pas prioritaires au vu du nombre de personnes ayant une vraie demande et des besoins urgents. Le simple mot « prison » engendre un blocage par le secrétariat ou pour toute réponse : « nous ne sommes pas habilités à recevoir des détenus », raconte un psychiatre exerçant en maison d’arrêt, habitué aux négociations sans fin avec le CMP pour caler un rendez-vous en prévision d’une libération. Pourtant, ces patients seront des citoyens libres et en principe ordinaires au moment du rendez-vous, si bien que le CMP est compétent. Mais la principale explication avancée en « off » est la peur de se retrouver face à des « monstres » et aussi l’idée qu’une personne ayant commis une infraction ne mériterait pas d’être reçue et traitée comme tout le monde. Les préjugés se portent bien, merci !

Manque de préparation à la sortie Nombre des difficultés auxquelles font face les sortants auraient pu être anticipées et traitées en amont de leur élargissement. L’importance de la préparation à la sortie est soulignée par tous les acteurs, dont Eric Pliez, qui estime indispensable de prévoir « un temps d’articulation entre le dedans et le dehors. Et que certaines personnes ne sortent pas sans accompagnement, comme celles souffrant d’addictions, qui 5 Conférence de consensus sur la prévention de la récidive, L’accompagnement social des condamnés et des sortants de prison, fiche 15, février 2013. Dedans Dehors N°86 Décembre 2014

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© Bernard Bolze

dossier

Fresque de Jérôme Mesnager, prison pour femmes de Montluc, Lyon (fermée en 2009)

se retrouvent à la rue sans aucun repère. » Pour autant, les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) ne sont pas en mesure d’assurer cette mission à l’égard de l’ensemble des personnes détenues et ils se concentrent sur les demandes d’aménagement de peine. Ceux qui ne demandent rien n’auront rien. En outre, les SPIP devraient coordonner l’intervention des services sociaux auprès des détenus, mais là encore, le public incarcéré se situe au bas de l’échelle des priorités et le nombre d’intervenants reste dérisoire. En 2012, il y avait 62,5 postes de conseillers Pôle emploi pour 191 prisons. Ils ont certes réalisé un entretien avec près de 19 000 détenus 6. Il en est résulté pour 17 % d’entre eux une solution d’emploi ou de formation. Un taux qui descend à 4 % si on le rapporte aux 88 000 sorties dans l’année. Nombre de détenus sont ainsi libérés sans que leur situation administrative ne soit régularisée et sans aucune préparation. 8 à 10 % n’ont pas même de solution de logement à leur sortie.

Des contrôles et exigences contre-productifs Les anciens prisonniers évoquent aussi un statut de « suspect à vie », via des pratiques policières toutes spécifiques en cas de condamnation au compteur. Propriétaire d’un restaurant 6 Direction de l’administration pénitentiaire, Les Chiffres clés, 2013. Dedans Dehors N°86 Décembre 2014

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gastronomique, Patrick Casalini raconte que vingt ans après son incarcération pour des vols et escroqueries, « cette histoire [le] poursuit toujours. Un cambriolage près de mon restaurant et les gendarmes viennent chez moi aussitôt. J’ai été suspecté de trafic de voitures, j’ai eu des contrôles d’hygiène au restaurant, des contrôles de police… Un ex-délinquant, pour beaucoup dans la société reste un voyou à vie 7. » Les exigences judiciaires apparaissent aussi inadaptées. Trop de contrôle, pas assez d’accompagnement. Ainsi peut-on résumer ce que vivent nombre de condamnés libérés dans le cadre d’un aménagement de peine. Plutôt que d’être accompagnés par des professionnels dans ce difficile passage du dedans au dehors, ils sont acculés à prouver constamment qu’ils méritent d’être libres. Le summum étant incarné par la mesure de surveillance électronique. Libéré depuis quatre ans, Antoine a perdu son emploi à cause des sonneries stridentes et intempestives de son bracelet électronique mobile (PSEM) ou des retours immédiats à son domicile exigés en cas de dysfonctionnement technique. « Ils ont estimé que ma vie privée prenait trop le pas sur la vie professionnelle, donc ils m’ont licencié. Depuis, j’ai du mal à rebondir, car je me demande comment travailler dans ces conditions. » Pour Philippe aussi, « le seul accompagnement, ce sont des contraintes. Par exemple, Pôle emploi avait accepté de prendre en charge un trajet sur Paris pour un entretien d’embauche. Mais comme je devais aller récupérer le formulaire sur un créneau qui ne correspondait pas à mes horaires de sortie autorisée, le SPIP a refusé. » Sans compter le tempo inadapté des rendez-vous fixés par les conseillers de probation, les juges ou les structures de droit commun. « A chaque fois, on essaie de se reconstruire mais à la sortie c’est le calvaire de l’administration. On vit au jour le jour et on vous donne un rendez-vous pour dans deux ou trois semaines. On tient une semaine et puis on lâche. Car en fait on ne peut tenir qu’au jour le jour, on n’a pas d’autre choix. Alors on vole », dit un homme de 35 ans incarcéré plusieurs fois 8. On pourrait penser que des personnes condamnées doivent être strictement contrôlées à leur sortie pour éviter la récidive. Ce serait omettre les effets de la stigmatisation sur le comportement. Le chercheur américain Thomas LeBel explique le mécanisme : les sortants « internalisent » l’idée qui leur est renvoyée selon laquelle ils seraient « nécessairement plus dangereux, malhonnêtes, moins fiables que la moyenne ». Et « plus ce sentiment du stigmate est prégnant, plus les difficultés à en sortir sont importantes et les violations des termes de la libération conditionnelle élevées ». Nombre d’études concluent à « une prophétie auto-réalisatrice : les gens qui n’ont pas d’espoir ne se battent pas pour réussir. S’ils pensent être voués à l’échec, celuici surviendra à coup sûr. » A l’inverse, les travaux sur la désistance montrent que ceux qui s’en sortent ont rencontré des personnes qui croyaient en eux et ont intériorisé une « foi en leur capacité et leurs qualités pour jouer un rôle social positif ». Sarah Dindo 7 ladepeche.fr, 1/10/2008 8 Véronique Le Goaziou, op.cit., février 2014.


sortir de prison

Le poids du stigmate Discriminations dans l’accès à l’emploi et au logement, manque de réseau social hors délinquance ou drogue, poids du casier judiciaire, difficultés de réadaptation… Le chercheur américain Thomas LeBel recense les obstacles à la réinsertion après la prison. Et souligne l’importance de surmonter le stigmate pour ne pas se croire « condamné à la délinquance ».

Thomas P. LeBel est professeur associé au département de justice pénale de l’université du Wisconsin (USA). Ancien détenu, il travaille sur les conditions de retour dans la société des sortants de prison.

Vous avez réalisé une recension des recherches anglosaxonnes sur la sortie de prison 1. Quels obstacles à la réinsertion en ressortent ? Près d’un sortant sur quatre aux Etats-Unis dit expérimenter souvent ou très souvent des discriminations dans l’accès à l’emploi et au logement, liées à leur statut d’ancien détenu. Plus de la moitié ont connu périodiquement ces mêmes discriminations 2. Au stigmate s’ajoute le poids du casier judiciaire, interdisant certains emplois – en plus des restrictions légales, il est fréquent que les formulaires ou les entretiens d’embauche comportent une question sur une éventuelle condamnation pénale. Enfin, les personnes ayant passé du temps en prison ont rarement eu l’occasion de développer des compétences monnayables sur le marché du travail. Elles obtiennent souvent des emplois « cul de sac », sans opportunités d’évolution et très mal rémunérés. Généralement, le monde ne leur est plus familier, ne serait-ce que du fait des évolutions technologiques. Et elles doivent prendre seules de nombreuses décisions. Le simple fait de résister aux tentations, en particulier de consommation de psychotropes ou d’alcool, représente un défi quotidien. Environ 80 % des 1 Avec Lila Kazemian, « Réinsertion et sorties de délinquance », in Marwan Mohammed, Les sorties de délinquance, Ed. La Découverte, 2012. 2 Thomas P. LeBel, « Invisible Stripes ? Formerly Incarcerated Persons’ Perception of Stigma », Deviant Behaviour, 2012.

sortants souffrent d’addictions, et une partie d’entre eux retournent vivre dans des environnements où l’accès à ces produits est facilité. Ces différents facteurs alimentent un sentiment d’impuissance, de perte de maîtrise sur les événements et sur sa propre vie. Au bout du compte, 30 % des sortants sont de nouveaux arrêtés dans les six mois suivant leur libération, et 44 % dans l’année. Mais s’ils arrivent à franchir ce cap décisif de la première année, la gravité et la fréquence des rechutes diminue. Quels sont les facteurs qui favorisent au contraire la réinsertion et la sortie de délinquance ? Le soutien familial est le plus souvent cité par les ex-détenus comme principal facteur les ayant empêchés de retourner derrière les barreaux la première année après leur sortie de prison (Visher et Courtney, 2007). Reconstruire un nouveau réseau de relations hors milieu délinquant est aussi très important. L’emploi peut aussi contribuer, parce qu’il structure le quotidien et renforce le sentiment de sa propre valeur. A condition qu’il soit stable, ait un minimum d’intérêt, et soit correctement payé : un salaire régulier et décent peut aider à surmonter d’autres obstacles tels que de mauvais rapports familiaux, un logement inadapté… Les personnes qui trouvent un emploi dans les trois à six mois après leur libération risquent moins de récidiver (Solomon et al., 2004). Comment la stigmatisation affecte-t-elle les personnes, et quel rôle joue-t-elle dans le processus de réinsertion ? L’idée qu’un sortant de prison serait nécessairement plus dangereux, malhonnête, moins fiable que la moyenne est fort répandue. Les personnes concernées le savent, et internalisent cette perception. Or, plus ce sentiment du stigmate est prégnant, plus les difficultés à en sortir sont importantes et les violations des termes de la libération conditionnelle élevées. Dedans Dehors N°86 Décembre 2014

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© Pascal Bastien

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Prisonnier lors d’une rencontre avec des recruteurs, journée annuelle « forum de l’emploi » à la maison d’arrêt de l’Elsau, Strasbourg, novembre 2012

Plus l’identification avec le groupe « ex-détenus » est forte, plus ce sera au détriment des liens avec d’autres groupes, tels que la famille et les amis. Un imposant faisceau de preuves montre que le regard que la personne porte sur elle-même, sa vie et ses activités passées est un important facteur pour s’en sortir ou pas. C’est une prophétie auto-réalisatrice : les gens qui n’ont pas d’espoir ne se battent pas pour réussir. S’ils pensent être voués à l’échec, celui-ci surviendra à coup sûr. Ce que pense quelqu’un conditionne son comportement. Ceux qui se sentent très stigmatisés peuvent avoir tendance soit à se cacher, soit à fréquenter uniquement des personnes qui se sentent elles aussi rejetées et marginalisées. Le chercheur Shadd Maruna a constaté que les persistants, ceux qui restent impliqués dans la délinquance, se croient souvent « condamnés à la déviance ». Ils ont peu d’espoir de s’en sortir dans la société classique. A l’inverse, la foi des désistants en leur capacité et leurs qualités pour jouer un rôle social positif, ou le fait par exemple de s’identifier à un rôle de « père de famille », contribuent fortement à leur réinsertion. Que sait-on des actions les plus efficaces pour soutenir les sortants de prison ? Les recherches montrent toute l’importance d’une préparation à la sortie avec une continuité entre la prison et l’extérieur. Par exemple, les détenus participant jusqu’au bout à un dispositif de préparation à la sortie ont un taux de récidive moins élevé (Finn, 1998 ; Nelson et Trone, 2000). Le continuum propre à certains programmes de traitement de la Dedans Dehors N°86 Décembre 2014

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« Ceux qui restent impliqués dans la délinquance, se croient “condamnés à la déviance’’. Ils ont peu d’espoir de s’en sortir dans la société classique. »

toxicomanie – comprenant une communauté thérapeutique en milieu carcéral, un dispositif de libération transitoire et une prise en charge en milieu libre – a le plus réduit la consommation de psychotropes et la récidive. Cette idée de continuité et d’accompagnement pour favoriser la transition est une clé. De préférence par des pairs-mentors, des ex-détenus ayant réussi à s’en sortir, qui peuvent apporter un soutien émotionnel, aider à ne pas se laisser décourager. Quelques programmes proposent aussi des logements de transition, dans un environnement sûr et à un prix abordable, avant que la personne ne retourne auprès de sa famille ou dans son propre logement. En quelque sorte, une piste d’atterrissage où les sortants peuvent se poser avant de retourner dans un milieu ordinaire moins protégé. En matière d’accès à l’emploi, quels dispositifs ont prouvé leur utilité ? Là aussi, il est important d’y travailler dès l’incarcération. Il faut promouvoir la formation professionnelle en prison, axée sur des métiers ayant des débouchés dans l’économie


sortir de prison actuelle. Puis proposer un suivi intensif immédiatement après la sortie, permettant d’acquérir des compétences en matière de recherche d’emploi : repérer les offres pertinentes, rédiger un CV, se préparer à l’entretien d’embauche… Certains organismes proposent des « emplois de transition » : il s’agit de former les personnes aux compétences de base nécessaires dans le monde du travail : comment s’impliquer, être à l’heure, développer de bonnes relations avec ses collègues et ses supérieurs… Cela facilite la transition vers des emplois ordinaires. Il faut ensuite poursuivre l’accompagnement une fois le premier emploi trouvé. Ces prestations après embauche semblent améliorer les taux de maintien dans l’emploi, notoirement bas chez les détenus récemment libérés. Elles peuvent rester nécessaires plusieurs années après la sortie : la recherche a montré que si la personne perd son boulot, ou décide de le quitter parce que ça ne lui plaît pas, il lui sera plus difficile de retrouver un second emploi par elle-même. Vous avez évoqué les « communautés thérapeutiques », de quoi s’agit-il ? Il s’agit de groupes de conseil et d’entraide, qui se réunissent – en prison ou à l’extérieur – de manière intensive pendant une période de six à douze mois. Selon le principe du mentoring, les plus anciens du groupe acquièrent plus de responsabilités, ils aident ceux qui sont moins avancés dans le programme. En milieu ouvert, les réunions sont souvent animées par d’anciens détenus, qui peuvent familiariser les personnes fraîchement libérées avec la société, les aider à résoudre les problèmes inhérents au retour à la vie libre. Une grande attention est aussi portée à la façon dont on s’adresse aux autres, comment on entre en relation. On travaille l’estime et la conscience de soi, le rapport à l’autorité, la résolution de problèmes… La communauté, de trente à cinquante membres, est utilisée comme principal levier de changement, les interactions sont très développées, la plupart du temps dans des travaux de groupe. Il s’agit de confronter les gens à leurs pensées, à leurs comportements. Les méthodes basées sur la perception et la motivation (cognitivo-comportementales) sont-elles aussi utilisées dans ces communautés ? Oui, elles répondent aux besoins de certains détenus ou sortants de prison. Des chercheurs ont par exemple interrogé des auteurs de délits graves avec violence participants à un programme de réinsertion : les deux tiers ont déclaré avoir besoin d’aide en matière de comportements transgressifs et de relations aux autres. Plus d’un tiers a déclaré avoir besoin d’apprendre à gérer sa colère (Visher et Lattimore, 2007). Les programmes cognitivo-comportementaux visent à apprendre, en prison ou dans le cadre de la probation, à observer ses pensées, à repérer leurs effets et à apprendre des techniques spécifiques pour les maîtriser, dans une optique de résolution de problèmes. Un programme de traitement de la toxicomanie qui s’est montré particulièrement efficace, par exemple,

« Il existe aujourd’hui de nombreuses preuves de ce que les programmes basés sur la menace et le contrôle – camps disciplinaires, tests toxicologiques, surveillance électronique – ne sont pas efficaces »

propose 22 rencontres, deux fois par semaine, pour analyser les déclencheurs de la consommation, travailler sur les rechutes, sur des stratégies de prévention… En matière de réadaptation sociale des délinquants, il y a consensus sur le fait que les suivis comprenant ce type d’interventions sont les plus à même de réduire le taux de récidive et la consommation de psychotropes. L’entretien motivationnel a aussi suscité beaucoup d’intérêt dernièrement. Il s’agit d’amener la personne à se construire sa propre motivation (interne) et ses objectifs personnels, par opposition aux motivations externes (faire une chose parce qu’elle nous est demandée ou imposée par la justice). Les agents de probation ou de libération conditionnelle aident ainsi ceux qu’ils accompagnent à développer des projets auxquels ils adhèrent vraiment, dont ils sont les acteurs. Il ne s’agit pas de se cantonner à poser des interdictions et vérifier qu’elles sont respectées. De manière générale, qu’est-ce qui ne fonctionne pas dans les mesures de suivi des sortants de prison ? Il existe aujourd’hui de nombreuses preuves de ce que les programmes basés sur la menace et le contrôle – camps disciplinaires, tests toxicologiques, surveillance électronique – ne sont pas efficaces. Ces stratégies coercitives ne sont pas susceptibles de favoriser des changements à long terme. On continue néanmoins à les utiliser, probablement parce qu’elles plaisent au citoyen moyen, qui pense que l’approche punitive est efficace, comme si les auteurs d’infractions étaient différents, ne fonctionnaient pas comme les autres. Cela commence à changer cependant, même aux Etats-Unis. Certains Etats, y compris parmi les plus conservateurs, comme le Texas, se rendent compte que l’approche punitive est coûteuse et inefficace. Ils évoluent de « durs » à « intelligents » contre la délinquance. Ce changement de sémantique autorise le législateur et les différents acteurs à mettre en œuvre des programmes innovants recourant aux alternatives à l’incarcération, avec plus de traitement et d’assistance aux personnes. On en est encore aux premiers pas, après avoir atteint le pic, la population carcérale a cessé de croître et commence même à baisser dans de nombreux Etats. Mais on part de loin, la route sera longue. Recueilli par Barbara Liaras et Sarah Dindo

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« Je ne rêve plus depuis longtemps » Lorsque vous étiez en prison, est-ce que vous pensiez souvent à la sortie ? Oui, mon esprit était toujours dehors, je ne me suis jamais habitué à la prison. J’ai une femme et six enfants, ils sont toute ma vie, je ne pouvais donc pas faire abstraction du dehors. Ma dernière est née pendant que j’étais détenu, c’est un « bébé parloir ». En 1997, j’ai passé trois ans en prison. J’y suis retourné 15 jours après ma sortie, pour trois ans, jusqu’en 2003. Et je suis retombé en 2009, pour être libéré en 2013. J’ai pris la décision de changer de vie au cours de cette dernière incarcération. La sortie, j’y pensais tout le temps et en même temps, ça me faisait peur. J’allais sortir sans un sou. Je savais que ça allait être difficile, parce que j’allais emprunter un nouveau chemin, que je ne connaissais pas. Ma vie de voyou, je l’avais depuis l’âge de 14 ans. Vous avez été aidé pour préparer la sortie ? Non, parce que mes trois incarcérations se sont passées à Fresnes. J’aurais dû être transféré en établissement pour peine, mais c’est moi qui tenais à rester là pour voir mes enfants et ma femme. Ils vivent à côté et venaient au parloir toutes les semaines. Mais du coup, en maison d’arrêt, il n’y a pas d’outil concret pour la réinsertion. On peut travailler, mais ça n’est pas formateur. Des petits travaux de nettoyage, ou bien l’atelier où on est payé à la pièce, 80 euros par mois. Au bout de deux ans, j’ai réussi à avoir la place de coiffeur. Je pouvais naviguer dans la division, pour aller chercher les détenus, sans avoir de surveillant derrière le dos. Mais cette petite autonomie appréciable en prison, ça n’a rien à voir avec dehors, quand il faut vraiment se débrouiller seul. Mon CPIP n’a pas voulu m’aider à préparer ma demande de libération conditionnelle (LC), car il s’opposait à ma sortie, considérant que je n’avais pas fait assez de mon temps de peine. J’étais à la moitié de ma peine de huit ans, c’est le seuil légal pour demander une LC. J’ai donc monté mon dossier Dedans Dehors N°86 Décembre 2014

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avec l’aide de mon visiteur de prison. Comment avoir des contacts et faire des démarches à l’extérieur si on n’est pas aidé ? Il n’y a qu’un intervenant de l’ANPE pour 2 000 détenus. En prison, il faudrait pouvoir travailler son CV, par exemple. Quand je suis sorti, je ne savais même pas mettre en page sur un ordinateur. En quatre ans, vous ne pensez pas que j’aurais pu l’apprendre ? Quand je suis entré la première fois, j’avais vingt ans. Aujourd’hui, j’en ai plus de quarante. La problématique n’est plus du tout la même ! De plus, ça fait quatorze ans que je suis sous traitement de substitution. Je n’ai pas rechuté. Mais j’ai été libéré sans même une ordonnance, avec juste deux jours de Subutex. Et je n’avais pas de sécurité sociale, pas de CMU, rien. C’est mon visiteur de prison qui a payé pour moi le traitement pendant deux mois, le temps que j’aie la CMU. Sous quel régime êtes vous sorti ? En libération conditionnelle parentale, avec une obligation de soins, l’interdiction d’aller dans le département où j’ai fait les braquages, l’obligation d’indemniser mes victimes, mais aussi l’obligation de résider en dehors de l’Ile-de-France, alors que ma famille y habite. C’est paradoxal quand même, j’ai une conditionnelle « parentale » mais pas le droit de vivre avec mes enfants. Au début, la JAP de Soissons ne voulait même pas m’autoriser à aller les voir. J’ai dû batailler pour obtenir le droit de leur rendre visite les week-ends. Mais dans la durée, je n’ai pas réussi à tenir l’interdiction en semaine, et j’ai commencé à rentrer chez moi le soir. Ce qui m’obligeait à me lever à quatre heures du matin pour être à l’heure à mon travail. Le psychologue qui me suit dans le cadre de l’obligation de soins est alors intervenu, disant que je mettais en danger ma santé avec tous ces allers-retours. Il a bien cerné le côté absurde de la situation, sachant que je vis dans la région la plus sinistrée au niveau chômage, je n’y ai aucune perspective professionnelle. Il a appelé la JAP pour lui expliquer et lui demander de me laisser résider au domicile familial. J’ai envoyé la lettre de demande au juge, j’attends la réponse.

© Pascal Bastien

Frédéric, 42 ans, est sorti en libération conditionnelle depuis août 2013, après sa troisième incarcération. Marié et père de six enfants, il veut changer de vie après un total de dix ans de prison. Il se heurte aux difficultés d’accès à l’emploi, n’ayant connu qu’une vie de « voyou » depuis l’âge de 14 ans, et portant le stigmate d’ancien « braqueur toxicomane ».


sortir de prison

En raison du temps passé hors de la vie active et de la stigmatisation due à leur condamnation, les ex détenus ont les plus grandes difficultés à trouver et garder un emploi satisfaisant (Western, Kling et Weiman, 2001)

Vous êtes sorti de prison avec un travail ? Oui, c’est mon visiteur qui m’a trouvé un boulot au Relais d’Emmaüs. C’était de la collecte, du tri et de la revalorisation de textiles. Je poussais entre 60 et 80 chariots de 300 kg par jour ! Alors j’ai trouvé un autre travail, à mi-temps, comme agent d’espaces verts dans une structure d’insertion. Je gagnais 600 euros par mois. C’était un contrat renouvelable une seule fois, sans formation. J’ai vécu avec 600 euros par mois, en habitant dans une chambre d’hôtel à mes frais. Et sans voler ! Depuis, je n’ai plus de travail, je suis en recherche. Est-ce que vous avez eu des difficultés physiques ou psychologiques pour vous réadapter à la vie libre ? Quand je suis sorti, j’étais anorexique, je pesais 51 kg. En prison, la bouffe était exécrable. Je suis tombé malade, on m’a enlevé cinq polypes dans les intestins. Et je n’ai pratiquement plus de dents. Pendant des mois après la sortie, je n’arrivais pas retrouver du poids, mais aujourd’hui je suis à 80 kg ! J’ai mis des mois à retrouver une vie normale. J’avais des phobies, notamment par rapport à la foule dans la rue. Je me revois un soir après une journée de travail, j’allais faire des courses : j’avance dans la rue principale, et là, en voyant la foule, je panique. Une crise d’angoisse phénoménale, je transpirais, je

« J’ai mis des mois à retrouver une vie normale. J’avais des phobies, notamment par rapport à la foule dans la rue. » me suis senti comme si j’étais attaqué. J’ai fait demi-tour et je suis rentré à l’hôtel me coucher. Ça a mis des mois à passer. J’étais hyper agressif quand je suis sorti. Après des années de prison, on garde une attitude de fauve, prêt à bondir à tout moment. Je partais au quart de tour. Encore maintenant, ce n’est pas réglé. Quatorze mois que je suis dehors, et je commence seulement à décoller. Avez-vous l’impression qu’une étiquette d’ancien détenu vous colle à la peau ? Pas au quotidien, avec les gens que je croise dans la rue, ce n’est pas marqué sur ma tête. Mais dans le cadre de la recherche de boulot, oui, c’est sûr. Aujourd’hui beaucoup d’employeurs vont chercher sur Google des informations sur vous. Si on tape mon nom, il y a deux ou trois articles sur mes passages aux Assises. Et je n’ai plus aucune chance. Qui va prendre le risque d’embaucher un ancien toxico braqueur de banques ? J’ai envoyé plus de cent CV. Pour des emplois à ma portée : coursier, préparateur de commandes… Je ne rêve pas, je ne rêve plus depuis Dedans Dehors N°86 Décembre 2014

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© Bernard Bolze

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Fresque de Jérôme Mesnager dans un établissement pénitentiaire, 2002

longtemps. J’ai obtenu deux entretiens, qui se sont très bien passés. Mais après, je n’ai jamais eu de nouvelles. Selon vous, qu’est-ce qu’il faudrait faire pour aider les sortants de prison ? En prison déjà, il faudrait un accompagnement avec un tuteur régulier, pas quelqu’un qui change toutes les semaines. Quelqu’un qui suive votre parcours, qui vous évalue, pour voir ce dont vous êtes capable, ce que vous voudriez et ce que vous pouvez faire. Qui commence le travail à l’intérieur en vous donnant les bonnes informations. Et une fois dehors, qui continue à vous suivre, comme un référent. Mais pas les CPIP, les détenus n’iront pas vers eux. Avant, ils étaient dans l’accompagnement, maintenant ce n’est que du contrôle. Si ce n’est plus leur rôle de préparer à la réinsertion, on aurait dû créer d’autres postes pour l’accompagnement, proches des assistantes sociales, de l’ANPE. Il faudrait quelqu’un comme mon visiteur de prison, qui aille à la rencontre de ceux qui n’arrivent pas à se projeter dans l’avenir. Il faut aller vers les détenus. Le détenu, il est derrière sa porte, ce n’est pas lui qui peut aller vers vous. Qu’est-ce qui vous a décidé à changer de vie ? La thérapie que j’ai faite pendant quatre ans, au cours de ma dernière peine. C’est moi qui ai demandé à voir le psy toutes les semaines. Parce que je voulais changer et comprendre. Il faudrait un meilleur accès à des thérapies en prison, et que cela reste secret. Beaucoup n’assument pas d’aller voir un psy, parce que c’est mal vu, ça veut dire qu’on est tox ou dingue. Moi, j’ai dû assumer, tout le monde savait que je voyais le psychologue et que je prenais un traitement de substitution. Les listes des détenus sont affichées à la vue de tous, le secret n’est pas préservé. Si je n’avais pas fait ce travail avec le psychologue, je serais toujours le gars d’avant. Et aigri. Je serais retourné braquer deux fois plus fort. Après ma dernière incarcération, je voulais vraiment que ça change, mais je n’avais pas les outils. J’ai été élevé dans un moule de voyous, je n’ai pas eu les bons signes, les bonnes références. Mon beau-père, c’est le premier qui s’est évadé en hélicoptère de Fleury-Mérogis en 1981. Vous imaginez ? C’était impossible pour moi d’en sortir seul, je ne Dedans Dehors N°86 Décembre 2014

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pouvais pas analyser et remettre mon entourage en question. Il a fallu tout reprendre à zéro. Le travail avec le psy m’a donné les clés pour m’en sortir. Avant de parler de récidive, il faudrait agir sur l’entrée dans la délinquance. Ce qui a fait que j’ai été braqueur dans ma vie, c’est mon enfance. A treize ans, je m’assumais, je volais déjà. J’avais un scooter tout neuf à 10 000 francs, je m’achetais des Nike. Parce que personne ne m’a dit ce qui était bien et mal, ce qu’on pouvait faire ou pas. Attention, je n’ai pas le discours « moi je suis né dans la misère, je suis obligé de voler ». J’ai même beaucoup de mal à l’entendre. Parce que je vois bien qu’on a le choix. Depuis que je suis sorti, j’ai vécu quatorze mois très difficiles, mais je n’ai pas récidivé, parce que maintenant j’ai la volonté d’en sortir. Et aussi grâce à ma femme et mes enfants qui me soutiennent. Recueilli par François Bès

Marie-Jeanne, 66 ans, libérée depuis quatre ans après onze mois à Fresnes « Quand j’étais en détention, je crois que je ne souffrais pas trop pour moi, mais pour les gens qui étaient autour de moi : mon mari, mes enfants. Ça, ça a été quelque chose de très dur à porter… Et encore aujourd’hui. Parce que j’ai beaucoup de mal, à part avec mon fils aîné, à en parler. Avec mon mari, sitôt que je viens à parler de Fresnes, il fait celui qui fuit. Je n’arrive pas. Et avec un de mes fils non plus, il ne faut pas en parler, de la prison. J’ai un mal fou à parler de ça avec lui. » Après la sortie, « j’avais du mal à reprendre la vie : quand j’étais chez moi, ça allait. Mais quand je sortais, quand j’allais faire des courses en magasin, je n’avais qu’une hâte, c’était de me retrouver dans ma voiture et de me dépêcher de rentrer. Je ne sais pas ce que c’était exactement, mais il y avait du bruit, ça me gênait, je n’étais pas bien… Dans la cellule, on est habitué à vivre tout seul, alors après, j’avais du mal avec le monde, il y avait toujours trop de monde. Ça a duré plusieurs mois. Et puis ce dont j’avais peur aussi quand je sortais, c’était de rencontrer des gens que j’avais connus. J’avais peur du regard et de la parole des autres. Mais en fait, ça c’est plutôt bien passé : les gens m’ont parlé normalement, et je n’ai pas trop connu tout ce que j’avais redouté, comme le rejet. Mais comme on avait beaucoup parlé de mon affaire dans la presse régionale à l’époque, ma famille du côté de mes cousins m’a tourné le dos complètement. Bizarrement, la cassure ça a été dans ma famille, pas avec les autres personnes. » Extrait de S. Portelli et M. Chanel, La vie après la peine, Grasset, 2014


sortir de prison

Le relais manquant Préparer la sortie avec une structure d’insertion, qui assurera un accompagnement intensif avant que les services sociaux de droit commun n’assurent un relais. Tel est le principal chaînon manquant selon Eric Pliez, qui explique le découragement de nombreux libérés. Mal préparés, insuffisamment accompagnés, ils se heurtent à la complexité et aux réticences de services sociaux qui méconnaissent leurs difficultés.

Eric Pliez, ancien éducateur spécialisé, dirige l’association d’insertion Aurore et préside le Samu social de Paris.

suffisante, permet aux sortants de retrouver ou d’acquérir des repères. C’est dans cette articulation entre le dedans et le dehors que le bât blesse aujourd’hui. Les associations sont en contact avec différents interlocuteurs – juges de l’application des peines, services d’insertion et de probation (SPIP), autorités pénitentiaires, etc. – qui ne se concertent et ne se connaissent pas suffisamment. Il faudrait un référent unique jouant ce rôle d’interface, qui pourrait être le SPIP à mon avis. Pourquoi les services sociaux de droit commun sont-ils si difficiles d’accès pour les sortants de prison ?

Quels sont les besoins prioritaires des sortants de prison ? Est-ce le toit d’abord ? La formation ou l’emploi ? Il me semble surtout qu’il faudrait pouvoir préparer la sortie, qu’il y ait un temps d’articulation entre le dedans et le dehors. Et que certaines personnes ne sortent pas sans accompagnement, comme celles souffrant d’addictions, qui se retrouvent à la rue sans aucun repère. L’association d’insertion que je dirige, Aurore, a mis sur pied des unités rapides d’accueil pour sortants de prison, proposant sur une période assez courte – deux à trois mois – une prise en charge intensive avec hébergement. Avec pour objectif de préparer le plus long terme et le retour vers des circuits de droit commun. Ceux qui ont pu préparer leur séjour alors qu’ils étaient encore en prison s’inscrivent beaucoup mieux dans le programme. Nous l’observons aussi au centre Soleillet, qui accueille des femmes après de longues détentions. Le service travaille la préparation à la sortie très en amont, se rend en prison pour faire connaissance avec les femmes, les aide à demander des permissions pour qu’elles puissent découvrir l’endroit où elles vont vivre. Cet accompagnement avant et après la sortie, sur une durée

« C’est dans l’articulation entre le dedans et le dehors que le bât blesse aujourd’hui »

Les services de droit commun ne savent plus aller vers ceux qui ne sont pas en demande. Or, si le lien n’est pas fait avant la sortie, de nombreuses personnes concernées sont dans le « non-recours », elles ne vont pas solliciter les services. Les sortants de prison – et ils ne sont pas les seuls – ont beaucoup de mal à se repérer dans la complexité administrative et bureaucratique. Ils sont censés réaliser conjointement toutes les démarches d’inscription sociale et d’accès au droit, exigeant une lucidité et une énergie dont ils ne disposent pas forcément à cet instant. Très concrètement, il faut déjà avoir une adresse pour pouvoir commencer les démarches administratives. Et toutes les structures d’insertion n’acceptent pas de domicilier ceux qu’elles hébergent. Pour certains, il faut aussi régulariser leur situation sur le territoire, établir des papiers d’identité… La complexité de l’accès aux droits et la saturation des dispositifs peuvent conduire au découragement. Un autre facteur tient dans le fait que de nombreux services de droit commun se renvoient les publics « Justice » comme des « patates chaudes », essentiellement parce qu’ils en ont peur. Pensez-vous qu’il faudrait créer, dans ces services, des filières spécifiques pour les sortants de prison ? Pas des filières spécifiques, car cela reviendrait à enfermer les gens dans un statut de délinquant, mais des professionnels dédiés au sein des services de droit commun. Pôle emploi avait créé des agences spécialisées, et il faut reconnaître que Dedans Dehors N°86 Décembre 2014

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dossier

Les ex détenus qui veulent abandonner la délinquance bénéficient de peu de soutien lors de leur passage de la prison à l’extérieur, au cours de leurs tentatives de se réinsérer (Maruna, 2001)

nous avons perdu un outil quand elles ont fermé. Pour trouver un équilibre, un référent compétent au sein des agences pour travailler les problèmes particuliers des sortants de prison me paraît une bonne solution. Avoir un interlocuteur dédié permet à l’usager de se repérer, de savoir qu’il est attendu par un professionnel qui connaît et comprend ses problèmes, ce que les sortants de prison trouvent rarement aujourd’hui. Le réseau associatif permet-il de palier certaines déficiences des services sociaux ? Il permet une prise en charge globale et individualisée, indispensable pour certains. Le placement à l’extérieur, par exemple, permet aux associations qui accueillent des sortants dans le cadre de cette mesure, une réintégration en société dans un cadre – celui du centre d’hébergement – avec un projet – d’insertion professionnelle ou de formation. Les différentes problématiques de liens sociaux, de santé, de logement, d’emploi, etc. sont prises en charge. La première limite du secteur associatif, c’est la saturation du système : le nombre de places ne suffit pas. Leur augmentation est bridée par des problèmes budgétaires et des lourdeurs administratives. Il a fallu à Aurore un an de discussion avec le SPIP de Paris pour Dedans Dehors N°86 Décembre 2014

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« De nombreux services de droit commun se renvoient les publics “Justice’’ comme des “patates chaudes’’, essentiellement parce qu’ils en ont peur »

ouvrir trois places de placement extérieur dans deux structures, qui pourraient en accueillir beaucoup plus ! Les centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) se montrent souvent réticents à accueillir des sortants de prison. Pourquoi ? Les structures comme les CHRS sont soumises à des contrats d’objectifs passés avec les pouvoirs publics dans le cadre de leur subventionnement. Elles sont tenues d’atteindre un quota de « réussites », ce qui les pousse à privilégier l’accueil des personnes dont la situation a le plus de chances d’évoluer positivement durant le séjour. Ce système joue en défaveur des publics ayant les problématiques les plus difficiles, dont font partie les sortants de prison. Les centres d’hébergement étant très engorgés, ils ne peuvent répondre à toutes


sortir de prison les demandes et procèdent à une sélection sur la base de ce genre de critères. Un autre point de blocage est, là encore, la méconnaissance du public « Justice » et les craintes qu’il génère.

© Pascal Bastien

Le développement de dispositifs d’hébergement spécifiques serait-il souhaitable ? Non, je pense qu’il faut plutôt intégrer au sein des équipes des professionnels ayant une bonne maîtrise administrative des dispositifs, connaissant la condition carcérale, les problèmes d’addictions, etc. Cela permettrait de ramener de la compétence dans le droit commun, de casser certains préjugés, de rassurer les équipes, et donc d’avancer. Il faudrait réserver les centres spécialisés « justice » à l’accueil des sortants qui ont purgé de longues peines par exemple, pour lesquels des méthodes de travail adaptées ont été développées par certaines structures. Ou alors pour des accueils préparés en amont, immédiats et courts, avec un relais rapide des dispositifs généralistes. Mais les dispositifs spécialisés pour hommes sortants de prison, qui restent la majorité, présentent le risque de recréer du ghetto. Ils ne permettent pas de les sortir d’habitudes prises en prison. Il est vrai qu’il peut être compliqué de faire cohabiter dans une même collectivité des publics très différents. Mais tenter d’atteindre un équilibre à partir d’une étiquette commune qui serait d’avoir fait de la prison ne me paraît pas souhaitable. Le passage en détention ne crée pas une catégorie, on peut avoir été condamné pour des problèmes de papiers, de trafic, pour un crime… Le travail d’insertion sera très différent dans chaque cas. Il doit être assuré par des personnes spécialisées au sein de structures généralistes. Quels obstacles liés au fonctionnement judiciaire peuvent entraver la mise en œuvre de projets d’insertion, du point de vue des intervenants sociaux ? Le tempo du réseau associatif n’est pas toujours le même que celui de la justice. Il est extrêmement fréquent, par exemple, qu’un centre d’hébergement réserve une place pour un détenu et que la date de sortie soit différée en dernière minute : une peine antérieure est mise à exécution, le juge ne rend pas sa décision sur l’aménagement… Du coup, la place est perdue pour la personne, et pour le centre c’est une place vacante. Les mises à exécution de peines antérieures ou des condamnations prononcées longtemps après les faits sont très préjudiciables, elles cassent le travail d’accompagnement. Quelqu’un peut avoir à être sanctionné pour des faits éloignés, mais fautil pour autant remettre en question tout le chemin parcouru pendant de long mois ? Lorsqu’un accueil en centre d’hébergement est prévu, la possibilité d’avoir des périodes test lors de permissions de sortir aide beaucoup. Or, c’est très difficile à mettre en place – parce que la permission n’est pas accordée, ou pas au moment voulu… Il faut un travail de très longue haleine avec les institutions pour y parvenir. En matière d’emploi, le manque de travail en prison fait que les personnes ne

sont pas préparées à affronter le marché du travail. S’y ajoute le casier judiciaire, interdisant certains emplois, ce qui représente un vrai blocage. C’est terrible d’être confronté à tant d’obstacles dans notre société où l’emploi reste un repère extrêmement important. Recueilli par Barbara Liaras

« C’est là qu’on se rend compte de tout le temps qu’on a perdu » « Il n’y a rien qui nous montre qu’on vieillit en prison : on rentre à 25 ans, on est libéré à 40, mais on a toujours 25 ans dans sa tête. Et du jour au lendemain, quand on sort, on a 40 ans. Et ça, c’est vraiment dur. Dehors, il y a nos parents qui vieillissent, nos enfants qui grandissent, on les voit – quand on a la chance de les voir au parloir – mais le temps, lui, on ne le voit pas passer… Il est figé, c’est assez curieux. A la sortie, on se dit : “Oh ! J’ai vieilli, j’avais pas fait gaffe !” C’est terrible. Moi, j’ai vu des gars qui rentraient à 20 ans par exemple, à l’époque où ils sortaient avec des gamines de 17 ans… Il leur faut un temps d’adaptation pour regarder des filles de leur âge. Quand on sort, on est assez décalé, c’est sûr. J’avais des petits neveux, ils avaient 8, 9 ans, enfin dans mon imaginaire… et tout d’un coup, j’ai vu débarquer de grands gaillards, plus grands que moi, avec la barbe et tout ! Et puis en sortant, j’ai voulu rendre visite à ma mère. Mais ils avaient construit partout des lotissements autour de chez elle, et je n’arrivais plus à retrouver le bâtiment ! Enfin plein de choses comme ça… C’est là qu’on se rend compte de tout le temps qu’on a perdu, c’est terrible… » « Je comprends la récidive, parce qu’on n’est pas préparé à sortir. On n’a jamais travaillé, on n’a plus personne… Comment on fait ? Qui va nous prendre pour aller travailler ? Après 50 ans, trouver du boulot, ce n’est pas évident… Alors qui va dire, tiens, le braqueur, il a une bonne tête, je vais le faire travailler ? […] C’est dur de sortir, c’est très difficile de sortir… Justement parce qu’il n’y a pas de “débouché”. Moi, je connais des gars qui ne veulent pas sortir… En prison, en plus, on fait de nous des assistés. Donc, du jour au lendemain, il faut se prendre en charge, c’est pas évident… C’est même souvent désespéré… […] En plus, les seuls amis qu’on a, ce sont des amis de prison finalement. Donc, quand vous ressortez, vous revoyez ces amis de prison qui euxmêmes sont dedans, donc c’est presque inéluctable… Si on n’a pas une main tendue… On peut rêver en se disant : “Moi terminé, je sors, j’en ai marre, j’arrête tout’’. Il y en a qui le disent, mais il y en a peu qui… c’est vraiment dur. » Patrick Guillemin, 55 ans, 23 ans de détention, dans La vie après la peine, S. Portelli et M. Chanel, Grasset, 2014 Dedans Dehors N°86 Décembre 2014

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dossier Quand une mesure judiciaire fait obstacle à la réinsertion Antoine a passé treize années en prison, condamné pour une affaire de mœurs quand il avait 20 ans. Libéré en 2010, il reste sous surveillance judiciaire. Mais le bracelet électronique mobile, ayant causé la perte de son emploi et la rupture de son couple, devient un obstacle à sa réinsertion.

Oui, j’y ai pensé dès le premier jour. Même si je savais que je risquais une longue peine. Tout ce que j’ai fait pendant ces 13 années, je l’ai fait en pensant à la sortie. J’ai presque toujours travaillé, en me demandant quel emploi je pourrais trouver dehors. L’idée de sortir un jour m’apparaissait comme une telle chance, qu’il fallait que je fasse le maximum pour que tout se passe bien. J’ai fortement indemnisé les parties civiles, à raison de 80-100 euros par mois, ce qui représentait l’essentiel de mes ressources. J’ai demandé et obtenu un accompagnement thérapeutique très fort dès que je suis arrivé en établissement pour peine, de l’ordre de deux rendez-vous par semaine. Ça m’a beaucoup aidé à garder pied et à évoquer ce qu’il fallait : les raisons qui m’avaient mené en prison, mon histoire familiale… Entre la sortie que vous imaginiez et la manière dont cela s’est passé, est-ce qu’il y a du décalage ? Un immense décalage ! Après ma libération, j’ai dans un premier temps redécouvert le monde extérieur. Avec une courte phase d’euphorie : tout est beau, extraordinaire… Ensuite la réalité est là, il faut s’y mettre, tout reconstruire. Je ne pouvais pas m’appuyer sur ma famille, ayant l’interdiction de retourner dans le département où elle habite. Je suis arrivé dans un foyer et une région où je ne connaissais personne. Avec l’avantage de repartir à zéro, mais le désavantage de n’avoir aucun repère ni soutien. Cela m’a mis dans un grand sentiment d’insécurité. Je courais d’entretien en entretien, j’avais des horaires très stricts de sortie du foyer, je ne devais jamais être en retard, avoir un problème de transport était un drame… C’était la course perpétuelle. Au bout d’un an, je me suis effondré, j’ai fait une sorte de décompensation et me suis retrouvé dans un centre psychiatrique. Cela vous a semblé bien plus difficile que prévu ? Oui, je me suis même dit que c’était pire qu’être en prison, où j’avais les visites de ma famille et où je pouvais m’exprimer dans le cadre d’activités socioculturelles. Tout à coup, j’étais en liberté, mais il n’y avait que du vide, que je devais Dedans Dehors N°86 Décembre 2014

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remplir moi-même. Avec une peur effroyable de mal faire et d’échouer. Tout dans mon quotidien dépendait d’autorisations, je ne maîtrisais pas mes journées. Pendant des mois, le fait d’être dehors n’avait plus de sens. Ma seule préoccupation c’était de respecter mes obligations, mes horaires. Comment êtes-vous sorti de cette phase ? J’ai réussi à rebondir en obtenant les éléments de stabilisation et d’équilibre dont j’avais besoin : une amie avec qui j’ai vécu trois ans, du boulot pendant deux ans, des activités culturelles que j’ai partagées avec de nouveaux amis. Les horaires de bracelet électronique ont été élargis, me permettant presque une vie normale : je pouvais rentrer chez moi à une heure du matin en semaine et partir tout un week-end. Tout cela m’a beaucoup sécurisé, jusqu’à ce que je sois licencié de mon travail. Que s’est-il passé ? Le bracelet mobile pouvait sonner à n’importe quel moment. Avec l’obligation de répondre très rapidement, au moyen du petit boîtier que l’on porte avec soi, une sorte de téléphone. Cela peut aussi bien sonner cinq fois par jour, que ne pas sonner pendant 2-3 jours. La sonnerie est stridente, comme une alarme. Il m’est arrivé qu’elle sonne pendant un entretien d’embauche, j’ai dû partir. Cela m’est aussi arrivé au centre d’appels qui m’avait embauché, en réunion ou lors de la présentation des produits de l’entreprise à tout le personnel. Il faut être géo-localisable 24 h/24. Lorsque vous travaillez ou prenez les transports, parfois le GPS ne passe plus bien. Ce qui peut déclencher des alertes intempestives. Il faudrait rester tout le temps à moins de 5 cm d’une fenêtre ! Plus rarement, il peut y avoir une défaillance technique, et alors vous devez revenir tout de suite à votre domicile faire procéder à l’échange de matériel, même en pleine journée de travail. C’est ce qui m’a fait perdre mon dernier emploi. Votre employeur était-il au courant de votre mesure judiciaire ? Dans un premier temps, je ne l’avais pas informé, je ne suis pas obligé. Mais il m’a demandé des explications, à cause de mes absences soudaines, et le fait que je dépassais souvent

© Thierry Pasquet/Signatures

L’idée de la sortie était-elle présente pendant toute votre détention ?


sortir de prison

Est-ce que votre sortie a été préparée en amont avec le SPIP ou d’autres professionnels ? Avec le psychologue, nous avons beaucoup travaillé sur ce qu’évoquait la sortie pour moi. Nous avons aussi bien réfléchi aux origines de mon infraction, aux conséquences pour les victimes, à ma vie d’avant et d’après. Du coup, j’étais bien préparé et je n’ai pas eu de grosses angoisses à la libération. En revanche, j’aurais souhaité pouvoir bénéficier de plus de permissions de sortir pour que le passage soit moins violent. Etiez-vous préparé à la surveillance électronique ?

Détenu avant sa libération, centre pénitentiaire de Rennes, 2010

les 10 minutes de pause, car c’étaient les seuls horaires où mes interlocuteurs étaient joignables pour fixer les rendezvous imposés par la surveillance judiciaire. J’ai donc expliqué au directeur que j’avais un bracelet électronique, que je ne faisais pas tout cela de mon gré. Cela a permis d’apaiser pendant un temps les relations avec les responsables. Mais au bout d’un moment, ils ont estimé que ma vie privée prenait trop le pas sur ma vie professionnelle, donc ils m’ont licencié. Depuis, j’ai du mal à rebondir, en tout cas dans ma tête, car je me demande comment travailler dans ces conditions. Le plus dur, c’est parfois de garder un travail, pas forcément d’en trouver. Et sur le plan de votre vie personnelle ? J’avais rencontré une personne formidable peu de temps après ma sortie, nous sommes restés ensemble trois ans. Mais ma situation nous empêchait de faire des projets. C’est ce qui a découragé mon amie. Qui avait aussi des blocages avec le bracelet, même si elle a été très patiente. Elle avait peur qu’à n’importe quel moment, quelqu’un vienne sonner chez nous pour un contrôle. Elle était aussi stressée à l’idée que je rate un rendez-vous et retourne en prison.

On m’a bien expliqué le fonctionnement, mais je n’avais pas compris que ça durerait aussi longtemps. On vous dit « c’est pour deux ans renouvelables ». Pour ma part, ça fait quatre ans, il y a eu deux reconductions. Au début, je l’ai bien accepté, car je le voyais aussi comme une protection de moi-même, cela m’a donné des repères. Mais aujourd’hui, je me sens capable de vivre sans ce bracelet, je suis devenu un homme plus mûr. J’ai l’impression d’avoir tout fait pour laisser les mauvaises choses du passé en arrière, mais de rester dans un contexte environnemental de sortant de prison. Le fait de porter ce bracelet ne permet pas de construire sa vie, il y a un moment où ça fait perdre son travail, son couple, sa confiance. On continue de vouloir avancer, mais on pense que c’est voué à l’échec. Et le fait de devoir habiter en foyer ? Mes horaires sont à nouveau plus stricts depuis la perte de mon emploi. Je dois être de retour avant 22 heures, ce qui limite ma vie amicale et culturelle. Il est interdit d’inviter quelqu’un. Il n’y a pas de connexion internet, ce qui est dommage quand on parle d’insertion sociale. Le foyer est prévu pour des sortants de prison, des personnes de même condition que moi. Et j’ai un grand sentiment d’insécurité. Cela me reste de la prison, où j’ai été marqué par la violence. J’ai un vulgaire verrou sur ma porte, n’importe qui peut rentrer. L’interdiction de sortir à partir d’une certaine heure augmente l’anxiété. J’aurais besoin d’avoir un chez moi, où je me sens en sécurité et où je peux accueillir des personnes. Mes différents suivis se passent bien, avec les conseillers de probation ou les psychologues, cela m’a permis de tenir même dans les moments très durs, ce sont des repères. Au bout de quatre ans, ce cadre là me suffirait mais la mesure judiciaire ne suit pas. Recueilli par François Bès et Sarah Dindo Dedans Dehors N°86 Décembre 2014

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Le choc de la libération Des professionnels qui travaillaient à la maison d’arrêt de la Santé proposent, depuis sa fermeture, en juillet 2014, une consultation gratuite extra-carcérale à l’hôpital Sainte-Anne. Ils apportent un soutien psychologique aux sortants de prison de la région Ile-de-France, dans cette difficile transition du dedans au dehors.

Myriam Zaks et Magali Boulet exercent à la consultation extracarcérale de l’hôpital Ste-Anne (Paris), la première comme psychiatre-praticien hospitalier, la seconde comme assistante de service social.

A quels patients est destinée la consultation extra-carcérale ? Myriam Zaks (MZ) : Aux personnes sortant de prison ou à celles placées sous main de justice dans le cadre d’une mesure pénale sans incarcération. Il s’agit de répondre à un vide d’accès aux soins : il y a un mur pour accéder aux structures de droit commun pour les « publics Justice ». Pourtant, la sortie de prison est une période dans laquelle le besoin de soutien est accru. Il y a souvent un après-coup de la peine, un choc de la libération. Les détenus peuvent aussi faire appel à nous dans le cadre d’une demande d’aménagement de peine, quand ils ont une injonction ou obligation de soins à la sortie et doivent justifier d’un premier rendez-vous. Depuis la prison, c’est le parcours du combattant pour obtenir un rendez-vous dans un CMP (centre médico-psychologique), ce qui peut faire obstacle à l’aménagement de peine. Comment obtenir un premier rendez-vous ? Magali Boulet (MB) : Nous préférons que la personne fasse elle-même la démarche d’appeler, mais toute personne en lien avec le public concerné peut aussi nous contacter. La première fois, le patient est reçu par une infirmière pour un entretien d’accueil : sur son parcours de vie, de soins ou carcéral, les difficultés ressenties à la sortie, les symptômes qu’il présente… Puis nous décidons en équipe de la prise en charge à lui proposer, en fonction de ses besoins. MZ : Nous nous voulons très réactifs : le premier rendez-vous est proposé dans les jours qui suivent la prise de contact et le Dedans Dehors N°86 Décembre 2014

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second entretien intervient dans la foulée. Le choc de la libération a en effet une temporalité de la crise. Même si les patients tempèrent, car ils ont beaucoup attendu ce moment, ils vivent parfois sur le plan psychique une sorte de choc traumatique. Comment se manifeste ce choc de la libération, moins connu que celui de l’incarcération ? MZ : Beaucoup de patients disent que la lune de miel après la sortie dure seulement quelques jours. Ensuite, ils sont confrontés au choc que constitue le passage rapide d’une passivation contrainte en milieu carcéral à une situation dans laquelle ils doivent être très proactifs. Avec l’épée de Damoclès d’un retour en prison s’ils ne réalisent pas les démarches qui leur sont demandées. D’un seul coup, ils disposent à nouveau de leur corps, alors que l’incarcération symbolise la privation de leur liberté d’aller et venir, leur corps ne leur appartenait plus. Ils ont beaucoup de difficultés à se déplacer, s’orienter, prendre les transports… Sensoriellement, les sortants ont tout à coup la vue qui peut aller au loin, alors qu’elle n’allait pas au-delà de quelques mètres en prison. Certains vivent dans leur chambre comme en cellule : par exemple, ils peuvent y attendre pendant une heure que quelqu’un vienne leur ouvrir la porte. Tout cela génère des symptômes de l’angoisse, allant de phobies avec des conduites d’évitement, jusqu’à des troubles du comportement. Se pose aussi la question de leur place dans la société, dans le groupe. De retour en famille par exemple, certains observent que la place qui leur était réservée à table a été prise par quelqu’un d’autre, que les enfants sont emmenés à l’école par la voisine… La vie s’est réorganisée sans eux. D’autres ont l’impression que la mention « détenu » est écrite sur leur front. Du coup, dès qu’ils se présentent quelque part, ils annoncent qu’ils sortent de prison, afin de ne pas être accusé de l’avoir dissimulé. S’ajoute à cela une sorte de tabou de cette souffrance et parfois l’impossibilité psychique de pouvoir l’exprimer. Cette expérience est peu commune, difficile à partager. Certains se mettent à penser qu’ils préfèreraient retourner en prison, ce que leurs proches peuvent difficilement entendre.


© Aimée Thirion

sortir de prison

Entretien avec une infirmière, maison d’arrêt de Loos, 2000 (fermée en 2011)

Ils le pensent vraiment ? MZ : Oui, même si cela ne signifie pas qu’ils vont le faire. Ils disent que les choses étaient plus simples en prison, c’est une vision relative à un moment donné. MB : Un patient m’a dit qu’il avait mesuré le sens de la peine à sa sortie. Quand il a dû faire toutes les démarches qui lui étaient demandées auprès de la sécurité sociale, de la préfecture, la mairie… Il y a un choc entre la grande perturbation qu’ils ressentent à la sortie et la mobilisation qui leur est demandée à ce moment-là. Ils ont tout à reconstruire. MZ : Pour y arriver, ils doivent comprendre et mettre en avant qu’ils ont des droits, qu’ils sont légitimes à faire des demandes. Alors que pendant l’incarcération, on leur a montré l’inverse. MB : On attend qu’ils redeviennent immédiatement responsables de leur vie, alors que la prison les a déresponsabilisés. Cet impact de la détention et la difficulté à se réadapter est-elle spécifique aux longues peines ? MB : Non, les infirmières ont reçu récemment une personne qui avait passé deux mois en prison et tenait les mêmes propos. MZ : Oui, il y a des difficultés même après une courte peine. Ceux qui n’ont pas été détenus très longtemps sont néanmoins plus souvent restés en rébellion, si bien qu’ils parviennent davantage à se mobiliser à la sortie, ils sont moins résignés. Davantage de condamnés à de longues peines sortent avec des ordonnances de trois pages : pour tenir si longtemps, il leur a fallu s’assommer de médicaments. Ils ont mis en place certains mécanismes pour arriver à dormir, qui ont pu saboter leur vie psychique. Ils ont vécu une sorte d’écrasement et de mise en sommeil de leur vie intérieure devant une réalité qu’ils ne pouvaient plus assimiler. Ce n’est pas donné à tout le monde

de conserver un sentiment de soi vivant après une expérience extrême comme l’incarcération. Nous devons travailler à « réouvrir » cet espace intrapsychique en quelque sorte. Quels types de suivis proposez-vous ? MZ : Etant une équipe pluridisciplinaire, nous pouvons proposer des entretiens psychiatriques, psychothérapiques, infirmiers et sociaux. Les problématiques récurrentes, outre celles plus intimes au sujet, sont : retrouver sa place dans la société, la légitimité à avoir des droits, la violence de la société telle qu’ils la vivent, la complexité des démarches… Nous allons aussi mettre en place des groupes de parole, autour du choc de la libération et du rapport à l’autre (respect, identité, violence). Notre ergothérapeute propose enfin des séances de relaxation, qui permettent aux personnes de se réapproprier leur corps, la sensation de leur tonus musculaire, de la respiration, ce qui est essentiel et en plus permet souvent d’éviter des prescriptions médicamenteuses.

Se défaire de ça « Quand on est en prison, on est toujours sur ses gardes, et il faut plusieurs mois, voire même plusieurs années pour se défaire de ça. Moi, il m’a fallu à peu près trois ans. Ce n’était pas évident du tout. De temps en temps, ma femme remet un peu en cause notre lien, elle dit : “sincèrement, tu penses que tu serais encore avec moi s’il ne s’était pas passé ça ? Je ne veux pas que tu restes avec moi parce que j’ai été te voir en prison”. » Simon, six ans de prison, dans La vie après la peine, S. Portelli et M. Chanel, Grasset, 2014 Dedans Dehors N°86 Décembre 2014

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dossier « Comme une ligne de train en construction » « La conditionnelle, pour cela, c’est une bonne chose : elle permet réellement de se remettre sur les rails. C’est comme une ligne de train en construction : on est guidé un certain moment, mais après on sort des rails et on se débrouille par soi-même. Alors pour quelqu’un qui a une sortie sèche, je pense que c’est un puits sans fond : c’est impossible. Les gens qui vivent le système administratif au quotidien savent qu’il faut faire ci et ça, comment obtenir tel et tel papier. Mais une personne coupée de la société, si elle n’a pas d’affectif, de famille, de contacts, elle est complètement perdue. C’est insurmontable. […] Quand je suis sorti, l’association nous a emmenés dans une petite supérette pour faire des courses : il fallait acheter des savons, des rasoirs, le minimum. Mais on est perdu dans un supermarché ! La prison, c’est un monde institutionnalisé, on est soumis à un rythme complètement régulier, et quand vous avez besoin de quelque chose, vous signez un papier et on vous l’apporte le lendemain. En prison, on est dans un vaisseau spatial. » Michel, huit ans de prison, dans La vie après la peine, S. Portelli et M. Chanel, Grasset, 2014

« Je ne sais pas où aller » « Il m’arrive de rester devant des portes ouvertes. Je reste devant, je ne passe pas. Je m’arrête systématiquement. Je pense à des trucs. J’ai été habitué à attendre qu’on m’ouvre. Je m’arrête, c’est un réflexe… Il y en a d’autres. En dix-sept ans, tout a changé. Les cartes bancaires, le métro. Comment il faut acheter un ticket. Tout ce qui est appareillage. Ou alors l’orientation. Je vais dans un parking souterrain, je ne sais pas où aller. 36 entrées, 36 sorties ». Chriske, 22 ans de prison, dans La vie après la peine, S. Portelli et M. Chanel, Grasset, 2014

Vous ne travaillez pas du tout sur la prévention de la récidive ? MZ : Non, c’est le rôle du service d’insertion et de probation. Nous ne nous plaçons pas du côté de la défense de la société, mais du bien-être du patient. Nous cherchons avec lui comment il peut faire pour mieux vivre sa vie, sortir d’un fonctionnement mortifère, etc. Mais certains patients peuvent être très angoissés à l’idée de replonger et retourner en prison, non ? MZ : Nous pouvons parler avec eux des moyens de se réapproprier son existence, de faire ses propres choix, de l’immédiateté et du long terme, de la manière dont une situation difficile entre en résonance avec son histoire de vie… On Dedans Dehors N°86 Décembre 2014

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va prendre le temps de comprendre ensemble ce qui arrive. Ensuite, la personne est adulte et libre de ce qu’elle décide de faire. Néanmoins, je pense que si la personne nous en parle, c’est qu’elle ne se situe pas dans le passage à l’acte. Et si nous estimons qu’elle est dans une « pré-impulsivité » annonçant un passage à l’acte et que cela relève d’une pathologie psychiatrique, nous avons aussi la possibilité de l’hospitaliser. Vous assurez également une prise en charge sociale, de quoi s’agit-il ? MB : Il s’agit le plus souvent de rendre les droits effectifs, par la réactualisation de la situation de la personne, par exemple auprès de la sécurité sociale. Il y a une nécessité d’accompagnement, pour des patients livrés à eux-mêmes après une période de passivation carcérale. Est-ce important que les professionnels de cette consultation connaissent le milieu carcéral ? MB : Oui, nous avons tous travaillé en prison, nous en connaissons certaines réalités, son jargon et ses codes. Cela facilite le fait que les personnes viennent vers nous. Elles savent que nous comprenons ce qu’elles traversent. MZ : Cela nous permet aussi de mesurer l’importance d’un accompagnement dans cette période «  d’extinction de la détention » que représente l’après libération. Jusqu’au moment où la personne n’en ressent plus le besoin et peut basculer sur les structures de soins de « droit commun ». Nous apportons un étayage soutenant mais qui ne doit pas être trop long. La personne peut intérioriser une expérience de fiabilité et d’accueil, sur laquelle elle pourra s’appuyer pour se sentir légitime à être prise en charge comme tout le monde. Notre but n’est pas de créer une filière ségrégative pour anciens détenus, mais d’établir une passerelle vers le droit commun. Un aspect important de notre travail est la médiation avec les centres médico-psychologiques. Comme les hospitalisations en psychiatrie sont de plus en plus courtes et rares, les personnes en crise sont envoyées vers les CMP, qui sont saturés. Une personne qui arrive avec une obligation mais pas de demande de soins n’est dès lors pas prioritaire. Les anciens détenus se heurtent aussi aux représentations véhiculées sur eux et à la peur qu’elles génèrent. Est-ce que la consultation extra-carcérale sera maintenue à la réouverture de la maison d’arrêt de la Santé ? MZ : Nous l’espérons. Il faudra alors augmenter les moyens, car pour ouvrir cette consultation, nous avons bénéficié d’une partie des ressources humaines du service médico-psychologique de la Santé. Nous souhaitons aussi devenir un terrain de recherche, afin que cette expérience puisse en générer d’autres. Car ce vide de prise en charge à la sortie de prison se pose partout. Recueilli par Sarah Dindo


sortir de prison

© Bernard Bolze

« Tout ce que j’ai fait pendant ces 13 années de détention, je l’ai fait en pensant à la sortie. » Fresque de Jérôme Mesnager dans un établissement pénitentiaire, 2002

« Je n’avais jamais vu d’euros » Après 19 ans de prison, Philippe vient de sortir en fin de peine sous surveillance judiciaire avec bracelet électronique mobile. Trouver un emploi aux heures de sortie autorisées, tout en apprivoisant les euros… il se sent peu soutenu dans sa réinsertion. Comment imaginiez-vous votre sortie quand vous étiez encore en prison ? Condamné pour une affaire de mœurs, j’ai fait un gros travail sur moi-même pendant quinze ans avec des psychologues qui ont su entendre mon histoire. Je pensais avoir réglé mon problème et je m’étais donc engagé dans un projet de libération conditionnelle : passer le diplôme d’auxiliaire de vie sociale pour travailler dans une association. Je pouvais poser mes cartons chez

ma mère, ça me permettait de rebondir dès ma sortie. Mais je n’ai finalement pas déposé ma demande, ma conseillère d’insertion et de probation m’ayant dit qu’il était certain que mon projet ne passerait pas. J’ai donc attendu la fin de peine. Sous quel régime êtes-vous sorti ? Juste avant ma fin de peine, en 2011, la juge de l’application des peines (JAP) a prononcé une surveillance judiciaire avec placement sous surveillance électronique mobile (PSEM) pour quatre ans à compter de ma libération, et une interdiction de séjour dans deux départements, dont celui de ma mère. Il fallait donc que je trouve un autre hébergement. J’ai contacté six ou sept structures, lors d’autorisations de sortie encadrées par les gendarmes. Certaines étaient favorables, mais se sont ensuite désistées vu la lenteur de la décision judiciaire. En l’absence d’hébergement, j’ai été maintenu en Dedans Dehors N°86 Décembre 2014

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dossier prison jusqu’à l’automne 2014, alors que j’aurais dû sortir en avril 2011 avec les réductions de peine. Pour me maintenir en détention, sept jugements du tribunal de l’application des peines ont ordonné un retrait cumulé de 39 mois de remises de peine. Finalement, j’ai trouvé une place dans un foyer et je suis sorti en septembre 2014 avec un bracelet électronique mobile. Jusqu’à la veille de ma libération, je n’y croyais plus. Avez-vous eu des difficultés à vous réadapter à la vie extérieure ? Je réapprends progressivement à me déplacer à pied, car j’ai perdu beaucoup de muscles en détention. Il a fallu que je me réhabitue à la circulation, aux passages protégés, aux feux rouges… Un éducateur a dû m’accompagner aux premiers rendez-vous CAF, Pôle emploi, etc. car je ne connaissais rien. Pour me repérer géographiquement, je m’aidais du plan de la ville obtenu à la mairie. J’ai aussi eu une grosse appréhension quand j’ai voulu acheter des cigarettes la première fois. J’ai dû bien regarder le billet, les pièces, car je n’avais jamais vu d’euros. Hier soir encore, j’ai mis les pièces et les billets sur mon lit pour les mémoriser. Sinon, ma vie ressemble un peu à un copier-coller de la détention : ma chambre est organisée comme ma cellule, avec d’un côté mes livres, mes dossiers. Je regarde un peu la télévision la nuit, mais plus rien ne m’intéresse, sauf ce qui touche aux conditions de détention. En prison, j’ai investi dans un walkman et à l’heure actuelle j’ai entre 6 000 et 7 000 francs de CD que j’écoute dans ma chambre le soir – je parle en francs, car je serais incapable de vous dire en euros. Et j’ai failli dire cellule, je fais le lapsus de temps en temps. Quelles obligations avez-vous dans le cadre de votre surveillance judiciaire ? Je rencontre le SPIP tous les quinze jours. Je peux sortir de chez moi trois matins par semaine et une après-midi. A un moment, le bracelet bipait constamment la nuit, j’ai dû l’entourer dans une serviette pour pouvoir dormir. Il peut sonner n’importe quand, dans des endroits où le GPS ne capte pas bien. J’ai mon téléphone toujours près de moi, même quand je vais à la douche, au cas où le centre de surveillance appellerait. Vous sentez-vous soutenu dans votre réinsertion ? Non, le seul accompagnement, ce sont des contraintes. Par exemple, Pôle emploi avait accepté de prendre en charge un trajet sur Paris pour un entretien d’embauche. Mais comme je devais aller récupérer le formulaire sur un créneau qui ne correspondait pas à mes horaires de sortie autorisée, le SPIP a refusé. Du coup, j’ai payé les 122 euros du billet avec mes économies. Mon projet d’emploi dans une association d’aide aux détenus n’est pas bien vu par mon conseiller pénitentiaire, il préférerait me voir travailler dans les espaces verts. Autre exemple, je voulais aller à la pêche avec un ancien codétenu, le SPIP m’a répondu « non, car ce n’est pas un entretien d’embauche ». Dedans Dehors N°86 Décembre 2014

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Après 19 ans de prison, tout mon relationnel est lié à la détention. Ce sont des gens qui m’ont soutenu pendant des années, qui venaient me rendre visite au parloir. Parce que je suis sorti, je devrais dire à ces amis « au revoir et on n’en parle plus » ? Et rester chez moi le week-end à regarder Jacques Martin ? Recueilli par Anne Chereul

« L’impression d’être observé » Un sentiment d’étiquetage ad vitam, qui va de pair avec des réflexes conditionnés propres aux anciens détenus : « A la maison, je dis : “Bonsoir, je vais regagner la cellule”, alors que c’est une chambre. Ce genre de détails… En me réveillant le matin, je peux encore avoir l’impression d’entendre la clé dans la serrure de la porte. Psychologiquement, c’est très fort, les bruits permanents qui rappellent les portes qui se ferment, le symbole de la prison. » Sans compter le sentiment du complot, l’instinct irraisonné que chaque inconnu croisé dans la rue sait, surveille, poursuit : « A chaque événement de la vie quotidienne, on a l’impression que c’est notre passé qui revient : si je conduis une voiture et que je suis arrêté pour un contrôle de police, je me poserai la question de savoir s’ils m’arrêtent par hasard ou non… On vit une parano permanente. L’association m’avait prévenu  : “Dites-vous bien que ce n’est pas écrit sur votre front que vous avez fait de la détention.” C’est très important, parce que les premiers jours quand vous sortez, vous avez toujours l’impression d’être observé, que tout le monde vous regarde d’un air suspicieux… Machinalement, on se dit : tout le monde sait qu’on sort de prison. Et puis les surveillants, on les voit partout après. » Michel, 54 ans, en conditionnelle après huit ans de prison, extrait de La vie après la peine, S. Portelli et M. Chanel, Grasset, 2014

Avoir subi ça et être encore vivante « Depuis la prison, mes portes sont toujours ouvertes. Même la porte des toilettes, il faut que ce soit toujours ouvert… C’est dingue, hein ! Le déclic des portes, le bruit des clefs, le battement de l’œilleton, vous entendiez tout ça sans arrêt. On ne peut pas oublier. J’ai beau me dire que tout ça, maintenant, ça appartient au passé… Mais ce passé, comment faire pour qu’il parte ? Tout le monde voudrait qu’il parte, ma famille, moi, mais en vrai, il y a toujours quelque chose qui me rappellera que… c’est comme ça. Parfois, je me dis : “Mais est-ce que je les ai réellement vécues, ces dix années ?” Comment, dans la réalité, on peut subir tout ça et être encore vivante ? » Giovanna, libérée depuis un an, extraits de La vie après la peine, S. Portelli et M. Chanel, Grasset, 2014


sortir de prison

Le soutien des pairs,

credo de KRIS Aider les sortants de prison à changer de vie, en les intégrant à un nouveau réseau social. Tel est le défi de l’association suédoise KRIS depuis 17 ans. Des pairs ayant parcouru le même chemin viennent chercher les volontaires à leur libération et les accompagnent au quotidien, 24 heures sur 24. Christer Karlsson, co-fondateur de KRIS, exerce ce rôle de « mentor ».

Après 33 ans de détention, Christer Karlsson a créé KRIS, une association suédoise qui accompagne des sortants de prison.

L’association KRIS assure l’accompagnement de sortants de prison. De quelle façon ? Nous voulons aider ceux qui ont décidé de changer de vie à se créer un nouveau réseau social, débarrassé de la délinquance et des addictions. Les membres de l’association ont euxmêmes parcouru ce chemin et savent de quoi ils parlent. Nous avons 18 antennes en Suède. L’accompagnement débute en détention : nous assurons environ 200 visites par an, pour faire connaître l’association et entretenir une relation avec ceux qui décident de nous rejoindre. Le jour de leur sortie, nous venons les chercher devant la porte de la prison et les amenons chez KRIS, pour éviter qu’ils n’aillent directement trouver un dealer ou se remettre dans les embrouilles. Nous organisons une fête pour leur libération, puis nous mettons en place le soutien : trouver un endroit où se loger, prendre contact avec les services sociaux… Nous leur prêtons de l’argent si nécessaire, dans l’attente du versement des aides sociales. Ils reçoivent le soutien d’un mentor, joignable 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Ils passent la journée dans nos locaux, nous restons avec eux tout le temps. Chaque matin, ils peuvent participer à nos « cercles d’étude » sur différents thèmes : comment avoir prise sur sa vie, se motiver pour changer, gérer ses dettes… On parle aussi du travail, du logement, des relations avec la famille. Nous avons des groupes « jeunes », d’autres pour les femmes ou pour les

familles. Il s’agit d’une forme d’éducation sans enseignant, un leader dirige la conversation. On se fixe des objectifs, des démarches à entreprendre, on fait le point sur ce qui a été accompli. La démarche consiste à donner aux gens une petite responsabilité, puis des responsabilités de plus en plus importantes. L’après-midi est consacrée à des activités telles que récupérer des objets que l’on nous donne et que nous revendons dans notre boutique, on les répare si nécessaire. Nous proposons des sorties cinéma, les membres peuvent aussi simplement rester discuter ou regarder la télévision. Quel est le rôle des mentors ? Ils peuvent être sollicités par le sortant pour n’importe quelle difficulté, de toute nature. Les mentors sont des membres de l’association qui ont été détenus, ont parcouru le chemin de la réinsertion et sont devenus à leur tour capables d’apporter leur soutien. Plusieurs d’entre nous sommes formés comme thérapeutes sur les problématiques liées à l’alcool et aux drogues, ainsi qu’à la méthode de l’entretien motivationnel. Nous ne disons pas aux personnes ce qu’elles doivent faire, nous les amenons à penser par elles-mêmes et trouver leurs propres motivations et solutions. Tous les mentors ne peuvent pas intervenir en détention, car la loi suédoise impose un délai de cinq ans après la sortie de prison avant de pouvoir y retourner comme visiteur. Une fois dehors, les gars choisissent euxmêmes leur mentor : si l’un d’eux est originaire d’Amérique latine et que nous avons un mentor latino, ils seront contents de pouvoir parler la même langue, de partager leur culture, la relation sera plus naturelle. Les détenus sont-ils sélectionnés avant d’être suivis par KRIS ? Il n’y a pas d’autre sélection que la volonté de la personne de nous rejoindre. De fait, ceux qui veulent poursuivre leur carrière criminelle ne sont pas intéressés par notre proposition. KRIS s’adresse à ceux qui veulent changer de trajectoire. Nous pouvons les aider dans leur parcours vers la liberté. Dedans Dehors N°86 Décembre 2014

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dossier « J’ai 63 ans, j’ai tout arrêté quand j’en avais 46, ça montre que c’est possible d’y arriver et qu’il n’est jamais trop tard »

Les sortants accompagnés par KRIS sont-ils généralement en libération conditionnelle ? Oui, car la plupart des détenus sortent en libération conditionnelle en Suède, cette mesure étant automatique aux deux tiers de la peine, à quelques exceptions près. La participation aux activités de KRIS peut être une des modalités de la probation dans le cadre d’une conditionnelle. Les personnes concernées sont alors tenues de venir chez nous – si elles ont choisi KRIS. Nous accueillons aussi des gens sous bracelet électronique. Ou encore des personnes détenues dans des maisons de transition [structures d’hébergement pour fins de peine, sous contrat avec l’administration pénitentiaire, N.D.L.R.]. Elles participent à nos activités le jour et y retournent le soir. Nous avons aussi des personnes adressées par les services sociaux, surtout des jeunes entre 18 et 25 ans, anciens délinquants ou toxicos. Mais notre accompagnement ne s’arrête pas avec l’obligation judiciaire, nos relations sont avant tout basées sur l’entraide et la camaraderie, ces liens se maintiennent. Pourquoi est-il important que le soutien soit apporté par des personnes qui ont connu la même expérience ? Les membres de KRIS sont perçus comme des amis : nous avons connu la prison et nous ne sommes pas différents de

ceux qui y sont enfermés. Ils nous font confiance. Nous servons aussi d’exemple : j’ai 63 ans, j’ai tout arrêté quand j’en avais 46, ça montre que c’est possible d’y arriver et qu’il n’est jamais trop tard. Les statuts de l’association n’autorisent que des anciens délinquants ou toxicomanes au conseil d’administration. De nombreuses personnes voudraient nous aider, mais elles n’ont pas la manière de penser de ceux qui ont connu la prison ou les drogues. Quel est le rôle de KRIS auprès des personnes encore détenues ? La loi suédoise indique qu’il faut préparer la sortie dès le premier jour de la peine. Nous rencontrons donc les détenus intéressés même si leur sortie est éloignée, voire dès la détention provisoire. Nos échanges permettent tout d’abord de créer un lien de confiance qui se poursuivra pendant et après la détention. L’intérêt des détenus augmente lorsqu’ils voient que nous revenons régulièrement. Ils nous demandent des conseils sur la manière d’obtenir des choses en prison, nous les aidons à rédiger les requêtes. KRIS propose aussi des « cercles d’étude » sur des sujets assez pratiques : si tu as une voiture à l’extérieur, il faut régler le problème, parce que ça coûte de l’argent en assurance, parking, etc. Il faut aussi remplir une demande de logement pour la sortie, car les délais sont longs. Nous aidons les gars à réfléchir en fonction de la durée de leur peine. Par exemple, si j’ai pris trois ans, j’aurai la conditionnelle après deux, quelle formation pourrais-je faire pendant ce temps ? Plombier ! Ok, dans quelles prisons cette formation est-elle proposée ?

Vitrine de la boutique où l’association Kris propose à ses membres de restaurer et vendre des objets

© KRIS

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sortir de prison

« Certains surveillants nous connaissaient comme détenus, pas toujours en bien – moi-même, je n’ai pas été facile ! » L’intervention d’ex-détenus en prison a-t-elle été difficile à faire accepter au personnel pénitentiaire ? Oui, au début c’était dur. Certains surveillants nous connaissaient comme détenus, pas toujours en bien – moi-même, je n’ai pas été facile ! Il y avait aussi une forme de jalousie de leur part, parce que ce sont eux qui sont censés aider les détenus. Et nous étions plus proches des détenus qu’ils ne pourraient jamais l’être. Au fur et à mesure, les personnels pénitentiaires sont devenus coopératifs et, à présent, ils apprécient notre intervention. Il faut dire que dès le début, j’ai pris le parti de ne pas protester ou dénoncer, et de me concentrer sur l’aide à apporter aux détenus. Vous travaillez en partenariat avec les services de probation ? Oui. Comme plusieurs membres de KRIS, je suis agent de probation bénévole. En ce moment, j’ai cinq personnes en probation au sein de KRIS. Je les croise tous les jours, ça marche bien. J’accompagne aussi des personnes qui travaillent à l’extérieur. En principe, je dois rendre compte à l’agent de probation. Mais je ne le fais que si quelque chose cloche. Ce qui n’arrive jamais. Et avec les services sociaux de droit commun ? Nous avons des référents dans la plupart des administrations, avec qui nous avons des contacts très fréquents. Par exemple, des agents du service pour l’emploi reçoivent des adhérents de KRIS pour les aider à rédiger un CV, les accompagner dans la recherche d’emploi. Nous recevons également des aides de l’Etat – 70 à 80 % du salaire – pour embaucher des personnes très éloignées de l’emploi, qui ont passé leur temps à entrer et sortir de détention ou qui viennent de la rue. Vous avez participé en septembre 2014 à un séminaire sur la réintégration des détenus « à haut risque ». Quelles observations et propositions avez-vous formulées ? Je pense qu’il n’y a pas de personnes « à haut risque » en dehors d’un certain contexte : quelqu’un qui se sent bien ne pose pas de problème. Mais il y a des gens très en colère. Quand j’étais détenu, je détestais tout le monde : la police, les services sociaux, le système pénitentiaire. Si tu hais, tu peux survivre. Si tu es en colère, tu obtiens le respect. Donc tu dois être en colère tout le temps, mais ce n’est qu’un rôle. Le vrai risque, auquel nous sommes tous exposés, c’est la rechute, car il n’est pas facile de vivre hors de la prison quand on y a passé de longues années. Ces prisonniers « à haut risque » sont souvent à l’isolement, leur détention est très dure. Ils sont les plus

faciles à amener à KRIS, parce qu’ils en ont vraiment marre de leur situation. En ce moment, nous aidons un gars, condamné à perpétuité en 1981. Sa peine a été commuée à 51 ans, le maximum en Suède. Nous l’aidons à revenir dans la société, nous lui rendons visite, nous l’accompagnons pour des sorties, au restaurant, on essaye de lui réapprendre à se déplacer en bus. Il n’avait pas eu de permission, ni même ouvert une fenêtre, depuis 33 ans ! Il a toujours été dans des prisons à sécurité maximale. Il est vieux et nous voudrions qu’il puisse profiter de quelques années de vie hors les murs. Vous écrivez : « Un des principaux objectifs de l’association est que chacun puisse se créer une vie satisfaisante pour lui-même. Et, ce faisant, d’essayer aussi d’aider les autres. » Est-ce que cela correspond à une autre approche de la prévention de la récidive que celle de la justice pénale ? Oui, cette approche découle de ma propre expérience. J’ai passé 33 ans en prison. Pendant ma dernière peine, j’étais allongé dans ma cellule d’isolement et je me disais qu’une organisation devrait exister pour des gens comme moi. Lorsque je suis sorti, j’ai contacté quelques amis pour démarrer ce projet. Au début, pour m’aider moi-même. Puis pour aider les autres, ce qui est devenu une sorte de mode de vie. Quand tu rencontres un gars en prison, que tu le retrouves à sa sortie, que tu l’aides et le vois faire son chemin, acquérir des connaissances, puis finir par travailler comme thérapeute dans un centre de réhabilitation… ça fait chaud au cœur. Ce plaisir n’a pas d’équivalent. Pour aider les autres, il est important de créer un environnement attractif et joyeux. Sinon c’est trop dur, ils risquent d’être terrifiés à l’idée de rester « cleans » et sobres. Avec KRIS, nous essayons aussi de rendre la vie plus amusante. Recueilli par Barbara Liaras

« La réinsertion, ça doit se préparer avant la sortie » « Ce que j’ai compris en prison, c’est que quand vous sortez sans un projet qui soit préparé depuis l’intérieur de la prison, vous allez récidiver. La réinsertion, ça ne se prépare pas à l’extérieur : ça se prépare à l’intérieur. Sinon, quand vous sortez, qu’est-ce que vous allez faire ? Vous allez vous replier sur ce que vous faisiez avant d’entrer. Moi, à chaque fois que je sortais, je récidivais. (…) Les seuls contacts qui te restent, c’est les anciens détenus : donc quand tu sors, c’est eux que tu appelles. Et tu retombes. Dans ma tête, il n’y avait pas d’autre solution. (…) Jusqu’à ce jour-là, où je suis sorti avec un projet, et où je savais ce que j’allais faire dehors. » Max Bondo, condamné huit fois, libéré depuis seize ans, La vie après la peine, S. Portelli et M. Chanel, Grasset, 2014 Dedans Dehors N°86 Décembre 2014

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Fleury-Mérogis

Le sombre quartier disciplinaire des femmes Manque de lumière et d’aération, absence de mobilier et vétusté des sanitaires. Cinq détenues, placées au quartier disciplinaire (QD) fin octobre 2014, dénoncent les conditions de détention dans ce secteur de la maison d’arrêt des femmes (MAF) de Fleury-Mérogis. Déjà qualifié d’« endroit inhumain » en 2007 par la sénatrice Dominique Voynet à l’issue d’une visite, le QD comprend dix cellules dépourvues de fenêtres. La seule source de lumière naturelle provient d’une lucarne circulaire, située non pas dans la cellule mais au plafond du sas qui la sépare de la porte. Le sas est doublé d’un grillage serré, la lucarne est opaque et dotée d’une grille. Les détenues ne peuvent pas non plus allumer ou éteindre elles-mêmes la lumière électrique, l’interrupteur se trouvant lui aussi dans le sas. Une détenue décrit

un éclairage électrique très faible, qui « empêche de lire ou d’écrire convenablement ». Une expertise réalisée à la demande de l’OIP en 2007 constatait déjà le « niveau d’éclairement dérisoire » de « 12,5 lux sur le lit avec lampe allumée », quand les normes prévoient un seuil minimum de 300 lux pour la lecture. Endommagées, les lucarnes « ne s’ouvrent pas », écrit une détenue. « J’étouffe et j’ai du mal à respirer » témoigne une autre. Pour aérer un peu les cellules, les directeurs de la maison d’arrêt autorisaient depuis des années l’ouverture des portes durant la journée, la grille du sas restant fermée. Une note de septembre 2014 interdirait dorénavant cette pratique. Elle serait plus ou moins appliquée selon les personnels en poste. Certains ouvrent les portes quarante minutes le matin et l’après-midi,

d’autres pas du tout. Dans ces cellules de 7,59 m², équipées seulement d’un sommier et d’un coin toilette surélevé, « l’espace de déambulation n’est environ que de 4 m² » (rapport d’expertise, 2007). « Nous n’avons pas de mobilier, aucune chaise ou table, donc nous sommes obligées de lire, écrire et manger par terre » écrit une détenue. L’espace sanitaire se compose d’un lavabo qui ne fournit que de l’eau froide et d’un w.-c. à la turque, exception faite de trois cellules rénovées disposant d’« un monobloc en inox assurant les deux fonctions » (lavabo + w.-c.), décrivait l’ARS en 2012. La rénovation de la MAF n’est pas envisagée avant 2016 au mieux, celle de la maison d’arrêt des hommes devant être achevée fin 2015 (APIJ). OIP, Coordination Ile-de-France

© PPB

Dessin d’une cellule disciplinaire au quartier femmes de Fleury-Mérogis, 2014

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de facto


de facto Meaux-Chauconin

Délais d’attente exorbitants pour les consultations médicales Huit mois d’attente pour démarrer un suivi régulier avec un psychologue. Sept semaines pour les soins dentaires. Quinze jours pour une consultation en psychiatrie, un à sept jours pour la médecine générale… Tels sont les délais de prise en charge médicale (hors urgences) indiqués par l’Unité sanitaire du centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin (77), en réponse à une saisine de l’OIP après plusieurs plaintes de personnes détenues. Dans un courrier du 9 octobre 2014, l’Unité sanitaire précise néanmoins que « les urgences de toutes natures (notamment somatiques, psychiatriques, médico-psychologiques et

dentaires) sont traitées au jour le jour sur des plages non programmées ». En cause, une sous-dotation en personnels de santé : 0,89 équivalents temps plein de dentistes pour 1 000 détenus, alors que le taux moyen national en détention, déjà insuffisant, est de 1,57 (Cour des comptes, rapport annuel 2014). Pour les psychiatres, le taux d’ETP à Meaux est de 1,11, contre 3,16 au niveau national. Pour les médecins généralistes, il est de 2,23 contre 3,37. A ce manque de moyens humains, s’ajoute « un taux non négligeable d’absentéisme des patients à leurs rendezvous ». Parmi les explications, l’Unité

sanitaire signale « un sous-effectif des personnels de surveillance » chargés d’accompagner les détenus aux consultations. Le problème est aggravé par la surpopulation à Meaux-Chauconin, qualifiée de « critique » par la direction dans son rapport d’activité 2013, tandis que l’Unité sanitaire décrit un quartier centre de détention « saturé » et des quartiers maison d’arrêt surencombrés « à plus de 170 % ». Au 1er octobre 2014, le centre pénitentiaire accueille 894 détenus pour 637 places, dans 527 cellules. OIP, Coordination Ile-de-France

Melun

Soins dentaires défaillants : l’hôpital trois fois condamné 7 500 euros pour Monsieur R., 4 700 pour Monsieur S. et 3 500 pour Monsieur D… Le centre hospitalier (CH) de Melun, dont dépend l’unité sanitaire du centre de détention, a été condamné par le tribunal administratif les 3 et 10 octobre 2014 à indemniser trois plaignants en réparation du préjudice résultant de soins dentaires défaillants. En cause, des délais d’attente excessifs pour obtenir un rendez-vous, une « prise en charge médicamenteuse non conforme aux données acquises de la science » et des soins « non conformes aux règles de l’art ». Monsieur R. a « consulté la première fois en avril 2010 pour une […] inflammation de la gencive résultant de caries sur deux dents, il se retrouve aujourd’hui affecté d’une carie diffuse touchant l’ensemble de sa denture. Il a perdu à ce jour la majeure partie de ses dents et celles qui lui restent se trouvent amputées de la moitié de leur taille », indique son avocat. Il « éprouve de grandes difficultés à parler […] et ne consomme actuellement que du poisson pané et des gâteaux ». Quant à Monsieur D., le tribunal note qu’il présentait à son arrivée « un état buccal déplorable ». Il a néanmoins attendu « quatre mois pour une

première consultation, puis vingt mois » avant qu’il soit procédé aux « multiples extractions  » nécessaires, malgré ses « souffrances importantes ». Ce « retard de prise en charge a aggravé son état initial ». Même conclusion concernant Monsieur S., qui a « demandé par trois fois que des soins dentaires lui soient apportés, [et] n’a pu obtenir un premier rendez-vous que quatre mois après son incarcération ». L’intervention alors pratiquée a conduit à « la déstabilisation de l’état antérieur et [à] la majoration des lésions initiales ». Le tribunal retient des fautes aussi bien « médicales » que « dans l’organisation du service public hospitalier », dénonçant « l’insuffisance des moyens mis à disposition ». Il relève aussi dans les conclusions de l’expert « l’inadaptation du local professionnel ». Il apparaît ainsi « impossible compte tenu de l’emplacement du fauteuil dentaire […] de se déplacer autour », si bien que « les soins et extractions dentaires situés à gauche sont quasi impossibles ou rendus très difficiles. » Et de conclure : « Le CH Marc Jacquet de Melun, par l’intermédiaire de l’[unité sanitaire], ne peut qu’être directement impliqué dans la mauvaise qualité

et gestion des soins délivrés. » La décision rappelle au Centre hospitalier son « obligation de veiller à la continuité des soins […] et, le cas échéant, d’orienter les détenus vers un autre établissement adapté à leur état ». Une option peu fréquente à Melun, selon le Contrôleur général des lieux de privation de liberté : « Les extractions vers l’hôpital sont rares, moins de cinq en 2009 » (rapport de visite, février 2010). De même que restent exceptionnelles les permissions de sortir accordées à fin de « présentation dans un centre de soins », pourtant prévues par le Code de procédure pénale (art. D143). OIP

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Rouen

Suspension de peine : un homme gravement malade renvoyé en prison Fabien C. bénéficiait depuis dix-huit mois d’une suspension de peine pour raisons médicales. Il a dû « se présenter à la maison d’arrêt de Rouen le 6 octobre 2014 à 9 heures pour y être incarcéré et y purger la fin de sa peine ». Ainsi en a décidé le juge de l’application des peines de Rouen, en dépit des pathologies lourdes et du handicap de Fabien C. Le détenu souffre depuis l’adolescence d’une maladie congénitale rare qui altère le métabolisme des reins et entraîne l’apparition fréquente de calculs rénaux et d’infections urinaires. Il est aussi sujet à une décalcification du squelette et une ostéoporose sévère favorisant l’apparition de fractures. Il présente par ailleurs des séquelles d’accidents vasculaires cérébraux dont une paralysie partielle de la jambe droite et une réduction de son champ visuel. Une hypertension sévère lui cause enfin céphalées et vertiges. Le tout le contraint à se déplacer avec une béquille, voire en fauteuil roulant.

Fin 2012, deux expertises médicales avaient conclu à un « état de santé durablement incompatible avec un maintien en détention », conduisant les magistrats d’Evreux à prononcer la suspension de peine. Une nouvelle expertise, rendue un an plus tard après un contrôle, débouche sur une conclusion inverse. Tout en relevant l’apparition de nouveaux symptômes, l’expert estime qu’« un suivi médical est nécessaire » mais que l’état de santé de Fabien C. est « durablement compatible avec la détention » ou avec « le port d’un bracelet électronique ». Ces conclusions suscitent l’incompréhension des médecins de Fabien C., dont plusieurs indiquent ne pas avoir été consultés. Son médecin traitant estime qu’elles ne « paraissent pas entièrement représentatives de l’état de santé de [s] on patient ». Son pneumologue atteste quant à lui que la pathologie respiratoire de Fabien « paraît peu compatible […] avec un

éventuel séjour en milieu carcéral », soulignant « un risque de décompensation respiratoire ». Une situation qui illustre les difficultés pointées récemment par un groupe de travail sur la suspension de peine médicale. Il a notamment recommandé dans ses conclusions de novembre 2013 une meilleure prise en compte du handicap et soulevé « la question de [la] connaissance [par les experts] du milieu carcéral ». Ceux-ci « gagneraient à mieux prendre en compte les conditions concrètes et effectives dans lesquelles vivent les personnes qu’ils examinent ». Une approche qui semble avoir fait défaut en l’espèce : placé au quartier d’isolement pour le protéger en raison de sa profession (inspecteur des douanes), Fabien ne peut bénéficier d’une exposition solaire suffisante ni d’un exercice de marche régulier, éléments essentiels pour limiter les risques de fracture et une aggravation rapide de son état. OIP, Coordination Nord

Baisse des suicides confirmée en 2013 « Pour la première fois depuis vingt ans, [on constate] une évolution générale à la baisse de la mortalité par suicide sur cinq ans. » Le premier rapport de l’Observatoire national du suicide (ONS), publié en novembre 2014, relève une « baisse significative » du taux de suicides en prison, passé de 18,4 pour 10 000 détenus en 2009, à 14,4 en 2013. Une évolution favorable que l’administration pénitentiaire (AP), auteur de la fiche consacrée au suicide des personnes détenues, attribue au plan de prévention lancé en 2009. Elle se félicite de l’amélioration de la formation des surveillants à la détection du risque suicidaire, des mesures visant à « lutter contre le sentiment d’isolement au quartier disciplinaire » – telle la mise à disposition d’un poste de radio – ou « la mobilisation de l’ensemble de la “communauté carcérale”  ». L’administration fait valoir le dispositif de « codétenus de Dedans Dehors N°86 Décembre 2014

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soutien », formés aux premiers secours, à la détection des risques suicidaires et à l’écoute active de leur codétenu. Développée dans neuf prisons, ce serait même « l’une des mesures les plus efficaces » selon la directrice de l’AP (AFP, 2/12/14). Il a toutefois pour limite de faire peser une lourde responsabilité sur les détenus retenus pour cette fonction. La publication du rapport de l’ONS est aussi l’occasion pour l’AP d’annoncer la généralisation d’un « cutter dit de sécurité, permettant au surveillant de trancher rapidement tout ce qui pourrait servir à un détenu pour tenter de se pendre ». Si l’administration pénitentiaire a bien intégré le suicide au rang des « incidents » contre lesquels des actions doivent être menées, il reste difficile d’établir les liens de cause à effet entre chaque mesure adoptée et la diminution observée. Et toujours possible de

regretter la prévalence d’une approche visant surtout à empêcher matériellement le passage à l’acte. Le surveillant blogueur Krapitouk estime ainsi que « l’idéal serait qu’il y ait des projets et des espoirs, qui feraient qu’on n’en arrive pas jusqu’à devoir distribuer de force des palliatifs comme les kits anti-suicide » (Mediapart, 3 décembre 2014). Composés d’un pyjama en papier et d’une couverture indéchirable, les kits restent en effet la mesure la plus fréquente. Alors qu’un renversement de perspective impliquerait une politique de prévention qui « cherche, non à contraindre le détenu à ne pas mourir, mais à le restaurer dans sa dimension de sujet et d’acteur de sa vie » (circulaire DAP du 29 mai 1998). Observatoire national du suicide, Etat des lieux des connaissances et pistes de recherche, novembre 2014


de facto Nîmes

Pénurie de psychologues Un psychologue à mi-temps pour 389 détenus à maison d’arrêt de Nîmes (au 1er octobre 2014). Conséquence : six mois d’attente pour un premier entretien. « Cinq fois plus » de temps de psychologue serait nécessaire, indique l’Unité sanitaire dans son dernier rapport d’activités. Rapportée à 1 000 détenus, la dotation constatée à Nîmes équivaut en effet à 1,2 équivalent temps plein, quand le taux moyen national en détention est de 5,22.

En 2012, le rapport d’activité de l’établissement pénitentiaire mentionnait déjà que « la fréquence des consultations est insuffisante pour un même patient, il lui est difficile d’entamer des psychothérapies qui seraient l’un des moyens de travailler à la prévention de la récidive ». Et d’ajouter que l’orientation de certains arrivants vers une prise en charge psychologique n’est pas suivie d’effet. Le délai d’attente moyen pour consulter le psychologue est

même passé de un à six mois en un an : en arrêt maladie à partir du 18 juillet 2014, le psychologue n’a jamais repris son poste. Son remplacement n’a été assuré qu’à partir du 10 octobre, soit une vacance de trois mois. L’Unité sanitaire de la maison d’arrêt de Nîmes a adressé plusieurs demandes d’augmentation du temps de psychologue à l’Agence Régionale de Santé. Sans effet à ce jour. OIP, Coordination Sud-Ouest

Lyon-Corbas

Entrave aux droits de la défense disposition ne s’oppose à ce que M. G. précise par d’autres moyens son vœu d’être assisté au prétoire. Son défenseur a saisi le chef d’établissement puis la direction interrégionale, leur demandant de revenir sur la sanction prononcée. En vain. Dans une lettre ouverte à la garde des Sceaux, une quarantaine d’avocats rappellent « que les exigences du procès équitable trouvent à s’appliquer à la répression disciplinaire exercée

par le chef d’établissement (CEDH, 3 juil. 2012, Razvazkin C. Russie, n° 13579/09), que le principe du respect des droits de la défense constitue un “principe fondamental reconnu par les lois de la République’’ (Conseil constitutionnel, 17 janv. 1989, n° 88-248 DC) et que la loi garantit le droit de la personne détenue d’être assistée d’un avocat au cours de la procédure disciplinaire ». OIP, Coordination Sud-Est

Commission de discipline dans une maison d’arrêt, 2012

© Grégoire Korganow pour le CGLPL

Privé de l’assistance de son avocat en commission de discipline pour avoir coché la mauvaise case. M.G., détenu à la maison d’arrêt de Corbas, a été sanctionné le 22 septembre à 21 jours de cellule disciplinaire, sans avoir pu bénéficier d’une défense, son avocat s’étant vu refuser l’accès au prétoire. M.G. n’avait pas coché la case correspondante sur le formulaire lui notifiant la procédure. C’est à l’occasion d’une extraction au palais de justice qu’il demande à son avocat de l’assister la semaine suivante devant la commission de discipline. L’avocat prend contact avec la maison d’arrêt, qui lui confirme les poursuites disciplinaires contre son client, accusé de détention d’objets interdits et d’outrage à un personnel de surveillance. Il lui est précisé qu’il pourra consulter le dossier le jour de l’audience. Lorsqu’il se présente, la directrice-adjointe lui interdit néanmoins l’accès au dossier, lui indiquant qu’il ne pourra ni s’entretenir avec son client, ni l’assister au cours des débats. Elle refuse même que des observations écrites soient jointes à la procédure. Pourtant, le Code de procédure pénale prévoit qu’« aucune mesure ne peut supprimer ou restreindre la libre communication de la personne détenue avec son conseil ». Le formulaire de l’administration pénitentiaire mal rempli par le détenu n’a en outre aucune valeur juridique et aucune

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ZOOM

Gradignan  :

vers une démolition-reconstruction ? Le centre pénitentiaire de Gradignan (33) est unanimement reconnu comme vétuste et insalubre. Et même dangereux, avec un système électrique pas aux normes. Sa démolition et reconstruction a été décidée à plusieurs reprises, mais finalement gelée. La dernière annonce du ministère de la Justice, fin octobre 2014, laisse sceptique.

B

âtie à la fin des années 1960 à sept kilomètres de Bor-

deaux, la maison d’arrêt de Gradignan devait se fondre dans le paysage urbain : « Il n’y avait à l’origine ni mur d’enceinte, ni mirador, et les fenêtres conçues en verre très épais ne comportaient pas de barreaudage. » Depuis, « des murs et miradors ont été mis en place », les fenêtres ont été « remplacées par du plexiglas » avec ajout de barreaux et caillebotis (grillages visant à éviter le jet de détritus et les échanges par « yoyo ») 1. Devenu centre pénitentiaire (CP), l’établissement comprend trois bâtiments séparés de quelques centaines de mètres. Le bâtiment A, un immeuble de six étages (style HLM), est destiné au quartier hommes et aux locaux administratifs ou collectifs. Il comprend aussi un petit immeuble de deux étages pour le quartier femmes (26 places). Le bâtiment B regroupe quatre pavillons, dont l’un destiné au quartier mineurs (23 places). Le troisième bâtiment, plus récent et en meilleur état, est composé d’un quartier « centre pour peines aménagées » et d’un quartier « semi-liberté ». Le CP accueille 40 % de prévenus et 60 % de condamnés, pour plus de la moitié à une peine de moins d’un an. La durée moyenne d’incarcération à Gradignan est de 157 jours.

Insalubrité à tous les étages Six députés ont visité la prison fin janvier 2013. A leur sortie, un constat sans appel : « La vétusté saute aux yeux. Barreaux rouillés, sols et plafonds tachés, odeurs, pénombre composent le quotidien de ces détenus 2. » La CGT-pénitentiaire ajoute que « les cellules sont de véritables champignonnières […] les détenus sont pris en charge dans des conditions inhumaines, on est en train de se “Baumettiser” 3 ». « Cette insalubrité fait qu’il n’y est pas rare de croiser des rats », signalait le député Alain Rousset à l’Assemblée nationale en janvier 2013 4. Et une femme 1 Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Rapport de visite, 1315 janv. 2009 2 Blog noelmamere.eelv.fr, 28/01/13 3 Sud-Ouest, 19/12/12 4 Question orale de M. Rousset, député de Gironde, à l’Assemblée nationale (JO du 30/01/13) Dedans Dehors N°86 Décembre 2014

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détenue de décrire « le bruit angoissant du rat qui mange un pigeon », qu’elle ne peut plus supporter 5. Dénoncée depuis plusieurs années, la vétusté concerne l’ensemble des bâtiments A et B. Les fenêtres abîmées laissent passer l’air, rendent les cellules humides, accentuent le froid et le chaud. « Le bas des fenêtres, rongé par la rouille, laisse parfois passer l’air extérieur à quelques centimètres de la tête du détenu qui couche sur un matelas par terre » constatait le CGLPL en 2009. Cinq ans plus tard, une détenue signale à l’OIP que l’étanchéité des fenêtres du quartier femmes est toujours inexistante : « Il y a beaucoup d’humidité car les fenêtres ne ferment pas entièrement, il y a même des trous dans les murs permettant de voir dans la cellule d’à côté… et de toute façon le chauffage ne fonctionne pas 6. » Ces problèmes d’isolation seraient à l’origine de cas d’asthme et d’insuffisance respiratoire, majorés à Gradignan. Les fenêtres laissent passer l’air, mais peu de lumière. Une femme en visite au parloir explique à propos des caillebotis aux fenêtres que son conjoint « ne peut plus regarder au travers parce que ça lui fait mal aux yeux et lui donne envie de vomir ».

Mise aux normes électriques inachevée Sujet d’inquiétude, le système électrique n’est pas aux normes. Et fait redouter au personnel le déclenchement d’incendies : « L’incendie, c’est notre plus grande crainte, d’autant qu’il n’y a pas de système d’évacuation d’air » 7. En mars 2012, un feu s’est déclenché au quartier femmes, causant de nombreux dégâts. Depuis, une partie du bâtiment concerné a été désenfumé et mis aux normes électriques (travaux de 2013 au 2e étage du bâtiment A). Deux mesures qui ont permis à l’établissement d’obtenir un avis favorable à la poursuite de son exploitation, après deux avis négatifs. Mais le chantier n’a pas été étendu à l’ensemble des locaux « sans doute à cause du projet de destruction » du centre pénitentiaire, disent les surveillants. Le risque électrique reste ainsi élevé selon la 5 Réponse à un questionnaire de l’OIP, sept. 2014 6 Courrier reçu en sept. 2014 7 Blog noelmamere.eelv.fr, 28/01/13


© DR

La barre principale du bâtiment A, six étages de type HLM bâtis en 1967, destinés à recevoir les locaux communs et le quartier des hommes

direction « car la mise aux normes du bâtiment A n’est pas achevée et il y a de nombreuses anomalies au bâtiment B 8 ».

Hygiène douteuse en cuisine L’état « inacceptable » des cuisines du bâtiment A constituait un autre point d’inquiétude (CGLPL, 2009) : « Carrelage mural et du sol absent ou cassé ; plus de la moitié des fenêtres fêlées, avec des déchets liquides entre les couches de verre cassé ; murs tâchés d’humidité. » En février 2012, une cuisine modulaire en location a été mise en service, « initialement pour trois ans dans l’attente de la reconstruction de l’établissement 9 ». Mais les mêmes problèmes sont constatés depuis 2013 dans cet espace provisoire : « Carrelage cassé, évacuation mal conçue, tuyaux déboîtés, eaux usées déversées, stagnantes, canalisations engorgées, odeurs pestilentielles, prolifération d’insectes, aucune régulation de température de la cuisine : 5 degrés le matin en hiver 10. » Et les détenus se plaignent de la qualité de la nourriture servie. Une auxiliaire qui distribuait les repas l’été dernier explique : « Quand on arrive pour servir le second étage, la nourriture est tiède, voire froide, car non maintenue au chaud pendant le service. » T.L., détenu au quartier hommes, fait le même constat : « Deux fois sur trois, la nourriture est froide. » Les menus ne sont 8 Rapport d’activité 2013 du CP 9 Conseil d’évaluation du CP, 22/05/14 10 Rapport d’activité 2013 du CP

pas variés, la nourriture distribuée est insuffisante… Une mère de détenue raconte : « Ma fille me dit souvent qu’elle a faim. Imaginez que le dernier repas est à 17 h 30, qu’il n’y a pas de petit-déjeuner, et que le déjeuner est dégueulasse. » L’achat de produits frais en cantine, outre son coût, ne permet pas toujours de compenser, car les délais de livraison sont excessivement longs (le bon de cantine épicerie-boissons mentionne que la distribution est faite 15 jours plus tard) et les quantités sont rationnées pour chaque produit.

Des travaux d’envergure sans cesse repoussés Engagés au compte-gouttes, les travaux de rénovation ne suffisent pas à enrayer la dégradation des locaux. Des budgets insuffisants sont invoqués, alors que les travaux de sécurisation de la prison (vidéo-protection, clôtures, filets…) ont coûté un million d’euros en 2013 dans le cadre du plan de sécurisation des établissements pénitentiaires. Une question de priorité… L’engagement de grands chantiers a été repoussé suite à plusieurs annonces de destruction et reconstruction du CP, qui ont chaque fois été gelées par la suite. Cette solution continue néanmoins de s’imposer. En 2012, l’agence d’urbanisme A’Urba présente un audit écartant tout projet de simple rénovation 11. « Cette tôle il faut la raser […], la rénover ne servirait à rien » estime à son tour le syndicat UFAP, s’appuyant sur les coûts du « bricolage » entrepris jusqu’ici 12. 11 Plan local d’urbanisme, mai 2012. 12 Sud-Ouest, 29/10/14 Dedans Dehors N°86 Décembre 2014

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© Baptiste Fenouil/REA

Entrée de la maison d’arrêt de Gradignan, 1999

Dernière annonce en date, celle de la ministre de la Justice, relayée par le député Alain Rousset le 28 octobre 2014 : « La maison d’arrêt de Bordeaux-Gradignan fera l’objet d’une reconstruction et sera inscrite dans le cadre du prochain contrat triennal 2015-2017 13. » Rien n’est moins sûr. Le maire de Gradignan a beau affirmer avoir obtenu l’inscription au prochain plan triennal de rénovation des prisons de janvier 2015. Et la Voix du Nord indiquer s’être procuré un document interne à l’administration pénitentiaire, où la reconstruction de Gradignan figure dans la catégorie « projets prévus pour un lancement en 2016 14 ». Le syndicat FO-pénitentiaire considère que cette annonce a été faite « sans même que ce soit prévu au prochain plan triennal et sans que ce soit annoncé lors de la présentation du budget 2015 ». En effet, rien n’est mentionné à propos de cet établissement dans le Projet de loi de finances 2015, ni dans les projets de l’APIJ (programmes immobiliers de la Justice). L’incertitude demeure.

Une surpopulation de plus en plus préoccupante Avec un taux d’occupation de 151 % en novembre 2014 15, Gradignan rivalise avec Bayonne pour la place de la maison d’arrêt la plus surpeuplée de la région pénitentiaire de Bordeaux. Pour autant, les 82 places des quartiers « centre pour peines aménagées » et « semi-liberté », qui permettent de 13 Sud-Ouest, 29/10/14 14 La Voix du Nord, 19/11/14 15 Chiffres DAP au 01/11/14 Dedans Dehors N°86 Décembre 2014

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Barrières dans l’accès aux soins Une trentaine de professionnels de santé interviennent à l’unité sanitaire. Ils assurent en moyenne 110 consultations par jour hors week-end et jours fériés1. L’offre de soins reste néanmoins très insuffisante au regard des besoins croissants. Alors que 80 % des entrants nécessitent des soins dentaires, le délai pour une consultation est de trois à quatre mois. Si bien que des patients qui n’avaient au départ qu’une dent cariée arrivent en consultation avec des infections et abcès. Autre obstacle aux soins : l’ouverture des droits à la sécurité sociale. La réactualisation des droits de base n’est pas systématiquement assurée par le greffe, tout comme l’évaluation des dossiers de CMU-complémentaire par le SPIP, ce qui prive de nombreuses personnes détenues de l’accès aux soins en temps voulu. L’Unité sanitaire souffre également de locaux inadaptés : absence de salle d’attente, confidentialité non garantie par manque d’isolation sonore (cloisons très fines), manque de bureaux, si bien que certaines consultations ont lieu dans des espaces confinés comme la réserve à pharmacie. Pour l’hôpital, « il n’est pas envisageable de persister dans des locaux aussi contraints ». En mai 2014, la direction interrégionale pénitentiaire (DISP) indiquait que « le projet de rénovation de l’Unité sanitaire [était] toujours en attente de décision, sans que pour l’heure aucune perspective ne se dessine pour 2014-2015 ». 1. Enquête de l’unité sanitaire « Temps passé auprès des patients » menée en mai 2013.


ZOOM préparer la sortie, ne sont occupées qu’à 73 %. Le directeur a tiré la sonnette d’alarme dès décembre 2012, en adressant un courrier aux magistrats du TGI de Bordeaux sur « une situation bien évidemment indigne […] où des détenus doivent dormir sur un matelas disposé à même le sol 16. Pour 453 places théoriques au total, 700 détenus en moyenne étaient hébergés en 2013 17. Au point d’entraîner des incidents au greffe : « perte d’un ordre de transfert, affectation par erreur d’un mineur chez les majeurs, dossiers stockés à même le sol… 18 » Fin 2013, les cellules individuelles du quartier femmes étaient doublées. Une détenue écrit alors : « On peut se déplacer du lit à la table, mais seulement si la codétenue reste sur son lit. » Quatre des 18 cellules de 8,5 m2 comptaient un troisième matelas, posé à même le sol. Au quartier hommes, plusieurs témoignages faisaient état du placement de huit détenus dans une cellule de 25 m2. Mais la situation la plus fréquente dans ce quartier est de « deux détenus dans une cellule de 8,5 m2, aux murs décrépis, couverts de moisissure », comme l’indiquait le directeur aux députés début 2013 19. Détenu dans ce quartier, T.L. écrit en octobre dernier : « Je colle au mur les feuilles de couleur des bons de cantine, elles font office de papier peint. »

Mortel ennui en cellule Pour près de 700 détenus, seuls 80 postes de travail sont proposés aux ateliers et 72 au service général. Le nombre d’équivalents temps plein (ETP) est en baisse : 53 en 2013 pour 64 en 2012. Pour les trois quarts des détenus restants, les activités proposées sont insuffisantes, si bien qu’en moyenne, ils disent passer 20 heures sur 24 en cellule. Dans son rapport d’activités, le SPIP regrette que l’activité de l’association socio-culturelle du centre pénitentiaire ne puisse perdurer et que le poste de coordinateur culturel soit menacé de disparaître, faute de financement pérenne. Incarcéré à Gradignan depuis quatre ans, R.F. se plaint de ne pas pouvoir continuer ses études car « ici c’est toujours bloqué. » Une jeune détenue décrit ses journées dans un courrier de juillet 2013 : « Pour toute activité, j’ai une heure de sport et une heure de messe par semaine. Je ne suis pas catholique, mais je vais à la messe pour éviter d’être enfermée… même l’école m’est refusée à cause de mon niveau (j’ai une maîtrise). Je m’ennuie énormément. » Delphine Payen-Fourment, coordinatrice OIP Sud-Ouest

Gradignan au parloir Les familles qui arrivent en gare de Bordeaux doivent emprunter un autobus, un tramway puis un deuxième autobus pour rejoindre le centre pénitentiaire. Le trajet s’effectue en 45 minutes au mieux. Pour les familles motorisées, « il n’y a la place que pour garer trois véhicules » devant l’entrée, et le parking situé devant l’accueil des familles n’est pas suffisant. Les voitures stationnent dès lors sur les bas-côtés. « Le comble c’est que lorsque nous allions rejoindre notre véhicule, il y avait deux flics qui mettaient des PV ! », raconte une mère de détenu. « Non seulement il n’y a pas d’endroit où se garer, mais ils en profitent pour nous verbaliser ! » Les bornes automatiques pour réserver les parloirs dysfonctionnent souvent : en octobre 2014, elles ne délivraient plus les cartes nécessaires pour les utiliser. Certaines réservations sur place peuvent alors se faire au guichet. Les familles sont unanimes quant à la quasi-impossibilité d’une réservation par téléphone. « Par téléphone, ils ne répondent pas ou il faut appeler une dizaine de fois », indique une mère de détenu. Selon une autre, « il y a des plages horaires extrêmement courtes pour appeler (1 h 30), il ne faut pas lâcher ». La difficulté à réserver par téléphone oblige à venir sur place et à prévoir un parloir sur l’autre : « Quand on habite loin, c’est très difficile. J’ai fait des allers-retours juste pour prendre rendez-vous, sans le voir », raconte une proche de détenu. En cas de problème d’une famille pour accéder au parloir, le détenu n’est pas ou mal informé, regrettent les visiteurs. « Un jour, je suis arrivée en retard et j’ai été refusée. On a dit à ma fille que je n’étais pas venue ce jour-là », confie une mère. Et une autre d’ajouter : « On passe sous un portique. Si ça sonne à deux reprises, on a un refus de parloir. Et ils disent au détenu : “Il n’y avait personne pour toi au parloir’’. » Les bénévoles de l’accueil familles (le Chalet Bleu) sont témoins de ces situations angoissantes pour les proches : « Lorsqu’un parloir est annulé pour un petit retard et que la personne vient de loin, c’est toujours très difficile à vivre. Parfois aussi les familles reviennent à l’accueil sans avoir pu voir la personne détenue et sans qu’aucune explication ne leur ait été donnée ; ils apprendront plus tard qu’elle a été hospitalisée ou transférée. » Les visites se déroulent dans de petits boxes, « étroits », « de la taille d’un w.-c. », « abîmés ». « Ça ressemble aux cabines de la piscine », décrit la mère d’un détenu. « Faut pas être claustro », ajoute une autre. La rencontre a lieu assis en face-à-face, chacun sur un banc fixé au mur, genoux contre genoux. Des conditions qui « ne facilitent pas les relations » et « ne sont pas adaptées pour des enfants », soulignait le Contrôleur général après sa visite en 2009. « Groupe action parloirs » de l’OIP Bordeaux

16 Courrier du 11/12/12 17 Conseil d’évaluation du centre pénitentiaire de Gradignan, 22/05/14 18 Rapport d’activité 2013 du CP. 19 Blog noelmamere.eelv.fr, 28/01/13 Dedans Dehors N°86 Décembre 2014

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La Cour européenne valide la perpétuité incompressible à la française L’emprisonnement à vie existe : il s’agit de la réclusion criminelle à perpétuité avec période de sûreté illimitée, à savoir sans possibilité de demander un aménagement de peine. Instaurée en 1994, elle a été prononcée contre quatre personnes, parmi lesquelles Pierre Bodein. Dans son arrêt du 13 novembre 2014, la Cour européenne des droits de l’homme vient de juger qu’une telle condamnation ne constitue pas un traitement inhumain ou dégradant prohibé par l’article 3 de la Convention. Renvoyant aux principes posés dans son arrêt Vinter c. Royaume-Uni, la Cour rappelle que pour être compatible avec l’article 3, « une peine perpétuelle doit offrir à la fois une chance d’élargissement et une possibilité de réexamen ». Ainsi, « la possibilité de revoir la peine perpétuelle dans le but de la commuer, de la suspendre, d’y mettre fin ou encore de libérer le détenu sous conditions » doit être prévue par la loi 1.

La possibilité de réexamen suffit  Le Royaume-Uni avait pour sa part été sanctionné par la CEDH en juillet 2013, sa législation ne prévoyant aucune de ces possibilités pour certains condamnés. Examinant le droit français à l’aune des mêmes principes, la Cour souligne que le code de procédure pénale (art. 720-4) prévoit qu’une personne condamnée à la perpétuité « réelle » peut obtenir, après trente ans d’incarcération, qu’il soit mis fin à la période de sûreté incompressible, puis déposer une demande de libération conditionnelle. La procédure de relèvement de la période de sûreté peut être engagée à l’initiative du condamné, de la juridiction de l’application des peines ou du parquet. Dans tous les cas, un collège de trois experts psychiatres est désigné pour rendre un avis sur la dangerosité du condamné. Puis, une commission de magistrats de la Cour de cassation juge s’il y a lieu de mettre fin à la période de sûreté perpétuelle. En cas de décision favorable, le condamné recouvre la possibilité de demander un aménagement de peine, demande qui suivra ensuite une longue procédure d’évaluation. Pour les juges européens, ce dispositif assure l’existence d’une « perspective d’élargissement » et préserve de ce fait le « droit à l’espoir » du détenu. En l’espèce, la Cour relève que M. Bodein pourra saisir la juridiction de l’application des peines en 2034, à l’âge de 87 ans, d’une demande de relèvement de sa période de sûreté. Elle estime que « cette possibilité 1 Cour EDH, Gr.ch., 9 juil. 2013, Vinter c/ Royaume Uni, n°66069/09, 130/10 et 3896/1 Dedans Dehors N°86 Décembre 2014

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de réexamen est suffisante pour considérer que la peine prononcée contre le requérant est compressible ».

Des chances quasi-nulles en pratique La section française de l’Observatoire international des prisons (OIP-SF) attirait au contraire l’attention de la Cour sur le fait que la peine de réclusion criminelle à perpétuité est certes compressible dans les textes mais pas dans les faits. L’OIP produisait notamment une étude réalisée par un conseiller d’insertion et de probation en 2007. Il concluait que si elle n’existe pas de jure « il est possible d’affirmer que la perpétuité existe réellement en France ». Il se basait sur l’étude de la situation de 148 condamnés à perpétuité, parmi lesquels seuls 32 étaient accessibles à un aménagement de peine. Parmi eux, 10 avaient déjà fait l’objet d’un rejet suite à une demande et 14 se refusaient à déposer un dossier. Les 8 derniers étaient en train d’élaborer leur dossier de demande ou dans l’attente d’une réponse. L’auteur dégageait trois tendances parmi ces condamnés : ceux qui se sont enfermés dans une « posture d’affrontement avec l’administration » au vu de leur absence de perspective, ceux qui vivent une « perpétuité sociale », du fait d’un rejet de leur entourage notamment, et qui ne se socialisent « qu’en interaction avec l’institution », angoissant « face au moindre changement ». Enfin, ceux pour lesquels une « dangerosité criminologique » est considérée comme immuable du seul fait de leurs infractions et se trouvent de fait « neutralisés par une réclusion à vie ». Alors que l’étude portait sur toutes les catégories de condamnés à perpétuité, il faut bien sûr considérer les chances d’accéder à un aménagement de peine encore plus réduites, donc quasi-nulles, pour ceux qui ont une période de sûreté illimitée, tels Pierre Bodein.

Après la peine de mort… Dans une opinion concordante annexée à la décision, l’une des juges relève que « si l’on prend au sérieux l’idée d’une chance réelle, et non purement théorique, que [le requérant] soit libéré », il faut tenir compte de l’âge très avancé auquel il pourra effectivement solliciter un élargissement. Elle explique toutefois avoir voté pour la solution retenue par la Cour en considérant que Pierre Bodein a une chance d’atteindre l’âge auquel il pourra solliciter une libération. Et que s’il devenait « probable qu’il mourra avant le moment où il pourra demander un réexamen de sa peine », le droit français lui permet également de solliciter une suspension de peine ou une grâce présidentielle. Ainsi la Cour européenne se contente aujourd’hui de chances infimes de recouvrer la liberté pour les

en droit


en droit condamnés à la perpétuité réelle. Néanmoins, pour le juriste spécialiste de la CEDH Nicolas Hervieu, une évolution de sa jurisprudence n’est pas exclue. « La CEDH interdit la peine de mort, depuis l’an dernier elle prohibe les peines totalement incompressibles, rien ne dit qu’un jour elle n’ira pas plus loin en considérant les peines de prison de 20 ou 30 ans comme inhumaines 2. » Et les mots prononcés par Robert Badinter

devant l’Assemblée nationale pour défendre l’abolition de la peine de mort s’appliquer enfin à la perpétuité : « Aussi terribles et odieux que soient leurs actes, il n’est point d’homme sur cette terre dont la culpabilité soit totale et dont il faille pour toujours désespérer. » Cour EDH, 13 nov. 2014, Bodein c. France, n°40014/10.

2 Cité par Marie Boëton, La Croix, 12/11/14

© Olivier Culman

Porte d’une cellule d’isolement, maison centrale de Poissy, 2007

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Placements non justifiés à l’isolement puis en régime « portes fermées » Dans un jugement du 23 septembre 2014, le tribunal administratif de Lyon annule deux décisions par lesquelles le directeur du centre de détention de Roanne avait placé Monsieur X. à l’isolement pour trois mois, puis l’avait affecté en régime « portes fermées ». L’administration reprochait à M. X. de « déstabiliser le fonctionnement de l’établissement pénitentiaire et d’inciter ses codétenus à un mouvement collectif », l’accusant d’avoir été à l’origine d’une pétition signée par une quarantaine de détenus dénonçant le fonctionnement des parloirs et des unités de vie familiale. L’administration produisait par ailleurs une lettre anonyme dénonçant M. X. comme l’instigateur d’un mouvement collectif à venir, ainsi qu’un courrier que celui-ci avait adressé au directeur du centre de détention pour critiquer les conditions de travail et les modalités de rémunération au sein des ateliers. Pour le tribunal administratif cependant, ni la pétition signée par les détenus, ni le courrier de M. X. au directeur « ne comportent de propos susceptibles de troubler le bon fonctionnement de l’établissement, ces deux documents se bornant à dénoncer des dysfonctionnements relatifs aux conditions d’incarcération ». En outre, le courrier anonyme de dénonciation, « elliptique » et « peu circonstancié », ne permet pas d’admettre l’existence d’un risque réel de préparation d’un mouvement collectif. Relevant que « ni les écrits reprochés à M. X. ni son influence supposée sur les autres détenus n’ont troublé la sécurité et le bon fonctionnement du centre de détention de Roanne », les juges estiment que le placement du requérant à l’isolement est entaché d’une « erreur manifeste d’appréciation ». Le tribunal administratif se penche également sur la légalité de l’affectation de M. X. en quartier « portes fermées », régime prévu dans cet établissement pour les « détenus n’étant pas en mesure de respecter les exigences d’une vie collective ». Le juge relève qu’en l’espèce, le requérant n’a pas « manifesté, au sein du quartier d’isolement dans lequel il a été placé à tort, un comportement de nature à justifier, à sa sortie de celui-ci, une affectation en régime “portes fermées”, motivée par la nécessité d’évaluer son “impact sur la population pénale” ». Dans ces conditions, la décision de lui imposer ce régime est également sanctionnée comme entachée d’erreur manifeste d’appréciation. TA de Lyon, 23 sept. 2014, n°1107371 – 1201623

Indemnisation d’un détenu empêché de se rendre aux obsèques de son enfant à naître Par un jugement du 23 septembre 2014, le tribunal administratif d’Orléans a condamné l’Etat à verser une indemnité de 1 500 euros à Monsieur Y., qui avait obtenu du juge Dedans Dehors N°86 Décembre 2014

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de l’application des peines une autorisation de sortie exceptionnelle pour assister aux obsèques de l’enfant que sa concubine avait perdu après vingt-quatre semaines de grossesse. Il n’avait pas pu se rendre à la cérémonie faute d’escorte de gendarmerie mise à disposition pour l’y accompagner. Pour justifier cette carence, le ministère de la Justice soutenait qu’il n’avait pas été possible de mettre en place l’escorte prévue. L’extraction devait être réalisée selon la Chancellerie en tenue et avec armes, « ce qui était incompatible avec une cérémonie de funérailles » et « l’environnement où devait se rendre l’escorte était inconnu, voire hostile ». Elle relevait que les faits pour lesquels M. Y. était incarcéré pouvaient laisser craindre des incidents « malgré son comportement en détention » et que le caractère suicidaire de l’intéressé « ne pouvait garantir d’un éventuel revirement psychologique ou comportemental ». Elle affirmait enfin que le délai dans lequel l’escorte devait être organisée était trop bref. Ecartant tous ces arguments, le tribunal administratif retient que les services de gendarmerie ont bien commis une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat en ne mettant pas en œuvre l’escorte nécessaire à l’exécution de la décision du juge de l’application des peines. TA Orléans, 24 septembre 2014, n°1302546

Le retrait de crédit de réduction de peine soumis aux exigences du procès équitable Dans un arrêt du 24 octobre 2014, le Conseil d’Etat juge que la procédure de retrait de crédits de réduction de peine doit être soumise aux exigences du droit à un procès équitable garanti par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Examinant la règlementation française à cette aune, la Haute Juridiction estime l’article D. 49-39 du code de procédure pénale (CPP) partiellement contraire à l’article 6 de la CEDH. Elle considère que le deuxième alinéa de cet article, prévoyant qu’il peut être fait appel dans un délai de 24 heures des décisions de retrait prononcées par la juridiction de l’application des peines et définissant les modalités de notification de ces décisions, n’affecte pas « la substance du droit à un recours effectif ». Elle juge en revanche que le troisième alinéa, octroyant au ministère public, en cas d’appel de la personne condamnée, un délai supplémentaire de 24 h ou de cinq jours pour faire appel à son tour méconnait « le principe de l’égalité des armes » qui résulte de l’article 6 de la CEDH. Le refus du Premier ministre d’abroger cette disposition est par conséquent jugé illégal et le Conseil d’Etat enjoint à ce dernier de procéder à l’abrogation de ce troisième alinéa dans un délai de quatre mois. CE, 24 oct. 2014, n°368580

en droit


PARUTION

Aboutissement de la campagne « Ils sont nous » initiée par l’OIP en juin 2013, Passés par la case prison est issu de la rencontre entre huit anciens détenus et huit écrivains. Chaque chapitre comprend des extraits de l’entretien réalisé avec un ancien détenu sur son histoire de vie, puis le texte de l’écrivain qui l’a rencontré, et enfin un encadré informatif sur la prison. L’ensemble donne à voir l’humain derrière le stéréotype et la diversité des trajectoires pouvant mener derrière les barreaux. Des récits dont la subjectivité est la force, tant ils invitent à nuancer, à s’interroger en miroir sur ses propres failles et dérives. La prison n’est plus cette peine symbolique, elle est inscrite dans la chair de ceux qui la racontent. « Chacune des personnes interrogées souligne à quel point son séjour en prison, même pour une courte peine, l’a marquée à vie. Et Philippe Claudel écrit justement que “la prison est un vêtement que l’on ne peut enlever” » (préface de Robert Badinter). Avec les textes de Olivier Brunhes, Philippe Claudel, Marie Darrieussecq, Virginie Despentes, Nancy Huston, Mohamed Kacimi, Pierre Lemaitre, Gérard Mordillat, une préface de Robert Badinter et les photos de Philippe Castetbon et Dorothy-Shoes. Editions La Découverte, 208 p., 17 €, bon de commande au dos de la revue et en librairie à partir du 11 décembre.

Une question de mots Extrait du texte de Pierre Lemaitre, prix Prix Goncourt 2013 pour son roman Au revoir là-haut. Invité à s’entretenir de ses livres avec des détenus, le choc de sa première visite à la maison d’arrêt de Metz en 2007 a entraîné chez lui « un intérêt très vif pour la condition pénitentiaire ». De sa rencontre avec Véronique H., condamnée pour conduite en état alcoolique, il revient marqué par le décalage entre le vocabulaire ou les exigences de l’institution judiciaire, et l’univers de cette femme qui « a besoin de choses simples et claires ».

«L

e jugement détaille ce qui se passera si Véronique ne se soumet pas à l’obligation de se soigner. C’est un texte de près de cent mots. Densité lexicale : 87,5 %. Il est censé expliquer à une femme à peu près illettrée ce qu’elle doit faire et ce qu’elle risque si elle ne le fait pas. Bien sûr, le juge a dû lui expliquer tout cela, mais quand je considère la difficulté que j’ai à m’entretenir avec elle, moi qui ai le temps d’essayer de comprendre, je me demande ce qu’on lui a réellement dit, comment on le lui a dit. Ce qu’elle en a compris puis retenu. Véronique est condamnée à deux mois de prison avec sursis et une mise à l’épreuve de dix-huit mois avec obligation de soins. Dedans Dehors N°86 Décembre 2014

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Elle m’assure pourtant avoir été condamnée d’emblée à deux mois de prison ferme, chassant ainsi trois années de procédure, de visites au service de probation, de convocations du juge, la prolongation de son sursis, sa révocation… Véronique simplifie. Pour comprendre ce qui lui arrive, elle a besoin de choses simples et claires. Il y a un serin quelque part, du côté de la cuisine, qui se met en marche toutes les dix minutes, il a une voix d’une puissance effarante, on dirait un serin fou. À ce moment-là, j’ai du mal à entendre Véronique. « C’est Chouquette, me dit-elle, admirative. C’est mon copain… » Et donc deux mois avec sursis. Et l’obligation de se soigner. Véronique H. a été condamnée par le Tribunal Correctionnel de B. à la peine de 2 mois d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve pendant 18 mois, avec obligation de soins en alcoologie. Le délai d’épreuve a débuté le 24 mai 2009 et aurait dû se terminer le 24 novembre 2010. Il a toutefois été prolongé de 18 mois par décision du juge de l’application des peines en date du 7 juillet 2011. En effet, malgré des analyses sanguines témoignant d’une consommation alcoolique particulièrement ancrée, Véronique H. n’avait alors jamais entrepris de suivi spécialisé. Présente au débat contradictoire, elle avait cependant assuré avoir pris conscience de sa problématique alcoolique et de la nécessité de la traiter. Densité lexicale  : 88.6 %

Le jugement assure que Véronique « a pris conscience de sa problématique alcoolique ». Je regarde son teint cendré, ses mains rouges qui tremblent en tenant sa cigarette. En clair, elle a compris que l’alcool est son problème et qu’elle devait y remédier. Le jugement n’évoque ni sa polyarthrite, ni ses difficultés de déplacement, ses douleurs, ses chutes, son énurésie, ni l’environnement familial, ni son histoire… Juste ça : sa « problématique alcoolique », considérée comme une cause alors qu’elle est un effet. Il n’est pas question non plus du fait que cette décision est quasiment inapplicable : le suivi antialcoolique se met en place treize mois plus tard, il faut trois mois pour obtenir un rendez-vous ; vu ses problèmes de déplacement, il faudrait des visites à domicile mais le seul dispositif existant dans la région vient de s’arrêter, faute de financement. Pour le service médical, les délais d’attente sont aussi longs que la durée de sa peine. Véronique ne se soigne pas assez, elle n’est pas « réellement impliquée » dans le processus de sevrage, le juge de l’application des peines prolonge le délai de dix-huit mois. Mais là encore, Véronique ne se soigne pas. Pas suffisamment. Le 13 novembre 2012, son sursis est révoqué. On ne juge pas son état de santé incompatible avec la détention : le 7 février, elle est arrêtée et incarcérée à la maison d’arrêt de Sequedin (taux de surpopulation : 140 %).

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© Philippe Castetbon

« L’enfer ! », me dit-elle. Je m’attends au pire : les bagarres entre détenues, le deal, la violence, les gardiennes sadiques… Pas du tout. Pour Véronique c’est une histoire de cigarettes et de télévision. Elle n’a rien à fumer et la télévision n’a fonctionné que quelques jours. « Enfermée

Pour illustrer sa vie avant la prison, Véronique a choisi ce cadre : « Il représente mes souvenirs d’enfance, quand on partait avec mon père, on pêchait, c’était bien. »


PARUTION

dans la cellule, toute seule, personne à qui parler, je voulais avoir quelqu’un moi, parler, simplement, j’étais toute seule… » A l’entendre, elle a été victime d’une sorte de machination de l’administration pénitentiaire qui l’a placée en quarantaine pendant toute la durée de sa détention. « Je sais pas pourquoi, j’ai jamais compris ! » L’expression revient sans cesse dans sa conversation : « J’ai pas compris ». Elle ne s’explique pas ce qui lui est arrivé. En fait, Véronique ne sort pas de sa cellule parce qu’elle souffre beaucoup, qu’elle peut à peine marcher. Et qu’elle ne maîtrise pas sa vessie. Et cette télé en panne ! Véronique va revenir dessus encore et encore. L’enfer, c’est un monde sans télé. « Et la fenêtre était toujours ouverte ! » mais elle ne se souvient pas en quelle saison on était. Elle est certaine d’avoir intégralement purgé sa peine. Elle a bénéficié de quatorze jours de remise de peine réglementaire, mais c’est comme le sursis, elle n’en garde qu’un souvenir confus. Le temps, dans sa vie, a une curieuse épaisseur, opaque.

Véronique : alcoolique. Père : alcoolique. Une sœur : alcoolique. Gendre : alcoolique. Mari : alcoolique. Tiens, le mari. Il est couvreur. Je pense à Coupeau, je le vois tomber du toit et je me reproche aussitôt ce rapprochement, c’est vraiment trop facile mais c’est plus fort que moi, ça ne me quittera plus. Il suffit de regarder autour de soi, la salle à manger, le carrelage cassé, le poêle, les couvertures dépareillées sur le canapé hors d’âge, tout me ramène à Zola. Un siècle plus tard… Elle vit « avec un euro par jour ». Son mari ne lui donne pas d’argent, il fait lui-même les courses (« il dit comme ça que si j’ai de l’argent, je vais aller acheter ma bouteille »). Il lui accorde « un petit verre le midi et le soir ; j’ai droit à une bière l’après-midi, et c’est tout ». Elle me sourit, les dents abîmées… (Bon Dieu, maintenant c’est Fantine, je n’en sors pas). Je me souviens qu’il a été question de divorce, de séparation. Impossible de comprendre. Véronique estime qu’elle a été séquestrée en prison, séquestrée par son mari. Sa vie est une succession d’enfermements. Elle dit qu’il boit beaucoup. « Il faudrait qu’il s’en aille. Avec lui, c’est pas possible. » Toujours la faute des autres.

© Philippe Castetbon

Au lieu de « consommation alcoolique particulièrement ancrée », le jugement devrait dire « historiquement ancrée ».

« Depuis mon passage en prison, j’ai mal au cœur. Tout le temps. Parce que, pendant deux mois, j’ai été totalement seule, séparée de ma fille. La douleur est restée dans mon corps. »

Véronique n’a pas fait d’études. Personne, dans la famille, n’en a fait (même Cindy, sa fille, dixhuit ans, la nouvelle génération marche sur les pas de la précédente). Elle ne travaille pas, elle et son copain vivent ici. Véronique a perdu son père il y a bien longtemps (« Il était sorcier. S’il voulait qu’il arrive quelque chose à quelqu’un, de vraiment mortel, “Je mets un voile sur lui le soir et le lendemain…” Mais il ne voulait pas le faire, il ne voulait pas avoir ça sur la conscience. Lui, il était sorcier et mon grand-père, les gens le voyaient la nuit au-dessus de son toit. Pas “sur” son toit : “au-dessus” ! Allongé. » Quand elle parle de ce grand-père qui, avec sa petite canne, passait par les marais et rapportait aux trois filles « des petites bricoles » glanées sur le chemin, elle a les yeux embués).

»

De la famille, il ne reste que sa mère (« Dieu merci ») et sa sœur jumelle qui habite tout près. Lorsque Véronique va la voir, elle lui passe un coup de téléphone : « Je pars, tu me regardes, hein ? » La sœur se met à la fenêtre et surveille Véronique : « Pour le cas où je tomberais…  » Pierre Lemaitre

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Qu’est-ce que l’OIP ? La section française de l’Observatoire international des prisons (OIP), créée en janvier 1996, agit pour le respect des droits de l’Homme en milieu carcéral et un moindre recours à l’emprisonnement. Que fait l’OIP ? Concrètement, l’OIP dresse et fait connaître l’état des conditions de détention des personnes incarcérées, alerte l’opinion, les pouvoirs publics, les organismes et les organisations concernées sur l’ensemble des manquements observés ; informe les personnes détenues de leurs droits et soutient leurs démarches pour les faire valoir ; favorise l’adoption de lois, règlements et autres mesures propres à garantir la défense de la personne et le respect des droits des détenus ; défend une limitation du recours à l’incarcération, la réduction de l’échelle des peines, le développement d’alternatives aux poursuites pénales et de substituts aux sanctions privatives de liberté. Comment agit l’OIP ? Organisation indépendante des pouvoirs publics, l’OIP ne sollicite aucun mandat ou subvention du ministère de la Justice, s’interdit de prendre part à l’action d’aucun gouvernement, de soutenir aucun parti politique ou de prendre position à l’occasion de toute consultation électorale. Pour faciliter la mise en œuvre de ses objectifs, l’Observatoire suscite la création de coordinations régionales chargées de l’observation des lieux de détention et composées exclusivement de membres de l’OIP.


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La revue Dedans-Dehors 66 n° 85 « Place aux ex-détenus dans la prévention de la delinquance » .......... x 66 n° 84 « Violences carcérales : au carrefour des fausses routes » .......... x 66 n° 83 « Projet de réforme pénale : indispensable et inabouti » .......... x 66 n° 82 « Longues peines : la logique d’élimination » .......... x 66 n° 81 « Réforme pénale : désintox » .......... x 66 n° 80 « Ils sont nous – Parcours de vie d’anciens détenus » .......... x 66 n° 79 « Expression en prison : la parole disqualifiée » .......... x 66 n° 77-78 « Nouvelles prisons : le trou noir de la pensée » .......... x 66 n° 74-75 « Politique pénale : quand les idées reçues dictent leurs lois ».......... x Tous les prix comprennent les frais de port. Pour l’étranger, nous consulter.

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3 Entrer en prison 3 Vivre en prison Le quotidien carcéral Liens avec l’extérieur Santé physique et psychique Au nom de la sécurité 3 Faire respecter ses droits

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l’heure où la question de la prévention et de la répression de la délinquance et du crime s’est installée au cœur du débat public, la radiographie de l’univers carcéral français réalisée par l’OIP n’est pas seulement une initiative citoyenne salutaire, elle constitue une véritable démarche d’utilité publique. En retraçant les évolutions des politiques pénales et pénitentiaires au cours de la période 2005-2011, dans toutes leurs nuances et contradictions, ce rapport permet à chacun de connaître l’usage qui est fait de l’emprisonnement et la réalité de ce qui se passe derrière les murs de nos prisons. Alors même que l’institution pénitentiaire fait l’objet d’une remise en cause permanente sur sa capacité à respecter l’État de droit et les droits de l’homme, le nombre de personnes incarcérées atteint des niveaux historiques et les plans de construction de nouvelles prisons se succèdent.

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L’Observatoire international des Au terme d’un long processus d’élaboration, la loi péniprisons (OIP) est une tentiaire de novembre 2009 n’a finalement pas apporté organisation non d’avancée majeure dans la reconnaissance de droits visant gouvernementale à protéger la personne détenue. Elle vient même entériner dont l’action vise à certaines régressions, telle la mise en place de « régimes favoriser le respect différenciés ». Quant à l’injonction paradoxale faite au juge de la dignité des de systématiser la réponse « prison » (peines plancher) et personnes détenues. de transformer les courtes peines d’emprisonnement en Créée en 1996, la surveillance électronique, elle s’est accompagnée d’un section française de tournant législatif qui ajoute à des peines de plus en plus l’OIP défend les droits longues des mesures de sûreté pour les auteurs d’infracCode_OIP_2011:Codefondamentaux à barres 9/11/11 16:03 des tions les plus graves, sur la base d’une évaluation de la personnes incarcérées « dangerosité » hasardeuse et artisanale. et milite pour le développement des mesures alternatives à l’emprisonnement.

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Le dernier livre de l’OIP est arrivé ! « Passés par la case prison » est issu de la rencontre entre huit anciens détenus et huit écrivains : Olivier Brunhes, Philippe Claudel, Marie Darrieussecq, Virginie Despentes, Nancy Huston, Mohamed Kacimi, Pierre Lemaitre et Gérard Mordillat. C’est l’histoire de Sylvie, incarcérée après avoir aidé son compagnon à s’évader. Celle de Yazid, devenu consultant en prévention urbaine après avoir été un passionné du vol. Ou de Sacha, qui a connu les émeutes de 2005, les placements en foyer ou famille d’accueil, et rêve à présent de devenir avocat. Des histoires qui montrent la complexité des parcours et des contextes qui mènent derrière les barreaux.

Au fil des 224 pages… • Une préface de Robert Badinter ; • Des extraits d’entretiens avec les huit personnes qui furent condamnées ; • Les textes des écrivains qu’elles ont rencontrés : en forme de portraits ou de tranches de vie, ils nous rapprochent de la vérité crue, celle de l’humain derrière le fait divers ; • Des encarts informatifs sur la prison ou la justice, en lien avec chaque histoire ; • Les photos de Dorothy-Shoes prises au cours d’ateliers avec des personnes détenues, et celles de Philippe Castetbon avec les huit protagonistes du livre.

Commandez le livre à l’OIP et marquez votre soutien à la campagne « Ils sont nous ». Bulletin à renvoyer accompagné de votre chèque à OIP section française – 7bis rue Riquet – 75019 Paris ■ J e commande l’ouvrage Passés par la case prison, OIP/ La Découverte, 224 p., 17 € Nombre d’exemplaire(s) : …………………… Frais de port 1 exemplaire : 3 € 2 exemplaires : 5 € 3 exemplaires : 7 € 4 exemplaires : 9 € 5 exemplaires et plus : 12 € Ci-joint mon règlement par chèque à l’ordre de l’OIP SF d’un montant total de ……………………

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