Justice et discriminations : entretien avec Virginie Gautron Drogues A Bobigny, enquête sur une alternative à la prison Portugal : bilan de quinze ans de décriminalisation
Captifs à l’extérieur Les proches de détenus racontent « leur » détention
Observatoire international des prisons Section française
7,50 € N°89 octobre 2015
EDITORIAL
Les universitaires sortent de l’ombre La mobilisation est inédite. Plus de 350 universitaires, dont trois-quarts de juristes, ont signé une tribune pour la reconnaissance des droits des détenus travailleurs. A la veille de l’examen par le Conseil Constitutionnel d’une question prioritaire déposée par un détenu et l’OIP, l’initiative est venue de Philippe Auvergnon, directeur de recherches au CNRS et de deux professeurs de droit, Cyril Wolmark et Julien Bonnet. Parmi les signataires, toutes les branches du droit sont représentées. Dominique Rousseau, grand constitutionnaliste, Antoine Lyon-Caen, spécialiste fameux du droit du travail… ainsi que de nombreux pénalistes, civilistes, historiens du droit… rejoints par des sociologues. Tous ont voulu signifier qu’il n’était pas acceptable au xxie siècle que le travail s’exerce « sans droits et sans contrat ». Tous déplorent l’inertie répétée du législateur, prostré derrière l’argument d’une prison qui devrait rester « attractive pour les entreprises », autorisant dès lors des rémunérations dérisoires, un système de paye à la pièce, « illégal depuis 2010 », l’absence de droits syndicaux et de toute garantie horaire. Si le nombre mensuel moyen de détenus ayant travaillé en 2014 s’élève à 16 490, soit 24 % de la population carcérale, ce chiffre masque une réalité : « ils peuvent aussi bien ne pas même bénéficier d’un jour de repos hebdomadaire » et travailler 60 heures par semaine « qu’être appelés au travail quelques heures durant le mois ». De même pour la rémunération moyenne nette de 337 euros par mois, quand certains perçoivent 76 euros pour 58 heures travaillées. « Au nom de quels principes d’exécution des peines maintenir un dispositif qui s’apparente aux conditions de travail du premier âge industriel ? » La question posée par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté est reprise par les universitaires. Toutes obédiences confondues, ils sortent de leur réserve habituelle pour prendre une position de principe, refusant d’être les complices du déni des gouvernements successifs, selon lesquels il n’y aurait pas de problème de droit du travail en prison. Pour la plupart, ces professeurs ne sont pas connus pour être intervenus sur les questions pénitentiaires. Ils se placent simplement du point de vue du droit. Et ce point de vue leur fait dire que le législateur doit désormais « être contraint » de « sonner le glas d’un régime juridique aussi incertain qu’attentatoire aux droits sociaux fondamentaux », pour que « recule l’arbitraire et le nondroit, là où l’Etat devrait être exemplaire ».
« Droits des détenus travailleurs : du déni à une reconnaissance ? », 10 sept.-15. Sarah Dindo N°89 Octobre 2015
Sommaire 1 Décryptage – Conditions de détention à Nîmes : le Conseil d’Etat impuissant 5 Proches de détenus – Captifs à l’extérieur : les coûts exorbitants de la détention – Au Royaume-Uni, des aides pour financer les visites aux détenus – Le tribunal de Caen dit NON à la prise en charge des frais de parloir – La prison de Fleury rénovée sans parloirs intimes – A Neuvic, les unités de vie familiales toujours inaccessibles – Nouvel ordre de démolition des murets à Fresnes – Check-point à Villefranche-sur-Saône pour accéder aux parloirs – Liancourt : non informée du transfert de son fils, elle trouve porte close 16 Intramuros – Pièce plafonnée en guise de cour de promenade au QD femmes de Metz – Un détenu de Lille-Sequedin sanctionné sans avoir pu accéder à la vidéo qui le mettrait en cause – Le tribunal met la pression sur les risques incendies à Grenoble-Varces – Accès aux soins dentaires déficients à Bourg-en-Bresse – Maintiens en détention illégaux à Avignon-le-Pontet – Pétition de détenus contre la politique restrictive d’application des peines à Tarascon – Meaux : quand une JAP applique la loi, ça change tout ! 20 Le grand entretien Petites contributions de la justice pénales aux discriminations sociales avec la chercheuse Virginie Gautron 24 Ils commentent « Maitriser les codes de l’institution judiciaire n’est pas donné à tout le monde » avec Epris de justice 26 Ils innovent A Bobigny, une alternative à la prison pour les récidivistes souffrant d’addiction 32 La tribune de Krapitouk Des millions de cellules pour les usagers de drogues ? 33 Et ailleurs Décriminalisation de l’usage de drogues : le Portugal marque des points 37 Ils agissent « Occuper la nuit », reportage sur la médiation nomade mise en place par Yazid Kherfi dans les quartiers ghettoïsés 41 Devant le juge La saisie du courrier des détenus doit être précédée d’une procédure contradictoire ; Dommages aux biens d’un détenu : les conditions d’engagement de la responsabilité de l’État… 44 « Ils sont nous » Avec Sosthène, 20 mois de prison : « Je suis passé de la vie de château à la vie de cachot » 47 Lettres ouvertes
DEDANS DEHORS publication trimestrielle de la section française de l’Observatoire international des prisons, association loi 1901, 7 bis, rue Riquet, 75019 Paris, Tél. : 01 44 52 87 90, Fax : 01 44 52 88 09, e-mail : contact@oip.org Internet : http://www.oip.org Directrice de la publication : Delphine Boesel Rédaction en chef : Sarah Dindo Coordination : Laure Anelli Rédaction : François Bès Anne Chereul Marie Crétenot Nicolas Ferran Amid Khallouf Milena Le Saux-Mattes Anaïs L’Hévéder Cécile Marcel Audrey Martins Delphine Payen-Fourment Infographie : Camille Rosa Transcriptions : Nicole Chantre Claire Dimier-Vallet Mireille Jaegle Anna Komodromou Secrétariat de rédaction : Laure Anelli Sarah Dindo Identité graphique : MG., L.D. < dlaranjeira@caramail.com > Maquette : Claude Cardot/Vélo © Photos, remerciements à : Bruno Amsellem, Samuel Bollendorff, Bernard Bolze, CGLPL, Bertrand Desprez, Daniel Foster, Thomas Jouanneau, Grégoire Korganow, Bertrand Lauprete, Bernard Le Bars, Clarisse Le Chaffotec, Felix Ledru, Thierry Pasquet, Jean-Pierre Sageot, Laurent Troude. Et aux agences : Signatures et VU. Impression : Imprimerie Expressions 2-GP, 10 bis, rue Bisson, 75020 Paris Tél. : 01 43 58 26 26 ISSN : 1276-6038 Diffusion sur abonnement au prix annuel de 30 € Photographie couverture : © Bertrand Desprez/VU CPPAP : 0917 G 92791
décryptage
Conditions de détention à Nîmes :
le Conseil d’Etat impuissant C’est une position pour le moins paradoxale qu’a adoptée le Conseil d’Etat le 27 juillet dernier. Saisi des conditions dramatiques de détention à la maison d’arrêt de Nîmes, il reconnaît qu’elles s’apparentent à des traitements inhumains mais se déclare impuissant pour prononcer des mesures structurelles susceptibles d’y mettre un terme. Selon lui, son intervention se limite à « des mesures d’urgence que la situation permet de prendre utilement et à très bref délai ». Sans effet sur le véritable problème : la surpopulation.
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ur-occupation chronique, insalubrité, prise en charge
médicale et psychologique défaillante, carences en matière de sécurité… Depuis des années, les conditions indignes de détention à la maison d’arrêt de Nîmes sont dénoncées de toutes parts. Un constat confirmé par le Conseil d’Etat, lorsqu’il évoque dans sa décision des conditions qui « exposent les personnes qui y sont soumises à un traitement inhumain ou dégradant, portant ainsi une atteinte grave à une liberté fondamentale ». Une condamnation sans équivoque de la part de la plus haute juridiction administrative française, qui appelle inévitablement une réponse ferme et
vigoureuse ? Eh bien non. Car dans le même temps, le Conseil d’Etat se déclare largement incompétent. Considérant qu’il ne relève de son pouvoir que de prendre des mesures d’urgence pouvant avoir un effet immédiat, il se borne à ordonner des ajustements marginaux au vu de la gravité de la situation. Un aveu d’impuissance qui ne peut qu’inquiéter quant aux garanties de protection des droits fondamentaux dans notre pays.
A trois dans 9 m2 La maison d’arrêt de Nîmes est l’un des établissements les plus surpeuplés de France. Prévue pour 192 détenus, elle
Parloir de la maison d’arrêt de Nîmes. Composé d’une seule grande salle, sans cloison, son agencement ne garantit aucune intimité aux personnes détenues et à leurs proches.
© CGLPL
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Trois personnes détenues se partagent une cellule de 9m2 à la maison d’arrêt de Nîmes. L’une d’entre elles est contrainte de dormir sur un matelas posé à même le sol.
en accueillait 357 au 1er juillet 2015. Ces dernières années, le taux d’occupation est rarement passé en dessous de la barre des 200 %, avec des pics pouvant atteindre 240 %. Les personnes détenues peuvent ainsi être entassées à deux, voire trois, dans des cellules d’une superficie moyenne de 9 m2. « Une troisième personne vient de nous être imposée » écrivait un détenu à l’OIP en février 2015. Précisant : « Notre cellule fait à peine 9 m2 et cette personne gravement malade et âgée doit dormir sur une armoire couchée sur le côté, qui fait 50 cm de large et 85 cm de haut, avec le matelas qui dépasse, un couchage très instable et inadapté à son état de santé. » Une surpopulation aux effets multiples, à commencer par le manque d’intimité et les fortes tensions entre personnes détenues. « Tout devient source de conflit, même les programmes télé […], au même titre que les bruits, les odeurs et l’hygiène des personnes et des cellules », confiait récemment à l’OIP une personne incarcérée. Les codétenus doivent partager des toilettes situées à l’entrée de la cellule et séparées du reste de la pièce par une simple cloison en bois et deux portes battantes ne fermant pas entièrement. La surpopulation impacte également l’accès aux soins. En 2012 déjà, le préfet indiquait que « les partenaires socio-éducatifs et sanitaires ne [pouvaient] répondre dans un délai raisonnable à tous les besoins et à toutes les demandes des détenus ». Le délai d’attente pour un premier rendez-vous avec un psychologue est de six mois, sept pour un dentiste. Une situation encore aggravée par le 2
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sous-effectif constant de l’équipe médicale : lors d’une visite réalisée en 2012, les services du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) notaient qu’un mi-temps de médecin généraliste n’était pas pourvu. De son côté, le poste de psychologue a été régulièrement vacant depuis plus d’un an, à la suite de démissions successives des praticiens. L’engorgement se retrouve encore au niveau du service pénitentiaire d’insertion et de probation, avec un délai moyen de huit mois pour obtenir un rendez-vous avec un conseiller et, pour corollaire, une diminution des aménagements de peine et permissions de sortir. S’y ajoute une pénurie d’offre de travail et d’activités. Seuls 17 % des détenus occupent un poste de travail dans l’établissement, un chiffre en baisse constante – il était de 28 % en 2010 – et bien inférieur à la moyenne nationale de 24 %. Les activités socio-culturelles sont elles aussi en berne. En 2013, le budget qui y était consacré était de… 1 130 euros. « Bref, l’oisiveté augmente », commentait la directrice-adjointe de l’établissement dans la presse en 2013 1. Précisant : « Faute d’activités en nombre suffisant, les détenus passent plus de temps en promenade ou en cellule, ce qui 1 « Il vaut mieux un détenu sous bracelet électronique que sur un matelas au sol », Libération, 17 juin 2013.
décryptage provoque plus de conflits. Ce n’est pas dans la cour de promenade que le détenu travaille à sa réinsertion. »
En attendant une solution pérenne Le Conseil d’Etat déplore vivement cette situation. Il pointe une maison d’arrêt « confrontée à un taux de sur-occupation élevé » entraînant un espace disponible de « 1,33 m2 par personne dans le cas d’une cellule occupée par trois personnes », des conditions « qu’aggravent encore la promiscuité et le manque d’intimité ». Pourtant, il se contente d’exiger de l’administration pénitentiaire qu’elle prenne « dans les meilleurs délais, toutes les mesures qui apparaîtraient de nature à améliorer, dans l’attente d’une solution pérenne, les conditions matérielles d’installation des détenus durant la nuit ». Statu quo donc, puisque l’administration s’efforce déjà d’aménager l’existant dans l’attente de jours meilleurs. Pour être pérenne, la solution doit permettre d’endiguer la surpopulation de l’établissement à la source de ces graves dysfonctionnements. L’OIP, à l’origine de la saisine du Conseil d’Etat 2, avait notamment demandé l’octroi de moyens financiers, humains et matériels supplémentaires ainsi que toutes mesures de réorganisation des services permettant le développement du prononcé des aménagements de peine et autres mesures alternatives à l’incarcération. Des requêtes qui « ne sont pas au nombre des mesures d’urgence que la situation permet de prendre utilement à très bref délai », selon le Conseil d’Etat, qui en conclut qu’elles ne relèvent pas de son champ d’application.
Lutte contre l’insalubrité : un cautère sur une jambe de bois Il en est de même pour les travaux que réclamait l’OIP pour mettre un terme à la vétusté et l’insalubrité qui caractérisent la prison de Nîmes depuis des années : réfection des cellules dégradées, mise aux normes en termes d’aération, d’isolation et de luminosité de l’ensemble des cellules, rénovation des parloirs, cloisonnement des sanitaires et des douches, etc. Considérant qu’il n’est pas de son ressort de les demander, le Conseil d’Etat exige de l’administration qu’elle prenne « dans les meilleurs délais, toute mesure de nature à assurer et à améliorer l’accès aux produits d’entretien des cellules et à des draps et couvertures propres ». Si les témoignages recueillis par l’OIP pointent en effet l’état déplorable du linge de lit distribué par l’administration pénitentiaire – déchiré, troué, souvent sale car simplement passé à l’eau en cas de pénurie de lessive – l’insalubrité des conditions de détention va cependant bien au-delà.
L’inertie face à un concert de dénonciations Les rapports alertant les pouvoirs publics sur les conditions de détention à la maison d’arrêt de Nîmes se sont succédé au fil des ans. En 1999, l’OIP dénonçait déjà une prison « notoirement sur-occupée » et une « promiscuité portée à son paroxysme ». En 2007, la Commission nationale de déontologie de la sécurité constatait que « les conditions de vie actuelles des détenus et le couchage de certains d’entre eux à même le sol ne satisfai[sait] pas aux exigences de respect de la dignité humaine » et appelait à ce que des « mesures et instructions utiles soient prises au niveau national ». En octobre 2012, les avocats du barreau de Nîmes s’émouvaient à leur tour. Ils préconisaient la création de postes supplémentaires de professeurs des écoles, de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation et de personnels de santé, la restructuration du parloir, ainsi que le développement des peines alternatives pour désengorger l’établissement pénitentiaire. A l’issue d’une visite de la maison d’arrêt effectuée en décembre 2012, le député Fabrice Verdier leur faisait écho. Dressant un constat accablant : « un parloir qui se compose d’une immense salle dans laquelle toutes les familles sont réunies sans aucune intimité et dans le brouhaha, des soins qui ne peuvent tous être assurés faute de personnel, des prises en charge psychiatriques insuffisantes, des surveillants non remplacés, bref des conditions de vie dignes du xixe siècle qui génèrent du stress et ajoutent de la violence à la violence ». Il alertait la garde des Sceaux sur « la nécessité d’agir vite pour faire tomber la pression dans cet établissement ». En janvier 2014, il était rejoint dans sa démarche par le député Christophe Cavard. Dans une lettre ouverte à la ministre, ce dernier s’inquiétait : « L’état de la détention à la maison d’arrêt de Nîmes nécessite une dotation financière exceptionnelle et immédiate pour répondre aux problématiques repérées. L’urgence de la situation ne permet plus d’attendre l’application de la réforme, il faut agir dès à présent. » Les pouvoirs publics sont pourtant restés inactifs. Pire, les crédits alloués à l’établissement ont baissé, en dépit de l’explosion de la population hébergée : entre 2009 et 2013, le budget annuel de fonctionnement de la maison d’arrêt est passé de 1 926 239 euros à 1 517 719 euros.
Il n’y a par exemple à la maison d’arrêt ni isolation thermique ni système d’aération. « Nous laissons la fenêtre ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Si nous la fermons, nous ne pouvons plus respirer normalement et l’humidité s’installe, du coup de la moisissure apparaît. Les 2 Aux côtés de l’ordre des avocats de Nîmes, du Syndicat des avocats de France et du Syndicat de la magistrature. Dedans Dehors N°89 Octobre 2015
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Sécurité incendie : le Conseil voit rouge Il y a un domaine cependant sur lequel le Conseil d’Etat n’a pas voulu transiger : la prévention des risques incendie. Le 25 février 2015, la sous-commission départementale pour la sécurité contre les risques d’incendie et de panique avait émis un avis favorable à l’exploitation de l’établissement, en prescrivant néanmoins des mesures qui n’ont pas toutes été mises en œuvre. Le Conseil d’Etat y voit une situation « de nature à engendrer un risque pour la sécurité de l’ensemble des personnes fréquentant l’établissement, constituant par la même une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, dans des conditions caractérisant une situation d’urgence ». Il exige dès lors la dotation de l’accueil familles d’une alarme incendie, des travaux de modification du système de sécurité incendie et un diagnostic de sécurité sur le désenfumage du quartier hommes.
Les droits fondamentaux ? Si possible… Aussi nécessaires qu’elles soient, les mesures exigées par le Conseil d’Etat apparaissent bien dérisoires au regard de son constat de traitements inhumains ou dégradants. Pour expliquer ce décalage, il précise que « le caractère manifestement illégal de l’atteinte à la liberté fondamentale en cause doit s’apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente ». En d’autres termes, l’atteinte au droit serait grave mais son illégalité à relativiser, puisque l’administration pénitentiaire n’a pas d’autres options que d’accueillir les personnes qui lui sont confiées. C’est ignorer que l’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants, consacrée par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, fait partie du socle des normes impératives auquel les Etats ne peuvent se soustraire sous aucun prétexte et en aucune circonstance. Si la plus haute juridiction administrative du pays ne se considère pas compétente pour la faire respecter, la seule voie de recours possible se situe au niveau des juridictions européennes. Delphine Payen-Fourment et Cécile Marcel
La Cour européenne appelée à pallier l’impuissance de la justice française La section française de l’OIP avait saisi le juge administratif le 17 juillet dernier et demandé des mesures pour qu’il soit mis fin à la situation inacceptable de la maison d’arrêt de Nîmes. Estimant qu’il n’y avait pas d’atteinte grave aux droits fondamentaux et que la situation d’urgence n’était pas démontrée, le tribunal administratif de Nîmes avait rejeté cette requête. Dans son ordonnance du 30 juillet, le Conseil d’Etat va donc plus loin, en reconnaissant que les conditions de détention de la prison de Nîmes exposent les personnes qui y sont détenues à des mauvais traitements. Mais, en s’arrêtant au milieu du gué, il consacre le fait qu’il n’existe pas en France de recours effectif permettant de protéger les droits fondamentaux des personnes détenues. Dès lors, quatre détenus de la maison d’arrêt de Nîmes ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), avec le soutien de l’OIP. Il s’agit bien sûr de faire recon-
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naître la violation de leurs droits mais, au-delà, d’exiger de la France qu’elle s’attaque de façon plus volontariste aux facteurs à l’origine de cette violation. Dix détenus du centre pénitentiaire de Ducos, en Martinique, ont déposé des plaintes auprès de la CEDH dans le même objectif. Lorsqu’elle est saisie d’affaires qui révèlent des problèmes structurels et systémiques, la Cour peut prononcer des arrêts dits « pilotes », dans lesquels elle exige des Etats membres qu’ils fassent cesser l’atteinte au droit, mais aussi qu’ils créent un cadre juridique permettant d’éviter qu’elle ne se renouvelle. Elle a ainsi condamné l’Italie, la Bulgarie, la Russie, la Pologne, la Roumanie et la Belgique, leur enjoignant de réduire le recours à l’emprisonnement et de mettre en place un dispositif de recours apte à faire cesser les mauvais traitements résultant de leur surpopulation carcérale.
© Grégoire Korganow/CGLPL
cellules au nord ont les murs et le plafond souvent noirs de moisissure », témoignait récemment un détenu. En 2007 déjà, la direction régionale des affaires sanitaires et sociales avait pointé l’absence de ventilation obligeant les détenus à ouvrir leurs fenêtres pour bénéficier d’un renouvellement d’air suffisant. Et regretté qu’« ils subissent ainsi directement les conditions atmosphériques extérieures » : les cellules sont glaciales en hiver et se transforment en fournaise en été. Cours de promenade, salles d’activités, parloirs, douches… Les parties communes sont également touchées par la vétusté et l’insalubrité, avec des traces d’humidité, une peinture qui s’écaille et des infrastructures détériorées et mal entretenues. La surpopulation accélère encore la dégradation et diffère tout projet de réfection en raison de l’indisponibilité de cellules vides. En quarante ans, le quartier hommes n’a jamais été rénové.
proches de détenus
Captifs à l’extérieur Que payent-ils pour l’incarcération d’un proche ? En argent, en temps, en stress… De janvier à août 2015, des membres de l’OIP sont allés poser ces questions aux proches venant visiter un détenu au centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin, situé à 50 km de Paris. Près de cent-cinquante visiteurs ont été rencontrés. Témoignages.
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éorganisation au rythme de la journée carcérale, situa-
tion et relations sociales affectées par l’incarcération du membre de la famille, développement de troubles psychiques ou somatiques… Les visiteurs de la prison de MeauxChauconin décrivent « leur » détention. Soumis, « comme le détenu, aux règles des institutions judiciaire et carcérale », ils « relatent la manière dont cette soumission réorganise leur vie jusqu’au point d’avoir le sentiment d’être également enfermés ». 1
La vie au rythme des parloirs et coups de fil… Le temps contraint des heures de visites et des possibilités d’appels téléphoniques entraînent pour les proches d’un détenu une réorganisation de leur quotidien. Certains sacrifient leur vie sociale. Pour la petite amie d’un détenu, « le temps libre, c’est pour les parloirs », au détriment de la famille et des amis. 1 G. Bouchard, D. Lapeyronnie, Prisons et transitions familiales, étude réalisée en 2005 pour l’UFRAMA
Concilier activité professionnelle et horaires des visites n’est pas aisé. La mère d’un jeune détenu explique ne pas parvenir à retrouver d’emploi, « personne ne [voulant la] prendre pour un travail alors [qu’elle a] besoin d’une ou deux matinées par semaine pour aller voir [son] fils ». Les condamnés du centre de détention ne peuvent être visités que le samedi ou le dimanche, pour un parloir d’une heure. A la maison d’arrêt, trois matinées et trois après-midi, du lundi au samedi, sont affectées en alternance aux visites des prévenus et des condamnés, d’une durée d’une demi-heure. « Il m’est très difficile de me libérer sur mes heures de travail. Il faudrait un accès plus large aux visites », regrette la sœur d’un prisonnier. Une mère a réussi pour sa part à trouver « un job en fin d’après-midi », ce qui lui permet d’« aller au parloir le matin ». Quant au téléphone, les personnes détenues sont autorisées à l’utiliser « uniquement pendant le temps de la promenade et sous réserve que l’activité du surveillant le permette : de 7 h 45 Dedans Dehors N°89 Octobre 2015
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retard pour ne pas être privé de visite. Un embouteillage, un retard de train ou de bus, sont source d’un stress qui ne les quitte qu’une fois arrivés devant le centre pénitentiaire. Il existe une tolérance pour un léger retard, qui n’excède pas quelques minutes, tant qu’à l’intérieur les visiteurs n’ont pas achevé le contrôle au portique.
L’arrivée des proches au parloir de Meaux-Chauconin.
à 11 h 15 et de 13 h 30 à 17 h 15. Le reste du temps, les cabines ne fonctionnent pas » (règlement intérieur). Des horaires en décalage avec la vie à l’extérieur, lorsque les proches travaillent et les enfants sont à l’école. « Il faudrait permettre aux familles de joindre directement le détenu, au lieu de devoir attendre un appel qui n’est pas forcément reçu, vu les horaires », plaide une visiteuse. Une autre raconte que son mari l’a appelée de la cabine « pour un problème urgent » un jour où elle était sortie. « Maintenant, je m’arrange pour ne pas sortir aux heures où il peut téléphoner, sinon je culpabilise. » Les quelques postes téléphoniques, sans isolation sonore, n’offrent en outre aucune intimité. « Un fixe dans la cellule, qui resterait sécuritaire pour l’AP [administration pénitentiaire], ce serait bien plus confortable pour les détenus. Pas de bruit extérieur, possibilité d’appels quand on le souhaite, notamment à la fermeture des portes des cellules, qui est un moment très angoissant », suggère l’ami d’un détenu. Si l’usage illégal du portable est relativement répandu en détention, les visiteurs qui osent en parler le font avec prudence. « L’accès au portable permettrait aux familles de joindre la personne incarcérée quand il y a urgence, et aussi d’avoir des nouvelles plus régulièrement », plaide la sœur d’un détenu. Le difficile accès au téléphone pénalise aussi les prisonniers dans la préparation de leur sortie, et contraint leurs proches à prendre en charge son organisation. « Je dois faire plein de démarches pour lui, qu’il ne peut pas faire de l’intérieur. Rechercher des contacts pour qu’il puisse avoir un travail à la sortie, récupérer des documents », confie la sœur d’un détenu. « Il ne peut appeler que des numéros autorisés à l’avance, il n’a pas accès à internet. En ce moment, je m’occupe des formalités pour préparer une permission de sortir », explique aussi une amie. « C’est moi qui vais voir son employeur, qui gère les dates. Son CPIP [conseiller d’insertion et de probation] doit avoir plus de cent dossiers à gérer. Si je ne m’en occupais pas, il ne se passerait pas grand-chose. »
Le centre pénitentiaire est situé à la périphérie de Meaux. Pour y accéder par les transports, il faut prendre le train jusqu’à la gare de Meaux puis un bus en commun qui dessert l’établissement. Tous les usagers rencontrés (visiteurs, personnels, bénévoles) déplorent l’irrégularité des horaires de passage du bus – au mieux toutes les demi-heures – ainsi que des retards fréquents. « Impossible de compter sur les bus qui ne passent pas toujours à l’heure prévue », dit la mère de deux jeunes enfants, arrivée à pieds de la gare par le petit chemin de terre souvent boueux, avec une poussette à deux places et un sac de linge propre. « Ils pourraient mettre du béton et de la lumière sur le chemin. L’hiver, il faut marcher dans la nuit », déplore une visiteuse. Pour ce trajet à pieds, il faut compter entre vingt et trente minutes. Arrivées quelques minutes après l’entrée des visiteurs car le bus avait pris du retard, une femme d’une soixantaine d’années et sa fille se sont vu refuser l’accès au parloir. La femme est en larmes. Une autre, dont le frère est détenu et qui est la seule à avoir un permis de visite, est restée bloquée dans un embouteillage sur l’autoroute. Elle vient des Hauts-de-Seine, et attend de savoir si elle pourra bénéficier d’un parloir à la session suivante. Pour ceux arrivés à temps dans l’abri d’accueil, il faut présenter sa pièce d’identité, remplir la fiche détaillant le linge et les objets apportés pour la personne détenue, présenter le sac au contrôle des personnels pénitentiaires, déposer dans un casier tous ses effets personnels puis attendre l’appel pour entrer dans l’établissement pénitentiaire. Ensuite, il faut passer le portique de contrôle. Puis un box est attribué aux visiteurs, dans lequel ils s’installent et sont enfermés.
Se dépêcher pour mieux attendre Bien avant neuf heures du matin en semaine, le parking « visiteurs » est saturé. Chez tous, un leitmotiv : ne pas arriver en Si elles manquent le bus, les familles doivent emprunter un chemin de terre pour se rendre de la gare au centre pénitentiaire. Durée du trajet : 20 à 30 min. Dedans Dehors N°89 Octobre 2015
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proches de détenus
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La prison de Meaux-Chauconin
Le centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin a été construit en 2005.
A l’extérieur, l’accueil famille et ses alentours ne sont pas vides pour autant. Certains sont arrivés en avance et attendent le parloir suivant, d’autres ont accompagné une personne. Appuyé contre sa voiture, un homme explique qu’il attend sa femme qui visite leur fils. Il l’accompagne deux fois par semaine, car « par les transports, c’est trop galère ». Lui ne veut pas le voir pendant qu’il est en prison : « Qu’il assume ses conneries tout seul. » Très tendue, une femme est venue voir son fils incarcéré depuis peu. Elle a réussi à entrer, mais est ressortie peu après, en larmes. Il ne veut pas de visite, il a refusé de descendre au parloir. Elle reviendra. Les personnes sortant du dernier parloir de l’après-midi, après 17 h, signalent qu’au moindre retard – et ils sont fréquents car ils dépendent du temps de la fouille des détenus – le bus n’a pas attendu. Il faut alors repartir à pieds.
Coût des visites, coût de la détention… Que ce soit pour trente minutes ou une heure de parloir, le coût financier et le temps nécessaire à la visite sont élevés. A fortiori
Des frais et des conséquences « Je lui envoie à peu près cent euros par mois. Ça lui sert pour des produits d’entretien, gel douche, savon, mousse à raser, de la lessive aussi. Et puis pour un « mieux » alimentaire. On lui achète des bouquins, et des vêtements. Je lui envoie également des carnets de timbres – 20 ou 25 timbres tous les quinze jours – et des enveloppes, car il écrit à ses enfants, à son ex, à ma mère, à moi. Mon conjoint commence à râler parce que tout ça finit par représenter une belle somme. » Sœur d’un détenu « L’incarcération a eu beaucoup de conséquences. Ma maman a fait un infarctus, elle a été en réa cardiaque et je pense que c’est intimement lié. Elle a pris un gros coup de vieux suite à ça. Je parle très peu de l’incarcération de mon frère autour de moi. J’ai dû me faire suivre psychologiquement car c’était dur de ne pas pouvoir en parler. » Sœur d’un détenu
Le centre pénitentiaire comporte six quartiers : deux de maison d’arrêt (l’un pour les prévenus et les condamnés à de longues peines en attente d’affectation, l’autre pour les condamnés à de courtes peines) ; un de centre de détention ; un quartier arrivants ; une unité pour les condamnés à des peines inférieures à trois mois ; et un « quartier nouveau concept », comprenant un centre de semi-liberté et un quartier pour peines aménagées. Au 1er août 2015, 895 hommes y étaient détenus pour une capacité de 637 places. Le taux de surpopulation en quartier maison d’arrêt était de 168 %.
pour les proches qui viennent de loin, comme l’explique la sœur d’un détenu : « J’ai parlé avec un monsieur qui vient de Bretagne, un autre du sud de la France. C’est monstrueux pour eux le coût de la visite, le trajet, l’hébergement. » L’association Trait d’union peut accorder une aide de trente euros pour les frais d’hôtel dans les environs. En 2014, elle a financé « vingtquatre nuits d’hôtel pour les familles éloignées ». « C’est assez incroyable qu’on n’arrive pas à mettre les gens en prison près de chez eux. On parle de réinsérer les gens, mais on empêche leurs familles de jouer un rôle de soutien », commente une visiteuse. L’épouse d’un détenu raconte : « Mon mari est prévenu depuis quatre ans et risque une longue peine. J’ai dû quitter mon travail pour déménager à Meaux, sinon c’était trop difficile. » Une autre, qui vit dans les Yvelines, à l’autre bout de l’Ile-de-France, explique qu’elle venait trois fois par semaine au parloir, mais qu’elle a réduit à une fois en raison du coût financier. La grande majorité des personnes rencontrées déclare envoyer entre 100 et 400 euros par mois à leur proche incarcéré, même lorsqu’il travaille derrière les murs, vu la faiblesse des rémunérations. « Il travaille à l’atelier environ deux semaines par mois et il est payé une cinquantaine d’euros », indique la sœur d’un détenu. « Je lui envoie 150 euros par mois, plus les vêtements, les caleçons, les serviettes que je lui apporte. Je ne sais plus comment faire aujourd’hui. » Les frais de justice reviennent régulièrement dans les difficultés signalées. Le frère d’un détenu dit avoir dû trouver 9 000 € pour payer l’avocat. Tout comme la mère d’un autre : « Mes revenus ont beaucoup baissé, car j’ai un crédit pour l’avocat et je dois envoyer des virements à mon fils, à peu près 200 euros par mois. » Lorsque le détenu travaillait avant d’être écroué, « une paye en moins, c’est difficile, témoigne une
« A la maison, comme il n’est pas là, je ne sais plus si on a le droit de rigoler, de bien manger. Et puis il y a la fatigue. Les parloirs, le travail, les enfants à la maison… j’ai du mal. » Compagne d’un détenu Dedans Dehors N°89 Octobre 2015
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« Il est distant, il ne veut pas dire comment ça se passe dedans, du coup, j’y pense tout le temps. » Fiancée d’un détenu
compagne. De plus, je suis arrêtée pour ma grossesse. Et je dois lui envoyer des mandats, cent euros par semaine. Ça lui paye la nourriture, les produits d’hygiène, la télé, la plaque électrique ».
Des relations mises à mal « Depuis qu’il est ici, on est devenus distants », confie la compagne d’un détenu. « Ça change la relation, au parloir on fait attention à ce qu’on dit. Pareil pour le courrier, on se censure l’un l’autre. Il y a des questions que j’aimerais lui poser mais je ne peux pas le faire », complète une femme très proche de son frère incarcéré. Beaucoup manquent d’informations sur la vie quotidienne de leur proche détenu. Parce que celui-ci reste silencieux sur ce plan, parce que l’administration reste opaque… « J’aimerais avoir plus de renseignements sur l’endroit où il vit, comment il vit, sur cette prison », indique une femme, tandis qu’une autre explique qu’une lettre de son mari aurait été retenue au motif qu’il se plaignait de ses conditions de travail à l’atelier. L’absence de confidentialité de tous leurs échanges, si ce n’est lors des rares moments accordés en unité de vie familiale (UVF), ou lors des contacts par les téléphones portables interdits, appauvrit et fausse les relations. L’intimité s’étiole à un moment où il serait pour tous nécessaire qu’elle se renforce. « C’est dur de savoir qu’ils lisent les courriers, qu’ils écoutent. Du coup, on ne se dit plus les choses comme avant. On n’ose plus se dire des choses intimes », raconte une visiteuse. D’autres liens se renforcent néanmoins dans l’épreuve. Pour une amie d’un détenu du CD, « nous étions déjà très proches avant, mais je crois que cette épreuve nous rapproche encore plus. Il sait qu’il peut compter sur moi et me dit des choses qu’il ne m’avait jamais dites avant ». Les relations peuvent aussi devenir plus tendues et conflictuelles. « Je ressens de la colère, de la tristesse, de la déception, mais comment et quand lui dire ? », s’interroge une femme à la sortie d’un parloir. La compagne d’un autre constate amèrement que « son incarcération a créé des tensions entre [eux], et des doutes sur [leur] avenir ». L’impact de la détention sur l’état psychique de la personne détenue se ressent fortement dans les liens familiaux. « Depuis quatre ans qu’il est en prison, on est plus proches par certains côtés, mais il y a beaucoup de disputes souvent inutiles, on dirait qu’il est devenu tendu et paranoïaque », raconte la femme d’un détenu. Trois membres de la famille d’un autre confirment : « Le manque de temps passé ensemble et ce qu’il vit en prison se traduisent souvent par des engueulades entre nous. » « Ça l’a changé, il est devenu très agressif », constate, impuissante, la mère d’un jeune détenu. Dans bien des cas, la détention finit par rimer avec séparation et conflits familiaux. « L’incarcération de mon frère, ça a été un divorce à la clé. Ses enfants sont partis vivre aux quatre 8
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« La pire angoisse » « Il y a un stress très fort avant la visite. Je prends le temps d’arriver en avance, j’ai trop peur d’être en retard d’une minute et de me faire jeter, d’avoir fait le trajet pour rien. Une fois entrés, ils nous appellent par ordre alphabétique, nous donnent un numéro de boxe. On ouvre la porte, ils la claquent derrière nous. La porte d’en face n’est pas encore ouverte. C’est le moment que je déteste, on est vraiment enfermé dans quelques mètres carrés, c’est minuscule, il n’y a rien d’autre à faire qu’attendre. Cinq, dix minutes, parfois un quart d’heure avant que les détenus n’arrivent. Un jour, je me suis demandé s’ils ne m’avaient pas oubliée. Après le parloir, on a tous envie d’être un peu au calme, se poser, mais pendant qu’ils fouillent les détenus on se retrouve dans une pièce à attendre et se regarder les uns les autres pendant que les enfants courent partout. A ce moment-là, je me demande souvent pourquoi j’y retourne, je me dis que c’est la dernière fois, je n’irai plus, c’est trop horrible. Et puis en sortant ça va mieux, et après j’ai hâte d’y retourner. Finalement pour voir une personne à qui on tient, on doit obéir, rester là, attendre. On n’a pas son mot à dire. Mais la pire angoisse, c’est de se dire que s’il lui arrive quelque chose, je ne le reverrai jamais dehors. Sa vie peut finir là-dedans. » Amie d’un détenu
coins de la France pour fuir la situation », explique une visiteuse. Une autre confie que « l’incarcération de [son] copain est très mal vécue par [sa] famille ». Elle a maintenant le sentiment d’être traitée comme si elle-même avait commis « des actes répréhensibles ». Une autre rapporte les nombreuses « disputes » avec sa famille, qui n’accepte pas qu’elle « soutienne à ce point » son mari incarcéré.
Dire ou ne pas dire Les proches subissent aussi l’ostracisme et la stigmatisation de leur entourage. Pour un homme âgé venu voir son fils incarcéré pour la première fois, « le plus dur c’est le rejet et les reproches des voisins, qui disent que j’ai mal élevé mon fils, que je suis responsable de ce qui est arrivé ». Une mère explique qu’après l’arrestation de son fils, elle a « dû déménager à cause du voisinage ». « Là où on est maintenant, ça va, on ne nous connait pas. » La sœur d’un détenu, militante d’un parti politique, a dû retirer sa candidature à des élections au moment de l’arrestation de son frère. Du temps est passé, elle envisage de se « remettre dans la vie politique. On va bien voir ce que ça va donner. Je ne suis pas sûre que l’incarcération de mon frère n’impacte pas mes projets. » Pour éviter jugements et rejets, certains taisent leur situation. La compagne d’un détenu raconte à tous qu’« il est parti dans le sud pour son travail ». Un jeune homme venu voir son frère incarcéré explique qu’il alterne les visites avec ses autres frères présents dans la région. Ils cachent tous la situation aux parents qui vivent à la Réunion. « Aux horaires où
proches de détenus
© Grégoire Korganow/CGLPL
Certains juges refusent d’accorder un permis de visite aux enfants, au motif que le parloir risque d’être traumatisant pour eux.
il peut m’appeler de la prison, je suis à mon travail, du coup je ne peux lui parler de rien si je ne veux pas que collègues sachent », explique encore l’amie d’un détenu. La question de ce qu’il faut dire ou cacher aux enfants se pose également. De même que celle de les emmener au parloir. Une femme qui vient voir son fils aîné incarcéré s’interroge : « Des fois, je me dis que ce serait une bonne idée qu’ils voient leur frère en prison, ça pourrait servir d’exemple. Mais je ne sais pas trop, les enfants, ils n’ont rien à faire là. » Des espaces spécifiques sont dédiés aux plus petits pour les visites. L’association Trait d’union accompagne aussi les enfants en visite auprès de leur père détenu lorsque la famille n’est pas en mesure de le faire (cinq enfants en 2014 pour vingt-deux parloirs). Deux femmes dont les conjoints sont en détention provisoire dans une affaire de trafic de voitures se battent depuis des mois pour obtenir des permis de visite pour leurs enfants. Le juge refuse, selon leur avocat, au motif que le parloir risque d’être traumatisant pour eux, que « leur place n’est pas en prison ». L’une d’elles raconte que ses filles de quatre et neuf ans croient dès lors « que leur père est mort et que je leur mens en leur disant qu’il est en prison ».
Le corps et l’esprit trinquent Choc, inquiétude, maladies psychosomatiques… Les proches de personnes détenues vivent l’incarcération dans leur chair. Et ce, dès l’interpellation, qui se déroule souvent de manière assez brutale. « Au départ, je n’avais plus faim, je revoyais tout le temps l’image de l’arrestation. » Cette mère venue au parloir avec son jeune fils handicapé raconte comment la police est arrivée chez elle un matin à 6 h, a défoncé la porte et arrêté son fils aîné. Le choc demeure dans son esprit et celui de son plus jeune fils, qui était présent. « Tristesse et fatigue », résume une autre femme, tandis qu’une troisième confie avoir développé un psoriasis. Une autre a « perdu quinze kilos ». Les conditions de visite ne sont pas non plus sans conséquence. Les boxes des parloirs sont décrits par le frère d’un détenu comme « très petits, déprimants, angoissants ». Un homme âgé, rencontré sur le parking du centre pénitentiaire, explique qu’il attend sa femme qui est au parloir. Lui, claustrophobe, s’y est rendu une fois mais ne peut plus y retourner. L’épouse d’un détenu conclut : « Avant j’étais vivante, mais là, je m’inquiète tout le temps. » François Bès et Sarah Dindo
L’établissement dispose de deux unités de vie familiale (UVF), pour des visites de six à soixante-douze heures dans des conditions préservant l’intimité, sans surveillance directe. Contrairement aux dispositions de la loi pénitentiaire, les UVF ne sont ici accessibles qu’aux détenus du centre de détention, condamnés à une peine supérieure à trois ans, et ne bénéficiant d’aucune permission de sortir (règlement intérieur). Ce jour du mois de mars, une jeune femme attend avec ses deux enfants de trois et quatre ans pour une UVF de 48 heures. C’est la troisième fois qu’elle en bénéficie. Le reste du temps, les visites se déroulent dans les parloirs ordinaires (boxes). « Les parloirs se passent assez bien, mais rien à voir avec les conditions des UVF. Là, on est vraiment ensemble. »
© CGLPL
La bulle des UVF
Le séjour et la cour d’une unité de vie familiale (UVF) à Meaux-Chauconin.
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Au Royaume-Uni,
des aides pour financer les visites Depuis les années 1970, les familles de personnes détenues disposant de faibles revenus peuvent bénéficier d’aides pour leurs frais de visites au parloir. Ce programme, baptisé en 1988 Assisted prison visits scheme (APVS), est financé par le ministère de la Justice britannique.
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nitialement limité aux frais de transports pour une visite
par mois et réservé aux peines d’emprisonnement d’au moins trois mois ou de détention provisoire de plus de quatre semaines, le système d’aide financière pour les visites a été étendu au début des années 1990. L’aide est désormais attribuée pour une visite toutes les deux semaines, soit 26 visites par an, voire plus sur demande spéciale. Le programme concerne tous les prisonniers, qu’ils soient prévenus ou condamnés, mineurs ou majeurs, quelle que soit leur durée de détention.
L’aide est ouverte aux familles bénéficiaires de diverses prestations sociales : revenu minimum garanti (équivalent du RSA), allocations chômage, allocations de santé, minimum vieillesse… Différents membres de la famille sont concernés : conjoints, concubins (si la relation a été initiée avant la détention et était « stable »), parents, grands-parents, enfants… Des personnes extérieures à la famille peuvent également entrer dans le dispositif, par exemple si le détenu n’a reçu aucune visite dans le mois précédent ou si elles accompagnent une personne dépendante ou un mineur de la famille.
Transport, nuitée et baby-sitting compris Le remboursement des frais de transport est assuré sur présentation de justificatifs (une avance peut dans certains cas être demandée). Essence, frais de péage et de parking pour les personnes véhiculées, le tout calculé sur la base d’un taux kilométrique ; titres de transport public, les familles étant invitées à choisir le mode de transport le moins cher pour obtenir un remboursement intégral. Les frais de taxi peuvent sous certaines conditions être inclus. L’aide peut également couvrir des frais d’avion ou de location de voiture s’ils ne dépassent pas ceux d’un autre mode de transport. Si le retour dans la journée est impossible, les dépenses en restauration et hébergement peuvent être remboursées. Les frais de garde d’enfants sont également pris en charge. Dedans Dehors N°89 Octobre 2015
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© Laurent Troude
Pour la famille, mais pas seulement
L’aide financière accordée peut couvrir les frais d’une visite tous les quinze jours.
Une mesure consensuelle Le dispositif essuie peu de critiques. Les délais de prise en charge de la première demande, qui peuvent aller de trois à quatre semaines, sont parfois déplorés. Des études ont aussi montré qu’un certain nombre de familles qui pourraient prétendre à cette aide ne la demandaient pas. Ce phénomène de non-recours, observable pour toutes les aides quérables, comme le RSA en France, s’explique en partie par un manque d’information à destination des familles et un formulaire jugé trop compliqué à remplir. Si des améliorations sont encore possibles, le rôle joué par ce dispositif dans le maintien des liens familiaux ne semble plus à démontrer. Laure Anelli et Marie Crétenot
proches de détenus
Le tribunal dit NON
à la prise en charge des frais de parloirs Le tribunal administratif de Caen a rejeté le 9 avril 2015 la requête d’un détenu demandant la prise en charge des frais de déplacement au parloir de sa conjointe, suite à son transfert à plus de 400 km de son domicile1. Le tribunal argue qu’aucun texte ne le prévoit et que « toute détention entraîne inévitablement une restriction de la vie privée et familiale ». Extraits du commentaire de Martine HerzogEvans, professeur de droit et criminologie, publié dans l’AJ Pénal2.
«C
’est une affaire pour le moins inédite que nous
analysons ici. La compagne de M. L et celui-ci sollicitaient le financement des déplacements longs et coûteux que celle-ci devait effectuer afin de lui rendre visite au centre pénitentiaire dans lequel il avait été transféré à titre de sanction pour les incidents disciplinaires qu’il avait causés dans son précédent établissement. L’équilibre entre liens familiaux d’une part et ordre pénitentiaire interne d’autre part, a de tous temps été tranché au profit de ce dernier, dans un contexte où les notions de sécurité et surtout d’ordre constituent des objectifs institutionnels fondamentaux, surpassant de facto ceux d’insertion, de prévention de la récidive et de droit à la vie privée et familiale. » La recherche montre pourtant que « plus les personnes détenues reçoivent de visites et moins elles récidivent (Duwe et V. Clarck, 2011) ; d’autres recherches ont montré que les visites conjugales avaient un impact sur le risque de violences sexuelles entre détenus […]. Le droit européen l’a au demeurant bien compris, qui impose depuis l’arrêt Messina c/Italie (CEDH 28 sept. 2000) une obligation positive envers les Etats membres du Conseil de l’Europe, de faire de leur mieux pour protéger les liens familiaux. Ce sont des actions concrètes qui sont donc attendues de la part des Etats. Cependant, la France ne respecte que les normes européennes avec lesquelles elle est d’accord, comme l’a montré l’opération de labellisation de ses établissements pénitentiaires, pour une poignée seulement de RPE (2006) […]. Ainsi, et avec l’aval du tribunal administratif de Caen, l’administration pénitentiaire [AP] persiste-t-elle à ignorer que
l’article 8 [de la Convention européenne] vise à la fois les liens familiaux et la vie privée. Le tribunal administratif note d’ailleurs que Mme B ne connaissait pas M. L avant son incarcération et insinue dans son jugement qu’il n’est pas totalement certain que la petite fille née de Mme B fût l’enfant de celui-ci (le tribunal énonce « qui serait également l’enfant de M. L »). Il s’appuie sur ces éléments pour suggérer que le lien entre M. L et Mme B ne serait pas véritablement de nature familiale. Audelà de ces insinuations, c’est oublier que la vie familiale n’est une structure figée une fois pour toute pour aucun d’entre nous. Au fil des rencontres, des séparations, des naissances, des décès, elle évolue constamment. Imaginer que l’on puisse se contenter de « maintenir » les liens familiaux des personnes détenues et de leurs proches, c’est les condamner immanquablement à terme à la disparition pure et simple de la vie familiale […]. En l’espèce, M. L n’avait pas vu sa compagne depuis onze mois, cette période ayant notamment couvert la grossesse de celle-ci, et n’avait pu voir une fois son nouveau-né que grâce à une autorisation de sortie sous escorte accordée par le JAP. Cette situation était directement causée par le transfert imposé dont M. L avait fait l’objet. Il n’eut dès lors pas été illogique que l’administration acquittât le coût des frais qu’en l’espèce Mme B était dans l’impossibilité d’endosser […], celleci ayant en outre des problèmes de santé. Après tout, de tels programmes d’accompagnement financier existent bien largement aux Etats-Unis […] et en Angleterre […]. Si l’AP devait acquitter ce type de coût, elle serait sans doute découragée d’user trop aisément du transfèrement imposé pour gérer de questions qui relèvent en réalité de l’ordre disciplinaire. »
1 Dedans-Dehors n°84 juil. 2014 2 AJ Pénal 2015, p. 387 Dedans Dehors N°89 Octobre 2015
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Fleury-Mérogis
Le plan de rénovation s’achève sans parloirs « intimes » à la maison d’arrêt des hommes Les quelque huit mille détenus qui séjournent chaque année à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, plus grande prison de France, devront se passer d’unités de vie familiale (UVF) et de parloirs familiaux. Si la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 en a prévu la généralisation, le programme de rénovation de Fleury-Mérogis ne les a pas intégrés. Interpellée par l’OIP, l’administration pénitentiaire (AP) a répondu le 22 juin que le programme de rénovation de la maison d’arrêt des hommes, pratiquement achevé, « a été défini et validé antérieurement à l’adoption de la loi » pénitentiaire. Il « se caractérise par de
fortes contraintes techniques et budgétaires qui n’ont pas permis en définitive d’envisager l’intégration d’un bâtiment dédié aux UVF », justifie encore l’AP. Le bâtiment B, dont la rénovation s’est achevée en juin 2015, n’inclut donc que des parloirs classiques divisés en boxes fermés avec portes vitrées, n’offrant pas plus d’intimité que les anciens. Les projets de rénovation de la maison d’arrêt des femmes et du centre de jeunes détenus sont quant à eux « encore en phase d’étude ». On ignore pour l’instant quel type de parloirs y sera reconstruit. Néanmoins, l’AP a choisi pour les prochaines années de prioriser « l’équipement des
établissements pour peine » (centres de détention et maisons centrales). Rappelons que 60 % des détenus se trouvent en maison d’arrêt et que certains d’entre eux sont maintenus pendant plusieurs années dans ce type d’établissement. Alors que la loi reconnaît depuis bientôt six ans le droit pour toute personne incarcérée de bénéficier d’une visite en UVF ou parloir familial au moins une fois par trimestre, seuls 34 établissements pénitentiaires sur 188 ont été dotés des locaux nécessaires à son application. En prison, appliquer la loi n’est pas une priorité. Coordination OIP Ile-de-France
Neuvic
Construites, les UVF restent inaccessibles Trois unités de vie familiale (UVF) ont été construites en 2014 au centre de détention (CD) de Neuvic. Une bonne nouvelle… si elles avaient été mises en service. « Les travaux sont terminés depuis plusieurs mois mais rien ne se passe », témoigne un intervenant. Et leur ouverture n’est « pas prévue pour le moment », soulignait en avril le conseil d’évaluation, chargé d’examiner chaque année les conditions de fonctionnement de l’établissement. Le conseil d’évaluation de Neuvic et le syndicat SLP-FO avancent que le retard serait dû à un problème de ressources humaines, dans la mesure où « beaucoup d’ouvertures d’UVF » ont eu lieu dans la région, sans préciser toutefois dans quels établissements. Or, la carte des UVF publiée en mai 2015 par la Direction de l’administration pénitentiaire ne mentionne aucune nouvelle unité dans la région pénitentiaire de Bordeaux. « La priorité a été laissée au CD d’Eysses », complète le conseil d’évaluation. Pourtant, dans un courrier du 5 mars dernier, la direction interrégionale de Bordeaux expliquait que les UVF du CD d’Eysses n’étaient toujours Dedans Dehors N°89 Octobre 2015
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« pas en fonctionnement »… Une situation qui n’a rien d’exceptionnel. Au CD d’Uzerche, dans le département voisin, quatre ans se sont écoulés entre la construction des UVF et leur ouverture.
confirment la mauvaise qualité de la nourriture. Un détenu écrivait ainsi en décembre 2014 : « La nourriture arrive pratiquement froide et malgré leurs repas, j’ai toujours faim. »
Demande de réquisition d’un dentiste auprès de l’armée. Parmi les autres défaillances que relève le conseil d’évaluation, l’absence totale de chirurgien-dentiste dans l’établissement depuis septembre 2014, le médecin responsable de l’unité sanitaire allant jusqu’à préconiser une « réquisition auprès de l’armée ». Un manque dont se sont plaintes à l’OIP plusieurs personnes incarcérées au CD de Neuvic, l’une d’elles disant souffrir des dents depuis un an sans être parvenue à obtenir un rendez-vous. Le médecin signale également l’absence d’ophtalmologue. Autre point d’inquiétude : l’alimentation. Dans cet établissement dont la gestion est déléguée à l’entreprise Sodexo, les rations distribuées sont estimées « insuffisantes » par les médecins et des indices de masse corporelle « inférieurs à la moyenne » sont constatés. Les témoignages reçus à l’OIP
Taux de rémunération toujours pas appliqués. L’administration n’applique toujours pas les taux de rémunération horaire prévus par le décret d’application de la loi pénitentiaire. Le conseil d’évaluation indique que l’application de ce texte de décembre 2010 est demandée par la ministre de la Justice pour le 1er janvier 2016 maximum. A Neuvic, l’on prévoit en compensation une réduction de près de 30 % des emplois disponibles. Le rapport d’activité 2012 mentionnait déjà un « temps d’attente d’environ sept à huit mois » pour un poste aux ateliers. La situation ne semble pas s’être améliorée depuis : un détenu arrivé fin 2013 a dû patienter jusqu’à mi-2015 pour accéder à un poste. Le conseil d’évaluation ne propose pas de mesures pour remédier à la situation, comme l’y invite pourtant la loi pénitentiaire. Coordination OIP sud-ouest
© Grégoire Korganow/CGLPL
proches de détenus
Fresnes
Nouvel ordre de destruction des murets Pour la seconde fois en dix mois, le juge des référés du tribunal administratif (TA) de Melun ordonne la destruction des murets de séparation au sein des parloirs de la maison d’arrêt de Fresnes. La première décision, rendue en ce sens le 19 janvier, avait été annulée par le Conseil d’Etat le 3 juin. La Haute Juridiction avait estimé que le juge des référés ne démontrait pas le caractère urgent de prescrire la suppression des murets. L’affaire avait donc été renvoyée devant le TA de Melun pour être rejugée. Dans une ordonnance du 15 septembre 2015, cette fois particulièrement motivée, le TA enjoint à nouveau à l’administration de prendre « toutes les dispositions nécessaires à la suppression des murets de séparation »,
et ce avant le 1er mars 2016. Dans sa motivation, le juge pointe d’abord l’illégalité de ces dispositifs de séparation, non simplement au regard du code de procédure pénale, mais aussi du fait de l’atteinte qu’ils portent aux droits fondamentaux : « les conditions actuelles d’accueil des familles, dans des locaux en sous-sol particulièrement exigus et rendus plus exigus encore par la présence des murets, portent une atteinte au droit au respect de la vie familiale et à la dignité reconnu aux détenus comme à leur famille, qui excède les seules exigences inhérentes à la vie carcérale ». Et de souligner que « le maintien des liens familiaux participe de l’objectif de réinsertion sociale et que la présence des
murets, qui accroît l’inconfort des parloirs, est peu propice à ce maintien ». Le juge des référés explique ensuite qu’aucun des éléments du dossier ne permet d’établir que la démolition des murets « présenterait des difficultés techniques ou entraînerait des dépenses telles que l’administration ne pourrait y faire face à bref délai ». Insistant enfin sur le fait que l’administration n’a pris à ce jour aucune mesure concrète en vue de procéder à la destruction des murets, il conclut que « la prescription de mesures permettant de mettre fin à cette situation revêt un caractère d’urgence ». TA, 15 sept. 2015, OIP, n° 1410906
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Check-point à Villefranche-sur-Saône pour accéder aux parloirs 65 % des personnes en visite interrogées par l’OIP se sont vu refuser au moins une fois l’accès au parloir de Villefranche-sur-Saône pour avoir sonné au passage du portique. Alors que les textes prévoient qu’en cas de sonnerie, le surveillant pénitentiaire doit passer le détecteur manuel de métaux pour repérer l’objet en cause, l’usage dans cette maison d’arrêt est de renvoyer tout bonnement les visiteurs après trois sonneries.
C
’est le grand jour. Marine après avoir vérifié méthodi-
quement son portefeuille (autorisation écrite : OK, carte d’identité : OK, N° d’écrou : OK) prend la route direction Villefranche-sur-Saône. Elle a été prévenue, « là-bas, c’est pas des rigolos », « ils ne laissent rien passer ». Marine n’est pas une habituée des parloirs, mais elle a bien pris en note tout ce qui lui a été énuméré : pas de barrette dans les cheveux, pas de jean avec boutons métallisés, pas de chaussures avec semelles comportant du fer... Bref, pas de métal. Elle le sait, atteindre le parloir de cette prison s’annonce périlleux. Villefranche-sur-Saône, c’est cette maison d’arrêt du Rhône qui fêtera ses 25 ans en novembre prochain. C’est aussi une prison qui jouit d’une mauvaise réputation parmi les détenus et leurs familles. Le temps d’attente dans le local d’accueil donne libre
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cours aux reproches sur l’extrême rigueur des personnels. « Ils ne sont pas agréables, ils sont agressifs », « on dirait qu’on est des troupeaux, comme si c’était nous qui étions en prison ». Le sas de sécurité (comprenant le portique, le tunnel à rayons X, puis le détecteur manuel) a la même fonction que dans tout lieu de sécurisation importante : vérifier que les visiteurs n’introduisent pas d’objets dangereux et/ou interdits (couteaux, armes…). La sensibilité des détecteurs de métaux peut varier et sonner pour des objets non dangereux, mais néanmoins composés de métal. Si les soutiens-gorge et les ceintures sont souvent à l’origine du déclenchement des sonneries à l’aéroport, il en est de même pour les prisons. Mais, alors que l’hôte aéroportuaire s’assurera de la non-dangerosité de l’objet concerné et laissera ensuite passer la personne, le surveillant de Villefranche-sur-Saône se réfèrera uniquement à la décision
proches de détenus du portique et ne laissera pas entrer le visiteur tant qu’une sonnerie se fera entendre. Trois passages sous le portique sont autorisés. Si le dernier ne s’avère toujours pas concluant, le visiteur est invité à quitter les lieux.
© Bernard Bolze/CGLPL
Une circulaire du 20 février 2012 1 prévoit bien qu’un « signal sonore persistant [du portique ou du détecteur manuel] entraîne l’impossibilité d’entrer dans l’établissement ». Elle précise cependant qu’en « cas de déclenchement répété de l’alarme du portique, et avec le consentement du visiteur, le personnel doit soumettre le visiteur à un contrôle par détecteur manuel ».
A la différence des autres prisons, dans celle de Villefranche, le recours au détecteur manuel est peu fréquent. Sur les quarante-cinq personnes rencontrées aux abords de la maison d’arrêt, plus des trois-quarts n’ont pas bénéficié – voire se sont vu refuser – le passage du détecteur manuel après que le portique a sonné. Le portique peut dès lors biper à plusieurs reprises, sans jamais que l’usager ne soit informé des causes de cette alerte. Si bien qu’il retire un vêtement et tente un nouveau passage, sans garantie de succès. Les trois sonneries sont vite arrivées. Le visiteur est alors invité à retenter sa chance la semaine suivante.
Une hypersensibilité au soutien-gorge Près de neuf personnes sur dix interrogées ont déjà sonné au moins une fois lors d’un passage sous le portique. Quand le déclencheur de la sonnerie est identifié, il s’avère souvent que le soutien-gorge soit en cause. Une expertise ordonnée par le tribunal administratif de Lyon en novembre 2008 indiquait déjà que « lors de […] tests complémentaires du 12 janvier 2009, [le portique] a présenté une grande sensibilité à la présence de soutiens-gorge féminins, et en particulier à leurs agrafes et boucles métalliques. » Certaines mères, sœurs, conjointes ou amies ont désormais opté pour des visites sans soutien-gorge. Plus largement, ce dispositif contraint les visiteurs à ne porter aucun bijou ni vêtement comportant du métal (fermeture éclair, ceinture, bouton…). Au final, franchir les portes de Villefranche-sur-Saône impose de s’accoutrer de vêtements élastiques. « On doit être habillés en survêt’ et en baskets, on ne peut pas aller joliment au parloir », témoigne la conjointe d’un détenu. Un autre proche de détenu s’indigne : « Il y a des gens qui viennent d’Italie, de Paris, vous vous rendez compte s’ils ne rentrent pas à cause de trucs comme ça, parce qu’ils ne savent pas qu’il fallait enlever le soutien-gorge ? ! » Sans compter que le fait de respecter à la lettre ce code vestimentaire n’offre aucune garantie. 48 % des personnes rencontrées déclarent avoir déjà sonné avec des tenues défaites de tout ajout métallique. Les discussions au sein de la maison d’accueil des familles s’ouvrent souvent sur les stratégies de chacun face à ce portique ennemi. Une dame porte toujours le même soutien-gorge qui n’a, pour l’instant, 1 Circulaire n°0179 PMJ4 du 20 février 2012, relative au maintien des liens extérieurs des personnes détenues par les visites et l’envoi ou la réception d’objets (NOR : JUSK1140029C)
jamais sonné, une autre lave systématiquement son jogging pour le samedi… Lorsqu’une stratégie qui avait fonctionné se met soudainement à défaillir, les familles peuvent être confrontées à des explications fumeuses. Telle cette conjointe de détenu qui, lors de son premier refus de parloir, pourtant vêtue de sa tenue habituelle, s’est vue répondre « qu’un lavelinge ou le séchage sur un radiateur peut laisser des traces de fer, matière non appréciée par le portique ». De guerre lasse, il arrive que certains visiteurs protestent, après avoir sonné plusieurs fois, en retirant l’ensemble de leurs vêtements. Anaïs L’hévéder, pour la coordination OIP sud-est
« On ne prévient jamais les familles d’un transfert » Le 16 septembre 2015, Mme W a rendez-vous pour un parloir à 14 h 45, avec son fils détenu au centre pénitentiaire de Liancourt. Arrivée devant l’établissement, elle se voit refuser l’accès. On lui apprend que son fils a été transféré dans une autre prison, mais on refuse de lui dire laquelle. Le service pénitentiaire d’insertion et de probation ne l’a pas prévenue. « On ne prévient jamais les familles d’un transfert » explique-t-il. « Cette dame peut légitimement être en colère, mais, concrètement, cela nous demanderait beaucoup trop de temps s’il fallait prévenir chaque famille. D’ailleurs, on n’a pas la liste des parloirs pour chaque détenu, et nous ne sommes généralement pas nous même au courant du transfert. » Mme W a dû faire 145 km en voiture… et doit effectuer le même trajet au retour. Elle a dû emprunter 50 euros pour l’essence et les péages, car avec sa pension d’invalidité, elle n’a pas suffisamment d’argent pour financer sa visite hebdomadaire. Un trajet éprouvant alors qu’elle est atteinte de plusieurs pathologies (fibromyalgie, hypertension et problèmes cardiaques) et qu’elle fait souvent des malaises. Elle reste avec son angoisse devant la porte de la prison, sachant que son fils est en grève de la faim depuis le 8 août et a avalé le 9 septembre une lame de rasoir, qui n’a pu être retirée par les médecins. Il proteste ainsi contre des violences qu’il dit avoir subies de la part de surveillants et contre des accusations de menaces qu’il conteste. Lors de son dernier parloir, il avait tellement maigri qu’il en était méconnaissable. « On dirait qu’on n’est pas des humains pour eux », lâche Mme W entre deux sanglots. Elle restera devant la porte jusqu’à ce qu’un surveillant compréhensif vienne lui dire, en off, le nom de l’établissement où son fils a été transféré. Anne Chereul, coordination OIP nord-ouest
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Metz
Pièce plafonnée en guise de cour de promenade au quartier disciplinaire femmes cellule disciplinaire était surmonté d’un œilleton, « ne permettant aucune intimité ». L’unique fenêtre est également « obstruée par une tôle métallique percée », ne permettant pas de voir l’extérieur. L’éclairage au néon est en outre très faible. La cellule se trouve ainsi
plongée dans la « pénombre », même « à la fin d’une matinée estivale », constate le rapport. Interrogée sur les suites qu’elle entendait donner aux conclusions du CGLPL, l’administration pénitentiaire n’a pas répondu. Coordination OIP centre-est
La « cour » de promenade du quartier disciplinaire au quartier femmes de Metz.
© CGLPL
« Ici, il n’y a pas de cour au QD pour la promenade. Ils nous mettent une heure par jour dans une cellule vide. » C’est par ces mots que Mme R, détenue au centre pénitentiaire de Metz, alertait l’OIP début juillet. Interpellée, l’administration pénitentiaire (AP) répondait que de nombreuses ouvertures permettaient la ventilation et le contact avec l’extérieur, tout en précisant que la « cour » n’avait pas fait l’objet d’observations des services du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) suite à leur visite en février 2014. Immédiatement saisis par l’OIP, ces derniers se sont rendus sur place le 20 juillet. Leur constat est sans appel. Percé de dix meurtrières de 2,10 m de hauteur et 0,18 m de largeur dont une seule peut s’ouvrir, l’espace réservé à la promenade est « une pièce, non une cour ». D’une surface de 17,5 m2 et plafonnée, sans ouverture vers le ciel. Une configuration contraire à la réglementation qui prévoit que « toute personne détenue doit pouvoir effectuer chaque jour une promenade d’au moins une heure à l’air libre ». Les Contrôleurs ont aussi constaté à cette occasion que le cabinet de toilettes en
Bourg-en-Bresse
Accès aux soins dentaires déficient « J’ai fait environ sept demandes et je n’ai été reçu qu’une seule fois par le dentiste », écrit à l’OIP un détenu du centre pénitentiaire (CP) de Bourg-en-Bresse, ajoutant avoir « attendu six mois avant d’obtenir une réponse favorable ». Un autre, qui souffre régulièrement des dents, se serait vu répondre par l’un des dentistes que son cas pouvait attendre sa sortie, prévue dans un an… Au dernier trimestre 2014, au moins 300 demandes de rendez-vous chez le dentiste du CP de Bourg-en-Bresse sont restées sans suite. Une situation alarmante, alors qu’une enquête menée par l’une des praticiennes auprès de 150 détenus Dedans Dehors N°89 Octobre 2015
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montre que 80 % d’entre eux souffrent de problèmes parodontologiques. En cause, le manque de moyens humains et matériels alloués à l’unité sanitaire de la prison. L’une des dentistes de l’établissement indique par exemple que la personne qui l’assiste n’est pas remplacée en cas d’absence ou de congés. Il lui arrive alors de travailler seule, « ce qui renforce le risque de transmission de maladies nosocomiales et ralentit considérablement le travail ». Contactée par l’OIP, la direction du centre hospitalier (CH) de Bourg-en-Bresse admet les difficultés d’accès aux soins dentaires et précise qu’une demande d’acquisition
d’un second fauteuil est en projet. Elle évoque également le recrutement d’un nouveau praticien et d’un assistant dentaire. Cependant, le CH ne serait « pas en capacité de porter financièrement ce projet » selon sa directrice, qui précise que la participation financière de l’Agence régionale de santé « sera nécessairement sollicitée ». Des démarches qui risquent encore de retarder le déblocage des moyens nécessaires. Sans compter la difficulté, selon la direction, « de trouver des chirurgiens-dentistes qui acceptent de venir travailler en milieu pénitentiaire ». Coordination OIP sud-est
intramuros Lille-Séquedin
Un détenu sanctionné sans pouvoir accéder à la vidéo qui le mettrait en cause de demander, au stade de l’enquête et lors de l’audience disciplinaire avec son avocat, à visionner cet enregistrement. En vain. Le 20 septembre, il a déposé un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif. Saisi de plusieurs affaires similaires, le Défenseur des droits avait pourtant été explicite dans un avis de 2014 (MDS2014-118). « Afin d’assurer l’effectivité des droits de la défense de la personne détenue », principe à « valeur constitutionnelle », « le visionnage des enregistrements vidéo » doit être « rendu possible » à « tous les stades de la procédure disciplinaire ». A défaut, cela « rompt l’égalité des armes ». Le législateur a consacré cette approche, la même année, en adoptant une modification de l’article 726 du code
de procédure pénale, afin qu’il soit précisé qu’un détenu poursuivi disciplinairement doit pouvoir « prendre connaissance de tout élément utile à l’exercice des droits de la défense ». Il appartenait néanmoins au gouvernement de définir par décret les modalités d’application de ce texte, ce qu’il n’a pas encore fait. Coordination OIP nord-ouest
© Bertrand Desprez/Agence Vu
Le compte-rendu d’incident « est particulièrement clair et précis sur le déroulement des faits qui sont reprochés à votre client », « ainsi, la communication de la vidéosurveillance n’avait pas d’intérêt lors de la commission de discipline ». Tel est l’argument principal par lequel la Direction interrégionale des services pénitentiaires de Lille a rejeté, le 20 juillet 2015, le recours hiérarchique de l’avocat de M. A, qui dénonçait une violation des droits de la défense dans la procédure ayant conduit son client à être sanctionné de dix jours de cellule disciplinaire avec sursis, le 26 juin 2015, sans qu’il ne puisse visionner le seul élément qui le mettait en cause : l’enregistrement des vidéos de surveillance. D’après le compte-rendu d’incident, établi douze jours après les faits, la vidéo montrerait M. A en train de « se précipiter » et de « jeter [sa] béquille à la tête » d’un codétenu en cour de promenade. Sans atteindre sa cible. Une version contestée par M. A, qui n’a cessé
Grenoble-Varces
Sécurité incendie : le tribunal met la pression Le tribunal administratif de Grenoble ne transige pas avec la sécurité incendie. Il a annulé le 31 août 2015 la décision de refus du directeur de la maison d’arrêt de Varces de procéder à l’ensemble des travaux de mise aux normes exigés depuis 2007 par la sous-commission départementale pour la sécurité contre les risques d’incendie. Le tribunal annule également la décision de refus du préfet de l’Isère, en réponse à une demande de l’OIP, d’ordonner la fermeture du bâtiment principal de la maison d’arrêt dans l’attente des travaux de sécurisation. Le juge considère que « le préfet a fait une application erronée des dispositions de l’article 10 de l’arrêté du 18 juillet 2006 » qui prévoit qu’au « regard de l’avis de la commission de sécurité compétente, le
préfet, décide, le cas échéant, de la fermeture totale ou partielle de l’établissement pénitentiaire ». Le ministère de la Justice soutenait en défense que de nombreux travaux avaient été réalisés : « depuis l’été 2007, des travaux d’isolation des gaines techniques et de coffrage au sol ; en 2009, des travaux d’amélioration de la détection incendie ; en 2011, des travaux d’installation de portes coupe-feu et d’encloisonnement des ateliers ». Le tribunal administratif a néanmoins estimé que certaines pièces produites par la Chancellerie ne suffisaient « pas à justifier de la réalisation de travaux ». Plus grave, il relève que le dispositif de sécurité a encore connu de graves dysfonctionnements lors des incendies du 28 septembre
2008, du 24 décembre 2009 et du 4 septembre 2011. Avec des conséquences dramatiques : en 2009, un détenu a trouvé la mort dans sa cellule , la fumée ayant empêché de le secourir faute de système d’évacuation aux normes. Rappelant à l’administration son obligation de protection de l’intégrité physique des personnes détenues (art. 44 de la loi pénitentiaire), le juge administratif l’enjoint de produire les documents relatifs aux travaux préconisés par la souscommission dans un délai de deux mois. A défaut, il pourrait exiger du préfet de l’Isère qu’il procède à la fermeture du bâtiment principal. Coordination OIP sud-est
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Avignon-le-Pontet
Maintiens en détention illégaux suite à des dysfonctionnements au greffe Détentions arbitraires, permissions de sortir accordées mais non exécutées, demandes d’aménagement de peine non examinées… Les conséquences des dysfonctionnements constatés au greffe du centre pénitentiaire d’Avignonle Pontet sont nombreuses. Pour le seul mois de mai 2015, cinq cas de détention arbitraire ont été constatés : des personnes détenues devant être libérées ont été illégalement maintenues jusqu’à neuf jours en détention. Des permissions de sortir n’ont pas non plus été mises à
exécution, les décisions n’ayant pas été notifiées aux détenus concernés. Mimai, une commission d’application des peines (CAP) a dû être annulée en raison du manque de préparation des dossiers qui devaient y être examinés. Cette annulation a entraîné le report des dossiers à étudier, alors que les CAP connaissent déjà un engorgement systématique. En cause, le manque de personnel au greffe et la surcharge de travail liée à la mise en place du nouveau logiciel Genesis, dans un établissement déjà sujet à
une surpopulation chronique. Selon le directeur-adjoint de la Direction interrégionale des services pénitentiaires, la situation serait liée aux absences pour congés maternité et arrêt maladie des personnels du greffe, ainsi qu’au temps de formation incompressible des agents affectés dans le service. Il indique « pallie (r) la situation par des apports de personnels venant d’autres greffes ». De façon encore insuffisante. Coordination OIP sud-est
Tarascon
Pétition de détenus contre la politique restrictive du juge de l’application des peines
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Titulaire d’un CAP boulangerie obtenu en détention, M. L pouvait prétendre à des permissions de sortir depuis un an, en application de l’article D.146 du code de procédure pénale. Or, c’est la sixième fois en moins d’un an qu’il se voyait refuser une permission, motivée chaque fois par « la date éloignée de sa fin de peine ». Trois de ces refus se sont accompagnés de l’interdiction de déposer une nouvelle demande dans les quatre à six mois. Le directeur de Pain et Partage confirme ses difficultés pour rencontrer les personnes détenues de la région et précise que « les rendez-vous sont souvent annulés faute d’une permission de sortir ». Les détenus de Tarascon attribuent leur « désespérance » et le « climat d’extrême tension » au sein du centre de détention à cette politique restrictive du JAP, des incidents étant « fomentés dans le seul but d’obtenir un transfert ». Ils demandent « la prise en compte [de leurs] efforts de réinsertion », ainsi que « des avis émis par le personnel pénitentiaire, les formateurs, les travailleurs sociaux ». Une problématique qui se retrouve dans d’autres établissements. Des pétitions du même ordre ont été
diffusées récemment par des personnes détenues des centres pénitentiaires de Réau et d’Orléans. Coordination OIP sud-est
© Thierry Pasquet/Signatures
C’est une pétition « pour l’application stricte de la loi en matière de permissions de sortir et d’aménagements de peine ». Elle est signée d’une centaine de détenus du centre de détention (CD) de Tarascon. Adressée le 3 août 2015 aux autorités judiciaires et pénitentiaires, elle déplore « la multiplication des refus aux demandes de permissions, préalable à la réinsertion des détenus ». Des refus motivés par une « date de fin de peine trop éloignée », critère pourtant non prévu par la loi. Certains sont en outre assortis d’une interdiction de renouveler une demande de permission pendant plusieurs mois. Les prisonniers se plaignent aussi de la « quasi inexistence de mise en œuvre d’aménagements de peine », en totale contradiction avec les textes, notamment la loi du 15 août 2014. Les cas portés à la connaissance de l’OIP sont effectivement nombreux. M. L s’est ainsi vu refuser, fin juin 2015, une permission de sortir qui devait lui permettre de se rendre à un entretien avec l’association de réinsertion marseillaise Pain et Partage, dans le cadre d’un projet élaboré avec l’aide du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP).
intramuros
Quand une JAP applique la loi, ça change tout ! « Tout juste recevable à un aménagement de peine », « fin de peine trop éloignée », « projet pas encore bien construit »… Les motifs de refus d’un aménagement de peine souvent invoqués étaient tous réunis dans cette décision du tribunal de Meaux du 29 juin 2015. Pourtant, Kévin C s’est vu accorder une libération conditionnelle avec placement sous surveillance électronique probatoire, en dépit d’un avis défavorable de l’administration pénitentiaire.
K
évin
C
exécutait deux peines d’emprisonnement pour
trafics de stupéfiants et sa fin de peine était fixée au 6 août 2017. Condamné en 2014 pour des infractions commises entre 2007 et 2008, « il semblait réinséré » lors du jugement, travaillant comme chef de cuisine, vivant en concubinage et élevant son enfant. « L’incarcération semble avoir eu pour effet de le désinsérer, puisqu’il a perdu son travail et s’est séparée de son amie », indique la décision du juge de l’application des peines, Mme Claire Hulak. En outre, il ressort d’une expertise psychologique que Kévin C « présente des fragilités, sur fond de polytoxicomanie désormais ancienne, qui pourraient être réactivées » en détention. C’est pourquoi il est apparu « opportun de lui accorder un aménagement de peine qui lui permettra de retrouver un emploi adapté à ses compétences ».
Entretien avec une juge de l’application des peines à Laval, 2009.
Une décision comme on aimerait en lire plus souvent, même si elle ne fait qu’appliquer la loi pénitentiaire de 2009. Fin de peine éloignée ? Rien n’indique ce motif dans la loi, qui se contente de poser des délais dans l’exécution de la peine pour être accessible à un aménagement. « A partir du moment où la loi dit qu’il est recevable à un aménagement de peine, même s’il l’est tout juste, pourquoi ne pas l’utiliser ? La question de la durée de la peine qu’il a purgée n’est à mon sens pas primordiale », commente la juge Claire Hulak. Projet mal construit ? La loi permet désormais d’accorder une libération conditionnelle lorsqu’un condamné justifie d’une « implication dans un projet sérieux d’insertion ou de réinsertion » (art. 729 code de procédure pénale). Une promesse d’embauche ou de formation, encore souvent demandée, n’est dès lors pas nécessaire. C’est ainsi que Kévin C, souhaitant suivre une formation pour devenir chef cuisinier à domicile, se voit accorder un aménagement de peine pour recherche d’emploi. « Ce jeune homme avait réellement coupé les ponts avec la délinquance. Cuisinier de métier avant son incarcération, il avait de très grandes chances de retrouver un emploi rapidement à la sortie », explique la juge. Estimant que « le maintien en détention risquait de le faire retomber dans ses anciens travers », elle a jugé préférable de le tenir « éloigné du milieu carcéral ». D’autant que le maintien en détention « rend difficile la recherche d’emploi » : le jeune homme avait obtenu une promesse d’embauche, finalement retirée par l’employeur, l’audience tardant à être programmée. « Preuve que la prison ne pouvait pas l’aider dans sa réinsertion, au contraire même. » Pour l’avocat du jeune homme, cette décision revient à « reconnaître que dès, le jugement de condamnation, la prison ne se justifiait pas » . Me Benoît David estime en effet que la situation de son client au moment du jugement « n’avait absolument pas été prise en compte » et qu’une peine aménageable aurait pu directement être prononcée. Evitant probablement à Kévin C la perte de son emploi et de sa conjointe. Sarah Dindo et Laure Anelli
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Petites contributions de la justice
aux discriminations sociales
Virginie Gautron est chercheuse et maître de conférences en droit pénal et sciences criminelles à l’Université de Nantes. Elle a publié des travaux sur les politiques pénales, les dispositifs locaux de coproduction de la sécurité, la coordination police-justice. Elle travaille actuellement sur les soins pénalement ordonnés.
Dans quelle mesure la condition sociale des prévenus a-t-elle une incidence sur la façon dont ils sont traités par les tribunaux correctionnels ? D’un point de vue statistique, la réponse judiciaire dépend davantage de la gravité des faits, des antécédents judiciaires ou de critères liés à la procédure elle-même. Toutes choses égales par ailleurs, le fait d’être jugé en comparution immédiate ou celui d’avoir été placé en détention provisoire multiplient chacun par huit la probabilité d’une condamnation à un emprisonnement ferme. Néanmoins, certains facteurs sociodémographiques ont une forte incidence sur ces variables pénales. Etre né à l’étranger ou sans domicile fixe multiplie par trois les chances d’être jugé en comparution immédiate et par cinq d’être placé en détention provisoire. Mais on ne peut pas en déduire que les magistrats discriminent volontairement ces publics. Ce sont les garanties de représentation qui vont le plus nettement jouer dans le choix de procédure. Opter pour la comparution immédiate ou la détention provisoire permet de s’assurer que la personne ne disparaîtra pas avant l’audience de jugement. En quoi le fait d’être né à l’étranger affecte-t-il les garanties de représentation à l’audience ? Le raisonnement des magistrats est le suivant : quelqu’un qui a potentiellement des attaches à l’étranger peut fuir, donc 1 Voir notamment Virginie Gautron, Jean-Noël Retière, « Des destinées judiciaires pénalement et socialement marquées », in Danet J. (coord.), La réponse pénale. Dix ans de traitement des délits, Rennes, PUR, oct. 2013. Dedans Dehors N°89 Octobre 2015
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© DR
Les publics défavorisés en capital économique, social et scolaire sont nettement surreprésentés en prison. Faut-il en conclure à une plus grande sévérité de la justice à leur égard ? Virginie Gautron a mené, avec Jean-Noël Retière, une vaste enquête1 afin de comprendre les mécanismes complexes par lesquels les Hommes ne sont pas tous égaux devant les tribunaux correctionnels.
ne pas se présenter le jour du jugement. Ces représentations relèvent, du moins pour partie, de réels constats. On vérifie statistiquement que les SDF sont souvent absents à l’audience, les personnes nées à l’étranger également, bien que dans une moindre mesure. Plus pauvre, disposant moins souvent d’une adresse personnelle, ce public cumule tous les facteurs de vulnérabilité qui vont jouer ensuite dans le processus pénal. Ces inégalités de traitement sont-elles assumées par les magistrats ? Oui, car ils ne les perçoivent pas comme des discriminations. Ils invoquent les garanties de représentation comme un critère légal, donc légitime. Quels autres éléments favorisent un placement en détention provisoire ? La probabilité de détention provisoire est multipliée par cinq en cas de récidive légale [N.D.L.R. : réitération des mêmes types de faits dans un certain délai], et par un peu plus de trois s’il y a eu trois condamnations antérieures ou plus au casier judiciaire. Il y a aussi plus de détentions provisoires pour les infractions à caractère sexuel et les trafics de stupéfiants, parce que ce type de faits entraîne souvent l’ouverture d’une instruction. En revanche, la situation professionnelle joue assez peu, contrairement à ce qu’on pourrait croire. Au stade de la détention provisoire, cette variable est écrasée par le poids des autres facteurs : nature des faits, antécédents, domiciliation et lieu de naissance. Au stade de la condamnation, l’absence d’emploi multiplie en revanche par 1,5 la probabilité d’une peine d’emprisonnement ferme. Ce n’est pas énorme, alors que beaucoup de juges disent hésiter davantage à incarcérer une personne insérée, pour éviter de contribuer à sa désinsertion professionnelle.
© Camille Rosa/OIP
Le grand entretien
En même temps, les personnes insérées avant leur détention se réinsèrent plus facilement à leur sortie que les précaires, dont la situation devient plus désespérée après un passage en prison… Oui, une fois sortis de détention, la peine d’emprisonnement joue de façon encore plus défavorable pour certains publics, et notamment les minorités. Des études l’ont montré aux Etats-Unis : les minorités sortant de détention avec un casier judiciaire ont de plus grandes difficultés à trouver du travail. Les règles d’inscription au casier judiciaire concourent à renforcer cette discrimination. Un certain nombre de sursis vont disparaître relativement rapidement du bulletin n° 2 une fois la condamnation arrivée à terme, ce qui ne sera pas le cas des condamnations fermes. La réinsertion des publics marginalisés s’en trouve encore davantage compliquée. Quelle est l’importance de l’état de récidive sur la peine prononcée ? Au stade du prononcé de la sanction, la récidive légale n’est plus significative statistiquement, alors que le nombre de condamnations antérieures l’est beaucoup plus. Si au moins trois condamnations figurent au casier, le risque de prononcé d’un emprisonnement ferme est multiplié par 37 ! C’est donc l’inscription dans une carrière délinquante conséquente – davantage que le critère, très juridique en définitive, de la récidive légale – qui justifie l’emprisonnement. Il y a derrière cela une philosophie pénale de gradation des réponses : lorsqu’une personne commet une nouvelle infraction, la sanction prononcée est souvent plus sévère que la précédente. Les magistrats mobilisent les antécédents au titre de la personnalité, puisqu’ils sont censés juger un acte, pas un casier judiciaire. La gradation des réponses se fait néanmoins au regard du casier, il y a là un petit paradoxe. Autre facteur pesant sur les peines prononcées : les
politiques ont fait du taux d’exécution des peines un indicateur croissant d’efficacité, utilisé en dépit du bon sens. Or, le meilleur moyen d’améliorer le taux d’exécution est de placer la personne en mandat de dépôt, puis de l’envoyer derrière les barreaux. Si vous prononcez un sursis avec mise à l’épreuve (SME), vous prenez plus de risques. Les juges prononceraient probablement plus de SME ou de contraintes pénales s’ils étaient assurés de la réalité des prises en charge. Ils craignent de concourir à décrédibiliser la justice en prononçant des peines qui ne seront pas mises en œuvre. D’autres variables jouent sur le prononcé d’un emprisonnement ferme ? L’absence à l’audience joue de manière très importante : elle multiplie par sept la probabilité d’un emprisonnement ferme. En ce qui concerne les caractéristiques socio-économiques, la question des revenus est à manier avec précaution dans la mesure où l’on se base sur du déclaratif et que l’ensemble des ressources n’est pas toujours pris en compte. Sous ces réserves, nos données révèlent qu’un prévenu qui touche moins de 300 € par mois a trois fois plus de chances d’être condamné à du ferme que quelqu’un qui gagne 1 500 € ou plus. Les prévenus aux faibles ressources sont également moins condamnés à des peines d’amende (1,3 fois moins) ou de stages (de citoyenneté, sécurité routière, etc.), dont le coût doit généralement être assumé par la personne condamnée. En revanche, le critère du lieu de naissance n’apparaît pas au stade du prononcé d’un emprisonnement ferme. Ce sont les variables de placement en détention provisoire et de jugement en comparution immédiate qui expliquent davantage l’emprisonnement ferme pour les prévenus nés à l’étranger. Ce qui m’amène à penser qu’il faudrait vraiment interroger l’utilisation de la comparution immédiate : cette procédure aboutit Dedans Dehors N°89 Octobre 2015
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© Bernard Le Bars/Signatures
Tribunal de grande instance de Dinan. La présence de la famille pour soutenir le prévenu le jour du procès, l’attitude du justiciable à l’audience, sa façon de s’adresser au juge, sont des variables subjectives mais jouant sur les sanctions prononcées.
à ce que des publics comme les étrangers et les SDF écopent de peines bien plus lourdes qu’une personne ayant commis les mêmes faits jugée dans le cadre d’une autre procédure. Avez-vous observé des variables plus subjectives, qui ne peuvent apparaître dans les statistiques, mais jouent un rôle important dans les sanctions prononcées ? Quelque chose qui me semble essentiel a été constaté grâce à l’observation d’audiences : l’importance de la présence des proches le jour du procès. Que les parents ou la petite copine soient présents pour soutenir le prévenu a un réel impact. D’autres variables liées à l’attitude du prévenu au cours de l’audience ressortent des observations : la façon dont celuici s’adresse au magistrat, sa manière de se présenter, sa capacité à s’inscrire dans les attentes de l’institution, à faire amende honorable, à trouver les bons mots : « Monsieur le juge, je regrette, je ne recommencerai pas. » Certains magistrats disent aussi : « Quand on voit arriver quelqu’un avec le nez rouge, la peau bouffie, on sait tout de suite qu’il y a un problème d’alcool. » Cela pose question en termes d’objectivation, mais ce genre d’observation va bel et bien peser sur la décision, parce que les juges n’ont pas conscience qu’interviennent alors leurs représentations subjectives. Notons aussi que les aptitudes des prévenus à répondre aux codes judiciaires peuvent être socialement déterminées. Est-ce que le décalage social entre ceux qui jugent et ceux qui sont jugés intervient également ? Oui, le regard porté et les décisions prises peuvent diverger entre un magistrat issu d’un milieu populaire et un autre Dedans Dehors N°89 Octobre 2015
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ayant toujours évolué dans un milieu privilégié. Une multitude de facteurs intervenant dans une décision ne sont pas palpables, de l’ordre des valeurs, de la morale. En ce sens, nous avons proposé un cas pratique dans le cadre de nos entretiens avec les magistrats : un chauffeur routier se fait interpeller au volant sous emprise de l’alcool à la sortie d’une boîte de nuit à 4 h du matin. Marié, il a deux enfants. La question était : doit-on lui retirer le permis alors que son métier est de conduire ? Pour certains, le fait qu’il soit chauffeur était une circonstance aggravante, pour d’autres, il fallait éviter le retrait de permis pour ne pas lui faire perdre son emploi. Mais l’un d’eux s’est aussi demandé : est-ce normal qu’un père de famille se trouve en boîte de nuit à 4 h du matin ? Vous évoquez aussi la pauvreté des informations dans les dossiers pénaux sur la situation socio-économique des prévenus. Les décisions sont-elles prises en méconnaissance de la situation des personnes jugées ? Elles sont prises avec un niveau de connaissance très insuffisant, c’est clair. Des enquêtes sociales figurent dans un peu moins de 3 % des dossiers. Il en va de même pour les expertises psychiatriques. Le niveau de diplôme est renseigné moins d’une fois sur deux, celui du revenu une fois sur deux, la profession exercée trois fois sur quatre. Cet état de fait est évidemment lié au manque de moyens de la justice, combiné aux effets des procédures de jugement rapide (traitement en temps réel). Les enquêtes sociales ont un coût et elles prennent du temps. Dans la logique de célérité qui prévaut aujourd’hui, ces étapes passent bien souvent à la trappe.
Le grand entretien Au-delà du manque d’informations, le problème est celui de leur fiabilité : souvent, on a uniquement un procès-verbal, des fiches de renseignement qui vont indiquer les revenus, mais parfois figurent les seuls salaires, d’autre fois également les allocations familiales… Ce n’est pas normalisé. Ces informations sont en outre souvent recueillies sur un mode déclaratif, ce qui peut générer des biais importants. Est-ce que les mêmes publics surreprésentés en prison sont sous-représentés dans le cadre de peines « alternatives » comme le SME ? Les personnes nées à l’étranger pâtissent en effet d’un moindre prononcé de SME. On retrouve l’idée d’un défaut de garanties de représentation et donc la crainte que la peine ne soit pas exécutée. Étonnamment, cela ne se retrouve pas au plan statistique pour les SDF. Dans le cadre de nos entretiens, plusieurs magistrats n’ont pourtant cessé de répéter : « On ne prononce pas ou peu de SME pour les SDF, parce qu’ils ne répondent pas aux convocations, ils ne respectent pas leurs obligations. » Ce décalage entre nos résultats statistiques et le terrain s’explique peut-être par la grande hétérogénéité des pratiques. Dans l’une des juridictions étudiées, le prononcé de SME pour les SDF ne posait pas de problème, parce qu’une association socio-judiciaire implantée localement proposait une vraie prise en charge, hébergement compris, à l’attention de ce public. Dans la base statistique, ces cas de figure sont fondus dans une moyenne. Certaines difficultés de mise en œuvre des « peines alternatives » pour les publics en grande difficulté sociale montrent-elles que ces mesures n’ont pas été pensées de manière adaptée ? Oui, certaines n’ont pas été suffisamment pensées en fonction des publics concernés : le caractère payant des stages en est un exemple. Il manque aussi une réflexion au niveau local, les juridictions s’impliquant assez peu dans la mise en place de dispositifs adaptés à leurs publics pour l’exécution des peines. Il y aurait notamment une réflexion à mener et des partenariats à nouer pour remédier à l’obstacle des garanties de représentation. Ou pour assurer la mise en œuvre de mesures de milieu ouvert pour certains publics. Par exemple, on nous a dit dans plusieurs tribunaux qu’il était quasiment impossible de trouver des places de travail d’intérêt général (TIG) pour des gens du voyage : « parce que les mairies n’en veulent pas », parce qu’il y a « une vraie réticence du corps social ». Dans une juridiction, à l’inverse, tout un travail avait été entrepris avec une association de gens du voyage pour faire évoluer les représentations sur ce public auprès des structures susceptibles de les accueillir. Dès lors, il y avait moins de difficultés à leur trouver des places. De la même manière, un procureur de la République d’une juridiction étudiée estimait que le caractère payant des stages n’était pas viable. Bien que ce ne soit pas prévu par la loi, il a décidé d’instituer des stages gratuits, financés notamment grâce au Fonds interministériel pour la prévention de la délinquance (FIPD).
Vous écrivez « les indicateurs de fragilité sociale étant pour certains porteurs d’autres variables prédictives, il n’est dès lors pas illégitime que les classes socialement les plus défavorisées apparaissent plus sévèrement traitées par le système pénal ». Pouvez-vous expliquer ce point de vue ? Il existe des corrélations importantes entre le passé pénal, les infractions commises, et les caractéristiques socio-économiques des personnes. Par exemple entre le fait d’être sans emploi, d’avoir un casier plus chargé et de commettre une infraction plus grave. Donc, évidemment, à casier plus lourd, condamnation plus lourde. Il y a un seul groupe pour lequel cette logique ne fonctionne pas : le public né à l’étranger. Pèse sur ce groupe le soupçon d’un casier virtuel, démontré par Thomas Léonard 2. Le réflexe d’un certain nombre de magistrats est de se dire : « Certes il n’a pas de casier en France, mais il en a peut-être un à l’étranger. » D’autres facteurs qui pourraient être importants tels que l’origine étrangère ou le fait d’être défendu par un avocat commis d’office n’apparaissent pas dans vos travaux. Pourquoi ? Nous ne pouvions multiplier le nombre de variables, il a donc fallu faire des choix. Quant à la question des origines, elle recoupe l’épineux sujet des statistiques ethno-raciales. Pour ma part, j’y suis favorable, car je considère qu’objectiver les discriminations permettrait de mieux les combattre. Néanmoins, le risque d’instrumentalisation de ces données est bien réel. Il faudrait imposer un cadre très strict, en réservant leur accès aux organismes publics par exemple. De manière générale, les études sur les déterminants des peines prononcées (sentencing) et les potentielles discriminations sociales ou ethno-raciales sont rares en France, en comparaison des pays anglo-saxons. Il faut dire que ce champ de recherche est pavé de pièges à surinterprétation. Il est très difficile de démêler l’incidence d’un facteur par rapport à un autre. D’où l’importance de coupler une étude statistique à des entretiens qualitatifs et des observations. Parfois, il y a aussi en France des difficultés pour accéder aux terrains de recherche, et surtout un manque d’informations collectées par les administrations sur la situation sociale des personnes. Enfin, peu de moyens sont dégagés pour ce type de travaux. Nous avons obtenu des financements pour examiner plus de 7 000 affaires dans cinq tribunaux correctionnels, c’est rare. Le champ de notre recherche se limite néanmoins à la manière dont le prononcé des peines ajoute à d’autres discriminations. On sait par exemple qu’une sélection est déjà opérée en amont par la police à travers le ciblage des contrôles d’identité3. Pour obtenir une image globale des discriminations dans le cadre du traitement des délits, il faudrait d’autres études. Recueilli par Sarah Dindo et Laure Anelli 2 Thomas Léonard, « Ces papiers qui font le jugement », Champ pénal/ Penal field [En ligne], Vol. VII | 2010, mis en ligne le 24 sept. 2010 3 F. Jobard, R. Levy, I. Goris, Police et minorités visibles, Open society justice initiative, 2009 Dedans Dehors N°89 Octobre 2015
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Ils commentent
« Maîtriser les codes de l’institution judiciaire n’est pas donné à tout le monde » De comparutions immédiates en audiences générales, Cosme Buxin, Julien Mucchielli et Felix Roudaut usent les bancs des tribunaux de France pour livrer sur leur blog « Epris de justice » la chronique de la justice ordinaire. Ils commentent les inégalités à l’œuvre dans le rituel judiciaire.
Au cours des audiences que vous chroniquez, des formes de discrimination sont-elles perceptibles ?
La loi n’est pas appliquée de la même manière suivant les juges ?
En matière de correctionnelle, il y a deux justices : celle rendue en comparution immédiate, et celle rendue en audience ordinaire. En comparution immédiate, on ne prend pas le temps de juger. C’est une justice d’urgence, précaire, rendue avec peu de moyens. Il n’est pas rare d’entendre les juges ou les procureurs s’en plaindre : « Le dossier n’est pas prêt », « Où est l’enquête sociale ? »… C’est souvent le casier qui tient lieu de personnalité. Or, les principes au fondement de la comparution immédiate font qu’on y retrouve surtout des vols, de la conduite sans permis, du petit trafic de stupéfiants… Du petit délit de subsistance en somme. C’est donc normal d’y trouver les pauvres et les exclus en général, qui n’ont pas de base familiale, sociale vers laquelle se tourner en cas de coup dur. Quelque chose que la statistique ne peut pas appréhender est très visible à l’audience : le poids de la couleur de peau. On se rend vite compte que les prévenus en comparution immédiate sont en grande majorité noirs, arabes, ou roms. Peut-être parce que minorités et pauvreté se recoupent souvent. Après, la justice dépend aussi beaucoup du juge qui la rend.
C’est le revers de la médaille de l’individualisation des peines. Comme rien n’est automatique, à faits égaux, les peines varient beaucoup. On voit des condamnations qui passent du simple au triple suivant le juge. Certains ont leur combat personnel. Pour l’un ce sera les violences conjugales, pour l’autre le trafic de crack… Cela dépend aussi des juridictions. Les parquets ne poursuivent pas tous les mêmes types d’infractions en priorité. A Marseille, ils sont intraitables en matière de stupéfiants. On ne peut qu’adhérer à la formule de la chroniqueuse judiciaire Dominique Simonnot, qui compare la justice à une « loterie nationale ».
Il s’agissait ici de l’exemple extrême d’une procureure. Sans aller aussi loin, les juges se laissent souvent aller à une petite leçon de morale. Dans une affaire où le prévenu avait été arrêté en
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Dans l’une de vos chroniques, un magistrat dit à une prévenue : « Vous êtes mauvaise, méchante, sans foi ni loi. Vous serez toujours une voleuse, c’est comme ça, c’est dans vos gênes. » Le jugement moral s’invite-t-il souvent dans les débats ?
© Clarisse Le Chaffotec
Le grand entretien
état d’ébriété au volant de la voiture d’un ami, le juge s’est faussement étonné : « Donc un ami vous fait confiance et vous prête sa voiture, et vous conduisez en état alcoolique. Vous trouvez ça bien ? Vous pensez être un bon ami ? » Mais il est vrai que nous sommes parfois témoins de comportements de juges et de procureurs choquants et réellement discriminants. Après, il faut distinguer le comportement de la décision en tant que telle. On a le cas d’une juge à Paris qui peut être très sèche en audience, voire odieuse : souvent les prévenus s’emmêlent, elle va les couper, les reprendre facilement sur leur français… Ce peut être très humiliant. Pourtant, ses décisions sont généralement équilibrées. Elle fait même plutôt partie des juges clémentes, comparée à d’autres qui vont être sympathiques en audience, mais très sévères dans leurs décisions. Certains éléments peuvent-ils jouer en faveur des prévenus lors des audiences ? Virginie Gautron évoque notamment la présence de la famille… Oui pour la famille, nous l’observons aussi. A l’inverse, avoir ses potes dans l’assistance est rarement une bonne idée. D’autant plus s’ils mettent le bazar et se font évacuer par les gendarmes au bout de vingt minutes, comme ça arrive parfois ! Leur présence peut en outre pousser le prévenu à adopter une attitude un peu vantarde ou à garder le silence de manière à ne pas perdre la face devant ses amis. Or, le ton est très important, comme la façon dont va se comporter le prévenu à l’audience. Les juges apprécient souvent la déférence, le fait de bien articuler, d’assumer ses actes… Venir d’un milieu social aisé change tout. Il y a deux ans, on a suivi les comparutions immédiates des jeunes interpellés suite aux débordements de la « Manif pour tous ». Il me semble que l’attitude adoptée par ces enfants de bonne famille à l’audience a aussi joué dans la clémence de la sanction : on voyait des jeunes sûrs d’euxmêmes, s’exprimant avec politesse. Ils se sont mis à la place à laquelle l’institution attend les prévenus, car ils maîtrisaient les codes de ce type d’interactions sociales, comprenaient le cérémonial du procès et disposaient d’un minimum de culture du
droit. Mais tout le monde n’a pas les mêmes armes pour se défendre. Sans compter que la justice voit défiler beaucoup de personnes déficientes ou psychotiques, qui n’ont pas les ressources pour s’expliquer. C’est important, de maîtriser les codes ? Nombreux sont ceux qui se tirent une balle dans le pied en niant ou en inventant des mensonges trop évidents. D’autres se taisent parce qu’ils n’ont aucune idée de ce qui pourrait servir leur défense : parler à la justice, ce n’est pas simple. Dans les cas d’insultes ou de violence sur forces de l’ordre, certains se défendent : « Mais Madame, j’étais bourré. » Ils pensent que cela atténue leur responsabilité, les excuse pour partie. Ils n’ont absolument pas conscience que c’est au contraire une circonstance aggravante. Certains vont faire répéter les magistrats, qui pensent que les prévenus n’écoutent pas. Cela énerve beaucoup les juges. Cela peut être par provocation, par manque de concentration, mais peut aussi être dû à une vraie incompréhension : certains sont totalement noyés sous le jargon juridique. Je me souviens d’une grosse affaire de trafic en République dominicaine. Au bout du quatrième jour d’audience, le prévenu, à qui l’on reprochait notamment d’avoir violé l’espace aérien français, se défend : « Non mais moi j’ai violé personne ! » L’avocat n’a-t-il pas un rôle à jouer à cet égard ? Le rôle capital de l’avocat est d’élever son client au niveau du tribunal. Mais ce n’est pas toujours facile, voire impossible quand on considère le nombre d’affaires qu’ils suivent… J’ai déjà vu des avocats qui avaient la charge de toutes les comparutions immédiates du jour. Cinq clients à défendre dans cinq affaires différentes, avec dix minutes de préparation pour chaque dossier ! Les prévenus en pâtissent forcément. Il y a aussi beaucoup d’avocats qui adoptent des attitudes très désinvoltes vis-à-vis de leurs clients, simplement parce qu’ils savent que l’affaire est perdue d’avance. Recueilli par Laure Anelli Dedans Dehors N°89 Octobre 2015
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Expérimentation de Bobigny
Une alternative à la prison
pour les délinquants souffrant d’addictions Depuis six mois, le tribunal de grande instance de Bobigny élabore en même temps qu’il expérimente une nouvelle façon de répondre à la délinquance de personnes souffrant de toxicomanie ou d’alcoolisme. Son objectif : lutter contre la récidive en recourant à un programme intensif de soins et d’insertion sociale. Ciblant des multirécidivistes dont le passage à l’acte est directement imputable à l’addiction, le dispositif se pose en alternative à la détention.
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raiter les causes de la délinquance au lieu d’incarcé-
rer. Telle est l’ambition de l’expérimentation démarrée depuis mars 2015 à Bobigny, à l’initiative de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) et du ministère de la Justice. « L’objectif principal du dispositif est la prévention de la commission de nouvelles infractions. Les objectifs intermédiaires la réduction de la problématique addictive et la réinsertion », indique le cahier des charges. Qui s’inspire pour partie des programmes de traitement de la toxicomanie de la Cour du Québec à Montréal (PTTCQ).
Pour les multirécidivistes Les concepteurs du projet ne s’y sont pas trompés. « On sait que l’alcool ou les stupéfiants jouent un rôle dans les passages à l’acte. Incarcérer des personnes qui commettent des délits en lien avec une addiction n’est pas efficace pour prévenir la récidive. C’est ce que les Canadiens appellent « la porte tournante » : on entre en détention, on en sort, on y rentre à nouveau, etc. », relève Danièle Jourdain-Menninger, présidente de la Mildeca. Pour sortir de ce cycle sans fin, le programme cible un public de prévenus qui auraient eu toutes les chances d’atterrir une nouvelle fois derrière les barreaux. Ils sont multirécidivistes. Dans leur cas, un sursis avec mise à l’épreuve « n’est pas suffisant, soit parce qu’une telle mesure, déjà tentée, aurait échoué à éviter une réitération, soit parce que la gravité des faits et de la situation de la personne conduirait le juge, en l’absence du cadre très serré du programme expérimenté, à opter pour une peine d’emprisonnement ferme », pose le cahier des charges. « Ce sont bien des gens pour lesquels on aurait requis une peine de prison », confirme Guillaume Lefevre-Pontalis, vice-procureur de Bobigny.
Un cadre juridique bien pensé Concrètement, la personne déclarée coupable en première audience fait l’objet d’un suivi probatoire d’une année, avant Dedans Dehors N°89 Octobre 2015
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que le tribunal ne se prononce sur la peine. C’est le principe de l’ajournement de peine avec mise à l’épreuve (AME), mesure préexistante mais peu utilisée dans les juridictions. « L’idée est de mettre à profit cette période d’ajournement pour faire entrer la personne dans un programme thérapeutique dont la finalité est, à défaut de la rendre abstinente, de la sortir de sa logique de récidive », explique Jean-Pierre Couteron, le président de la Fédération addiction, associée à la genèse du projet. Avec en ligne de mire, si aucun incident notable n’est survenu, la possibilité pour une chambre spécifique du tribunal de prononcer une dispense de peine, ou bien une peine de probation, avec une éventuelle poursuite de la prise en charge dans ce cadre. « On examinera les progrès de la personne. On attend d’elle qu’elle n’ait pas réitéré durant la prise en charge, et qu’elle ait au moins posé les gages d’un début de sortie de son addiction et de réinsertion. Il est évident que si la personne a respecté ses obligations et rempli ces objectifs, on s’orientera vers une peine amoindrie, voire une dispense de peine », estime Dominique Pauthe, vice-président du Tribunal de grande instance.
Une évaluation préalable approfondie L’orientation vers le dispositif revient principalement au Parquet et à l’association de politique criminelle appliquée et de réinsertion sociale (APCARS). Pendant la garde à vue ou au moment du défèrement, le Parquet peut demander à l’APCARS qu’une enquête sociale rapide spécifique soit réalisée. L’association peut aussi en prendre l’initiative si une problématique addictive n’a pas été détectée par le Parquet. Un questionnaire spécifique porte sur la consommation de produits psychoactifs, le lien établi par la personne entre cette consommation et ses actes délictueux, son éventuelle « demande de changement » et son intérêt pour une « prise en charge pluridisciplinaire intensive ». Si l’enquête fait apparaître que la personne pourrait entrer dans le dispositif, le tribunal ou le juge des libertés et de la détention la placent
sous contrôle judiciaire pendant deux mois afin qu’une évaluation plus approfondie soit effectuée. Une équipe médico-sociale dédiée au dispositif assure alors une évaluation de la dépendance au produit et de son impact sur le quotidien du probationnaire, sur la base de l’Index de gravité de la toxicomanie (IGT), un outil standardisé, validé scientifiquement. En parallèle, le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) est censé évaluer le risque de récidive, le programme étant prévu pour des personnes « présentant un profil de risque élevé ». Les personnels du SPIP concernés (deux conseillers à mi-temps et une cadre) ont été formés par l’universitaire canadien Jean-Pierre Guay « à l’utilisation des outils nécessaires à cette évaluation ». Le SPIP étant le seul acteur du dispositif à ne pas avoir donné suite à notre demande d’interview, le contenu de son intervention n’a pu être davantage éclairci.
© Thierry Pasquet/Signatures
Ils innovent
Une dizaine de personnes a déjà intégré le programme testé à Bobigny. Pour la plupart dépendantes à l’alcool depuis plusieurs années, elles affichent un casier judiciaire chargé.
Ajuster les orientations vers le programme Au terme de cette double-évaluation, les coordinatrices (une cadre du SPIP et une de l’association Aurore) rédigent un rapport remis au tribunal sur l’opportunité de placer le justiciable dans le dispositif. « L’important est de montrer le lien entre l’addiction et le passage à l’acte. Si elle n’est pas le moteur principal de la commission d’infractions, le programme aura moins d’intérêt », souligne le Dr Ruth Gozlan, chargée de mission à la Mildeca. Ce « luxe de moyens dévolus à l’évaluation nous apporte un niveau d’information sur le prévenu auquel nous n’avons jamais accès dans une procédure habituelle », commente le vice-président du tribunal. Le magistrat vérifie aussi à l’audience que la personne est « réellement disposée à entrer dans le programme ». Il décide alors de l’ajournement du prononcé de la peine et signe ainsi l’entrée de la personne dans le dispositif. Six mois après le lancement de l’expérimentation, huit personnes, sur la cinquantaine attendue en deux ans, l’ont intégrée. Agées d’une quarantaine d’années en moyenne, elles sont pour la plupart dépendantes à l’alcool depuis de nombreuses années et affichent un casier judiciaire chargé (vols simples, vols avec violence, violences conjugales…). Leur moyenne d’âge apparait peu représentative du public habituel du tribunal. Certains acteurs s’étonnent en outre de l’absence, pour le moment, de personnes dépendantes aux stupéfiants, s’adonnant à des petits trafics. Mais des ajustements ont déjà commencé. « On avait tendance à écarter les profils qui nous paraissaient trop désocialisés, déstructurés psychiquement, analyse Pascal Souriau, chef de service à l’APCARS. On s’est rendu compte qu’on
avait peut-être été trop restrictifs, on a travaillé à élargir nos critères de sélection. »
Un programme très intensif Le probationnaire est pris en charge dans le cadre d’un « double suivi à la fois judiciaire et médico-social intensif et très encadré, à raison de cinq heures par jour, cinq jours par semaine, le tout sur une année complète », explique Katia Dubreuil, chargée de mission à la Mildeca. Un niveau d’accompagnement exceptionnel, comparé à celui réalisé habituellement dans le cadre d’une mise à l’épreuve. Pour JeanPierre Couteron, le programme est « beaucoup plus structuré et contraignant que ne peut l’être l’injonction thérapeutique ou l’obligation de soins » pour lesquels « les délais de prise en charge sont longs et le suivi réalisé par le SPIP loin d’être quotidien. Il ne s’agit pas ici d’aller voir un médecin une fois par mois. Il s’agit de respecter un programme, avec des horaires ». L’association Aurore a été chargée d’assurer la partie médicosociale de l’accompagnement : elle met à disposition une coordinatrice, une psychologue, un médecin et un moniteur sportif, rattachés au Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) de Gagny. Deux associations culturelles ont également été associées au projet : Le Vent se lève et Les Yeux de l’ouïe. Habituées à travailler avec des personnes sous main de justice, elles prennent en charge l’animation du lieu où se déroule le programme, dans le cadre d’ateliers de création, « dans des activités qui visent la réinsertion des personnes. Il ne s’agit pas de faire de l’occupationnel », souligne le Dr Gozlan. Dedans Dehors N°89 Octobre 2015
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© Jean-Pierre Sageot/Signatures
Le programme est divisé en un tiers de soins, un tiers d’activités créatives ou sportives, un tiers d’aide à l’insertion.
Soins, activités et insertion « L’objectif est de proposer un tiers de soin, un tiers d’activités créatives ou sportives et un tiers d’insertion », explique François Hervé, directeur du pôle santé-addiction-précarité de l’association Aurore. « Côté santé, on s’est clairement inspiré du modèle de la communauté thérapeutique. Le groupe permet de mettre en commun des expériences, et d’imaginer collectivement les solutions qui vont permettre de prévenir la rechute », complète François Hervé. « Empathie », « écoute », « identification des besoins », « projet d’accompagnement individualisé et progressif », « alliance thérapeutique » définissent les grands principes de l’accompagnement. Le suivi comprend plusieurs phases, explique Jean-Pierre Couteron. « La première est centrée sur le soin et l’observance thérapeutique. La seconde doit permettre de consolider ce qui aura été engagé, pour permettre la mise en œuvre de la troisième phase, consacrée à la préparation à la sortie du dispositif et à la réinsertion. » Le probationnaire pourra aussi être orienté sur des partenaires extérieurs, suivant les démarches qu’il aura à effectuer.
Un accompagnement criminologique peu défini Côté justice, le contenu de la prise en charge n’est pas précisément défini. A la différence des programmes canadiens – et même de certains dispositifs en France (cf. stage sécurité routière en encadré) – une méthodologie d’accompagnement au plan criminologique n’a pas été définie et choisie préalablement à l’expérimentation. Néanmoins, les conseillers de probation ont été rapidement formés par deux spécialistes aux méthodes évaluées à l’étranger comme les plus efficientes pour le suivi des auteurs d’infraction souffrant d’addictions. Pour autant, leur rôle ne se distingue pas clairement de celui des juges de l’application des peines (JAP), tel que défini dans le programme. Le probationnaire est en effet convoqué une fois par mois par un JAP, pour un entretien qui doit permettre de faire le point sur son évolution, sur ses avancées comme sur les aspects qui méritent encore d’être travaillés. Une sorte de supervision, en somme. Et ces magistrats-là ont bien intégré la rechute comme faisant partie du processus. « Les formations Dedans Dehors N°89 Octobre 2015
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que nous avons reçues dans le cadre de l’expérimentation nous ont permis de comprendre que le processus de sortie de l’addiction n’était pas linéaire. Il peut y avoir des rechutes. Nous, ce qu’on regarde, c’est l’évolution générale », explique Aïda Chouk, vice-présidente chargée de l’application des peines. Ainsi, le sevrage n’est pas forcément déterminant de la réussite du programme. « On ne prétend pas avoir trouvé un traitement miraculeux qui traiterait totalement l’addiction de ces personnes, explique Jean-Pierre Couteron. En revanche, on peut travailler sur certains déficits de la personne, sur des dynamiques comportementales et psychiques et sur des démarches d’insertion, pour faire qu’à défaut de résoudre totalement son addiction, celle-ci n’entraîne plus un passage à l’acte délictueux. » En d’autres termes, « s’il est présomptueux de dire « cette personne ne boira plus », il ne l’est pas forcément de dire « on va travailler sur le fait qu’elle ne reprenne plus le volant si elle vient à se réalcooliser », résume le psychologue clinicien.
Un programme en construction permanente Assumée, la construction empirique a été privilégiée au choix de méthodes. Et le contenu de l’accompagnement n’a pas été dès le départ conçu sur la base de modèles éprouvés, bien qu’existants. « L’ambition de cette expérimentation est de parvenir à modéliser un programme complet et structuré, des outils utilisés pour évaluer la situation des personnes aux méthodes de suivi et activités proposées. On modélise en même temps que l’on teste avec les acteurs des terrains pour construire l’intervention la plus pertinente et efficace, avant de formaliser les processus que l’on aura validés », explique Katia Dubreuil (Mildeca). Si elle a l’avantage de permettre aux acteurs de terrain de contribuer activement à la conception du dispositif, une telle approche peut néanmoins soulever des questions. Comment modéliser un suivi sur la base des pratiques de quelques professionnels ? Le même suivi pourra-t-il être assuré par d’autres professionnels moins engagés, moins motivés que ceux volontaires pour une expérimentation ? Pourquoi ne pas définir d’emblée une méthode d’accompagnement, sur la base des nombreux travaux sur « ce qui marche » le mieux en matière de prévention de la récidive des auteurs d’infractions
Ils innovent ayant une problématique d’addiction ? Le Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales (CESDIP) est chargé d’une première évaluation « d’implantation », qui portera sur les conditions de mise en œuvre du dispositif et sur « sa capacité à atteindre le public visé » (rapport final prévu en janvier 2017). L’évaluation de l’impact du programme sur la récidive et l’insertion des publics visés sera pour sa part menée « quelques années » après l’inclusion des premiers justiciables, leurs « trajectoires sociale et pénale » ne pouvant être examinées « au terme de quelques mois de prise en charge » (cahier des charges, annexe 1). « Il faut laisser le temps à l’expérimentation de se mettre en place, avant de vouloir en évaluer les effets », estime la présidente de la Mildeca.
Pluridisciplinarité et coordination Ce qui représente d’emblée une avancée, c’est le travail en commun et en cohésion des différents professionnels intervenant auprès des probationnaires. Le partenariat justice-santé -social « a été pensé à tous les niveaux de l’expérimentation, qu’il s’agisse du comité opérationnel, composé des personnes mettant en œuvre l’expérimentation, ou du comité de pilotage, constitué des représentants institutionnels des différents
services impliqués », expliquent Katia Dubreuil et Ruth Gozlan. En outre, des sessions de formations pluridisciplinaires communes ont été organisées en amont du démarrage du programme. « C’est vraiment une bonne chose que ces formations aient été communes : on dispose tous du même niveau d’information. Nous avons beaucoup appris sur les problématiques d’addiction. Cela nous a aussi permis de nous rencontrer, d’échanger », témoigne Aïda Chouk avec enthousiasme. En cela le dispositif rappelle les « juridictions résolutives de problèmes » apparues aux Etats-Unis à la fin des années 1980. Ces juridictions spécialisées (drogues, violences familiales…) ont pour caractéristiques la collaboration de l’ensemble des professionnels entre eux et autour du juge, une intervention judiciaire « humaine et thérapeutique », l’utilisation de mesures et sanctions « non éliminatoires »… Professeur de droit et criminologie, Martine Herzog-Evans rapporte que « les résultats de ces juridictions ont été spectaculaires sur la récidive, la soumission aux obligations et l’amélioration des problèmes d’addiction » 1. Laure Anelli et Sarah Dindo 1 Martine Herzog-Evans, Moderniser la probation française, l’Harmattan, 2013
Stages sécurité routière : l’art de la méthode La surprise vient du ministère de l’Intérieur. Plus précisément de la délégation à la sécurité et à la circulation routière. Dans un arrêté du 21 juillet, une nouvelle génération de stages de sensibilisation à la sécurité routière apparaît. Avec un contenu précisément défini, reposant sur des études menées au niveau européen sur l’efficacité de ces dispositifs. Exposant clairement ses références théoriques (modèle de prévention des comportements à risque de Prochaska et Di Clemente, autorégulation du comportement de Carver et Sheier…), le stage a pour objectif la prévention des comportements à risque, à travers « l’auto-réflexion du conducteur en vue d’initier une stratégie personnelle de changement ». Ces stages, qui peuvent être imposés à des auteurs d’infractions routières, à titre de sanction ou d’obligation dans le cadre d’une peine de probation, conservent pour principal défaut leur courte durée (quatorze heures, sur deux jours). Néanmoins, le déroulé élaboré, enseigné dans le cadre de formations obligatoires à l’ensemble des animateurs, représente une innovation majeure en termes de méthode. Facile à dispenser, ne dépendant pas de la qualité de tel ou tel professionnel, fonctionnant sur un modèle commun et reproductible. Il est amené à remplacer le stage de première génération au fur et à mesure de la formation des animateurs, jusqu’au 1er janvier 2018 où seul le stage deuxième génération pourra être dispensé. Concrètement, après un tronc commun de cinq heures sur les facteurs généraux de l’insécurité routière, les participants sont orientés vers un module « vitesse » ou « produits psychoactifs », à l’issue d’un entretien avec un psychologue. Le module « produits psychoactifs » commence
par une séquence de libre expression sur les représentations de chacun à propos des produits et de leurs usages. La deuxième séquence porte sur les « attentes » des participants à l’égard des produits : analyser les raisons de sa consommation, « prendre conscience que la même substance peut produire différents effets et qu’un effet recherché peut être obtenu par différents moyens ». Cette phase se clôt par une « auto-évaluation » de ses pratiques : repérer les usages à risque ou nocifs, identifier les « seuils de sécurité », réfléchir à ce qui amène à conduire après avoir consommé… Une deuxième phase d’« analyse des influences » consiste à confronter ses opinions à celles des autres, afin notamment de prendre conscience de « l’influence du groupe » sur son propre comportement. Plusieurs séquences sont ensuite consacrées à l’acquisition de techniques pour développer ses capacités d’affirmation, de communication et son sentiment d’efficacité. La troisième phase d’« ajustement » permet à la personne de faire le point sur son niveau de motivation à changer de pratiques, de repérer son « comportement cible » (souhaité), de réfléchir à des moyens alternatifs pour répondre à ses besoins (de plaisir, notamment), d’apprendre des techniques de gestion du stress, et de mettre en place des stratégies personnelles favorisant l’attention aux autres et « l’intégration de la loi comme protectrice ». Version consolidée du 21 juillet 2015 de l’arrêté du 26 juin 2012 fixant les conditions d’exploitation des établissements chargés d’organiser les stages de sensibilisation à la sécurité routière.
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Expérimentation de Bobigny
Aïda Chouk, Alice Maintigneux et Mélanie Leduc sont juges de l’application des peines au tribunal de Bobigny. Elles témoignent du caractère inédit d’une prise en charge aussi intensive pour des personnes sous main de Justice. Et analysent la façon dont l’expérimentation les amène à faire évoluer leurs pratiques.
A quels manques vient remédier ce dispositif ? AC : Il fait suite au constat d’inefficacité des mesures existantes pour ce public. Dans le cadre des courtes peines d’emprisonnement, de moins de six mois, il n’y a pas de prise en charge médicale de leur addiction, ni de suivi social. A cause de la surpopulation carcérale, du manque de moyens… Nous faisons aussi le constat de récidives à court terme, donc de la nécessité d’une prise en charge très rapide. Or dans le cadre d’un sursis avec mise à l’épreuve (SME), le temps que la mesure soit réellement mise en œuvre par le SPIP et/ou que la personne soit prise en charge dans le cadre d’une obligation de soins, il peut se passer un temps qui laisse largement la possibilité de récidiver. L’idée avec ce dispositif, c’est une prise en charge très rapide et resserrée, qui n’existait pas du tout avant. ML : Oui, le suivi du SPIP est quotidien avec ce programme. Habituellement, les personnes sont convoquées tous les mois au mieux, tous les deux mois le plus souvent.
AC : En tant que JAP, on a voulu mettre en place un suivi qui permette de suivre l’évolution de la personne. On rencontre les probationnaires une fois par mois, que leur implication dans le programme se passe bien ou non. Nous ne sommes plus seulement le juge de l’incident, qui n’intervient qu’en cas de problème pour sanctionner. On est aussi là pour encourager les probationnaires dans leur dynamique d’insertion. C’est assez nouveau dans notre culture professionnelle ! AM : On aimerait pouvoir le faire pour tous, mais on a chacune à peu près mille mesures de milieu ouvert à suivre. L’avantage de ce programme est que nous suivons un nombre limité de personnes. On peut donc se le permettre. La nature de vos entretiens avec les prévenus change-telle aussi ?
AC : Il faut un peu de temps. Le cahier des charges précise que le JAP doit recevoir les personnes quinze jours après le prononcé de la mesure pour un premier entretien. Le délai a été difficile à tenir au début. La transmission des dossiers jusqu’à nous a été un peu compliquée… Bobigny est une grosse machine. On a dû consacrer des réunions à la définition de procédures afin de s’assurer que les dossiers parviennent au bon endroit. C’est en train de se roder. Il faut aussi que les logiciels suivent. Nous avons rapidement décidé de spécialiser des greffiers du service, il faut qu’ils se forment… Tout cela prend du temps.
ML : J’en suis pour ma part au troisième entretien avec une personne entrée dans le programme en juin. Cela se passe très bien. C’était assez déstabilisant au début, je ne savais pas trop comment m’y prendre. On n’est pas dans un rappel d’obligations, comme habituellement, on doit donc inventer une autre approche. Personnellement, j’essaie de poser un thème à chaque entretien. Pour le premier, j’ai demandé à la personne ce qu’elle attendait du programme, puis expliqué ce que nous, juges, attendions d’elle. Le deuxième, je l’ai principalement axé sur l’insertion professionnelle, et le troisième sera centré sur sa situation familiale. J’annonce à chaque fin d’entretien le sujet qui sera abordé la fois suivante. Evidemment on ne parle pas que de cela. Je ne sais pas si c’est la bonne manière de procéder… On expérimente !
AM : Après, le délai des quinze jours est donné à titre indicatif. L’idée est de recevoir les gens rapidement, afin de leur expliquer assez tôt dans le déroulé du programme ce que l’on attend d’eux et de fixer ensemble les premiers objectifs.
AM : L’homme que je suis n’étant pas assidu au programme, j’axe les entretiens sur son problème d’absentéisme. Je lui ai dit que j’attendais de lui qu’il augmente son taux de présence. J’ai considéré que le fait qu’il vienne de temps en temps et réussisse
Le dispositif est-il facile à mettre en place à votre niveau ou des ajustements sont-ils nécessaires ?
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En quoi ce dispositif modifie-t-il votre manière de travailler ?
© Thomas Jouanneau/Signatures
« On peut suivre l’évolution de la personne »
Ils innovent
Tribunal de grande instance de Bobigny. Les juges de l’application des peines suivent chacune plus d’un millier de mesures en milieu ouvert.
à créer un lien avec l’endroit, l’équipe et le groupe était déjà un progrès. Toute progression se fait en dents de scie. C’est d’ailleurs tout l’intérêt de les rencontrer mensuellement et d’avoir des comptes-rendus réguliers des coordinatrices : on est plus à même d’apprécier l’évolution des probationnaires. Comment s’organise la transmission d’information avec les équipes chargées de l’accompagnement ? ML : Outre les rapports réguliers et les réunions transversales, l’une des deux coordinatrices accompagne le probationnaire lors de nos entretiens mensuels. Nous pouvons recevoir l’un et l’autre en même temps, ou procéder différemment. AM : Pour ma part, je les reçois d’abord séparément, afin de recueillir le point de vue de chacun, puis je les rassemble pour une synthèse et pour fixer des objectifs. Cela permet d’officialiser et de clôturer l’entretien. AC : L’approche pluridisciplinaire est très intéressante pour les JAP. Il y a beaucoup de turn-over dans les différents services, si bien qu’on ne connaît pas toujours bien les partenaires du secteur santé ou du social. L’expérimentation permet un véritable maillage territorial des acteurs qui restera. Avez-vous défini des critères d’exclusion du programme ? AC : Quelqu’un qui commet de nouvelles infractions, est agressif avec le personnel, ne vient pas, n’adhère pas du tout au suivi… AM : De mon côté, la personne qui n’est pas assidue au programme a 45 ans, une problématique alcoolique très ancrée et continue à consommer. C’est quelqu’un qui n’a jamais réussi à aller au bout des démarches pour entamer un traitement et pour lequel l’équipe a un projet de cure à court terme. Quelque chose est en train de se débloquer sur le plan médical. Mettre fin maintenant au programme parce qu’il n’est pas assidu n’aurait donc pas de sens.
AC : On a aussi considéré au moment de la construction du programme que la reprise du produit n’était pas forcément une cause d’exclusion. C’est novateur dans la mesure où la substance consommée n’est pas forcément licite. Outre un suivi de l’évolution des probationnaires et la bonne coordination entre les professionnels, constatez-vous déjà d’autres aspects positifs dans cette expérimentation ? AC : L’évaluation préalable, qui nous permet d’orienter le suivi de la personne dès le début. C’est vraiment une nouveauté positive par rapport à d’autres mesures en milieu ouvert. Dans le cadre d’un SME, sur un suivi de deux ans par exemple, on pouvait être saisies au bout de treize mois par un partenaire : « M. a un problème psy, ce serait peut-être intéressant qu’on fasse une expertise. » C’est quand même plus pertinent d’avoir cette information dès le début. Au-delà de l’évaluation, c’est un vrai suivi en milieu ouvert qui a du sens, dans lequel on met les moyens et donne aux professionnels le temps de travailler correctement. AM : Les participants en ont d’ailleurs bien conscience. Habitués de la justice, ils savent que cette mesure est exceptionnelle et qu’ils sont peu nombreux à en bénéficier. La personne que je suis me l’a dit à plusieurs reprises : « Je sais que c’est une chance qui ne se représentera peut-être pas. » AC : La phase d’évaluation de l’expérimentation sera aussi extrêmement importante pour nous. La difficulté, dans notre métier, est qu’on a tous notre petite idée de ce qui fonctionne ou non : pour les uns « une peine de prison, c’est bien, il faut cogner fort que cela soit efficace », pour les autres « le SME, c’est mieux »… Mais on n’a pas d’évaluation comme il en existe au Canada, sur laquelle nous appuyer pour définir nos pratiques. Pour une fois, nous avons à la fois un programme et une évaluation. Recueilli par Laure Anelli
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La chronique de Krapitouk Après avoir fermé son blog sur Médiapart, le surveillant pénitentiaire anonyme tient désormais une rubrique dans Dedans-Dehors
Des millions de cellules pour les usagers de drogues ?
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personnes qui auraient fait un usage de cannabis au cours de l’année 2014 et le deuxième serait le nombre de consommateurs quotidiens. Il y aurait encore 450 000 usagers réguliers de cocaïne et 400 000 d’Ecstasy (OFDT, Chiffres clés, juin 2015). L’usage sans trafic « de l’une des substances ou plantes classées comme stupéfiants » est passible d’un an d’emprisonnement, le trafic de dix ans. D’un point de vue légaliste, ce seraient donc des millions de cellules qu’il faudrait construire en France, pour enfermer les usagers de drogues, contrevenants au code de la santé publique (article L3421-1). Il faut devant de tels chiffres se poser la question du réalisme de la loi, et si pour quelques raisons populistes on ne continue pas une politique dépassée et inadaptée. Si les incarcérations pour simple usage sont rares en pratique, de nombreux détenus sont ou étaient toxicomanes. Et le premier paradoxe ne tarde pas de se poser : le même ministère qui juge des personnes au nom de la loi sait que des drogues circulent en détention. Une prison, quelle que soit son type, est efficace pour deux choses : empêcher de sortir ceux qui doivent y rester, et empêcher d’entrer ceux qui n’en ont pas le droit. C’est tout. Le reste finit par y entrer malgré les efforts et interdictions. Autre secret de polichinelle : la tolérance au « shit » en détention est partielle, mais réelle. En apparence il apporte une tranquillité momentanée au surveillant. A long terme c’est un objet de trafics et de leurs corollaires : le racket et la violence. C’est un paradoxe que dans ce lieu où tout est surveillé, où tout hormis ce qui est acheté aux cantines est interdit, le cannabis soit aussi présent. Parfois, dès le matin à 7 h 30, l’odeur est là dans les coursives. Le manque de cohérence est aussi nuisible à la réinsertion des personnes détenues, comment comprendre qu’on tolère en prison les mêmes choses qui vous y envoient ? Le réalisme l’emporte seulement sur l’idéal. Accompagner cinquante détenus aux ateliers dont quinze fument et tenter de saisir les « joints » en question, c’est mettre la sécurité en péril car il est peu probable qu’ils les remettent sans broncher. Il faudrait ensuite conserver et
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© Bruno Amsellem/Signatures
,6 millions et 700 000 ! Le premier est le nombre de
Le cannabis est la drogue illicite la plus consommée en France. Les quantités saisies chaque année s’évaluent en tonnes.
répertorier les « joints » pour engager des procédures et prouver qu’il s’agit bien de cannabis. Et recommencer le tout dès le lendemain. Les drogues dures sont beaucoup moins présentes. Et attention, en prison les toxicomanes sont soignés. Les produits de substitution sont efficaces et distribués. Oui, mais ils font eux aussi l’objet de trafics – les échanges de cachets sont fréquents – et d’usages dangereux, étant stockés ou mélangés à ceux d’un autre détenu. On aimerait voir la pénitence à l’œuvre dans cet ersatz monastique et croire que les toxicomanes ne le sont plus parce qu’ils ont été punis. A l’évidence on se trompe depuis longtemps. Je peux constater de visu les dégâts physiques et mentaux causés par les drogues dures, et je crois que quiconque a vu et connu quelques toxicomanes est dissuadé à jamais d’en faire l’apologie ou de prendre le sujet à la légère. Mais si c’était une sorte de maladie et qu’au lieu de la punir, on la soignait ? Si on faisait en sorte de limiter les raisons de sa propagation et d’en diminuer la valeur qui attire toutes les mafias ? Les toxicomanes sont déjà murés dehors dans leur addiction, y ajouter des barreaux est-il vraiment utile ? La question mérite d’être posée. Krapitouk, surveillant pénitentiaire
Et ailleurs
Décriminalisation de l’usage de drogues :
le Portugal marque des points Après plusieurs décennies de politiques répressives, le Portugal a choisi, au début des années 2000, de décriminaliser l’usage et la détention de stupéfiants. Quinze ans après l’adoption de la loi, le pays est-il devenu le « paradis de la consommation » criminogène et décadent annoncé par ses détracteurs ? Les recherches tendent à montrer le contraire.
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ace à l’explosion du nombre d’héroïnomanes, d’over-
doses et de l’épidémie du VIH qui ont marqué les années 1980-1990, le Portugal a fait un choix pour le moins controversé. Le pays a décidé, par une loi du 29 novembre 2000, de décriminaliser la consommation de tous les stupéfiants, comme leur acquisition et leur détention lorsqu’elles sont destinées à un usage personnel. Que l’on ne s’y trompe pas : « la consommation et la détention de drogues restent interdites et sujettes à pénalités », souligne João Goulão, qui a contribué à l’élaboration de la loi et dirige aujourd’hui le Service d’intervention sur les comportements addictifs et la dépendance (Sicad). S’ils ne constituent plus un délit, l’usage et la détention de stupéfiants restent des infractions administratives. Concrètement, avec cette loi entrée en application en juillet 2001, les contrevenants ne risquent plus de sanctions pénales, ni d’être envoyés derrière les barreaux. Avant la réforme,
la possession, l’acquisition, la détention et la culture de drogues réservées à un usage personnel étaient passibles d’une peine d’un an d’emprisonnement. Avec la loi de 2000, une personne contrôlée avec moins de 5 grammes de haschisch, d’1 gramme d’héroïne et de 2 grammes de cocaïne n’est plus nécessairement sanctionnée, ou seulement administrativement. Au-delà de ces quantités, elle est toujours poursuivie.
Soigner plutôt que sanctionner « L’idée qui sous-tend cette loi est que l’addiction est un problème sanitaire, social, plutôt que criminel », explique M. Goulão. Le principal objectif est de dissuader la consommation de drogues et d’encourager les toxicomanes à traiter leur dépendance. Les contrevenants sont envoyés devant des organes administratifs dédiés, les commissions pour la prévention de la toxicomanie, aussi appelées « commissions de dissuasion ». Il en existe dix-huit, réparties sur tout le territoire. Placées
© Daniel Foster/flickr
L’acquisition et la détention de toutes les drogues ont été décriminalisées en 2000 au Portugal, dès lors qu’elles sont réservées à un usage personnel. Au-delà de certaines quantités, le contrevenant s’expose à des poursuites pénales.
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© Bertrand Lauprete
La proportion d’héroïnomanes dans les prisons portugaises est passée de 44 % à 30 % entre 2001 et 2007.
sous la tutelle du ministère de la Santé, elles sont constituées de juristes, de travailleurs sociaux et de médecins, chargés d’examiner les motivations et les circonstances entourant l’infraction avant de déterminer la réponse la plus adaptée. Dans les faits, un contrevenant sur cinq qui passent en commission est considéré comme un « consommateur problématique », toxicomane. Ceux-là sont orientés sur un traitement médical. S’ils le suivent jusqu’au bout, aucune sanction ne leur est généralement infligée. Dans le cas contraire, ils peuvent recevoir un avertissement oral ou écoper de diverses sanctions, telles qu’un travail d’intérêt général, l’obligation de suivre un programme éducatif, l’interdiction d’exercer certaines activités professionnelles ou de fréquenter certains lieux ou personnes. Toute sanction pécuniaire est exclue : « Les toxicomanes sont souvent dans une situation financière déjà très fragile, qui les conduit parfois à se livrer à un petit trafic de subsistance, explique le directeur du Sicad. Leur infliger une amende ne ferait qu’accroître la pression économique qui pèse sur eux, et le risque qu’ils commettent encore davantage d’infractions. » Les quatre cinquièmes restants sont des usagers occasionnels, récréatifs. L’objectif de la commission n’est pas de les orienter vers un traitement, mais « de les confronter à leur consommation et à la place qu’elle prend dans leur vie, à ses effets, pour interrompre des carrières d’usager avant qu’elles ne deviennent problématiques ». Au premier passage en commission, le consommateur occasionnel reçoit un avertissement, « une sorte de carton jaune », et n’écope souvent que de l’obligation de se présenter à un centre social ou médicopsychologique, pendant une période probatoire. Si, au terme de ce délai, aucune nouvelle infraction n’a été commise, le Dedans Dehors N°89 Octobre 2015
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dossier peut être classé sans suite. Dans le cas contraire, une amende, la suspension de certaines prestations sociales ou d’autres types de sanctions peuvent être infligées.
Dispositif de soins renforcé La loi de décriminalisation s’est accompagnée d’un lot de réformes sociales et sanitaires, imaginé par la commission d’experts nommée par le gouvernement en 1998. Campagnes de prévention, multiplication des centres de soins et des dispositifs thérapeutiques, généralisation de l’accès aux traitements de substitution, programmes d’échange de seringues, mise en place d’équipes de maraude « pour aller chercher les toxicomanes là où ils se trouvent », structures de réinsertion sociale… « Ce paquet de réformes constituait le cœur de nos propositions. Mais cette approche sanitaire n’aurait pas été cohérente sans la décriminalisation de l’usage des drogues, explique João Goulão. A l’inverse, si nous avions décidé de décriminaliser sans installer cet arsenal socio-sanitaire, nos résultats n’auraient pas été aussi positifs. »
La consommation « aveugle devant la loi » Principale cible du dispositif au moment de sa conception, « l’usage problématique de drogues » – c’est-à-dire la consommation de drogues par injection et l’usage prolongé ou régulier d’opiacés, de cocaïne ou d’amphétamines – a été divisé par deux en vingt ans selon João Goulão. Preuve, pour le directeur de la Sicad, de l’efficacité des dispositifs de traitement mis en place. Une tendance à la baisse qu’on ne retrouve pas en France. Selon l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, le taux de consommateurs problématiques serait passé de 3,9 à 7,5 pour mille habitants entre 1999 et 2011.
Et ailleurs En dehors de ces cas particuliers, la consommation des autres types de drogues (cannabis, méthamphétamines…) a cependant continué d’augmenter, suivant la tendance européenne. Dispersion des habitudes de consommation, diversification des substances, des types d’usagers et des trajectoires… Pour le professeur Candido da Agra, « le phénomène est aveugle devant la loi ». Et le Portugal conserve néanmoins l’un des taux les moins élevés de prévalence en Europe. L’explosion du nombre de toxicomanes annoncée par les détracteurs de la loi ne s’est donc pas réalisée. Pour Candido da Agra, « il est prouvé par la recherche empirique que le pénal n’est ni nécessaire, ni efficace pour prévenir l’usage des drogues. »
Moins d’infections au VIH et de décès La loi a aussi permis de réduire le stigmate pesant sur les toxicomanes. « Ne craignant plus d’être perçus comme des criminels, ils se présentent plus spontanément aux structures de soin et de prévention », note João Goulão. Si bien que plus de 28 000 personnes étaient sous suivi médical en 2013 1, la majeure partie pour un traitement de substitution à des opiacés. La situation sanitaire s’est nettement améliorée : plus de 900 personnes toxicodépendantes étaient dépistées positives au VIH en 2000. Treize ans plus tard, moins de 80 ont été diagnostiquées porteuses du virus 2. Le nombre de décès liés à la drogue a également considérablement chuté au Portugal, davantage que dans l’Espagne voisine.
Des tribunaux désengorgés La décriminalisation a eu mécaniquement pour effet de désengorger les tribunaux : en 2000, les juges voyaient défiler plus de 14 000 personnes pour infraction à la loi sur les stupéfiants, que ce soit pour trafic, simple consommation, ou les deux. La majeure partie d’entre eux étant de simples consommateurs, les procédures se soldaient dans deux cas sur trois par une amende. Ces derniers désormais pris en charge par les commissions de dissuasion, les contrevenants à la loi sur les stupéfiants ne sont plus que 5 500 par an à passer devant les tribunaux 3. « La loi a également eu un curieux effet sur l’activité policière, souligne João Goulão. Les forces de police, auparavant occupées à réprimer les petits trafiquants-consommateurs, ont d’abord été déstabilisées. La réforme leur a permis de faire évoluer leurs techniques et de concentrer leurs moyens sur de plus gros poissons. Les saisies concernent des quantités de drogues bien plus importantes. Grâce à une collaboration renforcée avec les forces policières étrangères, la police portugaise démantèle davantage de trafics à dimension internationale. »
1 Sicad, rapport annuel 2013 2 Idem 3 Hughes and Stevens, « What can we learn from the portuguese decriminalization of illicit drugs ? », British journal of criminology, 50 (6), 2010
« Il est prouvé par la recherche empirique que le pénal n’est ni nécessaire, ni efficace pour prévenir l’usage des drogues. »
Baisse de la délinquance associée Autre effet de cette politique : elle aurait entraîné une baisse des infractions commises sous l’emprise de stupéfiants ou en vue de s’en procurer 4. La proportion de personnes incarcérées pour ces motifs a d’ailleurs diminué, passant de 44 % en 1999 à 24 % en 2013 5. « Si bien que les infractions commises en lien avec les stupéfiants, auparavant premières causes d’incarcération, figurent aujourd’hui à la troisième place du classement », souligne João Goulão. Ce qui pourrait en partie expliquer, selon les chercheurs Caitlin Elizabeth Hughes et Alex Stevens, la baisse du taux moyen d’occupation des prisons observée entre 2001 et 2009 au Portugal : il est en effet passé de 119 % en 2001 à 101 % en 2005 6, descendant même sous la barre des 100 % entre 2006 et 2009, avant de remonter à partir de 2009 7, « probablement en raison de la hausse de la délinquance de subsistance observée après la crise de 2008 », avance le professeur Goulão.
Un modèle sauvegardé face à la crise Face à la crise financière de 2008 et aux mesures d’économie drastiques adoptées par le gouvernement, les dirigeants de la Sicad ont un temps craint que des coupes budgétaires ne viennent porter un coup fatal au dispositif de soins. Cela n’a pas été le cas. « Le gouvernement a compris que la crise ne pouvait qu’aggraver les problèmes liés aux drogues, et a limité les coupes. Même la coalition de droite, qui avait pourtant voté contre la loi en 2000, soutient aujourd’hui cette politique. » La Sicad a fait pour sa part le choix de rogner sur les moyens dévolus à la recherche afin de préserver l’intégrité du dispositif de soins. La suite leur a donné raison : le service a enregistré un nombre important de rechutes de toxicomanes avec la crise. Une preuve de plus, s’il en fallait, que l’usage des drogues répond à d’autres lois que la Loi. Laure Anelli, Marie Crétenot et Audrey Martins
4 Idem 5 Hughes and Stevens, ibid et rapport annuel 2013 de la Sicad 6 Hughes and Stevens, ibid 7 Statistiques pénales annuelles du Conseil de l’Europe (Space) Dedans Dehors N°89 Octobre 2015
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Décriminalisation de l’usage de drogues
« La recherche a joué un rôle essentiel » Membre de la commission d’experts qui proposa au parlement, en 1998, de décriminaliser l’usage des drogues, le professeur Candido da Agra est directeur de l’Institut de criminologie de Porto.
Considérant que le droit pénal n’était ni nécessaire, ni efficace, le Portugal a fait le choix de décriminaliser ce comportement, qui n’est donc plus régi ou sanctionné par la loi pénale. A l’inverse en Hollande, il n’y a pas eu décriminalisation : la consommation de stupéfiants reste définie comme une infraction pénale. Mais la loi prévoit le principe d’opportunité : le législateur a ouvert la possibilité, pour les tribunaux, de ne pas poursuivre le consommateur. Ce sont deux conceptions différentes. Dans quel contexte la réforme a-t-elle commencé à être envisagée au Portugal ? Le premier déclencheur a été l’épidémie de l’usage d’héroïne, qui s’est abattue sur toute l’Europe au début des années 1980. C’était encore plus frappant au Portugal, car le phénomène touchait toutes les classes sociales. La misère physique, psychologique et sociale causée par cette drogue était visible partout, par tous. Le Portugal présentait en outre les taux de morts par overdose et d’infections au VIH les plus élevés de toute l’Europe, après l’Espagne. Cela a conduit à l’émergence d’une nouvelle forme de problématisation : le dispositif actuel est-il vraiment adapté à la dimension du phénomène ? Comment le dispositif législatif a-t-il évolué ? Il a évolué en deux phases : de 1970 jusqu’en 1983, puis de 1983 à la loi de novembre 2000. L’esprit du législateur de 1970, qui a pour la première fois réprimé la consommation, était de considérer l’usager comme un délinquant, et la consommation de drogue comme un acte de délinquance, qui justifiait jusqu’à une peine de prison. La loi de 1983 n’a pas décriminalisé l’usage, mais elle a tout de même un peu adouci cette perception et freiné cette volonté de répression. L’usager de drogues a commencé à être envisagé comme un malade, qui méritait des soins. La loi prévoyait une peine symbolique et la mise en place d’un dispositif socio-sanitaire. On peut considérer qu’elle a ouvert la voie à la loi de novembre 2000. Le problème est que l’articulation entre systèmes répressif et sanitaire ne fonctionnait pas. Il y avait une méfiance réciproque Dedans Dehors N°89 Octobre 2015
Entre les lois de 1983 et de 1993, la situation sanitaire ne s’est pas améliorée, au contraire. Cette aggravation a ensuite connu une accélération, si bien qu’en 1997, les sondages montrent que la drogue est devenue la première préoccupation des Portugais. Des politiques de réduction des risques et des méfaits ont commencé à se mettre en place entre 1995 et 1997, et des débats publics ont été organisés. Deux ans de discussions parlementaires ouvertes à tous : scientifiques, acteurs de terrain, associations… Ces débats ont joué un rôle fondamental. Le constat était unanime : la guerre à la drogue avait été perdue. L’arsenal répressif n’était pas parvenu à endiguer le phénomène. C’est à ce moment-là que nous avons commencé avec d’autres chercheurs à avancer l’idée d’une décriminalisation et, plus largement, à plaider pour la définition d’une nouvelle politique des drogues pragmatique, basée sur les données de la science, et non sur les croyances et les préjugés. Cette idée a-t-elle suscité des résistances ? Les résistances sont surtout venues de l’étranger et des institutions internationales. Le Portugal est signataire de conventions qui font de la lutte contre le trafic de stupéfiants une priorité. Des chefs d’État se sont rendus au Portugal pour tenter de dissuader le président de la République. Pour eux, l’option envisagée était irresponsable, le Portugal allait devenir le « paradis de la consommation de drogues ». Les Portugais redoutaient pour leur part une hausse de la criminalité. Or, c’était précisément l’objet de mes recherches entre 1991 et 1996. Et la conclusion de mes travaux était claire : il n’y a pas de relation directe entre les courbes de hausse ou de baisse de l’usage de drogues et celles de la criminalité. J’ai présenté mes résultats lors des discussions publiques. Je crois que la science a joué un rôle important dans l’adoption de cette loi. Une large majorité du parlement a voté pour, y compris le centre droit, en mettant de côté les querelles idéologiques. Durant ces mois de débats, est aussi apparue dans la population une sensibilité collective tournée vers la volonté d’un droit juste, d’une approche humaine plutôt que répressive. Quinze ans après, la recherche a prouvé que le Portugal avait fait le bon choix. Le dispositif a été consolidé. Je ne crois pas que l’on reviendra un jour dessus. Recueilli par Laure Anelli
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Comment l’idée d’une décriminalisation s’est-elle finalement imposée ? Vous évoquez deux façons de décriminaliser l’usage de drogues. Pour laquelle le Portugal a-t-il opté ?
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entre les secteurs du soin et de la justice, qui minait toute tentative de collaboration. L’injonction thérapeutique était mal appliquée. Je la considère d’ailleurs comme un mythe. Forcer par la loi les gens à se soigner n’a jamais fonctionné.
Ils agissent
« Occuper la nuit » Ex-détenu devenu consultant en prévention urbaine, Yazid Kherfi sillonne depuis trois ans les quartiers ghettoïsés de France dans son camion spécialement aménagé. Avec sa Médiation nomade, il offre un espace de dialogue et de rencontre ouvert en soirée afin de tisser du lien et de prévenir les violences. Reportage à Bondy et Gennevilliers.
A
u cœur des vacances scolaires, une place enclavée dans
une cité de la banlieue parisienne. Un camping-car couvert de graffitis, une sono. Sous l’auvent, une table sur laquelle se côtoient jeux de cartes et de dames. Au centre, un thermos. Voilà le décor planté par Yazid Kherfi dans le cadre de sa Médiation nomade. Cet été 2015, il intervient chaque semaine à Gennevilliers et à Bondy à l’invitation des équipes de médiation locales pour animer les soirées des Grésillons et de La Sablière, quartiers délaissés des politiques de la ville.
« Les premiers soirs, il n’y a quasiment personne. Au début, on est observés. Il y a une certaine méfiance. C’est normal. On ne ressemble pourtant pas à un camion de flics », plaisante cet homme d’une quarantaine d’années. « Tisser du lien » est la fonction première du dispositif imaginé par Yazid trois ans auparavant, dans la cité du Chêne pointu, à Clichy-sous-Bois. Sabah, Genevilloise de 46 ans, n’a manqué aucun rendez-vous. « C’est les grandes vacances, mais on n’a pas les moyens de partir. Le fait qu’il y ait le camion, ça prouve qu’on ne nous oublie Dedans Dehors N°89 Octobre 2015
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en garde à vue et ont fini par me relâcher, voyant que j’y étais pour rien. J’ai presque fini de purger ma peine, je sais que je n’ai pas le droit à l’erreur. Mais ils ne veulent pas me lâcher. J’ai l’impression qu’ils veulent ma peau. » Sentiment de persécution pour l’un, de stigmatisation pour les autres, y compris lorsqu’ils sont médiateurs de la ville. « Les flics, ils vont me voir avec le polo de médiateur, ils vont me respecter. Mais en habits de tous les jours, tout de suite, tu sens la suspicion. L’autre fois, on était en formation, c’était la pause, on traînait. Deux ou trois flics se sont mis à nous suivre, un peu sournoisement, comme pour nous faire sentir qu’ils nous avaient grillés. Mais grillé quoi ? Ça me vexe moi, franchement. »
Yazid Kherfi intervient à la demande des municipalités. Les soirées se déroulent en présence de travailleurs sociaux de la localité.
pas. » Sans emploi, elle qui recherche convivialité et partage trouvera également, sous l’auvent du camion, oreille attentive à ses problèmes personnels. « Je reçois souvent des mères, des épouses, qui ont un fils, un mari en prison et n’osent pas en parler ailleurs de peur d’être jugées, commente Yazid. Ici, elles peuvent se confier et trouver conseil sans crainte. » Une nuée d’enfants s’attroupe autour du camion. Aymane, Nouaim et Djalil ont entre 12 et 14 ans. « D’habitude, on se retrouve sur la place, on discute tous ensemble. Quand le camion est là, ça change, on peut jouer aux jeux de société », se réjouit Aymane. Un autre, venu s’enquérir des heures de présence du camion, repart visiblement déçu que l’équipe plie bagage dès minuit. A quelques pas de là, une altercation musclée éclate entre l’un des enfants et un ado. « La violence, c’est mieux que la parole ! » ironise Aymane, détournant la devise de Médiation nomade. Gobelets en plastique dans une main, thermos dans l’autre, Yazid Kherfi part au contact des jeunes attroupés dans les rues adjacentes. Pour « briser la glace », il propose un thé à la menthe. D’abord réticents, certains finissent par accepter. La conversation s’engage.
On parle du quotidien de la cité, des rapports avec la police Mehdi, 27 ans, dealer repenti après un passage en prison, raconte avoir été interpellé après qu’un petit groupe d’enfants a caillassé une patrouille à quelques rues de là où il se trouvait. « Ils m’ont accusé d’avoir organisé le truc ! Ils m’ont mis Dedans Dehors N°89 Octobre 2015
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La prison intégrée au paysage Le désœuvrement dans les quartiers mène parfois à la délinquance, voire à la prison. Elle semble faire partie du quotidien de la majorité d’entre eux. L’un a « fait un mois, le temps du mandat de dépôt », parce qu’il se trouvait « au mauvais endroit au mauvais moment ». Un autre va régulièrement visiter son cousin au parloir, le « soutient comme il peut ». Là, c’est une collecte qui s’organise « pour envoyer un mandat à un des mecs du quartier » incarcéré. « Une affaire de stup’», comme souvent. Chacun donne cinq ou dix euros. « C’est pas grandchose, mais ça lui permet de tenir, de ne pas être indigent. Y’a pas que des coupables en prison ! » Yazid salue l’initiative et tempère, « y’a pas que des innocents non plus », citant son propre cas. « L’important, c’est de le soutenir à la sortie, pour qu’il n’y retourne plus. » L’assemblée acquiesce. « Jeune garçon de cité qui essaie de s’en sortir », Nany s’installe à la table du camping-car. Il vient de passer deux mois et demi à la maison d’arrêt de Nanterre. Première peine. La dernière ? « J’espère ! », lâche-t-il dans un rire nerveux. Nany est « tombé pour de l’argent. Y’avait pas de stup’ pour m’inculper. Ils l’ont fait quand même. » Condamné à neuf mois ferme, il fait appel et sort au bout de deux mois et demi. Pour ceux qui, autour de la table, n’y ont jamais mis les pieds, la détention suscite inquiétude et curiosité. « Ça sert à quoi la promenade ? Je veux dire, t’es quand même enfermé ? », questionne Khadija. « Tu dis ça parce que t’y es jamais allée. Au moins en promenade, tu vois le ciel, tu parles à d’autres gens qu’à ton co, tu joues au foot… Ça, c’est deux heures par jour, si tu la loupes pas ! Le reste du temps, tu fais rien. Tu restes enfermé, tu fumes, tu joues à la console… »
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Très vite, c’est le sentiment d’abandon et de désœuvrement qui s’exprime, alors que le taux de chômage des jeunes avoisine les 40 % à Gennevilliers. « On trouve pas de boulot. Le soir non plus y’a rien à faire dans le quartier. On peut trop vite se mettre à faire n’importe quoi ici. » Pour Yazid Kherfi, l’un des enjeux est de réinvestir la nuit. « Moi aussi, plus jeune, je me suis ennuyé dans les halls d’immeuble. La violence, les suicides, les accidents de la route… C’est la nuit qu’ils surviennent. Or le soir, dans les quartiers, à part les commissariats, y’a pas grand-chose d’ouvert. Il faut occuper la nuit. »
Ils agissent
Yazid Kherfi offre un espace de jeu, mais aussi de discussion et de conseil sur les difficultés des habitants des quartiers.
Nany déroule son expérience, oscillant entre fierté et regrets ; entre la description de conditions de détention indignes – « dans la cellule y’avait pas de lumière », « le frigo était dégueulasse, t’as jamais vu ça », « la fenêtre était cassée, il faisait très froid la nuit », « la porte des toilettes était à terre », « les douches, aléatoires », « je suis content de m’en être sorti sans avoir chopé une maladie » – et celle d’un séjour en vacances (« On avait à boire, à manger, on jouait à la play, franchement c’était le club Med ! »). Aujourd’hui, Nany est à la recherche d’un emploi. Il regrette de ne pas avoir poursuivi ses études après la troisième. « Pourtant, j’étais bon à l’école. Mais je me suis fait virer à trois semaines du brevet. Qu’est-ce que je pouvais faire après ça ? » Il a bien pensé à demander une entrée en formation de peintre en bâtiment lorsqu’il était à la maison d’arrêt, mais il n’était pas prioritaire. Jusque-là en retrait, Yazid Kherfi intervient. Des classes de transition pour élèves en difficulté à enseignant en Master, en passant par la prison, il se raconte. Incrédule, Nany écoute attentivement, le questionne. « Cinq ans en taule ? Ah quand même, vous avez du vécu ! Quand on vous voit comme ça, on s’imagine pas. Faut en avoir des couilles quand même, pour braquer. » A ce stade, difficile de dire ce qui suscite le plus l’admiration de Nany : le parcours d’exception de Yazid pour s’en sortir, ou les actes qui l’ont conduit au « placard ».
Aller chercher les jeunes là où ils sont Des jeunes comme Nany, Yazid en rencontre à chaque médiation. Il facilite leur parole, afin de mieux pouvoir leur répondre. Le conseiller en médiation explore diverses pistes pour les aider à s’en sortir. En faisant jouer ses contacts, il a par exemple aidé l’un des jeunes de Bondy à intégrer l’IUT de Saint-Denis. Il projette de faire intervenir un écrivain public dans son camion à la rentrée pour assister les jeunes dans leurs démarches d’effacement de casier judiciaire, obstacle parfois infranchissable dans la quête d’un emploi. Il souhaite également organiser des ateliers de création de CV. « Mais je ne veux pas intervenir trop longtemps dans le même quartier, ou je risque de devenir une institution. Et puis l’idée n’est pas de me substituer aux professionnels déjà sur place », mais plutôt de leur permettre de renouer avec un public parfois éloigné. « Il y a une vraie rupture entre les jeunes et les structures censées les aider, reconnaît Mahmoud Bourassi, directeur de la Maison de la jeunesse et du service public de Bondy. Et ce n’est pas parce qu’ils ne viennent pas que tout va bien. » Les services de médiation des villes profitent des temps de présence de Yazid et de son camping-car pour nouer un premier contact avec des personnes qu’ils ne croisent pas forcément en journée, et les orienter vers les associations d’aide à l’insertion. Et ça marche. « Quelques semaines après un premier Dedans Dehors N°89 Octobre 2015
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Les Bondynois interpellent l’ex secrétaire d’Etat à la Politique de la ville, Myriam El Khomri, aujourd’hui ministre du Travail.
contact au camion de Yazid, certains jeunes ont poussé la porte du Centre social. On a pu commencer à les accompagner, les aider à faire valoir leurs droits », raconte un travailleur social.
aussi, de faire que les choses changent ! Proposez des projets, les fonds sont là. Ils n’attendent que votre initiative pour être débloqués. » Les habitants prennent bonne note, sans pour autant s’emballer.
Le dispositif a aussi ses limites
Des personnes de divers horizons, qu’elles viennent du social, du monde associatif, ou d’autres domaines du secteur privé, sont régulièrement invitées par Yazid à venir partager la soirée des habitants du quartier. « Faire tomber les barrières entre les mondes, c’est ça l’objectif. » Et la méthode commence à faire des émules. Marine Rouas, éducatrice en Centre éducatif fermé, présente bénévolement aux cotés de Yazid, réfléchit à ouvrir un nouveau camping-car pour le seconder. La ville d’Avignon travaille à mettre en place une équipe d’intervention sociale mobile sur le même modèle, tandis que l’un de ses anciens élèves à la faculté de Nanterre est sur le point d’ouvrir une structure sur des horaires de nuit dans le quartier de La Duchère, à Lyon. L’an prochain, Yazid Kherfi souhaite organiser, avec ses étudiants, le premier colloque national sur le thème de la nuit qui se déroulerait… la nuit. Une façon de marquer les esprits afin que les pouvoirs publics s’emparent enfin de cette question délaissée, pourtant centrale en termes de prévention de la délinquance.
« On aime bien quand il vient. On joue aux jeux, on discute avec le Monsieur. C’est bien mais bon, c’est pas ça qui va tout changer », estime l’un des ados de Bondy. Yazid Kherfi a bien conscience que « le camion est un pansement, du provisoire » et que rien ne changera sans des politiques ambitieuses. Ce pour quoi il milite, y compris dans les hautes sphères de l’État. Ce dernier mercredi de juillet, il a invité Myriam El Khomri, ex-secrétaire d’État chargée de la Politique de la ville devenue en septembre ministre du Travail. En tournée dans le 93, elle en a profité pour découvrir la Médiation nomade et rencontrer les habitants. Les jeunes du quartier se saisissent de l’occasion pour l’interpeller. Ils évoquent le manque d’infrastructures dans ce quartier excentré du sud de Bondy. « On a un gymnase tout neuf, mais on n’a pas le droit d’aller y jouer. A part deux trois commerces, y’a rien ici. » Ils disent n’avoir toujours pas vu la couleur des emplois aidés. « Pourtant, il y en a cinquante sur la ville », tempère un élu. « Peut-être, mais personne du quartier n’en bénéficie. On n’a même pas d’antenne de la mission locale ici ! » La secrétaire d’État s’étonne, saisit les élus en charge des questions, promet de tout faire pour y remédier, donne son adresse mail aux jeunes pour la relancer. Avant d’en appeler à leur participation. « C’est à vous Dedans Dehors N°89 Octobre 2015
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Laure Anelli
Pour contacter Yazid Kherfi : yazid.kherfi@outlook.fr
devant le juge La saisie du courrier des détenus doit être précédée d’une procédure contradictoire En application de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000, la décision de saisir un courrier adressé à une personne détenue doit être précédée d’une procédure contradictoire permettant à l’intéressée de faire part de ses observations. Dans un jugement du 2 avril 2015, le tribunal administratif de Lille rappelle ce principe et précise que le détenu doit avoir été « été averti de la mesure que l’administration envisage de prendre, des motifs sur lesquels elle se fonde » et de la possibilité de bénéficier « d’un délai suffisant pour présenter ses observations ». Dans cette affaire, deux personnes détenues contestaient la décision du directeur du centre de détention de Bapaume de saisir une lettre qui leur avait été adressée par l’OIP. Quelques mois plus tôt, l’association avait obtenu
en référé la suspension d’une note de la direction qui prévoyait que tous les détenus ayant accès aux parloirs de l’établissement devaient, à leur sortie, être soumis à une mesure de fouille intégrale. Souhaitant vérifier le respect de cette décision par l’administration, l’OIP avait adressé par courrier un questionnaire à une vingtaine de détenus. Le directeur du centre de détention avait invoqué des motifs de sécurité pour justifier le blocage de ces courriers, considérant que « le caractère collectif de cette distribution » pouvait « s’apparenter à une action collective susceptible de provoquer un trouble au bon ordre » de l’établissement. Dans son jugement, le tribunal administratif de Lille relève que le directeur avait certes informé les requérants de son intention de procéder à la saisie desdits
courriers au motif qu’ils contenaient des « éléments susceptibles de nuire au bon fonctionnement de l’établissement » et qu’il leur avait donné quinze jours pour faire part de leurs observations. Mais il n’avait pas informé les requérants de l’identité de l’expéditeur du courrier, ni du contenu de cette correspondance, avant la tenue du débat contradictoire. Si bien qu’ils ne disposaient pas des informations nécessaires pour préparer leurs observations. Le tribunal conclut que les intéressés ont été « privé [s] de la garantie attachée au respect de la procédure contradictoire prévue par l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 » et que la décision de saisie a donc été prise à l’issue d’une procédure irrégulière. TA Lille, 2 avril 2015, n°1304367 et 1304362
Le droit au respect de la vie privée et familiale réaffirmé par la Cour européenne Dans un arrêt de Grande Chambre du 30 juin 2015, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que les restrictions apportées aux visites familiales d’un détenu ont violé le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la CEDH. Purgeant une peine de réclusion à perpétuité, M. Khoroshenko a été soumis pendant les dix premières années de sa détention à un régime très strict : il ne pouvait pas recevoir plus d’une visite de quelques heures par semestre, limitée à deux adultes. Lors de ces visites, aucun contact physique n’était autorisé. L’intéressé ne pouvait s’entretenir avec ses visiteurs qu’à travers une paroi de verre ou des barreaux en métal, sous la surveillance constante d’un gardien. En outre, si M. Khoroshenko pouvait correspondre par écrit avec l’extérieur, il avait interdiction de téléphoner. Or, « il est essentiel au respect de la vie familiale que l’administration
pénitentiaire autorise ou, le cas échéant, aide le détenu à maintenir le contact avec sa famille » (§ 123), rappelle la Cour européenne. Certes, les États peuvent prendre des mesures pour contrôler les contacts des détenus avec le monde extérieur, telles que la limitation du nombre de visites, leur surveillance, voire, si la situation le justifie, la mise en place de modalités de visite particulières. Mais les atteintes portées à la vie familiale doivent être « nécessaire [s] dans une société démocratique », c’est-à-dire proportionnées au but poursuivi et fondées sur un « besoin social impérieux ». En particulier, l’État « ne peut avoir toute latitude pour introduire des restrictions générales sans prévoir une dose de flexibilité permettant de déterminer si les limitations apportées dans chaque cas particulier sont opportunes ou réellement nécessaires » (§ 126). En outre, pour se prononcer sur la proportionnalité
des mesures prises contre les détenus, la Cour précise accorder une « importance croissante […] à la nécessité de ménager un juste équilibre entre la sanction et l’amendement des détenus » (§121). Et relève à cet égard que les États européens mettent de plus en plus l’accent sur l’objectif de réinsertion de la détention dans l’élaboration de leurs politiques pénales. La Cour relève ainsi que dans la majorité des États membres du Conseil de l’Europe, les visites familiales sont au minimum bimestrielles en ce qui concerne les détenus condamnés à la réclusion à perpétuité. Dans ces conditions et compte tenu de la rigueur du régime de visite appliqué à M. Khoroshenko, la Cour conclut à l’unanimité à la violation du droit au respect de la vie privée et familiale. Cour EDH, 30 juin 2015, Khoroshenko c/Russie, req. n°41418/04 Dedans Dehors N°89 Octobre 2015
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Dommages aux biens d’un détenu : les conditions d’engagement de la responsabilité de l’État précisées Le Conseil d’Etat avait admis en 2008 qu’une faute simple de l’administration suffit à engager la responsabilité de l’Etat en cas de dommage causé aux biens d’un détenu (CE, 9 juill. 2008, n° 306666). Dans un arrêt du 6 juillet 2015, il vient préciser que le dommage doit être imputable « à un défaut d’entretien normal de l’établissement pénitentiaire » ou, « en tenant compte des contraintes pesant sur le service
public pénitentiaire, à une carence de l’administration dans la mise en œuvre des moyens nécessaires à la protection de ces biens ». Dans l’affaire portée devant lui, une personne détenue au centre pénitentiaire de Draguignan avait obtenu du tribunal administratif de Toulon la condamnation de l’Etat à lui verser 2 500 € pour la perte de ses effets et objets personnels après les inondations qui avaient touché
l’établissement en 2010. Cette décision est annulée par le Conseil d’Etat. Il estime en effet que les inondations, d’une intensité « sans précédent dans ce département depuis 1827 », doivent être regardées comme un « cas de force majeure » exonérant entièrement l’État de sa responsabilité. CE, 6 juillet 2015, n°373267
© Samuel Bollendorff/Oeil Public
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devant le juge
devant le juge Voir sa situation traitée dans le respect du code de procédure pénale est une liberté fondamentale Incarcéré à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, et inscrit sur le registre des détenus particulièrement signalés (DPS), M. A saisit le Conseil d’Etat en référé-liberté après avoir demandé sans succès pendant plusieurs mois son transfert vers une autre prison de la région. Il soutenait que son départ était nécessaire pour le protéger de mesures de provocation et de rétorsion qu’il disait subir depuis qu’il avait déposé plainte contre plusieurs surveillants pour violences aggravées. Sans se prononcer sur la réalité du harcèlement dénoncé, le juge des référés du Conseil d’Etat constate, dans une ordonnance du 30 juillet 2015, que la demande de transfert n’a « pas fait l’objet d’une instruction par l’autorité compétente ».
Elle n’a en effet jamais été adressée par la directrice de la maison d’arrêt à la ministre de la Justice, seule compétente pour se prononcer sur le changement d’affection des personnes détenues ayant le statut de DPS (art. D. 82 du code de procédure pénale). La demande n’a pas non plus été communiquée à l’autorité judiciaire, dont l’accord doit être sollicité en cas de transfert d’une personne ayant le statut de prévenu. Dans ces conditions, le Conseil d’Etat estime qu’une atteinte grave et manifestement illégale a été portée au « droit de tout détenu de voir sa situation traitée dans le respect des règles de compétence et de procédure fixées par le code de procédure pénale », droit qu’il élève au rang de liberté fondamentale. Relevant
par ailleurs que M. A, placé à l’isolement depuis neuf mois, se trouve dans un « état de santé physique et psychologique particulièrement fragile », la haute juridiction conclut à l’existence d’une situation d’urgence, même si elle prend acte de ce que l’administration s’engage à éviter tout contact entre l’intéressé et les personnels mis en cause. Le Conseil d’Etat ordonne à la directrice de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis d’adresser, dans un délai de 24 heures, la demande de changement d’affectation de M. A à la direction interrégionale des services pénitentiaires de Paris afin que celle-ci saisisse pour avis l’autorité judiciaire et transmette le dossier à la ministre de la Justice. CE, 30 juillet 2015, n°392100
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ils sont nous Sosthène, 20 mois de prison
« Je suis passé de la vie de château à la vie de cachot » Après quinze ans de procédure judiciaire, Sosthène a passé quatorze mois derrière les barreaux en 2012. Accusé en 1997 de délits financiers avec sept autres personnes, il avait déjà connu quatre mois de détention provisoire en 1999. Entre deux incarcérations, il s’est marié, a eu six enfants et de graves problèmes de santé. Après avoir connu une « dégringolade sociale », il estime qu’un autre regard sur les « erreurs de parcours » est nécessaire. Et affirme que la prison telle qu’elle est pensée « ne sert pas à grand-chose ».
Comment viviez-vous avant d’avoir affaire à la justice ? Je fais partie des gens qui n’ont pas eu de problème : je suis issu d’une famille hyper-bourgeoise où je n’ai jamais manqué de rien. J’habitais à la campagne, à une cinquantaine de kilomètres de Toulouse. J’ai fait des études de droit et de sciences politiques. Je vivais bien. J’ai été attaché parlementaire et secrétaire général de mairie ; puis, je me suis lancé dans le monde des affaires. C’est dans ce contexte que vous avez commis vos premières infractions ? Il faut remonter en 1992-1993. A cette époque, nous étions huit personnes impliquées, et nous avons été des requins dans le monde des affaires, des voyous au sens propre du terme, je n’ai pas honte de le dire. Nous avions monté différentes sociétés et nous avons été poursuivis pour des faillites frauduleuses, maquillées en faillites simples, et aussi des escroqueries, car nous avions été indemnisés à hauteur de quatre millions d’euros par les compagnies d’assurance. Une instruction a été ouverte en 1997. On s’est donc fait prendre les doigts dans le pot de confiture et ça nous a coûté très cher. Plus qu’on aurait pu l’imaginer. Comment s’est passée l’enquête judiciaire ? Fin 1999, on est venu me chercher à Londres, où je m’étais marié et installé. J’ai été convoqué, puis placé en détention provisoire à l’ancienne prison de Saint-Michel à Toulouse. J’ai été libéré au bout de quatre mois et demi et je suis reparti en Angleterre où j’ai repris le cours de ma vie. Cette première détention m’avait fait perdre mon emploi au sein de la Dedans Dehors N°89 Octobre 2015
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direction d’une multinationale, mais j’ai retrouvé rapidement un poste similaire. L’instruction s’est éternisée. Trois magistrats ont été nommés successivement. Les différentes parties demandaient des actes d’instruction complémentaires, souvent refusés : il y avait appel et ensuite pourvoi en cassation, ce qui ralentissait fortement l’avancée de notre dossier. Dans ce monde des affaires entouré de juristes, d’avocats, de conseils, les parties mises en cause savent faire durer une procédure, utiliser tous les stratagèmes de la loi pour ensuite plaider l’ancienneté des faits. Tôt ou tard, une condamnation devait néanmoins arriver. Mon avocat était confiant et m’assurait que j’écoperais d’une peine de principe. Quelle a été la condamnation finalement ? En 2005, soit huit ans après le début de l’instruction, nous avons été condamnés à des peines très clémentes. Pour ma part, 18 mois, dont une partie avec sursis. Mon avocat m’a conseillé de ne pas faire appel. Sauf que je n’étais pas tout seul dans l’affaire jugée. Quatre des co-accusés ont fait appel, et dès lors j’étais obligé de repasser en jugement avec les autres. Le procureur a en effet déposé un « appel incident du Parquet », portant sur l’ensemble du dossier, c’est-à-dire nous concernant tous les huit. Il ne voulait pas que l’affaire soit rejugée avec une partie des accusés absents. En attendant cette nouvelle audience, ma vie en Angleterre avec ma femme a continué. Deux ans plus tard, en octobre 2007, nous avons été convoqués devant la cour d’appel. A cette époque, l’on venait de me diagnostiquer un cancer de l’estomac. J’avais un certificat médical pour mon absence à l’audience car je ne tenais pas debout. Et lors de ce jugement, j’ai été condamné à 36 mois fermes.
parcours de vie d’anciens détenus Comment avez-vous vécu cette condamnation tardive ? Sur l’instant, j’étais résigné, j’avais tellement d’autres soucis. A l’issue de la condamnation, il n’y a pas eu de mandat de dépôt. J’ai continué à vivre en Angleterre auprès de ma famille. Je travaillais et voyageais beaucoup, j’ai fait un arrêt cardiaque en 2011, à 45 ans, alors que ma femme attendait notre sixième enfant. Finalement en 2012, j’ai été arrêté par la brigade de recherche des fugitifs qui venait de m’inscrire sur son fichier deux jours auparavant. Vous êtes donc arrêté en 2012 pour exécuter une peine prononcée en 2007 pour une accusation remontant à 1997 ? Oui, à trois semaines de la prescription, qui aurait rendu ma peine inexécutable, je suis arrêté. Le soir même, je dors dans une prison anglaise. J’y suis resté dix jours puis j’ai été transféré en France, à la maison d’arrêt de Lille. Six mois plus tard, j’ai obtenu mon transfert dans un centre de détention proche du nouveau lieu de résidence de ma famille dans le sud de la France. J’y suis resté jusqu’à fin décembre 2013. La peine n’avait plus aucun sens pour moi aussi longtemps après les faits. Le magistrat anglais était « désolé » mais il ne cessait de dire « je n’ai d’autre choix que d’exécuter, je ne peux pas refuser cette demande, mais c’est une décision plutôt aberrante ». Comment avez-vous vécu votre détention ? Je me doutais bien que ce ne serait pas « le Club Med ». La promiscuité a été dure à supporter pour moi, la douche collective par exemple. Je reste aussi marqué par la porte de la cellule que l’on ferme à 17 h 30 jusqu’au lendemain matin
7 h. Et puis j’ai découvert que la prison était un condensé de misère sociale et de souffrance humaine auxquelles on n’a pas su répondre. Alors on choisit de la mettre à l’écart en emprisonnant faute d’autres réponses. Je ne crois pas qu’enfermer pendant quelques mois des gens qui boivent, qui commettent des infractions routières, ou qui frappent leur conjoint, puisse servir à faire cesser leur comportement. Ils ont besoin d’une réponse adaptée qui n’est pas apportée en détention. Entre mes deux incarcérations en 1999 et 2013, j’ai trouvé que la situation s’était dégradée. A l’heure actuelle, c’est la jungle en prison ! Le trafic est partout et quand on refuse d’y participer on se fait insulter, parfois menacer. La violence est devenue omniprésente. J’ai aussi eu beaucoup de difficultés à obtenir le droit de travailler. Quelle a été l’incidence de vos problèmes de santé sur votre détention ? Pour un cardiaque, la détention aggrave évidemment les choses. On est censé éviter le stress, alors qu’il est permanent en prison. Au centre de détention dans le sud, suite à un AVC et un autre incident cardiaque en mai 2013, on m’a prescrit un traitement lourd que je devais recevoir deux fois par jour à l’infirmerie. Le service médical était situé à 400 mètres de la détention, je devais monter et descendre des escaliers, étant détenu au troisième étage. Un soir, en juillet 2013, le surveillant est venu comme d’habitude me chercher pour l’infirmerie, et j’ai refusé d’y aller. Toute l’équipe médicale s’est alors déplacée. Je leur ai demandé s’ils voulaient me tuer plus vite avec ces 400 mètres et escaliers deux fois par jour en plein
© Bernard Le Bars / Signatures
4 969 personnes condamnées étaient écrouées pour faits d’escroquerie au 1er janvier 2014, soit 8 % du total.
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ils sont nous été. Le lendemain, j’ai réitéré mon refus. A partir de là, ils ont décidé de me transporter en fauteuil roulant, ce qui était très contraignant pour eux car il fallait mobiliser un surveillant, une infirmière et un brancardier. Finalement, l’un des médecins a demandé à ce que je change d’affectation et j’ai été placé au quartier arrivants, à côté de l’unité sanitaire. Je m’y ennuyais car il n’y avait aucune activité. J’ai demandé à travailler et j’ai été placé comme auxiliaire au quartier de semiliberté. Jusque-là, on me refusait le travail pour des raisons de santé, tout en continuant de me dire que pour obtenir une conditionnelle il fallait que je travaille… Ces discours opposés qu’on vous tient pendant des mois, c’est à rendre fou. Comment vos proches ont-ils réagi à votre incarcération ? Celle de 2012 a été un effondrement absolu pour eux. Ma femme a perdu son emploi en Angleterre car l’Ambassadeur de France a informé son employeur de mes problèmes judiciaires : l’Etat lui a demandé de démissionner. Les enfants étaient scolarisés dans un lycée français, et le proviseur, qui a également été informé de mon arrestation par les services consulaires, a demandé à mon épouse de retirer les enfants « pour les protéger ». Malgré ses courbettes et ses belles manières, j’appartiens à cette harde bourgeoise d’autant plus sauvage qu’elle parait civilisée ! Mon épouse est alors venue s’installer dans le sud de la France, afin d’avoir l’aide de mes parents pour élever nos six enfants, les re-scolariser, retrouver un emploi, etc. Mon aîné a raté son année scolaire. Ma grande fille a pris quinze kilos, au point de se retrouver en cure à 13 ans… Avez-vous gardé le contact avec eux pendant vos incarcérations ? Pendant ma détention provisoire, mes proches venaient souvent au parloir, ma femme une fois toutes les trois semaines, ma mère deux fois par semaine. A Lille, ma famille ne me rendait pas visite, on se téléphonait. Mais l’accès au téléphone était difficile : pour le côté impair de la coursive le matin, le côté pair l’après-midi ; il faut aller en promenade pour téléphoner, mais la promenade c’est violent, il vaut mieux savoir se faire respecter. Dans quelles conditions s’est déroulée votre sortie ? Ma première libération conditionnelle a été refusée car je n’avais pas de perspective d’emploi, alors même que mon état de santé était déclaré incompatible avec une situation de travail. J’avais une carte d’invalidité à 80 % et une reconnaissance de travailleur handicapé (RQTH). Pour ma seconde demande, j’ai présenté un contrat de travail dans l’entreprise de ma famille. Ma conditionnelle a alors été acceptée en deux semaines, à six mois de ma fin de peine. Si on avait su, on l’aurait fait avant… Mais je n’avais aucun accompagnement pour Dedans Dehors N°89 Octobre 2015
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préparer ma sortie, j’ai dû me débrouiller seul. En détention, pour avoir un rendez-vous avec le SPIP, c’était pire que l’ascension du Mont Thabor, et il fallait déjà justifier du bien-fondé de sa demande. A la sortie en revanche, pour le suivi de la mesure d’aménagement de peine, ils ont été proactifs, le suivi était sérieux, avec une véritable écoute. Quelle est votre situation aujourd’hui ? J’ai payé mon erreur. Socialement, ça m’a bien fait dégringoler : je suis passé de « la vie de château » à la vie de cachot. Aujourd’hui, avec le projet professionnel que je poursuis dans ma ville, je suis décidé à embaucher des gens qui ont pu avoir des échecs de vie eux aussi. J’essaie d’expliquer aux autres : « Est-ce que vous ne parlez plus à quelqu’un qui a été malade ? Est-ce que vous ne parlez pas à un handicapé ? Quelqu’un qui a fait une erreur dans son parcours de vie ne mérite plus votre confiance ? ». Je pense qu’à un moment il faut communiquer : « Il a commis une erreur, et alors ? Est-ce qu’il va forcément en commettre une autre demain ? » Qu’est-ce qui favorise que les gens récidivent selon vous ? La façon dont la prison est pensée en France : elle ne sert pas à grand-chose. On parque les détenus, on les désocialise, on les infantilise au maximum, et puis on les remet en liberté. Par exemple, ça ne sert à rien d’incarcérer des gamins qui fument des joints, parce qu’ils vont sortir avec les mêmes addictions, voire pire. En prison, des gars qui n’osent pas avouer leur homosexualité reçoivent des gifles de leurs codétenus rien que pour ça. On nous fait des grandes déclarations contre la discrimination, mais la prison reste une zone de non-droit. Même chose pour les salaires : quand je travaillais en détention, je percevais 230 euros par mois environ. On est très loin des règles du droit du travail, du SMIC et autres… Et puis la sortie n’est pas préparée. Il y a des pays comme la Suède (mon épouse y a travaillé), où la libération conditionnelle est prévue d’office et la réinsertion préparée dès le début de l’incarcération. Quels sont vos projets ? Avec mon avocat, nous avons fait une demande d’effacement de mon casier judiciaire, pour me donner une chance de me remettre correctement dans la société. Si elle est refusée, dans quelques mois ma conditionnelle sera finie, je ferai ma valise pour le Brésil ou l’Argentine. J’irai au bout du monde, là où on ne me posera pas de questions. Tout le monde a droit au rachat de ses erreurs, moi comme un autre. Recueilli par Delphine Payen-Fourment
Lettres ouvertes
Le sondage des barreaux « aussi anxiogène qu’inutile » « Le sondage des barreaux. Je crois que c’est l’une des choses qui me mettent le plus hors de moi. On est tranquillement dans sa cellule, quand on commence à entendre un bruit de métal choqué, de plus en plus assourdissant à-mesure que
les surveillantes se rapprochent. Arrivées à notre cellule, elles nous demandent de sortir le temps que l’une d’entre elles carillonne sur les barreaux. Et l’assourdissante litanie des barreaux heurtés reprend, pour se poursuivre jusqu’au
bout du couloir. Je trouve ce geste aussi anxiogène qu’inutile. Entre la grille et les barreaux, il me semble impossible d’envisager une entreprise de « limage ». » Personne détenue, centre de détention, août 2015
« Plus je reste ici, moins je vois l’utilité de la prison » Mais elles sont dans des lieux de passage : couloirs, ateliers, promenades… On ne peut pas parler de tout ce dont on voudrait. Et puis il y a le bruit. La musique à plein volume la nuit, ceux qui crient par la fenêtre. Au premier étage, on travaille. On se couche plus tôt. C’est parfois compliqué de lire et d’étudier. La structure est trop grosse et la population très différente. Par ailleurs, les coursives sous les fenêtres sont toujours très sales. C’est aussi un problème d’incivilité de la part de certains détenus. Beaucoup d’anciens de la Santé transférés ici ont la nostalgie de cette prison en disant que cet établissement, malgré sa vétusté, était plus humain. Plus je reste ici, moins je vois l’utilité de la prison… Je ne vois pas ce qui est pédagogique dans tout ça. Certes, on a fait une erreur et je suis d’accord pour la
réparer. Mais, la réponse que l’on me donne c’est : infantilisation, humiliation, perte de ma maison, ruine financière, perte de beaucoup de proches à qui le mot « prison » fait peur, violence dans les promenades, souffrance côtoyée tous les jours (des camarades qui pleurent car ils sont coupés de leurs proches, d’autres qui tentent de se suicider…). En tout cas, beaucoup de détresse. Je sais qu’il faut s’efforcer de se concentrer sur les choses positives (bénévoles, culture, aumôniers, camaraderie…). Mais, quelle que soit la faute que l’on a commise, c’est cher payé pour nous et nos familles qui n’ont rien demandé. Ce n’est à mon avis pas la meilleure façon de se racheter auprès des victimes. » Personne détenue, maison d’arrêt, juillet 2015
© Felix Ledru
« Après seize mois d’incarcération et à force de persévérance, mon codétenu a enfin eu ses lunettes. Maintenant, il peut lire seul. Comme quoi, il faut toujours garder espoir. Par contre, je me suis inscrit au sport dès mon arrivée, il y a dix mois, et n’ai encore jamais été appelé, malgré mes relances. C’est pourtant important de se dépenser, pour garder la forme et le moral. Même problème pour la bibliothèque : samedi dernier, personne du premier étage n’a été appelé. Les surveillants du rez-de-chaussée avaient bien la liste, mais pas ceux du premier. C’est vraiment navrant, car c’est notre seule occupation du samedi. Ici c’est l’usine. Beaucoup de surveillants sont débordés. On pourrait les aider à être mieux organisés. Mais si on leur fait une remarque, ils risquent de mal le prendre. Il y a des cabines téléphoniques pour appeler nos proches. C’est très bien.
Dedans Dehors N°89 Octobre 2015
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Pour tout renseignement sur les activités de l’OIP-section française ou pour témoigner et alerter sur les conditions de détention en France : OIP section française 7 bis, rue Riquet 75019 Paris tel : 01 44 52 87 90 fax : 01 44 52 88 09 e-mail : contact@oip.org site : www.oip.org
Le standard est ouvert de 15h à 18h
L’OIP en région Les coordinations régionales sont chargées des enquêtes sur les établissements de leurs régions. Chaque coordinateur travaille avec un réseau de correspondants et de bénévoles. Coordination régionale Nord et Ouest (DISP Lille et Rennes)
Coordination régionale Sud-Est (DISP Lyon et Marseille)
Anne Chereul 14, contour Saint Martin 59100 Roubaix 09 61 49 73 43 06 63 52 10 10 fax: 03 28 52 34 13 anne.chereul@oip.org
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Coordination régionale SudOuest (DISP Bordeaux et Toulouse)
Coordination régionale Ile-deFrance et outre-mer (DISP Paris et outre-mer)
Delphine Payen-Fourment 7bis rue Riquet 75019 Paris 01 44 52 87 96 06 50 87 43 69 fax: 01 44 52 88 09 delphine.payen-fourment@oip.org
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Coordination régionale Centre et Est (DISP de Dijon et Strasbourg)
Les groupes et correspondants locaux de Metz et Nancy assurent l’observation et l’alerte sur la prison de leur ville, en lien avec le secrétariat national.
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Pour les contacter, vous pouvez joindre le secrétariat national : contact@oip.org ou 01 44 52 87 90
Qu’est-ce que l’OIP ? La section française de l’Observatoire international des prisons (OIP), créée en janvier 1996, agit pour le respect des droits de l’Homme en milieu carcéral et un moindre recours à l’emprisonnement. Que fait l’OIP ? Concrètement, l’OIP dresse et fait connaître l’état des conditions de détention des personnes incarcérées, alerte l’opinion, les pouvoirs publics, les organismes et les organisations concernées sur l’ensemble des manquements observés ; informe les personnes détenues de leurs droits et soutient leurs démarches pour les faire valoir ; favorise l’adoption de lois, règlements et autres mesures propres à garantir la défense de la personne et le respect des droits des détenus ; défend une limitation du recours à l’incarcération, la réduction de l’échelle des peines, le développement d’alternatives aux poursuites pénales et de substituts aux sanctions privatives de liberté. Comment agit l’OIP ? Organisation indépendante des pouvoirs publics, l’OIP ne sollicite aucun mandat ou subvention du ministère de la Justice, s’interdit de prendre part à l’action d’aucun gouvernement, de soutenir aucun parti politique ou de prendre position à l’occasion de toute consultation électorale. Pour faciliter la mise en œuvre de ses objectifs, l’Observatoire suscite la création de coordinations régionales chargées de l’observation des lieux de détention et composées exclusivement de membres de l’OIP.
Les ouvrages de l’OIP 66 Passés par la case prison .......... x 66 Le guide du prisonnier 2012 .......... x 66 Rapport 2011 : les conditions de détention en France .......... x La revue Dedans-Dehors 66 n° 88 « Religions en prison » .......... x 66 n° 87 « Mineurs détenus : la justice peine à résister au vent répressif » .......... x 66 n° 86 « Sortir de prison : le parcours d’obstacle » .......... x 66 n° 85 « Place aux ex-détenus dans la prévention de la delinquance » .......... x 66 n° 84 « Violences carcérales : au carrefour des fausses routes » .......... x 66 n° 83 « Projet de réforme pénale : indispensable et inabouti » .......... x 66 n° 82 « Longues peines : la logique d’élimination » .......... x 66 n° 81 « Réforme pénale : désintox » .......... x 66 n° 80 « Ils sont nous – Parcours de vie d’anciens détenus » .......... x 66 n° 79 « Expression en prison : la parole disqualifiée » .......... x 66 n° 77-78 « Nouvelles prisons : le trou noir de la pensée » .......... x 66 n° 74-75 « Politique pénale : quand les idées reçues dictent leurs lois ».......... x Tous les prix comprennent les frais de port. Pour l’étranger, nous consulter.
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O B S E R VAT O I R E I N T E R N AT I O N A L D E S P R I S O N S
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Le guide du prisonnier 3 Entrer en prison 3 Vivre en prison Le quotidien carcéral Liens avec l’extérieur Santé physique et psychique Au nom de la sécurité 3 Faire respecter ses droits
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le guide du prisonnier OIP/ La Découverte, 2012, 704 p., 40 € (frais de port inclus)
OIP
OIP O B S E RVATO I R E
I N T E R NAT I O NA L
D E S
P R I S O N S
P R I S O N S D E S
Alors même que l’institution pénitentiaire fait l’objet d’une remise en cause permanente sur sa capacité à respecter l’État de droit et les droits de l’homme, le nombre de personnes incarcérées atteint des niveaux historiques et les plans de construction de nouvelles prisons se succèdent.
L’Observatoire international des Au terme d’un long processus d’élaboration, la loi péniprisons (OIP) est une tentiaire de novembre 2009 n’a finalement pas apporté organisation non d’avancée majeure dans la reconnaissance de droits visant gouvernementale à protéger la personne détenue. Elle vient même entériner dont l’action vise à certaines régressions, telle la mise en place de « régimes favoriser le respect différenciés ». Quant à l’injonction paradoxale faite au juge de la dignité des de systématiser la réponse « prison » (peines plancher) et personnes détenues. de transformer les courtes peines d’emprisonnement en Créée en 1996, la surveillance électronique, elle s’est accompagnée d’un section française de tournant législatif qui ajoute à des peines de plus en plus l’OIP défend les droits longues des mesures de sûreté pour les auteurs d’infracCode_OIP_2011:Codefondamentaux à barres 9/11/11 16:03 des tions les plus graves, sur la base d’une évaluation de la personnes incarcérées « dangerosité » hasardeuse et artisanale. et milite pour le développement des mesures alternatives à l’emprisonnement.
24 €
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LES CONDITIONS DE DÉTENTION EN FRANCE
30 € 100 € 15 €
À
INTERNATIONAL
30 € 25 € 15 €
l’heure où la question de la prévention et de la répression de la délinquance et du crime s’est installée au cœur du débat public, la radiographie de l’univers carcéral français réalisée par l’OIP n’est pas seulement une initiative citoyenne salutaire, elle constitue une véritable démarche d’utilité publique. En retraçant les évolutions des politiques pénales et pénitentiaires au cours de la période 2005-2011, dans toutes leurs nuances et contradictions, ce rapport permet à chacun de connaître l’usage qui est fait de l’emprisonnement et la réalité de ce qui se passe derrière les murs de nos prisons.
OBSERVATOIRE
LES CONDITIONS DE DÉTENTION EN FRANCE - RAPPORT 2011
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Un livre à offrir… pour faire savoir ! Passés par la case prison, c’est le dernier ouvrage publié par l’OIP. Magnifiquement illustré par les photos de Philippe Castetbon et Dorothy-Shoes, il raconte l’histoire de huit anciens détenus. Via leurs propres mots sur leur parcours, avantpendant-après la prison. Via les textes d’écrivains qui les ont rencontrés : Olivier Brunhes, Philippe Claudel, Marie Darrieussecq, Virginie Despentes, Nancy Huston, Mohamed Kacimi, Pierre Lemaitre et Gérard Mordillat. Autant d’écritures puissantes et regards singuliers sur la prison dans une vie. C’est l’histoire de Sylvie P., qui a fait de la prison « par amour », après avoir fait évader son compagnon. Celle de Yazid K., passé du statut de « voleur » à celui de consultant en prévention urbaine auprès de municipalités, policiers… et médiateur auprès de jeunes des quartiers. Il y a encore le récit de Sacha Y., condamné dans le cadre des émeutes de 2005, qui voudrait aujourd’hui devenir avocat.
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